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INST Rapport du Comité

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Hausses du prix du brut

Les dirigeants des pétrolières ont donné cinq raisons pour lesquelles le prix du brut a augmenté l’an dernier : (1) spéculation pétrolière due à une imminente guerre en Irak; (2) agitation ouvrière au Vénézuela; (3) crise politique au Nigéria; (4) temps anormalement froid dans le nord-est de l’Amérique du Nord; (5) faiblesse des stocks en Amérique du Nord. Un analyste de l’industrie (MJ Ervin) a confirmé ces cinq facteurs et, dans une certaine mesure, a chiffré leurs conséquences. Concernant l’offre, il a affirmé que les crises vénézuélienne et nigérienne avaient entraîné une baisse de 6 % de la production mondiale de brut durant le premier trimestre de 2003, soit l’équivalent de 5 millions de barils par jour. Il a aussi parlé de deux facteurs du côté de la demande. D’abord, la spéculation quant à une possible guerre entre les États-Unis et l’Irak s’est soldée par une prime de guerre sur le brut évaluée à quelque 6 à 8 $US le baril. Ensuite, le temps anormalement froid dans le nord-est de l’Amérique du Nord a fait grimper la demande de brut dans un système de production déjà fort sollicité, faisant ainsi plonger les stocks américains à leur niveau le plus bas depuis quelques années.

Le Commissaire à la concurrence a confirmé ces allégations, expliquant que, selon les recherches du Bureau de la concurrence, les dernières hausses des prix du brut et de l’essence se sont produites pour les raisons suivantes :

Au début de février, les prix de l’essence ont commencé à augmenter à travers l’ensemble de l’Amérique du Nord et ont atteint leur sommet durant la deuxième semaine de mars 2003. Depuis ce temps, les prix sont redescendus à leur niveau de décembre 2002. Tous les renseignements disponibles jusqu’à ce jour confirment que ces augmentations du prix de l’essence résultaient directement de l’augmentation du prix du pétrole brut qui a été causée par quatre facteurs : (1) une crise politique au Vénézuéla qui a touché la production de pétrole de ce pays; (2) à cette époque, l’imminence d’une guerre en Irak; (3) le temps anormalement froid dans le nord-est de l’Amérique du Nord; et (4) les stocks bas en Amérique du Nord. [Konrad von Finkenstein, Commissaire à la concurrence, Bureau de la concurrence, ministère de l’Industrie; 40:15:30]

Des témoins ont déclaré au Comité que la collusion et l’établissement des prix en aval ne remettent pas en question ces cinq causes de l’augmentation récente des prix. Ces témoins ont reconnu que le prix du brut est fixé sur les marchés mondiaux, lesquels fluctuent avant tout au gré des décisions de l’OPEP (Organisation des pays producteurs et exportateurs de pétrole) en matière de production. Ils ont également reconnu que les spéculateurs sont prêts à envoyer des pétroliers remplis de brut partout dans le monde pour arbitrer les écarts géographiques de prix qui dépassent le coût du transport, contrecarrant ainsi les efforts locaux pour établir les prix en amont. Toutefois, ils ont maintenu que ces fluctuations récentes de l’offre arrivent à point nommé pour donner raison au secteur très concentré et intégré verticalement des producteurs canadiens de pétrole, qui comptent monter les prix, à la rampe et à la pompe, au-delà du niveau du marché. Le Comité se penche maintenant sur cette question.

Hausses du prix à la rampe et marges des fournisseurs

Le Comité a entendu des témoignages contradictoires concernant les prix à la rampe et les marges des raffineurs et des distributeurs. Selon les représentants de l’industrie, les prix à la rampe sont fixés par la concurrence et sont comparables aux prix aux États-Unis. De plus, les marges des fournisseurs au Canada sont plus faibles qu’aux États-Unis, et l’ont été pendant la plus grande partie de la dernière décennie. Par ailleurs, des représentants de l’Association québécoise des indépendants du pétrole (AQUIP) maintiennent que l’industrie du pétrole est trop concentrée, ce qui permet aux grandes compagnies intégrées verticalement de contrôler de plus en plus les prix à la rampe et à la pompe, sans avoir à fixer les prix comme tels. Des représentants de la Coalition pour la défense des consommateurs de carburant du Saguenay-Lac-St-­Jean et d’Essence à juste prix sont allés plus loin, affirmant que les grandes pétrolières fixent les prix pour augmenter leurs marges de profit. Dans les deux cas, selon ces représentants, les marges excessives des raffineurs et des distributeurs expliquent la récente montée des prix de l’essence, rendue possible derrière le voile des récentes perturbations de l’offre.

