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CIMM Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CITIZENSHIP AND IMMIGRATION

COMITÉ PERMANENT DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 3 mai 2001

• 0909

[Traduction]

Le président (M. Joe Fontana (London-Centre-Nord, Lib.)): Bonjour, chers collègues.

Je me demande si nous pourrions avoir une petite discussion avant de commencer l'audition des témoins, en attendant que tout le monde soit arrivé. John Herron a donné préavis au greffier d'une motion qu'il désire proposer. Avant d'entendre la motion, pourrions-nous tenir une petite discussion informelle? C'est au sujet de la façon dont nous allons procéder quand nous en aurons terminé avec l'audition des témoins vendredi.

• 0910

Je pensais que nous terminerions les audiences vendredi. J'ai déjà demandé à la ministre de comparaître mardi matin. Des dispositions ont été prises avec CPAC et pour réserver une salle où nous aurons d'excellentes discussions avec la ministre afin que nous puissions lui poser des questions suite aux témoignages que nous avons entendus jusqu'ici. J'ai également demandé à la CISR de comparaître de nouveau devant le comité afin que nous puissions obtenir des renseignements supplémentaires à la suite des témoignages que nous avons entendus.

Je crois qu'après mardi—peut-être jeudi—nous pourrions nous réunir pour discuter entre nous de ce que nous avons entendu, les principaux problèmes, surtout si la ministre et le ministère comparaissent mardi. Ensuite, nous pourrons sans doute entamer l'étude article par article le lundi ou le mardi suivant, ce qui ne nous éloignerait pas beaucoup de ce que John souhaite.

Au lieu de vous laisser proposer la motion, je me suis dit que je pourrais vous renseigner un peu quant à mes intentions et quant à ce que le comité pourrait faire. Si le comité est d'accord, je crois que nous pourrions convenir de ce programme et poursuivre sur cette base.

John.

M. John Herron (Fundy—Royal, PC): Tout d'abord, monsieur le président, je tiens à vous remercier pour l'attitude que vous avez manifestée tout au long de nos délibérations sur ce projet de loi.

Ce que je crains—et les autres représentants de l'opposition pourront parler en leur propre nom—c'est que... Nous avons dépensé beaucoup d'argent, cette semaine, pour écouter les Canadiens de tout le pays et nous allons poursuivre l'audition des témoins jusqu'à vendredi après-midi. Je tiens à ce qu'il nous reste suffisamment de temps pour préparer les amendements voulus pour répondre aux préoccupations qui ont été exprimées.

Je tiens à proposer cette motion afin de pouvoir au moins faire connaître notre position. Nous voulons avoir jusqu'à mardi. Il semble que ce soit le programme que vous proposez maintenant, qui nous donne jusqu'au mardi 15 mai. Je ne vois rien d'extraordinaire à demander une semaine pour préparer des amendements.

J'en ai parlé hier à la ministre, Mme Caplan. Elle a compris mon point de vue. Elle a hâte de faire adopter le projet de loi, mais elle le fait de façon constructive également. Elle veut que cette mesure progresse. Je comprends son point de vue et je ne vais donc pas proposer cette motion. Cela nous épargnera le temps dont nous aurions besoin pour en débattre, si nous sommes d'accord pour attendre jusqu'au 15 mai. C'est ce que je souhaiterais, mais je voudrais au moins entendre le point de vue de mes autres collègues.

Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Centre-Nord, NPD): J'apprécie votre recommandation. Je crois qu'il serait utile de pouvoir, la semaine prochaine, entendre la ministre et tenir une discussion entre nous.

Je voudrais soulever deux autres questions dans le même contexte. Je voudrais voir si les membres du comité seraient d'accord pour donner suite à la suggestion que Joe Volpe a formulée hier. Il s'agit d'organiser une table ronde avec les fonctionnaires du ministère et des experts des groupes que nous avons entendus. Nous pourrions avoir un échange d'idées et essayer d'y voir plus clair entre les divergences de vues que nous avons constatées et qui existeront encore certainement la semaine prochaine. Je ne vais pas proposer de motion pour le moment, mais je me demande si la chose serait possible.

Deuxièmement, quand nous en serons à l'étude article par article, pourrions-nous engager un conseiller indépendant pour nous donner un autre avis au sujet de certains amendements que nous pourrions proposer et nous aider pour ce processus?

Je n'ai pas d'expérience en la matière. C'est, je crois, une chose que les comités font parfois et je soulève donc cette possibilité.

Le président: Je vais vérifier avec le greffier pour voir ce qu'il en est. Je sais que nous avons des attachés de recherche très compétents qui ont accompli énormément de travail. Mais si nous devons faire appel à des experts supplémentaires, il s'agit de voir à qui s'adresser. Nous aurons à chercher quelqu'un. Mais c'est une bonne idée. Laissez-moi m'en occuper.

• 0915

Pour ce qui est d'une table ronde, l'idée me plaît, mais je me demande qui vous voudriez inviter à y siéger et à quel moment. Cela me paraît très important. Peut-être pourrions-nous y songer après, quand la ministre, le ministère et la Commission seront venus mardi et que nous aurons une petite discussion entre nous. Il y a toutes sortes de questions à examiner et peut-être pourrions-nous d'abord voir où nous en sommes.

J'ai l'impression qu'on est d'accord, des deux côtés de la table, quant à la nature de ces questions et ce qu'il faut approfondir. Si cela nous paraît utile—peut-être pas maintenant, mais une fois que le règlement sera préparé et que nous saurons quelle sera la loi cadre—nous pourrions peut-être constituer un groupe de travail formé du comité et des représentants de la collectivité pour voir comment ce nouveau projet de loi s'appliquera.

Je ne suis donc pas opposé à cette idée. C'est, me semble-t-il, une excellente suggestion pour travailler de façon novatrice afin d'obtenir de bons résultats. Encore une fois, quand nous aurons décidé de ce que nous voulons faire, nous pourrons discuter pour voir dans quelle mesure nous sommes d'accord sur le genre de projet de loi que nous aurons.

Dans cet esprit, pour faire en sorte que nous ayons un bon projet de loi pour tout le Canada, je crois que ces deux suggestions sont bonnes, Judy.

Inky ou Madeleine, avez-vous quelque chose à dire?

M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, AC): Merci, monsieur le président.

Je suis d'accord avec vous pour dire que, la semaine prochaine, nous devrions pouvoir parler à la ministre et voir si le comité est prêt à exiger des changements. Je le dis très sérieusement, car j'ai suivi suffisamment de projets de loi à la Chambre pour savoir comment le système fonctionne. Même avec une interruption d'une semaine, je doute que nous disposions de suffisamment de temps pour préparer tous les amendements. Je dépose des amendements depuis déjà trois semaines et vous avez entendu dire, au cours de la semaine écoulée, que ce projet de loi présentait de sérieux défauts. Si sa façon d'aborder la question n'est pas vraiment modifiée, ces problèmes systémiques ne seront sans doute pas réglés au cours des 20 prochaines années. J'ai donc hâte que nous en discutions.

Le président: Ne préjugeons pas ce qui pourrait ressortir de ce comité. Nous avons eu d'excellentes relations de travail jusqu'ici. Si nous avons tous la volonté politique d'améliorer le projet de loi et de veiller à ce que nous puissions tous en être fiers... Je tiens à ce que ce projet de loi soit une bonne loi pour que tous les Canadiens puissent s'y reconnaître et pour qu'il reflète également ce que notre pays a réussi à faire et l'orientation que nous voulons lui donner.

Je crois que nous sommes d'accord là-dessus, John.

M. John Herron: Je ne vais donc pas proposer ma motion. Mais je crois que l'esprit de cette motion est partagé par les membres du comité en ce qui concerne mardi.

Le président: Oui, nous le ressentons tous. Pouvez-vous le sentir, John? Je le sens.

M. John Herron: Très bien.

Le président: Continuons.

Je dois vous informer qu'hier soir quelqu'un s'est introduit dans la camionnette de Rogers et a volé certains appareils ou pièces d'équipement. Rogers ne va donc pas filmer la réunion, du moins au début. C'est regrettable, mais ce sera quand même enregistré. Comme vous le savez, c'est pour pouvoir en faire la diffusion publique. C'est malheureusement des choses qui arrivent. Nous suscitons tellement d'enthousiasme quand nous arrivons dans une ville que certaines personnes vont un peu trop loin. J'ai cru vous devoir vous en informer.

Hier, nous avons eu une excellente journée, mais aussi une journée difficile. Nous avons entendu d'excellents témoignages de nombreux témoins qui nous ont non seulement fait part de leurs opinions, mais aussi d'histoires très personnelles—les meilleures recommandations qu'ils peuvent adresser à ceux qui travaillent dans le domaine de l'immigration et des réfugiés. Nous avons entendu un grand nombre de témoins.

J'ai été très impressionné, non seulement par leur contribution et la passion qui les animait, mais également par l'excellent travail qu'ils accomplissent quotidiennement pour venir en aide aux nouveaux immigrants et réfugiés du pays. Je crois les avoir remerciés hier, mais je tiens à les remercier de nouveau.

C'est dans ce même esprit que j'accueille nos témoins qui comparaissent ce matin et cet après-midi. Votre contribution est très appréciée. Votre expérience nous éclaire beaucoup et elle est très importante pour nous.

• 0920

Vous nous avez entendu discuter, il y a un instant, de ce que le comité et le gouvernement tentent de faire à l'égard de ce nouveau projet de loi. Ce sera sans doute le projet de loi le plus important que le Parlement examinera au cours de cette session, étant donné que l'immigration et la protection des réfugiés représentent une question de la plus haute importance sur le plan moral, économique et social. Cette mesure se rapporte à la nature même de notre pays.

Je n'ai pas à vous le dire. C'est vous qui êtes sur la ligne de front et nous aidez, nous et notre pays.

Je désire souhaiter la bienvenue à la Refugee Lawyers Association of Ontario, au Centre for Refugee Studies, au Gahir Law Office, au Southern Ontario Sanctuary Coalition, à Students in Limbo et à la Law Union of Ontario.

Comme je l'ai dit aux témoins précédents, nous avons reçu vos mémoires, dans la plupart des cas. Je vous demanderais de nous donner un aperçu général de sa teneur, en cinq à sept minutes, afin que nous ayons la possibilité de vous poser des questions, ce qui est la partie intéressante de la réunion. Au lieu d'avoir à nous écouter tout le temps, vous pourrez répondre aux questions que nous allons vous poser pour approfondir certains aspects.

Cela dit, je vais céder rapidement la parole à Raoul Boulakia. Oh, il n'est pas ici. Comme il n'est pas encore arrivé, nous allons passer au Centre for Refugee Studies, qui est représenté par Sharryn Aiken. Bonjour Sharryn.

Mme Sharryn Aiken (Centre for Refugee Studies): Merci. Bonjour, monsieur le président et membres du comité.

Si vous le permettez, je voudrais inviter la Southern Ontario Sanctuary Coalition à commencer avant moi, comme je l'ai mentionné à votre personnel, car je crois que mes propos compléteront très bien son exposé.

Le président: Nous allons entendre la Southern Ontario Sanctuary Coalition représentée par Mary Jo Leddy, membre, ainsi que Suleyman Goven. Bonjour, Mary Jo.

Pour la gouverne des membres du comité qui n'ont pas lu son livre, il est tout à fait en rapport avec ce que nous faisons ici.

Quand je suis allé au Soudan, il y a deux semaines, ce qui a été toute une aventure, j'ai profité des 30 heures de vol aller retour pour lire votre livre, Mary Jo, et j'avoue avoir eu les larmes aux yeux au milieu de l'océan. Soyez donc la bienvenue. Nous avons déjà discuté ensemble vous et moi.

Je souhaite également la bienvenue à Suleyman. Je crois que vous avez une histoire émouvante à nous raconter.

Mme Mary Jo Leddy (membre, Southern Ontario Sanctuary Coalition): Merci. Monsieur le président, membres du comité, mesdames et messieurs, je vous parle ce matin en tant que membre de la Southern Ontario Sanctuary Coalition. Cet organisme existe depuis 1992. Il a été constitué pour venir en aide aux réfugiés que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avait refusés par erreur.

Au cours des années, nous avons acquis énormément d'expérience en ce qui concerne la loi actuelle de même que les méthodes et politiques d'Immigration Canada. Notre rapport se fonde sur cette expérience. Nous espérons que vous avez eu le temps de le lire. Nous savons toutefois que vous disposez de très peu de temps et nous doutons que vous ayez pu le faire.

Dans notre rapport, nous indiquons quelles sont les dispositions que nous appuyons et celles que nous désapprouvons. Nous tenons toutefois à vous demander aujourd'hui de tenir compte de la façon dont ce projet de loi va modifier radicalement les valeurs fondamentales de notre pays. Cette mesure confirme que nous nous dirigeons vers un système de justice à deux niveaux, un pour les citoyens canadiens et un autre pour ceux qui n'ont pas la citoyenneté. Nous nous préoccupons surtout du statut juridique inférieur imposé aux réfugiés qui demandent l'asile au Canada.

Les réfugiés du Canada vivent, luttent et parfois meurent dans le cadre d'un système de justice différent. C'est notre version de l'apartheid. Immigration Canada fonctionne comme un État dans l'État. Les réfugiés bénéficient seulement de très peu des garanties juridiques auxquelles les citoyens ont droit. Les autorités d'immigration postées à l'étranger, aux frontières et ici dans les bureaux locaux jouent le rôle de procureur, de juge, de jury et de bourreau. Je l'ai constaté quotidiennement de mes propres yeux. Elles ne donnent pas les raisons de leurs décisions. Elles n'ont pas à traiter les gens de façon uniforme.

• 0925

Le projet de loi C-11, tel qu'il est formulé, ne servira qu'à barricader davantage cet État dans l'État, à le placer en dehors des processus démocratiques et juridiques normaux. Par exemple, les réfugiés peuvent être arrêtés en tout temps sans mandat. Ils peuvent être placés dans des centres de détention, lesquels n'ont pas à suivre les directives ou les pratiques en vigueur dans le système carcéral. Les femmes et les enfants sont enfermés avec les drogués.

Les réfugiés sont à la merci des agents d'application de l'immigration, une force policière privée qui joue le rôle de sous-traitant et qui n'est pas surveillée. Si le SCRS maltraite les réfugiés, ces derniers peuvent se plaindre au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, mais cela n'a aucune conséquence juridique pour leur statut d'immigration. Ceux qui se plaignent—et j'en ai été témoin—s'exposent à des représailles au lieu d'obtenir justice.

Le projet de loi C-11 ne remédie pas vraiment au pouvoir terrorisant que le SCRS et les services de sécurité de l'immigration ont sur les réfugiés. Si ces derniers sont maltraités, personne n'est là pour surveiller et ils n'ont aucun recours.

Notre coalition constate quotidiennement que de plus en plus de réfugiés sont étiquetés de façon arbitraire. Il leur est impossible de se débarrasser de cette terrible étiquette une fois qu'elle leur a été accolée.

Nous sommes convaincus que le terrorisme est le nouveau masque du racisme. Il est contraire à la rectitude politique de refuser l'entrée au pays à une personne parce qu'elle est noire, jaune, marron ou juive, mais on peut la dépouiller de presque tous ses droits humains sous prétexte que quelqu'un la soupçonne d'être un terroriste.

Ce projet de loi part du désir de s'attaquer au terrorisme. Toutefois, une loi inspirée par la peur finit presque toujours par légitimer des pouvoirs arbitraires et la persécution des innocents. Tout avocat sait que les cas d'exception portent atteinte à la règle de droit.

Tout comme la peur du communisme après la Seconde Guerre mondiale a aveuglé les autorités d'immigration canadiennes face aux véritables criminels de guerre qui entraient au pays, à l'heure actuelle, de nombreux innocents sont victimes de cette tendance. De nombreuses personnes qui ont besoin de notre protection se voient rejetées à cause de la peur du terrorisme. Une de ces personnes est l'homme qui se trouve à ma droite, Suleyman Goven. Il a été arbitrairement étiqueté comme terroriste parce qu'il a refusé de travailler pour le SCRS. Il s'en est plaint au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité qui l'a tout à fait innocenté. J'ai le rapport sous la main. Le comité a dit qu'il n'était pas un terroriste, qu'il a été maltraité par le SCRS, que ses documents ont été falsifiés et qu'il devrait obtenir la résidence permanente immédiatement. Le ministère de l'Immigration a laissé ce rapport de côté. On lui a refusé la résidence permanente. Il pourrait être expulsé.

• 0930

Vous devez regarder cet homme, vous devez l'entendre. Puis vous devez vous regarder vous-mêmes. Vous devez voir le côté obscur de cette loi telle qu'elle est maintenant rédigée. Je pense que nous pouvons faire beaucoup mieux que cela.

Je vais demander à Suleyman de vous parler de son cas.

Le président: Suleyman.

M. Suleyman Goven (membre, Southern Ontario Sanctuary Coalition): Mesdames et messieurs du comité permanent, je suis au Canada depuis plus de 10 ans et je suis toujours un réfugié parce que le SCRS m'a considéré comme un terroriste local selon le régime turc. Ils m'ont considéré comme tel parce que je ne voulais pas coopérer avec eux. Ils ont fait cela, car quand ils m'ont demandé d'espionner mes compatriotes kurdes, j'ai refusé de le faire.

Est-ce que ce n'est pas trop facile dans une société démocratique d'étiqueter de la sorte des gens innocents? Où est la justice, qu'en est-il des droits de l'homme et de la démocratie? J'en appelle à vous. On peut poser bien des questions.

Permettez-moi de vous parler un peu de moi. Je suis un Kurde Zaza de Dersim, une partie du Kurdistan turc, où mes ancêtres et plus de 70 000 Kurdes Zaza ont été massacrés par le régime turc en 1938. En raison de ma nationalité et de ma religion et parce que j'étais un leader syndical local, j'ai été persécuté, emprisonné et torturé par la police turque après le coup d'État militaire du 12 septembre 1980. J'ai deux doigts de pied qui sont encore noirs parce que j'ai été torturé.

J'ai quitté la Turquie le 16 décembre 1990, à bord d'un train. J'ai dû quitter un travail que j'aimais, un travail d'ingénieur mécanicien pour les chemins de fer turcs. J'ai voyagé en Europe et j'ai abouti en Irlande. Mon voyage vers l'espoir se serait poursuivi indéfiniment si je n'avais pas rencontré un aimable Canadien en Irlande en 1991. Cette personne que j'ai rencontrée m'a dit que le Canada était un endroit formidable où vivre, et je suis venu ici pour revendiquer le statut de réfugié. J'ai obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention en mars 1993.

À mon arrivée au Canada, en avril 1991, je ne savais pas où aller, je n'avais aucun endroit où dormir. Un an plus tard, des amis et moi avons créé le Centre d'information pour la communauté kurde de Toronto afin d'aider nos compatriotes vulnérables et désespérés qui arrivent au Canada dans la même situation que j'avais moi-même connue en Europe.

J'ai trouvé la paix, la sécurité physique et l'espoir, mais cela a changé du tout au tout en 1994. J'ai été interrogé par le SCRS, le Service canadien du renseignement de sécurité, parce que les autorités ont mal interprété ce que j'estimais être des activités légales et qu'on m'a présumé coupable d'avoir fourni à la communauté kurde un endroit où se réunir.

Depuis, je fais quotidiennement face au harcèlement, à l'intimidation et à des menaces. Par exemple, le SCRS a mis mon téléphone sous écoute électronique, on a pris des photographies de moi, et on m'a fait suivre. D'autres choses se sont aussi produites. En 1996, on a volé chez moi certains de mes biens, et juste avant que je témoigne devant le CSARS mon acte de naissance a été volé. Le SCRS avait aussi l'habitude d'interroger des Kurdes et même des Turcs à mon sujet.

Pendant l'entrevue que j'ai eue avec le SCRS en 1994—que j'ai appelé un interrogatoire parce qu'il a duré huit heures—je n'ai pas pu manger et j'ai subi d'énormes pressions psychologiques.

Quand je suis venu au Canada je n'y ai apporté aucun conflit national, mais les relations commerciales entre la Turquie et le Canada ont une incidence sur d'autres vies. Le SCRS est un instrument au service d'ententes commerciales internationales. Le gouvernement canadien devrait me présenter des excuses pour les actes répréhensibles de l'Immigration et du SCRS.

• 0935

Compte tenu de tout cela, le gouvernement canadien devrait clarifier ses intentions en ce qui concerne d'une part ses relations commerciales avec le gouvernement turc et, d'autre part, le muselage des voix dissidentes et son oppression des revendicateurs du statut de réfugié. Les gens doivent reconnaître que les droits des réfugiés sont des droits de l'homme, plus particulièrement si le SCRS viole ces droits au Canada dans le but d'harmoniser les relations commerciales du pays. On croit généralement que le Canada est un pays neutre et que c'est l'un des meilleurs pays où l'on puisse vivre. Cependant, en réalité, il arrive qu'on n'y respecte pas les droits de la personne, et ces violations pourraient entacher le prestige du Canada au pays et à l'étranger.

Les pratiques actuelles d'Immigration Canada et du SCRS pèsent énormément sur nos vies. Être dans l'incertitude, c'est comme avoir l'épée de Damoclès au-dessus de la tête. Cet état de choses fait de nous des citoyens de seconde zone si on nous compare aux autres Canadiens, qui peuvent jouir des droits fondamentaux de la personne.

Je ne peux pas étudier et je ne peux pas voyager. J'ai l'impression de vivre dans une prison ouverte avec quatre murs. Je n'ai vu aucun membre de ma famille depuis plus de dix ans, en particulier ma mère, qui est malade. C'est à titre d'être humain que j'en appelle à vous.

Même si les Turcs m'ont innocenté et blanchi, Immigration Canada a été injuste à mon égard. Le ministère a préféré épouser les vues erronées du SCRS, son frère jumeau. On a même contrefait un document qu'on a versé dans mon dossier. Je ne sais pas si vous avez vu ou lu l'article dans le Globe and Mail d'Andrew Mitrovica. Je l'ai ici, il est daté du 28 avril. Il est dit: «L'Immigration a fabriqué une lettre qu'elle a versée au dossier d'un réfugié, affirme Rae». L'article a eu une suite, le 1er mai 2001, sous le titre «On presse la ministre de faire enquête sur de faux papiers d'immigration».

Si l'on a fabriqué ce document, Dieu sait quoi d'autre le ministère a fabriqué ou falsifié dans mon dossier. Je n'ai plus aucune confiance dans Immigration Canada. Il faut mettre un terme à cette folie et à cette hypocrisie. Vous êtes les seules personnes qui sont élues et qui peuvent mettre un terme à ces pratiques, je vous le dis.

Merci.

Le président: Merci, Suleyman. J'ai la certitude que nous aurons des questions pour vous.

Nous allons maintenant passer à Sharryn Aiken.

Mme Sharryn Aiken: Merci. Bonjour, monsieur le président, membres du comité.

Je suis très heureuse que la Sanctuary Coalition et en particulier Suleyman Goven m'aient précédée.

Ce problème ayant des dimensions humaines, j'aimerais m'en tenir en particulier à une série de recommandations très concrètes, dont j'ai fait état dans mon mémoire. À cet égard, je me contenterai de mentionner au départ que je suis associée au Centre for Refugees Studies de l'université York, lequel, comme vous le savez sans doute, a été inauguré officiellement en 1988 à titre de centre de recherche multidisciplinaire de l'université York. C'est l'un des deux seuls centres de recherche de l'hémisphère nord à avoir exclusivement pour mandat de faire des études et des recherches sur tous les aspects de la migration forcée et du problème des réfugiés. Conformément à la nature d'un centre universitaire, cependant, les vues dont je fais état aujourd'hui sont les miennes, je n'exprime qu'un point de vue personnel et je ne prétends pas parler au nom du centre.

Ceux d'entre vous qui ont eu la chance de lire mon mémoire auront remarqué qu'il porte exclusivement sur des questions de sécurité. C'est parce que, même si je crois personnellement que le projet de loi C-11 contient un certain nombre de mesures positives, on y trouve aussi des éléments très inquiétants concernant la sécurité nationale, et en particulier le terrorisme, qui ont en réalité pour effet de renforcer et même d'étendre les dispositions qui avaient été proposées dans le projet de loi C-86, il y a presque dix ans de cela, par un gouvernement précédent. Ces préoccupations méritent une attention particulière, et c'est la raison pour laquelle j'ai décidé de m'en tenir exclusivement à elles.

• 0940

En guise de prélude à mes recommandations concrètes, je ferai remarquer que, presque 30 ans après la Crise d'octobre, on s'entend presque unanimement pour dire dans le milieu intellectuel que ce qui constituait une très faible menace terroriste a suscité une réaction excessive, soit l'invocation de la Loi sur les mesures de guerre, réaction excessive qui a donné à la police des pouvoirs absolus pour arrêter et détenir quiconque était soupçonné d'être associé au Front de libération du Québec.

L'utilisation de ces pouvoirs a été critiquée de toutes parts, à l'époque et encore aujourd'hui, presque 30 ans plus tard. J'aimerais tracer un parallèle entre le fait qu'il y a 30 ans, près de 400 personnes ont été arrêtées et détenues sommairement parce qu'elles étaient simplement soupçonnées d'être associées au FLQ, et le fait que l'on voit aujourd'hui près de 400 réfugiés qui sont ou bien sommairement—et même très souvent arbitrairement—détenus ou bien laissés dans l'incertitude, comme cela a été le cas de M. Goven, pour des raisons très semblables.

