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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 10 mars 1999

• 1530

[Traduction]

Le coprésident (le sénateur John B. Stewart (Antigonish—Guysborough, Lib.)): Honorables sénateurs et députés de la Chambre des communes, nous assistons à une réunion conjointe des comités des affaires étrangères des deux Chambres.

Le document qui vous a été distribué, un rapport de la Chambre des communes, s'intitule Le Canada et le défi nucléaire. Fruit de nombreux mois de travail, il a été préparé sous la direction de Bill Graham, président du comité.

Comme il s'agit d'un rapport de la Chambre, et puisque bon nombre des membres du comité qui ont participé à sa préparation sont présents, nous devrions donner la priorité aux députés, du moins dans un premier temps. Je donnerai la parole aux sénateurs qui souhaitent poser des questions aux témoins.

Avant de céder la parole à Bill Graham, je tiens à dire que les membres du comité sénatorial sont très heureux que nos éminents témoins aient été en mesure de venir à Ottawa, aujourd'hui. Il nous tarde d'entendre ce qu'ils ont à dire sur un sujet que nous jugeons d'une importance capitale.

Monsieur Graham.

Le coprésident (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Merci beaucoup, sénateur Stewart.

Tout en souhaitant la bienvenue à nos témoins, j'aimerais indiquer aux membres du comité et, bien entendu, aux personnes qui suivent le débat à la télévision, que nous nous réunissons aujourd'hui avec des représentants de l'Initiative des puissances moyennes pour discuter de notre rapport, lequel s'intitule Le Canada et le défi nucléaire: réduire l'importance politique de l'arme nucléaire au XXIe siècle.

Pour résumer brièvement les conclusions du rapport, la communauté internationale a eu raison de dire, il y a 30 ans, que la seule façon de relever le complexe défi de l'armement nucléaire à long terme, c'était au moyen des compromis qui ont fini par être englobés dans le traité de non-prolifération des armes nucléaires, en vertu duquel les pays signataires s'engageaient à éliminer, à la longue, les armes nucléaires. Nous devons tout faire pour assurer l'application de ce traité et du régime qui en découle.

Ce principe sert de fondement au rapport qui, lui, propose divers moyens d'en assurer l'application.

Nous avons la chance d'avoir avec nous aujourd'hui quatre personnes qui ont accepté de venir nous expliquer pourquoi l'Initiative des puissances moyennes appuie les conclusions fondamentales du rapport.

D'abord, nous avons le grand plaisir d'accueillir M. McNamara, qui a été secrétaire de la défense sous les présidents Kennedy et Johnson, et qui était présent lors de la crise cubaine des missiles et de la guerre du Vietnam. Mis à part le général Lee Butler, il est peut-être la seule personne à avoir eu une véritable responsabilité en ce qui concerne l'utilisation des armes nucléaires.

Deuxièmement, nous accueillons l'ambassadeur Thomas Graham, qui a occupé plusieurs postes supérieurs au sein du corps diplomatique. Il a été le représentant spécial du président Clinton pour le contrôle des armes nucléaires, la non-prolifération et le désarmement.

Troisièmement, nous accueillons le général Lee Butler, qui a occupé divers postes supérieurs au sein forces armées américaines, dont celui de commandant en chef du commandement stratégique des États-Unis. Il avait alors la responsabilité de toutes les forces de dissuasion nucléaire.

Si vous vous souvenez bien, le général Butler a fait parvenir une lettre au comité.

Nous avons reproduit, général Butler, une copie de votre lettre dans laquelle vous invitez le comité, dans son étude, à aller au-delà des limites de la pensée conventionnelle. J'espère que vous conviendrez avec nous que c'est ce que nous avons essayé de faire dans ce rapport.

• 1535

Enfin, nous accueillons M. Thomas Graham, de la Fondation Rockefeller, qui a déployé beaucoup d'efforts pour sensibiliser le public à cette question.

Les témoins sont accompagnés du sénateur Roche qui, comme nous le savons tous, a fourni au Canada de précieux conseils dans le domaine du désarmement nucléaire.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue devant le comité mixte. Je vous demanderais de limiter votre intervention à une dizaine de minutes pour que nous puissions avoir du temps pour la discussion. Je sais que les membres attendent avec impatience de vous poser des questions.

Monsieur McNamara, allez-vous prendre la parole en premier?

Très bien, monsieur Graham.

Vous allez constater, en passant, que les microphones s'allument automatiquement. Il n'est pas nécessaire d'appuyer sur le bouton. En fait, c'est l'une des seules innovations technologiques qui fonctionnent ici.

Des voix: Oh, oh.

M. Thomas Graham (membre, délégation américaine de l'Initiative des puissances moyennes): Monsieur le président, c'est une bonne chose que les micros s'allument automatiquement. Autrement, je risquerais d'appuyer sur le mauvais bouton.

Des voix: Oh, oh.

Le coprésident (M. Bill Graham): Nous allons vous demander de sortir si vous faites cela.

M. Thomas Graham: C'est une sage décision.

Monsieur le président, je tiens d'abord à dire que j'ai ici une lettre du général Andrew J. Goodpaster, ancien commandant suprême allié en Europe, adjoint militaire du président Eisenhower et commandant de West Point.

Dans sa lettre, il commente, à ma demande, votre rapport, et m'envoie un document qu'il a lui-même préparé à ce sujet.

Si vous n'y voyez pas d'objection, j'aimerais consigner, aux fins du compte rendu, la lettre de même que le document du général Goodpaster.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci beaucoup, monsieur Graham. Nous allons distribuer cette lettre aux membres du comité.

M. Thomas Graham: Merci.

C'est un honneur pour moi d'avoir été invité à comparaître devant ces deux comités distingués pour discuter du rapport qu'a préparé le comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, lequel s'intitule Le Canada et le défi nucléaire: Réduire l'importance politique de l'arme nucléaire au XXIe siècle.

Le comité permanent, dans ce rapport, a apporté une contribution importante à la sécurité du Canada, des États-Unis, des alliés de l'OTAN, de l'ensemble de la communauté internationale. Ce rapport traite d'une question qui revêt un intérêt capital pour la paix et la sécurité internationales dans les années à venir.

On a accordé beaucoup d'importance politique à l'armement nucléaire au cours de la guerre froide. Bien que celle-ci ait pris fin il y a une dizaine d'années, on continue toujours de le faire.

Par exemple, le premier ministre de l'Inde a déclaré, à la fin des essais nucléaires entrepris par son pays, en mai dernier, que l'Inde était une grande puissance maintenant qu'elle possédait la bombe.

Il faut à tout prix éviter ce genre d'attitude si nous voulons que le traité de non-prolifération des armes nucléaire soit un succès.

De nombreux pays estiment qu'il existe un lien direct entre le statut d'un pays et le fait de posséder ou non l'arme nucléaire. Pour paraphraser le concept stratégique adopté en 1991 par l'OTAN, les armes nucléaires constituent un «lien essentiel» entre l'Amérique du Nord et l'Europe, le «garant suprême» de la sécurité de l'OTAN, un outil «indispensable» à la paix.

Si la communauté internationale ne trouve pas un moyen de réduire l'importance politique des armes nucléaires, si elle ne parvient pas à briser le lien qui existe entre le statut d'un pays et la possession de l'armement nucléaire, la viabilité à long terme du traité de non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, sera sérieusement compromise. Ces armes seront jugées trop importantes sur le plan politique, et leur technologie, qui date des années 45, trop simple, pour que de nombreux pays acceptent d'y renoncer. Il s'ensuivra donc une propagation des armes nucléaires.

• 1540

Le TNP connaît de sérieuses difficultés. En 1995, lors de l'élargissement du traité, le Canada ayant joué un rôle déterminant à ce chapitre, les parties au TNP, y compris les États dotés de l'arme nucléaire, ont adopté une déclaration de principes en matière de non-prolifération, déclaration en vertu de laquelle elles s'engageaient à poursuivre vigoureusement leurs efforts de réduction des armes nucléaires.

Cette déclaration faisait partie intégrante de la décision d'élargir le traité. Or, nous sommes à l'aube de la conférence d'examen prévue pour l'an 2000, et aucun progrès n'a été réalisé au chapitre des réductions négociées des armes nucléaires.

De plus, et il s'agit là d'un principe fondamental du traité de non-prolifération, qui est maintenant permanent, les cinq États dotés de l'arme nucléaire se sont engagés, conformément à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, à ne jamais utiliser, ou menacer d'utiliser, l'arme nucléaire contre les parties au traité qui ne possèdent pas d'armes nucléaires. Cela représente quelque 181 pays—soit pratiquement tous les pays du monde.

Seule exception à la règle: l'arme nucléaire sera utilisée si un de ces pays s'allie avec un autre État doté de l'arme nucléaire pour attaquer un État possédant des armes nucléaires. Aucune exception ne s'applique à l'utilisation des armes chimiques ou biologiques. La Cour internationale a statué, en 1996, que cet engagement liait les parties. Or, il est remis en question par le droit de l'OTAN de recourir en premier aux armes nucléaires.

Donc, comment pouvons-nous renforcer le TNP, notre principal outil de défense contre la menace la plus sérieuse à laquelle nous sommes exposés? Comment pouvons-nous réduire l'importance politique des armes nucléaires?

Le rapport du comité permanent nous montre la voie à suivre avec ses 15 recommandations. De plus, il est essentiel que les cinq États dotés d'armes nucléaires réduisent le plus possible la taille de leurs arsenaux, conformément aux principes de sécurité et de stabilité.

Le traité START II n'a pas encore été ratifié par la Douma. Il se peut qu'il n'entre jamais en vigueur. Les États-Unis et la Russie doivent poursuivre le processus au-delà du START II et négocier une entente en vue de ramener leurs ogives stratégiques à 1 000, par exemple, un niveau que les Russes vont bientôt atteindre de toute façon pour des raisons d'ordre financier. Cette entente pourrait prévoir l'engagement de réduire davantage le nombre d'armes et de ramener l'arsenal total à 1 000.