Les deux organismes alléguant un complot n’ont pu fournir aucune preuve à l’appui de leur allégation, mais le Comité reconnaît que leur opinion est partagée par une grande partie de la population. Toutefois, le Commissaire à la concurrence, qui jouit de pouvoirs de perquisition et de saisie suffisants pour faire enquête sur ces allégations et qu’il a fait si souvent dans le passé, est d’avis contraire. Il a déclaré que :

Depuis 1990, le Bureau de la concurrence a mené quatre enquêtes de grande envergure en ce qui a trait à l’industrie des produits pétroliers et n’a trouvé aucune preuve suggérant que les augmentations périodiques des prix faisaient suite à un complot national ou régional visant à limiter la concurrence dans l’approvisionnement en produits pétroliers, ou à un comportement abusif par des entreprises dominantes dans le marché. D’ailleurs, il est important de noter que chaque période d’augmentation des prix a été suivie d’une baisse atteignant les niveaux précédents. Plusieurs enquêtes faites par nos homologues à travers le monde ont conduit à des résultats similaires. [Konrad von Finkenstein, Commissaire à la concurrence, Bureau de la concurrence, ministère de l’Industrie; 40:15:30]

L’AQUIP a pour sa part déposé en preuve de son allégation les données sur la concentration des entreprises présentées au chapitre précédent. Le Comité est toutefois d’avis que ces données ne constituent pas en soi une preuve suffisante que les marges des fournisseurs sont élevées ou non concurrentielles. Depuis la fin des années 1990, le Canada et certains États le long de la frontière nord des États-Unis ont harmonisé leurs réglementations en matière de spécification de produits, éliminant ainsi les barrières commerciales à cet égard. Les importations d’essence par de nombreux grands indépendants ont constitué et continuent de constituer une source importante de concurrence, permettant de maintenir les prix canadiens à la rampe dans certains endroits au niveau de ceux pratiqués dans certains endroits donnés à la frontière américaine. Ainsi, le Comité a été invité à examiner la concurrence sur le marché de Toronto :

Sur le marché de Toronto, par exemple, on peut acheter de l’un des cinq raffineries et distributeurs canadiens locaux. On a également la possibilité d’importer le produit par bateau, lorsque la voie maritime est ouverte, ou par camion à partir de Buffalo et de Détroit. On peut dire que, à bien des égards, nous sommes un preneur de prix pour ce qui est du prix de gros de l’essence à Toronto. Si nos prix ne sont pas concurrentiels par rapport à ceux de Buffalo, de Détroit ou par rapport à ceux des produits transportés sur le Saint-Laurent, les camions et les bateaux commenceront à circuler. Par conséquent, nous devons faire en sorte de rester concurrentiels par rapport à ce très grand marché international. [Simon Smith, vice-président, Marketing des carburants, Compagnie Pétrolière Impériale Limitée; 43:15:35]

… Si j’examine les données publiées par le gouvernement de l’Ontario sur l’évolution du prix de gros à Buffalo et à Toronto, je constate qu’ils se suivent d’assez près. Vous ne croirez peut-être pas que le marché de Buffalo est liquide, mais d’après notre expérience, lorsque les prix à Toronto s’éloignent des prix à Buffalo, le produit bouge dans les deux directions. Il y a des raffineurs et des détaillants à Buffalo qui peuvent très facilement produire de l’essence selon les spécifications canadiennes en matière de benzène et de souffre. D’autres marchés comme Détroit, qui est un marché très important auront également une influence importante dans le sud de l’Ontario. [Simon Smith, vice-président, Marketing des carburants, Compagnie Pétrolière Impériale Limitée; 43:16:20]

D’après la figure 1 du rapport du Comité, les prix à la rampe à Toronto et à Buffalo se sont suivis de très près l’an dernier — ce qui tend à confirmer que les prix à la rampe sont concurrentiels.

