Passer au contenu
Début du contenu

SNUD Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mercredi 22 mai 2002




· 1330
V         La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington))
V         Mme Ellen Sanderson (coordonnatrice des services offerts aux toxicomanes, Rocky Mountain House Native Friendship Centre)
V         
V         

· 1335
V         La présidente
V         M. Doug Bellerose (directeur exécutif, Métis Indian Town Alcohol Association)
V         

· 1340
V         La présidente
V         M. Doug Bellerose
V         La présidente
V         M. Allen Benson (directeur général, Native Counselling Services of Alberta)
V         

· 1345
V         

· 1350
V         

· 1355
V         La présidente
V         M. Shawn Meier (Gestionnaire de programme, Native Addictions Services Society)
V         

¸ 1400
V         

¸ 1405
V         La présidente
V         M. Shawn Meier
V         La présidente
V         M. Shawn Meier
V         La présidente
V         M. Dominic LeBlanc (Beauséjour—Petitcodiac, Lib.)

¸ 1410
V         Mme Ellen Sanderson
V         La présidente
V         M. Allen Benson
V         M. Dominic LeBlanc
V         M. Allen Benson
V         

¸ 1415
V         La présidente
V         M. Doug Bellerose
V         M. Dominic LeBlanc
V         M. Doug Bellerose
V         La présidente
V         Mme Ellen Sanderson
V         La présidente
V         Mme Ellen Sanderson

¸ 1420
V         La présidente
V         M. Shawn Meier
V         M. Dominic LeBlanc
V         M. Shawn Meier
V         La présidente
V         

¸ 1425
V         M. Allen Benson
V         La présidente
V         M. Allen Benson
V         M. Doug Bellerose
V         

¸ 1430
V         La présidente
V         M. Doug Bellerose
V         La présidente
V         Mme Ellen Sanderson
V         La présidente
V         M. Shawn Meier
V         La présidente
V         M. Shawn Meier
V         

¸ 1435
V         La présidente
V         M. Shawn Meier
V         La présidente
V         M. Shawn Meier
V         La présidente
V         M. Dominic LeBlanc
V         La présidente
V         M. Allen Benson
V         

¸ 1440
V         La présidente
V         Mme Ellen Sanderson
V         La présidente
V         M. Shawn Meier
V         La présidente
V         M. Shawn Meier
V         

¸ 1445
V         La présidente
V         M. Doug Bellerose
V         La présidente
V         M. Allen Benson
V         

¸ 1450
V         La présidente
V         M. Allen Benson
V         La présidente
V         M. Allen Benson
V         M. Dominic LeBlanc
V         M. Allen Benson

¸ 1455
V         La présidente
V         M. Shawn Meier
V         La présidente

¹ 1500
V         Mme Ellen Sanderson
V         La présidente
V         M. Doug Bellerose
V         La présidente
V         M. Allen Benson
V         La présidente
V         M. Shawn Meier

¹ 1505
V         La présidente
V         M. Shawn Meier
V         Une voix
V         M. Shawn Meier
V         Mme Ellen Sanderson
V         M. Doug Bellerose
V         La présidente
V         M. Doug Bellerose
V         

¹ 1510
V         La présidente
V         M. Allen Benson
V         

¹ 1515
V         La présidente
V         










CANADA

Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments


NUMÉRO 045 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 22 mai 2002

[Enregistrement électronique]

·  +(1330)  

[Traduction]

+

    La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington)): À L'ordre, je vous prie.

    Notre comité, le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments, est tout à fait inhabituel en ce sens qu'il s'agit d'un comité spécial créé par suite d'un ordre de renvoi fait par la Chambre des communes le 17 mai 2001, nous demandant d’étudier les facteurs sous-jacents ou parallèles à l’usage non médical des drogues ou médicaments au Canada. Ce mandat est très large. Le 17 avril, nous avons également reçu la mission d'examiner une initiative parlementaire, le projet de loi C-344, visant à modifier la Loi sur les contraventions et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, notamment la marihuana.

    Le comité réunit des représentants de tous les partis politiques, bien que aujourd'hui il n'y ait que Dominic Leblanc, député fédéral du Nouveau-Brunswick et moi, la députée de Burlington. Nous sommes tous deux des libéraux, mais les travaux du comité se déroulent de manière relativement non partisane, et bon nombre des questions que nous soulèverons n'ont rien à voir avec nos allégeances. Nous voulons tout simplement tirer au clair certaines questions. Il nous arrive parfois de prendre des positions controversées, dans le seul but de voir ce qu'ont à dire les gens. Ceux qui prendront connaissance de ce témoignage l'observeront à l'occasion.

    Nous prêtent main forte deux recherchistes, Chantal Collin et Marilyn Pilon. Elles sont au service de tous les membres du comité. Eugene Morawski est notre greffier par intérim. La plupart des membres du comité connaissent sans doute déjà Carol. Nous avons également une équipe d'interprètes, pour ceux d'entre vous qui veulent suivre les travaux en anglais ou en français, et nous avons une excellente équipe de collaborateurs qui s'occupent de l'enregistrement de nos interventions et du son.

    Nous recevons aujourd'hui Ellen Sanderson, du centre d'accueil autochtone des Rocheuses, soit le Rocky Mountain House Native Friendship Centre; Doug Bellerose, secrétaire général de la Metis Indian Town Alcohol Association; Allen Benson, directeur général du Native Counselling Services de l'Alberta; et Shawn Meier, directeur de programme des Native Addictions Services.

    Soyez tous les bienvenus. Comme je l'ai déjà dit, je vous inviterai à faire une déclaration préliminaire d'environ 10 minutes. Nous disposerons de beaucoup de temps pour les questions et les réponses et pour les synthèses à la fin de nos travaux..

    Madame Sanderson, vous avez la parole.

+-

    Mme Ellen Sanderson (coordonnatrice des services offerts aux toxicomanes, Rocky Mountain House Native Friendship Centre): Mesdames et Messieurs, bonjour.

    Je travaille avec les toxicomanes depuis de nombreuses années. J'ai personnellement surmonté un problème de toxicomanie il y a dix ans. Aujourd'hui, je travaille en qualité de coordonnatrice des services offerts aux toxicomanes de Rocky Mountain House, et je suis la seule à faire ce travail.

    Le centre a été prépondérant pour ma guérison. Sans les intervenants de ce centre, je n'aurais pas trouvé mon chemin spirituel, ce qui est très important, à mon sens, pour guérir. Je l'ai appris grâce au programme Nechi, qui est en oeuvre au centre Poundmaker, comme vous le savez. Cela m'a motivée à aider d'autres individus à guérir.

    Aujourd'hui, beaucoup de toxicomanes que je reçois sont confrontés aux mêmes obstacles que j'ai dû surmonter, et bien d'autres, du fait de l'apparition de nombreuses maladies et drogues nouvelles. Je voudrais vous parler aujourd'hui de quelques-uns de ces problèmes et vous proposer différentes solutions.

    La complexité des toxicomanies est l'un des plus grands obstacles auxquels nous soyons confrontés. Généralement, entrent en jeu des facteurs multiples, affectant chacun des individus concernés et allant de la santé—hépatite C, VIH/sida, cirrhose du foie, syndrome de l'alcoolisme foetal/effets de l'alcoolisme foetal, ou SAF/EAF, et d'autres que j'ai énumérés dans le rapport—, en passant par la justice, l'insuffisance des aptitudes sociales de base, des problèmes familiaux, l'incompétence parentale, la violence familiale, l'absence de soutien familial, et l'absence de logement. Le logement local est instable et insalubre.

+-

     La vie en pensionnat est le plus gros de ces facteurs: perte d'identité culturelle et violences sexuelles et physiques, non seulement dans les écoles, mais aussi dans les familles d'accueil. Ma localité compte quatre réserves et le transport est un autre obstacle au traitement des toxicomanes. Souvent, beaucoup de centres de traitement sont à 800 kilomètres de distance, notamment à Cardston et Bonnyville.

    Nous recommandons de confier à un groupe de travail la mission d'étudier les services de traitement des autochtones en vue d'élaborer un plan d'action à long terme qui serait axé sur les soins holistiques, sur l'ensemble des besoins de l'individu, et non pas sur les seuls aspects de sa toxicomanie. Ce plan d'action comprendrait des stratégies pour la mise en oeuvre de programmes de prévention de la rechute et de réseaux de soutien communautaires adaptés à la culture autochtone.

    Auparavant, les conseillers en toxicomanie ne s'intéressaient qu'aux toxicomanies comme telles; mais, aujourd'hui, ils sont nombreux à avoir compris que des facteurs multiples entrent en jeu et que certains individus cherchent parfois à trop assumer. Les conseillers ne peuvent cependant pas guérir tous les problèmes et ils doivent par conséquent limiter leur aide à certains de ces problèmes.

    Le groupe des hommes et des femmes inscrits au programme de prévention de la rechute en oeuvre au RNFC est un exemple de partenariat entre les membres du personnel, les clients et leurs familles. Cette formule a du succès, mais le personnel est systématiquement sursollicité.

    Nous recommandons d'informer les organismes oeuvrant pour les autochtones--qu'il s'agisse des services sociaux, de la GRC, des services de protection de l'enfance, ou du ministère de la Justice--que ces programmes adaptés à la culture donnent de bons résultats, et de les encourager à les appuyer et à les offrir à leur clientèle. Le groupe de travail pourrait également se pencher là-dessus,--et élaborer des manuels et des ateliers de formation.

    Les organismes communautaires dont je parle sont nombreux à ne pas connaître ou reconnaître les protocoles culturels, alors que beaucoup de leurs clients sont autochtones. Là encore, il s'agit de les amener à reconnaître la validité d'un programme de prévention de la rechute particulièrement bien adapté à la culture locale.

    Il existe dans notre localité un conseil communautaire autochtone. Il regroupe de nombreuses organisations. Il a dû récemment envoyer des courriers à toutes les organisations locales, pour leur rappeler que, si elles travaillent avec des clients autochtones, elles doivent s'assurer d'être informées de la situation dans la communauté autochtone concernée.

    Nous recommandons que des financements à long terme soient mis à disposition pour les projets d'immobilisations, par exemple des centres de traitement et de guérison dans le centre de l'Alberta, qui offriraient des soins holistiques. Grâce à ces financements, les centres offriraient des services axés sur les aspects culturels et spirituels de la guérison, la prévention de la rechute, la désintoxication, et des réseaux de soutien.

    Cela permettrait de régler aussi les difficultés que nous rencontrons en matière de transport, notamment pour emmener nos clients jusqu'aux centres de désintoxication et de traitement. Ces installations n'existent pas en Alberta. Je rappelle que, dans notre seule localité, nous avons quatre réserves. La région de Rocky Mountain compte plus de 10 000 habitants, des Métis et des Indiens des premières nations. Dans d'autres régions du centre de l'Alberta, à Red Deer et Hobbema notamment, nous avons aussi quatre réserves.

    Les programmes en cours d'exécution ne bénéficient que d'un financement ponctuel unique, mais il serait possible de les mettre en oeuvre à plein temps si des installations plus grandes et plus modernes étaient construites et si des financements étaient fournis pour le long terme. Les effectifs passent de nombreuses heures à préparer des demandes de financements, qui n'aboutissent pas toujours. Nous sommes nombreux à faire des mains et des pieds pour réunir des fonds destinés à des des projets que nous devons mettre en place ou dont nous devons assurer la continuité; je songe aux fonds que nous accordait la Fondation pour la guérison des Autochtones et que nous avons cessé de recevoir.

    Nous avons réussi à régler une partie de nos difficultés de transport, grâce aux ressources humaines, mais le problème demeure de taille. Le personnel prend souvent sur son temps pour accompagner nos clients en voiture jusqu'aux centres de traitement, car les fonds sont tout simplement insuffisants pour les y envoyer par d'autres moyens. Cela nous a toujours posé problème.

    Le centre d'accueil autochtone des Rocheuses, qui a été ouvert en 1975, a démarré avec un effectif de six. Aujourd'hui, nous sommes toujours dans les locaux d'origine. Notre effectif est passé à 24 et nous offrons une bonne trentaine de programmes, dont huit bénéficient de financements conjoints fédéraux et provinciaux. L'année dernière cependant, nos installations sont devenues trop petites en raison de l'accroissement de la demande dans le centre de l'Alberta.

+-

     Nous recommandons en quatrième lieu d'améliorer la surveillance exercée par le gouvernement, notamment sur les médicaments d'ordonnance. La communication entre les médecins et les conseillers doit être améliorée, les lignes directrices en place doivent être étoffées et affinées, et des financements plus importants doivent être mis à disposition pour les programmes de prévention et de sensibilisation.

    Les principales toxicomanies que nous voyons sont l'alcoolisme seul ou combiné à la pharmacodépendance, essentiellement au Tylénol 3 et à la morphine. Je reçois personnellement plus de 50 consultants qui prennent des médicaments d'ordonnance, dont 20 prennent de la morphine, bien que pour la région de Rocky Mountain, ce chiffre frise les 70 individus à prendre de la morphine, ce qui comprend les habitants des réserves.

    L'année dernière, l'une de mes consultantes a emporté avec elle, au centre de traitement, une mallette de médicaments d'ordonnance et l'un des flacons contenait plus de 400 comprimés de Tylénol. C'était son médecin qui les lui prescrivaient. La liste des médicaments qu'elle avait apportés avec elle tenait sur plus de deux pages. Ce cas est extrême, mais courant à Rocky Mountain, d'où l'importance de la communication.

    En cinquième lieu, nous recommandons que des financements complémentaires soient mis à disposition dans toutes les administrations pour le traitement des adultes manifestant le syndrome de l'alcoolisation foetale. Le financement du poste de coordonnateur des services assurés par notre centre a pris fin. À deux reprises, nous avons demandé le renouvellement de ce financement. Seuls deux projets ont été approuvés en Alberta cette année. L'ennui, c'est que les autorités n'ont pas prévu de financement pour les adultes manifestant ce syndrome. Mais elles financent des programmes d'aide préscolaire aux autochtones et autres programmes pour les habitants des réserves.