Au moins, en ce qui concerne la Crise d'octobre, il y avait de très vives inquiétudes du Québec à l'époque, nous en conviendrons tous. Or, aujourd'hui, en réaction au phénomène du terrorisme international, le Canada a élaboré une stratégie de lutte contre le terrorisme, et nous constatons qu'il agit de plus en plus d'une manière qui constitue une grave atteinte aux libertés civiles.

À ce sujet, je voudrais mettre l'accent sur trois éléments précis de ce projet de loi. Le premier concerne les références faites au «danger pour la sécurité du Canada» dans le projet de loi C-11. Ces références reflètent les dispositions actuelles de la Loi sur l'immigration. L'ennui, c'est que l'on ne définit pas ce qui constitue un danger pour la sécurité du Canada, ni dans la Loi sur l'immigration actuelle, ni dans le projet de loi C-11. On ne le définit pas non plus dans le document publié par le ministère, et on n'envisage pas de le faire dans la réglementation proposée.

L'article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité propose une définition très précise des menaces envers la sécurité. Ce qui retient particulièrement l'attention dans cette définition, c'est qu'elle prévoit spécifiquement des activités et des actes interdits. La loi renferme à la fin une disposition d'exemption qui prévoit que les activités licites de protestation ou de manifestation d'un désaccord ne sont pas visées par la définition.

Certes, la Loi sur le SCRS a elle-même fait l'objet de critiques, mais des comités parlementaires successifs, depuis le comité Kelly jusqu'au Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité lui-même, dans ses rapports annuels, ont toujours recommandé que la notion de menace envers la sécurité utilisée dans la Loi sur l'immigration doit être conforme à la définition donnée dans la Loi sur le SCRS. Il est absolument insensé de donner aux agents du SCRS de vastes pouvoirs d'enquête en matière de sécurité en leur demandant de se conformer à une définition différente de celle qui est prévue dans leur propre loi habilitante.

De plus, le fait que cette définition de menace envers la sécurité utilisée dans la Loi sur le SCRS ne soit pas reprise dans le projet de loi C-11 signifie que le ministre ou ses délégués peuvent définir les menaces envers la sécurité comme bon leur semble, sans égard à des critères législatifs ou réglementaires. On s'expose ainsi à un risque élevé d'abus, et je pense que le cas de M. Goven illustre fort bien cela.

La recommandation est très précise et on ne peut plus simple. Il suffit de s'assurer que toutes les références au danger pour la sécurité du Canada figurant dans le projet de loi C-11 soient conformes à la définition existant déjà dans l'article 2 de la Loi sur le SCRS.

Ce n'est pas une proposition radicale. Comme je l'ai indiqué, c'est une recommandation qui a été faite par différents comités au cours des dix dernières années.

• 0945

J'exhorte le comité à considérer sérieusement cette proposition, car elle contribuera considérablement à garantir que des personnes innocentes ne seront pas victimisées par un ministère trop zélé, un ministère qui cherche à taxer des gens de terroristes en raison de leur simple association, ou du simple fait qu'ils fréquentent certains endroits, qu'on les a vus parler à certaines personnes, qu'ils ont manifesté devant une ambassade ou qui sont abonnés à certains périodiques. C'est suffisant pour taxer quelqu'un de terroriste dans ce pays. Mais ce n'est pas le genre de démocratie auquel le Canada devrait aspirer. Il suffit de définir ce qu'on entend par une menace envers la sécurité. Qu'on le définisse d'une façon qui soit conforme à la Loi sur le SCRS.

Voilà donc la première recommandation que je voulais formuler.

Le président: Malheureusement, je me vois obligé de vous demander d'accélérer les choses, car vous avez déjà dépassé huit minutes.

Mme Sharryn Aiken: D'accord. Je m'en excuse.

Dans ce cas-là, je vous fais part d'une proposition très simple, que vous retrouverez dans mon mémoire.

Le projet de loi C-11 propose que l'on retire aux résidents permanents le droit de demander au Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité d'examiner le bien-fondé de l'avis la ministre en matière de sécurité. Le CSARS a été créé à la suite des travaux de la Commission McDonald, après que de vives inquiétudes ont été soulevées au sujet de la fonction de collecte de renseignements de sécurité qu'assumait alors la GRC. Le CSARS devait être un organisme de vigilance civile. J'ai entendu la ministre dire que l'on n'avait rien à reprocher au projet de loi C-11. Après tout, tous les réfugiés et les résidents permanents continueront d'avoir accès au CSARS. D'une certaine manière, c'est vrai. Les réfugiés et les résidents permanents peuvent en effet se plaindre, comme l'a fait M. Goven, mais il reste que c'est un mécanisme discrétionnaire. Rien ne leur garantit le droit d'obtenir un examen du CSARS. C'est le président du CSARS qui décide s'il y a lieu d'entamer un examen ou non. Pis encore, il n'y a pas de sursis d'exécution d'une mesure de renvoi. On peut simplement se plaindre, comme on se plaindrait à un ombudsman, à l'exception évidemment de ceux qui sont des immigrants.

Rien ne saura donc remplacer un examen efficace en fonction de l'attestation de sécurité. Le projet de loi C-11 érode davantage l'exercice des droits fondamentaux à une procédure de recours, et je vous recommande de rétablir le droit d'accès au Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité, que cet accès soit systématique, qu'il ne soit pas limité aux résidents permanents, mais qu'il soit garanti à tous ceux qui font l'objet d'un contrôle de sécurité. Je vous fais cette proposition, car ce processus me préoccupe énormément.

La dernière question que j'aimerais aborder souligne les recommandations faites par l'Association nationale de la femme et du droit qui, comme certains le savent, est une organisation féministe à but non lucratif, vouée à la promotion de l'égalité des Canadiennes. Dans son mémoire, l'Association avait exprimé des inquiétudes concernant les nouveaux pouvoirs de détention. Je pense que dans la version actuelle de la Loi sur l'immigration, on retrouve suffisamment de motifs pour détenir quelqu'un qui constitue un danger pour le Canada ou qui risque de s'enfuir. En fait, certaines femmes ont été placées en détention à long terme en Colombie-Britannique dans des conditions qui ont même inquiété la rapporteuse spéciale sur la situation d'immigrants lors de sa dernière visite. Ma proposition abonde dans le sens de celle de l'Association nationale de la femme et du droit, à savoir que l'on élimine du projet de loi C-11 les nouveaux pouvoirs de détention accordés aux agents d'immigration.

Je termine là-dessus, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Je vous remercie de votre attention.

Le président: Merci, Sharryn.

Nous entendrons maintenant la représentante du groupe Students in Limbo. Zahra.

Mme Zahra Mohamed (Students in Limbo): Je vous remercie.

Je m'appelle Zahra. Je fais partie d'un groupe d'étudiants réfugiés qui se trouvent dans un vide juridique. Je veux vous entretenir de ce vide juridique et parler spécifiquement du projet de loi C-11.

Je suis arrivée au Canada en 1992 en provenance de la Somalie, et je suis heureuse de vous dire qu'après avoir passé huit ans et demi de ma vie dans un vide juridique, j'ai finalement obtenu mon statut de résidente permanente en septembre dernier. En fait, quand j'ai déposé mon mémoire au sujet du projet de loi C-31 l'été dernier, je n'étais pas encore résidente permanente. Ceci dit, je ne suis pas ici pour vous parler de mon cas personnel, mais plutôt des enjeux entourant le vide juridique.

• 0950

Mes pairs et moi-même sommes reconnaissants d'avoir été protégés contre la persécution et de ce que le Canada nous ait ouvert ses portes, mais nous estimons que nous avons été maintenus trop longtemps dans un «vide juridique». Nous avons été reconnus comme réfugiés au sens de la Convention par la CISR, mais puisqu'il nous manque des pièces d'identité nécessaire—en raison de la perte d'un dossier ou pour d'autres motifs—, nous attendons encore le statut de résidents permanents. La plupart d'entre nous ont quitté leur pays d'origine alors qu'ils étaient encore jeunes et, pour nous, le Canada est notre seule patrie. Nous attendons tous patiemment le jour où nous deviendrons citoyens et nous nous considérons comme des Canadiens en puissance. Cependant, cette attente nous semble longue. Plus récemment, nous avons attendu patiemment le nouveau projet de loi, dans l'espoir qu'il vienne combler le «vide». Or, le projet de loi C-11 ne tient aucun compte de cette situation et nous nous retrouvons perdus dans le «système».

Ce vide entraîne les effets suivants, sans toutefois s'y limiter: l'inadmissibilité aux prêts aux étudiants. J'étais ici hier et j'ai entendu quelques-unes des recommandations qui ont été faites. Permettez-moi de vous dire que nous les appuyons à 100 p. 100. Toutefois, la prochaine étape devrait être de faire en sorte que tous les programmes de bourses publics comme les Bourses du millénaire et d'autres soient également accessibles aux réfugiés au sens de la Convention.

Je voudrais vous parler maintenant de l'incapacité de voyager en dehors du Canada ou de parrainer des membres de sa famille. La plupart d'entre nous comptent des membres de leur famille dans des camps de réfugiés, partout dans le monde, mais nous ne les avons pas revus depuis des années. Nous ne pouvons parrainer ces parents ou ces frères et soeurs du fait que nous ne sommes pas résidents permanents. Le fait de savoir que nous avons pu obtenir le statut de réfugiés au Canada et de ne pouvoir aller les voir crée un formidable stress émotionnel et psychologique, à la fois pour nous-mêmes et pour les membres de notre famille à l'étranger. Je crois comprendre que le ministère a l'intention de fournir des documents de voyage à certains réfugiés, à l'exception de ceux qui n'ont pas de pièces d'identité. Votre comité devrait s'assurer que tous les réfugiés puissent avoir accès à des documents de voyage, conformément aux obligations juridiques internationales du Canada.

En ce qui concerne les problèmes en matière d'emploi, le fait que les numéros d'assurance sociale des réfugiés commencent tous par le chiffre 9 illustre la condition de «vide» qu'ils connaissent. Cela pourrait signifier que les employeurs pensent que les réfugiés se trouvent ici temporairement. Ce fait et le fait qu'il faut renouveler le permis de travail tous les ans signifient ni plus ni moins que les réfugiés ratent des offres d'emploi ou sont mis à pied tout simplement parce que les autorités de l'immigration n'ont pas acheminé le permis de travail à temps. Nous proposons que les réfugiés au sens de la Convention ne soient pas assimilés aux résidents temporaires, c'est-à-dire qu'ils n'aient pas le même type de numéro d'assurance sociale.

Imaginez ce que peut être la vie de quelqu'un qui ne peut pas être sûr de pouvoir rester ici en permanence, quelqu'un qui est séparé de sa famille pendant des années, qui ne sait pas s'il la reverra un jour. Les exemples que j'ai évoqués jusqu'à présent illustrent quelques-unes des difficultés que les «Canadiens en puissance» estiment devoir être abordées dans le projet de loi. Voici ce que nous proposons.

Le projet de loi C-11 devrait établir clairement comment ce «vide» sera comblé. Idéalement, les réfugiés devraient obtenir le statut de résidents permanents immédiatement après la décision de la CISR. Il ne faudrait pas exiger des papiers d'identité pour obtenir le droit d'établissement étant donné que tout ce qui a trait à l'identité a déjà été traité au moment de la détermination du statut de réfugié par la CISR et que cela fait double emploi, à mon avis. En terminant, les réfugiés au sens de la Convention devraient bénéficier des mêmes droits que les autres résidents permanents. Ils devraient pouvoir avoir accès aux prêts aux étudiants, obtenir des titres de voyage et des documents d'identité devraient leur être fournis conformément au droit international.

Merci.

Le président: Merci, Zahra.

Nous allons maintenant entendre Paul Copeland de la Law Union of Ontario.

M. Paul D. Copeland (Law Union of Ontario): Merci, monsieur le président.

Je voudrais vous signaler les documents que j'ai apportés pour cette audience. Il y a un document relié où est inscrit tout en haut Law Union of Ontario. Il y a un exemplaire de mon curriculum vitae et un document intitulé Déclarations faites par les responsables de la citoyenneté et de l'immigration.

Si je vous ai apporté mon curriculum vitae, c'est essentiellement pour vous montrer depuis combien de temps j'exerce. J'appartiens à la Law Society of Upper Canada et je suis président du Comité sur l'équité. À la page 3 de mon c.v., vous verrez que je rappelle qu'en 1976, j'ai témoigné devant un comité du Parlement au sujet des questions de sécurité dans le cadre du projet de loi sur l'immigration que l'on étudiait alors. Il est intéressant de constater, à la lumière des discussions d'aujourd'hui, comment, à bien des égards, le projet de loi est pire que les précédents.

Je suis ici pour parler d'une seule question, celle du renvoi automatique de tout immigrant reçu condamné pour un crime passible d'une peine de deux ans de prison. Permettez-moi de vous décrire rapidement le contenu du mémoire. Je sais que vous ne l'avez reçu que ce matin et que vous n'avez pas pu le lire, mais je pense que certains des détails qu'il contient vous aideront à comprendre l'enjeu.

• 0955

Avant 1975, si une mesure de renvoi était appliquée à l'égard de quelqu'un, cette personne avait le droit d'interjeter appel devant ce qui s'appelait alors la Commission d'appel de l'immigration et qui est désormais la section d'appel de l'immigration et la Commission avait le pouvoir d'instruire l'affaire en tenant compte de toutes les circonstances. Cela signifiait que la Commission tenait compte des considérations d'équité, par exemple, des liens avec le Canada, de la gravité du crime et d'autres aspects, comme d'éventuels problèmes que rencontrerait la personne dans son pays.

En 1995, et peut-être sans doute en 1994, il y a eu deux événements à Toronto lourds de conséquences du point de vue de l'immigration. Mlle Leimonis a été abattue dans un restaurant appelé Just Desserts à Toronto, et un officier de police, Todd Baylis, a été abattu par un certain Clinton Gayle. Les médias ont clamé que des immigrants reçus, des gens qui en fait étaient sous le coup d'une mesure d'expulsion du Canada, étaient impliqués dans ces affaires-là et que la Loi sur l'immigration était impuissante.

À ce moment-là, le gouvernement a réussi à introduire une disposition appelée «avis de danger». Au lieu de donner aux gens le droit d'interjeter appel auprès de la Commission d'appel de l'immigration, nous nous sommes retrouvés dans la situation où un délégué du ministre décidait qu'une personne constituait un danger pour le Canada. Pendant très longtemps, personne ne pouvait savoir sur quelles raisons reposait la décision. Mais j'en parlerai dans un instant.

Je vous demanderais de vous reporter à l'onglet quatre du document. Vous y trouverez des renseignements concernant un certain Oneil Grant. Sur les trois personnes qui ont été inculpées dans la fusillade du restaurant Just Desserts, deux étaient des citoyens canadiens. Oneil Grant était un immigrant reçu qui avait auparavant fait l'objet d'une mesure d'expulsion. Il avait obtenu gain de cause en appel auprès de la Commission d'appel de l'immigration. À ce moment-là, son crime le plus grave était un vol par effraction. La Commission d'appel de l'immigration lui avait accordé une suspension d'instance et c'était sa situation au moment où il a été accusé dans la fusillade au Just Desserts. C'est un des éléments qui ont abouti aux dispositions concernant les avis de danger que l'on trouve dans la loi.

Oneil Grant a été acquitté mais c'est un des motifs pour lesquels l'avis de danger a été inséré dans la loi.

Il y a aussi le cas de Clinton Gayle. Clinton Gayle était aussi sous le coup d'une mesure d'expulsion. Son appel à la Commission de l'immigration avait été rejeté. Vous trouverez—car je ne vais pas en parler—des extraits du procès-verbal de l'audience devant le tribunal et il y est question de la situation de Clinton Gayle à ce moment-là.

Il se trouve que Clinton Gayle était en détention car il était sous le coup d'une mesure d'expulsion et son appel avait été rejeté. Il y a eu environ trois contrôles de sa détention. Quand il a été relâché, le ministère de l'Immigration a cessé toute procédure. La Direction de l'exécution de la Loi ne s'est jamais assuré qu'il avait ses titres de voyage. Deux ans plus tard, il se trouvait toujours au Canada quand il a été impliqué dans le meurtre de Todd Baylis. J'ajoute qu'il vient de perdre son appel; c'était à la fin de la semaine dernière, je crois. On ne peut pas blâmer la Commission d'appel de l'immigration du fait que Clinton Gayle se trouvait au Canada. S'il se trouvait au Canada, c'est la faute de la Direction de l'exécution de la Loi.

Ces deux incidents ont abouti aux avis de danger retirant ainsi à bien des gens le droit à un appel qui déterminerait s'il est souhaitable de leur permettre de rester au Canada.

Il y a plusieurs années, parce que je m'inquiétais de ces avis de danger, de l'utilisation qu'on en faisait, j'ai présenté une demande de renseignements au ministère de l'Immigration. A l'onglet trois, vous trouverez certaines statistiques, fournies par le ministère, sur le nombre de cas où on a invoqué l'avis de danger et sur le nombre de cas où effectivement on en a émis un. Vous verrez d'après les statistiques que dans 90 p. 100 des cas où la demande a été faite, et parfois davantage, un avis de danger a été émis.

Depuis, la Cour fédérale a été saisie de certaines affaires concernant l'avis de danger et l'obligation d'en donner les raisons. Dans le mémoire, vous lirez que dans l'arrêt Williams, on ne peut pas encore les obtenir. Il y a eu un arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Baker c. le Canada, qui ne concernait pas l'avis de danger, mais dans lequel la Cour suprême du Canada—et je vais citer la décision, que je n'ai pas tirée d'un document du ministère de l'Immigration—a dit:

    Il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, notamment lorsque la décision revêt une grande importance pour l'individu, ou lorsqu'il existe un droit d'appel prévu par la loi, l'obligation d'équité procédurale requérait une explication écrite de la décision. Des motifs écrits sont nécessaires en l'espèce, étant donné l'importance cruciale de la décision pour les personnes visées.

• 1000

Nonobstant cette opinion de la Cour suprême du Canada, Immigration Canada refuse toujours de donner les raisons motivant des avis de danger. Mais en fait, la Cour fédérale a bien compris comment les fonctionnaires du ministère de l'Immigration procédaient, et à plusieurs reprises, la Cour fédérale a renversé leurs décisions fondées sur des avis de danger. Voilà que les fonctionnaires du ministère de l'Immigration ne veulent plus y avoir recours—car les gens interjettent appel et obtiennent gain de cause, ce qui est leur difficulté majeure—de sorte qu'ils essaient de faire adopter une nouvelle disposition, une expulsion automatique si quelqu'un trempe dans la grande criminalité. Et la «grande criminalité» vise quiconque va en prison, une prison fédérale et y reste deux ans ou plus.

Un fonctionnaire du ministère de l'Immigration a comparu devant vous et un autre a été interviewé par le journal Law Times. L'un et l'autre, René Mercier et Joan Atkinson, ont dit que non, on n'allait pas expulser chaque immigrant reçu, installé ici depuis longtemps, et qui purge une peine de prison de deux ans. Ils ont dit qu'on allait prévoir un processus de réglementation et qu'un bureaucrate anonyme prendrait la décision de mettre en branle la procédure de renvoi. C'est à ce moment-là qu'on tiendra compte pour le résident de longue date de considérations d'équité.

Ce qu'ils vous disent, à mon avis, c'est que c'est eux qui prendront la décision qui, dans tous les autres cas, revient à la Commission de l'immigration.

Nous estimons qu'il faudrait supprimer la disposition sur la grande criminalité du projet de loi. Il faudrait laisser à la Section d'appel de l'immigration le soin de s'occuper de ces cas.

Je suis désolé de parler aussi longtemps; j'ai sans doute dépassé le temps qui m'était alloué. J'ai essayé de vous obtenir de plus amples informations pour que vous puissiez prendre des décisions éclairées. Quand j'ai appris au début de mars que le projet de loi devait être de nouveau à l'étude, j'ai écrit au ministère pour demander des informations sur les avis de danger. Quel est le nombre de ces avis qu'on réussit à obtenir? À quelle fréquence les obtient-on? Quel pourcentage représentent-ils? J'ai aussi demandé au ministère, simplement pour pouvoir me faire une idée exacte, combien d'immigrants ayant écopé d'une peine d'au moins deux ans avaient été expulsés du Canada au cours des dix dernières années.

J'ai envoyé copie de ma lettre à M. Lahaie en lui disant qu'il y aurait peut-être lieu de chercher à obtenir ces informations pour le comité. Je peux vous dire que, pour ma part, je n'ai encore rien reçu. Je communique périodiquement avec le coordonnateur de l'information à Immigration Canada. Quand je lui ai parlé la dernière fois, le 1er mai, il m'a dit que la documentation avait été envoyée au bureau de la ministre pour qu'on en approuve la divulgation. Il se peut donc que la documentation soit presque prête. Vous devriez certainement y jeter un coup d'oeil avant de prendre une décision au sujet de cette disposition, et vous devriez savoir combien de personnes la disposition aurait touchées par le passé.

Il s'agit d'une question liée à l'application régulière de la loi, comme le disait Mme Aiken, et je soutiens que la disposition est inutile, qu'elle est injuste et que, à vrai dire, elle n'a pas sa place dans une loi canadienne. Mêmes les Américains, qui mettent beaucoup l'accent sur le maintien de l'ordre, qui incarcèrent à tour de bras et qui ont toujours la peine capitale, ne sont pas allés aussi loin que cela dans leur loi.

Je vous demande de supprimer la disposition concernant la grande criminalité et de laisser à la Section d'appel de l'immigration le soin de prendre la décision qui s'impose en pareil cas.

Merci.

Le président: Merci, Paul. Oui, nous avons bien l'intention d'obtenir cette documentation du ministère. Merci beaucoup de l'avoir signalée à notre intention.

Nous passons maintenant aux questions. Inky.

M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.

Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir témoigner devant nous aujourd'hui. Beaucoup de vos observations viennent confirmer la nécessité d'apporter des changements importants au projet de loi.

Sur le plan de la détermination du statut, il est tout simplement aberrant que des réfugiés et des immigrants attendent chez nous pendant des décennies pour savoir quel est leur statut. Je pense que la plupart des Canadiens seraient aussi de cet avis.

En ce qui concerne toute la question des freins et des contrepoids, je sais que du point de vue des fonctionnaires, on voudrait un pouvoir décisionnel plus considérable. Pourtant, d'un autre côté, il faut respecter les droits de la personne et veiller à ce que la loi soit appliquée de façon régulière. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il nous faut des chiens de garde dans le système. Je crois que c'est peut-être ce qui nous manque. L'idée que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité n'ait aucun poids, qu'il ne soit pas pris en compte me laisse tout à fait perplexe. À quoi sert-il de surveiller ces activités si les décisions n'ont aucun poids et ne sont pas prises en compte? C'est là un problème qu'il faut certainement corriger.

J'ai d'ailleurs proposé un amendement au projet de loi qui créerait un poste d'ombudsman. J'aimerais donc savoir si vous pensez que cela permettrait de corriger certaines des anomalies qu'on trouve dans le projet de loi et de régler les problèmes qu'on a connus par le passé, ou s'il faudrait inclure dans le projet de loi un système de rapport qui serait un meilleur gage d'équilibre?

• 1005

Le président: Nous pourrions peut-être commencer par vous, Paul? En trente secondes ou moins.

M. Paul Copeland: Je répondrai seulement au point concernant le fait que les décisions du CSARS ne soient pas finales. La décision Thompson d'il y a quelques années dit essentiellement que le CSARS peut prendre une décision, mais que le ministère de l'Immigration peut ne pas en tenir compte, si bien que c'est toute sa raison d'être qui est compromise. Ce n'est certainement pas là le rôle que la Commission McDonald avait prévu sur le CSARS. C'est pourtant ce qui semble ressortir du texte de loi. J'ai témoigné devant des comités parlementaires sur la Loi du SCRS et j'ai participé aux travaux de la Commission McDonald, et j'estime que le CSARS constitue une amélioration. Si, toutefois, il n'a aucun pouvoir véritable, il ne s'agit pas d'une amélioration suffisante.

Le président: Mary Jo.

Mme Mary Jo Leddy: N'étant pas avocate, je m'en remets aux juristes pour répondre à certaines de ces questions. J'étais présente à l'audition de la cause de Suleyman Goven devant le CSARS, qui a duré cinq semaines consécutives. Six avocats y ont participé, deux représentant le SCRS, deux représentant M. Goven et deux autres représentant le comité. Il y avait le commissaire, les interprètes et je ne sais qui encore. On n'a pourtant tenu aucun compte de la décision qui a été rendue à l'issue de cette enquête exhaustive.

Or, le projet de loi insiste sur le fait que les plaintes seraient adressées à la Cour fédérale. Je ne crois tout simplement pas, d'après ce que j'en sais, qu'un juge généraliste de la Cour fédérale pourra même arriver à la cheville du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité en matière de compétence judiciaire. Le Comité est après tout composé de spécialistes. Il a accès aux documents. Il est plus en mesure que quiconque d'apprécier les faits de l'affaire. Je ne crois pas, par exemple, qu'un juge généraliste de la Cour fédérale aurait su mettre à jour les contrefaçons utilisées contre M. Goven.

