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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 20 février 2003




¿ 0905
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD)
V         Le président
V         M. Roy Culpeper (président, Institut Nord-Sud)

¿ 0910
V         Le président
V         M. John Watson (président, CARE Canada)

¿ 0915

¿ 0920
V         Le président
V         Dre Sheila Zurbrigg (administratrice, Médecins pour la survie mondiale (Canada))

¿ 0925

¿ 0930
V         Le président
V         M. Mark Fried (agent, Développement des programmes, Oxfam Canada)

¿ 0940
V         Le président
V         Dr Eric Hoskins (président, «War Child Canada»)

¿ 0945

¿ 0950
V         Le président
V         M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne)

¿ 0955
V         M. Roy Culpeper
V         M. Stockwell Day
V         M. Roy Culpeper
V         M. Stockwell Day
V         M. Roy Culpeper
V         M. Stockwell Day
V         M. Roy Culpeper
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ)

À 1000
V         M. John Watson
V         Mme Francine Lalonde
V         M. John Watson

À 1005
V         Le président
V         M. Art Eggleton (York-Centre, Lib.)
V         Le président
V         Dr Eric Hoskins

À 1010
V         M. Art Eggleton
V         Dr. Eric Hoskins
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough

À 1015
V         Le président
V         M. John Watson
V         M. Mark Fried
V         Le président
V         M. John Harvard (Charleswood—St. James—Assiniboia, Lib.)

À 1020
V         Dr Eric Hoskins

À 1025
V         The Vice-Chair (Hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.))
V         M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne)
V         La vice-présidente (Mme Diane Marleau)
V         M. Roy Culpeper

À 1030
V         La vice-présidente (Mme Diane Marleau)
V         Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.)
V         La vice-présidente (Mme Diane Marleau)
V         Dre Sheila Zurbrigg

À 1035
V         La vice-présidente (Mme Diane Marleau)
V         M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne)

À 1040
V         Le président
V         Dr Eric Hoskins
V         Le président
V         M. John Watson

À 1045
V         Le président
V         M. John Watson
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 020 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 20 février 2003

[Enregistrement électronique]

¿  +(0905)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions la situation en Irak.

    Nous avons le privilège d'accueillir ce matin M. Roy Culpeper, de l'Institut Nord-Sud, et M. John A. Watson, président de CARE Canada.  

[Français]

    Nous recevons aussi la Dre Sheila Zurbrigg, de Médecins pour la survie mondiale du Canada, et M. Mark Fried, d'Oxfam Canada.

[Traduction]

    Et nous accueillons M. Eric Hoskins, président de War Child Canada .

    Nous avons cinq témoins ce matin, et par conséquent si chacun prend plus de dix minutes, nous n'aurons pas le temps de poser de questions. Je vous invite donc à vous en tenir à sept ou huit minutes pour votre déclaration, ce qui sera parfait pour nous.

    Madame McDonough.

+-

    Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Monsieur le président, j'aimerais invoquer le Règlement pour demander si les membres du comité seraient d'accord pour prolonger un peu la séance. Nous n'avons qu'une heure et demie pour cinq témoins. S'ils peuvent rester un peu plus longtemps, je me demande si le comité ne pourrait pas prolonger d'une vingtaine de minutes.

+-

    Le président: M. Day m'a fait la même demande oralement, et si tout va bien, rien ne nous oblige à nous arrêter à 10 h 30. Merci.

    Nous commençons par M. Culpeper, de l'Institut Nord-Sud. 

+-

    M. Roy Culpeper (président, Institut Nord-Sud): Merci, monsieur le président.

    Nous avons fait distribuer nos notes aux membres du comité et je vais donc me contenter d'une très brève intervention. J'aimerais en fait souligner trois questions.

    La première, c'est que, dans les circonstances actuelles, et vu les preuves dont on dispose actuellement, la guerre contre l'Irak n'est pas justifiée. Ce n'est pas une position pacifiste, c'est une position qui reconnaît la nécessité de la guerre dans certaines circonstances, mais à notre avis, les circonstances actuelles en Irak ne justifient pas une guerre. Les preuves présentées par les inspecteurs aussi bien de la COCOVINU que de l'AIEA ne permettent en aucun cas de penser qu'il existe des armes de destruction massive en Irak et que l'Irak constitue une menace claire et nette pour la sécurité internationale. Ces preuves n'existent pas. En outre, une intervention militaire en Irak sous prétexte de changement de régime est illégitime. Si brutal et condamnable que soit Saddam Hussein, un changement de régime par la force militaire est totalement injustifié et illégitime. Troisièmement, une guerre en Irak entraînerait un nombre de victimes incalculable. La moitié de la population de l'Irak a moins de 15 ans, et une guerre dans ce pays aurait donc des conséquences particulièrement tragiques pour de nombreux enfants. Plusieurs de mes collègues du groupe de témoins d'aujourd'hui vont vous parler de la crise humanitaire et de la catastrophe qui risquent de se produire dans les jours à venir si la guerre est déclenchée.

    J'aimerais inviter les membres du comité à réfléchir à ce que nous avons obtenu avec la guerre en Afghanistan. A-t-on réussi à neutraliser le terrorisme, à éliminer al-Qaïda? En fait, nous n'avons même pas encore capturé Oussama ben Laden, dont on a entendu parler récemment et qui est bien vivant. La communauté internationale avait pris toutes sortes d'engagements pour la reconstruction de l'Afghanistan, la mise en place de la démocratie, l'établissement de la paix, mais qu'a-t-elle fait? Seule une infime fraction des 15 milliards de dollars qui avaient été demandés pour la reconstruction de l'Afghanistan après la guerre ont été distribués au compte-gouttes. Les Talibans reprennent de la vigueur et l'anarchie féodale règne un peu partout dans les campagnes. De la même façon, il se pourrait très bien qu'une guerre en Irak ne fasse qu'aggraver le terrorisme, au lieu de le neutraliser, et déclencher des vagues de terrorisme comme nous n'en avons jamais encore vues jusqu'ici.

    Enfin, vu la forte opposition exprimée par des nombreux États membres des Nations Unies après la présentation du rapport de M. Blix, étant donné les manifestations sans précédent contre la guerre au Canada et dans le reste du monde, je pense qu'il est temps que la communauté internationale réagisse et bloque cette guerre.

    Ma deuxième remarque consiste à dire que le cadre multilatéral que nous avons depuis 1945 pour préserver la paix et arrêter la guerre, si imparfait et fragile qu'il soit, doit être renforcé, respecté et préservé. Une intervention militaire unilatérale des États-Unis à titre préventif, une frappe préventive, seraient totalement illégitimes, constitueraient une violation de la Charte des Nations Unies et justifieraient le recours futur par les États-Unis ou d'autres pays à ce genre de frappes préventives contre des ennemis apparents à l'étranger. Est-ce le genre de monde dans lequel nous voulons nous aventurer?  

¿  +-(0910)  

    Deuxièmement, je tiens à féliciter le gouvernement du Canada d'avoir refusé jusqu'à présent de s'engager aux côtés des Américains dans une guerre contre l'Irak et d'avoir reconfirmé que les Nations Unies étaient l'agent essentiel pour négocier la paix et désarmer l'Irak. Nous ne devons pas nous laisser impressionner par le fait que nous avons une frontière commune avec les États-Unis. Notre autre voisin dans cet hémisphère, le Mexique, a aussi une frontière commune avec les États-Unis; il est aussi au Conseil de sécurité et il s'est prononcé contre la guerre. Il faut que le Canada cherche à établir des partenariats avec des pays comme le Mexique dans cette entreprise pour préserver et renforcer les Nations Unies et pour éviter qu'elle soit au contraire neutralisée ou affaiblie.

    Troisièmement, et finalement, il faut songer à l'avenir, il faut songer à investir dans la paix, la sécurité et le développement humain. Nous devons par-dessus tout essayer de trouver une solution à la crise israélo-palestinienne. Ce conflit israélo-palestinien alimente les tensions et la colère au Proche-Orient et tant que cette situation perdurera, l'agitation se poursuivra dans le monde arabe et dans le monde islamique. La première chose à faire est donc de mettre un terme au conflit israélo-palestinien.

    Deuxièmement, nous devons cesser d'appuyer les autocrates de la région et commencer à appuyer la démocratie, les droits de la personne, la paix et le développement. Tant que nous n'aurons pas commencé à le faire, nous pouvons nous attendre à voir les tensions, les conflits et la haine proliférer dans cette région du monde. Il faut mettre en place une stratégie à long terme pour la paix, les droits de la personne et le développement. Si nous ne commençons pas tout de suite, cela n'arrivera pas et dans ce cas on peut s'attendre à avoir d'autres guerres et d'autres conflits au Proche-Orient.

    Je conclurai en disant que la guerre est justifiée à certains endroits et à certains moments. Je ne véhicule pas ici une position pacifiste, je dis simplement que dans les circonstances actuelles, la guerre contre l'Irak est la dernière et la plus exécrable des options à choisir. Il faut dont épuiser toutes les autres options pour essayer de résoudre le problème de l'Irak et de le désarmer.

    Merci, monsieur le président.

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Culpeper, pour votre présentation. Nous allons maintenant passer à M. John A. Watson, de CARE Canada.

    Monsieur Watson.

[Traduction]

+-

    M. John Watson (président, CARE Canada): Merci, monsieur le président.

    En deux mots, CARE est un organisme de développement humanitaire. Nous sommes présents en Irak depuis la dernière guerre; nous avons assuré la distribution d'aliments et de combustible en hiver dans le Nord jusqu'au milieu des années 90, et ensuite nous nous sommes concentrés sur des programmes d'adduction d'eau et d'assainissement ainsi que sur la remise en état des écoles et des installations sanitaires du sud et du centre de l'Irak, en insistant surtout sur la remise en état ou l'installation de réseaux d'adduction d'eau dans les petites villes. Nous envisageons de poursuivre cette activité dans le cas où il y aurait une guerre. Nous prévoyons des opérations d'acheminement d'eau par conteneurs, des ateliers mobiles de réparation des réseaux d'adduction d'eau, et certaines opérations d'acheminement de nourriture.

    Voici très brièvement les points que je souhaite souligner. Premièrement, il existe déjà une crise humanitaire en Irak. C'est difficile à imaginer, mais de 60 à 70 p. 100 de la population du sud de l'Irak ne survit que grâce aux aliments obtenus dans le cadre du programme pétrole contre nourriture; 40 p. 100 n'ont aucune autre source d'alimentation. Cela dure depuis 10 ans maintenant. En général, les familles ont quelques ressources qui leur permettent de se débrouiller, mais dans le cas de l'Irak, les familles ont en général vendu tout ce qu'elles avaient pour réussir à s'en sortir depuis 10 ans. Elles n'ont donc plus cette souplesse ou ce coussin. Il y a eu une distribution anticipée de rations sèches. On a distribué deux mois de rations d'avance. Dans le cas de la guerre en Afghanistan, nous avions pu distribuer cinq mois de rations. Il y a donc très peu de marge de ce côté-là. Ce sont des rations sèches qui doivent être cuites et encore une fois, s'il n'y a plus de carburant ou d'électricité, c'est un problème.

