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INDU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY

COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 16 mai 2000

• 0936

[Traduction]

La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): La séance est ouverte et, conformément au mandat que lui confère le paragraphe 108(2) du Règlement, notre comité va examiner la Loi sur la concurrence.

Nous sommes très heureux d'accueillir ce matin le professeur Roger Ware, de la Faculté d'économie de l'université Queen's. Je tiens à vous signaler, professeur Ware, que toutes nos séances sont enregistrées et que les députés ont accès à la transcription. Certains membres du comité vont arriver dans le courant de la matinée. Il y a eu ce matin un service commémoratif pour des parlementaires qui nous ont quittés. Certains députés y assistent encore, mais ils nous rejoindront bientôt.

Nous savons que votre temps est très précieux et nous apprécions votre venue. Il est possible que l'on vote ce matin, ce qui va encore déranger nos plans. Je vais cependant vous demander de nous présenter votre exposé, si vous le voulez bien.

M. Roger Ware (professeur, Faculté d'économie, Université Queen's): Merci, madame la présidente. Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à comparaître et de commenter le fonctionnement de la Loi sur la concurrence ainsi que les amendements qui y sont proposés.

J'ai passé toute ma carrière professionnelle à travailler dans le domaine de l'économie industrielle, de l'organisation industrielle et de la politique de la concurrence, et j'ai notamment fait un séjour au Bureau de la concurrence en tant que titulaire de la chaire T.D. MacDonald en économie industrielle. J'ai récemment publié un grand ouvrage scolaire sur l'organisation industrielle, dont un chapitre important est consacré à la politique de la concurrence et au domaine des politiques antitrust. Par ailleurs, j'ai publié il y a quelques années une longue étude sur les affaires d'abus de position dominante et les dispositions ayant trait à l'abus de position dominante dans la Loi sur la concurrence de 1986, dont j'ai mis un certain nombre de copies à la disposition des membres du comité.

Je commencerai par faire quelques observations d'ordre général. Je considère que la Loi sur la concurrence de 1986 a de manière générale bien servi les Canadiens. La plus grosse menace que je vois, si l'on veut poursuivre avec succès dans cette voie, ne vient pas de la législation elle-même, mais plutôt du manque de ressources à la disposition du Bureau de la concurrence, qui l'empêche de traduire certaines affaires en justice lorsque c'est nécessaire et d'affecter à ces affaires un personnel de soutien qualifié.

Je crains aussi quelque peu que l'indépendance politique du Bureau de la concurrence soit légèrement en perte de vitesse. Le Commissaire à la concurrence est chargé de l'application de la Loi sur la concurrence et il ne devrait pas être tenu d'interpréter les politiques du gouvernement en place et il ne faudrait pas non plus qu'on l'empêche d'exercer ses fonctions d'enquête et de répression en vertu de la loi elle-même.

Pour ce qui est des amendements apportés à la loi, je m'en tiendrai dans mon exposé à quelques points bien précis. Je serai ensuite tout disposé, bien entendu, à répondre aux questions ou à discuter de tout sujet que vous voudrez bien évoquer en ce qui concerne la loi et les amendements.

Tout d'abord, des amendements sont proposés sur un point majeur, soit la possibilité d'intenter des recours privés devant le Tribunal de la concurrence. De manière générale, je pense que c'était souhaitable. Cela s'apparente à certains égards au principe fondamental qui veut que les parties ayant subi un préjudice du fait d'une concurrence abusive, ou d'ailleurs pour toute autre raison, doivent avoir le droit de demander réparation.

En second lieu, pour des raisons qui ressortissent davantage à l'intérêt public, je considère que les droits de recours privés peuvent être profitables aux Canadiens en général.

• 0940

La Loi sur la concurrence manque de jurisprudence. Je ne suis pas le premier à faire cette observation. Nous n'avons eu que cinq grandes affaires portant sur l'abus de position dominante et, depuis l'affaire Nielson, voilà cinq ans que nous n'en avons plus. Étant donné que la loi elle-même est récente, il est assez difficile de se doter d'une jurisprudence élaborée et d'un ensemble de règles d'interprétation perfectionnées concernant les pratiques illégales ou non.

Pourquoi en est-il ainsi? C'est peut-être la question qu'il nous faut nous poser pour mieux comprendre le problème. Comment se fait-il qu'il y ait si peu d'affaires devant le tribunal? Je n'en suis moi-même pas sûr. Je pense que c'est dû en partie au manque de ressources mises à la disposition du Bureau de la concurrence. Je pense qu'en partie, c'est parce que nombre de hauts fonctionnaires du bureau se sont montrés, disons, moins interventionnistes sur certaines pratiques contraires à la concurrence que ne le sont peut-être la plupart des économistes spécialistes des mesures antitrust.

Je pense qu'il serait bon que nous fassions appel aux recours privés. On peut espérer que l'on obtiendrait en conséquence un plus grand nombre de décisions judiciaires et un corps de jurisprudence, dont on a bien besoin à mon avis.

Je ferais quelques réserves face à cette analyse assez optimiste des recours privés. Nous ne devons pas sous-estimer l'importance du rôle joué par le Bureau de la concurrence dans la sélection des dossiers, qui l'amène d'une certaine manière à filtrer les affaires pour le compte du tribunal. Le bureau compte un très grand nombre d'agents qualifiés et spécialisés, qui parfois ont oeuvré pendant des mois, et même des années, sur des enquêtes, avant de déposer une plainte devant le Tribunal de la concurrence. Un plaignant individuel n'aura pas fait une enquête ayant la même envergure et la même portée, et il n'aurait eu probablement aucune incitation à le faire.

Il est vrai aussi que les ressources du Tribunal de la concurrence sont assez limitées par rapport à celles du bureau lui-même. Ce qui me préoccupe quelque peu, c'est que l'on écarte ici le seul organisme ayant vraiment la capacité et les compétences lui permettant de bloquer les folles poursuites et nous laissons en quelque sorte à des plaignants privés le soin d'arbitrer la Loi sur la concurrence par l'intermédiaire du tribunal, ce qui, je le répète, est en principe une bonne chose, dans la mesure où l'on dispose de suffisamment de ressources de qualité pour mener à bien toute cette opération.

Une chose qui me préoccupe en particulier—et cela nous ramène à toute la question de savoir ce que l'on doit faire au sujet des articles 75 et 77, traitant du refus de vendre, et au sujet de l'article 61, portant sur le maintien des prix—en ce sens qu'à mon avis l'article 75, par exemple, qui traite du refus de vendre, est pour commencer mal rédigé dans le projet de loi. En particulier, il est indispensable que nous prononcions une interdiction en soi. On nous dit que si une entreprise peut établir qu'un fabricant ou un fournisseur a refusé de l'approvisionner, les dispositions de la loi sont alors enfreintes. On ne nous dit pas qu'il faut établir que cette pratique doit avoir restreint la concurrence. Il n'est pas exigé à l'article 75 que l'on ait restreint largement la concurrence ou qu'il y ait eu ce que l'on appelle habituellement des répercussions sur la concurrence.

Bien évidemment, l'interprétation donnée jusqu'à présent par le commissaire, qui filtre les affaires, a évité que l'on intente de folles poursuites en vertu de l'article 75. Toutefois, une fois que nous aurons accordé les recours privés, il est vraisemblable qu'il n'en sera plus ainsi. Il est inévitable que nous ayons des poursuites privées lorsque le refus de vendre a probablement été, ou aurait pu être, favorable à la concurrence.

• 0945

Je ferai quelques observations au sujet des prix abusifs.

Je ne suis pas d'accord avec certains de mes collègues économistes pour dire qu'à mon avis l'imposition de prix abusifs est un phénomène que l'on n'observe jamais, ou presque jamais, ce qui était l'opinion générale des économistes spécialisés dans les affaires antitrust jusqu'à, disons, il y a cinq ou dix ans. À mon avis, l'imposition de prix abusifs est une activité courante, même si elle n'est pas fréquente, dans le commerce.

Cela ne veut pas dire que je m'oppose à mes collègues lorsqu'ils nous mettent en garde contre une application trop zélée des lois réprimant les prix abusifs. Il reste vrai que l'application de véritables prix abusifs, soit de bas prix visant expressément à écarter une entreprise rivale d'un marché, est très difficile à distinguer dans l'effet de la pratique de bas prix qui implique la prise de gros risques face à la concurrence et qui doit être encouragée par la Loi sur la concurrence.

Il est vrai aussi que même si nous pouvions établir qu'une entreprise jouissant d'une position dominante pratique des prix abusifs visant à écarter un nouvel arrivant, un plus petit rival, cette pratique n'est pas nécessairement mauvaise sur le plan de l'efficacité économique. J'insiste là encore sur le fait, et je suis sûr que d'autres l'ont déjà fait en ces lieux, que la politique et la Loi sur la concurrence ont pour but, à mon avis, de protéger la concurrence et l'efficacité économique et non pas les différents concurrents. Il s'agit de protéger l'efficacité de l'opération et non pas l'existence ou la viabilité d'entreprises individuelles.

Ainsi, si une grosse entreprise jouissant d'une position dominante se lance, disons, dans une campagne de prix pouvant être jugée abusive, qui vise à écarter un plus petit rival, si cette dernière a des coûts plus élevés, il est possible en fait que la disparition de celle-ci augmente l'efficacité globale. Jusqu'à un certain point, c'est cela le jeu normal de la concurrence: les entreprises très efficaces et dont les coûts sont faibles écartent celles qui sont moins rentables. C'est ce qu'il nous faut encourager.

À titre de commentaire de la législation portant sur les prix abusifs, je dirai que je m'inquiète au sujet de la formulation de l'alinéa 50(1)c) de la Loi sur la concurrence, qui traite des prix abusifs. Je ferai dans un instant un commentaire d'ordre plus général, mais pour l'essentiel, ces dispositions établissent différents critères qui chacun peuvent permettre de conclure à l'imposition de prix abusifs. L'un de ces critères est celui de la vente à des prix déraisonnablement faibles, ce qui a pour effet d'écarter un concurrent.

Là encore, il n'y a pas de critère relatif aux répercussions sur la concurrence. Les dispositions prévoient simplement que si on élimine un concurrent ou si on a l'intention d'éliminer un concurrent, ce peut être alors suffisant pour que l'on conclue à une pratique contraire à la concurrence ou à une infraction à la loi.

Là encore, à mon avis, ce n'est pas le but de la Loi sur la concurrence. Cette loi a pour but de protéger la concurrence. Le fait d'éliminer un concurrent, même si cela peut paraître contradictoire, n'est pas nécessairement une mauvaise chose pour la concurrence, définie de manière générale comme étant l'efficacité globale de l'économie.

• 0950

Je préférerais donc que l'on supprime ces mots ou cette condition suffisante pour conclure à des prix abusifs. Je ne pense pas que le fait «d'éliminer un concurrent» soit suffisant pour que l'on puisse conclure à des pratiques de prix abusives. Je préférerais en fait que l'on supprime purement et simplement l'alinéa 50(1)c) et que l'on ait recours à l'article 79 de la loi, l'abus de position dominante, pour réprimer les prix abusifs, parce que je considère de manière générale que les dispositions civiles sont un meilleur moyen, plus efficace, de traiter de la plupart des pratiques contraires à la concurrence, celles qui consistent à pratiquer des prix abusifs étant visées par l'article 79 au titre de l'abus de position dominante.

Dans l'affaire NutraSweet, qui est étudiée dans mon article, NutraSweet avait allégué que l'on avait appliqué à son détriment des prix abusifs, et le Tribunal de la concurrence a rejeté cette allégation tout en reconnaissant qu'il était possible d'intenter un recours pour prix abusifs en vertu des dispositions de l'article 79 de la loi.

Je tiens à rappeler au sujet de l'imposition de prix prohibitifs—et c'est particulièrement vrai pour les compagnies aériennes en ce moment, mais des préoccupations pourraient voir le jour ailleurs—que les gens s'inquiètent de l'absence de répression. Nous devons agir puisque l'on fait si mal respecter l'application de la loi. Il n'y a eu que deux poursuites en matière de prix abusifs, dans deux affaires qui ont été jugées il y a plus de 20 ans.

Je tiens à insister sur le fait que ce n'est pas en raison du laxisme de la loi qu'à mon avis on n'a pas intenté avec succès des poursuites au Canada en matière de prix abusifs. Je pense qu'en vertu des dispositions de l'alinéa 50(1)c) ou encore de l'article 79, nombre d'affaires auraient pu être intentées avec succès au cours des 20 ou 25 dernières années. S'il n'y a pas eu de répression, c'est en réalité parce que la majorité des économistes, qui exercent une influence sur le Bureau de la concurrence, n'avaient pas le sentiment que les prix abusifs posaient un gros problème. On estimait que les cas étaient extrêmement rares et même pratiquement inexistants. Lisez un manuel d'organisation industrielle d'il y a une dizaine d'années et vous verrez que c'est exactement ce que l'on vous dit.

Les conceptions des économistes ont quelque peu changé ces dix dernières années. Il est indéniable qu'un nombre non négligeable d'économistes considèrent aujourd'hui que l'imposition de prix abusifs est tout à fait possible. Je le répète, c'est une pratique qui a cours, mais qui n'est pas fréquente. Toutefois, la montée des activités répressives ne va pas de pair avec l'évolution de l'analyse économique en la matière.