Une fois ce niveau atteint, les cinq États dotés de l'arme nucléaire pourraient entreprendre des négociations en vue de réduire leurs arsenaux, en tenant compte de ceux l'Inde, du Pakistan et d'Israël.

On pourrait s'entendre, dans le cadre de ces négociations, sur les niveaux suivants: 300 ogives et pour les États-Unis et pour la Russie; 50 dans le cas du Royaume-Uni, de la France et de la Chine respectivement. L'Inde, le Pakistan et Israël n'auraient droit à aucune arme. Ils adhéreraient au traité, mais conserveraient les matières fissiles se trouvant sur leurs territoires en vertu de garanties données par l'Agence internationale de l'énergie atomique—comme l'a fait l'Afrique du Sud—pour se protéger en cas d'échec de l'entente.

C'est le seuil résiduel qui serait autorisé, et ce, jusqu'à ce que le monde ait suffisamment évolué pour permettre la négociation d'un traité sur l'interdiction des armes nucléaires.

La réduction de l'importance politique de l'armement nucléaire comporterait toutefois un deuxième volet. Il faudrait que les cinq États possédant l'arme nucléaire acceptent de reléguer les armes nucléaires à leur fonction essentielle, c'est-à-dire dissuader les autres de recourir au nucléaire. L'arme nucléaire ne devrait pas servir à décourager l'utilisation d'armes chimiques ou biologiques, que ce soit directement ou indirectement. Un tel geste irait à tout le moins à l'encontre, en plus de constituer vraisemblablement une violation, des assurances de sécurité négatives données en 1995, qui servent de fondement au TNP, et auxquelles j'ai fait allusion plus tôt. Les cinq États possédant des armes nucléaires devraient déclarer qu'ils n'auraient pas recours en premier aux armes nucléaires au cours de nouveaux conflits.

À cet égard, les principes que j'ai mentionnés plus tôt et qui sous-tendent le concept stratégique adopté par l'OTAN en 1991 semblent plutôt désuets. Ils mettent l'accent sur la valeur des armes nucléaires alors qu'ils devraient chercher à la réduire. Ils contribuent à renforcer l'importance politique des armes nucléaires. Cette politique, espérons-le, sera réexaminée au cours du Sommet qui doit avoir lieu en avril.

• 1545

L'OTAN pourrait contribuer à cet effort de réduction et renforcer le TNP en reléguant les armes nucléaires à leur fonction essentielle, c'est-à-dire dissuader les autres de recourir au nucléaire. Autrement dit, l'OTAN pourrait s'engager à ne pas avoir recours en premier aux armes nucléaires en cas de conflit.

La politique actuelle, soit l'option d'utiliser les armes nucléaires en premier—la force conventionnelle des pays membres du Pacte de Varsovie—n'a plus sa raison d'être. En ce qui concerne le concept de non-utilisation en premier des armes nucléaires, il est à espérer que l'OTAN s'engagera à l'examiner sérieusement dans le cadre du processus de révision qu'elle doit entreprendre à la suite du Sommet d'avril.

Aucun pays ne pourrait aspirer à la sécurité si on ne faisait rien pour empêcher la propagation des armes nucléaires. Aucune arme de riposte ne pourrait protéger l'humanité contre les erreurs de calcul, les accidents et les méfaits que les armes nucléaires, laissées entre les mains de nombreux pays, pourraient causer. La non-prolifération des armes nucléaires doit constituer notre principale priorité.

Le Canada nous a indiqué la voie à suivre dans le rapport du comité permanent. J'appuie les 15 recommandations qui ont été formulées, et j'espère que le gouvernement du Canada décidera, dans la mesure du possible, de les mettre en oeuvre.

Merci, monsieur le président.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci, monsieur Graham.

Monsieur McNamara.

M. Robert S. McNamara (membre, délégation américaine, Initiative des puissances moyennes): Merci, monsieur le président.

Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis moi aussi très heureux d'avoir été invité à exposer au gouvernement du Canada mes vues sur le rapport du comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Vous avez le rapport devant vous. Il s'intitule Le Canada et le défi nucléaire: Réduire l'importance politique de l'arme nucléaire au XXIe siècle.

En un mot, ce rapport est superbe, absolument superbe, et j'appuie fermement chacune de ses 15 recommandations.

De façon plus précise, je vous encourage à donner suite à la recommandation 15, qui se lit comme suit:

    Le comité recommande que le gouvernement du Canada fasse valoir avec vigueur au sein de l'OTAN que le réexamen du concept stratégique de l'Alliance et son actualisation, le cas échéant, devraient comprendre sa composante nucléaire.

Il est vrai que la composante nucléaire devrait faire partie de cet examen. Toutefois, j'irais encore plus loin et je proposerais que l'OTAN examine également des solutions de rechange précises à la politique actuelle de dissuasion nucléaire.

La politique de l'OTAN prévoit le recours en premier aux armes nucléaires dans certaines circonstances. Elle rejette le concept de la levée de l'état d'alerte des forces nucléaires, concept qui est exposé à la recommandation 5 du rapport, de même que le principe énoncé à la recommandation 6. Le rapport précise en outre que le gouvernement doit encourager:

    ...les États dotés de l'arme nucléaire à démontrer leur engagement non équivoque à entamer et à conclure des négociations sur l'élimination de ces armes.

Les recommandations du rapport, assorties des mesures que je propose pour les renforcer, vont directement à l'encontre de la politique nucléaire actuelle des États-Unis. Par conséquent, je ne vois pas comment l'OTAN pourrait accepter ces recommandations, à moins que le Canada n'obtienne, et il s'agit là d'un minimum, l'appui entier et absolu de la majorité des autres États membres de l'OTAN ne possédant pas l'arme nucléaire.

Grâce à cet appui et à une campagne de sensibilisation habile menée dans les principaux journaux et médias électroniques, avant et pendant les célébrations marquant le 50e anniversaire de l'OTAN, célébrations qui doivent avoir lieu à Washington, en avril, il serait possible de convaincre les trois puissances nucléaires de l'OTAN—la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis—de donner le feu vert à l'examen que vous proposez.

• 1550

Dans les quelques minutes qui me restent, je vais essayer de vous expliquer brièvement pourquoi les intervenants doivent prendre sans tarder des mesures qui tendent à l'élimination finale des armes nucléaires. En résumé, le recours aux armes nucléaires par l'OTAN serait perçu comme un geste inutile sur le plan militaire, moralement condamnable et politiquement indéfendable. Or, le maintien de cette option présente des risques énormes—je dis bien énormes; soit la destruction des nations.

La plupart des politicologues et des experts des questions de sécurité voient d'un mauvais oeil que l'on soulève les considérations morales dans les discussions sur les relations internationales et les politiques de défense. Je dois avouer que, dans bien des cas, ces considérations offrent tout au plus une ligne de conduite ambiguë. J'ose cependant croire que l'humanité jugerait totalement immoral qu'une nation puisse croire qu'elle a, quelle que soit la provocation, le droit, par son seul dirigeant, de déclencher une action susceptible d'en détruire une autre.

Et ne serait-il pas encore plus inacceptable sur le plan moral qu'une telle action, de la part d'un belligérant, détruise non seulement son ennemi mais aussi, par les retombées radioactives qui en résultent, d'autres nations qui n'ont rien à voir avec le conflit. Et pourtant—ne jouons pas à l'autruche—, c'est ce qui se serait passé si la Russie ou le Royaume-Uni avait donné suite à sa stratégie nucléaire des 40 dernières années. Elle était certes encore en vigueur durant les sept années où j'étais secrétaire de la Défense. C'est encore ce qui se produirait si l'OTAN mettait en oeuvre sa stratégie actuelle, une stratégie qui, si j'ai bien compris, a l'appui du Canada actuellement.

L'étude de l'OTAN devrait comprendre, au-delà des considérations morales, un examen minutieux de l'utilité militaire des armes nucléaires et des risques militaires que leur utilisation comporte en contrepartie. Je crois qu'une pareille étude déboucherait sur un mouvement prônant le retour, comme l'a dit l'ambassadeur Graham, à un monde sans arme nucléaire.

Je m'appuierai sur trois arguments pour étayer mes dires. Tout d'abord, il y a la crise des missiles cubains et surtout ce qu'on en a appris à ce sujet 30 ans plus tard. L'expérience de la crise et les faits qui ont été publiés récemment à son sujet font clairement ressortir que, tant que nous continuerons comme d'autres grandes puissances de maintenir des stocks d'armes nucléaires, le risque de leur utilisation et de la destruction de notre pays continuera de nous hanter.

Ensuite, j'affirme que ce risque n'est plus justifiable, si tant est qu'il l'ait été, sur le plan militaire. Les partisans des armes nucléaires n'ont produit qu'un scénario plausible dans lequel nous pourrions prendre l'initiative d'y recourir, soit une situation où il n'y a aucune possibilité de représailles. L'adversaire serait donc d'un État qui ne dispose pas d'armes nucléaires ou un État si faiblement armé que l'attaquant peut avoir une confiance absolue en la capacité de ses forces nucléaires de le désarmer totalement dès la première frappe.

En réalité, même de telles situations... Les États-Unis n'y ont pas eu recours, par exemple, lorsque leurs forces se sont retrouvées en très mauvaise passe à deux reprises pendant la guerre de Corée. À l'époque, la Corée du Nord et la Chine ne disposaient pas d'armes nucléaires, et la force nucléaire de l'Union soviétique était négligeable.

