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INDU Rapport du Comité

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CHAPITRE 1 : L’ÉCONOMIE ET LES CONDITIONS DU CRÉDIT

Depuis le tournant du siècle, deux puissants chocs externes ont frappé l’économie canadienne. Le premier, la flambée des cours mondiaux des produits de base à partir de 2003, a fait grimper les cours de nombreux produits et le dollar canadien à des niveaux sans précédent et entraîné une restructuration de l’économie canadienne privilégiant le secteur primaire au détriment de la fabrication. Le second, une récession mondiale amorcée à la fin de 2008, n’a mis un terme au premier que par un élargissement du ralentissement de la demande — intérieure et internationale — qui ne touchait plus seulement les produits finis, mais l’ensemble des biens et services canadiens. La situation a néanmoins empiré pour le secteur manufacturier canadien, particulièrement dans les secteurs fortement tributaires des exportations, comme les produits forestiers, les minéraux et produits métalliques, certains segments du secteur de l’énergie, la fabrication de véhicules automobiles et de pièces d’automobiles[1], l’aérospatiale et les hautes technologies. Ces deux événements, et leurs répercussions sur l’économie et les marchés du crédit du Canada, sont l’objet de la présente section du rapport.

La flambée des cours des marchandises et l’appréciation du dollar canadien

À partir de 2003, une expansion rapide de l’économie mondiale[2] tirée largement par la Chine, l’Inde et le Sud-Est asiatique a suscité une hausse de la demande de produits primaires, en particulier de la demande d’énergie et de métaux communs, et fait grimper les cours des produits de base[3]. Ces augmentations de prix se sont accompagnées d’une vive appréciation du dollar canadien, en particulier par rapport au dollar américain. Ces événements plus ou moins simultanés ne sont pas indépendants l’un de l’autre. Le Canada est riche en énergie et en minéraux en termes absolus, mais aussi, et plus important encore, en termes relatifs (par habitant), par rapport aux autres pays.  Cela lui a permis d’axer son développement sur les marchandises exportées, et l’a même encouragé à le faire. Pour un pays exportateur de produits de base comme le Canada, l’augmentation des cours fait grimper les prix des exportations, tandis que l’appréciation de la devise nationale fait baisser les prix des importations. En conséquence, le Canada a bénéficié d’une nette amélioration des termes de l’échange (le rapport des prix à l’exportation aux prix à l’importation) dans la foulée de la flambée des cours des marchandises[4]. Par ailleurs, la hausse de la demande émanant de l’étranger combinée à la montée des cours a stimulé la production intérieure et amené une amélioration générale de la prospérité économique dans tout le pays. L’amélioration des termes de l’échange au Canada semble aussi avoir piqué l’intérêt des investisseurs. L’investissement étranger direct (IED) net, qui, pendant les vingt dernières années du XXe siècle était surtout sortant, a changé de direction. Grâce notamment à d’importantes prises de contrôle de sociétés de ressources canadiennes par des intérêts étrangers surtout à partir de 2006, le Canada a enregistré des entrées nettes d’IED de 27,0 milliards et 62,3 milliards de dollars en 2006 et en 2007 respectivement. Cet afflux de capital a soutenu l’appréciation du dollar canadien résultant des termes de l’échange… jusqu’à ce que la récession frappe.

Graphique 1

Graphique 1

Source : Banque du Canada, http://www.banqueducanada.ca/fr/taux/can_us_lookup-f.html.

L’amélioration soudaine des termes de l’échange du Canada a également entraîné une appréciation rapide et substantielle du dollar canadien par rapport au dollar américain et à de nombreuses autres devises aussi[5]. La valeur du dollar canadien a crû de 78,5 % par rapport au dollar américain en seulement cinq ans et trois quarts avant de se stabiliser autour de la parité avec le dollar américain durant toute la première moitié de 2008 pour ensuite retomber entre 79 et 85 cents américains depuis octobre 2008 et le début de la récession mondiale (voir le graphique 1)[6],[7]. Bien sûr, cette évolution du dollar canadien ne tient pas seulement à des facteurs internes. L’inquiétude des cambistes au sujet du déficit du compte courant des États-Unis et de la tendance croissante du gouvernement américain à emprunter sur les marchés financiers pour financer son déficit budgétaire a aussi contribué au phénomène.