    Il y a quelques semaines de cela, j'ai participé à une table ronde organisée par la commission contre l'abus d'alcool et de drogues de l'Alberta, l'AADAC, où il a été longuement question de la nécessité d'ouvrir des centres de traitement et de prévoir, dans tout projet de financement, fédéral ou provincial, un soutien pour les personnes dispensant les soins, notamment les travailleurs en première ligne. On pourrait aussi prévoir des fonds complémentaires pour les secouristes.

    Le travail auprès des autochtones exigent des effectifs en poste un effort supplémentaire pour instaurer des relations de confiance entre le conseiller et son consultant. À cette fin, beaucoup de conseillers sont à disposition 24 heures sur 24, sept jours sur sept, ce qui peut déboucher sur une certaine «usure de compassion», expression employée par les travailleurs sociaux. On en a beaucoup discuté à la table ronde, car le problème a été observé un peu partout en Alberta.

    Je voudrais vous parler un peu de quelques-unes des principales drogues consommées. Les principales substances illégales de consommation courante sur notre territoire sont la cocaïne, les méthamphétamines et la marijuana, mais la première de toutes est un médicament d'ordonnance, la morphine.

    Je vous remercie de votre attention.

·  +-(1335)  

+-

    La présidente: Je vous remercie, madame Sanderson.

    Nous entendrons maintenant Doug Bellerose.

+-

    M. Doug Bellerose (directeur exécutif, Métis Indian Town Alcohol Association): Le bonjour à tous.

    Je précise au départ que le sigle MITAA signifie Métis Indian Town Alcohol Association. Cet organisme a vu le jour en 1975, et nous en sommes donc à notre 27e année d'existence. Nous offrons des services de désintoxication. Nous avons 12 lits dans le centre de séjour. Nous avons 12 nattes dans le centre d'hébergement. Nous offrons également des services individualisés et nous référons les personnes aux organismes appropriés en Alberta, en fonction des besoins exprimés. Nous avons un effectif de 14. Nous avons trois bureaux pour les consultants externes: à Valleyview, à Peace River et à High Prairie, ce dernier étant réservé aux adolescents.

    Notre centre de désintoxication a été le premier à ouvrir au nord d'Edmonton. Il a été créé par les trois colonies ou peuplements portant les noms suivants: Peavine Métis, East Prairie Métis, et Gift Lake Métis, auxquels s'ajoutent les quatre bandes de la région de High Prairie et les habitants de la localité de High Prairie. Ces gens se sont réunis pour envisager la création d'un centre de désintoxication à High Prairie, dans le but d'aider la GRC à contrôler les ivrognes, de prêter main-forte aux hôpitaux locaux, ainsi de suite.

+-

     C'est ainsi que notre association a vu le jour et c'est tout pour le moment.

·  +-(1340)  

+-

    La présidente: Combien de consultants recevez-vous chaque année?

+-

    M. Doug Bellerose: Cette année, pour le seul bureau de High Prairie, nous avons reçu 2 300 personnes.

+-

    La présidente: Je suis persuadée que les questions fuseront de toutes parts.

    Monsieur Benson, vous avez la parole.

+-

    M. Allen Benson (directeur général, Native Counselling Services of Alberta): Je vous remercie d'avoir accepté de me recevoir.

    Je vais vous parler de certaines des difficultés majeures que nous éprouvons dans différents domaines. Je représente un organisme qui intervient, à l'échelle de la province, au niveau des programmes intéressant la justice, les services correctionnels, la protection de la jeunesse et l'aide aux familles. Il arrive dans de rares cas que nous offrions directement aux individus des programmes de désintoxication, mais, généralement, nous préférons l'approche holistique, comme le centre de Rocky Mountain House.

    Je vais vous distribuer un court compte rendu d'une enquête sur l'abus des médicaments d'ordonnance, qui a été menée par nos employés, et le mémoire de notre organisation.

    Je voudrais vous parler de certains aspects généraux de la toxicomanie. Je commencerai par les problèmes auxquels sont confrontés les jeunes aujourd'hui. Cette catégorie de la population est en pleine mutation. Les jeunes d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec ce à quoi nous avons été habitués. Ils se comportent différemment dans le système correctionnel. Le jeune de moins de 25 ans, blanc ou autochtone, qui entre dans le système correctionnel fédéral se comporte différemment du délinquant classique sous responsabilité fédérale. Il a en tête qu'il n'a pas à se plier aux règles du système; il se comporte en membre d'un gang; il donne l'impression d'être issu d'un milieu où le respect de l'autre, le respect de la famille et le respect des aînés n'existent pas. Qu'il soit issu d'une culture traditionnelle, chinoise, indienne nord-américaine, ou indienne d'Asie, s'il participe aux activités d'un gang, ce type de respect est inexistant chez lui. Il n'a pas non plus d'amour propre, ce qui rend les choses encore plus difficiles quand il s'agit de toxicomanie.

    Les centres de traitement d'aujourd'hui m'inspirent beaucoup de respect, car, au fil des années, leur action a eu des effets bénéfiques dans nos localités, en ce sens qu'ils ont réussi à modifier les comportements. Beaucoup de chefs de bandes et autres dirigeants sont devenus sobres; de nombreux organismes comptent aujourd'hui des employés en santé; et les autochtones sont désormais plus nombreux à réussir dans les affaires et à faire des études plus poussées.

    Les centres de traitement ont fait leur boulot, mais ils ne pourront pas continuer à travailler correctement, car la génération d'aujourd'hui est en pleine transformation. Les centres doivent donc changer, mais pour cela, il leur faut des ressources.

    Personnellement, je ne dirige pas de centre de traitement, et je ne suis donc pas venu réclamer des fonds pour mes programmes, mais bien pour l'ensemble des centres de traitement qui ont besoin d'un apport de fonds dans différents domaines. Ces centres ont besoin de fonds pour la recherche. Comment réévaluer les programmes en oeuvre? Nous nous inspirons des meilleurs modèles à suivre. De quel type de collaboration bénéficions-nous au Canada, aux États-Unis et en Amérique du Nord en général, pour régler les problèmes de cette jeune génération?

    Il convient d'affecter des fonds à la recherche concertée qui sera menée en collaboration avec ces centres de traitement et, en fait, avec la communauté autochtone, puisque les autochtones sont concernés. Des fonds doivent être consacrés à la mise oeuvre des meilleurs modèles à suivre, certes, mais il faut aussi élaborer un mécanisme d'évaluation plus approprié, qui évaluerait les résultats obtenus par nos centres de traitement et, en fait, par tous les programmes intéressant les toxicomanes. Les mécanismes d'évaluation sont généralement conçus par des créateurs de programmes qui n'ont pas vraiment d'expérience. Du point de vue de la recherche, je puis le comprendre, mais cela a beaucoup changé les choses de notre point de vue pour la recherche justement.

    Il est de ce fait très important de trouver le moyen de mieux nous associer à la prestation des services et, dans le cas de nos localités autochtones, il est important de les associer à nos travaux pour que nous puissions cerner ensemble les questions sur lesquelles devraient porter nos recherches et déterminer nos responsabilités en matière de prestation de services de traitement.

+-

     Comment concerter nos efforts pour mettre en place un mécanisme d'évaluation amélioré, trouver une solution plus efficace nous permettant d'offrir des services axés sur l'obtention de résultats? Il est important de le savoir, au vu de la génération montante.

    Un programme provisoire de recherche sur les difficultés des jeunes et les problèmes transculturels est en cours. Ce que nous découvrons grâce à ce programme est clair. Pour ne parler que de l'influence des punks sur les jeunes autochtones, nous avons découvert qu'il existait dans ce milieu cinq groupes culturels différents. Nos jeunes en sont fortement influencés. La musique Nouvelle Vague, la musique hip-hop et New Age, compte à elle seule trois groupes, ce qui a un effet encore plus dramatique sur nos jeunes, surtout ceux qui débarquent dans de grandes centres comme Edmonton et Calgary. Voilà un autre problème sur lequel il conviendrait de nous pencher pour mieux le comprendre. Il ne concerne pas que les jeunes autochtones; le problème est transculturel et il faut que nous lui trouvions une solution.

    Les jeunes qui grandissent aujourd'hui dans les communautés autochtones sont une source de préoccupation pour nous. Je sais qu'ils préoccupent également le ministre MacAulay et les Services correctionnels du Canada, car les jeunes court-circuitent le système correctionnel provincial qui, en temps normal, est le premier à devoir accueillir les jeunes délinquants, et ils sont directement envoyés dans les établissements sous responsabilité fédérale. La question nous préoccupe sérieusement. Le problème est directement attribuable à l'abus de drogues et de substances.

    Cela signifie pour ces jeunes d'aujourd'hui, ces jeunes qui grandissent en cette époque, que, dans les cinq à dix ans, le nombre de ceux d'entre eux qui se retrouveront dans le système fédéral augmentera de quelque 38 p. 100. C'est énorme et c'est dû au fait que nous n'avons pas réussi à trouver de solution au problème de la toxicomanie qui frappe très durement les jeunes de cette génération et celle de leurs parents.

    Des programmes sont en oeuvre, par exemple le programme Toxicomanie et programmes subventionnés par la communauté, qui sont très importants pour la population. L'ennui, c'est que ce dernier programme n'a pas évolué depuis nombre d'années, en ce sens que son financement n'a pas été augmenté depuis longtemps pour qu'il puisse améliorer ses services, augmenter ses effectifs, adapter ses méthodes et ses services pour mieux répondre aux problèmes transgénérationnels.

    Je suis tout à fait d'accord avec ce programme, mais je reproche aux dirigeants communautaires d'avoir négligé de tenir compte des besoins changeants dans leurs localités respectives et de la nécessité de réévaluer et renouveler constamment les partenariats avec les gouvernements, pour trouver le moyen d'offrir des services efficaces. Cela étant, il est très important d'augmenter les ressources affectés à ces programmes.

    Les Services correctionnels du Canada ont beaucoup de mérite. Depuis mon retour d'Australie, il y a six ans de cela, j'ai travaillé de près avec ces services et j'ai pu observer quelques-uns des effets de leur action sur nos communautés. Ainsi, c'est grâce aux Services correctionnels que les gens de ma génération se sont intéressés de plus près au processus de leur rétablissement et aux enseignements culturels et spirituels. Au fur et à mesure qu'ils sont libérés des centres correctionnels et qu'ils sont engagés sur la voie de la guérison, ils réussissent à influencer les leurs, leurs frères et soeurs, et cette influence est considérable.

    Cela, peu de gens le savent. Des études, menées par les Services correctionnels du Canada et l'Institut Nechi de formation, de recherche et de promotion de la santé, préconisent la réinsertion des contrevenants autochtones.

    Les Services correctionnels du Canada ont proposé et encouragé le recours aux anciens et aux cérémonies et enseignements traditionnels dans les pénitenciers, et les conséquences en ont été elles aussi bénéfiques. Les autorités correctionnelles ont également encouragé l'élaboration de programmes adaptés aux autochtones--par exemple le programme In Search of Your Warrior qui s'intéresse aux comportements violents chez les enfants et les adolescents et vise à modifier ces comportements par l'enseignement de compétences diverses aux individus inculpés pour crimes avec violence. On leur apprend à gérer leur colère.

·  +-(1345)  

+-

     Ce programme s'est révélé bénéfique dans le domaine de la toxicomanie car, maintenant, nous nous attaquons à la racine du problème. Il a inspiré la mise en place d'autres programmes dans les collectivités. Ces derniers ont commencé par être intégrés aux programmes offerts par les Services correctionnels, et aujourd'hui ils sont en oeuvre dans les collectivités.

    Ainsi, il faut rendre à César ce qui appartient à César. Le programme de traitement des cas d'agression sexuelle et le programme de traitement des toxicomanes se sont tous deux révélés bénéfiques pour les délinquants autochtones.

    Le ministre MacAulay a défendu la cause des toxicomanes au sein des Services correctionnels du Canada. Il a décidé de donner la priorité à la recherche menée dans ce domaine. Il a entrepris de conjuguer ses efforts avec les nôtres et ceux de beaucoup d'autres personnes, notamment des spécialistes, du Canada et d'Amérique du Nord en général, pour élaborer un nouveau modèle de traitement aux fins des Services correctionnels du Canada. Pour ce faire, nous avons réuni différents groupes pour débattre des différentes possibilités de traitement--de ce qui est efficace et de ce qui ne l'est pas, et de ce que nous devrions essayer de faire différemment avec la génération nouvelle et changeante.

    Les spécialistes viendront d'ici, d'un peu partout au Canada et des États-Unis. L'initiative est importante. C'est ce qu'il convient de faire: réunir des financements, réunir des spécialistes, étudier la question et envisager des solutions plus stratégiques.

    On ne peut pas séparer des autres problèmes auxquels sont confrontées nos localités la consommation des drogues et des médicaments d'ordonnance et la consommation accrue de marijuana que l'on cultive chez soi, dans les localités rurales--dans certaines de ces localités rurales, les jeunes autochtones apprennent très facilement à la cultiver. Le problème de la toxicomanie est un problème de dépendance. Qu'il s'agisse de dépendance des jeux d'argent, de l'alcool, ou du sexe, cela demeure une dépendance attribuable à un problème profondément enraciné. Ce qu'il nous faut, c'est trouver un meilleur moyen pour le débusquer et en arracher les racines.

    La difficulté est attribuable en partie à la temporisation du financement. Nous n'avons toujours pas compris, au Canada, que l'on ne peut pas continuer à élaborer des programmes en fonction des critères rattachés à leur financement, et cela continue d'être un obstacle pour nous.