Le Comité a aussi appris que l’économie d’échelle des raffineries américaines est d’environ 30 à 40 % plus élevée que celle des raffineries canadiennes. Malgré cela, les marges totales (raffineurs et distributeurs) au Canada ont été moins élevées qu’aux États-Unis, ce qui signifie que le marché est plus efficient et plus concurrentiel au Canada. Le Comité a obtenu des données remontant à plus d’une décennie à l’appui de cette allégation. Les données sur lesquelles repose la figure 2 du rapport indiquent toutefois que la marge du raffineur est un peu plus élevée au Canada qu’aux États-Unis, mais que la marge du distributeur est plus faible au Canada. Il y a donc des différences entre les données selon la période étudiée. Le Comité aurait voulu que les raffineries justifient leurs marges. Quoi qu’il en soit, si la concentration des entreprises a fait grimper la marge des fournisseurs au Canada comme le prétend l’AQUIP, il doit également en être ainsi aux États-Unis. La forte concentration de la propriété dans le secteur de l’essence doit être un problème à l’échelle du continent, et non seulement au Canada.

Les données de la figure 2 indiquent que la marge du raffineur est légèrement plus élevée au Canada qu’aux États-Unis, et la marge du distributeur, plus faible. De nouveau, cette constatation soulève la question de l’interfinancement possible d’activités en aval. À cet égard, le Comité a examiné le rapport du Conference Board du Canada selon lequel il y a bien preuve indirecte d’interfinancement, mais qu’il était négligeable sur le plan statistique. À l’appui de cette conclusion, un représentant de l’industrie a déclaré que :

Chez Shell, les divisions de la commercialisation et du raffinage fonctionnent de façon très autonome. L’une et l’autre ont la possibilité d’établir leurs propres prix en fonction des forces du marché. De notre côté, nous évoluons nous aussi, puisque nous gérons des entreprises de vente au détail ou des établissements qui affichent une marche de commerce, nous aussi évaluons les forces du marché en vue d’établir le prix de vente définitif. Nous n’essayons pas de subventionner indirectement certains secteurs parce que notre entreprise est intégrée. Les différents secteurs sont censés être indépendants. Chaque entreprise prend elle-même ses décisions sur ses modes de gestion et sur les investissements qu’elle pourra générer. Il s’ensuit que nos entreprises de détail fonctionnent à peu près de la même façon qu’un détaillant indépendant. [Terry Blaney, vice-président, Commercialisation, Shell Canada Limitée; 42:17:10]

Au Canada, la marge plus faible du distributeur pourrait donc être le résultat d’une consommation plus avisée de la part des Canadiens en réponse à des prix plus élevés (découlant de taxes plus élevées) qu’aux États-Unis. Toutefois, à défaut de données sur les coûts — plus précisément, les coûts évitables — l’allégation d’interfinancement ne peut être ni prouvée ni réfutée. C’est pourquoi le Comité est d’avis qu’une enquête et une étude plus poussées sur cette question sont justifiées.

Le Comité a aussi appris que les aspects saisonniers de la demande influent non seulement sur la gamme des produits offerts par les compagnies pétrolières, mais aussi sur le prix à la rampe et les stocks en inventaire. En hiver, il faut produire plus de mazout et moins d’essence. En été, c’est l’inverse. Selon un représentant de l’industrie, ce contraste est devenu plus frappant entre l’été 2002 et l’hiver 2003 :

Le temps a été froid, ... et nous avions tous du mal à trouver des produits à mettre sur le marché. ... Quand le coût a monté, nous avons décidé d'acheter un peu moins de brut pour réduire un peu nos stocks. À partir d'un certain point, il devient très coûteux d'avoir des stocks élevés dans ce secteur et vous vous retrouvez avec 3 ou 4 millions de dollars en capitaux bloqués. ... On veut donc maintenir les stocks à un niveau légèrement inférieur quand le prix monte. Si vous prévoyez que la situation ne durera pas, surtout si c'est une perturbation imprévue, vous voulez que vos stocks de brut soient un peu réduits. [François Trudelle, directeur principal, Approvisionnement en produits et Optimisation de l'exploitation, Ultramar Ltée; 42:16:35]

