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IWFA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité spécial sur la violence faite aux femmes autochtones


NUMÉRO 007 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 13 février 2014

[Enregistrement électronique]

  (1800)  

[Traduction]

    Bonjour à tous. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité spécial sur la violence faite aux femmes autochtones.
    On me dit que nous avons un petit problème technique aujourd'hui. Nous ne sommes pas en mesure de voir la représentante de l'enfance et de la jeunesse, Mme Turpel-Lafond. Il semble qu'il y a des problèmes techniques là-bas, à Victoria. Nous allons entendre son témoignage et nous ne pourrons utiliser que notre ouïe ce soir, car elle ne pourra communiquer avec nous que par téléphone.
    Mary Ellen, nous entendez-vous?
    Oui, parfaitement bien, en fait. D'accord. Cela pourra fonctionner.
    Nous vous remercions beaucoup de comparaître devant notre comité, et veuillez nous excuser. J'ignore ce qui cause le problème, mais nous sommes ravis que vous soyez parmi nous, même si c'est seulement par téléphone.
    Monsieur Saganash.
    Oui, avant que nous commencions, madame la présidente, je veux mentionner que nous avons appris aujourd'hui le retrait d'un organisme qui était censé être l'un de nos principaux partenaires dans la démarche. J'aimerais donc que nous discutions des conséquences de ce retrait, entre la comparution de notre témoin et notre étude du projet de rapport peut-être. L'AFAC est l'un de nos principaux partenaires dans cette démarche. Elle a déclaré aujourd'hui qu'elle se retirait, et j'aimerais que nous discutions des conséquences de sa décision, si possible.
    Merci.
    Je propose que nous le fassions entre 19 et 20 heures, lorsqu'il sera question des instructions pour la rédaction...
    Absolument.
    ..., durant la période où nous siégerons à huis clos. C'est très bien. Nous en discuterons à 19 heures, de sorte que nous nous concentrions d'abord sur le témoignage de notre invitée.
    Je souhaite la bienvenue aux gens qui observent le déroulement de notre séance d'aujourd'hui. Je vous demande de rester calme et respectueux. Je vais insister pour que le silence soit maintenu afin que nous puissions écouter le témoignage de notre invitée de façon respectueuse.
    Sans plus tarder, madame Turpel-Lafond, je vous invite à commencer. Vous disposez de 10 minutes. Par la suite, les membres du comité auront jusqu'à 19 heures pour vous poser des questions.

  (1805)  

    Encore une fois, je vous remercie, madame la présidente. Je remercie également les membres du comité.
    Je vais vous donner un très bref aperçu de mon rôle. Je suis agente indépendante de l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique et, à ce titre, je suis représentante de l'enfance et de la jeunesse. J'effectue un certain nombre de tâches. Je surveille les organismes de protection de la jeunesse de la province et je vérifie s'ils fonctionnent de façon efficace et coopérative.
    J'ai un mandat prioritaire très précis qui consiste à connaître les besoins et les services offerts et à vérifier si les services sont efficaces et adaptés aux besoins des enfants et des adolescents autochtones. Je mène des enquêtes et je fais des analyses sur les cas d'enfants et d'adolescents qui ont été blessés ou qui sont décédés, en particulier ceux qui avaient peut-être besoin de services ou qui en ont reçu, et je rends compte des cas en question. À cet égard, je signale souvent des cas de suicide ou de décès d'enfants des Premières Nations. Par exemple, la semaine dernière, j'ai rendu compte du décès d'une adolescente de 14 ans, qui a été retrouvée pendue. Elle avait été victime de violence physique et sexuelle.
    Je défends également les intérêts des enfants et des adolescents en Colombie-Britannique: 11 000 cas au cours des 6 dernières années. Les enfants et les adolescents des Premières Nations représentent de loin la moitié d'entre eux.
    Comme je l'ai dit, je travaille surtout ici. Je suis en congé de mon travail de juge de la Cour provinciale de la Saskatchewan, province d'où je viens. Je suis membre de la nation crie de Muskeg Lake. Avant d'être nommée à la cour, j'ai pratiqué le droit — le droit de la famille et le droit criminel — et j'ai représenté en grande partie des membres des Premières Nations, dont l'Association des femmes autochtones du Canada et d'autres clients au fil des ans.
    Voilà mon expérience personnelle. Je suis également mère de quatre enfants, dont trois filles. Les travaux du comité suscitent donc beaucoup mon intérêt et je souligne l'importance des services que le comité rend à la population en examinant ces enjeux importants.
    J'aimerais vous faire part brièvement de mon point de vue professionnel sur la vulnérabilité, en particulier celle des filles autochtones, et sur leur vulnérabilité grandissante en tant que femmes, et surtout, en tant que victimes qui vivent en marge de la société canadienne.
    J'aimerais tout d'abord dire au comité que les filles des Premières Nations ne sont pas protégées de façon adéquate, peu importe si elles vivent dans une réserve ou ailleurs. En Colombie-Britannique, 80 % de la population autochtone vit en dehors des réserves. Comme vous le savez, la proportion varie selon les provinces, mais il y a de principaux enjeux sur la sécurité.
    Il y a des facteurs importants qui font en sorte que les collectivités se trouvent dans une situation difficile, comme les questions intergénérationnelles touchant les pensionnats — nous en sommes maintenant à la troisième génération de survivants des pensionnats, si l'on veut. Nous sommes toujours aux prises avec des problèmes très graves: la négligence à l'égard des enfants et les mauvais traitements qu'ils subissent, surtout les filles. Elles sont victimes de discrimination sexuelle, et surtout, une trop forte proportion de ces filles sont victimes de violence sexuelle et n'ont sans doute pas aussi facilement accès à des recours civils et à des services de sécurité que d'autres filles et femmes canadiennes lorsqu'elles dénoncent les gens qui les ont maltraitées ou négligées.
    À titre d'exemple, dans les collectivités des Premières Nations, il est difficile d'avoir des organismes de protection de la jeunesse qui fonctionnent bien et de façon efficace et uniforme. Dans les réserves de la Colombie-Britannique, il n'existe pas de programmes valables pour les enfants qui ont des besoins spéciaux. Un enfant qui a des besoins spéciaux risque davantage d'être victime de mauvais traitements et de négligence et il est moins en mesure de se protéger. Il peut être moins résilient et il a besoin de services. Les services offerts dans les réserves ne sont pas comparables; il n'y a pas de programme équivalent pour les enfants qui ont des besoins spéciaux.
    Il en va de même pour un programme et des services destinés aux enfants ayant des problèmes de santé mentale qui ont besoin d'aide supplémentaire lorsqu'ils se remettent d'un traumatisme afin d'être plus résilients face aux nombreuses difficultés auxquelles ils sont confrontés.