    La collaboration entre les ministères fédéraux et les administrations fédérales et provinciales est une question importante qui n'a pas été abordée. Prenons le problème des sans abri. Nous avons assurément fait des progrès à cet égard. Je dois en féliciter le ministère du Développement des ressources humaines du Canada et la ministre Claudette Bradshaw pour avoir réussi à amener les différents partenaires fédéraux à envisager de collaborer dans ce domaine.

    Mais nous ne l'avons pas fait dans d'autres domaines, et nous ne l'avons certainement pas fait pour la santé des autochtones ou les problèmes de toxicomanie au Canada. Si nous nous y mettions, je crois bien que nous serions plus efficaces et que nous utiliserions bien mieux les ressources humaines et financières mises à notre disposition aujourd'hui.

    Il faudra finir par trouver moyen de réunir les représentants des Services correctionnels du Canada, du ministère de la Santé et du ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada avec ceux de l'AADAC de l'Alberta et des autres provinces, et de les amener à collaborer avec les collectivités à l'élaboration de programmes mieux adaptés aux besoins des régions ou des localités visées.

    Les collectivités sont toutes différentes les unes des autres. Certaines ont été marquées par l'Église anglicane ou l'Église catholique, d'autres ont eu des problèmes avec les pensionnats, ou tout simplement des problèmes de pauvreté. D'autres, par ailleurs, ont une forte assise économique, ou encore elles ont un certain poids du fait de leur richesse en pétrole et en bois. Tous ces éléments se répercutent sur le comportement des habitants, d'où la nécessité de mettre en place des programmes différents. Les services requis sont différents, et nous devons tenir compte de ces facteurs dans les services que nous offrons.

    Je dirai pour conclure que nous avons la possibilité de faire des progrès réels au titre des solutions que nous proposerons à la génération future. Nous nous sommes cependant fort mal débrouillés pour ce qui est d'amener les différents intervenants à en parler et à planifier des stratégies. Nous continuons de régler les problèmes avec des solutions normatives.

    Les médicaments d'ordonnance n'en sont qu'un exemple. Nous n'avons toujours pas de bases de données électroniques nous permettant de surveiller les consommations individuelles de médicaments d'ordonnance et de vérifier si les médecins ne feraient pas de la surordonnance. Nous n'avons toujours pas de loi dans ce domaine pour sanctionner les médecins qui pratiquent la surordonnance ou les individus qui abusent de ces ordonnances.

·  +-(1350)  

+-

     Nous voyons de nombreux cas d'abus de médicaments très dangereux--le Percoset et le Ritalin pour ne nommer que ceux-là. Les cocktails de médicaments d'ordonnance dont les jeunes d'aujourd'hui abusent sont littéralement stupéfiants. Nous recevons de nombreux individus ayant consommé une mixture de quatre ou cinq médicaments d'ordonnance avec des produits chimiques d'entretien ménager; on peut se procurer en tout temps cette mixture dans les rues d'Edmonton.

    Le problème est grave. La population n'en est pas au courant car personne ne tient vraiment à se pencher là-dessus; ce n'est pas aussi intéressant que les grandes opérations de saisie de drogues; les médias n'en font pas état car, de leur point de vue, le problème n'est pas si grave. C'est ainsi que nous n'en entendons pas parler, mais le problème est très grave.

    Nous avons entrepris, en Alberta, de mettre en place un comité qui se penchera sur le problème de l'abus des médicaments d'ordonnance. Colleen Klein, la femme du premier ministre de la province, tient beaucoup à ce projet qui a d'ailleurs incité notre organisation à s'y investir; j'estime très important de trouver le moyen de conjuguer nos efforts pour régler ces problèmes.

    Pour terminer, je vous annonce que je vous communiquerai un rapport plus détaillé sur ces questions; et, pour aujourd'hui, je vous laisse le court compte rendu de l'enquête sur l'abus des médicaments d'ordonnance.

    Je vous remercie de votre attention.

·  +-(1355)  

+-

    La présidente: Merci à vous.

    Monsieur Meier, vous avez la parole.

+-

    M. Shawn Meier (Gestionnaire de programme, Native Addictions Services Society): Merci.

    J'écoute ce qui se dit depuis tout à l'heure, et je tiens à remercier tous ceux qui sont ici aujourd'hui. Je veux que vous sachiez que je suis d'accord avec pratiquement tout ce que j'ai entendu. Je me félicite de voir que nous sommes sur la même longueur d'onde. Je constate que l'on a signalé de nombreux problèmes généralisés et je pense que c'est ce pourquoi nous sommes ici aujourd'hui, pour rappeler que le problème est généralisé. Alors comment organiser le système ou la société de façon à mieux aider les individus en difficulté?

    Je représente les Native Addictions Services de Calgary, en Alberta. Certaines des études que j'ai menées visaient à nous permettre de mieux aider les individus, comme l'a expliqué M. Benson. Et il a raison. Bon nombre des concepteurs et des directeurs de programmes sont très peu sensibilisés à la situation réelle, ou la comprennent fort mal.

    Mais, brièvement, mes traditions culturelles veulent que je me présente à vous et que je vous parle un peu des miens. Je suis pour moitié Sioux et pour moitié Iroquois d'origine. Mes parents viennent de l'Ontario. J'ai de la famille à Sioux Valley, au Manitoba, et à Enoch, qui se trouve à l'ouest d'Edmonton, si je ne m'abuse. Il y a longtemps que je ne les ai pas vus.

    J'ai un baccalauréat ès arts et un baccalauréat en service social. J'étudie l'histoire comparative des religions et je prépare depuis peu une thèse dans laquelle je compare les modèles de guérison occidentaux aux modèles de guérison autochtones, plus précisément le modèle jungien et le modèle sioux.

    Voici ce que nous essayons de faire aux NAS. Dans notre travail auprès des membres de la collectivité, nous avons entrepris d'amorcer une revitalisation culturelle en adoptant une approche phénoménologique et existentielle, ce qui revient, à vrai dire, à la narration de récits. Nous avons recours à la thérapie du récit et à beaucoup d'autres techniques dont je vous parlerai dans quelques minutes.

    Quoi qu'il soit, les Native Addiction Services offrent des services en consultation externe et des services de soins en établissement aux hôtes que nous recevons--j'aime bien dire que ce sont des «hôtes». Je n'aime pas les expressions «clients» ou «patients en consultation externe». J'emploierai ces mots ici, mais, règle générale, ceux qui s'adresse à nous sont nos hôtes.

    Nous avons deux locaux, l'un en plein centre-ville et l'autre dans le secteur est du centre-ville. L'un est réservé aux soins en établissement et, dans l'autre, nous offrons nos différents programmes. Bientôt toutefois nous serons logés dans un nouveau bâtiment, grâce à quelques-uns de nos chercheurs de fonds qui se sont mobilisés à cette fin. Je ne sais pas comment ils ont fait. J'en suis vraiment étonné. Mais nous avons un bâtiment tout neuf et tous nos services seront logés sous un seul et même toit.

    Sauf erreur, je crois que la cérémonie d'ouverture est prévue pour le 4 octobre. Bien entendu, tout le monde y est invité, c'est-à-dire tous mes amis ici, et tous les autres qui sont dans cette salle. Si vous pouvez vous rendre à Calgary, je vous en prie, venez à cette fête, car nous sommes très fiers de notre nouveau bâtiment.

    La construction de ce bâtiment s'inscrit dans le droit fil du projet de revitalisation culturelle. J'ai consulté des études effectuées par le Dr Clifford Pompana de l'Université d'Alberta--il s'intéresse à la revitalisation culturelle dans différentes localités autochtones--; il y examine le programme en 12 étapes et les techniques employées pour aider les individus à guérir. C'est du moins mon interprétation de ses travaux de recherche qui sont très poussés.

+-

     Ainsi, dans le contexte de la revitalisation culturelle, la conception architecturale de notre bâtiment vise à promouvoir la culture autochtone. Dans le centre de ce bâtiment, nous avons installé un tipi. Il a été construit avec du bois, et ce n'est donc pas un tipi traditionnel. On y a même installé un plancher chauffant. Il ne correspond pas à l'idée que l'on se fait de l'autochtone qui vit des ressources de la terre, mais il demeure un symbole puissant de notre culture et de nos origines. Avec cette conception novatrice, nous avons voulu intégrer des aspects des modèles de guérison mis en pratique par les premières nations, tout en favorisant la spiritualité de ces premières nations.

    Notre programme comprend deux volets, dont les services de consultation en externe. Nous offrons des services individualisés et des services d'intervention d'urgence. Nous avons des groupes pour les hommes et les femmes victimes d'agression; des programmes de lutte contre l'obsession du jeu; des programmes pour les jeunes et les familles; et des programmes culturels dans lesquels nous enseignons l'art du récit, l'artisanat et la musique.

    Pour le deuxième volet, les services de soins en établissement, nous avons aujourd'hui 20 lits, mais bientôt nous en aurons 36. Ce volet comprend un service très complet de suivi après traitement. Nous calculons que ce suivi doit durer un an, pour régler les problèmes auxquels sont confrontés nos hôtes.

    Nous avons fondé notre programme thérapeutique sur les principes du programme d'abstinence en 12 étapes. Nous expliquons cependant à tous ceux qui viennent chez nous que notre établissement n'est pas un autre centre pour alcooliques anonymes. Nous comprenons la nécessité d'offrir un programme très simple à la population avec laquelle nous sommes appelés à travailler, mais nous comprenons également le processus thérapeutique très approfondi qui l'accompagne. J'ai baptisé ce processus «perspective phénoménologique-existentielle» qui, grâce au récit, permet de faire une prise de conscience personnelle.

    Les NAS souscrivent au principe voulant que la plupart des individus fonctionnent dans un contexte indéfini de la pensée conventionnelle qui occulte la réalité ou évite de la percevoir. Cela est particulièrement vrai des relations que l'on a avec le monde extérieur et des choix que l'on fait. Donc, comme je le disais, c'est de l’existentialisme phénoménologique.

    L'aveuglement de l'esprit est à la base de l'inauthenticité, ou l'art de vivre en se mentant à soi-même, ce qui nous ramène au principe jungien de l'individuation, ou de l'auto-réalisation si l'on veut, de l'unicité ou, en fait, de la réalisation de la plénitude de l'être. S'il est basé sur le mensonge à soi-même, qu'il soit causé par une enfance traumatisante, un divorce très difficile, ou une perception faussée du monde qui nous entoure, l'aveuglement de l'esprit peut être à l'origine de sentiments de crainte, de culpabilité et d'anxiété.

    Comment se débarrasser de tels sentiments? Bien entendu, l'être trouve différents moyens pour s'en défaire. L'un d'entre eux consiste à adopter le mode de pensée axée sur la crise. L'organisme se met en mode de réaction de combat ou de fuite, c'est-à-dire qu'il se met, instinctivement--et cela remonte à l'origine des temps--, à libérer différentes hormones et endorphines qui diminuent les sensations de douleur éprouvées lors d'une agression. C'est un peu comme ce que l'on voit sur la chaîne américaine consacrée à la faune, le Wildlife Channel. L'animal qui est attaqué a le regard vague. Ce phénomène s'explique par le fait que son organisme a libéré ces différentes endorphines et autres hormones, grâce auxquelles il ne ressent pas vraiment la douleur.

    Le processus est identique chez l'être humain; mais nous ne subissons plus le même type d'attaque. Nous créons cet environnement artificiel, obligeant notre organisme à libérer ces endorphines pour ressentir du bien-être. C'est ce que l'on appelle la pensée axée sur la crise. Ainsi, aux NAS, nous essayons de prendre en compte tous ces aspects.

    Étant sensibilisé à ces différentes questions, l'individu peut effectuer des choix et organiser son existence de manière intéressante. Comment fonctionne la thérapie en 12 étapes? En quelques mots, nous aidons l'individu à récrire le scénario de sa vie. Dans sa jeunesse, il est peut-être arrivé à cet individu de se sentir vulnérable ou faible, impressions qui le suivent dans sa vie d'adulte et qui sont entretenues au travers des relations avec la famille. Quand l'individu se crée de nouvelles relations, il a tendance à attirer des personnes qui lui ressemblent.

    Donc, en récrivant son scénario de vie et en réexaminant ces événements, nous pouvons lui montrer à quel moment il aurait pu avoir le contrôle de la situation. Nous lui montrons qu'il a la capacité de passer au travers de ces différents traumatismes, événements ou situations. Ce qui renforce sa confiance en soi et ses aptitudes à se prendre en charge--c'est du moins ainsi que je le vois; l'individu apprend à se prendre en charge.

¸  +-(1400)  

+-

     Très rapidement, l'existentialisme peut être perçu comme une tentative de l'être de s'intéresser à son existence, à sa situation dans son univers, et à sa liberté de déterminer ses objectifs, de former des projets et de donner un sens à sa vie.

    C'est là qu'intervient le programme en 12 étapes. Les trois premiers principes consistent à aider l'individu à intégrer la spiritualité. Qu'il s'agisse de bouddhisme, d'hindouisme, de shintoïsme ou de bouddhisme zen, libre à lui de choisir. Cette spiritualité fonde néanmoins son existence et lui donne un certain sens.

    Ainsi, si une puissance supérieure--comme nous l'appelons chez nous--s'intéresse à moi et me comprend, cela donne un sens à ma vie, une raison d'être. Voilà comment nous utilisons l'existentialisme dans le programme en 12 étapes.

    La phénoménologie est une discipline qui permet à l'individu de se distancer de son mode de pensée habituel, pour être en mesure de disrtinguer le perçu et le ressenti dans une situation donnée des impressions résiduelles du passé, à savoir que, souvent, lorsqu'un individu est agressé ou blessé, toutes les agressions ou blessures morales qu'il a subies dans le passé remontent à la surface. Il se met donc en mode de réaction de combat ou de fuite qui est caractérisé par la pensée dépressive, ainsi de suite.

