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CIIT Rapport du Comité

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Introduction

Ces dernières années, le gouvernement du Canada a fait du renouvellement de son engagement dans les Amériques l’une des premières priorités de sa politique étrangère. En témoignent différents programmes et initiatives, comme les nombreuses visites effectuées par le premier ministre et d’autres personnalités dans différents pays de l’hémisphère en vue de renforcer les liens diplomatiques et politiques, ou encore les efforts renouvelés visant le resserrement de nos liens économiques avec ces pays.

Afin de concrétiser l’objectif d’améliorer ses relations économiques avec les autres pays des Amériques, le Canada cherche à faire fond sur son réseau existant d’accords de libre-échange (ALE) dans la région. Il a déjà conclu des accords commerciaux avec les États-Unis, le Mexique, le Chili et le Costa Rica, poursuit ses négociations avec la République dominicaine et les quatre pays de l’Amérique centrale (4AC — Salvador, Nicaragua, Guatemala et Honduras) et explore la possibilité de négocier avec la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et le Panama. Enfin, le Canada a signé un ALE avec le Pérou en janvier 2008 et annoncé le 7 juin qu’il avait bouclé les négociations avec la Colombie, bien que l’accord n’ait pas encore été signé officiellement.

Les négociations avec la Colombie n’ont pas fait l’unanimité. Ce pays est aux prises avec le plus long conflit interne qu’ait connu l’Amérique du Sud — un conflit dans lequel le gouvernement s’efforce d’affirmer sa suprématie sur le territoire national malgré la résistance de groupes armés illégaux de gauche, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l’Armée de libération nationale (ELN) étant les plus connus, et de droite, les Autodéfenses unies de Colombie (AUC) et d’autres groupes paramilitaires.

Ce conflit persistant a donné lieu à d’innombrables violations des droits humains, dont des enlèvements, des meurtres ciblés et des déplacements internes massifs. Dans le contexte de négociations de libre-échange, le fait que des chefs syndicaux et des syndiqués soient fréquemment la cible d’actes de violence revêt un caractère particulièrement inquiétant.

Les points de vue étaient donc partagés sur la question de savoir si le Canada aurait dû chercher à conclure un accord de libre-échange avec la Colombie. Pour certains, la situation politique et les conditions de sécurité en Colombie se sont grandement améliorées, et les meurtres et les violations des droits humains ont considérablement diminué au cours des dernières années. À leur avis, un accord commercial non seulement produirait de la richesse pour la Colombie et le Canada, mais aiderait le gouvernement colombien à développer son économie légitime et à détourner les gens des groupes armés illégaux et de la production de narcotiques.

Pour d’autres, malgré des améliorations récentes, la Colombie conserve le plus sombre bilan de l’hémisphère au chapitre des droits de la personne. À leur avis, le Canada ne peut conclure en toute bonne foi un accord de libre-échange avec un pays qui bafoue à ce point les droits humains et les droits des travailleurs. Cela équivaudrait à un acquiescement implicite. Ceux qui adhèrent à ce point de vue se sont opposés dès le départ à la décision du Canada de négocier un accord commercial avec la Colombie et croient que, même si les négociations ont abouti, le Canada ne devrait signer aucune entente officielle avec ce pays tant que des organismes indépendants n’auront pas donné l’assurance que les violations des droits humains y sont choses du passé.

Compte tenu de l’immense intérêt soulevé par les négociations commerciales entre le Canada et la Colombie, le Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes a adopté, le 27 novembre 2007, une motion en vue d’examiner « comment les préoccupations relatives aux impacts environnementaux et aux droits de la personne sont prises en compte dans les négociations bilatérales en cours, et tout particulièrement dans les négociations bilatérales entre le Canada et la Colombie ». D’avril à juin 2008, le Comité a tenu des audiences sur le sujet et, du 11 au 14 mai, il a mené une mission d’enquête en Colombie. Il s’y est rendu dans le but exprès de se faire expliquer par des Colombiens et des Canadiens qui vivent là-bas les problèmes et défis auxquels ils doivent faire face et pour discuter des craintes entourant le bilan colombien en matière de droits humains ainsi que des répercussions que pourrait avoir un accord de libre-échange avec le Canada.

Le Comité avait l’intention de produire un rapport sur ses constatations, et notamment d’indiquer au gouvernement du Canada dans des recommandations s’il convenait de poursuivre les négociations avec la Colombie, et à quelles conditions. Malgré qu’une entente soit intervenue avant la fin des travaux du Comité, celui-ci croit que ses constatations n’en conservent pas moins leur valeur.

Le Comité a réuni une masse considérable de renseignements sur le commerce, les droits humains et l’environnement en Colombie. Nous relevons également que les négociations sont peut-être terminées, mais que l’accord n’a pas encore été officiellement signé. Une période de réflexion s’offre donc au gouvernement, lui permettant de prendre du recul par rapport au détail des négociations et d’envisager les implications et interprétations plus générales de l’accord.

COLOMBIE : Le contexte politique et économique

A. Le pays

Au cours de sa mission en Colombie, le Comité a découvert un pays de contradictions où rien n’est écrit noir sur blanc. Environ un sixième des 47,5 millions de Colombiens vivent dans la capitale, Bogotá, ville tentaculaire dont la superficie dépasse celle de New York ou de Mexico. La Colombie est aussi le deuxième pays du monde pour ce qui est de la diversité biologique. On y trouve 10 % des espèces végétales connues de la planète et d’immenses parties du pays sont recouvertes par la forêt dense. Les ressources naturelles y sont abondantes : bois d’œuvre, eau, émeraudes, pétrole, gaz naturel, charbon, fer, nickel, or et cuivre1. Mais les ressources naturelles de la Colombie comprennent également le coca et, à l’heure actuelle, le pays est la source d’environ 60 % de la production mondiale de cocaïne2.

Pour parvenir à comprendre ce qui se passe en Colombie, il est essentiel de savoir que le peuple, la politique et l’économie de ce pays souffrent des conséquences d’un conflit armé vieux de 40 ans, le plus long qu’ait connu l’hémisphère occidental. L’agitation débuta dans les années 1960, lorsque des groupes de guérilleros de gauche se formèrent en réaction contre la répartition du pouvoir politique et l’absence de réformes agraires. Pendant un certain temps, les agissements et les violations des droits humains de ces groupes armés illégaux demeurèrent circonscrits aux régions rurales, mais bientôt leur pouvoir s’intensifia grâce au trafic de stupéfiants. Le gouvernement se montrant incapable de résoudre la situation, des groupes paramilitaires privés de droite se formèrent. L’activité des paramilitaires et des groupes de guérilleros entraîna de nouvelles violations des droits humains des simples citoyens. En 1989, ils étaient devenus hors-la-loi au même titre que leurs vis-à-vis de la gauche.

Dans les années qui suivirent, les ravages infligés à la Colombie par ces groupes armés illégaux devinrent évidents. Ils avaient causé des déplacements massifs, des milliers de morts et de graves violations des droits de la personne, y compris des meurtres, des disparitions forcées et des enlèvements, en plus d’avoir gravement affaibli l’État. La Colombie avait réussi à s’épargner les dictatures militaires dont avaient souffert bon nombre de ses voisins de l’Amérique du Sud, mais l’interminable conflit avait rendu le gouvernement démocratique exsangue pour de nombreuses années. En particulier, le gouvernement ne pouvait exercer aucun contrôle à l’extérieur de la capitale et il n’avait aucune présence dans les régions isolées du pays. Comme l’a signalé l’ambassadeur de Colombie au Canada, Son Excellence Jaime Giron Duarte, et Thomas d’Aquino, du Conseil canadien des chefs d’entreprise, en 2002, 169 municipalités étaient pratiquement sans force de police et 131 maires exerçaient leurs fonctions à l’extérieur de leur juridiction parce qu’il était dangereux de le faire de l’intérieur.

B. Une transformation : le gouvernement d’Álvaro Uribe Vélez

C’est dans ce contexte qu’Álvaro Uribe Vélez est arrivé au pouvoir en 2002. Élu comme indépendant à la tête d’une coalition peu structurée de partis 3, le président Uribe est apparu aux yeux de beaucoup comme l’artisan de la stabilité et de la sécurité dans un pays qui commençait à sombrer dans le désespoir. Il a été réélu en 2006 pour un second et dernier mandat qui prendra fin en 2010. À la barre d’un gouvernement qui a pris parti en faveur de la sécurité et de la démocratie, de l’investissement ainsi que de la cohésion et de la responsabilité sociales, le président Uribe a adopté une ligne très dure à l’égard des FARC et déployé de sérieux efforts en vue de démobiliser les AUC. Promulguée en 2005, la Loi sur la justice et la paix constitue l’un des principaux ingrédients de ce processus de démobilisation — ceux qui acceptent de se démobiliser doivent confesser leurs actes et offrir réparation aux victimes de leurs crimes. En échange, on leur promet des peines allégées. Ce processus a donné lieu à l’exhumation de plus de 1 100 restes humains.

Le Comité a été heureux d’apprendre que la situation s’était grandement améliorée au cours des six dernières années sur le plan de la sécurité — une retombée des initiatives du gouvernement Uribe. À l’heure actuelle, les FARC opèrent dans des zones beaucoup plus réduites du pays et les groupes paramilitaires ont été officiellement démantelés, 31 000 individus ayant été démobilisés. Bien qu’on ait présenté au Comité des statistiques contradictoires, il apparaissait tout à fait clair que la violence avait régressé de façon spectaculaire. Des représentants du gouvernement colombien à Ottawa et à Bogotá ont souligné que, depuis 2002, la violence en général et les meurtres avaient diminué de moitié4 , et les enlèvements, de 90 % 5.

Par ailleurs, le fait que le nombre d’électeurs aux élections régionales 6 ait augmenté de 30 % et que l’économie de la Colombie donne des signes d’amélioration réelle témoigne aussi de la transformation du pays au cours des six dernières années. En 2007, le PIB par habitant s’élevait à 3 881,54 $ 7; quant à la croissance économique, elle a atteint 5,3 % en moyenne depuis 2002 et s’est établie à 7,6 % en 2007 8. M. d’Aquino a indiqué au Comité que l’inflation avait diminué à environ 5 %, tandis que les leaders économiques de la Colombie ont souligné que leur pays avait maintenant l’un des plus faibles taux d’inflation du continent. M. D’Aquino a aussi fait valoir que le tourisme avait doublé en Colombie au cours des cinq dernières années et que l’usage des routes du pays — routes qui, dans un passé encore récent, étaient trop dangereuses pour qu’on s’y aventure — avait considérablement augmenté.

À cause de tous ces changements, la popularité du président Uribe en Colombie atteint le pourcentage astronomique d’au moins 80 %. Le Comité a trouvé impressionnant que cette transformation se soit opérée en seulement six ans.

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C. Les problèmes qui demeurent

Pourtant, malgré tous ces changements, le Comité a dû reconnaître que la Colombie n’en avait pas terminé avec son passé de violence. Comme l’a indiqué un témoin à Bogotá, la transformation du pays n’est pas encore complète, l’ensemble du processus n’ayant pas atteint le point de non-retour. Pascal Paradis, d’Avocats sans frontières, a déclaré que les Nations Unies et l’Organisation des États américains considéraient que la pire crise des droits humains de l’hémisphère se déroulait encore en Colombie.

1. Implication du gouvernement

Parmi les accusations dont la Colombie continue de faire l’objet, les plus importantes sont peut-être celles qui lient le gouvernement colombien aux violations des droits humains et aux actes des groupes paramilitaires. Pendant une bonne partie de l’histoire récente du pays, on a accusé le gouvernement d’entretenir des liens étroits avec les groupes paramilitaires et d’avoir lui-même perpétré de graves violations des droits de la personne. À en juger par les témoignages que vient d’entendre le Comité, il est généralement admis que les violations des droits qui se poursuivent en Colombie sont surtout attribuables aux groupes armés illégaux. Toutefois, de nombreux groupes de défense des droits humains demeurent profondément préoccupés par l’inaction du gouvernement ou par sa tendance incessante à « fermer les yeux » sur les actes perpétrés par les groupes paramilitaires. Les organismes en question signalent aussi que, souvent encore, les forces gouvernementales sont directement impliquées dans des assassinats extrajudiciaires, des disparitions forcées, des arrestations arbitraires, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, comme la maltraitance de détenus et le harcèlement et l’intimidation de journalistes et de militants des droits de la personne.

Gerry Barr, du Conseil canadien pour la coopération internationale, et Alex Neve d’Amnistie internationale Canada, ont dit que, loin d’être une relique d’un passé lointain, les assassinats extrajudiciaires ciblés de civils par les forces de sécurité gouvernementales avaient même augmenté au cours des cinq dernières années. Dans le rapport annuel de 2008 d’Amnistie internationale, La situation des droits humains dans le monde, on indique qu’au cours de l’année ayant pris fin en juin 2007, les forces de sécurité ont été accusées de l’exécution extrajudiciaire de 280 personnes, principalement des paysans présentés par les militaires comme des guérilleros tués au combat. M. Neve a fait observer que le dossier de la plupart de ces meurtres avait été renvoyé à des tribunaux militaires, malgré une décision de la Cour constitutionnelle en 1997 exigeant qu’ils soient renvoyés à des tribunaux de droit commun. Par ailleurs, on continue de porter plainte contre le gouvernement devant des tribunaux colombiens et internationaux, comme la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

On a souligné au Comité que la corruption constituait un problème permanent en Colombie. La documentation fournie au Comité par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) du Canada tend à le démontrer : on y indique que plus de 30 membres du Congrès sont actuellement sous arrêt en Colombie, et que plus de 60 font l’objet d’une enquête pour des liens avec les paramilitaires depuis 2006. Malgré des écarts dans les chiffres fournis à ce sujet au Comité par différents témoins, il demeure évident qu’un fort pourcentage de parlementaires sont accusés de collusion avec des groupes paramilitaires.

2. Situation sur le plan de la sécurité : violations continues des droits humains par les groupes armés illégaux

En plus des accusations portées contre le gouvernement, le Comité a appris que de graves inquiétudes persistent au sujet de violations incessantes des droits de la personne en Colombie. Malgré l’importante initiative de démobilisation du gouvernement, des témoins à Ottawa et à Bogotá ont dit au Comité qu’un grand nombre de paramilitaires étaient encore actifs et qu’ils s’étaient simplement reconstitués en groupes « criminels » plus conventionnels. Dans le rapport de 2008 d’Amnistie internationale sur les droits humains, on note que 22 groupes criminels de ce type comprenant 3 000 combattants avaient été recensés au début de 2008; M. Paradis a pour sa part fait mention d’un rapport récent où il est question de 60 de ces groupes.

En fin de compte, on a clairement fait comprendre au Comité que malgré de réels progrès, le respect des droits humains demeure problématique et l’impunité continue de soulever de profondes inquiétudes. Les crimes haineux perpétrés par les groupes armés illégaux sont au cœur de ces préoccupations. Les groupes paramilitaires, les FARC et l’ELN continuent de commettre de nombreux crimes : meurtres politiques; enlèvements et disparitions forcées; torture; déplacements forcés; harcèlement et intimidation de juges, de procureurs et de témoins; recrutement d’enfants soldats; et harcèlement, intimidation et assassinat de journalistes, de défenseurs des droits humains et de syndicalistes.