  (1810)  

    Nous constatons que les services offerts aux filles autochtones, surtout à celles des Premières Nations, sont bien insuffisants.
    Nous remarquons également d'importantes lacunes en ce qui concerne les taux de réussite, par exemple, pour le rendement scolaire. De tous les enfants autochtones au pays, ceux de la Colombie-Britannique ont les meilleurs résultats scolaires. Près de la moitié des enfants autochtones de la province obtiennent leur diplôme, alors qu'on parle d'environ 83 % pour tous les enfants britanno-colombiens. Il n'y a donc vraiment pas de quoi se vanter. À certains égards, ces résultats font l'envie d'autres provinces et territoires. Toutefois, lorsque nous examinons en particulier la population des enfants des Premières Nations dans les réserves qui vont à l'école dans la réserve ou qui vivent dans une réserve et qui vont à l'école en dehors de la réserve, le taux de réussite baisse considérablement. Il se situe plutôt à près de 20 à 25 %. La différence est alors très importante, ce qui en dit long sur l'insuffisance des services.
    En ce qui concerne la vulnérabilité des filles autochtones et des Premières Nations de la Colombie-Britannique en général, nous constatons que bon nombre des régimes d'aide qui sont normalement offerts à d'autres filles ne suffisent pas. Elles sont mal desservies dans la collectivité. Par conséquent, lorsqu'elles ont des difficultés, qu'il s'agisse d'insécurité, de besoins spéciaux ou de soutien, elles ne peuvent pas nécessairement avoir accès aux types de services qui les protégeraient et leur permettraient de s'épanouir pleinement.
     Ce qui me préoccupe le plus en tant que représentante de l'enfance et de la jeunesse, c'est que beaucoup trop de filles des Premières Nations se trouvent en situation de grande vulnérabilité. Elles n'ont pas facilement accès à des services et à de l'aide qui leur permettraient de s'en sortir. Par conséquent, certaines quittent la collectivité et se mettent dans des situations plutôt dangereuses, en faisant du pouce, par exemple. Dans le cadre de mes fonctions de représentante, lorsque je travaille avec des collectivités des Premières Nations de la Colombie-Britannique, ce que je fais souvent, et que je rencontre des jeunes filles qui me prient de les sortir de la collectivité, je constate qu'elles ne savent pas où aller. Je ne crois pas que ce soit le stéréotype sur les collectivités, mais le fait est qu'elles n'ont pas les services et le soutien qu'il faut. Je le répète, cela place donc les filles dans une situation de grande vulnérabilité où elles veulent sortir de leur collectivité, mais il est extrêmement difficile pour elles de s'adapter, de s'en sortir à l'extérieur de la collectivité, car elles ont vécu des situations difficiles et les services offerts ne sont peut-être pas non plus bien adaptés pour les aider dans leur situation.
    Par exemple, dans notre province, il est difficile de régler le problème de vulnérabilité — une personne qui a été victime de mauvais traitements dans son enfance peut devenir une proie facile dans des régions vulnérables comme le Downtown Eastside et ailleurs. Nous ne luttons pas efficacement contre ces répercussions.
    Les travaux du comité sont importants. Il nous faut des services et des mesures d'aide ciblées adaptés à la situation de discrimination et aux problèmes uniques avec lesquels les filles sont aux prises tôt dans leur vie, de sorte qu'elles puissent être plus résilientes et qu'on les aide mieux à s'en sortir.
    Merci beaucoup. Il vous reste encore un peu de temps. Vous pouvez continuer. Sinon, nous passerons tout de suite aux questions.
    J'aimerais vous parler de quelques facteurs qui, à mon avis, augmentent la vulnérabilité des femmes en particulier. Je suis l'auteur d'un rapport... En passant, mes rapports peuvent être consultés à partir du site Web de la représentante des enfants et des jeunes de la Colombie-Britannique. Je suis désolée, mais l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique n'a pas comme politique de faire traduire tous ses rapports en français, ce qui fait que votre comité n'en recevra pas automatiquement des exemplaires, mais j'invite néanmoins les membres du comité à consulter mes rapports.
    J'ai donc publié un rapport en automne 2013 sur une enfant des Premières Nations de la Colombie-Britannique qui a été envoyée en Saskatchewan, où elle a été victime de violences graves de la part de ses tuteurs, à savoir son grand-père et sa conjointe. Les deux ont été trouvés coupables de manquement à l'obligation de fournir des choses nécessaires à l'existence de l'enfant. Dans mon rapport, je décris les résultats de mon enquête sur la mère. C'était une mère qui, toute jeune, a subi des violences dans une collectivité de la Saskatchewan, une communauté des Premières Nations. Essentiellement, elle s'est sauvée de cette communauté pour tenter de se forger une nouvelle vie en Colombie-Britannique. Elle s'est retrouvée dans le quartier Eastside du centre-ville, a commencé à se shooter et est devenue toxicomane, en partie en raison des séquelles des sévices physiques et sexuels dont elle avait été victime pendant son enfance. Elle a accouché d'une petite fille, le sujet du rapport. Cette dame lutte toujours contre ses dépendances et a demandé à l'État, soit la province de la Colombie-Britannique, de prendre son enfant et de lui offrir un meilleur foyer qu'elle ne pouvait le faire en raison de sa toxicomanie.
    Il faut que les Canadiens comprennent les énormes difficultés que rencontrent les mères telles que celle-là et le fait qu'elle n'a jamais bénéficié d'un soutien adéquat pendant les premières années de ses tentatives de sevrage, car elle réussit à se sevrer de temps en temps. Elle n'a jamais reçu le soutien qu'il fallait pour l'aider à surmonter les difficultés découlant des violences physiques et sexuelles dont elle a été victime dans sa communauté.
    Son enfant a été saisie et placée en Saskatchewan. Ironie du sort, l'enfant a été envoyée dans la même communauté où la mère a dit avoir été maltraitée, et a été violentée par la même famille. Cette enfant de 10 ans est maintenant dans un foyer d'accueil. Je crains que les violences ne se perpétuent de génération en génération. Comment arriverons-nous à rompre ce cycle, à ne pas nous contenter de dire: « Voici le problème, mais nous n'arrivons pas à l'éliminer même si nous constatons qu'il y a des violences physiques et sexuelles? »
    J'ai beaucoup appris en parlant aux femmes autochtones de leurs combats et des difficultés auxquelles elles doivent faire face. Sans juger, en offrant un soutien, j'ai tenté de comprendre ce qui a donné lieu à leur vulnérabilité et les facteurs qui permettraient de protéger et de soutenir leurs enfants, afin que ceux-ci puissent mieux réussir. Afin de mieux comprendre les types d'intervention et ainsi accroître les facteurs de résistance, il nous faut l'expérience des prestataires de services de première ligne dans ce domaine et la participation des femmes et des enfants autochtones.
    Il est certes important de comprendre le chemin qui mène à cette vulnérabilité, mais il faut ensuite fournir des services qui détournent de ce chemin, chemin qui, reconnaissons-le, continue d'exister ici au Canada. Je comprends tout à fait les préoccupations évoquées à l'échelle nationale à l'égard des femmes disparues, assassinées, ou des jeunes qui se sont suicidées dans des circonstances fort tragiques, et le chagrin de leur famille. Je demeure persuadée cependant qu'il y a souvent des occasions qui sont ratées, des occasions qui permettraient d'intervenir et de changer ces vies de façon positive et d'offrir un soutien afin de rompre le cycle. L'un des grands défis ici au Canada ce sera de le reconnaître.

