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FAAE Rapport du Comité

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LES COMPOSANTES D’UNE STRATÉGIE CANADIENNE À L’ÉGARD DES MARCHÉS ÉMERGENTS

INTRODUCTION

Le Canada doit sa prospérité aux échanges et aux investissements internationaux. Ses exportations représentent quelque 38 p. 100 de son produit intérieur brut. La valeur des investissements que détiennent les Canadiens un peu partout au monde est de 399 milliards de dollars, et les investissements étrangers au Canada se chiffrent à près de 358 milliards de dollars.

Cette activité économique est largement concentrée sur un marché — celui des États-Unis. Nos voisins du sud absorbent 85 p. 100 de nos exportations et comptent pour 59 p. 100 de nos importations. Près de 64 p. 100 des investissements étrangers au Canada proviennent des États-Unis.

Même si le marché américain génère et continuera de générer une activité économique et la création de richesse au Canada, on s’entend de plus en plus pour dire que nous devons voir au-delà. On craint que le Canada ne soit devenu trop dépendant à l’égard des États-Unis au détriment d’autres débouchés.

Il est vrai que la croissance économique mondiale n’a plus pour moteur les grands pays industrialisés — États-Unis, Japon, Royaume-Uni, France et Allemagne, pour n’en citer que quelques-uns — mais des pays dont l’économie croît rapidement sur la scène internationale, comme la Chine, l’Inde et le Brésil, dont la taille et le potentiel économique sont en train de bouleverser l’influence et le pouvoir économiques à l’échelle du monde.

Qui plus est, la nature de l’économie mondiale est elle-même en train d’évoluer. Il ne s’agit plus uniquement d’importations et d’exportations. Aujourd’hui, le commerce et l’investissement s’inscrivent dans un réseau complexe de chaînes d’approvisionnement mondiales, de marchés spécialisés et de créneaux auxquels participent les nouvelles économies. Il est crucial que le Canada fasse partie de ce réseau pour être prospère à long terme.

Les marchés émergents présentent des débouchés considérables sur le plan du commerce et des investissements pour les entreprises canadiennes. Mais ces grandes économies à croissance rapide n’influent pas seulement sur les entreprises oeuvrant sur les marchés internationaux. Des pays comme la Chine peuvent produire des marchandises à bien meilleur coût que le Canada. Que signifie cette concurrence accrue pour les entreprises canadiennes? Comment s’adapteront-elles?

Pour toutes ces raisons, le gouvernement du Canada, par l’entremise du ministère des Affaires étrangères et du commerce international, a manifesté son intention d’élaborer une stratégie nationale à l’égard des marchés émergents. Dès le début de 2004, le Ministère a commencé à solliciter le point de vue et les commentaires du milieu des affaires dans un certain nombre de secteurs clés : ses besoins et ses intentions à propos des marchés émergents; les marchés considérés comme prioritaires et le type de politiques et d’outils promotionnels du gouvernement fédéral qui seraient les plus utiles. Vers la fin de l’année, le MAECI a tenu une série de tables rondes avec des organismes publics, privés, universitaires et non gouvernementaux.

Le ministre Peterson a aussi demandé au Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux de contribuer à l’élaboration de cette stratégie. Le Sous-comité a donc consulté des intervenants d’un peu partout au pays afin de se documenter sur les types de services, de programmes et d’instruments stratégiques qui devraient être incorporés à une telle stratégie. Les témoignages entendus ont porté sur un large éventail de sujets, de la nécessité d’investir dans l’infrastructure au Canada même jusqu’à celle d’offrir davantage de services sur place dans les ambassades et les bureaux consulaires canadiens un peu partout au monde. Nous résumons ici les opinions entendues au cours de nos audiences.

Le présent document se veut une contribution à ce qui est déjà considéré comme un processus en évolution. Dans un débat sur la portée de l’étude du Sous-comité, Ken Sunquist (sous-ministre adjoint, Affaires internationales et délégué commercial en chef, Commerce international Canada) a laissé entendre qu’il n’y aurait pas de document définitif sur une stratégie à l’égard des marchés émergents en raison du caractère évolutif de la conjoncture économique et politique.

Le corps du présent rapport se compose de quatre sections. La première porte sur les marchés qui devraient être essentiellement visés par une stratégie à l’égard des marchés émergents. La deuxième section est axée sur les instruments stratégiques dont dispose le gouvernement pour promouvoir le commerce et l’investissement avec ses marchés prioritaires. Elle traite également de la nécessité de concilier ces initiatives stratégiques et de composer avec la responsabilité sociale des entreprises, les droits de la personne et autres préoccupations connexes. Dans la troisième section, nous examinons les services et les programmes que le gouvernement fédéral a mis en place pour appuyer le développement du commerce international. Et enfin, nous abordons la situation du Canada sous l’angle des politiques et des infrastructures à mettre en place pour que le Canada et les entreprises canadiennes puissent resserrer leurs liens économiques avec les marchés étrangers. La dernière section porte également sur les mesures que le Canada peut prendre pour relever les défis que la concurrence des marchés émergents peut lui poser.

LES DÉBOUCHÉS DU CANADA

En règle générale, on entend par «  marché émergent  » ou «  économie émergente  » l’économie d’un pays en développement qui connaît une croissance rapide. Ces pays sont aussi généralement en train de bâtir des systèmes réglementaires et juridiques fiables et transparents. Les premiers marchés émergents, devenus des économies stables, sont le Japon, la Corée du Sud, Singapour et Taiwan. On trouve aujourd’hui des marchés émergents un peu partout, mais surtout en Asie, dans certains secteurs d’Amérique du Sud et dans l’ancienne Union soviétique. Les deux pays mentionnés le plus fréquemment sont la Chine et l’Inde, qui constituent manifestement une catégorie distincte, car, en plus de connaître une croissance rapide, ils sont les deux pays les plus peuplés au monde.

Plusieurs témoins ont fait observer que le terme «  émergent  » n’était pas une description particulièrement exacte de ces grandes économies. Pour Gauri Sreenivasan (agente de politique de commerce, Conseil canadien pour la coopération internationale), la montée des puissances comme la Chine, l’Inde et le Brésil est le signe d’un bouleversement profond au niveau de l’équilibre du pouvoir politique. Elle a laissé entendre que c'est à nos risques et périls que nous persistons à ne considérer ces puissances que comme des marchés émergents. Robert Keyes (vice-président, Division internationale, Chambre de commerce du Canada) était du même avis. Il a signalé que, sur le plan de la production économique corrigée en fonction du pouvoir d’achat, la Chine, l’Inde et le Brésil se classent deuxième, quatrième et neuvième au monde respectivement. Le Canada est en 11e position. M. Keyes a expliqué qu’il s’agit de marchés stratégiques et vitaux mais pas nécessairement «  émergents  ».

Nous sommes d’accord avec ces observations, mais par simple commodité nous conserverons l’expression «  marché émergent  » dans le présent rapport. Comme nous l’avons déjà dit, un marché émergent est généralement défini comme un pays qui se trouve aux dernières étapes du développement et dont l’économie affiche une croissance rapide — ce qui est le cas de la Chine, de l’Inde et du Brésil. Qu’il s’agisse là des trois des plus importantes économies au monde n’empêche pas qu’elles connaissent une transformation rapide; c’est au contraire le signe de l’importance de cette transformation.

Pour ce qui est des pays que devrait cibler la stratégie, il était manifeste, dès les premières audiences, que la Chine devait être la priorité du Canada. C’était en effet le point de vue des représentants du gouvernement et du ministre du Commerce, mais également celui des entreprises et des associations qui, tout en reconnaissant l’existence de débouchés ailleurs dans le monde, estimaient que la Chine était à part.

D’autres marchés clairement prioritaires sont ceux de l’Inde et du Brésil. Avec la Chine, ils ont été expressément mentionnés dans le discours du Trône de février 2004. En outre, il est indiqué dans le récent Énoncé de politique internationale que le «  Canada doit se positionner de manière avantageuse auprès de nouvelles puissances économiques tels la Chine, l’Inde et le Brésil  ».

Le MAECI a décidé que la Chine, l’Inde et le Brésil constituaient des marchés prioritaires parce qu’ils ont des économies en forte croissance, constituent des centres économiques régionaux et modifient de plus en plus l’équilibre des puissances économiques mondiales. On pourrait également ajouter que, pour le Canada, un marché émergent est également un pays avec lequel nos relations économiques sont moindres que ce qu’elles devraient être compte tenu de la taille de l’économie en question.

À la lumière de ces critères, un autre pays peut avoir le statut de marché émergent avec lequel le Canada pourrait souhaiter accroître ses efforts sur le plan du commerce et de l’investissement : il s’agit de la Russie. Piers Cumberlege (directeur général intérimaire, Canada Eurasia Russia Business Association) a rappelé au Sous-comité que la Russie est souvent associée aux trois pays mentionnés plus haut (le Brésil, l’Inde et la Chine). Pour M. Cumberlege, il faut veiller à réintégrer la Russie dans ce groupe.

Lorsque l’on choisit des marchés prioritaires en vue d’élaborer une stratégie à l’égard des marchés émergents, la difficulté vient de ce qu’il existe des débouchés un peu partout dans le monde. Le Conseil de commerce canado-arabe et un certain nombre d’ambassadeurs canadiens nous ont informés des perspectives économiques qu’offrent les États arabes. On nous a également mentionné des débouchés sur les marchés émergents en Europe de l’Est et dans les anciennes républiques soviétiques. Pour d’autres, le Canada devrait axer davantage sa politique commerciale sur les pays de l’Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE).

Il serait certes bon d’allonger la liste des marchés émergents constituant une priorité. On nous a expliqué que le simple fait d’annoncer qu’une région ou un pays constituait un marché prioritaire pour le Canada éveillait l’intérêt des entreprises. Robert Blackburn (vice-président principal, Gouvernement et institutions de développement international, Groupe SNC-Lavalin Inc.) a fait observer que, lorsque les pouvoirs publics s’intéressent à un marché en particulier, les entreprises leur emboîtent le pas. Il a pris pour exemple l’entente de libre-échange avec le Chili et l’attention que suscite depuis peu le développement en Afrique.

De l’avis de représentants du gouvernement, il sera délicat de faire un choix entre les divers pays à inclure dans une stratégie à l’égard des marchés émergents. Ken Sunquist a expliqué, d’une part, que

[T]oute stratégie relative aux marchés émergents ne doit pas viser seulement un, deux ou trois pays. Il faut envisager toutes les occasions possibles pour les entreprises canadiennes.

Et, d’autre part, que

[L']une des raisons pour lesquelles nous voulons mettre une stratégie en place est que nous ne pouvons pas être partout à la fois. Il est essentiel d'axer nos efforts sur les marchés présentant le plus d'intérêt et offrant les meilleures perspectives et dans lesquels nous pourrons obtenir les meilleurs résultats.

Le Sous-comité convient que, pour qu’une stratégie à l’égard des marchés émergents soit efficace, elle doit être focalisée et ciblée. Nous estimons que le gouvernement du Canada devrait consacrer davantage de ressources à la promotion du commerce, tout en sachant pertinemment que ces ressources ne sont pas illimitées. Il doit choisir où affecter ses ressources de manière à en tirer le meilleur parti pour l’ensemble de la population. Une stratégie englobant trop de pays ne mènerait à rien. Il faut également reconnaître, toutefois, que ce sont les entreprises canadiennes qui évolueront dans le contexte mis en place par la stratégie; cette dernière doit donc tenir compte des priorités des entreprises et ne pas laisser de côté des pays considérés comme importants.

Il nous semble que, si on leur donne les bons renseignements et les bons outils pour réussir, les entreprises canadiennes choisiront les marchés où elles auront les meilleures chances de succès. De toute évidence, à en croire les témoignages, les débouchés les plus intéressants se trouvent en Chine, en Inde et au Brésil. Mais nous estimons que la Russie devrait aussi faire partie de la liste. Les témoins nous ont amplement démontré qu’ils savent fort bien rechercher des débouchés là où ils se trouvent, au-delà de ces quatre pays. Nous en voulons pour preuve l’insistance avec laquelle tant de témoins ont recommandé leur propre marché comme étant digne d’intérêt dans une politique nationale.

Nous tirons donc deux grandes conclusions. Tout d’abord, la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie devraient être au cœur de la stratégie canadienne à l’égard des marchés émergents. En second lieu, les programmes du gouvernement devraient être de portée suffisamment large pour que les entreprises ne soient pas limitées implicitement par les priorités établies et puissent exploiter des débouchés sur les autres marchés émergents, notamment en Asie, en Europe de l’Est et dans les États arabes. Nous recommandons donc.

Recommandation 1 :

Que, sans exclure les autres marchés émergents, le gouvernement du Canada axe sa stratégie à l’égard des marchés émergents sur la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie.

Recommandation 2 :

Que, dans le contexte de la recommandation 1, le gouvernement prenne toutes les mesures possibles pour informer les entreprises canadiennes des débouchés en matière de commerce et d’investissement partout au monde; ses programmes et ses politiques devraient être suffisamment souples et attentifs pour que les entreprises puissent explorer ces débouchés, dans le respect des lois des pays concernés et des principes de la responsabilité sociale des entreprises.

LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE À L’ÉGARD DES MARCHÉS ÉMERGENTS

Mais, presque pour chaque marché, nous devons savoir ce qu'il faut faire pour le pénétrer. — Ken Sunquist

Toute cette stratégie à l’égard des marchés émergents vise essentiellement à éliminer les obstacles à un resserrement des liens sur le plan du commerce et de l’investissement et à mettre en place des politiques qui encouragent le développement des affaires. La difficulté vient toutefois de ce qu’il faut différents instruments stratégiques selon les pays. Et donc une stratégie à l’égard des pays émergents ne peut appliquer la même approche pour ce qui est des mesures encourageant le commerce et celles encourageant l’investissement. Elle doit être ciblée selon les obstacles particuliers à surmonter dans ces marchés prioritaires.

A.        Accords bilatéraux

1.         Accords de libre-échange

Les accords bilatéraux de libre-échange sont les premiers outils stratégiques pour obtenir un accès réciproque aux marchés émergents. Les ententes visant à abaisser les barrières tarifaires et non tarifaires permettent non seulement d’ouvrir la porte à des échanges mutuels, mais fournissent également au Canada un avantage par rapport à ses concurrents sur les marchés qui n’ont pas le même niveau d’accès.

Le Canada connaît bien les ententes bilatérales et régionales de libre-échange. Outre l’ALENA, il a signé des accords de libre-échange (ALE) avec le Chili, l’Israël et le Costa Rica. Il négocie ou étudie également plusieurs autres ententes, notamment un accord visant à renforcer le commerce et l'investissement avec l’Union européenne, une entente de libre-échange avec la Corée du Sud et un accord de partenariat économique avec le Japon. Le Canada a aussi entamé des négociations relatives à une entente de libre-échange, sans les mener à terme, avec les quatre pays centraméricains (Guatemala, Honduras, El Salvador et Nicaragua), avec Singapour et avec l’Association européenne de libre-échange (Suisse, Liechtenstein, Islande et Norvège).

Plusieurs témoins ont dit appuyer les efforts de libéralisation du commerce que déploie le Canada. Robert Keyes, notamment, estime qu’il est stratégiquement bon pour le Canada de conclure de nouveaux types d’ententes en matière de commerce et d’investissement avec la Corée du Sud, le Japon et l’Union européenne. Pour lui, les ententes bilatérales permettent aux deux partenaires de cibler des questions particulières plus efficacement que dans le cadre de négociations multilatérales.

Pour de nombreux témoins, étant donné la lenteur avec laquelle se déroulent les négociations du cycle de Doha menées sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les ententes bilatérales ou régionales sont d’autant plus importantes qu’elles permettent au Canada de bénéficier plus tôt d’une libéralisation de l’accès au marché. Liam McCreery (président, Alliance canadienne du commerce agro-alimentaire), par exemple, estime que, même si l’OMC est l’autorité en la matière, le Canada doit s’employer davantage à conclure aussi des ententes commerciales bilatérales et régionales. Clifford Sosnow (associé, Blakes, Cassells & Graydon) était du même avis, précisant qu’il est difficile pour une entreprise axée sur ses résultats trimestriels d’attendre des années que des négociations multilatérales aboutissent.

Certains ont déclaré que les conséquences économiques de l’absence d’ententes bilatérales sont une autre raison de chercher avec acharnement à en conclure. Lorsque des pays signent des accords de libre-échange, ils obtiennent un accès préférentiel à leurs marchés mutuels, réduisant par le fait même l’accès des autres pays. M. McCreery a cité le cas des États-Unis qui ont signé récemment une ALE avec le Maroc et dont les producteurs de céréales jouissent désormais d’un accès préférentiel (par la voie du Maroc) à l’ensemble du continent africain, ce qui n’est pas le cas de leurs homologues canadiens.

Si la plupart des témoins étaient en faveur de la libéralisation des échanges, certains étaient opposés à la politique suivie jusqu’ici par le Canada en la matière. Danielle Goldfarb (analyste de politique principale, Institut C.D. Howe) a fait remarquer que, étant donné les pressions, notamment financières, sur les ressources que le gouvernement consacre aux négociations, les ententes commerciales bilatérales n’ont souvent pas donné des résultats suffisants. Elle a ajouté que le Canada a conclu des ALE avec de petits pays auxquels un meilleur accès présentait peu d’avantages économiques.

Pour Mme Goldfarb, plutôt que de répartir à l’infini les ressources du Canada, il faudrait négocier des ententes commerciales bilatérales globales comprenant des règles d’origine simples, c’est-à-dire des définitions généreuses du pays d’origine du produit, avec des grands marchés prioritaires ou des regroupements régionaux. Ce n’est qu’ainsi, a-t-elle expliqué, que les avantages des accords de libre-échange valent l’investissement de l’État.

On ignore parfois précisément pourquoi certains marchés sont retenus en vue d’ententes de libre-échange. Je dirais simplement que, si les ressources du ministère du Commerce sont maigres, comme elles le sont à mon avis, nous devons veiller à cibler des marchés existants solides et des marchés émergents clés et je me demande parfois si les pays avec lesquels nous négocions des ententes de libre-échange satisfont à ces critères.

Certains témoins se sont carrément dits opposés aux efforts de libre-échange déployés par le Canada. Pour Buzz Hargrove (président national, Syndicat des travailleurs et travailleuses canadiens de l’automobile), il est naïf et destructeur de chercher à tout prix à conclure des ententes de libre-échange. Il a laissé entendre que d’autres pays protègent leurs propres intérêts avec force et de manière stratégique. Il a fait référence au comportement des États-Unis dans le différend les opposant au Canada en matière de bois d’oeuvre résineux et à la faible pénétration des véhicules importés sur le marché japonais. M. Hargrove a laissé entendre que le Canada devrait conclure des ententes fondées sur des compromis sectoriels spécifiques plutôt que de conclure des ALE généraux.

Jim Stanford (économiste, Département des recherches, Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada) a repris ce point concernant l’accès au marché. Il a précisé que la Corée du Sud exporte pour 1,8 milliard de dollars de produits automobiles vers le Canada et n’achète rien en échange du fait, selon lui, d’un certain nombre de barrières économiques, politiques, non tarifaires et culturelles subtiles — ce dont les accords de libre-échange ne tiennent pas compte. M. Stanford estime que, lorsque le Canada négocie des ententes de libre-échange avec des pays comme la Corée du Sud, il ne faudrait pas fonder la question de l’accès au marché sur une uniformisation abstraite des règles du jeu, mais plutôt sur les véritables résultats commerciaux.

On a également mentionné au Sous-comité que l’on devrait consulter et écouter attentivement les entreprises chaque fois que sont négociées des ententes de libre-échange. Après tout, selon Robert Keyes, ce sont les entreprises qui devront respecter les modalités des ententes et évoluer dans le contexte ainsi créé.

[L]a communauté des gens d'affaires veut un processus de consultation qui est transparent, efficace et significatif pour les entreprises et les secteurs d'activité qui sont touchés. La participation par l'intermédiaire du site Web du ministère des Affaires étrangères est utile dans une certaine mesure et, comme de nombreux autres, nous avons présenté nos vues, mais cela n'est pas un substitut pour des discussions directes, franches et fréquentes entre les responsables qui négocient les accords et élaborent les stratégies d'une part et les entreprises d'autre part ... Les activités du gouvernement ne sont pas une fin en soi, mais un bon outil pour préparer le terrain pour l'activité des entreprises.