La conclusion est claire: l'utilité militaire des armes nucléaires, comme l'a dit Tom Graham tout à l'heure, se limite à dissuader l'adversaire d'y recourir. Or, si l'adversaire n'a pas d'armes nucléaires, il n'est pas nécessaire d'en avoir.

Enfin, la conception que les principaux experts occidentaux de la sécurité, tant militaires que civils, ont de l'utilité militaire des armes nucléaires a profondément changé ces dernières années—je tiens à le souligner, car je doute qu'il en ait été question dans vos médias puisque les nôtres n'en ont certes pas parlé.

Sans encore former une majorité, loin de là, ils sont de plus en plus nombreux à exprimer des opinions qui se rapprochent des miennes et de celles de l'ambassadeur Graham.

Étant donné ce qui précède, je suis tout à fait confiant qu'un examen minutieux de la stratégie nucléaire de l'OTAN recevrait l'appui ferme des experts de la sécurité des États-Unis et de la Grande-Bretagne, voire de plusieurs experts de la France.

• 1555

Parmi les experts qui appuieraient une pareille refonte et des conclusions se rapprochant de celles que je vous ai décrites, on compterait non seulement le général Butler, qui doit témoigner tout à l'heure, mais également le général Goodpaster, ex-Commandant suprême allié dont vous a parlé l'ambassadeur Graham, l'amiral William Crowe et le général David Jones, tous deux ex-présidents des Joint Chiefs of Staff, aux États-Unis, de nombreux homologues de Grande-Bretagne, particulièrement le Field Marshall lord Carver, ex-chef d'état-major de la Défense en Grande-Bretagne, et Michel Rocard, ex-premier ministre de France.

En fait, pendant plus de 30 ans, on aurait pu dire à l'égard de la politique nucléaire passée et actuelle de l'OTAN que «l'empereur n'était pas vêtu».

Je crois qu'à partir de 1960, soit après que les Soviétiques eurent acquis une force de riposte, aucun de nos neufs présidents—Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Ford, Carter, Reagan, Bush ou Clinton—n'aurait pris l'initiative d'utiliser des armes nucléaires. Nos alliés n'auraient pas voulu non plus qu'ils le fassent. Lancer une attaque nucléaire contre un adversaire aussi bien équipé que nous aurait été suicidaire.

Comme je l'ai dit, prendre l'initiative d'utiliser des armes nucléaires contre un pareil adversaire aurait été suicidaire, et la même offensive contre un adversaire dépourvu de l'arme nucléaire aurait été militairement inutile, politiquement indéfendable et moralement répugnante.

Conserver la capacité d'utiliser ces armes comporte des risques qui, si nous les comprenions bien, seraient admis comme étant totalement inacceptables.

Monsieur le président, c'est tout ce que j'avais à dire.

Le coprésident (M. Bill Graham): Je vous remercie beaucoup.

M. Robert McNamara: Puis-je ajouter quelque chose? Je suis désolé.

Le coprésident (M. Bill Graham): Naturellement. Vous avez toujours le dernier mot ici.

M. Robert McNamara: J'ai un mémoire un peu plus étoffé. Si vous le souhaitez, je puis vous le fournir aux fins du compte rendu.

Le coprésident (M. Bill Graham): Je vous remercie beaucoup, monsieur McNamara, du ferme appui que vous avez donné à notre rapport et de l'avoir situé dans le contexte de votre extraordinaire expérience de la vie. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Général Butler, vous avez la parole.

Le général Lee Butler (membre, Délégation des États-Unis, Initiative des puissances moyennes): Merci, monsieur le président, et bonjour, mesdames et messieurs.

Avant de commencer, je dois dire à quel point je suis heureux d'être de retour au Canada. Mon amitié indéfectible pour le Canada est connue depuis longtemps. Pendant de nombreuses années, j'ai été membre en règle du Permanent Joint Board on Defence.

La ville d'Ottawa telle que je la vois aujourd'hui me rappelle ma ville d'Omaha, au Nebraska. Je me sens chez moi ici.

Le coprésident (M. Bill Graham): Elles sont toutes deux recouvertes de la même neige.

Gén Lee Butler: Effectivement.

J'aimerais aussi dire, monsieur le président, à quel point votre rapport m'a plu. Il me rappelle, à de nombreux égards, que les contributions les plus importantes qu'a peut-être faites le Canada à la sécurité internationale ne tiennent pas tant aux forces qu'il envoie pour le maintien de la paix et le règlement de conflits, mais bien à la dimension morale de sa contribution.

Je retrouve la même qualité dans votre rapport. Il nous rappelle qu'au fond, les choix en matière d'armes nucléaires sont aussi des choix profondément moraux.

Le fait, malheureusement, qu'un rapport aux recommandations aussi modestes et aussi sensées ait suscité une telle controverse et, pire, ait été aussi mal accueilli par mon propre gouvernement en dit long également. En fait, il s'agit là d'un rapport que mon gouvernement aurait dû rédiger il y a de nombreuses années déjà.

Cela reflète simplement—une fois de plus, malheureusement—la paralysie intellectuelle du gouvernement actuel des États-Unis et son incapacité d'adopter une loi pour régler une question aussi pressante. Au début de la décennie, quand j'étais tout d'abord stratège des Forces armées des États-Unis, puis que j'ai participé personnellement aux événements qui ont mis fin à la guerre froide, je n'aurais jamais pu imaginer une telle situation.

• 1600

À mon grand étonnement et à mon grand soulagement en tant que professionnel, dès 1989, on pouvait espérer voir la fin d'un demi-siècle presque de graves menaces. J'ai eu le privilège de prendre part aux remarquables décisions en matière d'orientation qui ont aidé à réunifier l'Allemagne et à écarter les périls de l'ère nucléaire.

En tant que commandant des forces de dissuasion nucléaire, j'étais aussi le principal conseiller en la matière auprès du président des États-Unis. J'avais la responsabilité directe de lui faire des recommandations concernant la nature de la riposte des États-Unis à une attaque perçue.

Fait le plus important peut-être, j'étais responsable d'élaborer le plan de guerre nucléaire des États-Unis qui comprenait, à ma grande surprise quand j'ai assumé les fonctions en janvier 1991, quelque 12 500 cibles dans l'Union soviétique d'alors, un plan de guerre qui aurait prévu le déploiement immédiat de 10 000 armes nucléaires stratégiques par les États-Unis seulement en riposte peut-être à un nombre identique d'armes déployées par l'Union soviétique. Étaient en jeu non seulement la survie des antagonistes, mais également le sort de toute l'humanité.

Vous pouvez imaginer—je le répète—mon soulagement de participer au processus décisionnel qui a contribué à mettre fin à cette époque.

Voilà huit ans maintenant que le président Bush a pris ce qui s'est avéré être les dernières mesures d'importance en vue de réduire la menace nucléaire—de retirer unilatéralement des forces navales les charges nucléaires tactiques, de dénucléariser l'armée américaine, d'accélérer le désarmement des Minuteman II et, sur mon avis, d'annuler l'état d'alerte nucléaire des bombardiers pour la première fois en 30 ans, soit depuis la crise des missiles cubaine.

Je suis absolument consterné par la situation actuelle. J'ai quitté le service actif en mars 1994, convaincu que nous étions en train de tourner irrémédiablement le dos aux horreurs de l'âge nucléaire. Or, quelques mois plus tard, le mouvement avait déjà perdu de son élan et, aujourd'hui, il semble même vouloir s'inverser.

Voici la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement aux États-Unis. Notre politique relative aux armes nucléaires demeure essentiellement celle qu'a élaborée le président Reagan en 1984. Elle continue de voir la Russie comme l'ennemi et, dans les plans de guerre, elle conserve l'option d'expédier des milliers d'armes nucléaires simultanément vers diverses cibles en Russie.

De plus, le Congrès des États-Unis a décidé que les États-Unis ne réduiront pas le nombre d'armes nucléaires de leurs arsenaux en deça des 6 000 ogives opérationnellement déployables qui sont prévues dans le traité START I—en dépit d'une Russie qui chaque jour sombre dans un plus grand marasme économique, d'une Russie incapable de soutenir ou d'appuyer ses propres forces nucléaires stratégiques, d'une Russie dont les systèmes de commandement, de contrôle et d'alerte se détériorent d'heure en heure et d'une Russie dont les systèmes d'avertissement sonnent de plus en plus de fausses alertes et dont les instances de communication et de contrôle sont en rupture. Nous parlons ici d'une Russie qui vient tout juste d'être avisée que nous sommes disposés à renoncer au Traité sur les missiles anti-missiles balistiques et d'une Russie confrontée à un élargissement de l'OTAN jusqu'à ses anciennes frontières presque de la période de la guerre froide.

L'OTAN et les forces en mouvement dans le milieu international de la sécurité ne nous sont pas favorables. L'Inde et le Pakistan ont maintenant des armes nucléaires, et les raisons qu'ils invoquent pour en avoir correspondent exactement à ce qui est écrit dans notre propre politique relative aux armes nucléaires—qu'elles sont les pierres angulaires de leur sécurité nationale, qu'elles sont nécessaires pour préserver leurs intérêts vitaux. Ces pays s'accrochent à la notion que la force de dissuasion leur épargnera d'une certaine façon ce que nous avons depuis longtemps appris, soit que la dissuasion est la première victime d'une crise qui s'aggrave.

C'est pure folie. J'ai peine, en tant qu'ex-officier professionnel et en tant que citoyen des États-Unis, à le dire, mais je vous rappelle que je ne suis pas le premier haut gradé à émettre de pareilles opinions.

