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HUMA Rapport du Comité

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En 1989, le Secrétariat national à l’alphabétisation (Secrétariat d’État) a chargé Statistique Canada d’une étude visant à établir le profil des capacités de lecture et d’écriture chez la population adulte canadienne. Cette étude, appelée Enquête sur les capacités de lecture et d’écriture utilisées quotidiennement (ECLEUQ), a dissipé l’idée selon laquelle les gens sont soit alphabétisés soit analphabètes. Au contraire, elle a permis de dégager une nouvelle définition de l’alphabétisation qui renvoie à un continuum de compétences. L’ECLEUQ a utilisé quatre échelles pour décrire les divers niveaux d’alphabétisation. D’après les résultats de l’enquête, 16 % des Canadiens avaient des capacités de lecture et d’écriture trop limitées pour déchiffrer la plupart des documents imprimés de la vie courante, tandis que 22 %, considérés comme des lecteurs «  restreints  », pouvaient accomplir des tâches de lecture courante mais avaient de la difficulté à lire des nouveaux documents8. Ainsi, en 1989, environ 38 % des Canadiens de 16 à 69 ans avaient une capacité de compréhension de textes suivis comparable aux niveaux 1 et 2 de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes (EIAA), enquête novatrice inspirée de l’ECLEUQ9.

Parrainée au Canada par le Secrétariat national à l’alphabétisation et par la Direction générale de la recherche appliquée de Développement des ressources humaines Canada, l’EIAA a été dirigée par Statistique Canada, en collaboration avec l’Organisation de coopération et de développement économiques, Eurostat et l’UNESCO. Cette enquête, qui a donné lieu à la première évaluation multinationale et multilingue des capacités de lecture chez les adultes a été réalisée dans sept pays industrialisés (Canada, Allemagne, Pays-Bas, Pologne, Suède, Suisse et États-Unis). De 1994 à 1998, le nombre de pays participants à l’EIAA a augmenté pour atteindre 20 au total10, et chacun a publié ses propres résultats.

L’échantillon de l’EIAA au Canada a été tiré de l’Enquête sur la population active. Or, comme cette dernière ne comprenait pas les résidents des Territoires du Nord-Ouest ou du Yukon, ni les détenus en établissement, ni les personnes vivant dans les réserves indiennes ou les membres à plein temps des Forces armées canadiennes, d’importants segments de la population du pays se trouvaient exclus de l’échantillon de l’EIAA.

L’EIAA a mesuré les variations dans les capacités de lecture des adultes, en évaluant des compétences communes à l’égard de diverses tâches. L’enquête a défini l’alphabétisme comme étant la capacité d’une personne de comprendre et d’utiliser des imprimés et des écrits nécessaires pour fonctionner dans la vie de tous les jours, à la maison, au travail et dans la collectivité, pour atteindre ses objectifs, parfaire ses connaissances et accroître son potentiel11. Elle a mesuré trois types d’alphabétisation : la compréhension de textes suivis, la compréhension de textes schématiques et la compréhension de textes au contenu quantitatif. La compréhension de textes suivis désigne la capacité de comprendre et d’utiliser l’information contenue dans différents textes, tels des étiquettes de produit, des manuels d’information, des nouvelles ou des ouvrages de fiction. La compréhension de textes schématiques désigne la capacité de repérer et d’utiliser l’information contenue dans des documents tels les demandes d’emploi, les horaires de transport, les cartes et les tableaux. La compréhension de textes au contenu quantitatif mesure la capacité d’effectuer des opérations arithmétiques à partir de chiffres figurant dans un texte, par exemple pour calculer des intérêts, établir le solde d’un compte de chèque ou remplir un bon de commande.