La présidente: Professeur Ware, puis-je vous demander de conclure? Nous avons des questions à vous poser.

M. Roger Ware: Oui, excusez-moi, c'est plus long que je ne pensais.

Le dernier point que je veux soulever dans mon exposé a trait à la proposition visant à conférer au commissaire le pouvoir temporaire de faire cesser certaines activités. Ces dispositions figurent bien entendu dans le projet de loi C-26 pour ce qui est des compagnies aériennes, ainsi que dans le projet de loi C-472. C'est une éventualité qui m'inquiète beaucoup. Je pense que ce pouvoir de faire cesser certaines activités, qui permet au commissaire d'interdire certains agissements pendant une période pouvant aller jusqu'à 80 jours, avec des prolongations de délai, bouleverse totalement la politique de la concurrence. Nous avons institué une procédure judiciaire depuis l'adoption de la Loi sur la concurrence, et tous les autres grands pays en ont fait de même, je pense que ça a donné de bons résultats et que la population canadienne a été bien servie.

• 0955

Cette nouvelle procédure permet au commissaire d'être à la fois le procureur et le juge, du moins pendant un certain temps, et je pense que cela pourrait porter un préjudice non négligeable à des activités commerciales légitimes, sans que l'on ait à y gagner grand-chose.

Je ferais peut-être mieux de m'arrêter ici.

La présidente: Je vous remercie.

La parole est à M. Penson.

M. Charlie Penson (Peace River, Alliance canadienne): Merci.

Monsieur Ware, je vous souhaite la bienvenue ce matin devant notre comité, chargé d'étudier toute cette question de l'élargissement de la Loi sur la concurrence.

Je pense que vous avez évoqué les possibilités de recours en matière de prix abusifs. Il faudrait que je revienne quelque peu en arrière. Vous nous avez parlé des possibilités de recours privés, qui nous permettraient peut-être d'établir, je pense, une certaine jurisprudence.

M. Roger Ware: Oui.

M. Charlie Penson: Toutefois, ce n'est pas le but en soi. Si l'on n'en éprouve pas véritablement le besoin et s'il n'y a pas de jurisprudence parce que l'on n'a pas été saisi de nombreuses affaires... J'imagine qu'il y a probablement plusieurs raisons, entre autres le fait que l'on n'avait éventuellement pas suffisamment de bons motifs pour traduire les affaires en justice.

M. Roger Ware: Oui, vous avez absolument raison. C'est une possibilité.

[Note de la rédaction: Inaudible]

Une voix: ...

M. Charlie Penson: Excusez-moi. Gardez vos commentaires pour vous.

[Note de la rédaction: Inaudible]

Une voix: ...

La présidente: Un peu d'ordre, s'il vous plaît.

M. Charlie Penson: Je pense que c'est de l'autre côté qu'on devrait respecter l'ordre.

La présidente: Je vous ai rappelé à l'ordre.

Monsieur Ware.

M. Roger Ware: La question est certainement bien posée et je ne sais pas si nous pouvons y répondre, mais il est raisonnable de penser que l'on devrait avoir davantage de jurisprudence. Voilà 15 ans maintenant que la Loi moderne sur la concurrence est en vigueur et nous n'avons eu pour l'essentiel, je vous le répète, que cinq affaires portant sur un abus de position dominante et au total, je n'en suis pas sûr, mais très peu d'affaires concernant des fusions sont allées en justice, seulement une poignée.

Je considère que pour qu'une jurisprudence se développe, il faut essentiellement traduire ce genre d'affaires en justice, et c'est ce que vont nous permettre de faire les recours privés. En particulier, nous n'avons absolument aucune jurisprudence concernant des pratiques comme les refus de vendre, les accords verticaux ou les ventes liées. Il n'y a tout simplement pas eu d'affaires. Il serait utile que les tribunaux se prononcent sur ces pratiques.

M. Charlie Penson: Professeur Ware, je pense que vous nous avez dit que la procédure était assez lourde et il nous faudra simplement attendre pour savoir si des particuliers vont pouvoir poursuivre ce genre d'affaires. Toutefois, si de nombreuses affaires étaient plaidées...

Vous avez dit quelques mots des folles poursuites. À l'heure actuelle, le commissaire à la protection de la vie privée en bloque un certain nombre. Comment feriez-vous, dans le cadre des recours privés, pour éviter les folles poursuites et empêcher les entreprises d'être harcelées? Quelles seraient les mesures de protection que vous mettriez en place?

M. Roger Ware: En fait, j'aime les propositions qui ont été faites. Je pense que certains amendements proposés—je ne sais plus vraiment lesquels—préconisent, par exemple, que l'on adjuge les dépens, ce qui est une proposition constructive. Cela pourrait inciter le Bureau de la concurrence comme les demandeurs privés à plus de discipline. On envisage aussi la possibilité de se prononcer sur les affaires par voie sommaire, ce qui est là aussi une proposition constructive, de sorte que le Tribunal de la concurrence pourrait effectivement prendre très rapidement une décision lorsqu'il estime que l'on a affaire à de folles poursuites.

M. Charlie Penson: J'aimerais que l'on en vienne à la question des prix abusifs. Vous nous avez dit qu'il est assez difficile de prouver qu'une entreprise cherche effectivement à sortir du marché un concurrent et ne se contente pas de faire baisser les prix dans le cadre d'activités commerciales normales. Il me semble que ce serait terriblement difficile à prouver, et il faudrait au moins que l'on ait les procès-verbaux des réunions de l'entreprise reproduisant, par exemple, les interventions du président. Comment allez-vous déterminer que la motivation, c'est de sortir un concurrent du marché?

• 1000

M. Roger Ware: Il y a beaucoup d'ouvrages économiques à ce sujet en matière antitrust. Ce que s'efforce généralement de faire l'économiste—et je ne dis pas que c'est facile—c'est avant tout d'éviter de rechercher les intentions, parce que ce n'est pas le genre de preuves sur lesquelles aiment se fonder les économistes. Nous avons élaboré dans la doctrine économique différents critères fondés sur les coûts, dont aucun n'est en fait totalement satisfaisant, mais dont le principe est d'essayer d'établir dans quelle mesure on pratique des prix abusifs qui se situent en quelque sorte au-dessous des coûts de l'entreprise.

Il est très difficile de savoir quels sont les critères de mesure des coûts que l'on va utiliser et il y a un nombre considérable d'ouvrages de doctrine à ce sujet, mais cela revient à dire pour l'essentiel que si l'entreprise incriminée pratique des prix abusifs qui sont inférieurs à ses propres coûts, on peut difficilement nier qu'elle le fasse pour une raison commerciale légitime. Voilà en quoi consiste l'argument.

M. Charlie Penson: Puis-je vous arrêter ici? Je ne suis pas d'accord avec vous. Sur une longue période, c'est peut-être vrai, mais à court terme, il peut y avoir des cas où il leur suffit de recouvrir leurs frais fixes.

Prenons, par exemple, les poursuites qui nous ont été intentées en matière de dumping du bétail canadien. Les États-Unis nous ont poursuivis pour dumping. Les exploitants canadiens de parcs d'engraissement du bétail avaient mis le bétail dans leur parc à un certain prix, et les conditions du marché leur ont été défavorables. Ils avaient là une marchandise qui devait être vendue—une marchandise périssable, si vous voulez—et puisque les prix avaient chuté dans l'intervalle, ils devaient vendre en dessous de leur prix de revient.

Je suis sûr que ça peut se produire aussi dans d'autres secteurs.

M. Roger Ware: Bien évidemment. Vous avez tout à fait raison. La vente de stock périssable est un excellent exemple de vente au-dessous du prix de revient qui constitue une pratique commerciale légitime. C'est pourquoi ce genre de choses est si difficile à déterminer.

Considérez, par exemple, le cas des compagnies aériennes, qui ne manque pas de présenter un certain intérêt. Il n'est pas impossible, ne serait-ce que d'enquêter, au sujet des graves allégations faites à l'encontre des compagnies aériennes, auxquelles on reproche leurs prix abusifs. Lorsqu'on voit l'augmentation de capacité sur certains trajets et les prix pratiqués par rapport aux coûts, il est possible d'en arriver à la conclusion qu'une entreprise jouissant d'une position dominante exerce un certain nombre d'activités visant à sortir du marché un concurrent.

M. Charlie Penson: Lorsque Canadien s'est débattue pendant dix ans en exerçant ses activités au-dessous de son prix de revient puisqu'elle perdait de l'argent, est-ce qu'elle pratiquait des prix abusifs?

M. Roger Ware: Non, en fait. Je ne pense pas qu'elle vendait ses billets au-dessous de leur prix de revient, même si elle perdait de l'argent. L'élément de coût qui est jugé suffisant est celui qui correspond aux coûts variables. Par conséquent, je ne pense pas que Canadien ait vendu pendant très longtemps ses billets à un prix inférieur à ses coûts variables.

Bien entendu, lorsqu'une entreprise est en train de faire faillite, il est possible alors qu'elle vende au-dessous de son prix de revient, mais on ne peut parler dans ce cas de prix abusifs.

M. Charlie Penson: Le marché va se charger de régler la question.

M. Roger Ware: Oui, le marché va s'en charger.

M. Charlie Penson: Très bien.

La présidente: Merci, monsieur Penson.

La parole est à M. McTeague.

M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Merci, madame la présidente.

Merci, professeur Ware, d'être venu ici ce matin. Je m'en tiendrai à deux questions que vous avez évoquées: les prix abusifs et les dispositions visant à faire cesser certaines activités, qui nous préoccupent.

Richard Parker, le directeur adjoint du ministère de la Justice des États-Unis, a déclaré à un certain nombre de reprises que l'élimination de certains concurrents revenait en fait à étouffer ou à supprimer la concurrence en général. Je paraphrase bien entendu ce qu'il a dit.

• 1005

Je relève avec intérêt vos préoccupations au sujet de l'efficacité. Si ce dont on parle en fait au Canada, étant donné la nature très intensive de la plupart de nos marchés importants... Vous avez mentionné les compagnies aériennes. Je mentionnerai les secteurs de l'essence, de l'épicerie et bien d'autres encore. Comment utiliser l'argument de l'efficacité et s'en servir de levier comparativement à ce qui se passe aux États-Unis, où la lutte contre les prix abusifs ne pose pas de problème? Lorsqu'on juge que Microsoft pratique des prix abusifs, on n'a aucune difficulté à laisser de côté l'argument de l'efficacité, que l'on considère là-bas comme assez dérisoire, pour s'attaquer à un monopole dont les prix sont abusifs.

J'aimerais savoir comment cela pourrait se passer alors au Canada si l'on passait, comme vous l'avez proposé, à des recours civils qui, aux yeux de la plupart d'entre nous, n'ont pas d'application générale, n'ont pas valeur d'exemple, mais règlent plutôt les problèmes au coup par coup. Êtes-vous préoccupé par le manque de compréhension des prix abusifs et par le fait qu'ils ne permettent pas d'obtenir au Canada ce que l'on peut très bien faire aux États-Unis?

M. Roger Ware: Pour commencer, je suis parti ici de deux orientations, mais je suis en faveur d'une répression plus ferme sur toute cette question des prix abusifs.

Comme je l'ai dit dans mon exposé, le manque de répression ne vient pas, je le répète, d'un laxisme de la loi; il vient du fait que le Bureau de la concurrence a choisi de ne pas poursuivre dans les affaires de prix abusifs. Je pense qu'il aurait pu intenter des poursuites dans certains cas et qu'il aurait probablement obtenu gain de cause, mais il ne l'a pas fait. Je ne suis pas contre la répression des prix abusifs.

M. Dan McTeague: Cette question m'intéresse parce que vous avez fait remarquer qu'il y avait 20 ans que nous nous étions penchés sur les deux affaires en cause. Il s'agit bien entendu des affaires Consumers Glass et Hoffmann-La Roche.

Nozick, l'un de nos collègues, qui est à la fois économiste et juriste, a indiqué que cet article ne visait pas à réprimer les baisses de prix pratiquées par un des deux concurrents en vue de conserver ou d'obtenir une part d'un marché non élastique dans la mesure où cette baisse de prix visait à réduire ses pertes, même si elle avait pour effet de sortir l'autre concurrent du marché.

Estimez-vous que même si l'on se référait à l'abus de position dominante, il faudrait encore démontrer, la charge de la preuve étant assez lourde, que le prix doit être anormalement faible, qu'il faut que ce soit une politique délibérée et qu'elle ait un effet pernicieux sur un concurrent ou l'ensemble de la concurrence? Continuez-vous à penser que l'obstacle représenté par la nécessité d'apporter toutes ces preuves est pratiquement impossible à surmonter et que, par conséquent, il devient inutile de faire relever ce genre d'affaires des dispositions ayant trait à l'abus de position dominante?