La violence contre les travailleurs syndiqués, en particulier les enseignants, est très inquiétante. Comparativement à la situation d’il y a six ans, les statistiques sont certes encourageantes. M. Duarte a signalé que le nombre de meurtres de travailleurs syndiqués avait diminué de 70 % depuis la première élection du président Uribe. Le gouvernement colombien déclare que 200 syndiqués ont été tués en 2002, contre seulement 26 en 2007. Mais l’École nationale syndicale de Colombie situe à 39 le chiffre en question pour 2007. À cet égard, le rapport de 2008 sur les droits humains 9 du Département d’État des États-Unis signale qu’il peut exister un écart dans les chiffres car l’École syndicale inclut les conseillers non affiliés aux syndicats, les syndiqués à la retraite et inactifs de même que les membres d’organismes communautaires ruraux.

Il reste qu’en dépit de cette diminution, la violence contre les travailleurs syndiqués demeure un grave problème en Colombie. Le président Uribe a confirmé au Comité que le nombre de syndiqués tués jusqu’ici en 2008 semblait même avoir augmenté. Des chefs syndicaux colombiens ont déclaré au Comité que 30 syndiqués avaient été assassinés de janvier à mai 2008, tandis que Maria McFarlane, de Human Rights Watch, a cité des statistiques gouvernementales faisant état de 22 syndiqués assassinés au cours de ces quatre premiers mois. Pendant son séjour en Colombie, le Comité a constaté qu’on ne s’entendait pas sur la raison expliquant le nombre élevé de meurtres de syndiqués. Des témoins du gouvernement ont fait valoir que bon nombre de syndiqués n’avaient peut-être pas été tués à cause de leur appartenance à un syndicat et qu’on devrait en fait inclure ces meurtres dans les statistiques générales sur les homicides dans le pays. Des chefs syndicaux colombiens et M. d’Aquino ont par ailleurs informé le Comité du fait que les syndiqués étaient assassinés à un rythme équivalant à un septième de celui de la population en général (5 pour 100 000 comparativement à 34 pour 100 000 en 2007). Mais quelle que soit l’explication, les travailleurs syndiqués continuent d’être menacés et assassinés en grand nombre.

À ce chapitre, les gouvernements canadien et colombien ont tous deux mentionné au Comité que le gouvernement colombien prenait d’importantes mesures pour protéger les syndiqués. L’administration Uribe a consacré 10,5 millions de dollars à ce dossier en 2007 et il a créé au Bureau du procureur général une unité spéciale chargée d’enquêter sur les crimes contre les syndiqués, ce qui a donné lieu à 105 condamnations jusqu’ici.

Afin de collaborer avec le gouvernement colombien dans les dossiers de la main-d’œuvre et en réponse aux attaques ciblées contre des syndiqués, l’Organisation internationale du travail (OIT) a supervisé la signature d’un accord tripartite sur la liberté d’association et la démocratie intervenu entre le gouvernement, les employeurs et les associations de travailleurs en 2006. Cet accord a été salué comme une réussite de premier plan par l’organisme international, qui possède maintenant en Colombie un bureau permanent pour faciliter la mise en œuvre des engagements contenus dans l’accord, notamment en ce qui concerne les droits des travailleurs et les garanties syndicales ainsi que la promotion du dialogue social.

Par ailleurs, le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH-ONU) a aussi ouvert un bureau en Colombie, en 1997, afin d’observer le respect des droits humains et du droit international humanitaire et d’en faire rapport, de fournir des conseils et services de coopération technique au gouvernement et d’aider au renforcement des autorités nationales et de la société civile. Le Comité a appris que les relations entre le gouvernement colombien et le HCDH-ONU n’avaient pas toujours été sans heurts, mais le mandat de l’ONU a néanmoins été renouvelé pour trois autres années en 2007.

3. Commerce de la drogue

Informé du fait que la Colombie est le premier producteur mondial de cocaïne, le Comité n’a guère été surpris d’apprendre que le commerce de la drogue avait considérablement influé sur les événements des 40 dernières années dans ce pays. Les responsables de l’ONU qui s’y trouvent ont insisté sur le rôle important que la drogue et le crime organisé ont joué dans le retard des institutions démocratiques et du développement socioéconomique du pays. Mais l’exacerbation du conflit armé lui-même par le commerce des stupéfiants revêt énormément d’importance. Ce commerce semble être à la base, ou le facteur aggravant, de presque tous les maux de la Colombie. De nombreux témoins ont indiqué au Comité que les stupéfiants étaient effectivement devenus la force motrice des groupes armés illégaux et, en particulier, des FARC. La production de stupéfiants a alimenté le conflit en permettant le financement d’opérations et en suscitant des affrontements pour le contrôle des terres utilisées à cette fin et, inversement, le chaos engendré par le conflit a favorisé la croissance du commerce en question. À l’heure actuelle, les groupes illégaux ne cherchent plus tant à s’attaquer les uns des autres qu’à pourvoir à ce commerce. Au cours des dernières années, ils sont également devenus plus petits et moins organisés, ce qui les rend plus difficiles à contrôler par le gouvernement.

Des responsables de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) ont signalé au Comité les efforts immenses déployés par le gouvernement colombien en vue de combattre le commerce des stupéfiants, qualifiant d’« inégalées » les initiatives gouvernementales 10. Selon eux, le gouvernement a consacré des sommes énormes à la lutte contre ce commerce et la Colombie est l’un des seuls pays où une grande partie des fonds affectés à la lutte contre la drogue et à la création de moyens de subsistance durables provient du gouvernement.

Tout comme le HCDH‑ONU et l’OIT, l’UNODC possède un bureau en Colombie. Celui-ci travaille de concert avec le gouvernement afin de lutter contre la production de drogues illicites, le crime et le terrorisme en appuyant la société civile et en encourageant d’autres formes de développement rural et des cultures de substitution, en contribuant à l’application de la loi et à la prévention du crime et en renforçant les institutions colombiennes. Le Comité a constaté des progrès dans la lutte contre le commerce de la drogue. La documentation fournie par le MAECI indique que, de 2005 à 2006, la culture du coca a diminué de 9 %, passant de 86 000 à 78 000 hectares, et que d’intéressantes initiatives sont prises dans certaines collectivités en vue de trouver des cultures de remplacement. Toutefois, la production de cocaïne demeure un problème qui est loin d’être résolu en Colombie.

4. Déplacements

La Colombie est aux prises avec un autre grave problème : les déplacements de population engendrés par des actes de violence appréhendés ou réels, ou encore par le vol de terres que commettent les groupes armés illégaux. Plus de trois millions de personnes ont été déplacées dans le pays au cours des 40 années du conflit interne, ce qui fait de la Colombie le deuxième pays du monde, après le Soudan, pour ce qui est du nombre de personnes déplacées à l’intérieur de ses frontières. Cela correspond à 7 % de la population colombienne, un groupe principalement formé des éléments les plus vulnérables de la société : les femmes, les Autochtones et les Afro-Colombiens. Le mouvement tend à se matérialiser de la campagne vers la ville : les gens chassés de leurs terres se retrouvent dans des agglomérations urbaines où ils forment des collectivités informelles autour de centres-villes en expansion perpétuelle.

Le Comité a visité l’une de ces collectivités sur les collines entourant Bogotá : Soacha. Cette « banlieue » est un enchevêtrement de maisons et de cabanes que les habitants ont construites eux-mêmes, mais encore privées d’eau courante et des autres commodités normalement fournies par la ville. Le taux de chômage se situe à 15,4 %, soit beaucoup plus que la moyenne nationale, et la pauvreté y est de toute évidence généralisée. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés y a établi un bureau afin de prêter main-forte aux habitants en fournissant des services comme l’instruction scolaire des enfants.

Le Comité a appris que les déplacements se poursuivent : chaque jour, 49 nouvelles familles arrivent à Bogotá et dans les collectivités environnantes. Le gouvernement colombien a fait valoir que les déplacements avaient chuté de 75 % depuis 2002, mais des rapports d’Amnistie internationale et du Département d’État américain continuent d’indiquer que 305 000 personnes de plus ont été déplacées en 2007. Le gouvernement verse de l’argent aux groupements de personnes déplacées à l’intérieur du pays et il offre des subventions au logement et aux services de santé afin de rendre la situation plus supportable. Toutefois, des responsables à Soacha ont insisté pour dire que cet argent n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des problèmes engendrés par les déplacements en Colombie.

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5. Questions socioéconomiques

Le Comité relève que chacun des points examinés ci‑dessus doit être envisagé dans le contexte de l’actuelle situation socioéconomique en Colombie, laquelle, malgré des améliorations récentes, continue de se démarquer par une pauvreté et des inégalités importantes. L’ambassadeur du Canada en Colombie, Matthew Levin, et M. Duarte ont fait remarquer que la pauvreté avait diminué sous le régime actuel. Il demeure qu’en 2006, 47 % de la population vivait encore sous le seuil de la pauvreté, et 12 % dans la pauvreté absolue. Dans un rapport de 2006 de l’HCDH‑ONU 11, on souligne que c’est en milieu rural que règnent les pires conditions : la pauvreté y atteignait 68,2 % en 2006. À l’heure actuelle, le gouvernement prend des mesures en vue de ramener au moins à 35 % le taux de pauvreté d’ici la fin du mandat du président Uribe, en 2010, tout en réduisant la pauvreté absolue à 8 %.

Les ambassadeurs ont aussi fait observer que le taux de chômage avait diminué à 11 % en 2007; il n’en demeurait pas moins l’un des plus élevés en Amérique latine. Cependant, certains témoins contestent les statistiques sur l’emploi, affirmant que cette baisse est attribuable au moins en partie à des modifications de la définition de personne occupée en Colombie. En effet, certains membres des syndicats du secteur public soutiennent qu’il suffit à un Colombien de travailler huit jours dans l’année pour être considéré comme occupé. Le sous-emploi constitue une autre source de préoccupation; en effet, une grande partie de la population colombienne travaille également dans le secteur non structuré, comme dans le système désuet de recyclage qui opère à Bogotá. Le gouvernement a pour but de ramener le chômage à un niveau de 7 à 9 % d’ici à 2010.

Sur papier, le programme d’éducation de la Colombie semble être un succès : il existe un certain nombre d’universités et 92 % des enfants sont inscrits à l’école primaire, comme l’a fait remarquer M. Duarte. Toutefois, le gouvernement et d’autres témoins ont reconnu que la qualité du système d’éducation demeurait problématique et que bon nombre d’enfants n’avaient toujours pas accès à l’instruction après le primaire. Les FARC sont aussi très présentes dans un bon nombre d’universités. À l’heure actuelle, le gouvernement offre de nombreux incitatifs aux familles afin de garder les enfants à l’école, et le but du président Uribe est de pouvoir offrir l’éducation universelle d’ici la fin de son mandat.

Enfin, le Comité a entendu de nombreux témoins faire l’éloge du système de santé du pays, et le vice-président colombien a signalé que plus de 70 % de la population était couverte par l’assurance-maladie en 2008. Le but du gouvernement est d’instituer d’ici à 2010 une protection pour tous en matière de santé. Mais d’autres témoins ont remarqué que, comme pour le système d’éducation, le système de santé paraît mieux sur papier et que beaucoup de gens, en particulier dans les régions rurales, n’ont qu’un accès très limité aux services.

6. Environnement

Au chapitre de l’environnement, M. Duarte et certains groupes environnementaux de la Colombie ont signalé au Comité de plusieurs initiatives déterminantes de la part du gouvernement. On a créé un cadre juridique important en vue de protéger l’environnement et plus d’un million d’hectares ont été intégrés aux parcs nationaux. Ces dernières années, le gouvernement a également reboisé 30 000 hectares et, en 2006, il avait réduit de 44 % les substances responsables de l’appauvrissement de l’ozone. M. Duarte a indiqué que le gouvernement espérait avoir éliminé complètement les substances en question d’ici la fin du mandat du président Uribe.

Néanmoins, d’après la documentation fournie au Comité par le MAECI et les groupes environnementaux qui travaillent en Colombie, malgré le cadre juridique en question, les normes environnementales sont généralement inefficaces et leur mise en œuvre sur le terrain est limitée. L’exploitation agricole, minière et forestière a donné lieu à une dégradation des sols et à une déforestation rapides, et 200 000 hectares de forêts sont perdus chaque année à cause des cultures illégales. En outre, deux millions d’hectares ont fait l’objet de coupes à blanc au cours des 20 dernières années, afin de permettre la culture du coca, et de nombreux cours d’eau sont contaminés. Le Comité lui-même a pu observer une grave pollution atmosphérique dans des centres urbains comme Bogotá. Les initiatives amorcées sont valables, mais les problèmes environnementaux demeureront pendant encore longtemps un sujet de vive inquiétude en Colombie.

D. Dernières observations

Le Comité a été impressionné par les changements que le gouvernement Uribe a réussi à apporter au cours de ses six années au pouvoir et il souhaite vivement voir les choses continuer à évoluer dans la même direction. Néanmoins, les défis auxquels le pays doit faire face sur les plans politique, socioéconomique, environnemental et des droits humains représentent un lourd fardeau dont il sera difficile de se départir. Les simples citoyens sont aux prises avec de graves difficultés qui mettent en jeu leur existence même, sans parler de leur bien-être au quotidien. Toutefois, le Comité a vu des signes qui donnent à penser que le gouvernement actuel a le potentiel voulu pour transformer la Colombie en un pays capable de satisfaire aux besoins et désirs de son peuple, à condition que ce potentiel soit géré avec détermination, honnêteté et compassion.

LES RELATIONS DU Canada ET DE LA COLOMBIE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE

A. Négociation d’un accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie

Les premiers pas de la négociation d’un accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie remontent à 2002, c’est-à-dire aux discussions exploratoires initiales du Canada sur la possibilité de conclure un accord de libre-échange avec les membres de la Communauté andine, à savoir le Pérou, la Colombie, l’Équateur et la Bolivie. Quatre séries d’entretiens préparatoires ont déjà eu lieu, la dernière en décembre 2006, lors de laquelle il a été décidé que le Canada amorcerait la négociation en bonne et due forme d’accords de libre-échange avec la Colombie et le Pérou, sans exclure la possibilité d’en faire autant ultérieurement avec l’Équateur et la Bolivie.

Le 7 juin 2007, le ministre du Commerce international a annoncé officiellement la négociation d’accords de libre-échange avec la Colombie et le Pérou, dans le contexte du renouvellement de l’engagement du Canada dans les Amériques décrit dans la Stratégie commerciale mondiale du gouvernement. Quatre séances de négociations entre les trois pays ont eu lieu, la dernière à Lima, du 26 au 30 novembre 2007. Le 28 janvier 2008, le Canada et le Pérou ont annoncé l’aboutissement des négociations à l’occasion d’une rencontre à Davos, en Suisse.

La conclusion des négociations avec la Colombie a été annoncée le 7 juin 2008. Reste maintenant aux deux pays concernés à faire faire un examen juridique des textes négociés avant la signature officielle des accords. Une fois cet examen terminé et les accords signés, les textes seront publiés. D’après le MAECI, les traités seront présentés à la Chambre des communes pendant une période de 21 jours de séance, après quoi un projet de loi de mise en œuvre des accords sera déposé.

D’après Carol Nelder-Corvari, directrice de la Division de la politique commerciale internationale au ministère des Finances, dans ses négociations avec la Colombie, le Canada cherchait à conclure un accord de libre-échange global de haute qualité. Cet accord couvre les marchandises, les services, l’investissement, les travaux publics, le règlement des différends et contient des dispositions institutionnelles. Les audiences du Comité ont eu lieu avant la signature de l’accord. À l’époque, certains éléments exigeaient des négociations plus poussées, notamment l’accès des marchandises au marché, les règles d’origine, l’investissement, le règlement des différends et les dispositions institutionnelles. Cependant, comme les négociations se sont déroulées à huis clos, le Comité ignorait quelles questions en particulier faisaient problème.

