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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 16 mars 1999

• 0835

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): La séance est ouverte. Nous avons une table ronde portant sur les audiences de l'OMC.

Nous sommes heureux de recevoir un groupe de témoins qui vont nous parler de la politique de la concurrence et des technologies de l'information.

Nous commencerons par Shirley-Ann George, gestionnaire d'IBM Canada pour les programmes gouvernementaux.

Madame George, vous allez probablement nous parler de la politique de la concurrence. Laissez la technologie aux autres.

Étant donné que les témoins sont plutôt nombreux, je me demande si vous pouvez tous limiter vos observations liminaires à une dizaine de minutes. Cela nous donnera ensuite beaucoup de temps pour les questions. Nous sommes un peu pressés ce matin parce que nous devons nous interrompre plus tôt que prévu pour recevoir le secrétaire général de l'OSCE. Il va venir nous parler du Kosovo.

Madame George.

Mme Shirley-Ann George (gestionnaire, Programmes gouvernementaux, IBM Canada Ltée): Merci, bonjour à tous.

Monsieur le président, au nom d'IBM Canada, je tiens à vous remercier de me donner l'occasion de faire un exposé sur une question qui est d'une grande importance pour tous les Canadiens.

Comme vous le savez, IBM est une très grande multinationale établie dans plus de 100 pays. Nous avons une présence considérable au Canada, avec des recettes de 4,8 milliards de dollars en 1998. Nous sommes dirigés par des Canadiens et nous comptons plus de 17 000 employés, y compris les plus de 3 000 Canadiens embauchés en 1998. Depuis 1993, notre taille a doublé.

Cette croissance phénoménale n'aurait pas été possible si le Canada était mal gouverné, et nous voudrions profiter de l'occasion qui nous est donnée ce matin pour remercier tous les députés pour l'énorme effort qu'ils déploient pour améliorer l'appareil gouvernemental et faire du Canada un pays où il est toujours plus agréable de faire des affaires.

Nous connaissons tous les chiffres qui révèlent la dépendance du Canada à l'endroit du commerce extérieur, plus de 40 p. 100 de notre PIB dépendant des exportations. Si l'on envisage de concert les importations et les exportations, le chiffre passe à 75 p. 100.

En fait, un très vaste pourcentage d'emplois au Canada dépendent de l'accès continu à d'autres marchés. Malheureusement, il y a beaucoup trop peu d'entreprises qui sont responsables de ces exportations. Sur près d'un million d'entreprises canadiennes, il y en a à peine une centaine qui sont responsables de 57 p. 100 de toutes les exportations.

Nous sommes également au quinzième rang en opérations d'entreprise, comparativement à la première position que détiennent les États-Unis. Notre fardeau fiscal global est de 20 p. 100 supérieur à celui des États-Unis, qui représentent notre principal concurrent pour ce qui est des biens, des services et des gens.

Les négociations ZLEA/OMC ont pris une importance considérable du fait des opportunités qu'elles offrent et des menaces éventuelles créées par un accroissement du commerce international axé sur le commerce électronique. Nous sommes passés à un monde où les lois relatives au commerce doivent être établies au moyen d'une collaboration internationale. Ce n'est qu'après avoir façonné ces ententes-cadres internationales que les gouvernements nationaux et infranationaux pourront réussir à mettre en oeuvre des lois et des règlements locaux de concert avec d'autres gouvernements.

Heureusement, le Canada s'est associé à une formule gagnante où nous jouons un rôle de chef de file en matière de consultations régionales sur le commerce extérieur. Dans ces tribunes, nous sommes assez importants et jouissons d'une expérience suffisante pour être clairement entendus. Dès lors, nous pouvons prendre les résultats obtenus aux négociations régionales et les faire peser de tout leur poids auprès de l'OMC. Bien que les négociations de l'OMC soient, de loin, les plus importantes négociations commerciales en cours, nous vous encourageons à maintenir cette approche en deux étapes.

Le prochain cycle des négociations de l'OMC est beaucoup plus complexe du fait que beaucoup des sujets abordés autour de la table, y compris l'essentiel de la politique de concurrence, relèvent de la compétence des provinces et qu'il n'existe pas actuellement d'accords interprovinciaux. Nous vous encourageons à travailler en étroite collaboration avec les provinces pour que ces accords soient conclus. Ils doivent se conformer aux normes internationales.

Pour les négociations à venir en matière de commerce extérieur, nous encourageons le gouvernement du Canada à suivre l'objectif fondamental d'une libéralisation maximale du commerce dans les plus brefs délais possible. Plus précisément, nous estimons que la durée du cycle du millénaire ne devrait pas dépasser trois ans.

Pour toutes les négociations commerciales, y compris l'OMC, l'AGCS, le GATT, la ZLEA et l'APEC, les normes fondamentales doivent inclure: le plein accès concurrentiel au marché; le traitement national; la capacité des biens et des services à être offerts et livrés sans qu'il y ait présence physique; la réduction et la transparence de la réglementation et des modalités d'obtention de permis; le libre mouvement des professionnels et des employés spécialistes; et l'établissement de mécanismes indépendants de règlement des différends.

Nous appuyons les efforts du MAECI visant à éliminer les obstacles techniques au commerce et encourageant le gouvernement à prendre en considération la totalité des marchandises faisant l'objet de commerce.

Nous appuyons également les efforts du gouvernement relativement aux accords de reconnaissance réciproque et à l'orientation vers une norme, un critère qui soit accepté à l'échelle mondiale. Toutefois, nous prévenons le gouvernement que la valeur de ces accords peut être considérablement mitigée si les gouvernements remplacent les exigences actuelles par des exigences nationales ascensionnelles comme Industrie Canada envisage de le faire aujourd'hui.

• 0840

En outre, nous encourageons le Canada à poursuivre son examen attentif des accords existants et à s'assurer que tous les gouvernements respectent leurs obligations.

En matière de commerce électronique, le rythme auquel les pays en profiteront dépendra de la rapidité avec laquelle chacun d'eux libéralisera ses propres marchés et adoptera des régimes d'échanges commerciaux prévisibles. Le Canada bénéficie de beaucoup d'éléments positifs, mais nous sommes beaucoup trop lents à passer à la mise en oeuvre, et les entreprises américaines sont en train d'établir leur domination du marché. Il faut que se réalise le libre mouvement des biens, des services et des personnes, de concert avec un accès abordable aux technologies informatiques et à une largeur de bande des télécommunications. La concurrence pousse constamment à la baisse le coût de l'informatique et nous vous exhortons à vous assurer que le même niveau de concurrence soit disponible en matière de télécommunications, tant ici qu'à l'étranger.

Il est fondamental qu'à titre personnel vous compreniez les opportunités qu'offre un monde global et sans frontières, où les transactions des entreprises et des consommateurs se font par Internet.

Aujourd'hui, je peux acheter un billet d'avion en ligne plus facilement que je ne peux l'acheter auprès de mon agent de voyage local; de son côté, la compagnie de lignes aériennes paiera moins d'un dollar pour la transaction plutôt que 8 ou 10 $.

Je peux trouver de bien meilleurs renseignements sur une automobile en ligne et l'acheter, sans que l'entreprise ait la moindre présence physique à Ottawa ou le moindre employé. En ma qualité de consommateur ou d'entreprise acheteuse, je n'ai pas besoin de savoir si j'achète auprès d'une entreprise qui se trouve au coin de la rue ou d'une autre qui est située à deux mille milles ou dans un autre pays. Nous devons tous travailler pour nous assurer que les petites entreprises du Canada, les petites entreprises dans vos circonscriptions, sortent gagnantes de cette énorme opportunité qui leur est offerte et qu'il n'y ait pas de victimes du nouvel environnement concurrentiel.

Nous encourageons plus particulièrement le MAECI à viser au maintien du moratoire sur les droits de douanes relatifs aux biens et services électroniques. Nous pensons que cela devrait être annoncé à la rencontre ministérielle de l'OMC en novembre.

IBM recommande que le gouvernement du Canada accroisse ses efforts visant à amener des investissements internationaux au Canada. La chute des investissements étrangers directs, ces derniers étant passés de 11 p. 100 à 4 p. 100, est très alarmante. Nous pensons qu'une augmentation est possible non seulement au moyen d'une promotion plus dynamique des avantages du Canada mais également, chose plus importante, en s'assurant que le climat d'investissement au Canada soit au moins aussi concurrentiel que celui des États-Unis. C'est un objectif que nous n'avons pas encore atteint. Nous sommes une souris qui livre concurrence à un éléphant, et l'éléphant sait danser de la claquette.

Le président: De la claquette?

Des voix: Ah, ah!

Mme Shirley-Ann George: Dans ce domaine, notre travail n'est pas facile, mais cela doit devenir une priorité si nous voulons tirer profit de l'économie mondiale plutôt que de continuer à voir les États-Unis devancer le Canada.

Protéger tant les consommateurs que les entreprises contre des pratiques frauduleuses et viciées est un rôle important qui revient au gouvernement. Dans ce domaine, le paysage où vous devez évoluer a considérablement changé. Les droits des consommateurs et des entreprises ne peuvent être protégés maintenant que par le recours à des accords cadres internationaux qui serviront d'assise au Canada pour bâtir ses lois et sa réglementation. Les correctifs propres au Canada uniquement ne feront que ralentir notre pénétration des marchés internationaux, réduire nos exportations et limiter la croissance de l'emploi. Nous devrions également chercher de nouvelles façons de régler les différends.

Par exemple, l'accord de l'OMPI sur la propriété intellectuelle envisage des mécanismes de règlement des différends en ligne qui sont à la fois accessibles et abordables pour les entreprises et les personnes. Ce sont de nouvelles façons d'envisager de vieux problèmes.

Pour ce qui est de la culture, nous proposons que le gouvernement continue de chercher des moyens de promouvoir cet important secteur d'activités canadien. Aujourd'hui, même les plus petits créateurs peuvent promouvoir leurs oeuvres sur Internet.

Nous encourageons également le Canada à collaborer avec d'autres pays, tant riches que pauvres, pour établir des normes internationales dans des domaines importants tels que les droits de la personne et des travailleurs ainsi que la protection environnementale.

Je tiens à vous remercier de vous intéresser à ces questions et de vos efforts pour vous assurer que le Canada puisse continuer de croître dans un environnement international en profonde mutation. Nous croyons que le Canada peut prospérer en profitant des occasions que lui donne un accès plus facile à des marchés internationaux.

Je serais ravie de répondre à toutes vos questions.

Le président: Merci beaucoup.

Je suis sûr que nous allons avoir quelques questions au sujet des mécanismes de règlement des différends en ligne; avec un éléphant qui danse de la claquette, ça va être superbe.

Le témoin suivant est Michael Janigan, du Centre pour la promotion de l'intérêt public.

Monsieur Janigan.

• 0845

M. Michael Janigan (directeur-exécutif, Centre pour la promotion de l'intérêt public): Merci, monsieur le président.

Je suis accompagné d'Andrew Reddick, notre directeur de la recherche. Ce sera lui qui fera l'essentiel de l'exposé.

Tout d'abord, nous voudrions remercier le comité de nous inviter à faire nos observations relativement aux objectifs des négociations de l'Organisation mondiale du commerce.

Permettez-moi, en premier lieu, de fournir quelques renseignements au sujet du Centre pour la promotion de l'intérêt public. Il s'agit d'un organisme national à but non lucratif, établi en 1976. Il offre des services juridiques et de recherche principalement à d'autres organismes qui s'occupent de questions touchant la prestation de programmes et de services d'importance publique. Ces programmes et ces services sont principalement ceux des services publics. Nous avons essentiellement oeuvré dans le domaine des télécommunications, de la radiodiffusion, de l'énergie, des services bancaires et des transports au cours des 23 dernières années. En matière de promotion et de défense, nous visons à protéger les intérêts des consommateurs les plus vulnérables, particulièrement les Canadiens à faible revenu, âgés et vivant dans les régions rurales.

Nous ne voulons pas aujourd'hui vous présenter une liste de réclamations ou vous dire ce que devraient être les éléments constitutifs d'un accord commercial idéal. En qualité de défenseurs des droits des consommateurs, nous marchons dans une certaine mesure sur une corde raide. Nous comprenons l'importance des accords de l'OMC comme moteur de la concurrence et mécanisme visant à réprimer l'inconduite en matière de concurrence. Toutefois, nous nous rendons compte de l'aptitude et de la nécessité de maintenir cette aptitude du Canada à répondre à des situations d'échec du marché. L'échec ou l'effondrement du marché est un problème qui se répercute fréquemment sur les intérêts des consommateurs que nous représentons.

Un bon nombre de nos observations d'aujourd'hui porteront sur des questions touchant les télécommunications. Toutefois, les dossiers et les principes dont nous traiterons ont la même importance, selon nous, pour d'autres secteurs de l'économie canadienne et des activités sociales.

Notre exposé se divise en deux parties. La première porte sur les principes que nous estimons être importants quant à l'approche du Canada en matière de commerce international. La deuxième partie contient des recommandations plus précises.

Je vais demander à M. Reddick de vous présenter cet exposé.

M. Andrew Reddick (directeur de la recherche, Centre pour la promotion de l'intérêt public): Merci.

Je pense que nous avons distribué des copies de notre exposé.

Le commerce international est extrêmement important pour le Canada. Nous avons assisté à sa rapide expansion dans le secteur des produits traditionnels et, plus récemment, dans celui des services. Si l'on a prêté beaucoup attention aux avantages du commerce extérieur, la signification et le coût de la libéralisation accordée à un plus grand nombre de services et d'activités socio-économiques méritent d'être évalués de plus près.

Au cours des dernières années, et même des dernières semaines, il y a eu de nombreux exemples du fait que nos affaires nationales et internationales ne se déroulent pas en conformité des hypothèses propres à la théorie du commerce international et de l'économie.

Par exemple, nous avons vu menacée la stabilité de notre système du fait de la grippe asiatique et avons entendu des appels en vue de contrôles améliorés du système financier international, cause que défend avec ardeur le ministre des Finances du Canada. Contrairement aux postulats reçus quant à la signification de nos engagements commerciaux, nous avons vu, dans le domaine environnemental, la contestation de l'autorité du Canada relativement à l'interdiction de l'additif MMT dans l'essence, et la nécessité de recourir au projet de loi C-55 pour préserver la présumée souveraineté d'un élément de notre secteur culturel.

Ces dernières semaines, contrairement aux hypothèses sur ce dont le Canada était en fait convenu, nous constatons que des éléments d'une initiative industrielle importante, le Programme canadien des partenariats en technologie, contreviennent aux règles de l'OMC. Bien sûr, l'an dernier, il y avait également l'AMI, que vous connaissez, j'en suis sûr.

Le fait est qu'il y a des leçons importantes que nous pouvons tirer de nos plus récentes expériences.

L'une de ces leçons se retrouve dans l'invitation à comparaître devant ce comité; il y est dit que le régime mondial de commerce a des répercussions qui dépassent de loin les transactions inter-entreprises. Cela s'étend aux activités quotidiennes des Canadiens, qu'elles soient économiques, sociales, environnementales, culturelles, éducatives, dans le domaine de la santé ou de la sécurité, et ainsi de suite. En outre, la complexité croissante du commerce et ses conséquences prévues et imprévues sont susceptibles de dépasser les prévisions des gouvernements, des entreprises et des organismes publics. Cela pourrait avoir des incidences très positives, mais également négatives, sur nos relations et nos activités intérieures dans les secteurs économique, social et culturel.

Une deuxième leçon à tirer, c'est que nous devons faire beaucoup plus de recherches ainsi qu'examiner et analyser de façon détaillée les règles et les conditions du commerce que le Canada envisage d'accepter. Cela devrait entraîner plusieurs activités. L'une d'elles, consiste en une plus grande consultation de l'industrie, des groupes de défense des consommateurs et de l'intérêt public, des divers paliers de gouvernement, des milieux universitaires et d'autres encore au sujet de ces questions.

Le travail de ce comité constitue un pas très utile en ce sens, et nous tenons à vous féliciter de ces efforts.

• 0850

Nos négociateurs d'ententes commerciales doivent mieux comprendre les activités effectives et les besoins réels des citoyens et des entreprises. L'évolution future de ces activités aura des répercussions sur la façon dont les règles devraient être rédigées ou acceptées, et sur ce que le Canada devra choisir de ne pas accepter à l'OMC.

Nous estimons qu'il devrait y avoir beaucoup plus de consultation entre les représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et ceux d'autres ministères gouvernementaux, tant à l'échelle fédérale que provinciale, qui ont des responsabilités directes et une compétence dans les dossiers, les services, les programmes et les initiatives socio-économiques. Une compréhension accrue des programmes et des initiatives actuellement en vigueur ainsi que leur lien avec les besoins des Canadiens permettra d'éviter des problèmes tels que ceux signalés plus tôt.

Le président: Monsieur Reddick, désolé de vous interrompre, mais nous avons des interprètes.

M. Andrew Reddick: Et je vais trop vite.

Le président: Oui. Si vous allez trop vite, votre train risque de plonger du haut du pont.

M. Andrew Reddick: Bien sûr. Je fais toujours cela. Désolé.

Une autre leçon importante, c'est que le Canada est un pays commerçant de taille moyenne. Notre succès comme pays s'est axé sur la collaboration du secteur public et du secteur privé en matière de développement et de maintien des activités économiques et sur une intervention importante du gouvernement dans les initiatives sociales et culturelles. En même temps, nous avons fait contrepoids à cela au moyen de relations commerciales internationales plutôt ouvertes avec d'autres pays.