• 1605

Il y a longtemps que j'ai pris à coeur les paroles prononcées il y a presque un demi-siècle par Omar Bradley, après avoir vu les répercussions des bombes sur Hiroshima et Nagasaki:

    Nous vivons à l'ère du gigantisme nucléaire et de l'éthique lilliputienne. Nous habitons un monde d'intelligence supérieure, mais sans sagesse, de puissance sans conscience. Nous avons découvert les mystères de l'atome, mais nous avons oublié les leçons du Sermon sur la Montagne. Nous en savons plus au sujet de la guerre que nous n'en savons au sujet de la paix. Nous savons davantage comment tuer que vivre.

Cela ne peut pas être l'héritage de la guerre froide. Ce n'est pas là le monde que je souhaite laisser à mes enfants et petits-enfants.

Le Canada a rendu un fier service en publiant ce rapport. J'appuie entièrement ses recommandations. J'en recommande la lecture au gouvernement du Canada et à mon propre gouvernement.

Je vous transmets mes félicitations les plus sincères pour vous être, en l'absence de leadership des États-Unis en la matière, sentis obligés de causer au moins des tiraillements de conscience et d'éveiller un sens des responsabilités à l'égard de ce que j'estime être la question la plus pressante de notre époque.

Merci, monsieur le président.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci beaucoup, général Butler.

Docteur Graham, souhaitiez-vous renchérir sur ce qu'ont dit vos collègues?

Au nombre de Graham que nous avons dans la salle, c'est à croire qu'il y a un complot.

Des voix: Oh, oh!

Le coprésident (M. Bill Graham): Le comité me cause déjà assez de difficultés sans y ajouter cela.

M. Thomas Graham (ambassadeur, et président du «Lawyers Alliance for World Security», Initiative des puissances moyennes): Afin de laisser aux membres du comité le temps de poser des questions, je me bornerai à faire un seul commentaire.

En ce qui concerne les recommandations un, deux et dix, le Canada peut profiter d'une occasion tout à fait unique, selon moi. En tant que premier pays du monde à tourner le dos à la prolifération des armes nucléaires, il a une connaissance de la technologie et une position morale que n'ont pas les États-Unis et qui lui permettent d'influencer des pays comme l'Inde et le Pakistan.

Je vous encourage à mettre en oeuvre les recommandations du rapport, et c'est avec plaisir que je répondrai aux questions que vous pourriez avoir au sujet de l'Inde et du Pakistan, région où j'ai travaillé pendant 20 ans.

Cela étant dit, je crois que vous emploieriez peut-être mieux votre temps à poser des questions aux autres membres du groupe.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci beaucoup.

Je demanderais aux membres du comité de se limiter à cinq minutes, parce que vous êtes nombreux à vouloir poser des questions.

Un d'entre vous m'a informé qu'une cloche sonnera peut-être à 16 h 20. J'ignore si c'est vrai. Nous sommes en train de vérifier cette information.

Si c'est le cas, sera-ce la cloche de 15 minutes ou de la demi-heure? Le savez-vous?

M. Svend J. Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Ce sera la cloche de la demi-heure.

Le coprésident (M. Bill Graham): D'accord.

Nous vous tiendrons au courant.

Monsieur Mills.

M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): Merci, monsieur le président.

Monsieur le président, je crois, qu'il faudrait probablement que je fasse certaines déclarations, après quoi j'aurai de brèves questions à poser. Au deuxième tour de table, j'en aurai peut-être de plus importantes.

Je tiens tout d'abord à souhaiter la bienvenue à nos invités. Je ne doute pas de la sincérité de leurs propos. J'aimerais bien que tout ce qu'ils ont dit au sujet des armes nucléaires soit vrai et qu'il soit possible, en fait, de les faire disparaître en en exprimant simplement le désir. Malheureusement, je ne crois pas que ce soit le cas.

Je trouve plutôt troublant que quatre des cinq exposés aient été faits par des Américains auxquels on a permis d'utiliser notre comité—puisque nous les avons invités—comme tribune improvisée. Ils utilisent le comité pour exiger que le Canada demande instamment des changements aux politiques de leur propre pays en matière nucléaire, des politiques, pourrais-je ajouter, que certains d'entre eux ont non seulement contribué à mettre en oeuvre, mais qu'ils ont souvent eux-mêmes justifiées auprès de leur peuple, de leur gouvernement et de la communauté internationale.

Le secrétaire McNamara a fait observer, dans son document intitulé «L'élimination des armes nucléaires est-elle souhaitable ou possible?», que:

    L'utilité militaire des armes nucléaires se limite à dissuader l'adversaire d'y recourir. Si donc l'adversaire n'a pas d'armes nucléaires, il n'est pas nécessaire d'en avoir.

À mon avis, cette simple logique ne reflète pas la réalité politique d'aujourd'hui. Tout d'abord, il faut reconnaître qu'il n'existe tout simplement pas de moyen de débarrasser la planète de la technologie des armes nucléaires. Il est impossible de convaincre le génie de retourner dans la bouteille.

• 1610

En plus des cinq puissances nucléaires, l'Inde et le Pakistan ont fait leurs propres essais nucléaires. Il est généralement dit qu'Israël en a aussi et que l'Iran, l'Irak et la Corée du Nord s'efforcent avec énergie de se joindre à ces rangs.

Il nous faut accepter le fait que le risque de prolifération nucléaire existera toujours. Un régime de vérification de la non-prolifération ne sera jamais assez fort.

Par exemple, neuf ans après que la Commission spéciale des Nations unies sur l'Irak s'est mise à l'oeuvre en Irak, nous ignorons toujours si Saddam Hussein est capable de produire des armes nucléaires, biologiques ou chimiques.

Il faudrait aussi prendre note que les pays se dotent d'une capacité nucléaire pour des raisons très différentes. Durant mon voyage en Asie du Sud, l'an dernier, je l'ai appris de première main en m'entretenant avec les ministres et les comités des affaires étrangères de l'Inde et du Pakistan.

L'Inde a tenté de se donner plus d'importance en accédant à la puissance nucléaire, tandis que le Pakistan cherchait à accroître sa sécurité. Les dirigeants de ces pays n'étaient pas fous. Il ne s'agissait pas d'États réprouvés. Les décisions prises par les deux gouvernements ont reçu l'appui général de leur opinion publique nationale. Chaque gouvernement a pris une décision rationnelle qu'il estimait correspondre à son meilleur intérêt et a agi en conséquence.

Le désarmement nucléaire, ou l'adoption par l'OTAN d'une stratégie de non-emploi en premier, n'aurait probablement pas influencé beaucoup l'opinion à New Delhi ou à Islamabad. Mises à part les politiques fondamentales...

M. Svend Robinson: Monsieur le président, j'invoque le Règlement. Étant donné qu'il y a tant de membres qui souhaitent interroger ces témoins, je me demande si, plutôt que de lancer des insultes gratuites et de faire de la rhétorique néandertalienne, le membre du comité ne pourrait pas poser ses questions.

Des voix: Bravo!

Le coprésident (M. Bill Graham): Je suppose qu'il en arrive à sa question. S'il a épuisé les cinq minutes, il n'obtiendra pas de réponse.

M. Bob Mills: Monsieur le président, le membre du comité sait qu'il peut utiliser le temps qui lui est alloué comme bon lui semble.

Les politiques fondamentales de concert avec l'existence de d'États réprouvés signifient que le monde dénucléarisé n'est qu'une utopie. Nous souhaitons tous vivre dans un monde aussi paisible, mais ce monde n'existe tout simplement pas.

Les armes nucléaires ont aussi un autre rôle important à jouer. La prolifération des armes biologiques et chimiques représente une menace grave actuellement. Peut-être la plus grave.

À ceux qui soutiennent que les armes nucléaires ne peuvent pas avec efficacité prévenir l'utilisation d'armes chimiques et biologiques, j'aurais deux observations à faire. Tout d'abord, l'administration Clinton est certes convaincue qu'elles le peuvent et, vers la fin de 1997, en a fait sa politique au moyen d'une décision du Président. De plus, en l'absence d'armes nucléaires, je me demande quelle sorte de riposte dissuaderait l'adversaire de recourir à des armes chimiques et biologiques.

Les membres du comité sont-ils réellement convaincus que les forces conventionnelles ont le pouvoir politique voulu pour empêcher des États scélérats d'utiliser des armes de destruction massive? Personnellement, je ne le crois pas.

Mon dernier point concerne la crédibilité internationale du Canada. Tant le secrétaire McNamara que le général Butler connaissent bien l'état de la sécurité internationale.

Comme vous le savez sans doute tous deux, la capacité militaire canadienne décline constamment depuis 30 ans. Je pose ma question très franchement. À quel point le Canada semblerait-il crédible, étant donné sa capacité militaire limitée, s'il exigeait de Washington qu'il change sa politique en matière de sécurité nationale?

Lors d'une récente entrevue, le secrétaire McNamara...

Le coprésident (M. Bill Graham): Je suis désolé, mais vous avez épuisé le temps qui vous était alloué.

M. Bob Mills: C'est impossible.

Le coprésident (M. Bill Graham): C'est pourtant vrai. Vous parlez depuis cinq minutes déjà.

Monsieur Mills a soulevé deux questions précises. D'une part, l'utilisation d'armes nucléaires empêcherait-elle les États scélérats d'attaquer les États-Unis et, d'autre part, le Canada serait-il crédible s'il adoptait cette position?

Général Butler, comme vous traitez particulièrement de ces questions, vous pourriez peut-être répondre rapidement.

Gén Lee Butler: Malheureusement, je me suis trouvé dans la fâcheuse position d'avoir à répondre à cette question plutôt directement, monsieur le président. J'étais le stratège des forces armées des États-Unis durant la guerre du Golfe.

Une des questions extraordinairement complexes que nous avons dû régler concernait la façon de riposter, si Saddam Hussein employait une arme de destruction massive. En fait, la question a été posée explicitement, comme le souligne Colin Powell dans ses mémoires, par le secrétaire Cheney—soit d'examiner la possibilité d'une riposte nucléaire.