Le Sous-comité convient que le Canada doit axer ses négociations en matière de libre-échange sur les pays qui présentent le plus de potentiel pour les Canadiens. Il appuie donc l’amorce récente de négociations avec la Corée du Sud — notre huitième marché d’exportations et septième source d’importations. Toute négociation future en matière de libre-échange devrait concerner des économies ou des régions mondiales d’importance. Nous recommandons donc :

Recommandation 3 :

Que, sans renoncer à des débouchés stratégiques ailleurs, le gouvernement du Canada axe désormais ses efforts de négociation d’ententes bilatérales de libre-échange sur les groupes régionaux ou économiques de taille. Ces accords devraient comprendre des exigences très ouvertes en matière de règles d’origine et ne pas nuire aux efforts de libéralisation des échanges au niveau multilatéral. Aucune négociation de ce type ne devrait se faire sans consultation préalable des interlocuteurs canadiens, notamment de la société civile, afin de prendre en compte leurs besoins.

Annette Hester (économiste, chercheur-spécialiste universitaire, Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale) a pour sa part estimé que le Canada ne prenait pas assez au sérieux ses négociations commerciales. Selon elle, le Brésil est impatient de négocier une entente bilatérale avec le Canada, mais les négociateurs canadiens ne prennent pas la demande des Brésiliens suffisamment au sérieux et gâchent une excellente occasion d’obtenir un accès amélioré à un des marchés émergents prioritaires.

Comme le Sous-comité l’a indiqué dans son rapport de juin 2002 intitulé Renforcer les liens économiques du Canada avec les Amériques, le Brésil est le plus important membre du Marché commun du cône sud (Mercosur), bloc régional travaillant à l’établissement d’un tarif extérieur commun et à la libre circulation des biens, des services, des capitaux et de la main-d’œuvre entre les quatre pays membres (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay). En raison de la politique de tarif extérieur commun, le Canada ne peut négocier d’ententes de libre-échange avec les divers pays, qui ne peuvent enfreindre cette entente régionale.

Nous estimons qu’il ne faut pas gâcher cette possibilité d’établir un libre-échange avec le Mercosur. Ce marché regroupe plus de 220 millions d’habitants et a un PIB combiné de 639 milliards de dollars — ce qui équivaut à la dixième économie dans le monde.

À notre avis, le Canada devrait faire montre de prudence à l’égard du type d’accord de libre-échange qu’il cherche à conclure avec le Mercosur en particulier, mais aussi de façon générale. Dans un rapport antérieur intitulé Renforcer les liens économiques du Canada avec les Amériques, le Sous-comité notait que, dans ses négociations futures en matière de libre-échange, le Canada devait se laisser guider par les enseignements qu’il avait tirés de l’ALENA, surtout en ce qui concerne les dispositions sur les différends entre investisseurs et États du chapitre 11.

Plusieurs témoins ont, par ailleurs, dit craindre que les dispositions sur les différends entre investisseurs et États du chapitre 11 de l’ALENA n’entravent la capacité du gouvernement de fournir des services publics et d’adopter une réglementation qui serve l’intérêt public. Le Sous-comité est encore d’avis qu’il faut maintenir ces dispositions dans les ententes de libre-échange. Il croit toutefois aussi que le Canada devrait s’appuyer sur ce que lui a appris l’application du chapitre 11 et éviter d’inclure des dispositions du même ordre dans de futures ententes commerciales. Nous recommandons donc :

Recommandation 4 :

Que le gouvernement du Canada poursuive avec détermination des négociations en vue de la conclusion d’une entente de libre-échange avec le bloc régional du Mercosur et que cette entente ne comporte pas de dispositions comme celles de l’ALENA sur les différends entre investisseurs et États.

On a également déclaré au Sous-comité que, pour que le Canada participe activement à la libéralisation du commerce, il doit le dire clairement. Comme Richard Fraser (vice-président, Développement corporatif et de projets, Sandwell Engineering Inc.) l’a exprimé, «  Si nous voulons être les bienvenus à l'étranger dans un contexte de libre-échange, nous devons aussi faire montre d'ouverture à cet égard  ». Selon M. Fraser, cela signifie que le Canada ne peut s’attendre à négocier l’accès au marché sans reconnaître qu’il a des politiques restreignant les échanges, comme les quotas à l’importation et les offices de commercialisation.

D’autres témoins ont convenu que le Canada doit lancer un message conséquent, mais n’estimaient pas que de limiter l’accès au commerce dans certains secteurs pouvait être problématique. Pour Pierre Laliberté (économiste principal, Politique sociale et économique, Congrès du travail du Canada), le Canada doit reconnaître qu’il n’est pas nécessairement judicieux de chercher partout des marchés ouverts; des marchés ouverts fonctionnent bien dans certains secteurs et mal dans d’autres. Gauri Sreenivasan était du même avis, confirmant qu’il y a au Canada même des secteurs qui ne désirent pas la libéralisation des marchés, la préservation du système de gestion de l’offre en était un bon exemple. Pour elle, le fait de reconnaître que tous les pays ont des intérêts à défendre améliorerait la compréhension et la collaboration à l’échelle internationale.

2.         Des ententes de protection des investissements étrangers

[C]es accords sur les investissements ont pour but de donner l'assurance du gouvernement que, lorsque les entreprises s'installeront dans ces marchés, elles auront les protections juridiques nécessaires pour prospérer … — Clifford Sosnow

Pour de nombreuses entreprises, il est devenu aussi important, étant donné l’intégration de l’économie mondiale, de participer aux chaînes d’approvisionnement mondiales et à l’investissement étranger qu’aux échanges internationaux. L’un des défis que présente l’investissement sur les marchés émergents est toutefois que, même si les débouchés peuvent être très intéressants, les risques peuvent également être très élevés. Les systèmes de réglementation et juridiques sont beaucoup mieux établis, stables et prévisibles aux États-Unis, au Japon et dans les pays de l’Union européenne, par exemple, que dans les marchés émergents.

De nombreux témoins ont décrit les risques liés aux investissements sur les marchés émergents. Ces risques peuvent prendre diverses formes, comme en a témoigné Clifford Sosnow :

Par exemple, lorsqu'on fait des investissements à l'étranger, il y a toujours des préoccupations au sujet de la perte de la propriété intellectuelle, de la perte de la protection des technologies, ou de la protection contre une expropriation injuste ou d'un traitement fiscal plus discriminatoire que pour les entreprises du pays, que ce soit en Chine, au Brésil ou en Inde.

Cependant, à en juger par les témoignages exprimés, les risques que présentent les investissements varient considérablement d’un marché à l’autre. Peu de témoins ont exprimé des craintes particulières à propos de la protection des investissements en Inde et au Brésil. Pour ce qui est de l’Inde, Stephen Kukucha (directeur, Affaires externes et développement d'affaires gouvernementales, Ballard Power Systems Inc.) a expliqué que la présence d’une tradition démocratique, d’un système de marché et d’une primauté du droit bien établie explique que la protection des investissements y est moins préoccupante que dans un pays comme la Chine. De fait, les témoins se sont dits beaucoup plus inquiets pour la sécurité de leurs investissements en Chine qu’ailleurs.

Le Canada pourrait régler ses inquiétudes à l’égard de la protection des investissements en Chine, ainsi que sur d’autres marchés émergents, en négociant des Accords sur la protection des investissements étrangers (APIE), ententes bilatérales qui fournissent aux investisseurs étrangers un cadre prévisible. Ce type d’ententes n’est généralement nécessaire que dans les pays où le système de réglementation et juridique n’est pas très développé.

Plusieurs témoins, dont Robert Keyes, estiment qu’il faut absolument négocier des APIE avec les marchés émergents. Il a félicité le Canada d’avoir déjà entamé des négociations de ce type avec l’Inde et avec la Chine; le premier accord devrait être signé d’ici la fin 2005 et la date de signature du second n’a pas encore été arrêtée.

Tout en appuyant l’idée des accords de protection des investissements, certains témoins se sont dits inquiets du processus de négociation. Clifford Sosnow a déclaré que, si les entreprises profitent de ces ententes, elles ne comprennent souvent pas exactement la teneur des négociations. Ainsi :

Nous encourageons le gouvernement et vous tous ici présents aujourd'hui à établir, dans le cadre des négociations avec les marchés émergents, des ententes de haute qualité sur les investissements en consultation avec les gens d'affaires et les autres intervenants qui peuvent influer sur les négociations, pour vous assurer que les normes qui sont négociées favorisent et protègent les entreprises qui vont à l'étranger.

Pour le Sous-comité, il est crucial de protéger les investissements canadiens à l’étranger si l’on veut encourager les entreprises à explorer les débouchés que présentent les marchés émergents. Les APIE sont un bon moyen d’y parvenir. Il estime donc que les négociations actuelles avec la Chine et l’Inde sont d’une importance vitale pour le succès d’une stratégie à l’égard des marchés émergents. Il est également heureux de voir que le Canada a déjà de telles ententes en place avec d’autres marchés émergents clés comme la Thaïlande, la Russie et plusieurs pays d’Europe de l’Est. Il faudrait toutefois, selon lui, conclure davantage d’ententes de ce type, et donc nous recommandons :

Recommandation 5 :

Que le gouvernement du Canada analyse, de concert avec les entreprises concernées, la nécessité de conclure des Accords sur la protection des investissements étrangers (APIE) avec les principaux marchés émergents, et les négocie le cas échéant.

3.         Accords de protection de la propriété intellectuelle

On a dit au Sous-comité que l’une des plus grandes inquiétudes des entreprises oeuvrant en Chine concerne le vol de la propriété intellectuelle. Stephen Kukucha a indiqué au Sous-comité que les deux tiers des imitations du monde proviennent de Chine. David Wheeler (professeur au programme Erivan K. Haub des affaires et de la durabilité, Schulich School of Business, Université de York) a précisé que les États-Unis importent davantage de moulages industriels canadiens que n’en produit le Canada; le reste provient de Chine et porte la marque «  made in Canada  ».

M. Wheeler a laissé entendre que cette situation nuit non seulement aux entreprises canadiennes mais aussi aux relations commerciales qu’entretient le Canada avec les États-Unis.

Le Canada se trouve déjà sur la liste de surveillance du U.S. Trade Representative pour ce qui est des produits contrefaits et des produits de marque frauduleux. Si nous ne faisons rien pour stopper ces produits à la frontière au Canada, ce sont les Américains qui s’en chargeront à leur frontière avec nous et une bonne partie du commerce canadien légitime sera bloquée.

Le Sous-comité a appris que le problème de protection de l’investissement et de vol de la propriété intellectuelle en Chine n’était pas attribuable à un manque de réglementation et de structure juridique, mais plutôt d’une application inadéquate des règles existantes. Robert Keyes a expliqué que la Chine est dotée de lois fondamentales solides, mais qu’elles sont soit inapplicables soit inappliquées. En particulier, le système judiciaire est sous-développé. Phil Hodge (vice-président, Westport Innovations Inc.) a repris ce point, ajoutant que la protection de la propriété intellectuelle existe en Chine et que la loi est tout simplement mal appliquée.

Pour certains témoins, la question de la propriété intellectuelle et la nécessité de protéger les investissements s’estomperont avec le temps en Chine. D’après Ken Sunquist, à mesure que l’économie chinoise se développera, le pays s’intéressera davantage à la protection de la propriété intellectuelle car ses entreprises élaboreront des technologies qu’elles voudront elles-mêmes protéger. Phil Hodge (vice-président, Westport Innovations, Inc.) estime également que la Chine s’intéresse de plus en plus à la protection de la propriété intellectuelle, surtout lorsque ses entreprises ont conclu des accords de coentreprise avec des sociétés étrangères. Toutefois, M. Hodge convient que le processus pourrait ne pas être suffisamment rapide pour atténuer les craintes des investisseurs canadiens.

La question de la propriété intellectuelle a suscité bien des commentaires, mais peu de recommandations sur la façon de régler la chose. Pour certains, le Canada pourrait intégrer des dispositions relatives à la propriété intellectuelle dans des accords de commerce bilatéraux plus larges comme les ALE ou les APIE. Pour d’autres, il faudrait des programmes de développement visant à consolider la primauté du droit en Chine. Une troisième solution avancée serait de renforcer les dispositions en matière de propriété intellectuelle au niveau multilatéral. Le Canada pourrait, en particulier, participer plus activement à la négociation d’améliorations aux accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). Les discussions actuelles qui portent sur les ADPIC visent la question de la vente de médicaments brevetés dans les pays en développement. Le Canada pourrait chercher à consolider les dispositions portant sur d’autres secteurs.

À la lumière des témoignages entendus, il est évident que la propriété intellectuelle préoccupe grandement les entreprises canadiennes sur certains marchés émergents et particulièrement en Chine. C’est par crainte de perdre leur propriété intellectuelle que les Canadiens sont réticents à investir dans les marchés émergents, en raison des risques de piratage et d’ingénierie inverse qui pourraient saper la valeur de leurs actifs. Le Canada doit s’attaquer à ces préoccupations s’il veut améliorer ses relations économiques avec la Chine. Nous recommandons donc :

Recommandation 6 :

Que, dans le cadre des négociations actuelles des APIE avec la Chine et l’Inde et de toute négociation future avec d’autres pays, le gouvernement veille à ce que l’accord final contienne des dispositions significatives visant à protéger la propriété intellectuelle des Canadiens. 

4.         Accords de coopération en matière de réglementation

Les petites et moyennes entreprises font face à une paperasse incroyable qu’il faut remplir pour exporter des produits; que faire pour réduire le plus possible cette paperasse? — Clifford Sosnow

On a également expliqué au Sous-comité le coût élevé que les questions de réglementation entre le Canada et les marchés étrangers peuvent représenter pour les entreprises canadiennes, surtout les petites et moyennes entreprises. Clifford Sosnow a fait remarquer que l’harmonisation des réglementations ou la reconnaissance mutuelle des réglementations pouvait contribuer à réduire ces obstacles au commerce et à l’investissement, de sorte que «  lorsqu’une petite entreprise se conforme aux normes de la réglementation canadienne dans l’emballage ou l’étiquetage des produits, que cette conformité soit également reconnue à l’étranger  ».

Le Sous-comité souligne que les ententes de libre-échange peuvent inclure des dispositions sur la coopération en matière de réglementation de manière à réduire les coûts des entreprises et à éliminer un obstacle superflu au commerce. Il serait également possible de négocier des accords de reconnaissance mutuelle, selon lesquels chaque pays signataire convient de reconnaître et d’accepter les normes et réglementations des autres signataires, car considérées comme équivalentes, ou de répondre à des critères externes acceptés d’un commun accord. Toutefois, ces types d’accords pourraient ne pas convenir à une stratégie à l’égard des marchés émergents, les normes et l’application des normes étant généralement plus strictes dans les pays industrialisés. Nous recommandons donc :

Recommandation 7 :

Que le gouvernement du Canada cherche des moyens de réduire les barrières que constitue la réglementation entre le Canada et les marchés émergents. Lorsqu’il y a suffisamment de terrains d’entente, il faudrait envisager de conclure des accords de reconnaissance mutuelle en veillant à ce que ceux-ci ne portent aucunement atteinte à la capacité du Canada de maintenir et d’améliorer la réglementation en matière de santé et de sécurité.

5.         Accords sur les services aériens

Si vous facilitez les choses, les gens vont venir. — David Hutton

Il est difficile d’élargir les liens économiques du Canada avec des nations émergentes difficiles d’accès. Les possibilités de coopération économique avec des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie seraient meilleures si l’on bonifiait les liaisons aériennes avec ces derniers.

David Hutton (ambassadeur du Canada au Koweït) a affirmé que l’absence de liaisons aériennes régulières entre le Canada et les États arabes était un obstacle majeur à un resserrement économique avec la région. Il a toutefois fait observer qu’à partir de juin prochain il y aura une liaison aérienne entre les Émirats arabes unis et Toronto (en passant par Bruxelles). Même si cela est peu comparé aux 26 vols hebdomadaires entre ce pays et l’Australie, il s’agit là quand même, pour M. Hutton, d’un pas important dans la bonne voie. Robert Blackburn a ajouté qu’il fallait aussi améliorer la liaison aérienne avec les marchés africains, surtout l’Algérie.

Le Sous-comité est heureux de voir que le Canada a conclu récemment des accords sur les services aériens avec la Chine et avec l’Inde. Nous encourageons le gouvernement canadien à continuer dans cette voie et à veiller à ce qu’il soit aussi facile que possible de se rendre dans tout marché émergent considéré comme prioritaire. Nous recommandons donc :

Recommandation 8 :

Que le gouvernement du Canada veille au maintien et à l’exécution des accords sur les services aériens qu’il a conclus avec la Chine et l’Inde et qu’il cherche à améliorer les liaisons aériennes avec d’autres marchés émergents prioritaires, en particulier la Russie et le Brésil.

6.         Ententes sanitaires et phytosanitaires

Clyde Graham (vice-président, Stratégie et alliances, Institut canadien des engrais) a fait observer que les pays qui éliminent ou réduisent leurs barrières tarifaires cherchent parfois des moyens moins directs de restreindre les échanges. Ils recourent ainsi souvent aux mesures sanitaires et phytosanitaires à des fins protectionnistes. Les Canadiens ne connaissent que trop bien cette tactique, puisque les restrictions actuelles dont font l’objet les exportations de boeuf et de bétail à destination des États-Unis s’appuient ostensiblement sur le chapitre 7 de l’ALENA — qui porte sur les mesures sanitaires et phytosanitaires.

Albert Eringfeld (directeur général, Polar Genetics Inc.) a également fait savoir que l’on ne reconnaît pas assez l’excellent état de santé de l’élevage et des programmes sanitaires canadiens en général. Pour lui, le Canada devrait chercher plus activement à négocier des certificats phytosanitaires.

Étant donné l’expérience personnelle qu’a fait le Canada de la chose, nous croyons sincèrement que les préoccupations sanitaires et phytosanitaires ne devraient pas servir d’excuse à un protectionnisme dissimulé. Nous ne voulons pas non plus sacrifier la salubrité des aliments au nom de l’accès au marché. Nous recommandons donc :

Recommandation 9 :

Que, lors des négociations commerciales bilatérales et multilatérales, le gouvernement du Canada cherche à établir des règles bien définies fondées sur des preuves scientifiques qui permettent aux pays concernés de répondre à leurs préoccupations légitimes d’ordre sanitaire et phytosanitaire. Ces préoccupations ne doivent cependant pas servir de prétexte à des barrières commerciales non tarifaires illégitimes. 

7.         Accords de coopération scientifique et technologique

La collaboration et l’échange de savoir en toute liberté sont essentiels à la réalisation de notre potentiel et à l’établissement de notre place dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. — Bernard Courtois

On a également expliqué au Sous-comité que les accords de coopération scientifique et technologique renforcent considérablement la coopération avec les principaux marchés émergents et permettent de maintenir la compétitivité du Canada à l’échelle internationale. Plusieurs témoins ont fait allusion aux récents accords de ce type conclus entre l’Inde et le Canada comme exemple de ce que le Canada devrait faire à cet égard. 

Cet accord entre le Canada et l’Inde vise à éliminer les doubles emplois en recherche et à créer des possibilités de collaboration entre les deux pays. On espère également encourager la participation du secteur privé et améliorer les chances de commercialisation des recherches.

Yuen Pau Woo (vice-président et économiste en chef de la Fondation Asie-Pacifique du Canada) juge que la coopération dans les domaines scientifique et technologique — notamment sur les plans de l’aide à la recherche industrielle bilatérale et de la commercialisation des technologies — peut beaucoup jouer dans la promotion du resserrement des liens économiques avec les marchés émergents. Il a pressé le gouvernement canadien de tirer parti de son entente avec l’Inde pour encourager encore plus les investissements provenant de ce pays. Anthony Eyton (chef, Chapitre d'Ottawa, Chambre de commerce Brésil-Canada) a déclaré que le Canada devrait négocier des ententes similaires avec le Brésil.

[D]ans le domaine des sciences et de la technologie, en tout cas assurément les sciences et la technologie appliquées, il y a place pour des efforts de recherche menée en collaboration entre le Brésil et le Canada qui permettraient d'engager nos chercheurs et nos compagnies dans des projets réels et concrets qui auraient des applications tangibles dans d'importants secteurs de nos deux pays.