Nous devons positionner l'OMC comme un mécanisme équitable de commerce qui répond aux besoins des pays tout en ne minant pas ou ne rejetant pas l'autorité du gouvernement national et le pouvoir d'autres gouvernements ou organismes à faire respecter leurs mandats, leurs obligations et leurs responsabilités à l'endroit des Canadiens.

Cela signifie que le gouvernement canadien doit continuer d'avoir accès à des mécanismes de promulgation de politiques et de réglementation qui permettent de maintenir nos relations et nos pratiques économiques et sociales et d'avoir la souplesse nécessaire pour les adapter à l'avenir en réponse aux besoins changeants de notre société.

Il y a certains principes qui, selon nous, devraient guider le Canada dans son approche aux négociations de l'OMC.

Tout d'abord, il faut reconnaître que des instruments tels que les subventions, les exemptions, les réserves et les exigences en matière de rendement continueront d'être des outils importants pour atteindre les objectifs que le gouvernement du Canada s'est donnés.

Deuxièmement, l'abandon éventuel de l'un ou l'autre de ces outils ne devrait se faire que parcimonieusement, au cas par cas, ou pour une activité précise, plutôt que de façon générale. De plus, cela ne doit se faire qu'après une recherche approfondie et des consultations sur les répercussions éventuelles d'un engagement de ce genre.

Troisièmement, vu le caractère essentiel et l'importance pour la qualité de vie des citoyens d'un certain nombre de services, le Canada devrait exempter certains secteurs ou activités de tout accord de l'OMC ou conserver une grande marge de manoeuvre. Je pense à la santé et à la sécurité, à l'environnement, la culture et l'universalité des services publics, y compris les télécommunications de base. Par principe, le Canada devrait également pouvoir faire évoluer les définitions, acceptions et portée d'application de celles-ci en fonction de l'évolution de nos besoins et de nos pratiques.

Quatrièmement, le Canada ne devrait pas accepter de dispositions relatives au statu quo ou au démantèlement du protectionnisme touchant les lois ou des programmes sauf circonstances exceptionnelles. Nul ne peut prédire l'avenir, et nous aurons sans doute besoin de souplesse dans la conduite des affaires publiques pour répondre à nos besoins économiques, sociaux et culturels changeants.

Cinquièmement, les exigences de rendement ont été un outil essentiel de réalisation des objectifs économiques et sociaux. Il ne faut pas qu'un accord de l'OMC vienne les déclasser ou les supprimer.

Par exemple, les exigences de rendement ont servi en radiodiffusion à atteindre des objectifs économiques, culturels et sociaux grâce aux fonds de production et aux exigences de contenu et de programmation. Dans les télécommunications, les exigences sous forme de contributions garantissent l'universalité et l'abordabilité des services.

Au fur et à mesure que continuera d'évoluer Internet, certains aspects du service seront peut-être un jour jugés essentiels. Il faudra peut-être pouvoir obliger des sociétés à favoriser l'universalité ou à atteindre d'autres objectifs. Les exigences de rendement s'appliquent également à la législation de protection du consommateur, aux lois et aux normes de confidentialité, notamment.

De même, le recours à des subventions destinées à favoriser le développement et des activités socio-culturels et économiques au pays doit être maintenu. La réalité du commerce forcera l'élimination de certaines subventions. Toutefois, cela ne devrait se faire qu'en situation exceptionnelle et uniquement après avoir fouillé et évalué comme il se doit chaque dossier.

• 0855

La décision récente de l'OMC relative au Programme de partenariats technologiques illustre l'importance de la question pour le Canada. Contrairement aux Américains, nous ne masquons pas tout sous le voile de la sécurité nationale. Les exigences de rendement et les subventions ont été deux outils essentiels du Canada et continueront d'importer pour le développement du pays.

Par exemple, le plan «Un Canada branché» du gouvernement fédéral comporte un certain nombre de programmes qui contribuent à l'atteinte d'objectifs économiques, sociaux et culturels: Accès communautaire, Réseau scolaire canadien et Collectivités ingénieuses, entre autres. À l'heure actuelle, ces éléments sont financés grâce à des programmes ou des subventions. Il se peut fort bien qu'à l'avenir une partie ou la totalité de ces fonds proviennent de contributions de l'industrie établies par règlement.

Si nous ne nous occupons pas soigneusement de la façon dont nous abordons la question des subventions, des exigences de rendement et des dispositions connexes dans un accord de l'OMC, il se peut que nous devenions moins ou plus du tout capables de lancer des initiatives de ce genre dans un grand nombre de secteurs, et pas seulement celui des communications. Il faut veiller à ce que ces options continuent de s'offrir à nous dans l'avenir.

Parlant de mesures concrètes, en voici quelques-unes.

Premièrement, il ne nous semble pas opportun à l'heure actuelle de modifier le degré de propriété étrangère autorisée dans le secteur des communications. Il y a plusieurs raisons à cela.

La première, c'est qu'il serait prématuré de le faire au moment où nous sommes toujours en train d'instaurer la concurrence dans ce secteur et de le restructurer.

Deuxièmement, il nous reste encore à trouver une solution aux obligations sociales et culturelles actuelles et en suspens, comme l'exigent les lois sur les communications.

Troisièmement, les niveaux actuels d'investissement montrent que les Canadiens tirent déjà profit des technologies nouvelles et novatrices conçues ailleurs.

Enfin, le secteur a réussi à attirer un degré considérable d'investissements et d'intérêts étrangers.

Rien ne prouve qu'une augmentation du degré de propriété étrangère n'apporterait plus d'avantages à quiconque, sinon les actionnaires de ces entreprises étrangères. De plus, on peut sérieusement se demander si un degré de propriété étrangère majoritaire dans ce secteur apporterait les mêmes avantages, comme la R et D, l'emploi et les contributions sociales, que l'on retrouve dans le régime actuel.

Par ailleurs, plusieurs questions relatives à la protection du consommateur et de ses intérêts devraient être examinées de près dans le dossier de l'OMC. L'organisation a pour vocation première de créer des règles et des privilèges au profit de l'industrie. Pour créer un marché juste et efficace, il faut instaurer un équilibre grâce au maintien et à l'expansion de règles qui servent et protègent le consommateur dans ses rapports avec l'entreprise au Canada et à l'étranger.

Comme beaucoup de ses principaux partenaires commerciaux, le Canada est en train d'élaborer une réglementation relative à la protection et à la sécurité des renseignements personnels. La législation sur la protection du consommateur est actuellement en cours de révision dans le contexte du commerce international et des transactions en ligne. Ces règles ou exigences de rendement doivent être solidement établies et incluses dans tout accord commercial.

Le Canada collabore avec ses principaux partenaires commerciaux à l'élaboration de certaines de ces règles. Des initiatives analogues sont entreprises par d'autres gouvernements. Par exemple, la Commission européenne réclame une charte internationale de politique mondiale des communications applicable aux aspects techniques, juridiques et commerciaux du commerce électronique.

Au sujet de ces questions, il devrait y avoir une plus grande coordination entre l'OMC et les autres institutions et initiatives. De façon générale, pour parvenir à une certaine symétrie dans les politiques, nous estimons que l'OMC devrait collaborer plus étroitement avec les autres organisations internationales de réglementation, comme l'OCDE et l'Union internationale des télécommunications.

Une partie importante de ce travail est d'accroître la participation des associations de consommateurs. Dans chaque pays, ces associations ont acquis de nombreuses connaissances dans des secteurs aussi différents que les communications, l'environnement, la santé, etc.

Nous estimons que le gouvernement du Canada devrait non seulement consulter davantage ces groupes sur les questions commerciales, mais aussi aider les groupes canadiens à consulter leurs homologues des autres pays et à travailler plus étroitement avec eux. Pareille collaboration profitera aux consommateurs ainsi qu'à l'État et à l'industrie par la création d'un marché plus juste.

La question des normes a aussi une grande importance pour le consommateur. Les normes et la réglementation constituent d'importantes protections pour le consommateur. Les normes canadiennes doivent être maintenues et non déclassées dans les accords internationaux que nous signons. Tant qu'il n'existera pas d'harmonisation des normes à un niveau acceptable, il faut inclure dans tout accord commercial un mécanisme d'équivalence des normes. Ce critère d'équivalence devrait aussi s'appliquer aux renseignements personnels, à la protection des données et aux mesures de protection du consommateur.

Enfin, lors de toute négociation à l'OMC, le gouvernement du Canada devrait obtenir et faire connaître l'avis de la population sur les propositions précises faites par le Canada et d'autres pays. Les négociations commerciales sont un processus dynamique et cette façon de procéder permettrait aux intérêts canadiens de se prononcer sur les possibilités et les oublis que présentent les négociations.

Nous vous remercions de l'occasion qui nous a été donnée de participer à vos travaux et nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur. Cela nous a beaucoup aidés.

Nous entendrons maintenant M. Munson, de l'Association canadienne de la technologie de l'information.

• 0900

M. William Munson (directeur des politiques, Association canadienne de la technologie de l'information): Merci. Bonjour.

L'ACTI, Association canadienne de la technologie de l'information, est la voix de l'industrie canadienne de l'information et des communications. L'Association représente des entreprises du secteur du matériel informatique et de télécommunications, des logiciels, des services et du contenu électronique.

Les membres de l'Association représentent plus de 80 p. 100 des 418 000 emplois, des 70 milliards de dollars de recettes et des quelque 20 milliards de dollars d'exportations que l'industrie de la technologie de l'information et des communications contribue chaque année à l'économie canadienne.

Par le passé, l'Association a vigoureusement soutenu les négociations en faveur de la première entente sur la technologie de l'information sous les auspices de l'Organisation mondiale du commerce. Nous avons soutenu tout autant les négociations en vue de la phase deux de l'entente, qui se poursuit toujours.

L'Association s'intéresse aussi vivement aux pourparlers relatifs aux communications dans le cadre de l'AGCS et a collaboré à un mémoire présenté au ministre par le Conseil canadien pour le commerce international il y a quelques années. Notre intérêt pour les négociations commerciales montre combien nous sommes sensibles à l'importance de la technologie de l'information et des communications, l'un des moteurs de la croissance économique de tous les secteurs économiques du monde.

Comme notre secteur évolue particulièrement rapidement, nous espérons que les négociations commerciales permettront d'obtenir ce que l'on appelle une récolte hâtive qui comprendra les éléments qui intéressent particulièrement notre secteur. Je parle ici du parachèvement de la deuxième phase de l'entente sur la technologie de l'information, ou ATI2, censée inclure les pays et des produits absents de la première phase et lever certains obstacles techniques au commerce, c'est-à-dire les normes nationales qui ralentissent les échanges de biens entre pays.

Nous voudrions que soit prolongé le moratoire sur les droits de douane applicables aux produits électroniques, comme l'a mentionné Mme George tout à l'heure. Nous souhaitons également une concertation mondiale en matière d'élaboration et d'application des normes.

S'agissant maintenant du commerce électronique, nous sommes heureux de voir que l'industrie mondiale des TI souscrit de plus en plus à la définition très large que l'ACTI donne du commerce électronique, à savoir toute transaction faisant intervenir le transfert de produits ou de services d'information ou des paiements au moyen de réseaux électroniques. Cela désigne l'emploi de communications électroniques pour la conception, la production, la réclame, le catalogage, l'inventaire et l'achat de produits et de services ayant une valeur économique ainsi que la méthode de règlement des comptes.

Pour l'ACTI, le commerce électronique offre aux pays à tous les stades de développement la possibilité d'obtenir des avantages, premièrement, en augmentant l'efficacité organisationnelle et de gestion interne; deuxièmement, en augmentant l'efficacité des opérations et en réduisant les coûts de transaction du fournisseur et de l'acheteur; troisièmement, en élargissant le marché des fournisseurs et en augmentant le choix pour les fournisseurs et les consommateurs; et, quatrièmement, en fournissant des renseignements justes permettant d'améliorer la prestation du service dans des domaines comme les soins de santé ou la diffusion de renseignements aux consommateurs.

L'ACTI reconnaît que la plupart des problèmes de commerce électronique sont abordés lors des négociations sur les produits de TI, les télécommunications, les services financiers, et les négociations dans d'autres secteurs. Toutefois, du travail doit être accompli pour veiller à ce que des démarches internationales s'effectuent dans divers domaines axés sur le commerce électronique.

Cela comprend la sécurité et le chiffrement de l'information. L'accès à des outils techniques efficaces d'amélioration de la sécurité et des systèmes d'information, comme le chiffrement et les technologies de gestion des clés de chiffrement, est le préalable incontournable de l'acceptation et de la croissance du commerce électronique.

L'ACTI estime que les pays ne devraient pas tenter de limiter l'emploi, l'exportation ou l'importation de produits de chiffrement. Le commerce libre de ces produits est indispensable à la viabilité de l'infrastructure de commerce électronique et permet aux fournisseurs de ces produits de soutenir avec succès la concurrence à l'échelle mondiale.

• 0905

Les accords commerciaux devraient se conformer aux lignes directrices et aux politiques de l'OCDE en matière de chiffrement de manière à ce que les règles dans ce domaine ne fassent pas obstacle au commerce international.

Deuxièmement, les signatures numériques sont au coeur du commerce électronique de confiance. Les parties qui souhaitent effectuer des opérations par la voie électronique doivent avoir l'assurance que leur propre signature numérique est valable en droit; que les signatures, identités et autres attributs électroniques des autres parties ont été clairement établis et acceptés; et que les tierces parties, comme les organismes d'attestation, sont fiables et dignes de confiance.

Les États doivent répondre à ces besoins en éliminant les obstacles juridiques à l'emploi des signatures numériques. S'il faut une nouvelle loi nationale pour admettre les signatures numériques, celle-ci devrait être introduite dans tous les États participants conformément à un calendrier convenu.

Les États doivent aussi faciliter l'apparition d'organismes privés fiables d'attestation et chercher à établir un cadre multinational de reconnaissance de ces organismes.

Troisièmement, dans le domaine fiscal, les problèmes de compétence fiscale doivent être réglés à une échelle internationale en consultation avec notre secteur. Les mesures d'imposition nationales ou infranationales ne doivent pas favoriser le recours à des refuges fiscaux par les fournisseurs de services de commerce électronique. De même, les codes fiscaux ne devraient pas interpréter la simple présence de matériel électronique dans un pays comme signe d'établissement imposable permanent dans ce pays.

À l'échelle internationale, le Canada devrait se pencher particulièrement sur l'élaboration de principes mondiaux d'imposition et d'un cadre permettant de trouver des méthodes équitables et applicables d'imposition du commerce électronique. L'ACTI espère que la rencontre de novembre de cette année de l'OMC aboutira à l'extension du moratoire actuel sur les droits de douane qui frappent les produits expédiés électroniquement d'un pays à l'autre.

Sur ces mots, je vous remercie du temps que vous m'avez accordé et de votre attention.

Le président: Merci beaucoup.

Nous entendrons maintenant deux personnes qui comparaissent à titre personnel.

Monsieur Carroll.

M. Jim Carroll (témoignage à titre personnel): Sachez d'abord que je suis comptable agréé, ce qui est une bonne ou une mauvaise chose, selon la personne à qui l'on s'adresse.

J'ai rédigé 25 ouvrages sur Internet qui se sont vendus à environ 650 000 exemplaires au Canada. Certains d'entre vous en ont sans doute acheté quelques-uns. Je suis un habitué du circuit des conférenciers. J'ai été conférencier d'honneur dans un grand nombre d'organisations et j'ai parlé à des dizaines de milliers de Canadiens des répercussions du commerce électronique et Internet sur nos vies et sur la façon dont nous faisons des affaires.

Je n'ai pas de texte à vous lire ce matin. J'ai attrapé quelques acétates d'un exposé que j'ai eu la chance de faire la semaine dernière aux Bahamas pour les dirigeants des 10 principales compagnies d'assurance du Canada.

Je ne suis pas un spécialiste du GATT. Je ne connais pas grand-chose à l'OMC. Par contre, je sais quel effet le commerce électronique et Internet ont sur l'économie mondiale. Ce que j'ai fait pour eux et ce que je vais essayer de faire pour vous dans le temps qui m'est donné, c'est mettre en perspective comment cela va changer l'économie mondiale et peut-être vous faire un peu mieux comprendre qu'Internet est un phénomène bien plus grand que vous le soupçonnez.

En guise d'introduction, pour mettre les choses en perspective, sachez que je dis souvent qu'Internet sera la base de la majorité des transactions mondiales entre entreprises et entre consommateurs dans les 20 prochaines années. Il faut mesurer l'importance de ce phénomène pour l'économie mondiale. Cela va impliquer toutes sortes de choses.

Premièrement, il faut d'abord admettre que les modèles d'entreprise qui existent depuis 100 ans vont éclater sous l'effet d'Internet.

La semaine dernière, avec les cadres du secteur des assurances, je leur ai montré comment Internet et le commerce électronique vont changer la nature même de leur secteur d'activité, les interactions des consommateurs avec eux et la façon dont s'effectuent les opérations.

Certains secteurs sont déjà bien engagés dans la voie du changement. Les agences de voyage en sont un bon exemple. Ce matin, je suis venu ici par avion avec un billet que j'ai acheté directement de Canadian Airlines par Internet. L'agent de voyage n'a rien eu à voir avec la transaction. Quand un changement comme celui-là se produit, il faut savoir que la transaction peut se faire aussi bien avec une organisation qui est à l'extérieur du pays.

• 0910

Lorsque nous sommes allés aux Bahamas...

Le président: Est-ce qu'Internet vous permet de voyager par avion sans toutes les vexations à l'aéroport?

Des voix: Oh, oh!

M. Jim Carroll: Ça ne les élimine pas, mais ça viendra un jour.

Le président: Il y a toujours ces foutues files d'attente et ce manque d'organisation.