    Voilà ce qu'est la perspective phénoménologique-existentielle. Nous essayons de faire comprendre à l'individu qu'il a un rôle utile à jouer dans sa propre vie, qu'il a une raison d'être, et que la façon de laquelle il interprète son environnement, le jugement de valeur qu'il porte sur ses sentiments, par opposition à la façon de laquelle il interprète ses émotions, contribue à sa guérison. Voilà ce que nous essayons de faire aux NAS.

    Combien de temps me reste-t-il? Je vous prie de m'excuser. Je pourrais parler pendant des heures entières. Il faut me pardonner. Je veux simplement m'assurer que que je ne m'éloigne pas trop du sujet.

¸  +-(1405)  

+-

    La présidente: Vous venez tout juste de dépaser les huit minutes.

+-

    M. Shawn Meier: Très bien. Je termine rapidement.

    En s'exprimant verbalement et en couchant sa pensée sur le papier, l'individu entreprend de régler de régler les problèmes éprouvés dans son passé, de clarifier son rôle, de définir ses responsabilités, et de cerner son but. C'est tout. Chacune des personnes ici présentes a dû choisir un cheminement qui devait l'aider à donner un sens à sa vie. Nous avons tous de la famille. Nous sommes tous entourés de gens qui nous aiment. Nous sommes tous attendus au bureau, par exemple, entre 8 heures et 16 h 30; certains d'entre nous travaillent de bien plus longues heures. Cela nous donne une raison d'être.

+-

    La présidente: Je serais curieuse de savoir où l'on peut travailler de 8 heures à 16 h 30.

+-

    M. Shawn Meier: C'est vrai; certains d'entre nous font des heures bien plus longues. Oui, je le comprend. Il m'est parfois arrivé de faire entre 18 et 20 heures de travail par jour, aux NAS.

    Je récapitule: les enfants qui ont été abandonnés, négligés ou maltraités internalisent cette maltraitance. Ils grandissent en croyant qu'ils ont quelque chose de travers. Dans la perspective chrétienne, ils ressentent de la culpabilité; ils se croient mauvais ou malfaisants, puisqu'ils se retrouvent dans de telles situations. Cela n'a rien à voir avec l'univers ou le monde qui les entoure. Ils croient s'être attirés ces mauvais traitements. Ils croient y être pour quelque chose et ils se trouvent à reproduire toute leur vie durant ces comportements autodestructeurs.

    Grâce au programme en 12 étapes, l'individu réécrit les événements de son passé et parvient ainsi à se libérer de l'anxiété, de la culpabilité et de la honte qui leur sont rattachées. Il s'agit de cathexis, d'investissement du moi, ou de catharsis. La cathexis est l'énergie psychique que nous rattachons aux événements qui deviennent des symboles dans notre vie, toujours selon l'interprétation jungienne. Nous avons créé ces symboles auxquels nous rattachons cette énergie psychique et, grâce à ce processus, nous libérons cette énergie, et c'est la catharsis.

    En quelques mots, l'individu prend conscience de trois concepts pertinents. Premièrement, les choix qu'il fait aujourd'hui sont influencés, orientés en quelque sorte, par son passé. Deuxièmement, ces choix sont de son ressort, et du ressort de ceux qui sont impliqués--par exemple dans les cas de codépendance, de faiblesse inculquée et d'inceste moral. Troisièmement, en faisant des choix sains, tout individu a la possibilité et la capacité de s'épanouir et de transcender la situation problématique dans laquelle il se croit plongé.

    On me l'a expliqué en des termes on ne peut plus simples: peu importe ce qu'il vous arrive; ce qui compte, c'est comment vous le prenez.

    Nous avons l'excellent exemple des personnes qui ont été emprisonnées dans les camps de concentration nazis, lors de la Seconde Guerre mondiale. Quand je vois ces gens à la télé, je me dis que ce sont les personnes les plus saines qu'il me soit donné de connaître. Peu importe ce qu'il vous arrive; ce qui compte, c'est comment vous le prenez.

    Prenons Viktor Frankl qui a développé les fondements de la logothérapie durant son emprisonnement dans un de ces camps de concentration. C'est un excellent exemple.

    Grâce à la rédaction d'un journal personnel, à la participation à des réunions organisées par les Alcooliques anonymes, à des rencontres avec des thérapeutes, des membres de la famille et des pairs, la cathexis individuelle, ou énergie psychique rattachée à des événements marquants dans la vie de l'individu, finit par être maîtrisée--la catharsis s'opère. Grâce à ce processus thérapeutique, l'individu prend conscience des choix qui amplifient ou atténuent sa culpabilité et sa honte, par opposition à sa confiance en soi et en ses compétences propres. Là encore, nous avons des choix.

    Je termine là-dessus. Comme je le disais tout à l'heure, je pourrais m'étendre indéfiniment sur le sujet. Merci de m'avoir reçu aujourd'hui.

+-

    La présidente: Merci, et merci à chacun de vous pour les exposés que vous avez faits jusqu'ici. C'est très intéressant.

    Monsieur LeBlanc, avez-vous des questions pour nous?

+-

    M. Dominic LeBlanc (Beauséjour—Petitcodiac, Lib.): Oui, merci, Paddy.

    Je répéterai ce qu'a dit Paddy, à savoir que vous avez fait des exposés intéressants sur des sujets dont nous n'entendons pas beaucoup parler dans certains cas, ou sur un aspect auquel nous ne prêtons pas souvent attention. Merci, donc, et merci pour le travail que vous faites dans la communauté. Lorsque Paddy mettra fin à la séance, elle vous remerciera pour le travail que vous accomplissez dans la communauté, mais je vais la devancer en vous disant dès maintenant à quel point je suis impressionné de voir tout ce que vous faites à l'égard d'un problème social très difficile.

    J'ai trouvé intéressant d'entendre Ellen parler de médicaments d'ordonnance et du mésusage de ces médicaments. Lors de notre passage dans la région de l'Atlantique il y a quelques semaines--je viens du Nouveau-Brunswick--j'ai été étonné de constater à quel point le mésusage des médicaments d'ordonnance, et des médicaments en vente libre dans certains cas, s'était répandu dans beaucoup de localités.

    Monsieur Benson, vous avez parlé un peu de certaines mesures que le gouvernement national pourrait prendre, par exemple établir une base de données permettant de repérer les gens qui vont d'un médecin à l'autre pour obtenir de multiples ordonnances, ou les pharmaciens qui ne se rendent pas compte qu'au Shoppers Drug Mart ou chez le Jean Coutu du voisinage ou ailleurs, des gens font constamment exécuter les mêmes ordonnances. La technologie de l'information pourrait être très utile à cet égard si nous pouvions y introduire la sécurité à laquelle les gens s'attendent d'un système de ce genre.

    Quelles autres mesures particulières pensez-vous que le gouvernement national pourrait prendre pour tâcher de remédier au mésusage des médicaments d'ordonnance? J'ai l'impression que, dans certaines petites localités, le mésusage des médicaments d'ordonnance est peut-être beaucoup plus prononcé que la consommation de cocaïne ou d'autres substances. Cette impression est-elle fondée? Vous devez tous avoir des idées quant à ce que le gouvernement fédéral pourrait faire pour s'attaquer à ce problème.

¸  +-(1410)  

+-

    Mme Ellen Sanderson: J'avais mentionné plus de lignes directrices. Par exemple, je me trouvais à une table ronde tenue sous l'égide de l'AADAC, et à laquelle participait un agent de la GRC. Les agents de la GRC n'ont pas de lignes directrices. Beaucoup de gens en possession illégale de médicaments d'ordonnance et de morphine en font le trafic dans la rue. Nous observons beaucoup plus de cas de ce genre, mais il n'existe pas de lignes directrices à suivre à cet égard.

+-

    La présidente: À ce propos, cela se trouve actuellement dans les textes de loi, dans un certain sens. Aller chez le Dr A, puis, moins de 30 jours après, aller chez le Dr B sans leur dire que l'on vient d'obtenir une ordonnance pour du Percocet ou du Dilotid ou autre narcotique est vraiment contraire à la loi actuellement, mais on ne fait pas respecter cette disposition.

    Les agents de la GRC ont donc des lignes directrices; il existe une loi sur laquelle ils pourraient s'appuyer.

+-

    M. Allen Benson: Nous avons vu quelques condamnations en Alberta au cours des deux dernières années pour trafic de médicaments d'ordonnance; je me trompe peut-être, Ellen, mais je crois comprendre qu'on se heurte à deux problèmes: un manque de formation chez les agents de police, et, chez les médecins, un manque de compréhension de l'importance de contrôler cela également.

    Certains médecins m'ont dit: «Nous ne voulons pas toucher à ce problème; non, nous n'irons pas à vos réunions pour discuter du problème car nous ne voulons pas contester d'autres médecins. Intenter des poursuites contre des médecins est une affaire très grave, et nous ne voulons pas participer à la discussion sur ce point.» Mais c'est une solution.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Par poursuites, voulez-vous parler de poursuites au criminel, ou de sanctions imposées par une association médicale contre ses membres, ou des deux?

+-

    M. Allen Benson: Les deux. Il a été question des deux possibilités au comité que nous mettons sur pied. Des médecins seront là pour représenter l'association, mais je sais qu'ils abordent la question avec nervosité.

    Quelqu'un à Santé Canada a effectué une recherche; je ne puis me rappeler son nom, mais cette recherche a permis d'identifier cela comme l'un des plus gros problèmes.

    Il n'y a rien à cet égard dont les médecins ont vraiment à s'inquiéter. Tout d'abord, les mesures disciplinaires qui sont imposées dans le monde médical, d'après ce que je crois comprendre, ne sont pas assez sévères; il faut donc qu'il y ait une certaine forme de menace.

+-

     Il y a un problème sous-jacent. Ma fille et ses amis--cela vient donc de la jeune génération--disent qu'on ne comprend pas suffisamment ce qu'on achète. On peut, dans une pharmacie, acheter un médicament en vente libre sans en connaître tous les effets, ou on peut se faire prescrire un médicament sans que le médecin soit obligé d'en expliquer la nature et les effets. Même le pharmacien n'est pas obligé de le faire. Elle dit que l'une des choses peut-être que nous devrions être forcés de faire serait d'obtenir plus d'information à propos de tous les médicaments qui nous sont prescrits de sorte que nous en comprenions les effets. Cela fait partie de l'information. Elle me dit: oui, les jeunes aiment faire la fête et consommer des drogues, c'est bien vrai, papa, mais il reste que lorsque nous sommes au courant des effets, du moins en ce qui concerne mon groupe d'amis, cela influe sur nous car nous faisons quand même attention à notre santé. Du moins, nous nous en soucions encore. Ce n'est peut-être pas général. Le problème est également exprimé par les clients dont nous nous occupons. Voilà donc un enjeu: plus d'information.

    Nous parlons avec eux de prévention de la toxicomanie, mais ils ont pour attitude qu'aucun de ces efforts ne donne de résultat. Ces campagnes de sensibilisation ne fonctionnent pas. Si vous voulez mener une campagne, faites-nous intervenir. Notre problème vient en partie de ce que nous continuons de penser que nous savons ce qui vaut mieux pour les jeunes d'aujourd'hui, pour nos clients et pour notre communauté. Nous ne leur demandons cependant pas à eux ce qui vaut mieux pour eux. Je pense donc qu'il y a plusieurs problèmes auxquels nous devons réfléchir.

¸  +-(1415)  

+-

    La présidente: Monsieur Meier ou monsieur Bellerose.

+-

    M. Doug Bellerose: Nous réfléchissons trop, et quand nous finissons par agir, il est trop tard. Au Canada, tout repose sur la théorie. On fait beaucoup de recherche. On prononce de belles paroles et on soigne les apparences, mais quand on finit par faire quelque que chose, il y a quelqu'un de mort. Je pense qu'il faut songer à faire quelque chose maintenant, par exemple légiférer.

    Voyez ce qui se passe dans les tribunaux. Les gens vont en prison et, durant les 30 derniers jours de leur peine, il peuvent subir un traitement. Ils devraient peut-être subir un traitement avant de comparaître devant un tribunal, recevoir leur sentence et purger leur peine, non après. Je n'accepterai personne qui est allé en prison et qui veut en sortir pour les 30 jours de traitement. Je lui dirai de commencer par purger sa peine et de venir me voir à sa sortie de prison. J'ai déjà connu cela et je sais ce que c'est. Je suis allé en prison. J'ai commis beaucoup de méfaits.

    Mais tout prend trop de temps. Quand on finit par agir, il est trop tard. Nous pensons à un tas de choses. Nous faisons réunion après réunion, et dix ans plus tard un politicien adopte l'idée et juste au moment où il va chercher à la mettre en pratique, il s'en va ailleurs ou il confie le projet à quelque autre autorité ou quelque chose d'autre arrive, et quelqu'un d'autre prend le relais. C'est comme prendre du poids et grossir. Quand on songe finalement à faire quelque chose, il est trop tard.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Il y a beaucoup d'agitation mais pas d'action.

+-

    M. Doug Bellerose: Oui. Mais tout le monde y pense.

    On parle de partenariat. Les gens disent: je vais faire ceci et nous nous réunirons avec vous autres et nous ferons cela, mais cela n'arrive jamais en réalité.

+-

    La présidente: Je ne voulais pas vous interrompre, mais je pense l'avoir fait par accident. Vous pouvez ajouter quelque chose, si vous le désirez, et je pense que M. Meier veut intervenir lui aussi.

