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SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 047 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 13 décembre 2010

[Enregistrement électronique]

  (1535)  

[Traduction]

    La séance est ouverte.
    Bon après-midi et bienvenue à cette 47e réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Nous sommes le lundi 13 décembre 2010.
    Au cours de notre première heure, nous allons recevoir six témoins — en fait, ils vont passer une heure et trois quarts avec nous, si je ne m'abuse. Nous réservons les 15 dernières minutes pour parler des travaux du comité, conformément à la décision que nous avons prise la semaine dernière.
     Nous entamons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-17, Loi modifiant le Code criminel (investigation et engagement assorti de conditions). Le ministre de la Justice et ses hauts fonctionnaires comparaîtront devant le comité mercredi. En prévision de cette rencontre, nous accueillons cet après-midi une série de témoins qui vont nous faire part de leurs préoccupations concernant le projet de loi. Nous pourrons ensuite interroger le ministre à ce sujet lorsqu'il sera devant nous.
    Nous accueillons donc M. Denis Barrette, de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. Bienvenue.
    Du Conseil canadien en relations islamo-américaines, nous accueillons Ihsaan Gardee, directeur exécutif, et Khalid Elgazzar, membre du conseil de direction. Bienvenue.
    De l'Université d'Ottawa, nous accueillons Craig Forcese, professeur agrégé, Faculté de droit. Bienvenue.
    De la Law Union of Ontario, nous accueillons Paul Copeland, avocat et, du Congrès islamique canadien, nous accueillons James Kafieh, avocat-conseil.
    Les porte-parole de chacun de ces organismes ont préparé un exposé liminaire. Avant de permettre aux membres de poser leurs questions, nous vous invitons à présenter vos exposés liminaires. Peut-être pourrions-nous commencer par M. Barrette.
    Monsieur Barrette, bienvenue.

[Français]

     Bonjour. Je m'appelle Denis Barrette. Je suis ici aujourd'hui en tant que membre de la section québécoise de la Ligue des droits et libertés, mais également à titre de porte-parole de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. Je vous ai distribué quelques citations. Je vais en parler dans ma présentation.
     La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, ou CSILS, est une coalition pancanadienne d'organisations de la société civile créée dans la foulée des attentats terroristes survenus aux États-Unis le 11 septembre 2001. La coalition est composée de 40 ONG, syndicats, associations professionnelles, groupes religieux, organismes voués à la protection de l'environnement, associations de défense des droits de la personne et des libertés civiles ainsi que de groupes qui représentent des communautés d'immigrants et de réfugiés au Canada.
    D'abord, je dois vous dire que nous avons déjà témoigné à plusieurs reprises devant les comités de la Chambre des communes et du Sénat. Notre position n'a pas changé quant à la Loi antiterroriste, notamment à l'égard des deux dispositions dont nous parlons aujourd'hui.
    Pour la coalition, les dispositions concernant les investigations judiciaires et les arrestations préventives ayant pour objet d'imposer des engagements assortis de conditions sont dangereuses et trompeuses. Les débats du Parlement sur cette question doivent s'appuyer sur un examen rationnel et éclairé de la Loi antiterroriste. Comme on le sait, cette loi a été adoptée à la hâte après les événements du 11 septembre 2001 dans un climat de peur et sous une très grande pression de la part des États-Unis.
     Neuf ans plus tard, soit en 2010, la menace terroriste existe toujours, mais ce n'est pas la seule menace à laquelle fait face l'humanité. Toutefois, les deux dispositions discutées ici reposent sur une définition très large de l'activité terroriste et de la participation à une activité terroriste. Elles permettent donc d'arrêter préventivement et de forcer à témoigner des personnes qui participent à des activités de contestation et de dissidence et qui n'ont rien à voir avec ce que l'on entend normalement par terrorisme.
     De plus, ces dispositions actuelles encouragent le profilage racial et le profilage fondé sur des motifs religieux, politiques et idéologiques. Dans son rapport sur le Canada en novembre 2005, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies faisait part de sa vive préoccupation quant à la portée trop large de la définition de l'activité terroriste incluse dans la Loi antiterroriste. Le comité écrivait ceci au paragraphe 12:

L'État partie devrait adopter une définition plus précise des infractions de terrorisme de façon à ne pas cibler des individus pour des motifs politiques, religieux ou idéologiques, dans le cadre des mesures de prévention, d'enquête et de détention.
     En 2007-2008, le Sénat avait recommandé de restreindre et de modifier la portée de cette définition, notamment lors de l'étude des dispositions du projet de loi S-3 . Je vous renvoie aux recommandations 2 et 3 du Sénat. Pourtant, le projet de loi C-17, Loi modifiant le Code criminel (investigation et engagement assorti de conditions), ne modifie en rien cette définition, ce qui aura un impact certain sur l'application des deux dispositions à l'étude.
    Au moment où l'on se parle, quelle est donc la véritable nécessité objective de ces deux dispositions? Depuis leur adoption en 2001 jusqu'à leur abrogation en 2007, le seul cas d'application est relié à l'affaire Air India, qui, comme vous le savez tous, a résulté en un fiasco total et triste.
     Entre 2007 et aujourd'hui, des enquêtes policières ont réussi à démanteler des complots terroristes en n'ayant à recourir à aucune des dispositions qui sont discutées ici. On note d'ailleurs que même depuis 2001, soit depuis 10 ans, parmi les enquêtes ayant mené à des accusations ou à des condamnations, aucune n'a nécessité l'utilisation de ces pouvoirs extraordinaires, qu'il s'agisse de l'affaire Khawaja, des « 18 de Toronto » ou, plus récemment, du cas des quatre personnes de la région de Toronto.

  (1540)  

     La première disposition permet d'obliger une personne à comparaître devant un juge et à témoigner lorsque le juge estime qu'il y a des motifs de croire que cette personne possède des informations concernant un acte terroriste qui a été commis ou qui va l'être. Le refus de coopérer peut entraîner l'arrestation et l'emprisonnement pour une période d'un an. De plus, la disposition concernant l'investigation judiciaire octroie à l'État un nouveau pouvoir de perquisition. On n'en parle pas assez. En effet, cette disposition peut obliger l'individu à déposer un objet devant le juge, devant le tribunal, qui le remettra à la police.
    Ce qui est plus important et plus pernicieux encore, c'est que la notion d'une justice inquisitoire est introduite par cette disposition. En droit criminel au Canada, la justice inquisitoire est un nouveau concept. C'est un nouveau paradigme entre l'État, la police, la magistrature et les citoyens. On sait qu'au Canada, comme dans tous les pays de common law, lorsqu'on parle de droit criminel, on parle de justice accusatoire. Ce n'est pas le cas en France, où il s'agit d'un processus inquisitoire. Il est à craindre que cette nouveauté soit introduite plus tard dans d'autres dispositions du Code criminel et qu'elle soit appliquée à d'autres crimes ou d'autres délits. Ça veut dire qu'à moyen ou à long terme, la présomption d'innocence pourrait être menacée.
    Nous sommes aussi d'avis que la disposition relative à l'investigation judiciaire risque de déconsidérer l'indépendance de la magistrature et, par la même occasion, le système de justice lui-même. Avec le concept d'investigation judiciaire, on évacue tout le concept des débats contradictoires. Je vous invite à lire attentivement les motifs dissidents des juges Fish et LeBel, de la Cour suprême, dans le cadre d'une affaire intitulée Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel. Ces juges concluent leur jugement de la façon suivante au paragraphe 191:
La mise en œuvre de l’art. 83.28, qui entraîne cette perception de non-séparation des pouvoirs, risque dès lors d’entraîner la perte de la confiance du public dans le système de justice canadien. Les tensions et les craintes que suscite la montée du terrorisme ne justifient pas cette association. Il importe que le droit criminel soit appliqué fermement et que les mesures d’enquête et de répression nécessaires soient mises en œuvre, mais dans le respect des valeurs essentielles de notre régime politique. La préservation de l’indépendance institutionnelle des tribunaux demeure l’une de celles-ci.
    Je note aussi qu'un peu partout dans les deux dispositions, on renforce encore le critère de soupçon pour justifier la rétorsion à l'encontre des citoyens. Quant à la disposition relative à la crainte qu'une personne commette un acte terroriste, l'article 810.2 du Code criminel existe déjà. Il permet d'imposer des conditions assez larges à une personne qui représente un péril sérieux pour la sécurité du public. Plus encore, l'article 810.01 traite spécifiquement des risques d'activités terroristes et permet à un juge d'imposer des conditions pour éviter qu'un acte terroriste soit commis. Ces dispositions existent déjà dans le Code criminel, mais dans la deuxième disposition discutée, soit l'article  83.3, on permet une période de détention supplémentaire de 72  heures et le fichage de personnes innocentes par l'entremise de la Loi sur l'identification des criminels, qui inclut spécifiquement l'article 83.3 en tant que motif de bertillonnage.
    On se rappellera la nécessité d'appliquer un mécanisme pour surveiller les activités de la GRC et du SCRS en matière de sécurité nationale, qui a été soulevée dans le cadre de la commission relative à Maher Arar. On se rappellera aussi son absence actuelle et la dangerosité que peuvent représenter ces deux dispositions.
    Finalement, nous tenons à souligner que ces deux dispositions, même si elles ne sont pas appliquées dans le système judiciaire, risquent toujours de devenir un formidable et inquiétant outil d'intimidation. Cet outil sera hautement préjudiciable pour les individus concernés. Même si les individus concernés ne sont pas traînés devant un tribunal, les impacts de ces dispositions ne seront pas banals. Leur utilisation aura pour effet d'étiqueter et de marquer des citoyens qui ne seront pourtant jamais accusés du moindre délit.

  (1545)  

    Tout comme à l'époque du maccartisme, la crainte de voir sa réputation ternie dans un tel processus, d'être détenu pendant  72 heures, puis amené devant un juge pour répondre à des questions téléguidées par la police, constituera un procédé redoutable de dénonciation d'autrui. Mais qui dit dénonciations sous la contrainte, sans le caractère libre et volontaire propre au droit criminel, dit aussi dénonciations peu fiables, biaisées et fallacieuses. Tous les avocats connaissent le peu de fiabilité des témoins réticents. On sait, surtout depuis l'enquête sur Maher Arar, qu'une simple enquête peut détruire la réputation, la carrière et l'avenir d'une personne innocente qui n'est même pas accusée.
    On sait que ces dispositions pourraient donner lieu à une utilisation qui, selon nous, serait abusive. Je pense ici au cas d'Air India. Nous croyons que les Canadiens seront mieux servis et protégés en ayant recours aux dispositions usuelles du Code criminel plutôt qu'à des dispositions inutiles. L'utilisation de pouvoir arbitraire et d'un rabaissement du niveau de preuve ne peut pas remplacer le travail du policier fait selon les règles de l'art. Au contraire, ces pouvoirs ouvrent la porte au déni de justice et à la probabilité marquée d'entacher la réputation d'individus innocents, comme ce fut le cas pour MM. Arar, Abou-Elmaati, Almalki et Nureddin.
    Merci.