La récession mondiale et le resserrement du crédit

À l’automne 2008, l’économie américaine a amorcé un ralentissement qui s’est accéléré en fin d’année pour atteindre un rythme sans précédent depuis la Crise des années 1930; la crise a par ailleurs balayé un plus large spectre de l’économie que ne le font la plupart des récessions. Tout a commencé avec les immenses pertes imprévues au chapitre des prêts hypothécaires à risque et du papier commercial adossé à des actifs (PCAA) qui ont déclenché une crise financière à l’été 2007 et entraîné la faillite de plusieurs institutions financières mondiales importantes. L’effondrement de sociétés bien en vue a amené de nombreux observateurs à soupçonner que la crise de liquidités était devenue une crise de solvabilité. La perte de confiance dans les marchés financiers s’est ensuite étendue aux marchés de l’habitation et aux marchés des produits de consommation; puis, par le jeu des échanges, elle a gagné d’autres grandes économies avancées, notamment le Canada. Le quatrième trimestre de 2008 a marqué le début d’une récession mondiale plutôt abrupte et profonde, qui devrait poursuivre sa course tout au long des trois premiers trimestres de 2009, sinon toute l’année durant.

Graphique 2

Graphique 2

Source : Banque du Canada, Rapport sur la politique monétaire, octobre 2008 et avril 2009.

Les exportations canadiennes de produits manufacturés vers les États-Unis et ailleurs, déjà chancelantes en raison de l’appréciation rapide du dollar canadien, ont carrément chuté par suite du ralentissement économique mondial. En fait, en décembre 2008, le Canada a enregistré son premier déficit sur marchandises depuis mars 1976. La contraction de la demande ne s’est toutefois pas arrêtée à la frontière canadienne. La réduction du revenu réel causée par le recul abrupt et soudain des cours des produits de base, la diminution de la valeur nette des ménages, de même que la perte de confiance des consommateurs et des investisseurs ont contribué à faire baisser la demande intérieure. La diminution de la demande de produits et services canadiens a entraîné un repli de l’offre : le PIB du Canada a reculé à un taux annualisé saisissant de 3,4 % durant le quatrième trimestre de 2008 (voir le graphique 2).

Tableau 1 Projections de croissance à l’échelle mondiale

Pays ou région

Part du PIB mondial réel (%)

Croissance projetée (en pourcentage)

2008

2009

2010

2011

États-Unis

Union européenne

Japon

Chine et ENI d’Asie

Autres

 22

 20

 7

 14

 37

 1,1

 0,7

-0,7

 7,1

 4,9

-2,4

-3,6

-6,2

 3,5

 1,0

 1,2

-0,2

 1,0

 6,0

 3,0

2,9

1,8

2,5

7,3

4,0

Monde

100

 3,2

-0,8

 2,2

3,7

Source : Banque du Canada, Rapport sur la politique monétaire, avril 2009.

De nombreux prévisionnistes pensent que la récession mondiale va persister et même s’aggraver durant l’année 2009. On ne prévoit pas de reprise à l’échelle mondiale avant au moins le quatrième trimestre de 2009 ou 2010 et même au-delà — pas avant 2011 dans le cas de l’Union européenne (voir le tableau 1). À la Banque du Canada on prévoit que le ralentissement économique se poursuivra durant toute l’année 2009 au Canada, avec une accélération de la baisse de l’activité économique qui atteindrait -7,3 % au premier trimestre de 2009 et des prévisions indiquent que le Canada n’atteindra pas le creux du cycle économique avant le troisième trimestre de 2009. En termes annuels, la Banque du Canada prévoit un ralentissement économique de 3,0 % en 2009, suivi d’une croissance de 2,5 % en 2010[8].

Bien sûr, les prévisionnistes ne sont pas tous du même avis. Le Conference Board du Canada, par exemple, prévoit un recul d’environ 6,4 % du PIB durant le premier trimestre de 2009 et pense que le creux sera atteint le trimestre suivant. En termes annuels, il prédit une baisse du PIB de 1,7 % en 2009, suivie par une progression de 2,5 % en 2010[9]. TD Economics, en revanche, entrevoit une contraction de 5,8 % du PIB au premier trimestre de 2009 et le creux de la vague au troisième trimestre de 2009. En termes annuels, TD Economics prévoit un fléchissement de 2,4 % en 2009, suivi par un gain de 1,3 % en 2010[10]. En résumé, au moment de la préparation de ce rapport, la Banque du Canada entrevoit une profonde et longue récession au Canada, suivie d’une reprise vigoureuse. TD Economics pense, pour sa part, que la récession sera profonde par comparaison aux précédentes (mais relativement superficielle par rapport aux prévisions de la Banque du Canada et du Conference Board) et que la reprise sera molle et lente. Quant au Conference Board, ses prévisions se situent entre les deux.