  (1815)  

    Madame Turpel-Lafond, je vous remercie de nous avoir fait part de vos observations et si vous nous le permettez, nous souhaitons vivement vous poser des questions.
     Monsieur Saganash, vous disposez de sept minutes.
    Merci beaucoup, et meegwetch à Mary Ellen. Comment allez-vous?
    Bien, merci, Romeo.
    Je vous dis trois fois merci... Tout d'abord, merci d'être venue ici ce soir. Merci pour tout le travail que vous avez effectué au fil des ans, plus particulièrement le travail, d'importance critique, qui porte sur les droits fondamentaux des peuples autochtones. Enfin, je vous remercie pour votre témoignage ce soir.
    Passons maintenant à autre chose, car j'aimerais bien vous entendre sur cette question tragique dont est saisi notre comité.
    Tout d'abord, je sais que vous avez beaucoup oeuvré dans le domaine qui nous concerne et que vous avez occupé de nombreux postes au fil des ans. Compte tenu de votre expérience, quels sont les plus grands facteurs qui contribuent à la crise à laquelle nous sommes confrontés, c'est-à-dire les femmes et jeunes filles autochtones disparues et assassinées, en sachant qu'il y a de nombreux facteurs que nous allons examiner aujourd'hui?
    Je dirais qu'à l'échelle du pays, le problème le plus connu est peut-être l'absence d'une volonté fédérale pour détourner les femmes des chemins que l'on sait qui mènent à la vulnérabilité. À titre d'exemple, il y a l'absence d'une défense musclée des droits de l'enfant, du concept des meilleurs intérêts de l'enfant afin de mieux le protéger et le soutenir, et du droit de maintenir des liens avec sa famille et sa communauté. C'est un droit fondamental, le droit d'avoir des liens avec sa communauté autochtone. Nous n'avons pas suffisamment de mécanismes qui garantissent ces droits.
    Quant aux filles qui sont victimes de violences dans leur communauté, dans bien des cas, la présence du système du bien-être social fait qu'elles sont retirées. Elles perdent le contact, les liens sont rompus, et la communauté n'est pas habilitée à s'attaquer au problème ni à réellement protéger les enfants.
    Prenons comme exemple la Loi sur les Indiens fédérale. Je reconnais qu'il existe des traités et des accords d'autonomie gouvernementale. On peut réglementer l'apiculture, le traitement des chiens dans les réserves, mais nous ne sommes pas habilités à aborder les problèmes fondamentaux de la politique des familles, et nous ne détenons pas les pouvoirs nécessaires qui permettraient de créer un climat de sécurité. Le régime archaïque dont nous disposons pour gouverner la vie des réserves au Canada ne répond lamentablement pas aux besoins. C'est un modèle du XVIIe siècle qui persiste au Canada et qui, par conséquent, crée des lacunes énormes en matière de responsabilités et de services.
    Il existe bon nombre d'outils provinciaux, comme la Loi sur le droit de la famille de la Colombie-Britannique, qui a été entièrement revue et dont la nouvelle version a été publiée en mars. Elle stipule que les enfants autochtones ont le droit de conserver des liens avec leur culture et leur langue, que le droit de la famille est important et doit être protégé, et que les enfants peuvent bénéficier des soins des tuteurs et des personnes aimantes. Cependant, il reste de nombreux défis pour mettre en oeuvre ces dispositions dans une réserve pour le bien des enfants autochtones. À l'échelon fédéral, on ignore comment cette loi sera appliquée dans les réserves et l'incidence qu'elle aura sur les rapports avec la province. On ne dispose donc ni des pouvoirs, ni de la politique, ni de la capacité de créer des régimes solides qui assureraient la sécurité dans les réserves du Canada... On constate vraiment ces lacunes.
    Je vous remercie pour votre question. L'un des plus grands défis est l'appareil archaïque fédéral et l'incapacité des provinces, qui en ont essentiellement la responsabilité, de combler le vide.

  (1820)  

    Merci.
    Dans les faits, donc, il existe des lacunes énormes, par exemple quand les filles ne sont pas en sécurité.
    Merci.
    Je veux rester sur le sujet du rôle du gouvernement fédéral. Dans le rapport intitulé Lost in the Shadows que vous avez présenté récemment au gouvernement de la Colombie-Britannique, vous recommandez que les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada travaillent avec les Premières Nations pour éliminer les obstacles qui empêchent les enfants et les familles des Premières Nations d'obtenir des services.
    À l'heure actuelle, dans votre province, considérez-vous que le Canada honore ses engagements nationaux et internationaux à l'égard des enfants pris en charge par les services sociaux?
    Je n'en ai vraiment pas l'impression, en raison de ces questions fondamentales, comme je l'ai indiqué plus tôt. Il faut qu'il y ait sur les réserves une norme de service équivalente à celle qui s'applique à l'extérieur des réserves. Les niveaux de soutien aux victimes, les normes des services de police et de sécurité, et les normes en matière de protection de l'enfance ne sont pas équivalents à ceux qui existent à l'extérieur des réserves.
    Pourtant, les dépenses sont substantielles. Je crois que le ministère des Affaires autochtones fédéral dépense quelque 67 millions de dollars par année pour l'aide sociale aux enfants autochtones, alors que la province de la Colombie-Britannique dépense annuellement environ 150 millions de dollars. Les gouvernements dépensent donc; je ne suis pas certaine que ce soit adéquat, mais chose certaine, ces dépenses ne se traduisent pas par des services équivalents. J'ai recommandé à maintes reprises l'adoption d'une stratégie plus solide reposant sur une présence nationale plus forte.
    D'après ce que j'ai pu observer, du moins en Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral accorde les contrats de service à la province, et cette dernière offre le service. Il n'accorde des contrats que pour une toute petite part des services. Il n'assume aucune obligation fiduciaire ou autre afin de s'assurer que ces services comblent bien les besoins des gens et que ces derniers y aient accès, et quand ce n'est clairement pas le cas, il semble que tout le monde s'en lave les mains. Or, c'est sur le terrain que les choses se gâtent vraiment dans le vie des citoyens vulnérables, particulièrement les filles des Premières Nations.