M. Roger Ware: Non, en fait. Je ne pense pas que nous ayons une preuve quelconque. Je veux dire par là que le problème, c'est que nous n'avons absolument aucune preuve. Nous n'en savons rien. Je soutiens que ce n'est pas possible, qu'il se peut très bien que le tribunal, sur une requête présentée au titre de l'article 79, conclut dans une affaire à l'existence de prix abusifs. Il est certain que dans l'affaire NutraSweet, qui a d'ailleurs été jugée il n'y a pas si longtemps, le tribunal a sérieusement envisagé de conclure à l'existence de prix abusifs.

M. Dan McTeague: Pour ce qui est de l'obligation de cesser certaines activités, vous vous êtes montré préoccupé par le fait que l'on pourrait évincer un concurrent. Je pense que vous avez dit que cela était contraire aux règles de fonctionnement de notre justice. Je pense que c'est ce que vous avez dit. Cela m'a intrigué étant donné le manque de jurisprudence qui est le nôtre dans un certain nombre de domaines qui seraient considérés autrement comme des activités criminelles.

Vous vous êtes dit préoccupés par le préjudice causé aux entreprises dans ce cadre, même si les dispositions proposées par le projet de loi C-26, et plus largement dans ma proposition de loi C-472, auraient éventuellement un effet sur le bon fonctionnement de la justice... Je pense que c'est là où vous vouliez en venir.

Que dire des petites entreprises qui sont écartées, dont les marges sont peut-être de un ou de deux pour cent, pour lesquelles l'application d'une politique de prix abusifs—appelez la chose comme vous le voudrez—pendant deux semaines, peut très bien signifier la faillite dans l'espace d'une quinzaine ou d'un mois étant donné les courtes échéances qui s'appliquent aux crédits, les circonstances et les conditions très dures qui règnent au sein d'une économie concurrentielle? Ne pensez-vous pas que les dommages et que le préjudice causés si l'on ne conférait pas ces pouvoirs au bureau pourraient en fait écarter du marché des concurrents efficaces?

• 1010

M. Roger Ware: Disons que je considère quant à moi que la Loi sur la concurrence a principalement pour but de protéger la concurrence et, je vous le répète, une fois que l'on s'est doté d'un cadre d'application effectif—par les voies normales, c'est-à-dire soit par l'entremise des tribunaux, soit au moyen de l'article 50—une fois que le cadre ou que les incitations sont en place, il faut alors s'en tenir au fait que la loi empêchera ceux qui pratiquent des prix abusifs d'écarter les petites entreprises.

Il est possible, bien sûr, que certaines petites entreprises soient, comme vous le dites, écartées du marché. C'est bien possible, je ne nie pas cette possibilité. Toutefois, je considère que le risque de s'opposer, si vous voulez, au cours normal de la justice, est plus grand que les avantages tirés de la protection de quelques concurrents.

Ce qu'il nous faut ici, c'est chercher à disposer d'un bon cadre. Si notre cadre est bon, nous pouvons espérer dans une large mesure éviter cette situation puisque, si je peux m'exprimer d'une autre manière, si la loi finit par vous rattraper, il y a alors une dissuasion. C'est le principe même de notre système judiciaire, à mon avis. Il faut que l'on soit dissuadé de pratiquer des prix abusifs.

M. Dan McTeague: Je m'inquiète aussi, je pense, de la volonté de rendre justice aux petites entreprises, comme vous pouvez parfaitement le comprendre. Dans presque tous les domaines, notre comité a passé en revue un certain nombre d'affaires—et il le fera plus longuement au cours des prochains mois, lors de la session d'automne—dans lesquelles des entreprises sont venues dire à notre comité que le Bureau de la concurrence était incapable de régler les problèmes et même d'en apprécier l'ampleur, ce qui fait que des concurrents efficaces étaient écartés.

Ce que nous voulons, je pense, c'est nous assurer que nous renforçons effectivement la concurrence et que l'on donne à des concurrents très efficaces les moyens d'intervenir. C'est pourquoi ma question s'appuie en fait sur ce que je sais, par exemple, de l'industrie de l'essence, où un certain nombre de petits concurrents ayant une exploitation plus efficace, des marges plus faibles, qui pouvaient être rentables ou rester financement viables avec des marges plus faibles que leur fournisseur à intégration verticale, se sont vu régulièrement écartés d'un certain nombre de marchés dans tout le Canada par le fait que leurs différents fournisseurs vendaient au-dessous de leur prix de revient.

Dans bien des cas, il n'a pas été nécessaire de faire durer cette pratique bien longtemps mais, bien entendu, au moment où le bureau a pu obtenir une ordonnance et où le tribunal a été saisi de la question, le mal était déjà fait. C'est ainsi, par exemple, professeur Ware, que les marges au détail dans la région de Toronto sont maintenant de l'ordre de 7c. le litre alors qu'elles étaient d'environ 2c. le litre il y a deux ans.

Qu'en pense un économiste? Nous avons les écoles de Chicago et d'Harvard, qui cherchent à examiner les succès que l'on peut obtenir en pratiquant des prix abusifs. En règle générale, les prix remontent ensuite—une fois que l'opération a réussi. N'est-il pas possible, cependant, que celui qui pratique avec intelligence et succès des prix abusifs, se réclamant d'un nouveau réalisme économique, évite en fait d'augmenter ensuite les prix, mais se contente d'avoir un plus grand marché une fois que cette pratique a réussi, notamment dans une structure caractérisée par une intégration verticale?

M. Roger Ware: En fait, ce sont toujours les barrières s'opposant à l'entrée sur le marché qui jouent un rôle clé. Ce sont elles qui empêchent le retour des petites entreprises ou d'autres sociétés une fois que les prix abusifs ont cessé.

L'un des éléments essentiels de la répression moderne des prix abusifs—aux États-Unis du moins, où il existe effectivement une certaine jurisprudence en la matière... Je pense qu'il y a deux choses. Il s'agit tout d'abord d'établir qu'il y a des barrières qui font obstacle à l'entrée sur le marché, de sorte qu'il est tout simplement impossible que s'installent constamment de nouveaux arrivants, même si certains concurrents sont éliminés. En second lieu, il y a le principe du recouvrement des coûts, qui fait qu'aucune entreprise ne va pratiquer des prix abusifs si elle ne s'attend pas à jouir d'un monopole pendant une certaine période ou à en retirer les bénéfices après avoir pratiqué pendant un certain temps des prix abusifs.

Il faut donc généralement considérer ces deux facteurs, et ce n'est qu'à ce moment-là que l'on peut conclure qu'il y a eu véritablement une politique de prix abusifs.

M. Dan McTeague: Avez-vous constaté que...

La présidente: Une dernière question, monsieur McTeague.

M. Dan McTeague: Merci, madame la présidente.

Professeur, est-ce que vous-même ou quelqu'un d'autre au sein de votre département a fait des études au sujet de l'industrie de l'essence depuis 1996, région par région, par exemple, sans se contenter des chiffres fournis par l'industrie pétrolière, pour examiner ces marges et le fait qu'il n'y a pas eu de nouveaux arrivants sur le marché?

M. Roger Ware: Non, je ne l'ai pas fait. Je ne connais pas d'études de ce genre.

M. Dan McTeague: Bien. Je vous remercie.

La présidente: Merci, monsieur McTeague.

• 1015

[Français]

Monsieur Dubé, s'il vous plaît.

M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): Je n'ai pas eu le temps de lire tout votre article, mais je sais que vous y parlez beaucoup de l'abus de dominance. Je comprends bien ce que vous voulez dire par abus de dominance et je comprends la loi aussi, mais il y a un aspect dont on ne parle pas beaucoup, et c'est l'intégration verticale.

Je vais prendre un exemple du domaine agroalimentaire: la viande de porc. On constate qu'il est encore possible pour les producteurs et les éleveurs d'être à la fois propriétaires de terres agricoles, producteurs et vendeurs de moulées et d'avoir le contrôle là-dessus et, en même temps, de contrôler un abattoir. Vous savez ce qu'est l'intégration. Pourtant, que je sache, on ne parle pas d'intégration verticale dans la Loi sur la concurrence.

Est-ce qu'on peut alors parler de concurrence? N'est-ce pas là une pratique qu'on devrait chercher à encadrer davantage? Je parle de ce domaine-là, mais on pourrait aussi parler du raffineur qui contrôle les points de vente d'essence. N'est-ce pas là une pratique qu'on devrait tenter de restreindre au nom de la concurrence et de l'efficacité?

[Traduction]

M. Roger Ware: On considère généralement d'un point de vue économique que lorsqu'on n'a pas de raison de penser le contraire, l'intégration verticale a lieu généralement pour des raisons d'efficacité. Prenez l'exemple que vous avez avancé au sujet du bétail. Nous pouvons penser aussi à l'industrie pétrolière. On procède généralement à une intégration verticale parce qu'il est plus efficace d'associer les différents stades de la production au sein d'une même entreprise. Dans la mesure, évidemment, où il en est bien ainsi, c'est quelque chose que notre société doit encourager.

• 1020

Le seul risque de l'intégration verticale sur le plan de la concurrence, c'est qu'elle se fasse pour des raisons stratégiques et contraires à la concurrence, pour essayer d'écarter des concurrents. Nous pouvons prendre l'exemple des stations d'essence indépendantes de M. McTeague, qui peuvent être écartées par l'intégration verticale.

Même si la Loi sur la concurrence ne mentionne pas expressément l'intégration verticale, ces pratiques peuvent être examinées en vertu de l'article 79, à titre de pratiques d'agissements anticoncurrentiels. Lorsque l'on estime que des pressions ont été exercées sur un fournisseur pour essayer de l'exclure du marché, il est tout à fait possible d'intenter des poursuites aux termes de l'article 79. Il est également possible d'utiliser l'article 75, refus de vendre, lorsqu'une entreprise située en aval dans le processus éprouve des difficultés à s'approvisionner auprès d'un producteur en amont qui est lui-même intégré verticalement. Lorsque ces pratiques comportent un élément anticoncurrentiel, elles sont effectivement visées par la loi.

Là encore, c'est une question d'application de la loi. Pensons-nous que le gouvernement a été suffisamment vigilant dans ce domaine? Je donnerais sans doute une réponse neutre à cette question. Comme je l'ai dit au début, je pense qu'en général, l'intégration verticale se justifie la plupart du temps pour des raisons d'efficacité.

[Français]

M. Antoine Dubé: Je suis député depuis sept ans et, à ma connaissance, seulement deux cas ont été soumis au tribunal et à chaque fois, ça ne s'est pas rendu là. Dans un cas de refus de vente—je me souviens très bien de l'entreprise—il avait fallu un an et demi avant d'obtenir une réponse et, finalement, l'entreprise en question a fait faillite et, comme elle a fait faillite, la fenêtre est tombée. Vous parlez du nombre de cas. Je ne sais pas s'il y a plusieurs plaintes qui tombent ainsi en raison du délai. Comment peut-on faire pour réduire ce délai et pour rendre cela plus efficace, afin que les gens qui se plaignent d'une situation, sans nécessairement avoir gain de cause, puissent au moins avoir le droit de faire examiner leurs plaintes?

[Traduction]

M. Roger Ware: Je pense que les suggestions qui ont été faites devraient aider à corriger cela. Bien sûr, la solution la plus efficace serait d'accorder le droit d'intenter des poursuites privées. Si l'entreprise à qui l'on a refusé de vendre pouvait déclencher elle-même une poursuite devant le Tribunal de la concurrence, cela devrait raccourcir sensiblement le temps que cette entreprise devrait attendre pour obtenir un redressement. Je suis favorable à cette suggestion. Ce serait un pas dans la bonne direction.

Cela ne veut pas dire nécessairement que cette entreprise va obtenir gain de cause. Elle ne va pas toujours obtenir une décision favorable du tribunal mais au moins elle aura pu lui soumettre l'affaire. L'affaire sera entendue assez rapidement, en plus.

[Français]

M. Antoine Dubé: J'avoue ne pas être un expert en la matière. Étant donné que peu de cas m'ont été présentés dans mon comté, je m'en suis moins soucié que d'autres aspects, mais est-il possible de tenter un recours collectif? Souvent, ce sont de très petites entreprises qui n'ont pas les moyens d'attendre, mais qui sont toutes aux prises avec une même grande entreprise. Peut-être cela existe-t-il. Si cela n'existe pas, est-ce que ce serait un bon moyen?

[Traduction]

M. Roger Ware: Ce n'est pas là un de mes domaines de spécialisation mais la réponse est oui. D'après ce que je sais, rien n'empêche plusieurs entreprises d'intenter une action commune, soit dans le cadre existant soit en intentant un recours collectif.

• 1025

Là encore, je ne suis pas un avocat, je suis un économiste mais il existe des recours collectifs qui peuvent corriger en partie ce genre de situation.

M. Antoine Dubé: Merci.

La présidente: Merci, et merci beaucoup, monsieur Dubé.

Monsieur Ware, vous avez mentionné dans vos remarques préliminaires que l'on devrait donner aux personnes privées qui sont lésées par un comportement anticoncurrentiel le droit de saisir les tribunaux. L'un de nos témoins précédents, le professeur Michael Trebilcock, a déclaré officiellement qu'il était favorable au principe voulant qu'un demandeur puisse obtenir à tout le moins des dommages compensatoires. D'autres témoins que nous avons entendus sur ce même sujet semblent penser que ce genre de poursuites en responsabilité risquerait de se multiplier.