Abstraction faite de ces divergences de vues sur le court terme, toutes les prévisions de reprise économique reposent sur la stabilisation du système financier mondial, et c’est bien là que réside la plus grande source d’incertitude des projections courantes. En outre, la dissipation de cette incertitude et la reprise au Canada dépendront essentiellement des mesures prises par d’autres — des mesures financières et monétaires des institutions internationales et étrangères. En conséquence, le sort de l’économie canadienne dépend dans une large mesure du flair économique et financier des décisionnaires d’autres pays.

Il importe de noter que le Canada jouit d’un secteur financier exceptionnellement robuste, dont le pilier est l’industrie bancaire. D’ailleurs, en octobre 2008, le Forum économique mondial a déclaré que le Canada disposait du système financier le plus fiable au monde. Ce statut et la situation financière relativement favorable du Canada par rapport à la plupart des autres pays avancés, s’expliquent par plusieurs facteurs. Il faut dire d’abord et avant tout que les banques canadiennes ont toujours fait preuve d’une grande prudence en matière de crédit par rapport aux autres banques, de telle sorte qu’elles ont relativement peu participé au marché américain des prêts hypothécaires à risque et ont donc subi des pertes modestes dans l’effondrement du marché des PCAA[11]. Les défauts de paiement d’hypothèques aux États-Unis semblent tenir aussi aux prêts hypothécaires à taux variables, où les taux d’intérêt sont inférieurs à ceux du marché durant les premières années de l’hypothèque, mais augmentent progressivement pour ensuite les dépasser. On estime généralement que les défauts de paiement (et leur fréquence) vont augmenter avec la correction à la hausse des taux d’intérêt contractuels. Les banques canadiennes n’ont jamais vendu ce type de produit d’emprunt sur le marché hypothécaire canadien. Enfin, les banques d’investissement américaines étaient peu réglementées et affichaient de faibles ratios de fonds propres (de 4 % en moyenne à la veille de la crise financière) tandis que, dans les années 1980, les banques commerciales canadiennes ont racheté la plupart des grandes maisons de courtage jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les petites, et elles ont été intégrées à diverses institutions de crédit beaucoup plus réglementées dont les ratios de fonds propres de niveau 1 qui étaient en moyenne de 9,6 % en décembre 2007[12].

Comme dans toutes les récessions, il y aura une contraction de la demande et de l’offre de crédit. Selon la toute dernière enquête auprès des responsables du crédit réalisée par la Banque du Canada, le solde des opinions sur les conditions de crédit — le pourcentage des personnes ayant signalé un resserrement des conditions de crédit moins le pourcentage des personnes ayant signalé un assouplissement — a atteint un sommet au quatrième trimestre de 2008 (voir le graphique 3). La plupart des entreprises ont indiqué que le resserrement s’est traduit par une augmentation des coûts d’emprunt. Il semble donc qu’au Canada comme ailleurs l’offre de crédit se soit resserrée plus que la demande depuis le troisième trimestre de 2007 et avant le début de la récession.

Cependant, on a vu apparaître les premiers signes d’un redressement des conditions du crédit au premier trimestre de 2009. Le solde des opinions sur les conditions de crédit est passé de 76 % au quatrième trimestre de 2008 à 60 % au premier trimestre de 2009. Cette baisse serait attribuable à un assouplissement des modalités non tarifaires des prêts (donc autres que le taux d’intérêt). L’amélioration des conditions d’emprunt (vraisemblablement sur le plan de l’offre de capital et des garanties exigées) donne à penser que les institutions financières — essentiellement les banques — modèrent leurs exigences à l’endroit des emprunteurs[13]. Les conditions de crédit demeurent très serrées, mais la décision récente de la Banque du Canada de maintenir le taux cible du financement à un jour à 0,25 % d’ici un an et de se concentrer sur un assouplissement quantitatif et un assouplissement direct du crédit dans les mois à venir contribuera peut-être à dégager davantage les marchés canadiens du crédit[14].

Graphique 3

Graphique 3

Source : Banque du Canada, Enquête sur les perspectives des entreprises, vol. 6.1, 13 avril 2009.


[1]              Le Comité a traité séparément du secteur de l’automobile dans un autre sous-comité dont le rapport a déjà été publié (voir /content/Committee/402/INDU/Reports/RP3783523/402_INDU_Rpt02/402_INDU_Rpt02-f.pdf). Le Sous-comité n’entend pas faire double emploi et se concentrera donc sur les autres secteurs d’activité visés.