Parmi les principaux résultats de l’EIAA, signalons que :

On a constaté d’importantes différences dans les niveaux d’alphabétisation dans les pays et entre eux.
Des lacunes en capacité de lecture ont été constatées non seulement chez les groupes marginalisés, mais aussi chez un vaste pourcentage de la population adulte.
Il y a une très forte corrélation entre l’alphabétisation et les chances dans la vie, ainsi que les occasions d’améliorer sa situation sociale ou économique.
L’instruction influe considérablement sur l’alphabétisme mais n’est pas le seul facteur.
Comme les muscles, les capacités de lecture ont besoin d’être entretenues et renforcées par une utilisation régulière.
Généralement, les adultes faiblement alphabétisés n’admettent pas ou ne reconnaissent pas que leurs lacunes puissent constituer un problème12.

Par rapport aux autres pays, le Canada s’est classé devant les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande dans les trois catégories d’alphabétisation. Pour ce qui est de la compréhension de textes suivis, le Canada est arrivé au cinquième rang (derrière la Suède, la Finlande, la Norvège et les Pays-Bas) parmi les 20 pays étudiés entre 1994 et 1998. Sur le plan de la compréhension de textes schématiques et de textes au contenu quantitatif, le Canada s’est classé respectivement huitième et neuvième. Il vient au deuxième rang, derrière la Suède, pour ce qui est de la proportion d’adultes ayant un niveau d’alphabétisation très supérieur13.

Les résultats de l’EIAA, qui datent de presque dix ans, indiquaient que près de la moitié de la population canadienne de 16 ans et plus avait de faibles capacités de lecture (c’est-à-dire de niveaux 1 et 2) dans les trois catégories de compréhension, un niveau de compétence considéré dans de nombreux pays comme étant inférieur à celui nécessaire pour participer pleinement à la société14. Quand les résultats étaient répartis selon les sexes, 50 % des hommes et 45 % des femmes avaient une faible compréhension des textes suivis en 1994, tandis que 49 % des femmes et 47 % des hommes avaient une faible compréhension des textes schématiques. La moitié des femmes de 16 ans et plus avaient du mal à comprendre les textes au contenu quantitatif, comparativement à 46 % des hommes15.

Le Canada a certes réussi à attirer des immigrants plus scolarisés et plus alphabétisés, mais les données de l’EIAA montrent que sa population compte néanmoins une importante proportion de citoyens sous-alphabétisés chez les ressortissants étrangers comparativement à la population de souche. Environ 45 % des personnes de 16 ans et plus nées au Canada avaient de faibles capacités de lecture en 1994, comparativement à 59 % des personnes dont le Canada est le pays d’adoption. Pour ce qui est des textes schématiques, 45 % des citoyens de souche et 57 % des citoyens nés à l’étranger en avaient une faible compréhension. En outre, 47 % des personnes de 16 ans et plus nées au Canada avaient de faibles capacités de compréhension des textes au contenu quantitatif, comparativement à 52 % des personnes nées à l’étranger16.

Graphique 1 - Répartition de la sous-alphabétisation par région

Comme l’illustre le graphique 1, la répartition de la sous-alphabétisation par région est inégale. Selon ces données, la proportion de personnes illettrées de 16 ans et plus était plus élevée au Québec et dans les provinces de l’Atlantique qu’en Ontario et dans l’Ouest canadien. En 1994, 54 % des Québécois de 16 ans et plus avaient du mal à saisir le sens des textes suivis, tandis que la proportion dans l’Atlantique était de 51 %. En Ontario, 47 % de la population de 16 ans et plus se rangeait dans les deux plus faibles niveaux de compréhension des textes suivis. Dans l’Ouest canadien, 42 % des personnes dans ce groupe d’âge avaient un faible niveau de compréhension de ce type de textes. Ce classement régional est pratiquement le même pour les textes schématiques et les textes au contenu quantitatif. La seule exception concerne l’Ontario qui comptait la plus petite proportion d’adultes ayant du mal à comprendre les textes schématiques.