Le Sous-comité estime que les accords de coopération scientifique et technologique peuvent, non seulement stimuler l’innovation, mais être à la base d’une collaboration entre les chercheurs et les entreprises du Canada et leurs homologues des marchés émergents. Nous sommes donc tout à fait en faveur des accords conclus entre le Canada et l’Inde et encourageons le gouvernement fédéral à négocier des ententes du même ordre avec d’autres marchés émergents. Nous recommandons donc :

Recommandation 10 :

Que le gouvernement du Canada négocie des accords de coopération scientifique et technologique avec d’autres importants marchés émergents, à commencer par la Chine, le Brésil et la Russie, comme elle vient de le faire récemment avec l’Inde.

Karen McBride (vice-présidente, Direction des affaires internationales, Association des universités et collèges du Canada) a proposé deux recommandations précises au Sous-comité relatives aux mesures à prendre pour encourager la collaboration dans les domaines de la science et de la technologie avec les pays émergents. Nous sommes d’accord avec ces suggestions et recommandons donc :

Recommandation 11 :

Que, tout en respectant la compétence des provinces, le gouvernement du Canada veille à ce qu’il y ait un lien systématique entre les bureaux des universités canadiennes en vue du transfert des technologies et les bureaux commerciaux étrangers au Canada et à l’étranger pour faciliter les possibilités de partenariat à des fins de commercialisation. Il faudrait aussi envisager d’organiser, pour les responsables des échanges d’étudiants entre universités, des missions dans les pays clés.

Recommandation 12 :

Que, misant sur la réussite de l'étude sur les partenariats Canada-Inde en science et technologie portant sur les liens institutionnels et les partenariats entre les gouvernements, les universités et le secteur privé, le gouvernement fédéral devrait travailler avec les provinces, l’Association des universités et collèges du Canada, les gouvernements étrangers et d’autres grands acteurs, afin de cerner les liens existants, les possibilités de recherche complémentaires et les atouts dans les pays intéressants dans le but de mettre sur pied des plans d’action stratégiques en vue d’une coopération sur le plan de la recherche entre le Canada et les nations clés. La Chine la Russie et le Brésil devraient avoir la priorité.

B.        Progresser sur le front de l’OMC

Le Sous-comité a entendu un grand nombre de témoignages concernant les négociations commerciales multilatérales au sein de l’OMC, bien que ce ne soit pas là une question qui relève directement de la stratégie à l’égard des marchés émergents. Les témoins ont quasi unanimement appuyé la position du Canada, à savoir que l’OMC est le pilier de notre stratégie en matière de commerce international. Certains témoins, frileux à l’égard des ALE bilatérales et régionales, ont expliqué qu’ils estimaient que le Canada devrait plutôt se concentrer sur l’OMC. Ceux qui se sont dits en faveur des négociations bilatérales et régionales estiment qu’il est primordial de conclure une entente au sein de l’OMC et que les ALE bilatérales ne sont qu’une étape sur la voie d’une entente multilatérale, dans le meilleur des cas, et, au pire, une garantie en cas d’échec au sein de l’OMC.

Les témoins ont présenté un certain nombre de questions qu’ils espèrent voir résolues dans le cadre des actuelles négociations sous l’égide de l’OMC. Il s’agit notamment des améliorations au mécanisme de règlement des différends; de la réduction des risques d’effets indirects (secteurs touchés lorsqu’un pays a l’autorisation d’imposer des tarifs de représailles dans un différend commercial); des nouvelles réductions des subventions agricoles faussant les échanges; des considérations spéciales pour les pays en développement; de la protection de la propriété intellectuelle et de l’amélioration des mesures sanitaires et phytosanitaires. Les témoins ont encouragé le Canada à jouer un rôle de leadership à cet égard.

Selon un témoin, les intérêts du Canada en ce qui concerne la libéralisation du commerce multilatéral sont de deux ordres : défendre les intérêts commerciaux du pays et chercher avec détermination de nouveaux débouchés. Pour Gauri Sreenivasan, le Canada s’intéresse aux possibilités d’exportation et d’investissement, mais il a aussi des modèles de politique et des institutions qui lui sont propres et qu’il souhaite protéger. Mme Sreenivasan a pris, pour exemples de politiques commerciales canadiennes faisant l’objet d’attaques incessantes de la part de membres puissants de l’OMC, les systèmes de gestion de l’offre et les offices de commercialisation agricoles.

Mme Sreenivasan a affirmé que bien des agriculteurs et groupes étrangers désirent bénéficier de l’expérience canadienne et appliquer cette dernière à leur propre contexte. Le Sous-comité est d’avis qu’ainsi le Canada pourra trouver des appuis à l’OMC pour ses systèmes de production agricole et ses offices de commercialisation. Ce faisant, non seulement les pays en développement pourraient bénéficier de l’expérience canadienne, mais le Canada trouverait des alliés favorables à ses systèmes de gestion de l’offre et ses offices de commercialisation, et il pourra défendre ses derniers plus facilement devant les autres membres de l’OMC.

C.        L’investissement étranger au Canada

Le Canada est depuis longtemps conscient de l’importance d’attirer l’investissement étranger direct (IED). En effet, l’IED est avantageux à plusieurs égards : il crée des emplois et apporte des technologies nouvelles au Canada et, ce faisant, peut stimuler la productivité, ce qui contribue à la croissance économique et à la prospérité.

En général, quand on parle de marchés émergents et d’investissement, c’est le plus souvent dans le contexte des investissements du Canada à l’étranger. Cependant, certains pays comme la Chine, l’Inde et le Brésil connaissent un essor rapide et sont en train de devenir eux aussi des sources d’IDE. D’après la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), de 1990 à 2003, l’IDE sortant de la Chine a augmenté deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale. De même, les investissements indiens à l’étranger sont passés de 264 millions de dollars américains en 1995 à près de 5,1 milliards en 2003. Pour sa part, le Brésil est déjà le plus important investisseur étranger dans les pays de l’Amérique latine et des Antilles.

Les Canadiens accueillent en général favorablement l’IDE de la plupart des pays, mais le cas de la Chine présente des difficultés. En effet, la Chine a montré récemment qu’elle envisageait d’effectuer des investissements importants au Canada dans les secteurs des minéraux et de l’énergie. Or, comme les investissements en question émaneraient d’entreprises d’État, cette éventualité suscite des préoccupations à l’idée qu’un gouvernement étranger puissant deviendrait propriétaire d’actifs canadiens.

Le problème est de deux ordres. Premièrement, rien ne garantit qu’une entreprise appartenant à un gouvernement étranger serait administrée dans les règles de l’efficience économique parce qu’elle ne chercherait pas nécessairement à maximiser ses bénéfices. Une entreprise chinoise au Canada pourrait servir simplement à soutenir une autre branche d’activité en Chine. L’emploi et l’activité économique au Canada pourraient en souffrir.

Deuxièmement, il y a la question de l’intérêt national et de la sécurité nationale. Il n’est pas inconcevable qu’une entreprise chinoise au Canada exploite par exemple son influence croissante dans l’économie canadienne pour obtenir des concessions économiques ou politiques du gouvernement canadien.

Le Canada dispose d’un mécanisme pour veiller à ce que tous les investissements étrangers au Canada présentent un avantage net pour les Canadiens et ne portent pas atteinte aux intérêts du Canada : la Loi sur Investissement Canada vise à permettre d’évaluer les investissements possibles au Canada sous l’angle de leur aspect bénéfique. Selon Industrie Canada, le ministre établit si un investissement donné sera à l'avantage net du Canada en se fondant sur les critères suivants :

 a)l'effet de l'investissement sur le niveau et la nature de l'activité économique au Canada, notamment sur l'emploi, la transformation des ressources, l'utilisation de pièces et d'éléments produits et de services rendus au Canada et sur les exportations canadiennes;
 b)l'étendue et l'importance de la participation de Canadiens dans l'entreprise canadienne ou la nouvelle entreprise canadienne en question et dans le secteur industriel canadien dont cette entreprise ou cette nouvelle entreprise fait ou ferait partie;
 c)l'effet de l'investissement sur la productivité, le rendement industriel, le progrès technologique, la création de produits nouveaux et la diversité des produits au Canada;
 d)l'effet de l'investissement sur la concurrence dans un ou plusieurs secteurs industriels au Canada;
 e)la compatibilité de l'investissement avec les politiques nationales en matière industrielle, économique et culturelle;
 f)la contribution de l'investissement à la compétitivité canadienne sur les marchés mondiaux.

Tout investissement ne répondant pas aux critères de la LIC, ou ne pouvant être modifié pour s’y conformer, peut être rejeté. Depuis l’adoption de la LIC en 1985, 11 157 sociétés canadiennes ont été vendues à des intérêts étrangers. Sur ce nombre, 1 457 projets d’acquisition concernaient des actifs suffisamment élevés pour déclencher un examen aux termes de la Loi, mais aucun n’a été officiellement rejeté. Toutefois, comme l’a dit Frank Vermaeten (directeur général, Direction générale des affaires intergouvernementales et internationales, ministère de l’Industrie) :

Dans le cadre du processus, nous communiquons avec l'investisseur et déterminons quels changements devraient être apportés pour que l'investissement entraîne un net avantage […] si l'investisseur estime qu'il ne peut répondre aux exigences de la Loi concernant l'investissement au Canada, il préfère se retirer que de se soumettre au processus menant au rejet officiel du projet.

Le Sous-comité estime important d’attirer des investissements directs étrangers pour assurer la prospérité future du Canada, que ces investissements proviennent de Chine ou d’ailleurs. En outre, dans un marché mondial où l’on se dispute le capital, le Canada n’a pas les moyens de donner l’impression que l’IED n’est pas bienvenu ici. Il importe cependant que des politiques protègent les intérêts nationaux de notre pays. En conséquence, le Sous-comité recommande :

Recommandation 13 :

Que le gouvernement du Canada mène un examen en bonne et due forme de la Loi sur Investissement Canada pour s’assurer que celle-ci atteint bel et bien son objectif déclaré et fasse en sorte que l’investissement étranger au Canada serve l’intérêt national. La Loi devrait faire en sorte que les investissements étrangers au Canada comportent le plus d’avantages possible pour les Canadiens et aient, entre autres mais pas seulement, pour effet de créer de l’emploi au Canada, d’augmenter le stock de capital du Canada, d’accroître la productivité et d’améliorer la capacité de recherche et de développement. Tout investissement étranger qui n’est pas dans l’intérêt national du Canada devrait être rejeté.

D.        Réagir aux préoccupations des importateurs — Résister à la tentation d’imposer des mesures de sauvegarde

Le commerce contemporain se fait dans les deux sens. Il faut préserver la solidité des marchés d'exportation aussi bien que d'importation. — Diane Brisebois

Suivant une vue courante et mercantiliste du commerce international, les exportations servent l’économie, mais les importations lui nuisent parce qu’elles représentent une occasion de production perdue. Cependant, comme l’a rappelé Diane Brisebois (présidente et chef de la direction du Conseil canadien du commerce de détail), une bonne partie de l’économie canadienne dépend de l’entrée libre au Canada de produits importés vendus à des prix concurrentiels. «  De nombreux emplois canadiens sont liés à l'accès à des produits d'importation  », a-t-elle dit. À son avis, les biens de consommation bon marché augmentent le pouvoir d’achat des Canadiens et leur laissent en conséquence davantage d’argent à dépenser ailleurs dans l’économie. Parallèlement, les producteurs sont avantagés quand ils peuvent se procurer des intrants importés bon marché qui rendent leurs propres produits plus concurrentiels ici et à l’étranger.

Buzz Hargrove doute de la véracité de cette thèse, surtout l’idée que la Chine est une source d’importations de faible valeur. Selon lui, les importations de produits finis en provenance de la Chine et d’autres marchés émergents augmentent rapidement et contribuent à la régression du Canada vers un pays «  de bûcherons et de porteurs d’eau  ».

Mme Brisebois et son collègue Darrel Pearson (associé, Gottlieb & Pearson) craignent que, en réaction à la concurrence mondiale, et en particulier à la concurrence de producteurs à faible prix de revient comme la Chine, le Canada soit tenté d’imposer des mesures de sauvegarde d’urgence contre les importations pour protéger les producteurs canadiens incapables de soutenir la concurrence.

Un pays peut prendre des mesures de sauvegarde s’il fait soudainement face à une poussée imprévue des importations d’un produit en particulier, poussée qui menace de causer des torts importants à l’industrie nationale. S’il peut prouver une telle poussée, il peut s’adresser à l’OMC pour être autorisé à imposer des barrières tarifaires pour protéger temporairement le secteur concerné.

Mme Brisebois et M. Pearson estiment que la décision de février 2005 du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) de lancer une enquête sur l’importation de bicyclettes et de cadres de bicyclette constitue un exemple récent de recours abusif à des sauvegardes. Le Conseil canadien du commerce de détail craint qu’on ait de plus en plus recours abusivement à des mesures de sauvegarde à mesure que s’intensifie la concurrence de la Chine et d’autres producteurs à bas prix de revient. 

Le Sous-comité estime qu’il y a parfois lieu d’imposer des mesures de sauvegarde — pour intervenir rapidement quand une hausse soudaine des importations menace de causer du tort à une industrie, notamment sur le plan de l’emploi. À la lumière des craintes exprimées par le Conseil canadien du commerce de détail, nous pensons cependant aussi que ces mesures doivent un caractère exceptionnel et que le Canada doit résister à la tentation de les employer à tort et à travers. Les industries canadiennes doivent s’adapter à l’économie mondiale pour s’y développer et ont montré qu’elles en sont capables. Toutefois, étant donné l’essor des importations provenant de pays producteurs où les coûts de revient sont faibles, comme la Chine, nous nous attendons à ce que le TCCE soit de plus en plus sollicité. En conséquence, le Sous-comité recommande :

Recommandation 14 :

Que le gouvernement du Canada veille à ce que le Tribunal canadien du commerce extérieur dispose des ressources voulues pour faire enquête sur les mesures de sauvegarde et que le gouvernement respecte les règles de l’OMC relatives aux mesures de sauvegarde.

E.        Services d’éducation et échanges intellectuels

Il s'agit à long terme d'une pierre angulaire dont l'influence et les effets se feront sentir, non pas aujourd'hui ni même dans cinq ans, mais plutôt dans vingt ou trente ans lorsque ces personnes vont jouer un rôle dans l'établissement de la démocratie et des entreprises. — Dwain Lingenfelter

Le Sous-comité a entendu de nombreux témoignages sur la valeur des services d’éducation sur les marchés émergents, en particulier en Asie, et sur les perspectives extrêmement intéressantes que cela présente pour le Canada, tant du point de vue de l’offre de services d’éducation à l’étranger que de celui de l’accueil d’étudiants étrangers au Canada. Nous nous intéresserons ici à l’utilisation des services d’éducation comme instrument de la stratégie à l’égard des marchés émergents.

On pourrait penser à première vue que l’offre de services d’éducation est un instrument de politique curieux dans le contexte d’une stratégie visant les marchés émergents. Cependant, les témoins que le Sous-comité a entendus ont présenté des arguments probants à cet égard.

Premièrement, les services d’éducation constituent un investissement à long terme susceptible de donner lieu à des rapports commerciaux dans l’avenir. Comme l’a dit Gardiner Wilson (directeur, Politique publique et recherche, Réseau des centres d’éducation canadiens), les étudiants étrangers, une fois rentrés chez eux, portent le germe de relations commerciales futures. Ils connaissent le Canada, ont rencontré des Canadiens durant leur séjour chez nous. Quand ils rentrent chez eux, ces connaissances et cette expérience demeurent, de même que les contacts personnels qu’ils ont établis. 

Les services d’éducation constituent par ailleurs un outil utile de promotion du Canada à l’étranger.  M. Wilson a expliqué au Sous-comité comment le Réseau des centres d’éducation canadiens (RCEC) vend le Canada comme destination d’études et, ce faisant, fait connaître notre pays à l’étranger. Par ailleurs, le RCEC a établi des écoles de français et d’anglais à l’étranger et intègre aux cours de langue de l’information sur le Canada et sur l’éducation au Canada. 

Les échanges intellectuels — en attirant des étudiants étrangers de haut calibre ou en faisant la promotion de la collaboration et des échanges au niveau universitaire — peuvent être extrêmement avantageux en contribuant à forger ce que Karen McBride appelle des «  relations fondées sur le savoir  ». Mme McBride a dit que, au niveau universitaire, le Canada compte déjà 3 100 relations officielles actives dans le monde, notamment en Chine, en Inde et au Brésil. C’est ce type de relations sur lesquelles on peut miser et que l’on peut développer par des accords de coopération scientifique et technique, dont on a parlé plus haut. De l’avis de Mme McBride, ces relations revêtent une importance critique pour la réussite économique future du Canada : 

Un des grands défis de la politique étrangère consiste donc à maximiser les retombées de la mondialisation du savoir au niveau de la compétitivité et du développement social du Canada. À notre avis, il faudra pour cela favoriser l’établissement, avec d’autres pays, de relations complexes axées sur le savoir.

Yuen Pau Woo est aussi de cet avis et estime que, avec des mesures d’encouragement appropriées, le Canada pourrait, comme l’ont fait avant lui les entreprises de la Silicon Valley, exploiter avantageusement le savoir des ingénieurs et des concepteurs de logiciels indiens, d’autant plus que les États-Unis imposent maintenant des conditions très strictes pour la délivrance de visas d’étudiant.

Enfin, les services d’éducation confèrent au Canada une cote d’estime non négligeable. Roderick Bell (ambassadeur du Canada en Arabie saoudite) a raconté une anecdote qui en témoigne au sujet d’une équipe de médecins saoudiens de renommée internationale dont tous les membres ont été formés à l’Université de Toronto. «  Le chef de l'équipe m'a […] confié qu'il devait énormément au Canada et à l'Université de Toronto.  » 

D’après M. Bell, le Canada n’exploite pas suffisamment cette estime internationale pour étoffer ses relations politiques et économiques avec les autres pays. 

Le Sous-comité convient qu’il peut être avantageux à long terme pour l’économie canadienne de miser sur les services d’éducation et sur la collaboration dans le domaine de la recherche et de chercher à attirer ici des étudiants étrangers de haut calibre. Cela permet de faire connaître le Canada, de susciter un sentiment d’estime envers le Canada et de promouvoir les échanges d’idées et d’informations, un ingrédient essentiel de l’innovation, du progrès technologique et de la croissance de la productivité.

Les témoins ont soumis au Sous-comité d’excellentes recommandations en vue de mieux utiliser les services d’éducation pour promouvoir l’établissement de liens économiques avec les marchés émergents. Selon Gardiner Wilson, on n’a pas besoin d’un nouvel instrument de politique; il suffirait que le gouvernement fédéral tienne ses promesses. Il a cité en particulier le discours du Trône de 2002 dans lequel le gouvernement avait déclaré son intention de faire du Canada «  une destination de choix pour les étudiants étrangers talentueux et les travailleurs qualifiés, grâce à une sélection et à un recrutement plus soutenus dans les universités et par l’entremise de nos ambassades clés à l’étranger  ».

Karen McBride a fait une recommandation semblable, ajoutant que le Canada devrait utiliser les bourses d’études internationales à cette fin. Elle a signalé que l’on pourrait s’inspirer utilement de l’exemple du Royaume-Uni et de l’Australie à cet égard. Nous sommes d’accord et recommandons :

Recommandation 15 :

Que, dans l’esprit de l’engagement pris dans le discours du Trône de septembre 2002, le gouvernement du Canada, en collaboration avec les provinces et les universités, fasse du Canada «  une destination de choix pour les étudiants étrangers talentueux et les travailleurs qualifiés, grâce à une sélection et à un recrutement plus soutenus dans les universités et par l’entremise de nos ambassades clés à l’étranger  » et qu’il s’inspire à cette fin des modèles du Royaume-Uni et de l’Australie, qui offrent des bourses d’études prestigieuses aux étudiants étrangers.

Il sera vain d’offrir des bourses d’études et de vanter le Canada comme destination d’études auprès des étudiants étrangers si ceux-ci n’arrivent pas à obtenir un visa pour entrer au Canada. Le gouvernement du Canada a récemment accordé aux étudiants étrangers une plus grande latitude pour leur permettre de travailler durant leur séjour au Canada. Cependant, le Sous-comité a entendu dire que le taux élevé de refus de visa — 70 p. 100 en Inde, par exemple — non seulement décourage les étudiants de faire une demande au Canada, mais rend futiles les efforts de promotion des universités canadiennes à la recherche d’étudiants de haut calibre. Nous recommandons donc :

Recommandation 16 :

Que le gouvernement du Canada examine comment accroître le taux d’agrément des demandes de visa émanant d’étrangers désireux de venir étudier au Canada.