B. Les relations économiques

Le Canada a de solides relations avec la Colombie sur le plan économique. De nombreuses sociétés canadiennes sont bien établies en Colombie et les échanges commerciaux entre les deux pays se multiplient rapidement.

1. Le commerce des marchandises

Les échanges bilatéraux de marchandises entre le Canada et la Colombie ont frisé un record en 2007, totalisant 1,14 milliard de dollars, dont 662 millions de dollars d’exportations du Canada vers la Colombie et 437 millions de dollars d’importations en provenance de ce pays. L’excédent commercial de 188 millions de dollars qui en est résulté était le premier à ce chapitre depuis 1998.

L’importance de la Colombie comme partenaire commercial du Canada, en particulier comme marché pour les exportations canadiennes, a crû depuis 1999. Dans les cinq dernières années, les exportations canadiennes de marchandises à destination de la Colombie ont progressé en moyenne de 14 % par an, contre une moyenne annuelle de 2,6 % pour l’ensemble des exportations du Canada dans le monde. Quant aux importations de marchandises en provenance de la Colombie, elles aussi augmentent à un rythme supérieur à la moyenne, mais la différence est moins prononcée.

La Colombie est la cinquième destination en importance des exportations canadiennes en Amérique latine et dans les Caraïbes, et la septième source d’importations en provenance de cette région. Cependant, malgré la vigoureuse progression des échanges bilatéraux ces dernières années, l’importance de la Colombie comme partenaire commercial du Canada dans l’Amérique latine et les Caraïbes n’évolue pas; les échanges du Canada avec la plupart des grandes économies de la région ont considérablement augmenté ces dernières années.

Les exportations du Canada vers la Colombie sont variées : denrées agricoles et produits dérivés de matières premières, d’une part, et produits manufacturés, d’autre part. Les deux plus importantes catégories d’exportations vers la Colombie, les véhicules automobiles et pièces de véhicules et les céréales, ont compté pour 23 % et 19 % respectivement des exportations totales de marchandises en 2007.

Pour ce qui est des marchandises en particulier, les plus importantes exportations canadiennes sont le blé (102 millions de dollars en 2007), suivi de près par les pièces d’automobiles (92 millions de dollars). Viennent ensuite les camions de transport, les légumineuses à grain, le papier journal et les engrais. Les produits industriels et les produits manufacturiers sont de loin les produits d’exportation qui ont crû le plus depuis cinq ans.

Quant aux importations en provenance de la Colombie, elles sont dominées par les produits alimentaires et les produits énergétiques. L’énergie, largement sous la forme de charbon et de produits connexes, a compté pour 31 % du total en 2007, tandis que les produits agricoles et les produits alimentaires en représentaient 58 %. En fait, le Canada n’achète que quatre produits de la Colombie en quantités appréciables : du charbon et des produits connexes (138 millions de dollars), du café (115 millions de dollars), des bananes (72 millions de dollars) et des fleurs coupées (62 millions de dollars). Le Canada importe par ailleurs de petites quantités de sucre brut et de sucre raffiné.

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2. Le commerce des services

Comparativement au commerce des marchandises, les échanges de services entre le Canada et la Colombie sont relativement modestes. Les exportations canadiennes de services (« recettes ») ont quadruplé depuis 1990, mais elles n’ont pas encore passé la barre des 100 millions de dollars. Grâce à la vigueur des services commerciaux, les recettes totales au titre des services ont atteint un sommet de 94 millions de dollars en 2005, la dernière année pour laquelle on dispose de données.

D’après le MAECI, les principaux intérêts du Canada en Colombie dans le secteur des services concernent le pétrole et le gaz, les mines, le génie, l’architecture, l’environnement et les technologies de l’information.

Au chapitre des importations de services en provenance de la Colombie, les « paiements » à ce titre sont encore plus modestes et ont totalisé 67 millions de dollars en 2005. Cependant, grâce à l’augmentation des voyages de Canadiens en Colombie, les paiements de services ont beaucoup progressé par rapport à 2004.

3. Investissement direct à l’étranger

Les investissements directs du Canada en Colombie constituent une part rapidement croissante des relations économiques du Canada avec la Colombie. Comme le climat de sécurité de la Colombie va s’améliorant, de plus en plus d’entreprises canadiennes envisagent des investissements directs sur ce marché. En conséquence, l’investissement canadien en Colombie a plus que doublé en 2007 pour passer à 739 millions de dollars. D’après le MAECI, l’investissement du Canada en Colombie devrait continuer de progresser rapidement, tiré par les entreprises qui s’intéressent aux ressources de la Colombie dans le secteur du pétrole et du gaz et dans le secteur minier.

Carol Nelder-Corvari estime que l’investissement canadien en Colombie est maintenant encore plus considérable, atteignant d’après elle plus de 2 milliards de dollars rien que dans les industries extractives. En outre, ces investissements sont en partie responsables de l’augmentation des exportations de machines fabriquées au Canada, comme du matériel d’exploitation de mines et du matériel de transport.

L’investissement direct colombien au Canada est négligeable.

C. Relations politiques et sociales

Les relations bilatérales Canada-Colombie ne se bornent pas aux échanges de marchandises, de services et d’investissements directs, mais comportent aussi un important volet politique, social et de développement. Le Canada est actif en Colombie où il cherche à consolider la paix, la sécurité et le respect des droits de la personne par divers moyens, notamment par un soutien financier et politique des efforts de consolidation de la paix, l’aide au développement à long terme et la promotion des droits de la personne.

Comme l’a dit James Lambert, directeur général du Bureau de l’Amérique latine et des Antilles au MAECI :

Notre engagement envers la Colombie découle de la priorité qu’attache le gouvernement du Canada au renforcement de son engagement dans les Amériques. Le Canada est résolu à exercer son leadership au sein des Amériques et à promouvoir une plus grande prospérité, une sécurité rehaussée et nos valeurs fondamentales que sont la liberté, la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit 12.

M. Lambert a fait ressortir les engagements particuliers du Canada en Colombie, notamment au sujet du problème du respect des droits de la personne dans ce pays, faisant remarquer que le Canada a depuis longtemps l’habitude de défendre les droits de la personne dans les tribunes multilatérales comme l’Assemblée générale des Nations Unies et le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Il a dit que le Canada suivait de près la situation des droits de la personne en Colombie par l’intermédiaire de son ambassade à Bogotá où l’ambassadeur Matthew Levin et son équipe « rencontrent régulièrement leurs homologues de pays aux vues similaires, de même que des représentants d’organisations internationales, des institutions étatiques colombiennes ainsi qu’un large éventail d’organisations de la société civile, afin de dialoguer au sujet de la situation des droits de la personne en Colombie et de l’évaluer 13 ».

Le Canada est aussi un membre actif du G-24, un mécanisme international de coordination qui accompagne la Colombie et qui, d’après le MAECI, réunit des membres de la communauté internationale pour aider le gouvernement et la société civile de la Colombie à instituer une paix durable. Le Canada a assumé deux fois la présidence du G‑24, la dernière fois durant la première moitié de 2007.

Enfin, le Canada soutient les efforts de consolidation de la paix en Colombie par de l’aide financière acheminée par l’intermédiaire du MAECI et du Fonds pour la paix et la sécurité mondiales. Selon le MAECI, le Canada a versé 3,6 millions de dollars à des organisations multilatérales, intergouvernementales et non gouvernementales vouées à la promotion ainsi qu’à la protection des droits des victimes, à la lutte contre l’impunité et à la consolidation de la paix 14.

UN ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE AVEC LA COLOMBIE : LE POUR ET LE CONTRE

Durant les audiences qu’il a tenues au Canada et en Colombie, le Comité a entendu des vues divergentes quant à l’opportunité, pour le Canada, de négocier un accord de libre-échange avec la Colombie. Maintenant qu’un accord a été paraphé, les mêmes questions demeurent au sujet de la signature et de la mise en œuvre de celui-ci par le Canada.

Pour certains, la Colombie présente des débouchés intéressants pour les entreprises canadiennes et la conclusion d’un accord fournirait au Canada l’occasion de montrer qu’il soutient les efforts déployés par la Colombie pour lutter contre la violence, les violations des droits de la personne, la production de stupéfiants et la corruption des fonctionnaires. Pour d’autres en revanche, la violence et les violations des droits de la personne sont des raisons suffisantes pour déserter la table des négociations.

Tous les témoins ne tombent cependant pas nécessairement dans l’une ou l’autre de ces deux catégories générales. Certains estiment en effet qu’un accord de libre-échange pourrait promouvoir la paix, la sécurité et le bien-être en Colombie, mais seulement à la condition que l’accord soit de vaste portée et qu’il ne mette pas l’accent uniquement sur la libéralisation des échanges, mais contienne aussi des dispositions significatives et exécutoires portant sur des questions comme les syndicats, les droits de la personne, l’environnement, et la responsabilité sociale des entreprises. Comme l’ALE était en cours de négociation durant les audiences du Comité, ces personnes réservaient leur opinion : leur soutien à l’accord dépendait des mesures contenues dans le texte final.

Le Comité a entendu des arguments pour et contre la conclusion d’un accord de libre-échange avec la Colombie dont les principaux sont résumés ci-dessous.

A. Le pour

1. Amélioration de l’accès du Canada au marché colombien

On a fait valoir au Comité que la conclusion d’un accord de libre-échange avec la Colombie améliorerait l’accès du Canada à un important marché sud-américain en pleine croissance. La Colombie compte 47,5 millions d’habitants, applique des politiques macroéconomiques saines et a une économie en pleine expansion. Elle affiche des taux de croissance enviables depuis quelques années, et le Fonds monétaire international projette à cet égard une progression moyenne de 5 % par an dans les cinq prochaines années. On prévoit que les revenus générés par la croissance susciteront un accroissement de la demande de produits importés, notamment en provenance du Canada.

Des témoins ont dit au Comité que les exportateurs canadiens peuvent s’attendre qu’un ALE améliore leur accès au marché colombien grâce notamment à la suppression des droits de douane, à la réduction des barrières non tarifaires et à l’amélioration de la sécurité des investissements. Dans l’ensemble, les produits canadiens exportés en Colombie sont assujettis à des droits de douane beaucoup plus élevés que les produits colombiens importés au Canada. Dean Beyea, chef principal de la Division de la politique commerciale internationale à la Direction des finances et des échanges internationaux du ministère des Finances, nous a dit que la Colombie imposait des droits de douane moyens de 11 % sur les produits industriels et de 17 % sur les produits agricoles.

Par comparaison, environ 80 % des exportations colombiennes (charbon, bananes, café, pétrole et sucre brut) entrent déjà au Canada en franchise de droits. Qui plus est, les droits sur les fleurs coupées, l’autre grande exportation colombienne, sont négligeables. En abaissant les droits colombiens sur les produits canadiens, un accord de libre-échange procurera aux compagnies canadiennes un accès au marché colombien analogue à celui dont jouissent déjà les Colombiens qui exportent au Canada, a-t-on dit au Comité.

La réduction des droits colombiens pourrait être extrêmement intéressante pour les exportateurs canadiens. Bob Friesen de la Fédération canadienne de l’agriculture a signalé que les produits agricoles comme le blé, l’orge, les légumineuses à grain, le porc et le bœuf sont frappés de droits de douane relativement élevés en Colombie, qui varient entre 15 % pour les céréales et la plupart des légumineuses et 80 % sur les produits du bœuf.

D’ailleurs, le Comité a appris que si, dans l’ensemble, la Colombie n’est pas un grand marché d’exportation pour le Canada, elle constitue néanmoins un marché important pour un certain nombre de produits agricoles. Carl Potts de Pulse Canada a signalé à cet égard que, à l’échelle mondiale, la Colombie est le septième marché des légumineuses canadiennes et figure parmi les cinq premiers pour certains produits comme les haricots verts, les pois secs et les pois chiches. Elle constitue aussi un marché intéressant pour les exportations canadiennes de blé et d’orge et présente des perspectives considérables pour les producteurs de porc et de bœuf.

Les producteurs de produits industriels aussi pourraient voir leurs débouchés sur le marché colombien s’améliorer. Dean Beyea a fait remarquer en particulier que les droits colombiens sur le fil de coton et les produits du papier fabriqués au Canada sont de 15 % et 20 % respectivement, ce qui n’est pas négligeable. Pour lui, un accord de libre-échange sera avantageux pour ces secteurs et d’autres encore qui ont éprouvé des difficultés ces dernières années en partie à cause de l’appréciation du dollar canadien.

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2. Le Canada et la Colombie : des économies complémentaires

Certains témoins ont fait remarquer qu’il est peu probable qu’un accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie ait des effets fâcheux sur l’économie canadienne, notamment du fait que la grande majorité des produits colombiens qui entrent au Canada sont déjà exempts de droits de douane. On a signalé par ailleurs que les économies du Canada et de la Colombie sont complémentaires dans la mesure où il y a très peu de concurrence directe entre les deux au niveau des principaux produits d’exportation et d’importation. Le Canada importe de Colombie surtout du charbon, du café, des bananes, des fleurs coupées et du sucre brut et y exporte essentiellement des véhicules automobiles, des produits manufacturés, du blé, du papier et des légumineuses. Jean-Michel Laurin des Manufacturiers et Exportateurs canadiens nous a dit :

En ce qui a trait aux secteurs plus à risque, il y a une bonne complémentarité. On produit beaucoup de matériel que les Colombiens ne produisent pas, et vice versa. Les Colombiens exportent du café et des bananes. J’aimerais bien qu’on puisse en produire davantage au Canada, mais nous n’avons pas le bon climat15.

Ainsi, la signature d’un accord commercial entre le Canada et la Colombie risque peu d’avoir des répercussions fâcheuses sur les producteurs canadiens.

Un secteur cependant a exprimé des préoccupations au sujet du libre-échange avec la Colombie : celui du sucre. La Colombie est un important producteur mondial de sucre et l’industrie canadienne craint les conséquences sur la production canadienne d’un afflux de sucre raffiné en provenance de Colombie. La présidente de l’Institut canadien du sucre Sandra Marsden a admis que la Colombie n’est pas un marché naturel du sucre canadien, car les frais de transport suffiraient à eux seuls à tuer à compétitivité du sucre canadien en Colombie. Ainsi, un accord commercial prévoyant un accès réciproque au marché ne présenterait aucun intérêt pour les producteurs canadiens.

Mais la question est plus complexe qu’il n’y paraît et ce serait simplifier à outrance que de se contenter de dire que l’industrie canadienne du sucre ne peut pas soutenir la concurrence des entreprises colombiennes. L’industrie sucrière est l’une des plus protégées du monde. Comme l’a dit Mme Marsden, « à quelques exceptions près, presque tous les gouvernements interviennent dans leur secteur du sucre pour maintenir les prix au-dessus des cours internationaux, protéger les producteurs contre la concurrence des importations, et ajouter des subventions et d’autres incitatifs à l’exportation 16 ».

Ces distorsions et entraves à l’accès aux marchés sur le marché mondial du sucre compliquent la vie des producteurs de sucre canadiens. Le Canada est en effet l’un des rares pays qui ne subventionne pas son industrie sucrière et il ne la protège pas non plus par des droits de douane ou d’autres restrictions de l’accès au marché canadien. Pis, dans un contexte où tant de facteurs faussent les échanges, les pays dans lesquels le sucre canadien est compétitif, comme les États-Unis, sont pratiquement fermés aux importations en provenance du Canada.