Ce fut un exercice extrêmement instructif. En relativement peu de temps, j'étais convaincu qu'il n'existe pas de circonstances dans lesquelles le gouvernement des États-Unis serait justifié d'employer une arme nucléaire en réponse à pareille provocation de la part de Saddam Hussein.

• 1615

Tout d'abord, cela n'était pas nécessaire. Nous avions la capacité militaire voulue pour soumettre l'Irak au moment de notre choix. Nous avons simplement choisi de ne pas le faire. Nous avons décidé de ne pas pousser jusqu'à Bagdad lorsque le conflit terrestre s'est intensifié. Nous avons choisi de ne pas occuper le pays et de ne pas imposer un nouveau régime, comme nous l'avions fait en Allemagne et au Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Premièrement—et il faut s'en réjouir—, les États-Unis, de même que leurs partenaires de la coalition, n'ont pas eu à décider d'utiliser ou non une arme nucléaire. Je dois dire qu'il m'est difficile d'imaginer, dans le contexte de l'après-guerre froide, une situation où les États-Unis et ses alliés ne se retrouveraient pas dans des circonstances analogues.

À mon avis, nous ignorons ce qui sera dissuasif, mais nous pouvons nous assurer d'avoir la capacité de répondre à ce genre de provocation extrême sans que notre seul recours soit les armes nucléaires.

Des voix: Bravo!

Gén Lee Butler: Deuxièmement, monsieur, il y a un autre aspect extrêmement crucial. Le recours aux armes nucléaires dans une région arabe aurait fait éclater la coalition favorable aux États-Unis. Avec une seule frappe, nous aurions fait de notre ennemi, Saddam Hussein, un martyr et nous nous serions mérités à jamais l'opprobe du monde arabe. Nonobstant leurs sentiments au début du conflit, nos partenaires arabes ont été très clairs quant aux limites de notre action en vue d'imposer notre volonté à Saddam Hussein.

Troisièmement, il n'y avait aucun objectif militaire valable. Lorsqu'on pense que le recours aux armes nucléaires peut être une solution valable, la première question qu'il convient de se poser est la suivante: «Quel est l'objectif? »Ce n'était certainement pas Bagdad. Il n'était pas question de tenir responsables de la décision d'un dirigeant dément qui les accable déjà des centaines de milliers d'innocents.

Quatrièmement, comment contenir les répercussions matérielles liées au recours aux armes nucléaires? Les retombées de l'incendie des 800 puits de pétrole mis à feu se sont fait sentir dans la moitié du globe. Imaginez l'incidence d'un nuage radioactif lié au recours aux armes nucléaires.

Enfin—et c'est le plus important—, il y a la première question que poserait n'importe quel président des États-Unis: comment pouvons-nous, en tant que démocratie, recourir à un moyen d'action que nous condamnons et abhorrons, à juste titre?

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci, général.

Monsieur l'ambassadeur, je crains de devoir passer au prochain intervenant.

M. Thomas Graham: Puis-je avoir 10 secondes?

Le coprésident (M. Bill Graham): Vous pouvez avoir 10 secondes, mais personne ne se limite à 10 secondes.

M. Thomas Graham: Je n'en prendrai que 10.

La façon de dissuader le recours aux armes chimiques et biologiques est d'avoir une imposante force conventionnelle au sein de l'OTAN. Se servir d'armes nucléaires à des fins de dissuasion aura pour effet de provoquer la propagation de ces armes dans le monde, ce qui créerait, du point de vue de la sécurité, un cauchemar pour les États-Unis, le Canada et l'OTAN.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci beaucoup.

Le coprésident (sénateur John Stewart): Je vais maintenant donner la parole au sénateur Grafstein.

Vous avez déjà entendu les règles de conduite applicables aux intervenants.

Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (Métro-Toronto, Lib.): Merci de ce rappel, monsieur le président.

Tout d'abord, je souhaite la bienvenue aux témoins. J'ai trouvé non seulement les témoignages mais aussi le rapport de la Chambre fascinants et stimulants.

Je veux aborder brièvement deux sujets. Le premier est l'OTAN du XXIe siècle. N'est-ce pas essentiellement ce dont il est question: quel sera le visage de l'OTAN au XXIe siècle?

Le deuxième est la capacité qu'aurait récemment acquise la Chine, d'après certains renseignements, en ce qui a trait à de multiples armes nucléaires tactiques.

Premièrement, il y a eu un débat très curieux au Canada au sujet de l'OTAN il n'y a pas si longtemps. Au bout du compte, le gouvernement, avec l'aide du comité de la Chambre, a décidé d'appuyer l'expansion de l'OTAN.

Certains d'entre nous, au Sénat, ont estimé que c'était là une politique erronée. Elle est erronée parce que maintenant que l'ours russe est apprivoisé, elle ne sert qu'à le provoquer de nouveau.

Pour ceux d'entre nous qui se préoccupent de désarmement nucléaire—ce qui notre cas à tous—, cela interrompra les pourparlers START I ou II.

Général Butler, vous venez de faire allusion à cela dans votre témoignage. J'en ai conclu implicitement que vous estimiez que l'élargissement de l'OTAN est une politique erronée.

• 1620

L'expansion de l'OTAN a eu pour résultat direct, en dépit de l'état de faiblesse de la Russie à ce moment-ci—d'amener les forces réactionnaires russes à interrompre le désarmement nucléaire et ce, malgré les difficultés financières du pays. Personnellement, je suis arrivé à la conclusion que l'expansion de l'OTAN était une politique néfaste.

J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet, particulièrement dans l'importante perspective du désarmement nucléaire.

Gén Lee Butler: Je me suis élevé vigoureusement contre l'expansion de l'OTAN, sénateur, pour les raisons suivantes. Premièrement, la fin de la guerre froide a ébranlé un paradigme. Cela nous donnait une belle occasion de réécrire les règles de la sécurité en Europe centrale, de façon à pouvoir espérer, pour la première fois, rompre le cycle de la violence nationaliste et ethnique qui l'avait caractérisée pendant des siècles. Surtout que les forces politiques, économiques, culturelles et de sécurité en présence en Europe allaient s'acquitter de cette tâche de toute façon. Restait simplement à savoir quelle forme prendrait cette évolution.

À mon avis, l'OTAN a été un succès historique et aurait dû être inscrit dans les livres d'histoire à ce titre. Parallèlement, cette institution aurait dû servir de véhicule de transition pour aider les Européens à se défaire de leur dépendance vis-à-vis les États-Unis, alors même qu'ils cheminaient vers l'intégration économique, évolution qui aboutira inévitablement à une intégration accrue sur le plan de la politique et de la sécurité.

Deuxièmement, je pense que notre ordre de priorités n'est pas le bon. À mon sens, l'ultime priorité sur le plan de la sécurité pour les États-Unis et l'OTAN à la fin de la guerre froide était de guider la Russie au cours de cette transition extraordinairement traumatisante qu'elle allait inévitablement connaître. Au lieu de cela, nous avons exacerbé les pires craintes et soupçons des Russes.

Je trouve plutôt paradoxal qu'après avoir trouvé une formule gagnante, appelé le Partenariat pour la paix, nous l'ayons abandonnée, à dire vrai, en raison d'un sentiment d'anxiété politique lié aux difficultés politiques intérieures aux États-Unis.

Nous avons donc perdu une occasion historique et nous sommes maintenant en présence d'une Alliance affligée par le déclin intellectuel. Le simple fait que l'Alliance a rendu taboue toute discussion d'une question qui est au coeur de ses intérêts—son Concept stratégique, avec ses paragraphes sur le recours au nucléaire—et le fait que le document renferme toujours les termes «Union soviétique», qui remontent à 1991, montre bien que sur le plan intellectuel, l'OTAN n'est plus une organisation viable.

J'ignore si nous pourrons réparer le tort que nous avons causé à nos rapports avec la Russie. Je ne sais pas s'il nous sera possible de recommencer à zéro, de repartir à la case départ et de réimaginer l'avenir de la sécurité en Europe. Nous avons peut-être opté pour une voie qu'au bout du compte, l'histoire jugera non seulement erronée, mais funeste.

Le sénateur Jerahmiel Grafstein: Monsieur le président, je ne sais pas s'il me reste encore une minute.

Le coprésident (le sénateur John Stewart): Je pense que votre temps de parole est expiré.

Le sénateur Jerahmiel Grafstein: Y aura-t-il un deuxième tour?

Le coprésident (M. Bill Graham): J'en doute, car il y a trop de noms sur la liste.

Monsieur McNamara, si vous voulez ajouter quelque chose, allez-y.

M. Robert McNamara: Je voulais simplement dire un mot au sujet de la Chine. Nous n'en avons pas parlé sauf dans la question. Je ne suis pas certain de répondre correctement à la question, mais je pense que la politique nucléaire américaine actuelle provoque avec la Chine les mêmes frictions qu'avec la Russie, comme Le vient d'y faire allusion.

Le déploiement potentiel de missiles antimissiles balistiques aux États-Unis détruira l'instrument dissuasif de la Chine, ce qui ne manquera pas de créer d'intenses frictions entre la Chine et «l'Ouest», comme je l'appelle. Ces frictions seront particulièrement vives avec les États-Unis, mais également entre la Chine et l'Ouest en général.

C'est une chose que nous pouvons éviter et, d'après moi, que nous devons éviter. Ce serait une tragédie que de commencer le 21e siècle avec des ponts coupés avec la Chine. Voilà ce qui arrivera si nous déployons un missile antimissile balistique.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci beaucoup, monsieur McNamara.

[Français]

Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Messieurs, bienvenue et bonjour.