M. Jim Carroll: Non, il y a encore des problèmes avec les gens.

L'hon. Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Et qu'arrivera-t-il des bagages perdus?

M. Jim Carroll: En fait, j'ai été privé de mes bagages pendant deux jours; alors, ça non plus, ça ne s'améliore pas.

Le président: Si vous aviez Internet et si c'était la réalité virtuelle, vous pourriez toujours être aux Bahamas en train de vous amuser et de nous parler.

M. Jim Carroll: Non, je préfère être au pays.

Il faut se rendre compte que la transaction commerciale peut se faire à l'extérieur du pays. Pour certaines parties de mon billet pour les Bahamas, j'ai acheté le billet sur un site appelé «Travelocity», une filiale du système SABRE d'American Airlines. Moi, un Canadien, j'ai effectué l'opération commerciale avec une société américaine. Il est vrai que les affaires pourront changer à l'échelle de la planète.

Deuxièmement, dans le milieu des affaires, les opérations d'une entreprise à l'autre vont migrer sur Internet très rapidement.

L'économie d'aujourd'hui repose encore beaucoup sur le papier. Nous échangeons encore beaucoup de papier. Le volume de papier continue d'augmenter et continuera toujours, mais de plus en plus les transactions entre entreprises se feront sur Internet. De la même façon, entre le consommateur et l'entreprise, le comportement du consommateur est en train de changer.

Nous qui utilisons Internet sommes en pleine métamorphose—dans la façon dont nous cherchons l'information, dont nous effectuons une transaction avec une organisation et dans la façon dont nous choisissons de traiter avec le monde des affaires. Le plus important, c'est que la jeune génération, les moins de 25 ans, qui comprennent cette technologie, l'acceptent. Cette génération s'en servira pour la plupart des choses qu'elle fait.

La troisième conséquence d'Internet, c'est qu'il y aura de nouvelles gigantesques formes de concurrence au sein des industries et contre les organisations. Il sera très difficile pour une organisation de se défendre. Sur le plan de la concurrence, ce ne sera pas beau. Je pense à ce qui se passe dans le secteur de l'immobilier.

On estime en effet que dans cinq ans, 30 p. 100 des opérations immobilières, à l'achat d'une maison, se feront sur Internet. C'est là que les gens trouveront une maison. On pense que 30 p. 100 des prêts hypothécaires seront consentis sur Internet d'ici à cinq ans.

Dans ce secteur, les nouvelles formes de concurrence sont très intéressantes. Il y a beaucoup de nouveaux concurrents, mais il y a un type qui a décidé de jouer dans ce secteur, et c'est Bill Gates. Tout d'un coup, il y a encore une fois une grande entité américaine qui pénètre sur le marché, qui fait la concurrence à beaucoup d'organisations établies et qui choisit de changer la façon de faire des affaires.

Une autre conséquence d'Internet, c'est qu'il y aura une très rude concurrence sur les prix. Cela se fera dans les agences de voyage et dans les marchés financiers comme l'assurance. Cela arrivera avec les produits et avec les services. Cela va complètement égaliser le terrain et beaucoup d'organisations vont convoiter le même consommateur. Cela signifie que beaucoup de produits et de services verront une concurrence fondée sur le prix.

Troisièmement, il y aura un changement de paradigme sur l'origine de la transaction. Auparavant, si on voulait acheter de l'assurance, on appelait son courtier.

D'ici les six à 12 prochains mois, je vous parie que Ford du Canada ou Ford des États-Unis va ajouter un bouton à son site Web et qu'elle va vous vendre une voiture. À côté, il y aura un autre bouton qui vous permettra d'acheter l'assurance au même moment. À partir de ce moment-là, la transaction ne commencera plus chez le courtier ou l'agent d'assurance, mais plutôt chez Ford du Canada ou des États-Unis.

Quatrièmement, dans le monde des affaires, on assistera à la rénovation complète de ce que dans le monde des TI on appelle le système dorsal, la façon de traiter le papier dans une organisation.

L'exemple que j'ai en tête c'est celui de la General Electric et de sa division de l'éclairage. Avant, elle envoyait un ordre d'achat, une demande de proposition, sur le papier. Aujourd'hui, elle le fait sur Internet. Elle estime avoir réussi à réduire et relocaliser son personnel, qui accomplit maintenant des tâches plus importantes, et avoir économisé 70 p. 100 du coût de ses transactions. L'effet a été tel que la technique s'appliquera dorénavant à toute l'entreprise.

• 0915

Le monde des affaires s'est aperçu qu'il y a d'énormes économies à réaliser en rénovant les transactions dorsales.

Cela est tiré de l'exposé devant les compagnies d'assurance que j'ai fait la semaine dernière. Le transfert des certificats d'assurance aux États-Unis coûte environ un milliard de dollars. Pour déplacer du papier, c'est ce que ça coûte: un milliard de dollars. Cet argent peut être économisé en effectuant ces transferts sur Internet. Quantité d'entreprises essaient d'en faire autant parce qu'elles peuvent réaliser d'énormes économies de cette façon.

Quatrièmement, il y aura beaucoup de nouveaux concurrents sous la forme de sociétés cyberfutées qui vont forcer tout le monde à jouer le jeu. Internet ne sera plus quelque chose de facultatif, ce sera une nécessité. Si vos concurrents font quelque chose de sensé pour le consommateur, qui leur rend la vie plus facile, ils vont abaisser le coût de leurs activités. Ils vont réussir à faire profiter leurs consommateurs de ces économies, forçant ainsi la concurrence à en faire autant.

La chose la plus intéressante à propos d'Internet actuellement c'est que la plupart des modèles d'entreprise avancés, le degré d'activité le plus grand sur Internet, se trouvent à être aux États-Unis. Les compagnies américaines vont donc forcer les compagnies canadiennes à leur corps défendant à en faire autant, que cela leur plaise ou pas. Cela va réduire considérablement le temps nécessaire à la réalisation d'une opération commerciale.

Dans le secteur de l'assurance, encore une fois, une opération qui prenait des jours, trois ou quatre semaines, s'effectuera maintenant en 48 heures. C'est un des effets mondiaux d'Internet. Les affaires pourront se brasser beaucoup plus rapidement.

Le rôle de l'intermédiaire va changer radicalement. Moi, je ne vois plus d'agent de voyage. Je n'en vois plus depuis deux ans. Il y a quelqu'un quelque part à qui je ne paie pas de commission. Il y a quantité de secteurs où foisonnent des intermédiaires et ces secteurs vont changer radicalement.

Internet transforme aussi les liens entre l'entreprise et ses intermédiaires. Les Lignes aériennes canadiennes et Air Canada ont toutes les deux informé les agents de voyage qu'elles vont plafonner la commission sur les billets. Elles savent en effet qu'il y a de plus en plus de clients qui vont acheter leur billet en ligne et qui préfèrent ce type d'opération. Cela coûte passablement moins cher aux deux compagnies que de payer un agent de voyage. Elles empochent ainsi plus d'argent. Il y a donc des changements importants dans les rapports entre ces organisations.

Là où cela m'amène, et chacun d'entre nous en entend parler depuis quelque temps, c'est que cela va créer une économie authentiquement mondiale, où il sera très difficile de déterminer le point de départ de la transaction, voir l'endroit de la transaction.

Moi, je vends des livres sur mon site Web. Je me sers de la technologie d'IBM. Si le Canada devait appliquer une lourde taxe qui me pénaliserait parce que je vends mes livres par Internet, je pourrais en quelques minutes délocaliser mon magasin à Antigua, à Hong Kong ou à Singapour ou à un autre endroit qui m'accordera un refuge fiscal.

La conclusion, c'est que beaucoup des choses qui vont nous toucher sur Internet vont venir de l'extérieur du pays, en particulier des États-Unis. Je pense qu'il faut aussi observer attentivement des pays comme Singapour, qui fait un large usage de cette technologie.

En guise de conclusion, après avoir lu les documents d'introduction, j'ai vu que l'on parle beaucoup de la nécessité de se pencher sur la question culturelle dans ce cycle de négociations. Je suis convaincu—et on m'a souvent cité dans les journaux sur ce point—que les efforts pour exercer la mainmise sur la culture canadienne à l'aide d'Internet est voué à l'échec. Ça ne marchera pas.

Aujourd'hui, sur un ordinateur installé dans mon sous-sol, je peux créer un système de radiodiffusion 24 heures sur 24 sur Internet et diffuser dans le monde entier et il n'y a pas grand-chose que quiconque puisse y faire. Il faut aussi reconnaître—et je pense que Mike Flavell vous en parlera—que tout ce que l'on croit à propos de la propriété intellectuelle et des lois et des règles à ce sujet est mis à rude épreuve par ceux qui contrôlent la technologie.

Vous allez bientôt lire dans les journaux des articles au sujet d'une technologie de distribution de musique appelée «MP3» qui va déchirer complètement l'industrie de la musique.

• 0920

À mon avis, l'essentiel pour la question culturelle, c'est que le gouvernement fédéral s'efforce de tenir compte des opinions de l'industrie de la haute technologie sur la façon de faire face à tous ces curieux problèmes techniques. À cet égard, je félicite Industrie Canada d'avoir fait des démarches au sujet de la question du chiffrement et d'avoir écouté le point de vue de l'industrie de la haute technologie et de s'être rangé à son avis qui consistait à dire qu'on ne pourrait pas la contrôler. Selon moi, il faut faire le même genre de chose pour toutes les autres questions culturelles.

Merci beaucoup.

Le président: Merci.

Notre dernier témoin est M. Flavell. Ensuite, les membres du comité pourront poser des questions.

Vous avez dix minutes, monsieur Flavell.

M. C.J. Michael Flavell (témoignage à titre personnel): Je prendrai les dix minutes.

Je suis très heureux de parler après mon ami, M. Carroll, qui vous a dit qu'il était comptable. Cela va aider à mieux faire passer le fait que je sois avocat.

Des voix: Oh, oh!

M. Michael Flavell: Les deux professions se font d'habitude huer à peu près autant l'une que l'autre, sauf bien sûr, aux réunions d'avocats. Nous sommes très populaires au congrès du Barreau.

Je pratique le droit commercial et le droit de la concurrence depuis une trentaine d'années. Je me considère comme un partisan avoué de la libre entreprise. Je juge aussi que la concurrence est la meilleure façon de protéger tant les entreprises que les consommateurs.

Les échanges de ce matin m'ont bien intéressé. Cela met en lumière le problème essentiel que les témoins et les parlementaires doivent résoudre.

M. Reddick l'a très bien exprimé en disant que nous devons conserver certaines choses. Nous devons conserver le droit de réglementer, c'est-à-dire d'établir des règlements utiles.

D'autres vous ont dit que nous devons pouvoir faire le commerce complètement et sans contraintes. Après tout, c'est de là que vient le problème, n'est-ce pas? Nous voulons avoir la possibilité de faire de plus en plus de commerce parce que nous le faisons tellement bien et tellement efficacement, mais nous ne voulons pas céder notre pouvoir de réglementer et de rester raisonnablement souverains.

L'objectif consiste donc à obtenir le plus possible d'une part et à céder le moins possible d'autre part. Je n'envie pas les parlementaires et je n'envie pas non plus nos négociateurs qui devront essayer de faire la part des choses entre ces besoins contradictoires.

Pendant les minutes qui me restent ce matin, je vous parlerai de la Loi sur la concurrence et de ses rapports avec le droit commercial.

Je vous ai remis des notes et j'espère que vous les aurez distribuées. Il s'agit d'un document de quatre pages qui porte bien en évidence le nom de mon cabinet, Flavell Kubrick and Lalonde, pour des raisons qui se passent d'explications. Nous ne sommes pas autorisés à faire de la publicité dans la plupart des médias.

Le président: Pouvez-vous le faire sur Internet?

M. Michael Flavell: C'est un mécanisme que nous essayons effectivement d'utiliser, monsieur le président.

De toute façon, si vous voulez bien suivre ce document, je vais en rester relativement près pour huit minutes.

Bien des gens croient à tort que le droit de la concurrence et le droit commercial ne sont pas vraiment apparentés. Ce n'est pas le cas. D'après moi, l'ensemble des mesures de libéralisation des lois commerciales, dont les principaux éléments sont la baisse des tarifs, un meilleur accès, la transparence et la non-discrimination, et les principaux éléments des lois sur la concurrence, comme les restrictions relatives aux combinaisons horizontales et les limitations du pouvoir excessif sur le marché, ont les mêmes objectifs et le même résultat, celui d'augmenter la concurrence. En augmentant la concurrence, nous espérons favoriser l'efficience et le bien-être des consommateurs.

Le droit commercial permettra d'avoir plus d'intervenants sur un marché donné parce qu'on autorisera les étrangers à y participer sans contraintes indues. Dans le domaine des lois sur la concurrence, il y aura plus d'entreprises compétitives parce que les cartels qui pourraient chasser la concurrence ou les mauvaises pratiques de distribution, comme celles dont on entend parler dans les médias tous les jours, ne seront plus autorisés. Le marché sera donc plus libre et comprendra plus d'intervenants. Ceux-ci feront des choses qui, nous l'espérons, seront à l'avantage des consommateurs et des entreprises du Canada.

• 0925

Les recours commerciaux, et je fais ici une distinction par rapport aux lois commerciales, parce qu'ils ne sont qu'un petit élément de ces lois—et un exemple qu'on mentionne souvent est celui de l'antidumping—sont davantage susceptibles de produire des effets anticoncurrentiels parce qu'ils visent à protéger le producteur canadien et peuvent entraîner des hausses de prix.

Il faut cependant se rappeler que la libéralisation du commerce ne vise pas à rendre le commerce injuste et que les mesures antidumping représentent peut-être une exception équitable à l'objectif général qui consiste à accroître l'ouverture et la concurrence.

Autrement dit, ce n'est pas simplement parce qu'on a un régime commercial libéralisé et qu'on essaie de promouvoir le plus possible les échanges qu'on est obligé de céder son droit de lutter contre ce que l'on considère comme étant un commerce injuste. Bien entendu, la pratique commerciale injuste qu'est le dumping serait celle où des exportateurs étrangers vendent à des prix plus faibles que les prix au Canada, ce qui nuit aux producteurs canadiens.

Une différenciation des prix non abusifs par un exportateur étranger qui n'a pas de pouvoir commercial sur le marché d'importation, en l'occurrence le Canada, ne peut pas être contrée par les lois traditionnelles sur la concurrence. Vous entendrez souvent des gens dire qu'on devrait se débarrasser des mesures antidumping et adopter plutôt des lois sur la concurrence et que cela résoudrait tout problème de fixation de prix.

Cependant, le fait est que les lois sur la concurrence stipulent normalement qu'il y ait abus si l'on veut constater et interdire la différenciation des prix et les prix abusifs. Il faut que celui qui fixe ces prix veuille nuire à son concurrent et ait le pouvoir commercial de le faire parce qu'il essaie effectivement de couper ses prix et de chasser son concurrent pour avoir ensuite les avantages de prix monopolistiques. C'est impossible sans pouvoir commercial.

Si j'abandonnais les mécanismes antidumping pour adopter les règles normales relatives aux prix abusifs dans les lois sur la concurrence, j'abandonnerais à toutes fins utiles mon droit de prendre des mesures antidumping. Dans toutes les affaires dont je me suis occupé, je ne me rappelle pas vraiment d'une seule où l'entreprise étrangère était abusive, c'est-à-dire voulait particulièrement chasser ses concurrents canadiens, ou avait des pouvoirs considérables sur le marché. Souvent, elles n'ont que de 5 p. 100 à 10 p. 100 du marché, ce qui est suffisant pour nuire aux producteurs canadiens, mais pas assez pour correspondre à la définition du pouvoir sur le marché qu'on retrouve dans les lois sur la concurrence.

Donc, à moins de changer plutôt radicalement les lois sur la concurrence, et je pense que cette possibilité est relativement limitée à court terme, échanger des mesures antidumping pour des lois sur la concurrence ne serait pas vraiment un échange, mais une simple capitulation.

Certains, des gens très distingués, ont préconisé un ensemble harmonisé international de lois sur la concurrence. Ils considèrent que si tout le monde avait les mêmes lois sur la concurrence, un exportateur canadien vers un pays X qui constate certaines pratiques anticoncurrentielles, par exemple la fixation des prix, une différenciation des prix, ou autre chose, saurait qu'il existe un ensemble de lois harmonisées sur la concurrence partout dans le monde et qu'il a des droits comparables à ceux qu'il aurait chez lui et pourrait avoir un moyen de recours à sa disposition.

L'harmonisation ne se fait pas aussi rapidement que certains le voudraient. Le groupe de travail de l'OMC, qui a publié un rapport il y a à peine quelques mois, a noté que pour certains, «le moment ne semble pas propice pour avoir des discussions détaillées à l'OMC sur l'harmonisation des lois et pratiques en matière de concurrence» et qu'il y avait peut-être un «manque de consensus international sur des règles optimales pour la concurrence».

On considère les États-Unis comme s'opposant à l'harmonisation. Je pense avoir dit la même chose de façon quelque peu atténuée dans mes notes. J'ai qualifié l'attitude des États-Unis de «prudente» et de «doucement négative». On n'emploie pas souvent le terme «doucement» en parlant de nos amis américains, mais leur position est relativement raisonnée vu qu'ils affirment que si nous essayons d'harmoniser les lois sur la concurrence partout dans le monde, nous aboutirons nécessairement avec le plus petit dénominateur commun.

• 0930

De façon générale, pour presque tous les aspects de leurs lois, ils estiment qu'ils disposent de ce qu'il y a de mieux, que leurs lois sont incomparables et ils ont l'impression—car ils sont assez réalistes pour s'en rendre compte—que si l'on parle d'harmonisation avec 100 interlocuteurs, ou même 20, leurs lois pourraient s'en retrouver diluées. En effet, certains aspects seront perdus. Ils ne souhaitent pas cela.