Gardiner Wilson a aussi dit que le Canada doit améliorer la coordination au niveau gouvernemental. Il a signalé qu’une douzaine de ministères s’occupaient à un titre ou un autre de l’éducation au niveau international et que la scission du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) ne facilitait pas les choses. Selon lui, le Canada doit adopter une approche globale intégrée au sujet de la Stratégie à l’égard des marchés émergents et au sujet de l’économie mondiale en général. On en parlera plus longuement plus loin.

F.         Commerce et responsabilité sociale des entreprises

Une stratégie à l’égard des marchés émergents ne se conçoit pas isolément des autres politiques publiques. Les échanges et les investissements se déroulent dans le contexte d’autres interactions sociales et doivent donc prendre en considération des questions comme l’environnement et les droits de la personne. Jean-Louis Roy (président, Droits et démocratie) ne voit pas d’incompatibilité entre les impératifs du respect des droits de la personne et le commerce et l’investissement. Comme des témoins l’ont dit au Sous-comité, le commerce et les investissements peuvent avoir à la fois des effets favorables et des effets défavorables sur une collectivité ou un pays. Alex Neve (secrétaire général, Amnistie internationale Canada) a fait remarquer ce qui suit :

Les échanges peuvent constituer un puissant moyen de promotion et de renforcement de la protection des droits fondamentaux. Le commerce et les investissements durables peuvent contribuer à favoriser l'exercice de droits économiques et sociaux clés comme, par exemple, le droit d'avoir un gagne-pain, le droit de manger ou le droit de faire un travail de son choix dans des conditions sécuritaires. Les chefs d'entreprises peuvent également user de leur influence auprès des gouvernements pour insister sur la protection de certains droits essentiels, comme l'égalité des femmes, la protection contre la torture, ou la liberté d'expression.

Les échanges peuvent également constituer une force qui sape la protection des droits ou mène à la violation directe de tels droits. Des agents de sécurité mal formés qui gardent les locaux d'une entreprise pourraient éventuellement tuer ou blesser des manifestants ou des intrus. Les redevances découlant de projets d'extraction minière ou du pétrole pourraient être employées par les gouvernements pour acheter des armes, faire la guerre, et violer les droits humains.

Des témoins ont fait valoir au Sous-comité que les pays comme le Canada n’ont plus beaucoup de temps pour définir et institutionnaliser les responsabilités des intervenants internationaux en matière de droits de la personne. Jean-Louis Roy a fait remarquer que les marchés émergents d’aujourd’hui sont les marchés dominants de demain. Plus ils deviendront puissants et influents, moins nous pourrons leur imposer nos normes en matière de droits de la personne.

Le défi pour le Canada consiste à faire en sorte que les sociétés canadiennes actives dans les marchés émergents contribuent au respect des droits fondamentaux de la personne dans les pays où les règles et les usages en la matière ne répondent pas aux normes canadiennes. Dans ce contexte, il est difficile de faire des affaires dans des pays comme la Chine où l’on respecte mal les droits de la personne.

Jean-Louis Roy estime que la question des droits de la personne doit être intégrée à toutes les activités du Canada sur les marchés émergents en matière de commerce international et d’investissement. Or, l’approche actuelle du gouvernement consiste à encourager les entreprises à adopter volontairement un code de conduite portant sur la «  responsabilité sociale des entreprises  », c’est-à-dire sur les droits de la personne, les droits des travailleurs et la protection de l’environnement. Il n’existe pas de politique uniforme à l’échelle du gouvernement sur la promotion et la protection de ces droits par les entreprises canadiennes actives à l’étranger, non plus que de lois ou règlements contraignants dans ce domaine.

Les témoins s’entendaient pour dire que les politiques du gouvernement du Canada sur les marchés émergents et sur la protection des droits de la personne et de l’environnement ne doivent pas se nuire mutuellement, mais leurs vues divergeaient quant à la manière d’y arriver et à la mesure dans laquelle le gouvernement doit intégrer à la promotion des échanges les impératifs de la protection des droits de la personne. Certains témoins prônent une plus grande réglementation, tandis que d’autres préfèrent le statu quo, à savoir que les entreprises se dotent volontairement de codes en matière de responsabilité sociale (CRS).

Les partisans de codes volontaires ont souligné que la mauvaise publicité, par exemple sur le travail des enfants, pouvait forcer les entreprises actives à l’étranger à respecter les mœurs canadiennes. Ils ont signalé aussi que la plupart des sociétés canadiennes agissent de façon responsable à l’étranger. Ken Sunquist nous a dit que les entreprises canadiennes choisissent avec soin les entreprises étrangères avec lesquelles elles traitent et s’assurent que «  leurs relations d'affaires sont basées sur les valeurs canadiennes  ». D’après M. Sunquist, la politique canadienne ne sacrifie pas les droits de la personne sur l’autel de la promotion des exportations et des investissements, et les délégués commerciaux du Canada ont une formation qui leur permet de traiter des questions de responsabilité sociale des entreprises :

On s'attend à ce que nos délégués discutent de la situation locale dans des entretiens personnels avec des clients d'affaires canadiens. Bien entendu, dans certains pays, cela ne pose relativement pas de problèmes mais, dans d'autres, il en est autrement. Nous devons signaler aux entreprises qu'elles ne peuvent pas agir comme elles pensent devoir le faire sur un marché étranger parce qu'une telle façon d'agir va à l'encontre des lois canadiennes et qu'elles s'exposeraient à des poursuites au Canada.

Le Canada a pris quelques mesures modestes pour forcer les entreprises canadiennes à agir de manière responsable quand elles investissent à l’étranger ou commercent avec des entreprises étrangères. Exportation et développement Canada, dont beaucoup d’entreprises canadiennes dépendent pour financer leurs exportations, doit effectuer une analyse environnementale des projets à financer (bien que cette évaluation ne soit pas nécessairement rendue publique) et applique des politiques qui permettent d’identifier les risques sur le plan de la responsabilité sociale des entreprises. Dans un rapport récent, le Bureau de la vérificatrice générale a formulé des commentaires favorables sur le cadre d’évaluation environnementale d’EDC et sa mise en œuvre. EDC a aussi dit au Sous-comité qu’il peut refuser d’accorder de l’assurance-responsabilité ou d’honorer une police dans les cas de corruption.

La menace de publicité négative ne suffit pas à garantir que les entreprises canadiennes agissent de manière responsable à l’étranger. De tous les cas de conduite douteuse à l’étranger par une société canadienne cités par les témoins celui de Talisman Energy au Soudan est le plus connu. Plusieurs témoins ont aussi affirmé que le gouvernement fédéral n’avait pas pleinement intégré à ses relations internationales les enjeux des droits de la personne et de la responsabilité des entreprises. De plus, comme l’a dit M. Neve, «  les moyens permettant de garantir que les entreprises canadiennes se comportent de façon responsable en ce qui concerne la protection des droits demeurent faibles et non exécutoires  ».

D’autres témoins ont fait remarquer que l’adoption de codes de conduite volontaires ne suffit pas à défendre les droits de la personne et à protéger l’environnement et que beaucoup d’entreprises n’y voient de toute façon que des vœux pieux. Gauri Sreenivasan a dit au Sous-comité «  qu'il y a une très forte demande de la part du public canadien en matière de normes de réglementation plus rigoureuses visant à garantir que les investisseurs canadiens ne contribuent pas […] par leurs pratiques de travail […] en fait, par toutes sortes de moyens différents — à favoriser la violation des droits des citoyens de ces pays  ».

M. Neve a proposé un cadre en trois volets qui garantirait que les entreprises ne commettent pas de violations des droits de la personne (par exemple en respectant les droits de leurs travailleurs et en veillant à ce que leurs forces de sécurité n’en commettent pas non plus pour défendre les biens de l’entreprise, un problème très réel dans le secteur des ressources), ne contribuent pas directement à de telles violations (par une sélection soigneuse des sous-traitants et des fournisseurs) et font la promotion des droits de la personne.

Enfin, sur une note positive, les entreprises canadiennes peuvent mettre à profit leur influence pour défendre les droits de la personne : «  L'influence des entreprises est telle qu'elles peuvent insister auprès de diverses branches du gouvernement qui n'entendraient pas normalement ce genre de discours sur la nécessité de protéger les droits de la personne — il peut s'agir de responsables de l'industrie minière, de percepteurs d'impôts ou de ministres du Commerce. Il ne convient donc pas de sous-estimer la contribution positive que peuvent apporter des compagnies respectées, dont la présence au pays est vivement désirée, qui insistent auprès des autorités sur la protection des droits de la personne.  »

Pierre Laliberté a fait remarquer par exemple que les entreprises canadiennes avaient l’occasion de promouvoir les droits des travailleurs en Chine. Les travailleurs chinois n’ont pas le droit de se syndiquer — l’unique syndicat légal de Chine est affilié au Parti communiste chinois et, partant, au gouvernement — mais aux termes de la loi chinoise, «  les compagnies qui oeuvrent en Chine peuvent établir, de concert avec les travailleurs, des comités d'entreprise qui ressemblent, par leur forme, aux comités d'entreprise européens. Pour les entreprises qui peuvent être là et qui veulent jouer un rôle progressiste, il y a une façon de le faire en marge et sans contrevenir à la loi chinoise  ».

M. Neve et d’autres témoins estiment indispensable d’imposer des règles et de veiller à leur observation si l’on veut faire du Canada un leader dans la promotion des droits de la personne. À leur avis, il faut aussi sévir contre les rares entreprises qui violent les droits de la personne et nuisent à l’environnement. Ils proposent par conséquent la création d’un cadre réglementaire prévoyant les normes minimales acceptables pour les entreprises canadiennes actives à l’étranger, de même qu’un moyen de vérifier et de contrôler l’observation de ces normes. Pour M. Neve, il faudrait au minimum :

[E]xpliciter dans nos lois que les entreprises canadiennes qui sont actives à l'étranger continuent d'être visées par les lois du Canada et de relever de la compétence de nos tribunaux canadiens […] La législation canadienne doit justement préciser que le fait de s'implanter ailleurs ne signifie pas que les lois que nous avons adoptées au Canada en vue de nous assurer que les entreprises canadiennes se comportent de façon responsable en matière de droits humains ne s'appliquent plus.

Le Sous-comité partage cette opinion. Si le Canada désire être un chef de file dans le domaine de droits de la personne, ses entreprises doivent alors respecter les normes canadiennes où qu’elles fassent affaires. Nous recommandons donc :

Recommandation 17 :

Que le gouvernement du Canada adopte une loi portant que les entreprises canadiennes actives à l’étranger continuent d’être assujetties aux lois canadiennes relatives aux droits de la personne.

M. Laliberté a fait remarquer que les Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales de l’OCDE pourraient servir de point de départ au Canada pour l’élaboration et l’application d’un ensemble cohérent de lignes directrices sur la responsabilité sociale des entreprises. Les Principes directeurs, des principes et normes de conduite d’application facultative pour les entreprises responsables dans des domaines comme l’emploi et les relations industrielles, les droits de la personne, l’environnement, la divulgation d’informations, la lutte contre la corruption, la protection des consommateurs, les sciences et la technologie, la concurrence et la fiscalité, sont appuyés par tous les grands pays industrialisés, ce qui offre une base de départ pour la poursuite d’activités internationales visant à répandre les normes sociales et environnementales.

Des témoins ont fait remarquer aussi que le Canada disposait de plusieurs «  moyens de pression  » pour influer sur l’attitude des entreprises relativement aux droits de la personne et à la protection de l’environnement, comme le financement public accordé par le biais d’organismes comme Exportation et développement Canada. D’après M. Laliberté, «  si vous voulez bénéficier de l'appui du gouvernement par l'entremise de sociétés d'État ou en obtenant des contrats d'approvisionnement, vous devrez absolument respecter tel code de conduite. Cela ne veut pas dire que chaque fois qu'il y aura une infraction, tout s'arrêtera, mais cela permettra néanmoins d'établir un forum pour l'ouverture d'un dialogue et la définition de mesures d'incitation.  » Mme Sreenivasan a réclamé que le gouvernement adopte un «  cadre de réglementation précisant dans quelles conditions le gouvernement canadien serait prêt à assurer un soutien politique aux entreprises par l'entremise de ses ambassades, à leur verser une aide financière, par l'entremise d'EDC, à les faire bénéficier d'abris fiscaux aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, ou à faciliter des investissements par l'entremise du RPC  ». En outre, «  au strict minimum, le gouvernement canadien ne devrait soutenir, ni par l'entremise de ses politiques ni en accordant du financement, quelque initiative que ce soit qui compromet les droits humains  ».

Les témoins ont proposé aussi la ratification d’importants traités en matière de droits de la personne comme la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles entrée en vigueur le 1er juillet 2003, la multiplication des actions en faveur des droits de la personne au sein d’organisations internationales comme les Nations Unies et la mise en œuvre d’un programme d’étiquetage éthique des marchandises de manière que les consommateurs sachent comment sont fabriqués les produits qu’ils achètent.

M. Laliberté a aussi recommandé que le gouvernement exige des sociétés ouvertes qu’elles rendent compte dans leurs rapports annuels de la mise en oeuvre de leur code de responsabilité sociale, de manière qu’on puisse évaluer si ces politiques donnent des résultats.

Bien que la promotion des droits de la personne est un bien en soi, David Wheeler a dit au Comité qu’en prenant fermement position sur les droits de la personne et l’environnement, le gouvernement fédéral pourrait contribuer à promouvoir le Canada sur les marchés du monde entier : «  les sociétés multinationales n’inspirent pas beaucoup confiance, mais nous avons l’occasion d’agir parce que nous n’avons pas à composer avec les critiques qui visent les multinationales de certains autres pays  ». D’après lui, les sociétés canadiennes peuvent montrer au monde qu’il peut être avantageux de se donner des normes sociales et environnementales élevées. Il a signalé que les entreprises canadiennes responsables étaient en mesure de rendre les produits et services canadiens particulièrement attrayants : «  Si c’est un produit canadien, cela veut dire que c’est un produit bien pensé, bien fait, par une entreprise responsable sur le plan social et environnemental.  » Le Sous-comité recommande :

Recommandation 18 :

Que le gouvernement du Canada intègre à sa Stratégie à l’égard des marchés émergents un volet sur la responsabilité sociale (touchant les droits de la personne et les droits sociaux de même que la protection de l’environnement) et que, de manière plus générale, il assortisse ses programmes d’aide aux échanges et à l’investissement des conditions plus strictes relativement à la responsabilité sociale des entreprises.

G.        Approche concertée au niveau de l’ensemble de l’administration

Il faudrait que le Canada se donne une approche concertée au niveau de l’ensemble de l’administration fédérale dans l’élaboration de sa Stratégie à l’égard des marchés émergents et de sa politique de commerce et d’investissement en général. Le présent rapport fait état de nombreux cas où plusieurs ministères et organismes fédéraux offrent des services analogues et de cas où des mesures de financement sont diluées par leur distribution entre plusieurs ministères.

Pierre Laliberté a aussi donné un exemple concret de la manière dont la scission de fait du MAECI a compliqué l’exportation de technologies sensibles. L’exportation de ces technologies exige un permis et, dans l’ancienne structure, la délivrance de ces permis d’exportation faisait l’objet de discussions où étaient abordés les intérêts de l’industrie et des syndicats, les droits de la personne et d’autres intérêts. Maintenant, Commerce international Canada octroie ces permis et, d’après M. Laliberté, le processus de consultation a disparu.

Robert Blackburn a aussi soulevé la question de la cohérence des politiques. Il a fait remarquer que, alors que l’Afrique est une priorité de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), elle est pratiquement absente du volet Commerce de l’Énoncé de politique internationale récemment publié par le gouvernement fédéral. À son avis, dans le contexte d’une stratégie visant les marchés émergents, tous les ministères fédéraux devraient travailler dans le même sens vers la réalisation d’un même objectif.

Andrew Steeves (vice-président, Services administratifs et planification stratégique, ADI Group Inc.) a lui aussi parlé de la nécessité de mieux coordonner les politiques entre le MAECI et l’ACDI. Il a précisé que le MAECI cherche surtout à promouvoir le commerce international et les investissements tandis que l’ACDI délaisse l’aide bilatérale au profit de l’affectation d’une part croissante de son budget d’aide aux institutions multilatérales comme les Nations Unies. Il a fait remarquer en outre que, contrairement à ce que font les organismes d’aide internationale européens et américains, quand l’ACDI finance des projets à l’étranger, elle hésite à offrir des produits canadiens dans le contexte de ces initiatives. Il ne dit pas que l’aide de l’ACDI devrait être subordonnée à l’achat de produits canadiens, mais que l’on rate ainsi la possibilité de faire la démonstration de la capacité et du savoir-faire des Canadiens.

Giles Crouch (Commercialisation et développement des affaires, MedMira Inc.) a abondé dans le même sens. D’après lui, le MAECI devrait s’entendre avec l’ACDI pour identifier les projets réalisés dans des pays en développement au sujet desquels des entreprises canadiennes pourraient faire des offres. Le Sous-comité est d’accord avec lui. S’il est démontré que l’aide conditionnelle est improductive, cela ne veut pas dire pour autant que nous devrions délibérément renoncer à des possibilités d’affaires dans les pays en développement. En conséquence, nous recommandons :

Recommandation 19 :

Que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international s’entende avec l’Agence canadienne de développement international pour identifier les projets réalisés dans des pays en développement où le savoir-faire canadien pourrait être utile. Cette information devrait ensuite être rendue publique dans le contexte des mesures décrites à la recommandation 21.

Le Sous-comité a aussi entendu les vues du gouvernement sur la coordination de la politique commerciale au sein de l’administration fédérale. Comme Marcie Girouard (directrice générale intérimaire, Direction générale des technologies durables et des industries de services, Industrie Canada) l’a dit :

Commerce international Canada est le principal responsable au sein du gouvernement canadien pour l'élaboration des politiques commerciales et des activités de développement commercial, mais c'est à nous [Industrie Canada] qu'[on] s'adresse pour avoir de l'expertise sectorielle, pour l'aider à mobiliser l'industrie ainsi que pour trouver des idées sur les types de domaines pouvant susciter l'intérêt des entreprises de même que pour l'aider à tenir des activités visant à encourager les entreprises canadiennes à se lancer dans l'exportation.

Le Sous-comité est conscient du fait que le commerce et l’investissement comportent des enjeux qui peuvent toucher de nombreux ministères et organismes. Nous encourageons les ministères à partager entre eux l’information et leurs connaissances. Nous pensons cependant qu’il faut adopter une approche qui soit visiblement coordonnée. Les particuliers et les entreprises qui cherchent de l’information sur les possibilités de commerce et d’investissement à l’étranger (dans n’importe quel secteur de l’économie), sur la politique gouvernementale en matière de commerce international, sur les outils de promotion des échanges et des investissements et sur les programmes d’aide aux exportations et à l’investissement devraient pouvoir trouver les réponses qu’ils cherchent au même endroit.

La Stratégie à l’égard des marchés émergents doit être un plan complet et cohérent auquel participent tous les acteurs et intérêts concernés autour du même objectif. D’abord et avant tout, elle doit avoir un leadership fort. En conséquence, le Sous-comité recommande :

Recommandation 20 :

Que le gouvernement du Canada adopte une approche globale vis-à-vis de la Stratégie à l’égard des marchés émergents, à savoir une approche claire et coordonnée où tous les ministères et organismes concernés offrent leur savoir-faire au ministre du Commerce international.

SOUTIEN DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL DES ENTREPRISES

A.        Fournir de l’information sur les marchés et des services de préparation à l’exportation

La première chose à faire pour aider les entreprises à se prévaloir des possibilités de commerce et d’investissement à l’étranger, c’est de s’assurer qu’elles sont au courant de ces possibilités. Des témoins ont fait valoir au Sous-comité l’importance inestimable de sources de renseignements exacts et à jour sur les marchés, en particulier pour les petites et moyennes entreprises qui en général ne possèdent pas les ressources internes voulues pour faire elles-mêmes les travaux de recherche sur les marchés et de recherche de débouchés.

Le Sous-comité signale que le gouvernement du Canada fournit déjà une grande quantité d’informations sur les marchés par la voie de diverses sources. Le MAECI fournit ce genre d’information principalement par le biais de son Service des délégués commerciaux et offre par ailleurs dans ses publications de l’information sur les secteurs de croissance et les possibilités d’investissement. Industrie Canada et Agriculture et Agroalimentaire Canada offrent certains renseignements sur les marchés, tout comme Exportation et développement Canada. Les conseils d’entreprises bilatéraux et des groupes de recherche comme la Fondation Asie-Pacifique sont aussi de bonnes sources d’information sur les débouchés à l’étranger.