Les producteurs de sucre canadien espèrent que le cycle actuel de négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) remédiera aux distorsions et aux restrictions de l’accès aux marchés du sucre. Jusque-là, cependant, ils voient mal l’intérêt de conclure un accord de libre-échange qui ouvre le marché canadien du sucre à la Colombie tant que les producteurs canadiens seront exclus de leurs marchés d’exportation naturels par les mesures protectionnistes d’autres pays. En conséquence, Mme Marsden a demandé que le gouvernement canadien conserve les droits de douane courants de 8 % environ sur les importations de sucre raffiné en provenance de la Colombie tant et aussi longtemps que la libéralisation des marchés mondiaux du sucre n’aura pas progressé à l’OMC.

3. Préserver la position concurrentielle du Canada

Une bonne partie des témoins qui souscrivent à la conclusion d’un accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie sont motivés dans une large mesure par des considérations stratégiques. Ils craignent en effet que le Canada perde du terrain vis-à-vis de ses principaux concurrents s’il ne conclut pas un accord favorable avec la Colombie.

C’est que la Colombie s’est donné un ambitieux programme de négociation d’accords de libre-échange, notamment avec l’Union européenne, le Chili, le Mexique et l’Association européenne de libre-échange. Or, certains de ces pays sont d’importants concurrents du Canada. Comme l’a dit Thomas d’Aquino, « le Canada ne peut se permettre de prendre du retard s’il veut rester compétitif et ne pas se faire exclure de ce marché par des négociateurs plus agressifs 17 ».

Le plus important cependant pour les entreprises canadiennes, c’est que la Colombie a déjà négocié un accord de libre-échange avec les États-Unis. Pour le moment, l’accord est en suspens parce que la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi refuse de déposer le projet de loi de mise en œuvre au Congrès en raison des préoccupations que soulèvent la situation des droits de l’homme et la sécurité en Colombie, ainsi que les répercussions potentielles des accords de libre-échange sur l’emploi aux États-Unis.

Impossible donc de savoir pour le moment si la loi sera déposée. Beaucoup de gens pensent que l’accord sera ratifié tôt ou tard, mais d’autres affirment qu’il ne le sera jamais.

Beaucoup de témoins sont extrêmement inquiets à l’idée que la Colombie a négocié un accord de libre-échange avec les États-Unis et qu’il sera peut-être un jour ratifié. À leur avis, si les États-Unis ratifient un accord commercial avec la Colombie et pas le Canada, les entreprises canadiennes se retrouveront dans une position désavantageuse par rapport à leurs concurrents américains. À titre d’exemple, le Comité a reçu une lettre de la Commission canadienne du blé dans laquelle celle-ci dit souscrire à la conclusion d’un ALE, car si ce projet échoue, le blé et l’orge canadiens pourraient, contrairement aux produits américains, être assujettis à des droits de 15 % sur le marché colombien, ce qui aurait pour effet d’exclure les agriculteurs canadiens de ce marché.

D’ailleurs, presque tous les témoins représentant l’agriculture et d’autres associations d’entreprises appuient fortement la négociation d’un ALE avec la Colombie au motif qu’ils ne veulent pas perdre du terrain dans ce pays au profit des États-Unis et d’autres concurrents. Pour cette raison, certains témoins ont fait valoir qu’il était essential que le Canada négocie avec la Colombie un accord offrant aux industries canadiennes des concessions identiques à celles qu’ont obtenues les États-Unis sur le plan des droits de douane et de l’accès au marché.

Par exemple, John Masswohl de la Canadian Cattlemen’s Association a signalé que la Colombie a offert au bœuf américain des conditions plus avantageuses que celles dont jouit actuellement le bœuf canadien. M. Masswohl estime critique pour la survie à long terme de l’industrie canadienne et la préservation et la création d’emplois à valeur ajoutée que le Canada bénéficie de modalités d’accès au marché colombien compétitives.

Chaque fois que les États-Unis obtiennent un meilleur accès pour leur bœuf que le Canada, il devient plus difficile de justifier l’abattage du bétail au Canada, et nous devenons de plus en plus dépendants de l’obligation d’expédier des bovins sur pied aux États-Unis, leur permettant ainsi d’ajouter de la valeur là-bas 18.

Cependant, on a dit au Comité que le Canada risque de ne pas obtenir le même accès que les États-Unis au marché colombien en raison de ses propres réticences. Durant son voyage en Colombie, le Comité a appris que les États-Unis avaient offert à la Colombie des conditions d’accès au marché américain des produits agricoles meilleures que ce que le Canada est prêt à offrir à la Colombie comme accès à son propre marché en raison de la politique canadienne d’imposition de droits élevés pour bloquer l’importation hors contingent de produits à offre réglementée. On a fait valoir que le Canada peut difficilement obtenir le même niveau d’accès que les États-Unis s’il n’est pas prêt à offrir autant qu’eux.

4. Protection des droits de la personne

Abstraction faite des questions économiques, un nombre surprenant de témoins, notamment des groupes de défense des droits de la personne de Colombie, ont exprimé leur appui à un ALE Canada-Colombie pour encourager la réforme des droits de la personne dans ce pays. Conscients du fait que le gouvernement colombien n’est pas directement responsable de la violence et des violations des droits de la personne qui tourmentent le pays, ces témoins ont fait ressortir la nécessité d’insister sur les rapports entre développement, paix et démocratie. Quoique tous soient profondément préoccupés par la situation des droits de la personne en Colombie, certains pensent que le libre-échange peut contribuer à améliorer la situation et ont donc pressé le Comité de recommander d’intégrer à l’ALE des mesures forçant le gouvernement de la Colombie à rectifier le tir à ce chapitre.

Comme on l’a dit, la situation a beaucoup changé ces dernières années en Colombie. Elle est encore loin d’être parfaite, mais les meurtres et les enlèvements diminuent, les conditions socio-économiques s’améliorent et le gouvernement fait des pieds et des mains pour poursuivre ou démobiliser les groupes armés illégaux responsables d’une grande partie des violations des droits de la personne qui empoisonnent le pays. Pour un bon nombre de témoins, la signature d’une ALE avec le Canada ne peut que pousser la Colombie davantage dans la bonne direction. L’ALE ferait office de carotte, attestant la satisfaction du Canada devant les progrès accomplis et pressant la Colombie de renforcer les réformes.

Fait certain, beaucoup de témoins admettent que la signature d’un accord commercial suscite un certain degré de pression et le contrôle direct et indirect des actions d’un pays. L’amélioration des relations bilatérales aura pour effet d’exposer encore plus la Colombie aux pratiques exemplaires qui ont cours dans des pays où le respect des droits de la personne est la norme. Un ALE donnerait du poids au Canada et lui permettrait d’exploiter toutes les occasions de réclamer des améliorations et de rappeler au gouvernement de la Colombie ses obligations internationales en matière de droits de la personne. Comme l’a dit un représentant des Nations Unies à Bogotá, le gouvernement canadien peut se servir de l’ALE pour promouvoir un dialogue et un débat vigoureux sur les droits de la personne, ce qui contribue à la responsabilisation.

De même, Vladimir Torres de la Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL) a fait remarquer que, si partisans et détracteurs des accords commerciaux tendent à exagérer l’impact de ces traités, un ALE permet effectivement d’appliquer des politiques complémentaires susceptibles d’avoir des retombées favorables en Colombie. M. Torres a précisé que ces politiques complémentaires ne sont pas une conséquence automatique des accords commerciaux, mais que ceux-ci fournissent l’occasion de réaliser des progrès sur d’autres plans.

Si nous sommes vraiment déterminés à aller de l'avant et à adopter une stratégie pour les Amériques, nous pouvons et devrions contribuer à l'élaboration et à la mise en œuvre de ce large éventail de politiques complémentaires 19.

Cependant, outre les avantages généraux que présente la signature d’un ALE sur le plan des droits de la personne, les représentants du gouvernement et de la société civile que nous avons entendus ici et en Colombie ont aussi fait ressortir les moyens concrets que le libre-échange donnerait au gouvernement colombien et qui permettraient à celui-ci d’améliorer la situation de la population sur le plan des droits de la personne et sur le plan socio-économique. Suivant ces personnes, la multiplication des échanges avec la Colombie et l’accroissement des investissements dans ce pays pourraient soutenir la légitimité du gouvernement et favoriser une saine gouvernance en générant des revenus qui permettront de financer d’autres réformes. De tels investissements auraient pour effet de renforcer la démocratie et la règle de droit en facilitant l’établissement d’institutions stables et en permettant l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et de lois efficaces. En ce qui concerne en particulier la justice, James Lambert a dit que « les normes juridiques établies et respectées dans le cadre de ces accords contribuent à la stabilité et à la crédibilité de l’ensemble du système judiciaire 20 ». En dernière analyse, ces témoins sont convaincus que l’augmentation des investissements permettra au gouvernement d’affirmer davantage sa mainmise sur le pays, conférera à celui-ci une plus grande légitimité et contribuera à l’amélioration de la sécurité dans le pays. Or, plus le gouvernement disposera de moyens propres à le renforcer, mieux il sera en mesure de poursuivre sa lutte contre ceux qui violent les droits de la personne et contre les responsables de la production et du trafic des stupéfiants.

Selon certains témoins, en plus de soutenir les institutions gouvernementales, l’investissement en Colombie permettra au gouvernement de financer davantage de réformes socioéconomiques. Le Comité a entendu de nombreux témoignages sur les réformes déjà en cours — réduction de la pauvreté et améliorations au niveau de la santé et de l’éducation. Les représentants du gouvernement que le Comité a entendus en Colombie ont dit estimer que la conclusion d’un ALE aiderait le gouvernement à réunir les ressources dont il a besoin pour atteindre ses objectifs socioéconomiques de 2010 et permettrait à celui-ci d’instituer de meilleurs programmes qui répondent plus efficacement aux besoins de la population.

Dans l’ensemble, les défenseurs des droits de la personne de Colombie ne sont pas opposés à un ALE. Un témoin entre autres a fait valoir au Comité que l’ALE constituerait un bon moyen d’exiger de la Colombie qu’elle respecte ses obligations internationales en matière de droits de la personne. Ce témoin était d’avis que les problèmes de la Colombie seraient plus facilement résolus avec l’amélioration des échanges que sans les retombées économiques du commerce international. Pour lui, il ne faut pas faire payer à la Colombie son passé, mais encourager celle-ci à tourner la page.

Même des personnes comme Maria McFarlane de Human Rights Watch, qui est contre la signature de l’ALE pour des raisons qui ont à voir avec les droits de la personne, admettent que le processus de négociation en soi a été bénéfique, car il a amené le gouvernement colombien à faire de réels efforts pour faire aboutir le projet. Les représentants des Nations Unies à Bogotá sont d’avis que l’ALE pourrait inciter le gouvernement à assumer des responsabilités nouvelles pour se faire une place sur la scène internationale.

5. Création d’emplois en Colombie

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Outre les avantages socio-économiques dont on vient de parler, l’une des principales raisons pour lesquelles la Colombie cherche à conclure des accords de libre-échange avec le Canada, les États-Unis et l’Union européenne, entre autres, c’est qu’elle espère que la croissance des investissements, des échanges et de l’économie en général suscitée par des accords se traduira par la création d’emplois pour les Colombiens. À Bogotá, plusieurs personnes — dont le président Uribe — ont dit au Comité que la création d’emplois et la cohésion sociale associée à des emplois de qualité constituent l’un des grands volets du plan à long terme de paix et de sécurité de la Colombie.

Ainsi, pour générer de l’emploi, la Colombie s’est donné pour priorité d’attirer des investissements directs étrangers. Le gouvernement a recours à deux stratégies à cet égard. Premièrement, il profite de l’amélioration de la sécurité depuis six ans. Le Comité a entendu des représentants de plusieurs sociétés actives en Colombie depuis plusieurs années, voire des dizaines d’années. Ils ont été unanimes à dire que, bien qu’il reste encore des progrès à faire, la sécurité dans le pays s’est considérablement améliorée, à un point tel que les entreprises étrangères sont de plus en plus nombreuses à investir dans le pays. Le niveau des investissements a d’ailleurs beaucoup augmenté.

Cependant, la situation a beau s’être améliorée, la Colombie souffre encore de sa réputation de pays peu sûr. Les représentants de sociétés nouvellement actives en Colombie ont fait part au Comité de leur surprise de constater à quel point la situation sur le terrain diffère de l’idée, négative, qu’on s’en fait.

Ainsi, soucieux de lutter contre cette fâcheuse perception, le gouvernement de la Colombie cherche à conclure des accords de libre-échange avec des pays du monde entier. Cette campagne constitue le second volet de la stratégie de la Colombie en vue d’attirer l’investissement direct étranger. Comme on l’a dit, en soi, le libre-échange avec le Canada ne rapportera pas énormément à la Colombie puisque 80 % des produits importés de Colombie entrent déjà au Canada en franchise de droits. En fait, le principal avantage de ces accords réside dans le message qu’ils envoient aux gens d’affaires. La conclusion d’accords de libre-échange avec le Canada, les États-Unis et l’Union européenne, par exemple, offre des garanties implicites (et explicites) attestant que la Colombie est un endroit sûr pour y faire des investissements potentiellement profitables.

La création d’emplois est un enjeu important en Colombie, non seulement pour remédier au chômage et au sous-emploi, mais aussi pour régler les problèmes que posent trois facteurs liés : la démobilisation des groupes paramilitaires, le grand nombre de personnes déplacées par le conflit qui perdure et le trafic des stupéfiants.

Des informations variées circulent quant à l’ampleur du phénomène de démobilisation des forces paramilitaires, mais tout donne à penser qu’un grand nombre de combattants ont renoncé à la violence et réintégré la société civile; c’est du moins l’opinion de la majorité et de groupes de la société civile colombienne. Le ministre colombien des Affaires étrangères Fernando Araújo a dit au Comité que des dizaines de milliers de combattants étaient réintégrés dans la société civile. Comme l’a dit le président Uribe, le libre-échange s’inscrit dans une stratégie à long terme visant à attirer le commerce et les investissements nécessaires pour faciliter la réintégration économique des soldats des forces paramilitaires et des guérilleros.

De même, l’accès à l’emploi figure en tête de liste des priorités pour pallier le problème des personnes déplacées. Il y a en effet des millions de personnes déplacées en Colombie, problème imputable principalement aux actions des groupes paramilitaires et des guérilleros, généralement liées au trafic des stupéfiants. À Soacha, le Comité a appris que l’agence des Nations Unies qui y travaille cherche à faciliter l’intégration des personnes déplacées dans la société. Lors de la table ronde que nous avons organisée sur le conflit en Colombie, on nous a dit qu’il était essentiel d’offrir de l’emploi et de la formation aux populations vulnérables pour empêcher les groupes illégaux de faire de nouveaux adeptes parmi les gens qui se sentent lésés.

Enfin, l’emploi joue aussi un rôle dans la lutte contre le trafic des stupéfiants. Des représentants de l’ONUDC en Colombie ont dit au Comité que le libre-échange est avantageux pour la Colombie dans la mesure où il offre des solutions de rechange aux personnes qui cultivent le coca ou travaillent dans les ateliers de conditionnement. Toute politique de lutte contre la production de stupéfiants est vouée à l’échec en l’absence de bons emplois de rechange dans l’économie officielle.