Je vous implore de rétablir le CSARS comme recours légitime, non pas seulement pour les Canadiens, mais pour les réfugiés. Il n'y a pas de justice à deux vitesses. S'il est valable comme organisme de surveillance, le CSARS doit servir, non pas seulement les Canadiens, mais tout le monde.

Le président: Merci.

Sharryn.

Mme Sharryn Aiken: Je répondrai seulement à ce qu'a dit M. Mark au sujet d'un ombudsman. L'idée n'est pas mauvaise. Le fait qu'il y ait certaines personnes à l'heure actuelle qui n'ont aucun recours est problématique, mais la création d'un poste d'ombudsman ne résoudra pas le problème à moins que des dispositions bien précises comme celles qui ont été proposées ne soient incluses dans la loi. Après tout, l'ombudsman n'a aucun pouvoir exécutoire; il ne peut que faire des recommandations auxquelles le gouvernement n'est pas tenu de donner suite. C'est pourquoi il faut prévoir dans le projet de loi comme tel des mesures pour en corriger les graves lacunes.

Le président: Zahra.

Mme Zahra Mohamed: Nous apprécions les efforts des députés qui viennent en aide aux réfugiés au sens de la Convention, mais comme le problème est systémique, nous estimons qu'il faut une solution systémique. Merci.

Le président: Madeleine.

[Français]

Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ): Bonjour, tout le monde. Je vous remercie d'être ici ce matin.

Vous savez qu'en médecine, très souvent, on n'apprend jamais autant que quand on est confronté à des histoires de cas. Je remercie M. Goven d'avoir accepté de se présenter devant le comité pour nous faire part, non pas de la situation de quelqu'un d'autre, mais de sa propre situation.

• 1010

Un projet de loi, c'est fait pour les vraies personnes. Nous lisons des mémoires et entendons des témoins depuis déjà plusieurs semaines, et il est clair que, dans ce projet de loi, il y a des trous énormes, notamment dans tout ce qui touche la procédure d'appel. Je me trompe peut-être, mais j'ai l'impression que le comité va effectivement faire un effort important pour que le projet de loi C-11, qui deviendra la loi-cadre pour l'immigration, ne permette pas qu'il n'y ait pas de procédure d'appel. Dans votre intervention, vous avez parlé d'une justice à deux vitesses. Une justice à deux vitesses, c'est aussi inquiétant qu'un système de santé à deux vitesses.

L'un d'entre vous a fait référence à des définitions. Il y a peu de définitions dans le projet de loi C-11. On a entendu cela à plusieurs reprises. Vous avez dit que ce qui pourrait porter atteinte à la sécurité au Canada devrait être défini dans la loi. Vous avez suggéré que la définition de la sécurité que l'on trouve actuellement dans la loi soit reprise dans le projet de loi C-11. Pensez-vous que le fait d'y inscrire cette définition pourrait effectivement donner un cadre plus précis à ce qu'on entend par la sécurité?

J'avoue que l'allusion qui a été faite aux événements d'octobre m'a particulièrement touchée, parce que tout le monde au Québec se souvient très bien des mesures qui ont été prises de façon absolument honteuse. Ce n'est très certainement pas ce que l'on veut voir dans la Loi sur l'immigration, ni au Québec ni au Canada.

[Traduction]

Le président: Monsieur Goven, voulez-vous répondre aux questions?

Mme Mary Jo Leddy: Bon, peut-être...

Le président: Non, la question s'adressait à Suleyman. Je suis désolé, mais Madeleine veut que ce soit Suleyman qui réponde à sa question.

M. Suleyman Goven: Quand il s'agit de définir ce qui constitue un acte de terrorisme ou une menace grave envers la sécurité du Canada, il faut vraiment... Ce n'est pas aux simples réfugiés politiques qu'il faut s'en prendre, mais aux vrais terroristes. Je suis moi-même réfugié politique. Je suis une personne innocente. J'ai pourtant été désigné comme terroriste pendant bien des années. Le système suit la règle des deux poids deux mesures. Il a été prouvé que ce ne sont pas les vrais terroristes qui sont la cible du SCRS, mais bien les innocents qu'ils harcèlent sans relâche.

Le président: Est-ce Sharryn qui a parlé de la nécessité—dans votre mémoire j'entends—d'une définition pour le SCRS, de la définition dont le SCRS se sert pour déterminer ce qui constitue un risque pour la sécurité du Canada? Madeleine, est-ce que ça serait utile que Sharryn...?

Pourriez-vous revenir là-dessus, ou peut-être que Paul ou quelqu'un d'autre pourrait nous dire s'il pourrait être utile d'inclure dans le projet de loi les définitions qu'ils proposent?

Mme Sharryn Aiken: En fait, j'aimerais...

Le président: En trente secondes ou moins.

Mme Sharryn Aiken: Ai-je été trop bavarde?

Le président: Oui.

• 1015

Mme Sharryn Aiken: J'aimerais simplement faire remarquer que, dans l'instrument international, il est permis d'enfreindre les droits uniquement dans les situations d'urgence nationale bien étayées par les faits.

La jurisprudence internationale a d'ailleurs établi un certain nombre de critères et de paramètres. Si, en conformité avec ces critères, on se fondait, non pas sur la simple appartenance, mais sur le fait d'avoir pris part à des actes et des activités prohibés, comme c'est le cas dans la loi sur le SCRS, on améliorerait sensiblement le projet de loi C-11. Oui, je trouve qu'il est important d'apporter des précisions dans la loi pour guider les agents qui interviennent sur le terrain.

Le président: Monsieur Copeland.

M. Paul Copeland: Deux choses. À ma connaissance, la Law Union of Ontario a été pratiquement le seul groupe au Canada anglais à s'élever contre l'imposition en 1970 de la Loi sur les mesures de guerre.

Le problème qui se pose quand on évoque le danger pour la sécurité, c'est que les affaires traînent en longueur et que les gens restent dans l'incertitude. En mars dernier, j'ai enfin obtenu une décision dans une affaire qui remontait à 1985, où la personne en cause était présumée—et cette présomption avait été confirmée par le SCARS et par la Cour d'appel fédérale—être susceptible de se livrer à des actes de violence au Canada. Pourtant, elle est toujours ici parce que, au bout du compte, le gouverneur en conseil a décidé qu'elle ne devait pas être renvoyée du Canada.

Le président: Judy.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Je suis sûre que tous les députés qui siègent au comité croient que la Charte des droits devrait s'appliquer à toute personne qui se trouve en territoire canadien. Je crois que nous allons devoir bien considérer ce que nous ont dit tous les témoins que nous avons entendus ce matin. Nous devrons donc proposer les modifications qui s'imposent.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de certaines modifications en particulier. Monsieur Goven, votre expérience, que vous nous avez décrite, et les exemples que Mary Jo nous a donnés, nous amènent à nous demander s'il y a quelque chose que nous pourrions mettre dans la loi qui permettrait effectivement de freiner le pouvoir des agents d'immigration.

Vous venez de nous dire que M. Goven a fini par être blanchi par le SCRS et le CSARS, mais que le ministère de l'Immigration refuse toujours de mettre fin à la procédure de renvoi. Est-ce une question de culture au ministère, ou pouvons-nous prévoir dans la loi une disposition pour corriger cette situation?

Il y aussi une question connexe qui se pose relativement aux diverses façons de définir le terrorisme. Il sera peut-être utile de supprimer, au paragraphe 34(1) l'alinéa c) «se livrer au terrorisme» et l'alinéa f):

    f) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

Ma troisième question concerne ce que disait Sharryn au sujet de la détention. Serait-il suffisant de supprimer le paragraphe 55(3), ou y a-t-il d'autres dispositions qui, dans ce projet de loi, confèrent de nouveaux pouvoirs pour ce qui est de la détention sans mandat?

Le président: Bon, je vous arrête là, Judy. Je suis désolé, mais il faudra du temps pour répondre à vos trois questions.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Une petite dernière pour Paul...

Le président: Non, j'en ai déjà trois, Judy.

Mme Judy Wasylycia-Leis: C'est une question très importante parce qu'il...

Le président: Elles le sont toutes.

Mme Judy Wasylycia-Leis: ... a parlé de la grande criminalité dont il est question à l'article 64. Ma question est la suivante: devrions-nous supprimer uniquement ce paragraphe-là, ou faudrait-il supprimer l'article au complet, comme nous l'ont recommandé d'autres groupes?

Le président: C'est la question que je voulais moi-même poser, alors je vous remercie de l'avoir fait à ma place.

Mary Jo, nous pourrions commencer par la question de savoir ce qu'il faut faire pour éviter que le ministère de l'Immigration refuse de lâcher prise une fois que la personne a été blanchie par le CSARS.

Mme Mary Jo Leddy: Je préfère laisser les questions juridiques aux deux avocats pour me concentrer sur l'idée plus générale de savoir s'il y a une question de culture.

Le président: Je comprends, mais je voudrais avoir des solutions. Nous avons déjà une demi-heure de retard, et j'ai des témoins qui se succèdent jusqu'à 16 heures.

Mme Mary Jo Leddy: Je résume ma pensée: on peut légiférer tant qu'on veut, mais s'il existe au ministère une sous-culture qui fait que tout un chacun s'imagine qu'il n'a pas à se conformer à la loi, il faut à tout le moins ne pas accroître les pouvoirs du ministère, ne pas s'en remettre autant à la réglementation. Vous ne devez pas leur laisser tout ce pouvoir. À Immigration Canada, le service civil n'est pas civil et il n'est pas là pour servir.

Le président: Que pourrions-nous inclure dans le projet de loi? Laissons de côté les règlements. Que voulez-vous inclure dans le projet de loi?

Mme Mary Jo Leddy: Permettez-moi alors de me tourner vers l'avocate.

• 1020

Mme Sharryn Aiken: Dans mon mémoire, je recommande qu'on supprime toute mention relative au terrorisme et à l'appartenance à une organisation terroriste. À mon avis, les dispositions de l'actuelle Loi sur l'immigration et celles qu'on trouve dans le projet de loi C-11 suffisent amplement comme mesures de sauvegarde contre les véritables menaces envers la sécurité, contre les vrais criminels.

Alors, oui, je suis d'accord pour dire qu'il faudrait supprimer cette disposition. Si je ne suis pas vraiment entrée dans les détails dans mon exposé, ce n'est pas faute d'intérêt, mais faute de temps. Ce serait à mon avis une façon concrète d'améliorer le projet de loi qui permettrait de répondre en grande partie aux préoccupations que vous avez entendues ce matin.

L'autre chose qu'il convient de souligner à notre avis, c'est qu'il ne faudrait en aucun cas que des enfants puissent être détenus. L'actuel projet de loi ne contient pas de garantie suffisante à cet égard.

Le président: Paul, en ce qui concerne la peine de deux ans, vous proposez de supprimer l'article au complet.

M. Paul Copeland: Oui. Quand je suis venu témoigner ici auparavant, je ne me suis pas arrêté aux dispositions concernant la sécurité, la violation des droits internationaux ou des droits de la personne ou le crime organisé. Chose certaine, aux termes du projet de loi antérieur, c'est un arbitre au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité qu'il appartenait de décider de ces questions. La grande criminalité n'a toutefois rien à voir avec l'immigration; il s'agit d'un processus distinct. Le renvoi est automatique. Dès qu'on écope d'une peine de deux ans, on est fichu.

Le président: Pourriez-vous nous expliquer un peu de quels crimes il s'agit? Cela pourrait nous éclairer, puisque nous avons entendu deux versions différentes. Selon une version, il est très difficile d'être condamné à deux ans d'emprisonnement, si bien que la barre est assez haute. L'autre version dit qu'il suffit de pas grand-chose pour écoper d'une peine de deux ans—il suffit, par exemple, d'un acte de fraude commis à l'aide d'une carte de crédit.

Puisque nous avons devant nous un avocat qui peut parler en connaissance de cause et qui a soulevé toute cette question de la grande criminalité, pouvez-vous nous dire si deux ans, c'est trop ou trop peu?

M. Paul Copeland: Ce n'est pas tellement que c'est trop ou trop peu, mais plutôt que c'est trop arbitraire. Je suis heureux de pouvoir vous dire que, le plus souvent, au Canada, il est difficile d'écoper d'une peine de deux ans. J'exerce le droit criminel depuis 34 ans et je suis vice-président de la Criminal Lawyers' Association. En règle générale, il faut avoir commis une infraction assez grave pour être condamné à deux ans de prison. Il arrive toutefois qu'une infraction grave ne soit qu'une erreur de parcours, si bien qu'elle ne mérite pas une peine aussi sévère.

Un des agents d'immigration a dit: nous ne renvoyons pas quelqu'un parce qu'il a conduit en état d'ébriété. La conduite en état d'ébriété qui cause la mort ou des blessures corporelles entraîne généralement la détention dans un pénitencier. Je ne conteste pas le bien-fondé du châtiment. Il pourrait toutefois s'agir d'une erreur grave que la personne ne va pas répéter. Pourtant, aux termes de la mesure proposée elle serait renvoyée.

J'ai déjà représenté des clients qui ont écopé de dix ans en prison pour avoir fait la contrebande ou l'importation de cannabis. Ils ne recevraient pas la même peine aujourd'hui. La peine est grave, mais l'infraction ne l'est pas vraiment aux yeux de la plupart des Canadiens. Il en est de même pour certaines infractions liées à une agression sexuelle qui peuvent facilement conduire à une peine d'emprisonnement dans un pénitencier.

Le président: Ainsi, vous dites que deux ans, c'est trop arbitraire.

M. Paul Copeland: Tout critère qui ne tient compte que de la peine est trop arbitraire. Cela pourrait notamment révolutionner la pratique du droit criminel pour nous, puisque la sentence pourrait être un moyen pour le juge de se débarrasser de nos clients. Il pourrait, par exemple, condamner le client à une peine d'emprisonnement de deux ans, alors que l'infraction aurait plutôt mérité une peine de 18 mois. Nous aurons aussi des clients qui resteront en prison en attendant leur procès, dans une espèce de temps mort, pour éviter d'écoper d'une peine de deux ans. Il pourrait passer deux ans en prison et être condamné à l'équivalent du temps déjà passé en prison.

Le président: Merci.

Anita.

Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Je me demande si vous pourriez nous en dire plus, Mary Jo, au sujet du terrorisme qui serait le nouveau masque du racisme. J'ai été frappée par cette affirmation, et j'aimerais que vous nous l'expliquiez.

Mme Mary Jo Leddy: J'ai dit cela en me fondant simplement sur mon expérience. Je trouve frappant de constater combien de fois les gens de l'immigration me disent: «Nous ne pouvons nous occuper de cette affaire puisque la personne pourrait être un terroriste.» Je leur demande: «Sur quoi se fonde ce jugement?» «Ah, vous savez, les demandeurs sont de tel pays»-il s'agit le plus souvent de pays arabes. C'est là une considération qui n'a toutefois rien à voir avec le cas en tant que tel.

• 1025

Il me semble simplement que l'utilisation du terme «terroriste», et surtout la façon dont on s'en sert, peut tout justifier. Ça me semble cela la raison, et pas seulement le racisme.

Dans le passé, les agents d'immigration ont traité les Juifs de la même façon—on pouvait donc les empêcher d'entrer. Vous connaissez tous les tristes événements de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, personne ne dirait que les immigrants sont refoulés parce qu'ils sont Juifs. Mais si on étiquette ces derniers comme terroristes, cela leur enlève tout droit de se plaindre et ils n'ont pas accès aux procédures judiciaires. Grâce à ce mot, on légitime tout. C'est atroce, c'est inacceptable.

Je pense simplement que ce genre de choses réapparaît sous divers masques. C'est devenu le nouveau masque du racisme, et il faut que nous en soyons conscients. Je ne pense pas que nous voulions cela comme pays, non vraiment pas. Merci.

Le président: Vous utilisez des termes plutôt forts, Mary Jo. J'espère que nous n'en déduisons rien. Je suis peut-être encore naïf ou idéaliste, étant arrivé dans ce pays il y a quelque 45 ans, mais je ne peux tout simplement pas accepter qu'il existe du racisme systémique ici, et que certaines personnes utiliseront le terrorisme comme excuse.

Je sais que vous venez d'évoquer le cas de Suleyman: il a été disculpé, mais le système l'a quand même laissé tomber. C'est précisément ce que nous cherchons à découvrir, pourquoi le système échoue. Il a été à tort étiqueté comme terroriste, il a fait appel et il a expliqué pourquoi il n'en était pas un. Cependant, il a dû endurer des épreuves inimaginables afin de prouver ses affirmations. Le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité lui a enfin donné raison, pour découvrir ensuite que le ministère de l'Immigration ne veut pas encore lui remettre de documents. C'est ce qu'il y a de renversant dans cette affaire.

Je sais que vous avez des idées bien arrêtées à cet égard, mais à ma façon plutôt naïve, je suis quelque peu irrité lorsque j'entends dire que ces façons de faire sont une nouvelle forme de racisme, et que les citoyens canadiens qui exercent des fonctions d'autorité au sein des services d'Immigration, de la police, ou du SCRS se comportent de cette façon à dessein et par racisme. C'est cela que j'essayais de vous dire: ça me dérange.

Mme Mary Jo Leddy: Je ne veux pas dire que vous êtes naïf, monsieur le président. Je ne le pense pas.

Cela dit, je suis consciente de certaines choses, de ce que je vois lorsque je traite avec les bureaux de l'immigration. Dans bien des cas, lorsqu'il y a eu des problèmes avec un dossier, lorsque le dossier a été égaré, on entend l'excuse suivante: «Eh bien, il pourrait bien être un terroriste, nous devrions donc peut-être examiner cela de plus près.»

C'est une raison que j'ai entendu utiliser de plus en plus souvent au cours de l'année écoulée, et cela pour des cas bien ordinaires concernant des gens innocents. C'est devenu une excuse passe-partout pour couvrir l'incompétence, et c'est ce qui m'irrite encore plus que les problèmes observés aux échelons supérieurs. C'est devenu l'excuse passe-partout: «Ce sont peut-être des terroristes, et cela excuse donc notre incompétence et nos retards». Si vous ne me croyez pas, je peux vous communiquer le dossier.

Le président: Je vous crois. Merci.

John.

M. John Herron: L'un des aspects utiles dans la tenue de ces audiences, c'est que bon nombre des agents des diverses parties ont été assez impressionnés par les communiqués de presse entourant le projet de loi. Il y était dit que le projet de loi C-11 permettrait au gouvernement du Canada de trouver les moyens de réprimer vigoureusement la criminalité—voyez-vous ça, et de se pencher en même temps sur les préoccupations liées à l'immigration.

Le comité a donc indiqué quel était l'objet du projet de loi avec plus de clarté. Cela dit, il faut aussi que nous lui ajoutions un peu de substance.

J'aimerais maintenant aborder deux questions. Monsieur Goven, j'ai conservé le journal en question, bien que j'admette avoir été retenu par d'autres manchettes qui s'y trouvaient.

En lisant l'article il y a quelques instants, la question soulevée par M. Rae m'a paru être causée par un ordinateur. Est-ce que les services d'immigration ont corrigé le dossier et indiqué la bonne lettre de rendez-vous?

Aussi, dans l'entrevue, l'agent d'immigration a répondu que les services d'immigration ne fabriquent pas de faux documents, ni n'utilisent de décodeurs secrets ni de l'encre invisible. Or cela me semble une réponse très cavalière à la question posée par M. Rae. Le document approprié et qui existe vraiment n'a pas encore été fourni.

• 1030

M. Suleyman Goven: Non, il n'y est pas.

Pendant les audiences du CSARS, je me suis rendu au bureau de CIC à Etobicoke. J'ai écrit une lettre au directeur de CIC et j'ai demandé une copie de mes originaux. Deux ans et demi se sont écoulés et je n'ai toujours pas reçu de réponse.

Par ailleurs, quand j'ai été convoqué à une entrevue au mois d'octobre 2000, j'ai montré les faux à l'agent d'immigration responsable de mon dossier et je lui ai demandé: «Votre ministère a-t-il participé à la fabrication de ces faux?» Elle m'a répondu: «Eh bien, vous accusez le SCRS qui vous accuse à son tour.» J'ai dit: «Ce n'est pas une accusation. Ce document est un faux.» Et je lui ai demandé gentiment si elle pouvait vérifier afin de déterminer si l'original de cette lettre de rendez-vous n'est pas dans mon dossier. Elle a regardé cette note et elle m'a répondu que non.

Peu importe, ce document est un faux. C'est clair puisque la lettre de rendez-vous originale était manuscrite sur une longue feuille de papier. L'heure et mon adresse ont été modifiées dans un document établi par ordinateur.

M. John Herron: C'est ce qu'on m'a dit et c'est pour cela que j'ai soulevé la question.

La seule question de politique publique que je souhaite explorer est celle de ce vide légalisé.

Je serais porté à dire que c'est une lutte qui n'est plus d'actualité. Si un revendicateur de statut de réfugié entre au Canada sans document et que l'on confirme qu'il est réfugié au sens de la Convention, je crois que la Commission du statut de réfugié d'Immigration Canada aurait déjà confirmé l'absence de document. Force nous serait alors de dire qu'il est inutile de franchir tous les obstacles habituels en raison de ce statut différent?

Ainsi, un réfugié au sens de la Convention peut entrer au Canada sans posséder de document?

Mme Zahra Mohamed: Je ne vais pas généraliser. Je vais vous parler de mon propre cas. Il a fallu trois ans pour établir mon identité. Je crois que c'est bien suffisant.

J'estime qu'il est redondant de demander que l'on établisse de nouveau l'identité quand la demande d'établissement est présentée.

M. John Herron: Merci, monsieur le président.

Le président: Eh bien, et très rapidement—et c'est John qui a posé la question—d'après le projet de loi, une fois qu'il est confirmé que le revendicateur est un réfugié au sens de la Convention, il obtient une attestation de statut. Cette attestation permet au réfugié au sens de la Convention de voyager et peut-être de faire autre chose.

Le comité tente aussi de déterminer si, une fois qu'une personne a obtenu une attestation de statut de la CISR, il faut attendre aussi longtemps pour accorder le droit d'établissement? Pourquoi ne pas accorder le droit d'établissement aussitôt confirmée la qualité de réfugié, et s'il reste un problème de papier... Une attestation sous serment signée par une personne comme vous, ici depuis deux ou trois ans... Après tout, les institutions financières et les tribunaux acceptent des attestations sous serment signées. Pourquoi ne pourriez-vous pas signer une attestation sous serment confirmant que vous êtes qui vous dites être? Cela réglerait le problème.

Ainsi, il y a des éléments de solution déjà dans le projet de loi, dont les attestations de statut, et d'autres options qu'examine le comité pour tenter d'améliorer le sort de ceux qui se trouvent dans un vide juridique... Et nous en avons entendu un grand nombre.

Croyez-vous que ce que nous suggérons vous serait utile? Certains ont même suggéré—nous n'avons pas le chiffre exact, 1 000 ou 5 000 cas du genre—que nous envisagions une amnistie pour accélérer le traitement, comme nous avons tenté de le faire pour les Somaliens, comme vous le savez.

Certaines de ces initiatives vous seraient-elles utiles à vous et à d'autres comme vous?

Mme Zahra Mohamed: Pour ce qui est de l'attestation de statut, cela n'aiderait pas la plupart des gens de mon groupe puisqu'ils sont sans papier. Nous n'obtiendrons donc pas d'attestation de statut et, par conséquent, nous n'obtiendrons pas de titre de voyage.

Toutefois, j'approche entièrement votre seconde suggestion selon laquelle les questions d'identité seraient tranchées lors de l'audience de la CISR et que la décision prise à cette étape ouvrirait la porte à la décision sur le droit d'établissement, et nous l'appuierons sans réserve.

Le président: D'accord.

Lynne, suivie d'Anita.

Mme Lynne Yelich (Blackstrap, AC): Votre troisième recommandation me plaît énormément, à savoir que l'on enregistre toutes les entrevues de contrôle sécuritaire de l'immigration et que ces enregistrements soient gardés jusqu'à épuisement de tous les recours. Je crois que ce serait une véritable solution à votre problème.

• 1035

Mme Mary Jo Leddy: Oui, c'est ce que nous avons recommandé après l'audience du CSARS et de l'affaire de Suleyman Goven. C'est lors d'une entrevue par le SCRS qu'on lui a proposé: «Travaillez pour nous, et nous vous accorderons le droit d'établissement.» Les agents du SCRS contestent cette version des choses et comme je l'ai dit, ce serait très simple d'enregistrer ces entrevues comme le font les policiers, comme le fait la CISR. Cela réglerait bien des problèmes.

Mme Lynne Yelich: Un enregistrement vidéo?

Mme Mary Jo Leddy: Non, je crois que les entrevues de contrôle sécuritaire sont filmées mais il faudrait au moins un enregistrement sonore. Mieux vaut ne pas se fier à des notes qui peuvent être modifiées après coup grâce aux ordinateurs afin qu'elles correspondent à la version préférée d'un intervenant.

Le président: Merci, Lynne, et merci Mary Jo.

