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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 012 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 26 avril 2022

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Bienvenue à la 12e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
    Conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 31 mars, le Comité se réunit en vue d'étudier le projet de loi C‑5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
     La réunion d'aujourd'hui se déroule en format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le 25 novembre 2021. Les membres sont présents en personne dans la salle et à distance grâce à l'application Zoom. Les délibérations seront diffusées sur le site Web de la Chambre des communes.
     J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins, dont certains sont parmi nous pour la première fois en personne depuis le début de la session parlementaire.
     Nous accueillons deux témoins représentant Les mères contre l'alcool au volant, Eric Dumschat et Steve Sullivan. Nous accueillons également Jody Berkes et Tony Paisana, de l'Association du Barreau canadien, qui comparaissent virtuellement. Enfin, nous accueillons Janani Shanmuganathan, directrice de la South Asian Bar Association of Toronto. Je pense que sa caméra est probablement éteinte, mais elle est là, je crois.
    Chacun de ces groupes disposera de cinq minutes, que les témoins pourront partager entre eux. Par la suite, il y aura des tours de questions.
    Je vous ferai signe, à vous et à ceux qui posent des questions, lorsqu'il ne restera que 30 secondes, après quoi je vous ferai signe que votre temps est écoulé. J'essaie d'être le plus libéral possible à cet égard.
    La parole est maintenant à vous. Nous allons commencer par l'Association du Barreau canadien.
     Merci, monsieur le président.
    Je m'appelle Tony Paisana. Je suis président de la Section du droit pénal de l'Association du Barreau canadien. Je suis accompagné de mon collègue Jody Berkes, le président sortant.
    L'ABC représente environ 36 000 avocats, étudiants et juristes au Canada. La Section du droit pénal est constituée d'un mélange d'avocats de la Couronne et d'avocats de la défense, et c'est dans cette perspective unique et équilibrée que nous comparaissons aujourd'hui pour formuler nos observations sur le projet de loi C‑5.
    Je vous parlerai des dispositions du projet de loi relatives aux ordonnances de sursis et M. Berkes traitera des peines minimales obligatoires.
    D'emblée, l'ABC appuie le projet de loi C‑5. Comme nous l'avons indiqué dans notre mémoire, cette mesure législative mènera à un régime de détermination de la peine plus juste et plus équitable, un régime qui reconnaît que les infractions criminelles peuvent être commises de diverses façons et qu'il n'y a pas de solution universelle, surtout en ce qui concerne les délinquants issus de communautés traditionnellement marginalisées.
    À notre avis, la levée des restrictions concernant le recours aux ordonnances de sursis est l'une des réformes les plus importantes du droit pénal de la dernière décennie.
     Nous faisons valoir plusieurs points au sujet de ces ordonnances, mais je vais en souligner trois ici.
    Premièrement, les ordonnances de sursis sont essentielles au bon fonctionnement du système de justice pénale et permettent d'encourager les délinquants non dangereux à se réadapter plutôt qu'à s'endurcir dans notre système carcéral. J'insiste sur le fait qu'en vertu de la loi, les ordonnances de sursis ne peuvent être accordées qu'à des délinquants non dangereux, qui ont commis une infraction justifiant une peine d'emprisonnement de deux ans ou moins.
    Deuxièmement, le fait de permettre le recours aux ordonnances de sursis ne signifie pas qu'elles vont être utilisées. En fait, j'ai contesté avec succès la constitutionnalité de certaines de ces dispositions dans l'affaire de trafic de drogue « Chen », mais le juge de première instance a néanmoins condamné mon client à près de quatre ans de détention. Cette décision n'était pas dramatique, mais elle a fait en sorte que de nombreux autres accusés marginalisés en Colombie-Britannique ont accès aux ordonnances de sursis, au besoin.
    Ce dont nous parlons, c'est d'augmenter la latitude des juges, et non pas de la réduire. À mon humble avis, il est farfelu de laisser entendre que les violeurs en série, les trafiquants de personnes et d'autres auteurs de crimes graves auront librement accès à ces ordonnances. Ces gens continueront d'aller en prison, comme cela a toujours été le cas.
    Troisièmement, la nécessité d'une réforme est urgente. Dans le contexte d'une mosaïque de litiges constitutionnels à l'échelle du pays, les Canadiens ont constamment accès à des ordonnances de sursis. Si une femme toxicomane mère de trois enfants commet un petit délit de trafic pour se procurer la drogue en raison de sa dépendance dans le quartier Eastside de Vancouver, elle est admissible à une ordonnance de sursis en Colombie-Britannique. Si elle commet la même infraction à Winnipeg ou à Edmonton, elle ne l'est pas. Ce manque d'uniformité est troublant et incompatible avec notre système fédéral.
     Chaque jour qui passe, de plus en plus de délinquants non dangereux se retrouvent en prison, alors qu'ils pourraient se voir offrir autrement une possibilité de réadaptation dans la collectivité, où l'accès à des programmes, à un travail, à des traitements et à du counseling est plus grand et plus rentable pour l'État.
    Voilà ce que j'avais à dire au sujet des ordonnances de sursis. Je vais maintenant céder la parole à M. Berkes, qui parlera des peines minimales obligatoires.