Ces décisions stratégiques ont un impact sur la marge du raffineur :

Ces marges plus élevées illustrent la grande faiblesse des stocks d'essence aux États-Unis. Les stocks de produits pétroliers finis aux États-Unis à la fin de 2002 et pendant les trois premiers mois de 2003 étaient pour la plupart à leurs niveaux les plus faibles depuis plusieurs années. ... Toutefois, les raffineries ont également tendance à réduire au minimum leurs stocks lorsque les prix sont élevés, afin de se prémunir contre une chute soudaine des prix. Cette faiblesse dans les stocks a exercé une pression d'autant plus grande à la hausse sur les prix de gros, qui à leur tour influaient sur les marges de raffinage. [Michael Ervin, MJ Ervin et associés; 43:16:00]

Selon ces explications, les faibles stocks de brut étaient en fait une réponse stratégique des raffineurs pour maintenir leurs coûts d’inventaire et de production à un faible niveau, ce qui est logique dans un marché de concurrence.

Enfin, il y a la question de la marge du distributeur selon qu’on se trouve à la campagne ou en ville. Les coûts élevés de transport dans les collectivités rurales du nord constituent de toute évidence un facteur, mais ce n’est pas le seul. À la campagne, les postes d’essence sont en général plus petits que les stations-services urbaines qui peuvent exploiter de grandes économies d’échelle auxquelles n’ont pas accès les postes d’essence de la campagne. Un représentant de l’industrie a expliqué :

... cette différence [dans les prix de détail entre la ville et la campagne] ne s'explique pas seulement par le transport. Prenez une grande station-service à Montréal, Toronto ou Vancouver. Elle peut vendre jusqu'à 12 millions de litres par an. Généralement, ces stations comportent aussi un dépanneur de l 500 à 2 000 pieds carrés à l'arrière, et elles peuvent aussi avoir un lave-auto — qui fournissent tous les deux des recettes pour la station. ... Les recettes possibles pour cette station précise aident à déterminer quel doit être le prix du litre d'essence.

Dans beaucoup de centres urbains, ... les stations-service sont beaucoup plus petites. Elles vendent peut-être 1 million de litres, 1,5 à 2 millions de litres d'essence par an. ... Alors, ... les propriétaires, pour gagner leur pain, prennent une plus grande marge de profit sur l'essence, parce qu'il leur faut une plus grande marge de profit sur ce million et demi de litres, par rapport à une grosse station dans une grande ville qui vend de 12 à 20 millions de litres. Il existe des stations à Toronto dont c'est le volume. [Ford Ralph, vice-président, Vente en gros et détail, Petro-Canada; 42:16:05]

Le Comité constate que c’est le cas pour la plupart des marchandises de détail, et non seulement pour l’essence, et renvoie le lecteur à l’étude du Conference Board du Canada qui traite en plus grand détails de la question.

Hausses des prix à la pompe et uniformité et volatilité des prix

La tendance du prix de l’essence au Canada depuis le milieu des années 1980 a été légèrement à la hausse compte tenu des taxes. Sans les taxes, la tendance est nettement à la baisse. Un représentant de l’industrie a chiffré cette tendance dans les prix comme suit :

… ce sont les taxes qui représentent le plus grand changement dans la valeur et le prix de l'essence pour les consommateurs canadiens, puisqu'elles ont augmenté d'environ 40 p. 100. [Depuis 1983], le prix réel de l'essence pour les consommateurs canadiens a diminué ... d'environ 30 p. 100 du prix sans les taxes. [Simon Smith, vice-président, Marketing des carburants, Compagnie Pétrolière Impériale Ltée; 43:15:35]

Les données indiquent que, pour limiter le prix de l’essence et la hausse de ce prix, le meilleur moyen est de réduire les taxes d’État. Réduire la marge de prix aux différentes étapes de l’offre compromettrait sans doute le rendement financier des fournisseurs et menacerait la survie économique des moins profitables de ces derniers. De plus, la baisse du prix avant taxes de l’essence depuis le milieu des années 1980 — période durant laquelle la concentration des entreprises a beaucoup augmenté — tend à contredire les allégations de l’AQUIP selon lesquelles la concentration dans l’industrie a fait grimper le prix de détail (sans les taxes).