Ils font remarquer que même s'il est vrai que nous vivons dans une économie mondiale, nous ne vivons pas dans un État unique, c'est-à-dire que le droit n'est pas identique dans tous les pays. En effet, il y a même des différences appréciables entre le droit canadien et le droit américain.

Je recommande donc que le Canada procède avec circonspection à cet égard. Je pense que nous devrions travailler sans interruption pour réaliser une harmonisation autour de trois ou quatre principes. Ces principes sont assez évidents.

Le premier est que les infractions ou les pratiques que la plupart des pays avec lesquels nous faisons du commerce... dans la plupart de ces pays-là, les règles sont semblables.

Deuxièmement, l'interdiction des concentrations ou conspirations horizontales anticoncurrentielles. Aux États-Unis, c'est la Loi Sherman qui vise cela et au Canada, l'article 45 de la Loi sur la concurrence.

Les cas d'abus de position dominante, ceux des fusions restreignant la concurrence et peut-être certaines contraintes verticales anticoncurrentielles comme par exemple les distributions exclusives et d'autres accords anticoncurrentiels du même genre sont visés par ce principe.

Sans engager un bras de fer avec nos amis américains, nous pouvons à mon avis envisager l'harmonisation graduelle et réaliser de grands progrès. Nous avons déjà progressé sur le plan de la coopération internationale pour la mise en application, car il existe des accords permettant aux autorités responsables des pratiques restrictives dans divers pays, y compris le Canada, les États-Unis et les pays de l'Union européenne, de travailler en commun pour intenter des poursuites et ainsi tuer dans l'oeuf certaines pratiques qui seraient difficiles à éradiquer, autrement, à cause de leur caractère international.

En terminant, je le répète, allez-y doucement en ce qui a trait à la Loi sur la concurrence, travaillez plutôt en vue d'une harmonisation et travaillez ardemment pour établir des procédures favorisant la coopération de la mise en application à l'échelle internationale.

J'avais une deuxième feuille. Je répondrai volontiers aux questions qu'elle suscite car il s'agit de l'antidumping et des droits compensateurs dans le contexte des lois sur la concurrence.

Par courtoisie pour le président et à cause de mon emploi du temps, je vais m'arrêter ici mais je répondrai volontiers aux questions que vous avez sur ces deux sujets-là.

Le président: Merci beaucoup. Votre exposé nous est très utile.

Nous passons maintenant aux questions. M. Penson va commencer.

M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Merci, monsieur le président.

J'ai trouvé ce groupe de discussion fort intéressant.

Monsieur Flavell, je pense que vous avez réellement mis le doigt sur le problème. Je dirais que toute cette querelle entre réglementation et progrès technologiques ne date pas d'hier. Un de mes parents très célèbres, en Angleterre, au début du XIXe siècle, a inventé la locomotive à vapeur, le premier chemin de fer. Au Parlement anglais à l'époque, on s'interrogeait sur l'opportunité de l'autoriser. On a donc limité la vitesse du premier train à 12 milles à l'heure car on craignait qu'il n'effraie les animaux dans les champs et suscite chez eux des crises cardiaques, notamment.

Cela prouve que le débat n'a pas tellement évolué en deux cents ans. À mon avis c'est là le problème. Il est difficile de prévoir des règlements qui soient appropriés aux progrès techniques.

Si je ne m'abuse, le recours aux lois sur la concurrence n'est pas la solution que vous préconisez avant tout, mais ne serait-ce pas là le moyen de ralentir une compagnie comme celle de Bill Gates? Aux États-Unis, on l'accuse actuellement d'occuper une position dominante sur le marché.

N'est-ce pas de cela dont nous devrions nous soucier plutôt que de règlements pour protéger notre souveraineté? Devrions-nous nous inquiéter davantage d'une position dominante sur le marché?

J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Michael Flavell: Je ne voudrais pas que l'on pense que je suis contre les lois sur la concurrence quand il s'agit d'enrayer un mal national si, en fait, M. Gates a effectivement mal agi comme la poursuite le laisse entendre.

• 0935

Je voulais tout simplement dire que je ne suis pas sûr qu'il soit opportun de vouloir à tout prix réaliser le plus vite possible l'harmonisation des lois sur la concurrence pour que tout le monde soit soumis aux mêmes règles. Je disais tout simplement qu'il faut agir prudemment à cet égard car je ne suis pas sûr qu'il existe à l'heure actuelle un consensus.

En effet, le sous-procureur général américain a récemment fait un discours et déclaré que de 60 à 80 p. 100 des pays membres de l'OMC n'étaient pas dotés d'une loi sur la concurrence. Il a signalé que c'était là une des raisons pour lesquelles l'harmonisation est sans doute impossible pour l'heure.

Je suis tout à fait d'accord avec vous. Si un pays dispose de règles solides sur la concurrence qui puissent permettre de lutter contre les comportements visés traditionnellement par les lois visant à enrayer les pratiques restrictives, à la bonne heure. Ainsi, personne ne pourra profiter d'une position dominante, ou même, dans certains cas, parvenir à occuper une position dominante. Cela va certainement empêcher les gens de sévir contre la concurrence en ayant recours au boycottage. Cela va empêcher les gens de fixer les prix au détriment des consommateurs et de ceux qui ne font pas partie du club.

Ainsi, je suis tout à fait favorable à une application vigoureuse des lois visant la restriction de la concurrence au Canada et en collaboration avec nos amis américains, avec lesquels nous avons déjà un accord à cet égard, avec des poursuites transfrontalières, comme on a pu le constater dans l'affaire désormais célèbre Midland ADM, où des amendes énormes ont été imposées.

M. Charlie Penson: Mais le...

Le président: Monsieur Penson, permettez-moi d'intervenir, s'il vous plaît?

M. Charlie Penson: Allez-y.

Le président: Si je comprends bien, vous dites qu'il serait difficile d'atteindre un consensus mondial. Cela montre une des difficultés majeures de l'OMC, car les pays réunis appartiennent à des régimes très différents et ils doivent travailler ensemble. Mais voyons les choses au niveau de l'ALENA. Vous dites que les lois antidumping constituent un outil tout indiqué pour lutter contre les pratiques restrictives quand il s'agit d'importations car il n'existe pas de lois sur la concurrence communes qui permettraient de régler le problème de la fixation de prix abusifs et nous savons que les Européens ont dû renoncer à cette idée dans leur marché intégré. Mais dans le contexte de l'ALENA, qu'en est-il? Les lois antidumping dans ce qui est en train de devenir de plus en plus un marché interne constituent une entrave majeure au commerce et l'on devrait plutôt recourir à des lois sur la concurrence, n'est-ce pas?

Il semble que l'on se rallie de plus en plus à cette notion. Êtes-vous d'accord?

M. Michael Flavell: C'est certainement une opinion tout à fait respectable. Selon moi, l'inconvénient, si l'on procède ainsi, vient du fait que le droit canadien et le droit américain ne sont pas identiques. On a tendance à penser qu'ils le sont.

J'ai demandé un jour à un homme d'affaires canadien qui préconisait cela s'il aimait l'idée de devoir passer cinq ans devant un tribunal du Texas, avec jury, et être passible de dommages-intérêts triples. Il m'a regardé avec étonnement. Je lui ai dit que c'est ce qui se produirait si nous harmonisions nos lois sur la concurrence en Amérique du Nord, sur le modèle américain.

Le président: Vous ne pensez pas qu'harmoniser notre orientation...

Des voix: Oh, oh!

M. Michael Flavell: Est-ce courant?

Le président: D'accord. Je comprends.

Merci.

M. Charlie Penson: Je voudrais aborder un autre sujet. Je pense que c'est M. Reddick qui a fait allusion à la nécessité d'une meilleure coordination entre les ministères.

Je suppose que vous pensiez alors aux négociations commerciales elles-mêmes. Je voudrais que vous nous en disiez plus long. J'avais l'impression que lors des négociations commerciales, on pouvait compter sur une assez bonne coordination entre les ministères. Il y a des représentants de tous les ministères qui discutent avec les négociateurs canadiens quant à ce qui est avantageux pour leur propre secteur.

Vous en avez évoqué quelques-uns, disant, par exemple, que la question culturelle avait été abordée avec le projet de loi C-55, ou que l'OMC s'en prend à nous pour le Programme des partenariats technologiques... À mon avis, c'est sans doute une bonne chose, parce que l'OMC conteste des mesures que nous avons signées et pour lesquelles nous nous sommes battus ardemment.

Je pense même, monsieur Reddick, que le Canada a été un des premiers à soulever certains de ces problèmes. Est-ce que par hasard, vous pensez que nous l'avons fait sans savoir ce que nous faisions?

Comment en êtes-vous venu à vos conclusions?

M. Andrew Reddick: Je voudrais répondre sans offenser personne.

L'année dernière, par exemple, dans le cadre de l'AMI, nous avons eu des discussions avec des fonctionnaires d'Industrie Canada et d'autres ministères. Je vais prendre l'exemple d'Industrie Canada.

• 0940

Vous avez absolument raison, il y a eu des consultations approfondies entre les négociateurs du Commerce extérieur, des Affaires étrangères, et les fonctionnaires des services internes ou externes d'Industrie Canada et de la Direction générale des politiques. Mais Industrie Canada est un très vaste ministère. Il y a eu très peu de consultations—sinon pas du tout—avec les gens des autres services ministériels qui conçoivent les nouveaux programmes et services et qui définissent les règles du commerce électronique et de l'autoroute de l'information pour les années à venir. Dans les discussions de l'AMI l'année dernière, par exemple, les règles et les dispositions qu'on a failli adopter auraient pratiquement anéanti certains de ces programmes.

Voilà donc un exemple où l'on voit que les communications au sein du ministère ne sont pas nécessairement très bonnes, et qu'on n'a peut-être pas frappé aux bonnes portes lors des consultations entreprises dans le cadre de cette initiative.

M. Charlie Penson: Vous ne pensez pas que nous essayons de jouer sur les deux tableaux? Nous voulons accéder aux marchés des autres pays et les faire renoncer au protectionnisme, mais nous tenons à continuer à l'appliquer plus ou moins chez nous, et nous n'avons jamais été capables d'y renoncer.

M. Andrew Reddick: Oui, c'est sans doute un aspect de la réalité, mais je vais vous donner un autre exemple. Il y a deux semaines, l'Association canadienne des bibliothèques et nous-mêmes avions invité plusieurs ministères à une réunion d'une journée où nous avons discuté... à tour de rôle, tous les participants ont indiqué ce qu'ils faisaient en matière d'accès à Internet, de programmes, d'initiatives en cours pour doter les centres communautaires d'ordinateurs, de développement du contenu local, de participation au développement économique, etc. Nous y avons consacré toute la matinée et chacun avait 15 minutes pour faire un exposé. À la fin de la matinée, nous avons demandé: «Combien de personnes ici présentes ont appris quelque chose de nouveau ce matin?» Des représentants de tous les ministères ont levé la main.

Ce qui est intéressant, c'est que tous ces ministères interviennent dans la fourniture du même genre de service: ils aident les Canadiens à se connecter, ils installent tous des ordinateurs dans différents centres de la communauté et ils produisent tous du contenu. On a donc constaté qu'il n'y avait pas suffisamment de communications entre ceux qui font la même chose au même niveau auprès des mêmes communautés et des mêmes groupes communautaires.

Ce que nous voulons dire, pour élever un peu le débat, c'est qu'il est d'une importance fondamentale de ne pas considérer simplement les notions traditionnelles de commerce du point de vue des politiques ou des affaires internationales. Ce que nous voulons dire, c'est qu'il est beaucoup plus important de passer à l'étape suivante et de considérer les programmes et les besoins dans les différents secteurs, de voir ce qui se passe concrètement parmi les gens qui proposent des programmes et qui peuvent être en contact avec des organismes comme le nôtre, et d'évaluer les conséquences de toutes ces décisions commerciales pour ces autres aspects. De notre point de vue, les gens dont je parle ne font pas partie du tableau.

M. Charlie Penson: Cela rejoint ce que disait M. Carroll: avec la situation qui évolue aussi rapidement, les Canadiens et les sociétés canadiennes doivent absolument comprendre le nouvel environnement s'ils veulent être concurrentiels. J'ai l'impression qu'il y a encore de nombreuses sociétés canadiennes qui n'ont pas compris qu'il n'y a plus de tarifs entre le Canada et les États-Unis, et qu'il n'y a plus non plus de droits de douane du fait de l'Accord de libre-échange; elles s'imaginent que le marché canadien leur appartient, au lieu de porter leur regard au-delà des frontières. Quelqu'un a dit tout à l'heure—je crois que c'est Mme George—qu'il y a une centaine de sociétés qui sont responsables de l'essentiel de notre commerce, et qu'il faut que les gens soient plus conscients des possibilités internationales, mais qu'ils sachent aussi que nous ne bénéficions plus de ces marchés canadiens protégés.

M. Andrew Reddick: C'est tout à fait essentiel. Je voudrais indiquer que c'est la deuxième fois en cinq ans que le gouvernement nous consulte sur l'OMC. J'imagine que certains d'entre vous s'attendaient aujourd'hui à des commentaires utiles de notre part, mais je trouve un peu étonnant qu'en cinq ans, compte tenu de tout ce qui s'est passé, on nous consulte aujourd'hui pour la deuxième fois seulement. Peut-être faut-il en déduire qu'il y aurait lieu de reconsidérer la façon dont nous abordons ces questions et d'adopter un point de vue plus prospectif et plus stratégique sur les enjeux de la situation actuelle.

M. Charlie Penson: Je ne sais pas s'il me reste du temps, mais peut-être qu'un autre témoin souhaiterait répondre.

Le président: Est-ce que quelqu'un d'autre voudrait répondre à la remarque de M. Penson?

Bien. Je suis certain que nous vous redonnerons la parole, monsieur Penson.

Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Merci aux témoins d'avoir bien voulu se présenter devant le comité. Cela donne un sens aux consultations qui ont commencé, car on veut que les Canadiens et les Québécois aient un mot à dire dans les positions de négociation qui sont élaborées par le Canada.

J'ai trois questions. La première s'adresse à M. Carroll. Vous semblez vouloir exclure toute intervention des gouvernements en ce qui concerne la culture. J'aimerais que vous m'expliquiez votre position personnelle. Est-ce que les gouvernements devraient retenir une responsabilité et exercer des contrôles lorsqu'il s'agit de la culture? S'ils ne peuvent pas le faire, comme vous le prétendez, qu'est-ce qu'on doit faire? Baisser les bras? Laisser ceux qui font la culture être les régulateurs de leur propre comportement sur l'Internet et ailleurs? C'est ma première question.

• 0945

Voici une deuxième question, qui s'adresse à M. Flavell. Notre président a fait allusion au droit européen de la concurrence. J'aimerais vous entendre sur les enseignements qui résultent de l'évolution du droit européen de la concurrence pour voir si, comme le prétendait M. Graham, au niveau régional nord-américain, il serait possible de se donner une telle politique et si, à l'échelle internationale, il faut exclure la possibilité de faire une réglementation internationale.

Ma dernière question s'adresse à M. Janigan ou à M. Reddick. Dans votre mémoire, j'ai trouvé une chose tout à fait intéressante. C'est votre référence à la question de la sécurité nationale aux États-Unis et à l'invocation qu'on fait constamment de la sécurité nationale pour échapper aux normes internationales visant à libéraliser le commerce. J'aimerais savoir si c'est une question qui devrait faire l'objet de négociations pendant la prochaine ronde du GATT et comment vous verriez le Canada faire des propositions. Quel devrait être le sens des propositions du Canada sur les questions de sécurité nationale et de commerce international?

[Traduction]

Le président: Monsieur Carroll.

M. Jim Carroll: Je n'ai vraiment pas d'opinion, ni dans un sens ni dans l'autre, sur l'opportunité des tentatives de réglementation de la culture. Je considère qu'à notre époque de nouvelles technologies, il est pratiquement impossible de la réglementer. Cela ne pourra pas fonctionner.

La presse a cité plusieurs fois mes propos lorsque je dis que nous pouvons adopter toutes les lois que nous voulons pour essayer de réglementer le volume de contenu canadien sur Internet, et que c'est comme si nous adoptions une loi pour réglementer la quantité de neige qui devra tomber dans ce pays au mois de janvier. La première loi a à peu près autant de chance de succès que la seconde.

Il faut bien admettre que les anciennes formules visant à imposer du contenu canadien, à faire en sorte qu'il atteigne un niveau suffisant, étaient fondées sur des spectres limités d'ondes de radio et de télévision, à des gammes limitées de médias imprimés. Nous entrons dans ce que l'on appelle couramment l'«univers des 500 canaux». En fait, ce n'est pas vrai; nous entrons dans un univers de 500 millions de canaux. D'ici deux ans, je pourrais lancer ma propre station de télévision sur Internet et rejoindre un auditoire mondial. Je pourrais le faire à partir d'un ordinateur situé au Canada. Je pourrais aussi le faire à partir d'un ordinateur situé à Singapour. Il n'y a pas grand-chose qu'on puisse faire pour empêcher qui que ce soit d'agir ainsi.

Si nous estimons qu'un contenu canadien ou québécois constitue un objectif admirable dans le monde actuel, il va falloir penser à autre chose qu'à la réglementation. Il faut admettre que la réglementation va devenir une impossibilité matérielle. Nous devons trouver de nouvelles façons d'intervenir.

M. Daniel Turp: Quelles sont ces nouvelles façons?

M. Jim Carroll: Personne ne le sait exactement. Certains croient qu'on pourrait injecter de l'argent dans les nouvelles industries médiatiques pour favoriser leur croissance.