    Autrement dit, s'il y a une guerre, la crise humanitaire se transformera en catastrophe humanitaire. Sur le plan alimentaire, essayez simplement d'imaginer comment on peut distribuer des aliments à une population correspondant à peu près à celle de l'Ontario. C'est un système complexe. Si l'infrastructure est sérieusement endommagée, ce sera déjà un sérieux problème d'acheminer l'alimentation. En outre, il y a actuellement un système complexe en place qui fonctionne bien, avec 40 000 boutiques et agents de distribution au niveau local, et si l'on enraye ce système, il faudra assez longtemps pour le remplacer par un autre. À cet égard, les Nations Unies sont importantes car s'il y a occupation militaire non sanctionnée par les Nations Unies, il n'y aura aucune entité légale pour administrer les restes du système existant.

    La situation pour ce qui est de l'eau est encore pire. L'Irak n'est pas un pays où l'on va puiser de l'eau dans un puits. Les gens sont approvisionnés au robinet par un réseau d'adduction d'eau. Or, évidemment, les gens meurent très vite s'ils n'ont pas d'eau. Pour avoir de l'eau, il faut de l'électricité, et il y a des génératrices d'appoint qui fonctionnent avec du carburant. Tout cela risque d'être menacé s'il y a une intervention militaire.

¿  +-(0915)  

    En troisième lieu, je voudrais dire que compte tenu de l'ampleur de la catastrophe qui risque de se produire et des nouveaux éléments de cette catastrophe—je veux parler ici de l'éventuel recours à des éléments nucléaires, biologiques ou chimiques—en tout cas au cours de la période qui suivrait immédiatement la guerre—s'il y a une guerre, et nous espérons qu'il n'y en aura pas—le seul groupe qui disposera de la capacité logistique et opérationnelle nécessaire pour répondre aux besoins humanitaires à très court terme sera l'armée. Cela nous place dans une situation très délicate. Les organismes humanitaires s'occupent uniquement de répondre aux besoins. La seule protection que nous avons, c'est notre respect des principes de la neutralité et de l'impartialité dans nos activités. Cela veut dire qu'il nous est très difficile de travailler avec une partie ou l'autre. Cela souligne aussi l'importance du mandat des Nations Unies. S'il n'y a pas de mandat des Nations Unies, le travail devient beaucoup plus difficile.

    J'aimerais terminer en soulignant une lacune dans la politique du Canada. Nous nous sommes tous concentrés sur l'aspect militaire et sur la préparation des Forces canadiennes en vue d'un déploiement à l'étranger. Je tiens à vous rappeler que la préparation d'ordre humanitaire est également importante et que les organismes humanitaires canadiens ne disposent d'aucune ressource pour se préparer à des catastrophes comme celle-ci. Nous avons dû compter sur la générosité de donateurs indépendants comme Jean Coutu dans notre cas. Nos activités en Afghanistan après la guerre ont été entièrement financées par des sources privées. Nous avons eu aussi un bon appui de la part de l'ACDI pour la poursuite de nos programmes. Ceci ne fait donc qu'aggraver les problèmes lorsque nous sommes confrontés à une crise particulière. Autrement dit, s'il n'y a pas de fonds d'ensemble disponibles pour la préparation à une intervention humanitaire, le simple fait d'aller chercher des fonds dans un contexte comme l'Irak donne l'impression à certains que nous ne sommes plus neutres parce que nous partons du principe qu'il va y avoir une guerre. S'il y avait un fonds générique de préparation à cette situation, nous pourrions agir sans être confrontés à ce problème. Cela nous permettrait aussi d'être moins dépendants de l'armée durant les premiers stades des efforts de soutien humanitaire après une guerre.

    Voilà ce que j'avais à dire. Nous avons rédigé un texte qui vous a été distribué, je crois, mais nous nous ferons un plaisir de vous donner plus de précisions durant la période de questions sur les éléments qui figurent dans ce document et que je n'ai pas abordés.

¿  +-(0920)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Watson.

    Nous passons maintenant à Mme Sheila Zurbrigg, de l'Association des médecins pour la survie mondiale, section canadienne.

+-

    Dre Sheila Zurbrigg (administratrice, Médecins pour la survie mondiale (Canada)): Merci.

    Au nom des membres de l'Association des médecins pour la survie mondiale, je remercie le comité de me donner l'occasion d'aborder les graves et nombreuses inquiétudes que nous avons face à la menace de guerre américaine en Irak. Vous ne serez pas étonnés de savoir que nous sommes opposés à une invasion militaire de l'Irak pour les raisons humanitaires exposées dans le récent rapport Medact, Medact étant la filiale britannique de l'Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire dont l'Association des médecins pour la survie mondiale est la filiale canadienne.

    Dans de récentes déclarations publiques, l'Association des médecins pour la survie mondiale a affirmé qu'une attaque préventive contre l'Irak était illégale en vertu de la Charte des Nations Unies et que les risques catastrophiques et les conséquences prévisibles pour la population civile constituaient une violation flagrante du droit humanitaire international. Par-dessus tout, la guerre est une aberration car il existe clairement d'autres moyens d'atteindre des objectifs légitimes dans ce conflit. Nous exhortons donc le gouvernement canadien à ne pas apporter son appui militaire matériel ou moral à cette guerre.

    Nous avons évidemment une autre inquiétude grave. Le 10 décembre dernier, le président George Bush a répété la menace d'un éventuel recours des États-Unis aux armes nucléaires contre l'Irak si ce dernier utilisait des armes chimiques ou biologiques. Le pouvoir destructeur des armes nucléaires est infiniment plus grand que celui des armes chimiques et biologiques. Si de telles armes étaient utilisées contre l'Irak, le bilan pourrait aller jusqu'à 3,5 millions de victimes, sans compter les souffrances et la dévastation environnementale à long terme qui s'ensuivraient. Si les États-Unis utilisaient une arme nucléaire, cela reviendrait à répondre à une action moralement odieuse de la part des forces irakiennes par une action encore plus odieuse moralement. Le Canada ne doit même pas songer un instant à appuyer de tels actes.

    De même que l'Association des médecins pour la survie mondiale et l'Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire l'ont fait au cours des années 80 à propos de la guerre nucléaire, nous affirmons qu'il n'y a pas de dispositif médical ou de soulagement sérieux pour intervenir dans la guerre envisagée actuellement en Irak. Les organismes humanitaires, ceux des Nations Unies ou ceux des ONG, n'ont aucun moyen sérieux d'en atténuer les conséquences. Il reste donc le devoir de prévention. Ce devoir est d'autant plus urgent que la population civile est extrêmement vulnérable après avoir subi 12 ans de sanctions économiques. Comme en attestent les taux élevés de mortalité infantile, on n'a pas remédié techniquement au dénuement économique de toutes ces années, et il n'existe pas plus actuellement de remède technique au chaos et à la destruction que viendrait ajouter à cette situation l'invasion militaire qui menace. J'aimerais rappeler au comité l'ampleur de l'échec de cette solution technique qui avait pris la forme du programme pétrole contre nourriture. Ce programme imposé en même temps que les sanctions devait protéger les innocents, mais on estime néanmoins qu'il y a eu 1,5 million de morts dans la population civile, ce qui veut dire que l'Irak aura une place de choix dans les annales de la famine. En fait, c'est déjà le cas. J'ai un article récent sur la famine en Irak sous le régime des sanctions.

    J'aimerais souligner un aspect particulier de nos préoccupations humanitaires qui a été seulement effleuré dans la plupart des récentes évaluations humanitaires, y compris le rapport Medact d'octobre 2002. Je veux parler de la panne qui se produira vraisemblablement dans la distribution alimentaire s'il y a une guerre et de la famine qui s'ensuivra. Je cite cela à titre d'exemple des faiblesses de nos évaluations des répercussions de la guerre envisagée en Irak. Je précise que je le fais parce que je suis sensibilisée à la question de la famine par mon travail de médecin et d'historienne de la santé et de la faim.

¿  +-(0925)  

    Plus de 60 p. 100 des civils irakiens, c'est-à-dire 16 millions, dépendent majoritairement voire uniquement du système de rations alimentaires mensuelles. Ce système de distribution alimentaire mis en place par le gouvernement irakien est constitué d'un réseau de 46 000 responsables de rations alimentaires dispersées au centre et sud de l'Irak. Pour la plupart de ces familles, ce panier de nourriture représente plus de 80 p. 100 du revenu total d'un ménage. Ce système est excessivement vulnérable aux bombardements aériens des infrastructures de communications, de production d'électricité et de transport. Le bureau de l'ONU chargé du programme Irak pense que les provisions de nourriture des ménages dureront six semaines, parfois moins, parce que sans autre moyen d'existence, beaucoup de familles irakiennes continuent à être forcées d'échanger leurs rations alimentaires pour satisfaire à d'autres besoins essentiels.

    Que se passera-t-il après ces six semaines, lorsque les ressources vivrières s'épuiseront? Nous ne connaissons pas les intentions des États-Unis, mais la semaine dernière, le New York Times a laissé entendre que «Il semblerait que l'on aura fortement recours au parachutage de rations alimentaires individuelles en Irak, une approche critiquée et considérée comme un mélange inefficace et dangereux d'opérations militaires et humanitaires par les organismes de secours en Afghanistan». Les organismes de secours américains, que les États-Unis espèrent voir remplacer le système gouvernemental d'approvisionnement en vivres, ont peu ou pas d'expérience récente en Irak, signale l'article du New York Times, mais même s'ils arrivaient à fonctionner efficacement à temps, peut-on s'attendre à ce qu'ils arrivent à remplacer le réseau existant des 46 000 agents de distribution actuellement en place dans le pays?

    La question essentielle c'est de savoir si les organismes externes peuvent se substituer aux programmes existants de distribution des vivres? Nous n'en savons rien, même si le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, dans un rapport confidentiel du mois de janvier que j'ai avec moi, signalait clairement que non. Ce rapport explique qu'il faut bien comprendre que des autorités nationales, plutôt que des organismes de secours, ne peuvent satisfaire à tous les besoins de la population irakienne. En effet, le BCAH nous met en garde de ce que le système ne peut être remplacé.