Je me demande si vous avez un commentaire à faire sur ce point?

M. Roger Ware: C'est une question intéressante. Je ne peux pas dire que j'y ai beaucoup réfléchi. Cependant, les économistes pensent que les gens réagissent aux mesures incitatives, de sorte que plus les dispositions relatives aux dommages-intérêts seront généreuses, si c'est bien ce que nous décidons de faire, plus elles seront utilisées. Les États-Unis accordent des dommages-intérêts multipliés par trois et il est vrai qu'un nombre considérable de poursuites sont intentées dans ce pays en vertu des lois antitrust.

Je dirais qu'il est souhaitable de prévoir une certaine forme d'indemnisation. Quelqu'un a déclaré ici que ces poursuites étaient très coûteuses pour toutes les parties, et que, même lorsqu'il y a un droit de poursuite privée sans dommages et intérêts, les parties hésitent parfois à intenter ce genre de poursuite, à cause de l'absence de dommages et intérêts. Mais je ne suis pas favorable à l'attribution de dommages et intérêts multipliés par trois.

La présidente: Très bien.

Vous avez également parlé dans vos remarques préliminaires du fait que les agents principaux qui travaillent dans votre bureau sont peut-être moins interventionnistes que dans d'autres pays et je sais que d'autres s'interrogent sur ce qui se fait. Nous avons également entendu un témoin, le professeur Ralph Winter, et plusieurs autres économistes qui ont affirmé que les pratiques prédatoires étaient rares et qu'elles n'étaient utilisées que dans des situations commerciales bien précises.

Avez-vous une opinion différente sur ce sujet?

M. Roger Ware: Non, je pense que les pratiques prédatoires sont... Eh bien, je n'utiliserais peut-être pas le mot «rares». Je dirais que les pratiques prédatoires sont rares mais qu'elles existent. Je crois que nous avons les moyens de lutter efficacement contre ce genre de pratique. Comme je l'ai dit, je ne pense pas que cela ait été fait.

Je remplacerais donc «rares» par «peu courantes mais pas communes».

La présidente: Très bien.

Monsieur McTeague, je crois que vous voulez poser une brève question.

M. Dan McTeague: Très brève, madame la présidente.

Vous nous enverrez votre réponse plus tard, si vous le voulez. J'examine les lignes directrices pour l'application de la loi sur les prix d'éviction. Nous savons qu'elles ne s'appliquent pas à la vente de services mais j'aimerais bien savoir si elles s'appliquent à ceux qui achètent des biens.

Bien sûr, vous comprenez peut-être pourquoi le comité s'intéresse aux frais de présentation. Je me demandais si vous pouviez me donner votre point de vue ou nous fournir des commentaires sur les frais de présentation et les lacunes de l'article 50 et si l'on pourrait remédier à ces lacunes en parlant plutôt d'abus de position dominante, qui peut donner lieu à une poursuite civile.

M. Roger Ware: Lorsque vous parlez de «frais de présentation», de quoi parlez-vous exactement?

M. Dan McTeague: Des frais d'étalage—on demande aux supermarchés ou aux fabricants de verser une certaine somme pour qu'un produit soit placé sur les étagères.

Je veux en fait parler d'oligopsone ou de monopsone plutôt que d'oligopole ou de monopole. Je ne veux pas jouer sur les mots mais je pense que les économistes connaissent cette distinction. La loi ne vise pas cette situation.

M. Roger Ware: Oui.

Je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas l'être. Là encore, j'hésite beaucoup à affirmer que la discrimination sur les prix est, d'une façon générale, anticoncurrentielle, parce que bien souvent, elle favorise la concurrence mais je ne vois aucune raison, absolument aucune, pour laquelle ces dispositions ne pourraient s'appliquer du côté de l'acheteur, tout comme sur celui du vendeur.

La présidente: Professeur Ware, nous vous remercions beaucoup d'être venu ici ce matin. Je ne sais pas si vous voulez faire un dernier commentaire avant de prendre congé.

• 1030

M. Roger Ware: Non, j'aimerais simplement vous remercier de m'avoir invité.

La présidente: Merci.

Nous allons suspendre la séance pour permettre aux témoins suivants de s'installer. Nous allons entendre un autre groupe de témoins.

Je vais demander aux membres du comité de ne pas trop s'éloigner parce que nous allons reprendre très rapidement.

• 1031




• 1035

La présidente: La séance est ouverte. Nous sommes très heureux de souhaiter la bienvenue à notre groupe de témoins suivant. Nous allons entendre aujourd'hui Mme Gail Lem, vice-présidente nationale des médias du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier ainsi que Mike Bocking et André Foucault. Nous allons également entendre M. Alan Tate, le représentant international du Syndicat international des communications graphiques.

Je vais donc m'arrêter là et donner la parole aux représentants de ces groupes qui vont présenter leurs remarques préliminaires. Chaque groupe va présenter ses remarques et nous passerons ensuite aux questions.

Nous allons commencer avec le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier. Je crois que c'est Mme Lem qui va prendre la parole.

Mme Gail Lem (vice-présidente nationale pour les médias, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier): Oui, merci. En fait, nous avons préparé un mémoire conjoint qui vous a été remis. Je me propose de l'examiner avec vous et de demander ensuite à mes collègues s'ils veulent intervenir. Cela vous convient-il?

La présidente: Tout à fait, pourvu que nous ayons le temps de procéder ainsi. Je vous invite à présenter vos remarques préliminaires. Je pensais qu'on avait dit à tout le monde que ces remarques devaient prendre environ 10 minutes. Nous avons donc en tout 20 minutes pour entendre vos remarques. Je ne sais pas si nous réussirons à le faire en 20 minutes mais je vous invite à commencer.

Mme Gail Lem: Très bien. Je vais donc commencer. Vous allez voir dans l'introduction que je présente notre groupe et que j'explique un peu, à la page 2, qui nous sommes, tant le SCEP que SICG. Vous trouverez donc là un certain nombre de renseignements.

J'aimerais vous dire au nom du SCEP que nous représentons les journalistes et d'autres membres du personnel de rédaction de journaux qui comptent parmi les plus importants au Canada, comme le Globe and Mail, le Toronto Star, le Vancouver Sun et Province, et des journaux beaucoup moins importants. Nous représentons, outre les journalistes, le personnel des autres services des journaux.

Le Syndicat international des communications graphiques représentait au départ les employés de la salle de rédaction mais c'est maintenant un syndicat industriel qui représente les différentes catégories de personnes qui travaillent dans le secteur de la presse écrite.

Presque tous ceux et celles qui sont ici aujourd'hui ont travaillé dans les médias. J'ai été journaliste pour le Report on Business Magazine du Globe and Mail pendant 15 ans; mes collègues ont déjà également travaillé pour la presse écrite.

Nous savons que votre comité a pour mandat d'examiner les répercussions de la vente des actifs de Thomson Corporation, à l'exception du Globe and Mail, et que cet examen porte uniquement sur la Loi sur la concurrence.

Il faut dire dès le départ que nous appuyons la conclusion à laquelle est arrivée la Commission Kent en 1981 selon laquelle les lois sur la concurrence ne fournissent peut-être pas le meilleur cadre pour réglementer la propriété des journaux. En fait, les lois actuelles n'ont pas permis de le faire.

Les médias d'information ne sont pas un secteur d'affaires comme les autres. Leur produit a une puissante influence sur les orientations politiques, sociales et économiques. Cela demeure vrai malgré les efforts déployés ces dernières années par les propriétaires de médias et les éditeurs de journaux pour prendre leur distance par rapport à cette influence, peut-être afin de justifier leur recherche du profit au détriment de la qualité du journalisme.

Les médias continuent de se présenter comme les défenseurs vigilants de l'intérêt public. En fait, les médias ont un effet considérable sur notre société. La concentration très forte de la propriété des entreprises médiatiques a parfois des conséquences pour les annonceurs.

La Loi sur la concurrence vise surtout les aspects commerciaux. On ne retrouve dans aucune démocratie occidentale libérale une concentration aussi élevée qu'au Canada dans ce secteur. Cela a des conséquences très graves pour les journalistes, pour les employés, pour les lecteurs et pour la démocratie.

• 1040

Dans notre mémoire, nous recommandons que certaines dispositions de la Loi sur la concurrence soient modifiées pour qu'elles puissent réglementer plus efficacement la propriété de type monopolistique, un aspect essentiel. Étant donné que la portée de cette audience est limitée, nous allons également recommander au comité de proposer que le Comité du patrimoine procède à un examen plus complet de la propriété des médias.

Près de 90 p. 100 des quotidiens canadiens sont contrôlés par quelques grandes chaînes de journaux. Il ne reste qu'une poignée de journaux indépendants et il ne reste que quelques villes canadiennes où s'exerce une concurrence entre des quotidiens de langue anglaise ou française. Cela contraste nettement avec la situation qui existait en 1970, quand le Comité Davey sur les moyens de communication de masse indiquait que les quotidiens indépendants représentaient environ 40 p. 100 du tirage des journaux de langue anglaise et 50 p. 100 de celui des journaux de langue française.

Aujourd'hui, les journaux indépendants représentent moins de quatre pour cent du tirage des quotidiens de langue anglaise et la chaîne Hollinger de Conrad Black contrôle à elle seule 45,4 p. 100 de ces quotidiens, ce qui signifie que près de la moitié des lecteurs et des lectrices de quotidiens au Canada reçoivent leur information de la même source. Trois autres grandes chaînes, soit Québécor Inc., Torstar Corp. et Thomson Corp., contrôlent les 50 p. 100 qu'il reste du tirage des quotidiens de langue anglaise. La situation est semblable sur le marché de langue française car Québécor contrôle près de 45 p. 100 du tirage des quotidiens.

À l'échelle régionale, il y a des monopoles aberrants. Dans quatre provinces, un seul propriétaire contrôle toute l'industrie des quotidiens, la famille Irving au Nouveau-Brunswick, Hollinger dans l'Île-du-Prince-Édouard, à Terre-Neuve et en Saskatchewan.

La situation n'est guère différente au niveau local. Dans l'important marché métropolitain de Toronto, il y a quatre quotidiens de langue anglaise, ce qui fait de cette ville l'une des plus dynamiques d'Amérique du Nord sur le plan de la presse écrite. À Montréal, il y a trois quotidiens de langue française et un quotidien de langue anglaise. Mais en dehors de ces grands centres, il n'y a que quelques villes où il y ait vraiment de la concurrence. À part ces sept ou huit villes, les grandes chaînes de journaux ont tout simplement supprimé la concurrence. Elles se sont racheté des journaux ou ont cessé d'en publier.

Vancouver est le pire exemple, je ne sais pas si je ne devrais pas dire le meilleur exemple, de l'absence de lois pouvant empêcher la croissance débridée des monopoles journalistiques. C'est la troisième ville en importance du Canada et les deux quotidiens appartiennent à Hollinger. En fait, la Colombie-Britannique entière est un quasi-monopole puisque Hollinger y contrôle 95 p. 100 du marché des quotidiens. Je sais que mon collègue, Mike Bocking, va vous en parler, parce qu'il vit quotidiennement cette situation.

L'expansion des chaînes a également influencé les journaux communautaires. C'est un aspect dont on ne parle pas beaucoup mais les journaux communautaires appartiennent à Hollinger ou à des filiales d'Hollinger et aux autres grandes chaînes.

Je voudrais dire quelques mots de l'effet que cette situation a sur les journalistes de notre syndicat. Si vous parlez à un journaliste, vous risquez de découvrir qu'il s'inquiète en silence de l'état du journalisme au Canada ainsi que de l'intégrité et de la qualité de son métier. Toutes ces craintes ont été multipliées par 1 000 à cause du climat de monopole que l'on retrouve dans les journaux. Les journalistes parlent de la réduction brutale qu'a connue le contenu des journaux. La gamme des articles dignes d'être publiés est de plus en plus restreinte. Les ressources consacrées au journalisme d'enquête ont pratiquement disparues.

Lorsque de grandes chaînes de journaux rachètent des journaux, et en particulier quand elles en achètent un grand nombre à la fois, la première chose qui se produit habituellement est que l'on congédie des journalistes. Les 173 congédiements qui ont suivi la prise de contrôle du Leader Post de Regina et du Star Phoenix de Saskatoon par Conrad Black constituent peut-être l'exemple le plus frappant de cette attitude mais ce n'est pas un cas exceptionnel. La même chose s'est produite partout, même dans les journaux à faible tirage. Je donne comme exemple dans le mémoire le Review de Niagara Falls qui avait déjà un personnel très réduit, ce qui n'a pas empêché qu'un tiers des journalistes aient été congédiés immédiatement après la prise de contrôle par Hollinger. Il faut examiner les répercussions d'une telle situation, tout d'abord, en comprendre les raisons et deuxièmement, les répercussions.