Le Sous-comité n’a pas entendu beaucoup de commentaires sur les services publics de renseignement sur les marchés, mais les témoins qui ont abordé la question ont dit en général que le gouvernement fournissait des services inestimables dans ce domaine. Certains estimaient qu’il faudrait consacrer davantage de ressources à l’information des entreprises sur les débouchés que présentent les marchés émergents prioritaires — en particulier en Chine. D’autres étaient d’avis que le gouvernement devrait fournir de l’information sur les débouchés à l’échelle mondiale pour permettre aux entreprises de faire des choix informés quant à ceux qui leur conviennent le mieux.

Un témoin cependant a proposé un changement au niveau du type d’information que le gouvernement fournit. Andrew Steeves estime que les services publics chargés du commerce international — ici et à l’étranger — devraient fournir davantage de renseignements à jour sur les projets à venir au lieu d’analyses et d’études des tendances des marchés. Il a signalé qu’un délégué commercial en poste en Irlande l’informe régulièrement par courriel des projets à venir dans ce pays, information qu’il trouve extrêmement utile. Son entreprise ne donne pas toujours suite à cette information, mais elle lui a souvent été utile.  

M. Steeves pense qu’il serait relativement simple d’établir un programme en bonne et due forme à partir de cet arrangement informel. Il serait facile de dresser des listes d’adresses de courriel à partir de renseignements fournis par les associations d’entreprises. Le personnel des ambassades pourrait alors envoyer des informations sur les projets régulièrement aux entreprises intéressées, tous les mois ou tous les trimestres, par exemple. Nous sommes tout à fait d’accord avec lui et, en conséquence, nous recommandons :

Recommandation 21 :

Que le gouvernement du Canada institue un programme dans lequel ses délégués commerciaux dresseraient régulièrement une liste de projets par secteur d’activité dans la région du monde dont ils s’occupent. Il faudrait établir un guichet d’information unique où seraient réunies toutes les informations rassemblées suivant la recommandation 19. Il faudrait afficher l’information sur les projets sur Internet et créer un système de diffusion qui permettrait aux entreprises canadiennes de s’abonner à des mises à jour gratuites de la liste des projets de leur secteur d’activité. Il faudrait mettre à la disposition des délégués commerciaux canadiens tous les outils dont ils ont besoin pour s’acquitter de cette tâche.

Le gouvernement fournit aussi un autre service important dans la mesure où il aide les entreprises à se préparer à exporter. Équipe Canada Inc., un réseau qui réunit plus de 20 ministères et organismes publics et les provinces et territoires, est en quelque sorte un guichet unique qui aide les entreprises à se renseigner et à se préparer à relever les défis de l’exportation. Par ailleurs, EDC offre des services de préparation à l’exportation dans le contexte de son programme de financement des échanges. Les témoins ont parlé favorablement de ces programmes, soulignant en particulier leur importance pour les PME.

À notre avis, l’information sur les marchés, la préparation à l’exportation et les programmes qui servent à informer les entreprises sur les débouchés et les défis que présentent les marchés étrangers doivent constituer la pierre angulaire de toute stratégie relative aux marchés émergents. Les marchés émergents présentent certes des occasions d’affaires alléchantes, mais les risques sont aussi considérables. Comme l’a dit Margaret Vokes (sous-directrice générale, Conseil de commerce Canada-Inde) :

[D]ans les marchés émergents il y a des risques, et l'on doit avoir une tolérance élevée au risque et avoir les reins solides, et il faut donc que les petites et moyennes entreprises soient très bien informées par le gouvernement et d'autres voix.

Mme Vokes a poursuivi en disant que les conseils d’entreprises bilatéraux avaient un rôle important à jouer, car ils peuvent faire comprendre aux entreprises que l’exploitation des débouchés sur les marchés émergents exige un engagement de longue durée et qu’elles ne doivent pas s’engager dans cette voie avant d’être prêtes. Comme elle l’a dit, traiter avec les marchés émergents exige un travail préparatoire considérable et une grande prudence. Le Sous-comité recommande donc :

Recommandation 22 :

Que le gouvernement du Canada veille à ce que ses services d’information sur les marchés et de préparation à l’exportation informent bien les Canadiens sur les réalités de la conduite des affaires à l’étranger — sur les débouchés comme sur les risques que présentent ces marchés.

B.        Ouvrir des portes aux entreprises canadiennes

[P]our créer des liens avec nos pays partenaires, le gouvernement doit se faire remarquer davantage, en augmentant, par exemple, les visites, les délégations et les missions. — Dwain Lingenfelter

Le gouvernement est exceptionnellement bien placé pour aider les entreprises canadiennes à s’implanter à l’étranger. Il peut en particulier servir d’intermédiaire et aplanir les difficultés par l’établissement de relations diplomatiques cordiales et la promotion d’échanges commerciaux et gouvernementaux qui contribuent à encourager les affaires entre le Canada et les marchés émergents prioritaires. Le gouvernement a deux outils à sa disposition à cet égard : les visites de représentants du gouvernement de haut niveau et les instruments de promotion des échanges comme les missions commerciales d’Équipe Canada.

1.         Visites de représentants du gouvernement de haut niveau

[I]l n'y a rien de plus important que les relations de travail que peuvent tisser et entretenir les ministres du Commerce et tous les ministres fonctionnels avec leurs homologues chinois. — Margaret Cornish

Plusieurs témoins ont insisté sur l’importance de bonnes relations diplomatiques et de visites de représentants gouvernementaux de haut niveau dans le contexte d’une stratégie au sujet des marchés émergents. Il faut au minimum, comme l’a dit David Daly (directeur, Politique financière, Association canadienne des producteurs pétroliers), que le gouvernement du Canada s’efforce d’entretenir de bonnes relations diplomatiques avec les marchés émergents prioritaires.

Margaret Cornish (directrice générale, Conseil commercial Canada Chine) estime que l’établissement de relations étroites au niveau ministériel revêt une importance prépondérante dans l’établissement de saines relations bilatérales. À son avis, les ministres du Commerce international, de l’Agriculture et de l’Industrie du Canada — pour ne nommer que ces trois-là — devraient établir et entretenir des relations de travail très étroites avec leurs homologues chinois. Elle trouve que le Canada cultive mal ces relations par comparaison avec nos concurrents sur les marchés émergents. Elle recommande de multiplier les visites de représentants du gouvernement du Canada en Chine.

Il faut y aller et y retourner, presque chaque année. Je suis sûre que de nombreux ministres […] diront qu'ils n'ont pas le temps de le faire, mais si vous voulez construire des relations profondes avec la Chine, c'est le temps qu'il faut y consacrer.

Le Sous-comité estime que ce message vaut aussi pour les autres marchés émergents prioritaires.

On nous a fait valoir que les visites de délégations de haut niveau — particulièrement quand y participent le premier ministre ou d’autres ministres — faisaient comprendre aux marchés émergents que le Canada cherche vraiment à étoffer ses relations économiques avec eux. Ces visites font connaître le Canada et peuvent utilement mettre en relief l’apport des entreprises canadiennes déjà actives sur ces marchés. En outre, comme l’a dit Roderick Bell, toutes les cultures valorisent les contacts en personne.

Le Sous-comité a reçu un groupe de témoins canadiens en provenance d’États arabes qui ont parlé des débouchés qui s’offrent aux entreprises canadiennes dans cette région du monde et des difficultés que celles-ci doivent surmonter. Leurs commentaires montrent clairement que les visites de parlementaires et de ministres suscitent beaucoup d’attention et aident beaucoup les entreprises canadiennes actives dans cette région.

En outre, ces visites ont un impact important au Canada, car elles permettent de faire connaître les réalisations des entreprises canadiennes sur les marchés émergents et, dans le cas de régions comme les États arabes, elles contribuent à corriger certaines idées fausses qui circulent sur cette région. Comme l’a dit Dwain Lingenfelter (président et chef de la direction, vice-président, Relations avec le gouvernement, Nexen Inc., Conseil de commerce canado-arabe) :

Si un ministre canadien était là pour participer à une inauguration ou célébrer un investissement, non seulement dans le cadre des missions commerciales qui cherchent des débouchés, mais aussi lorsqu'une compagnie pétrolière ou Bombardier ouvre une nouvelle usine, alors les médias au Canada parleraient moins de ce qui cloche dans cette région, mais plutôt de la visite d'un ministre ou du premier ministre qui célèbre le succès des entreprises canadiennes là-bas.

Recommandation 23 :

Que, pour renforcer les relations au niveau ministériel et aux paliers élevés du gouvernement, le gouvernement du Canada augmente le nombre et la fréquence des visites officielles dans les marchés émergents prioritaires. Les visites en Chine, en Inde, au Brésil et en Russie doivent avoir la priorité, mais il faudrait aussi organiser le plus souvent possible des visites dans les autres marchés émergents.

2.         Missions commerciales à l’étranger

Les missions commerciales du genre de celles d’Équipe Canada peuvent aussi utilement promouvoir les échanges. Ces missions varient considérablement en importance et en portée, mais il s’agit en général de délégations de représentants du gouvernement du Canada et de gens d’affaires qui se rendent dans un pays étranger pour y faire de la prospection.

L’expression «  Équipe Canada  » décrit en général les missions de grande envergure, le plus souvent composées du premier ministre, d’autres ministres et de centaines de gens d’affaires. Depuis octobre 2004, des missions d’Équipe Canada se sont rendues en Chine, en Inde et au Brésil.

Les vues des témoins sur les grandes missions d’Équipe Canada étaient partagées. Certains voient dans ces missions un outil efficace de promotion des échanges et des investissements, utile non seulement pour cultiver des relations commerciales, mais aussi pour faire connaître le Canada et les entreprises canadiennes. Phil Hodge a dit que, pour avoir lui-même participé à des missions d’Équipe Canada, il les recommanderait à d’autres gens d’affaires. Il a cependant précisé que le succès de ces missions dépendait dans une large mesure de l’apport de chacun. Patrick Rooney (vice-président principal, Financement du commerce international et Relations avec les correspondants, Banque Scotia) trouve aussi que ces missions sont utiles.

D’autres témoins étaient moins convaincus de l’utilité des missions d’Équipe Canada, estimant que, dans des missions d’une telle envergure, on perdait parfois de vue le but premier de la mission, la recherche de débouchés. À leur avis, les missions d’Équipe Canada sont axées davantage sur les relations politiques bilatérales que sur la promotion des échanges et des investissements.

Si les témoins ne s’entendaient pas sur la valeur des grandes missions commerciales, ils étaient cependant presque unanimes à dire que les missions commerciales sont utiles. C’est la taille et la portée de certaines de ces missions que certains trouvent discutables. Des témoins ont dit estimer que de petites missions commerciales concentrées sur des secteurs d’activité précis sont plus utiles. Leurs vues ont été le mieux résumées par David Wheeler, qui a dit :

La manière dont sont actuellement organisées les missions commerciales, qui consiste à remplir un avion de représentants de toutes sortes d’industries pour les envoyer dans une ville étrangère où ils auront des contacts aléatoires avec des tas de gens un peu au hasard, n’est pas la bonne. Ce qu’il vaudrait mieux faire, c’est procéder de manière sectorielle. On pourrait envoyer des cadres d’entreprises pétrolières et gazières accompagnés du premier ministre ou de hauts fonctionnaires au Venezuela [par exemple], car l’activité pétrolière et gazière y est forte, et de cette manière on met en contact des réseaux denses de compagnies pétrolières et gazières canadiennes et locales.

Les témoins ont proposé des manières de rendre les missions commerciales du Canada plus efficaces. Dwayne Wright (membre, conseil d’administration, Association canadienne des importateurs et exportateurs) estime que les missions devraient se concentrer moins sur les exportations et faire aussi la promotion des importations. À son avis, des importations bon marché contribueraient à rendre les entreprises canadiennes plus compétitives sur les marchés internationaux. La promotion des importations attesterait l’importance que le Canada accorde au commerce bilatéral et à la constitution de chaînes d’approvisionnement mondiales. Yuen Pau Woo a ajouté qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance de la promotion des importations, en particulier pour attirer l’investissement étranger au Canada.

Ce message semble avoir été bien reçu par les représentants du gouvernement. Ken Sunquist a indiqué que si les missions du début et du milieu des années 1990 étaient axées presque exclusivement sur les exportations, elles avaient considérablement évolué depuis. Maintenant, les missions commerciales ne consistent plus seulement à mousser nos exportations, mais traitent d’investissement, de partenariats stratégiques et d’autres types d’ententes commerciales — du «  commerce au sens général  » comme l’a dit M. Sunquist. Dans un sens, l’expression «  mission commerciale  » est presque devenue impropre.

On a aussi recommandé que le Canada fasse un effort soutenu sur le plan de la promotion des échanges. Des témoins nous ont appris qu’un programme permanent de missions de promotion des échanges et des investissements, combiné à des visites ministérielles soigneusement planifiées, montrerait aux entreprises canadiennes comme à nos partenaires commerciaux de l’étranger que le Canada tient à développer ses relations commerciales.

Il y a enfin la question de savoir où le Canada doit concentrer les activités de ses missions commerciales. Le Sous-comité sait qu’il est difficile de multiplier les visites dans les pays cibles sans réduire le nombre de pays où le Canada envoie des missions commerciales. David Hutton a dit souhaiter qu’une délégation se rende dans les États arabes. Le Sud-Est de l’Asie mérite certainement qu’on s’y intéresse aussi.

Le Sous-comité estime que les missions commerciales — mettant l’accent aussi sur les investissements et le développement de relations d’affaires en général — sont utiles dans le contexte d’une stratégie visant les marchés émergents. Non seulement ces missions suscitent des échanges et des investissements, mais elles montrent que le Canada cherche à resserrer les liens économiques avec les pays concernés. Nous louons les efforts déployés récemment pour mousser le Canada au Brésil, en Chine et en Inde et estimons important de continuer de viser ces pays et d’ajouter la Russie à la liste. Nous recommandons donc :

Recommandation 24 :

Que le Canada augmente le nombre de missions commerciales dans les principaux marchés émergents. Il faudrait prévoir des missions de grande envergure et certaines de moindre importance au moins deux ou trois fois par an. Les petites missions devraient être concentrées sur des branches d’activité données, suivant les besoins.

Il faut bien voir cependant que ce sont les entreprises qui déterminent où sont les débouchés. En conséquence, nous recommandons aussi :

Recommandation 25 :

Que le gouvernement du Canada consulte les entreprises et les associations d’entreprises sur une base régulière pour déterminer dans quels pays — en dehors de la Chine, de l’Inde, du Brésil et de la Russie — et dans quels secteurs d’activité les missions commerciales seraient le plus utiles. En termes de priorité, ces missions viendraient après celles qui sont décrites à la recommandation 24.

Enfin, nous estimons que les récentes missions du Canada au Brésil, en Chine et en Inde offrent au gouvernement du Canada la possibilité de raffiner son service de promotion des échanges. Il serait utile que le gouvernement consulte ceux qui ont participé à ces missions pour déterminer ce qu’il faudrait modifier, le cas échéant, pour rendre ces missions plus efficaces. Nous recommandons donc :

Recommandation 26 :

Que le gouvernement du Canada consulte les personnes qui ont participé aux récentes missions commerciales au Brésil, en Inde et en Chine pour connaître leurs vues sur la manière d’améliorer les missions de ce genre.

3.         Visites de délégations étrangères au Canada

Certains témoins ont dit au Comité que le Canada devrait faire davantage d’efforts pour inviter des délégations étrangères au Canada, qu’il s’agisse de visites gouvernementales officielles ou de délégations de cadres du gouvernement et de l’entreprise analogues aux missions commerciales d’Équipe Canada. Certains voient dans la multiplication des visites de délégations étrangères un moyen de promouvoir le resserrement des liens économiques avec les marchés émergents. Phil Hodge serait favorable à «  toute initiative ou tout soutien financier visant l'accueil de délégations étrangères en visite dans nos entreprises canadiennes  ».

Les visites de délégations étrangères au Canada présentent effectivement des avantages potentiels considérables. D’abord, elles permettent de mettre en relief l’expertise, les installations et le savoir-faire canadiens. Ensuite, elles permettent aux délégations étrangères de se faire une bonne idée de ce que le Canada et les entreprises canadiennes ont à offrir. Les visites d’investisseurs potentiels sont aussi utiles aux petites entreprises qui n’ont pas les moyens ou la possibilité de participer aux missions du Canada à l’étranger.

D’un autre côté, les visites de délégations étrangères au Canada aident aussi à informer les Canadiens sur les débouchés à l’étranger. La couverture de ces visites par les médias attire l’attention sur le pays de la délégation. Enfin, les gens d’affaires canadiens ont l’occasion de rencontrer les membres de délégations lors des activités organisées durant la visite. Phil Hodge estime que les visites de délégations étrangères au Canada sont plus utiles que l’inverse. Yuen Pau Woo aussi estime que le Canada devrait chercher davantage à faire venir des délégations gouvernementales et commerciales au Canada, surtout pour attirer des investissements étrangers.

Enfin, les délégations en provenance de l’étranger ne doivent pas nécessairement être composées uniquement de visiteurs étrangers. En encourageant la participation de Canadiens actifs sur les marchés émergents, on peut contribuer à informer les autres entreprises sur les possibilités que présentent les marchés étrangers. Denis Thibault, ambassadeur du Canada au Koweït, nous a dit qu’en raison de leurs préjugés à l’égard des États arabes les entreprises canadiennes ne saisissent pas les énormes débouchés qu’offre la péninsule, qui connaît une relative stabilité. Selon lui, en faisant connaître les succès des entreprises canadiennes dans la région, on contribuerait à corriger certaines des idées préconçues qui circulent sur cette région du monde. Il serait utile à cet égard de faire venir au Canada des gens d’affaires qui travaillent à l’étranger.

Le Sous-comité estime que le Canada doit encourager plus activement les échanges de haut niveau avec les marchés étrangers. Ces visites aident les entreprises canadiennes en leur faisant connaître les débouchés et les difficultés à surmonter, en mettant en valeur les réalisations et le savoir-faire canadiens et en contribuant à établir des contacts avec l’étranger. En outre, le resserrement des relations avec les leaders gouvernementaux peut éventuellement aboutir à la conclusion d’accords en bonne et due forme visant à établir des relations plus étroites. Nous recommandons donc :

Recommandation 27 :

Que le gouvernement du Canada lance une campagne de sensibilisation qui encourage activement les hauts fonctionnaires et les dirigeants d’entreprises des marchés émergents à se rendre au Canada le plus souvent possible. Les Canadiens actifs dans les pays concernés devraient aussi être invités à participer à de telles visites.

C.        Programmes d’aide aux exportations

1.         Programmes courants

Le gouvernement du Canada offre un certain nombre de programmes d’aide financière aux entreprises qui envisagent d’exporter ou d’investir à l’étranger. Il ne s’agit pas de subventions à l’exportation. Les organismes concernés sont des intermédiaires et offrent notamment de l’assurance ou compensent le coût des affaires à l’étranger, principalement en offrant des prêts remboursables. Il s’agit des suivants :

 Exportation et développement Canada (EDC) : EDC offre du crédit et de l’assurance à l’exportation et s’intéresse en particulier aux marchés à risque élevé, dont les banques commerciales et les assureurs privés hésitent à s’occuper.
 Corporation commerciale canadienne (CCC) : La CCC aide les entreprises canadiennes à décrocher des contrats d’approvisionnement à l’étranger.
 Programme de coopération industrielle (PCI) de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) : Le PCI de l’ACDI offre une aide financière aux entreprises canadiennes qui envisagent d’investir dans les pays en développement.

En général, les avis étaient plutôt favorables sur ces programmes. Un témoin cependant a formulé des réserves. Pierre Laliberté trouve qu’EDC encourage activement les entreprises canadiennes à exporter leurs activités à forte intensité de main-d’œuvre pour devenir plus compétitives, ce qui ferait perdre des emplois au Canada. Par contre, à la défense de ce programme, Eric Siegel (vice-président directeur, Services financiers à moyen et à long terme, Exportation et développement Canada) a précisé au Comité qu’EDC ne soutenait que les opérations qui présentent un avantage net pour le Canada, bien que cet avantage ne soit pas limité à la création ou à la protection d’emplois au Canada.