Je considère que le fait de vous avoir parmi nous cet après-midi est un honneur et un privilège et je suis heureux que vous nous fassiez part de votre appui au rapport déposé par le comité quasi à l'unanimité, à l'exception de mon collègue du Parti réformiste qui a refusé, lui, les recommandations du rapport.

Ma première question s'adressera à M. McNamara.

J'ai pris le temps de lire, avant la rencontre, le document que vous nous avez remis et je l'ai trouvé très intéressant.

• 1625

Il est intitulé: «L'élimination des armes nucléaires est-elle souhaitable ou possible?» et la première phrase se lit ainsi:

    En réponse à cette question, mon étude arrivera à la conclusion que l'élimination des armes nucléaires est souhaitable, sans être réalisable dans un avenir prévisible.

Je voudrais associer cette première phrase au rapport. Vous et vos collègues considérez sans doute que les 15 recommandations du rapport sont souhaitables, mais sont-elles réalisables dans un avenir prévisible?

[Traduction]

M. Robert McNamara: Les 15 recommandations sont à la fois souhaitables et réalisables. La deuxième phrase, qui fait suite à celle que vous avez lue dans mon rapport, affirme:

    J'exhorterai toutefois les intervenants à prendre sans tarder des mesures qui tendent à leur élimination finale, et qui contribuent entre-temps à réduire le risque de déclencher, par accident ou inadvertance

...le risque d'une prolifération accrue...

    et leur utilisation.

C'est précisément l'objectif que visent les 15 recommandations du rapport, et je les salue.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Prenons la recommandation concernant les traités START. On est maintenant à START II, et la Douma russe refuse de ratifier ce traité conclu entre les États-Unis et la Russie. Nous prévoyons déjà pour START III. Selon vous, est-ce qu'on peut s'attendre à une plus grande réduction stratégique des armes nucléaires par les Américains et les Russes compte tenu de l'impasse dans laquelle on est rendu au niveau de ces traités?

[Traduction]

M. Robert McNamara: Je suis tout à fait d'accord avec Lee pour dire que l'élargissement de l'OTAN a été une grave erreur. George Kennan, notre principal expert soviétique, a déclaré que c'était la pire erreur que nous ayons faite en rapport avec la Russie depuis 50 an. J'en conviens. Mais si nous pouvons aller au-delà de cela—et nous aggravons les choses pratiquement tous les jours—et obtenir que la Duma adopte START II et ensuite, cheminer vers un accord START III, ce sera un pas important dans la direction vers laquelle pointe votre rapport. D'ailleurs, cela va dans le sens des chiffres fournis par l'ambassadeur Graham.

À mon avis, START III, qui pourrait prévoir une limite de 2 000 ogives, ce qui serait un grand bond en avant, est absolument essentiel si nous voulons jeter les bases d'une non- prolifération permanente.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Merci. Je vous considère comme des personnes imminentes aux États-Unis. Le Comité des affaires étrangères a déposé un rapport, mais comment peut-on faire pour sensibiliser l'opinion publique non seulement aux dangers potentiels mais aussi aux coûts sociaux et économiques de la prolifération des armes nucléaires? Comment peut-on faire pour mettre l'opinion publique derrière nous, afin qu'on arrive à mettre en oeuvre plus rapidement ces 15 recommandations?

[Traduction]

M. Thomas Graham: Je pense que pour rallier l'opinion publique dans ce dossier, il faut essayer de faire la plus grande publicité possible autour du rapport. C'est une tâche extrêmement difficile, à la fois aux États-Unis et au Canada, car nombreux sont ceux qui croient que le problème a disparu avec la fin de la Guerre froide et que nous n'avons plus à nous en faire avec l'armement nucléaire.

Récemment, un sondage mené aux États-Unis a révélé que 30 p. 100 des Américains pensent que l'arsenal nucléaire a été démantelé partout dans le monde. Parmi la population américaine et, je soupçonne, parmi la population canadienne également, 70 p. 100 ou 80 p. 100 des citoyens souhaitent que le problème soit résolu. Ils souhaitent que l'on réduise radicalement le nombre d'armes nucléaires et que le monde devienne un endroit beaucoup plus sûr.

La population est derrière nous. Reste à savoir comment susciter sa participation. Je ne vois pas d'autre moyen que d'aller dans les collectivités, dans nos deux pays, et de faire le plus de bruit possible autour d'événements comme la publication de votre rapport et d'autres choses de ce genre.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci.

Monsieur Assadourian.

M. Sarkis Assadourian (Brampton Centre, Lib.): Merci beaucoup.

A l'instar de mes collègues, je vous souhaite la bienvenue à Ottawa.

J'ai deux questions. Premièrement, vous dites appuyer nos recommandations. Dans notre cinquième recommandation, nous évoquons le concept de la levée de l'état d'alerte. Dans quelle mesure devrait-il être fondé sur une vérification technologique d'une part et, d'autre part, sur la confiance mutuelle entre les deux super- puissances, sachant qu'il y a quelques années à peine, l'un des présidents a décrit la Russie comme «l'empire du mal»?

• 1630

Ma deuxième question s'adresse à vous, général Butler. Les politiciens n'aiment pas tellement répondre aux questions hypothétiques, mais les généraux, les chefs d'état-major, se préparent pour la guerre en fonction de scénarios hypothétiques.

Revenons 54 ans en arrière, en juin 1945. Supposons que vous êtes le chef d'état-major de l'armée américaine. Auriez-vous lâché des bombes nucléaires à Hiroshima et Nagasaki?

Gén Lee Butler: Permettez-moi d'enlever mon chapeau de général pour un instant et de mettre celui de politicien?

Des voix: Oh, oh!

M. Sarkis Assadourian: Je vous rends hommage parce que vous...

Le coprésident (M. Bill Graham): Nous allons vous nommer membre honoraire du comité à ce titre.

Gén Lee Butler: Merci.

À cet égard, je peux vous dire que comme tous les politiciens chevronnés, je ne réponds pas aux questions hypothétiques.

Des voix: Oh, oh!

M. Sarkis Assadourian: À ce moment-là, puis-je poser une autre question?

Gén Lee Butler: Permettez-moi d'abord de répondre sérieusement à cette question, car on me la pose fréquemment.

Je ne sais tout simplement pas ce que j'aurais fait. Je n'étais pas là. Je n'étais pas soumis aux pressions intenses de l'époque. Je peux facilement imaginer que j'aurais pris la même décision que le président Truman.

Du même souffle, je vous dirai ceci. J'espère, sachant ce que je sais maintenant, que j'aurais choisi des cibles autres que deux agglomérations urbaines où des centaines de milliers de personnes ont trouvé la mort. Il ne s'agissait pas de cibles militaires, loin de là. Ces villes ont été sélectionnées principalement pour des raisons géographiques, afin de multiplier les conséquences de l'explosion anticipée.

Dans cette perspective, je pense que j'aurais choisi une autre cible. J'estime que l'effet politique aurait été le même, mais chose certaine, le prix aurait été moins élevé en termes de vies innocentes.

Pour ce qui est de la levée de l'état d'alerte, c'est vraiment mon domaine. En effet, j'étais chargé d'assurer l'état d'alerte relativement à toutes les forces nucléaires stratégiques d'Amérique pendant les trois ans où j'ai été leur commandant et, avant cela, à titre de commandant de deux unités de B-52 plus tôt dans ma carrière.

La raison pour laquelle j'ai recommandé, en 1991, de réduire l'état d'alerte des bombardiers n'avait guère de rapport avec les conséquences militaires. Il s'agissait d'un signal politique. C'était une question de confiance. Au cours de cette période critique où la Russie faisait ses premiers pas vers la transition, cela a permis au président des États-Unis d'affirmer qu'il avait suffisamment confiance dans nos nouvelles relations avec la Russie et qu'il était prêt à apporter ce changement dramatique après 30 ans, soit réduire de 12 minutes à 72 heures le temps de réponse de nos bombardiers.

Certains ont jugé cela cynique, faisant valoir que cela pouvait être modifié facilement. Ce n'est pas l'important. L'important, c'est que depuis sept ans et demi, nous n'avons jamais été obligés de remettre en alerte nos bombardiers—jamais. Cela fait partie des efforts pour réduire la pertinence et l'importance des armes nucléaires. C'est une façon de bâtir la confiance.

Le paradoxe, évidemment, c'est que nous avons pris ces mesures modestes pour réduire le statut d'alerte des bombardiers, qui sont l'élément le moins menaçant et le moins déstabilisant de la triade. À l'heure actuelle, 10 ans après la fin de la guerre froide, la totalité de nos ICBM terrestres et 60 p. 100 de nos ICBM marins sont en état d'alerte aiguë.

Je pense que c'est inacceptable. Cela n'a aucun sens, que ce soit du point de vue politique, militaire ou moral. Nous avons la capacité, sans procédures de vérification élaborées, d'allonger l'intervalle entre la décision et le lancement de cinq minutes par sous-marin à trois jours ou 72 heures, tout comme les Britanniques l'ont fait.

Les Britanniques n'ont pas négocié cela avec les Russes. Ils ont simplement accepté la prémisse qu'avec la disparition de l'Union soviétique, du Pacte de Varsovie et ce qu'on appelle dans le jargon de l'OTAN une perspective extrêmement faible de menace, ils pouvaient porter de cinq minutes à 72 heures le créneau de lancement de leurs missiles.

Les États-Unis et la Russie auraient dû prendre de telles mesures depuis longtemps, soit sur une base négociée ou unilatérale, afin de bâtir la confiance et de paver la voie à des initiatives analogues.

• 1635

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci beaucoup.

Le coprésident (sénateur John Stewart): Sénatrice Andreychuk.

La sénatrice Raynell Andreychuk (Saskatchewan, PC): Merci.