L’uniformité et la volatilité des prix sont aussi préoccupantes. La population se rend compte et se plaint souvent du fait que les postes d’essence se regroupent dans le même marché local — à quelques rues les uns des autres — et exigent les mêmes prix à quelques fractions de cent près. Lorsqu’un de ces postes d’essence modifie son prix — à la hausse ou à la baisse — la concurrence immédiate en fait autant quelques minutes plus tard. La population s’est toujours méfiée de l’uniformité et de la volatilité des prix, qui semblent trop systématiques pour ne pas découler d’une stratégie d’établissement des prix. En effet, le Comité a entendu les plaintes de deux témoins qui ont soutenu que seule une conspiration pour établir les prix pouvait expliquer cette tendance dans les prix. Ils n’ont toutefois pu fournir aucune preuve de ce qu’ils avançaient.

Les représentants de l’industrie ne sont pas d’accord. Ils ont expliqué que l’uniformité des prix dans un marché local découle de la façon unique dont les prix de détail de l’essence sont affichés — sur de grands panneaux extérieurs, lisibles par les automobilistes jusqu’à des vitesses de 60 kilomètres à l’heure. Les consommateurs se sont avérés très sensibles aux prix, parcourant de longues distances pour économiser une fraction de cent le litre, même si l’économie totale ne représente en moyenne que de 10 à 20 ¢ pour faire le plein. Les détaillants savent que les automobilistes sont très pointilleux à cet égard et doivent donc surveiller de près les prix pratiqués par la concurrence immédiate par crainte de perdre des ventes. Ils ont déclaré :

Alors, disons que vous avez une station-service Petro-Canada et qu'au coin de rue suivant, il y a une autre station-service, peu importe la bannière. Celle-ci décide d'abaisser ses prix d'un demi-cent le litre. Disons que le litre coûte 70 ¢, alors elle le vend à 69,5 ¢. Quelqu'un qui respecte la limite de vitesse en ville peut voir directement la différence de prix. Beaucoup de gens, je dirais même énormément de gens, vont changer leurs habitudes pour un demi-cent le litre, ce qui est intéressant parce qu'un plein représente environ 40 litres, alors cette différence de prix n'est en réalité que de 20 ¢. Les gens sont capables de faire plusieurs kilomètres pour un demi-cent le litre.

Alors que se passe-t-il? Si notre station-service ne réagit pas à cette baisse d'un demi-cent le litre en abaissant ses propres prix d'un demi-cent le litre, nous risquons de perdre un tiers de notre chiffre d'affaires en un rien de temps. Nos employés regardent chez le voisin. S'ils voient que le prix baisse, nous avons un centre des prix. Ils peuvent nous téléphoner et nous pouvons leur permettre en quelques minutes d'abaisser leurs prix, car si nous ne le faisons pas, nous allons perdre de l'argent au profit de nos concurrents, en un clin d'oeil. C'est pourquoi vous voyez souvent les mêmes prix. [Ford Ralph, vice-président, Vente en gros et détail, Petro-Canada; 42:16:05]

La concurrence dans les prix dans ces conditions rend les prix volatiles, ce qui fut expliqué et chiffré au Comité comme suit :

À chaque carrefour où nous avons un point de vente, il y a eu plus de 200 000 changements de prix l'an dernier par rapport à 70 000 il y a encore trois ans. Pourquoi? En raison de la forte concurrence sur nos marchés de la vente au détail. Ce marché continue d'attirer des concurrents nouveaux et dynamiques comme les chaînes de magasins d'épicerie et les grandes surfaces. L'ironie dans tout cela, c'est que l'établissement des prix de l'essence est probablement le meilleur exemple des forces du marché à l'œuvre. [Ford Ralph, vice-président, Vente en gros et détail, Petro-Canada; 42:15:30]

Il est clair pour les participants de l’industrie que l’uniformité et la volatilité des prix de détail de l’essence découlent directement d’une concurrence très vive, notamment de la part des derniers entrés dans le marché. Toutefois, le Comité n’est pas aussi convaincu qu’il en soit ainsi.