M. Paul Copeland: Puis-je faire un dernier commentaire?

Le président: Oui, bien sûr.

M. Paul Copeland: Vous avez fait un commentaire sur la longueur du délai avant que ne soit accordé le droit d'établissement.

J'ai constaté que l'un des problèmes avec le service d'immigration c'est que le personnel de certains bureaux est à ce point incompétent qu'on ne peut obtenir de réponse d'eux avant quatre mois. L'autre jour, un employé du bureau de la ministre a décrit le bureau d'Etobicoke comme un trou noir. J'envoie des lettres et je ne reçois pas de réponse avant plus de quatre ou cinq mois. J'écris au bureau de la ministre, et parfois, si je suis chanceux, je reçois une réponse.

Soit, ce n'est pas un problème d'ordre législatif, mais nous avons affaire à des bureaux d'un ministère où c'est très souvent le chaos total.

Le président: Ma seule réponse à cela c'est que ce sont les législateurs et les parlementaires qui doivent rendre des comptes à la population. Je veux des noms, des heures, des dates, et je vous dis, nom de Dieu, que je vous obtiendrai une réponse du bureau de la ministre ou d'ailleurs s'il le faut. Dites-le à vos collègues, et si vous vous heurtez à des obstacles...

Je sais que près de la moitié du travail des bureaux des députés—très souvent nous sommes devenus des agents d'immigration...

M. Paul Copeland: Non, je...

Le président: ... nous sommes conscients de vos difficultés, je vous prie de me croire.

M. Paul Copeland: Puis-je ajouter une dernière chose? Je vais remettre à M. Lahaie des copies des lettres adressées au ministère de l'Immigration afin d'obtenir les données statistiques dont je crois que vous aurez besoin.

Le président: Oui, j'ai fait le suivi.

Anita, enfin, et puis nous avons...

Mme Anita Neville: J'aimerais poser une question à M. Copeland.

Vous avez dit que deux ans vous semble un choix arbitraire. Cela m'étonne, puisque les avocats qui ont comparu dans le cadre de l'examen du projet de loi C-11, et du projet de loi C-31, ont demandé l'élaboration d'une norme objective pour le renvoi de résidents permanents.

M. Paul Copeland: À mon avis, en cas d'infraction, la décision devrait être prise par la Section d'appel de l'immigration. Ce sont eux qui ont les connaissances d'expert. Il y a une audience. Les intéressés peuvent présenter des éléments de preuve. Les motifs sont exposés. Il faut toutes ces garanties, je crois, avant que l'on puisse expulser des gens du Canada. On ne devrait pas dire s'ils seront emprisonnés pour six mois, deux ans ou dix ans. Cela ne dépend pas uniquement de la gravité de l'activité criminelle; il y a aussi d'autres facteurs qui entrent en jeu.

Les responsables de l'immigration qui ont répondu à cette question ne cessent de répéter qu'il y aura des règlements. Un anonyme au fin fond du ministère prendra en compte tous ces facteurs pour les résidents à long terme. Ce n'est ni le lieu ni l'endroit pour en décider. C'est à la Section d'appel de l'immigration d'en décider.

Mme Anita Neville: Merci.

Le président: Merci à tous. Comme vous pouvez le constater, nous avons dépassé le temps imparti pour la bonne raison que les questions que vous avez soulevées, y compris les questions personnelles, ajouterais-je, pour ce qui concerne Zahra et M. Goven, nous ont vivement intéressés. Il est bon parfois, comme l'a dit tout à l'heure Madeleine, je crois, de savoir comment une mesure législative ou une loi touche personnellement ceux qu'elle vise. Vous avez montré du courage en témoignant personnellement et nombre d'entre nous ont trouvé vos frustrations bouleversantes.

Encore une fois, nous ne pouvons que louer le travail de ceux et celles qui sont en première ligne et qui aident des gens comme Zahra.

Quant aux avocats qui doivent subir ces frustrations jour après jour—je sais que cela fait partie de leur travail—, votre expérience et votre témoignage nous permettent de mieux comprendre les bons et les mauvais points de cette mesure législative.

Je vous remercie infiniment de votre participation.

Nous allons passer aux témoins suivants sans plus attendre, si c'est possible.

• 1040




• 1041

Le président: Chers collègues, mesdames et messieurs, j'aimerais que nous reprenions, s'il vous plaît...

Nos témoins suivants représentent la Canadian Ukrainian Immigrant Aid Society, l'Alliance canadienne des organismes de réglementation de la physiothérapie, l'Organization of Professional Immigration Consultants Inc., ainsi que le conseil de la Ville de Toronto (Working Group on Immigration and Refugee Issues).

Tout d'abord, je vous présente nos excuses pour le retard. Nous avons aussi pris du retard hier. C'est parce que la masse d'information qui nous est communiquée est tellement bonne que les députés se sentent obligés de poser de plus en plus de questions et c'est un bon signe.

Je vous prierais de résumer votre mémoire en cinq ou sept minutes afin que nous ayons le temps de vous poser des questions. Je vous remercie infiniment de nous avoir fait parvenir ces mémoires.

Je commencerai par Eugen Duvalko, qui représente la Canadian Ukrainian Immigrant Aid Society.

Eugen, soyez le bienvenu.

M. Eugen Duvalko (directeur exécutif, Canadian Ukrainian Immigrant Aid Society): Bonjour. Merci, monsieur le président.

La Canadian Ukrainian Immigrant Aid Society est une agence communautaire à but non lucratif basée à Toronto, bien que nous fassions appel à l'ensemble de la communauté ukrainienne pour son soutien, sa participation, ses avis et ses conseils.

Nous apportons à ce débat notre expérience de travail direct avec les candidats à l'immigration et les immigrants. Nous avons donc pas mal de choses à dire sur notre système d'immigration, aussi bien au Canada qu'à l'étranger. Je devrais peut-être moi aussi associer ce système au mot *frustrations+ ou *défis+.

Je commencerai par dire que j'aimerais infiniment voir les règlements préparés par le ministère, pour qu'ils soient inclus au tableau avant que ce projet de loi ne soit adopté, révisé ou examiné, afin de vraiment bien comprendre les objectifs des rédacteurs de la loi.

Le président: Vous pouvez les trouver sur notre site Web. Cela fait déjà deux ou trois semaines qu'ils y sont.

M. Eugen Duvalko: Oui, il y a les notes d'explication mais pas le texte des règlements eux-mêmes.

• 1045

Étant donné que les principaux éléments de la Loi sur l'immigration seront désormais pris en charge par la réglementation, nous ne savons pas exactement à quoi ressemblera ce nouveau système d'immigration. Notre association recommande vivement d'attendre la publication de ces règlements avant de poursuivre l'examen du projet de loi car il est possible que les règlements contiennent certaines choses qui en fait devraient figurer dans la loi elle-même.

Nous aimerions également pouvoir dire notre mot sur le mode de prestation du programme d'immigration du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. Nous essayons de remonter la chaîne en demandant: Quelles sont les mesures législatives qui favorisent ou qui défavorisent ce programme? Que faire pour modifier ou influencer la culture ambiante? Est-ce au niveau du ministère? Comment pouvons-nous influencer la qualité des décisions prises et influencer les décideurs eux-mêmes?

La première chose à dire ici, c'est que nous éprouvons une vive inquiétude face à l'article 72, qui oblige un appelant à faire une demande d'autorisation pour contester les décisions relatives à l'immigration qui sont prises à l'étranger. Le ministère motive cette mesure en disant qu'elle sera compatible avec les exigences en vigueur au Canada, et aussi qu'on aura moins besoin de ressources pour contrer ces contestations judiciaires.

J'ai un point de vue différent, qui est celui du contrôle de la qualité. Les témoins qui m'ont précédé, et j'ai la certitude que cela a été dit dans d'autres exposés et mémoires, ont dit qu'il fallait trouver un moyen d'exiger davantage de comptes des décideurs qui sont aujourd'hui à l'étranger.

Le rapport du vérificateur général de l'an dernier concernant le rendement du ministère de l'Immigration nous a appris beaucoup de choses. On y fait état d'une incohérence généralisée, de mauvaises décisions, d'un manque de formation, d'un manque de fonds et l'absence de comptes à rendre pour les décisions qui sont prises à l'étranger.

On pouvait obtenir des comptes—même si ce n'était pas grand-chose—en contestant ces décisions devant les cours fédérales. Le fait d'avoir à présenter une demande d'autorisation compliquera de beaucoup ce moyen que nous avions de contester les décisions et d'exiger plus de qualité.

Pour avoir vécu ces contestations, je ne crois pas que les gens qui essuient des refus à l'étranger entament ces contestations de bon gré ou frivolement. Ce n'est pas un processus facile. C'est onéreux pour le ministère de l'Immigration de se défendre contre une contestation, et c'est également onéreux et frustrant pour ceux qui veulent contester, et cela prend du temps. Donc ce n'est pas un mécanisme facile, mais il devrait y avoir un mécanisme de contestation qui serait enchâssé dans la loi.

J'ai lu dans la presse quelques mentions au sujet d'un mécanisme parallèle de règlement des différends. Mais je n'y ai vu aucune référence dans la loi ou dans les notes sur le règlement. Je ne connais pas la position du ministère à ce sujet, je ne sais pas s'il hésite, ou s'il préférerait tout simplement oublier tout ce système. Nous ne serons donc plus en mesure de contester la qualité de ces décisions, et ce sont de mauvaises décisions dans certains cas, c'est flagrant, et c'est frustrant pour les demandeurs qui doivent subir ces mesures arbitraires et qui doivent souffrir de la mauvaise formation de certains décideurs. Je n'ai pas besoin de citer d'exemples parce que le rapport du vérificateur général a bien traité de cette question.

C'est probablement l'un des quelques moyens qui nous restent pour assurer l'intégrité du système.

Ce qui m'amène à la question de l'intégrité. L'intégrité est l'un de ces mots magiques que l'on emploie souvent pour motiver ce nouveau projet de loi. Mais c'est une intégrité qui exploite la peur qu'ont les gens du système d'immigration. C'est comme si on disait que les gens vont nous croire intègres parce que nos règles sont plus arbitraires.

• 1050

Je crois que le système conserve une certaine intégrité, mais il doit susciter le respect pour ses modalités, le respect pour la qualité des décisions, et le demandeur doit avoir la certitude que le système d'immigration le respecte. Les longs retards, les excuses frivoles, et cette nouvelle terminologie qui a fait de l'arriéré un inventaire... la demande d'une personne n'est pas un machin qu'on assemble sur une chaîne de montage. Si vous le pouvez, tâchez d'inscrire dans la loi le moyen d'exiger des comptes.

Deuxièmement, je crains que l'article 40 n'ait des conséquences non intentionnelles, étant donné que la fausse déclaration devient un motif d'interdiction de territoire. À première vue, j'étais très heureux de voir que l'on sanctionnerait les demandeurs qui mentent. Mais connaissant la piètre qualité des décisions que j'ai vues, ce ne sont pas tous...

Je ne veux pas m'attarder là-dessus parce que ce n'est pas un cauchemar dans ce système. Mais il y a des cas qui sont très frustrants. On a entendu parler ce matin d'exemples où il y a eu des erreurs, et je peux également citer d'autres cas. Ayant fait affaire avec des agents de l'immigration, je peux imaginer qu'avec cette interdiction de territoire pour fausse déclaration, une personne pourrait être jugée inadmissible beaucoup trop sommairement en vertu de cet article.

J'ai assisté à des entrevues d'immigration à titre d'interprète. J'ai écouté un demandeur enthousiaste, qui était un travailleur qualifié, qui essayait de s'expliquer en anglais, mais les mots lui manquaient ou c'était l'interprète qui manquait de mots pour lui—ou pour elle, dans d'autres cas—, et cela éveillait immédiatement des soupçons. Rien qu'à cause de la barrière de la langue, l'agent d'immigration s'est mis à avoir des soupçons sur la véracité de la demande. Je peux imaginer que ce motif d'interdiction de territoire aurait pu s'appliquer à eux.

Si l'on doit conserver cette disposition, je propose qu'on donne une définition plus large et qui tient compte du fait que, premièrement, il arrive aux gens de se tromper, deuxièmement, des omissions ne constituent pas nécessairement de fausses représentations; et troisièmement, une certaine interprétation culturelle est nécessaire. Souvent, les gens de certains pays répondent à une question par une autre question. Ils ne sont nullement évasifs; c'est ainsi qu'ils conversent. Mettez dans cette situation un agent qui est très pressé, qui doit prendre une décision, et l'on se trompe aisément. Malheureusement, nous allons perdre nos meilleurs éléments au profit d'autres pays qui ne s'encombrent pas de tels...

Le président: M. Duvalko, s'il vous plaît, je vais vous demander de conclure.

M. Eugen Duvalko: Votre moment est bien choisi parce que je m'apprêtais justement à le faire.

Je tiens à dire, une fois de plus, lorsqu'on a annoncé le dépôt de ce projet de loi, que nous attendions des mécanismes qui nous permettraient d'assurer l'honnêteté du système d'immigration. On entend souvent parler—et souvent avec raison—de gens qui essaient de déjouer le système. Mais nous devons avoir un système qui est aussi intrinsèquement bien fait et intègre.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup.

Nous allons entendre de l'Alliance canadienne des corporations professionnelles de physiothérapeutes—nous aurons probablement tous besoin de cela après une semaine: une bonne physiothérapie—Susan Takahashi.

Mme Susan Glover Takahashi (directrice générale, Alliance canadienne des corporations professionnelles de physiothérapeutes): Merci. Oui, nous avons probablement besoin d'une pause pour nous étirer ou quelque chose comme ça, à tout le moins de nous lever.

Bonjour, monsieur le président, membres du comité. Je m'appelle Sue Glover Takahashi, directrice générale de l'Alliance canadienne des corporations professionnelles de physiothérapeutes. L'alliance fédère les 10 corporations professionnelles provinciales de physiothérapeutes. Ce sont les instances professionnelles provinciales qui représentent plus de 15 000 physiothérapeutes.

Ces corporations professionnelles sont les organisations provinciales qui ont la responsabilité de contrôler les qualifications et les activités des physiothérapeutes selon le modèle d'autoréglementation. Dans le cadre de ce mécanisme, l'alliance administre l'examen national d'accréditation et détermine l'admissibilité des physiothérapeutes formés au Canada et à l'étranger. Je veux parler aujourd'hui de certaines expériences que nous avons vécues du côté de la formation à l'étranger.

• 1055

En ce moment, et c'est la pratique depuis les sept dernières années, les critères d'admissibilité pour les physiothérapeutes formés à l'étranger sont les mêmes que pour ceux qui sont formés au Canada. L'Alliance canadienne des corporations professionnelles de physiothérapeutes a pris toutes les mesures voulues pour mettre en place les meilleures pratiques qui soient relativement à l'équité et à l'accessibilité.

Avant d'aller plus loin, je tiens à dire que les corporations professionnelles n'ont aucune autorité, influence ou intérêt dans ces questions d'offre et de demande. Elles ont pour fonction de s'assurer que les physiothérapeutes sont des praticiens de la santé compétents et qu'ils sont aptes à pratiquer leur métier.

Nous vous avons soumis un mémoire, et nous aimerions souligner certaines choses. Nous croyons que le projet de loi comporte des aspects qui sont nettement positifs. Nous vivons une situation semblable dans le milieu professionnel, et nous comprenons parfaitement le fait qu'il existe des intérêts opposés et la nécessité d'instaurer des freins et des contrepoids.

J'ai écouté ceux qui m'ont précédée, et j'ai la plus grande sympathie pour les diverses perspectives dont vous devez tenir compte. L'alliance aimerait attirer votre attention sur trois préoccupations.

L'une tient essentiellement au cadre conceptuel du projet de loi C-11. On part de l'hypothèse que les immigrants qui sont des professionnels dans leur pays d'origine se contenteront de travailler dans un domaine connexe, s'ils n'ont pas les qualifications voulues pour être accrédités dans notre pays, le Canada. D'après notre expérience de l'accréditation, ce n'est peut-être pas le cas.

Ce que je sais, c'est que les gens ne se voient pas comme du capital humain. Nous nous voyons comme des personnes, chacun a son histoire. Nous sommes des mères, des frères, des soeurs et des travailleurs. Ce que je sais des phytothérapeutes qui viennent me voir, et qui réussissent ou ne réussissent pas dans leur démarche, c'est que leur profession fait partie d'eux. Ce n'est pas comme un vêtement qu'ils mettent; leur profession fait partie intégrante de leur identité. Cette idée de travailleurs que l'on considère comme du capital humain ne rejoint pas les gens avec qui je travaille quotidiennement. Je crois que nous entendons aussi des récits assez émouvants, et on ne peut pas considérer ces gens comme du capital humain.

Nous devons également tenir compte du fait que, dans les professions réglementées, l'idée du travail connexe est plus conceptuelle que pratique, particulièrement dans le domaine de la santé. Au Canada, les phytothérapeutes sont des praticiens autonomes que tout le monde peut aller voir. Nous voulons nous assurer que les gens qui viennent travailler au Canada peuvent oeuvrer dans notre milieu. Nous ne pensons pas pour autant que la formation qu'ils ont reçue dans leur pays d'origine ne convient pas; cependant, la manière dont l'éducation et la santé sont organisées dans le pays d'origine ne s'applique pas nécessairement à notre contexte. Nous nous sommes donné beaucoup de mal pour permettre aux gens d'améliorer leurs compétences, mais cette notion des compétences connexes n'est peut-être pas raisonnable.

Nous nous préoccupons également de la perte réelle ou éventuelle du contact antérieur. Comme mon collègue ici présent, je suis quelque peu troublée par le fait qu'on ignore la forme que prendra le règlement. Il est facile de dire qu'on y verra dans le règlement, mais il est difficile de s'assurer que ce sera bien le cas.

Ce que nous savons, c'est que l'alliance n'est pas mentionnée dans l'ancienne Loi sur l'immigration, si bien qu'être mentionnée dans la nouvelle loi n'est pas non plus ce qui l'intéresse. Cela n'est pas notre objectif. Les phytothérapeutes ne sont pas obligés de se joindre à l'alliance, cependant, nous constatons que les bureaux d'immigration les y encouragent ou les y obligent. Le fait d'encourager ou d'obliger permet à l'immigrant potentiel de comprendre notre contexte et d'établir des liens avec des ressources chez nous avant de venir au Canada, de telle sorte qu'il peut prendre une décision éclairée.

La question de la transparence est très importante. Si vous pensez que vous allez venir chez nous et travailler dès le lendemain, et que vous vendez tous vos biens, vous quittez votre pays d'origine, et vous constatez ensuite qu'il vous faut des études qui vous prendront une année et demie, parcours qui est accessible électroniquement dans le cadre de notre organisation et par correspondance... nous n'obligeons pas les gens à être au Canada. Cette idée du travail connexe fait problème, et cette idée de l'accès antérieur est importante pour nous.

• 1100

L'idée de l'évaluation obligatoire des compétences par les provinces est une autre question qui nous intéresse, et nous aimerions vous dire ce que nous en pensons. J'ai donné dans mon mémoire un exemple de la manière dont les instances d'accréditation provinciales et les corporations professionnelles provinciales de phytothérapeutes peuvent examiner le même document et parvenir à des conclusions différentes. Étant donné le libellé de ce mandat, nous risquons d'avoir ainsi deux instances professionnelles provinciales, dans la même affaire de droits de la personne, chacune plaidant une thèse qui lui est propre. Il me semble qu'on place ainsi nos instances dans une situation singulière, et je vais vous dire pourquoi.

Lorsque les instances d'accréditation examinent un document, elles vous disent qu'elles ont examiné le niveau de scolarité, le nombre d'années d'expérience, et elles se prononcent parfois sur le principal domaine d'activité. Il se peut que la personne qui se voit reconnaître des équivalences pour cette scolarité dans le modèle du capital humain ne comprenne pas qu'on n'a pas accordé la même valeur aux cours de physiothérapie dans le pays d'origine et au Canada. Le problème nous tombe alors sur les bras, parce que dans certains pays, les physiothérapeutes travaillent comme techniciens, comme enseignants en éducation physique, comme médecins—et l'on sait que l'organisation de la santé publique varie énormément d'un pays à l'autre.

Nous voulons vous faire trois recommandations. Nous croyons que la loi doit mentionner explicitement le rôle que jouent les corporations professionnelles dans la santé publique. La loi est muette sur ce point; c'est probablement voulu, mais nous croyons qu'il faut une mention explicite.

Pour ce qui est du contact, un contact direct et fait le plus tôt possible est non seulement important, c'est essentiel, parce que nous ne sommes pas les seuls à choisir, l'immigrant choisit lui aussi. Qu'on lui permette de décider s'il veut travailler dans un domaine connexe. Pour ce qui est du facteur d'adaptabilité, nous devons savoir ce qu'il en est à propos de ce domaine connexe.

L'alliance travaille en très étroite collaboration avec vos bureaux d'immigration, et nous sommes disposés à faire ce qui est nécessaire ou exigé pour assurer une communication suivie qui facilitera le processus pour les immigrants potentiels. Ce que nous savons, c'est qu'il y a pénurie importante de physiothérapeutes au Canada. C'est particulièrement vrai dans le Canada rural et les régions éloignées, et cette pénurie s'accroît. Nous voulons les immigrants qu'il nous faut et nous voulons qu'ils soient heureux chez nous et prêts à travailler.

Merci.

Le président: Merci. J'ai la certitude que nous aurons des questions pour vous parce que nous avons entendu parler de toute cette question de l'accréditation, qui est très importante.

Nous allons maintenant entendre l'Organization of Professional Immigration Consultants. Nous avons Jill Sparling et Warren Lloyd ainsi que Don Gracey à l'arrière. Bienvenue.

Jill et Warren.

Mme Jill Sparling (présidente, Organization of Professional Immigration Consultants Inc.): Merci, monsieur le président, et bonjour.

Je m'appelle Jill Sparling. Je suis la présidente de l'Organization of Professional Immigration Consultants, dont le sigle est l'OPIC. C'est une organisation professionnelle bénévole qui a été fondée en 1991 pour représenter les experts-conseils en immigration. Nous comptons en ce moment 200 membres, au Canada. À côté de moi se trouve Warren Lloyd, notre vice-président.

Warren et moi-même sommes tous deux experts-conseils en immigration. J'ai travaillé pour l'administration fédérale pendant près de 20 ans, dont une partie dans un cabinet ministériel. Pendant les autres années, j'étais agente d'immigration et j'ai occupé diverses fonctions. Warren a été 27 ans à l'immigration, il a été gestionnaire de programme dans plusieurs bureaux des visas, il a été également agent de liaison du service extérieur, au bureau régional de l'Ontario.

Nous avons remis au greffier des copies de notre mémoire qui fait état de nos préoccupations relativement au projet de loi C-11. Mais pour le moment, plutôt que d'aborder des questions qui ont déjà été soulevées par d'autres témoins, nous préférerions parler de cette nécessité urgente que constitue la réglementation de la profession d'expert-conseil en immigration.

• 1105

L'OPIC est d'avis que les personnes autres que les avocats qui se présentent au public en qualité d'experts-conseils en immigration devraient être assujetties à un règlement, et seuls ceux qui satisferaient ce règlement auraient le droit de pratiquer la profession d'expert-conseil en immigration. L'établissement d'un cadre de réglementation nationale pour les experts-conseils en immigration a été le moteur de la création de notre association et le demeure encore aujourd'hui. Nous croyons que cette réglementation est nécessaire. Nous pensons qu'il y a trop de gens qui offrent des services de consultation en immigration et qui connaissent mal la loi, les règlements, la politique, la procédure et la jurisprudence pour offrir des services de qualité à leurs clients. Nous pensons qu'il y a trop de gens qui se donnent comme experts-conseils en immigration et qui se prêtent à des pratiques frauduleuses, qu'il s'agisse d'exiger des frais excessifs ou de faciliter la contrebande humaine. Il y a des gens qui prétendent être conseillers en immigration et qui mettent en péril la sécurité du pays en facilitant l'immigration de personnes ayant un casier judiciaire ou qui constituent une menace pour la sécurité du Canada.

De telles pratiques compromettent l'intégrité et la crédibilité de notre système d'immigration. Elles compromettent le droit qu'ont les Canadiens à une protection raisonnable contre les criminels et les menaces à la sécurité. Ces gens exploitent des personnes, nommément des personnes qui veulent immigrer chez nous, qui sont vulnérables et qui sont le moins en mesure de faire valoir leurs droits.

Les conseillers en immigration incompétents ou peu scrupuleux nuisent aux gens de diverses façons. Une demande d'immigration ou de statut de réfugié peut être refusée parce qu'elle était incomplète. Des personnes méritantes se voient refuser l'entrée chez nous parce qu'elles ont été mal conseillées. Il arrive qu'on donne de faux espoirs à des personnes qui n'ont à peu près aucun espoir de réussite, et il arrive qu'on exige de fortes sommes d'argent pour des demandes qui n'ont aucune chance de réussite raisonnable. Cependant, il n'existe aucun recours pour ces personnes qui sont lésées par des conseillers incompétents ou malhonnêtes. À titre d'exemple, un avocat en droit de l'immigration qui est radié du barreau aujourd'hui pour pratique frauduleuse ou incompétence peut ouvrir demain un bureau de conseiller en immigration et poursuivre ses activités comme auparavant. Une personne qui n'a aucune formation ni aucune expérience peut se présenter à vous aujourd'hui comme conseiller en immigration.