Je considère, quant à moi, qu'il n'y a pas pénurie de contenu canadien sur Internet. Parmi les ouvrages que j'écris, il y en a un qui s'intitule The Canadian Internet Directory. Il paraît chaque année et énumère des milliers et des milliers de sites Web. Il y a des dizaines et des centaines de milliers de Canadiens qui diffusent leur propre contenu en direct. Il n'y a donc pas de pénurie dans ce domaine.

Cela étant dit, j'étais ce matin, dès 5 heures, sur mon vélo stationnaire, en train de lire les nouvelles du matin dans le Wall Street Journal, dans Business Week, dans différents journaux de technologie et dans quelques journaux de l'Extrême-Orient et du Canada. La réalité, c'est que je peux consulter tout cela n'importe où. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de favoriser l'épanouissement au Canada d'un environnement propice à la production de ce genre de contenu si nous jugeons utile de le faire. Nous ne pourrons rien réglementer.

Le président: Monsieur Turp, puis-je intervenir?

Je voudrais prolonger la remarque de M. Turp: si vous êtes aussi déterminé en matière de culture, vous l'êtes également en matière de pornographie juvénile.

M. Daniel Turp: Oui.

Le président: S'il est vrai que nous ne pouvons pas les réglementer, vous voulez sans doute dire que nous ne pouvons pas les réglementer au plan intérieur. Vous reconnaîtrez sans doute que s'il y avait consensus au niveau international entre les principaux intervenants pour prendre des mesures de réglementation, celles-ci auraient de meilleures chances de s'appliquer. Lorsque nous avons étudié les institutions financières internationales au sein de ce comité, que nous avons envisagé la taxe Tobin et les mesures de ce genre, nous avons tous reconnu qu'il était vain d'appliquer de telles mesures dans un seul pays, mais que la coopération multilatérale devrait permettre de les appliquer à l'échelle mondiale. N'est-ce pas ce qu'il faudra faire un jour ou l'autre? Est-ce cela que vous voulez nous dire?

• 0950

M. Jim Carroll: Exactement. Sur la question de la pornographie juvénile, j'ai souvent dit qu'on ne pourra jamais la contrôler, en réduire le volume ni adopter une loi pour l'interdire sur Internet. La seule solution, c'est d'investir dans les forces de police et dans les organismes d'application de la loi à l'échelle mondiale, pour leur permettre de dépister et d'identifier les responsables. À mon avis, c'est efficace jusqu'à un certain degré.

Mais deuxièmement, il faut donner à la GRC et aux services de police locaux la possibilité de participer à des projets d'envergure mondiale avec leurs homologues étrangers dans le cadre d'enquêtes internationales. C'est la seule façon de régler le problème. Il en va de même en matière commerciale; tout doit passer par la coopération internationale.

Le président: Bien, excusez-moi.

La question suivante était destinée à M. Flavell.

[Français]

M. Michael Flavell: Si vous me le permettez, monsieur Turp, je vais répondre dans la langue de Shakespeare.

[Traduction]

Le président: Les avocats ne parlent pas la langue de Shakespeare, monsieur Flavell. C'est un oxymoron.

M. Mike Flavell: Eh bien monsieur, avant d'être avocat, je parlais...

Le président: Shakespeare a dit, rappelez-vous, qu'il fallait pendre tous les avocats.

M. Mike Flavell: Vraiment? Il ne parlait pas des avocats de droit commercial.

M. Daniel Turp: Ni des spécialistes du droit international.

Le président: C'était bien avant qu'il y ait des avocats spécialisés en droit commercial ou en droit international.

M. Mike Flavell: M. Turp a raison de dire que l'Union européenne a beaucoup progressé vers l'élimination des mesures antidumping et l'harmonisation du droit de la concurrence. Et si les Européens l'ont fait, on peut se demander pourquoi le Canada et les États-Unis ne pourraient pas en faire autant.

La réponse—et généralement, je n'ai pas l'habitude de casser du sucre sur le dos des Américains, mais je vais le faire gentiment cette fois-ci—c'est que l'Union européenne se compose d'un certain nombre de pays qui ne sont nullement égaux entre eux, mais qui du moins, de façon générale, n'ont pas de point de vue très particulier sur divers sujets.

Nos relations avec les États-Unis sont celles d'un très petit pays, la souris, avec un très gros pays, l'éléphant. L'éléphant aime ses lois antidumping. Pour lui, c'est une valeur incontestable. Les entreprises américaines, en particulier les grosses entreprises, vocifèrent contre toute suppression de leurs actions antidumping contre les pays étrangers, y compris le Canada. Les Canadiens ont du mal à se représenter comme un ennemi ou comme le méchant en matière commerciale, mais aux États-Unis, le Canada joue un rôle majeur dans bien des domaines.

Lorsque je parle de rôle majeur, je ne fais pas nécessairement référence à la part du marché, mais des entreprises comme Stelcos et Dofascos—et il y en a bien d'autres—exportent énormément aux États-Unis, et comme c'est toujours le cas entre concurrents, il arrive que nos amis américains trouvent que les prix pratiqués par les sociétés canadiennes frisent la limite acceptable, voire qu'ils la dépassent parfois.

Les Américains veulent persister dans leur recours antidumping. Et comme je l'ai dit, ils restent farouchement attachés à leur législation antitrust; on peut lire encore aujourd'hui des traités philosophiques enflammés sur les avantages incomparables qu'ont apporté les poursuites en triple dommages-intérêts à l'Amérique.

On remarque sur plusieurs questions très importantes un état d'esprit qui, à mon avis, sera très difficile à infléchir dans le contexte nord-américain.

[Français]

Le président: C'est très intéressant.

M. Daniel Turp: [Note de la rédaction: Inaudible].

[Traduction]

M. Andrew Reddick: À notre avis, il sera très difficile de convaincre les Américains qu'ils ne devraient ou qu'ils ne peuvent pas recourir à leurs mesures de sécurité nationales, pour ainsi dire. Je ne pense pas qu'ils puissent l'accepter. Cependant, nous devrions pouvoir réagir en disant que «la culture est pour nous ce que la sécurité nationale est pour eux».

Mme Sheila Finestone: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. Andrew Reddick: C'est très important.

Je crois que l'exemption culturelle est un point de comparaison important. Les Américains considèrent la sécurité nationale d'un point de vue strictement militaire. Au Canada, je considère la sécurité nationale davantage comme une question d'infrastructure, de qualité de la vie, de santé, d'environnement et de communications. Tous ces éléments présentent une certaine dualité. D'un côté, il y a des produits et des services commerciaux offerts sur un marché ouvert. Par ailleurs, de par la nature de notre pays, il y a aussi certains éléments qui sont essentiels à notre société. C'est sans doute ce qui fait la particularité de la sécurité nationale pour nous, mais le reste peut être laissé à la concurrence sur des marchés ouverts, au commerce étranger, etc.

• 0955

À mon avis, c'est donc une question de conception de la société. Mais je ne pense pas que les Américains soient prêts à engager ce genre de débat.

Michael.

M. Michael Janigan: Il importe aussi de signaler que l'OMC permet aux pays de se soustraire à certaines obligations particulières, notamment à la clause de la nation la plus favorisée. Ainsi, les États-Unis se sont soustraits à la clause de la nation la plus favorisée en ce qui concerne la télédiffusion directe des services par satellite et les services audionumériques, en formulant des règles différentes pour les pays qui souhaitent proposer ce genre de services.

Les pays auront donc toujours implicitement la possibilité de déroger aux ententes de l'OMC. Reste à savoir si ces dérogations pourront être fréquentes et dans quelle mesure elles sont fondées en fait ou en droit.

[Français]

M. Daniel Turp: Puis-je faire un commentaire? Si vous voulez qu'on réponde à la notion de sécurité nationale et que vous invoquez la notion de sécurité culturelle—parce que c'est ce que je comprends—, le problème qui se pose, c'est que sous le parapluie de la sécurité culturelle, on va prétendre que le Canada et d'autres pays qui se réfugieront derrière la sécurité culturelle adoptent des mesures protectionnistes. On soulève le même argument pour la sécurité nationale. Aux États-Unis, on invoque la sécurité nationale pour adopter des mesures très protectionnistes pour l'industrie militaire américaine et d'autres industries.

Est-ce que la solution réside vraiment là ou s'il ne faut pas plutôt s'attaquer à la question de la sécurité nationale? Même si les États-Unis ne sont pas contents ou ne veulent pas le faire, ne faut-il pas envisager très sérieusement de les obliger à mettre sur la table la question de la sécurité nationale pendant les prochaines négociations?

[Traduction]

Le président: Pouvez-vous répondre brièvement, car nous manquons de temps et nous avons d'autres sujets à aborder.

M. Michael Janigan: Je pense qu'il serait utile d'établir, éventuellement dans le cadre de l'accord ou dans un document autonome, les paramètres utilisés pour invoquer l'argument de la sécurité nationale mais, je le répète, il est toujours difficile, dans les accords commerciaux, d'obliger un pays à renoncer à un argument qu'il considère comme fondamental, et c'est bien ce qu'a reconnu l'OMC lorsqu'elle a permis aux pays de déroger à leurs obligations découlant d'un accord. Je ne pense pas que les choses soient appelées à changer radicalement à l'avenir.

Le président: Vous ne pensez donc pas que les Américains accepteraient une contrainte internationale qui définirait la sécurité nationale à leur place. C'était précisément le problème de la Loi Helms-Burton: qui va définir la notion de sécurité nationale? Cette question a menacé de faire échouer toutes les négociations de l'OMC, car comme l'a dit M. Turp, si les Américains peuvent définir la sécurité nationale de façon unilatérale, tout le monde devrait pouvoir en faire autant. Tout le monde aura donc une échappatoire absolue dans tous les domaines qui posent problème.

M. Michael Janigan: C'est effectivement la difficulté. Du point de vue canadien, nous aimerions que des paramètres soient définis, mais d'un point de vue pratique, est-ce que les États-Unis sont prêts à écouter ce genre d'avis sur les questions de sécurité nationale? J'en doute.

M. Andrew Reddick: En fait, ils veulent que les règles du libre-échange s'appliquent à tout le monde sauf à eux.

Le président: Comme M. Penson l'a dit, je pense qu'à cet égard ils ne sont pas tellement différents des autres habitants de la planète. N'oubliez pas que George Will a dit que le libre-échange se situe à mi-chemin entre le christianisme et le jogging, c'est-à-dire quelque chose dont on parle beaucoup mais qu'on pratique peu.

M. Daniel Turp: Sauf au printemps.

Mme Sheila Finestone: Shirley George veut répondre.

Le président: Désolé, madame George.

Mme Shirley-Ann George: Je voulais simplement faire une brève observation sur la sécurité nationale. Je tiens à vous prévenir que le Canada croit lui aussi à la nécessité d'avoir des exemptions en matière de sécurité nationale, et qu'avant de demander aux États-Unis de changer les leurs, nous devons nous assurer que nos gouvernements sont d'accord.

Le président: Je vous remercie.

Monsieur Reed.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

• 1000

Madame George, vous nous avez appris une chose très intéressante, à savoir qu'une centaine d'entreprises sur près d'un million d'entreprises au Canada sont responsables de 50 p. 100 du commerce international. La «grosse bleue» a été à une époque la «petite rose», et il y a des centaines de milliers de «petites roses» qui aimeraient devenir la «grosse bleue» au Canada.

Le président: Sommes-nous au comité de l'agriculture ou quoi?

Mme Sheila Finestone: Est-on en train de parler de bière?

M. Julian Reed: Je suppose que je me suis mal exprimé, monsieur le président. Mais j'aimerais que l'un de vous me dise si ce monde en évolution permet à la petite entreprise de fonctionner sans contraintes? Selon certaines doctrines politiques, l'expression «société transnationale» évoque un géant aux griffes énormes, prêt à fondre sur la petite entreprise et à la mettre en pièces. Je pense—et c'est une opinion personnelle—qu'il faut laisser la porte ouverte à la petite entreprise, à la créativité, à l'ingéniosité, afin de lui permettre de se tailler une place sur le marché aussi facilement que la grande entreprise.

C'est la première de mes deux questions. J'aimerais donc savoir si l'un d'entre vous peut m'éclairer à ce sujet.

Mme Shirley-Ann George: Pour ce qui est de savoir si les petites entreprises peuvent livrer concurrence à une grande entreprise comme IBM, en fait, nous livrons une concurrence acharnée aux petites entreprises chaque jour, et nous ne gagnons pas toujours. Dans le commerce électronique, vous pouvez mettre sur pied une entreprise dans votre sous-sol sans les coûts énormes que doit assumer une organisation comme IBM et exercer très facilement une concurrence.

Je vous donnerai un exemple d'une entreprise canadienne dont j'ai entendu parler cette semaine. Une jeune femme a mis sur pied une entreprise qui fabrique des jouets conçus pour les enfants qui ont des problèmes musculaires et qui ne peuvent pas saisir des objets comme des hochets et on peut penser qu'il s'agit d'un très petit créneau de marché. C'est un jeune entrepreneur et une banque l'a aidé à se lancer en affaires grâce à un petit prêt et lui a suggéré d'offrir ses services sur un site web. En trois mois, elle avait des commandes à remplir pour les 18 à 24 prochains mois et vend à des entreprises littéralement partout dans le monde.

Donc il est possible pour une petite entreprise d'utiliser le commerce électronique pour devenir concurrentiel sur les marchés internationaux. Aujourd'hui, les petites entreprises qui n'ont pas encore exploité le web, qui n'ont pas encore utilisé ce moyen pour se faire connaître, resteront à la traîne. Donc, la chose la plus importante que vous pouvez faire, c'est de demander à vos petites entreprises ce qu'elles font aujourd'hui pour s'assurer d'être concurrentielles.

M. Andrew Reddick: J'offrirais un point de vue quelque peu différent. Si nous regardons en arrière, nous constatons que nous ne vivons pas une révolution fantastique au point où l'avenir sera tout à fait différent du présent ou du passé. Je veux dire qu'il ne fait aucun doute que les petites entreprises peuvent devenir de grosses entreprises mais il n'y en aura pas des millions. Je pense que certaines réussiront mais dans l'ensemble, la plupart occuperont de petits créneaux.

Si nous examinons la déréglementation et la libre concurrence dans d'autres secteurs, que ce soit dans le secteur des sociétés aériennes ou autres, récemment ou même au cours du dernier siècle, nous avons dans l'ensemble constaté une soudaine poussée de concurrence, l'arrivée d'un grand nombre de nouveaux participants sur le marché, qui ont été suivis d'un ralentissement et d'une nouvelle concentration du marché jusqu'à un certain point, qu'il s'agisse de quelques grosses compagnies au sein d'une économie nationale ou internationale. Rien ne me porte à dire que cela ne se reproduira pas.

Je pense donc que nous avons effectivement besoin de règles en matière de concurrence. Nous devons offrir aux entreprises des possibilités d'affronter la concurrence, et elles le feront sur Internet et ailleurs. Mais il ne faut pas s'imaginer que les entreprises artisanales vont prendre le contrôle des marchés internationaux.

Je pense que nous voyons déjà des indices, par exemple, sur Internet, du même modèle industriel qui est en train de se développer. Les grandes entreprises sont en train de développer des chaînes et des programmes et les utilisateurs d'Internet commencent à en avoir assez d'être inondés de ces milliers de différents éléments d'information. Nous aimons que l'information soit organisée et rassemblée d'une manière qui est utile. Je pense qu'avec le genre de modèle qui est en train d'être mis au point—et il ne s'agit pas d'un nouveau modèle, c'est un modèle traditionnel de commercialisation qui veut rendre l'information utile—nous allons constater que certains des mêmes problèmes que nous avons connus par le passé vont réapparaître. Pour l'instant nous sommes dans une période de transition et de changement.

• 1005

M. Julian Reed: Merci.

Mon autre question concerne la sécurité nationale et le fait que la sécurité nationale du Canada semble menacée. Je songe en particulier aux problèmes environnementaux comme le problème du MMT, que le Canada considérait comme un problème environnemental, et pourtant, du moins jusqu'à présent, grâce à la recherche qui, je l'espère, se poursuit de façon intensive, comme ce problème n'était pas considéré comme un problème de santé immédiat, le Canada n'a pas eu le droit de contrôler sa propre destinée à cet égard.

J'estime qu'il s'agit d'un problème de sécurité nationale. Il y en a d'autres qui peuvent fort bien être des problèmes de sécurité nationale, comme déterminer qui contrôle l'approvisionnement en électricité au Canada. Ici vous parlez d'éléphants qui dansent de la claquette. Vous avez Ontario Hydro qui entre dans la danse et est en train de disparaître, sauf qu'elle garde le contrôle, en vendant des services d'utilité publique aux États-Unis. Je me demande si au bout du compte, nous n'allons pas finir par nous rendre compte que nous ne contrôlons plus notre propre approvisionnement en électricité au Canada.

M. Andrew Reddick: Personnellement, je partage votre opinion. Je pense qu'il y a certains éléments ou aspects de toute économie ou société nationale, que ce soit l'éducation, le système financier, l'environnement ou les communications, qui font partie de l'infrastructure et qui étayent tout—c'est-à-dire toutes les activités sociales, économiques et politiques.

Même si les règles et les circonstances peuvent changer avec le temps tout comme la façon dont nous les affrontons, je pense qu'il est très important que nous conservions l'option d'y donner suite par le biais de procédés réglementaires ou d'autres procédés décisionnels à l'échelle nationale. De toute évidence, il faut tenir compte jusqu'à un certain point du contexte international, mais je pense que nous devons envisager des stratégies à long terme et nous demander à quel point cela sera important à l'avenir et comment établir des règles et un cadre qui nous donnent l'option d'intervenir au besoin ou d'avoir une certaine influence pour prendre ces décisions, et ce à quoi nous ne devrions pas renoncer? Cela exige, ici encore, des consultations et de la recherche.