• 1045

Cela s'explique pour plusieurs raisons. Une des principales raisons est que les grandes chaînes de journaux ont tendance à réduire leurs frais de salle de nouvelles et à maximiser leurs bénéfices en partageant la copie entre leurs journaux. Cela est particulièrement évident dans le cas de la chaîne Hollinger. Les journaux qui autrefois envoyaient leur propre reporter couvrir les nouvelles sur la Colline parlementaire ou dans les législatures mettent maintenant leurs ressources en commun. On retrouve les mêmes chroniques et les mêmes éditoriaux dans tous les journaux de la chaîne.

La réalité est que la réduction du nombre de propriétaires de journaux s'est traduite par une diminution du nombre de journalistes et des ressources des salles de nouvelles. Cela a un effet sur la qualité des nouvelles et de l'information que reçoit le public.

Pendant les années 90, il me paraît important de comprendre l'évolution de la situation du point de vue des journalistes, c'est pourquoi je fais ce commentaire, un nombre grandissant de journalistes se sont syndiqués non pas comme on le fait habituellement pour des questions salariales mais pour tenter de protéger la qualité et l'intégrité de leur métier. J'ai déjà donné certains exemples. Le London Free Press, le Kitchener-Waterloo Record et le St. Catharines Standard sont les journaux qui me viennent à l'esprit lorsque l'on parle des journalistes qui ont déclaré que la protection de l'intégrité journalistique était la principale raison pour laquelle ils cherchaient à se syndiquer.

Aujourd'hui, au Calgary Herald, qui appartient aussi à Conrad Black, plus de 100 journalistes font la grève depuis plus de six mois pour conclure une première convention collective. C'est le journal où est apparue l'expression «la révision qui tue» et où les journalistes recevaient parfois des affectations marquées FOK, pour «friend of King», un ami de Ken, l'ancien éditeur; l'éditeur indiquait ainsi aux journalistes qu'il fallait écrire un article gentil et ne pas faire de vagues en étant trop critique.

La principale question qui se négocie actuellement, la principale raison à l'origine du litige prolongé qui nous oppose au Calgary Herald, est la protection des journalistes contre les sanctions disciplinaires ou les renvois arbitraires lorsqu'ils défendent les principes journalistiques. Quand on regarde la situation de la propriété des journaux au Canada, on se demande si la carrière de ces journalistes n'est pas terminée. Ils ont défendu l'intégrité du journalisme mais où pourront-ils travailler? Vont-ils pouvoir travailler dans l'un des quelque 100 autres journaux qui appartiennent à Conrad Black? Cela est peu probable.

J'ai consacré une partie du mémoire à parler du cas particulier de Winnipeg, parce que l'un des cinq journaux de Thomson qui sont à vendre est le Winnipeg Free Press. Ce journal est publié dans une des rares villes canadiennes où des quotidiens se font la concurrence. Le Winnipeg Free Press est à vendre. Le Winnipeg Sun appartient à Québécor. Il est passé aux mains de la filiale Sun Media lorsque Québécor a racheté cette entreprise.

J'ai présenté ces commentaires à titre d'exemple. Cela représente très bien ce qui se passe lorsque les journaux appartiennent à un monopole. On constate que les gens de Winnipeg ne dirigent plus le journal. Les gens du Calgary Sun ont été parachutés, tout comme l'ont été les opinions du Calgary Sun et du Toronto Sun. Presque toutes les chroniques éditoriales du Winnipeg Sun viennent d'autres journaux.

J'ai donné quelques indications sur ce qui se passe dans ce journal et j'ai donné quelques exemples du service des loisirs. L'on constate même qu'à part les chroniques éditoriales, les nouvelles de Calgary et de Toronto éclipsent celles de Winnipeg. L'été dernier, par exemple, il y a eu une petite tornade à Toronto. C'était une nouvelle mineure de la section nationale du Winnipeg Free Press mais elle a fait la première page du Winnipeg Sun. On pourrait pardonner à la population de Winnipeg de penser qu'il ne s'agissait que d'un autre vent de malheur venu du centre de l'univers.

Et maintenant le Winnipeg Free Press est à vendre. Qui désire l'acheter? Québécor qui possède déjà le Winnipeg Sun. Hollinger étant l'autre principal intéressé, la concentration de la propriété risque d'augmenter si ce journal est acheté par l'une ou l'autre de ces deux grandes entreprises.

• 1050

Je parle un peu, et j'espère que vous lirez ce mémoire, des ressources financières ou plutôt de leur absence, au Winnipeg Free Press et du fait que cela compromet la qualité du journalisme pratiqué par ce journal.

Lorsque Thomson a mis en vente ce journal, plusieurs organisations communautaires de la ville de Winnipeg et nos deux syndicats ont indiqué qu'ils étaient intéressés à acheter le Winnipeg Free Press. Nous avons finalement fait une offre pour l'achat des cinq journaux Thomson à vendre. Notre offre a été rejetée. Cela est compréhensible. Nous n'avions pas les moyens d'acheter cinq journaux. Les syndicats auraient pu participer à l'achat d'un journal par son personnel mais Thomson Corp. a insisté pour que l'achat des journaux soit groupé. Je signale ce point parce que je reviendrai dessus lorsque nous passerons aux recommandations dans quelques instants.

Je tiens à aborder la question de la propriété étrangère parce que c'est un aspect dont les médias ont beaucoup parlé dernièrement. Le Toronto Star a publié un article d'une page entière rédigée par le président de Knight-Ridder aux États-Unis qui disait: «Les Canadiens peuvent acheter nos journaux mais le contraire n'est pas vrai. Nous devrions pouvoir acheter les journaux canadiens.» Les éditeurs américains font beaucoup de lobbying pour faire modifier la Loi de l'impôt sur le revenu; comme vous le savez, cette loi empêche pratiquement les éditeurs étrangers d'acheter des journaux canadiens.

En fait, la question la plus critique sur la scène des médias d'information canadiens est celle de la propriété monopolistique et de ses répercussions sur les nouvelles, sur la qualité du journalisme et sur le public canadien. Ce n'est pas en ouvrant l'industrie à la propriété étrangère que nous sortirons de ce dilemme. Le fait d'échanger une chaîne canadienne pour une chaîne américaine n'améliorera en rien la situation mais pourrait même compromettre davantage l'étoffe culturelle du Canada, qui, je crois que nous le savons tous, est déjà mise à rude épreuve. Il y a des Canadiens comme Conrad Black qui ont acheté quelques journaux américains mais ce n'est qu'une goutte d'eau dans la mer si l'on pense au pourcentage de l'industrie canadienne des journaux qui appartiendrait à des sociétés géantes américains comme Gannett ou Knight-Ridder si elles achetaient, par exemple, les actifs d'Hollinger qui sont à vendre aujourd'hui.

Le souci de protéger l'industrie journalistique contre la propriété étrangère n'est pas une idée nouvelle ou radicale; en fait, c'est la norme dans la plupart des pays d'Europe, tout comme il y a des lois qui empêchent les monopoles dans le secteur des journaux.

Le fait que la propriété des journaux canadiens soit concentrée entre quelques personnes ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'acheteurs. Cela signifie simplement que les grandes chaînes disposaient de moyens suffisants pour s'emparer de cette propriété et de l'influence qui l'accompagne. Ce n'est pas parce que personne ne voulait acheter des journaux très rentables. C'est parce qu'il n'y avait pas de loi pour l'empêcher. Un journal familial comme le Kingston Whig-Standard n'est plus que l'ombre de lui-même. C'était un journal de qualité et le premier au Canada à envoyer un journaliste couvrir la guerre en Afghanistan. Des familles comme la famille Davis de Kingston et la famille Burgoyne de St. Catherines, la famille Mott de Kitchener ont constaté qu'elles étaient incapables de concurrencer les grandes chaînes, à cause des économies d'échelle que celles-ci réalisent ou bien elles se sont vues offrir un prix qu'elles n'ont pas pu refuser.

Nous pensons que la solution au dilemme que pose la propriété des journaux au Canada ne consiste pas à confier ces journaux à des étrangers. Elle consiste à casser les monopoles.

Enfin, je voudrais mentionner, je n'ai pas beaucoup consacré de temps à cet aspect, l'apparition de la propriété multimédia. Cela ne concerne pas le domaine des journaux mais BCE vient d'acheter CTV; c'est la première fois qu'un fournisseur de services a pris le contrôle absolu d'un fournisseur de contenu. Cela est une tendance toute nouvelle, qui comporte toutefois de graves risques.

Izzy Asper de CanWest Global Communications Inc. est en train d'acheter la participation de Western dans le domaine de la télévision et a manifesté le désir d'acheter le Winnipeg Free Press. Cela renforcerait la concentration de la propriété sur le marché local de Winnipeg et pose toutes sortes de questions sur les effets de la propriété multimédia. Il faudrait d'abord comprendre les effets que pourrait avoir la concentration de la propriété multimédia avant de l'autoriser.

• 1055

Cela m'amène, tout en respectant mon temps de parole ou à peu près, aux recommandations. Nous en présentons quatre. Je crois que mes collègues vont également vous présenter certaines suggestions.

Voici la première. Pour déterminer si un projet de fusion dans l'industrie des journaux empêche ou réduit la concurrence, le Bureau de la concurrence devrait examiner non seulement les intérêts commerciaux mais également l'intérêt public. Je sais que cela est une proposition inhabituelle. Il faudrait alors tenir compte de l'effet sur la diversité des sources de nouvelles et des informations que ces journaux fournissent à la population canadienne.

Notre deuxième recommandation, qui constitue elle aussi un changement important mais qui se justifie pleinement dans le climat actuel, est que le Bureau de la concurrence tienne compte, dans l'intérêt d'une presse libre et équitable, des répercussions sur les emplois et les ressources des salles de nouvelles, lorsqu'il tente de déterminer si un projet de fusion dans l'industrie des journaux risque de réduire la concurrence.

La troisième recommandation est que le Bureau de la concurrence envisage d'exiger que le vendeur mette en vente ses journaux sur une base individuelle et non en groupe, pour que ces journaux puissent être achetés par d'autres groupes que les grands conglomérats et pour éviter que seules les grandes chaînes puissent les acquérir.

Nous avons la possibilité unique aujourd'hui de pouvoir mettre fin à la situation monopolistique qui règne dans le secteur des journaux, sans avoir à forcer une entreprise à vendre ses actifs.

Il y a en ce moment cinq journaux Thomson et un certain nombre de journaux Hollinger à vendre. Ce sont des journaux rentables. Toute l'industrie, peut-être à l'exception du National Post qui enregistre des pertes, est rentable. La plupart des journaux offrent un taux de rendement qui est habituellement dans les deux chiffres. Je sais, lorsque j'étais journaliste au Globe and Mail que le rendement prévu sur les recettes, et non pas sur le capital, se situait entre 11 et 14 p. 100, et que ce chiffre était un peu bas parce qu'il reflétait un marché très concurrentiel, celui de Toronto.

Les journaux sont des entreprises rentables. Ce ne sont pas des entreprises qui n'intéressent personne. Lorsque les chaînes les achètent, souvent en grand nombre à la fois, pour ensuite les revendre, comme vous le savez, tous les journaux de Hollinger ont été vendus à un seul acheteur, nous préservons le système des monopoles et écartons les acheteurs qui n'ont pas les moyens d'acheter massivement comme le font les grandes chaînes de journaux.

Enfin, et je crois que c'est là une recommandation importante parce que la question de la concentration dans les médias ne touche pas uniquement les journaux, nous retrouvons cette concentration dans le secteur de la télédiffusion, avec les mêmes résultats, ce qui n'est pas très difficile à prévoir. La question de la propriété croisée commence à se poser et le Comité permanent de l'industrie devrait recommander au Comité du patrimoine d'effectuer une étude globale et complète de la propriété des médias. Il conviendrait d'entreprendre cette étude rapidement, pendant que ces journaux sont encore en vente et qu'il est possible de faire quelque chose dans ce domaine.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer aux questions si cela convient à votre groupe, parce qu'il va y avoir des votes assez bizarres ce matin. Je crains fort que nous n'éprouvions certaines difficultés.

Monsieur Penson, vous avez la parole.

M. Charlie Penson: Je remercie le groupe qui est venu ce matin.

Sur la question des journaux sur laquelle vous avez axé la plus grande partie de votre exposé, madame Lem, je me suis dit que les Canadiens avaient accès à des nouvelles et à de l'information provenant de sources très diverses, les journaux étant bien entendu une importante source de nouvelles. Mais ils ont également accès à la télévision, à la radio, aux journaux communautaires, aux journaux hebdomadaires, et le reste. Je me posais des questions sur l'idée d'accorder une telle importance au rôle des journaux, parce que je crois savoir que les Canadiens utilisent de moins en moins les journaux pour s'informer, en particulier avec la convergence à laquelle nous assistons entre l'Internet, la télévision, notamment.

• 1100

Voilà donc un premier aspect. Devrions-nous vraiment nous inquiéter du manque de concurrence dans ce secteur, alors que ce n'est qu'une source parmi d'autres?

L'autre aspect est qu'il y a beaucoup de Canadiens pour qui la seule source d'information télévisée depuis de nombreuses années est la CBC, dans les régions rurales en particulier. Pourrait-on faire le même reproche au monopole exercé par la CBC?