    Ce qui est sûr, donc, c'est que beaucoup de ménages, probablement la majorité des 16 millions de personnes du centre et du sud de l'Irak, passeront entre les mailles du filet et souffriront des lacunes d'un système de remplacement. Les premiers à en souffrir seront les enfants. Même un système, loin d'être idéal, tel que celui qui existe actuellement laisse 22 p. 100 des enfants dans un état de malnutrition chronique et 6,3 p. 100 en famine aiguë. C'est ce système «idéal» qui va être endommagé et détruit. Sans parler du chaos éventuel, dans le cas où une invasion engendrerait une guerre civile ou le désespoir probable de la population, alors que les ressources vivrières s'épuisent et que les familles meurent de faim, ouvrant la voie au pillage et aux conflits entre les communautés, que craint la BCAH. C'est de ce «scénario innommable» dont parlent les Nations Unies, dans un autre document confidentiel de ce mois-ci où l'on estime qu'un million d'enfants irakiens souffrant de malnutrition sont en danger éminent de mort.

    Ces questions quant à ce qui va remplacer ces réseaux d'accès à la nourriture doivent être posées, tout comme nous aurions dû nous demander il y a 12 ans comment une population civile pourrait survivre avec des rations alimentaires de 21 ¢ par jour. Il faut résoudre ces questions. Le Canada a l'obligation d'insister pour avoir des réponses claires, même si je crois qu'il n'y en a pas.

    Merci.

¿  +-(0930)  

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup, docteure.

[Traduction]

    Passons à Mark Fried, d'Oxfam Canada.

+-

    M. Mark Fried (agent, Développement des programmes, Oxfam Canada): Bonjour. Merci beaucoup.

    Je vais essayer de ne pas répéter ce que mes collègues ont dit. Comme CARE, Oxfam a des années d'expérience de travail dans des zones de conflit au service des victimes civiles de la guerre et en matière de prévention des conflits. Nous avons vu de très près l'effet de la guerre sur les civils. Je suis d'accord avec les témoins précédents pour dire qu'en matière humanitaire, on vit déjà une situation de crise grave et que si la guerre est déclarée, ce sera une véritable calamité.

    Nous ne pensons pas que la guerre soit inévitable. Les Nations Unies doivent trouver une solution pour amener l'Irak à obtempérer de façon à ne pas faire courir un tel danger aux populations civiles. Néanmoins, comme l'a dit mon collègue de CARE, nous devons nous préparer, en tant qu'organisme humanitaire, à l'éventualité d'un échec des efforts en faveur de la paix. En collaboration avec d'autres organismes et avec les Nations Unies, Oxfam a procédé à une planification d'urgence et à des préparatifs pour faire face à l'aggravation de la situation humanitaire qui devrait se manifester si la guerre éclate.

    Oxfam figure parmi les spécialistes de l'eau et des techniques sanitaires au service des populations déplacées et des réfugiés. C'est à cette tâche que nous nous consacrons dans les zones de conflit. En collaboration avec les Nations Unies, nous avons fait des évaluations en Irak et dans les pays limitrophes, et je me ferais un plaisir de vous en faire rapport. En ce qui concerne l'état actuel de l'approvisionnement en eau et des techniques sanitaires, même si la situation alimentaire est effrayante, comme Sheila vient de le dire, l'approvisionnement en eau potable est encore plus effrayant. Les aqueducs sont en très mauvais état. La diarrhée cause déjà de nombreux décès parmi les enfants. Un enfant irakien sur dix meurt avant l'âge de cinq ans, trois fois sur quatre à cause de l'eau infectée. Le système d'aqueduc, comme l'a signalé John Watson, fonctionne à l'électricité. L'Irak, de ce point de vue, est un pays développé. Il n'y a pas de rivières ni de fleuves; le pays est désertique, et l'eau est distribuée par des conduites ou apportée grâce à des bateaux citernes. Les frappes aériennes de 1991 ont dévasté les réseaux d'aqueduc et d'électricité qui, pour l'essentiel, n'ont pas été réparés. S'il y avait encore des frappes aériennes comme lors de la guerre du Golfe, la maladie risquerait de se répandre très rapidement au sein d'une population où la malnutrition fait déjà des ravages.

    La situation humanitaire présente d'autres facteurs qui ont été soulignés par les Nations Unies. On estime qu'environ 10 millions de personnes auront besoin d'une assistance alimentaire immédiatement après le début de la guerre et que deux millions de personnes supplémentaires devront quitter leur foyer. Il y a déjà un million de personnes déplacées en Irak, et il devrait y en avoir deux millions de plus. On s'attend à ce qu'un million et demi d'Irakiens soient contraints de quitter le pays et de se réfugier dans les pays limitrophes, et la fuite des réfugiés se compliquera du fait que la frontière irano-irakienne est intensément minée.

    Je serais heureux de répondre à vos questions concernant la distribution d'eau et les techniques sanitaires, mais pendant le temps dont je dispose encore, j'aimerais soulever plusieurs autres questions. Si les efforts de paix échouent et que la guerre éclate, le degré de souffrances des populations civiles et le nombre de victimes civiles dépendront essentiellement de la façon dont les hostilités se dérouleront. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la communauté internationale a conclu des conventions et a élaboré une doctrine juridique sur la façon dont la guerre devait être menée afin d'éviter les conséquences des opérations sur les populations civiles. Le droit humanitaire international, comme on l'appelle, a un certain nombre de conséquences pour les parties belligérantes, et j'aimerais en citer trois: tout d'abord, elles doivent éviter de lancer des attaques indiscriminées et de faire un nombre disproportionné de victimes civiles; deuxièmement, elles doivent préserver les infrastructures dont dépendent les populations civiles; et troisièmement, elles doivent permettre le libre-passage des réfugiés et de l'aide humanitaire neutre. L'expression «attaque indiscriminée» fait référence à des attaques qui ne font pas de distinction entre les combattants et les non-combattants. Évidemment, la distinction est difficile à faire en pratique. La guerre est souvent très confuse, mais il existe des tactiques qui peuvent en accentuer considérablement la complexité.

    Vous vous souvenez que lorsque les États-Unis et la Grande-Bretagne ont menacé l'Irak de frappes aériennes en 1997 et 1998, le gouvernement irakien avait placé de soi-disant volontaires civils comme boucliers humains autour de ses installations militaires. Ce genre d'action est expressément interdit en droit humanitaire international mais évidemment, s'il incombe au gouvernement irakien de ne pas agir de la sorte, il incombe également aux attaquants d'évaluer les effets de leur action sur les populations civiles par rapport à l'avantage militaire qu'on peut en espérer. Le droit impose cette pondération.

    Lors des attaques indiscriminées, l'armement utilisé pose un autre problème. Certains armements sont par nature d'emploi aveugle. Sheila a parlé des armes nucléaires, des armes chimiques et des armes biologiques. Manifestement, elles ne font pas la différence entre les militaires et les civils. Il y a aussi la question des mines antipersonnel et des bombes à dispersion, qui ont été utilisées par les États-Unis en Afghanistan. Ni les États-Unis, ni l'Irak ne sont signataires du traité interdisant les mines antipersonnel.

    J'ai dit que le droit humanitaire international oblige les belligérants à préserver les infrastructures dont dépendent les populations civiles. Le fait de cibler les installations électriques, le système de distribution d'eau et les réseaux de transport, dont les organismes humanitaires et les gouvernement irakien ont besoin pour assurer la subsistance des populations civiles, aurait certainement un effet disproportionné sur cette population. C'est pourtant ce qu'ont fait les États-Unis en 1991. Évidemment, toutes les parties et les pays limitrophes doivent permettre le passage des réfugiés et des organismes d'assistance neutre, c'est-à-dire l'assistance fournie par des parties non belligérantes.

    J'ai fait ce rappel du droit parce que toutes les parties à un conflit sont tenues de le respecter, mais aussi parce qu'il incombe à toute la communauté internationale de veiller à ce qu'il soit observé par les parties au conflit. Les atteintes graves au droit humanitaire international sont considérées comme des crimes de guerre et passibles de la Cour pénale internationale. Ni l'Irak, ni les États-Unis ne reconnaissent la Cour pénale internationale, mais si le Canada se retrouve impliqué dans une guerre en Irak et participe à une attaque américaine, il devra en supporter les conséquences. Les militaires canadiens pourraient être poursuivis s'ils participent à des actions américaines contraires au droit humanitaire international.

    Nous vous avons remis un rapport—j'en ai placé quelques exemplaires sur la table du fond—qui présentent en détail les conséquences en question. Je crois que le greffier doit vous le distribuer; quant à moi, je serais heureux de répondre à vos questions.

    En conclusion, j'aimerais dire une chose qui peut nous sembler évidente. Compte tenu de la complexité de toute réponse aux conséquences humanitaires d'une guerre, pour des organismes comme le nôtre qui doivent préparer des plans d'urgence afin d'assurer l'alimentation, le logement, l'habillement et l'approvisionnement en eau de millions de personnes si une guerre éclate, une solution diplomatique même très complexe paraîtra toujours simple en comparaison. Nous espérons que les Nations Unies et le Canada feront pression pour faire aboutir cette solution diplomatique relativement simple.

    Merci.

¿  +-(0940)  

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Fried.

[Traduction]

    Passons maintenant à M. Eric Hoskins, qui, d'après ce que j'ai compris, revient tout juste d'Irak. Il travaille pour War Child Canada.

+-

    Dr Eric Hoskins (président, «War Child Canada»): Bonjour et merci.

    Je pense que la guerre est loin d'être inévitable. Personne n'en veut, mais je pense que nous sommes dans une situation d'urgence, puisque selon toute probabilité nous sommes à quelques semaines d'un conflit militaire majeur en Irak.

    Je parle en tant que président de War Child Canada, une petite ONG canadienne qui travaille auprès des enfants touchés par la guerre, mais surtout, je parle en mon nom. Je suis médecin. Je me suis spécialisé ces 15 dernières années dans l'incidence de la guerre sur les enfants. Je me suis rendu en Irak plus de 25 fois. J'étais en Jordanie lors de la dernière guerre du Golfe et en Irak pendant la signature de l'entente de cessez-le-feu. En 1993, alors que vous étiez sans doute au Parlement—je sais que certains d'entre vous y étaient—j'ai exercé des pressions auprès du gouvernement canadien, avec l'aide des députés, et j'ai réussi à faire dégeler 2 millions de dollars de capitaux irakiens bloqués au Canada pour acheter du matériel humanitaire pour les enfants, soit des aliments et des médicaments. De 1998 à 2000, j'ai été le conseiller politique en chef de Lloyd Axworthy, ici à Ottawa.

    Comme l'a dit le président, je suis revenu il y a deux semaines d'Irak, où j'étais le chef d'un groupe appelé l'équipe d'études internationales. C'est un groupe indépendant d'experts qui a travaillé en Irak sans lien avec le gouvernement irakien et qui est financé par plus de 20 organismes canadiens non gouvernementaux, dont Oxfam Canada et l'Association des médecins pour la survie mondiale. Le weekend dernier, j'étais conférencier d'honneur à une réunion parrainée par le gouvernement suisse, à Genève, où l'on m'a demandé d'expliquer les répercussions sur le plan humanitaire d'une éventuelle guerre en Irak. Vingt-neuf pays participaient à cette réunion, notamment le Canada, ainsi que des agences onusiennes, la Croix-Rouge, et d'autres.