M. Julian Reed: Vous laissez entendre que nous avons donc peut-être besoin de certaines nouvelles règles pour prévoir des mécanismes de protection dans le cas de questions qui se rattachent à la sécurité nationale.

M. Andrew Reddick: Nous devons déterminer comment reformuler nos règles existantes dans le contexte du commerce international également afin que nous ayons ces options. Que nous les utilisions ou non, nous finirons par en avoir besoin.

M. Michael Janigan: Au cas où ce pouvoir de réglementation soit cédé dans l'Accord, nous veillons à disposer des leviers nécessaires pour exercer le type de contrôle sur le comportement que nous souhaiterions si nous élaborions les règles à l'échelle nationale, et c'est un compromis très important.

M. Julian Reed: Mon collègue vient également de me parler de la question de l'eau, qui est un autre aspect. Nous avons toujours cru que la capacité de décider de l'utilisation de notre eau nous appartenait, mais certains en doutent. Vous proposez que nous devrions adopter des règles supplémentaires pour...

M. Andrew Reddick: Pour revenir à ce que vous disiez plus tôt, nous ne devrions pas nous trouver dans une situation où nous ignorons les conséquences, si nous négocions ce genre d'ententes commerciales. Nous devrions savoir maintenant quelles en seront les conséquences dans cinq ou dix ans. Si nous ne le savons pas maintenant, nous n'avons pas à céder quoi que ce soit dans le cadre de négociations.

M. Julian Reed: Je vous remercie.

M. Michael Flavell: En tant qu'avocat, j'aimerais aborder un aspect légaliste. La disposition qui nous a donné le plus de fil à retorde jusqu'à présent, c'est l'article 11 de l'ALENA, c'est-à-dire la disposition relative à l'État investisseur, disposition qui a d'ailleurs été invoquée dans l'affaire Ethyl et l'affaire MMT.

Je pense que la plupart des avocats spécialisés en droit commercial s'entendent pour dire que l'article 11 pose un problème, à savoir que la définition de notion d'expropriation est trop large. Le Canada a déjà amorcé le processus en tâchant de persuader ses partenaires de l'ALENA, sans rouvrir l'ALENA ce qui effraie tout le monde, qu'il pourrait être utile de s'entendre sur l'interprétation du mot «expropriation».

Je pense que cela pourrait être utile, parce que si vous avez une définition d'expropriation étroite et qui date—soit que vous ne pouvez prendre l'une de ces mesures que si on vous enlève littéralement quelque chose sans vous indemniser—ce qui n'existe pas à l'heure actuelle dans l'Accord, vous ne verriez pas, et je déteste à avoir à le dire à un collègue avocat, les Barry Appletons et les Ethyls du monde gagner ce genre de cause parce que la raison pour laquelle notre souveraineté et notre capacité de réglementation est restreinte par l'article 11, c'est parce qu'à mon humble avis, il est beaucoup trop général. C'est une chose qu'on n'avait pas prévue à mon avis à l'époque.

• 1010

Je pourrais vous ennuyer à mourir en vous racontant comment l'article 11 a vu le jour. Il a été préparé tout de travers mais ce n'est la faute de personne et maintenant c'est tout simplement un problème. Je félicite le Canada d'avoir tâché de persuader les États-Unis, qui me semble avoir un intérêt semblable dans la chose. S'il y a jamais eu un pays qui adore intenter des poursuites, c'est bien notre ami au sud de la frontière. Donc si nous avons un problème avec l'article 11, ils ont peut-être eu la chance jusqu'à présent de ne pas en avoir, mais ils ne perdent rien pour attendre.

Le président: Ils ont maintenant ce problème dans l'affaire concernant les salons funéraires.

M. Michael Flavell: Oui, selon lesquels une décision du tribunal équivaut à l'expropriation.

Le président: Oui, ça va être amusant.

Mais vous conviendrez avec moi, toutefois, que cela pose un problème. Si je me souviens bien, les Américains avaient dit que les dispositions d'acquisition concernant le pétrole exploité au large de Terre-Neuve et certaines dispositions du Programme énergétique national, qui nous autorisait, surtout en vertu de la Loi sur l'examen de l'investissement étranger, à acquérir le contrôle de certains produits au prix de l'investissement original n'incluant pas le profit que ces dispositions constituaient à leur avis une expropriation, et c'est l'un des arguments qu'ils ont fait valoir au cours de la négociation du Traité. Ils ont vraiment obtenu ce qu'ils voulaient, ne croyez-vous pas? C'est pourquoi je suis étonné que vous pensiez qu'ils seraient prêts à y renoncer.

M. Michael Flavell: Oui, les Américains ont eu ce qu'ils voulaient, mais rappelez-vous qu'à l'époque, c'était la vieille façon de négocier entre États. La difficulté que pose l'article 11, c'est que n'importe qui peut l'invoquer. Je peux invoquer l'éventualité, si j'habite dans un territoire qui me le permet. Imaginez-vous un peu ce que feront les Américains.

Pour ma part, je dirais ceci aux Américains: regardez quel est le problème que nous avons eu jusqu'à maintenant. La disposition est à ce point vaste qu'elle empiète sur nos droits de réglementation et sur notre souveraineté. Je leur dirais aussi que cela pourrait fort bien leur arriver à eux.

Je crois comprendre que pour l'instant, en tout cas d'après mes lectures c'est le Mexique qui se fait tirer l'oreille. En tout cas, voilà une chose de plus à inscrire sur la liste des mesures à prendre.

Le président: J'imagine que, comme avocat, vous aimeriez ajouter les paiements provisionnels et les triples dommages-intérêts, ce qui vous permettrait d'avoir la vie belle et de faire beaucoup d'argent.

[Français]

Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): M. Carroll a répondu tout à l'heure à la question sur la réglementation et les négociations à l'OMC sur le commerce Internet en disant que c'était aussi impossible qu'essayer de légiférer sur la quantité de neige devant tomber en janvier. Si j'ai bien compris, c'était un peu votre exemple.

J'aimerais entendre les autres intervenants sur cet aspect. Comme l'a dit le président, est-ce qu'on ne pourrait pas, avec plusieurs autres pays, tenter de légiférer ce commerce qui va devenir de plus en plus important dans nos échanges commerciaux avec l'ensemble des pays du monde? C'est ma première question. Si j'ai mal compris le propos de M. Carroll, il pourra peut-être préciser sa pensée, mais ma question s'adresse aux autres intervenants.

Madame George, vous avez dit, à la fin de votre intervention, que vous souhaiteriez que l'on discute des droits de la personne et de l'environnement lors des prochaines négociations de l'OMC ou qu'à tout le moins on en tienne compte dans nos négociations. Je vous rappellerai que lors de la déclaration de Singapour, après la première réunion ministérielle, le Canada s'était battu assez fort pour que figure une mention des droits de la personne dans la déclaration ministérielle, mais la majorité des pays avaient refusé, renvoyant cette mention à l'Organisation internationale du travail. Est-ce qu'on doit ne parler que de commerce à l'OMC et renvoyer toute autre question aux différentes instances internationales? Je ne préjuge pas de la réponse.

• 1015

J'aimerais aussi que vous me donniez votre opinion sur la culture si vous avez du temps et de l'intérêt à cet égard. Est-ce qu'on doit maintenir la position d'exception culturelle ou, comme certains intervenants du milieu culturel nous l'ont dit, à ma grande surprise, est-ce qu'on devrait tenter de réglementer et de légiférer au niveau culturel? Je vous remercie.

[Traduction]

Le président: Madame George.

Mme Shirley-Ann George: Je reviens à Internet et à certaines des préoccupations qui ont été soulevées aujourd'hui, au sujet de la pornographie, par exemple: il existe déjà des règlements que l'on peut invoquer et qui peuvent servir à dépister ceux qui enfreignent les lois et à les punir.

Les organisations canadiennes, telles que les fournisseurs de services Internet, oeuvrent activement avec les autorités chargées de l'application des lois pour aider à identifier ces contrevenants au Canada, et décident aussi d'elles-mêmes de prendre des mesures telles que consigner les avis. Il existe des lois, et nous devons faire en sorte qu'elles protègent les Canadiens lors de l'apparition de nouveaux médias tels qu'Internet. Nous devons nous assurer qu'elles ne présentent aucune échappatoire qui nous empêcherait de les protéger. Mais il est inutile de chercher à adopter toute une série de mesures législatives qui s'appliqueraient uniquement à Internet ou au commerce électronique, puisque les règles qui existent déjà peuvent et devraient être adaptées à l'environnement actuel.

Les droits de la personne et les droits de l'environnement sont importants pour les Canadiens, et notre pays devrait continuer à en parler sur les tribunes internationales. Nous ne réussirons pas toujours à faire imposer notre point de vue, car d'autres pays ont d'autres priorités. Ce n'est pas parce que nous les invoquons à l'OMC, que nous gagnerons nécessairement, mais nous pouvons continuer à en faire valoir l'importance. Il faut comprendre que les lois canadiennes en général n'ont pas grand poids aux tribunes internationales, même si elles allègent notre conscience. Mais c'est seulement par notre insistance et notre persistance à les inscrire à l'ordre du jour de ces tribunes internationales que nous pourrons réaliser des progrès dans ces domaines.

Pour ce qui est d'invoquer les exemptions culturelles plutôt que d'adopter des mesures législatives, il faut comprendre que la culture est un enjeu d'importance pour le Canada. Il est d'importance pour le Québec, pour Terre-Neuve et pour toutes les autres régions du Canada. C'est en favorisant notre culture et en encourageant nos compagnies et nos créateurs à promouvoir leurs talents, au Canada et ailleurs dans le monde, que ceux-ci pourront réussir et que nous pourrons protéger notre culture.

Il sera très difficile de faire appliquer des mesures législatives imposant le contenu canadien dans un environnement international. Il existe des exemples de la culture canadienne qui sont une réussite phénoménale à l'échelle internationale; il s'agit simplement de faire en sorte dans la mesure du possible que nos efforts servent toujours à promouvoir d'autres entreprises et d'autres créateurs encore, plutôt que de servir à ériger des barrières autour de ce que nous ne pouvons défendre.

M. Andrew Reddick: J'ai une ou deux observations. On s'entend généralement pour dire, à l'heure actuelle, qu'il est impossible de réglementer Internet; toutefois, pour ce qui est de la culture et du contenu, on choisit de façon pragmatique de financer, soutenir et développer le contenu. Nous connaissons des compagnies canadiennes qui positionnent de façon stratégique le contenu canadien sur le web et qui l'intègrent de façon qu'il soit facile à trouver. Vous voyez qu'au lieu d'imposer des règlements stricts, il existe d'autres options et d'autres voies qui permettent d'aboutir aux mêmes résultats.

À plus long terme, j'hésite à croire qu'Internet restera à tout jamais une jungle. La radio a commencé de la même façon au tout début du siècle, jusque vers les années 20. Ainsi, n'importe qui pouvait, aux États-Unis, acheter un transmetteur et émettre des signaux AM à volonté, ce que firent d'ailleurs beaucoup de gens. Mais dès 1934, un nouveau régime s'appliquait: pour pouvoir diffuser, il fallait obtenir un permis, ce qui a eu pour résultat de modifier toutes les règles du jeu.

J'ai parlé plus tôt des tendances que l'on voit émerger dans l'industrie. Au fil des ans, au fur et à mesure qu'Internet se fusionne avec d'autres services, que d'autres entreprises offriront d'autres services, nous voudrions qu'un modèle industriel s'applique. Pour l'instant, c'est encore la jungle, mais on ne peut pas faire de l'argent avec un phénomène que l'on ne peut contrôler. Au fur et à mesure que le commerce électronique et d'autres services d'information et de communication se développeront, on verra Internet se structurer de plus en plus. Peut-être y aura-t-il plus de réglementation et de contrôle dans 20 ans, selon que le secteur s'orientera dans telle ou telle direction. Pour l'instant, nous ne pouvons que spéculer; nous ne savons rien de l'orientation qu'il prendra.

• 1020

Rappelons-nous aussi que la majorité des habitants de la terre ne peuvent communiquer par téléphone, et encore moins utiliser Internet; autrement dit, cette question concerne surtout les pays de l'OCDE, qui représentent plus de 90 p. 100 du type de commerce dont il est question ici.

Pour ce qui est du commerce électronique, je sais que de nombreuses lois s'appliquent déjà aux transactions en direct. Certaines d'entre elles devront être adaptées ou mises à jour pour tenir compte du commerce électronique. Dans notre recherche, nous avons constaté que la population s'intéresse énormément aux transactions électroniques pour certains types de produits et services. Mais nous avons également constaté qu'ils ont toutes sortes de questions et de préoccupations auxquelles ils veulent trouver réponse, avant qu'ils décident de se brancher en direct: elles concernent le prix, la protection du consommateur et les recours, la sécurité de la transaction, l'origine canadienne ou locale de l'entreprise, et leur familiarisation avec l'entreprise en question. Avant de se décider, ils voudront en savoir plus sur tous ces aspects.

Il y a certes quelque chose à faire en matière de recours pour le consommateur et sa protection. Je sais qu'il se fait beaucoup de travail en ce sens actuellement, puisque notre groupe et d'autres collaborent avec Industrie Canada pour élaborer éventuellement des règles de protection du commerce électronique et des renseignements personnels dans le cadre de l'OCDE. Certaines initiatives sont déjà lancées, et nous espérons avoir quelque chose de plus substantiel au cours de la prochaine année.

M. Michael Flavell: Laissez-moi aborder brièvement l'aspect politique: du côté de la culture, j'aime bien l'idée de regrouper des pays qui sont animés des mêmes sentiments pour créer éventuellement un sous-accord culturel ou un ensemble d'accords portant sur la culture.

Voyez-vous, je ne crois pas que la meilleure façon de faire, ce soit d'opter pour l'exclusion. Nous avons déjà pu constater que si l'exclusion de la culture dans l'ALENA va dans le mauvais sens, cela pourrait nous coûter très cher. En optant pour l'exclusion ou l'exemption en matière de culture, nous nous mettons sur la défensive. Cela revient à dire que personne ne peut toucher à notre culture, alors que nous pourrions envoyer le message contraire et dire: «Voilà tout ce que nous pouvons faire avec notre culture». Voilà ce que je prône, et que d'autres prônent aussi. On parlait l'autre jour dans le journal de quelqu'un qui représentait un groupe quelconque et qui aurait dit la même chose, à savoir qu'il faut envisager la culture de façon prévisionnelle.

Le président: L'autre jour, nous avons eu une table ronde très intéressante sur la culture, au cours de laquelle ces idées ont circulé. Je crois que tous essaient de cerner le problème, pour essayer de voir comment s'y attaquer de front et quels nouveaux instruments utiliser. Merci de ces commentaires.

Il nous reste 20 minutes et quatre députés ont demandé à parler: essayons de nous en tenir à cinq minutes chacun. Madame Finestone.

Mme Sheila Finestone: Merci beaucoup, monsieur le président. D'abord, une observation: je n'arrive pas à suivre le va-et-vient incessant de la conversation—et je ne dirai rien de l'éléphant et de la souris.

Ce qui me frappe ici, c'est que la population canadienne est bien mal servie par ce qui se passe ici; puisque l'on parle de transparence, de mieux comprendre les ramifications de l'Organisation mondiale du commerce, du Fonds monétaire international et de tous ces autres organismes qui ont fait chuter l'AMI, notre responsabilité à nous, ... Cette séance devrait être diffusée sur CPAC!

La population canadienne y a droit, et elle devrait pouvoir être informée de la situation et être exposée aux échanges d'idées entre des personnes qui ont consacré beaucoup de temps, d'effort et d'énergie à la question qui nous touchera tous dans notre quotidien, dès le début des prochaines négociations de l'Organisation mondiale du commerce en septembre prochain. Je regrette sincèrement que la table ronde sur la culture de la semaine dernière et cette table ronde-ci ne soient pas diffusées.

Je veux simplement signaler que, la prochaine fois que nous aurons une table ronde de ce genre-ci, j'espère qu'elle sera diffusée dans l'intérêt de la transparence et de la consultation, et pour que la population canadienne comprenne mieux la situation. À vrai dire, je ne sais pas trop à qui m'attaquer d'abord, l'éléphant ou la souris.

Le président: Madame Finestone, vous avez tout à fait raison. Sachez que j'ai toujours l'habitude de demander que nos séances soient télévisées, dans la mesure du possible. Visiblement, c'est un autre comité qui a demandé la salle avant nous, ce qui explique que nous ne l'ayons pas obtenue, mais je prends bonne note de votre observation.

Mme Sheila Finestone: Merci beaucoup.

À la lumière de nos conversations et de ce qui s'est dit au sujet des exclusions, des inclusions, de la diversité culturelle et de la possibilité que nous nous liguions avec d'autres pays partageant les mêmes idées, pourriez-vous nous dire si le nouveau projet de loi C-54 sur le commerce électronique—en fait, sur la protection des renseignements personnels—et dont la Chambre des communes est actuellement saisie, permet de protéger le consommateur et ses renseignements personnels, au fur et à mesure que le Canada élargit son horizon commercial et industriel et au fur et à mesure que nos entreprises prennent de l'expansion et que nos profits augmentent? Autrement dit, le projet de loi protège-t-il le simple consommateur, monsieur et madame tout-le-monde? Quels sont les renseignements que l'on a recueillis sur ma petite personne? Y a-t-il vraiment quelqu'un, quelque part qui sache tout ce que je fais?