Mme Gail Lem: Je suis heureuse que vous ayez posé cette question et je suis certaine que mes collègues, ou certains d'entre eux au moins, vont vouloir également y répondre. Je dirais d'abord qu'il est vrai qu'il ne faut considérer le secteur des journaux indépendamment des autres médias, et c'est une des raisons pour lesquelles nous avons proposé dans notre mémoire que le Comité du patrimoine, qui est je crois celui qui est en fin de compte chargé de ces questions, effectue un examen plus général de ce qui se passe aujourd'hui dans les médias.

J'aimerais toutefois présenter quelques commentaires. L'Internet n'est pas vraiment une source de nouvelles. C'est une source de nouvelles dans la mesure où l'on peut avoir accès au Globe and Mail en direct ou à CBC en direct, mais il n'y a pas de véritables sources d'information sur l'Internet. On y trouve des sources de données, mais ce sont les journalistes qui présentent ces données sous une forme utilisable par la population. Si vous disposez de beaucoup de temps, vous pouvez vous promener sur l'Internet et trouver toutes sortes de choses, certaines vraies et d'autres non.

M. Charlie Penson: N'est-ce pas la même chose avec les journaux? Les journalistes ne font-ils pas la même chose avec les journaux?

Mme Gail Lem: Les journalistes servent de filtre. Le rôle du journaliste est en fait de filtrer les données et ensuite de décider... Vous êtes responsable envers vos lecteurs et c'est un aspect que la plupart des journalistes prennent très au sérieux. C'est une des raisons pour lesquelles il y a une grève au Calgary Herald. Parfois, très souvent, la plupart du temps peut-être, les éditeurs ou les propriétaires de journaux ne partagent pas le sérieux avec lequel les journalistes accomplissent leur travail. Mais leur rôle consiste essentiellement à filtrer les nouvelles, à vous brosser un tableau de la situation, en évaluer l'importance et, il faut l'espérer, à vous donner une image équilibrée.

Lorsque je travaillais comme journaliste, je parlais toujours du mythe de l'objectivité qu'on nous avait enseigné à la faculté de journalisme et qu'il fallait respecter cette valeur, mais en réalité c'était un mythe. En fait, ce que l'on demande aux journalistes, c'est de fournir une histoire équilibrée, il faut présenter les différents points de vue au lecteur.

Lorsqu'on lit une information sur un site Web, on n'obtient que des données brutes et l'on peut faire tout cela si on le veut. Mais je pense...

M. Charlie Penson: Il y a des gens qui préfèrent ça.

Mme Gail Lem: Il y a des gens qui préfèrent ça, mais la plupart d'entre nous, moi en tout cas, n'ont pas le temps qu'il faut pour trier toutes ces données. Je m'adresse plutôt aux sources qui me paraissent être les plus fiables, et pour moi, du moins, ce sont les nouvelles et l'information. Je suis d'ailleurs loin d'être la seule à le faire, parce que la plupart des gens, du moins ceux qui travaillent, doivent passer au moins huit heures par jour à travailler et nous n'avons pas le temps de faire cela.

En fait, l'Internet... C'est en grande partie un mythe, parce qu'il comporte soit les mêmes sources de nouvelles, je vous le répète, avec le Globe and Mail ou l'Ottawa Citizen en direct, soit on y trouve toutes ces données que vous êtes obligé de trier tout seul.

Sur la question du journalisme électronique, et je vais essayer d'être brève là-dessus, je vais vous donner l'exemple de la région atlantique.

CTV est le premier réseau privé au Canada, n'est-ce pas? CTV n'a pas... à l'extérieur d'Halifax, il n'y a qu'un seul journaliste qui fasse du journalisme électronique dans les provinces de l'Atlantique. J'ai parlé de la concentration de la propriété dans le secteur de la télédiffusion et j'ai dit qu'il était facile de prévoir quels en seraient les effets, qu'ils seraient semblables à ceux que nous avons constatés dans le secteur des journaux, en particulier lorsqu'il s'agit des grands centres urbains.

J'arrive de l'audience du Comité du patrimoine, où M. Rabinovitch, le président de la CBC, exposait un plan en vertu duquel la CBC éliminerait pratiquement tous ses services d'information régionaux. Je ne crois pas que la population veuille d'une Société Radio-Toronto. Si vous suivez l'information à l'extérieur des grands centres de notre pays, vous constaterez que c'est trop souvent ce qui se passe. Les ressources des salles de nouvelles, qu'il s'agisse de journaux, de radio ou de télévision, sont enlevées à ces...

• 1105

M. Charlie Penson: Regroupées.

Mme Gail Lem: Elles sont regroupées et centralisées dans les grandes villes. Cela ne profite pas aux citoyens de tout le pays.

M. Charlie Penson: J'ai une question au sujet de votre première recommandation, quand vous dites que le Bureau de la concurrence devrait tenir compte non seulement de l'intérêt commercial mais aussi de l'intérêt public, quand il examine les projets de fusion.

Je croyais que là était le mandat du Bureau de la concurrence. Il ne protège pas les concurrents, il protège la concurrence. C'est sa mission. C'est ce que les représentants du Bureau nous ont assuré à maintes reprises, comme d'ailleurs bon nombre de témoins. Est-ce que cela ne permet pas de croire que le Bureau protège l'intérêt public, qu'il protège les consommateurs, si vous voulez, quand il assure la libre concurrence?

Mme Gail Lem: Permettez-moi de vous donner un exemple. Il y a deux ou trois ans, après l'acquisition par Hollinger de la chaîne de petits quotidiens Thomson qui était à vendre, le Conseil des Canadiens a contesté pendant la dernière ronde, devant la Cour suprême du Canada, la position du Bureau de la concurrence au sujet de cette transaction. Le Bureau de la concurrence avait en effet décrété qu'il y avait suffisamment de vecteurs pour la publicité et que, par conséquent, la Loi sur la concurrence n'était pas concernée. La question des journaux ne se résume toutefois pas à la question de la publicité. Il s'agit de lecteurs, de consommateurs du produit et non pas simplement de consommateurs de la publicité que contient ce produit.

La Loi sur la concurrence n'aborde pas l'intérêt public. Je me base sur l'hypothèse que les médias ne sont pas un produit comme les autres. Ils ont un effet une influence sur la politique sociale, publique et économique. Il ne s'agit pas que de trucs et de machins.

M. Charlie Penson: Je vois ce que vous voulez dire. Très bien.

La présidente: Merci.

Monsieur McTeague, je vous en prie.

M. Dan McTeague: Je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Je veux poursuivre dans la même veine que M. Penson au sujet des fusions.

Je pense que vous avez soulevé, à la fin, une question très intéressante. Je constate que nombre des lignes directrices sur les fusions et des décisions judiciaires qui ont suivi intéressaient de très près des entreprises comme Southam, en particulier celle de 1992, une transaction que je viens de revoir, quand la préoccupation revêtait véritablement un caractère commercial relativement à la publicité. Je comprends donc ce que vous voulez dire.

Je veux aller encore plus loin sur la question de l'intérêt public. Si la loi vise à protéger l'intérêt public, je crois que cela doit se faire par des moyens commerciaux. La difficulté, à mon avis, quand on parle de fusions, c'est qu'il faut trouver un produit de substitution et, évidemment, examiner tout le concept du marché pertinent.

Quand j'achète du café, comme je l'ai fait ce matin, à Pickering, il y a devant moi quatre ou cinq comptoirs: un rouge, un doré, un bleu et, évidemment, un gris, que vous connaissez sans doute mieux que moi. Pour monsieur tout le monde, il semble y avoir à première vue une concurrence plus que suffisante. Le même examen peut se faire dans le cas des diverses autres formes de communication et des moyens que j'utilise pour m'informer, que ce soit la radio, la télévision et maintenant, bien sûr, l'Internet.

Ne pensez-vous pas qu'il serait difficile... Je veux dire, je comprends vos préoccupations, et j'ai constaté avec intérêt que, comme dans de nombreuses industries du Canada, contrairement à d'autres territoires—les États-Unis par exemple—un des grands conglomérats soulève une question, et tous les autres intervenants se contentent de suivre. Il y a beaucoup de servilité quand il s'agit de traiter la nouvelle. Une bonne partie de ce qui se passe au niveau local n'est jamais signalé dans les médias.

De quelle façon pensez-vous que ces recommandations faciliteront, en quelque sorte, le travail du Bureau de la concurrence, qui doit concilier les intérêts commerciaux et les intérêts culturels—et je crois que c'est ce à quoi vous faisiez allusion—surtout?

Mme Gail Lem: Je sais que Mike veut répondre à cette question.

La présidente: Certainement, allez-y.

M. Mike Bocking (président, Section locale 2000, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier): Au sujet du premier aspect que vous soulevez, ce que monsieur tout le monde verrait en examinant tous ces comptoirs, et moi, qui suis de Vancouver, je comprends exactement ce que vous voulez dire. En sortant de mon bureau, je vois une boîte bleue pour The Province, une boîte jaune pour The Vancouver Sun, une boîte orange ou marron pour le National Post et puis ailleurs, il y a une boîte grise où se trouve le Globe and Mail.

Les trois premiers sont des journaux de Hollinger. Alors évidemment, le citoyen penserait qu'il y a trois journaux et qu'il a le choix, mais ils sont tous la propriété de la même entreprise. Le produit a été différencié pour recouvrir la plus grande part du marché possible, mais aussi pour écarter la concurrence. Ainsi, le Province est un tabloïde parce que si Holliger n'avait pas de tabloïde, la société Sun Media ou quelqu'un d'autre s'installerait sur ce marché. Ce journal a donc été créé pour prévenir la concurrence.

• 1110

Je veux aussi revenir à la question qui a été soulevée par votre collègue au tout début de la discussion, car je crois qu'elle touche le problème de la propriété croisée. À Vancouver, il est déjà trop tard. Tous les journaux de Vancouver appartiennent à une seule personne: Conrad Black. La seule concurrence vient des autres médias, dont la CBC, CTV, les stations de radiodiffusion et peut-être l'Internet d'une certaine façon.

Ce qui se passe maintenant, et le phénomène commence à peine à apparaître avec les mégafusions comme AOL et Time Warner, c'est que la propriété croisée prend de l'ampleur. Même s'il reste très peu de concurrence à Vancouver, il est encore possible d'imaginer que BCE puisse acheter CTV puis, peut-être, les journaux que Hollinger a mis en vente ou les journaux de Thomson.

Il n'est pas inconcevable que la situation empire encore à Vancouver, où non seulement les journaux mais aussi les autres médias, dont les stations de télévision et de radio, etc., pourraient être la propriété d'une grande entreprise. Il pourrait s'agir de BCE; il pourrait s'agir d'un des gros joueurs qui viennent d'arriver sur l'Internet. Les fournisseurs de services Internet cherchent des moyens de produire du contenu. À cette fin, ils pourraient par exemple créer une chaîne ou acheter deux ou trois chaînes.

M. Dan McTeague: S'ils en sont capables.

Je me suis intéressé à la question, parce que nous avons remarqué, certainement de ce côté-ci, que des initiatives que nous avons adoptées dans des secteurs comme l'essence, des initiatives qui se répercutent sur la concurrence, étaient mentionnées dans deux ou trois journaux et qu'un autre gardait un silence assourdissant dans ses pages de nouvelles mais s'y attaquait dans ses éditoriaux. Je n'ai pas besoin de préciser de quel journal il s'agit. Cela permet d'imaginer le pire des scénarios si jamais on en venait à l'uniformité, pour ce qui est non seulement des fournisseurs d'information mais aussi de la pensée. La question est très importante, elle va au-delà du simple intérêt public et touche à la politique publique.

Est-ce que quelqu'un ici s'est déjà trouvé dans la situation du propriétaire de petit journal, par exemple, qui constate que son concurrent, qui comme par hasard est aussi le fournisseur de la pâte à papier et du papier journal, a également une maison d'édition et publie simplement à ses frais ou vend au détail ou même directement à la population, grâce aux petites boîtes, à des prix qui sont inférieurs même au prix d'achat de la pâte et du papier nécessaires à l'impression?

Mme Gail Lem: Nous n'avons pas encore vu de tels types de propriété croisée, nous n'avons pas encore eu de producteurs de matières premières sur le marché. Nous avons toutefois constaté...

Une voix: Irving.

Mme Gail Lem: Quebecor et Irving. Je vais vous laisser traiter de cet aspect.

M. Alan Tate (représentant international, Syndicat international des communications graphiques): Merci. Je n'ai qu'un bref commentaire à faire, si j'ai bien compris votre question.

Je crois que Quebecor a maintenant vendu Donohue Inc., mais la société possède encore un pourcentage important de Donohue Inc. Les journaux Thomson étaient également propriétaire d'une grande papeterie en Géorgie. Je me souviens d'en avoir discuté avec Thomson, à l'époque. L'entreprise obtenait de toute évidence des prix très concurrentiels puisqu'elle était propriétaire de la papeterie.

J'espère que cela répond à votre question.

M. Dan McTeague: Merci. Irving est propriétaire...

La présidente: Merci, monsieur McTeague.

[Français]

Monsieur Dubé.