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Barrette.
    La parole est maintenant à M. Gardee et à M. Elgazzar.
    Je vous remercie de l'invitation à comparaître devant le comité aujourd'hui pour vous faire part de nos vues sur le projet de loi C-17, Loi modifiant le Code criminel (investigation et engagement assorti de conditions). Je m'appelle Ihsaan Gardee, et je suis le directeur exécutif du Conseil canadien en relations islamo-américaines, appelé CAIR-CAN. Je suis accompagné aujourd'hui de Khalid Elgazzar, membre du conseil d'administration de CAIR-CAN. Il tentera de répondre à vos questions de nature juridique.
    CAIR-CAN est un organisme à but non lucratif national qui travaille à la base depuis une dizaine d'années pour habiliter les musulmans canadiens pour ce qui est de la protection de leurs droits et de leurs libertés civiles, de l'antidiscrimination et des relations communautaires, et de la défense d'intérêts publics.
    Nous sommes conscients de l'accent particulier qui est mis sur la sécurité publique et national depuis une dizaine d'années face à la menace du terrorisme. Nous tenons donc à déclarer publiquement que les musulmans canadiens, comme leurs concitoyens, sont résolument déterminés à protéger la sécurité de leur nation. Nous sommes également conscients des risques importants que présentent pour notre société libre et démocratique les réactions excessives et la peur lorsqu'elles sont à l'origine de lois et de politiques d'intérêt public. Nous risquons en fin de compte de saper les valeurs fondamentales qui sont au coeur du Canada, sans pour autant être mieux protégés contre le terrorisme. Bref, personne n'y trouverait son compte.
    Nous rejetons vivement le propos de ceux qui prétendent qu'établir un juste équilibre entre la protection des droits de la personne et la sécurité constitue une tâche insurmontable. En plus de partager bon nombre des inquiétudes exprimées par d'autres au sujet du projet de loi qui est proposé, les musulmans canadiens ont certaines appréhensions concernant la possibilité qu'un régime comme celui que propose le projet de loi C-17 ait sur les membres de nos communautés un impact disproportionné qui peut être jugé discriminatoire.
    À notre avis, le projet de loi C-17 soulève un certain nombre de graves préoccupations et nous espérons que le comité et le Parlement en tiendront compte en acceptant de ne pas adopter ce projet de loi. Notre principale inquiétude concerne l'incidence du projet de loi sur les droits de la personne et les libertés civiles au Canada. Nous avons également des réserves concernant les dangers que présente la collecte de renseignements qui pourraient ensuite être communiqués à des gouvernements étrangers ayant un bilan douteux en matière de protection des droits de la personne. L'absence de restrictions ou de contrôles en ce qui concerne la communication des renseignements a déjà eu un effet dévastateur sur la vie de nombreux musulmans canadiens. Enfin, nous doutons également de l'efficacité et de la nécessité de ladite loi, et nous nous soucions de la possibilité d'abus, malgré les mesures proposées par d'autres en vue d'atténuer ce risque.
    S'agissant maintenant de l'incidence sur les libertés individuelles, depuis les événements du 11 septembre, tous les grands actes criminels liés au terrorisme, qu'on parle du groupe des 18 de Toronto ou de Momin Khawaja, ont pu être réprimés sans que l'on ait besoin d'invoquer des mesures comme la détention préventive ou les enquêtes d'investigation. Certains commentateurs juridiques sont d'avis que la détention préventive n'a d'utilité que dans un contexte bien restreint au Canada. Par contre, cette mesure présente des risques importants en ce qui concerne l'outrepassement des pouvoirs conférés à l'État, par exemple, la capacité de détenir une personne pendant 72 heures. Mettre en péril les libertés civiles face à un danger potentiel qui ne s'est pas encore concrétisé finit par gommer les limites entre les droits civils et des préoccupations concrètes en matière de sécurité nationale.
    Le conseil est d'avis que les dispositions déjà inscrites au Code criminel sont amplement suffisantes pour permettre à nos tribunaux et forces policières d'empêcher la perpétration d'infractions liées au terrorisme avant qu'elles ne soient commises. Aux termes de l'article 495, une personne détenue pour des motifs raisonnables doit être amenée devant un juge, qui peut imposer les mêmes conditions que celles que prévoient les mesures antiterroristes proposées. Le juge peut même refuser la mise en liberté sous caution s'il croit que la libération de l'intéressé pourrait constituer un danger pour le public. À notre avis, l'expérience des 10 dernières années a démontré que les contrecoups de l'abandon des libertés civiles seront subis de façon disproportionnée par les communautés musulmanes du Canada.
    Le doute plane encore sur la façon dont on fera la distinction, dans la pratique, entre les actes liés au terrorisme et d'autres actes criminels. Par exemple, le récent attentat à la bombe incendiaire contre une succursale de la Banque Royale du Canada à Ottawa avant le sommet du G20 a été traité comme un acte d'incendie criminel, si bien qu'aucune accusation n'a été déposée en vertu des dispositions antiterroristes. Nous ne préconisons pas l'élargissement de la définition du terrorisme; nous désirons simplement attirer votre attention sur le fait que l'application des mesures antiterroristes n'a pas touché tous les groupes de la même façon.
    S'agissant des dangers que présente la communication de renseignements à autrui sans restriction, le conseil a également de profondes réserves concernant la façon dont les renseignements obtenus dans le contexte d'audiences d'investigation pourraient être utilisés, ou l'ont déjà été, contre des Canadiens musulmans. Nous savons que, dans certains autres pays du monde, la peine capitale ou d'autres formes de traitement cruel et inhumain sont acceptables, voire même fréquentes, dans certains cas.

  (1550)  

    Il suffit de se rappeler le cas de Maher Arar pour comprendre à quel point la communication de renseignements à autrui en l'absence de restrictions, de mesures de sauvegarde ou d'une procédure de recours appropriée aura eu des effets dévastateurs et irréversibles sur lui en tant qu'individu et sur la communauté à laquelle il appartient.
    Non seulement le projet de loi C-17 n'aborde-t-il aucunement la question des procédures de recours et de réparation mais, en réalité, même s'il prévoyait des mécanismes appropriés à cet égard, ces derniers ne pourraient jamais faire disparaître les effets dévastateurs profondément personnels qui subsistent longtemps pour ceux et celles qui, après avoir été disculpés d'avoir participé à des actes terroristes, continuent à souffrir de la déconsidération et de l'opprobe de la société du fait d'avoir été précédemment catalogués comme terroristes par l'État canadien et ses organismes de sécurité.
     Comme nous l'a fait remarquer le juge Dennis O'Connor dans son rapport sur les événements relatifs au cas Arar, et je cite:

« La réputation d'une personne étiquetée comme un terroriste dans les médias nationaux est sévèrement affectée. Comme je le mentionne ailleurs, les étiquettes, mêmes celles qui sont injustes et inexactes, ont tendance à coller. »
    Même si son histoire personnelle n'attire pas l'attention des médias nationaux, être qualifié de « terroriste potentiel » a nécessairement un effet paralysant sur la personne concernée et aussi, par extension, sur sa communauté.
     Je voudrais maintenant aborder la question de l'efficacité du projet de loi C-17. Comme d'autres l'ont déjà affirmé lors d'audiences tenues précédemment au sujet de ces dispositions, les policiers peuvent déjà invoquer les pouvoirs qui leur sont conférés par le Code criminel pour arrêter une personne qui, d'après ce qu'ils croient, est sur le point de commettre un acte criminel.
     L'article 495 du Code criminel se lit ainsi:

Un agent de la paix peut arrêter sans mandat… une personne qui a commis un acte criminel ou qui, d'après ce qu'il croit pour des motifs raisonnables, a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel;
    Reid Morden, l'ancien responsable du Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS a fait part de ses graves inquiétudes concernant l'impact des dispositions du projet de loi C-17 sur notre système judiciaire. J'attire votre attention sur les observations suivantes qu'il a faites dans une interview avec CBC:
S'agissant de ces deux dispositions en particulier, j'avoue que je n'ai jamais pensé qu'il convenait de les inclure au départ, mais le fait est qu'elles sont passées dans la loi dans le contexte de l'après-11 septembre où le gouvernement cherchait à prendre rapidement des mesures… Il me semblait qu'on avait en quelque sorte détourné notre système judiciaire de sa véritable finalité. Je regrette donc d'apprendre que le gouvernement a décidé de réintroduire ces mesures.
    En résumé, CAIR-CAN est d'avis que notre droit pénal et les principes de la justice naturelle sont amplement suffisants pour nous permettre d'empêcher les actes terroristes d'être commis. Ainsi le projet de loi C-17 n'est pas nécessaire, surtout qu'en fin de compte il met en péril les libertés civiles et la primauté du droit.
    En conclusion, la prise de position irréfléchie et énergique du conseil, qui s'appuie sur la nécessité de protéger la primauté du droit, amène le conseil à exhorter nos élus à se prononcer de façon claire et non ambiguë sur la nécessité de s'assurer que les droits fondamentaux que garantit la Charte sont protégés contre les risques très réels que présentent les nouveaux pouvoirs exceptionnels et inutiles conférés à la police par ce projet de loi.
    Nous insistons de nouveau sur notre conviction qu'il est fort probable que les dispositions proposées aient une incidence disproportionnée sur les membres de communautés musulmanes au Canada.
    Nos organismes de sécurité ont déjà réussi à réprimer et à empêcher la commission d'actes terroristes grâce à des techniques ordinaires de sécurité et d'enquête. Le conseil estime que nos forces policières devraient continuer à bénéficier de l'appui nécessaire pour exécuter leurs tâches de maintien de l'ordre de façon intelligente et efficace tout en respectant la primauté du droit et les limites qu'impose la Charte.
    Je vous remercie.

  (1555)  

    Merci beaucoup, monsieur Gardee.
    La parole est maintenant à M. Copeland.
    Merci, monsieur le président.
    Je dois présenter mes excuses au comité. J'espérais pouvoir vous présenter un document écrit, mais je n'ai pas réussi à faire grand-chose. J'ai un tout petit document à vous remettre, malheureusement, en anglais seulement, qui explique l'expérience que j'ai acquise au cours des 40 dernières années environ pour ce qui est de traiter des questions liées à la sécurité nationale. Depuis deux ans et demi, je suis également l'avocat spécial désigné pour représenter Hassan Almrei et Mohamed Harkat dans les procédures relatives aux certificats de sécurité dont ils font l'objet.
    Tout d'abord, je voudrais faire une observation au sujet du dossier d'Air India, car il s'agit bien de la seule fois où les dispositions de la loi antiterroriste ont été invoquées, alors que les circonstances entourant tout cela sont assez bizarres. On a qualifié cette épisode de fiasco, et cette description me semble tout à fait appropriée.
    Quand cette loi est entrée en vigueur, personne, me semble-t-il, n'envisageait qu'elle serait appliquée de la manière dont elle l'a été dans le cas du dossier d'Air India. Une requête a été déposée en vertu des dispositions de la loi relative aux enquêtes d'investigation.. Cette requête a été entendue par la Cour suprême du Canada le 10 décembre 2003, et le jugement de cette dernière a été diffusé en juin 2004.
    Il convient que vous compreniez un peu les circonstances du dossier.
    Inderjit Reyat avait été extradé par l'Angleterre et avait plaidé coupable à une accusation d'homicide involontaire lié à l'attentat à la bombe survenu à l'aéroport de Narita. Il a été condamné à 17 ans de prison pour ce crime. Il a ensuite été poursuivi, de même que Bagri et Malik, pour l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India, attentat qui a causé la mort de tous les passagers au-dessus de l'océan Atlantique.
    Il y avait une personne qui avait travaillé avec M. Malik à l'une des écoles de Khalsa. Il s'agissait d'un témoin qui n'a pas été nommé et qui ne l'a jamais été pendant toutes ces procédures. Elle avait eu un affrontement avec M. Malik à l'école, et selon ses témoignages à elle, M. Malik avait avoué son implication dans l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India.
    Mme Reyat avait été engagée par M. Malik pour travailler à l'école. Le gouvernement voulait savoir si ses témoignages confirmeraient les affirmations du témoin non nommé. Le gouvernement avait déposé un acte d'accusation direct, si bien qu'il n'y a pas eu d'enquête préliminaire et les autorités n'ont jamais pu savoir ce que Mme Reyat allait dire. Elles ont eu recours au mécanisme de l'enquête d'investigation afin de savoir ce qui s'était produit. En réalité, c'était comme si elles essayaient de procéder à une enquête préalable dans le contexte d'une audience criminelle.
    Comme je vous l'expliquais il y a quelques instants, M. Reyat avait été accusé de l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India, avait négocié le plaidoyer d'homicide involontaire, et avait été condamné à 5 ans d'emprisonnement de plus. Comme vous le savez, il a par la suite été reconnu coupable de parjure relativement à ses témoignages dans l'affaire de l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India.
    Voilà donc les circonstances — les seules — dans lesquelles un article de cette loi a été invoqué. Ces articles sont uniques en droit canadien. Bien que la Cour suprême du Canada ait déclaré qu'ils sont constitutionnels, leur effet est tout à fait dramatique: une personne n'a plus le droit de garder le silence, et elle peut être détenue ou mise en liberté en ayant l'obligation de respecter des conditions extrêmement strictes.
    Il y a eu de nombreuses réactions, y compris les observations faites aujourd'hui, celles de députés à la Chambre, celles de témoins devant le comité sénatorial et celles de Reid Morden également. Tous ceux qui se sont prononcés sur la question sont d'avis que ce projet de loi est inadéquat et ne devrait pas être adopté.
    J'ai peut-être manqué quelque chose dans ma lecture du projet de loi, étant donné que la décision rendue sur M. Harkat m'occupe un peu depuis jeudi dernier, mais dans tout ce que j'ai lu jusqu'à présent, je n'ai encore vu quelque explication que ce soit qui justifierait que le système judiciaire au Canada soit modifié de façon aussi draconienne.
    J'ai appris que, en janvier 2008, le comité sénatorial parlait des recommandations de la Commission d'enquête O'Connor — sur Maher Arar — relativement au contrôle de la GRC. Or, nous attendons toujours des mesures de contrôle.
    Donc, nous n'avons toujours rien en matière de contrôle et de surveillance, et je me permets d'affirmer devant le comité que la GRC a une mauvaise réputation en ce moment relativement à la sécurité nationale, entre autres.
    Le traitement réservé par le commissaire Elliott à certains membres de son personnel supérieur suscite des controverses. Le départ du commissaire Zaccardelli et la façon dont les autorités ont traité les informations reçues d'Abdullah Almalki, informations qu'elles ont communiquées aux Américains avec restrictions, a donné lieu à la torture de M. Arar. L'enquête sur l'affaire Arar, l'enquête de M. le juge Iacobucci et l'enquête sur l'attentat contre le vol d'Air India ont toutes porté sur des problèmes liés à la GRC et au projet A-O Canada.
    John Major a recommandé la création d'un poste de conseiller à la sécurité nationale en vue d'assurer la bonne coordination des activités du SCRS et de la GRC. Or, il a été annoncé la semaine dernière que le gouvernement n'a pas donné suite à cette recommandation.