• 1025

M. Andrew Reddick: Malheureusement, l'avocat chargé de ce dossier ne m'accompagne pas aujourd'hui, et je ne puis vous faire part que d'informations dérivées. Il semble que le projet de loi soit un pas dans la bonne direction, pour ce qui est de la protection. Plusieurs groupes de consommateurs avec qui nous faisons affaire pensent qu'il pourrait être un peu plus musclé à certains égards, mais c'est un bon point de départ.

Il faut aussi se demander dans quelle mesure il pourra s'intégrer aux règlements européens sur la protection des renseignements personnels. Il faut quand même que les règlements soient relativement symétriques. Je répète que c'est néanmoins un pas dans la bonne direction, et la majorité des gens considèrent que c'est un bon point de départ. Reste à voir, évidemment, ce que cela donnera au moment de sa mise en oeuvre, puisqu'il s'applique à différents secteurs et qu'il devient plus difficile à mettre en oeuvre en matière de recours, d'encadrement et de surveillance. Le projet de loi est important parce qu'il comble un vide.

M. Jim Carroll: Les consommateurs doivent être protégés contre eux-mêmes à bien des égards. J'ai l'impression que le monde des affaires a considéré Internet comme une occasion en or de mettre la main sur toutes sortes de renseignements personnels.

L'exemple que j'utilise fréquemment et qui me fait sortir de mes gonds, c'est celui de «Communication CNW Inc.» Si vous vous rendez sur ce site, vous pouvez vous inscrire pour recevoir les communiqués de presse des entreprises qui vous intéressent. Lorsque vous vous inscrivez pour obtenir ce service, on veut connaître votre nom, votre adresse, la valeur de vos investissements, votre revenu, votre scolarisation, etc. On vous demande toutes sortes de renseignements d'ordre personnel. Évidemment, on vous signale également que l'on n'utilisera pas à mauvais escient cette information, qu'on ne la partagera pas avec qui que ce soit, et ainsi de suite. Chaque fois que je m'arrête sur ce site, et que je dois remplir le formulaire, je donne comme nom Bill Gates et je dis que je fais deux milliards de dollars de l'heure. J'estime que l'on n'a pas le droit de me demander ce type de renseignements.

L'ennui, c'est qu'il y a toutes sortes de sociétés qui font cela, ce qui mène à des abus. Lors de la rédaction d'un de nos livres sur les investissements par Internet, nous avons visité plusieurs sites auxquels nous avons dû nous inscrire pour pouvoir avoir accès à de l'information. C'est ma femme qui remplissait les formulaires, et elle utilisait son nom de jeune fille. Or, en l'espace d'une ou deux semaines, nous avons commencé à recevoir de la part d'une autre organisation des documents nous invitant à adhérer à une carte de crédit. Visiblement, on avait partagé avec d'autres entreprises les renseignements qu'on nous avait pourtant affirmé être confidentiels.

Les consommateurs doivent être avertis de tout cela. Qu'ils ne donnent aucun renseignement inutilement. Il suffit de dire que vous vous appelez Bill Gates ou n'importe qui d'autre, si vous faites une transaction qui n'a pas de véritable valeur économique. Le monde des affaires devrait se faire taper sur les doigts pour qu'il comprenne qu'on ne tolérera pas cette intrusion dans la vie privée.

Cela dit, à une époque où la transaction commerciale est en pleine transformation, il est important de partager les informations. Prenez par exemple le secteur des assurances: lorsque dix compagnies différentes souscrivent une police d'assurance, elles doivent absolument partager les informations en coulisses. Il importe donc de mettre sur un pied d'égalité les besoins des consommateurs et les besoins du secteur commercial.

Le président: Est-ce que cela figure au programme de l'OMC? Est-ce que quelqu'un le sait? En effet, nous devrions savoir...

Mme Sheila Finestone: Monsieur le président, je suis heureuse que vous ayez posé la question, car je vous avouerais que j'allais la poser moi-même.

Le président: Excellent, car, à mon avis, c'est là que réside notre problème. Je ne sais pas si l'OMC pense pouvoir régler cet aspect-là. Les règles seront libéralisées pour permettre à tout le monde de faire ce qu'il veut, mais sans imposer de contraintes, pas dans ce domaine.

Mme Sheila Finestone: Quand les règles sont libéralisées, cela influe sur notre qualité de vie. Il y a une portion limitée du marché dans laquelle nous n'avons pas la possibilité de nous exprimer. Cela est contesté même en ce qui concerne l'exemption culturelle. Je suis à l'écoute de la population canadienne, et je sais qu'elle souhaite conserver le RPC, l'assurance-maladie, je sais qu'elle considère ces attributs sociaux comme un élément de sa qualité de vie et qu'elle ne se soucie pas de savoir si des intérêts commerciaux comme ceux d'Intel Pentium III, d'autres qui sont sortis sur le marché, le libre choix... On voit se passer des choses très inquiétantes.

Monsieur le président, j'espère que quelqu'un pourra répondre à ma question un jour: Qui a un droit de regard sur les décisions qui sont prises par l'OMC en fin de compte? Qui connaît les décisions prises par nos ministres? Tout se fait à huis clos et je me demande quelles sont les personnes qui savent comment ces groupes commerciaux fonctionnent puisque nous n'avons même pas accès aux procès-verbaux et aux délibérations qui aboutissent à des décisions?

Monsieur Carroll, je comprends bien ce que vous dites, et vous pouvez vendre votre livre et il n'y a pas de protection, mais ce qui m'intéresse, ce sont les livres de classe de mes enfants, je tiens à ce que cela soit protégé. Ce qui m'intéresse, c'est qu'on n'offre pas un «cookie» à mes enfants lorsqu'ils jouent un jeu sur Internet, c'est qu'on ne leur demande pas quelle est la couleur de la voiture que leur papa conduit, où leur maman magasine, si c'est au supermarché ou au magasin du coin. En attendant, ces gens-là recueillent toutes sortes d'informations, Dieu sait quoi, à mon sujet. J'espère qu'ils en profitent, et s'ils trouvent quelque chose d'intéressant, dites-le-moi.

• 1030

La question fondamentale est la suivante: Avons-nous besoin d'une association parlementaire pour exercer un droit de regard sur cette incroyable OMC et tous ces organismes comme le FMI et la Banque mondiale?

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): L'UIP.

Mme Sheila Finestone: Oui, excusez-moi, en voilà une autre. Il y a l'OTAN, il y a l'OSCE, et également le Parlement européen. Tous ces organismes exercent un droit de regard parlementaire sur ce qui se passe, mais qui se charge de contrôler quelque chose de fondamental qui est important pour notre vie quotidienne? Le monde commercial dans lequel nous vivons, dans lequel nous sommes des consommateurs, des êtres humains avec un mode de vie... Je ne veux pas que les livres de classe de mes enfants soient choisis par une compagnie quelconque sur Internet, dans le monde cybernétique. Je veux que ce choix se fasse dans ma communauté, sur la base de mes valeurs à moi, sur la base des valeurs de la communauté autochtone, de celle des minorités, et en tenant compte de la façon dont nous vivons tous ensemble dans la paix et l'harmonie. Or, cela ne coïncide pas forcément avec l'expérience américaine ou l'expérience européenne. Je ne veux pas que mes livres de classe viennent de si loin, et je ne veux pas non plus qu'une compagnie quelconque ailleurs dans le monde s'occupe des services de santé et des services sociaux qui sont à ma disposition. Je veux que mon hôpital, mes services de santé et mes services sociaux soient dirigés par des Canadiens, au Canada. Est-ce que c'est tellement demandé?

Le président: Est-ce que quelqu'un souhaite répondre?

Mme Sheila Finestone: Je viens de faire mon discours, maintenant j'ai terminé.

Le président: Monsieur Reddick, on vous renvoie la balle en douceur.

M. Andrew Reddick: Pour commencer, je suis d'accord quand vous dites que c'est le monde à l'envers, vous avez raison, dans un monde démocratique, l'OMC doit être responsable devant les pays. En principe, nous vivons dans un monde démocratique, par conséquent tout cela est important.

Deuxièmement, à propos des règles imposées à l'industrie par l'OMC, vous avez parlé de plusieurs aspects, les consommateurs, l'environnement ou la santé, la sécurité des produits, et tout cela nous amène à la souveraineté des consommateurs. L'élément le plus évident du commerce, c'est le fait que les gens achètent des produits et des services, et vous avez parfaitement raison, tous ces éléments que vous avez mentionnés, la protection des consommateurs et de l'environnement, etc., doivent jouer un rôle chaque fois que l'Organisation mondiale du commerce prend une décision.

Il ne faut pas que la souveraineté du consommateur soit un choix entre différents produits. C'est certainement cela, mais il faut également que le consommateur soit consulté lorsque des produits sont fabriqués ou mis au point, consulté sur les produits qui seront fabriqués, et dans quelles conditions. Quelles sont les conditions dans lesquelles les produits et les services sont mis à la disposition des différentes économies? Cela nous ramène à la consultation et à la participation, aux lois de protection des consommateurs et aux mécanismes de redressement. Vous avez donc soulevé une question particulièrement importante qui comporte de nombreuses ramifications.

Mme Sheila Finestone: Il faut également s'inquiéter du sort des gens qui sont partiellement aveugles, partiellement sourds et dont les options sont limitées. Que faut-il faire pour les protéger de cette invasion de leur vie personnelle par Internet?

Le président: Merci. Je vais devoir donner la parole à quelqu'un d'autre car il reste trois interventions et seulement 15 minutes.

Monsieur Munson, vous aviez une observation à faire très vite?

M. William Munson: Deux observations; pour commencer, il y a 30 ans on n'aurait pas pu imaginer que l'UE passe d'une entente strictement commerciale à une véritable communauté avec son propre parlement. Qui sait ce que nous réserve l'avenir?

Mme Finestone a parlé de la protection de la vie privée. Le programme de travail de l'OMC sur le commerce électronique prévoit l'étude de certains sujets comme la protection de la vie privée. C'est le programme qui a été adopté par le conseil général de l'OMC en septembre dernier. Je signale également que l'Association canadienne de la technologie de l'information a comparu la semaine dernière devant le Comité de l'industrie pour manifester son soutien au projet de loi C-54, et plus particulièrement aux dispositions relatives à la protection de la vie privée et au commerce électronique. L'industrie est donc convaincue de la nécessité de protéger la vie privée.

Mme Sheila Finestone: L'Association des consommateurs, qui est le porte-parole des consommateurs, comme la population du Canada, a fait des observations particulièrement intéressantes qui ne coïncident pas exactement avec ce que vous nous dites.

M. William Munson: C'est exact, mais quand on leur a posé des questions, dans l'ensemble ils étaient en faveur du projet de loi. Nous aurions tous des suggestions, et nous en avons fait, mais dans l'ensemble, les consommateurs et certains groupes de l'industrie—le nôtre en tout cas—sont en faveur de ce projet de loi. C'est en grande partie parce qu'il est fondé sur le code modèle de l'ACN que nous avons tous rédigé ensemble après plusieurs années de travail.

• 1035

Le président: J'ai une question très courte; quels sont les organismes internationaux, autres que l'OMC, qui s'occupent de ce dossier de la protection de la vie privée? Est-ce qu'on en discute à l'OCDE?

M. William Munson: On en a effectivement discuté à l'OCDE.

Le président: Il y a donc l'OMC, l'OCDE...

M. William Munson: Le ZLEA.

Le président: Le ZLEA, évidemment. Il y a également l'OMPI, et tous les organismes internationaux qui s'occupent du droit de la propriété intellectuelle, etc.?

M. William Munson: Que je sache, on n'en a pas discuté à l'OMPI, mais cela devrait se faire d'ici peu car on sait à quel point l'information est nécessaire, ainsi que pour retracer l'usage que l'on fait des données en ligne.

Le président: Reconnaît-on que tout cela va devoir être coordonné, que nous ne pouvons pas avoir une série de règles pour l'OMC, et une autre, différente, pour le ZLEA?

M. William Munson: Tout le monde est prêt à dire qu'il faut coordonner avec tout le monde, mais cela ne se fera pas forcément pour autant.

Le président: D'accord, je comprends.

Mme Sheila Finestone: Qu'est-ce que l'OMPI?

M. Daniel Turp: L'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

Mme Sheila Finestone: Merci.

Le président: Monsieur Penson.

M. Charlie Penson: Ce qui me frappe, c'est que l'Organisation mondiale du commerce fonctionne sur la base du consentement. C'est un organisme fondé sur le consensus, mais j'ai l'impression qu'il s'engage de plus en plus dans une voie dangereuse, que d'ici peu cet organisme aura sa propre force policière, une police culturelle, une police de l'environnement. Pour l'instant, je pense qu'il vaut beaucoup mieux continuer à fonctionner sur la base du consentement.

Cela étant dit, j'ai une question qui nous ramène à la discussion que nous avons eue tout à l'heure avec M. Carroll et M. Flavell. Monsieur Carroll, je suis d'accord avec vous, Internet est une technologie qui évolue extrêmement vite, et notre économie va reposer sur cette base de plus en plus. Si cela est vrai, est-ce que nos règlements sur le dumping ne deviennent pas inutiles?

Je vous cite un exemple, celui dont il a été question nous avons discuté tout à l'heure, les industries culturelles. Hier soir, j'ai vu un éditeur à la télévision, qui disait qu'il s'agissait vraiment de dumping dans le domaine culturel. Cela dit, j'ai remarqué qu'on ne citait pas de cas de dumping, on ne pensait donc pas que cela s'appliquait. Mais les choses évoluant, ce secteur prenant de plus en plus de place dans notre économie, cette technologie qui évolue très rapidement, est-ce que nos lois sur le dumping et les mesures compensatoires ne vont pas devenir inutiles?

Si c'est le cas, monsieur Flavell, vous nous avez dit qu'il ne fallait pas s'avancer trop loin dans la voie d'une politique sur la concurrence internationale et je me demande s'il reste un rôle quelconque pour le droit sur la concurrence ou le droit commercial dans ces domaines-là.

M. Jim Carroll: Pour commencer, je précise que je m'y connais très peu en droit commercial international, et je me demande vraiment si je suis qualifié pour parler de dumping, entre autres. Ce que je sais, c'est que ce matin, sur mon vélo stationnaire, en face de mes quatre ordinateurs, j'ai passé une heure à lire des pages web pour me tenir au courant.

J'ai probablement lu sept sites américains importants, technologie et nouvelles, un site canadien et un ou deux autres d'Asie. Je vais continuer à choisir et à lire ce qui me plaît, et il n'y a pas de loi qui puisse vraiment m'en empêcher, à moins que les producteurs culturels canadiens n'améliorent la qualité de ce qu'ils fournissent. Cela dit, je suis le premier à reconnaître que ce n'est pas facile car les autres ont beaucoup plus de ressources que nous.

Toutefois, sur le plan de la culture canadienne, un des aspects les plus fascinants d'Internet, ce sont les journaux communautaires qu'on y trouve. Il y en a littéralement des centaines qui ont établi des sites web extrêmement bien faits, perfectionnés, et cela vous donne un tableau véritablement magique de la situation dans tout le pays. Les gens financent eux-mêmes ces entreprises, ils en prennent l'initiative, ils ont des raisons qui leur sont propres, et en l'absence de loi qui les force à utiliser un certain contenu canadien...

M. Charlie Penson: Vous nous dites qu'il existe déjà un marché pour ces...

M. Jim Carroll: Il y a déjà énormément de contenu canadien qui vient directement de la base.

M. Daniel Turp: Avez-vous ces journaux ce matin?

M. Jim Carroll: Les journaux communautaires?

M. Daniel Turp: Oui.

M. Jim Carroll: Pas ce matin, mais je les lis régulièrement. Je suis originaire de Nouvelle-Écosse, et je parcours ces journaux pour savoir ce qui se passe là-bas.

Mme Sheila Finestone: Monsieur le président, je trouve ça tout à fait fascinant mais j'aimerais savoir quel cours de lecture rapide il a suivi, a-t-il fréquenté l'école John F. Kennedy?

Le président: Il faudrait qu'on installe cette machine ici, dans l'édifice de la Confédération. Quoi qu'il en soit, revenons...

Mme Sheila Finestone: Comment s'y retrouve-t-il? Comment sait-il ce qu'il veut lire dans cette masse d'information?

M. Jim Carroll: Avec le temps, on finit par savoir quels sont les sites qui vous intéressent. C'est la même chose dans les journaux, les magazines et à la télévision.

Le président: Monsieur Penson.

• 1040

M. Charlie Penson: J'ai une question pour M. Flavell. Vous avez suggéré de relâcher quelque peu les lois sur la concurrence internationale, et apparemment, on en parlera pendant le prochain cycle de négociations, mais qu'en est-il de cette question du dumping dans le secteur de la haute technologie? Est-ce que ces lois-là sont devenues inutiles? Que devons-nous faire?

M. Mike Flavell: Je pourrais vous donner une réponse légaliste, ce serait facile, et je vous dirais que le régime antidumping établi par le GATT et transféré à l'OMC ne s'intéresse qu'aux produits. Il n'est absolument pas question de services. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas imposé le dumping dans le cas des magazines en tirage dédoublé. Nous n'avons pas réussi à intégrer cela dans les règles relatives aux produits car le gouvernement a considéré qu'il s'agissait d'un service. Voilà pour la réponse légaliste simple.

Soit dit en passant, monsieur le président, dans mon bureau on me considère un peu comme un Luddite. Je voulais seulement me familiariser avec les ordinateurs, mais si j'avais su que je devrais me lever à 5 heures du matin pour lire tous ces journaux, je me serais probablement contenté de la machine à écrire.

Le président: Mais vous ne pouvez pas aller vous coucher avec votre machine à écrire.