Le Comité a entendu des arguments du même ordre à Ottawa. Thomas d’Aquino a affirmé qu’un accord de libre-échange créerait des emplois de bonne qualité dans l’économie officielle qui pourraient tenter ceux qui participent actuellement à l’économie souterraine dominée par le trafic des stupéfiants. Jean-Michel Laurin aussi est de cet avis, parce que, pour beaucoup de Colombiens, le trafic des stupéfiants constitue la seule vraie possibilité de gagner leur vie. Selon lui, une entente de libre-échange élargirait les possibilités d’emploi et contribuerait à faire avancer la Colombie.

6. Accords parallèles sur le travail et l’environnement

Des fonctionnaires ont dit au Comité que, conformément à la démarche habituelle du Canada, tout accord de libre-échange avec la Colombie comprendra des accords parallèles sur le travail et l’environnement directement liés au corps de l’accord. Comme l’a dit Carol Nelder-Corvari, le Canada entend aussi « établir de nouvelles possibilités de coopération, telles que la responsabilité sociale d’entreprise et le renforcement des capacités des parties, par l’entremise d’engagements sur la coopération 21 ».

Vladimir Torres a signalé que les accords parallèles permettent aux accords commerciaux d’influer considérablement et favorablement sur les conditions de travail et la protection de l’environnement. Loin de ramener les règles au plus petit dénominateur commun, nous a-t-il dit, ces accords parallèles donneront à la Colombie « des outils juridiques pour les obliger [les entreprises] à rendre des comptes sur les saines pratiques en matière de responsabilité sociale, d'environnement et de travail 22 ».

Tous les accords de libre-échange modelés sur l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) signés par le Canada comportent des accords parallèles sur l’environnement et sur le travail. Cependant, Cameron MacKay du MAECI a fait remarquer que de nombreuses améliorations ont été apportées à ces accords parallèles depuis la négociation de l’ALENA il y a 15 ans.

a) L’accord parallèle sur le travail

D’après ce que le Comité a entendu, la conclusion d’un accord parallèle sur le travail s’impose. En effet, bien que le gouvernement colombien ait apparemment fait des progrès considérables au chapitre des droits de la personne et des conditions de travail, les témoins sont unanimes à dire qu’il reste du pain sur la planche.

Pour certains, un accord de libre-échange contribuerait à améliorer les conditions de travail en Colombie par l’imposition de véritables normes du travail. Le même argument nous a été servi par des groupes de la société civile que nous avons rencontrés en Colombie.

Le Comité a appris d’ailleurs que le Canada est particulièrement exigeant quant au contenu des accords parallèles à l’accord de libre-échange envisagé avec la Colombie, en particulier en ce qui concerne l’accord sur le travail. Mme Nelder-Corvari a précisé que, par l’accord parallèle sur le travail, le Canada

s’est donné pour objectif d’aider la Colombie à établir une économie plus solide et plus stable en améliorant les conditions de travail et le respect des droits des travailleurs, et d’encourager la Colombie à concilier les principes fondamentaux relatifs au travail internationalement reconnus dans son droit du travail en vigueur, et à réellement les mettre en œuvre23.

Comme l’a dit le directeur du Bureau de coopération interaméricaine dans le domaine du travail au ministère des Ressources humaines et du Développement social, Pierre Bouchard,

Si nous réussissons à conclure un accord en matière de main-d’œuvre avec la Colombie, ce sera probablement l’accord le plus exhaustif jamais négocié par le Canada. Nous exigeons des obligations plus contraignantes dans l’accord et nous recherchons un mécanisme transparent et musclé de résolution de différends accompagné de sanctions pécuniaires en cas de non-respect de ces obligations24.

Plus précisément, on a appris au Comité que l’accord parallèle sur le travail comporte un mécanisme de résolution des différends qui permet à n’importe quel Canadien de déposer une plainte contre le gouvernement colombien si celui-ci ne respecte pas les lois du travail colombiennes — lesquelles doivent refléter les normes du travail reconnues au niveau international. Dans le mécanisme proposé, une plainte peut déclencher une enquête, laquelle peut aboutir à des consultations au niveau ministériel suivies, si elles n’aboutissent pas, de la constitution d’un groupe de règlement des différends.

Ce qui est innovateur dans le projet d’accord parallèle Canada-Colombie sur le travail, c’est que le mécanisme de résolution des différends s’appliquera à un vaste éventail d’obligations du gouvernement et, plus important encore, que le groupe de résolution des différends aura le pouvoir d’infliger des amendes au gouvernement colombien. Cet argent sera déposé dans un fonds de coopération voué aux droits des travailleurs en Colombie. Comme l’a dit Pierre Bouchard, les deux gouvernements « s’entendraient sur un mécanisme de respect, car le gouvernement ne s’approprierait pas des amendes, mais les verserait plutôt dans un fonds en Colombie en vue de résoudre le problème 25 ».

Il y a eu des discussions entre les témoins au sujet de l’imposition d’amendes pour toute contravention aux normes du travail fondamentales. On ne connaissait pas encore le montant des amendes prévues dans l’accord parallèle au moment où le Comité a tenu ses audiences26. La plupart des témoins souscrivaient à l’idée d’un accord sur le travail prévoyant des sanctions substantielles. Thomas d’Aquino, par exemple, est ouvertement en faveur d’un accord parallèle qui aurait « des crocs 27 ».

L’idée d’un mécanisme de règlement des différends habilité à imposer des amendes pour contravention aux normes du travail fondamentales a aussi ses détracteurs. Penelope Simons, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, trouve l’idée « déplorable 28 », opinion que partage Gauri Sreenivasan du Conseil canadien pour la coopération internationale29. Alex Neve d’Amnistie internationale Canada est d’avis que, au lieu de sévir après coup, il vaudrait mieux que le Canada collabore avec la Colombie pour prévenir et éviter les violations des droits de la personne.

À ce propos, le Comité a entendu dire que le Canada travaille justement en ce sens avec la Colombie. Selon des informations fournies par Pierre Bouchard, le Canada entend non seulement conclure un accord exigeant sur le travail, mais aussi fournir à la Colombie une aide financière pour l’aider à se doter des capacités qui lui permettront de respecter les obligations contenues dans cet accord. À ce chapitre, le Canada a récemment offert à la Colombie un programme de coopération technique d’un million de dollars pour aider celle-ci à régler les problèmes de travail. Ce montant s’ajoute au financement que le Canada fournit déjà à l’égard d’autres mesures de développement en Colombie.

b) L’accord parallèle sur l’environnement

Le Comité note que si la question de la dégradation de l’environnement est souvent oblitérée par les préoccupations concernant la sécurité, les conditions de travail et les droits de la personne, la protection de l’environnement est néanmoins cruciale pour l’avenir de l’économie colombienne.

Plusieurs graves problèmes environnementaux se posent en Colombie, la plupart découlant du trafic des stupéfiants et des activités des guérilleros et des groupes paramilitaires. Durant son séjour en Colombie, le Comité a appris que des groupes illégaux déboisent la jungle — la source de la grande biodiversité de la Colombie — pour permettre la culture du coca. En outre, les effluents des installations de production de la cocaïne sont déversés directement dans les cours d’eau et polluent les bassins hydrographiques du pays.

L’accord parallèle sur l’environnement vise à veiller à ce que le surcroît d’activité économique généré par l’ALE ne contribuera pas à une aggravation des atteintes à l’environnement et à ce que la Colombie ne sacrifie pas l’exécution des règles environnementales à la seule fin d’attirer des investissements. Si un accord de libre-échange réussit à susciter une activité économique légitime responsable et à accroître du même coup les revenus de l’État, il pourrait aussi permettre d’améliorer l’exécution de la réglementation environnementale de la Colombie qui apparemment laisse à désirer faute de moyens.

C’est dans cet esprit que le Canada négocie un accord parallèle sur l’environnement qui, d’après Carol Nelder-Corvari, va « favoriser des niveaux de protection de l’environnement élevés< 30 ». Dean Knudson, directeur général chargé des Amériques au ministère de l’Environnement, a dit au Comité que le Canada cherchait à inscrire des dispositions particulières dans l’accord parallèle sur l’environnement et dans l’ALE :

Ces dispositions exigeront que les pays fournissent un niveau élevé de protection environnementale, améliorent leur gouvernance environnementale, fassent respecter de façon efficace leurs lois environnementales et maintiennent leurs procédures et fassent des évaluations d’impact environnemental. Ces dispositions veilleront à ce que des lois et des règles administratives liées à l’application soient adoptées afin de prévoir des pénalités ou des recours lorsqu’on ne respecte pas une loi environnementale et qu’il y ait une procédure transparente équitable et juste qui est suivie31.

M. Knudson a précisé qu’en cas de divergences entre les obligations aux termes de l’ALE et celles qui découlent des accords multilatéraux sur l’environnement, les seconds l’emporteront.

Il faut savoir que, si l’accord parallèle sur l’environnement prévoit un mécanisme de résolution des différends, il n’y est fait aucune mention d’un groupe de règlement des différends. Ainsi, le processus est essentiellement le même que celui qui est prévu dans l’accord parallèle sur le travail, sauf que, dans le cas de l’environnement, le processus s’arrête au niveau ministériel.

Plusieurs témoins tant en Colombie qu’au Canada estiment que les questions de travail et d’environnement doivent être abordées dans le corps du texte de l’ALE, parce qu’en les cantonnant à des accords parallèles, on risque de les marginaliser et de donner l’impression qu’elles n’ont qu’une importance secondaire.

Des fonctionnaires du MAECI et des représentants du Canada en Colombie ont cependant expliqué que si les questions de travail et d’environnement font l’objet d’accords parallèles, c’est principalement en raison de problèmes de compétence au Canada. En effet, si les questions de travail relèvent des provinces, l’environnement est une responsabilité partagée des autorités fédérales et provinciales.

D’après certaines personnes, l’emplacement des dispositions compte moins que leur contenu. Pierre Bouchard nous a dit à ce sujet :

[J]e pense que la plupart des parties intéressées commencent à comprendre que ce qui importe, c’est l’obligation contenue dans l’accord. Où elles se situent est plutôt une question de forme et a moins d’importance32.

Si les avis sont partagés sur l’efficacité des dispositions environnementales des accords de libre-échange (voir ci-après les arguments contre l’ALE), l’idée d’inclure ces dispositions rallie de nombreux suffrages parmi les personnes que le Comité a rencontrées en Colombie. On nous a fait valoir que les accords parallèles ne sont pas des laissés-pour-compte comme l’affirment certains, mais peuvent véritablement contribuer à la protection de l’environnement s’ils contiennent des dispositions vigoureuses. Comme l’a dit quelqu’un, même faible, un accord parallèle sur l’environnement renforce l’engagement envers les traités multilatéraux.

7. Responsabilité sociale des entreprises

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En plus des droits de la personne et de l’environnement, la responsabilité sociale des entreprises est une importante question qui a été soumise à l’attention du Comité dans son étude sur l’accord de libre-échange Canada-Colombie. Plusieurs témoins ont trouvé préoccupant qu’une grande partie des investissements directs en Colombie s’effectuent dans des régions rurales et isolées, où l’État ne fait pas nécessairement sentir sa présence. En outre, il a souvent été dit au Comité que la Colombie n’a pas les ressources nécessaires pour faire appliquer ses propres lois et règlements. Selon certains témoins, pareil contexte encouragera les entreprises étrangères à se soustraire à leurs responsabilités en évitant d’agir de manière socialement responsable.

Des représentants du MAECI ont dit au Comité que le Canada cherche à ouvrir de nouvelles possibilités de coopération, notamment en ce qui concerne la responsabilité sociale des entreprises et le développement des capacités locales dans le cadre d’un accord de libre-échange avec la Colombie. Comme l’a indiqué Carol Nelder-Corvari :

Conscient que les entreprises canadiennes établies en Colombie sont largement spécialisées dans les secteurs d’extraction minière et que l’exercice de leurs activités est susceptible d’avoir un impact considérable sur les collectivités locales, le Canada a inclus dans ses négociations de libre-échange avec le Pérou et la Colombie de nombreuses discussions quant aux moyens que les gouvernements et l’industrie peuvent prendre pour travailler de concert dans les domaines de la responsabilité sociale d’entreprise. Les investissements canadiens dans ces pays ont été très actifs dans ce domaine et plusieurs d’entre eux ont été reconnus pour leurs efforts à cet égard. Ces discussions seront reprises dans les engagements visant à favoriser une conduite des affaires responsable, conforme aux principes reconnus, dans les sections appropriées de l’ALE 33.

L’idée d’intégrer le principe de la responsabilité sociale des entreprises dans un accord de libre-échange a rallié les témoins représentant le milieu des affaires. Thomas d’Aquino a fait valoir que l’environnement, les droits de la personne et la responsabilité sociale des entreprises devraient avoir autant d’importance que les relations commerciales mêmes. Pour sa part, John D. Wright, de Petrobank Energy and Resources Ltd., s’est dit favorable à l’idée d’intégrer dans l’accord des engagements à l’égard de la responsabilité sociale des entreprises :

 […] je ne pense pas que nous aurions le moindre problème en matière de normalisation de la responsabilité sociale d’entreprise en vue d’établir certaines normes minimales et ainsi de suite. Je pense que l’une des plus belles exportations du Canada est notre capacité […] de traiter avec des parties en concurrence dans tout type de négociation commerciale et de trouver une solution gagnante pour tout le monde. Je crois que ce sera réellement cela la responsabilité sociale d’entreprise en bout de ligne34.

Pendant son voyage en Colombie, le Comité a eu l’occasion de s’entretenir avec des représentants d’entreprises canadiennes présentes dans le pays. Il a été impressionné par leur attachement à la responsabilité sociale. Il a appris de diverses sources que la clé de l’investissement en Colombie est la participation de la collectivité et que, sans l’appui de la population locale, l’activité des entreprises est vouée à l’échec.

Les entreprises canadiennes ont donné comme exemple plusieurs initiatives de développement et de formation qui visaient non seulement à faire participer le plus possible la population locale à un projet d’investissement, mais aussi à lui en faire profiter de façon durable, bien au-delà de la durée de vie du projet.

En général, les entreprises ont souligné l’importance de l’éducation et de la formation au niveau local. Leur but est d’offrir aux Colombiens des possibilités d’emploi très diverses créées par le projet d’investissement, et pas seulement — pour reprendre les paroles d’un participant — des emplois du type « pic et pelle ». Toutefois, les projets axés sur la responsabilité sociale vont beaucoup plus loin que la formation d’éventuels travailleurs. Le Comité a été informé que certaines entreprises canadiennes luttent contre la pauvreté en construisant des maisons et en alimentant en eau potable des villages qui n’étaient pas approvisionnés. Elles aident aussi à renforcer les capacités institutionnelles au niveau municipal en participant à la formation de fonctionnaires locaux. Enfin, des entreprises comme Enbridge ont dit participer à des programmes de formation sur les droits de la personne, qui enseignent à des soldats et à des agents de sécurité comment faire leur travail dans le respect de ces droits.

Compte tenu du dossier de responsabilité sociale encourageant des entreprises canadiennes déjà actives en Colombie, il a été dit qu’un des avantages d’un accord de libre-échange serait de faire augmenter le nombre d’investisseurs canadiens. La présence accrue des entreprises canadiennes en Colombie stimulerait la creation d’emplois dans les régions éloignées et, par conséquent, le développement communautaire. Brian Zeiler-Kligman, de la Chambre de commerce du Canada, a fait des commentaires en ce sens :

[…] les entreprises canadiennes figurent parmi les chefs de file à l’échelle mondiale en ce qui concerne les pratiques environnementales et syndicales et la responsabilité sociale. Leur présence sur le marché colombien a déjà eu une incidence positive sur les droits des travailleurs et les droits de la personne dans ce pays […] le fait de conclure un accord de libre-échange Canada-Colombie amènera davantage d’entreprises canadiennes à s’établir en Colombie et permettra d’améliorer encore plus la situation35.