  (1600)  

    En décembre 2006, Dennis O'Connor a recommandé la création d'un organisme indépendant de traitement des plaintes et d'examen des activités en matière de sécurité nationale qui aurait pour mission de surveiller les activités de la GRC en matière de sécurité nationale, activités à l'égard desquelles aucune autorité n'exerce pour le moment des pouvoirs ou responsabilités de surveillance.
    À mon humble avis, le comité ne devrait pas se préoccuper de ces dispositions; il devrait plutôt se demander si le SCRS remplit bien son rôle, si la GRC remplit bien son rôle, et dans quelle mesure il existe des mécanismes qui nous permettent de nous assurer qu'ils remplissent bien leur rôle.
    Je vous invite dans ce contexte à vous demander si une audience d'investigation serait d'une utilité quelconque par rapport à un problème de ce genre. Si vous avez affaire à un véritable terroriste qui a vraiment été impliqué dans des actes terroristes, si vous l'amenez devant un juge en lui demandant de répondre aux questions, qu'il ait ou non un conseiller juridique, il vous répondra, poliment ou non, qu'il n'a aucunement l'intention de répondre à vos questions, ou encore il vous racontera des mensonges. Je vois mal que des audiences de ce genre puissent déboucher sur quoi que ce soit d'utile.
    La question que je vous invite à vous poser est de savoir si ces dispositions méritent qu'on apporte des changements aussi considérables à notre système judiciaire.
    J'étais en Angleterre en septembre dernier à l'occasion d'une rencontre avec des avocats spéciaux anglais à laquelle assistaient un certain nombre d'avocats spéciaux venus d'ailleurs. Nous avons finalement eu l'occasion de rencontrer le lord Carlile, qui est en quelque sorte le responsable qui surveille l'application des dispositions antiterroristes en Angleterre. Assis dans son bureau, nous avons discuté de choses et d'autres. Nous avons parlé des cinq personnes visées par des ordonnances de contrôle en Angleterre, ces dernières étant infiniment pires que ce dont on parle ici. Lord Carlile nous a raconté sa visite à une personne visée par une telle ordonnance qui se trouvait dans le Midlands. Il était plus ou moins détenu à domicile, sauf qu'il avait la possibilité de travailler dans certaines conditions. Lord Carlile nous racontait que, au cours de sa discussion avec l'intéressé, il lui avait dit ceci: « En fait, pour moi, ce n'est pas si mal. La seule chose, c'est que cela m'empêche vraiment de faire la tournée des pubs et de lever des filles. » J'ai dû demander ce qu'il voulait dire par « lever », et on m'a expliqué que cela voulait dire draguer les filles.
    Selon moi, les dispositions que vous examinez ici en comité auront pour résultat de modifier le paysage juridique au Canada, et ce d'une manière qui n'est pas utile. Il ne faut pas les adopter, et à mon avis, elles ne sont pas nécessaires. D'autres dispositions du Code prévoient différents mécanismes permettant de traiter de telles personnes.
    Je voudrais mentionner en passant ce que dit M. Forcese dans son document d'analyse au sujet de ce qu'il faut faire lorsqu'on croise sur la Colline du Parlement un type dont le manteau a l'air d'être bien rembourré. Si vous êtes membre de la GRC, vous devriez lui dire: « Bonjour. Je suis membre de la GRC. Je voudrais vous poser des questions. » Selon la réaction du type, il peut y avoir certaines conséquences.
    Pour moi, la police a recours à certains mécanismes dans le contexte d'une enquête qui permettent d'éviter des modifications aussi radicales que celles qui sont proposées.
    Merci beaucoup.

  (1605)  

    Merci beaucoup, monsieur Copeland.
    La parole est maintenant au professeur Forcese.
    Merci, monsieur le président et membres du comité.
     Dans les observations que je vous fais aujourd'hui, je n'ai pas l'intention de me prononcer sur l'opportunité d'adopter le projet de loi C-17 dans sa forme actuelle. Comme vient de vous le mentionner M. Copeland, j'ai préparé une longue étude dans laquelle j'ai exposé mon appui à une forme limitée et soigneusement circonscrite de détention préventive à court terme en droit canadien, à titre de mesure de dernier recours lorsqu'un organisme chargé d'appliquer la loi a des motifs raisonnables de craindre que soit commis un acte grave de violence terroriste — ce qui ne comprend pas une situation où l'on croise une personne sur la Colline du Parlement qui porte un manteau bien rembourré.
    L'étude en question décrit les éléments qui assureraient l'efficacité d'un tel système, tout en respectant les attentes en matière de libertés civiles découlant du droit international et du droit canadien. J'estime que le régime de détention préventive qui fait partie du projet de loi C-17 sous la forme d'un engagement assorti de conditions est modeste, si on le compare aux dispositions internationales analogues qui s'en rapprochent le plus. Je doute qu'il s'avérera très utile dans la pratique pour les forces policières, mais je crois également que les efforts déployés pour renforcer l'efficacité de cette disposition, considérée comme un outil d'application de la loi, devraient s'appuyer sur un mécanisme renforcé de protection des droits civils. Pour que ces efforts puissent être utiles, il faudrait revoir la structure fondamentale du projet de loi, opération que le comité n'aura pas, je le crains, envie d'effectuer et ne disposera pas non plus du temps nécessaire pour le faire.
    En revanche, j'entretiens des préoccupations plus vives au sujet du champ d'application des dispositions actuelles en matière d'engagement, à savoir l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Surtout, le projet de loi et la jurisprudence constitutionnelle ne fournissent guère de directives claires au sujet de la portée des conditions qui peuvent être imposées par le biais d'un tel engagement de ne pas troubler l'ordre public. Si la mise en oeuvre du régime des certificats de sécurité d'immigration est une indication, les conditions antiterroristes peuvent être très rigoureuses et contraignantes, sur le plan de la liberté.
    Par le passé, j'ai invité le législateur à examiner le genre de restrictions que l'on pourrait imposer par le biais d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public, à la fois dans le contexte de ce projet de loi, et de son prédécesseur, et dans celui des dispositions parallèles de l'article 810.01 du Code criminel. Encore une fois, un tel examen exigerait que le comité consacre pas mal de temps à cette question. Si le comité décide de ne pas procéder à un examen aussi approfondi qui exigerait beaucoup de temps, je pense qu'il y a au moins un changement qu'il devrait apporter au projet de loi, un changement qui touche les dispositions relatives à l'enquête d'investigation.
    Le projet de loi C-17 reprend, pour l'essentiel, les dispositions originales de la Loi antiterroriste de 2001. Cependant, avec l'évolution du droit constitutionnel depuis 2001, les dispositions que l'on trouve à la fois dans la loi originale et maintenant dans le projet de loi C-17, ne peuvent s'interpréter littéralement. Elles doivent être interprétées en tenant compte de la jurisprudence constitutionnelle de la Cour suprême si l'on veut les appliquer en respectant le droit constitutionnel.
    Exprimé autrement, le Parlement se propose d'adopter une mesure législative qui ne peut s'interpréter en fonction de son seul texte. Les personnes chargées de l'appliquer devront désormais tenir d'une main le projet de loi et de l'autre, les différents volumes des recueils de la Cour suprême. Cela va, à mon avis, semer la confusion et est fondamentalement incompatible avec ce qui me paraît être le but de toute mesure législative, soit fournir des directives claires au sujet du droit applicable.
    J'examine maintenant la modification qui me semble nécessaire si l'on veut répondre à cette préoccupation. Comme vous le savez, et comme l'a mentionné Paul, la Cour suprême a examiné en 2004 les dispositions relatives à l'enquête d'investigation adoptées en 2001 et a finalement conclu qu'elles étaient constitutionnelles. La Cour suprême en est toutefois arrivée à cette conclusion en imposant certaines conditions au recours aux enquêtes, la principale étant l'élargissement de l'immunité fondée sur l'usage connexe, garanti dans le projet de loi actuel par le paragraphe 82.28(10).
    Cette disposition étend l'immunité aux poursuites pénales ultérieures, mais la Cour suprême a déclaré qu'elle devait aller plus loin. Les éléments de preuve obtenus ne devraient pouvoir être utilisés dans aucune autre instance, y compris les instances en extradition et en immigration. C'est une obligation constitutionnelle qui devrait figurer, pour cette raison, dans le projet de loi.
    Je vais m'arrêter là, et je serais très heureux de répondre à vos questions sur ce sujet ou sur d'autres.
    Merci beaucoup, monsieur Forcese.
    Bienvenue, monsieur Kafieh. Nous avons hâte d'entendre vos observations aussi.
    Je m'appelle James Kafieh et je suis l'avocat-conseil du Congrès islamique canadien. Au nom du Congrès islamique canadien, je voudrais remercier les membres du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui.
    Le CIC constitue le plus important organisme national à but non lucratif et entièrement indépendant au service de la communauté musulmane du Canada, qui compte environ 750 000 membres. Le CIC est un organisme de défense qui présente l'optique islamo-canadienne sur des questions d'ordre politique, social, culturel et éducatif.
    En 2001, le Congrès islamique canadien a exprimé ses préoccupations concernant la Loi antiterroriste rédigée à la va-vite qui a été mise en oeuvre afin de répondre à certaines attentes dans l'après-11 septembre.

  (1610)  