  (1825)  

    Merci beaucoup. Combien de temps me reste-il?
    Il vous reste 30 secondes.
    Un grand nombre de témoins ayant comparu devant le comité considèrent qu'il faut réclamer une enquête nationale sur les femmes autochtones portées disparues ou assassinées, ainsi qu'un plan d'action national. Ces deux initiatives vont de pair, il me semble. Approuvez-vous cette demande?
    Je pense qu'il est extrêmement important de se pencher sur ces problèmes. Je ne suis donc certainement pas contre ces initiatives. Je crois que je vois les choses un peu différemment. Il faut porter attention à certaines questions entourant les disparitions ou les meurtres de femmes, qu'il s'agisse de dossiers irrésolus ou actifs. Si le niveau de service et d'enquête est inadéquat ou qu'il faut examiner certaines tendances, alors il y a certainement du travail à faire.
    Dans le cadre de mon travail, je me concentre vraiment sur ce qui s'est passé avant la disparition ou le meurtre d'une personne, et dans le cas des filles des Premières Nations, j'observe qu'elles ont très tôt été vulnérables ou victimes d'abus. Il faut qu'il y ait...
    Nous avons légèrement dépassé notre temps ici; je vais donc continuer.
    Nous vous laissons la parole pour sept minutes, monsieur Strahl.
    Bonjour, madame Turpel-Lafond.
    Je vous ai rencontrée pour la première fois à l'occasion d'une activité organisée à Vancouver, en présence du ministre Valcourt, pour l'annonce de l'entrée en vigueur prochaine de la Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux. On pourrait peut-être aussi l'appeler « Biens immobiliers matrimoniaux sur les réserves ». Cette loi a permis de combler un vide juridique qui existait auparavant et qui empêchait un conjoint de demander à ce que la police sorte l'autre conjoint du domicile familiale en cas de violence domestique. Les familles de victimes nous ont certainement fait part de leur frustration à cet égard parce que la police n'avait pas le pouvoir de venir chercher un contrevenant ou quelqu'un ayant posé un geste de violence familiale.
    Vous avez parlé de la capacité d'assurer la sécurité. Quel effet cette loi aura-t-elle, selon vous, au chapitre de la prévention de la violence contre les femmes et les enfants autochtones?
    Quand cette loi — qui s'est longtemps fait attendre — a été promulguée en décembre, j'ai vraiment eu l'impression qu'elle créerait un nouveau recours ou qu'elle clarifierait un recours, c'est-à-dire une ordonnance conservatoire pouvant être obtenue en vertu de la loi et exécutée sur une réserve afin de permettre aux femmes et aux enfants de demeurer dans leur maison, même s'ils ne sont pas, par exemple, titulaires d'un certificat de possession de la propriété ou d'un billet de location délivré par le système de gestion des terres des réserves de la Loi sur les Indiens.
    Cette loi importante, promulguée en décembre, n'a pas été suffisamment appliquée jusqu'à maintenant. Par exemple, en Colombie-Britannique, je n'ai pas encore pu voir une seule ordonnance délivrée, mais je garde la situation à l'oeil. Je crois que cette loi créera un outil de soutien, qui doit encore être mis en oeuvre par la police. Si on délivre une ordonnance, la mère et les enfants restent dans la maison, et si le contrevenant allégué y revient en violation de l'ordonnance et doit faire l'objet d'accusations ou d'autres mesures, nous ne savons pas si pareille affaire se retrouverait devant les tribunaux et connaîtrait un dénouement favorable.
    C'est un pas dans la bonne direction. De toute évidence, pour ce qui est d'assurer la sécurité dans une communauté rurale ou éloignée, certaines communautés des Premières Nations en Colombie-Britannique ne comptent pas de station de la GRC, par exemple. Une ordonnance à elle seule ne suffira pas. Il faudrait que la communauté soit dotée de beaucoup plus. Il importe de disposer d'un mécanisme normalement prévu dans la loi provinciale. Cet outil fait partie de l'arsenal de lutte contre la violence familiale. Je considère donc qu'il s'agit d'une très bonne mesure, que j'ai accueillie avec gratitude.
    Cette loi permet aux Premières Nations de créer leurs propres régimes de protection en cas de violence familiale, et je sais qu'elles voyaient d'un oeil favorable un centre d'information sur la violence et la loi. Je sais également qu'une partie du travail est en train de s'amorcer, et je suis impatiente de suivre le dossier. Je crois qu'il pourrait s'agir d'un outil. Nous devons l'évaluer très étroitement et promouvoir activement l'adoption d'une approche à l'égard de la loi qui protège les femmes et les enfants autochtones.
    C'est prometteur, et j'ai certainement été très satisfaite de voir cette loi promulguée.

  (1830)  