    Aujourd'hui, je voudrais dire trois choses. D'abord, les civils irakiens en 2003 sont beaucoup plus vulnérables qu'ils ne l'étaient en 1990. Comme on l'a dit plus tôt, il y a déjà une crise humanitaire en Irak. Deuxièmement, une guerre longue—et j'insiste sur le mot longue—serait absolument catastrophique et engendrerait des pénuries de vivres, la maladie et coûterait la vie à des milliers de personnes. Ceci étant dit, je crois que le scénario le plus plausible, c'est que la guerre sera relativement courte. Il faut nous préparer au pire, mais il faut comprendre les faits et les probabilités plutôt que tomber dans la spéculation et l'alarmisme. Il faut se pencher sur la question et l'examiner de façon éclairée et pratique. Troisièmement, nous, communauté humanitaire, comme certains l'ont déjà dit, ne sommes absolument pas préparés à une guerre et n'avons absolument pas le temps de nous y préparer.

    Au sujet de mon premier élément, les civils irakiens de 2003 sont beaucoup plus vulnérables au choc d'une guerre qu'ils ne l'étaient avant la guerre du Golfe de 1991. Presque tous les indicateurs de l'état de la population civile le prouvent. La mortalité infantile est 2,3 fois plus importante qu'elle ne l'était avant la guerre du Golfe de 1991. Cela signifie environ 60 000 morts supplémentaires par année qui ne seraient pas arrivées sans la guerre du Golfe ou les sanctions imposées à l'Irak. Le taux de mortalité chez les enfants âgés de moins de cinq ans a augmenté de 130 p. 100 dans les 10 dernières années en Irak. C'est l'augmentation la plus importante du taux de mortalité de tous les pays du monde, dans la dernière décennie. Étonnamment, la deuxième place revient au Kenya, avec une augmentation de 25 p. 100 du taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans. Vingt-cinq pour cent des enfants irakiens sont des malnutris chroniques. Treize pour 100, soit environ un demi-million d'enfants, souffrent d'insuffisance pondérale ou de malnutrition aigüe, par rapport à 3 à 5 p. 100, selon les estimations d'avant la guerre du Golfe. On parle donc d'un taux de 38 p. 100 de malnutrition par rapport à 3 à 5 p. 100. Ces enfants sont particulièrement vulnérables à la maladie et sont en danger de mort, s'il devait y avoir une guerre. Le système de soins de santé est anéanti. Les Nations Unies estiment que les médicaments des hôpitaux et des cliniques peuvent durer trois à quatre semaines. Les provisions de nourriture dureront environ un mois. Aucun de ces chiffres ne vient du gouvernement irakien, ce sont tous les chiffres des Nations Unies.

¿  +-(0945)  

    Seize millions de civils irakiens, soit 60 p. 100 de la population totale, dépendent entièrement des rations alimentaires distribuées par le gouvernement. Cela signifie que s'ils ne reçoivent pas ces rations, ils mourront de faim. Ce très haut niveau de dépendance est crucial. Si le système de distribution alimentaire du gouvernement s'effondre, comme cela a déjà été mentionné, la communauté internationale n'est pas en mesure de corriger la situation ou de remplacer ce système. Le système de rations alimentaires permet la distribution de près d'un demi million de tonnes de vivres chaque mois, soit environ quatre fois ce qu'on a envoyé en Afghanistan; la distribution se fait par l'entremise de plus de 45 000 détaillants à l'échelle du pays.

    Si la guerre éclate, le programme d'échange de pétrole contre de la nourriture prendra fin sur le champ ou, à tout le moins, sera suspendu. En fait, la résolution de l'ONU rendra ce programme illégal parce que les superviseurs de l'ONU auront fui le pays en raison du conflit et qu'il est fort probable qu'il n'y aura personne du côté irakien pour voir à la distribution des vivres. Les fournisseurs, par crainte de ne pas être payés, cesseront d'approvisionner l'Irak en nourriture et autres produits, y compris les médicaments.

    Il va sans dire que les civils irakiens sont angoissés, craintifs et dépressifs. Une équipe de pédopsychologues participant à une étude internationale a mené des entrevues en janvier dernier; 40 p. 100 des enfants interviewés ont dit que la vie ne valait pas la peine d'être vécue. Nombreux sont ceux qui ont des cauchemars, et leurs propos sont très révélateurs. Un enfant de cinq ans a dit au pédopsychologue, aussi incroyable que cela puisse paraître: «Ils ont des fusils et des bombes, et l'air sera très froid et très chaud et nous brûlerons tous». Un jeune de 13 ans a dit: «Chaque jour, je crains que nous mourrions tous, mais où pourrais-je aller si je reste seul»? Un autre enfant de cinq ans a dit—imaginez un peu, vous qui avez ou avez eu des enfants de cinq ans—«Ils arriveront du ciel et nous tueront tous et détruiront tout. C'est ce que nous craignons chaque jour et chaque nuit». En somme, les civils irakiens sont épuisés autant physiquement que psychologiquement.

    En cas de guerre, quelles seront les vulnérabilités du point de vue humanitaire? Comme je l'ai indiqué au début, il est important de ne pas tenir pour acquis que c'est le pire qui se produira. Il est fort possible qu'une guerre contre l'Irak t ne dure que quelques semaines et non plusieurs mois. Cela dit, nous devons nous préparer au scénario le plus probable, sinon le pire, et il y a des mesures très précises et pratiques qui doivent être prises dès maintenant pour minimiser l'incidence d'un conflit armé sur les civils. Les aspects les plus vulnérables comprennent manifestement la protection, entre autres choses, et c'est de cela qu'il s'agit véritablement. Il s'agit de protéger les civils, surtout les enfants. Des civils seront pris dans le feu croisé. En 1991, de 10 000 à 50 000  civils ont été tués pendant la guerre et au lendemain de la guerre.

    Dès que la guerre deviendra imminente, la capacité d'intervention de la communauté internationale sera considérablement restreinte car le millier d'employés d'organisations internationales quitteront le pays sur le champ.

    À moins que la guerre ne se prolonge, qu'elle dure des mois plutôt que des semaines, on sera plus susceptible d'avoir un besoin urgent d'aide autre qu'alimentaire,-- et à ce sujet, mon opinion diverge quelque peu de celle de certains de mes collègues—des trousses de premiers soins, des médicaments de base, de vaccins contre la rougeole, d'appareils d'épuration d'eau, des appareils sanitaires, du carburant et d'autres choses, plutôt de vivres. La plupart des familles irakiennes reçoivent d'avance des rations alimentaires depuis les cinq à six derniers mois; la plupart d'entre elles auraient probablement suffisamment de nourriture pour tenir quatre à six semaines.

    Il va sans dire que s'il y a un déplacement massif de population, cela changerait radicalement la situation, y compris en matière de vivres. Si le régime irakien est incapable de poursuivre la distribution de rations alimentaires, il incombera à la communauté internationale de nourrir 26 millions de personnes, dont 16 millions dépendent entièrement de ces rations. Comme je l'ai déjà indiqué, les approvisionnements internes et externes en vivres cesseront sur le champ. C'est ce qui s'est produit en 1991 et qui se produirait cette fois-ci.

    En 1991, les bombes de la coalition ont détruit le réseau électrique qui est passé d'une capacité complète à une capacité de 5 p. 100. Si l'on cible encore une fois les installations électriques, le conflit se jouera aussi chez les civils, comme ça été le cas en 1991. Nous assisterons aux mêmes problèmes. Les pannes d'électricité entraîneront immédiatement l'arrêt de l'approvisionnement en eau et des équipements sanitaires, l'interruption des soins de santé, ainsi que des pannes d'électricités dans les foyers. On manquera vite de combustible dont on aura un besoin urgent.

¿  +-(0950)  

    On a déjà parlé des pièces d'artillerie, telles que les bombes à dispersion, les mines terrestres et l'uranium appauvri et de l'incidence psychologique qu'elles auront sur la population civile. Si War Child décide de jouer un rôle en Irak après la guerre, ce sera probablement dans le domaine du soutien psychologique et du counselling post-traumatique.

    Quelle que soit la décision du Canada concernant une éventuelle participation militaire, le temps est venu de déclarer notre ferme engagement à participer aux efforts humanitaires. À Genève, les pays, l'ONU et les ONG présents ont unanimement affirmé que, maintenant que nous avons des plans d'urgence, le temps est venu d'amorcer les préparatifs, de prévoir des vivres et d'autres biens, de prendre des mesures d'urgence car nous avons déjà perdu un temps précieux et qu'il ne nous en reste pratiquement plus. Le Canada devrait de toute urgence s'engager à accorder un financement important au plan d'urgence de l'ONU et des ONG. L'ONU vient de lancer un appel pour trouver 123 millions de dollars et a demandé au Canada d'envisager un octroi de 4 millions de dollars. Chaque jour compte.

    Le Canada doit aussi exiger que les deux camps dans ce conflit respectent le droit humanitaire international, comme l'a déjà souligné Oxfam. Le Canada devrait aussi encourager les Nations Unies à traiter en détail des conséquences humanitaires de toute guerre dans toutes ses discussions politiques. L'intervention humanitaire doit être coordonnée par la communauté internationale, par l'ONU, et non par les États-Unis. Comme l'a dit John Watson, le Canada devrait participer dès maintenant aux préparatifs en vue des procédures judiciaires et des rajustements qu'il faudra apporter au programme pétrole contre nourriture afin qu'il puisse se poursuivre pendant et après le conflit.

    Enfin, le Canada doit saisir cette occasion de faire preuve d'un véritable leadership, quelle que soit la position que nous adopterons au bout du compte relativement aux aspects politiques ou militaires de cette crise. Ce leadership en matière d'aide humanitaire, autant au niveau de la planification d'urgence que des secours d'après-guerre, serait tout à fait conforme avec l'opinion publique et les valeurs canadiennes.

    Merci.

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Hoskins.

    Je tiens à vous remercier tous et chacun pour les remarques que vous venez de nous faire. Elles sont très à point, parce qu'hier notre ambassadeur accrédité aux Nations Unies, dans son allocution lors du débat ouvert au Conseil de sécurité, disait et je cite:

La crise ne porte pas que sur les armes de destruction massive.Elle concerne aussi les personnes, particulièrement le peuple iraquien, qui a déjà subi, sous la férule de Saddam Hussein, deux guerres et une décennie de sanctions. La situation humanitaire dans ce pays est déjà grave.Soixante pour cent de la population dépend, pour son alimentation, du Programme pétrole contre nourriture.Les enfants et les personnes âgées sont particulièrement vulnérables, et il faut les protéger[...] Le gouvernement du Canada demande instamment à tous les membres du Conseil de garder le bien-être du peuple iraquien au coeur de leurs délibérations.