Si la plupart des témoins étaient en général satisfaits des programmes d’aide aux exportations et à l’investissement, certains ont exprimé des réserves quant au niveau de financement public. Certains ont recommandé que le gouvernement accorde davantage de ressources à EDC pour permettre à celle-ci d’accroître sa présence internationale. Pour sa part, Peter Kieran (président, CPCS Transcom Ltd) a des réticences au sujet des modifications apportées récemment au PCI de l’ACDI. Depuis le 1er avril 2005, les dépenses couvertes ont été considérablement réduites et la taille minimale des projets admissibles a été relevée. Selon M. Kieran, ces modifications rendent le PCI bien moins intéressant, surtout pour les petites entreprises désireuses de faire des affaires dans les pays en développement.

Par ailleurs, plusieurs témoins ont signalé des lacunes dans l’éventail des services publics offerts. Certains estiment par exemple que le mandat actuel d’EDC empêche l’organisation de participer aux nouvelles réalités que sont l’approvisionnement sur le marché international,  les chaînes d’approvisionnement et les industries du savoir.

Par exemple, Phil Hodge a signalé que son entreprise, Westport Innovations Inc., est une entreprise de recherche qui vend des idées — des technologies — à d’autres entreprises qui s’en servent pour fabriquer des produits. EDC peut aider le fabricant à exporter, mais pas Westport. Comme l’a dit M. Hodge :

Le mandat d'EDC ne me pose aucun problème. Je crois que cet organisme effectue un excellent travail. C'est simplement qu'en raison de ce mandat, nous ne pouvons pas bénéficier de l'aide d'EDC. Son mandat n'est pas assez large. La raison est que nous n'exportons aucun produit.

Peter Kieran a signalé une autre lacune — l’aide aux exportateurs des pays en développement. M. Kieran admet que l’on a souvent considéré que les importations en provenance de l’étranger privaient les Canadiens d’emplois, mais il signale que les pays en développement n’ont pas les ressources voulues pour acheter des produits canadiens s’ils ne peuvent pas vendre leurs propres produits au Canada. Il estime par ailleurs que les producteurs canadiens ont tout à gagner à se procurer des intrants bon marché.

D’autres idées ont été avancées. Rajendra Gupta (président et directeur général, ProSoya Inc.) a proposé un programme hybride qui combinerait les points forts du PCI de l’ACDI au chapitre des investissements dans les pays en développement et d’EDC dans le domaine de l’aide à l’exportation. À son avis, chacune des deux organisations offre un service important, mais ni l’une ni l’autre ne répond complètement aux besoins des entreprises.

Sur la foi des témoignages entendus, nous estimons que le gouvernement du Canada doit revoir ses programmes de développement des exportations et d’aide à l’exportation pour s’assurer qu’ils répondent aux besoins des entreprises. Les lacunes identifiées plus haut doivent être comblées. En conséquence, nous recommandons :

Recommandation 28 :

Que, compte tenu des lacunes identifiées dans le présent rapport, le gouvernement du Canada revoie le champ d’action et le mandat de ses programmes de soutien du commerce international et des investissements et qu’il y apporte les changements nécessaires.

2.         Programme de développement des marchés d’exportation

Des témoins ont parlé au Sous-comité du Programme de développement des marchés d’exportation (PDME). Créé en 1971, le PDME a pour mandat d’aider les petites entreprises qui songent à exporter pour la première fois ou qui veulent exporter vers de nouveaux marchés. Il aide ces entreprises à identifier et à exploiter les possibilités de vente et d’investissement à l’étranger en partageant les coûts et les risques de la mise en œuvre de plans de développement des exportations sur de nouveaux marchés.

Jusqu’au 31 mars 2004, le PDME comportait deux composantes principales. La première, la composante industrielle (PDME-Industrie) avait pour mission d’aider les petites entreprises à pénétrer un marché étranger ou à y prendre de l’essor en les aidant à identifier et à exploiter les débouchés. Aux termes de la composante industrielle du PDME, le gouvernement assume une partie des coûts et des risques d’un projet donné d’une entreprise, laquelle le rembourse par la suite à même les ventes générées par le projet. La composante industrielle du PDME comportait trois éléments : Stratégie de développement des marchés (SDM), Entreprises novices à l’exportation (ENE) et Soumissions pour projets d’immobilisations (SPI). Elle a été éliminée à la suite de l’examen des dépenses du gouvernement.

Certains témoins se sont dits déçus par la suppression de la composante industrielle du PDME. Margaret Vokes estime qu’elle convenait bien à une stratégie visant les marchés émergents — elle était conçue pour compenser certains des coûts des affaires sur des marchés où les risques et les coûts sont élevés. Rajendra Gupta a abondé dans le même sens : «  Si ce type d'aide financière était rétabli ou disponible sous une autre forme, les petites entreprises pourraient en profiter.  » 

Ces témoins, et d’autres encore, prônent le rétablissement de la composante industrielle du PDME ou la création d’un programme similaire axé sur les marchés émergents. À ce propos, Anthony Eyton a dit que le gouvernement envisageait peut-être déjà un programme de remplacement. Selon lui, un nouveau programme pourrait être fusionné avec le PCI de l’ACDI puisqu’ils serviraient des fins analogues. Il a aussi recommandé que, si le PDME est renouvelé, il cible des pays précis comme la Chine, l’Inde et le Brésil et que les exportations aux États-Unis n’y soient pas admissibles; à son avis, les entreprises canadiennes n’ont pas besoin d’aide pour trouver des clients aux États-Unis. 

La deuxième composante du PDME vise les associations commerciales (PDME-AC). Ce programme existe toujours. Il offre une aide financière non remboursable aux associations commerciales et industrielles sectorielles d’envergure nationale qui font la promotion en général des produits et services de leurs membres sur le marché international. Les associations qui bénéficient de l’assistance du PDME organisent des activités sectorielles de promotion des exportations pour le compte de leurs membres. Ces activités sont particulièrement importantes pour les petites et moyennes entreprises qui le plus souvent n’ont pas les moyens d’en organiser elles-mêmes.

Bernard Courtois a une haute opinion du PDME-AC. Il considère que ce programme est utile pour promouvoir l’échange d’informations entre associations. Il a demandé au Sous-comité de voir à ce que le programme continue de jouer un rôle de soutien. Il pense cependant qu’il pourrait être opportun de procéder à certaines modifications pour faire en sorte que la définition des activités essentielles du PDME soit compatible avec l’objectif du programme, à savoir faciliter l’exploitation des occasions d’affaires sur les marchés émergents.

À notre avis, on a grand besoin de programmes comme le PDME si l’on veut que les PME participent à la Stratégie à l’égard des marchés émergents. Nous avons remarqué que certains témoins n’étaient pas optimistes quant aux occasions d’affaires que présentent les marchés émergents pour les PME, en particulier en Chine. La plupart estiment que les coûts et les difficultés que présentent les marchés émergents sont tels que la plupart des petites entreprises ont peu de chances d’y survivre suffisamment longtemps pour y réaliser des bénéfices. Comme l’a dit Avrim Lazar (président-directeur général de l’Association des produits forestiers du Canada) :

Certaines petites entreprises peuvent trouver des petites niches en Chine et en Inde, mais en réalité, il est peu probable qu'elles réussiront à long terme.

Margaret Cornish est du même avis. Parlant des missions commerciales, elle est allée jusqu’à dire que le gouvernement rendrait peut-être service aux PME en évitant de les aider à s’engager sur ces marchés.

[O]n rend probablement service aux petites entreprises en faisant le tri parmi elles. Il faut beaucoup d'argent pour faire des affaires en Chine, et il vaut mieux que ces entrepreneurs le sachent dès le départ. Cela les encourage à faire les efforts de préparation nécessaires pour tirer profit de la mission.

Compte tenu des occasions d’affaires et d’investissement que présentent les marchés émergents, nous estimons que toutes les entreprises canadiennes qui souhaitent faire des affaires en Chine, en Inde, au Brésil ou ailleurs devraient pouvoir le faire. Cependant, vu les difficultés précitées, le gouvernement doit offrir une aide solide aux PME sur le plan du développement des exportations sans pourtant susciter chez elles des attentes irréalistes. Nous estimons que les programmes comme le PDME, associés à un fort élément de préparation à l’exportation, peuvent aider les PME à maximiser leurs chances de succès. Nous recommandons donc :

Recommandation 29 :

Que, vu la suppression de la composante industrielle du Programme de développement des marchés d’exportation, le gouvernement du Canada envisage de créer un programme pour aider les petites et moyennes entreprises à assumer les coûts et les risques des affaires sur les marchés émergents.

D.        Une aide sur place suffisante

Si le Canada veut vraiment accéder à ces marchés, créer des emplois au Canada […] il va falloir accroître le nombre de gens sur place dans ces marchés émergents. — Avrim Lazar

Les ambassades et consulats du Canada jouent un rôle considérable dans le succès des entreprises canadiennes à l’étranger. Comme l’a dit Albert Eringfeld, les fonctionnaires en poste à l’étranger rendent des services utiles aux entreprises canadiennes : ils leur fournissent de l’information sur les marchés et les acheteurs locaux, ils organisent des rencontres avec des gens d’affaires et des fonctionnaires et ils aident à surmonter divers obstacles au commerce et à résoudre des problèmes.

En fait, les audiences ont permis de mettre en relief la considération unanime des témoins pour les délégués commerciaux et les autres employés des ambassades du Canada à l’étranger. Les témoins ne tarissaient pas d’éloges sur eux, vantant les services que ceux-ci leur ont prodigués à l’étranger.

Ils étaient cependant presque unanimes pour réclamer que le Canada accroisse ses ressources humaines à l’étranger. Beaucoup de témoins estiment que ce serait un excellent investissement pour le Canada et qu’une meilleure représentation à l’étranger serait rentable compte tenu des emplois qui seraient créés au Canada par l’augmentation des échanges et des investissements qui en résulterait.

La présence internationale du Canada s’est amoindrie ces dernières années. Dans l’Énoncé de politique internationale publié récemment, le gouvernement fédéral admet que les compressions budgétaires des années 1990 ont beaucoup réduit le nombre des fonctionnaires canadiens employés à l’étranger. D’après l’Énoncé, 50 p. 100 environ du personnel des ministères des affaires étrangères des pays du G-8 sont affectés à l’étranger contre seulement 25 p. 100 pour le Canada.

Nous sommes heureux de constater que l’on commence à rectifier la situation. Le budget de 2005 prévoit une somme additionnelle de 42 millions de dollars pour renforcer la présence du Canada à l’étranger, mais il reste encore beaucoup à faire.

Certains témoins ont précisé que cette augmentation des services à l’étranger ne doit pas être limitée aux services des délégués commerciaux. Robert Blackburn a fait remarquer que, dans des marchés comme la Chine en particulier, les considérations personnelles, économiques et politiques sont inextricablement liées et qu’on a besoin, dans ces pays, de gens polyvalents.

Reste à déterminer où diriger ces ressources. Les témoignages à ce sujet étaient moins clairs. Certains témoins estimaient que si le Canada entend vraiment concentrer ses efforts sur certains marchés émergents, il doit distribuer les ressources en personnel en conséquence. Nous avons entendu dire que l’Australie avait adopté une approche très ciblée : il n’y a que 80 bureaux commerciaux australiens dans le monde contre 220 pour le Canada. Par contre, les bureaux australiens sont concentrés dans les pays considérés comme prioritaires. Ainsi, l’Australie a plus de bureaux et de personnel en Chine que n’en a le Canada.

Il y a par contre d’autres marchés intéressants où les possibilités d’affaires abondent, mais où le Canada est relativement mal représenté. Des témoins nous ont dit notamment que nous devrions augmenter nos ressources dans les États arabes — une région qui, d’après le Sous-comité, présente un potentiel considérable pour le Canada. Par ailleurs, un seul bureau assure la représentation du Canada pour les trois pays baltes. Il y a certainement d’autres pays — en Asie du Sud-Est, par exemple — où les occasions d’affaires mériteraient une aide gouvernementale additionnelle sur le terrain. 

Pour ce qui est de la politique gouvernementale en la matière, il semble que le gouvernement fédéral a déjà opté pour une approche plus concentrée. D’après l’Énoncé de politique internationale, le Canada entend :

[R]econfigurer notre réseau de missions, afin de renforcer notre présence dans les régions où nos intérêts vont croissant (comme l'Asie et le Moyen-Orient), en partenariat avec les autres ministères présents à l'étranger1.

Recommandation 30 :

Que, abstraction faite de la récente augmentation de crédits annoncée dans le Budget de 2005 pour renforcer la présence du Canada à l’étranger, des ressources additionnelles soient consenties pour accroître encore l’aide offerte sur place aux entreprises canadiennes dans les marchés étrangers.

Parmi les rares critiques formulées à l’égard des bureaux du Canada à l’étranger, l’une concerne la durée, trop courte selon certains témoins, des affectations. Phil Hodge a indiqué que, sur une affectation de trois ans sur le terrain, les délégués commerciaux passent entre 18 et 24 mois à se familiariser avec leurs nouvelles fonctions, ce qui signifie qu’ils ne sont pleinement opérationnels que la dernière année de leur affectation. Il sait que certains délégués préféreraient ne pas rester plus de trois ans au même endroit, mais il demeure convaincu que les entreprises canadiennes auraient tout à gagner à traiter avec des délégués commerciaux ayant une expérience plus longue, surtout sur les marchés asiatiques où le succès des entreprises dépend dans une large mesure de tout un réseau de relations.

Le Sous-comité partage ces vues. Il avait d’ailleurs formulé une recommandation en ce sens dans son dernier rapport, Donner un nouveau souffle aux relations entre le Canada et l’Asie-Pacifique (recommandation 27), qu’il estime important de reprendre ici. En conséquence, nous recommandons :

Recommandation 31 :

Que le gouvernement du Canada porte à cinq ans la durée des affectations internationales des délégués commerciaux en Chine, en Inde, au Brésil et en Russie.

E.        La question des visas

[N]ous avons de la difficulté à les faire venir ici pour visiter une usine ou négocier une entente — Rajendra Gupta

De tous les témoignages que nous avons reçus durant notre analyse des éléments à inclure dans une stratégie portant sur les marchés émergents, les plus troublants concernaient la question de l’immigration et des visas. Plusieurs témoins nous ont fait part d’un message identique : le processus de délivrance des visas constitue un obstacle majeur au resserrement des liens économiques avec les marchés émergents.

Les témoins n’ont pas mâché leurs mots. Yuen Pau Woo a affirmé que la question des visas constituait l’objet de plainte le plus courant des gens d’affaires cherchant à faire des affaires en Inde et en Chine. Rajendra Gupta et Albert Eringfeld ont eux aussi fait état des difficultés considérables auxquelles ils font face quand ils veulent faire venir des acheteurs ou des investisseurs potentiels ou des délégations au Canada. D’après Yuen Pau Woo, «  c’est arrivé encore une fois il y a trois semaines à l’occasion d’une grande foire commerciale qui avait lieu à Vancouver et où 60 p. 100 de la délégation chinoise s’est fait refuser un visa.  »

Margaret Cornish a aussi fait état du taux élevé de rejet des demandes de visa émanant de Chinois. Elle a dit qu’il arrivait beaucoup trop souvent que des personnes haut placées au gouvernement ou dans l’entreprise voient leur demande de visa rejetée. Elle a ajouté que, d’après le consulat général de Toronto, la moitié des demandes sont rejetées : «  comment peut-on faire des affaires avec des gens quand 50 p. 100 d'entre eux se voient claquer la porte au nez?  »

Certains témoins étaient frustrés en particulier par ce qu’ils considèrent comme l’absence d’uniformité et de critères clairs dans l’analyse des demandes de visa. Chi Lin (président, Canada-China Society of Science and Technology Industries) a longuement parlé de ce problème. Il a dit que dans bien des cas, des requérants qui se sont pliés à toutes les formalités voient leur demande de visa rejetée sans explication. On ne leur dit pas non plus quelles informations supplémentaires auraient pu rassurer les services d’immigration. Le Sous-comité a en outre entendu dire que les entreprises canadiennes n’ont jamais pu obtenir de la section des visas d’Immigration Canada une liste précise des pièces justificatives requises pour permettre à un associé étranger de venir au Canada en voyage d’affaires.

À cause de la difficulté pour les entreprises canadiennes d’obtenir des visas pour des clients ou des investisseurs potentiels, certaines personnes interviennent dans le processus pour aider leurs homologues étrangers. Gary Comerford (vice-président, International et directeur général — Inde, Conseil de commerce Canada-Inde) affirme que les choses se passent mieux quand il écrit une lettre à l’appui de la demande d’un requérant. Il admet cependant que cela suppose l’existence d’un protocole non écrit : les gens qui veulent faire des affaires au Canada ne savent pas que la lettre d’un Canadien peut les aider ni à qui s’adresser pour en obtenir une.

D’après des représentants du gouvernement, il y a trop de requérants pour les recevoir tous en entrevue, si bien que tout se ramène à une évaluation du risque. Pour eux, le principal problème est la fraude. Ken Sunquist a donné l’exemple hypothétique d’une entreprise chinoise qui voudrait envoyer cinq personnes au Canada pour aller visiter une entreprise canadienne. Il peut arriver, dit M. Sunquist, que l’entreprise chinoise en question envoie quatre employés au Canada et vende la cinquième place à une personne qui cherche à entrer illégalement dans notre pays.

Pour Rénald Gilbert (directeur, Politique et programmes économiques, Direction générale de la sélection, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), trois autres facteurs compliquent les choses : le manque de personnel, le fait que le bureau du Canada concerné n’a en général aucune information ou très peu sur le requérant et enfin la complexité du système canadien, dont M. Gilbert a donné un exemple :

[L]orsque des ressortissants d'autres pays viennent au Canada par affaires, certains peuvent se qualifier en tant que travailleurs de sous-catégories qui exigent une évaluation de DRHC pour s'assurer qu'on ne vole pas d'emplois aux Canadiens. Certains doivent se soumettre à cette évaluation, mais pas tous.

Le Sous-comité a été saisi de cas où cette évaluation a causé du tort à l’économie canadienne. Ken Sunquist a cité le cas d’une usine de textiles du Québec qui a dû fermer temporairement parce que le Canada refusait de délivrer des visas à des travailleurs chinois au nom de la protection des emplois au Canada. On nous a donné d’autres exemples précis où des occasions d’affaires ont été ratées parce que des visas avaient été rejetés ou que le processus de délivrance des visas était trop long.

Les entreprises et les associations commerciales ne sont pas indifférentes aux difficultés auxquelles font face les agents d’immigration, mais elles sont néanmoins frustrées par les évaluations contradictoires de la situation; les bureaucrates affirment que la situation s’améliore, mais les entreprises, elles, le contestent.

Le message des témoins sur cette question a été bien résumé par Gary Comerford : «  faisons comme si la Chine et l'Inde étaient des partenaires commerciaux importants pour nous  ». Nous sommes d’accord avec lui. À notre avis, il est parfaitement normal  que des associés et investisseurs potentiels souhaitent se rendre au Canada pour se renseigner sur les occasions d’affaires, voir leurs investissements, rencontrer leurs associés ou explorer le potentiel que présente notre pays pour eux. Il semble inacceptable que les entreprises canadiennes soient forcées de faire des tours de passe-passe, comme l’a dit un témoin, pour améliorer leurs chances de faire approuver des visas.

Il faut améliorer la rapidité, la transparence et la prévisibilité du processus de délivrance de visas aux gens d’affaires. Le Comité note que, en Inde, le Canada a confié à une entreprise privée l’exploitation de neuf centres de demande de visa où les résidents du pays peuvent déposer leurs demandes. Celles-ci sont ensuite transmises pour approbation au Haut-commissariat du Canada ou au consulat général du Canada à Chandigarh. La formule nous paraît intéressante, mais il reste encore beaucoup à faire. En conséquence, le Sous-comité recommande :

Recommandation 32 :

Que le gouvernement du Canada revoie le processus de délivrance de visas en vue de l’accélérer. Dans ce contexte, le gouvernement devrait veiller à assurer des services de demande de visa suffisants dans les villes les plus centrales ou celles où la demande est élevée.

Recommandation 33 :

Que le gouvernement du Canada dresse une liste claire et explicite des pièces justificatives que doivent produire les personnes qui font une demande de visa d’affaires compte tenu des impératifs de sûreté et de sécurité.

Recommandation 34 :

Que le gouvernement du Canada institue une procédure accélérée à l’intention des personnes qui font des demandes de visa d’affaires multiples. Les candidats feraient l’objet d’un contrôle initial approfondi, mais une fois qu’un visa aurait été accordé pour une première visite, les demandes de visa subséquentes seraient rapidement approuvées.