    Monsieur Kafieh, pourrais-je vous demander de ralentir? Nos interprètes essaient de parler aussi vite que les encanteurs, mais auriez-vous l'obligeance de ralentir pour leur faciliter la tâche?
    Bien sûr. Merci.
    Le président: Merci.
    M. James Kafieh: Cette loi comptait, entre autres, des dispositions conférant les mêmes droits que nous voyons de nouveau au projet de loi C-17 en matière d'audience d'investigation et d'engagement assorti de conditions. Or, dans une large mesure, l'hystérie de la lutte contre le terrorisme s'est dissipée.
    S'agissant des audiences d'investigation, la disposition du projet de loi qui porte là-dessus nous rappelle les procédures secrètes et arbitraires de la Star Chamber d'autrefois. Même si le projet de loi donne l'impression d'offrir une certaine protection contre l'auto-incrimination aux personnes contraintes à se présenter, cette protection disparaît dès lors que la police ramasse deux personnes ou plus. Par exemple, ces personnes peuvent finir par être poursuivies sur la base, non pas d'information qu'elles ont fournie elles-mêmes, mais d'information qu'elles ont fournie les unes au sujet des autres.
    Afin d'éviter de faire disparaître par un moyen détourné le droit des gens de garder le silence et d'être protégés contre l'auto-incrimination, un droit qui existe depuis les pouvoirs liés à l'audience d'investigation devrait comprendre l'immunité en matière de poursuites judiciaires pour les personnes contraintes à témoigner au sujet de questions concernant lesquelles elles fournissent exclusivement des renseignements véridiques. Bref, de telles personnes seraient fortement incitées à dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Qu'est-ce que nous sommes en droit de demander de plus?
    Il convient également de se rappeler que tous ceux qui décident de garder le silence dans ce contexte ne sont pas nécessairement coupables, et que le choix de garder le silence n'est pas un aveu ou une preuve de culpabilité. Par exemple, les gens peuvent avoir des inquiétudes légitimes pour eux-mêmes, des membres de leur famille et leur collectivité.
     On ne devrait pouvoir recourir à un mécanisme aussi exceptionnel que l'audience d'investigation que pour empêcher la perpétration d'un acte de terrorisme imminent. Il faut absolument éviter qu'on y ait recours pour enquêter sur des actes antérieurs. L'actuel libellé du projet de loi C-17 prévoit au contraire la possibilité de tenir des audiences d'investigation sur des événements antérieurs, de sorte que l'impératif de la protection de vie innocente, face à un attentat terroriste imminent, est totalement absent. Déjà nous assistons à un renforcement des pouvoirs, par rapport à l'ancienne disposition, ce qui indique bien que nous sommes déjà en présence d'un certain débordement en ce qui concerne l'usage qu'en font les autorités devant un tribunal.
    De plus, la disposition sur les audiences d'investigation modifie et déforme notre système judiciaire de façon fondamentale, en ce sens qu'elle accorde aux procureurs le rôle d'enquêteurs et oblige la magistrature à présider des enquêtes criminelles.
     S'agissant de l'engagement assorti de conditions, l'étude du professeur Craig Forcese, intitulée « Catch and Release », présente un certain nombre d'extraits de jugements de la Cour d'appel d'Angleterre qui indiquent bien que l'un des droits humains les plus fondamentaux, les plus anciens, les plus difficilement obtenus et les plus universellement reconnus est le droit de ne pas être assujetti à la détention exécutive; or, c'est justement ce droit qui est supprimé par le projet de loi C-17. La disposition relative à l'engagement assorti de conditions permet à un agent de la paix, avec le consentement préalable du procureur général, de déposer une dénonciation devant un juge de la Cour provinciale s'il croit qu'un acte terroriste risque d'être commis et soupçonne que l'imposition d'un engagement assorti de conditions ou l'arrestation de l'intéressé est nécessaire pour empêcher cela de se produire.
    Ainsi cette disposition permet l'arrestation et la détention de personnes sans qu'il soit nécessaire de prouver le bien-fondé des allégations qui les concernent. Elle pourrait même faire en sorte que la liberté personnelle de gens dont la mise en liberté est assortie de conditions soit gravement limitée, même si ces derniers n'ont jamais été déclarés coupables d'un crime. Quiconque refuse d'accepter les conditions de l'engagement et de s'y conformer est passible d'une peine d'emprisonnement d'un maximum de 12 mois. Le projet de loi ne limite aucunement le nombre de fois où on peut appliquer cette disposition.
    En quoi cette façon de faire est-elle conforme aux valeurs et aux principes sur lesquels s'appuie notre système judiciaire au Canada? L'exemple des certificats de sécurité permet d'ores et déjà aux Canadiens de comprendre l'impact que peut avoir ce genre de disposition. Les cas les plus récents, soit cinq hommes qui ont été détenus, dans certains cas, pendant huit ans, sans jamais être accusés ou trouvés coupables d'un crime, devraient pour nous tous, constituer un sujet d'inquiétude.
     Le projet de loi C-17 crée un régime législatif en vertu duquel tous les Canadiens seront assujettis à des mesures plus ou moins identiques à celles liées aux certificats de sécurité, un mécanisme généralement discrédité à l'heure actuelle, alors que celles-là visaient uniquement les immigrants et les revendicateurs du statut de réfugié.
    Encore une fois, je viens de regarder nos interprètes, et ils ont l'air hagard. Vous devez vraiment essayer de ralentir. Nous n'avons pas obtenu de document écrit que nous aurions pu faire traduire, si bien qu'ils sont obligés d'interpréter tout ce que vous dites en français.
    Je vais ralentir encore.
    Je sais qu'il est difficile de parler lentement lorsqu'on a l'habitude de parler vite, mais je vous demande…
    Je m'excuse auprès des interprètes.
    Merci.
    Merci.
    Le Congrès islamique canadien est d'avis que ces dispositions nuisent aux valeurs et aux principes juridiques fondamentaux du Canada, d'une part, et qu'elles ne sont pas nécessaires. En 2005, le Congrès islamique canadien a publié un exposé de principe intitulé « Security with Rights: Justice is the Ultimate Guarantor of Security ». Dans ce document, le CIC a fait état de la détermination des Canadiens musulmans à défendre l'insécurité du Canada. De plus, le CIC a exprimé ses inquiétudes concernant la possibilité que les pouvoirs nouvellement élargis du SCRS et de la GRC puissent conduire à des abus et à l'érosion des libertés civiles. Les préoccupations du CIC restent entières. Cependant, nous avons maintenant 10 ans d'expérience nous permettant de comprendre, entre autres, de quelle manière les inquiétudes liées à la sécurité dans l'après-11 septembre ont généralement miné nos valeurs et libertés civiles au Canada.
    Les mesures de sécurité dans les aéroports internationaux que la plupart des gens qualifient à présent de « cinéma » ont suscité la désaffection d'un nombre grandissant de Canadiens. Les listes d'interdiction de vol, les bourdes commises par les autorités relativement aux certificats de sécurité, et même leur responsabilité indirecte à l'égard de la torture de Canadiens à l'étranger, comme l'ont conclu l'enquête du juge Iacobucci et d'autres encore, sont autant de choses qui ont sapé la confiance du public, même s'il convient de constater que les Canadiens musulmans ont joué un rôle critique dans ce contexte en déclarant qu'ils partageaient les préoccupations des Canadiens en matière de sécurité. S'il a été possible de déjouer les plans du groupe des 18 de Toronto, par exemple, c'est surtout parce que certains membres de la communauté musulmane ont fait part de leurs inquiétudes aux autorités. Ce qui manque dans l'actuel plan de sécurité, c'est un véritable partenariat entre les responsables de la sécurité au Canada et la communauté musulmane.
    Un exemple de la nature tendue de leurs relations est la récente annulation, par le ministre de la Défense nationale, d'une conférence que devait donner le directeur exécutif du CIC, l'imam Delic, à l'invitation des Forces armées canadiennes. La question fondamentale est de savoir si les mesures draconiennes que propose ce projet de loi sont mêmes nécessaires. Reid Morden, l'ancien responsable du SCRS, est d'avis que ces mesures ne sont pas nécessaires et qu'elles présentent des dangers considérables pour la protection des libertés civiles. Le CIC est d'accord avec lui. Il est intéressant de constater, d'ailleurs, que le pouvoir lié à l'engagement assorti de conditions n'a jamais été invoqué depuis sa création il y a cinq ans, et que le pouvoir lié aux audiences d'investigation a été invoqué une seule fois, avec un résultat peu significatif.
    D'ailleurs, il n'existe pas de preuves démontrant que le Code criminel, tel qu'il est actuellement libellé, n'aurait pas permis de répondre aux besoins légitimes du Canada en matière de sécurité et de justice. On peut donc se poser la question que voici: pourquoi a-t-on cru bon de ramener ces dispositions?
    Si le comité décidait néanmoins d'aller de l'avant, nous vous ferions les recommandations suivantes.
    Nous ne sommes pas d'accord avec ce projet de loi, mais nous désirons vous faire les recommandations suivantes afin de minimiser les préjudices causés à notre système juridique, à nos valeurs canadiennes et au tissu de notre société. Ainsi notre première recommandation est que la disposition relative aux audiences d'investigation devrait être de portée limitée, de façon à ne viser que les actes terroristes imminents.
    Deuxièmement, le paragraphe 83.28(2) devrait être modifié afin de préciser qu'un agent de la paix doit avoir des motifs raisonnables de croire qu'un acte terroriste sera commis avant de déposer une requête ex parte.
     Troisièmement, il convient de préciser que toute procédure lancée en vertu des articles 83.28 et 83.29 sera jugée constituer une procédure aux termes du Code criminel.
    Quatrièmement, les pouvoirs liés à l'audience d'investigation devraient comprendre l'immunité de poursuite complète relativement à toute question au sujet de laquelle des renseignements véridiques seulement ont été fournis.
    Cinquièmement, l'accès à l'avocat choisi par la personne contrainte à témoigner devrait être facilité sans délai ou ingérence et les frais y afférents devraient être à la charge du ministère public avant, pendant et après l'audience d'investigation.
    Sixièmement, la personne contrainte à témoigner devrait également avoir un accès illimité aux services d'un avocat spécial à qui l'on aura accordé un accès illimité à tous les renseignements que possède ou contrôle le ministère public au sujet de l'intéressé.
     Septièmement, la disposition prévoyant la détention de personnes sans que ces dernières ont fait l'objet d'accusations pour une période supérieure à 24 heures devrait être complètement supprimée du projet de loi C-17.
     Huitièmement, les pouvoirs que prévoit le projet de loi C-17 ne devraient pas être officialisés tant que le cadre de responsabilisation visant la GRC n'est pas en vigueur et pleinement opérationnel.
    Neuvièmement, il faut prévoir que les personnes lésées seront indemnisées à la suite de l'exercice illégitime de ces pouvoirs.
     Dixièmement, un mécanisme de contrôle indépendant, dont l'application relèverait directement du Parlement, devrait être créé de façon à surveiller l'application des dispositions du projet de loi C-17, tant que ces dispositions continueront de faire partie du Code criminel.

  (1615)  

    Onzièmement, une disposition de temporarisation assortie d'un cadre d'évaluation, devrait être incorporée dans le projet de loi.
    En guise de conclusion, je voudrais faire une ou deux autres observations.
    On nous dit souvent, quand les temps sont difficiles, qu'il faut surtout chercher à établir le juste équilibre entre la sécurité et les droits. Je voudrais donc conclure en vous citant les propos de Benjamin Franklin qui, il y a plus de 200 ans, a eu la sagesse de dire que ceux qui compromettent leur liberté afin de protéger leur sécurité découvrent rapidement qu'ils n'ont ni l'une ni l'autre. Le récent exemple du dispositif de sécurité mis sur pied lors du sommet du G20 tenu à Toronto l'été dernier et l'effet dévastateur qu'il a eu sur la qualité de nos libertés civiles, nous rappelle de manière tout à fait opportune que les sages paroles de M. Franklin sont toutes aussi pertinentes aujourd'hui dans le contexte de l'examen de ce projet de loi par le comité.

  (1620)  

    Merci beaucoup.
    Je remercie tous les témoins pour leurs exposés liminaires. Nous allons maintenant ouvrir le premier tour.
    Madame Mendes, vous disposez de sept minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie d'être parmi nous.

[Traduction]

    Merci à vous tous d'avoir accepté de venir nous faire part de vos vues sur la question, qui semblent être généralement les mêmes.

[Français]

    Il semble que ce projet de loi soit vraiment inutile et qu'il y ait consensus à ce sujet. C'est ce que je comprends et ce dont je conviens.

[Traduction]

     Il nous semble que ce projet de loi ramène certaines mesures qui figuraient dans l'ancien projet de loi C-19. Ai-je raison à ce sujet, en ce qui concerne nos experts juridiques? Ces articles faisaient partie intégrante de la Loi antiterroriste qui, comme nous le savons tous, a expiré en 2007.
    Même les rapports annuels du ministre de la Sécurité publique indiquent qu'il n'y a pas eu d'audiences d'investigation aux termes de la loi et qu'on n'a jamais eu recours à ces dispositions. C'est bien cela?
    À part dans le cas de l'attentat contre le vol d'Air India.
    D'accord. Mais ce n'est pas cela qui a motivé l'adoption de cette loi au départ.
    À mon avis, non.
    J'ai vraiment du mal — et je crois qu'il en va de même pour nous tous — à comprendre pourquoi on réintroduit ces dispositions, surtout qu'elles n'ont jamais servi jusqu'à présent à combattre le terrorisme. Peut-être ont-elles servi à pénaliser ou à punir des terroristes après coup, mais pas à combattre ou à empêcher le terrorisme.
    Si je peux me permettre de vous adresser une question, monsieur Forcese, par l'entremise du président, ai-je raison de penser que vous êtes un expert sur la Loi antiterroriste? Est-ce bien cela votre domaine d'expertise?
    J'enseigne le droit de la sécurité nationale.
    Merci.
    Vous dites à la page 1 de votre texte que vous doutez que ce projet de loi s'avère très utile dans la pratique pour les organismes chargés d'appliquer la Loi. Pourriez-vous nous expliquer les raisons pour lesquelles vous doutez que ce projet de loi change grand-chose en ce qui concerne les pratiques des forces policières?
    Mes observations à ce sujet concernent la disposition relative à l'engagement assorti de conditions, ce qu'on appelle, dans la langue courante, la détention préventive. Selon mon évaluation, qui a été plus ou moins confirmée, me semble-t-il, dans mes conversations avec des organismes d'application de la loi, si on avait recours à cette disposition — c'est-à-dire, pour détenir quelqu'un en attendant de lui imposer un engagement de ne pas troubler l'ordre public — l'enquête serait terminée. Vous auriez fait comprendre à la cellule terroriste qui fait l'objet de votre enquête qu'elle a été découverte, en échange de 72 heures de détention préventive et un engagement de ne pas troubler l'ordre public, ce qui ne correspond pas à la véritable incarcération.
     Si une enquête était en cours, telle décision serait mal vue et pourrait même considérablement nuire à l'enquête en question. Au mieux, il s'agirait d'une mesure de dernier recours. Au moment de comparaître devant le comité sénatorial chargé du projet de loi S-3, qui est la version précédente du projet de loi dont vous êtes saisis, les représentants des forces policières ont déclaré qu'il est impossible de prévoir toutes les éventualités et qu'il est donc possible que ce projet de loi et la disposition relative à la détention préventive soient utiles dans certaines conditions. Je ne peux pas écarter complètement cette possibilité; cela pourrait se produire mais, à mon avis, ce serait une circonstance tout à fait inusitée.
    L'autre considération importante est évidemment le fait que, une fois qu'un tribunal en est saisi — et c'est inévitable — les procédures sont publiques, si bien que la police serait tenue de produire la preuve ou les renseignements sur lesquels elle s'appuie pour justifier la détention. Cela veut donc dire qu'elle ne voudrait pas produire des renseignements de sécurité ou parler de quelque source de renseignements que ce soit. Ainsi nous parlons d'une situation où la police aurait abandonné son enquête et serait prête à produire des renseignements potentiellement confidentiels dans une tribune publique. Pour ces deux raisons, il me semble probable que cette disposition sera très rarement invoquée.
    À votre avis, risque-t-elle de nous empêcher d'atteindre notre objectif, c'est-à-dire combattre ou prévenir le terrorisme?
    Il est certain qu'elle empêcherait l'enquête antiterroriste de se poursuivre si on y avait recours sans en avoir évalué les conséquences. Étant donné qu'on peut supposer, me semble-t-il, que la police ne voudrait pas normalement compromettre ses propres enquêtes, ceci ne serait n'est pas le premier outil qu'elle déciderait utiliser. À mon sens, cet outil serait utilisé très peu fréquemment.