[2]              Global Insights Inc. signale des taux d’augmentation du produit intérieur brut réel à l’échelle mondiale de 2,6 %, 4,1 %, 3,4 %, 3,9 % et 3,7 % entre 2003 et 2007. Par PIB réel, on entend le PIB nominal corrigé de l’inflation.

[3]              L’indice des prix des marchandises de Statistique Canada, un indice à pondération fixe des prix au comptant ou prix de vente (en dollars américains) de 23 marchandises produites au Canada et vendues sur les marchés mondiaux, a progressé de 196 % entre 2002 et juin 2008, soit de plus de 33 % par an. Le volet énergie de l’indice a crû de 354 % durant la période, ce qui représente une hausse annuelle moyenne de 59 %.

[4]              Le dernier cycle des termes de l’échange a commencé durant le quatrième trimestre de 2001 quand le rapport de l’indice des prix à l’exportation à l’indice des prix à l’importation (2002 = 100), qui était à l’époque de 97,8, est passé à 124,3 durant le second trimestre de 2008, ce qui représente une progression de 27,1 % en seulement six ans et demi ou une augmentation annuelle moyenne de 4,2 % environ.

[5]              Le dollar canadien s’est apprécié de 55,4 % ou 45,6 % sur la base de l'indice de taux de change effectif du dollar canadien (indice TCEC) entre janvier 2002 et novembre 2007 et janvier 2002 et juin 2008, respectivement. L'indice de taux de change effectif du dollar canadien est une moyenne pondérée des taux de change bilatéraux du dollar canadien par rapport aux monnaies des principaux partenaires commerciaux du Canada. Les six monnaies étrangères comprises dans l'indice TCEC sont le dollar américain, l'euro, le yen japonais, la livre sterling, le yuan chinois et le peso mexicain.

[6]              La comparaison oppose le cours de référence (dénominateur) de 61,79 ¢ US le 21 janvier 2002 et le sommet de 1,1030 $ US le 7 novembre 2007.

[7]              Au moment de la rédaction du rapport, le dollar canadien venait d’amorcer une autre remontée et valait 89 ¢ US.

[8]              Banque du Canada, Rapport sur la politique monétaire, avril 2009.

[9]              Le Conference Board du Canada, Note de conjoncture canadienne, printemps 2009.

[10]           TD Economics, TD Quarterly Economic Forecast, 12 mars 2009.

[11]           D’après TD Economics, en 2006, les prêts hypothécaires à risque ont compté pour près du quart de tous les nouveaux prêts hypothécaires aux États-Unis, tandis que la proportion était de 5 % au Canada.

[12]           TD Economics, Why Canada’s Banks Have Fared Better than their International Peers during the Credit Crunch, 24 février 2009.

[13]           Les modalités non tarifaires des prêts, comme les garanties, sont conçues pour compenser le problème de l’antisélection; cela veut dire que ces conditions additionnelles placent un fardeau disproportionné sur les projets d’investissement ou les demandes de crédit qui présentent le plus de risque, ce qui réduit la probabilité de leur réalisation et a pour effet de rééquilibrer le portefeuille du prêteur vers des prêts moins risqués. L’assouplissement de ces modalités permet de penser qu’on observe des signes croissants d’amélioration des perspectives financières et du crédit.

[14]           Quand le taux du financement à un jour est très bas, l’effet des interventions de politique monétaire sur les mouvements des taux d’intérêt devient moins sûr et moins efficace. Premièrement, quand les taux d’intérêt sont très bas, les fonds du marché monétaire ont bien peu à offrir, sinon presque rien, après soustraction des frais de gestion. Cela peut entraîner la désaffection des investisseurs qui se tourneront vers d’autres types de placements, situation à laquelle on ne peut remédier qu’en réduisant les frais de gestion. Seulement, la réduction des frais de gestion peut entraîner des pertes d’exploitation et peut-être même acculer certains fonds du marché monétaire à la faillite. D’un autre côté, l’assouplissement quantitatif, qui compléterait les efforts déployés récemment par la Banque du Canada pour assouplir le crédit par l’offre d’accords de prise en pension qui n’ont pas pour effet d’élargir la base monétaire, consiste à imprimer de l’argent et à s’en servir pour acheter des biens financiers, surtout des obligations du gouvernement, mais aussi des biens privés comme des titres adossés à des éléments d’actif ou des obligations d’entreprises. L’afflux d’argent frais dans le système bancaire réduirait les rendements sur ces titres, encouragerait le crédit aux ménages et aux entreprises et augmenterait l’offre de dépôts, ce qui stimulerait la demande à l’égard d’autres effets financiers et ferait grimper les prix et baisser les rendements.