    C'est une partie du discours qu'a prononcé hier notre ambassadeur.

    Nous allons maintenant passer aux questions et réponses.

[Traduction]

    Monsieur Day, vous avez la parole pour cinq minutes.

+-

    M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Je remercie chacun d'entre vous pour le travail extraordinaire que vous accomplissez et, d'avance et malheureusement, pour le travail que vous accomplirez à l'avenir, qu'il y ait guerre ou non. Nous voulons tous éviter cette guerre, et il est possible de l'éviter. Une intervention militaire doit toutefois rester possible comme dernier recours parce qu'en l'occurrence, nous avons affaire à un dictateur tordu, coupable de meurtres en série, qui n'a que le mensonge à la bouche et qui continuera de tuer, de mutiler et de détruire. Nous savons déjà que des milliers d'enfants meurent. Le taux de mortalité est absolument inacceptable. Ce pays, qui fait l'objet de sanctions qui sont, bien sûr, régulièrement violées surtout par la France et la Syrie, a un PIB élevé et consacre des centaines de millions de dollars à la construction de palais et à l'achat d'armes. Le taux de mortalité y est plus élevé que dans des pays dont le revenu est loin d'être comparable à celui de Saddam Hussein. Certes, nous voulons éviter la guerre. Cela dit, nous devons certainement faire davantage du côté humanitaire et mieux nous préparer.

    J'aimerais demander à M. Culpeper, compte tenu de ses observations sur la guerre, si le Canada a eu tort de participer à l'intervention au Kosovo?

¿  +-(0955)  

+-

    M. Roy Culpeper: En ce qui concerne la protection des droits des peuples, le droit international reste un peu flou, mais cela ne veut pas dire qu'il faut démanteler le cadre qui existe présentement.

+-

    M. Stockwell Day: Je suis d'accord avec vous. Mais le Canada a-t-il eu tort d'intervenir au Kosovo, à votre avis?

+-

    M. Roy Culpeper: D'un côté comme de l'autre, il y a de bons arguments. Pour ma part, cela ne m'a pas plu et, tout bien considéré, il aurait été préférable que l'ONU en vienne à adopter une position qui aurait justifié l'intervention dans des pays souverains afin de protéger la population. Nous devons nous demander pourquoi le Kosovo et pas le Rwanda? Quelque 800 000 personnes ont perdu la vie lors du génocide au Rwanda, et nous n'avons rien fait.

+-

    M. Stockwell Day: Vous avez raison. L'ONU a failli lamentablement à son devoir au Rwanda, et ce, même si notre général l'a supplié d'intervenir. L'ONU n'a pas voulu non plus intervenir au Kosovo, et nous avons dû agir sans son appui pour libérer ce pays du monstre Milosevic qui était quand même moins pire que Saddam Hussein. Il n'avait pas les mêmes armes chimiques de destruction massive ni autant de morts que Saddam Hussein à son actif.

    Je vais poser mes questions rapidement et je vous saurai gré de répondre par oui ou non. Vous avez parlé de la réapparition des Talibans en Afghanistan: devrions-nous permettre cela? Vous avez aussi fait mention d'Israël et de la Palestine.Que pouvons-nous faire pour empêcher Saddam Hussein de financer les attentats suicides, ce qu'il a reconnu? Vous avez souligné l'importance d'appuyer des régimes démocratiques et non autocratiques.Que pouvons-nous faire pour souligner qu' Israël est une démocratie entourée de dictatures? Comment empêcher l'Arabie Saoudite de financer al-Qaïda, al-Aqsa et le Hamas?

+-

    M. Roy Culpeper: Vous avez posé des questions auxquelles je ne peux répondre simplement par oui ou par non.

    Il m'apparaît urgent d'examiner comment apporter la paix et la démocratie dans des pays sous la férule d'autocrates tels que l'Arabie Saoudite, que nous considérons comme un allié, et nous devrions commencer par cesser de les appuyer. Il n'y a pas si longtemps, nous soutenions Saddam Hussein lui-même—c'est un fait bien connu. D'ailleurs, Donald Rumsfeld est allé en Irak en 1983, à titre de représentant de l'administration Reagan, pour discuter d'une alliance stratégique entre les États-Unis et l'Irak. Maintenant, ses efforts vont dans le sens opposé. Nous devons être cohérents et nous fonder sur les principes qui ont pour objectif l'édification de la démocratie, le respect des droits de la personne, la justice sociale et le développement. Si nous partons de ces principes et que nous cessons de choisir toujours la mauvaise voie—ne fais pas de tort—, nous pourrions réaliser des progrès.

+-

    M. Stockwell Day: Mais qu'en est-il des Talibans? Heureusement, il y a eu une grande libéralisation en Afghanistan, mais ce pays a encore beaucoup de défis à relever. Devrions-nous permettre ou freiner cette résurgence des Talibans?

+-

    M. Roy Culpeper: Je crois que ce que le Canada a fait en Afghanistan est tout à fait méritoire, et qu'il est formidable que nous y retournions, mais ce n'est pas avec un fusil qu'on instaure la démocratie, la paix et la justice. Dans le cas de l'Afghanistan, si on veut vraiment contribuer à la stabilité de ce pays, il faut appuyer le développement. L'Afghanistan a demandé 15 milliards de dollars; on s'est engagé à lui en verser 5 milliards, et jusqu'à maintenant,elle n'a reçu qu'un 1,8 milliards. Manifestement, ça ne va pas, et tant que nos objectifs ne s'accompagneront pas de véritables ressources pour édifier la paix, comme on le fait pour la guerre, il est certain que nous perdrons la bataille.

[Français]

+-

    Le président: Thank you.

    Madame Lalonde, s'il vous plaît.

+-

    Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Monsieur le président, merci. Je dois me retenir. Je n'ai que cinq minutes, mais je suis très animée.

    Merci pour vos exposés très troublants. Je suis certaine qu'il est infiniment difficile de parler de ce que vous venez de nous décrire en n'insistant pas sur l'horreur. Vous dites qu'il faut prendre des positions indépendantes des positions politiques que le Canada prendra. J'ai bien du mal face à cela.

    J'ai quelques questions à vous poser. Voici la première. J'ai lu et entendu que le Pentagone envisageait comme stratégie--et l'objectif de cette déclaration n'a pas été nié--d'envoyer, pendant les 48 premières heures, 3 000 bombes sur les palais qui sont dans Bagdad et d'envoyer ensuite les troupes. N'est-ce pas un scénario d'horreur qui se traduirait par la destruction de ce qui reste d'infrastructures et qui produirait toutes les conséquences dont vous avez parlé?

    Deuxièmement, M. Watson, de CARE Canada, a dit, et j'ai lu son texte en l'écoutant:

Même si les belligérants font preuve de retenue, il existe toujours la possibilité que des substances toxiques ou radioactives soient libérées dans l'air de façon accidentelle.

    J'ai aussi vu le rapport de l'IISS, il y a quelques mois, qui disait que la libération, d'une manière ou d'une autre, de ces substances, si elles existent, constituait un danger.

À  +-(1000)  

[Traduction]

+-

    M. John Watson: Oui, cela nous inquiète beaucoup. Des quantités assez importantes de ces substances existaient en effet. Nous ignorons si elles existent encore ou non; aucun document prouvant leur destruction n'a été trouvé. Si ces substances sont libérées dans le cadre d'un conflit, ce sera terrible. Si elles sont libérées accidentellement pendant le conflit, ce ne serait peut-être pas aussi grave. Mais ce que je tiens à souligner, c'est qu'aucun organisme humanitaire ne sera disposé à intervenir en présence de substances chimiques, biologiques ou nucléaires. Nous n'avons tout simplement pas la formation ni l'équipement nécessaires. À mon avis, il faudra combler cette lacune, mais cela prendra plusieurs années.

    Par ailleurs, toujours en ce qui a trait aux armes nucléaires, biologiques et chimiques, notre stratégie est de nous concentrer sur les Irakiens qui sont sur place, pour diverses raisons, la pauvreté, la difficulté à se déplacer, etc. J'ai travaillé en Irak, sur le terrain, pendant longtemps, et la meilleure façon pour moi de savoir ce qui s'y passera, c'est ce que font nos employés. Nos employés restent sur place, ils resteront même en cas de guerre. Je présume que c'est ce que feront l'ensemble des travailleurs du secteur humanitaire. Si des substances chimiques, biologiques ou nucléaires sont libérées, ce sera chacun pour soi. Les gens s'enfuiront. Le contexte après-guerre sera encore plus sombre sur le plan humanitaire.

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde: Vous semblez ne pas vous contredire. Vous demandez qu'on fasse des changements afin que le Programme pétrole contre nourriture puisse continuer pendant le conflit et après. Pouvez-vous nous en parler davantage? Peut-on penser que des travailleurs humanitaires resteraient là pendant le conflit, ou si c'est pour préserver le système qui existe actuellement? Je ne comprends pas comment cela pourrait fonctionner.

[Traduction]

+-

    M. John Watson: Le programme pétrole contre nourriture est en fait géré par le gouvernement irakien, et non par les organismes humanitaires. Il faut beaucoup de temps pour mettre sur pied un programme de ce genre et il exige une énorme organisation. Si on ne peut préserver ce programme sur le terrain, aucune agence de l'extérieur ne pourra le remplacer. Le danger qu'on court, c'est de créer une situation semblable à celle qui s'est produite en Afghanistan. Il est dangereux de croire que des vivres peuvent véritablement répondre aux besoins humanitaires. Les vivres servent surtout à donner aux citoyens de pays comme le Canada et les États-Unis le sentiment qu'ils sont généreux, qu'ils font une bonne action. Imaginez que la province de l'Ontario ne soit plus approvisionnée en nourriture et qu'elle doive dépendre de colis largués par des avions pour remplir les rayons des dépanneurs. C'est de cela qu'il s'agit, car en Irak, l'équivalent des dépanneurs, ce sont ces distributeurs de vivres. Si ce système est perturbé, les catastrophes qui s'ensuivront seront incommensurables.

À  +-(1005)  

[Français]

+-

    Le président: Merci, monsieur Watson.

[Traduction]

    Je cède maintenant la parole à M. Eggleton.

+-

    M. Art Eggleton (York-Centre, Lib.): Je remercie les témoins d'être venus. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'on doit tout faire pour éviter la guerre. Comme l'a si bien dit M. Culpeper, dans les circonstances actuelles, la guerre n'est pas justifiée.