Dans la loi de 1976, l'alinéa 114(1)v) autorise le Cabinet fédéral à promulguer des règlements obligeant toute personne qui n'est pas membre d'un barreau provincial à obtenir une licence auprès des autorités désignées avant de pouvoir comparaître en tant que conseiller rémunéré d'un requérant devant un arbitre, devant la section du statut de réfugié ou devant la section d'appel. Ces dispositions n'ont jamais été appliquées. En 1990, l'Association du Barreau canadien a recommandé un régime d'autoréglementation pour les conseillers en immigration qui ne sont pas avocats.

Dans son neuvième rapport, le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration a fortement recommandé que les conseillers en immigration soient réglementés dans le cadre d'un régime professionnel d'autoréglementation. Ce rapport, justement, était intitulé «Les conseillers en immigration: Le temps est venu d'agir», et il a été publié en décembre 1995. Ses recommandations sont restées sans suite. Le Comité sénatorial spécial sur la sécurité et le renseignement a recommandé la réglementation des conseillers en immigration dans son rapport de janvier 1999. Le gouvernement a officiellement répondu à plusieurs recommandations du comité, mais pas à celle-là.

Récemment, dans des mémoires présentés à la Cour suprême du Canada, les conseillers de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Manitoba ainsi que la Law Society of British Columbia se sont prononcés en faveur de la réglementation des conseillers en immigration. Pour l'essentiel, le gouvernement de Colombie-Britannique a déclaré que si le gouvernement fédéral ne met pas en place un régime efficace de réglementation, la province va le faire. Le procureur général de l'Ontario a déclaré qu'il avait l'intention de faire la même chose.

Nous ne voulons pas d'un régime réglementaire balkanisé pour les conseillers en immigration, d'un régime qui varie d'une province à l'autre ou qui impose une réglementation aux conseillers en immigration dans certaines provinces, mais pas dans d'autres. L'article 91 du projet de loi C-11 confère au gouvernement fédéral tous les pouvoirs nécessaires pour instituer un régime réglementaire national—et j'insiste bien sur le caractère national—d'autodiscipline. Cet article 91 permet au gouvernement d'adopter des règlements prévoyant

    qui peut ou ne peut représenter une personne, dans toute affaire devant le ministre, l'agent ou la commission, ou faire office de conseil.

Par commission, on entend la Commission d'appel de l'immigration. Nous sommes heureux de trouver cette disposition, mais notre optimisme est tempéré par le fait que le gouvernement est investi du même pouvoir par la Loi sur l'immigration depuis 1976, et qu'il ne l'a encore jamais exercé.

Comme je l'ai dit précédemment, nous nous sommes constitués initialement en vue d'obtenir la mise en place d'une réglementation nationale et, en novembre 1999, les membres de l'OPIC et de l'autre association professionnelle des conseillers en immigration ont rencontré de hauts fonctionnaires du ministère pour demander une intervention sur le fond de la réglementation. En septembre 2000, nous avons même rencontré la ministre. Depuis lors, il y a quelques progrès. À l'instigation du ministère, les organismes professionnels ont constitué une société indépendante à but non lucratif et sans capital-actions appelée Collège de praticiens d'immigration du Canada, qui intervient en tant que personne morale dans toutes les transactions avec le ministère de l'Immigration pour ce projet. Il est prévu que ce collège se transforme en organisme professionnel d'autodiscipline lorsque les détails du régime réglementaire auront été réglés. Un protocole d'entente a été conclu entre le collège et le ministère en février 2000; les deux parties s'y engagent à collaborer à la création d'un régime réglementaire d'autodiscipline.

• 1110

Je suppose que le ministère n'aura pas d'objection à communiquer ce protocole d'entente au comité.

On a retenu les services de conseillers de Humber College pour définir une norme professionnelle nationale applicable aux conseillers en immigration, et le ministère du Développement des ressources humaines a accepté de donner le feu vert à la version finale du projet. Cette norme professionnelle définira l'expérience, les connaissances, les aptitudes et le jugement exigés à titre minimal de ceux qui veulent s'inscrire au collège. Cette norme professionnelle sera élaborée en consultation avec tous les intervenants au Canada, notamment Citoyenneté et Immigration Canada, les autorités provinciales, les barreaux provinciaux, les groupes de consommateurs et, évidemment, les praticiens de la profession.

La formule sur laquelle CIC et le collège se sont mis d'accord est un collège professionnel d'autodiscipline qui fixe des normes à ses membres en fonction de cette norme professionnelle nationale. Seuls les membres en règle du collège d'autodiscipline sont habilités à représenter des clients moyennant rémunération auprès de Citoyenneté et Immigration Canada et de ses différents tribunaux administratifs.

Le collège a déjà proposé à CIC des procédures concernant les plaintes et les mesures disciplinaires, ainsi qu'un code de déontologie. Au moins un tiers des membres du collège seront nommés par le gouvernement pour protéger les consommateurs et l'intérêt public. Nous ne créons pas un monopole réglementaire. À l'avenir, tout organisme réglementaire qui répondrait aux exigences de CIC pourrait être habilité à réglementer les conseillers en immigration.

Jusqu'à présent, le coût de cet exercice, qui n'est pas négligeable, a été supporté par les deux associations professionnelles par l'intermédiaire du collègue. Vous y verrez sans doute un progrès substantiel, mais ce fut en réalité un exercice lent et très laborieux. Je ne vous en donnerai pas tous les détails aujourd'hui, mais nous nous sentons comme Sisyphe, qui devait constamment remonter au sommet de la montagne une roche qui finissait toujours par dévaler la pente.

Malgré tous nos efforts, le projet est resté en latence à CIC depuis novembre dernier, et n'avait connu au cours des mois précédents que des sursauts sporadiques, bien qu'une série d'événements prouvent la nécessité pressante d'une réglementation. Nous avons rencontré des fonctionnaires de CIC il y a deux semaines—encore une fois, le personnel du ministère a été entièrement renouvelé—pour essayer de relancer notre démarche. Sans un engagement ferme et constant de CIC en faveur de ce projet, tant au niveau politique qu'administratif, nous risquons de perdre encore une fois tous les progrès réalisés.

Pour nous, ce projet représente l'évidence même. Nous considérons qu'un régime réglementaire efficace protégera le public des conseillers incompétents et sans scrupules. Il permettra d'atteindre les objectifs énoncés dans le projet de loi C-11. Le régime que nous proposons ne soulève aucune question de compétence fédérale-provinciale et n'engage pas la responsabilité de CIC. Comme il offre la possibilité d'éliminer la fraude et l'incompétence, nous considérons que la réglementation des conseillers aura un effet positif considérable sur l'intégrité de notre système.

Nous ne lui trouvons aucun défaut, sinon l'opposition de nature politique qu'il pourrait susciter auprès des conseillers dont la compétence ne sera pas reconnue. En contrepartie, cette opposition politique attestera de l'efficacité du régime réglementaire.

Je suis ici aujourd'hui pour demander instamment à ce comité, au nom des conseillers en immigration qualifiés, compétents et honnêtes, d'intervenir le plus fermement possible auprès de CIC pour que le ministère adopte un régime de réglementation des conseillers et mette en oeuvre l'article 91 du projet de loi dans les plus brefs délais.

Je voudrais faire un commentaire concernant cet article 91. Son libellé actuel est le suivant: «Les règlements peuvent prévoir qui peut ou ne peut représenter une personne» etc. Nous invitons le comité à remplacer les mots «peuvent prévoir» par «prévoient».

Merci.

Le président: Merci beaucoup, Jill et Warren, pour cet excellent exposé.

Nous passons maintenant au Conseil de la Ville de Toronto, représenté par David Miller, Rose Lee et Julie Mathien. Merci beaucoup de vous être déplacés; nous écoutons vos commentaires.

Merci, David.

M. David Miller (président, Groupe de travail sur les questions d'immigration et de statut de réfugié, Conseil de la Ville de Toronto): Merci, monsieur le président.

[Français]

Bonjour et bienvenue à Toronto.

[Traduction]

Je suis le conseiller municipal de High Park à Toronto et président du Groupe de travail sur les questions d'immigration et de statut de réfugié de la municipalité. Le point de vue que je vous présente aujourd'hui est l'opinion officielle du conseil municipal, telle qu'elle a été adoptée à sa plus récente réunion, mais en pratique, c'est une position identique ou très semblable à celle que nous avons toujours défendue.

Comme le président l'a indiqué, je suis accompagné de Rose Lee, qui est la coordonnatrice de l'accès et de l'équité de nos services administratifs centraux, et de Julie Mathien, qui est agent de développement des politiques à la direction des services communautaires et de quartiers.

Au nom de la ville de Toronto, nous vous remercions de nous permettre de nous prononcer sur le projet de loi C-11. L'immigration est une question cruciale à Toronto, puisque c'est au Canada la ville qui accueille le plus grand nombre de nouveaux Canadiens.

Il y a des exemplaires complets de notre mémoire en anglais et en français. Voilà le document. Je tiens à remercier le comité de s'être chargé de la traduction en français.

• 1115

Comme Toronto est une ville multilingue, nous avons aussi fait traduire le mémoire en neuf langues à l'intention des médias et des organismes communautaires, et votre greffier pourra aussi en obtenir des exemplaires à votre intention.

Le président: Merci beaucoup. Tout cela est très utile. Nous remercions la ville de Toronto de toutes ces attentions.

M. David Miller: Je vous en prie.

J'aimerais résumer les recommandations de la ville. Lorsque vous étudierez le projet de loi C-11 article par article, la ville vous demande instamment de considérer les points suivants:

1. Inclure les municipalités dans les articles 3 à 10 afin que le gouvernement du Canada les consulte directement.

2. Établir un processus intégrant les municipalités en tant que participants à part entière dans l'élaboration des règlements d'application de la loi.

3. Inclure des orientations stratégiques à l'article 3 pour favoriser l'établissement et l'intégration des immigrants et des réfugiés dans les collectivités locales.

4. Amener le gouvernement du Canada à intervenir activement pour faciliter l'intégration économique des immigrants et des réfugiés, notamment à Toronto, en consultant des associations professionnelles et techniques afin d'accélérer la reconnaissance et le recyclage professionnels des travailleurs formés à l'étranger, et à augmenter l'aide financière et les mesures de soutien au recyclage professionnel et à la formation linguistique axée sur l'emploi.

5. Amener le gouvernement du Canada à rembourser aux municipalités—je suis sûr qu'on vous en a déjà parlé—le montant des dépenses des services de santé, d'aide sociale et d'hébergement offerts aux réfugiés en raison des manquements aux obligations de parrainage, et à appuyer explicitement les ententes fédérales-provinciales concernant les coûts de ces services. C'est particulièrement important en Ontario actuellement, parce qu'il n'y existe pas d'accord provincial approprié.

6. Permettre que les enfants et les jeunes de moins de 18 ans, enfants de réfugiés sans documents, soient admis à l'école, en conformité avec la Loi sur l'éducation de l'Ontario, sans que Citoyenneté et Immigration n'ait à donner son autorisation.

7. Aider les conseils scolaires du district de Toronto à répondre aux besoins de formation linguistique des enfants et adultes immigrants ou réfugiés.

8. Ajouter la discrimination en fonction du sexe au nombre des motifs de persécution.

9. Maintenir le statut et les droits de résident permanent tels qu'ils figurent dans l'actuelle Loi sur l'immigration.

10. Préciser les dispositions concernant la détention pour des motifs d'identification en collaboration avec les organismes non gouvernementaux de façon à ne pas empêcher les réfugiés authentiques sans pièces d'identité de demander le statut de réfugiés.

Je sais que vous demandez aux témoins d'être brefs, et je vais m'efforcer de l'être.

La ville de Toronto a consulté la Fédération canadienne des municipalités et la ville de Vancouver, ainsi que d'autres municipalités canadiennes. J'ai ici une ébauche d'un document intitulé Common Cause qui résume le dialogue qu'ont tenu les municipalités sur les questions d'immigration et de statut de réfugié au Canada. Ce document n'existe pas encore en français, mais je vais le soumettre à votre greffier.

Ce qui importe, de notre point de vue, c'est qu'un certain nombre de municipalités canadiennes reconnaissent que les services qu'elles proposent permettent aux immigrants et aux réfugiés de réussir leur établissement. Il est très important que les municipalités puissent intervenir directement dans l'élaboration des politiques, sans passer par l'intermédiaire des provinces, et que le gouvernement nous accorde une aide financière à cette fin.

Le conseil municipal de Toronto a exprimé divers points de vue sur l'immigration et l'établissement en général, mais le premier d'entre eux, à mon avis, est le plus important.

L'immigration présente des avantages sociaux, culturels et économiques pour Toronto et pour le Canada. Nous sommes très fiers de la diversité qui caractérise notre ville. C'est pour nous un atout considérable et nous avons pour objectif de former une société socialement cohérente et prospère fondée sur l'intégration des nouveaux Canadiens.

Notre deuxième point de vue essentiel invite le gouvernement du Canada à consulter directement et officiellement les municipalités lors de l'élaboration des politiques et des programmes concernant l'immigration et l'établissement, car au Canada, l'immigration est avant tout un phénomène urbain. Nous savons ce qu'il advient des immigrants, nous connaissons parfaitement leurs besoins. S'il existe un mécanisme qui nous permette de travailler directement avec le gouvernement du Canada, aussi bien au niveau administratif que politique, le Canada et la ville de Toronto pourront tirer parti des mesures plus performantes qui résulteront de cette coopération.

Troisièmement, tous les paliers d'administration doivent assumer une part des responsabilités pour offrir aux immigrants l'appui et les services qui leur permettront de s'établir, de s'intégrer et de participer pleinement à la société.

• 1120

La ville de Toronto a lancé un bon nombre d'initiatives qui lui permettront de faire sa part. Nous avons un plan, des politiques et des programmes stratégiques sur la non-discrimination, les droits de la personne, l'accès et l'équité. Nous avons des programmes de subvention, des initiatives d'acquisition et des initiatives d'expansion économique qui aident les communautés immigrantes à participer économiquement à la vie de la ville. Nos services intègrent les besoins des immigrants et des réfugiés dans leur planification et leur prestation de programmes; par exemple, en faisant tout ce que nous pouvons pour offrir des programmes de loisirs auxquels tous les intéressés peuvent participer à peu de frais. Nous avons également un cadre stratégique d'établissement des immigrants qui assure une orientation stratégique aux services de la ville afin de leur permettre de se pencher sur l'établissement et l'intégration des immigrants et des réfugiés.

Nous croyons que pour que le gouvernement du Canada assume sa juste part des responsabilités, il devrait exister un mécanisme visant à rembourser les municipalités pour les coûts des services qui découlent directement des lois fédérales touchant les immigrants et les réfugiés. J'ai déjà donné des exemples. Nous croyons que ces choses découlent directement des politiques touchant les immigrants et les réfugiés, et que le gouvernement fédéral devrait en assumer la responsabilité financière.

La ville encourage une politique d'immigration qui facilite l'établissement et l'intégration des immigrants et qui est compatible avec les principes démocratiques ainsi qu'avec les normes en matière des droits de la personne. C'est pourquoi nous appuyons le gouvernement et le félicitons pour avoir tenu compte des recommandations formulées par un bon nombre d'intervenants lors du processus de consultation entourant le projet de loi C-31 et pour avoir apporté des modifications en ce sens dans le projet de loi C-11.

Des exemples sont donnés dans le résumé de mes commentaires. Il s'agit d'articles et d'objectifs distincts pour les immigrants et les réfugiés; la facilitation de l'entrée d'immigrants de catégorie immigration économique et de travailleurs qualifiés; l'élargissement de la catégorie regroupement familial et la facilitation de la réunification des familles qui est une question très importante aux yeux des résidents de Toronto; l'intégration du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant et, enfin, un système de détermination du statut de réfugié plus rapide et plus efficace.

Nous avons cependant certaines préoccupations à l'égard du projet de loi ainsi qu'il est formulé en ce moment. J'aimerais vous en mentionner quelques-unes avant de terminer mon intervention. Tout d'abord, le projet de loi ne prévoit pas la consultation ni la collaboration avec les municipalités. Nous croyons qu'il s'agit là d'un oubli important et que c'est incompatible avec les commentaires qu'a faits le gouvernement au cours de la dernière année.

Deuxièmement, l'établissement et l'intégration. Le projet de loi ne précise pas que le gouvernement fournira des ressources afin de faciliter l'intégration des nouveaux venus dans les collectivités locales.

Troisièmement, le projet de loi ne fait pas mention de la responsabilité du gouvernement fédéral au chapitre du remboursement des coûts payés pour la prestation des services de santé publique, l'aide sociale et les refuges d'urgence; c'est une question qui doit vraiment être abordée.

Quatrièmement, les dispositions sur l'accès aux écoles sont incompatibles avec la Loi sur l'éducation de l'Ontario qui stipule que si un enfant est d'ici, il ou elle devrait pouvoir aller à l'école. Que l'on laisse les responsables du service d'immigration décider si les parents sont au Canada légalement, mais qu'on laisse l'enfant aller à l'école. Nous croyons sincèrement que ces dispositions devraient être prévues dans la Loi fédérale sur l'immigration.

Enfin, diverses autres dispositions inquiètent la ville car nous jugeons qu'elles ne reflètent pas les valeurs canadiennes fondamentales, les principes démocratiques et les normes en matière de droits de la personne. Il suffit de mentionner la question de l'identité.

La ville désire signaler qu'elle appuie les propositions positives qui figurent dans le projet de loi C-11, mais qu'elle a certaines préoccupations. Nous espérons que grâce au processus d'étude par le comité, des modifications seront proposées afin de répondre à ces préoccupations.

Je vous remercie de votre patience et nous répondrons volontiers à vos questions.

Le président: Merci, David, Julie et Rose, d'être venus nous rencontrer et nous présenter cet exposé. Je suis ancien conseiller municipal et je comprends votre point de vue. Vous avez su être brefs, tout comme le maire et les autres représentants du conseil municipal de Vancouver lorsque nous les avons rencontrés. Nous vous remercions de votre participation. Je suis convaincu que plusieurs députés voudront vous poser des questions.

C'est d'ailleurs ce que nous allons faire. Nous allons passer aux questions. Inky, la parole est à vous.

M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.

J'aimerais vous remercier d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.

J'aimerais d'abord faire quelques commentaires sur ce que j'ai entendu de ce groupe de témoins. Eugen, pour ce qui est de la loi cadre, je suis parfaitement d'accord avec vous. Je me suis toujours inquiété du fait qu'on attend les règlements pour apporter un trop grand nombre de précisions. Malheureusement, notre comité ne peut pas vraiment faire preuve d'autonomie et il faudra attendre une réforme importante dans la façon dont les comités fonctionnent pour voir un changement. Malheureusement, la majorité des règlements ne seront pas modifiés. Ce n'est pas parce qu'ils sont publiés qu'ils seront changés.

• 1125

Je conviens avec vous qu'il faut éliminer toutes les dispositions qui prévoient une autorisation d'appel. Il s'agit là d'un droit démocratique fondamental, le droit à l'application régulière de la loi.

Pour ce qui est de l'accréditation, c'est un problème qu'on retrouve partout au monde. Au Canada, nous avons probablement autant d'obstacles entre les provinces que nous avons avec d'autres pays, peut-être même plus. Comme vous le savez, les professionnels ne peuvent pas pratiquer s'ils déménagent d'une province à une autre. Je ne sais pas comment on peut contourner ce problème.

Il nous faut peut-être une initiative nationale qui nous permette vraiment de discuter de l'accréditation internationale. Même si les professionnels peuvent de façon indépendante se pencher sur une question qui touche un pays en particulier, je crois qu'il faudrait avoir une discussion en table ronde avec tous les groupes professionnels pour trouver une norme de base qui soit acceptable au Canada.

Je conviens avec Jill que nous avons un problème lorsqu'il s'agit des services de consultation en matière d'immigration. Nous le savons tous. Un autre témoin a parlé de la publication du barreau de janvier où même les avocats avaient fait le commentaire, signalant que les avocats qui ne pratiquent plus devraient offrir leurs services comme conseillers en immigration. Je ne sais pas si la loi peut établir des paramètres pour un groupe professionnel. Je crois que cette décision appartient plutôt aux provinces. C'est un problème épineux.

Pour ce qui est des municipalités et l'établissement des nouveaux venus, je suis parfaitement d'accord avec vos commentaires. Un bon nombre d'entre nous, y compris le président, moi-même et M. Mahoney, ont travaillé pour des administrations municipales. Mais je crois qu'il faut revenir au principe de base. Tant que le gouvernement fédéral ne reconnaîtra pas le caractère légitime des municipalités, nous ne pourrons vraiment rien accomplir. J'ai proposé un amendement afin d'assurer que le ministre soit tenu de consulter les municipalités à bien des égards.

J'aimerais en terminant faire un commentaire sur l'établissement des nouveaux venus. Je crois que le gouvernement fédéral doit assumer une plus grande part des responsabilités à l'égard de leur établissement. Cette année le Danemark a adopté une loi sur l'intégration. L'état fédéral collabore avec les autorités municipales pour faciliter l'établissement sur une période de trois ans; il paie tous les coûts associés à l'établissement des nouveaux venus. De plus, il décide où les réfugiés iront s'installer au pays. Nous ne voulons pas que tous les réfugiés viennent à Toronto par exemple. Nous voulons qu'ils se rendent dans toutes les régions du pays.

Encore une fois, je crois que les municipalités ont un rôle très important à jouer, parce que c'est là où tout se déroule. C'est là où les gens vivent, où la vraie vie se déroule.

C'étaient là mes commentaires, monsieur le président.

Le président: Je ne crois pas que j'ai entendu une question mais plutôt un commentaire d'Inky qui est parfaitement d'accord avec tout ce que vous avez dit. Il est clair que vos commentaires l'ont frappé.

Jill, vous demandez s'il existe vraiment un consensus entre les collectivités, et on nous a dit que ce serait une bonne chose si les conseillers étaient inscrits et s'ils étaient assujettis à des règles particulières, mais de qui relèveraient-ils? Pourquoi le gouvernement fédéral devrait-il dire que vous êtes compétents ou pas, alors qu'en fait l'industrie même ne semble pas s'entendre sur la question?

Mme Jill Sparling: Nous ne demandons pas au gouvernement fédéral de prendre cette décision. Ce dernier a offert de nous aider à mettre sur pied un système d'autoréglementation.

Je ne crois pas qu'il s'agit d'une question qui touche exclusivement les provinces. La Cour suprême du Canada se penche actuellement sur un dossier dans lequel nous sommes intervenus le 21 mars, l'appel dans l'affaire Mangat; en fait, je crois que nous pourrions probablement avoir gain de cause simplement pour des questions de préséance. Deux provinces, la Colombie-Britannique et l'Ontario, ont indiqué qu'elles veulent proposer des mesures législatives simplement parce que le gouvernement fédéral ne s'occupe pas de la question depuis déjà 26 ans.

Il est intéressant de noter qu'il y a cinq ans, OPIC est venue frapper à la porte des provinces et a demandé à ces dernières d'en assurer la réglementation. Les provinces ont répondu non, vous relevez du gouvernement fédéral; vous ne nous intéressez pas du tout. Lors des audiences de la Cour suprême, les représentants de leurs procureurs généraux respectifs ont dit qu'ils abandonneraient le dossier dès que le gouvernement fédéral s'intéresserait à la question. Ils n'y voient aucun problème de compétence. Ils ne pensent pas que le gouvernement fédéral cherche à empiéter sur leurs plates-bandes. Ils veulent simplement que le problème soit réglé, et ils voudraient que la solution soit nationale.

• 1130

Le président: Je crois simplement qu'on ne peut s'entendre sur qui devrait recevoir cette accréditation, s'il faudrait par exemple passer par l'entremise d'un collège. Il y a des centaines et des centaines d'avocats qui pensent être compétents pour devenir conseillers. Ce n'est pas vraiment une question de compétence. On pourra régler cet aspect plus tard.

Pour être honnête, je pensais que j'entendrais beaucoup plus de plaintes de nos témoins lorsque nous avons visité les régions du pays au sujet des conseillers. En fait, on a dit qu'il y avait un bon nombre de gens qui avaient les meilleures intentions du monde et qui offraient leur service gratuitement pour représenter les victimes innocentes de notre système et qui cherchaient à résoudre les problèmes que ces gens vivaient. Je n'ai pas entendu beaucoup de plaintes sur ces soi-disant conseillers sans scrupules, mais on a mentionné ceux qui sont à l'étranger et qui essaient d'envoyer par bateaux-conteneurs beaucoup de gens, et des choses de cette nature.

M. Warren Lloyd (Organization of Professional Immigration Consultants Inc.): Monsieur le président, nous ne voulons certainement pas empêcher quelqu'un comme Eugen d'offrir des services à sa communauté. Ce n'est pas ce que nous voulons faire. Nous voulons simplement éliminer les conseillers sans scrupules et malhonnêtes et les empêcher de pratiquer.