8. Soutien à un allié

Enfin, en concluant un accord de libre-échange avec la Colombie, le Canada poursuit l’objectif de sa politique étrangère consistant à renouveler son engagement envers les Amériques et à consolider ses relations bilatérales avec ses principaux partenaires de l’hémisphère, des pays démocratiques partisans de la libéralisation et de l’ouverture du commerce et des investissements.

Dans une région marquée depuis longtemps par l’instabilité politique, la Colombie se distingue en tant que démocratie stable dotée de solides institutions malgré son conflit interne. Sur le plan politique, elle apparaît de plus en plus isolée dans la région, car ses voisins, l’Équateur et la Bolivie en particulier, se sont donné des gouvernements populistes à l’image de celui d’Hugo Chavez au Venezuela.

Dans le climat de tension qui monte avec le Venezuela, la Colombie accusant ce pays de fournir des armes et un soutien financier à ses groupes d’insurgés de gauche, la conclusion d’un accord de libre-échange attesterait que le Canada est prêt à s’allier avec un pays de la région attaché aux mêmes valeurs et ferait nettement contrepoids à l’idéologie anti-occidentale des dirigeants comme Chavez.

Certains craignent que, si le gouvernement actuel de la Colombie n’a pas l’appui de ses alliés occidentaux, le pays risque de connaître le sort de ses voisins, ce qui déstabiliserait encore plus la région et compromettrait les objectifs de la politique étrangère canadienne dans les Amériques.

D’ailleurs, un des motifs de l’accord commercial conclu entre les États-Unis et la Colombie est le soutien apporté à un important allié au sein des Amériques. Le gouvernement américain est d’avis que l’approbation et la mise en œuvre de cet accord « illustreront de façon cruciale le soutien de l’Amérique au peuple colombien, qui a choisi de renforcer ses liens avec les États-Unis parce qu’il estime qu’un accès réciproque aux marchés contribuera à la croissance et au développement de son pays36;». Un des objectifs clés qui sous-tendent cet accord est de veiller à ce que la Colombie demeure un partenaire loyal dans la guerre que livre le gouvernement américain contre le trafic de stupéfiants et le terrorisme. Jeffrey Schott, Senior Fellow du Peterson Institute for International Economics, a signalé que les États-Unis ont choisi de négocier un accord avec la Colombie pour favoriser un rapprochement en reconnaissance des progrès accomplis par ce pays jusqu’à présent. L’accord est actuellement au point mort au Congrès, car la procédure d’autorisation accélérée a été refusée.

B. Le contre

1. Bilan de la Colombie au chapitre des droits de la personne

Tout à l’opposé, un certain nombre d’organisations, en particulier les syndicats en Colombie et les groupes de défense des droits de la personne à Ottawa, ont fait valoir que le Canada ne devrait pas signer d’accord de libre-échange avec la Colombie, qui a l’un des pires bilans de l’hémisphère au chapitre des droits de la personne. Alex Neve d’Amnistie Internationale Canada, Maria McFarlane de Human Rights Watch, Pascal Paradis d’Avocats sans frontières, Gerry Barr du Conseil canadien pour la coopération internationale et Ken Georgetti du Congrès du travail du Canada ont soutenu que la conclusion d’un accord donnerait l’impression que le Canada excuse les résultats déplorables de la Colombie dans le domaine des droits de la personne et appuie implicitement le gouvernement colombien. Ces témoins ont ajouté qu’au lieu de salir sa propre image en nouant des relations étroites avec la Colombie, le Canada devrait tâcher de maintenir sa réputation comme champion des droits de la personne à l’échelle internationale.

Outre l’omniprésence des violations des droits de la personne, ces témoins ont souligné les liens apparemment étroits du gouvernement colombien avec les groupes paramilitaires qui commettent les violations. Ils ont dit que les atteintes flagrantes aux droits de la personne perpétrées au fil des crises internes ne font que mettre en évidence ces liens et le fait que le gouvernement est incapable d’y mettre fin ou refuse de le faire. À titre d’exemple, Maria McFarlane a fait valoir que les efforts du gouvernement pour démobiliser les groupes paramilitaires ont échoué et que la grande majorité des personnes qui ont rendu les armes n’ont subi ni enquête ni procès pour leurs crimes.

Un accord de libre-échange ne peut que légitimer un gouvernement qui, à l’évidence, ne mérite pas encore cette forme de soutien. Comme l’a indiqué Gerry Barr : « Devons-nous conclure un accord avec un pays qui détient sans doute le pire bilan de l’hémisphère en matière de droits de la personne et avec un gouvernement fortement compromis dans un scandale politique, pour les liens étroits qu’il entretient avec des escadrons paramilitaires de la mort? Nous ne le croyons pas37. »

Maria McFarlane a précisé que les victimes des atteintes aux droits de la personne et des actes de violence sont surtout des syndiqués, des défenseurs des droits de la personne, des journalistes, des indigènes et des Afro-Colombiens. Un accord de libre-échange donnerait accès en franchise de droits à des marchandises qui sont souvent produites par les travailleurs et syndiqués victimes de violations des droits de la personne. Elle a soutenu vigoureusement que le Canada ne devrait pas encourager le commerce de biens produits par des personnes qui, souvent, ne peuvent exercer leur travail sans craindre pour leur vie.

En fin de compte, les témoins qui s’opposaient à la signature d’un accord de libre-échange avec un pays qui affiche l’un des pires bilans de l’hémisphère en matière de droits de la personne étaient d’avis que le Canada devrait faire pression pour encourager les progrès en Colombie plutôt que d’offrir des récompenses à ce pays. Selon eux, le refus d’un accord montrerait clairement au gouvernement colombien que les droits de la personne jouent un rôle déterminant dans l’acquisition d’une légitimité sur la scène internationale.

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2. Effet négatif des projets d’investissement sur les droits de la personne

Par l’instauration d’un cadre commercial sûr, fondé sur le respect des règles, l’accord de libre-échange est censé accroître les investissements directs déjà importants du Canada. Pour certains témoins, cette augmentation des investissements directs pourrait être préjudiciable aux droits de la personne en Colombie. La plupart estimaient que les investissements directs en soi ne portent pas atteinte aux droits de la personne, mais qu’il est impossible pour des entreprises qui investissent dans une zone de conflit comme la Colombie d’avoir une présence commerciale neutre. Gauri Sreenivasan partageait cet avis :

[U]ne foule de données ont été recueillies et des analyses universitaires ont été faites et montrent que les investissements de sociétés canadiennes dans les zones de conflit comme la Colombie posent des risques prévisibles pour les droits de la personne et l’environnement. Les chercheurs canadiens ont souligné que toute entreprise qui mène des activités dans une zone de conflit fait automatiquement partie du conflit, malgré les meilleures intentions. Par exemple, elles payent des impôts et des redevances à une partie prenante de ce conflit38.

Si, pour la plupart des gens, le paiement d’impôts à un gouvernement élu par voie démocratique qui s’efforce de mettre fin à des luttes intestines représente une participation positive à un conflit, il est vrai que de nombreuses multinationales sont présentes dans des zones où les droits des travailleurs et les droits de la personne posent problème. Mme Sreenivasan a fait valoir que les sociétés pétrolières et minières exercent leurs activités dans les zones les plus tourmentées et qu’il a été établi que les grandes plantations agricoles et les sociétés minières ont, avec leurs services de sécurité, chassé des Colombiens de leurs terres par la violence ou l’intimidation. Qui plus est, lorsque des sociétés étrangères sont présentes dans des zones de conflit, presque toutes leurs activités se répercutent sur le conflit ou en subissent les effets d’une façon ou d’une autre. Par exemple, elles peuvent retenir les services d’entreprises de sécurité privées pour protéger leurs installations et leurs travailleurs. Selon Penelope Simons, ces sociétés sont en l’occurrence « susceptibles de devenir complices d’infractions aux droits humains pouvant être commises par les forces de sécurité qui protègent leurs intérêts commerciaux39 ».

Autre exemple, certaines entreprises sont accusées de fournir un soutien financier aux groupes guérilleros ou paramilitaires qui ont une forte présence dans le secteur d’exploitation. Bien que ce « soutien financier » corresponde en général à des paiements de « protection » qui garantissent la sécurité des installations et des travailleurs, il reste que les entreprises deviennent complices du financement de groupes illégaux.

La plupart du temps, ce sont dans les régions éloignées de la Colombie, les plus déchirées par le conflit interne et les plus riches en ressources naturelles, que s’opposent les investissements commerciaux, les intérêts des groupes illégaux et les droits de la personne. Cette question présente une importance particulière pour les Canadiens car, comme l’a fait observer Gauri Sreenivasan, les sociétés pétrolières et minières canadiennes investissent dans les zones du pays les plus tourmentées.

Le recoupement entre les deux [le conflit et les ressources naturelles] est peu rassurant. Les régions colombiennes riches en minéraux et en pétrole ont été marquées par la violence. C’est là qu’ont eu lieu 87 p. 100 des déplacements forcés, 82 p. 100 des violations des droits de la personne et du droit international humanitaire, et 83 p. 100 des assassinats de chefs syndicaux au pays […] il existe des preuves importantes, étant donné la manière violente dont se fait le commerce, dont sont réalisés les profits et les exportations, que l’investissement canadien dans le commerce serait complice de cette violence40.

Les déplacements internes constituent un deuxième problème lié aux investissements directs à l’étranger et aux droits de la personne. Comme indiqué plus tôt, il s’agit d’un problème majeur en Colombie. Bien que la grande majorité des déplacements soient le fait des groupes paramilitaires et guérilleros, plusieurs participants aux rencontres tenues par le Comité en Colombie ont dit que les déplacements économiques sont de plus en plus courants. Le Comité a appris que l’expansion agro-industrielle des plantations de palmiers à huile avait, dans une région du pays, obligé des agriculteurs de subsistance à quitter leurs terres. Il a aussi entendu des témoignages à cet effet à Ottawa : de petits agriculteurs ou mineurs ont été déplacés par de grandes sociétés agricoles ou minières. Gauri Sreenivasan a affirmé qu’en accélérant l’investissement basé sur l’expropriation illégale des terres, « le Canada se rendrait complice, sur le plan des droits de la personne41 ».

Les déplacements à l’intérieur du pays ont de profondes répercussions sociales pour la Colombie. Le Comité a été informé que de nombreuses personnes déplacées s’installaient dans des villes comme Soacha. Ces réinstallations présentent un défi social considérable pour le gouvernement colombien, qui essaie tant bien que mal d’offrir des services de base et des débouchés économiques aux nouveaux arrivants. Le problème est d’autant plus criant que les agglomérations où échouent les personnes déplacées sont connues comme des zones de recrutement pour les narcotrafiquants et d’autres groupes illégaux.

Les témoins ne croyaient cependant pas tous que les investisseurs étrangers se faisaient complices des méfaits par leur simple présence dans les zones de conflit. Le Comité a été informé de nombreux cas où des investissements socialement responsables faits par des entreprises canadiennes avaient stimulé la croissance, le développement et la création de débouchés dans les localités environnantes, même si une bonne partie de ces investissements avaient eu lieu dans des régions où se trouvaient des groupes illégaux. Ces témoins ont affirmé que la solution aux problèmes des droits de la personne dans les régions rurales et reculées était d’accroître les investissements, et non de les diminuer.

3. Effet des entreprises étrangères sur l’environnement

On a dit au Comité que la hausse des investissements occasionnée par les accords de libre-échange risque de causer à son tour la dégradation de l’environnement. Ce danger se présente sous deux aspects : la surveillance et l’application insuffisantes des règlements environnementaux existants et les lacunes dans les politiques environnementales nationales.

La question de la surveillance et de l’application insuffisantes des règlements a un lien direct avec le conflit en Colombie. La situation a beau s’être grandement améliorée, le gouvernement colombien n’est pas véritablement présent dans toutes les régions du pays. Par conséquent, il a peu de moyens d’accomplir certaines tâches, comme l’application des règlements environnementaux, de sorte que, selon des témoins, le taux de conformité des entreprises est faible. C’est pourquoi certains soutiennent que la hausse des investissements entraînée par le libre-échange fait augmenter proportionnellement le risque de sérieuses atteintes à l’environnement.

Alex Neve a présenté au Comité des arguments en ce sens, donnant à titre d’exemple un projet multinational colombien qui a reçu du Canada 18,2 millions de dollars américains. Ce projet a eu, selon lui, un effet dévastateur sur l’environnement local. Des témoins ont dit craindre que, faute de capacités et de ressources suffisantes pour l’application des règlements, l’augmentation des investissements étrangers n’entraîne des situations analogues.

La seconde question, selon certains, va plus loin que l’application insuffisante des règlements et tient à ce que les politiques et la réglementation environnementales de la Colombie ne sont pas suffisamment étoffées. Les groupes colombiens de protection de l’environnement ont informé le Comité que la Colombie a des lois environnementales reconnues au niveau international et est signataire de presque tous les grands traités internationaux en matière d’environnement. Ils ont toutefois signalé que deux visions s’affrontent dans leur pays : économique et environnementale. Ces témoins ont fait observer que, dans de nombreux secteurs, les lois environnementales ont été adoucies ou reléguées au deuxième plan en faveur de la viabilité économique.

En général, on a dit au Comité que des efforts accrus sont nécessaires pour renforcer les politiques environnementales et les normes d’évaluation et de surveillance. On lui a précisé, à titre d’exemple, que la Colombie a besoin d’adopter des politiques pour préserver les zones fragiles et les protéger contre les menaces pour l’environnement. On lui a aussi indiqué que le gouvernement colombien n’avait rien fait pour délimiter les zones écologiquement fragiles à protéger contre l’exploitation pétrolière et gazière. Une autre question très préoccupante est la déforestation de la jungle pour faire place à de grandes plantations agricoles.

Pour certains témoins, il est impératif de résoudre ces questions avant que la Colombie ne signe ou ne mette en œuvre un accord de libre-échange. Selon eux, les accords parallèles sur l’environnement qui accompagnent les accords de libre-échange prévoient dans la plupart des cas que le signataire doit s’engager à respecter ses propres normes environnementales ou certains traités environnementaux multilatéraux. Aux yeux de ces témoins, les normes et les politiques environnementales de la Colombie sont encore insuffisantes. Sans s’attarder plus avant sur ces points, certains ont soutenu qu’il n’y a pas grand-chose qui empêcherait les entreprises étrangères de se livrer à des activités nuisibles à l’environnement.

Il importe toutefois de signaler qu’un grand nombre des personnes qui faisaient partie du groupe d’experts environnemental à Bogotá n’étaient pas à proprement parler contre le libre-échange. Elles estimaient que le libre-échange pourrait avoir pour effet d’améliorer les conditions environnementales en Colombie. Leur grande préoccupation était l’action à mener au départ pour renforcer les politiques environnementales du pays ainsi que les mesures de surveillance et d’application de ces politiques.

4. Accords parallèles sur le travail et l’environnement

En fin de compte, un certain nombre de témoins avaient peu d’espoir qu’un accord de libre-échange, accompagné de ses accords parallèles sur le travail et l’environnement, réussisse à régler le problème des droits de la personne ou à empêcher la détérioration de l’environnement en Colombie. Leur scepticisme tenait en grande partie à l’expérience antérieure d’accords parallèles liés à d’autres accords de libre-échange.