    Je conviens aussi avec vous tous que, si cette guerre est déclenchée, nous ferons face à une catastrophe humanitaire. Quand on parle de guerre, bien des gens pensent à ceux qui seront blessés ou tués par les bombes autrement dit, à ce qu'on appelle en termes militaires les dommages collatéraux. Mais vous évoquez la possibilité qu'il y ait des milliers, voire des millions de gens qui mourront de faim ou de maladies découlant du manque d'eau potable et d'équipements sanitaires. Nous n'en savons pas assez sur cette possibilité. Vous avez raison de dire que le Canada devrait insister auprès des Nations Unies pour que l'on tienne compte de la situation humanitaire qui découlera de la guerre, si guerre il y a, un sujet qu'on semble vouloir passer sous silence. Notre comité devrait insister là-dessus, puisque 60 p. 100 de la population irakienne dépend des rations alimentaires distribuées par le gouvernement et qu'une perturbation de ce système de distribution provoquée par la guerre entraînera inévitablement une crise dont nous ne pouvons imaginer l'ampleur. J'ignore combien il y a d'enfants parmi ces 16 millions d'Irakiens. Cela m'intéresserait de le savoir.

    Je voudrais m'attacher maintenant à la période du conflit armé comme tel. Les ONG sont déjà en Irak, et je présume qu'elles y retourneraient après la guerre, mais que se passera-t-il pendant le conflit même? Les vivres aérotransportés seront peut-être insuffisants, mais il se peut fort bien que ce soit les seuls qu'auront les Irakiens. Partons de l'hypothèse que le Canada ne prendra pas part au conflit en Irak—comme nous serons très occupés en Afghanistan, je ne crois pas que nous pourrons y participer. Ça signifie qu'il incombera aux Américains ou aux Britanniques ou à quiconque sera là de régler la question des vivres d'une façon ou d'une autre. Y a-t-il d'autres solutions? Y a-t-il d'autres façons d'assurer un approvisionnement en nourriture ou en eau potable?

    J'ai aussi une question sur la durée d'une guerre éventuelle. Manifestement, plus la guerre est longue, pire c'est. M. Hoskins, vous avez dit qu'il se pourrait que cette guerre ne dure que quelques semaines, et non pas des mois. Mais le fait est que nous ne savons pas combien de temps le conflit durera. Si la guerre est déclenchée, j'imagine qu'il y aura des bombardements pendant un certain temps pour affaiblir l'ennemi, endommager l'infrastructure—délibérément ou non, cela endommagera aussi l'infrastructure civile. Puis, les soldats arriveront sur le théâtre et feront face à une certaine résistance. Cela pourrait prolonger la guerre. Mais quelle que soit la durée du conflit, que ce soit des semaines ou des mois, je n'ai pas l'impression que la population irakienne pourra tenir longtemps sans souffrir de la famine, de maladies qui causeront des milliers sinon des millions de morts.

    J'aimerais avoir vos observations là-dessus.

+-

    Le président: Docteur Hoskins, vous avez la parole.

+-

    Dr Eric Hoskins: Pour tenter de déterminer la durée éventuelle de cette guerre, celle de 1991 peut servir de repère. Ce conflit a duré 42 jours. Toutefois, cette guerre a été menée de façon telle qu'elle a eu des conséquence dévastatrices. La guerre a fait des victimes directes, mais il y a eu aussi un grand nombre de victimes indirectes, des enfants et des personnes âgées qui ont bu de l'eau contaminée, par exemple. L'eau potable a été contaminée par suite de la destruction des installations électriques. Pour l'hygiène et l'eau, on dépend de l'électricité en Irak. Des dizaines de milliers d'enfants—certains, y compris moi-même, parleraient même de centaines de milliers—mourront tout simplement des suites d'une diarrhée qui n'aura pas été traitée. Déjà, 70 p. 100 des enfants irakiens meurent d'une maladie respiratoire ou diarrhéique. Ce sont les maladies de la pauvreté. Par conséquent, même une guerre de courte durée pourrait avoir de graves conséquences, selon la façon dont elle est menée. Pour ma part, j'ai l'impression que cette guerre sera plutôt de courte durée, toutefois...

À  +-(1010)  

+-

    M. Art Eggleton: Qu'entendez-vous par là?

+-

    Dr. Eric Hoskins: Je crois qu'elle durera des semaines plutôt que des mois.

    Mais même si elle est de courte durée, la guerre de 1991 nous a appris qu'un conflit de courte durée peut avoir de graves répercussions physiques et psychologiques. Même s'il y a un risque de 5 p. 100 ou de 10 p. 100 que cette guerre dure des mois plutôt que des semaines, ce que je crains, c'est que le conflit ait une incidence sur toute la région, s'il y a recours aux armes biologiques ou chimiques ou s'il y a un déplacement massif de populations. La seule chose qui est sûre dans une guerre, c'est la façon dont elle commence; on ne sait jamais comment elle se terminera. C'est aussi vrai en l'occurrence.

    Comme je l'ai indiqué, si la guerre est plutôt courte, ce n'est pas tellement du côté alimentaire qu'on en ressentira les effets. En 1991, les sanctions interdisaient l'importation de toutes denrées alimentaires pendant huit mois, et ce, dans un pays qui importe normalement 70 p. 100 de sa nourriture. La guerre a duré six semaines. Malgré cela, il y a malnutrition, mais très peu de cas de famine. Je le répète, tout dépend de la durée du conflit. On dispose actuellement d'une petite quantité de nourriture. Si la guerre est courte, l'essentiel sera de remettre sur pied le système de distribution des rations alimentaires qui représente un demi-million de tonnes de nourriture.

    John a indiqué que les employés de CARE qui, soit dit en passant, ont une double nationalité, resteront fort probablement en Irak. Mais il importe de bien comprendre ce que cela signifie. Les quelque 1 000 employés de l'ONU seront évacués d'Irak. Il n'y a qu'une poignée d'ONG internationales sur place; les plus courageux sont peut-être les employés de CARE et il est fort probable qu'ils resteront en Irak, pour toutes sortes de raisons.

    Enfin, en ce qui a trait aux armes biologiques et chimiques, ce n'est pas uniquement leur utilisation qui est inquiétante, c'est la menace ou la rumeur voulant qu'on y ait recours qui peut avoir des conséquences désastreuses. Si, à Bagdad, la rumeur court qu'on se servira d'armes chimiques, des milliers de personnes quitteront la ville. Il n'y a pas un seul organisme de l'ONU ou une seule ONG au monde qui, comme l'a dit John, mettra son personnel en péril et qui fera fi de la menace d'un recours aux armes biologiques ou chimiques.

+-

    Le président: Merci, docteur Hoskins.

    Madame McDonough, vous avez la parole.

+-

    Mme Alexa McDonough: Merci, monsieur le président.

    Je tiens aussi à remercier les témoins de nous avoir fait prendre conscience d'une réalité choquante.

    Je suis heureuse, docteur Hoskins, que vous ayez précisé votre pensée sur la durée de la guerre, car ce qui ressort de votre témoignage et d'autres, c'est que la guerre en Irak, qu'on peut décrire comme ayant été de courte durée, s'est dans les faits poursuivie pendant les douze années qui ont suivi et se poursuit encore, en quelque sorte, compte tenu de ses répercussions.

    Il est évident que le monde n'est pas prêt à faire face à une crise humanitaire en Irak; les Nations Unies l'ont reconnu et vous nous l'avez confirmé. Les intentions des Américains sont très claires. Elles font la une des journaux : les États-Unis ont l'intention de réduire en ruine l'infrastructure de l'Irak en moins de trois jours. J'aimerais donc vous poser une question sur laquelle notre comité doit se pencher. Étant donné que la participation à la destruction de l'infrastructure en trois jours constituerait un crime de guerre et que le Canada a signé des traités dans lesquels il s'engage à ne pas prendre part à de tels agissements, comment faire face à cette contradiction fondamentale qui fait que le Canada envisage la possibilité de participer à cette guerre tout en se disant préoccupé par ses effets sur la population civile? Je sais que c'est une question tendancieuse, mais notre comité devra absolument en débattre. Du point de vue moral et juridique, aux termes du droit international, c'est un acte criminel pour le Canada que de participer à une action dont les répercussions sont absolument prévisibles. Sachant ce que vous savez à ce sujet, que conseillez-vous à notre comité qui devra formuler des recommandations au gouvernement quant à la participation du Canada dans ce conflit?

À  +-(1015)  

+-

    Le président: M. Watson suivi de M. Fried.

+-

    M. John Watson: Je pense que le droit international sur la guerre est important. Mes propos peuvent paraître étranges de la part d'un représentant d'organisme humanitaire, mais les modalités de la guerre sont importantes. Ce qui a changé le plus depuis la dernière guerre, c'est sans doute la proportion des munitions qui sont désormais suffisamment perfectionnées au plan technologique pour être parfaitement ciblées. On a beaucoup entendu parler des bombardements de précision. Croyez-moi, d'après notre expérience en Afghanistan, les bombardements sont précis, mais largement indiscriminés. Cela devrait suffire à envisager des pressions morales auprès des autorités militaires. En 2003, les dommages collatéraux ne sont pas ce qu'ils étaient en 1991. Je ne pense donc pas qu'on puisse accepter que les infrastructures soient réduites à l'état de ruine. Cela n'a aucun sens. Il y a certainement des ONG qui travaillent auprès des autorités militaires américaines pour les sensibiliser à ce qui est illégal. Pour qu'on puisse détruire les infrastructures, il faut qu'elles aient un rapport direct avec le conflit. On ne peut pas effectuer gratuitement de bombardements, même de précision, sur des infrastructures qui sont uniquement au service des civils.

    Du côté humanitaire, on a parfois tendance à voir les choses de trop près. Ce qu'il importe avant tout de reconnaître, c'est que l'Irak est une société urbaine très élaborée. Ce n'est pas comme l'Afghanistan. En Afghanistan, cinq millions de personnes avaient quitté le pays; on avait une population rurale très aguerrie, habituée à des conditions de vie pénibles, à laquelle l'État ne donnait depuis vingt ans que des motifs de désolation. En Irak, on trouve une population urbaine, une classe moyenne, peut-être pas selon nos critères, mais en tout cas par rapport aux populations avec lesquelles nous travaillons; la population irakienne est très dépendante des structures étatiques qui, je le souligne, sont gérées très efficacement. On peut juger contradictoire d'avoir d'un côté un sinistre dictateur et de l'autre, une population qui va chercher la nourriture dont elle dépend au magasin du coin, grâce à un programme gouvernemental, mais c'est bien la situation telle qu'elle se présente à nous. Il faut donc veiller à ce que ce programme gouvernemental soit préservé sur le terrain, à défaut de quoi on se dirige vers une catastrophe.

+-

    M. Mark Fried: J'ajouterais simplement que le comité a la possibilité de veiller à ce que le Canada soit prêt à défendre le droit humanitaire international et à faire pression auprès de la communauté internationale: Il pourrait faire comparaître des fonctionnaires du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères pour les interroger sur leurs préparatifs, et pour veiller à ce que, pour le cas où les Forces armées canadiennes seraient entraînées dans ce conflit, elles aient conscience des conséquences juridiques et morales auxquelles les expose cette participation.