M. Antoine Dubé: Personnellement, je reconnais que la situation est particulière pour les médias. J'inclurais la télévision et la radio, même si vous avez davantage parlé des journaux ce matin. Je me demande si la question de la propriété ou de la Loi sur la concurrence est nécessairement le seul ou le meilleur outil.

À titre d'exemple, il y a des choses sur lesquelles je me questionne. Je suis moins au fait de l'actualité telle qu'elle est décrite dans les journaux anglophones, mais je constate qu'il y a une mode qui commence à se développer. On peut trouver un journaliste du Québec dans un journal de Toronto et vice versa, qu'il soit traduit ou pas. Les agences de presse envoient un journaliste pour certaines couvertures. À titre d'exemple, la Presse canadienne le fait. Les médias demandent si la Presse canadienne est présente, et il y a un seul journaliste. À Québec, cela arrive souvent. J'ai vu des cas semblables. À Radio-Nord, en Abitibi, au Québec, un seul journaliste couvre un événement dans une ville et les trois chaînes de télévision, bien qu'elles aient des lecteurs de nouvelles différents, s'alimentent du travail d'un seul journaliste.

• 1115

Vous êtes du domaine syndical. Je vois que vous vous regroupez de plus en plus. Je ne veux pas dénoncer l'absence de concurrence syndicale, mais il me semble qu'il y a d'autres lois. Peut-être pourrait-on agir par l'intermédiaire du CRTC. J'essaie de voir comment on pourrait donner un cas particulier aux médias. Habituellement, dans les lois, il y a certaines exceptions pour certains secteurs, mais ici, il ne s'agit pas de faire en sorte que vous soyez exemptés. Au contraire, vous voudriez être protégés plus étroitement que d'autres secteurs. Avez-vous pensé à cet aspect? Comment peut-on inscrire cela dans une loi au nom de l'intérêt public? Dans la Loi sur la concurrence, c'est une exception: c'est le contraire de l'exemption, mais c'est rare. Il faudrait que ce soit plus sévère. Alors, j'ai bien lu vos recommandations, mais avez-vous pensé aux moyens?

[Traduction]

Mme Gail Lem: Voilà une bonne question. Je pense que j'ai dit dès le départ que la Loi sur la concurrence n'était peut-être pas la meilleure façon de réglementer cet aspect.

J'ai apporté un autre document, mais je n'en ai pas de copie à distribuer. Si vous regardez l'Europe, par exemple, vous constaterez qu'il y a là-bas des lois régissant la propriété des journaux qui ne sont pas partie intégrante de l'équivalent de notre Loi sur la concurrence. Elles portent sur la propriété et la part du marché, etc. Dans certains pays, par exemple en Suède, il y a une loi qui appuie financièrement la création de petits journaux communautaires et de médias de ce genre.

Dans le contexte de la montée de la propriété croisée à laquelle nous assistons, il semble logique qu'un organisme comme le CRTC s'intéresse à des questions qui touchent aussi bien les diffuseurs que l'industrie de la presse écrite. Cela me paraît plutôt logique. Je crois que nous voulons vraiment voir un changement marqué dans la façon dont le CRTC traite certains de ces problèmes, afin que le processus d'octroi de licence, etc. permette la consultation publique, ce qui fait complètement défaut à l'heure actuelle pour l'industrie de la presse écrite.

[Français]

Le président: Merci, monsieur Dubé.

[Traduction]

Madame Jennings, nous vous écoutons.

Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci, madame la présidente.

Je vous remercie de votre exposé. J'aimerais traiter rapidement avec vous de votre recommandation, le fait que le Bureau de la concurrence devrait tenir compte de l'intérêt public et veiller à ce qu'il y ait une certaine diversité de sources.

Je suis d'accord, il nous faut une diversité de sources dans les médias, qu'il s'agisse de télévision, de radio ou de presse écrite. Je pense que cela est vraiment important pour la démocratie; il doit être possible de diffuser des idées très diverses, pour connaître les différences d'opinions. Normalement, au Canada, l'opinion publique est rarement unanime.

Je m'inquiète de la concentration à laquelle nous assistons actuellement dans la presse écrite. À ma connaissance, une telle concentration ne semble pas imminente dans le secteur de la télévision, mais je dois dire que quand j'écoute les nouvelles, il me semble que toutes les chaînes donnent les mêmes informations. La question de la CBC, qui réduit la production locale d'informations, m'inquiète vraiment beaucoup.

Je ne crois toutefois pas que le directeur de la concurrence soit, de fait, la personne indiquée pour traiter de l'intérêt public, parce que lorsque nous parlons d'intérêt public nous parlons d'un domaine plus vaste que la simple diversité. Nous parlons aussi de protéger l'identité culturelle, l'identité nationale. Nous avons créé le CRTC et il faudrait peut-être maintenant envisager une solution de ce genre, au moins sur le plan théorique.

Avez-vous quelque chose à ajouter à cela? Le Bureau de la concurrence, à mon avis, n'est pas l'organe compétent pour examiner la question de la diversité des sources d'information comme équivalent à la diversité d'intérêt, parce que c'est ce dont nous parlons, pour garantir que la diversité des intérêts au Canada est adéquatement reflétée dans la presse écrite. Cela ne semble pas être le cas actuellement. Je ne le pense vraiment pas.

• 1120

Lorsque je lis le National Post et le Montreal Gazette, je ne relève pas de différence. Et puis, je prends le Quorum—je ne sais pas si vous connaissez le Quorum. C'est un produit d'ici, un service de presse qui couvre tous les grands journaux nationaux et régionaux du Canada. On le distribue aux députés et sénateurs—littéralement, vous y trouvez quatre articles du Calgary Sun, deux d'autres journaux régionaux et un d'un journal national, et ce sont exactement les mêmes articles. Comme vous l'avez dit dans votre mémoire, le nom a changé, mais l'article est strictement identique. Je le constate dans le cas des journaux de Southam, par exemple.

J'aimerais connaître un peu mieux votre point de vue quand à la façon dont l'intérêt public pourrait être protégé, grâce à une diversification des idées et des cultures dans la presse écrite, sans recourir au Bureau de la concurrence.

La présidente: Madame Jennings, si vous me le permettez, j'aimerais profiter de ce que nos témoins réfléchissent pour glisser un mot à ce sujet. Un des exemples qui me vient à l'esprit suite à la question touche la façon dont nous avons abordé la fusion des banques. Le Bureau de la concurrence a réalisé une analyse et une étude. La décision est ensuite revenue au ministre des Finances. Il ne s'agissait pas d'une décision finale que le Bureau aurait pu arrêter en fonction simplement de l'intérêt public, comme vous le proposez. Pourriez-vous commenter aussi cet aspect?

Mme Marlene Jennings: C'est une solution possible.

La présidente: En effet.

[Français]

Mme Marlene Jennings: Oui.

[Traduction]

M. André Foucault (représentant national, Syndicat international des communications graphiques): Ce serait un très bon début, à mon avis, si le comité permanent examine cette question dans son ensemble et reconnaît lui-même que son mandat, dans ce dossier particulier, est trop étroit pour qu'il puisse faire un travail valable et protéger les intérêts de tous.

Songez simplement à ce qui intéresse les médias en général au Canada. Il y a le profit, et il y a la mission. Je dirais que le pendule, pour l'instant, est plus près du motif du profit, surtout et, je ne veux pas généraliser, dans le cas des grandes chaînes, au détriment de la mission. Il y a des revenus à tirer de la vente du produit, et il y a des revenus à tirer de la vente de la publicité. La publicité est devenue un élément plus important de cette équation des revenus. Si on laissait l'industrie évoluer librement, elle ne transgresserait peut-être pas les attentes de ce point de vue particulier, mais négligerait ceux d'autres points de vue.

Pour faire allusion au conflit à Calgary, à l'heure actuelle, c'est exactement ce que nos membres et ceux du Syndicat international des communications graphiques défendent. Il serait intéressant de voir ce que l'on peut faire ici relativement au Code canadien du travail. À l'heure actuelle, nous avons une Charte des droits, nous avons une perspective nationale, mais ceux qui travaillent dans cette industrie sont réglementés à l'échelle provinciale au plan du travail.

Nous pourrions aussi peut-être nous pencher sur certains mécanismes—et je parle ici en termes de défi pour être plus précis—mais il serait possible d'envisager un fonds quelconque, commandité par le monde du travail, qui permettrait de lancer des entreprises et de protéger celles qui sont déjà sur le marché.

Je suis d'accord avec vous. Essentiellement, les médias et l'information dont nous, citoyens, disposons, et cela ira en s'accentuant, sont la pierre angulaire de ce que nous défendons sur les plans culturel, démocratique, politique, etc. Si nous ne sommes pas vigilants, nous pourrions facilement y perdre—si nous les considérons simplement comme des entreprises ou simplement du point de vue de la concurrence.

Je serais donc heureux que le comité se prononce sur l'utilité d'un mandat beaucoup plus vaste, d'un point de vue différent, au sujet de ce qui se passe.

[Français]

Mme Marlene Jennings: Monsieur Foucault, j'ai une autre question. Dans ma circonscription, il y a trois journaux communautaires, dont deux sont la propriété de G.T.C. Transcontinental Group Ltd.

• 1125

J'habite à l'extérieur de ma circonscription et j'ai donc accès à un autre journal local. Je dois vous avouer qu'à ce niveau-là, malgré le fait que deux des quatre journaux locaux auxquels j'ai accès sont la propriété G.T.C. Transcontinental Group Ltd., leur contenu est vraiment diversifié, parce que ce sont des journaux locaux et que les localités n'ont pas les mêmes intérêts, les mêmes activités et les mêmes préoccupations. Alors, c'est vraiment diversifié.

Le contenu du Messager de Lachine est pas mal différent de celui du Monitor à NDG. Interligne est un journal bilingue indépendant qui, lui aussi, a créé sa propre niche pour Notre-Dame-de-Grâce, Côte-des-Neiges et Côte-Saint-Luc, et c'est vraiment différent. Dans le cas de l'hebdo de Rosemont et de Saint-Michel, c'est encore autre chose.

J'ai l'impression qu'étant donné qu'il s'agit journaux locaux, même si un monopole a été créé, cela n'a pas joué contre l'intérêt local. C'est lorsqu'on parle d'un monopole qui dépasse le cadre d'une localité qu'il y a un danger de diminuer la diversité des sources et du contenu.

Pensez-vous qu'il est raisonnable de tirer une telle conclusion?

M. André Foucault: Pour le moment, il est peut-être approprié de le faire dans une circonscription ou dans une région ou une autre, mais nous sommes quand même vulnérables face à des changements qui pourraient avoir lieu dans une période de temps très courte, alors qu'à tout à coup, le bureau chef imposerait une politique de rédaction uniforme pour les questions nationales importantes même si elles ont une saveur locale. Ce n'est pas facile.

Mme Marlene Jennings: On décide qu'on n'aime pas les libéraux ou qu'on n'aime pas le Bloc québécois...

M. André Foucault: Ah!

Mme Marlene Jennings: Est-ce de cela que vous parlez quand vous parlez d'une politique de rédaction?

M. André Foucault: C'est un exemple. Ou encore, on aime Tom Long. Tout dépend...

Mme Marlene Jennings: Oui. Il semble que tous les journaux nationaux aiment Tom Long ces temps-ci. Tous les articles semblent parler de lui et de Stockwell Day. Alors, selon ce que vous dites, il se peut qu'il y ait une politique de rédaction qui dise...

M. André Foucault: En effet.

Mme Marlene Jennings: Je vous pose la question parce que toutes les paroles prononcées autour de cette table sont transcrites. C'est une séance publique. Ce sera écrit noir sur blanc. Les paroles s'envolent, mais les écrits restent. Dans deux ans ou dans deux mois, si M. Conrad Black comparaît ici, on va pouvoir le confronter à ces témoignages.

La question peut vous sembler un peu niaise,...

M. André Foucault: Non, pas du tout.

Mme Marlene Jennings: ...mais c'est pour cette raison que je vous la pose. On va pouvoir dire que tels témoins sont venus devant nous et qu'ils ont déclaré—ce sera écrit noir sur blanc—qu'il y a des politiques de rédaction et que ces politiques peuvent justement dicter l'appui de tel candidat ou de tel parti. Même si un parti a de bonnes politiques sur un sujet quelconque, parce qu'on n'aime pas les séparatistes, par exemple, on ne va jamais leur donner une couverture positive. Si on n'aime pas les libéraux, on ne va jamais leur donner une couverture favorable.

M. Antoine Dubé: Ou on n'en parle pas.

Mme Marlene Jennings: Ou on n'en parle pas, justement.

[Traduction]

Mme Gail Lem: Nous voulons tous deux répondre. Allez-y.