+-

    Mme Ellen Sanderson: J'allais simplement faire remarquer, à propos du mésusage de médicaments d'ordonnance, comme la morphine, que j'ai demandé à l'AADAC qui était responsable à cet égard. Souvent des clients nous apportent des contrats qu'ils ont signés avec le médecin, et jamais ils ne sont respectés. J'ai donc demandé quoi faire quand ces contrats ne sont pas respectés. Nous continuons de les voir même s'ils font une rechute, car cela fait partie de la toxicomanie. Les médecins continuent cependant de leur prescrire ces médicaments même si les contrats n'ont pas été respectés. J'ai donc demandé à la Commission si ces médecins font rapport à l'association médicale ou à elle-même. À qui doivent-ils rendre des comptes? Voilà une des questions que j'ai posées.

+-

    La présidente: La Commission a-t-elle donné une réponse?

+-

    Mme Ellen Sanderson: Non. Je peux jouer mon rôle et dire au médecin qu'effectivement, tel gars n'a vraiment pas respecté son engagement, qu'il consomme de la cocaïne et d'autres substances qu'il n'est pas censé consommer. Mais nous continuons à travailler avec eux parce que cela fait partie du contrat: ils doivent continuer de recourir au counselling tout le temps qu'ils prennent les médicaments qui leur sont prescrits.

¸  +-(1420)  

+-

    La présidente: Vous avez la parole, Shawn.

+-

    M. Shawn Meier: Je veux simplement que les choses soient claires. Il s'agit de savoir ce que le gouvernement fédéral pourrait faire pour réduire la consommation de médicaments d'ordonnance. Était-ce bien la question?

+-

    M. Dominic LeBlanc: Oui. Que pourrait faire le gouvernement pour s'attaquer à une consommation abusive de médicaments d'ordonnance qui, apprend-on, est très répandue?

+-

    M. Shawn Meier: Là encore, j'écoute tout ce qu'on dit et je constate qu'il s'agit d'un problème systémique. Voilà pourquoi vous êtes ici aujourd'hui. Comment une loi peut-elle remédier au problème? En fin de compte, nous n'avons pas le pouvoir d'influencer les individus; nous avons cependant le pouvoir d'influencer la population en général.

    Quand je réfléchis à cela par rapport à certaines des choses que j'ai étudiées, je pense que, d'un point de vue autochtone, nous avons des valeurs culturelles très différentes. D'après ce que je crois comprendre, en tant qu'autochtone, j'ai l'obligation, le devoir, de le faire remarquer aux gens quand ils agissent de façon inacceptable. C'est comme ça que nous apprenons. C'est ainsi que nous nous développons. Si personne ne fait d'observation sur notre comportement, nous n'en sommes bien sûr pas conscients et nous continuerons peut-être d'agir de la sorte.

    Selon le modèle occidental, nous avons le droit individuel d'user et d'abuser de nous-mêmes. Personne ne peut nous arrêter. Personne n'a le droit de nous critiquer sauf bien sûr si notre comportement met autrui en danger, car nous avons cette façon de penser très individualiste.

    Quand je réfléchis à cela, je me demande comment une loi pourrait, dans une société individualiste, influer sur ce qu'est l'individu au niveau de base. La première chose qui me vient à l'esprit, c'est que je suis d'accord avec certains de mes collègues ici pour dire que nous avons effectivement besoin d'une loi plus sévère. Il nous faut également adopter une perspective psychopédagogique, à savoir qu'il faut non pas seulement sensibiliser les agents de la GRC mais aussi éduquer nos enfants. Nous le faisons à très grands frais pour le gouvernement de même que très en profondeur: nous faisons bien un travail de sensibilisation et d'éducation.

    L'information existe si l'on sait où la chercher. Je puis voir que vous avez raison, et c'est pourquoi j'ai dit que l'information existe si l'on sait où la trouver. Comme je travaille dans le domaine des toxicomanies, je la vois partout. Je la vois dans les salles de toilettes, avec des affiches aux murs. Je vois des affiches agrafées aux poteaux de téléphone, et divers dépliants expliquant où s'adresser. Nous avons beaucoup de gens ici qui offrent des services dans tous les coins de la province.

    Malheureusement, si on grandit dans une famille qui ne reconnaît pas la consommation abusive de drogues ou de médicaments ou la toxicomanie, alors on ne la voit pas. Nous considérons que cela fait partie de notre fonctionnement normal, quotidien. C'est là où l'information doit devenir enracinée dans nos services de counselling quel que soit le niveau où nous oeuvrons.

    Si l'on pouvait y consacrer des fonds, nous pourrions avoir des gens pour s'occuper spécialement de ces questions. Quand quelqu'un s'adresse à nous à propos d'une infraction qui n'a pas rapport avec les drogues, lui donnons-nous les outils dont il a besoin pour faire face à ce qui se passe dans sa vie personnelle afin qu'il devienne plus conscient et afin que ses enfants deviennent conscients eux aussi? Cela me paraît une approche très différente.

    Si nous pouvions appliquer une compréhension plus holistique, à savoir qu'il nous incombe en tant que communauté de nous occuper du comportement des membres de notre communauté, non pas d'une façon punitive mais en favorisant la prise en main personnelle, comment le ferions-nous?

    Comme je l'ai dit, cela se résume pour moi à plus d'éducation. J'aimerais avoir une meilleure réponse que cela, mais je n'en ai pas d'autre. Je crois vraiment qu'il faudra un effort collectif, non un effort individuel. Les agents des services de counselling pour les autochtones ont affaire à des gens qui viennent de divers milieux, comme nous tous. Ils ont la possibilité de s'occuper immédiatement de ce problème quand quelqu'un se présente à leurs bureaux, tout comme nous. Là encore, je le répète, c'est simplement affaire d'éducation.

    Merci.

+-

    La présidente: Puis-je poser une question complémentaire à ce sujet?

    Juste avant que vous ne répondiez sur ce point, cependant, un des facteurs qui rendait plus facile d'obtenir beaucoup de médicaments d'ordonnance est le programme de santé à l'intention des autochtones. Les médicaments d'ordonnance sont gratuits pour les Indiens inscrits, et cela crée un problème car il n'y a aucune limite de coût. Comme on peut obtenir 90 comprimés de temps en temps, il arrive qu'on les prenne pour les vendre. Pour un toxicomane, cela constitue un véritable problème.

+-

     Il semble qu'il y ait peut-être moins de préoccupation sociale chez certains médecins. Nous avons entendu parler d'initiatives--et je ne sais pas si vous en connaissez, madame Anderson, ou peut-être que cela arrive aussi à Rocky Mountain House--où les travailleurs communautaires, voyant que le patient X a 400 comprimés de Tylenol 3, décident de ne pas faire affaire avec tel médecin parce qu'ils savent que ce médecin présente un problème. Et déjà l'on prend des mesures communautaires contre certains médecins pour tâcher de rompre le cycle.

    Quelqu'un dans la région de l'Atlantique parlait d'un autochtone qui obtenait trois ordonnances différentes prescrivant 90 comprimés, concernant toutes des narcotiques et renouvelables deux fois, à une clinique de consultation sans rendez-vous. Cela a causé tout un émoi. S'il ne s'agissait pas en principe d'un comportement criminel de la part du médecin, et si cela est arrivé exactement comme on nous l'a dit, il semble certes que cela contribuait au problème.

    On a cependant reconnu que mettre fin au problème pourrait avoir d'autres conséquences, dans le cas où quelqu'un souffrant véritablement et ayant besoin d'aide n'obtenait pas les médicaments dont il a besoin. Et dans le cadre du programme de santé à l'intention des autochtones, certains des médicaments que les gens désirent ne sont pas disponibles tandis qu'on leur refile certains médicaments dont ils n'ont probablement pas besoin au même point.

    Est-ce un problème que vous constatez ou en avez-vous une analyse plus approfondie?

¸  +-(1425)  

+-

    M. Allen Benson: C'est un problème. C'en est un également chez les sans-abri ici à Edmonton, dans le cas des assistés sociaux dont les médicaments sont gratuits. C'est surveillé un peu différemment. C'est habituellement un travailleur social qui surveille la chose. Dans le cas des services médicaux, cela n'est pas aussi bien surveillé, ou du moins ça ne l'était pas.

    Je ne sais pas quelle est la réponse à ce sujet. Nous avons eu des discussions avec certaines sociétés pharmaceutiques qui trouvent très important de sensibiliser les médecins et qu'on ne fait pas assez d'effort auprès des médecins pour les sensibiliser au problème de la consommation abusive des médicaments d'ordonnance. C'est une des choses qui pourraient se faire au Canada.

    Par exemple, Santé Canada et les sociétés pharmaceutiques pourraient avoir des discussions plus officielles pour voir comment on pourrait fournir plus d'information, en collaboration avec les associations médicales, afin de sensibiliser les médecins.

    J'ignore quelles sont les conditions pour obtenir l'autorisation d'exercer la médecine. Les médecins doivent-ils suivre des cours pour mettre leurs connaissances à jour? Les chirurgiens doivent le faire, mais est-ce le cas aussi pour les omnipraticiens? Sinon, nous devrions peut-être prévoir dans leur autorisation d'exercer qu'ils doivent suivre tous les ans ou tous les deux ans un cours de formation sur les priorités du Canada. L'une d'entre elles semble être le problème de la consommation abusive de médicaments d'ordonnance.

    Peut-être faut-il songer à cibler ceux qui font les choix, le client et le médecin. En sensibilisant le médecin, ou en éduquant le client, nous pourrions peut-être faire un peu de travail d'intervention sur ce point. Il resterait ensuite au reste d'entre nous de nous servir des programmes communautaires pour faire le genre de travail d'intervention dont nous avons parlé.

    Mais il faudrait surtout imposer des conditions aux sociétés pharmaceutiques pour qu'elles fournissent une meilleure information, et assortir de certaines conditions l'autorisation d'exercer des médecins.

+-

    La présidente: En Alberta, c'est le gouvernement provincial qui décerne les autorisations d'exercer, et il existe deux écoles de médecine.

    M. Allen Benson: Oui.

    La présidente: Nous avons déjà entendu dire lors d'une autre table ronde que les médecins reçoivent peut-être deux heures de formation au cours de leur programme d'études de quatre ou cinq ans. C'est une chose que l'on pourrait mettre très rapidement en oeuvre ici-même dans cette province, j'espère bien.

+-

    M. Allen Benson: Nous inscrivons cela à notre agenda. Cependant, cela pourrait également figurer à l'ordre du jour des discussions fédérales-provinciales sur le financement de l'assurance-maladie.

    La présidente: Oui.

+-

    M. Doug Bellerose: Il y a aussi que c'est vraiment trop facile. Tout devient trop facile d'accès aux gens. J'ai un copain qui est chauffeur de taxi pour les services médicaux. Il constate que, vers l'heure où débutent les séances de bingo, disons 17 heures, quelqu'un prendra rendez-vous pour voir un médecin à 16 h 30 de façon à pouvoir faire deux choses: d'abord, obtenir des médicaments d'ordonnance et, ensuite, les vendre à un joueur de bingo à la salle de bingo. Voilà ce qu'on fait dans notre pays.

    Il y a tellement de gens qui font du taxi. Il y a tellement de gens qui vont consulter les médecins. Il y a des cliniques ouvertes le soir, de sorte que les gens peuvent faire ce genre de choses. Je peux m'y présenter sous une autre identité, sans produire de carte d'identité ni quelque carte que ce soit prouvant que je suis bien qui je prétends être, et obtenir une ordonnance sous le nom de quelqu'un d'autre.

+-

     Tout est trop facile. Je crois qu'il faudrait réexaminer qui a accès, et comment, aux services médicaux, thérapeutiques ou de quelque genre que ce soit dont on a besoin. C'est comme dans les assurances, où il faut obtenir trois expertises. Qui a endommagé le véhicule? Vous savez, on obtient trois expertises de médecins qui déclarent que telle personne a besoin de tels médicaments d'ordonnance pour telle raison. Ce n'est pas un médecin qui dit: vous voilà servi.

    Notre médecin de High Prairie est le seul médecin de famille pour l'année, mais il est l'un des principaux médecins à prescrire tous ces médicaments d'ordonnance. J'ai pensé que je pourrais me forger une réputation en devenant directeur pour l'année. C'est absurde. On laisse tout passer à tout le monde. Tout est trop facile.

    Puis il y a les Indiens de la loi C-31. Il s'agit d'enfants d'Indiens inscrits ou de personnes qui avaient perdu leur qualité d'Indien il y a plusieurs années à la suite d'un mariage. Ils ne peuvent maintenant avoir accès aux services que grâce à la loi C-31.

¸  +-(1430)  

+-

    La présidente: On en parle donc comme d'Indiens de la loi C-31?

+-

    M. Doug Bellerose: Oui.

    Tout le monde crée ses propres problèmes, et maintenant le problème existe et nous voici en train de parler de la façon dont nous allons résoudre ces difficultés ou de la façon dont nous les considérons.

+-

    La présidente: D'accord.

    Madame Sanderson.

+-

    Mme Ellen Sanderson: Je veux simplement faire une observation sur ce qu'a dit M. Benson en parlant d'informer les clients et de sensibiliser les médecins.

    Je sais que nos clients sont informés à propos des médicaments d'ordonnance et de leurs effets sur eux. Une de mes clientes m'a fait remarquer une chose l'autre jour. J'avais parlé des Tylenol 3. Environ la moitié de mes clients souffrent d'hépatite C, et environ autant prennent des Tylenol 3, qui est, comme tous les conseillers le savent, un médicament non recommandé pour ceux qui sont atteints d'hépatite C car il passe dans le foie. Cette observation vient d'une cliente. Elle m'a dit: «Pensez-vous que je devrais poursuivre ce médecin? Il m'a de toute évidence prescrit un médicament qui n'est pas bon pour moi.» Les clients sont donc mieux informés.

    Nous les informons, et nous tâchons de les faire décrocher des médicaments, mais beaucoup de clients atteints d'hépatite C éprouvent de la douleur et ont besoin d'un calmant.