+-

    Le président: Merci.

    Nous passons à M. Harvard. 

+-

    M. John Harvard (Charleswood—St. James—Assiniboia, Lib.): Merci, monsieur le président.

    J'aimerais poser quelques questions à M. Hoskins. À ce propos, monsieur Hoskins, on m'a parlé du travail extraordinaire que vous avez réalisé pour Lloyd Axworthy. Vous êtes un grand Canadien. Personne ne peut en douter.

    Vous nous avez donné des chiffres très inquiétants sur la catastrophe humanitaire qui existe déjà en Irak, avant même le déclenchement éventuel d'une guerre. J'aimerais savoir où vous avez obtenu ces chiffres. Ce matin même, je me suis entretenu avec un collègue député qui essayait de déterminer combien le gouvernement fédéral a d'employés. Il nous disait qu'il ne parvient pas à le savoir, car il trouve des chiffres, mais qui sont plus ou moins contradictoires. J'aimerais donc savoir comment vous avez obtenu ces renseignements sur l'Irak. Je ne doute pas un seul instant de ce que vous nous dites, mais j'aimerais savoir d'où cela vient.

    Ma question essentielle est la suivante: nous qui sommes les colombes, qui ne voulons pas de guerre et qui pensons que ce qui se passe en Irak ne justifie pas une guerre, nous disons aux faucons, aux va-t-en-guerre, qu'ils ont la responsabilité de reconnaître que cette guerre risque d'occasionner des tueries, de causer une catastrophe humanitaire, des famines, et de déstabiliser politiquement cette partie du monde. Dieu sait où cela risque d'entraîner cette région, voire le reste de la planète. Nous leur disons que c'est leur responsabilité. Mais c'est nous que ma question concerne: quelle est notre responsabilité? Vous nous dites que vous êtes allé en Irak à plus de 20 reprises et que vous y avez recueilli cette information concernant la catastrophe humanitaire qui s'y déroule déjà. Avez-vous déjà constaté, en vous déplaçant dans le pays, qu'il pouvait y avoir un changement politique déterminant sans recours à la guerre? Ou bien, en est-on réduit à craindre qu'un homme comme Saddam Hussein puisse se maintenir au pouvoir tant qu'il restera en vie? Cette situation, qui remonte à la guerre du Golfe, dure depuis 12 ans. Je ne prétends pas que l'action des Nations Unies ou de qui que ce soit d'autre ait porté fruit. Quelle responsabilité devons-nous assumer, au-delà de notre dénonciation de la guerre et de ses conséquences?

    Voilà mes deux questions.

À  +-(1020)  

+-

    Dr Eric Hoskins: Il est plus facile de répondre à la première qu'à la deuxième. Je vous en remercie.

    Les données de psychologie que nous avons présentées il y a quelques semaines sont relativement modestes. Deux pédopsychologues norvégiens se sont rendus en Irak à cinq reprises à la tête d'une équipe internationale de spécialistes des conséquences psychologiques de la guerre sur les enfants. Ils se sont rendus directement dans une bonne centaine de foyers, sans la présence de fonctionnaires irakiens, comme nous avons pu le faire quand nous sommes allés en Irak avec nos propres interprètes. Ils ont également fait un sondage sur la santé mentale auprès de 200 élèves âgés de 12 ans, mais leurs visites dans les foyers ont été particulièrement fructueuses. Ils ont pu s'entretenir avec des enfants de 4 ou 5 ans, comme vous avez pu le voir, ainsi qu'avec des jeunes et des parents.

    En 1991, j'étais le coordonnateur de la mission précédente, qui était beaucoup plus étoffée. L'information que nous avons recueillie à l'époque résultait de la présence de 80 experts provenant de 20 pays différents, et nous avions visité 9 000 foyers dans 300 localités différentes. Je suis épidémiologiste de formation et je figure certainement parmi les plus sévères en matière d'analyse de données. Nous avons évalué plus de 15 000 enfants et interviewé plus de 9 000 femmes, en toute indépendance; les résultats de cette étude ont prouvé leur fiabilité au fil des années.

    Quant à votre deuxième question, la difficulté vient de ce qu'on ne peut pas séparer le politique de l'humanitaire. La protection des civils, dont le Canada s'est fait le champion depuis des années, notamment ces dernières années auprès des Nations Unies et du Conseil de sécurité, est une question essentielle. C'est le ciment qui unit tous les êtres humains. Ce que je dis peut paraître banal, mais chacun a le devoir suprême de faire preuve de compassion et de s'efforcer de protéger les civils, particulièrement les enfants, qui sont les plus vulnérables, face à tous les dangers, y compris la guerre. Comme d'autres l'ont parfaitement expliqué, nous avons des obligations juridiques internationales, mais avant tout, notre souci commun d'humanité nous impose de tout mettre en oeuvre pour protéger les plus vulnérables. Sinon, nous perdons quelque chose d'important dans l'évolution de notre civilisation.

    En ce qui concerne le changement en Irak, je suis un peu mal à l'aise—et c'est ce à quoi M. Day a fait référence tout à l'heure—de voir que ces dernières semaines, on a commencé à invoquer la nécessité d'intervenir au plan humanitaire pour justifier un conflit en Irak. Cet argument a été repris récemment par Tony Blair. La justification avancée jusqu'à maintenant, c'était que l'Irak constituait une menace pour le reste du monde, et non pas pour sa propre population. C'est aussi une question de cohérence. Si nous sommes motivés par la nécessité d'un changement politique en Irak au profit des civils irakiens, il faut que ce souci concerne le monde entier. Les Irakiens peuvent-ils s'accommoder d'un régime aussi oppressant? Croyez-moi, j'ai des raisons personnelles de mépriser le régime irakien actuel. Il convient de se demander si les risques d'un conflit pour la population civile ne sont pas d'une gravité telle qu'il nous empêche de prendre une décision susceptible d'entraîner un conflit militaire si, en réalité, notre argument porte sur une intervention humanitaire visant à protéger le peuple irakien de ses dirigeants.

À  +-(1025)  

+-

    The Vice-Chair (Hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)): Monsieur Martin.

+-

    M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Je vous remercie tous de votre présence parmi nous.

    Je considère qu'une intervention précipitée en Irak sera préjudiciable à notre sécurité, pour les différentes raisons auxquelles vous avez tous fait allusion. Quelles autres possibilités s'offrent à nous si nous voulons garantir notre sécurité et celle de nos alliés tout en limitant le problème? L'endiguement est-il notre seule possibilité, ou existe-t-il d'autres options qui nous permettraient de satisfaire notre besoin de sécurité et celui de nos voisins?

    Monsieur Hoskins, pouvez-vous nous donner des précisions sur le conflit et sur l'après-guerre? Qui va faire la distribution, selon quelles modalités, et que va-t-on distribuer? Vous avez très bien exprimé certains besoins, mais pourriez-vous nous donner des précisions?

    Enfin, certaines sanctions se sont progressivement atténuées. Je crois savoir que le compte de garantie bloqué contient désormais plusieurs milliards de dollars. Le problème, c'est que Saddam Hussein s'est servi de cet argent pour s'acheter des palais présidentiels et un certain nombre de choses superflues. Est-ce vrai, et dans l'affirmative, comment faire en sorte que cet argent serve aux infrastructures, aux techniques sanitaires, aux services médicaux et aux produits agricoles dont la population a besoin?

+-

    La vice-présidente (Mme Diane Marleau): À vous, monsieur Culpeper.

+-

    M. Roy Culpeper: J'aimerais aussi répondre à M. Harvard, car il soulève des questions très importantes concernant la meilleure façon d'assurer la transition vers la démocratie face à des régimes féroces et brutaux. Évidemment, ce ne sera pas facile, il va falloir s'armer de patience, mais n'oublions pas que nombreux sont ceux qui ont exprimé depuis longtemps leur opposition à Saddam Hussein, même du temps où il était considéré non pas comme un ennemi mais comme un allié. Il faudrait être plus attentif aux propos d'Amnistie internationale et de ceux qui critiquent les régimes peu respectueux des droits de la personne, comme le régime irakien. Peut-être pourrait-on faire appel aux Nations Unies et à son organisme de surveillance des droits de la personne, qui pourraient indiquer si le respect des droits de la personne progresse en Irak.

    À plus long terme, si l'on veut favoriser le passage à la démocratie, il va falloir s'engager auprès de la société civile. Pensons à des pays comme l'Afrique du Sud ou la Chine: ils ont suivi un long chemin qui les a fait passer d'un régime totalitaire assez brutal à un régime beaucoup plus ouvert, plus libéral, plus respectueux des droits civils et des droits de la personne. Il a fallu pour cela un engagement à travers la société civile. Le changement a aussi été favorisé par le commerce. Il fut un temps où je contestais les échanges commerciaux avec les régimes peu respectueux des droits de la personne, mais on a maintenant la preuve qu'en commerçant avec des pays totalitaires, on peut entrer en contact avec les éléments les plus libéraux de la société civile, qui sont conscients de la valeur du respect des droits de la personne. Quoi qu'il arrive en Irak, je souhaite ardemment qu'on envisage une interaction avec la société civile de ce pays. Il faudrait envisager d'éduquer les Irakiens, comme nous éduquons les Chinois, par exemple, pour favoriser cette transition.

    Le changement ne sera pas immédiat, et il devra venir de l'intérieur. Contrairement aux Américains, je ne pense pas qu'il soit possible de parachuter à Bagdad un proconsul du genre de MacArthur qui assurera la transition vers la démocratie. Il faut réfléchir dès maintenant, à plusieurs niveaux, aux différentes étapes du processus et élaborer des stratégies à long terme pour assurer le passage à la démocratie, car cette réflexion n'a encore jamais été entreprise, pas plus au niveau politique qu'au niveau de la recherche.

    Pour en revenir à la question de M. Martin, je pense que l'endiguement est une option viable et souhaitable. Pendant la Guerre froide, il nous a protégés efficacement de l'Union soviétique pendant 50 ans. Pourquoi ne serait-il pas applicable à l'Irak, qui est beaucoup moins puissant? Si l'Irak s'en prend à nous, l'issue du conflit ne fera aucun doute. Je pense donc que par rapport aux conséquences catastrophiques d'une guerre, l'endiguement offre une possibilité tout à fait intéressante, aussi bien pour les Irakiens que pour la région et pour l'ensemble de la planète.

À  +-(1030)  

+-

    La vice-présidente (Mme Diane Marleau): Merci.

    Madame Redman.

+-

    Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, madame la présidente. Ma question va dans le même sens que celle de M. Harvard.

    Je vous remercie tous de vos exposés et de votre excellent travail mais je dois vous dire que dans tout cela—et il y a là abondamment matière à réflexion, c'est très troublant—ce sont les commentaires du Dr Zurbrigg qui m'inquiètent le plus, quant elle décrit le système de distribution des aliments comme un système quasi idéal, alors qu'en parallèle il y a un service médical en décomposition et toute cette incidence des maladies respiratoires et de la diarrhée dont bien d'autres personnes ont parlé.