Au deuxième tour, je contesterai l'affirmation selon laquelle l'OTAN n'aurait pas dû prendre de l'expansion ainsi que les conclusions tirées de la situation dans laquelle la Russie se trouve aujourd'hui. Certes, son pouvoir militaire a été affaibli au point qu'il ne lui reste que son armement nucléaire même si son fonctionnement est boiteux, si je peux me permettre de m'exprimer ainsi. Cette capacité nucléaire demeure. C'est sur cette capacité que comptent les Russes étant donné la faiblesse de tous les autres volets militaires.

Je ne voulais pas aborder le sujet—à moins que vous ne vouliez répondre. Je voulais plutôt vous poser la question suivante. Trois pays membres de l'OTAN sont membres du club nucléaire. S'ils réduisaient leur capacité, s'ils respectaient leurs traités et leurs obligations et s'ils adhéraient à la démarche qui semble faire consensus dans la salle, ce serait moins un problème pour l'OTAN.

À l'heure actuelle, on semble se servir de l'OTAN comme déclencheur pour encourager ces trois pays à abandonner leurs positions. Si, en fait, comme le rapport le propose—et je ne dis pas que nous ne devrions pas nous orienter dans cette direction—nous optons pour ce scénario et que nous ne réussissons pas à convaincre les Américains, les Français et peut-être les Britanniques à abandonner leur position actuelle, n'affaiblissons-nous pas davantage l'OTAN? Quelle est notre stratégie à ce moment-là? Qu'en serait-il de la stratégie d'assistance mutuelle avec l'Europe?

M. Thomas Graham: Si l'on met l'accent sur l'OTAN, c'est qu'il y a eu, jusqu'à un certain point, un examen stratégique. Nous insistons pour que cet examen englobe le volet nucléaire. Le dernier examen remonte à huit ans. La doctrine de la première frappe est désuète puisqu'elle remonte à la naissance de l'Alliance. Beaucoup de choses ont changé. Il convient de la réviser. Il y a déjà longtemps qu'on aurait dû le faire.

Je crois qu'il y a un certain illogisme à voir trois pays de l'OTAN, trois partenaires—les États-Unis, le Royaume-Uni et la France—s'engager officiellement, suite à une résolution du Conseil de sécurité, à ne jamais recourir aux armes nucléaires ou à la menace nucléaire contre pratiquement le monde entier, tous les États non dotés d'armes nucléaires parties au traité de non-prolifération d'une part et, d'autre part, adhérer à une Alliance qui maintient la possibilité de l'emploi en premier des armes nucléaires dans toutes circonstances où elle le juge justifié.

Cela me paraît illogique. Cela n'est pas conforme à l'engagement très important qui sous-tend le traité de non-prolifération nucléaire, lequel est notre principale défense contre la prolifération débridée des armes nucléaires, qui minerait la sécurité de l'OTAN plus que n'importe quel autre facteur.

Pour ce qui est des engagements de chacun de ces trois pays de réduire leurs armes nucléaires, comme nous l'avons dit, le processus START est en panne à l'heure actuelle puisque START II est bloqué à la Duma. Qui sait ce qui va se passer dans ce dossier?

Les Britanniques ont unilatéralement apporté certaines réductions et ont également pris certaines initiatives pour lever l'état d'alerte, comme vient de le signaler le général Butler.

Les Français ont pris des mesures analogues. Ils ne sont pas partie prenante au processus de réduction des armes nucléaires car il est acquis qu'ils n'y participeront pas tant que les États-Unis et la Russie n'auront pas atteint un niveau de 1 000 ogives, environ, ce qui se rapproche de leur propre niveau. À ce moment-là, il y aurait négociation entre cinq puissances.

Cela dit, je ne pense pas que le fait de discuter de ces questions et de suggérer que l'OTAN révise une très ancienne politique à la lumière du monde tout à fait différent dans lequel nous vivons affaiblisse l'Alliance de quelque façon que ce soit. En fait, je pense qu'à long terme, cela renforcera sensiblement la sécurité de l'OTAN.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci.

La sénatrice Raynell Andreychuk: Ma question était tout à fait différente de la réponse...

• 1640

Le coprésident (M. Bill Graham): C'est vrai, mais c'est la nature...

La sénatrice Raynell Andreychuk: Je pense que tous les autres pays de l'OTAN adopteraient les recommandations. C'est vraiment la France, les États-Unis...

Je vais m'en tenir là.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci, sénatrice.

Monsieur Robinson.

M. Svend Robinson: Merci, monsieur le président.

Je souhaite la plus chaleureuse des bienvenues aux témoins qui comparaissent devant le comité. À mon avis, vous apportez expérience, sagesse et à ce débat d'une importance cruciale.

Un membre de notre comité s'est demandé s'il était opportun que des Américains viennent au Canada comparaître devant nous. Je ne peux imaginer un groupe de personnes aussi fondamentalement important compte tenu de leur expérience ainsi que du rôle des États-Unis.

Par conséquent, je vous remercie d'avoir accepté de venir.

Des voix: Bravo!

M. Svend Robinson: Soit dit en passant, cette rencontre est très intéressante pour moi. Il y a de nombreuses années, lorsque j'étais jeune étudiant, je me souviens d'avoir manifesté contre la politique du secrétaire d'État McNamara au Vietnam. C'est formidable pour moi d'être ici aujourd'hui pour saluer son leadership dans ce dossier crucial.

Il s'agit d'un enjeu moral, mais je sais que nos témoins conviendront également que l'armement nucléaire est un obscène gaspillage de ressources humaines dans un monde où l'UNICEF a établi que 35 000 enfants par jour meurent de faim et de maladies évitables. Je pense qu'il faut aussi tenir compte de cette perspective de l'extravagance des dépenses liées à ces armes.

Monsieur le président, J'ai trois questions. Je les poserai très succinctement.

Ma première question porte sur le non-emploi en premier. Plus tôt aujourd'hui, au cours de la période des questions à la Chambre des communes, j'ai instamment invité notre ministre, Lloyd Axworthy, à ne pas se borner à réclamer un examen du Concept stratégique de l'OTAN, mais à aller plus loin. Il devrait affirmer que le gouvernement du Canada estime qu'il convient de recommander à l'OTAN de supprimer du Concept stratégique cette politique du non-emploi en premier.

Je voudrais que les témoins expriment leur opinion à ce sujet. Je suppose qu'ils seraient d'accord avec cette position. Ils ont dit qu'il était important de mettre cela sur la table, mais j'imagine qu'ils sont prêts à aller plus loin et à affirmer que cette politique de non-emploi en premier n'a plus sa place dans la doctrine de l'OTAN d'aujourd'hui. J'aimerais une précision à cet égard.

Ma deuxième question porte sur les États dits renégats. Dans son rapport dissident, le Parti réformiste affirme que les «armes nucléaires sont une police d'assurance contre l'imprévu». Par «imprévu», ils entendent les «États hostiles, les États renégats et les organisations terroristes».

Les témoins pourraient-ils réagir à la suggestion que nous devrions maintenir un arsenal nucléaire pour contrer la menace de prétendus États renégats?

Voici ma dernière question, monsieur le président. Que pouvons-nous faire, en tant que Canadiens—et particulièrement, que peut faire notre gouvernement au cours de cet intervalle critique d'ici le Sommet de Washington? Selon le secrétaire d'État McNamara, les recommandations de notre rapport—et les vôtres—risquent d'être futiles à moins qu'il y ait une majorité d'États non dotés d'armes nucléaires.

Pouvez-vous nous conseiller quant au rôle que nous pourrions jouer? Le Canada devrait-il prendre l'initiative d'essayer de dégager un tel consensus, exercer des pressions particulièrement sur les États-Unis, mais aussi sur la France et la Grande-Bretagne? Pouvez-vous dire au comité et à notre gouvernement ce que nous pouvons faire au cours de cette période très courte et très critique afin d'atteindre les objectifs très important que vous avez énoncés?

M. Thomas Graham: Premièrement, je recommanderais au Canada d'essayer de convaincre ses autres alliés de l'OTAN de l'appuyer dans ses efforts pour obtenir un engagement par écrit au sommet d'avril—peut-être sous forme de communiqué ou autre—en faveur d'un examen de la politique nucléaire de l'OTAN dans la foulée du sommet. On a laissé entendre que ce serait le cas. Je pense qu'il serait très utile d'obtenir un tel engagement sous forme de communiqué. À mon avis, il est impératif qu'un tel examen ait lieu.

Quant à savoir si l'examen devrait conclure que l'adoption d'une politique de non-introduction des armes nucléaires dans de futurs conflits—une politique de non-premier-emploi—ajouterait à la sécurité de l'OTAN, je suis vraiment convaincu que ce serait le cas. Il est dans l'intérêt de l'OTAN d'adopter une telle politique. En effet, ce serait une façon valable de contrer la pire menace à la sécurité de l'OTAN à l'heure actuelle, soit celle de la prolifération des armes nucléaires.

• 1645

Ma réponse serait oui.

Pour ce qui est du recours aux armes nucléaires contre des Etats renégats et des organisations terroristes, je vois mal comment on pourrait recourir aux armes nucléaires contre des organisations terroristes. On se ferait probablement sauter soi-même au cours du processus.

Pour ce qui est des Etats renégats, nous avons déjà eu ce débat. Je n'aime pas particulièrement ce terme; parlons plutôt d'Etats «irresponsables». La plupart d'entre eux n'ont pas d'armes nucléaires. Si nous agissions ainsi, nous violerions nos engagements aux termes du Traité de non-prolifération. Il n'est pas nécessaire d'en venir là. C'est inutile. Je ne conçois pas que l'on puisse utiliser des armes nucléaires contre des Etats irresponsables.

Peut-être mes collègues voudront-ils ajouter quelque chose.