M. Mike Bocking: Au sujet des journaux locaux et de la couverture médiatique, un exemple très intéressant s'est présenté il y a 15 ou 18 mois en Colombie-Britannique. Parallèlement à Conrad Black, qui possède tous les quotidiens par l'entremise soit de Hollinger soit de Horizons, il existe une série de journaux communautaires qui sont la propriété d'un certain David Black, sans parenté aucune avec Conrad Black. À l'époque où se négociait le Traité nisga'a entre le gouvernement fédéral, la province et le peuple nisga'a, le propriétaire de cette chaîne, David Black, a déclaré qu'il n'y aurait que des critiques négatives du traité dans ses journaux. Il a dû se rétracter, ce qu'il a fait, et il a admis à contre-coeur qu'il devrait rencontrer des personnes comme le chef Joe Gosnell et d'autres intervenants importants, sans parler du gouvernement néo-démocrate à Victoria et, évidemment, de votre gouvernement, à Ottawa, qui est aussi partie prenante à l'entente. Le simple fait d'avoir déclaré qu'il pouvait agir ainsi, arbitrairement, pour ensuite recourir à des méthodes plus subtiles, en commandant, pour ainsi dire, une série d'articles à quelqu'un qui partage ses opinions politiques, illustre bien les problèmes qui vous attendent si nous laissons un très petit nombre de personnes gérer l'industrie.

• 1130

La présidente: Madame Lem, vous vouliez ajouter quelque chose?

Mme Gail Lem: Je parle à titre de journaliste—je travaille à temps plein pour le syndicat, mais je suis en congé du Globe and Mail. Alors à titre de journaliste, je crois que le National Post a créé de toute pièce le succès de Tom Long. Il l'a invité et il l'a placé dans les premières pages. Il a lancé le mouvement, et tous les autres journaux ont dû suivre. Je suis convaincue que d'ici un an ou deux, les universitaires publieront des études, des ouvrages et des analyses qui montreront de quelle façon toute cette affaire a été créée par un important... Disons un journal qui est distribué partout, même s'il perd de un à deux millions de dollars par semaine—personne ne l'achète, il est distribué gratuitement partout.

Cette histoire a été fabriquée de toutes pièces. Calculée en centimètres de colonne, la candidature de Tom Long a occupé plus d'espace que toute la question de Jean Chrétien et du leadership.

La présidente: Le sujet me paraît très intéressant, mais nous nous écartons. Nous parlions de contenu, ce qui n'est pas la question que nous avons...

Mme Marlene Jennings: J'ai terminé. J'ai atteint mes objectifs. Merci.

La présidente: Merci, madame Jennings, mais je vous rappelle qu'en principe, nous ne devons pas nous écarter du sujet.

Je voulais revenir à la question précédente, et vous pouvez peut-être nous fournir une réponse aujourd'hui. Je veux parler de votre première recommandation. Je l'ai étudiée et je ne suis pas convaincue. Je parle de cette idée de reprendre la démarche que nous avons appliquée à la question des fusions des banques, allant de la Loi sur la concurrence au ministre des Finances. Je crois que cela créera un autre problème, parce qu'il pourrait y avoir un conflit, le fait qu'un dossier revienne à la ministre du Patrimoine alors qu'en fait, ce sont les organisations mêmes qui publient ensuite des rapports à notre sujet.

Vous ne pouvez peut-être pas nous répondre aujourd'hui, vous voulez peut-être prendre le temps d'y réfléchir un peu, mais lorsque nous examinons la Loi sur la concurrence et vos recommandations, nous constatons que vous proposez d'inverser entièrement cette loi. Je ne suis pas convaincue que le but de notre comité soit de complètement réaménager la loi. Nous voulons plutôt régler le problème au moyen de certaines dispositions. Cela fera peut-être partie des recommandations, à la fin du processus, mais nous essayons de voir si nous pouvons remédier aux problèmes, quand il y en a. Vous proposez une solution radicale, un véritable chambardement, et je me demande si c'est bien la seule solution ou s'il n'y aurait pas d'autres façons de procéder.

Monsieur Bocking.

M. Mike Bocking: Même avec la Loi sur la concurrence sous sa forme actuelle, ou celle qu'elle aurait dû avoir il y a 20 ans... Si vous vous reportez à il y a 20 ans, en Colombie-Britannique, il y avait quatre ou cinq entreprises de presse. Je crois que tout est fonction de la façon dont vous appliquez la loi: Si vous l'appliquez de façon très étroite ou si vous trouvez des raisons pour ne pas l'appliquer du tout.

Je crois qu'elle aurait pu s'appliquer dans certaines des situations auxquelles nous avons fait face en Colombie-Britannique, il y a une quinzaine d'années. Il y a 20 ans, il existait quatre entreprises de presse: les publication FP, Southam, la chaîne Sterling et Thomson. Il y avait aussi quelques journaux familiaux indépendants. Toutefois, parce qu'aux termes de la loi vous interprétez le marché de façon plutôt étroite, c'est-à-dire que le marché se ramène à Kamloops, à Kelowna ou uniquement à Vancouver, par opposition à l'ensemble de la province, ces entreprises ont pu s'acheter l'une l'autre sans déclencher les mécanismes prévus dans la Loi. Je crois que si vous aviez donné à la définition de marché un peu plus d'extension, vous auriez été en mesure d'empêcher une partie de ce qui s'est passé ces 20 dernières années.

Pensons à l'avenir, surtout si vous parlez de radiodiffusion et de journaux, etc. Il me semble que vous voudrez faire la même chose. Prenez la Colombie-Britannique comme un marché en soi plutôt que chacune des petites villes qui forment la province. L'une des raisons pour lesquelles je crois que vous pouvez procéder ainsi, et cela est important, c'est que de nombreux annonceurs, par exemple, achètent effectivement de la publicité à un certain nombre de stations de télévision, de journaux, etc. S'ils ne peuvent plus traiter avec quatre chaînes plutôt qu'avec une seule, la concurrence sera réduite. La concurrence est réduite en Colombie-Britannique parce qu'il y avait autrefois quatre entreprises de presse et qu'il n'y en a plus qu'une, deux si vous comptez les journaux communautaires de David Black. Je crois que c'est ce qui va se passer maintenant avec la propriété croisée. Des entreprises de radiodiffusion vont acquérir des entreprises de presse, ou inversement, des entreprises Internet vont acheter les deux. Je crois que vous devriez donner à la loi une interprétation large et non pas étroite.

• 1135

La présidente: C'est peut-être un aspect que le comité voudra étudier plus à fond.

Si je comprends bien la façon dont, à votre avis, le Bureau de la concurrence a abordé la question de la concentration, il a mis l'accent sur... Par exemple, à Windsor, ma collectivité, le Windsor Star s'est maintenu. Le Windsor Star s'inscrit maintenant dans un marché plus vaste, mais cela n'a aucun effet sur la collectivité. Le Windsor Star ne rejoint pas seulement Windsor et le comté d'Essex.

On semble beaucoup parler de l'avenir et de l'avenir des médias. Nous avons discuté brièvement avec M. Penson de l'Internet et de l'accès à l'information. J'ai de la difficulté à m'imaginer les gens autour de la table de la cuisine, se passant l'ordinateur pour consulter les différentes sections du journal. Je suis convaincue que la presse écrite ne disparaîtra pas du jour au lendemain.

Y a-t-il une façon de présenter des suggestions qui permettraient aux médias de prendre de l'expansion grâce au commerce électronique en abordant la chose comme dans la presse écrite, où sommes-nous si près d'une évolution que nous ne pouvons vraiment pas régler le problème?

M. Mike Bocking: Nous n'avons pas réfléchi à fond à la question, mais je crois que le comité et le gouvernement devraient envisager d'offrir certains encouragements pour favoriser la propriété locale. Nous croyons que les entreprises médiatiques sont différentes des autres entreprises, et que l'intérêt public est en jeu, par opposition aux intérêts financiers et concurrentiels. Je sais que cela constitue l'une de vos préoccupations. Cela pourrait se faire, peut-être, grâce à des dégrèvements fiscaux ou à d'autres mesures qui encourageraient la propriété locale par opposition à l'expansion des chaînes. À l'heure actuelle, les annonceurs sont incités à faire de la publicité dans des journaux qui sont la propriété de Canadiens. Ils font ainsi une économie de 25 p. 100, par comparaison avec la publicité dans les journaux américains ou étrangers. Il serait peut-être possible d'intervenir de la sorte pour encourager le marché local ou provincial. Je ne sais pas si de telles mesures relèveraient du mandat fédéral, sans doute pas, mais c'est déjà une idée. Je dois admettre que je n'ai pas vraiment réfléchi à cet aspect.

La présidente: Très bien. Madame Lem.

Mme Gail Lem: J'aimerais aborder brièvement la question de la législation, parce que j'ignore si je peux appliquer directement mes commentaires à la Loi sur la concurrence. Les députés pourraient peut-être se pencher sur certaines dispositions législatives d'Europe. Si vous comparez les pays européens, mes collègues du syndicat autrichien de la radiodiffusion me disent qu'ils se perçoivent un peu comme les Canadiens par rapport aux États-Unis, entre autres parce qu'ils parlent allemand et que l'Allemagne voisine a une économie plus importante.

En Europe, vous verrez qu'on a accordé beaucoup de soins aux dispositions législatives. J'ai en main un document, malheureusement je ne l'ai pas fait traduire parce que j'y voyais de l'information de base, à mon usage personnel, mais je peux vous le laisser. Nous sommes membres d'une coalition appelé Campaign for Press and Broadcasting Freedom, et je crois comprendre que vous accueillez ce groupe plus tard aujourd'hui. Il s'agit du palier au-dessus des syndicats. Il y a toutes sortes d'autres organisations qui y participent. J'ai un document publié par cette organisation. Je ne sais pas si les représentants de la coalition ont prévu de l'apporter.

On y mentionne certains types de lois qui ont été adoptées en Europe. J'ai parlé précédemment du régime de subvention de la presse, en Suède, grâce auquel les journaux qui ne sont pas financés par les annonceurs du secteur privé ont droit à un financement public. Le gouvernement de la France, par exemple, limite à 30 p. 100 la part que peut posséder un groupe ou un particulier dans un quotidien, ainsi que la part que l'on peut posséder dans une société de radiodiffusion.

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Dans certains secteurs, les questions de diversité et d'intégrité journalistique entrent aussi en compte. Une notion revient assez souvent, et c'est qu'au sein du comité de rédaction, la direction du journal ne devrait pas être seule représentée. Un représentant des journalistes et un représentant de la collectivité devraient en faire partie, pour que le journal s'intéresse à d'autres besoins que ceux de la direction du journal.

Nous avons aussi constaté que les conseils d'autoréglementation de la presse, le Conseil canadien des normes de la radiotélévision et les conseils de presse, qui sont sensés offrir à la population un certain recours, n'ont guère d'utilité. Les conseils de presse sont simplement composés de personnes nommées par divers journaux.

On pourrait toutefois créer un organisme devant rendre des comptes à la population, qui pourrait enquêter sur les plaintes, présenter ses constatations dans des rapports publics, ordonner des mesures de réparation, etc. Je crois que les idées ne manquent pas pour responsabiliser les médias et les diversifier. Tout cela ne s'inscrit pas vraiment, comme vous l'avez dit, dans le contexte de la Loi sur la concurrence.

Je crois toutefois que nous devons revenir à l'essentiel, c'est-à-dire qu'il nous faut des mesures législatives. Que cela vise l'industrie ou une autre tribune, qu'il s'agisse d'un CRTC rajeuni et corrigé, dont relèverait aussi la question des journaux et des autres médias, il nous faut des mesures législatives pour lutter contre la tendance monopoliste dans les médias.

Quoi qu'il en soit, je vous laisse ce document, si vous le voulez, parce qu'il propose quelques exemples.

La présidente: Vous pouvez en laisser un exemplaire au greffier, qui veillera à ce que tous les membres du comité en aient copie.

Mes collègues n'ont plus de questions à poser.

Est-ce qu'un membre de votre groupe veut ajouter un commentaire? Monsieur Foucault.

M. André Foucault: Si vous me le permettez, je serai bref. Toute cette question est un véritable défi pour nous tous. Nous avons des intérêts commerciaux légitimes, nous devons produire des revenus pour nos actionnaires et les entreprises en administrant les services d'information de notre pays, mais nous devons aussi, à mon avis, trouver des mécanismes qui donnent à ceux qui exécutent le travail plus de contrôle sur leur propre situation, afin qu'il s'établisse un certain équilibre au sein du système, pour protéger l'intégrité de ce que les citoyens consomment. Que cela relève de la Loi sur la concurrence ou d'un autre mécanisme, je crois que le comité ferait oeuvre très utile en attirant l'attention des législateurs sur cette dimension. Nous en sommes maintenant, à mon avis, à un point qui sera perçu à l'avenir comme le point tournant quand à la façon dont nous nous informons et dont nous sommes informés. Je crois que des mesures doivent être mises en oeuvre, en tenant compte de l'avenir à cet égard. Voilà, c'est ce que je voulais ajouter. Merci.

La présidente: Je vous en remercie.

Nous examinons la question du point de vue de la Loi sur la concurrence et des fusions. L'un des aspects qui nous intéresse doit porter sur les conséquences pour les industries. Est-ce que la Loi permet que diverses industries, y compris l'industrie de la presse écrite, survivent et prospèrent au Canada? Nous allons certainement tenir compte de vos préoccupations lorsque nous rédigerons notre rapport.

Je tiens à vous remercier tous d'être venus aujourd'hui.

Mme Gail Lem: Merci beaucoup.

La présidente: Je suis très heureuse que les votes ne nous aient pas interrompus, après tout.

La séance est levée.