    Je trouve intéressant d'entendre M. Culpeper parler d'endiguement. Le président Havel a parlé au précédent Parlement du rôle que les gouvernements ont légitimement de protéger les droits humains. Je ne pense pas que les recommandations que votre comité pourra présenter feront pencher la balance dans la décision du Canada de prendre éventuellement part à une guerre. J'espère que la guerre n'est pas inévitable, et je ne me porte pas en défenseur des Américains, car on s'est posé des quantités de questions sur leurs véritables motifs, mais je pense que si les troupes américaines n'entouraient pas l'Irak actuellement, je crois que nous serions beaucoup moins sensibilisés à une crise terrible qui dure depuis 12 ans. Comment la communauté internationale peut-elle éviter de recourir à la menace de la guerre, quelle que soit sa motivation, si elle veut avoir un poids suffisamment efficace pour faire en sorte que l'Irak ou l'Afrique ou n'importe quel autre pays puisse sortir de sa misère effroyable?

+-

    La vice-présidente (Mme Diane Marleau): Docteure Zurbrigg.

+-

    Dre Sheila Zurbrigg: Je ne suis pas une experte en armes de destruction massive ou en inspections. Je crois qu'il y a déjà des procédures en place, des inspections des armements, qui constituent des dispositifs crédibles de gestion des problèmes internationaux de sécurité. Je ne crois pas que Hans Blix ou les autres inspecteurs se livreraient à cet exercice s'ils n'étaient pas convaincus qu'il est crédible. Cela ne permet peut-être pas d'avoir des réponses absolues, mais si c'est un processus d'inspection continu et permanent, il peut permettre de régler les problèmes de sécurité régionaux et internationaux.

    Est-il vraiment nécessaire de recourir à la menace en entourant le pays de troupes? C'est une question morale délicate. Je l'aborderai sous un autre angle. Est-ce que la guerre elle-même accroît notre sécurité, est-ce qu'elle accroît la légitimité et la crédibilité du régime international, du régime des Nations Unies? Si cette guerre a lieu, elle sapera profondément la crédibilité et la légitimité du régime des Nations Unies et du droit international, et notre propre crédibilité si nous y participons. Je ne veux pas éluder votre question, mais je pense qu'il faut voir les choses sous cet angle. D'autres voudront peut-être vous répondre plus directement.

    J'aimerais revenir sur la réalité à laquelle nous sommes confrontés. En tant qu'historienne de la famille et de la santé, je connais bien la logistique de la guerre et je sais très bien comment elle provoque un chaos qui peut très facilement enrayer toutes les chaînes d'approvisionnement alimentaires. En Irak et dans n'importe quelle société, les enfants meurent de faim en deux à trois semaines. Les adultes, qui ont une masse corporelle plus importante, mettent quatre à six semaines avant de mourir de faim. Que se passe-t-il au bout de six semaines? Nous n'avons pas la réponse à cette question. Donc, si nous voulons avoir une quelconque légitimité internationale en matière de droits de la personne, nous avons le devoir de répondre à cette question. Nous devrions tous pouvoir sortir de cette salle dans quelques jours en sachant ce qui se passera au bout de six semaines s'il y a un effondrement du système actuel de distribution des aliments. Le mot «si » est mal choisi. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires décrit cette situation, d'autres organismes la prédisent. Il est très vraisemblable que le système va s'effondrer et nous ne pouvons pas prédire le chaos interne qui va se produire. C'est caractéristique de toute guerre liée à la famine.

    Nous avons le devoir, et je crois que nous avons l'occasion d'élever la voix pour poser ces questions de droits de la personne dans une tribune publique. Ce que je suggère, c'est que lorsqu'on discutera de la question au Conseil de sécurité, tous les représentants canadiens ne se contentent pas d'un débat sur les questions humanitaires, mais qu'ils exigent des réponses. Que vont devenir ces 26 millions de personnes au bout de six semaines? Nous avons le devoir de répondre à cette question, et je crois que la réponse existe.

    On parle de palais qui ont été construits, etc., et je pense que personne dans cette salle n'approuve les violations des droits politiques et humains perpétrés par Saddam Hussein ou le gouvernement actuel. Néanmoins, il est important de se demander combien ont coûté ces palais. Même en calculant large, le coût d'un palais ne serait pas suffisant pour nourrir 26 millions de personnes pendant une semaine, sans parler de 12 ans. Soyons bien clairs: ce qui cause et ce qui a causé cette famine chronique et 1,5 million de décès, ce ne sont pas les palais. Ces palais en disent long sur la légitimité de Saddam Hussein en tant que dirigeant politique, mais ce ne sont pas eux qui provoquent la famine chez les enfants. Il faut être bien conscient de ces chiffres.

À  +-(1035)  

+-

    La vice-présidente (Mme Diane Marleau): Merci.

    Monsieur Obhrai.

+-

    M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Merci.

    Je voudrais tout d'abord remercier nos témoins. Ils ont mis une fois de plus en lumière toutes les horreurs de la guerre.

    J'aimerais que M. Hoskins et tous les autres, qui ont été sur le terrain pendant des années en Irak, où ils apportaient une aide humanitaire, nous disent quelle est actuellement l'humeur générale de la population irakienne. On a beaucoup parlé du choc des civilisations, on a dit que le monde musulman allait réagir à une intervention en prenant des armes. Vous êtes allés sur place et vous allez y retourner si la guerre est déclarée. Est-ce que les Irakiens pourraient se montrer hostiles envers vous? Sont-ils hostiles au régime de Bagdad? C'est ce que les gens qui sont allés sur le terrain doivent nous dire. En cas de guerre, est-ce que vous prévoyez des difficultés dans votre travail ou de l'hostilité de la part du monde musulman? Certains d'entre vous sont allés en Afghanistan, je suppose, et pour autant que je sache, vous n'avez fait l'objet d'aucune hostilité en Afghanistan ni dans le monde musulman.

À  +-(1040)  

+-

    Le président: Monsieur Hoskins.

+-

    Dr Eric Hoskins: Je suis allé une vingtaine de fois en Irak et je ne me suis jamais senti menacé. Les Irakiens se sont toujours montrés très accueillants et très hospitaliers—et je précise qu'il s'agissait de particuliers, de familles, de ménages. Je pense qu'ils sont tout à fait à même de distinguer les Canadiens du gouvernement canadien ou les Américains du gouvernement américain. Chaque Irakien, ou du moins chaque adulte, a son propre point de vue sur les autorités américaines, britanniques ou étrangères. Néanmoins, je pense que les étrangers ne se sentent pas menacés ni même mal à l'aise en Irak. Les Irakiens font parfaitement la distinction entre les gens qui viennent d'un pays étranger et les représentants du gouvernement de ce pays.

    Quant à ce qui pourrait se passer, je pense que tout dépend notamment de la façon dont la guerre pourrait se dérouler, de la situation de l'après-guerre et de l'origine de l'aide humanitaire. La fin de semaine dernière à Genève, les pays donateurs, les organismes des Nations Unies et les ONG ont affirmé catégoriquement que la communauté internationale et les Nations Unies devaient coordonner l'aide humanitaire de l'après-guerre, précisément parce qu'il s'agit d'une opération américaine; il semble du moins que ce soit le cas jusqu'à maintenant. Il y a du reste beaucoup de ressentiment parmi les organismes des Nations Unies, parmi les pays donateurs et dans l'ensemble des ONG, parce que les autorités militaires américaines n'ont pas fait état de ce qu'elles avaient l'intention de faire après la guerre en matière humanitaire. La communauté internationale insiste fortement, notamment pour les raisons que vous avez évoquées, c'est-à-dire la façon dont la population civile va réagir, mais aussi pour d'autres raisons, sur le fait que c'est elle, et non pas les Américains, qui devra assurer l'aide humanitaire.

    Les Irakiens se définissent autant par rapport à leur 6 000 ans d'histoire qu'en fonction de leur appartenance à la société irakienne actuelle. Indépendamment de ce que les Irakiens pensent du régime—et souvent, ils m'ont parlé très franchement de leur hostilité envers leur propre régime—, ils ont le sentiment de devoir protéger leurs 6 000 ans d'histoire de toute agression extérieure. Dans le nord et le sud du pays, on peut s'attendre à ce qu'il n'y ait pas d'opposition sérieuse pendant une éventuelle invasion ou dans la période d'après-guerre. À Bagdad, où deux millions d'Irakiennes ont suivi un entraînement militaire dans l'armée au cours des deux dernières années, personne ne peut savoir comment les choses vont évoluer, pas plus pour les intervenants humanitaires que dans d'autres situations.

+-

    Le président: Monsieur Watson.

+-

    M. John Watson: À bien des égards, je pense que votre question est plus importante à l'extérieur de l'Irak, et c'est quelque chose qui nous inquiète beaucoup. Nous vivons une époque étrange où les terroristes ont toutes les raisons de ne pas commettre des attentats actuellement, car cela amènerait de l'eau au moulin des Américains qui essaient d'établir un lien entre le régime irakien et le réseau terroriste. Dès que la guerre va commencer, la situation va s'inverser. On peut donc s'attendre à des attentats contre l'Europe et l'Amérique du Nord dès que les Américains vont attaquer l'Irak.

    On dit que la guerre sera terminée très rapidement. Je ne pense pas que ce soit cela le problème. Le problème, c'est ce qui se passera ailleurs, au Pakistan, en Afghanistan, au Yémen, en Égypte à cause de cette guerre. Sur ce plan là, je vous garantis que la situation sera beaucoup plus délicate. C'est pour cela que nous ne voulons pas nous associer à une intervention militaire. Nous voulons continuer à servir les gens de ces pays qui risquent tous d'être sérieusement déstabilisés par cette guerre.

À  -(1045)  

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

    J'ai une petite question pour nos témoins. Et si c'était Saddam Hussein qui décidait, pour sa propre survie, de détruire toute cette infrastructure, les ponts, les champs pétrolifères, les réseaux d'aqueduc, tout cela? Que pensez-vous de cette possibilité?

+-

    M. John Watson: La situation est très différente de ce qu'elle était en 1991. En 1991, il savait qu'il avait une porte de sortie. Alors malheureusement, j'ai bien peur que ce genre d'action soit une possibilité. S'ils ont des armes nucléaires, biologiques, ou chimiques, il se pourrait qu'ils s'en servent dans les champs pétrolifères ou contre des secteurs clé d'opposition en Irak, et nous ne sommes pas prêts pour cela.

-

    Le président: Je remercie tous nos témoins de ce matin d'être venus nous rencontrer. Cette séance a été très intéressante pour l'étude que nous effectuons actuellement.

    [La séance se poursuit à huis clos]