+-

    La présidente: Certaines des personnes que nous avons rencontrées à Eagle's Nest nous ont dit qu'elles avaient très bien appris à simuler les symptômes, de sorte qu'elles étaient très habiles pour obtenir ce dont elles avaient besoin. Mais cela fait parfois partie de la propension à la dépendance, je suppose.

    Monsieur Meier.

+-

    M. Shawn Meier: Je pensais à ce qu'avait dit M. Benson en parlant d'interventions psychopédagogiques, soit informer le client et sensibiliser le médecin, considérer les gens au sein de leur environnement et voir ce qui a provoqué ou causé leur propension à la dépendance, comme vous dites. En général, c'est de cela que nous nous occupons, c'est-à-dire l'individu plutôt que le système. Aujourd'hui, bien sûr, nous tâchons de prendre le système en considération.

    Assis ici, je pensais que par l'intervention du gouvernement, au moyen des lois... Les lois me paraissent en général directives et punitives. Elles sont directives en ce sens qu'elles nous disent ce qu'il faut faire pour aider l'individu. Elles sont punitives en ce sens qu'elles menacent de mesures disciplinaires ceux qui ne font pas ce qu'il faut faire.

    En ce qui concerne la recherche ou le financement, en songeant à certaines des sociétés pharmaceutiques, je me demandais pourquoi on ne financerait pas davantage la recherche consacrée à des médicaments naturels plutôt qu'à des médicaments artificiels ou chimiques ou synthétiques? Par exemple, je consultais un ouvrage l'autre jour--j'aimerais bien l'avoir apporté ici avec moi--où l'on disait qu'il existait une certaine herbe ou plante naturelle qui produisait, comme des études cliniques l'avaient démontré, le même effet que le Prozac.

+-

    La présidente: Il s'agit du millepertuis.

+-

    M. Shawn Meier: Eh bien, le millepertuis est en réalité d'un niveau bien inférieur. Oui, le millepertuis soigne la dépression. L'herbe dont je parle et qui a fait l'objet d'études cliniques équivalait vraiment au Prozac. Le millepertuis est ordinairement un antidépresseur bénin.

+-

     Donc, ce à quoi je pense...

    Désolé. Allez-y.

¸  +-(1435)  

+-

    La présidente: J'allais dire, à ce propos, que l'une des difficultés concernant les médecines naturelles, c'est qu'il y a encore moins de contrôle concernant ceux qui y ont accès. D'aucuns préconisent un régime beaucoup plus rigoureux. Je ne vais pas acheter dans une boutique tout ce que je peux bien vouloir sans beaucoup d'information, car certains produits peuvent quand même agir sur mon foie et sur mon fonctionnement. Cela dépend de la quantité, comme dans le cas d'un narcotique.

+-

    M. Shawn Meier: Exact. Je suis d'accord avec vous. Cela fait partie de la seconde partie de mon explication.

    À cause de la réglementation gouvernementale, les sociétés pharmaceutiques sont assujetties à des règlements beaucoup plus sévères. Je sais qu'il est maintenant très difficile, du moins à mon avis, de faire accepter certains des nouveaux médicaments qui apparaissent sur le marché. Mais je pense que cela devrait être encore plus difficile. Si nous pouvons offrir des solutions de rechange, nous ouvrons beaucoup de portes et nous réduisons également le nombre des médicaments que l'on trouve dans la rue. Quand on songe au Talwin et Ritalin et à tous ces autres médicaments servant à soigner divers problèmes psychologiques ou physiologiques, on voit qu'ils créent beaucoup de problèmes. Voilà pourquoi nous sommes ici aujourd'hui, de toute évidence.

    Voilà simplement une suggestion en matière de législation.

    Merci.

+-

    La présidente: Rappelez-vous, il n'est pas toujours nécessaire de se servir de lois. Nous offrons beaucoup de programmes et nous dispensons beaucoup d'encouragement moral aux provinces pour qu'elles offrent différents programmes--

+-

    M. Shawn Meier: Considérons-nous le financement également?

    La présidente: Certainement.

    M. Shawn Meier: Considérons-nous les programmes, des choses comme ça?

+-

    La présidente: Certainement. On peut tout prendre en considération actuellement.

    Monsieur LeBlanc.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Merci.

    Il y a un autre problème sur le thème du mésusage des médicaments d'ordonnance--et cela pourrait correspondre à votre intuition personnelle ou à ce que vous avez constaté lors de conversations avec vos clients ou avec les pensionnaires de vos centres. Je me demande s'il n'y a pas une tendance...et cela a rapport avec les différences de légalité. Si l'on trouve dans la trousse de toilette de quelqu'un une ordonnance pour du Tylenol 3, on ne l'arrêtera pas. Mais si l'on trouve de l'héroïne ou de la cocaïne dans la serviette de quelqu'un, ce dernier se trouvera dans une situation bien pire que s'il avait un médicament d'ordonnance. Si le flacon porte une étiquette déclinant le nom d'un médecin et d'une pharmacie, il peut être moins menaçant pour quelqu'un de...

    Je me demande s'il n'y a pas un stigmate attaché à quelque chose d'illégal par rapport à quelque chose que l'on peut se procurer auprès d'un médecin ou dans une pharmacie. Les médecins sont censés améliorer votre santé et s'occuper de vous, prendre soin de vous, non de vous faire tomber dans une toxicomanie.

    Voilà qui nous mène à la seconde question, concernant la décriminalisation de la marijuana. Certains disent que le Parlement devrait envisager une telle décriminalisation. Il y a une différence entre décriminaliser et légaliser--éliminer la sanction pénale pour possession de marijuana, mais non pour en avoir fait le trafic, non pour en avoir organisé la culture à grande échelle quelque part, mais pour la simple possession. Si on la décriminalisait, cela amènerait-il certains à présumer la même acceptation que celle dont ils croient bénéficier en ayant du Tylenol 3 dans leur trousse de toilette?

+-

    La présidente: Monsieur Benson.

+-

    M. Allen Benson: Nous nous sommes intéressés à la question de la décriminalisation de la marijuana et au débat à ce sujet pour un tas de raisons. Il y a d'abord le fait qu'étant donné que nous nous occupons de tellement de problèmes en matière de justice, nous avons eu de vastes discussions au sein de notre organisme--et nous avons 200 employés dans la province au service des communautés. Nous avons tenu également des discussions avec beaucoup d'organismes à propos de cette question, et maintenant les discussions se tiennent avec les jeunes.

    Nous sommes d'avis que décriminaliser la marijuana va accomplir deux ou trois choses positives pour la communauté. D'abord, on consommera davantage de la marijuana--et ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose--chez ceux qui se concoctent actuellement des cocktails de médicaments. Voici ce que disent des jeunes: «Nous faisons des cocktails parce qu'ils sont légaux.» Ils utilisent les substances chimiques prescrites dans les ordonnances. Cela se dit dans les grands centres urbains, et nous l'entendons dire également à Vancouver.

+-

     La marijuana est considérée illégale. On ne peut rien faire contre les gens qui ont un médicament d'ordonnance dans leur sac ou leur porte-feuille. A moins de confisquer le comprimé et de l'envoyer à un laboratoire, chose qu'on ne perdra pas son temps à faire, on ne peut accuser quelqu'un de concocter une drogue.

    La nouvelle défonce, ou le nouvel euphorisant, ce sont donc maintenant ces médicaments, et les jeunes disent que fumer de la marijuana produit moins d'effet que l'alcool ou les cocktails de médicaments qu'ils achètent et consomment de toute façon à l'heure actuelle.

    Cet argument, nous en constatons la réalité de notre point de vue. Or, sous l'angle du traitement, il y a toute une série d'autres arguments pour démontrer pourquoi on ne devrait pas consommer ces médicaments. Nous n'avons pas cette opinion parce que nous ne nous occupons pas de traitement. Voilà pourquoi nous soutenons...ou du moins autour de la table nous nous accordons à dire que la décriminalisation de la marijuana serait une mesure positive pour la communauté.

¸  +-(1440)  

+-

    La présidente: Madame Sanderson.

+-

    Mme Ellen Sanderson: Lorsque le problème s'est posé initialement, quelques clients sont venus tout de suite me demander: «Qui dois-je aller voir pour me faire prescrire cette drogue?» Je leur répondais: «Vous devez voir le médecin; cela ne se fera pas par l'intermédiaire du conseiller une fois qu'on aura décidé de la décriminaliser.» Mais ils sont venus en très petit nombre contrairement à ce que je prévoyais. Certains de mes clients, ceux qui sont atteints de cancer et quelques uns qui souffrent d'hépatite C et d'autres maladies, qui éprouvent surtout de la douleur et des troubles gastriques, fument de la marijuana, et je dirais que cela produit un effet bénéfique.

    Par ailleurs, je dirais que je préfère les voir fumer un peu pour atténuer la douleur plutôt que de les voir consommer des drogues ou de l'alcool.

+-

    La présidente: Vous parlez de la consommation médicale de la marijuana.

    Mme Ellen Sanderson: Oui.

    La présidente: Monsieur Meier.

+-

    M. Shawn Meier: À propos de la décriminalisation de la marijuana, très rares à mon avis sont ceux pour qui ce serait bénéfique, mais je reconnais que ce le serait pour certaines gens qui en consommeraient pour des raisons médicales.

    Cependant, je pense qu'il serait--

+-

    La présidente: Il y a une certaine confusion à ce sujet. Cela a été une des difficultés à surmonter en parlant aux gens. Les jeunes éprouvent apparemment beaucoup de confusion eux aussi.

    Légaliser serait bien différent. Essentiellement, n'importe qui pourrait avoir accès à la marijuana, comme pour l'alcool, peut-être à certaines conditions et peut-être pas les moins de 18 ans. Décriminaliser veut dire que la marijuana reste illégale en grande quantité, mais si on en possède une petite quantité, deux joints par exemple, on n'encourra pas de sanctions. On ne se fera pas imposer d'amende et on ne fera pas l'objet d'accusation au criminel.

    La consommation médicale de la marijuana appartient à une troisième catégorie, et c'est une chose qui se fait déjà. Il y a des gens qui peuvent se la faire prescrire par un médecin, et ils peuvent en posséder parce qu'ils sont malades. Le gouvernement en fera même la distribution éventuellement, et cela est en cours. Voilà pourquoi on en cultive à Flin Flon.

    Quand on parle de décriminalisation, on ne parle donc pas de consommation médicale de la marijuana.

+-

    M. Shawn Meier: Merci; je vais donc réorienter mon intervention.

    Je sais que je ne suis pas d'accord avec certains participants à la table ronde ici, mais je pense que la décriminalisation ne fera qu'encourager la consommation. Je ne parle cependant pas de consommation à court terme, mais de consommation à long terme. Beaucoup d'études affirment que cela ne crée pas de dépendance tandis que d'autres affirment le contraire. Il me paraît cependant incontestable que la consommation de marijuana à long terme cause divers problèmes de santé. Elle peut causer le cancer de la gorge et des poumons, dont l'incidence a augmenté, comme pour la consommation de tabac, et elle cause en outre diverses formes de lésion cérébrale, de perte de mémoire à court terme et ce genre de choses.

+-

     À propos de la marijuana, une des choses que j'ai constatées, c'est que lorsqu'on a affaire à des gens qui sont devenus des consommateurs invétérés, en général... Voici comment, d'après ce que je crois comprendre, fonctionne la physiologie. Nous avons dans le cerveau des réseaux de neurones. Il ne s'agit pas de connexions simples. Il s'agit de multiples impulsions électriques qui circulent en même temps et qui s'entrecroisent. La consommation de marijuana détruit ces réseaux de neurones. Elle détruit ces connexions neuronales.

    Ce faisant, l'information est déroutée le long de circuits différents, ce qui nous fait connaître ces merveilleuses intuitions. Plusieurs des consommateurs à long terme, invétérés, de marijuana que je connais sont des génies, ils le sont tous. Ils ont de merveilleuses intuitions. Et il a été très difficile de traiter avec eux. Bien sûr, comme ils sont des génies, ils peuvent rationaliser et justifier leur consommation de marijuana.

    Pour ce qui est de la décriminalisation, quand on parle d'un ou de deux joints pour consommation personnelle, qui va dire où s'en procurer, ou en acheter, et combien on peut en avoir? Quand quelqu'un possède deux joints à un moment donné, cela veut-il dire qu'il peut fumer deux joints puis aller au coin de la rue et en acheter deux autres? Je me demande comment cela limite la consommation?

    Voilà donc ce qui me préoccupe, à savoir que la décriminalisation va plutôt faire augmenter l'offre et la consommation. En tant que gestionnaire de programme aux Services de lutte contre les toxicomanies chez les autochtones, ce n'est pas une chose que je souhaite. Je ne veux pas voir des gens se présenter à mon bureau parce qu'ils ont de la difficulté à affronter la vie quotidienne. Ils viennent nous voir parce que la marijuana est une drogue. Je le répète, on peut discuter à savoir si elle crée ou non une dépendance, mais sa consommation à long terme cause des lésions cérébrales. Cela cause beaucoup de difficultés.

    Je ne serais donc pas d'accord pour qu'on la décriminalise.

¸  +-(1445)  

+-

    La présidente: Monsieur Bellerose.

+-

    M. Doug Bellerose: Que l'on décriminalise ou non quoi que ce soit, les gens vont quand même le faire. Ils vont quand même en avoir. Ils vont quand même en acheter, peu importe ce que c'est. À mon avis, cela a beaucoup à voir avec la préférence des gens, l'expérimentation, et ce genre de choses. Les gens vont essayer telle chose pendant un certain temps, puis passeront à un autre groupe d'amis et essaieront telle ou telle autre chose.