    D'accord, c'est excellent.
    Nous avons également parlé d'autres outils. Le budget déposé cette semaine prévoit la création d'une déclaration canadienne des droits des victimes, l'instauration d'un répertoire de données génétiques sur les personnes disparues de 8,1 millions de dollars sur cinq ans, l'examen de la stratégie de la justice applicable aux Autochtones de 22,2 millions de dollars sur deux ans, et le renouvellement d'un financement de 25 millions de dollars sur cinq ans pour poursuivre les efforts déployés pour réduire la violence contre les femmes et les filles autochtones. Mais je crois que l'investissement le plus substantiel est celui de 1,9 milliard de dollars en appui à la loi donnant aux Premières Nations le contrôle de leur éducation. Vous avez fait mention de l'éducation, et la semaine dernière, je me suis joint au premier ministre et au chef national Aleo pour annoncer cette loi et la voie à suivre à partir de là.
    Pouvez-vous nous expliquer comment, selon vous, un système d'éducation de la maternelle à la 12e année contrôlé par les Premières Nations pourrait fonctionner ou comment il pourrait aider et habiliter les femmes et les enfants autochtones pour rendre leurs communautés plus viables et plus sécuritaires?
    Il ne fait aucun doute que l'investissement en éducation est très important, et à mesure que ce dossier progresse à l'échelon fédéral, il faudrait qu'on puisse en arriver à une entente globale et instaurer un instrument législatif par l'entremise du Parlement du Canada, afin de nous permettre d'établir une assise plus solide à cet égard et assurer une meilleure reddition de comptes sur les résultats, particulièrement au sujet des filles. Je crois que cela sera formidable et que cet investissement substantiel ne s'est que trop fait attendre.Tout le monde accueillera cette initiative à bras ouverts.
    Selon moi, ce qui s'est passé dans le cadre de cette initiative scolaire sur la sécurité des filles sera important. Ici encore, il n'existe pas sur les réserves de programmes à grande échelle comme il y en a à l'extérieur des réserves. Comme vous le savez, à l'extérieur des réserves, des programmes de lutte contre la violence sont offerts dans toutes les régions du Canada. La Croix-Rouge en met quelques-uns en oeuvre au sujet du droit à la sécurité. D'autres ONG et organisations d'éducation font la promotion de programmes de lutte contre la violence et l'intimidation, dont bon nombre sont très efficaces. Ils ne sont toutefois pas nécessairement mis en oeuvre uniformément dans les écoles sur les réserves, et je considère qu'une nouvelle initiative d'éducation... De toute évidence, cette mesure législative n'a pas encore été déposée à la Chambre des communes. Je suis convaincue qu'elle pourrait l'être. J'espère qu'elle mettra peut-être particulièrement en lumière le besoin d'offrir aux filles un environnement empreint de soutien.
    Il ne me reste plus qu'une question. Je suis désolé, je comprends que le temps nous est compté.
    Vous avez indiqué qu'au cours de vos pérégrinations, des filles viennent vous voir pour vous demander de les retirer des communautés; certaines prennent même la fuite. Voici ce que je veux vous demander. À l'extérieur des réserves, si un enfant a été victime d'abus physique ou sexuel, on peut prendre une injonction ou un autre moyen pour que l'agresseur reste à une certaine distance de la victime. L'ennui sur les réserves, c'est que l'agresseur et la victime n'ont nulle part où aller et sont donc confinés dans la même communauté en raison de contraintes géographiques. Comment pourrait-on réussir à assurer la sécurité des gens quand les deux personnes doivent rester dans la même communauté parce qu'elles ne peuvent aller ailleurs?
    Répondez assez rapidement, je vous prie.
    Selon moi, le problème vient du fait que la victime, particulièrement s'il s'agit d'une fille, fera l'objet de représailles de la part d'autres membres de la communauté et qu'elle subira inutilement des souffrances supplémentaires. Il faut l'entourer de soutien. Malheureusement, dans mon travail, je constate que les victimes font souvent l'objet de représailles, et les abus sexuels ne sont pas dénoncés et redressés adéquatement parce que les victimes n'agissent pas par peur de représailles, ce qui constitue une réalité dans leur vie. Leur degré de sécurité est donc loin d'être suffisant.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Vous avez la parole pour sept minutes, madame Bennett.
    Je tiens également à vous remercier du travail d'une vie que vous accomplissez pour les enfants et les jeunes. Le combat que vous menez jour après jour fait de notre pays un endroit où il fait mieux vivre. Je vous en remercie donc.
    Si c'était vous qui formuliez les recommandations de ce rapport, quelles seraient-elles en ce qui concerne la sécurité? Je crois que vous constatez que sur les réserves sous régime fédéral, cela ne fonctionne peut-être pas bien avec les systèmes provinciaux, lesquels bénéficient peut-être de soutien et de savoir-faire. Quelle serait la situation en Colombie-Britannique ou en Saskatchewan? Comment les choses se présenteraient-elles si le système réussissait à assurer la sécurité?
     Quand nous avons rencontré aujourd'hui les jeunes de Plume de l'espoir au sujet de la conférence qu'ils ont organisée, ils ont certainement affirmé la même chose que vous; que les victimes s'exposent à des représailles si elles dénoncent leur agresseur, au point où les dirigeants semblent parfois faire volte-face. Les victimes se font traiter de menteurs et s'enfuient.
    Comment pourrions-nous mieux nous y prendre? Qu'est-ce qui, dans ce rapport, pourrait faire battre votre coeur?

  (1835)  

    Merci beaucoup de me poser cette question.
    Tout d'abord, sachez que le rapport intitulé Mettre fin à la violence contre les filles et les femmes autochtones que le Comité permanent de la Chambre des communes de la condition féminine a déposé en décembre 2011 contenait des recommandations extrêmement valables. J'y reviens encore et encore pour les examiner et y réfléchir. Je considère qu'elles sont très solides et qu'un bon nombre d'entre elles sont formidables. Nous avons donc là une bonne piste.
    Pour ce qui est du processus et de la commission d'enquête qui a été recommandée, je crois que pour assurer la sécurité, il faut instaurer une commission d'enquête sur la sécurité des filles sur les réserves, laquelle constituerait peut-être un processus inquisitoire plutôt qu'accusatoire qui permettrait aux filles de parler de ce qui se passe dans leur vie et dans la communauté à quelqu'un qui a suffisamment de pouvoir et de responsabilité pour vraiment créer immédiatement une certaine sécurité autour d'elles. Je crois que c'est ce qui fait défaut. Il n'y en a pas. Même si de nombreuses organisations et personnes courageuses ont tenté d'intervenir, je dirais que malheureusement, 90 % des filles qui dénoncent actuellement des cas de violence, de violence sexuelle, de négligence ou de maltraitance finissent par en payer le prix.
    Pour prendre l'initiative à l'échelle nationale, il faut selon moi tendre la main aux filles des Premières Nations, une main dotée de très puissants pouvoirs. Il faut également établir un fort consensus pour que tous au sein des communautés conviennent que la sécurité des filles est une valeur sans équivoque que nous représentons, et que nous les écouterons et ferons quelque chose pour les aider. Le problème pour la petite fille qui s'est suicidée dont j'ai parlé dans mon rapport, c'est qu'elle continuait de dire aux gens ce qui s'était passé, mais que personne ne faisait quoi que ce soit. En fait, dans le rapport que j'ai rédigé récemment... Elle a parlé aux gens, mais tous sont restés les bras croisés. Quand je suis retournée dans la communauté pour faire enquête et que j'ai demandé aux gens pourquoi ils n'avaient rien fait, ils ont répondu qu'ils avaient trop peur pour agir.
    C'est inacceptable. Nous devons donc, au Canada, tendre la main aux filles pour assurer leur sécurité pour qu'elles puissent dévoiler ce qui s'est passé, recevoir du soutien, acquérir la résilience dont elles ont besoin et qu'elles peuvent développer pour s'en sortir; mais il nous faut rompre le cycle d'abus.
    Préconiseriez-vous la mise en place d'autres politiques à programmes?
    Ici encore, je considère cruciales les recommandations sur l'adoption de stratégies du crime et de solides stratégies adaptées aux Autochtones sur la violence familiale. Il faudrait également combler les lacunes qui existent au Canada à cet égard, particulièrement sur les réserves. Le travail de lutte contre la violence dont sont victimes les femmes autochtones est essentiel pour faire en sorte que la formation comporte un volet permettant à ceux qui travaillent dans le système de services sociaux de comprendre ces situations.
    Mais surtout, comme je l'ai indiqué, c'est l'empreinte des services en matière de santé mentale des enfants et des jeunes et l'aide à la lutte contre la violence au sein des systèmes de justice criminelle et d'éducation qui aura véritablement un effet, parce que les gens ont besoin de service. Ils n'ont pas seulement besoin d'une étude, ils ont besoin de service.
    Vous avez beaucoup écrit sur le trouble du spectre de l'alcoolisation foetale. Pour ce qui est des enfants pris en charge et ayant des besoins particuliers, est-ce que le comité pourrait formuler des recommandations à l'égard des enfants touchés par ce trouble?
    Pour diverses raisons, il y a énormément d'enfants autochtones pris en charge par le système de protection de la jeunesse, surtout en raison de problèmes intergénérationels, mais aussi pour des raisons de maltraitance. Il faut corriger la situation.
    Il faudrait recommander de déployer de plus grands efforts pour instaurer, que ce soit par l'entremise d'une loi sur la protection des enfants des Premières Nations ou de je ne sais quoi d'autre, des normes plus sévères au sujet des services qui doivent être offerts sur les réserves pour éviter ces terribles lacunes. C'est nécessaire, comme c'est le cas pour ce dont nous parlons dans le domaine de l'éducation. Aux États-Unis, la Child Welfare Act existe depuis près de 40 ans. Elle a permis aux communautés de tenir un plus grand rôle afin d'examiner les questions relatives à la maltraitance et à l'abus persistants des enfants et de les résoudre adéquatement. Il n'y a pas au Canada ce genre de coordination pourtant nécessaire.
    Ces initiatives sont selon moi cruciales.
    Pour ce qui est des besoins particuliers, le simple fait que le comité reconnaisse les divers facteurs de vulnérabilité qui entrent en jeu quand une fille ou une femme est non seulement confrontée à des difficultés dans sa vie, mais est aussi aux prises avec un problème de développement... En particulier, il peut s'agir de quelque chose de mal compris pour lequel le soutien est inadéquat, ce qui peut mener à un trouble du langage et de l'expression ou à un autre problème qui peut faire en sorte qu'il est très difficile pour la victime de se protéger ou de se mettre en sécurité. Il est donc essentiel de reconnaître la coexistence des divers facteurs de vulnérabilité dans la communauté des Premières Nations et de veiller à ce que la réponse comprenne un volet à cet égard.