Tout ce que nous demandons au gouvernement fédéral c'est que Citoyenneté et Immigration Canada ne fasse affaire qu'avec les conseillers assujettis à une réglementation, et qu'il ne fasse pas affaire avec quiconque se présente comme conseiller. De cette façon, on éliminera ceux sur lesquels le Canada ne peut exercer aucun contrôle. Après tout, si la GRC ne peut leur mettre la main au collet, il n'y a aucun contrôle.

Le président: Madame Thibeault.

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Le président semble fatigué. Je ferai mes commentaires en français, mais nous avons accès à des services d'interprétation.

Le président: Il me faut simplement un peu plus de jus.

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Je tiens à vous remercier d'être venus nous rencontrer ce matin. Nous avons entendu...

[Français]

Excusez-moi. Ça, c'est l'assimilation. Vous venez de voir l'horreur...

Je vous remercie d'être là.

On a entendu beaucoup de témoins, et un certain nombre de vos préoccupations ont déjà été présentées aux membres du comité. Comme le président est fatigué et qu'on a déjà du retard à l'horaire, je vais poser seulement deux questions qui, selon moi, portent sur des choses nouvelles, c'est-à-dire tout ce qui touche la réglementation des organismes consultants.

Dans mon esprit, il est clair qu'une loi, quelle qu'elle soit, doit assurer un traitement équitable aux personnes qui doivent s'en prévaloir. Il est certain que les immigrants et les réfugiés font partie des gens vulnérables dès le moment où ils arrivent dans un nouvel environnement. Même le plus brillant est vulnérable. Je comprends donc tout à fait vos préoccupations.

Vous avez fait parlé, je crois, de la personne qui serait idéalement responsable d'établir les normes. J'ai été pendant très longtemps membre d'un organisme professionnel et je sais que ce n'est pas simple. Alors, j'aimerais que vous nous disiez rapidement comment vous voyez ça.

Ma deuxième question s'adresse à M. Miller. Vous avez fait une présentation très organisée. Ça doit être la façon dont la Ville de Toronto est menée.

Vous avez soumis la suggestion que les municipalités soient nommément inscrites dans la loi. Je comprends tout à fait vos besoins. Tout le monde sait que les municipalités sont les créatures des provinces. On a parfois de belles créatures. Dans les cas où il y a des ententes entre le gouvernement fédéral et les provinces, comme c'est le cas au Québec, au Manitoba et peut-être dans d'autres provinces, est-ce qu'il ne serait pas approprié que ce besoin de reconnaissance passe par les provinces?

Voilà, monsieur le président, ce sont mes deux questions.

[Traduction]

Le président: Jill, qui serait responsable d'établir les normes?

M. Warren Lloyd: Merci.

[Français]

Je regrette, mais je ne peux pas vous répondre en français.

[Traduction]

Je ne connais pas assez bien le français pour vous répondre dans cette langue.

[Français]

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: J'ai l'impression que si vous essayiez, on aurait des surprises. Mais on est trop pressés. Demain, d'accord?

M. Warren Lloyd: Oui, d'accord.

[Traduction]

Nous convenons que l'élaboration de normes est une question très importante et c'est pour cette raison que nous sommes en négociation avec DRHC, le ministère fédéral. Nous allons embaucher un conseiller de Humber College pour élaborer une norme. Nous allons consulter tous les intéressés—les avocats, les groupes communautaires, les provinces et le ministère provincial—afin d'élaborer une norme acceptable, ou plutôt un compromis qui sera acceptable plus ou moins à tous. À notre avis, si nous n'avons pas ce genre de normes, si le gouvernement n'a pas de mécanismes qui lui permettent de refuser de faire affaire avec ceux qui ne sont pas à la hauteur, comme vous le dites, les personnes honnêtes continueront à être des victimes.

• 1135

Nous désirons sincèrement élaborer une norme très juste. Nous ne serons pas ceux qui élaboreront cette norme. Nous allons faire appel aux services d'un conseiller privé, et par l'entremise d'un processus de consultation, nous parviendrons à élaborer une norme.

Le président: C'est une très bonne chose que vous cherchiez à élaborer cette norme.

David, pour ce qui est de la question posée.

M. David Miller: Oui, merci. Je vous remercie de cette question. Je dois m'excuser de ne pas pouvoir répondre en français. Même si j'ai été élevé à Ottawa, je semble avoir oublié mon français.

Ce que vous dites est juste. Le Québec et l'Ontario se trouvent dans une situation quelque peu différente en raison des rapports qui existent entre les gouvernements provinciaux et le fédéral. Il existe en fait des mécanismes au Québec et au Manitoba et il en existait d'ailleurs jadis en Colombie-Britannique.

Toutefois, le problème fondamental auquel nous sommes confrontés, c'est que le gouvernement fédéral en tant qu'institution ne fait aucun cas de nous étant donné qu'il se fonde sur le principe constitutionnel comme quoi les municipalités sont des créatures des provinces. C'est absurde. Le gouvernement fédéral a déclaré que les silos à céréales étaient d'intérêt national, et je crois que c'est une bonne chose. Les silos à céréales sont importants. Mais en matière d'immigration, rappelons que Toronto est l'endroit qui reçoit le plus d'immigrants. Or nous ne pouvons pas nous adresser au gouvernement fédéral et cela n'est dans l'intérêt de personne.

Le président: Si vous voulez vous adresser au gouvernement, vous pouvez le faire ici.

M. David Miller: Je discute avec vous, d'accord, mais en tant que suppliant. Je vais vous donner quelques exemples. La situation s'aggrave dans notre cas parce que le gouvernement provincial ne s'intéresse pas particulièrement aux questions d'immigration; à certains égards, je crois que le gouvernement provincial—et j'ignore si c'est à dessein ou pas—a fait obstacle à toute tentative visant à régler ces questions efficacement.

En voici un exemple. Il y a un an ou deux, nous avons eu une vague de Roms. Au niveau administratif, le gouvernement fédéral savait environ six mois à l'avance, d'après ce qui se passait, que cela allait se produire. Parmi ceux qui se présentaient dans nos refuges, Toronto savait lesquels étaient des Roms. Si nous avions eu un préavis de six mois, nous aurions pu collaborer avec des organisations analogues à celle de Eugen, qui travaille dans la communauté ukrainienne. Dans le cas Roms, nous aurions pu leur octroyer des dons. Nous aurions pu jouer un rôle clé dans l'intégration de ces personnes au moyen des fonds dont nous disposions, mais puisque tout doit passer par la province, rien de tout cela ne s'est produit.

Je crois qu'il est temps que le gouvernement fédéral reconnaisse que l'immigration est une question si importante que nous allons nous adresser directement aux principaux intéressés, les villes—et peut-être qu'ils ne le font pas à Montréal—, et nous jugeons la question suffisamment importante pour prendre cette initiative. Même s'il faut que Toronto soit déclarée d'intérêt national, comme un silo à céréales, de grâce, faites-le.

Le président: Vous devriez entendre comment les gens parlent de Toronto lorsque nous nous trouvons dans d'autres régions du pays.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Sachez que je ne suis pas une de ceux qui n'aiment pas Toronto. En fait, j'habite à deux pas de chez vous.

Permettez-moi de me prévaloir de la prérogative du président et de poursuivre sur ce sujet, parce que je suis le seul député ontarien ici aujourd'hui, même si je sais que nous avions des députés torontois hier. Je veux approfondir cette question, que Madeleine a abordée, parce que je considère qu'elle est très importante.

Je dois vous dire, Dave, que l'Ontario n'a même pas d'accord de désignation avec le gouvernement fédéral. À mon avis, cela témoigne d'une grande irresponsabilité, parce que c'est à ce niveau que les gouvernements provinciaux et fédéral règlent certaines questions de financement, de planification de l'établissement, et ainsi de suite. C'est ce que nous avons entendu au Manitoba et à Vancouver, et ce que nous entendrons au Québec, j'en suis sûr.

Donc les ressources sont en place, mais le gouvernement provincial n'est pas disposé à accorder à la question de l'immigration toute l'importance qu'elle mérite. Et pourtant, des représentants du gouvernement provincial viennent nous voir constamment pour nous dire: Envoyez-nous l'argent, ne passez pas par les municipalités, quoi que vous fassiez... Ils disent: adressez-vous à nous parce que, aux termes de l'union sociale, le gouvernement fédéral est tenu de remettre l'argent aux provinces, qui ensuite peuvent le transférer aux municipalités pour la prestation de certains services.

C'est pourquoi j'ai aussi un commentaire à formuler. Je crois que vous devez vous adresser au gouvernement provincial et lui demander de contracter une entente avec le gouvernement fédéral en matière d'immigration. Nous ne profitons pas des retombées du Programme de l'investisseur immigrant, qui permet d'attirer des capitaux fort utiles aux entreprises de toute la province de l'Ontario, et en particulier celles de Toronto. Avez-vous fait ces démarches auprès de la province?

• 1140

Je suis d'accord pour dire que, au niveau administratif, le gouvernement fédéral devrait entamer un dialogue avec les municipalités, comme on le fait pour les programmes d'infrastructure, parce que, en bout de ligne, il faut offrir ces services. Si je pouvais éliminer les gouvernements provinciaux, je le ferais, et il n'y aurait plus que les paliers fédéral et municipaux. Voilà qui serait encore mieux. C'est le summum de l'efficacité.

David, vous dites qu'il vous faut davantage de ressources pour l'aide sociale, la santé publique, et ainsi de suite. Si ma mémoire est bonne, ces fonds sont déjà transférés du gouvernement fédéral aux provinces sous forme de subventions proportionnelles au nombre d'habitants pour l'éducation, l'éducation postsecondaire, la santé, toutes sortes de programmes. Peut-être pouvez-vous dire pour quels programmes les fonds ne vous parviennent pas.

Le gouvernement fédéral les transfère à la province. La province est censée les transférer aux municipalités. S'il y a une insuffisance quelque part, peut-être pouvez-vous la quantifier ou nous donner les renseignements pour que nous puissions aborder la question avec le ministre et le gouvernement fédéraux et envisager une aide additionnelle à la municipalité.

M. David Miller: Je vous remercie de vos questions, monsieur le président. Je crois que vous avez mis le doigt dessus. Il y a une troupe de comédiens anglais du nom de Monty Python, que j'aime bien. Dans un de leurs sketchs comiques, l'un des personnages dit: j'ai tiré un enseignement de mes erreurs, et je peux les reproduire à la perfection. Je suis ici pour vous demander de faire de même mais sans les répéter.

Sur la question du logement social, le gouvernement fédéral a négocié longuement avec l'Ontario pour se décharger de cette responsabilité. L'argent ne nous est pas parvenu, et la province fait un tour de passe-passe. Je pourrais dire des tas de choses malveillantes à propos de la province à ce propos. Mais je n'ai pas l'intention de vous faire perdre votre temps. Le simple fait est...

Le président: Je vous en prie, allez-y.

M. David Miller: En fait, le logement social a été transféré aux municipalités, et nous nous sommes fait avoir. Je ne pourrai pas vous citer les chiffres par coeur, mais je crois que le transfert s'est fait avec une enveloppe de 11 millions de dollars pour couvrir les réparations des biens d'équipement, alors qu'il aurait fallu 100 millions. C'est avec votre argent qu'ils jouent.

On affirme que l'argent se trouve dans le budget pour les suppléments aux loyers. En réalité, pas un sou de cet argent n'a été dépensé. Il s'agit, je crois, de 50 millions de dollars de vos fonds qui n'ont pas été dépensés.

La même chose se produit dans le domaine de l'immigration. Nos obligations et nos coûts se chiffrent aux alentours de 19,4 millions de dollars annuellement pour l'aide sociale aux réfugiés; à 1,4 millions de dollars environ pour les dépenses de santé publique liées à la tuberculose; et à 4,3 millions de dollars environ pour les refuges. Ce sont des coûts que la province n'assume pas et que la ville paie directement.

Cela dit, je dois ajouter que nous sommes très heureux d'accueillir des immigrants et des réfugiés, et c'est avec plaisir que nous les appuyons financièrement. Mais une fois que les immigrants réussissent leur intégration économique, ils paient des impôts qui vont au gouvernement fédéral et aux provinces. Il existe donc cette situation bizarre que nous payions les coûts, mais les fonds ne nous parviennent pas.

Vous avez tout à fait raison, monsieur le président, cet argent devrait nous parvenir. Dans les provinces où il n'y a pas d'entente fédérale-provinciale, la solution serait peut-être que le gouvernement fédéral décide de traiter avec les autorités qui accueillent les immigrants, et dans le cas de l'Ontario, ce sont les villes.

Le président: L'idée me plaît.

John.

M. John Herron: J'ai un commentaire à faire. J'admire ce que veut faire l'Organization of Professional Immigration Consultants, parce que nous voulons éviter que des imposteurs profitent des gens.

Cela dit, le gouvernement étant la machine qu'il est, nous avons tous rempli nos déclarations d'impôt tout récemment, et malheureusement, je constate que, plus souvent qu'autrement, les Canadiens font appel à une autre personne pour remplir leur formulaire de déclaration. Donc, quelqu'un doit traiter avec leur gouvernement.

Je déplore parfois que nous ayons besoin d'intermédiaires pour traiter avec le gouvernement, parce que nos lois sont devenues trop complexes. C'est peut-être ainsi que les choses doivent être, mais je tenais à le dire. C'était plutôt un commentaire.

• 1145

Au sujet de nos cousins des gouvernements provinciaux, j'aimerais signaler que le comité, n'en a pas invité directement un à participer à ces audiences. À leur décharge, je dois dire aussi qu'on ne peut pas s'en prendre tellement à eux, puisque nous ne les avons pas directement invités à participer à ce forum.

C'est un problème majeur pour les grands centres urbains, parce que ce sont eux qui subissent les conséquences de la politique d'immigration nationale. Je pose ma question à M. Miller: qu'est-ce qui empêche le gouvernement fédéral de vous prévenir, au sujet de la situation des Roms? Rien ne l'empêchait, et je me demande s'il s'agit simplement d'une question de diligence raisonnable, ou du fait que rien n'est inscrit dans la loi.

M. David Miller: Merci pour cette question. Je pense qu'elle est très raisonnable.

En fait, je dirais qu'il s'agit d'un problème structurel étant donné le rapport qui existe puisqu'il faut passer par la province. Toute la structure bureaucratique est établie à cette fin, et ce que nous demandons, comme on l'a déjà fait à deux reprises dans le cadre des consultations, c'est que les municipalités soient présentes à la table. C'est tout. Nous l'exprimons ainsi car la structure sera peut-être bureaucratique. Les rencontres auront peut-être lieu tous les trimestres. Je l'ignore mais il faut le prévoir systématiquement sans quoi ça ne se produira pas. Ce fut le cas faute d'une structure formelle qui le permettait.

Ce sont des choses qui se produisent tout le temps et s'il y avait un mécanisme pour que cela se produise régulièrement, nous pourrions dire des tas de choses intéressantes à vos fonctionnaires.

M. John Herron: Je pense que M. Miller a donné un très bon exemple, avec la question des Roms. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement fédéral, c'est-à-dire le ministère de l'immigration, ne pourrait pas, par simple courtoisie professionnelle, quand il constate quelque chose comme ça, adresser une lettre à la province de l'Ontario, avec copie conforme au service de Toronto... Je pense qu'il s'agit plus d'une question de mentalité de bureaucrates que d'une disposition du projet de loi.

M. David Miller: Je comprends ce que vous dites. Nous ne sommes pas vraiment d'accord puisque sans mécanisme formel, cela ne se produit pas. Sans mécanisme formel, vous n'entendrez pas parler de nous. Sur le bureau de quelqu'un, quelque part, tombera une lettre, sans que l'intéressé se rende compte qu'il s'agit de nouvelles très importantes de Toronto, sur l'accès aux professions ou quelque chose comme ça, dont il faut tenir compte. S'il existe un mécanisme formel la relation sera alors efficace.

Bien entendu, quelqu'un pourrait nous envoyer une copie conforme d'une lettre, mais d'un point de vue pratique, nous ne pensons pas que le problème sera ainsi réglé.

Le président: Bien. Merci.

La parole est à Judy, puis à Yolande et Anita.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Merci, monsieur le président. J'ai deux questions, l'une pour David et l'autre pour Eugen. Je vais parler très vite, pour ne pas manquer de temps. Puis-je proposer qu'on saute le repas, pour avoir plus de temps?

Le président: Non.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Bien, j'ai cru bon de tenter le coup.

Le président: C'est pratiquement ce qui est arrivé hier; alors, non.

Une voix: Pas de problèmes, ne vous inquiétez pas.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Tout d'abord, Eugen, vous avez soulevé de nouvelles questions et je crois qu'il faut que nous en parlions. Il y a d'abord la question de l'autorisation des appels pour les refus décidés à l'étranger, par la section d'appel du statut de réfugié. Je pense que c'est l'une des questions que vous avez soulevées.

Deuxièmement, il y a cette nouvelle catégorie d'interdiction de territoire en raison d'une fausse déclaration. Si j'ai bien compris, et je cherche à mieux comprendre, dans le premier cas, vous recommanderiez probablement une modification permettant des appels de décisions prises outremer. Au sujet de l'interdiction de territoire en raison d'une fausse déclaration, faudrait-il supprimer cet article, qui est, je crois, l'article 40 du projet de loi?

Voici la troisième partie de ma question: à tire de députée, j'entends parler de beaucoup plus de problèmes et de frustrations au sujet du poste en Ukraine que de tout autre poste. Ce poste a-t-il des problèmes administratifs, y a-t-il des préjugés à son endroit ou est-ce parce que nous nous concentrons davantage sur les questions économiques et sur les compétences des immigrants que sur l'aspect familial?

Le président: Judy, je crois qu'on devrait vous envoyer à Kiev pour que vous puissiez déceler précisément la nature du problème.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Bien, volontiers.

Le président: Voulez-vous y aller?

Mme Judy Wasylycia-Leis: J'en serais ravie.

M. David Miller: La ville vous accompagnerait volontiers.

• 1150

Une voix: C'est précisément ce que je disais.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Je passe à la deuxième question.

Je crois qu'il est très important pour nous d'entendre les représentants de la ville de Toronto nous parler des dispositions relatives à l'application du projet de loi. Si c'est la ville qui accueille où il y a le plus d'immigrants, c'est là que les effets se feront le plus sentir. Dans votre mémoire, votre position est très claire, en faveur du respect de la Charte des droits et du maintien du statut et des droits des résidents permanents. Êtes-vous en faveur de dispositions comme l'article 64, qui permet l'expulsion d'une personne à qui on impose une peine de deux ans pour grande criminalité, même si cette personne est un résident permanent à long terme? Je pose la question parce qu'à mon avis les fonctionnaires du ministère, nous diront peut-être que cette disposition est nécessaire parce que des villes comme Toronto, doivent avoir des problèmes que nous devons vous aider à régler. Est-ce un problème?

Enfin, l'établissement. Dans votre province, c'est devenu un ballon politique. Votre premier ministre conservateur a fait du chantage au sujet de l'établissement. Comment nous sortir de bourbier? Quel rôle le gouvernement fédéral peut-il jouer pour qu'on en sorte en faisant preuve de leadership?

Le président: Seule une néo-démocrate va dire qu'elle ne posera que deux questions mais finira par en poser huit. Je vais essayer de ramener cela à deux questions.

Eugen, au sujet des décisions prises outremer...

M. Eugen Duvalko: Comme on l'a dit plus tôt au sujet du rapport du vérificateur général, et nous l'avons vécu, on a tendance à adopter une mentalité d'assiégé, parfois, ou à la constater dans certains de ces postes où sont émis des visas. Je crois que c'est actuellement le cas de Kiev. Ils sont seuls à se défendre contre la fraude, la mafia russe, etc., ce qui finit par nuire aux mères et aux grands-mères qui ne peuvent plus visiter leurs enfants et leurs petits-enfants. Au Canada, on ne peut plus accorder le bénéfice du doute. Si vous lisez les bulletins de nouvelles qu'on reçoit de temps en temps de Kiev, les principales craintes là-bas sont la fraude, les fausses interprétations et les malentendus.

Pour ce qui est du traitement des demandes de visas pour immigrants au bureau de Kiev, les choses se sont accélérées récemment, et nous sommes contents. C'est maintenant un poste où il est plus attrayant de présenter une demande de visa. Mais c'est une administration où les employés estiment devoir exécuter la loi de manière stricte: ils ont été envoyés là-bas pour sélectionner et accepter des immigrants. Je pense que ce préjugé se concrétise dans leur travail quotidien. Il n'est pas facile de vivre à Kiev, ni d'y travailler, en ce moment. Cela finit par avoir un effet sur le travail et sur la qualité des décisions.

Ce sur quoi je tenais à insister le plus et que nous vous recommandons très vivement, c'est d'éliminer cette exigence supplémentaire pour l'autorisation relative au contrôle judiciaire. Maintenez-la au moins au niveau actuel, afin que si vous jugez qu'une décision prise outre-mer était fautive, vous puissiez en saisir les tribunaux. L'autorisation supplémentaire n'apporterait rien et n'influerait pas sur la responsabilité.

Le président: Merci, Eugen.

David, parlez-nous des expulsions et de l'établissement.

M. David Miller: La ville de Toronto n'a pas de position officielle au sujet de l'expulsion, et je dois bien admettre que les membres du conseil ne sont pas tous du même avis à ce sujet. Personnellement, je serais d'accord avec M. Copeland et Mme Aiken, qui sont intervenus plus tôt. Je ne suis pas avocat, mais je crois que c'est une façon plutôt arbitraire de traiter de cette question; c'est mon point de vue et je ne parle pas au nom du conseil.

Au sujet de la province et des fonds, j'aimerais que le gouvernement fédéral fasse preuve d'un leadership concret. Le gouvernement fédéral a des objectifs en matière d'immigration et d'établissement. Si je les ai bien compris, ils comprennent notamment celui de faciliter l'intégration des nouveaux arrivants au Canada. Si vous constatez qu'un gouvernement provincial comme le nôtre ne partage pas ces objectifs, il vous incombe d'agir fermement pour veiller à ce que les objectifs soient atteints.

Dans notre cas, bien entendu, nous croyons que vous pouvez vous en assurer en collaborant avec nous. Le gouvernement doit toutefois prendre des mesures énergiques pour s'assurer que l'argent octroyé à la province sert vraiment aux fins prévues. Ensuite, quand un gouvernement provincial ne cherche pas vraiment à atteindre les objectifs fixés par le fédéral, qui sont des objectifs nationaux, il faut trouver d'autres mécanismes pour s'assurer qu'ils le seront.

Le président: Yolande, c'est à vous.

• 1155

Mme Yolande Thibeault (Saint-Lambert, Lib.): Oui. J'aimerais formuler un commentaire et poser une question à Susan, qui a présenté un excellent exposé. Il était clair et concis et je la remercie chaleureusement.

Toute la question de l'accréditation a déjà été soulevée par M. Mark, et vous savez assurément que nous avons été pressentis par des immigrants appartenant à divers groupes professionnels qui veulent venir au Canada et devenir membres des divers ordres et associations professionnels.

Si j'ai bien compris, leurs commentaires se rapportaient surtout au fait que ces associations sont contingentées. Autrement dit, une association ne veut pas que notre pays accueille plus qu'un certain nombre d'immigrants par an, comme adhérents.

Il ne convient peut-être pas de vous poser la question, mais êtes-vous au courant de pareilles pratiques? Je ne parle pas précisément de votre association, convaincue que vous savez ce qui se passe dans le domaine de la santé, par exemple.

Mme Susan Glover Takahashi: Je vous remercie de cette question. C'est une question insidieuse et j'essaierai d'éviter de tomber dans le panneau.

Au sujet des contingents, la perception devient réalité. Laissez-moi expliquer cela et parlons du milieu des médecins. Dans nombre d'administrations, on limite le nombre de médecins à former, parce que le gouvernement provincial ne finance pas plus qu'un certain nombre de places. Ce n'est pas une question d'immigration. Il s'agit du financement nécessaire à la détermination des équivalences scolaires.

Si des fonds supplémentaires étaient accordés pour qu'il y ait plus de places pour d'éventuels médecins immigrants au Canada, comme c'est le cas actuellement à cause de la pénurie de médecins et la pénurie d'infirmières, je crois que les perceptions vont changer. Les responsables de la réglementation à qui les provinces confient cette responsabilité, comme chez les physiothérapeutes, n'ont pas d'objection au sujet de l'accès. Il ne nous revient absolument pas de nous pencher sur l'accès, que ce soit en situation de pénurie ou de surabondance. Ce qui compte, c'est l'équivalence. S'il n'y a pas d'équivalence, nous estimons, à l'alliance, qu'il nous revient d'aider ces gens à combler les lacunes. Le problème, dans le cas du projet de loi proposé, c'est que la responsabilité de la détermination des équivalences se fera en fonction de l'étiquette sur la boîte de Corn Flakes alors que ce qui compte, c'est le contenu de la boîte, qui permettra à ces gens de travailler, une fois les équivalences établies.

Vous pouvez dire: «Oui, venez au Canada et nous vous donnerons des crédits pour vos études» sans comprendre que personne n'a jamais regardé dans la boîte pour voir si elle était vide, ou s'il s'y trouvait des Cheerios, ou si le nombre de flocons de maïs était le même.

Le président: Je commence à avoir une faim de loup.