    Quant aux médicaments d'ordonnance et à tous ces jeunes qui font ce qui leur chante, concoctant ces cocktails de médicaments et ce genre de choses, c'est comme renifler de la colle. Quand j'étais jeune, comme je n'avais pas les moyens d'acheter de l'alcool, je reniflais de la colle puisque c'était gratuit et qu'il y en avait en abondance. Il en va de même pour ces médicaments d'ordonnance: on trouve un ami ou on fait une razzia dans la pharmacie de sa mère ou de sa belle-mère.

    Beaucoup de choses ont à voir avec deux catégories de gens en l'occurrence, ceux qui s'occupent de la politique, ou des lois, et ceux qui utilisent ou consomment abusivement des médicaments. On ne peut pas vraiment dire que cela a quoi que ce soit à voir avec les lois; cela a à voir également avec la personne qui les consomme. Cela a à voir avec notre société. Cela a à voir avec les dirigeants de notre propre communauté.

    Assis ici, je me dis: «C'est la faute des médecins, oui, des médecins.» Ce n'est pas la faute des médecins. Si j'étais médecin et que quelqu'un venait me voir en me disant: «J'ai besoin d'aide à propos de telle chose», je serais censé l'aider. Ce n'est donc pas la faute de quelqu'un en particulier, c'est la faute de tout le monde.

    Je pense à l'époque où j'ai commencé à m'occuper de ces dossiers...et l'on se préoccupe de confidentialité, mais cela n'existe pas dans une petite localité. On a introduit une loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée et beaucoup d'autres choses, mais tout le monde sait ce qui se passe et qui fait quoi. Quant aux lois, peu importe ce que vous avez devant vous ou derrière vous, vous allez quand même faire ce que vous voulez.

    L'éducation est la clé, tout comme la prévention, et aussi l'aide après la désintoxication. Si vous examinez la gamme de services harmonisés que nous offrons, vous verrez qu'il y a beaucoup de gens qui ont leur place partout et n'importe où, mais au lieu d'essayer d'attribuer la faute à qui que ce soit, nous devrions comprendre que c'est la faute de tout le monde. Ce n'est pas la faute de certaines personnes ou de certains groupes seulement, mais celle de tout le monde.

+-

    La présidente: Monsieur Benson, vous voulez intervenir de nouveau?

+-

    M. Allen Benson: À l’époque de la prohibition… Bien des gens qui sont grands-parents ou parents maintenant ne pourraient voyager aux États-Unis. À cette époque, c’était une infraction, mais ce n’était pas une infraction au Code criminel. C’est là le problème pour nous, du point de vue de la justice. Nous voyons les conséquences pour la population. Nous les constatons devant les tribunaux, avec notre programme de travailleurs auprès des tribunaux, dans la collectivité et même avec nos employés.

    J’ai engagé un chercheur pour faire des recherches à l’étranger, et j’ai constaté que cette personne ne pouvait franchir la frontière à cause d’une accusation de possession ou de consommation de marijuana lorsqu’elle avait 19 ans. Elle en a maintenant 37. Mais, d’après les douanes américaines, c’est toujours une infraction pénale. Et l’infraction figurait sur son dossier.

+-

     La question se présente ainsi, pour moi. Si c’est illégal, fort bien, mais n’en faisons pas une infraction pénale. Si tel est le problème, si c’est comme la possession d’alcool, alors, dans ce cas-ci, c’est une accusation pour possession de marijuana. On paie une amende de 75 $ ou de 150 $. S’il y a récidive, le juge décide d’imposer une peine plus lourde, et c’est la limite qui est imposée aux tribunaux. La criminalisation d’une drogue douce--c’est ainsi que je vois les choses--est vraiment inquiétante, parce qu’elle a des répercussions sur toute la collectivité.

    Il ne s’agit pas ici de la jeune génération, mais de la nôtre, qui est affrontée à cette question également. Bien des gens de notre génération, qu’ils soient en politique ou dans un domaine professionnel, peu importe lequel, ont subi d’une façon ou d’une autre les conséquences de la consommation de marijuana ou d’une condamnation. Je sais que c’est un problème. Nous nous occupons beaucoup de réhabilitation. Le solliciteur général reçoit beaucoup de demandes de réhabilitation, et la plupart d’entre elles portent sur la possession de marijuana.

    Voilà la situation. Les recherches ne sont pas concluantes, et cela fait partie de l’autre problème. Il y a tellement d’éléments. Les recherches sur la consommation de marijuana et ses effets ne sont pas concluantes. Je ne veux même pas envisager la question sous cet angle. Les effets sur notre société et les coûts du système judiciaire et des services policiers… C’est ridicule.

¸  +-(1450)  

+-

    La présidente: Sur ce dernier point, celui des générations. La marijuana d’aujourd’hui est beaucoup plus forte que celle d’autrefois. Le joint que fumait autrefois ce type de 37 ans contenait peut-être 2 p. 100 de THC. Ce que les jeunes d’aujourd’hui fument, à Edmonton et ailleurs, peut en contenir de 30 à 40 p. 100. Le produit est beaucoup plus fort. Il ne s’agit même pas de savoir si c’est une drogue douce ou dure. Il s’agit de reconnaître qu’il y a une grande différence.

    Pour l’instant, nous n’avons pas d’opinion ferme, dans un sens ou dans l’autre. Nous essayons d'y voir clair.

+-

    M. Allen Benson: C’est juste. À mon point de vue, il faut faire une comparaison avec les autres drogues sur le marché, comme le crack et tout le reste. C’est illégal, et il faut faire une différence. À un moment donné, il faudra trancher et décider quelles drogues présentent un gros problème et quelles autres n’en présentent aucun. Si toutes les drogues présentent des problèmes, alors, réprimons aussi l’alcool et le tabac. N’ayons pas peur de nous attaquer au vrai problème. L’alcool est tout aussi dangereux pour notre société, et même plus, que certaines de ces drogues illicites. Mais nous ne voulons pas nous attaquer à l’alcool, parce que c’est une grande source de recettes fiscales. C’est un vrai problème.

+-

    La présidente: Certains demandent, puisque nous avons eu si peu de succès avec l’alcool et les cigarettes, pourquoi légaliser un autre produit.

+-

    M. Allen Benson: C’est un bon point, mais si vous légalisez ou décriminalisez un produit--la possession d’alcool n’est pas une infraction au Code criminel, puisqu’on peut l’acheter en magasin--, pourquoi ne songeons-nous pas à la marijuana? Peut-être devrions-nous étudier aussi d’autres questions liées à la drogue.

+-

    M. Dominic LeBlanc: Ce que vous dites là est juste.

    Paddy, vous faites une distinction entre la décriminalisation, la légalisation ou l’utilisation médicale. À mon avis, il serait possible de décriminaliser l’utilisation de la marijuana, qui demeurerait une substance illicite. Autrement dit, il n’y aurait plus d’infraction au Code criminel, de condamnation, de casier judiciaire ni de sanction pénale.

    Faire la chasse à l’orignal avec une lampe de poche est illégal au Nouveau-Brunswick. C’est une infraction. L’amende et la peine sont bien plus lourdes que lorsqu’on se fait pincer avec une petite quantité de cannabis. Mais cela ne donne pas un casier judiciaire. Par contre, une condamnation pour possession d’une petite quantité de cannabis donne un casier. Je pense qu’on pourrait dire par exemple que, si on décriminalise la marijuana, ce produit resterait une substance contrôlée, dont la possession demeurerait une infraction, à moins qu’il n’y ait une exemption pour des raisons médicales. Vous avez parlé de l’utilisation de la marijuana à des fins médicales. En d’autres termes, il s’agirait d’une substance illicite, à moins qu’un médecin ne la prescrive par ordonnance. Il y aurait toujours une amende, comme lorsqu’on a des bouteilles d’alcool ouvertes dans une voiture: on ne fait infliger une amende, mais sans avoir pour autant un casier judiciaire.

+-

    M. Allen Benson: Il y a une mesure de la criminalisation. Lorsqu’une certaine quantité est en cause, la possession a d’autres fins que la consommation personnelle. Je crois que c’est sous cet angle qu’il faut envisager la question. La même chose pourrait s’appliquer pour d’autres drogues qui se vendent dans les rues.

¸  +-(1455)  

+-

    La présidente: C’est une autre question à examiner également. Faut-il modifier tout le régime? Il est possible de soutenir que, aujourd’hui, nous avons établi que le régime des médicaments sur ordonnance ne fonctionne pas très bien pour beaucoup de gens. Mais faudrait-il envisager un régime différent? Vous auriez droit à une ordonnance d’héroïne, de cocaïne ou d’autre chose, et il y aurait diverses restrictions à l’accès, des conditions, etc.

    Une partie de la difficulté, c’est que nous avons des lois, comme vous l’avez dit, monsieur Bellerose, mais que tout le monde agit à sa guise. Enfreindre la loi si ouvertement pose aussi des problèmes.

    Certains témoins sont d’avis que les jeunes ne s’y retrouvent pas dans cette question de l’utilisation médicale de la marijuana. Encore une fois, si ce produit est censé être utile à certains, pourquoi est-il illégal? Je peux aussi bien l’essayer moi-même, prendre ce médicament de ma propre initiative.

    Il y a donc beaucoup de confusion sur le terrain, et cela sert pas nécessairement à rendre la population plus en santé.

    Je vais donner la parole à M. Meier, après quoi nous reviendrons aux discussions.

+-

    M. Shawn Meier: Merci.

    Je viens d’écouter certains des arguments qui ont été présentés ici, et je suis d’accord pour dire que, effectivement, il nous faut rendre plus précises et plus claires nos lois sur la marijuana et d’autres drogues. Il se pose beaucoup de questions, c’est certain.

    Évidemment, M. Benson observe des problèmes juridiques tous les jours, et je suis d’accord là-dessus. La marijuana a causé un problème grave sur le plan judiciaire, si on se reporte à l’anecdote de tout à l’heure sur un homme qui n’a pu venir travailler pour nous à cause d’une accusation portée contre lui lorsqu’il avait 19 ans. Cependant, si on fait une comparaison avec l’alcool et le tabac, nous pouvons constater, aux Native Addictions Services, que, sur le plan de la thérapie, l’alcool et le tabac sont nos gros problèmes, alors que ces produits sont légaux, alors que la marijuana, qui est illicite, ne pose pas un grand problème.

    Pour moi, la décriminalisation est un pas vers la légalisation. Très bien. Cela ne présente aucune difficulté, à mon sens. Par contre, nous devons imposer des restrictions sur le tabac et l’alcool, et nous le faisons. Par exemple, l’interdiction de conduire en état d’ébriété. Il faut être à un endroit sûr, si on veut boire.

    Dans la société occidentale, chacun peut adopter des comportements qui lui sont préjudiciables. La cigarette nous fait du tort, l’alcool aussi. Pourquoi décriminaliser la marijuana? À quelle fin? Cela permettrait-il de réduire le nombre de personnes qui ont maille à partir avec notre système judiciaire? Bien sûr. Mais la hausse de la consommation ferait-elle augmenter aussi le taux de criminalité, le taux d’accidents de voiture? Y aurait-il une augmentation telle des autres problèmes que notre système serait débordé?

    Encore là, je conviens qu’il ne se fait pas assez de recherches. Nous ne possédons pas assez d’information pour répondre à ces questions.

    La marijuana a-t-elle une influence sur les facultés motrices? Bien sûr. Sur notre capacité de conduire un véhicule? Mais oui. S’il y a décriminalisation, cependant, nous n’avons pas les lois nécessaires en place. Comment faire passer un contrôle à une personne qui a pris de la marijuana et conduit un véhicule? Un test sanguin? C’est compliqué. Il y a bien des questions qui se posent. Un test d’urine? C’est possible. Cela coûte 65 $ par test. La décriminalisation aggravera-t-elle le problème de notre système judiciaire au lieu de l’atténuer?

    J’estime, puisque je travaille aux NAS, que les problèmes familiaux et conjugaux seront plus nombreux. La violence diminue généralement lorsque l’on consomme de la marijuana, mais qu’advient-il de problèmes familiaux comme le travail ou la négligence des enfants?

    Je crois que la question est très vaste. Je propose un scénario très large plutôt que de situer le problème au niveau individuel, mais j’essaie d’envisager la situation dans une optique très large et de voir comment la décriminalisation de la marijuana influerait sur la vie courante des gens.

    Pour ce qui est du système judiciaire, il y a aussi bien des questions. Je suis tout à fait d’accord avec M. Benson pour dire qu’il y aurait des économies de temps et d’argent dans le judiciaire, mais, à long terme, y aura-t-il des coûts plus importants. La question est extrêmement difficile.

    Merci.

+-

    La présidente: Madame Sanderson.

¹  +-(1500)  

+-

    Mme Ellen Sanderson: Je voudrais relater les observations d’un agent de la GRC à Red Deer. Il a dit qu’on n’arrêtait personne à cause d’un joint: il y a trop de formalités, il faut aller en cour, etc. Deux ou trois heures à cause d’un simple joint? On ne se donne plus cette peine.

+-

    La présidente: Merci. C’est un point de vue que nous avons entendu également.

    Je le répète, nous avons des lois, et elles ne sont pas nécessairement appliquées. Ce sont des questions difficiles.

    Monsieur Bellerose, vous avez eu un peu de temps pour réfléchir à la décriminalisation.

+-

    M. Doug Bellerose: Je pense simplement que c’est difficile à tous les points de vue. Vous dites que nous avons des lois, par exemple, mais que certains de ceux qui travaillent à la GRC ou ailleurs ne les observent pas. Pourquoi devrions-nous le faire? On a l’impression que…quand on pense à tout, aux enfants, à la politique, aux dirigeants, à ceux qui occupent des postes de confiance, à la religion, à tout ce qui s’est passé ces dix dernières années.