  (1625)  

    À votre avis, la police dispose-t-elle de suffisamment d'outils à l'heure actuelle pour combattre le terrorisme?
    Oui et non. De façon générale, je dirais que certaines affirmations au sujet de la nécessité d'avoir un mécanisme préemptif ne tiennent pas compte du degré auquel notre droit pénal englobe déjà, à titre d'infractions liées au terrorisme, des actes qui sont loin d'être des actes de violence. De simples actes de préparation sont maintenant criminalisés, ce qui élargit le rayon d'action de la police et les perspectives d'arrestation dans le contexte de poursuites criminelles conventionnelles.
    Cependant, comme vous l'a fait remarquer Paul et d'autres avant lui, il existe une lacune dans la loi, mais elle est très circonscrite. Dans mon étude, j'ai évoqué toute une série de situations hypothétiques où cette lacune très circonscrite peut être mise en évidence. Elle est minime, mais j'accepte l'argument des organisations policières selon lequel cette lacune très circonscrite existe.
    Et quel serait le meilleur moyen de combler cette lacune très circonscrite?
    J'accepte la notion selon laquelle il peut y avoir des situations où une arrestation criminelle au sens classique ne serait pas possible et où les règles classiques en matière de perquisition et de saisie ne permettraient pas nécessairement d'atténuer le risque sur le plan de la sécurité, si bien que la police pourrait avoir une raison légitime de vouloir faire quelque chose. À l'heure actuelle, la loi ne lui accorde aucune possibilité de ce genre. Dans ce contexte, il pourrait être utile de combler cette lacune très circonscrite au moyen d'un régime soigneusement conçu de détention préventive.
     En revanche, je ne me prononcerai pas sur l'opportunité d'adopter le projet de loi C-17 en vue de boucher ce trou très restreint. Je vous ai déjà fait part de mes préoccupations concernant les conséquences pratiques de son application. J'accepte néanmoins l'argument selon lequel il existe une lacune très circonscrite que les outils conventionnels que possède la police ne peuvent combler.
    Le sous-comité de la Chambre des communes chargé d'examiner la Loi antiterroriste avait recommandé qu'on ait recours à cette disposition relative à l'audience d'investigation que dans une situation de danger imminent. Serait-ce une façon de circonscrire le recours à cette disposition?
    Moi, je vous parlais de la détention préventive. Pour ce qui est des audiences d'investigation, je suis tout à fait d'accord pour qu'on en limite la portée. D'après ce que j'ai pu comprendre du compte rendu des délibérations du comité chargé d'examiner la Loi antiterroriste, l'idée était de prévoir qu'on y ait recours prospectivement, plutôt que rétrospectivement; en d'autres termes, le comité souhaitait qu'on ait recours à ces dispositions pour des activités futures, plutôt que pour enquêter sur des activités antérieures.
    Pour moi, c'est assez logique, en ce sens que c'est tout de même un moyen assez exceptionnel à prendre pour mener une enquête rétrospective, alors que les outils classiques sont disponibles pour des enquêtes criminelles. Étant donné la possibilité qu'un acte terroriste cause beaucoup de morts, les enquêtes prospectives semblent correspondre à l'unique situation où il serait peut-être raisonnable d'exercer les pouvoirs exceptionnels liés aux audiences d'investigation. Je suis donc tout à fait d'accord avec cette idée-là.
    Merci beaucoup, monsieur Forcese et madame Mendes.
    La parole est maintenant à Mme Mourani.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je voudrais tout d'abord remercier tous les témoins d'être présents aujourd'hui pour nous éclairer de leurs connaissances.
    Une question m'intrigue depuis le début. Cette loi a-t-elle déjà été appliquée depuis son instauration? Ma question s'adresse à tous.

[Traduction]

    Je peux vous dire, d'entrée de jeu, que la seule fois où on y a eu recours jusqu'à présent était pour tenir une audience d'investigation en vue de déterminer ce qu'allait dire Mme Reyat lors du procès d'Air India.

[Français]

    L'utilisation de la loi a-t-elle été efficace?

[Traduction]

    Non, pas du tout. On n'a jamais dépassé le stade où une requête a été déposée devant la Cour suprême du Canada afin de déterminer si cet outil était constitutionnel. Tant que je sache, elle n'a jamais témoigné dans le contexte d'une audience d'investigation. Ils ont essayé de faire cela au milieu du procès, et c'était justement là l'une des raisons. Étant donné qu'il n'y avait pas eu d'audience préliminaire ni d'acte d'accusation directe, ils ne savaient pas ce qu'elle allait dire. S'il y avait eu une audience préliminaire, ils auraient pu l'appeler à témoigner de façon à savoir ce qu'elle allait dire lors du procès.

[Français]

    Il y a donc eu tentative d'utilisation de la loi et, au bout du compte, cela n'a servi à rien. C'est ce que je comprends.

[Traduction]

    En effet. Cela n'a servi à rien et on l'a appliquée d'une manière que personne n'avait envisagée. Personne n'avait jamais évoqué la possibilité que cette disposition servirait à tenir une audience d'investigation au milieu d'un procès parce que les autorités voulaient savoir ce qu'allait dire le témoin.

  (1630)  

[Français]

    Sauf erreur, monsieur Copeland, d'après votre témoignage et ceux des autres, en vertu de l'actuel code, on serait tout à fait capables de contrôler une éventuelle attaque terroriste ou un complot terroriste. D'ailleurs, le complot est déjà couvert par le Code criminel; on ne va pas réinventer la roue, on n'a pas vraiment besoin d'une disposition particulière pour couvrir le phénomène du terrorisme.

[Traduction]

    Pour que je puisse répondre à cette question, il faudrait que vous me disiez de quelle étape vous voulez parler. Si vous parlez d'un groupe de personnes accusées d'avoir ourdi un complot terroriste, je ne vois pas pourquoi vous auriez besoin d'une telle disposition. On peut supposer que vous auriez déjà les éléments de preuve nécessaires avant de les arrêter.
    Je n'ai encore jamais vu une situation où l'audience d'investigation aurait été utile. Comme l'a indiqué le professeur Forcese, dès que vous mettez la main sur quelqu'un, vous révélez le fait qu'il existe une enquête. On peut supposer que tous ceux qui auraient pu être impliqués vont tout de suite disparaître ou mettre fin à leurs activités — ou sans doute les deux.

[Français]

     Pour ma part, je pense que le code est assez riche en instructions pour que l'on puisse l'utiliser.
    Monsieur Forcese, plus tôt, vous parliez d'un écart qui n'aurait pas été comblé. Pourriez-vous être plus précis, s'il vous plaît? Que voulez-vous dire par cela?

[Traduction]

    Il s'agit de la lacune très circonscrite dont je vous parlais tout à l'heure.
     La façon dont le projet de loi C-17 est structuré en ce qui concerne la détention préventive permet à la police, lorsqu'elle a des motifs raisonnables de croire qu'il va y avoir un attentat terroriste, de détenir certaines personnes si elle a des soupçons raisonnables de croire que leur détention empêchera l'exécution de l'attentat terroriste. En vertu du droit pénal conventionnel, des motifs raisonnables représentent normalement une condition sine qua non pour détenir une personne; donc, en ce qui concerne les forces policières, cette disposition a l'avantage d'abaisser la norme à respecter relativement à la détention d'une personne pour une période bien définie.
    Dans mon étude, j'évoque différents scénarios théoriques où la police peut croire qu'un attentat terroriste est imminent mais n'a pas suffisamment de preuves concrètes pour repérer une personne en particulier et respecter la norme juridique des motifs raisonnables qui permet de la détenir. La police peut juste avoir des soupçons au sujet de cette personne.

[Français]

    Des soupçons. Oui, tout à fait.

[Traduction]

    Selon moi, la mesure en question semble combler cette lacune, et j'ai présenté certains faits permettant d'imaginer différentes situations où cela pourrait se produire.
    Est-ce que cela répond à votre question?

[Français]

    Oui.
    Nous avons reçu ici, pour d'autres raisons, le chef du SCRS. Il semblait nous dire que leurs analyses, leurs enquêtes sur le risque — que ce soit le risque terroriste, des agents d'influence, ou quoi que ce soit d'autre — s'appuyaient sur le renseignement, sur l'information. Or nous savons maintenant — c'est un secret de Polichinelle — que le SCRS a utilisé de l'information obtenue par la torture de pays qui pratiquent la torture. Pour ma part, en tant que criminologue, je considère que l'information obtenue par la torture est faussée, parce qu'on est prêt à tout dire pour pouvoir s'en sortir. D'ailleurs, le cas de Maher Arar en est un bel exemple. Omar Khadr l'avait accusé, or on sait maintenant que ce dernier avait été torturé.
     Les renseignements recueillis par le SCRS se retrouvent par ricochet à la GRC, parce que la GRC mène les enquêtes sur les rapports du SCRS. Selon votre expérience — et je m'adresse à tous —, pensez-vous que la GRC se retrouve à gérer des informations non seulement fausses, selon moi, mais qui découlent en même temps d'un certain profilage racial?

[Traduction]

    Est-ce que vous me demandez si cette preuve pourrait finir par être produite dans le contexte d'une procédure de ce genre?

[Français]

    Oui, notamment.

[Traduction]

    Ce serait une violation du Code criminel. Donc, en vertu d'une loi du Parlement, aucune preuve obtenue au moyen de la torture ne peut être produite dans quelque procédure que ce soit. Il s'agit d'une disposition du Code criminel.
    Si une organisation policière — mettons la GRC — se servait de preuves obtenues au moyen de la torture, peut-être par les autorités d'un pays étranger, pour justifier une détention préventive, un engagement de ne pas troubler l'ordre public ou une audience d'investigation, ce serait sans doute une violation du Code criminel. D'ailleurs, ce serait également inconstitutionnel.

  (1635)  

[Français]

    Merci.
    Monsieur Kafieh?
    Madame Mourani, puis-je me permettre de répondre à votre question?
    Mme Maria Mourani: Oui, bien sûr, allez-y.
    Me Denis Barrette: Dans un contexte d'utilisation des dispositions antiterroristes, je mets en doute la capacité de l'avocat de la personne concernée de démontrer que les informations qui soutiennent le caractère prétendument imminent d'une attaque terroriste viennent de la torture. La personne ne sera pas en mesure de faire cette preuve. L'enquête Arar a duré des mois pour démontrer cela à tout le public. On s'est battus et plusieurs avocats se sont battus contre le principe de sécurité nationale.
    Dans le cas des deux dispositions concernées, il va y avoir aussi le couvert de la sécurité nationale. C'est à ne pas oublier. M. Forcese parle d'enquête publique. Effectivement, il y a une portion qui sera publique dans l'investigation ou dans l'engagement sous conditions, mais une portion risque d'être secrète. Car à partir du moment où on touche à des enquêtes ou à des informations qui viennent de l'extérieur, comme vous dites, comme dans le cas de l'enquête Arar, comme des informations au sujet d'Omar Khadr, on va faire face à la sécurité nationale.
    Je mets au défi l'avocat et je lui dis bonne chance dans sa lutte pour démontrer que ces informations ont été obtenues par la torture. Il y a un risque élevé que ces informations aient été recueillies par la torture. Selon moi, le problème n'est pas tellement celui de l'imminence que de la probabilité d'imminence ou du caractère raisonnable de l'imminence. C'est l'abaissement du fardeau de la preuve qui est important.

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Barrette.
    La parole est maintenant à Mme Davies.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci à tous nos témoins pour leur présence aujourd'hui.
    À mon avis, la question clé que le comité aura à trancher est de savoir si ces dispositions sont nécessaires ou non. Je trouve très intéressant que, depuis que la motion a été rejetée à la Chambre en février 2007, on ne parle même plus de tout cela, étant donné que ces dispositions n'existaient plus.
    Je me souviens très bien de la situation qui prévalait lors de l'adoption de la Loi antiterroriste en 2001. Je suis tout à fait d'accord pour dire que cela s'est fait dans un environnement et un climat caractérisés par le peur. Cette loi a été adoptée à la va-vite par la Chambre. Je ne sais pas combien de membres actuels du comité étaient députés à l'époque mais, pour ma part, je me souviens bien des circonstances.
    Ce qui m'intéresse, c'est l'effet de ces deux dispositions sur la société en général si le projet de loi est adopté. Je me demande même si on peut parler d'effets. Nous n'avons plus de telles dispositions depuis un moment, on n'y a pas eu recours et on peut donc supposer que les outils en question ne sont pas indispensables pour combattre le terrorisme — que le Code criminel, dans sa forme actuelle, est suffisant. Bon nombre d'entre vous ont justement fait ressortir cet élément.
    Mais, si le projet de loi est adopté, quel sera l'effet sur la société en général? Deux d'entre vous ont soulevé la question du profilage racial. Si je ne m'abuse, M. Barrette a dit que cette mesure législative pourrait être considérée comme un outil d'intimidation. Le représentant du Congrès islamique canadien a évoqué l'incidence disproportionnée de cette mesure sur les membres de la communauté musulmane au Canada. Pour moi, ces facteurs revêtent une importance critique dans notre évaluation du projet de loi. Même si on n'y a jamais recours, quel effet cette loi pourrait-elle avoir sur une société démocratique?
    Je vous invite également à me dire quelle incidence elle pourrait avoir, notamment si on invoque ces dispositions — ou on menace de le faire — de façon à intimider certains groupes de personnes. Les gens peuvent décider de manifester ou d'exprimer leur désaccord, mais une définition raisonnable d'un acte terroriste ne pourrait jamais inclure ce genre d'activité. Il reste que ce genre de personnes pourrait faire l'objet d'intimidation simplement parce que ces dispositions existent dans la loi.
    Pour moi, c'est un élément très important de cette discussion. Je vous invite donc à réagir.
    Monsieur Kafieh, s'il vous plaît.
    Je pense qu'il faut bien comprendre que cette loi aura nécessairement un effet paralysant sur une communauté qui a l'impression d'en être la cible. Il est important de réaliser que ces dispositions visent en premier lieu les membres de la communauté musulmane au Canada, mais pas uniquement. Il n'y a pas que les Canadiens musulmans qui sont victimes de la liste d'interdiction de vol, par exemple. Il n'y a pas que les Canadiens musulmans qui soient fouillés dans les aéroports. Ces mesures vont finir par toucher tout le monde. Les membres de la communauté islamique en seront les premières victimes, mais pas les dernières.
    En ce qui concerne cette lacune très circonscrite mentionnée par le professeur Forcese où la loi pourrait éventuellement être d'une certaine utilité, grâce à l'abaissement du fardeau de la preuve pour contrer de vagues menaces à la sécurité, s'il s'agit bien de cela… Cela a déjà été fait par le passé. Ce n'est pas nouveau. Les Canadiens d'origine japonaise ont vu ce que cela voulait dire quand on a décidé d'abaisser les normes. Posez la question aux gens qui ont vécu cela. À l'époque, le gouvernement du Canada était absolument convaincu qu'il s'agissait d'une mesure préemptive tout à fait raisonnable pour protéger la sécurité du pays. Les Canadiens d'origine ukrainienne ont vécu la même chose au cours de la Guerre mondiale qui a précédé celle-là.
    Donc, ce n'est pas nouveau. D'une manière ou d'une autre, nous suivons une trajectoire. Il y aura le même genre d'abus grâce à ce type de disposition; ce n'est qu'une question de temps. Mais, dans l'intervalle, cette loi va causer des ennuis aux gens, qui vont finir par comprendre qu'il est préférable de ne pas avoir d'opinion sur quoi que ce soit. Ce sera moins dangereux. On évitera les ennuis si on n'a pas d'opinion. Avoir une opinion, c'est s'attirer des ennuis.
    Comment peut-on penser qu'encourager une telle culture au Canada est conforme aux valeurs qu'on désire promouvoir dans une société libre et démocratique?