  (1840)  

    Mary Ellen, est-ce dans le système américain que les enfants ne peuvent être retirés de leur foyer en raison de la pauvreté ou du mauvais état du logement? Pouvons-nous faire quelque chose au chapitre des politiques sur les motifs pour lesquels on retire un enfant de chez lui?
    Mais certainement. Les États-Unis ont mis en oeuvre un système d'amélioration massif s'appuyant sur les résultats, les mesures et les incitatifs; le cadre stratégique est donc bien plus cohérent. Les États-Unis ont toutefois deux concepts: tout d'abord, le devoir de protéger les enfants des abus et des mauvais traitements, mais aussi celui d'aider les familles dont on sait qu'elles sont aux prises avec des problèmes intergénérationnels. En présence d'une grande pauvreté ou d'un segment précis de la population aux prises avec des défis gigantesques, on a l'obligation d'examiner et de résoudre les problèmes qui se présentent.
    Il y a énormément de travail qui s'effectue aux États-Unis, en ce qui concerne notamment la violence familiale, situation dans laquelle on considère qu'il ne convient pas de punir les mères en leur retirant leurs enfants, puisqu'on les confine ainsi à une vulnérabilité et un désespoir encore plus graves. On aide plutôt les mères à réagir adéquatement à la violence familiale en leur offrant, à elles et à leurs enfants, de la sécurité et du soutien.
    Les autorités américaines ont réalisé des travaux bien plus solides au sujet du devoir d'aider les familles. Au Canada, les familles des Premières Nations sont si dépourvues du moindre soutien provincial qu'elles ont largement fait les frais des retraits d'enfants; elles sont donc souvent très hostiles au système de protection de la jeunesse. Pourtant, la maltraitance des enfants, en particulier des filles, y est grave. Ce n'est qu'en investissant davantage dans le soutien, et un soutien efficace étayé par des preuves, qu'on réussira à résoudre ce problème.
    Merci.
    Madame McLeod, la parole est à vous pour sept minutes.
    J'aimerais également remercier notre témoin de ce soir. Je suis moi aussi de la Colombie-Britannique. Je suis députée de Kamloops—Thompson—Cariboo; je connais donc certainement votre oeuvre et je tiens à vous remercier du travail colossal que vous avez fait.
    D'après vous, comme vous avez une occasion vraiment unique d'observer l'intersection des responsabilités du gouvernement fédéral, des provinces et des Premières Nations, pourriez-vous parler de certains des défis et des obstacles que comporte cet aspect particulier de votre travail?
    Quand vient le temps de prévenir et de contrer la violence, le principe fondamental, c'est que tout le monde a une responsabilité, qu'on soit un ami, un voisin ou une autorité municipale, autochtone, provinciale ou fédérale. En ce qui concerne les filles et les femmes autochtones, on passe beaucoup de temps à tenter de savoir qui est responsable et qui s'occupe de la prestation, du contrat ou d'autre chose. On ne peut malheureusement que constater que ce cadre ne fonctionne pas. Il faut adopter une approche très différente afin d'examiner les besoins, en ce qui concerne la sécurité des filles, par exemple, et d'établir un système à cet égard dans le cadre d'une certaine collaboration que nous n'avons peut-être jamais eue. C'est peut-être trop idéaliste au Canada, mais c'est ce qu'il faudra faire pour intervenir efficacement.
    Nous avons adopté le principe de Jordan, en vertu duquel il faut aider la personne et trouver qui va payer plus tard. Je dois dire que sur le terrain, ce principe tient plus de la théorie que de la pratique. Les filles se retrouvent souvent dans une situation où tout le monde a apparemment une responsabilité, mais personne n'est là pour intervenir. Il faut que les gens prennent leurs responsabilités. Si quelqu'un est responsable, je m'attends à ce qu'il assume cette responsabilité et soit là pour agir. Sur le terrain, je me rends compte qu'il est difficile se savoir qui fait quoi et si les personnes sont présentes auprès des victimes qui ont besoin d'elles.