M. Robert McNamara: Une petite intervention de 30 secondes.

Je suis tout à fait d'accord. Je ne conçois pas qu'on utilise des armes nucléaires à l'encontre des Etats renégats. Mais supposons un instant que j'aie tort, quel rapport cela a-t-il avec la situation actuelle, avec un monde où il existe 20 000 ogives nucléaires? J'espère que grâce à START II, nous allons pouvoir réduire ce nombre à 10 000 et grâce à START III, à 6 000 peut-être. Il se peut qu'on en arrive d'ici 15 ou 20 ans à 100 ou 500. Ce serait plus que suffisant pour régler le cas des Etats renégats.

Par conséquent, l'argument des Etats renégats n'est pas valable dans le débat d'aujourd'hui.

Le coprésident (M. Bill Graham): J'ai Mme Augustine et M. Bachand sur la liste. Il nous reste sept minutes car nos témoins doivent nous quitter à 16 h 55 pour rencontrer le Premier ministre.

Pouvez-vous partager votre temps au cours de ces sept minutes?

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Oui. Merci, monsieur le président.

Tout comme mes collègues, je vous souhaite la bienvenue à notre comité. Je suis très heureuse que vous appuyiez nos recommandations.

Monsieur McNamara, Général Butler, vous avez participé à la rédaction de deux documents importants—en 1996, le rapport de la Commission de Canberra sur l'élimination des armes nucléaires et en 1997 un document venant des États-Unis sur l'avenir de la politique américaine relative aux armes nucléaires. Où s'inscrivent ces recommandations par rapport à ce que nous recommandons à l'heure actuelle? De quelle façon cela fait-il avancer le débat?

Gén Lee Butler: En tant que membre de la Commission de Canberra et de la U.S. National Academy of Science, j'ai effectivement participé à la rédaction de ces deux documents et j'estime que vos recommandations s'inscrivent tout à fait dans cette lignée. Elles relèvent du même esprit et de la même démarche intellectuelle qui ont présidé à ces deux rapports.

Ainsi, la Commission de Canberra et la National Academy of Science ont toutes deux réclamé de réduire l'état d'alerte des armes nucléaires, ce qu'on appelle brièvement «la levée de l'état d'alerte». Vous avez également recommandé une telle mesure.

La Commission de Canberra recommandait que l'OTAN adopte une politique de non-premier-emploi. Le rapport de la National Academy of Science était également favorable à cette option.

Vous avez donc suivi un cheminement stratégique et intellectuel que je connais bien. Voilà pourquoi j'ai été enchanté mais aussi très à l'aise lorsque j'ai pris connaissance des recommandations du rapport.

M. Robert McNamara: Voici le rapport de la Commission de Canberra. Il est tout à fait conforme au vôtre. Il aborde en particulier un certain nombre de questions controversées qui ont été évoquées ici aujourd'hui, particulièrement celles de la vérification des réductions et de l'élimination possible.

Le coprésident (M. Bill Graham): Merci.

Le sénateur Marcel Prud'homme (La Salle, Ind.): Pouvons-nous demander que le rapport nous soit remis et distribué, s'il vous plaît?

Le coprésident (M. Bill Graham): Oui, certainement, sénateur. Nos recherchistes l'ont en main. Nous l'avions lorsque nous avons effectué notre étude et nous le mettrons volontiers à votre disposition.

Monsieur Bachand.

[Français]

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Je vous souhaite la bienvenue. Lorsque j'ai vu les lumières allumées, j'ai pensé que je n'aurais pas le temps de poser une seule question. Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, et je remercie beaucoup Mme Augustine d'avoir partagé son temps. Je l'apprécie beaucoup.

J'aimerais vous résumer la position du parti que je représente au sujet des armes nucléaires. Je fais une distinction entre les armes nucléaires et l'énergie nucléaire. Dans le rapport, on parle aussi de l'énergie nucléaire, et nous avons aussi une position assez ferme là-dessus.

• 1650

Au sujet des armes, nous disons qu'il faut en arrêter la prolifération pourvu qu'on puisse avoir une capacité de vérification, diminuer le nombre de têtes nucléaires et abolir les armes nucléaires. C'est à cela que le Parti conservateur travaille.

Cependant, j'aimerais établir un fait tout de suite. Le comité ne recommande pas la no-first-use policy. Le comité soulève cette question, mais reconnaît dans son rapport que la no-first-use policy ne fait pas l'unanimité. Je n'aimerais pas que vous reteniez l'idée que le comité s'est entendu sur la non-utilisation première des armes nucléaires. Cependant, on espère que le gouvernement du Canada va se prononcer sur cette question assez rapidement.

J'aimerais que M. McNamara nous parle du changement qui est survenu. Il est beaucoup plus facile aujourd'hui...

[Traduction]

M. Robert McNamara: Je suis désolé, je n'ai pas entendu. La question de quoi?

M. André Bachand: Je n'ai pas encore posé ma question, monsieur. Ne vous inquiétez pas.

Des voix: Oh, oh.

M. André Bachand: Je n'ai fait qu'une simple observation, c'est tout.

[Français]

Voici ma question. Depuis la crise cubaine, il y a eu une évolution. Auparavant, on avait les armes nucléaires et les armes conventionnelles. Il y a maintenant un troisième type d'arme, soit les armes de haute technologie. Ne croyez-vous pas les pays pauvres, les pays qui ont des problèmes financiers sont dans l'impossibilité de garder ou d'acquérir des armes conventionnelles ou de haute technologie, alors que, comme le disait le général Butler, la technologie de 1945 est beaucoup plus facile à mettre en place?

J'aimerais donc avoir votre opinion sur la situation actuelle et sur la crédibilité d'une réduction des armes nucléaires assortie d'une augmentation des armes de haute technologie.

[Traduction]

M. Robert McNamara: Je demanderais au général Butler de répondre. Je répondrais volontiers moi-même, mais c'est lui l'expert, et pas moi.

Gén. Lee Butler: Un autre stratagème politique, utilisé avec beaucoup de succès.

Le coprésident (M. Bill Graham): Général, pour employer un autre stratagème politique qui risque de vous aider, je peux vous dire que vous n'avez que deux minutes, de sorte que...

Des voix: Oh, oh.

Gén. Lee Butler: Premièrement, comme la preuve en a été faite lors de la guerre du Golfe, la capacité de mener ce genre de conflit conventionnel a maintenant été élevée à un niveau que d'aucuns ont appelé «l'hyperguerre». L'hyperguerre est l'élément dominant de ce qu'on appelle «la révolution dans les affaires militaires». Seule une poignée de nations—et maintenant, en fait, une seule—est en mesure de mener une guerre à ce niveau, mais cela a modifié toute la nature de la conduite de la guerre.

J'en veux pour preuve le fait qu'au cours de la guerre du Golfe, nous avons perdu moins de 300 hommes, y compris dans les accidents, et que malgré tout, nous avons réussi à faire capituler la quatrième armée la plus puissante du monde.

Il est vrai qu'en ce qui a trait à la violence, à la spontanéité et à l'intensité de la guerre conventionnelle, la technologie a déjà porté la conduite de la guerre à un niveau entièrement nouveau.

D'aucuns diront que devant cette réalité, il devient encore plus tentant pour les pays pauvres de recourir aux armes de destruction massive. Cependant, il ne s'agirait pas d'armes nucléaires, mais plutôt d'armes chimiques ou biologiques.

La technologie permettant de construire une bombe nucléaire remonte à 1945. L'une des réussites de la non-prolifération, c'est que s'il y a eu une époque où l'on a imaginé que quelque 24, 30 ou 36 nations feraient partie du club nucléaire, le fait est qu'un bien moins grand nombre a acquis cette capacité. Aujourd'hui, il n'y a que huit nations qui sont dotées de l'arme nucléaire et il demeure en notre pouvoir de perpétuer ce succès.

Cependant, cela n'arrivera pas fortuitement. Cette réussite exigera engagement, persévérance et leadership. Et surtout, c'est au gouvernement des États-Unis qu'il appartient d'exercer ce leadership.

• 1655

Le coprésident (sénateur John Stewart): C'est avec un oeil sur l'horloge—en fait, avec beaucoup de respect pour l'horloge—, que je ferai deux commentaires.

Premièrement, je prends bonne note de vos propos au sujet de l'expansion de l'OTAN. Votre conclusion s'apparente à celle du Comité des affaires étrangères du Sénat. Vos observations sont encourageantes pour nous.

Deuxièmement, vous nous avez proposé une analyse claire et logique que j'ai jugée convaincante. Je vais vous soumettre un problème auquel vous pouvez répondre plus tard, en privé. En supposant que le Canada puisse réussir, que doit-il faire pour convaincre les autorités qui assument le contrôle de la situation à Washington d'adopter une attitude favorable, en particulier, à la recommandation 15 du rapport de la Chambre des communes?

Je ne veux pas que vous répondiez maintenant à cette question. Réfléchissez-y et communiquez-nous votre réponse au moment opportun.

Je vous remercie beaucoup d'être venus comparaître.

Le coprésident (M. Bill Graham): Il m'échoit de clore la séance et de laisser nos invités rejoindre le Premier ministre. Mais auparavant, je veux moi aussi remercier nos témoins d'avoir accepté de comparaître.

Indépendamment des différences politiques qui existent autour de la table parmi ceux qui ont participé à l'élaboration du rapport, nous sommes tous fiers du travail du comité. Je remercie nos invités d'avoir mis au service du comité leur sagesse, leur expérience et leur témoignage éloquent pour appuyer notre travail.

Je vous laisse en vous disant que je regrette beaucoup que d'une certaine façon, au cours de la discussion, vous ayez encouragé les membres du comité sénatorial à croire qu'ils avaient raison au sujet de l'expansion de l'OTAN.

Merci beaucoup.

Des voix: Bravo!

Le coprésident (M. Bill Graham): La séance est levée.