  (1640)  

    Monsieur Gardee, pourriez-vous répondre également?
    Allez-y, monsieur Gardee.
    Oui, certainement. Merci.
    Je suis d'accord avec mon collègue, James Kafieh, concernant l'effet paralysant que cette loi pourrait avoir sur les membres de la communauté musulmane au Canada. Il est toujours possible d'abuser de pouvoirs exceptionnels. On n'a pas besoin de remonter loin dans l'histoire pour trouver des exemples d'abus. Tout récemment, les organismes fédéraux responsables de la sécurité ont enregistré illicitement 171 conversations entre un accusé et ses avocats, même après avoir accepté de mettre fin à cette pratique, conformément à une ordonnance de la Cour fédérale.
    En conséquence, CAIR-CAN craint justement que les pouvoirs de détention préventive que prévoit le projet de loi, par exemple, donnent lieu à des abus. Si on peut faire fi d'une ordonnance de la Cour fédérale interdisant des violations de droits, qu'est-ce qui peut arriver d'autre? Où est-ce qu'on fixe la limite?
    J'ai une question complémentaire.
    Je voudrais savoir si nos témoins savent dans quelle mesure d'autres pays qui auraient adopté des lois semblables à celle du Canada auraient décidé d'y inclure des dispositions de temporarisation, de les abandonner ou de les abroger. Savez-vous ce qui se passe ailleurs dans le monde relativement à des lois de ce genre?
    Il est certain que dans l'après-11 septembre, toutes les administrations se sont précipitées pour adopter des lois de ce genre. Je me demande simplement si la situation aurait évolué en ce qui concerne l'existence ou l'application de ces lois. En a-t-il parmi vous qui sont au courant?
    Y a-t-il quelqu'un qui voudrait répondre?
    Selon les seuls renseignements que je possède, et je ne suis pas sûr qu'ils soient exacts, l'Australie aurait adopté certaines dispositions — je crois qu'il en est question dans l'étude du professeur Forcese — prévoyant la détention dans certaines conditions. Je crois que leurs dispositions sont toujours en vigueur, mais je ne sais pas dans quelle mesure on y a recours.
    L'un des autres témoins aurait-il des renseignements à ce sujet?
    La question concernait la possibilité qu'ailleurs de telles lois soient assorties d'un mécanisme de temporarisation. Il existe un grand nombre de dispositions comme celle-ci et, que je sache, aucune d'entre elles n'a disparu en raison d'un tel mécanisme. La loi en Australie prévoit que la détention préventive peut durer 14 jours — c'est-à-dire deux jours au niveau fédéral, mais les autorités peuvent inclure la période prévue au niveau de l'État, ce qui donne 14 jours en tout. Au Royaume-Uni, c'est 28 jours. Pour ce qui est des autres pays qui ont des mesures plus ou moins semblables, l'Afrique du Sud, c'est deux jours, en Nouvelle-Zélande, c'est deux jours, et en Allemagne, c'est deux jours. C'est trois jours au Danemark et en Norvège, quatre jours en Italie, cinq, en Espagne, six, en France, etc.
    Les conditions liées à la détention sans procès — c'est-à-dire la détention préventive — varient d'un pays à l'autre. En dehors de l'expérience particulière des États-Uns, la période de détention de 28 jours au Royaume-Uni est la plus extrême.
    Merci.
    Soyez bref, je vous prie. Le temps est écoulé.
    Israël a maintenu les lois britanniques relatives aux situations d'urgence après être devenu un pays souverain. Ainsi les autorités israéliennes détiennent régulièrement des gens pendant six mois, avec des prolongations successives de six mois pendant des années, sans que les intéressés aient fait l'objet d'accusations, évidemment, sans qu'il y ait eu ni procès ni condamnation. La prémisse est la même.
    Pour moi, il n'est tout simplement pas réaliste de croire qu'une administration voudra abroger une loi de ce genre une fois qu'elle sera en vigueur.
    Merci.
     Mme Davies a fait ressortir le fait que cette loi a été adoptée avec précipitation après les événements du 11 septembre. Il se trouve que j'étais membre du comité en 2000-2001, et l'une des préoccupations majeures dont on nous a parlé à l'époque, concernait justement la possibilité qu'on y ait constamment recours. Je trouve donc positif qu'on nous indique aujourd'hui qu'on n'y a jamais eu recours. À l'époque, les gens avaient peur des abus. Ils pensaient qu'elle serait invoquée trop souvent. C'est bien que le public sache que ce n'est pas le cas. On n'y a pas eu recours, mais il reste que cet outil pourrait servir, si jamais on en avait besoin.
    La parole est à M. Rathgeber.

  (1645)  

    Merci, monsieur le président, et merci à tous les témoins pour leurs exposés et leur présence parmi nous cet après-midi.
    Comme vous le savez certainement, le comité, et certainement le gouvernement, a la tâche peu enviable d'avoir à établir le juste équilibre entre les libertés civiles et la sécurité du pays.
    Monsieur Forcese, j'ai à vous poser quelques questions qui font suite à votre discussion avec Mme Mendes. Vous avez parlé du projet de loi C-19, c'est-à-dire l'ancienne loi antiterroriste qui a expiré en 2006. Si je ne m'abuse, elle a laissé entendre que cette loi avait surtout puni les terroristes, plutôt que de prévenir le terrorisme. Je ne sais pas si vous avez remis les pendules à l'heure par rapport à cette idée-là, ou si vous étiez d'accord avec l'affirmation de Mme Mendes.
    Je vous présente mes excuses si j'ai mal compris la question de Mme Mendes. C'est le projet de loi C-36 qui a mis en oeuvre les dispositions en question. Le projet de loi S-3 visait à les rétablir. Et le projet de loi C-19 visait à les rétablir la dernière fois.
    Je ne sais pas si j'ai une opinion sur la mesure dans laquelle cette loi s'appuie sur un modèle de punition ou de préemption. C'est très difficile à dire, étant donné qu'on n'y a jamais eu recours pendant les cinq années où elle était en vigueur, mais je pense que j'ai mentionné dans mon exposé de tout à l'heure que, par rapport à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public…
    Madame Mendes, avez-vous un rappel au Règlement?
     Je veux bien que les membres posent des questions en fonction de leurs convictions, je ne suis pas d'accord qu'on cite erronément mes propos alors qu'il est si facile de prouver le contraire en vérifiant le compte rendu. Pourriez-vous vous abstenir de me nommer? Tenez-vous en à vos convictions et posez votre question.
    Je vous remercie.
    Merci, madame Mendes.
    Veuillez continuer.
    Je m'interroge sur les dispositions liées à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public qui font partie de celles qui touchent l'engagement assorti de conditions. Pour le moment, le projet de loi ne précise pas les conditions qui peuvent être imposées à l'intéressé. Il n'y a pas nécessairement de limites selon le libellé actuel.
    Par contre, les lois analogues au Royaume-Uni et en Australie précisent les conditions qu'on peut imposer à une personne visée par un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Devant le comité sénatorial chargé d'étudier le projet de loi S-3, j'ai affirmé que c'est une tâche que le Parlement devrait accomplir, c'est-à-dire examiner ce qui pourrait éventuellement être fait au nom du Parlement, lorsqu'il s'agit d'imposer un engagement de ne pas troubler l'ordre public, pour que tous aient la même compréhension des limites de ce pouvoir. À mon avis, s'il s'agit de l'équivalent d'une détention à domicile, c'est inconstitutionnel.
    Même si je risque de mal citer de nouveau les propos de Mme Mendes, il me semble bien qu'elle a affirmé que, d'après tous les témoins qui sont présents aujourd'hui, ce projet de loi sert à rien. Je dois dire que je n'accepte pas la prémisse de sa question, car vous dites bien dans votre mémoire, professeur, que vous ne vous prononcez pas sur l'opportunité d'adopter ce projet de loi. C'est bien cela?
    Ma position peut se résumer ainsi: j'accepte l'argument relatif à l'éventuelle utilité de la détention préventive. Il est vrai qu'il existe une lacune très circonscrite dans le projet de loi C-17. En revanche, je ne sais pas si la mesure proposée permettra vraiment de combler cette lacune, étant donné que les forces de maintien de l'ordre auront une forte désincitation à y recourir. Pour que cette lacune soit vraiment comblée, il faudrait que le projet de loi confère à la police des pouvoirs beaucoup plus substantiels, et je ne serais pas favorable à l'inclusion dans ce projet de loi de pouvoirs aussi exceptionnels et énergiques en l'absence de freins et contrepoids très robustes permettant de mieux protéger les libertés civiles.
     Je pense que je reprends un petit peu ce que vous dites dans votre étude, même si je paraphrase un peu, en disant que le pouvoir relatif à l'engagement assorti de conditions que renferme le projet de loi C-17 est modeste, comparativement aux mesures internationales qui s'y rapprochent le plus, et c'est M. Copeland, me semble-t-il, qui a parlé d'une loi en Grande-Bretagne qu'il désapprouve parce qu'elle porte atteinte aux libertés civiles. J'imagine que vous deux convenez avec moi que, par rapport à d'autres démocraties occidentales, le Canada n'agit pas de façon exagérée ou excessive en proposant le projet de loi C-17, vu ce qu'ont fait les États-Unis d'Amérique, la Grande-Bretagne et d'autres démocraties occidentales. Êtes-vous d'accord?
    Je suis d'accord.
    Pourrais-je faire deux observations?
    Premièrement, les Américains ont fait des choses plus terribles que probablement n'importe quelle autre démocratie occidentale, étant donné qu'ils ont eu recours au supplice de la baignoire et à d'autres formes de torture, et qu'ils ont détenu des gens à la prison de Guantanamo.
    Pour ce qui est de l'étude du professeur Forcese, j'ai repéré trois endroits — aux pages 12, 13 et 26 — où il aborde la question de savoir si ces dispositions servent à quelque chose. Je pourrais vous les montrer tout à l'heure; je préfère ne pas vous les apporter maintenant.

  (1650)  

    Monsieur Copeland, vous avez également affirmé que ce projet de loi changera le paysage juridique au Canada en ce qui concerne la jurisprudence liée aux droits civils, ou quelque chose de ce genre. J'avoue ne pas très bien comprendre cela, car ce projet de loi ne fait que reproduire les mesures mises en vigueur par l'ancien gouvernement libéral, mesures qui ont pris fin en raison d'une disposition de temporarisation.
    Quand j'ai présenté une communication devant l'Institut canadien de l'administration de la justice en 2002, dans le cadre d'une conférence sur la loi antiterroriste, ma position était la même. À mon avis, les efforts des libéraux dans ce domaine n'ont pas été une grande réussite.
    Donc, c'est plutôt cette loi-là qui a changé le paysage, étant donné que ce projet de loi est simplement la continuation. Pourrait-on dire…
    Sauf que la loi en question faisait l'objet d'une disposition de temporarisation, si bien qu'elle a expiré; étant donné que quelqu'un cherche à présent à la rétablir, le paysage juridique serait effectivement modifié puisque nous serions ramenés à la situation qui prévalait immédiatement après le 11 septembre 2001.
    Monsieur Gardee, merci infiniment de votre présence cet après-midi. J'ai beaucoup aimé votre exposé, mais j'avoue ne pas avoir bien compris pourquoi vous avez qualifié ce projet de loi de « discriminatoire ». C'est un adjectif très fort. J'ai trouvé cela inquiétant. Je voudrais donc savoir comment vous pouvez être de cet avis, puisque l'ancienne loi a été utilisée une seule fois, dans le dossier d'Air India, et c'était dans les années 1980. Je voudrais donc que vous m'expliquiez pourquoi vous pensez que, de prime abord, ce projet de loi est discriminatoire.
    Quand j'ai dit cela tout à l'heure, j'indiquais qu'il « pourrait » être jugé discriminatoire. Je voulais surtout insister sur le fait que les régimes de ce genre ont eu une incidence disproportionnée sur les membres de la communauté musulmane. Pour moi, c'est cela qu'on semble vouloir passer sous silence. Personne ne veut en parler directement, mais le fait est que ce sont surtout les membres de la communauté musulmane au Canada qui ont subi les contrecoups de mesures de ce genre au cours des 10 dernières années.
    Bien sûr, mais il est également vrai que l'ancienne loi n'a jamais été utilisée contre un membre de votre communauté. C'est évident. Cela ne s'est pas produit, n'est-ce pas?
    C'est exact, d'après ce que j'ai pu comprendre.