  (1845)  

    Merci.
    Vous avez parlé d'un manque de soutien et de services. J'ai passé une partie de ma vie dans un milieu rural relativement éloigné. Dans quelle mesure ce manque de soutien et de services est-il attribuable au caractère isolé ou rural du milieu? Et dans quelle mesure est-il causé par autre chose, peut-être?
    Je pense que vous avez tout à fait raison de dire que le caractère rural ou éloigné d'un milieu a une incidence élevée: les obstacles sont souvent majeurs. Bon nombre des 203 Premières Nations de la Colombie-Britannique sont rurales, et certaines sont éloignées aussi, alors que d'autres sont plus près des régions urbaines. Les obstacles à la prestation de services sont effectivement considérables dans les Premières Nations rurales. Par exemple, certains Autochtones doivent rouler une heure pour arriver à la collectivité. Il arrive souvent que les contrats de service soient vraiment étranges. L'employé travaille de 9 à 16 heures, mais si un Autochtone doit faire deux heures de route pour se rendre au point de service, il ne lui restera qu'une heure, sans compter qu'il peut devoir faire demi-tour en raison du mauvais temps. Les employés ne travaillent pas en dehors des heures régulières et ne sont pas nécessairement là lorsque les gens ont besoin d'eux.
    Bon nombre des services n'ont pas été adaptés aux besoins des membres des Premières Nations rurales ou éloignées. Ils vont donc coûter plus cher puisqu'ils doivent être flexibles et faire l'objet d'un autre type de partenariat. Cette particularité doit être comprise d'emblée pour que les prévisions budgétaires d'aide aux victimes en tiennent compte. Comme vous le savez, l'aide entourant la violence en milieu familial commence à se raréfier dès qu'on entre dans les régions rurales de la Colombie-Britannique, et elle est quasiment inexistante en milieu éloigné. Il faut donc vraiment pallier cette absence de service.
    D'après mon expérience, l'accessibilité à des services de garde hautement qualifiés s'est grandement améliorée depuis 10 ou 15 ans; j'aimerais savoir si vous avez observé cette tendance. Avez-vous constaté une amélioration à ce chapitre? Il n'y avait aucun service de garde autrefois. Or, les nombreuses collectivités de la région où j'habite maintenant semblent bénéficier de structures de qualité et d'un personnel qualifié.
    Avez-vous remarqué une différence?
    Voilà un autre bon exemple. Grâce au programme d'aide préscolaire ou à d'autres programmes, les soins à l'enfance sur réserve... Ces programmes sont déterminants. Ils ne correspondent pas toujours à ceux qui sont offerts à l'échelle provinciale ou municipale, mais ils sont importants. Ils nécessitent également une grande responsabilisation des services pour cibler le développement du bébé et de l'enfant.
    Pour ce qui est des centres de développement de l'enfant qui sont subventionnés dans les régions rurales de la Colombie-Britannique, par exemple, il n'existe pas toujours de structure équivalente pour le développement des enfants autochtones. Par conséquent, il arrive souvent de ne pas remarquer qu'un enfant ait des besoins particuliers avant que celui-ci n'entre à l'école ou n'atteigne l'âge scolaire; et là encore, l'enfant passe souvent inaperçu.
    Les soins et l'éducation des jeunes enfants sont des stratégies essentielles; il faut comprendre très clairement à quel point ils sont vulnérables. Je pense que nous avons encore bien du chemin à faire pour s'assurer que des programmes et des services leur soient offerts. Par exemple, il arrive encore que certaines réserves de la Colombie-Britannique n'aient pas de modèle solide en matière de soins infirmiers à domicile ou de soins à la mère et au foetus. Nous sommes toujours en quelque sorte en train de mettre en place des services et d'en supprimer d'autres. Certains éléments fondamentaux qui devraient être des plus utiles sont en chantier, mais ne sont pas encore au point. Vos travaux pourraient certainement appuyer ces efforts.

  (1850)  

    Merci beaucoup.
    Madame Mathyssen, vous avez la parole cinq minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je vais partager mon temps avec M. Genest-Jourdain.
    Madame Turpel-Lafond, je vous remercie de défendre les collectivités autochtones et de témoigner ce soir.
    J'ai une petite question à propos de ce dont vous parlez concernant la protection des enfants. Vous avez mentionné la différence et le manque d'uniformité entre la Colombie-Britannique et la Saskatchewan.
     Le gouvernement fédéral a-t-il un rôle important à jouer en matière de soins ou de protection des enfants, lorsqu'il s'agit de veiller à ce que les filles soient en sécurité, que le milieu soit sécuritaire et que les soins des enfants soient uniformes? Je crois savoir qu'il y a un manque criant de financement concernant les soins des enfants autochtones. Il pourrait s'agir de subventionner l'action communautaire locale pour aider le milieu à concevoir ses propres plans d'action et à mettre en place une équipe de gestion d'urgence. La collectivité serait ainsi outillée pour intervenir en cas de violence, pour assurer la sécurité des enfants et pour répondre le mieux possible à leurs besoins.
    Je pense effectivement qu'une aide semblable est essentielle. Il faut investir suffisamment et vérifier régulièrement si l'argent se rend bel et bien à ceux qui en ont besoin. Il faut une surveillance et une reddition de comptes rigoureuses afin de vérifier si la mesure fonctionne.
    Pour ce qui est de l'équipe d'intervention d'urgence, on ne peut pas mettre toutes les collectivités dans le même panier, vous savez. Dans le cadre de mon travail, je constate que certains milieux ont besoin de mesures d'intervention poussées et immédiates en cas de crise, alors que d'autres n'ont besoin que d'un soutien continu. Certes, bon nombre de collectivités ont au moins besoin d'une maison d'hébergement et de services aux victimes qui soient bien conçus et gérés par des femmes autochtones, idéalement pour des femmes autochtones. Souvent, il faut une ressource aussi fondamentale qu'un intervenant dévoué qui soit capable de s'y retrouver dans les systèmes de justice pénale et d'assistance aux victimes, en plus de créer un sentiment de sécurité.
    Bon nombre de ces mesures nécessitent un investissement constant et stable à long terme et une évaluation pour déterminer si elles répondent aux besoins des femmes. Il n'existe rien de tel à l'heure actuelle. Il y a des investissements ponctuels et des plans, mais comme je l'ai dit, j'ai du mal à en voir les effets concrets au sein des 203 Premières Nations de la Colombie-Britannique.
    Merci.
    Monsieur Genest-Jourdain.

[Français]

    Bonsoir, madame Turpel-Lafond

[Traduction]

    J'ai une petite question au sujet des programmes de prévention de la violence qui ciblent les hommes. J'aimerais savoir ce que vous pensez de ce genre d'initiative.
    Cette question est bel et bien essentielle. On peut difficilement assurer la sécurité à long terme des filles et des femmes sans obtenir la collaboration des hommes; les preuves sont éloquentes, et c'est ce que j'ai constaté dans mon travail sur la violence en milieu familial.
    Avant toute chose, il faut obtenir la collaboration des hommes pour évaluer le risque qu'ils présentent. Il se peut que la réunification familiale soit impossible, et il faut le comprendre. Lorsque les hommes et les garçons présentent un risque moindre, des interventions thérapeutiques ciblées sont nécessaires pour désamorcer la violence et favoriser de meilleures stratégies pour le développement et le bien-être de l'enfant. On constate donc une corrélation étroite entre ce genre de programmes d'aide aux hommes et une baisse de la violence.
    Or, de tels programmes ne sont pas offerts dans les réserves, et voilà un volet stratégique qui nécessite un investissement.
    Merci beaucoup.
    Vous avez cinq minutes, monsieur Dechert.
    Merci, madame la présidente.
    Madame Turpel-Lafond, je vous remercie de nous faire profiter de votre expertise. Compte tenu du parcours que vous nous avez décrit tout à l'heure, je dois dire que vous semblez être parfaitement au courant du sujet à l'étude.
    J'aimerais notamment m'attarder à la relation générale entre le peuple autochtone et la police. Nous avons entendu un certain nombre de témoins, dont des membres de familles de victimes, qui n'ont pas l'impression de pouvoir compter sur la protection de la police.
    Croyez-vous que les jeunes autochtones ont la même opinion de la police? Dans l'affirmative, que peut faire celle-ci pour rétablir de bonnes relations avec les milieux autochtones, à votre avis? Aussi, pourriez-vous mettre en lumière des pratiques positives entre les Premières Nations et la police qui devraient s'appliquer à l'échelle nationale?