Prix de l’essence les longs week-ends

Quelques témoins ont soulevé la question des prix durant les longs week-ends ou les périodes de congé. Ces gardiens de l’industrie prétendent que les postes d’essence s’entendent pour monter leurs prix — donnant ainsi l’apparence d’un complot — juste avant un long week-end. Il semble en aller de même pour le prix du mazout durant les hivers particulièrement froids :

Le prix des carburants s'est emballé régulièrement au cours des cinq dernières années. Curieusement, les prix à la pompe augmentent toujours avant les grandes vacances d'été ou avant la fête de Noël. On ne voit jamais le prix de l'huile à chauffage augmenter pendant l'été, mais seulement lors des grands froids de l'hiver. [Claude Girard, président, Coalition pour la défense des consommateurs de carburant du Saguenay-Lac-St-Jean; 43:15:45]

Les représentants de l’industrie n’ont pas mis en doute ces hausses de prix. Ils ont simplement offert une explication de ce geste par un souci de rentabilité ou de compétitivité.

Concernant l’établissement des prix du mazout en hiver, la demande de combustibles de chauffage pourrait (comme il a été mentionné ci-dessus) dépasser l’offre lorsque le temps est plus froid que prévu. Pour éviter les pénuries ou les ruptures de stock éventuelles, on augmente les prix pour inciter les consommateurs à économiser davantage et les fournisseurs à produire davantage. Cela vaut aussi pour le prix de l’essence avant un long week-end. Le Commissaire à la concurrence a expliqué que cette forme d’établissement des prix est justifiée par la concurrence, en donnant l’exemple simple suivant :

C'est une question d'offre et de demande. Le prix des roses augmente le Jour de la Saint-Valentin. Tous les fleuristes en ville vont augmenter leurs prix avant la Saint-Valentin. Faut-il y voir un complot? Pas forcément ... ça pourrait tout aussi bien être qu'à ... cette date de l'année, on augmente le prix des roses. C'est la même chose pour l'essence. Les gens partent pour un long week-end, pour faire des promenades, etc., et en profiter ce n'est pas forcément un complot. [Konrad von Finckenstein, Commissaire à la concurrence, Bureau de la concurrence, ministère de l'Industrie; 40:16:30]

Le Comité fait aussi remarquer qu’une étude plus poussée de la question révèle qu’il ne faut pas se limiter aux apparences. Les résultats statistiques du Conference Board du Canada sont révélateurs :

Il est vrai que les prix grimpent parfois avant les longs week-ends, mais ils peuvent tout aussi bien grimper avant tout autre week-end de l’année. Le fait est que les marchands essaient de monter les prix, normalement au milieu de la semaine, pour rétablir leur marge quand elle a diminué à cause de la concurrence locale. S’ils n’y parviennent pas, la tendance des prix est à la baisse le vendredi et au cours du week-end. Les hausses avant les longs week-ends sont plus susceptibles d’être acceptées par la concurrence à cause de l’augmentation prévue de la demande lors des congés, mais cela reste à prouver statistiquement11.

Selon cette conclusion, le prix de l’essence grimpe juste avant les longs week-ends, mais aussi juste avant plusieurs autres week-ends ordinaires de l’année — ce qui confirme dans une certaine mesure les allégations contraires. Il se peut que cette forme d’établissement des prix ne soit pas le résultat d’une collusion, mais la conséquence du constat simultané et indépendant d’une augmentation de la demande par un groupe de détaillants; le passé est très révélateur à cet égard. Il semblerait alors que les consommateurs sont plus conscients des hausses de prix avant un long week-end qu’avant les autres week-ends.


11Conference Board du Canada, p. cit., p. iv.