[Français]

    Est-ce que je peux donner une réponse complémentaire, monsieur le président?

[Traduction]

    Je vous demande d'être très bref, monsieur Barrette.

[Français]

    Il ne faut pas oublier, lorsqu'on parle de discrimination, de profilage racial dans ces deux dispositions, qu'il ne faut pas séparer ces dispositions de la définition d'activité terroriste établie à l'article 83.01 du Code criminel.
    Cette définition a été dénoncée par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies. Le comité du Sénat, dans le projet de loi S-3, avait modifié cette définition et, dans l'affaire Khawaja, le juge a considéré comme discriminatoire la définition des mobiles fondée sur des mobiles religieux, politiques ou idéologiques.
    C'est dans ce sens que ces deux dispositions vont être interprétées en lien avec la définition d'activité terroriste.

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Barrette.
    Votre temps est écoulé, monsieur Rathgeber.
    La parole est maintenant à Mme Crombie. Ce seront des tours de cinq minutes pour la deuxième série de questions.
    Merci, monsieur le président.
    Je suppose que même la Loi antiterroriste constituait une réaction précipitée et excessive aux événements du 11 septembre, et c'est sans doute pour cette raison qu'on y a incorporé une disposition de temporarisation.
    Ayant entendu les témoignages des uns et des autres, j'avoue qu'il y a de nombreux éléments inquiétants que j'aimerais explorer avec vous.
    Monsieur Barrette, vous dites que les dispositions proposées favorisent le profilage racial, que la présomption d'innocence est en jeu, que ce projet de loi rappelle un peu le McCarthyisme, et que la réputation, la vie et la carrière de nombreux Canadiens pourraient être détruites. Étant donné vos affirmations, il me semble clair que ces dispositions ne sont pas nécessaires et que, en fait, le Code criminel pourrait servir à nous protéger contre le terrorisme. Je pense que vous avez tous dit un peu la même chose.
     Pour résumer ce que j'ai entendu — je suis nouvelle au comité — selon vous, ces dispositions sont inutiles, inefficaces, et peut-être même inconstitutionnelles. Elles font fi de la primauté du droit, de la présomption d'innocence et des libertés civiles, elles sont éventuellement antidémocratiques, elles compromettent la protection des droits de la personne, déconsidèrent certains membres de la société et ciblent des groupes en particulier. Cela dit, y a-t-il des situations où cela aurait pu se révéler utile, et dans l'affirmative, de quelle façon? Je suppose que la vraie question est de savoir pourquoi le gouvernement voudrait les adopter. J'essaie simplement de comprendre le bien-fondé de ces dispositions et du projet de loi en général. Y a-t-il des faits ou des données qui justifieraient que l'on propose de telles dispositions et que le projet de loi C-17 soit adopté?
    Merci.
    Merci, madame Crombie.
    Si vous voulez que je vous réponde brièvement, je vous dirais que la réponse est non.
    Par contre, je ne suis pas d'accord avec tout ce que vous avez dit dans votre préambule. Il y a certains aspects… Si vous adoptez le projet de loi, il s'ensuit que la primauté du droit est maintenue, mais il reste que, en ce qui me concerne, ces dispositions ne sont d'aucune utilité et je ne vois donc pas pourquoi on devrait les rétablir. Le climat qui prévalait en 2001 lorsque cette loi a été proposée et adoptée pour la première fois n'existe plus.

  (1655)  

    Si vous demandez à n'importe quel responsable de la sécurité — le directeur du SCRS, par exemple — ce qu'il lui faut pour mieux sécuriser le pays, il vous répondra toujours qu'il lui faut plus de pouvoirs, plus d'autorité pour avoir les coudées franches.
    Nous avons récemment entendu des récriminations de cet ordre-là de la part de l'ancien directeur du SCRS, mais il faut surtout comprendre que c'est bien cela qu'on va vous dire et les responsables politiques sont très réticents à prendre le risque que quelque chose se produise au cours de leur mandat qui puisse ensuite leur être reproché par ce même responsable de la sécurité, qui dirait: « Nous vous avons demandé de nous accorder des pouvoirs accrus, mais vous avez refusé de le faire. »
    Qui devra payer les pots cassés s'il se produit quelque chose? Pour cette raison, ils font l'objet de pressions énormes pour accéder à ce genre de demande.
    Je sais que vous aimeriez réagir, monsieur Barrette, mais je me permets de poser une autre question et je vais vous demander de répondre tous les deux. Ensuite, pour ma dernière minute, je voudrais changer de sujet. Je vous demande donc de me répondre rapidement.
    Ce projet de loi est-il nécessaire pour protéger les Canadiens, et si les conservateurs veulent enfreindre les droits et les libertés civiles des Canadiens, pourriez-vous nous dire de quelle façon cette loi antiterroriste aurait permis de protéger les Canadiens jusqu'à présent?
    Je vous remercie.
    Cette affirmation est totalement déplacée. La loi originale a été présenté en 2002. Quand vous dites que le gouvernement actuel veut enfreindre les droits des gens, eh bien, votre question n'a aucun sens.
    Sauf votre respect…
    Merci, monsieur le président. Je vais reformuler ma question.
    Était-il nécessaire…
    Madame Crombie…
    Mme Bonnie Crombie: J'en tiendrai compte.
    Le président: … je vais vous permettre de continuer, mais son argument est valable aussi.
    Allez-y.
    Monsieur Barrette, je vous invite à répondre aux questions précédentes; cette loi est-elle nécessaire pour protéger les Canadiens?

[Français]

    Selon moi, on n'a pas besoin de cette loi, c'est clair. Depuis que cette loi n'est plus en vigueur, des complots ont été éventés, des accusations ont été portées, des condamnations ont été obtenues. Ce n'est pas nécessaire. Les seules utilisations possibles, à mon sens, c'est dans le cas de tentatives d'abaisser le niveau de preuve. M. Forcese parlait de l'imminence, du risque d'imminence, « the little gap », comme il a dit...

[Traduction]

    Monsieur Barrette, je vais vous couper la parole.
    Me Denis Barrette: Oui, bien sûr.
    Mme Bonnie Crombie: J'ai une dernière question à poser, et peut-être aurons-nous suffisamment de temps pour que j'obtienne la réponse, mais je vais vous la poser très rapidement.
     Étant donné que je représente une communauté pakistanaise musulmane importante dans ma circonscription électorale, j'ai entendu parler à de multiples reprises des effets dévastateurs de certaines mesures sur la vie des gens dans la foulée des événements du 11 septembre. Êtes-vous en mesure de partager avec nous des détails au sujet des effets de cette loi sur les personnes qu'elle a ciblées et mises au banc et, selon vous, que risque-t-il de se produire si le projet de loi C-17 est adopté?
    Merci beaucoup, madame Crombie.
    Malheureusement, si vous avez des détails ou récits à partager avec nous, vous devrez nous les faire parvenir ou encore les inclure en répondant à une autre question. Les cinq minutes accordées comprennent à la fois la question et la réponse.
    La parole est maintenant aux membres de la majorité. Monsieur Lobb, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je dois dire que je suis très heureux de voir que nous avons deux personnes parmi nous aujourd'hui dont le nom de famille est Davies. Nous sommes généralement bien contents d'en avoir une, mais aujourd'hui, nous en avons deux, et c'est très bien.
    En réponse aux commentaires de Mme Crombie, je voudrais lui suggérer, lors du prochain congrès libéral, de s'adresser à Ann McLellan, Irwin Cotler ou peut-être même Allan Rock, pour qu'ils vous expliquent la raison d'être de cette loi.
    Monsieur Kafieh, vous avez dit aujourd'hui que, selon vous, ce projet de loi cible injustement la communauté musulmane. Vous ai-je bien compris?
    Excusez-moi. Parlez-vous…?
    Je vous demandais si vous avez affirmé que ce projet de loi cible injustement la communauté musulmane?
    Non, je n'ai pas dit qu'il cible injustement la communauté musulmane. J'ai dit que, étant donné les tendances que nous avons observées au cours des 10 dernières années, et même auparavant, je crois qu'il aura une incidence disproportionné sur la communauté musulmane du Canada et que, même si les effets négatifs de cette loi toucheront de façon disproportionnée les Canadiens musulmans, ils ne seront pas les seules victimes. Ces effets négatifs vont continuer à se faire sentir au sein des différents segments de la population et finiront par nuire au tissu social de la société canadienne. Nous allons tous en pâtir.
     Pour aider le Canadien moyen qui est assis devant la télévision à nous regarder ou qui nous écoute à comprendre — et cela rejoint l'argument de M. Rathgeber — si ces dispositions n'ont jamais vraiment été utilisées jusqu'ici, comment peut-on dire qu'elles ciblent qui que ce soit? Comment le Canadien moyen qui regarde nos délibérations pourrait-il arriver à cette conclusion-là?

  (1700)  

    Êtes-vous en train de dire que, si elle est en vigueur mais personne n'y a recours, elle ne peut faire de mal à personne?
    Non, je vous dis simplement qu'elle n'a jamais été utilisée et qu'elle n'a donc jamais visé personne. Comment peut-on conclure que cette loi cible un groupe en particulier? J'essaie simplement…
    Pour moi, cette mesure a un effet paralysant du fait de saper la protection des libertés civiles de tous les Canadiens.
    Si vous ressembliez à un Canadien d'origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, malgré les grandes déclarations du gouvernement — et même s'ils n'ont pas parlé directement de Japonais — vous deviez nécessairement sentir que vous étiez davantage surveillés que d'autres. Ce n'était pas déraisonnable, étant donné les circonstances.
    Nous avons également l'expérience des certificats de sécurité, par exemple. Ces derniers ont visé presque exclusivement des immigrants musulmans et arabes au Canada. C'est ça qui s'est produit. Vous dites que certaines lois ne font pas de mal étant donné qu'on n'y a pas recours, et nous avons l'exemple du sommet du G20. Une loi qui remontait à la Seconde Guerre mondiale était encore en vigueur, et le chef de police a demandé des pouvoirs accrus afin de mettre en place son dispositif de sécurité. Nous constatons maintenant le mal que peut faire une loi pareille lorsqu'elle est en vigueur.
    Dans votre exposé, vous avez parlé de menaces imminentes. C'était en rapport avec les conditions qu'on peut imposer. Si notre pays faisait l'objet d'un attentat, à votre avis, le Canadien moyen qui regarde nos délibérations aujourd'hui serait-il prêt à accepter cela? Est-ce raisonnable, selon vous? Où est l'équilibre? Je dirais que nous devons faire le nécessaire pour protéger le Canada, y compris si cela veut dire qu'il faut poser des questions au sujet d'incidents antérieurs. Qu'en pensez-vous?
    Ces dispositions sont tellement intrusives que je m'inquiète des relations qu'elles pourraient établir entre le gouvernement, les organismes chargés de la sécurité et la communauté elle-même. Leur effet potentiel est tellement pernicieux qu'il faut, à mon avis, les réserver pour les situations les plus extrêmes.
    Quand vous avez le temps de le faire, vous utilisez tous les outils qui sont disponibles. Je sais que je parle aujourd'hui au nom d'une organisation islamique, mais ces dispositions, et notamment celles qui portent sur les audiences d'investigation, sont ce qu'on appelle en anglais une « Hail Mary pass », dont le nom repose sur une expression catholique. Mais, dans le domaine de la sécurité, c'est ça: une mesure de dernier recours qui tiendrait du miracle si elle réussissait. Vous pensez que quelque chose va se produire, mais vous ne savez ni qui va le faire, ni quand cela va se produire; malgré tout, vous pensez que tel groupe peut être impliqué, et vous arrêtez donc un membre de ce groupe.
    Corrigez-moi si je me trompe…
    Soyez très bref, monsieur Lobb.
    S'agissant du terrible incident qui s'est produit en Suède, le responsable n'était pas du tout connu, si bien que ce genre de mesure de dernier recours aurait peut-être donné un meilleur résultat. Nous ne le saurons jamais — encore que nous allons peut-être finir par le savoir — mais il reste qu'une mesure que vous qualifiez de « Hail Mary pass » pourrait finir par nous protéger dans un scénario comme celui-là.
    Merci, monsieur Lobb.
     La parole est de nouveau à la représentante du Bloc. Madame Mourani, vous disposez de cinq minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je voudrais revenir sur le profilage racial. Mes collègues ne semblent pas voir de lien entre ce projet de loi et la possibilité et la capacité de faire du profilage, même s'ils semblent admettre que le projet de loi n'a jamais été employé, finalement. Ils semblent y voir une utilité, mais je m'interroge à ce sujet.
    Monsieur Barrette, vous avez parlé du profilage racial. Je voudrais questionner aussi M. Kafieh, M. Elgazzar — je m'excuse si je prononce mal votre nom — et M. Gardee.
    En ce qui concerne le profilage racial, les communautés musulmanes, ou tout simplement pakistanaises, les personnes qui sont typées ou qui sont identifiées de par leur religion ou même la couleur de leur peau... Maintenant, tout le monde est Arabe. Qu'ils soient Pakistanais, Libanais ou n'importe quoi, ils sont Arabes et musulmans. Le commun des mortels ne sait pas qu'il y a des Arabes chrétiens, des Arabes juifs, qu'il y a toutes sortes d'Arabes. En tout cas, on ne fera pas un cours d'arabité ici.
    Parlez-moi un peu du profilage racial. Qu'est-ce que ce genre de projet de loi qui, légalement, a été...? Enfin, on a tenté de l'utiliser une fois. On pourrait utiliser le Code criminel sans aucun problème pour assurer notre sécurité en ce qui concerne le terrorisme, mais l'impact réel en ce qui a trait à la perception, aux préjugés, est quand même assez évident.
    D'après ce que j'ai entendu dans d'autres comités et ce qu'on me rapporte, le SCRS a tendance à aller frapper à la porte de plusieurs jeunes étudiants pour les questionner sans aucune preuve, en disant que ces derniers ne sont pas obligés de leur répondre. Cependant, les gens ne connaissent pas leurs droits.
     J'ai reçu beaucoup de témoignages de jeunes musulmans ou de Pakistanais qui se sont fait interroger par le SCRS sans qu'il n'y ait aucun mandat ou aucune accusation, seulement des interrogatoires. Des agents ont fait remarquer que ces personnes lisaient le Coran ou tel autre livre. Beaucoup de ces cas s'appuyaient sur des éléments qui font penser au profilage racial.
    Qu'est-ce que vous pensez du travail extraordinaire du SCRS dans tout ça, et du profilage racial?
    Avez-vous eu des commentaires de jeunes qui viennent vous voir et qui vous disent que le SCRS est allé frapper à leur porte?
    Il y a même un homme qui est venu me remettre un numéro de téléphone que le SCRS lui a laissé. J'ai appelé à ce numéro, je suis tombée sur une personne qui a refusé de s'identifier — à un député fédéral, il faut le faire — et qui disait qu'effectivement, il était agent du SCRS.
    Je vous écoute.