Mme Susan Glover Takahashi: Désolée.

Voilà donc, pour les crédits, l'arme à double tranchant. Quand des limites sont imposées, si j'ai bien compris, elles ne dépendent pas des responsables de la réglementation, mais du financement et de l'accès aux ressources considérables et nécessaires pour les médecins et les infirmières, par exemple.

Le président: Merci, Susan.

Anita, vous pouvez poser la dernière question.

Mme Anita Neville: Merci. Je serai très brève.

J'aimerais revenir aux commentaires formulés par le président à l'endroit de la ville de Toronto. Je crois que vous avez soulevé des questions très importantes. Pour les grands centres urbains, nous devons nous pencher sur des questions qui vont bien au-delà de l'immigration.

Trois des membres du comité viennent du Manitoba. Nous pouvons être un peu suffisants lorsqu'il s'agit des relations entre le Manitoba et le gouvernement du Canada, peu importe le parti auquel nous appartenons.

• 1200

Je crois que ce que je voulais vous dire, c'est que vous n'êtes pas seul. Au sujet des questions dont vous avez parlé ici, comme la formation et l'éducation, comme vous le savez bien, cette responsabilité a été déléguée au gouvernement provincial et je ne suis pas convaincue que le gouvernement fédéral va doubler le financement.

Je connais bien le domaine de l'éducation. Je sais qu'au Manitoba, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial ont consacré de l'argent à l'établissement et à l'éducation.

Donc, vos préoccupations ne tombent pas dans l'oreille d'un sourd. Je sais qu'il y a un groupe de travail composé d'au moins cinq maires de grands centres urbains qui essaient de faciliter les discussions entre eux et le gouvernement fédéral. Je suis la situation de près et j'essaie de me tenir au courant.

Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'on prête oreille à vos préoccupations, mais que ce n'est pas une question qui sera réglée du jour au lendemain.

M. David Miller: Je vous remercie pour ces commentaires. Je crois que vous avez raison et que le modèle manitobain est très bon. Manifestement, Toronto est un peu frustrée à cause de notre situation particulière. Je crois toutefois que le gouvernement fédéral peut faire davantage et faire preuve de leadership. Quand vous savez que l'argent ne va pas là où vous le souhaitez, vous pouvez peut-être insister un peu afin qu'au bout du compte, tout le monde s'en trouve mieux.

Mme Anita Neville: Je crois que vous avez absolument raison. D'après mon expérience—et je suis toute nouvelle puisque je n'ai été élue qu'en novembre...

M. David Miller: Félicitations.

Mme Anita Neville: ... merci—qui vient de ma participation à un groupe de travail sur les questions se rapportant aux enfants, et c'est justement ce dont nous parlons, quand l'argent ne circule pas comme prévu, il faut que le gouvernement soit tenu responsable. Il est inévitable que votre province soit sur la sellette. Nous persévérons malgré tout.

Le président: Merci.

Julie, David, Rose, Susan, Eugen, Jill et Warren, je vous remercie beaucoup pour votre participation. Je tiens à vous dire que nous prenons à coeur vos interventions concernant le règlement. Les règlements ne peuvent être adoptés avant la loi. Notre comité tient à suivre de près la situation. Nous voulons voir les règlements dans leur version finale, obtenir la participation du public à des discussions, examiner le projet de loi, peut-être chaque année, pour nous assurer que tout marche rondement, peut-être inviter des témoins comme les villes et d'autres organismes pour nous donner leurs points de vue et même, au bout du compte, afficher les lignes directrices de l'administration que doivent suivre les agents d'immigration, afin que la responsabilité et la transparence soient évidentes pour tous.

C'est ce que nous entendons faire. Encore une fois, nous vous remercions d'avoir insisté sur ce qui comptait pour vous, et d'avoir participé à nos délibérations.

M. David Miller: Merci, monsieur le président.

Le président: Avant de passer à notre dernier groupe de trois témoins, nous ferons une pause. Après avoir entendu ces témoins, nous pourrons manger.

• 1204




• 1210

Le président: Je remercie Intercede, Casa El Norte, the Fort Erie Multicultural Centre and Adult Learning Centre ainsi que le Congrès islamique canadien d'être parmi nous ce matin. Nous apprécions vos mémoires et nous vous demandons de nous les résumer—vous avez de cinq à sept minutes—et de nous faire part de vos questions ou de vos préoccupations concernant le projet de loi, de façon que nous puissions vous poser des questions.

Je vais commencer par la coordonnatrice par intérim d'Intercede, Jo Alcampo.

Jo et Leticia soyez les bienvenues.

Mme Jo Alcampo (coordonnatrice par intérim, Intercede): Leticia Capistrano est en fait membre du notre conseil d'administration. C'est elle qui va commencer. Elle préside notre conseil et elle est elle-même aide familiale.

Le président: C'est parfait.

Leticia, soyez la bienvenue.

Mme Leticia Capistrano (présidente du conseil d'administration d'Intercede): Je vous remercie de nous donner la parole. Je voudrais tout d'abord vous parler d'Intercede.

Intercede défend les droits des travailleurs domestiques, des aides familiaux et des nouveaux venus. C'est un organisme communautaire à but non lucratif qui a pour mandat de favoriser l'amélioration des conditions de travail des travailleurs domestiques, des gardiennes et des nouveaux Canadiens, de faire la promotion de l'égalité des droits pour les femmes, les travailleurs migrants et les nouveaux venus.

Les travailleurs domestiques et les aides familiaux qui sont membres et clients d'Intercede sont pour l'essentiel des femmes migrantes qui arrivent au Canada en tant que travailleuses temporaires dans le cadre d'un programme d'aides familiaux résidants qui leur permet de demander le statut d'immigrant reçu à partir du Canada, sous réserve de certaines exigences.

Intercede cherche à obtenir des politiques gouvernementales équitables pour les travailleurs domestiques et les nouveaux venus. Par exemple, notre organisme a attiré l'attention du gouvernement sur la nécessité d'une réglementation plus juste en matière d'immigration et a réussi à obtenir la protection de ses membres par la législation du Travail de l'Ontario, le Code des droits de la personne et la Loi sur l'indemnisation des travailleurs, de même que l'assurance-santé dans le cadre de l'OHIP.

Surtout, Intercede continue à travailler à la reconnaissance du travail domestique et des soins à domicile dans le cadre du système de points d'appréciation, par conséquent à la reconnaissance de la qualification des travailleurs domestiques et des aides familiaux, ce qui devrait leur permettre d'obtenir le statut d'immigrant reçu au Canada.

Nous avons porté nos activités de revendication en faveur des travailleurs migrants au niveau international et nous nous sommes unis avec des organismes étrangers de défense des travailleurs migrants pour faire la promotion de ces questions auprès des Nations Unies.

Sur la recherche concernant l'action participative...

Mme Jo Alcampo: Je m'en charge.

Intercede a également entrepris une vaste recherche exhaustive sur l'action participative afin d'étudier les exactions et les actes de violence dont sont victimes au Canada les travailleurs temporaires qui participent à un programme d'aides familiaux résidants, notamment les conséquences de la séparation de la famille à cause des conditions de ce programme destiné aux travailleurs temporaires.

Les préoccupations exprimées par Intercede dans son mémoire proviennent en partie des conclusions de ces travaux de recherche, qui sont fondés sur des preuves recueillies dans des cas concrets. Nous en soumettrons le rapport à votre greffier.

Pour le reste, nous avons résumé nos recommandations. Notre mémoire est intitulé «Bill C-11: the Immigration and Refugee Protection Act Viewed Through Migrant Women's Eyes».

Letty va maintenant vous lire le résumé des cinq points principaux.

Mme Leticia Capistrano: Nous demandons qu'avant l'étape finale de l'étude du projet de loi C-11, le projet de loi et ses règlements d'application soient soumis à une analyse portant sur la discrimination fondée sur le sexe, afin de vérifier si la loi et les règlements sont conformes aux obligations et aux engagements du Canada en vertu de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes, de la Déclaration de Beijing et de la Plate-forme d'action de Beijing.

• 1215

Nous demandons que le projet de loi C-11, qui fait référence à des accords internationaux importants comme la Convention contre la torture, fasse spécifiquement référence à l'engagement du Canada envers l'égalité et l'émancipation des femmes conformément à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes, à la Déclaration de Beijing et à la Plate-forme d'action de Beijing.

Nous demandons que la validité du statut de travailleurs temporaires, particulièrement dans le cas des femmes, ne dépende plus d'un employeur ou d'une société, et qu'aucun travailleur temporaire, surtout aucune travailleuse, ne puisse être lié de quelque façon que ce soit à un employeur pour rester légalement au Canada. Cette recommandation vise à éliminer toute forme de contrat synallagmatique, de travail forcé ou de pratiques assimilables à l'esclavage, qui confère des pouvoirs excessifs aux employeurs et qui met les travailleurs, particulièrement les travailleuses, à la merci des exactions, des actes de violence et des atteintes à leurs droits élémentaires.

Nous demandons aussi que les titres de compétence de cette catégorie de travailleurs domestiques et d'aides familiaux soient reconnus, de même que la demande dont leur travail fait l'objet, de façon qu'ils soient accueillis au Canada en tant que résidents permanents sur la base de leur expérience, de leur niveau d'éducation et de leurs compétences dans leur domaine de travail.

Nous voulons de cette façon éliminer l'actuel programme d'aides familiaux résidants et ses exigences restrictives, notamment l'obligation de résider chez l'employeur. Ces exigences ont donné lieu à de l'exploitation, à des sévices et à des actes de violence, notamment pour les femmes qui sont séparées pendant plusieurs années contre leur gré de leur conjoint et de leurs enfants. Les exigences de ce programme pour les travailleurs domestiques et les aides familiaux sont discriminatoires et portent atteint aux droits fondamentaux des femmes.

Nous demandons que le projet de loi C-11 mette en place un processus transparent et responsable d'établissement des règlements en matière d'immigration, qui comprenne une analyse aux fins de la discrimination contre les femmes, une sélection des mesures antiracistes, et que les règlements soient assujettis à un contrôle public, notamment auprès des organismes non gouvernementaux et des groupes concernés, avant leur entrée en vigueur.

Mme Jo Alcampo: En conclusion, Intercede reconnaît et approuve les efforts de simplification et d'amélioration de la législation canadienne en matière de protection des réfugiés et des immigrants, et accueille donc favorablement les changements positifs du projet de loi C-11. Cependant, nous dénonçons certains aspects et certaines conséquences du projet de loi dans sa forme actuelle.

En particulier, nous dénonçons l'absence de référence dans le projet de loi aux accords internationaux concernant l'élimination de la discrimination contre la femme et la promotion de l'égalité des droits pour toutes les femmes.

Deuxièmement, nous dénonçons l'absence d'analyse aux fins de la discrimination contre les femmes dans le projet de loi et dans ses règlements d'application.

Troisièmement, nous dénonçons l'admission et l'exploitation des travailleurs temporaires dans les règlements restrictifs comme ceux qui s'appliquent actuellement aux travailleurs temporaires dans le cadre du PAFR sont le programme des aides familiaux résidants.

Au nom d'Intercede, nous vous remercions de nous avoir permis de présenter ce mémoire aux membres du comité, et nous sommes prêts à répondre à vos questions.

Le président: Merci, Jo et Leticia, de votre participation à nos travaux.

Nous passons maintenant à Casa El Norte et au Fort Erie Multicultural Centre and Adult Learning Centre. Nous accueillons Roderick McDowell.

Roderick et les autres, soyez les bienvenus.

M. Roderick McDowell (avocat, Casa El Norte et Fort Erie Multicultural Centre and Adult Learning Centre): Merci beaucoup.

Au nom de l'organisme d'aide aux réfugiés Casa El Norte et du Fort Erie Multicultural Centre, je tiens à vous remercier de nous accueillir cet après-midi.

Je suis accompagné de Mme Louisa Hernandez, qui a obtenu le statut de réfugié et qui est membre du conseil d'administration du Fort Erie Multicultural Centre. Du révérend Leslie McSpadden, membre du conseil d'administration de Casa El Norte et du révérend Gordon Gooderham, membre du conseil d'administration de Fort Erie Multicultural Centre et fondateur de la Maison Matthew, un foyer d'accueil pour réfugiés de Fort Erie.

Vous trouverez ma présentation dans le mémoire. Pour l'essentiel, je suis avocat et je m'occupe des réfugiés. Je fais partie de presque tous les conseils d'administration qui s'occupent de réfugiés et d'immigrants dans la région de Fort Erie-Buffalo, notamment de l'organisme Vive, que vous avez entendu hier. Je tiens également à m'excuser auprès de vos membres francophones car je ne pratique pas les deux langues officielles. J'admire beaucoup les réfugiés et les immigrants qui peuvent parler couramment trois ou quatre langues.

• 1220

Je voudrais mettre l'accent sur notre expérience concernant un point d'entrée très fréquenté appelé Fort Erie. Au départ, cinq familles de la région ont formé un groupe de prière. En 1985, un agent de l'immigration s'est adressé à nous aux environs de Pâques pour nous signaler deux familles de réfugiés qui venaient d'arriver par le Pont de la paix à Fort Erie. Le groupe comptait de jeunes enfants et l'une des femmes, enceinte, devait accoucher d'un jour à l'autre. Cette fois-là, on ne pouvait pas faire appel à la moindre auberge.

Nous avons commencé à accueillir des réfugiés et à nous occuper d'eux. Nous considérons que toute nouvelle procédure doit être juste, simple—j'insiste sur la simplicité—et conforme à la Charte et à nos obligations internationales. D'après d'anciennes procédures de première audience prévues dans le projet de loi C-55, nous avons appris que les procédures complexes de sélection sont inefficaces et ne permettent pas d'atteindre le but visé.

Si vous croyez à la nécessité d'examen de recevabilité, intéressez-vous en priorité aux revendicateurs dont le casier judiciaire est conséquent, aux terroristes notoires ou aux membres influents du gouvernement n'ayant aucun égard pour les droits de la personne. Nous n'avons pas d'objection à la prise d'empreintes digitales des revendicateurs de statut de réfugié, à ce qu'ils soient photographiés à ce qu'ils subissent un examen médical complet et à ce qu'ils fournissent certains documents à la Commission dans des délais raisonnables. Mais il faut donner à Citoyenneté et Immigration Canada les ressources humaines et électroniques leur permettant de rencontrer les revendicateurs et de faire les vérifications informatiques nécessaires, de consulter les fichiers d'Interpol et d'autres sources internationales.

Ce que propose le projet de loi C-11 ne peut être fait en trois jours. Trier ce qui est évident puis communiquer le dossier à la Section de protection des réfugiés, en prenant certaines garanties, comme je l'ai suggéré. Laisser le soin à cette section ou à la CISR de régler tous les autres problèmes. N'oubliez pas que la définition de réfugié dans ce projet de loi—à l'article 98—et dans la loi actuelle est assujettie à la section E, c'est-à-dire la clause d'exclusion qui stipule que si vous avez ce statut dans un autre pays, vous devez y retourner, ou à la section F qui traite des crimes de guerre, de la criminalité et d'autres actes contraires à la Charte des Nations Unies.

Pour être plus précis, supprimez les articles 103 et 104 de la loi actuelle. Ils rendront la situation inextricable. Ces problèmes peuvent être réglés par la section du statut de réfugié.

Autoriser les candidats à faire plus d'une demande de statut de réfugié, à condition qu'ils aient été hors du Canada pendant une période de temps raisonnable, et surtout s'ils reviennent de leur pays d'origine et qu'ils y ont été persécutés.

Permettez-moi de vous citer un ou deux cas réels pour vous montrer la nécessité de simplifier et d'humaniser le système.

Je me souviens d'une famille arrivée à Fort Erie. En Colombie, il était médecin. Il avait fait des études de médecine aux États-Unis. Il était officier de réserve des forces armées colombiennes. Il avait administré un hôpital. Sa femme était avocate et avait travaillé pour les services du gouvernement colombien chargés de démanteler les réseaux de trafic de stupéfiants en découvrant comment ils blanchissaient leur argent.

Ils avaient une Mercedes. Ils vivaient dans une belle maison. Ils avaient tout. C'était la crème de la crème. Ils ont commencé à recevoir des coups de téléphone du genre: «Vos enfants portent tels vêtements pour aller à l'école; ils sont à tel endroit». Ils ont recruté des gardes du corps. Les coups de téléphone ont continué. Ils ont commencé à paniquer, absolument terrifiés du danger que couraient leurs enfants, à juste titre, sans compter le danger pour eux-mêmes.

Lors d'un cocktail, un soir, le mari a demandé à un confrère des services de renseignement du gouvernement colombien: «Que pouvez-vous faire?» et il lui a répondu «Partez. Nous ne pouvons rien faire pour vous». Ils vont à Miami voir le consul général de Colombie. Ils lui racontent leur histoire. Personne ne sait où ils sont sauf le consul général. Les coups de téléphone recommencent à Miami: «Nous savons où vous êtes. On vous aura».

À 3 heures du matin ils ont sauté dans une voiture et ils ont roulé jusqu'à Fort Erie. Lorsque nous les avons vus pour la première fois dans une pièce à Fort Erie, ils étaient tassés dans un coin. Ils pleuraient. Ils étaient incohérents. Ils étaient terrifiés. Ils étaient dans l'incapacité de se soumettre à un long examen par un agent d'immigration au point d'entrée. Même pour ces gens intelligents, éduqués, la crème de la crème de leur société, cet examen par un agent de l'immigration au point d'entrée était tout simplement au-dessus de leurs forces. Ils ont été acceptés comme réfugiés.

Permettez-moi de vous citer un autre cas. J'appellerai cette femme Maria. Lors de l'audience devant la Commission elle avait un avocat qui n'avait pas beaucoup travaillé avec des réfugiés. Il ne savait pas que deux réfugiés sur trois ont été victimes d'une forme ou autre d'agression sexuelle. Il ne lui a pas posé la question. Elle-même avait été incapable de le dire à son conjoint de fait.

L'audience a eu lieu. Elle ne s'est pas bien passée. Le soir de leur mariage, elle a finalement dit à son mari qu'elle avait été violée dans son pays d'origine. Ils ne savaient pas qu'ils devraient le dire à leur avocat. Ils ne savaient pas que la procédure pouvait être réouverte car la Commission n'avait pas rendu sa décision finale. C'est alors qu'ils sont venus me voir.

Malgré les tonnes de preuves fournies par les psychiatres, malgré les preuves fournies par leur pays d'origine montrant qu'elle avait été violée, le processus actuel, l'examen final, n'a donné aucun résultat. Ils ont été expulsés et renvoyés dans leur pays d'origine.

Cela s'est produit de nouveau. Cette fois, elle n'a pas été violée mais elle a été internée 10 jours dans un service psychiatrique et elle a failli mettre fin à ses jours. Son mari a été battu à de nombreuses reprises. Leur deuxième revendication a été acceptée.

Dans certains cas, les gens sont également séparés. Nous avons eu un tel cas l'autre jour à Casa El Norte, une famille du Congo qui avait été entièrement séparée à cause du chaos qui règne dans ce pays. Le père est arrivé avec trois enfants plus âgés. Nos services informatiques nous ont appris qu'ils étaient allés à la Maison Romero, où travaille Mary Jo Leddy. Nous les avons réunis. Lorsque la femme a entendu la voix de son mari, elle s'est évanouie. Ces gens-là...

• 1225

Les agents d'immigration sont formés pour détecter les problèmes évidents. C'est la seule façon de travailler dans un port d'entrée très achalandé, qu'il s'agisse de questions liées à l'ALENA ou de réfugiés. Il faut que les choses soient simples, mais il faut leur donner les ressources dont ils ont besoin.

Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président: Merci, Roderick, et merci encore de tout le travail ardu que vous faites chaque jour. Vous accomplissez vraiment une mission humanitaire d'amour. Merci.

Nous entendrons maintenant la représentante du Congrès islamique canadien, Wahida Valiante. Votre nom a une consonance italienne.

Mme Wahida Valiante (vice-présidente nationale, Congrès islamique canadien): Il l'est.

Le président: Eh bien, benvenuto.

Mme Wahida Valiante: Grazie.

Merci, monsieur le président, et merci au comité de nous donner la possibilité de vous faire part de nos préoccupations et de notre recommandation.

Je m'appelle Wahida Valiante. Je suis présidente du Congrès islamique canadien. Je suis également travailleuse sociale de profession et je travaille sur le terrain depuis plus de 25 ans. J'ai oeuvré auprès d'immigrants, de personnes qui revendiquaient le statut de réfugié, et j'ai une longue expérience de leurs récits, d'où ils viennent et de leur appréciation du Canada. Je suis également très active dans ma collectivité et je suis en contact avec un segment très diversifié de la population musulmane. Comme vous le savez, d'après les statistiques des Nations Unies, les musulmans constituent le groupe le plus important de réfugiés, et les zones de conflit se trouvent là où vivent la plus grande majorité des musulmans. Voilà donc pour la toile de fond et nos préoccupations.

Je ne présente pas mon témoignage seulement à titre de membre d'une organisation mais aussi à titre de travailleuse sociale, à titre de personne qui a également entendu ces récits et qui sait de quoi il s'agit.

Comme plusieurs personnes dans ce pays, je suis fière d'être Canadienne. Il y a plusieurs années, j'ai été admise comme immigrante permanente dans ce beau pays, mais le Canada est maintenant mon pays, mon seul foyer. C'est également le foyer de mes enfants et bientôt de mes petits-enfants. Comme vous pouvez le voir, le multiculturalisme me touche de très près. Mon mari est Italien et il est venu ici d'Italie.

Je suis également fière que les Nations Unies aient choisi pendant plusieurs années le Canada comme étant le pays où il fait le mieux vivre dans le monde. Ce n'était pas par accident. Nous vivons dans une société pacifique où tous sont traités également aux yeux de la loi. Nous sommes fiers de notre Charte des droits et libertés et fiers de notre système juridique.

Mais je continue de m'inquiéter, monsieur le président. Le Canada pourrait-il devenir un État policier? Les terribles prédictions de G. Orwell dans son roman «1984» pourraient-elles finalement s'avéver une réalité? C'est ce qui pourrait bientôt se produire si le projet de loi C-11 est adopté. C'est là le point de vue et le sujet des préoccupations du Congrès islamique canadien, qui considère que le projet de loi C-11 compromet les droits civils des résidents permanents du Canada en accordant sans restrictions des pouvoirs d'expulsion secrets de style policier aux représentants fédéraux de l'immigration. Et nous croyons fermement que cette latitude, que l'on trouve dans les dispositions du projet de loi C-11, va à l'encontre de la Charte des droits et libertés du Canada.

Monsieur le président, plusieurs immigrants qui arrivent au Canada en provenance de l'Europe de l'Est ou des pays en développement, fuient les régimes militaires oppressants ou les gouvernements totalitaires corrompus de leurs pays d'origine. Le projet de loi C-11 leur impose une menace permanente d'expulser irresponsable et ne leur offre pratiquement aucune chance d'en appeler de cette décision. C'est une mentalité qui nous rappelle dangereusement celle d'un État policier.

Au cours des décennies, les immigrants, dont plusieurs sont devenus des citoyens à part entière dès qu'ils en ont eu la possibilité, ont aidé à bâtir ce pays. Le Canada ne peut tout simplement pas se permettre maintenant de ternir aux yeux du monde entier son image qui est celle d'un pays qui accueille les immigrants, où tous peuvent utiliser pleinement notre système juridique et s'y fier, et où tous sont protégés par la Charte des droits et libertés. Le Canada aura besoin de millions de nouveaux immigrants au cours du siècle à venir pour maintenir sa prospérité économique en raison de sa population vieillissante et du faible taux de naissances. Ainsi, le CIC convient de tout coeur avec l'évaluation de l'Association du Barreau canadien et Amnistie internationale que le projet de loi est «draconien» dans sa forme actuelle.

Et nous craignons véritablement, monsieur le président, que votre gouvernement ne tente d'approuver hâtivement le projet de loi C-11 avant l'ajournement d'été du Parlement.

• 1230

Les médias ont cité l'honorable Elinor Caplan, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, qui a déclaré que le projet de loi C-11 ne visait qu'à réviser la Loi sur l'immigration qui date de 25 ans. Selon elle:

    Les Canadiens veulent savoir que nous possédons les outils pour obliger les criminels à quitter le Canada le plus rapidement possible, et c'est ce que le projet de loi permet [...] Je veux être en mesure de les obliger [les présumés criminels] à quitter le Canada le plus rapidement possible.

Nous convenons avec l'honorable ministre que les Canadiens souhaitent que les criminels soient expulsés de leur pays le plus rapidement possible, tout particulièrement pour le bien-être de leurs enfants, mais cela ne doit pas se faire à n'importe quel coût. Et le coût du projet de loi C-11, qui pourrait trop facilement miner la Charte des droits et libertés qui nous est si chère, est beaucoup trop élevé.

Les médias ont également cité la déclaration suivante de la ministre Caplan:

    J'ai l'avis du ministère de la Justice qui considère que le projet de loi C-11 passe le test de la Charte des droits et libertés.