Des voix: Oh, oh!

M. Mike Flavell: Une courte réponse à la question de M. Penson: je pense qu'il n'y aura jamais de régime antidumping dans le cas des services. Il y aura un débat sur la nécessité d'un tel régime dans le cas des produits, et je vous ai expliqué pour quelles raisons ce régime était nécessaire. Je ne veux pas essayer de le justifier, mais un régime sera mis en place dans un avenir proche parce que (a) les Américains le veulent et (b) ce qui est étrange, c'est que tout le monde parle de se débarrasser des règles antidumping, mais je ne crois pas me tromper en disant—M. Graham doit le savoir—qu'entre 20 et 30 nouveaux régimes antidumping ont été créés un peu partout dans le monde à la suite des dernières ententes de l'OMC. Quand on regarde les chiffres, nous sommes donc loin d'avoir gagné la bataille.

Le président: À mon avis, le phénomène est le suivant: les Américains inventent ces règles pour se protéger, et ensuite, ils sont horrifiés lorsque le reste du monde s'en inspire et décide de suivre leur exemple. Ce sont leurs propres produits qui sont refusés sur la base de leurs inventions idiotes.

M. Charlie Penson: Monsieur le président, ce qui est ironique, c'est que le Canada a inventé les premières mesures antidumping.

Le président: Je le sais, et le premier également en ce qui concerne la Loi sur la concurrence; nous sommes souvent en avance sur tout le monde.

Il reste deux intervenants, Mme Augustine et M. Assadourian. Madame Augustine.

Mme Jean Augustine: Merci, monsieur le président.

Le président: Nous allons essayer de lever la séance vers 10 h

Mme Jean Augustine: Ce sera court.

Le président: Cette pendule-là est à l'heure.

Mme Jean Augustine: Je tiens à remercier les membres du groupe qui, avec leurs arguments, ont contribué à une discussion très intéressante.

Je m'adresse à M. Reddick; au point 13 de ce document qu'on nous a distribué, vous dites très clairement: «Premièrement, pour l'instant nous ne jugeons pas approprié de changer les niveaux de propriété étrangère autorisés dans le secteur des communications». Pourriez-vous nous donner des détails à ce sujet car c'est un domaine où il est important d'avoir des précisions.

M. Andrew Reddick: Je pense avoir brièvement énuméré certains des points sur lesquels se fonde ce raisonnement. Depuis une dizaine d'années, nous procédons à la réorganisation de tout le secteur des communications, tant les télécommunications que la radiodiffusion, et cette activité bat toujours son plein. Nous sommes encore sur le point de créer une concurrence au niveau local. Nous sommes censés avoir une concurrence dans la câblodistribution. Cela bouge beaucoup au sein de l'industrie au Canada, et tant que les choses ne se seront pas tassées et que le marché ne se sera pas stabilisé, la dernière chose qu'il faut faire, selon moi, c'est ouvrir les portes et permettre à des sociétés comme AT&T, British Telecom et toutes les autres d'arriver en force pour restructurer à nouveau l'industrie.

À l'heure actuelle, nous cherchons toujours une solution. Nous essayons de voir comment modifier le système des subventions pour que les services téléphoniques restent abordables. Nous examinons certaines des questions culturelles dont nous avons discuté. Comment régler le problème du contenu à mesure que l'industrie évolue et converge vers l'informatique? Il s'agit pour la plupart de questions d'ordre national, que ce soit la concurrence, la structure de l'économie canadienne, les gagnants et les perdants parmi les entreprises de l'économie canadienne et tout le volet social de la prestation des services et de l'accès à ces derniers.

À notre avis, il faudra résoudre bon nombre de ces problèmes au Canada avant de nous pencher sur la question de savoir quelles conséquences aura la propriété étrangère si nous l'autorisons. Soyons francs. Lorsqu'on ouvre les portes à la propriété étrangère, il se peut que les conditions ne changent pas dans un pays, mais le contraire est aussi possible. Cela revient à créer une situation où les décisions en matière de R et D, d'investissement, de service, que celui-ci soit offert à Toronto, à Montréal ou dans tout le Canada, sont prises dans d'autres pays, d'autres villes, et dans l'intérêt d'actionnaires de ces pays et de ces villes, ce qui est normal. C'est ainsi que fonctionne le marché.

• 1045

Toutefois, il s'agit ici, là encore, d'une infrastructure de base, d'un service de base qui détermine la participation des Canadiens à la société. Il ne s'agit pas simplement d'une transaction économique, c'est une question de participation, d'éducation, d'avantages et d'objectifs d'ordre culturel, et en tant que pays qui défend des intérêts nationaux, je pense que nous devons être très prudents dans la façon d'organiser ce secteur pour que les décisions soient prises dans l'intérêt supérieur des Canadiens et du Canada. En modifiant les niveaux de propriété, nous ouvrons la porte à toutes sortes d'autres problèmes et questions et, en toute franchise, je ne pense pas que nous soyons prêts à les résoudre.

Pour récapituler brièvement, étant donné la santé de l'industrie et le fait qu'il y a déjà une forte proportion d'investissements étrangers dans ce secteur, cela prouve bien que les entreprises qui oeuvrent dans ce secteur n'ont aucun problème à obtenir du financement pour leurs activités et les ressources dont elles ont besoin.

Le président: Merci.

Madame George.

Mme Shirley-Ann George: J'ai un point de vue légèrement différent. Nous croyons tous que le Canada devrait faire preuve de prudence—c'est-à-dire, ne pas, du jour au lendemain, passer d'un milieu extrêmement réglementé et contrôlé à une libéralisation totale du marché. Parallèlement, le Canada a beaucoup profité de l'augmentation de la concurrence dans le secteur des télécommunications. Avant que ma fille ne parte à l'université, je recevais régulièrement des factures de téléphone de quatre pages, et si j'avais fait cela étant enfant, cela aurait coûté plusieurs centaines de dollars au lieu de moins de 100 $ comme c'est le cas, et à l'heure actuelle on peut même faire un nombre illimité d'appels interurbains pour moins de 20 $ par mois.

Au Canada, nous payons également plus cher que nos homologues américains la largeur de bande, laquelle est essentielle au développement du commerce électronique. C'est donc un autre domaine où une concurrence accrue pourra se révéler avantageuse pour le consommateur.

Donc, même s'il faut faire preuve de prudence, le Canada profite énormément de la concurrence accrue dans d'autres pays du monde, surtout lorsque les autres pays ont déréglementé leurs services de télécommunications. Si nous voulons profiter de tous ces avantages, il nous faut comprendre que nous devrons également renoncer à certaines mesures de contrôle au Canada.

Le président: Merci.

Monsieur Assadourian.

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup. Je regrette, monsieur le président, d'être arrivé un peu tard, mais j'ai entendu la fin de la déclaration de M. Carroll. Cela m'a fait dresser les cheveux sur la tête. Je suis sûr que dans une dizaine ou une quinzaine d'années, nous regretterons d'avoir été ici et de n'avoir pratiquement rien fait pour surmonter cette crainte qui nous habite.

À mon avis, la notion de Grand frère continue d'exister. Le Grand frère, avant, c'était le gouvernement. Aujourd'hui, c'est l'ordinateur et ceux qui contrôlent les ordinateurs. Ils vous disent ce qu'il faut manger, comment vous habiller, comment penser. Ils vous prédisent même l'avenir.

Ces dernières semaines, nous avons entendu des témoins qui représentaient diverses entreprises. Pour vous citer un exemple, cela pourrait être IBM ou Boeing, de grandes sociétés multinationales américaines. Leurs représentants comparaissent devant le comité pour exprimer leur opinion au sujet de l'OMC ou d'autres questions. Ce qu'ils nous disent, ce n'est pas tant leur opinion propre, mais plutôt celle de la société-mère, qui la plupart du temps se trouve aux États-Unis.

Nous perdons notre souveraineté d'une certaine façon, car lorsque nous écoutons les représentants d'IBM Canada ou de Volvo ou de GM, ou autres, les sociétés étrangères qui, par le biais de leurs filiales locales nous disent ce qui est dans leur intérêt, et bien cela ne l'est pas nécessairement dans celui du Canada en tant qu'état souverain. C'est bon pour IBM aux États-Unis. Lorsque nous assistons à des conférences mondiales nous représentons leur point de vue, car le petit entrepreneur, l'entreprise rose ou bleue dont on a parlé mon collègue, n'ont aucune chance de venir ici, d'engager un avocat et de défendre leurs arguments ou de présenter leur point de vue.

C'est donc encore une fois le Grand frère qui nous contrôle. Jusqu'à quand allons-nous accepter ce genre de choses? Où allons-nous tirer la ligne? Au siècle dernier, il y avait des puissances coloniales qui faisaient intervenir l'armée. Aujourd'hui, il est inutile de faire intervenir l'armée, il suffit d'envoyer des ordinateurs.

M. Jim Carroll: J'ai plusieurs réponses à vous donner à ce sujet.

Premièrement, je pense que dans une certaine mesure nous avons déjà perdu notre souveraineté face à certaines questions. La puce Pentium III de Intel en est un excellent exemple. Il s'agit là d'une société qui a décidé de faire quelque chose de la technologie, d'y ajouter une certaine caractéristique pour que, à l'avenir, tout ce que je fais sur Internet soit connu d'une entreprise désireuse de savoir ce que je fais. Je n'achèterai plus jamais de puce Pentium Intel, jusqu'à la fin de mes jours, à cause de cette caractéristique qui y est intégrée. En fait, Intel a donc ni plus ni moins décidé pour le Canada d'un certain aspect de la question de la protection de la vie privée. Cette société nous a privés de notre capacité de décider pour nous-mêmes de ce que nous souhaitons faire.

• 1050

C'est la première réponse. Je m'inquiète de la protection de la vie privée. C'est sans doute ce qui m'inquiète le plus avec Internet.

En second lieu, il y a la crainte et le risque d'en revenir à la situation du Grand frère, etc., il faut bien admettre que certaines caractéristiques démographiques sont représentées à cette table et que nous avons tous grandi avec le macro-ordinateur, l'ordinateur à cartes perforées et cette technologie laide et monumentale, etc., et que notre génération et celles qui nous ont précédés éprouvent une crainte intrinsèque face à la technologie, crainte que les nouvelles générations ne partagent pas. Les jeunes générations ont grandi à côté d'un ordinateur depuis leur naissance. Elles en ont vu un autre aspect. Ces jeunes ont une attitude différente à l'égard de cette technologie, et ils ne sont pas aussi inquiets que nous. Ils comprennent également qu'Internet, ce moyen de communication mondiale, leur permet de régler les problèmes beaucoup plus rapidement que ne peuvent le faire les législateurs.

Il y a deux semaines, nous en avons eu un excellent exemple, à mon avis. Home est l'un des principaux fournisseurs de service de modem par câble pour accéder à Internet. Cette entreprise a modifié son contrat d'utilisation pour avoir le droit, en gros, de surveiller mon courrier électronique et de le publier dans le monde entier. Quelques jours plus tard, la société a été obligée de faire marche arrière en raison de la réaction négative très vive de la part des consommateurs. Je pense que nous sous-estimons les capacités de la jeune génération d'utiliser ce moyen pour redresser les torts qui se produisent, surtout lorsqu'il s'agit de questions liées à la protection de la vie privée.

Le président: On a également invoqué Internet dans le cadre du débat sur l'AMI.

M. Jim Carroll: Vous avez appris la puissance d'Internet grâce à tout ce processus.

Le président: En fait, tout cela a entièrement axé sur Internet. Nous avons entendu le témoignage de groupes qui nous ont dit qu'ils discutaient avec leurs collègues en Europe et en Asie, et tout ce qui entoure les négociations de l'OMC. Tout cela se faisait par Internet.

M. Jim Carroll: C'est exact.

M. Sarkis Assadourian: Il y a quelques années, nous recevions une pile de courrier haute comme ça. Aujourd'hui nous n'en recevons presque plus, à peine une dizaine ou une quinzaine d'enveloppes par jour et encore si on a de la chance, mais tout le reste... mon personnel arrive, allume l'ordinateur et me transmet toute une pile de feuilles.

M. Jim Carroll: Nous devenons une société tributaire de la technologie. L'ordinateur va jouer un rôle croissant dans nos vies. Et prenez la jeune génération... j'ai des enfants âgés de trois et cinq ans. Ils abordent l'ordinateur de façon très différente de la mienne; ils ont avec lui un rapport tout à fait différent. Je pense qu'il ne faut pas oublier, alors que nous nous penchons aujourd'hui sur ces questions, ce qu'en penseront les enfants d'aujourd'hui dans 10 ou 20 ans lorsque ce sera à leur tour d'être assis autour de cette table. Souhaiteront-ils adopter la même stratégie que celle que nous avons proposée à cet égard? Le comité devrait inviter à comparaître un grand nombre de jeunes de 15 et 20 ans pour savoir ce qu'ils en pensent.

[Français]

M. Daniel Turp: C'est une excellente idée que celle de faire témoigner des jeunes devant nous.

[Traduction]

Le président: Ce n'est pas une mauvaise idée. Notre attaché de recherche vient de nous rappeler que lorsque nous avons étudié le travail des enfants, et vous vous en souvenez sans doute, nous avons entendu le témoignage d'enfants de 11 ans qu'ils nous ont dit qu'ils communiquaient par Internet et le courrier électronique avec des enfants en Inde, et qu'ils parlaient de la fabrication des tapis et de tous les problèmes liés au travail des enfants. Souvenez-vous en, ces enfants n'avaient même pas encore atteint l'école secondaire et ils témoignaient ici devant nous.

Mme Shirley-Ann George: Il faut se rappeler qu'ils ont l'occasion de joindre leurs efforts pour mettre en oeuvre des changements beaucoup plus rapidement qu'un appareil législatif ou réglementaire ne peut le faire. Quelles que soient vos bonnes intentions, les organismes comme le CRTC doivent suivre un certain processus, un processus nécessaire, qui l'oblige à prendre plusieurs années de retard, car les choses évoluent extrêmement rapidement.

Le président: Cela n'est pas nécessairement à notre avantage. Je me rappelle une célèbre remarque de Conrad Black lorsqu'il était en pleine controverse avec M. Rae, auquel il a déclaré: «il me faut moins de temps pour faire sortir mon compte en banque de notre pays grâce à Internet qu'il n'en faut à M. Rae pour se rendre à l'Assemblée législative». Et c'est là notre problème. Nous faisons partie de l'appareil législatif, et je vous demande de ne pas l'oublier.

Nous devons vraiment nous arrêter dans une minute environ.

M. Andrew Reddick: Si vous me permettez une brève remarque, il ne faut pas oublier que lorsque l'on parle d'Internet, 30 p. 100 au moins de la population canadienne n'utilisera sans doute jamais cette technologie, comme les personnes âgées et d'autres que cela n'intéresse ou qu'ils n'en ont pas besoin. Il ne faut donc pas oublier que nous avons deux groupes dans notre société.

Le président: Vous en avez un exemple sous les yeux. Puisqu'on parle de personnes âgées, je ferai bientôt partie de cette catégorie.

[Français]

M. Daniel Turp: Il y a une chose qui m'inquiète et me préoccupe à la lumière de vos interventions de ce matin. Vous nous suggérez de prendre la part du marché, notamment culturel, qui nous appartient. Plutôt que d'empêcher des choses, dites-vous, nous devons faire des choses. Mais encore faut-il avoir les moyens de les faire.

• 1055

Comment pouvons-nous prendre notre place dans la communauté internationale alors que d'autres ont tant de moyens et abusent de leurs moyens?

J'aimerais bien aller voir plus de longs métrages européens, canadiens et québécois dans des cinémas à Montréal, à Ottawa ou à Toronto, mais mon problème, c'est qu'il n'y en a pas.

Mme Sheila Finestone: C'est exact.

M. Daniel Turp: Il n'y a pas de place dans les salles de cinéma pour ces films parce qu'ils sont possédés, contrôlés et distribués par ceux qui ont davantage de moyens que nous n'en aurons jamais.

Ce n'est pas aussi simple que dire d'investir, de donner des subventions et de faire en sorte que notre culture rayonne. C'est aussi une question de moyens. D'autres ont plus de moyens et abusent de leurs moyens. Donc, il faut peut-être un système qui empêche que certains abusent de leur moyens et achètent toutes les salles de cinéma et tous les réseaux de distribution de la planète, empêchant ainsi les autres cultures de rayonner par la force de leurs moyens et la puissance de leur argent. Ce n'est pas si simple, à mon avis, que d'utiliser nos moyens pour prendre notre place.

[Traduction]

Mme Sheila Finestone: La diversité culturelle...

[Français]

Le président: C'est une déclaration et non une question. Si c'était une question, on serait là tout l'après-midi.

[Traduction]

Il va falloir arrêter car nous avons le secrétaire général de l'OSCE qui vient nous voir. Et, vous vous souviendrez que l'on a annoncé ce matin que l'Armée de libération du Kosovar va signer l'accord. Donc, si les autorités serbes le signent aussi, c'est l'OSCE qui va être tenu de le mettre en vigueur. Je crois donc qu'il sera très intéressant d'entendre le secrétaire général, sachant que nous avons quelque 80 de nos propres observateurs canadiens au Kosovo à l'heure actuelle. Il doit venir à 11 heures et nous ne pourrons le garder que jusqu'à 12 h 15.

Je tiens à remercier infiniment les membres de cette table ronde. Nous avons eu une matinée très stimulante et intéressante. Monsieur Carroll, je veux vous demander d'avoir la gentillesse, quand vous faites du vélo stationnaire le matin, de regarder CPAC où vous verrez entre autres ce que fait le Parlement.

Merci beaucoup d'être venus.