    Nous venions d’avoir des élections, et j’ai demandé à mon fils l’autre jour ce qu’il en pensait, ce qu’il pensait de ceux qui ont été élus. Tous les deux sont ses oncles. Il a répondu: «Je m’en fiche. Ça ne changera rien.» Voilà l’impression qu’ils ont. Ils s’en fichent. Ils boivent, ils se promènent en voiture, ils font la fête. Je viens de perdre un beau-frère et sa femme, à cause de l’alcool.

    Ce n’est pas facile. Il est difficile de continuer à faire certaines choses alors que nous comptons si peu pour ce qui est de la loi et des gens qui s’en chargent.

+-

    La présidente: D'accord.

    Monsieur Benson.

+-

    M. Allen Benson: Je voudrais terminer par une ou deux observations.

    Je suis heureux que vous ayez fait allusion à la GRC, car j’allais parler de la police. Nous avons eu des discussions à ce sujet avec les services de police de Calgary et d’Edmonton. Nous savons que bien des élèves du secondaire qui se font épingler par des enseignants, des directeurs ou des policiers dans les écoles ne sont jamais inculpés. Dans les services de police, on a l’impression que c’est trop de travail et que cela ne vaut pas la peine.

    Le ministre MacAulay a eu une observation qui nous semble coller à la réalité. Nous dirigeons dans le centre-ville d’Edmonton un établissement fédéral relevant de l’article 81. Il suffit à nos résidents et détenus de traverser la rue pour se procurer des drogues. J’ai 92 lits. Le ministre a dit que ce n’est pas l’accès aux drogues qui est le problème, que c’est l’attitude du client qui doit changer. C’est l’attitude de notre société qui doit évoluer.

    Ce ne sont ni l’accès ni la décriminalisation qui font problème. Bien sûr, la décriminalisation aidera notre collectivité et notre pays sur le plan judiciaire. Les coûts me paraissent importants. Notre attitude doit changer. Nous devons considérer les questions de façon plus large et nous intéresser à ces questions fondamentales du rôle de parent.

    Il y a des familles où les deux parents travaillent. Des mères célibataires qui n’ont pas beaucoup d’argent essaient d’élever leurs enfants. Elles doivent travailler parce que l’aide sociale ne leur permet pas de devenir autonomes. Il faut choisir entre l’aide sociale et le travail. Il n’y a pas de solution moyenne. Il n’y a pas de mécanisme de transition progressive qui permet de toucher l’aide sociale tout en travaillant pour gagner de l’argent. On pourrait les aider à se débrouiller pendant deux ans pour qu’elles puissent bâtir leur vie et survivre.

    Les enfants grandissent donc tout seuls, et c’est là un élément du problème. Le travail accapare les parents. Dans les familles où il y a deux parents, ils sont pris par le travail. Nous créons des conditions qui peuvent faire apparaître le problème, puis, nous essayons de le régler en contrôlant la société. Cela ne marche pas. Il faut que les mentalités changent.

    Nous devons donner aux familles le moyen d’être de nouveau des familles. Ce sont là les grands problèmes qu’il faut examiner. Qu’on appartienne à la classe moyenne ou qu’on soit pauvre, la situation est la même. Je le sais, puisque j’ai grandi dans une grande famille du Nord, et j’ai élevé deux adolescents. Je sais ce que c’est, être un parent seul aux prises avec ces problèmes. Il nous faut vraiment voir au-delà des seuls problèmes de drogue. C’est l’attitude qui doit changer, et l’éducation est importante.

+-

    La présidente: Merci.

    Y a-t-il dans la collectivité autochtone des grands champions qui donnent un bel exemple ou qui lancent des programmes? Est-ce qu’il y a de belles initiatives? Pendant la semaine de la toxicomanie, par exemple, on met l’accent au niveau national sur la collectivité autochtone, mais y a-t-il des programmes ou des initiatives en particulier dont vous voudriez nous parler, en dehors de ce que vous faites vous-même?

    Monsieur Meier.

+-

    M. Shawn Meier: Comme je l’ai déjà dit, Clifford Pompana, qui est à l’Université de l’Alberta, est en train de faire un double doctorat en philosophie des religions et en anthropologie psychologique, et ses travaux portent sur la toxicomanie. Il dirige actuellement un programme à la Red Road Healing Society d’Edmonton, où on s’occupe d’intervention précoce.

    La démarche consiste à examiner les problèmes familiaux à partir de la base, mais en s’occupant spécialement des enfants, à intervenir à une étape précoce, au lieu de réagir aux problèmes plus tard, à être proactif plutôt que répressif. Selon moi, le programme est extrêmement sain. J’essaie de m’inspirer de certaines de leurs idées aux Native Addiction Services de Calgary.

    Il y a de solides assises dans la recherche et dans les applications pratiques, sans oublier la façon dont elles cadrent dans la collectivité autochtone. C’est à Abbotsfield, une localité très pauvre au nord-est d’Edmonton, que cette équipe fait son travail.

¹  +-(1505)  

+-

    La présidente: Cela fait partie du programme d’aide préscolaire aux Autochtones?

+-

    M. Shawn Meier: Non.

+-

    Une voix: C'est un programme de ressourcement communautaire.

+-

    M. Shawn Meier: Il s’agit de la Red Road Healing Society. Le nom du responsable est Clifford Pompana, qui est l’aîné en résidence.

    La présidente: Autre chose, madame Sanderson, en dehors de votre propre programme?

+-

    Mme Ellen Sanderson: Une ou deux choses. J’ai déjà parlé du programme Nechi et de Poundmaker’s. Nous espérons obtenir quelque chose de semblable à la Rocky Mountain House. L’autre est le programme Siksika, qui porte sur la violence familiale. On y fait beaucoup de choses dont M. Benson a parlé. Certains des programmes des services correctionnels sont fondés là-dessus. On offre des programmes de ressourcement de trois semaines, pendant toute l’année, pour les hommes, les femmes et les jeunes.

    Tout repose sur les principes de la guérison holistique. C’est un autre programme que nous voudrions avoir à la Rocky Mountain House également.

    La présidente: Monsieur Bellerose.

+-

    M. Doug Bellerose: Pour les établissements, nous avons chaque année une Coupe de la fédération. Nous avons des divisions de hockey pour les femmes, les hommes et les anciens joueurs. Cela a lieu tous les ans. Nous avons commencé l’an dernier des parties de balle lente entre équipes mixtes, et nous avons alterné entre l’Ouest et l’Est. Il y a quatre établissements dans l’Ouest et quatre dans l’Est. Nous avons aussi chaque année des conférences pour les adolescents, et la formule est la même; alternativement, un établissement de l’Est et un de l’Ouest en sont les hôtes chaque année. Il y a encore des conférences pour les aînés, et on travaille sur des conférences familiales dans la région 18 de la CFSA; il s’agit de la Child and Family Services Authority des établissements métis.

    Je ne m’en suis pas beaucoup occupé. Depuis que je suis devenu sobre, il y a 12 ans, j’ai commencé à réfléchir sur la vie. J’ai appris bien des choses sur les établissements et la politique et ce qu’elle peut offrir, et je suis fier de l’Alberta, en ce qui concerne les Métis, le pouvoir et l’influence qu’ils ont dans leur milieu. Ils peuvent faire beaucoup de choses. Beaucoup de possibilités sont offertes aux membres des établissements.

    La présidente: Vous avez un merveilleux sénateur.

    M. Doug Bellerose: Nous avons le MSGC, le Métis Settlements General Council. Il a son siège à Edmonton. Il s’agit d’un collectif réunissant huit établissements Métis. Il y a cinq membres par conseil; voilà la composition du MSGC.

+-

    La présidente: Et cela change-t-il le milieu, le fait d’avoir son propre système de gouvernement ou sa propre organisation?

+-

    M. Doug Bellerose: Oui. Cela existe depuis longtemps, mais il y a pas mal de choses qui sont offertes aux établissements et à leur population.

+-

     Au fil des ans, ils ont préconisé et fait certaines choses pour les jeunes concernant la guérison et le problème de l’alcool et des drogues. Ce n’est qu’un début. C’est leur quatrième année pour les établissements dans la région 18.

    Dans mon travail à la Métis Indian Town Alcohol Association, nous avons proposé nos services et travaillé avec l’AADAC en ce qui concerne la formation et le parrainage de conseillers de chacun des établissements. Dans un établissement, ceux qui travaillaient au bureau se disaient incapables de trouver un candidat satisfaisant aux exigences, parce qu’on demandait 12 mois d’abstinence. J’ai dit: «Je ne partage pas votre avis. Vous ne travaillez pas assez fort.»

    Pour ce qui est de la politique au niveau de l’établissement, il y a beaucoup de népotisme, et le népotisme est lié aux grandes familles. C’est ainsi que les gens se font élire.

    Lorsque les gens s’intéressent à la politique, les choses changent. Certains quittent la politique et des nouveaux venus arrivent, avec du nouveau personnel. Tous les trois ans, tout change. Il est difficile d’assurer la continuité au niveau des responsables et de ceux qui ont de bonnes aptitudes de leadership. Mais il y a beaucoup de possibilités offertes.

¹  +-(1510)  

+-

    La présidente: Merci, monsieur Benson.

+-

    M. Allen Benson: Wayne Christian est un jeune homme qui était chef de la bande de Kelowna. Il a mis au point des programmes au Round Lake Treatment Centre. Il ne s’occupe plus des services de traitement. Il travaille davantage comme promoteur d’organisations de la Colombie-Britannique. J’ai beaucoup lu sur lui, et j’ai beaucoup entendu parler de lui. Je l’ai rencontré récemment à l’Île-du-Prince-Édouard, à une conférence internationale sur la toxicomanie. C’est un homme avec qui il vaut la peine de discuter. Il a des connaissances et une expérience très riches en ce qui concerne les problèmes de toxicomanie, du point de vue du développement communautaire. Il est très éloquent, il comprend très bien les problèmes et il a un bagage politique communautaire qui lui permet de saisir la différence entre la responsabilité de la collectivité et celle du gouvernement, que bien des gens oublient, et la responsabilité d’une organisation. Cela me plaît beaucoup. C’est une excellente personne, qui a beaucoup de connaissances. Je vais vous communiquer son adresse et des renseignements sur lui.

    Hollow Water, au Manitoba, a un programme qui vaut la peine qu’on s’y attarde. Une analyse de rentabilité nous a été confiée par la direction de la politique du solliciteur général. Le responsable s’appelle Ed Buller.

    Hollow Water est une collectivité qui s’est inspirée des enseignements de la tradition et des méthodes traditionnelles de traitement pour s’attaquer ses problèmes d’inceste et d’agressions sexuelles. Cela a aussi eu beaucoup d’effets sur la consommation d’alcool et de drogues. Quand on arrive par la route à Hollow Water, un panneau indique: «Interdit aux trafiquants de drogue». Ces gens se sont pris en main. Il y a maintenant des agresseurs qui travaillent avec eux pour conseiller et traiter les victimes et les agresseurs de la collectivité.

    Là-bas, une seule personne sur 111 a récidivé. Les administrations fédérale, provinciale et municipale ont dû économiser entre 10 et 15 millions de dollars. Je ne suis pas sûr de ces chiffres, car je n’ai pas fait la recherche, mais notre organisation a réalisé une analyse de rentabilité. Elle reçoit un financement annuel de 220 000 $. C’est fort peu, et elle accomplit un travail splendide en luttant contre la toxicomanie par un mode de guérison holistique. C’est une collectivité magnifique dont nous avons beaucoup appris.

    Le programme «En quête du guerrier en vous» et le programme «Esprit du guerrier», sur lesquels on peut obtenir de l’information auprès de Corrections Canada, portent sur les problèmes des comportements de l’enfance et de l’adolescence, et sur l’impact de la violence sur eux. Ils abordent donc le problème de la toxicomanie différemment, en s’attaquant aux causes profondes. Ces programmes sont offerts par la division correctionnelle, par l’entremise du service de Ed Buller, à la direction de la politique.

    Ce sont des mesures efficaces. Elles ont fait l’objet de recherches. Michael Bettman, par l’entremise de Corrections Canada, a conclu que «En quête du guerrier en vous» était le meilleur programme de gestion de la violence au Canada pour amener des changements dans le comportement, et c’est lui qui a élaboré le programme de lutte contre la violence pour les non-autochtones.

    Cela en dit long sur l’impact de ce genre de programme. Il vaut la peine d’étudier ces programmes et de discuter avec les responsables. Vous devriez parler à Ed Buller de Hollow Water et de l’effet de ce programme.

+-

     Il est aussi important de discuter avec un type comme Wayne Christian, qui comprend les problèmes des drogues illicites à Vancouver et y a travaillé avec les itinérants. Il a aussi travaillé dans les programmes communautaires de traitement et le développement communautaire. C’est aussi un ancien chef. C’est un homme brillant.

    Merci.

¹  -(1515)  

+-

    La présidente: Très bien. Il est très important de trouver ces champions, ces personnes à donner en exemple à la collectivité.

    Dominic vous a déjà remerciés d’avoir préparé des exposés et d’être venus échanger avec nous aujourd’hui. Au nom de tous les membres du comité, ceux qui sont ici comme ceux qui sont absents, nous vous remercions du travail que vous faites dans vos collectivités pour ceux que vous servez, et pour tous les Canadiens, car il y a là un problème qui nous concerne tous. Nous vous souhaitons la meilleure des chances dans vos initiatives, et bonne chance à ceux d’entre vous qui entreprennent une démarche personnelle.

    S’il y a d’autres faits ou exemples dont vous voudriez nous parler, notre greffière, Carol Chafe, que la plupart d’entre vous ont rencontrée ou avec qui vous avez parlé, sera très heureuse de recevoir un message électronique ou télécopié. Elle veillera à ce que cette information soit communiquée à tous les membres du comité dans les deux langues officielles. Nous vous remercions de votre participation.

    Encore une fois, merci beaucoup.

-

     La séance est levée.