  (1855)  

    Je pense effectivement que de très graves préoccupations ont été soulevées. Bien sûr, je n'étudie pas suffisamment le travail des policiers pour pouvoir entrer dans les détails, mais certains rapports, comme celui de Human Rights Watch, ont fait valoir les préoccupations sérieuses des filles et des femmes.
    Dans le rapport sur le suicide que j'ai produit récemment, par exemple, j'ai été profondément troublée d'apprendre qu'une fille, après avoir dénoncé une agression sexuelle, avait été interrogée par un agent de la GRC en uniforme dans une salle habituellement réservée à l'interrogation de suspects. La raison de l'interrogation n'a pas été divulguée aux grands-parents, et l'enquêteur lui demandait sans cesse si elle avait été consentante. Elle s'est effondrée, ce qui a mis fin à toute la procédure.
    Je ne blâme pas l'agent; il était sorti assez récemment du Dépôt, travaillait en milieu rural, n'était pas très coopératif et n'avait pas nécessairement une formation poussée. Il y a de graves problèmes à régler du côté de la police, qui se résument souvent à la réaction lors de la dénonciation d'une agression.
    Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il règne une culture d'incrédulité ou que les agents doutent que les agressions sexuelles soient survenues. Selon moi, c'est plutôt parce que la police est débordée par d'autres dossiers et n'est pas certaine de pouvoir régler le problème. Ce qui m'inquiète surtout, c'est que les policiers de première ligne ne savent souvent pas quoi faire et ignorent comment mettre le problème en évidence tellement il semble répandu. C'est inquiétant. La police nous renvoie souvent des dossiers en réclamant un autre type d'intervention vu qu'ils sont inquiets, mais qu'ils ont du mal à régler la question.
    Je pense que vous avez raison de dire qu'il y a des problèmes du côté de la police. Il faut prendre des mesures à ce chapitre, comme améliorer la relation entre la police et les filles ou les femmes. Et lorsqu'une fille dénonce une agression physique et sexuelle, par exemple, il faut assurer sa sécurité. Je ne dis pas qu'il faut croire tout le monde sur parole, mais il faut mener une enquête en bonne et due forme et en faire rapport...
    Y a-t-il eu des poursuites dans le cas de l'agression sexuelle de la jeune femme?
    Non, malheureusement. La police n'a soumis aucun rapport à la Couronne parce qu'après son interrogation...
    C'est terrible.
    Veuillez m'excuser, mais nous n'avons pas beaucoup de temps, et j'aimerais parler des 25 millions de dollars que prévoit le budget de cette semaine afin de trouver des solutions concrètes au problème du nombre alarmant de femmes et de filles autochtones disparues ou assassinées. C'est ce qui est écrit dans le plan budgétaire.
    Comment recommandez-vous au gouvernement fédéral d'utiliser ces 25 millions de dollars afin de réduire la violence faite aux femmes et aux filles autochtones?
    À mon avis, il faut commencer par instaurer un dialogue avec les filles. Si vous le pouvez, travaillez sur le terrain auprès des filles par l'intermédiaire du milieu, et sinon, allez leur demander ce qui se passe. Comme on dit, c'est sur le terrain qu'il faut agir. Rendez-vous sur place, demandez-leur ce qui se passe et prenez des mesures d'après ce que vous apprendrez.
    J'ignore si les 25 millions de dollars suffiront. Sans m'attarder aux chiffres, je suis heureuse que ce dossier fasse partie du budget. C'est un début, mais l'argent doit être dépensé stratégiquement et judicieusement. Il faut tirer parti de ceux qui interviennent déjà auprès des filles au sein des Premières Nations, dans les écoles ou ailleurs, car celles-ci doivent se sentir en sécurité pour parler. Elles doivent être à l'abri des représailles. Voilà ce qu'il faut faire.
    J'ai été témoin de ce genre de mesures à quelques occasions, et je sais que la police et les autres intervenants doivent faire preuve d'un grand doigté. Il faut discuter longuement avec les dirigeants locaux pour connaître la meilleure façon d'agir, car l'inaction n'est plus une option. Comment allons-nous régler le problème? Je veux que les ressources servent sur le terrain.
    C'est normal.
    Je ne veux pas que les fonds soient utilisés pour une planification abstraite.
    Bien, je comprends.
    Vous dites que vous êtes une juge provinciale.
    Oui, j'ai pris congé de mes fonctions de juge provinciale pour représenter...
    Connaissez-vous bien la Stratégie de la justice applicable aux Autochtones? Pouvez-vous nous en parler? J'ai remarqué dans le budget déposé cette semaine qu'elle a été renouvelée.
    Veuillez répondre très brièvement, s'il vous plaît.
    Je suis heureuse qu'elle soit renouvelée, car je sais qu'elle a une grande portée générale. J'ignore à quel point elle cible les filles et les femmes, mais quoi qu'il en soit, je pense qu'il est utile de mettre de l'avant certaines causes fondamentales des problèmes intergénérationnels.

  (1900)  

    Merci beaucoup.
    Merci infiniment, madame Turpel-Lafond.
    Nous vous sommes très reconnaissants de votre témoignage, et je suis persuadée qu'il permettra d'éclairer notre rapport. Merci beaucoup d'avoir témoigné par téléconférence à partir de la Colombie-Britannique. Je vous souhaite une bonne soirée.
    Merci, madame la présidente. Je vous souhaite la meilleure des chances dans vos délibérations, et j'ai hâte de lire votre rapport.
    D'accord. Merci infiniment.
    Puisque la prochaine heure se déroulera à huis clos, je vais suspendre la séance une ou deux minutes pour que nous nous installions.
    Puis-je apporter une précision...
    Les précisions ne font pas partie de la procédure, alors je vais suspendre nos travaux...
    J'invoque le Règlement, dans ce cas.
    ... puis nous reprendrons dans une minute. Nous allons vider la salle pour la séance à huis clos, après quoi nous reprendrons.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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