Lorsque l’on se reporte aux résultats par province, on constate que c’est l’Alberta qui affichait la plus petite proportion d’adultes ayant du mal à comprendre les trois catégories de textes. Le Nouveau-Brunswick comptait la plus forte proportion d’adultes ayant de faibles capacités de compréhension des textes suivis, tandis que l’Île-du-Prince-Édouard avait la plus forte proportion d’adultes ayant du mal à comprendre les textes schématiques. Terre-Neuve et le Québec étaient au premier rang pour ce qui est des adultes ayant du mal à saisir le sens des textes à contenu quantitatif17.

On peut affirmer sans crainte de se tromper que l’âge et les capacités de lecture sont inversement proportionnels, comme le montre le graphique 2. Dans le segment de population des 16 ans et plus, c’était chez les plus jeunes et ceux qui venaient de quitter l’école qu’on enregistrait la plus petite proportion de faibles capacités de lecture dans les trois catégories en 1994. Comme en fait foi le graphique, la proportion de population illettrée augmente généralement avec l’âge, le pourcentage le plus élevé se retrouvant chez les personnes de 65 ans et plus. Ce résultat n’a rien d’étonnant, étant donné le lien direct entre les capacités de lecture et l’instruction, et le fait que les Canadiens plus âgés sont habituellement moins instruits que leurs concitoyens plus jeunes. De plus, ces capacités peuvent s’atrophier avec l’âge.

GRAPHIQUE 2 - Répartition de la sous-alphabétisation par groupes d'âge

Une autre caractéristique étroitement reliée à l’alphabétisation et à l’instruction est la langue. Avant les années 60, l’accès à l’enseignement secondaire en français à l’extérieur du Québec était limité. Puisque de nombreux Canadiens francophones n’ont pas étudié dans leur langue maternelle, l’EIAA donnait le choix aux répondants de la langue officielle dans laquelle ils préféraient répondre aux questions. D’après l’EIAA, environ 45 % des personnes ayant subi le test en anglais avaient du mal à comprendre les trois catégories de textes; or, ce pourcentage était plus élevé chez les personnes qui ont subi le test en français, particulièrement celles qui habitaient à l’extérieur du Québec. En effet, un nombre proportionnellement plus élevé de francophones hors Québec que d’anglophones était sous-alphabétisé, soit 9, 13 et 16 % de plus pour ce qui est respectivement de la compréhension des textes suivis, des textes schématiques et des textes à contenu quantitatif. Toutefois, dès que l’on tient compte des différences de niveaux de scolarité, les différences entre groupes linguistiques sont en majeure partie éliminées (du moins en ce qui concerne la compréhension des textes suivis)18.

Comme on pouvait s’y attendre, le degré d’alphabétisation influe énormément sur la capacité de se tailler une place sur le marché du travail. Le graphique 3 montre que les personnes peu alphabétisées composent la plus petite part (environ 36 %) des travailleurs mais la plus grande part des chômeurs. Étant donné que la croissance de l’emploi la plus forte se retrouve dans les professions exigeant de grandes compétences et un degré élevé d’alphabétisation, il n’est pas étonnant que le chômage soit plus fréquent chez les personnes moins alphabétisées. D’après les données du graphique 3, plus de 50 % des chômeurs en 1994 présentaient de faibles capacités de lecture. Étant donné le lien qui existe entre l’alphabétisation et le chômage, il n’est pas étonnant que les données de l’EIAA montrent qu’une forte proportion de personnes sous-alphabétisées ont recours aux programmes publics de soutien du revenu. Cette tendance est particulièrement claire dans le cas de l’aide sociale, puisqu’au moins 65 % des bénéficiaires présentent de faibles capacités de lecture19.