  (1705)  

[Traduction]

    Merci, madame Mourani.
     Je vais vous donner un peu de latitude par rapport au projet de loi C-17. Vous avez parlé du SCRS et évoqué d'autres éléments, alors je suis prêt à accepter cette question.
    La parole est à celui des témoins qui désire répondre.
    Allez-y, monsieur Barrette.

[Français]

    Je vais faire vite, je vais laisser parler les autres.
    Voici ce qui va se passer dans la pratique. Même si on n'a pas traduit des gens devant les tribunaux, je suis certain que ça s'est passé. Les agents du SCRS vont aller chez les gens, ils vont leur dire que, s'ils ne répondent pas à leurs questions au sujet de leur voisin, s'ils ne dénoncent pas leur voisin, ils ont le pouvoir, avec la police, de les détenir pendant 72 heures et, ensuite, de les faire comparaître devant un juge qui, lui, va les obliger à répondre à toutes leurs questions.
    C'est une intimidation qui va fonctionner avec de piètres résultats en ce qui concerne les enquêtes. Malheureusement, il y aura une utilisation liée au profilage à cause de la définition d'activité terroriste.
    Je vais laisser parler mes collègues.
    Oui.
    Allez-y, monsieur Gardee.

[Traduction]

    Merci.
    Notre organisation a reçu des plaintes de la part de membres de la communauté musulmane concernant l'intimidation pratiquée par le SCRS qui les interrogeait sur le nombre de fois par jour qu'ils priaient, etc. Voilà quelque chose qui inquiète profondément la communauté musulmane.
    Comme l'un des intervenants nous l'a rappelé, voilà quatre ans que le rapport sur l'enquête menée par le juge O'Connor a été publié. Dans son rapport, le juge O'Connor a recommandé la mise sur pied d'un organe de surveillance intégrée de nos organismes de sécurité. Cette recommandation n'a toujours pas été mise en oeuvre, ce qui n'est pas vraiment susceptible d'inspirer la confiance, ni de la communauté musulmane, ni de bon nombre d'autres Canadiens.
    Merci.
    Je vous laisse répondre, monsieur Kafieh, et après cela, votre temps sera écoulé.
    Pour moi, l'exemple de M. Barrette est extrêmement important, parce qu'il illustre bien en ce qui concerne le pouvoir de tenir une audience d'investigation, comment on peut, sans y avoir officiellement recours, s'appuyer sur ce pouvoir pour menacer des gens qui refusent peut-être de fournir tous les renseignements demandés par un agent du SCRS. Le problème, c'est que les forces de sécurité qui font ce genre de choses s'aliènent les membres de la communauté.
    Pour reprendre l'exemple cité par M. Lobb, d'après ce qu'on sait, l'auteur de l'attentat en Suède avait déjà été dénoncé par des membres de sa propre communauté en Grande-Bretagne. S'il y avait eu des communications plus efficaces entre les diverses forces de sécurité, l'avertissement qui a été donné en Grande-Bretagne aurait pu également être donné en Suède. C'est là qu'il y a un problème, à mon avis.
    Pour moi, la véritable leçon à tirer de tout cela est la nécessité de protéger et de favoriser des relations positives entre toutes les différentes communautés qui sont représentées au sein de la société.
    Merci beaucoup, monsieur Kafieh.
    La parole est maintenant à M. McColeman.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à vous tous de votre présence aujourd'hui et d'avoir accepté de nous faire part de vos vues sur la question.
    Les témoins sont-ils d'accord pour dire que le terrorisme continue à représenter une menace très réelle pour notre démocratie occidentale et notre mode de vie? Est-ce vrai? Dites simplement oui de la tête si vous êtes d'accord.
    Je constate que vous êtes tous d'accord. C'est bien ça?
    Une voix: Non.
    M. Phil McColeman: Est-ce que quelqu'un a dit non?
    Avez-vous dit non?

  (1710)  

    Je dis que cela existe et que c'est un problème, mais dans la mesure où ce problème est réel, je pense qu'on a tendance à beaucoup exagérer les risques qu'il présente, pour toutes sortes de raisons. Il est vrai que c'est une menace et que ce phénomène est réel, mais je crois que les préjudices que nous nous sommes causés depuis 2001 sont bien pires que ceux qui nous ont été causés au fil des ans.
    Je peux vous citer un exemple évident, à savoir que, à ma connaissance, aucun Canadien n'est mort à la suite d'un acte de terrorisme depuis 2001, alors que beaucoup de gens sont morts à cause de violence commis par des motards, for exemple, au cours de la même période. Pourquoi n'exerce-t-on pas ces mêmes pouvoirs dans ce contexte-là? À mon avis, la technique de l'audience d'investigation va finir par être employée dans ces autres domaines également, lorsque l'opportunisme politique l'exigera.
    C'est intéressant ce que vous dites, car vous êtes le seul témoin, parmi ceux qui comparaissent aujourd'hui, à croire que les risques du terrorisme dans le monde d'aujourd'hui sont grossièrement exagérés.
    Je vous parle de l'Amérique du Nord. Ce phénomène est réel. C'est un problème réel.
    Très bien. J'accepte cette précision.
    La question complémentaire que je voudrais vous poser est celle-ci: nous avons reçu des témoins qui nous ont parlé d'autres problèmes et qui sont venus de pays qui ont justement subi un attentat terroriste; le fait est que leur vision du monde est très différente de celle que vous venez de partager avec nous.
    Heureusement, le Canada n'a pas subi de graves attentats terroristes jusqu'à présent. Nous avons évidemment réussi à intervenir pour maîtriser la situation, dans le cas du groupe de 18 de Toronto, et dans d'autres situations aussi, mais j'accepte mal que vous minimisiez la gravité de ce phénomène et une autre de vos affirmations aujourd'hui: vous avez comparé ce que nous faisons maintenant au XXIe siècle au Canada à la Loi sur les mesures de guerre invoquée pendant la Seconde Guerre mondiale dont les Canadiens d'origine japonaise ont été victimes. Je ne peux pas croire, et je ne peux pas non plus croire qu'un des témoins que nous recevons aujourd'hui ou n'importe quel membre de la société d'aujourd'hui croirait qu'une loi comme celle-ci pourrait donner lieu à des gestes de ce genre à l'avenir.
    Vous avez dit essentiellement que cela va donner lieu à des abus futurs, en établissant une comparaison avec ce qui a été fait aux Canadiens d'origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour moi, cette interprétation de la situation actuelle en ce qui concerne le terrorisme et des mesures qui sont nécessaires pour le contrôler n'est guère susceptible d'être acceptée par bon nombre de Canadiens.
    Je m'intéresse aux commentaires qui ont été faits aujourd'hui concernant l'observation du professeur Forcese, qui nous dit que, selon son analyse, il existe une lacune, très circonscrite, mais une lacune quand même. Tous les témoins ont entendu cela aujourd'hui.
    Ma question prioritaire à l'un d'entre vous qui voudrait répondre ou à vous tous, est celle-ci: acceptez-vous son analyse? Voilà la question qui m'intéresse le plus.
    Et, pour gagner du temps, je vous annonce tout de suite ma deuxième question: si vous êtes d'accord, que pouvez-vous proposer pour combler cette lacune afin d'éviter que notre pays soit exposé aux risques de sécurité que ce projet de loi n'aborde pas en raison de cette lacune?
    Si vous me permettez de répondre brièvement, je ne suis pas d'accord avec le professeur Forcese quand il dit qu'il y a une lacune. Le plus grave acte de terrorisme jamais commis au Canada a été l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India. Des recommandations ont été faites à la suite d'une longue enquête sur cet incident, et le Canada devrait prendre les mesures qui s'imposent pour y donner suite. Il faut s'assurer que les communications entre le SCRS et la GRC sont efficaces.
    Sauf votre respect, vous ne devriez pas perdre votre temps à examiner ce projet de loi, à mon avis. Vous devriez plutôt vous attaquer aux problèmes qui existent au sein des organismes de sécurité et vous assurer de faire appliquer le droit criminel actuel relativement aux activités terroristes.
    Très bien. Y a-t-il d'autres observations?
     Nous sommes d'avis que les dispositions que renferme déjà le Code criminel sont suffisantes et, par conséquent, nous, aussi, nous ne sommes pas d'accord pour dire qu'il existe une lacune qui doit être comblée par une mesure législative comme le projet de loi C-17.
    Très bien.

[Français]

    J'aimerais répondre, monsieur le président. Je trouve la question très importante.

[Traduction]

    Allez-y, monsieur Barrette.

[Français]

    Tout d'abord, la menace de terrorisme au Canada a toujours existé, et ce, bien avant sa création. Il y a eu les Fenians qui ont suscité la création du Canada, donc c'est un crime parmi d'autres.
    Quant à l'opinion de M. Forcese — avec tout le respect que je lui dois — et quant à l'imminence d'un acte terroriste, je crois que c'est un faux débat. Car dans le cas de l'imminence d'un acte terroriste, si on est face à cela, les policiers doivent arrêter les gens, les détenir et les accuser. Ce n'est pas une question d'imminence d'acte de terrorisme mais de preuve. Autrement dit, y a-t-il des soupçons quant au fait qu'il va y avoir un acte terroriste ou y a-t-il des motifs raisonnables de croire qu'il y en aura un? Ce qu'on veut ici, avec ces deux projets, c'est abaisser le niveau de preuve. S'il y a imminence d'un acte terroriste, qu'on arrête les gens, qu'on les traduise devant les tribunaux, qu'on les accuse et qu'on les condamne s'ils sont coupables.

  (1715)  

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Barrette.
    Plusieurs personnes ont déclaré aujourd'hui que ce projet de loi n'est pas nécessaire. Elles se sont même demandé pourquoi notre comité se donne la peine d'en discuter.
    Je voudrais donc conclure en vous citant les propos de la ministre de la Justice en 2001. Mme Libby Davies se souviendra de ce qu'a dit la ministre de la Justice de l'époque, Anne McLellan, au sujet du projet de loi C-36 et ce dont nous discutons aujourd'hui: « Nous croyons que les gens partout ont le droit de vivre en paix et en toute sécurité. » C'est à ce moment-là qu'ils ont rédigé le projet de loi C-36 et ses dispositions en faisaient partie.
    Merci de votre présence aujourd'hui.
    Nous ne sommes pas là pour réexaminer cette mesure; nous sommes saisis d'un nouveau projet de loi. Nous vous remercions de vos observations, qui nous aideront à trouver le juste équilibre que nous visons tous, comme vous l'ont fait remarquer M. Lobb et M. Rathgeber, pour que les Canadiens puissent vivre en sécurité.
    Merci infiniment. Nous allons maintenant suspendre brièvement la réunion et nous attaquer ensuite aux travaux du comité.
    [La réunion se poursuit à huis clos.]
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