Mark Rowlinson, de l’Association canadienne des avocats du mouvement syndical, a indiqué que, d’après son expérience, la protection des droits des travailleurs prévue dans les accords commerciaux de l’hémisphère laissait grandement à désirer.

De manière générale, les accords commerciaux préférentiels n’ont à notre avis offert aucun mécanisme réel permettant de garantir que les droits des travailleurs seront protégés lorsque ces accords sont exécutés par les parties. En conséquence, notre message au comité, en résumé, est qu’il n’y a aucune raison de croire que l’insertion de dispositions en matière de droits des travailleurs dans un projet d’accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie aura quelque effet positif que ce soit sur la situation en matière de droits des travailleurs en Colombie42.

M. Rowlinson a rappelé au Comité que l’accord parallèle sur le travail proposé pour l’accord de libre-échange Canada-Colombie s’inspirait de l’ALENA. Il a fait observer que, d’après les représentants du MAECI, des améliorations avaient été apportées à l’accord de la Colombie, mais il estimait que les accords parallèles fondés sur le modèle de l’ALENA comportaient trois grandes failles :

1.      Les accords portent sur l’exécution de lois existantes, et non sur l’élévation des normes du travail.

2.      Les accords qui obligent les parties à respecter les normes fondamentales du travail de l’OIT exigent seulement qu’elles ne dérogent pas à cette obligation d’une manière qui touche les échanges commerciaux entre les deux parties.

3.      Les mécanismes d’exécution prévus dans les dispositions existantes en matière de travail sont lents, lourds, non indépendants et souvent non transparents43.

Enfin, M. Rowlinson a émis des doutes sur l’efficacité des recours prévus dans les ententes parallèles dans le domaine du travail, précisant que les sanctions financières pourraient ne pas avoir un effet dissuasif efficace sur le gouvernement colombien :

[…] le comité doit réfléchir à la question de savoir si les dispositions renfermées dans cet accord vont véritablement faire quelque chose pour améliorer la situation des droits des travailleurs en Colombie, s’il va y avoir une désincitation suffisante pour amener le gouvernement de la Colombie à véritablement stopper ces violations des droits des travailleurs qui sont commises en Colombie. À notre avis, compte tenu des accords commerciaux hémisphériques antérieurs et de tous les renseignements dont nous disposons au sujet du contenu probable de cet accord commercial-ci, la réponse à ces questions sera non44.

Gauri Sreenivasan a elle aussi émis des doutes sur l’utilité des accords parallèles en matière de travail. À son avis, l’article d’un accord parallèle qui vise à empêcher les violations des droits de la personne ne règle pas le problème de fond : l’absence de volonté politique, de la part du gouvernement colombien, de protéger véritablement les droits des travailleurs. Elle a déclaré qu’un accord parallèle ne peut créer la volonté politique sans laquelle les changements véritables sont impossibles.

Témoignant devant le Comité après l’aboutissement de la négociation de l’ALE avec la Colombie, Ken Georgetti a dit estimer que, à en juger par les informations communiquées aux médias, les dispositions de l’accord sur le travail n’étaient que des mots creux pour détourner l’attention des vrais enjeux45. Il a mentionné l’amende d’au plus 15 millions de dollars qui serait infligée à la Colombie « si quelqu’un se faisait prendre à assassiner un syndicaliste46 » et a dit que ce qu’il faut vraiment inclure dans un accord parallèle, c’est un engagement de la part du gouvernement de la Colombie à protéger la vie et les droits de la personne.

En ce qui concerne l’accord parallèle sur l’environnement, des témoins, dont Geoff Garver, expert-conseil en environnement, ont évoqué les accords de libre-échange antérieurs en disant craindre qu’un accord parallèle sur l’environnement avec la Colombie se révèle inefficace pour la protection véritable du milieu naturel. Deux grandes questions ont été soulevées dans les audiences du Comité. Premièrement, le mécanisme d’application de ce type d’accord parallèle inspire du scepticisme. Contrairement à l’accord parallèle sur le travail prévu pour la Colombie, celui qui porte sur l’environnement n’est pas censé établir de mécanisme de règlement des différends ou de sanctions financières en cas de non-conformité. Sans possibilité de recours, cet accord aura peu d’impact, si même il en a, sur l’environnement de la Colombie.

Deuxièmement, le grand défi de la Colombie en matière d’environnement est la question de la conformité et de l’application des règlements. Comme indiqué précédemment, des groupes colombiens de protection de l’environnement ont informé le Comité que leur pays a d’excellentes lois environnementales, mais que le gouvernement n’a pas les ressources voulues pour les faire appliquer correctement. Par conséquent, un accord parallèle aurait peu d’effet sur la situation environnementale de la Colombie. De plus, certains témoins ont indiqué que, faute de mesures d’application adéquates, la hausse des investissements et de l’activité économique (dans l’industrie extractive par exemple) risquait d’empirer la situation.

Geoff Garver a aussi signalé que le type d’accord sur l’environnement qu’a négocié le Canada comportait des lacunes. Il a fait valoir que, quinze ans après, l’accord parallèle sur l’environnement qui accompagne l’ALENA, sur lequel est modelé l’accord conclu avec la Colombie, n’avait pas donné les résultats escomptés, notamment faute de financement suffisant : la Commission de coopération environnementale, l’organe administratif créé aux termes de l’ALENA, dispose d’un budget de 9 millions de dollars, tout comme en 1995.

M. Garver a dit aussi que, à en juger par l’accord parallèle conclu par le Canada avec le Pérou, l’accord conclu avec la Colombie marquera en fait un pas en arrière par rapport à l’accord parallèle sur l’environnement afférent à l’ALENA. Celui-ci n’est pas parfait, nous a-t‑il dit, mais un particulier peut déposer une plainte auprès de la Commission de coopération environnementale et recevoir un compte rendu détaillé de l’enquête et un rapport indépendant objectif à ce sujet. Par comparaison, l’accord conclu avec le Pérou ne prévoit ni examen indépendant ni analyse. Au lieu de cela, on vous permet tout au plus de poser une question à un bureaucrate47.

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5. Un accord de libre-échange sur le modèle de l’ALENA

Des témoins ont dit déplorer que les négociations sur l’accord de libre-échange Canada-Colombie se soient appuyées sur le modèle de l’ALENA. À leur avis, l’ALENA comporte de sérieuses lacunes qui ne devraient pas être reproduites dans l’accord avec la Colombie. Des témoins ont attiré l’attention sur deux points préoccupants : les dispositions de l’accord Canada-Colombie sur les investisseurs et l’État qui s’inspirent du chapitre 11 de l’ALENA; et l’effet d’un accord de type ALENA sur les pauvres de la Colombie.

Penelope Simons a donné des détails sur les dispositions relatives aux investisseurs et à l’État incluses dans les accords commerciaux du type ALENA :

Ces accords protègent vigoureusement les entreprises sans leur imposer d’obligations correspondantes en matière de droits humains. En outre, certaines de leurs dispositions peuvent avoir pour effet de restreindre l’aptitude du pays d’accueil, comme la Colombie, à adopter des règlements d’intérêt public, notamment pour promouvoir et protéger les droits humains48.

Comme l’a signalé Mme Simons, d’après les dispositions sur les investisseurs et l’État semblables à celles du chapitre 11, lorsque la législation, la réglementation ou les politiques nationales défavorisent les investisseurs étrangers en contrevenant aux obligations touchant le traitement national ou la nation la plus favorisée, l’entreprise étrangère peut recourir à l’arbitrage obligatoire contre l’État hôte. Elle a dit que cette procédure d’arbitrage pourrait obliger le gouvernement colombien à verser un dédommagement de centaines de millions de dollars, même dans le cas où des règlements sont en place pour la protection des droits de la personne.

Une question connexe est le fait que les accords commerciaux accordent plus de droits aux entreprises, mais ne leur imposent pas d’obligations correspondantes. Selon Mme Simons, ils pourraient imposer des obligations types : l’obligation d’effectuer une évaluation de l’impact avant d’entreprendre toute activité d’investissement direct; celle de se conformer aux lois sur le travail; l’obligation, pour le pays d’origine (le Canada), d’assurer l’accès aux tribunaux pour les victimes de violations des droits de la personne commises par ses entreprises.

Le deuxième point préoccupant — le fait qu’un accord conçu sur le modèle de l’ALENA serait préjudiciable aux pauvres — a été porté à l’attention du Comité au cours de ses audiences en Colombie. Le Comité a aussi entendu des témoins convaincus qu’un accord de libre-échange avec le Canada ne ferait qu’élargir le fossé entre les riches et les pauvres de la Colombie.

Cette opinion prévalait parmi les membres des syndicats du secteur public colombien. Les syndicalistes du secteur public ont fait valoir qu’ils ne s’opposaient pas au commerce en soi, mais plutôt à ce genre d’entente « néolibérale ». Selon eux, un accord du type ALENA compromettrait la souveraineté de la Colombie en accordant trop de droits aux entreprises présentes en Colombie et pas assez au gouvernement colombien lui-même et en déniant leurs droits aux citoyens.

Les dirigeants syndicaux ont également dit au Comité que le programme des négociations commerciales entre les pays industrialisés et les pays en développement est déterminé par les premiers et qu’en conséquence les pays riches sont avantagés pendant que les pays pauvres pâtissent. Ils se sont montrés préoccupés par l’expérience du Mexique dans le contexte de l’ALENA. À leur avis, depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA, la situation économique des pauvres s’est détériorée au Mexique : l’emploi est devenu plus précaire et la sous-traitance a augmenté. Ils ne voulaient absolument pas de cette expérience pour la Colombie.

6. Des négociations qui doivent être transparentes et inclusives

Les négociations sur un accord de libre-échange Canada-Colombie ont progressé rapidement à partir du moment où elles se sont amorcées en juillet 2007. Toutefois, des témoins rencontrés en Colombie ont dit au Comité que les entreprises colombiennes avaient été activement consultées pendant ces négociations, mais pas les groupes de la société civile et les syndicats. Aux yeux de certains, l’absence de vastes consultations publiques affaiblissait la légitimité des négociations. De plus, certains ont fait valoir que les gouvernements, s’ils ne prennent pas en considération le point de vue de la société civile et des syndicats, ne peuvent saisir véritablement l’impact de l’accord.

Les témoins rencontrés au Canada, quant à eux, ont indiqué pour la plupart qu’ils avaient été consultés, eux ou leur association, avant et pendant les négociations. Ce n’est toutefois pas le cas de tous les témoins. Étant donné la nature controversée des négociations et le fait que le texte de l’accord n’a pas encore été rendu public, certains Canadiens ont réclamé des discussions plus transparentes. Avant la signature de l’accord, le Comité a entendu le témoignage de Roger Falconer, chef du service du recrutement et des campagnes stratégiques au Syndicat des métallos. Il a déclaré :

[Si le Canada] veut poursuivre la négociation d'un accord avec la Colombie, il doit faire preuve de transparence. Il est inconcevable que ces accords soient négociés en secret, sans consultation publique d'envergure49.

Mark Rowlinson était aussi d’avis qu’il fallait des négociations plus transparentes, en ajoutant toutefois qu’un débat ouvert sur l’accord Canada-Colombie devrait avoir lieu une fois l’accord finalisé :

[…] une fois [terminé, le] texte devrait être diffusé au public. Le gouvernement du Canada devrait engager le mouvement syndical, les organisations de la société civile et les associations professionnelles dans un processus consultatif exhaustif au sujet de l’accord, et celui-ci devrait en bout de ligne être soumis pour ratification […] à la Chambre des communes50.

7. La Colombie n’est pas un grand marché pour le Canada

Enfin, des témoins ont signalé que le Canada ne devrait pas chercher à conclure un accord de libre-échange avec la Colombie parce que le marché colombien est relativement peu important pour lui. Bien que le commerce avec la Colombie ait connu une progression rapide ces dernières années, il ne représente que 0,15 % des échanges de marchandises effectuées par le Canada dans le monde en 2007 et 0,12 % des importations canadiennes.

Ainsi, Glen Hodgson, du Conference Board du Canada, a fait observer que le Canada a moins d’échanges commerciaux avec la Colombie qu’avec le Delaware ou le Rhode Island. Selon lui, la Colombie n’est pas un acteur important pour le Canada, comparativement à d’autres marchés plus rapprochés. Il a affirmé pour cette raison qu’un accord de libre-échange avec la Colombie ne permettrait pas d’améliorer grandement la compétitivité du Canada sur le plan international ni son intégration dans l’économie mondiale.

En fait, il a été dit que la négociation d’un accord de libre-échange avec un pays tel que la Colombie ne constitue pas une utilisation rationnelle des ressources limitées du Canada en matière de négociation. Il serait davantage dans l’intérêt du Canada de négocier des accords avec des entités comme l’Union européenne ou avec des pays comme la Chine ou, peut-être, le Brésil. M. Hodgson a formulé ces commentaires :

[…] la vraie question est de savoir si ça devrait être notre priorité. La Colombie devrait-elle être vraiment le prochain pays sur notre liste ou devrions-nous plutôt songer, par exemple, au libre-échange avec l’Union européenne dans le sillage de notre accord de libre-échange avec les pays de l’[AELE]51?

Ce point de vue n’a cependant pas fait l’unanimité chez les témoins. Thomas d’Aquino a indiqué que la Colombie n’a pas un marché aussi intéressant que le Brésil ou l’Union européenne, mais que c’est un pays important de l’hémisphère. À son avis, si le Canada devait axer uniquement ses efforts de négociation sur la taille du marché, il ne s’intéresserait qu’à quelques pays et écarterait les autres. En outre, on a souligné qu’une nette différence à faire entre la Colombie et le Brésil ou l’Union européenne est que la Colombie était disposée à négocier un accord avec le Canada alors que ni le Brésil ni l’Union européenne ne s’étaient montrés intéressés.

Conclusion

Pendant sa mission d’étude, le Comité a été informé que, pour interpréter les événements récents en Colombie, il fallait faire une distinction entre un « instantané » du pays tel qu’il existe en ce moment et un « film », qui présente la situation actuelle comme le produit de l’histoire. Sous l’angle de l’« instantané », la Colombie est dans une situation déplorable. La violence, les meurtres, les déplacements forcés et les autres violations des droits de la personne sont fréquents. Le trafic des stupéfiants a un effet extrêmement dommageable sur les populations rurales et l’environnement. Le gouvernement n’applique guère les lois et les règlements et n’est pas vraiment en mesure d’assurer une présence efficace et visible sur tout le territoire colombien.

En revanche, le « film » dépeint une transformation. Les violations et problèmes énumérés ci-dessus sont incontestés, même par le gouvernement colombien, mais on s’entend pour dire que la situation s’est améliorée depuis six ans. Les actes de violence, les meurtres et les enlèvements ne représentent plus qu’une fraction de ce qu’ils étaient auparavant, l’influence des groupes guérilleros et paramilitaires a beaucoup diminué, les administrations locales ont repris le contrôle des zones rurales et le gouvernement national accomplit des progrès au chapitre de la justice, de la stabilité institutionnelle et de la lutte contre la corruption. Il en a résulté une forte augmentation des investissements directs étrangers, une amélioration de la conjoncture économique et de modestes progrès dans la réduction de la pauvreté.