Recommandation 35 :

Que le gouvernement du Canada envisage d’instituer une procédure accélérée semblable à celle qui est décrite à la recommandation 34 à l’intention des entreprises qui dépêchent souvent du personnel au Canada. Suivant cette procédure, les entreprises qui passent avec succès un contrôle préliminaire et affichent un bon dossier pourraient obtenir une autorisation accélérée pour l’admission régulière au Canada de personnes munies d’un visa temporaire pour gens d’affaires. Ces personnes pourraient varier à la condition qu’elles répondent toutes aux exigences du Canada en matière d’immigration.

Enfin, le Sous-comité a été saisi d’une demande émanant d’Anthony Eyton qui a demandé que le Canada cesse d’exiger un visa des Brésiliens, car cela constitue selon lui une entrave inutile à la coopération économique. M. Eyton a fait remarquer que le Canada n’a pas toujours exigé un visa des Brésiliens et que le Brésil s’est mis à exiger un visa des visiteurs canadiens simplement en réponse à la décision du Canada d’exiger un visa des visiteurs brésiliens. Le Sous-comité convient que le fait d’exiger un visa peut brider la croissance des échanges et des investissements entre le Canada et les autres pays et que cette exigence doit être supprimée là où elle n’est pas nécessaire. En conséquence, nous recommandons :

Recommandation 36 :

Que le gouvernement du Canada revoie la liste des pays dont les ressortissants doivent produire un visa d’entrée et qu’il cesse d’exiger un visa quand cela est inutile. Il libérera ainsi des ressources humaines qui pourront être affectées aux pays où les besoins sont plus grands.

F.         Mettre en valeur les produits et les entreprises du Canada

Plusieurs témoins ont dit que le Canada pourrait faire davantage pour promouvoir les réussites canadiennes à l’étranger et mettre en valeur les produits, technologies et innovations du Canada. À cet égard, Avrim Lazar a mentionné les pratiques de récolte durable de l’industrie forestière et les réductions volontaires considérables des émissions de gaz à effet de serre. Il a précisé que la production a augmenté de 20 à 23 p. 100 par rapport à 1990, mais que les émissions de gaz à effet de serre avaient diminué de 28 p. 100, ce qui dépasse largement les engagements du Canada relativement au Protocole de Kyoto. M. Lazar estime que le gouvernement fédéral contribuerait à mousser l’image de marque du Canada sur les marchés émergents s’il faisait un effort pour présenter les produits forestiers canadiens comme durables et préférables du point de vue de l’environnement.

D’autres témoins ont dit que le Canada pourrait mettre davantage en valeur les technologies canadiennes. Cette question est liée dans une large mesure à celle de la commercialisation de la recherche, dont on traitera plus loin. Quand les entreprises canadiennes essaient de vendre des technologies et des produits à l’étranger, les clients potentiels veulent savoir où ces produits sont utilisés au Canada. Comme Stephen Kukucha l’a dit, «  C'est comme le cordonnier qui doit porter ses propres chaussures  ». Pour lui, de petites démonstrations ciblées — de l’utilisation au Canada de la technologie des piles à combustible, par exemple — contribueraient grandement à susciter la confiance dans les nouvelles technologies canadiennes au niveau international.

Giles Crouch est de cet avis. Il a signalé que MedMira est la seule entreprise de produits diagnostiques (sur 36 dans le monde) à avoir fait homologuer au Canada, aux États-Unis et en Chine un test rapide de détection du VIH. Le test en question est efficace et peu coûteux, mais encore très peu utilisé au Canada. Quand MedMira essaie de vendre son produit à l’étranger, il est bien difficile de donner une réponse satisfaisante à la question : «  Pourquoi votre produit n’est-il pas utilisé au Canada?  »

Le Sous-comité estime que le gouvernement peut faire plus pour mettre en valeur les technologies et le savoir-faire canadiens au Canada et à l’étranger. Certains prônent la création d’un «  centre de l’innovation  » où les sociétés canadiennes pourraient faire connaître leurs nouveaux produits. Nous sommes tout à fait d’accord. À notre avis, un «  centre de l’innovation  » contribuerait à informer les entreprises et les représentants du gouvernement — du Canada et de l’étranger — sur les connaissances, le savoir-faire et les capacités que le Canada a à offrir. Les délégations étrangères qui viennent au Canada pourraient être encouragées à visiter un tel centre. En conséquence, le Sous-comité recommande :

Recommandation 37 :

Que le gouvernement du Canada institue au Canada un «  centre de l’innovation  » où les entreprises canadiennes pourraient présenter leurs nouveaux produits et leurs nouvelles technologies.

ACTUALISER ET RATIONALISER NOS POLITIQUES INTERNES

Tous les efforts déployés à l'étranger par nous tous… seront vains si nous ne procédons pas judicieusement chez nous. — Ken Sunquist

Pour que les entreprises canadiennes puissent prospérer à l’étranger et soutenir la concurrence ici, il faut absolument leur fournir de solides assises au Canada. C’est ce que nous ont dit clairement et globalement les témoins. Robert Keyes a résumé ce point de vue de la manière suivante :

[L]e succès à l'étranger commence à la maison. Pour que les entreprises canadiennes puissent tirer le maximum d'avantages des occasions qui s'offrent à l'étranger, peu importe dans quel pays — les marchés développés, en développement ou stratégiques —, elles doivent commencer par avoir un appui solide à la maison. Nos régimes fiscaux et réglementaires doivent favoriser la compétitivité des entreprises canadiennes, et il doit en être de même de notre infrastructure… Une stratégie extérieure intelligente doit pouvoir compter sur des politiques nationales intelligentes.

Comme l’ont fait remarquer certains témoins, le Canada a déjà fait des progrès considérables à cet égard; John Murray (conseiller du gouverneur de la Banque du Canada) a mentionné que la position du pays sur le plan macroéconomique est bien plus solide aujourd’hui qu’il y a 10 ans : la situation sur les plans budgétaire et monétaire s’est considérablement améliorée. Les réformes économiques d’ordre structurel qui ont fait suite à l’Accord de libre-échange canado-américain et à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ont de plus consolidé la position concurrentielle des entreprises canadiennes.

De nombreux témoins ont cependant tenu à suggérer des améliorations. Les fronts sur lesquels le Canada doit centrer ses efforts pour améliorer les politiques internes se sont nettement dessinés : besoins sur le plan de la capacité de nos infrastructures, réformes dans les domaines de la fiscalité et de la réglementation, meilleures incitations à moderniser les industries — notamment les programmes de R&D. Nous reprenons ces points ci-après.

A.        Besoins en matière d’infrastructure

Étant une nation commerçante, le Canada compte sur un réseau de transport solide pour exporter ses marchandises. Selon les témoins, les trois grands modes de transport utilisés pour le commerce — le chemin de fer, les navires et les routes — présentent des lacunes, notamment sur le plan des capacités, pour ce qui est des deux premiers, et des congestions aux principaux postes frontaliers canado-américains.

1.         Capacité des transports ferroviaires, portuaires et routiers

À l'heure actuelle, nos installations portuaires et ferroviaires ainsi que nos frontières fonctionnent à pleine capacité et, si nous ne pouvons pas nous assurer qu'elles viennent renforcer notre compétitivité, cela nuit aussi bien à nos importations qu'à nos exportations. — Robert Keyes

La récente poussée des échanges entre le Canada et les marchés asiatiques, la Chine en particulier, exerce déjà des pressions sur l’infrastructure du Canada sur le plan des transports. C’est particulièrement vrai dans le plus grand port du Canada — celui de Vancouver — principale voie du commerce entre le Canada et les marchés asiatiques.

Chris Jones (directeur, Liaison avec les gouvernements fédéral et provinciaux, Association des chemins de fer du Canada) a informé le Sous-comité qu’en 2004, 1,66 million d'EVP (équivalent vingt pieds) ont transité par le port de Vancouver, ce qui constitue un record, et que la croissance annuelle moyenne du trafic par conteneur devrait être d'environ 7 p. 100 au cours des 15 prochaines années. La Chine compte à elle seule pour 40 p. 100 environ, en volume, des conteneurs qui transitent par le port de Vancouver. Robert Taylor (directeur, Affaires gouvernementales fédérales, Chemin de fer Canadien Pacifique) a fait remarquer que, même si le port de Vancouver domine le trafic par conteneur au Canada vers l’Asie, d’autres ports, Montréal et Halifax par exemple, absorbent en partie la montée de la demande à ce chapitre.

Les pressions qui s’exercent sur les ports canadiens, surtout sur celui de Vancouver, posent un problème qu’il faut régler dès que possible. D’après Gordon Houston (président et directeur général, Administration portuaire de Vancouver), l’on prévoit que les volumes du transport par conteneur de la côte ouest devraient tripler d’ici 2020. Pour que le Canada puisse bénéficier de cette croissance, il doit apporter les changements voulus et faire les investissements nécessaires dès que possible.

Le port de Vancouver a déjà investi dans de nouvelles infrastructures dans le but d’absorber cette poussée de la demande, mais il semblerait qu’il ait besoin d’une aide supplémentaire de la part du gouvernement fédéral. D’après M. Houston, il compte investir 1,4 milliard de dollars entre 2006 et 2016 pour accroître sa capacité de 3 millions d’EVP. Cette expansion a pu se produire grâce au relèvement du pouvoir d’emprunt du port, qui est passé de 200 à 500 millions de dollars.

Cependant, si, au dire de certains témoins, ce relèvement a été bien accueilli, il n’en demeure pas moins que le seuil de 500 millions de dollars freine les investissements. On nous a également confié qu’il limite aussi les efforts d’expansion des ports de plus petite taille. De l’avis de Gordon Houston, limiter la capacité d’emprunt ne se justifie tout simplement pas, puisque les banques n’octroieront aucun prêt si elles estiment que le risque que présentent les investissements est trop élevé.

En outre, des témoins ont indiqué que le Canada concurrençait difficilement les ports américains qui bénéficient de subventions importantes. Pour les témoins, il n’est pas nécessaire de subventionner directement les ports canadiens, mais, contrairement à la plupart des autres entreprises commerciales, les ports ne peuvent demander au fédéral de financement pour leur infrastructure. Le Sous-comité a appris qu’un projet d’expansion du port de Prince Rupert était retardé faute d’appui suffisant.

Le Sous-comité est d’avis que les efforts visant à élargir les liens commerciaux avec les marchés émergents ne serviront pas à grand-chose si le Canada n’a pas la capacité portuaire nécessaire pour absorber une hausse du commerce. C’est pourquoi il recommande :

Recommandation 38 :

Que le gouvernement du Canada élimine les limites d’emprunt actuelles fixées pour les ports.

Accroître la capacité dans les ports canadiens ne servira cependant pas à grand-chose si les réseaux ferroviaires et routiers ne peuvent suffire à livrer les marchandises aux terminaux ou si les liens intermodaux (chemin de fer-port ou route-port) sont inadéquats. Comme l’a expliqué M. Houston,

[I]l faut s'assurer … de détenir la capacité nécessaire pour être en mesure de faire face à la progression du commerce. Il est insensé que nos terminaux se démènent pour pouvoir recevoir un plus grand nombre de conteneurs ou de diviser les expéditions en vrac si nous n'avons pas l'infrastructure en matière de transport nécessaire pour assurer la livraison des biens aux marchés.

Pour sa part, le secteur ferroviaire a déjà fait en sorte de maximiser l’efficience de son infrastructure existante. Pour Chris Jones, par rapport à 1994, la capacité volumétrique des trains s’est considérablement accrue. En outre, les deux grands transporteurs ferroviaires canadiens, le CN et le CPR, ont annoncé qu’ils avaient conclu des ententes de coproduction, par lesquelles ils utilisent les voies ferrées et les gares l’un de l’autre dans la partie basse de la Colombie-Britannique pour améliorer l’efficience du transport ferroviaire à destination du port de Vancouver.

Toutefois, M. Jones a précisé que l’on ne peut indéfiniment améliorer les gains d’efficience du réseau ferroviaire existant; il faut absolument accroître les voies ferrées et procéder à d’autres améliorations. Certes l’investissement de 160 millions de dollars que le Canadien Pacifique a annoncé pour accroître le réseau dans l’Ouest du pays atténuera certaines contraintes de capacité, mais il faut investir de toute urgence dans l’infrastructure ferroviaire et intermodale du pays.

Il a également été question des éventuelles conséquences du laisser-faire, c’est-à-dire de ne pas améliorer la capacité de transport ferroviaire-portuaire au Canada. Comme nous l’avons déjà expliqué, un goulot d’étranglement ternirait l’efficacité d’une stratégie à l’égard des marchés émergents.

Il y a aussi des conséquences économiques plus directes, Chris Jones a fait allusion aux grands projets d’investissement dans les complexes portuaires-ferroviaires sur la côte ouest américaine. Si le réseau de transport canadien est trop encombré par comparaison, il se pourrait que le trafic soit réorienté vers les États-Unis. Si rien n’est fait pour éliminer les goulots d’étranglement aux niveaux ferroviaires et portuaires, il se pourrait que l’on exporte inutilement des emplois vers les États-Unis.

Les témoins ont mentionné un certain nombre de choses que le gouvernement peut faire pour améliorer l’infrastructure des transports au pays. Tout d’abord, il faut des politiques stables et prévisibles, d’autant plus que les investissements exigés sont considérables.

On a également soumis à l’attention du Sous-comité diverses propositions de modifications du régime fiscal visant à encourager l’investissement dans le secteur ferroviaire et les transports intermodaux et leur expansion. Pour Gordon Houston, les exploitants des chemins de fer ne bénéficient pas de conditions propices à l'investissement. M. Houston a précisé que les impôts fonciers que doivent payer les compagnies ferroviaires en Colombie-Britannique sur le réseau ferroviaire s'élèvent à 10 000 $ par mille, contre 3 000 $ dans l'État de Washington voisin, l’État américain où les impôts fonciers sont les plus élevés.

Chris Jones a mentionné un certain nombre de changements d’ordre fiscal qui amélioreraient le climat d’investissement pour le secteur ferroviaire. Certaines de ces améliorations sont de portée plus générale et seront abordées plus loin, mais quelques-unes sont propres au secteur ferroviaire. Les voici :

 Porter de 15 à 30 p. 100 par an le taux de déduction pour amortissement pour les équipements, pour que l’on puisse amortir plus rapidement les biens d’équipement comme les locomotives et en accélérer la modernisation.
 Instaurer des crédits d'impôt à l'investissement pour le capital dépensé en installations multimodales, ce qui encouragerait les investissements ciblés dans un secteur particulièrement délicat.
 Accélérer l’élimination de l’impôt sur le capital.
 Éliminer la taxe d’accise fédérale sur le combustible, comme l’ont fait récemment les États-Unis. La taxe sur le diesel est de 4 cents le litre au Canada.

Bien qu’il ait été surtout question des transports par voie ferrée, par bateau et des liens intermodaux, il ne faut pas oublier que l’infrastructure routière est également importante pour l’efficience des ports. D’après Gordon Houston, il est urgent d’investir dans les routes tout comme dans les voies ferrées. Il a signalé le travail effectué par le Greater Vancouver Gateway Council, organisme constitué de chefs d’entreprises et de hauts fonctionnaires désireux de faire de la région de Vancouver la porte d’entrée de l’Amérique du Nord. Le Conseil a trouvé des solutions routières à la plupart des grands problèmes concernant les transports route-port. Selon M. Gordon, tout ce qu’il faut c’est un leadership et la volonté politique.

Le Sous-comité estime que, pour assurer l’efficacité de la stratégie à l’égard des marchés émergents, il importe de prendre les mesures voulues pour éviter les goulots d’étranglement dans l’infrastructure nationale des transports. En conséquence, nous recommandons :

Recommandation 39 :

Que le gouvernement du Canada consulte les diverses administrations portuaires, les associations de transport et les autres parties concernées en vue de faire en sorte que la capacité des ports et des infrastructures de transport connexes réponde aux besoins associés à l’augmentation du commerce avec les marchés émergents. En outre, le gouvernement devrait revoir ses programmes de soutien des infrastructures pour éventuellement y rendre les ports admissibles.

2.         La frontière canado-américaine

Il est d’une importance critique pour le bien-être économique du Canada d’améliorer l’infrastructure à la frontière entre le Canada et les États-Unis. La prospérité de notre pays est étroitement liée à l’accessibilité du marché américain. Il est toutefois aussi crucial pour toute stratégie à l’égard des marchés émergents de faire en sorte que la frontière soit sûre et efficiente pour les échanges. Grâce à l’ALENA, le Canada a un accès quasi illimité au marché américain. Par le passé, il s’est servi de cet atout pour se vendre auprès des investisseurs étrangers en quête d’un point d’entrée vers les États-Unis. Mais, pour que l’ALENA soit avantageux, il faut que la frontière ne pose pas de problème. 

Les témoins n’ont pas tous reconnu que c’est la proximité du marché américain qui attire les investisseurs au Canada. Pour Buzz Hargrove, il n’y a pas de preuves concrètes pour appuyer cet argument. Il était d’accord sur la nécessité d’attirer les investissements étrangers au pays, mais pour lui l’ALENA ne joue aucun rôle à cet égard. 

D’autres témoins ont convenu que les problèmes frontaliers entre nos deux pays menacent en fait les flux d’investissement étranger au Canada. Robert Keyes a indiqué au Sous-comité qu’il s’était entretenu avec des entreprises australiennes et européennes qui voient dans le Canada un tremplin sur le plan des investissements à partir duquel pénétrer le marché américain, mais qui s’inquiètent des problèmes frontaliers. Selon lui,

[S]i des gens vont venir au Canada, s'en servir de plate-forme pour fabriquer et réexporter, ces marchandises devront sortir du pays. Elles doivent traverser la frontière. Nous devons donc nous assurer que notre infrastructure des deux côtés du pays soit à la mesure de cet investissement … Je pense que le problème frontalier est un problème d'investissement stratégique pour le Canada.

Quels sont les enjeux à régler à l’égard des frontières? Avant d’entamer ses audiences sur les marchés émergents, le Sous-comité a entendu un certain nombre de témoins sur le sujet. David Bradley (directeur général, Alliance canadienne du camionnage) a déclaré que la frontière n’est pas en meilleur état aujourd’hui qu’elle ne l’était le 10 septembre 2001 et cela pour trois raisons. La première tient à la difficulté d’appliquer le Programme d’expéditions rapides et sécuritaires (EXPRES), dont le but est d’assurer la libre circulation des personnes, des marchandises et des transporteurs à faible risque entre les deux pays. M. Bradley a vanté les mérites du programme, mais soutenu que sa mise en œuvre posait certains problèmes. La deuxième raison tient à l’état de l’infrastructure de la frontière du côté canadien, surtout au poste frontalier de Détroit-Windsor. La troisième raison vient de l’ensemble des mesures de sécurité frontalière envisagées ou mises en place récemment aux États-Unis. M. Bradley a signalé que le U.S. Bioterrorism Act, le U.S. Trade Act, le Patriot Act et le programme U.S.-VISIT contiennent tous des mesures restrictives pouvant nuire à la libre circulation des personnes et des marchandises à la frontière avec le Canada.

Matthew Wilson (directeur, Affaires relatives au consommateur et à l’industrie, Association canadienne des constructeurs de véhicules) a ajouté qu’il y avait peu de concertation stratégique sur les questions de frontière tant au Canada qu’aux États-Unis. Il a expliqué que le Department of Homeland Security des États-Unis et le ministère canadien de la Sécurité publique et de la Protection civile sont censés avoir la responsabilité globale de la frontière, mais qu’en fait il existe 44 organismes des deux côtés de la frontière qui ont leur mot à dire. Du côté canadien, parmi les divers organismes qui jouent un rôle dans la régulation du trafic transfrontalier, il a mentionné l’Agence canadienne d’inspection des aliments, Agriculture et Agroalimentaire Canada, le MAECI et l’Agence des services frontaliers du Canada. Il a affirmé que, si ces divers organismes se sont employés à améliorer les règlements dans leur propre sphère de responsabilité, ils ne se sont pas concertés, si bien qu’il existe divers programmes assortis d’exigences différentes pour ce qui est de la sécurité et de la production de rapports, ce qui sape les efforts déployés jusqu’ici pour améliorer le fonctionnement de la frontière.