GRAPHIQUE 3 - Situation d'activité des travailleurs peu alphabétisées

Au Canada, les gens qui se situent au niveau 1 ont presque 60 % de chances d’être sans emploi à un moment ou l’autre de l’année. Au niveau 5, là où les compétences sont les plus élevées, il y a une mince probabilité que les gens soient sans emploi. Par conséquent, le premier effet de la littératie, c’est que les employeurs l’utilisent comme mécanisme de sélection des candidats qui seront retenus. (Scott Murray, directeur général, Statistique sociale et institutions, Statistique Canada)20

Étant donné le lien qui existe entre l’alphabétisation et la situation sur le marché du travail, il s’ensuit que les capacités de lecture influent également sur le revenu. En fait, des témoins ont signalé au Comité que parmi les 20 pays participants à l’EIAA, c’est au Canada que le rapport entre le degré d’alphabétisation et le revenu est le plus marqué; en effet, le niveau de compétences en lecture explique environ 33 % des écarts de salaire21.

Le Comité a aussi appris que Statistique Canada est en train de faire le suivi de l’EIAA en réalisant l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes (EIACA)22. Les membres sont très heureux d’apprendre que la taille de l’échantillon au Canada sera beaucoup plus grande qu’en 1994. Avec un échantillon plus important, Statistique Canada pourra examiner la répartition des compétences en fonction des divers groupes socio-économiques, notamment les Autochtones, et établir des profils des minorités linguistiques. De plus, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut et le Yukon seront inclus dans cette étude. Fait à noter, l’enquête permettra aussi aux décideurs de déterminer si la répartition des capacités de lecture au Canada a beaucoup changé depuis 1994. Malheureusement, les données de cette enquête ne seront pas disponibles avant décembre prochain.

 


8Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes (EIAA) — Document de base (fourni au Comité par Développement des ressources humaines Canada).
9Nous utilisons dans le présent rapport les expressions «  sous-alphabétisation  », «  faible alphabétisation  », «  illettrisme  » et «  faibles capacités de lecture et d’écriture  » pour désigner les personnes ayant une maîtrise de ces capacités de niveau 1 ou 2. Le niveau 1 désigne des capacités très faibles; la personne peut, par exemple, avoir de la difficulté à déterminer, à partir des renseignements indiqués sur l’emballage, quelle dose exacte de médicament il faut donner à un enfant. Au niveau 2, une personne peut seulement se servir de textes simples, présentés clairement, et quand les tâches à accomplir ne sont pas trop complexes. Une personne au niveau 2 se débrouille généralement assez bien dans la vie quotidienne avec le peu de capacité de lecture qu’elle possède, mais elle aura de la difficulté à s’adapter à un nouvel emploi qui nécessite un niveau supérieur d’alphabétisation.
10Aux sept pays d’origine, ce sont ajoutés l’Australie, la Belgique, le Chili, la République tchèque, le Danemark, la Finlande, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Nouvelle-Zélande, le Portugal, la Slovénie et le Royaume-Uni.
11Développement des ressources humaines Canada, Document de base de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes (voir http://www.nald.ca/nlsf/ialsf/ialsrepf/ialsbk1.htm).
12OCDE, Statistique Canada et le National Center for Education Statistics des États-Unis, Adult Literacy and Lifeskills Survey International Planning Report, ébauche, le 8 février 2001.
13Secrétariat national à l’alphabétisation, Coup d’œil sur l’alphabétisation au Canada — Mise à jour (voir http://www.nald.ca/nlsf/nlsildf/fact3.htm).
14Ibid.
15Statistique Canada, Lire l’avenir : Un portrait de l’alphabétisme au Canada (n° 89-551-XPF au catalogue), 1996.
16Ibid.
17D’après des données non publiées fournies par Statistique Canada. Il convient de souligner qu’en raison de la petite taille des échantillons utilisés dans certains cas, particulièrement dans les petites provinces, les estimations provinciales sont sujettes à caution et doivent être interprétées avec prudence.
18Statistique Canada (1996).
19Ibid.
20DRHCPH, Témoignages (15:50), séance n° 17, le 18 mars 2003.
21Ibid.
22À l’extérieur du Canada, on parle de l’Enquête sur l’alphabétisation et les compétences des adultes (Adult Literacy and Lifeskills Survey ou ALL).