Bien que la distinction entre l’« instantané » et le « film » ne soit pas difficile à établir, le fait est qu’en dépit des améliorations, la situation sur le plan de la sécurité, des droits de la personne et de la corruption demeure médiocre. La Colombie que les différents témoins ont décrite au Comité et que celui-ci a observée sur place est un pays de grandes contradictions : la situation des droits de la personne s’est nettement améliorée, mais de brutales violations continuent d’être commises; la croissance économique et la conjoncture commerciale ont connu des progrès, mais il continue d’y avoir des plaintes d’exactions contre les syndiqués et le taux de pauvreté demeure inacceptable. Le gouvernement cherche à démobiliser les groupes armés illégaux, à poursuivre leurs membres en justice et à dédommager les victimes, mais les anciens groupes paramilitaires sont nombreux à se remobiliser, les condamnations pour meurtre restent négligeables et des dizaines de membres du Congrès sont en prison ou soumis à une enquête pour leurs liens avec des groupes paramilitaires.

Étant donné ces contradictions apparentes, le Comité a reçu des avis très divergents des témoins rencontrés à Ottawa et en Colombie sur la question de savoir si le Canada devrait poursuivre la négociation d’un accord avec la Colombie ou, maintenant qu’il a été conclu, le signer et le mettre en œuvre. C’est fondamentalement une question d’engagement constructif. À Ottawa comme à Bogotá, les témoins étaient tous d’avis que le Canada devrait nouer activement des liens avec la Colombie pour l’aider à poursuivre ses progrès en matière de droits de la personne et d’environnement, pour promouvoir la paix et la sécurité et pour développer la capacité des institutions gouvernementales d’atteindre ces objectifs. Le seul point en litige était de savoir si un accord de libre-échange était une forme d’engagement appropriée. Comme l’a indiqué Glen Hodgson,

[…] si vous commencez à parler de libre-échange avec un pays possédant une histoire d’infraction aux droits humains, est-ce une approbation, un appui ou un endossement tacite de ses politiques ou est-ce que le libre-échange est en réalité le moyen d’obtenir un engagement approfondi avec ce pays52?

M. Hodgson a fait observer que, selon une étude menée par le Conference Board du Canada, le libre-échange avec des pays qui ne sont pas aussi ouverts ou libres que le Canada est probablement une condition indispensable au renforcement du dialogue. Il a ajouté que de nombreux pays ont adopté cette approche envers la Chine; la Nouvelle-Zélande et l’Australie — deux démocraties avancées qui respectent les droits de la personne — négocient actuellement un accord de libre-échange avec la Chine malgré les allégations d’atteintes aux droits de la personne dans ce pays. De l’avis de M. Hodgson, le libre-échange et la libéralisation du commerce sont des outils qui peuvent servir à réaliser des progrès dans des domaines comme les droits de la personne, l’environnement et la démocratisation.

Un certain nombre de témoins étaient d’avis que le libre-échange, par le rapprochement et la croissance économique qu’il engendre, peut avoir un effet positif sur les droits de la personne et l’environnement en Colombie. Vladimir Torres a fait valoir que les accords commerciaux peuvent mener à d’autres types d’accord et même contribuer à rehausser les normes de protection de l’environnement et à accroître la responsabilité sociale des entreprises. On a également dit au Comité que la conclusion d’un accord de libre-échange non seulement attesterait le soutien du Canada à un allié en Amérique latine, mais surtout procurerait à la Colombie les outils économiques nécessaires pour atteindre ses objectifs à long terme touchant la sécurité, la pauvreté, la corruption, les droits de la personne et l’environnement.

D’autres témoins estimaient eux aussi que le Canada devrait établir activement des liens avec la Colombie pour l’aider à surmonter ses difficultés au chapitre des droits de la personne et de l’environnement, mais ils ne pensaient pas qu’un accord de libre-échange était un bon moyen d’y parvenir. Pour eux, le libre-échange repose sur certains principes fondamentaux, tels que le respect des droits de la personne, qui doit être en place avant la signature de l’accord. Comme l’a indiqué Maria McFarlane, nous sommes d’avis que « tout accord de libre-échange devrait supposer au départ que les droits fondamentaux de la personne sont respectés, y compris et surtout le droit des travailleurs qui produisent les biens qui vont faire l'objet du commerce53 ». Mme McFarlane et d’autres témoins, comme Gilles-Philippe Pagé, de Peace Brigades International, voyaient une contradiction entre, d’une part, les valeurs du Canada et ses engagements à l’égard des droits de la personne au niveau international et, d’autre part, son soutien au gouvernement Uribe en Colombie.

On a en outre signalé au Comité que le refus de signer ou de ratifier un accord de libre-échange n’équivaudrait pas, pour le Canada, à rompre les liens avec la Colombie. De l’avis de certains, le Canada, au lieu de négocier un accord, devrait intensifier ses efforts d’aide au développement et de coopération internationale en Colombie pour aider le pays à régler des questions comme les déplacements internes et le développement des capacités institutionnelles. Pour d’autres, la suspension des négociations sur le libre-échange ne nuirait pas à l’économie colombienne, qui prospère malgré l’absence d’importants accords de libéralisation du commerce.

Plusieurs témoins ont plaidé pour que le Canada suspende les négociations ou retarde la ratification de l’accord d’ici à ce que des organisations indépendantes vérifient qu’il n’y a plus d’atteintes aux droits de la personne en Colombie. Maria McFarlane a dit qu’en procédant de la sorte, le Canada peut faire pression sur la Colombie pour faire avancer la réforme.

En retardant l’examen de l’accord de libre-échange, le Canada se doterait d’un précieux moyen de pression qui pourrait servir à obtenir, enfin, du gouvernement de la Colombie qu’il prenne des mesures sérieuses pour mettre fin de manière durable à la violence menée contre les syndicalistes et à l’impunité des auteurs de ces actes54.

La négociation de l’accord de libre-échange Canada-Colombie et des deux accords parallèles dans les domaines du travail et de l’environnement a abouti pendant l’étude du Comité. Toutefois, l’accord n’est pas encore officiellement signé par le ministre du Commerce international, David Emerson : il faudra attendre les résultats d’un examen juridique du libellé par les deux parties. C’est pour cette raison que le texte de l’accord n’a pas été rendu public et que le projet de loi visant sa mise en œuvre n’est pas près d’être déposé.

N’ayant pas accès au texte, le Comité n’est pas en mesure de formuler son avis sur la qualité de l’accord, tant en ce qui concerne l’amélioration de l’accès des entreprises canadiennes au marché que les mesures pouvant être prises pour amener la Colombie à s’attaquer à d’importants dossiers, comme les droits de la personne, l’environnement, les droits des travailleurs et la responsabilité sociale des entreprises.  Alors, d’ici à la signature officielle de l’accord et à la publication du texte, le gouvernement du Canada a la possibilité d’étudier les modalités de l’accord et les observations du présent rapport.

Enfin, compte tenu de l’importance des points qui ont été soulevés par les témoins lors de cette étude, le Comité déplore l’attitude du gouvernement qui a annoncé la conclusion des négociations avec la Colombie avant de recevoir les recommandations du Comité.

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RECOMMANDATIONS AU GOUVERNEMENT DU CANADA

Recommandation 1 :

Le comité recommande que le gouvernement du Canada ne devrait pas signer et mettre en œuvre un accord de libre-échange avec le gouvernement de la Colombie tant que le gouvernement canadien n’aura pas pris en considération les recommandations du présent rapport, y compris celles des rapports dissidents.

Recommandation 2 :

Le comité recommande que le gouvernement du Canada continue à entretenir des liens étroits avec la Colombie mais de ne pas signer d’accord de libre-échange tant qu’il n’y aura pas confirmation que l’amélioration obtenue se maintienne et qu’il y ait un continu dans son bilan en matière de déplacement de population, de droit du travail et d’imputabilité des crimes, et que le gouvernement colombien n’adoptera pas une attitude plus constructive vis-à-vis les groupes de défense des droits présents sur son territoire.

Recommandation 3 :

Le comité recommande que le gouvernement du Canada s’inspire des travaux de l’organisme Droits et Démocratie afin de mandater une organisation indépendante pour mener des études d’impacts sur les droits et l’environnement lorsqu’il négocie des accords d’ordre économique avec des pays à « risque » comme dans le cas de l’accord avec la Colombie.

Recommandation 4 :

Le comité recommande qu’un organe compétent effectue un examen indépendant, impartial et complet des répercussions d’un accord sur les droits de la personne, examen qui serait vérifié et validé, puis qu’il formule des recommandations à mettre en œuvre avant que le Canada n’envisage de signer, de ratifier et d’exécuter un accord avec la Colombie.

Recommandation 5 :

Le comité recommande de veiller à ce que l’accord commercial avec la Colombie prévoie que les ententes séparées en matière de travail et d’environnement dépasseront les schèmes de référence de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) afin de fixer une norme plus élevée aux futures négociations.

Recommandation 6 :

Le comité recommande d’assortir l’accord commercial avec la Colombie de dispositions légales en matière de responsabilité sociale d’entreprise et de mécanismes déclaratifs qui permettent de déterminer dans quelle mesure les entités canadiennes qui investissent dans le pays respectent les normes en matière de droits universels de la personne.

Recommandation 7 :

Le comité recommande au gouvernement du Canada a) d’inclure dans l’accord commercial avec la Colombie un mécanisme d’observation et d’exécution des dispositions en matière d’environnement et de droits de la personne comparable à la Commission nord-américaine de coopération environnementale et dépassant le schème de référence de l’ALENA; b) de veiller à ce que ce mécanisme soit indépendant et objectif et reçoive les ressources financières nécessaires pour s’acquitter de ses tâches aux termes d’une clause d’indexation incorporée à l’accord; c) d’assortir ce mécanisme d’un processus qui permette au public de suivre l’évolution de la situation et d’en rendre compte au moyen, par exemple, de mémoires de citoyens.

Recommandation 8 :

Le comité recommande au gouvernement de formuler des normes en ce qui concerne la responsabilité sociale des entreprises quant au respect des normes universelles en matière des droits de la personne. Le non-respect de ces normes minimales pourrait  engager des pénalités au Canada pour ces entreprises.


[1]              Documentation fournie par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada.

[2]              Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, témoignage devant le Comité, 14 mai 2008.

[3]              Le Congrès de Colombie est élu au suffrage populaire pour un mandat de quatre ans; à l’heure actuelle, il compte 15 partis officiellement reconnus et plusieurs partis n’ayant pas obtenu le pourcentage de votes nécessaires à la reconnaissance officielle. Pour les 102 sièges du Sénat, les élections ont lieu à l’échelle nationale, tandis que pour les 166 sièges de la Chambre des représentants, elles ont lieu à l’échelle régionale.

[4]              Le vice-président colombien Francisco Santos Calderón a indiqué au Comité qu’il y avait eu environ 3000 meurtres en 2002.

[5]              Le ministre colombien des Affaires étrangères, Fernando Araújo Perdomo, a indiqué au Comité qu’il y avait eu environ 3000 enlèvements en 2002, mais seulement 270 en 2007. Dans son rapport de 2008, La situation des droits humains dans le monde, Amnistie internationale donne le chiffre de 521 pour 2007 (http://thereport.amnesty.org/fra/regions/americas/colombia).

[6]              Vice-président colombien Francisco Santos Calderón, témoignage devant le Comité, 13 mai 2008.

[7]              Documentation fournie par le MAECI.

[8]              Jaime Giron Duarte, ambassadeur de Colombie au Canada, témoignage devant le Comité, 14 avril 2008.

[9]              Voir : http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2007/100633.htm.

[10]           Témoignage de l’ONUDC.

[11]           Rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en Colombie, E/CN.4/2006/9*, 16 mai 2006.

[12]           James Lambert, directeur général, Direction générale de l’Amérique latine et des Antilles, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, témoignage devant le Comité, 16 avril 2008.

[13]           Ibid.

[15]           Jean-Michel Laurin, vice-président, Politiques d’affaires mondiales, Manufacturiers et exportateurs du Canada, témoignage devant le Comité, 26 mai 2008.

[16]           Sandra Marsden, présidente, Institut canadien du sucre, témoignage devant le Comité, 2 juin 2008.

[17]           Thomas d’Aquino, chef de la direction et président, Conseil canadien des chefs d’entreprise, témoignage devant le Comité, 28 mai 2008.

[18]           John Masswohl, directeur, Relations gouvernementales et internationales, Canadian Cattlemen’s Association, témoignage devant le Comité, 30 avril 2008.

[19]           Vladimir Torres, gestionnaire de projets, Commerce et développement, Fondation canadienne pour les Amériques, témoignage devant le Comité, 4 juin 2008.

[20]           Témoignage de M. Lambert.

[21]           Carol Nelder-Corvari, directrice, Division de la politique commerciale internationale, Finances Canada, témoignage devant le Comité, 16 avril 2008.

[22]           Témoignage de M. Torres.

[23]           Témoignage de Mme Nelder-Corvari.

[24]          Pierre Bouchard, directeur, Bureau de coopération interaméricaine dans le domaine du travail, Ressources humaines et Développement social Canada, témoignage devant le Comité, 16 avril 2008.

[25]           Ibid.

[26]           D’après un communiqué de presse du 7 juin 2008, l’amende pour manquement aux normes de l’OIT et à l’exécution des lois colombiennes s’élève à 15 millions de dollars par an.

[27]           Témoignage de M. D’Aquino.

[28]           Penelope Simons, , Université d’Ottawa, témoignage devant le Comité, 28 mai 2008.

[29]           Gauri Sreenivasan, analyste principale des politiques, Commerce international, Conseil canadien pour la coopération internationale, témoignage devant le Comité, 30 avril 2008.

[30]           Témoignage de Mme Nelder-Corvari.

[31]           Dean Knudson, directeur général, Amériques, Environnement Canada, témoignage devant le Comité, 16 avril 2008.

[32]           Témoignage de M. Bouchard.

[33]           Témoignage de Mme Nelder-Corvari.

[34]           John D. Wright, président-directeur général, Petrobank Energy and Resources Ltd., témoignage devant le Comité, 26 mai 2008.

[35]           Brian Zeiler-Kligman, analyste de politiques, International, Chambre de commerce du Canada, témoignage devant le Comité, 2 juin 2008.

[36]           Office of the United States Trade Representative (2007), p. 1. [traduction]

[37]           Gerry Barr, président-directeur général, Conseil canadien pour la coopération internationale, témoignage devant le Comité, 30 avril 2008.

[38]           Témoignage de Mme Sreenivasan.

[39]           Témoignage de Mme Simons.

[40]           Témoignage de Mme Sreenivasan.

[41]           Ibid.

[42]           Mark Rowlinson, avocat spécialisé en droit du travail, Association canadienne des avocats du mouvement syndical, témoignage devant le Comité, 26 mai 2008.

[43]           Ibid.

[44]           Ibid.

[45]           Ken Georgetti, Président, Congrès du travail du Canada, témoignage devant le Comité, 9 juin 2008. [traduction]

[46]           Ibid.

[47]           Geoff Garver, expert-conseil en environnement, témoignage devant le Comité, 9 juin 2008.

[48]           Témoignage de Mme Simons.

[49]           Roger Falconer, chef de service, Recrutement et campagnes stratégiques, Syndicat des métallos, témoignage devant le Comité, 4 juin 2008.

[50]           Témoignage de M. Rowlinson.

[51]           Glen Hodgson, vice-président et économiste en chef, Conference Board du Canada, témoignage devant le Comité, 28 mai 2008.

[52]           Témoignage de M. Hodgson.

[53]           Maria McFarlane, recherchiste principale, Human Rights Watch, témoignage devant le Comité, 2 juin 2008.

[54]           Ibid.