Le Sous-comité estime que tout doit être fait pour améliorer le fonctionnement de la frontière entre le Canada et les États-Unis, que ce soit dans le cadre d’une stratégie à l’égard des marchés émergents ou autrement. L’accès du Canada au marché américain constitue un atout précieux et devrait être traité comme tel. Nous notons que, en collaboration avec les États-Unis, le Canada a déployé beaucoup d’efforts à cet égard — surtout par sa déclaration sur la frontière intelligente de décembre 2001 et son plan d’action en 32 points. Nous estimons cependant qu’il faut encore faire plus, en particulier pour ce qui est de l’infrastructure frontalière et de la concertation des politiques. Nous recommandons donc :

Recommandation 40 :

Que le gouvernement du Canada investisse dans l’infrastructure frontalière pour accroître la capacité de ses postes frontaliers. Il doit également améliorer la concertation stratégique au niveau gouvernemental en ce qui concerne les questions frontalières. Un seul ministère ou organisme devrait être directement responsable de toutes les activités liées aux frontières.

B.        Accroître la compétitivité des entreprises

Si on veut être en mesure de soutenir la concurrence, il nous faut, à l'instar de nos compétiteurs, trouver des façons différentes de faire les choses. — Avrim Lazar

Pour ériger l’infrastructure nécessaire compte tenu de l’augmentation des échanges avec les marchés émergents, le Canada doit s’employer à encourager chez lui un climat de compétitivité sur le plan économique. Il y a à cela deux grandes raisons : les entreprises canadiennes doivent être le mieux placées possible pour faire concurrence aux articles bon marché provenant de Chine et d’autres pays producteurs ayant des coûts faibles. Il faut pour cela une stratégie défensive, de sorte que les Canadiens puissent s’adapter, survivre et prospérer dans le nouvel environnement économique. 

Il est vrai que les importations à coût modique peuvent être bénéfiques au Canada. Comme l’a énoncé Dwayne Wright (membre du Conseil d’administration, Association canadienne des importateurs et exportateurs), des importations à faible coût au bas de la chaîne à valeur ajoutée peuvent servir à produire à meilleur marché des marchandises haut de gamme au Canada. Toutefois, selon Buzz Hargrove, le Canada ne peut espérer concurrencer la Chine sur le plan des coûts de la main-d’œuvre. Il a précisé qu’en général le prix d’un article en Chine était la moitié de ce qu’il était au Canada, voire moins. Il a nié que l’avantage de la Chine sur le plan des coûts ne valait que pour les produits bas de gamme à haut coefficient de main-d’œuvre. Il a cité la forte productivité des usines automobiles chinoises comme exemple de la capacité du pays d’être concurrentiel à tous les échelons de la chaîne à valeur ajoutée. Il a indiqué que Bombardier a déplacé 100 emplois de rédacteurs techniques en Inde pour tirer parti du plus faible coût de la main-d’œuvre dans ce pays.

La deuxième raison pour laquelle il faut accroître notre compétitivité sur le plan international tient à l’importance grandissante des chaînes de valeurs et des réseaux d’entreprises. On nous a expliqué que le commerce ne consiste plus simplement à acheter et vendre des biens et des services et à faire des échanges avec d’autres pays. C’est maintenant un réseau complexe multilatéral fondé sur des chaînes de valeurs et des réseaux d’entreprises dans lesquels les activités de vente et d’approvisionnement s’étendent au monde entier. Comme Jayson Myers (vice-président principal et économiste en chef, Manufacturiers et exportateurs du Canada) l’a déclaré, la fabrication n’est plus l’affaire d’entreprises indépendantes :

Les entreprises se procurent des matériaux, des composantes, des produits finis, des services, des connaissances, des compétences, des technologies et des capitaux partout dans le monde. Leurs activités s’étendent au monde entier. Les chaînes de valeurs et les réseaux d’entreprises sont présents partout, et c’est là que s’exerce la concurrence.

Des témoins nous ont précisé que l’établissement d’une stratégie à l’égard des marchés émergents se justifie essentiellement par la nécessité de tirer parti de ces chaînes d’approvisionnement en investissant à l’étranger et en cherchant plus activement des investisseurs pour le Canada. Ken Sunquist nous a dit que «  les chaînes de valeurs et les chaînes d'approvisionnement prennent de plus en plus d'importance pour le Canada et les Canadiens si nous voulons réussir  ».

Il y a toutefois des avantages et des inconvénients au fait de participer à une chaîne d'approvisionnement mondiale. Ce que l’on craint essentiellement, c’est que le resserrement des liens sur les plans du commerce et de l’investissement avec les marchés émergents ne se traduise pas un déplacement des emplois à l’étranger. Il s’agit du phénomène de l’impartition. Il y a impartition lorsqu’une entreprise abandonne une partie de sa production et achète les marchandises en question directement auprès d’un fournisseur étranger. On a cité l’exemple du fabricant de chaises qui cesse de s’occuper du rembourrage et fait affaire avec un fournisseur. L’impartition est un terme générique qui regroupe la notion de délocalisation, c’est-à-dire la situation d’une entreprise qui établit certaines de ses activités à l’étranger pour tirer parti du moindre coût de la main-d’œuvre ou d’autres composantes.

Buzz Hargrove a dit craindre que le Canada ne perde des emplois au profit de pays comme la Chine. Pierre Laliberté a fait observer que, lorsque les activités à fort coefficient de main-d’œuvre sont transférées dans des pays où les salaires sont bas, non seulement il y a des emplois qui disparaissent chez nous, mais de plus l’économie du pays où le travail est transféré n’en tire que peu d’avantages. Qui plus est, bon nombre de ceux qui travaillent dans les secteurs mal rémunérés au Canada, ont tendance à être socialement désavantagés. Pour lui, la libéralisation du commerce et des investissements pourrait aboutir à une course au plus bas dénominateur commun dans laquelle les entreprises continueraient de se tourner vers les pays où les coûts sont moindres, menant ainsi à une extrême inégalité sur le plan des salaires.

S’il y a impartition au Canada, il y aura certainement des adaptations à faire et des emplois à éliminer dans certains secteurs de l’économie, surtout des emplois à faible valeur ajoutée. Mais, pour M. Hargrove, tous les emplois finiront par être menacés.

Plusieurs témoins ont également mis le Sous-comité en garde contre une vision trop pessimiste de l’état de certains secteurs de l’économie canadienne. Jayson Myers a notamment cité les secteurs de l’ameublement, du vêtement et du textile dont certains économistes avaient prévu la disparition après l’ALENA. Toutefois, après une restructuration douloureuse, certaines entreprises ont trouvé de nouveaux créneaux et sont florissantes. Danielle Goldfarb était du même avis :

[I]l est possible que des gens perdent leur emploi et que nous ayons à prendre des mesures d’ajustement à court terme, [mais] nous pouvons nous attendre à long terme à une hausse de la productivité et du niveau de vie par suite de meilleures perspectives commerciales.

Mme Goldfarb a aussi souligné l’importance du système de sécurité sociale canadien conçu pour répondre à ce type d’adaptation structurelle à court terme.

Plusieurs témoins partageaient cette vision plus optimiste de l’impartition et de la participation aux chaînes d’approvisionnement mondiales. Selon Stephen Poloz (premier vice-président et économiste en chef, Exportation et développement Canada), les entreprises canadiennes qui externalisent une partie de leur production deviennent plus concurrentielles, car, ce faisant, elles abaissent leurs coûts globaux. D’après lui, même si, par suite de l’impartition, des emplois peuvent disparaître temporairement au Canada, il en résulte, en termes nets, un assainissement et une rentabilisation des activités économiques; non seulement, les emplois conservés sont plus sûrs, mais en devenant plus concurrentielle, l’entreprise est en fin de compte en meilleure posture pour prendre de l’expansion.

Certains témoins nous ont dit que, globalement, l’impartition n’avait pas eu d’effets négatifs sur l’économie canadienne jusqu’ici. Bernard Courtois (président et directeur général, Association canadienne de la technologie de l'information) a, de fait, mentionné une étude récente effectuée par la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement selon laquelle le Canada serait avantagé, en termes nets, par le phénomène, grâce en grande partie à la vigueur de son secteur des centres d’appel. Selon cette étude, seules l’Inde et l’Irlande ont plus profité que le Canada de l’impartition. Comme l’a déclaré le ministre du Commerce international Jim Peterson :

[L]e processus en est un de creative destruction. La question n'est pas de savoir combien d'emplois nous avons perdus, mais combien d'emplois nous avons déjà créés. En ce moment, nous sommes en avance. Nous avons créé beaucoup plus d'emplois que nous n'en avons perdu.

Jayson Myers a ajouté que le secteur manufacturier canadien est demeuré vigoureux. Contrairement aux États-Unis où l’impartition vers la Chine et d’autres pays était accusée du déclin du secteur manufacturier, au Canada, la contribution de ce dernier à l’économie nationale s’est légèrement améliorée et l’emploi y a atteint des niveaux records en 2003. Qui plus est la qualité des emplois est demeurée solide, au dire de M. Myers; les salaires dans le secteur manufacturier sont supérieurs de 26 p. 100 à la moyenne de tous les secteurs industriels et 95 p. 100 des emplois sont à temps plein.

Même si l’impartition et la concurrence des producteurs ayant de faibles coûts ne se sont pas encore vraiment répercutées sur l’emploi au Canada, il faut se garder de toute complaisance. Le Sous-comité est d’avis que le Canada doit se doter de politiques qui sont propices à un climat commercial sain, encouragent la recherche, le développement et l’innovation et rehaussent la place du Canada comme pays où investir. L’économie canadienne pourra alors créer et conserver de bons emplois stables et bien rémunérés. Comme l’a déclaré Ken Sunquist, le but premier d’une stratégie canadienne à l’égard des marchés émergents, c’est d’assurer la prospérité du Canada.

Mais, d’après Avrim Lazar, les capitaux sont mobiles et ils iront là où les rendements sont les plus élevés. Pour que le Canada continue d’attirer les investisseurs étrangers, nous devons veiller à ce que notre climat soit propice aux investissements. Les témoins ont dégagé un certain nombre de secteurs où le gouvernement fédéral pourrait améliorer les conditions nécessaires à la compétitivité des entreprises canadiennes. Ils sont abordés ci-après.

1.         Réformes fiscales

Les opinions des témoins sur la nécessité d’une réforme fiscale étaient mitigées. Plusieurs témoins ont soulevé des questions fiscales particulières; Dwayne Wright, par exemple, a estimé que le niveau général des impôts n’était pas en soi une question qui préoccupe beaucoup les membres de l’Association canadienne des importateurs et exportateurs. Avrim Lazar, pour sa part, a expliqué que le secteur canadien des produits forestiers était le plus lourdement taxé au monde et que, même s’il souhaitait des allègements fiscaux, il reconnaissait que les pays concurrents où les impôts sont plus faibles, comme le Brésil et l’Indonésie, obtiennent peu de services du gouvernement par rapport à la ponction fiscale.

Cela ne signifie pas qu’aucune préoccupation n’a été soulevée à l’égard des impôts sur les sociétés. Richard Fraser a affirmé que les politiques fiscales doivent être à la fois concurrentielles et favorables aux entreprises pour que celles-ci puissent élaborer des projets internationaux gagnants. Avrim Lazar était du même avis :

[L]a question n'est pas seulement de savoir combien d'impôts nous payons. Si vous voulez réduire les impôts, il faut le faire de façon à encourager la rotation des capitaux, les innovations et les nouveaux investissements.

Nous avons entendu deux suggestions sur la façon dont une réforme fiscale ciblée pourrait accroître la compétitivité des entreprises canadiennes. La première consiste à accroître la déduction pour amortissement. Comme nous l’avons déjà mentionné, Chris Jones a expliqué qu’une accélération de l’amortissement du capital encouragerait l’investissement dans le secteur ferroviaire. Plusieurs autres témoins ont défendu une telle mesure qui encouragerait, selon eux, les investissements en capital susceptibles d’accroître la productivité dans toute l’économie canadienne. Dans son exposé devant le Sous-comité, Serge Lavoie (président et directeur général, Association canadienne de l’industrie des plastiques) a fait remarquer que des taux accélérés allant jusqu'à 50 p. 100 ou même 100 p. 100 ferait «  comprendre aux entreprises que le gouvernement est résolu à stimuler la productivité et l'innovation dans le secteur manufacturier canadien  ».

Le Sous-comité convient que l’investissement en capital peut se traduire par des gains de productivité puisqu’il encourage l’achat d’équipement neuf et efficient. La croissance de la productivité est d’une importance cruciale pour attirer au Canada l’investissement étranger et pour assurer la compétitivité des entreprises canadiennes sur la scène internationale. Nous appuyons donc l’augmentation de la déduction pour amortissement et recommandons :

Recommandation 41 :

Que, afin d’accroître la compétitivité des entreprises canadiennes sur la scène internationale par la voie d’une incitation à effectuer des investissements propices aux gains de productivité, le gouvernement du Canada révise les taux de déduction pour amortissement.

La seconde suggestion est venue de Richard Fraser, selon lequel son entreprise d’ingénierie, comme bien d’autres entreprises actives sur les marchés émergents, travaille dans le cadre de projets. M. Fraser estime que le système de crédits pour impôt étranger fonctionne mal pour des entreprises comme la sienne. Ce système vise essentiellement à éviter aux Canadiens et aux entreprises canadiennes une double imposition — c’est-à-dire d’être imposés deux fois sur le même revenu — une fois au Canada et une fois dans le pays où se fait le travail. Les crédits d’impôt non utilisés peuvent être reportés à l’exercice suivant, mais ne peuvent être transférés d’un pays à l’autre.

Les entreprises fonctionnant dans le cadre de projets ont des revenus qui fluctuent selon leur niveau d’activité. Pendant l’exécution du projet, les revenus, et donc les impôts, peuvent être élevés. Après cela, à moins qu’un nouveau projet ne soit lancé, les revenus baissent ou cessent. Puisque les crédits d’impôt non utilisés ne peuvent être transférés d’un pays à l’autre, une entreprise qui se lance dans un nouveau projet dans un autre pays ne peut en bénéficier.

Le Sous-comité estime que le régime fiscal canadien devrait s’appliquer de manière juste et conséquente. Les entreprises ne devraient pas être désavantagées en raison de la nature de leurs activités. Nous recommandons donc :

Recommandation 42 :

Que le gouvernement du Canada remanie son système de crédits pour impôt étranger de manière à permettre aux entreprises qui fonctionnent dans le cadre de projets de conserver leurs crédits d’impôt inutilisés dans un pays pour les appliquer à leur dette fiscale dans un autre pays l’année suivante.

2.         Encourager l’innovation par la recherche et développement

[S]i nous voulons continuer de bâtir des entreprises axées sur le savoir qui vont produire des produits que nous allons ensuite exporter dans le monde, je crois que le gouvernement canadien devrait soutenir la recherche et le développement qui s'effectuent au Canada, car, en ce moment, il ne le fait pas à mon avis. — Phil Hodge

La R&D est un facteur clé de l’innovation en matière de produit et de méthode de production et de compétitivité des entreprises canadiennes — qu’elles soient de haute technologie ou axées sur les ressources naturelles — en cette ère de mondialisation. Or, la façon dont le gouvernement fédéral répartit son aide à la R&D présente un certain nombre de lacunes, au dire des témoins.

Stephen Kukucha a mentionné trois moyens d’aider considérablement les industries à innover. Le premier consiste à fournir suffisamment d’aide financière à la R&D. Le deuxième consiste à donner une portée internationale aux programmes existants, et le troisième, à assurer un fonctionnement adéquat des programmes existants.

Pour ce qui est du premier point, M. Kukucha a expliqué que l’aide financière qu’offre le gouvernement fédéral à la R&D est trop mince ou inexistante. Selon lui, les programmes fédéraux en cours ne permettent pas aux entreprises canadiennes de maintenir ou d’avoir un avantage concurrentiel par rapport aux entreprises étrangères. Il a ajouté que l’aide que fournit le gouvernement fédéral américain en matière de R&D est gigantesque par comparaison.

Et, contrairement au Canada, les États-Unis accordent des subventions non remboursables aux entreprises pour qu’elles puissent innover et investir. Ces subventions se font selon une entente de partage des coûts, par laquelle le gouvernement absorbe 80 p. 100 des coûts des projets. Ainsi, les concurrents du Canada installés aux États-Unis obtiennent ce que M. Kukucha a qualifié d'investissements extrêmement généreux de la part du gouvernement.

Le deuxième moyen présenté par M. Kukucha était la portée internationale que devrait avoir les programmes fédéraux d’appui à la R&D existants. Ballard Power Systems, un des plus importants fabricants canadiens de piles à combustible, se tourne vers les marchés indien et chinois en raison de leur taille, de la demande de produits écologiques et parce que ses nouvelles technologies sont plus facilement adaptables à des pays en développement où les normes de rendement automobile sont moins élevées qu’en Amérique du Nord ou en Europe. M. Kukucha a déclaré que si les programmes canadiens relatifs à la R&D lui permettaient de dépenser davantage de fonds pour faire connaître ses produits à l’étranger, cela stimulerait grandement ses ventes et la création de produits.

Phil Hodge, qui était du même avis, a précisé que les programmes américains d’aide à la R&D avaient une plus grande portée internationale que leurs pendants canadiens. Il a ajouté qu’il recevait une aide financière substantielle assortie de conditions plus favorables de la part du gouvernement américain que de celui du Canada. Or sa compagnie a son siège à Vancouver (mais des activités aux États-Unis), ses installations de R&D se trouvent également à Vancouver et il emploie des Canadiens pour faire les travaux de recherche. Il estime que le gouvernement américain voit toute nouvelle technologie comme une activité importante et l’appuie, même si le travail se fait à l’étranger.

Le troisième point de M. Kukucha portait sur le bon fonctionnement des programmes d’aide à la R&D. Nous avons entendu à ce sujet deux préoccupations particulières. La première concernait le programme fédéral Partenariat technologique Canada visant à appuyer la R&D avant la commercialisation.

Les fonds fournis au titre de ce programme sont octroyés pendant les étapes de recherche et développement et sont remboursables une fois que le projet atteint la phase de commercialisation. Phil Hodge appuie le concept de financement remboursable, mais souligne que le financement cesse et le remboursement commence au moment même où le projet passe de la phase d’élaboration à celle de la commercialisation, étape à laquelle l’entreprise a besoin de tous les fonds dont elle peut disposer pour établir ses plans de commercialisation et lancer son nouveau produit :

Il faudrait seulement examiner quelle serait la meilleure façon pour les entreprises de rembourser sans qu'elles soient pénalisées… [M]ais il ne faut pas les étrangler après les avoir aidées, car cela à mon avis va à l'encontre de l'objectif premier du programme.  

La deuxième préoccupation de M. Kukucha portait sur le manque d’efficience dans la façon dont le gouvernement canadien octroie son aide à la R&D. Le gouvernement répartit souvent ses fonds entre divers ministères et organismes, ce qui nuit aux intéressés. Il a pris pour exemple les 215 millions de dollars que le gouvernement fédéral s’était engagé à verser au secteur des piles à combustible en octobre 2003 :

[E]n octobre 2003, le gouvernement a versé 215 millions de dollars au secteur des piles à combustible [qu’il] a répartis entre Industrie Canada, Ressources naturelles Canada, Technologies du développement durable Canada ainsi que le programme PTC. Le gouvernement a réparti l'argent entre un grand nombre d'organismes dont les modalités des programmes sont différentes de même que les dates de présentation des demandes et les exigences en matière de rapports, ce qui est un peu inefficace.

M. Kukucha a ajouté que bon nombre des programmes ont une composante régionale, de sorte que toutes les régions du pays doivent recevoir une portion de l’appui fédéral. Il est d’avis que le gouvernement devrait axer ses programmes sur ce qui est le plus rentable.

Le Sous-comité estime qu’il faut améliorer l’aide à la R&D pour que les entreprises canadiennes puissent être concurrentielles sur la scène internationale et montent dans la chaîne à valeur ajoutée. Il faut accroître le financement et rationaliser le mode de répartition des fonds. Nous recommandons donc : 

Recommandation 43 :

Que, pour saisir les occasions et relever les défis que présentent les marchés émergents — tant sur le plan de la compétitivité sur les marchés d’exportation que sur celui de l’adaptation à la concurrence de l’extérieur qui s’exerce au Canada même — le gouvernement du Canada veille à ce que l’aide à la R&D soit suffisante et accessible. Le financement de la R&D devrait être accordé à partir d’un guichet unique au gouvernement.

Recommandation 44 :

Que le remboursement des prêts consentis dans le cadre du programme Partenariat technologique Canada soit retardé, de sorte que les entreprises puissent consacrer les fonds dont elles disposent à la commercialisation de leurs produits.



1Fierté et influence : notre rôle dans le monde, Diplomatie, p. 35.