Nous ne sommes pas du tout d'accord avec cette déclaration et nous nous y opposons fortement, parce que le fait demeure, monsieur le président, qu'en vertu du projet de loi C-11, les résidents permanents du Canada n'ont aucun droit d'appel. Sur la base d'une preuve des services secrets uniquement, ils peuvent être expulsés du pays et voir leur statut de résident permanent révoqué. C'est ainsi. Ils ne bénéficient pas pleinement de notre système de justice et cela est tout simplement injuste. Cela contrevient également à la Convention de Genève.

En conclusion, nous faisons appel à vous pour présenter le projet de loi C-11 à une tierce partie, comme la Cour suprême du Canada, pour décider si ce projet respecte véritablement ou non ce à quoi la ministre Caplan a vaguement fait référence comme le «test de la Charte des droits et libertés». Nous vous prions de le faire instamment, monsieur le président. Nous vous prions de le faire pour le Canada et pour tous les Canadiens.

Merci.

Le président: Merci, Wahida, et merci à tous de vos excellents témoignages. Nous pouvons passer aux questions.

Commençons avec Inky.

M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.

Je tiens à vous remercier tous d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Plus nous entendons de témoins, plus nous commençons à nous rendre compte à quel point il est important que ce projet de loi soit bien rédigé. Je suis d'accord avec M. McDowell, lorsqu'il dit que la sélection doit se faire sans mettre en danger les réfugiés légitimes et les immigrants de notre pays. Nous avons la technologie pour le faire dès leur arrivée. J'ai toujours dit également que le projet de loi ne devrait pas compromettre les droits de la personne. Bon nombre de témoins continuent de nous signaler des questions de droits de la personne, l'absence de légalité et l'absence d'appel.

Ma question s'adresse à vous tous. Si aucun changement important n'est apporté à ce projet de loi, avez-vous l'impression qu'il sera, dans l'ensemble, hostile aux réfugiés?

Le président: La question s'adresse à vous tous.

Roderick.

M. Roderick McDowell: Comme je l'ai dit dans mon mémoire, c'est un projet de loi qui donnera bien du travail aux avocats. On y voit un semblant de processus d'appel, mais dans l'ensemble, je m'y oppose, tout comme nos organisations. Je ne crois pas que ce projet de loi soit favorable aux réfugiés. Il pose des problèmes essentiels qui vous ont déjà été signalés. Je tiens à le répéter.

Ils ont besoin de légalité et d'un organisme disposant du financement et de la formation spéciale, comme la Division du statut de réfugié, comme elle s'appelle actuellement, pour faire le travail. Sans cela, il y a un risque. Il faut aussi, comme je l'ai dit dans un scénario que je vous ai présenté, un véritable droit d'appel. Je crains qu'un appel sur papier soit insuffisant.

Le président: Jo.

Mme Jo Alcampo: Encore une fois, nous répétons que le Canada doit respecter ses engagements internationaux et se soumettre, par exemple, à une analyse fondée sur le sexe, en conformité avec la Déclaration de Beijing et la Plate-forme d'action de Beijing. En particulier, vous verrez dans notre mémoire des paragraphes extraits de la Plate-forme d'action de Beijing qui attire l'attention sur le fait que les travailleuses immigrantes, les femmes déplacées et réfugiées font face à des obstacles supplémentaires si elles veulent jouir de leurs droits fondamentaux en raison de la race, de la langue, de l'ethnicité et du fait qu'elles sont pauvres. En particulier, également dans la Plate-forme de Beijing...

Le président: Jo, la question était pensez-vous que ce projet de loi est un projet de loi favorable aux réfugiés et, avec certains changements, de toute évidence, seriez-vous pour ou êtes-vous contre le projet de loi sous sa forme actuelle? C'était la question.

Mme Jo Alcampo: Bien sûr. Pour être brève, nous serions contre le projet de loi sous sa forme actuelle. Il viole et il ne fait pas honneur, je pense, aux engagements internationaux pris par notre pays.

• 1235

Le président: Wahida.

Mme Wahida Valiante: Il est certain que nous n'allons pas appuyer le projet de loi. Comme beaucoup de témoins l'ont déjà dit, il comporte de graves lacunes, et à moins qu'elles soient corrigées et qu'on le rende juste pour tous les citoyens du Canada et ceux qui viennent, le projet de loi ne devrait pas être adopté.

Le président: Merci.

John.

M. John McCallum (Markham, Lib.): Je voudrais dire tout d'abord que j'ai été très ému et impressionné par vos exposés et les autres que nous avons entendus tout au long de la semaine. Je pense que le projet de loi comporte certains aspects intolérants, et j'espère que nous allons pouvoir les changer. En particulier, à propos de l'autorisation d'une deuxième demande de statut de réfugié, nous avons entendu aujourd'hui—et nous avons entendu de pires récits hier—ce qui peut arriver si un deuxième appel n'est pas autorisé.

Je voudrais faire une observation et poser une question. Je suis d'accord avec l'esprit de vos exposés, mais là où le Congrès islamique canadien parle de donner des «pouvoirs d'exclusion secrets de style policier» aux fonctionnaires fédéraux de l'Immigration, je pense que le projet de loi pourrait être interprété de cette façon, mais que ce n'est sûrement pas son but. Il y a donc un amendement que nous allons proposer—je ne dis pas que c'est le seul, loin de là—est de s'assurer que les fonctionnaires de l'Immigration n'ont pas le pouvoir d'expulser un résident permanent, mais il devra y avoir une audience en bonne et due forme.

Monsieur McDowell, pouvez-vous être un peu plus précis—la plupart d'entre nous ne sommes pas avocats—quant à la manière dont le projet de loi pourrait être modifié dans le sens de vos suggestions à propos des réfugiés?

M. Roderick McDowell: Les articles 103 et 104 doivent disparaître parce que la Section de la protection des réfugiés peut s'en occuper.

Deuxièmement, il est possible, comme l'a dit M. Mark, avec la technologie, de procéder au contrôle initial. La formule dans la loi actuelle, je pense, est suffisamment simple. Il y a un excellent document de David Matas, qui je crois a été déposé au comité. Lisez-le—c'est très développé. Je suis avocat et je fais ceci tout le temps, et je m'y suis perdu—j'ai dû le lire deux ou trois fois. C'est trop compliqué. Vous vous en prenez à 3 p. 100 ou à peut-être 2 p. 100, avec cet énorme marteau. Cela n'a pas de sens. Si on a un bon contrôle au début, on devrait être capable d'arrêter les très petits étroits.

Vous pouvez aussi vous occuper autrement des examens médicaux pour l'immigration. Vous devriez exiger qu'ils soient présentés, mais songer à les faire aux points d'entrée. Le Service de l'immigration et de la naturalisation fait dorénavant des examens médicaux aux points d'entrée. Son personnel prend des radios qui sont transmises électroniquement à un centre où il y a toujours un radiologue. La même technologie existe pour le sang, pour le test de dépistage du VIH et d'autres maladies. Si vous avez ce genre de contrôle, le genre de problème qui s'est produit à Hamilton récemment avec cette femme n'arriverait pas. C'est quelque chose de réglementaire, je le comprends. Mais si vous imposez des lignes directrices strictes exigeant que les choses soient faites ou que leur statut temporaire est perdu, je pense que ce serait suffisant comme déclencheur.

Enfin, vous devez fournir les ressources qu'il faut. Vous avez entendu la ville de Toronto—je suis d'accord avec elle. La ville de Fort Erie et la municipalité régionale de Niagara auraient également besoin de ces ressources pour s'assurer que ces vérifications sont faites comme il faut. Cela protégerait les réfugiés, les agents d'immigration, et nous tous.

M. John McCallum: J'ai lu les 43 pages de ce texte de David Matas. Je l'ai trouvé extrêmement bien écrit mais aussi extrêmement déprimant en ce qui concerne la complexité extraordinaire du système qui, par ailleurs, abstraction faite de sa complexité, n'est pas toujours très équitable.

M. Roderick McDowell: Je suis d'accord, monsieur.

Le président: Madeleine.

[Français]

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Je m'adresse à la représentante d'Intercede.

Je suis d'accord avec vous quand vous dites que les engagements internationaux du Canada n'ont de sens que s'ils se reflètent dans les lois. Il est clair que le projet de loi C-11 est probablement une des lois où cela doit le plus se refléter.

• 1240

Je souscris assez favorablement à la suggestion que vous faites, c'est-à-dire d'inclure, au début de la loi, des références à la convention qui touche à la violence faite aux femmes et à la Déclaration de Beijing.

Par ailleurs, vous avez, comme d'autres intervenants hier, demandé l'abolition du Programme concernant les aides familiaux résidants, tandis que d'autres groupes ont demandé qu'on l'améliore en enlevant certaines contraintes, notamment l'obligation d'habiter chez l'employeur, ou en enlevant le délai de travail de deux ans. En demandant l'abolition du programme, est-ce que ce sont surtout ces éléments-là que vous vouliez faire disparaître?

[Traduction]

Le président: Jo.

Mme Jo Alcampo: Je vous remercie d'avoir fait ces observations.

Intercede croit que le Programme concernant les aides familiaux résidants, tel qu'il existe en ce moment, doit être aboli. Par exemple, le projet de loi C-11 vise entre autres à faciliter l'entrée des travailleurs temporaires au Canada au même titre que les étudiants et les visiteurs, mais contrairement aux membres de la catégorie économique ou de la catégorie de la famille, les travailleurs temporaires tels que les travailleurs migrants qui entrent chez nous dans le cadre du Programme concernant les aides familiaux résidants ne sont pas admis comme résidants permanents ou immigrants reçus. Nous faisons valoir entre autres choses que le Programme concernant les aides familiaux résidants doit être aboli, et que les travailleurs domestiques soient reconnus dans le cadre du système de points et qu'ils puissent entrer au Canada à titre d'immigrants reçus.

Notre recherche fait état des effets sur les travailleurs migrants de la séparation forcée de la famille qui dure jusqu'à huit ans, et des parents qui sont séparés de leurs enfants. Notre recherche a constaté entre autres que l'effet de cette mesure constitue une forme d'abus et de violence. Tout règlement prenant la forme d'un programme qui contraint les personnes à se séparer de leurs familles pendant aussi longtemps constitue à notre avis une atteinte aux droits de la personne. Nous croyons que tout travailleur temporaire qui est lié à son employeur, à qui on ne permet d'entrer au Canada que si son permis de travail fait mention d'un employeur autorisé... Lorsque ce travailleur change d'employeur, il perd son statut au Canada, et étant donné que son obligation de résidence l'oblige à vivre chez son employeur, lorsqu'il perd son employeur, il devient un sans-abri. Il perd son foyer.

Notre recherche résume les effets de ces abus et de cette violence, et Intercede se bat pour cette cause depuis 20 ans, à savoir l'abolition de tout programme où les gens sont asservis à leurs employeurs, et nous voulons que les femmes puissent entrer au Canada à titre d'immigrantes reçues.

Le président: Judy.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Monsieur McDowell, j'ai posé la question à d'autres personnes qui, comme vous, travaillent en première ligne, et je leur ai demandé s'ils craignent d'être arrêtés ou mis à l'amende en vertu de l'article 117 du projet de loi?

M. Roderick McDowell: Oui, il y a de quoi s'inquiéter. Un ancien ministre a déclaré un jour: «Nous n'arrêterons pas les responsables des ONG ou les prêtres ou les religieuses qui aident les gens.» Mais le fait est que cette crainte existe. La réalité est telle, entre autres choses, que le seul moyen qu'ont les réfugiés de quitter ces pays est de s'adresser à des agents. Ils ne peuvent pas faire autrement. On ne peut pas s'adresser à son gouvernement et demander un passeport. Je répète que c'est une des difficultés que pose ce projet de loi, à savoir qu'on prend un marteau-pilon pour assommer un insecte.

Le problème des immigrants illégaux qui s'adressent à des passeurs est un problème international qui doit être réglé, par exemple, en rendant plus accessibles les postes à l'étranger où l'on peut obtenir un visa et en donnant à ces postes les ressources nécessaires de telle sorte que les gens... parce qu'ils doivent attendre deux ans et demi ou trois ans pour obtenir une réponse de Beijing. Peut-être que si le délai était d'un an seulement au lieu de trois, ils obéiraient à la loi. La solution consiste donc à améliorer nos services à l'étranger.

Je crois que l'article 117 du projet de loi est inquiétant parce qu'il dit «quiconque sciemment organise l'entrée au Canada d'une ou plusieurs personnes». Si j'aide une famille de Colombie à traverser la frontière, ou si je me rends là-bas pour lui donner des conseils juridiques, je pourrais être inculpé en vertu de cette disposition. À mon avis, elle englobe beaucoup trop de choses.

• 1245

Mme Judy Wasylycia-Leis: J'avais deux questions qui n'en font vraiment qu'une. En fait, il s'agit plutôt d'une remarque.

Vous avez parlé de modifier ou de supprimer les articles 103 et 104. Cela m'a paru intéressant car si je ne m'abuse, c'est la première fois qu'on a abordé ces deux dispositions. En tous cas, le mémoire du Conseil canadien pour les réfugiés n'en fait certainement pas mention parmi ses nombreuses préoccupations et propositions. J'aimerais donc approfondir la question.

Maintenant, j'aurais besoin d'un éclaircissement. Violons-nous carrément la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et la Convention contre la torture et autres peines aux traitements cruels, inhumains ou dégradants? Si nous violons l'une de ces deux Conventions, il me semble que cela suffirait pour justifier des modifications à ce projet de loi. Or, je crois que l'on nous donne des avis assez différents là-dessus.

Le président: Au sujet des articles 103 et 104, la parole est d'abord à M. McDowell.

M. Roderick McDowell: Pour ma part j'estime que oui, car une décision d'inadmissibilité met fin au processus d'audience du revendicateur au statut de réfugié. Lors de l'audience, le ministre a le loisir de présenter des instances. Il a d'ailleurs des représentants à sa disposition. Or remettons-nous-en plutôt à un processus qui tiendrait compte des deux conventions que l'on vient de mentionner.

La question vraiment épineuse, comme dans l'affaire Suresh et d'autres dont la Cour suprême est saisie, est de savoir si des revendicateurs qui ont été certainement torturés mais qui font peut-être partie d'organisations terroristes, peuvent être renvoyés dans leurs pays.

Or j'estime que non. La loi devrait consacrer les principes contenus dans les conventions. Des principes aussi fondamentaux que la vie, la sécurité et la protection des personnes l'emportent sur toute autre considération.

Le président: Madame Alcampo, sur la même question de la torture et de l'incarcération.

Mme Jo Alcampo: Je crois que nous devrons nous abstenir de nous prononcer à ce sujet. Nous ne sommes pas spécialistes dans ce domaine. Nous nous concentrons de façon très précise sur les travailleurs migrants et les travailleurs domestiques.

Le président: Très bien.

Madame Valiante, avez-vous des remarques?

Mme Wahida Valiante: Je peux ajouter à ce qui vient d'être dit que les droits fondamentaux à la liberté, la vie et la sécurité des personnes sont garantis en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que par le droit international.

Par conséquent, à mon avis il faudrait modifier le projet de loi de telle manière qu'il corresponde mieux au droit international et qu'il le déclare sans aucune ambiguïté. Ainsi, par exemple, récemment, on a adopté certaines modifications à la Loi sur l'immigration relativement aux terroristes et aux membres d'organisations terroristes. En outre, si je ne m'abuse, l'université York a présenté des mémoires, que je pourrais d'ailleurs vous citer car je siège à un de ses comités, où l'on s'inquiète de l'idée, ou tout au moins de la perception selon laquelle chacun d'entre nous est un terroriste en puissance.

J'ai vécu ici toute ma vie, et je m'inquiète qu'on puisse dire de moi que le travail que j'ai effectué auprès de bon nombre d'organismes revient à aider certaines organisations terroristes. Cette idée représente donc une véritable menace pour bon nombre de Canadiens de souche qui n'ont jamais participé à des...

Le président: Tout comme on s'imaginait que chaque Italien appartenait à la mafia, n'est-ce pas?

Mme Wahida Valiante: Oui, ici je suis vulnérable sur ces deux tableaux.

Le président: Cela fait 30 ou 40 ans que je vis cela. Je vous comprends.

John.

M. John Herron: J'aimerais enchaîner sur certains propos de M. McDowell qui m'ont beaucoup frappés. Il a déclaré que dans les cas d'appel, il faudrait une audience en bonne et due forme plutôt qu'une simple demande écrite. Or je pense qu'à cet égard, nous avons quelque peu régressé. Je me souviens qu'avant la création du Comité consultatif du statut de réfugié, dont mon prédécesseur dans ma circonscription, M. Gordon Fairweather a été le président, nous considérions les revendicateurs du statut de réfugié comme des êtres humains et non comme un simple dossier.

Étant donné que l'appel ne sera peut-être pas envisagé, estimez-vous qu'un appel sur papier ne suffirait pas, qu'il faudrait tenir une audience en bonne et due forme?

M. Roderick McDowell: Un appel sur papier est préférable à ce qui existe à l'heure actuelle, je le reconnais, c'est même une grande amélioration. Cependant, si l'on doit réexaminer des faits, ce qu'envisage le projet de loi, alors il faut entendre les personnes concernées.

Dans une autre sphère d'activités, je suis juge suppléant à la Cour des petites créances, et à moins que je ne puisse entendre le témoignage de la personne, la regarder et m'efforcer de me prononcer sur sa crédibilité... Je ne sais vraiment pas comment je pourrais faire cela en me fondant uniquement sur des documents. Si on invoque uniquement des principes de droit, il se peut qu'on juge inutile de tenir une audience, et qu'on se fonde sur des documents. Cependant, même à la Cour fédérale, lorsqu'on obtient un pourvoi, les juges posent beaucoup de questions et ils tiennent compte avec le plus grand sérieux des arguments présentés. Se contenter de documents écrits omet donc l'important aspect humain. Rappelons-nous que si l'on commet une erreur au cours de ce processus, la mort de quelqu'un peut s'ensuivre.

• 1250

Mesdames et messieurs, cela veut dire que comme autrefois, cela nous met en face de la peine de mort. Si nous commettons des erreurs, cela pourrait avoir des conséquences mortelles, tout comme avant l'abolition de la peine de mort. Il faut vraiment garder cela à l'esprit car dans les régimes où l'on risque de renvoyer les revendicateurs la légalité n'existe pas.

Le président: Madame Neville, aimeriez-vous poser une question?

Mme Anita Neville: Merci. Je me demandais si je pouvais poser des questions car je sais que le temps commence à manquer.

Quoi qu'il en soit, je tiens à dire d'abord à nos témoins à quel point je suis impressionnée par leur dévouement, leur énergie et leur engagement dans le travail qu'ils effectuent. Je suis sûre aussi que beaucoup d'autres partagent mon admiration. À écouter leurs propos inlassables... Je trouve tout cela presque renversant, et nous devrions tous vous en être très reconnaissants.

Dans ma brève question, je tenterai d'intercéder en faveur d'un groupe que je connais. M. McCallum et moi-même nous sommes récemment rendus au bureau d'immigration des Philippines. Vous n'ignorez pas que près de 80 p. 100 des employés du Programme concernant les aides familiaux résidants proviennent des Philippines. Je crois savoir que si ces derniers n'entrent pas au Canada comme travailleurs temporaires, ils n'ont pas accès au système de points d'appréciation, c'est-à-dire à la catégorie d'immigrants de la composante économique.

On m'a également appris, et vous l'avez signalé vous-même à bon droit, que bon nombre de ces travailleurs s'estiment asservis à des contrats de longue durée chez leur employeur, qu'il s'agisse de familles ou d'organisations. Au bureau des visas, on a d'ailleurs discuté du besoin impératif de renseigner davantage les candidats sur ce genre de programme dans le cadre de leur orientation, afin qu'ils sachent à quoi ils peuvent s'attendre et quels sont leurs droits une fois arrivés au Canada. Ainsi, les travailleurs acceptés dans ces programmes sauront qu'ils ont des recours lorsque les choses ne vont pas bien, qu'ils peuvent s'adresser à un bureau d'immigration ou à un organisme comme le vôtre pour obtenir de l'aide. Ils sauront aussi qu'ils ne seront pas expulsés vers leur pays d'origine. Est-ce que cela peut améliorer les choses?

Le président: Madame Alcampo.

Mme Jo Alcampo: Nous reconnaissons volontiers que ce sont des initiatives qu'il faut prendre à l'étranger, dans le pays d'origine et plus précisément aux Philippines, d'où viennent la plupart des travailleurs domestiques qui veulent participer au programme des aides familiaux résidants.

Étant donné que je suis coordonnatrice intérimaire, je manque encore donc un peu d'expérience, mais notre coordonnatrice elle, oeuvre au sein d'Intercede depuis 17 ans. Elle s'appelle Fely Villasin, et cela fait six mois qu'elle est aux Philippines. Elle y travaille avec la PEOA, c'est-à-dire la Philippine Overseas Employment Agency (Organisme d'emploi des Philippins à l'étranger). Tout migrant philippin entrant au Canada comme travailleur domestique doit d'abord assister aux séances d'orientation du Programme concernant les aides familiaux résidants.

Or, ce que nous ont dit les divers travailleurs domestiques qui sont venus à notre bureau a été confirmé par ses recherches, à savoir qu'on ne renseigne personne au sujet des droits de la personne ni au sujet du processus de plaintes. C'est donc ce sur quoi nous concentrons nos efforts en ce moment et c'est sur quoi Intercede travaille aussi en collaboration avec les organismes situés aux Philippines.

Mme Anita Neville: J'ai un petit commentaire. Si vous êtes en contact avec elle, je vous recommanderais vivement de lui dire de contacter le ministère à Manille aux Philippines car ils sont justement en train d'élaborer un programme pour régler cette question. Ils devraient travailler ensemble, et non pas chacun de leur côté.

Mme Jo Alcampo: Merci.

Le président: Merci.

J'ai une question à vous poser concernant notre programme pour les travailleurs temporaires. Comme vous le savez, c'est un programme très important, non seulement pour le Canada mais bien évidemment pour ceux qui veulent travailler chez nous temporairement. J'ai eu l'impression que vous vouliez nous faire admettre quelque chose, et je ne ferais pas de commentaires sur le Programme concernant les aides familiaux résidants car c'est un programme relativement unique. Je comprends qu'il puisse y avoir des abus et certains aspects de ces abus me troublent aussi, mais s'agissant du programme pour les travailleurs temporaires, cela marche dans les deux sens.

Nous avons besoin de travailleurs, de gens qui veulent venir travailler chez nous sur une base temporaire. Nous allons leur faciliter la tâche de décider s'ils veulent ou non rester au Canada de manière permanente avec le statut d'immigrant interne. Pour l'essentiel, ce statut signifie qu'il n'est pas nécessaire de retourner chez soi pour faire une demande.

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De l'agriculture au bâtiment, en passant par toute une série d'industries, les travailleurs migrants sont en fait très importants pour notre économie. J'ai simplement besoin d'une petite précision. Suggérez-vous que tous les travailleurs temporaires devraient se voir accorder le statut d'immigrant reçu ou que le programme pour les travailleurs temporaires, moyennant certaines modifications, et l'adoption de la catégorie des demandeurs au Canada faciliteraient l'entrée et le séjour de ceux qui peuvent ne vouloir venir chez nous que temporairement et non pas pour une longue durée? Jo ou Roderick peuvent peut-être répondre à cette question.

Mme Jo Alcampo: Je vous remercie de votre question, monsieur le président.

J'aimerais préciser notre position. Nous croyons que tant que les droits des travailleurs sont protégés par la loi, les travailleurs temporaires devraient avoir le droit de venir au Canada comme travailleurs migrants. Le Programme concernant les aides familiaux résidants, plus particulièrement—nous ne nous étendrons pas, je sais que c'est un programme spécifique—se prête à toutes sortes d'atteinte aux droits de la personne, de violation de la Loi sur les normes d'emploi et d'exemptions à la Loi sur les normes d'emploi pour les travailleurs de catégories particulières. Nous estimions que toute loi affectant les travailleurs migrants temporaires doit être accompagnée d'une analyse comparative entre les sexes, ainsi que d'une analyse des problèmes raciaux et autres liés à nos engagements internationaux.

Le président: Roderick, vous voyez beaucoup de cas de ce genre à nos frontières?

M. Roderick McDowell: Il y a un certain nombre de travailleurs migrants dans l'industrie des fruits à chair tendre de la région de Niagara et encore plus dans la tabaculture dans la région de Dunnville et le long du lac Érié. Il y a de sérieux problèmes de violation des droits de la personne et des normes d'emploi.

Cela relève de la compétence provinciale mais le problème c'est que c'est le gouvernement fédéral qui fait entrer ces gens. Je crois qu'un programme pour les travailleurs temporaires est une bonne idée parce qu'il permet à ces gens de renvoyer de l'argent dans leur pays, argent qu'ils n'auraient pas autrement. Nous avons besoin d'eux mais il faut mettre en place tous les garde-fous dont ont parlé la représentante d'Intercede parce qu'elle a tout à fait raison.

Le président: Merveilleux. Merci.

Une voix: Puis-je ajouter quelque chose?

Le président: Non. Nous nous arrêtons pour déjeuner.

Je vous remercie infiniment de votre participation.

Chers collègues, nous reprendrons à deux heures pour entendre nos derniers témoins. Cela nous laisse le temps de quitter nos salles et de déjeuner.

Encore une fois, je vous remercie de votre excellent travail.

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