  (1535)  

     Bonjour, monsieur le président.
    Comme M. Paisana l'a mentionné, je m'appelle Jody Berkes. Je me joins à vous aujourd'hui à partir du territoire traditionnel des Wendat, de la nation Anishinabek, de la Confédération Haudenosaunee, de la Première nation des Mississaugas de Credit et de la nation métisse. Ce territoire est couvert par le traité Dish With One Spoon.
    S'il y a un message que l'ABC veut transmettre au Comité, c'est que le projet de loi C‑5 n'est pas laxiste en matière de criminalité. Si le projet de loi C‑5 entre en vigueur, il n'empêchera jamais un juge d'envoyer un délinquant violent en prison. D'un autre côté, il permettra d'offrir aux délinquants non violents, qui méritent une deuxième chance, une autre option que l'incarcération.
    Les peines minimales obligatoires ont contribué à la surpopulation dans les prisons, à la surreprésentation des communautés marginalisées dans les établissements carcéraux et à l'augmentation des délais judiciaires, les gens choisissant de subir un procès lorsqu'ils sont coupables, plutôt que de régler leur cas autrement. De plus, les peines minimales obligatoires ont faussé les principes de la détermination de la peine. Les principes fondamentaux de la détermination de la peine en common law sont maintenant codifiés à l'article 718.1 du Code criminel. Ces principes sont les suivants: « La peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. »
    Les peines minimales obligatoires font en sorte qu'au lieu d'avoir une peine adaptée à la gravité de l'infraction et au dossier du délinquant, nous avons une approche universelle qui consiste à incarcérer tout le monde, quelles que soient les circonstances. Le fait de permettre aux délinquants non violents de purger leur peine dans la collectivité leur permet de travailler pour subvenir aux besoins de leur famille, ainsi que de recevoir des traitements pour les dépendances à l'origine de leur infraction, et leur fournit l'occasion de redonner à la collectivité à laquelle ils ont causé un préjudice, grâce aux mesures de justice réparatrice.
     Par ailleurs, les peines minimales obligatoires ne font que mettre les gens à l'écart jusqu'à ce qu'ils puissent être libérés, souvent avec des aptitudes à la vie quotidienne et des perspectives d'emploi réduites, et sans avoir pu être traités pour les problèmes qui les ont amenés à commettre des infractions.
    Mon collègue, M. Paisana, a parlé des changements apportés au régime des peines avec sursis dans le projet de loi C‑5, ce qui n'empêche pas que si une infraction est assortie d'une peine minimale obligatoire, elle n'est pas admissible à une peine avec sursis. C'est donc dire que sans l'élimination des peines minimales obligatoires, les autres aspects de ce projet de loi sont inutiles.
    Le projet de loi C‑5 représente la première étape dans la reconnaissance des effets néfastes des peines minimales obligatoires. L'ABC appuie l'abrogation de toutes les peines minimales obligatoires, sauf dans les cas de meurtre. Les peines minimales obligatoires ne préviennent aucun préjudice, mais elles en causent beaucoup.
    Nous serons heureux de répondre aux questions du Comité.
    Merci à vous et à l'Association du Barreau canadien.
     Je passe maintenant aux témoins qui représentent Les mères contre l'alcool au volant. Vous avez la parole pour cinq minutes.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, nous sommes heureux d'avoir l'occasion de vous parler aujourd'hui du projet de loi C‑5. Je m'appelle Eric Dumschat. Je suis le directeur juridique de l'organisme Les mères contre l'alcool au volant du Canada. Je suis heureux de partager mon temps de parole avec mon collègue, Steve Sullivan, notre directeur des services aux victimes.
    Une bonne partie de l'information dont nous allons discuter aujourd'hui est étoffée dans le mémoire écrit que nous avons présenté au Comité, y compris les données de référence appropriées.
    MADD Canada est un organisme de bienfaisance national dont la mission est de mettre fin à la conduite avec facultés affaiblies et d'aider les victimes et les survivants de ce crime violent. Nous avons des groupes dirigés par des bénévoles dans plus de 100 collectivités partout au pays, et bon nombre de nos bénévoles sont eux-mêmes des victimes et des survivants d'accidents attribuables à la conduite avec facultés affaiblies.
    Notre travail vise à offrir du soutien aux victimes et aux survivants, à sensibiliser la population aux dangers de la conduite avec facultés affaiblies, à sauver des vies et à prévenir les blessures sur les routes au Canada. Nous sommes ici aujourd'hui pour parler des dispositions du projet de loi C‑5 concernant les peines avec sursis et leurs répercussions sur les victimes et les survivants d'accidents attribuables à la conduite avec facultés affaiblies.
    Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, il permettra le rétablissement des peines d'emprisonnement avec sursis pour les contrevenants coupables d'une première infraction de conduite avec facultés affaiblies qui satisfont aux critères d'admissibilité, y compris les personnes reconnues coupables de conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort ou d'une infraction de refus associée à cette dernière.
    Pour mettre les choses en contexte, en 2018, dans le cadre du projet de loi C‑46, le gouvernement a abrogé, révisé et réédicté les infractions en matière de transport du Code criminel. Par conséquent, des condamnations avec sursis ont été autorisées pour certaines nouvelles infractions de conduite avec facultés affaiblies qui étaient auparavant inadmissibles, à condition qu'elles soient jugées par procédure sommaire. Cependant, l'infraction de conduite avec facultés affaiblies causant la mort a été exclue de l'admissibilité à une peine d'emprisonnement avec sursis, vraisemblablement parce qu'elle a été jugée suffisamment grave pour demeurer un acte criminel punissable d'une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité. Cette décision est conforme à l'arrêt unanime de la Cour suprême du Canada, R. c. Proulx, selon lequel la peine d'emprisonnement avec sursis n'est pas une sanction appropriée lorsque le besoin de dénonciation et de dissuasion est si pressant que l'incarcération est la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l'égard du comportement du délinquant ou pour décourager des comportements analogues dans le futur.
    MADD Canada estime que la conduite avec facultés affaiblies causant la mort et l'infraction de refus associée à cette dernière respectent ce critère. Nous reconnaissons qu'il arriverait rarement qu'une peine d'emprisonnement avec sursis soit demandée pour une personne reconnue coupable de conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort; cependant, toute possibilité, si infime soit-elle, que cela se produise est trop grande lorsqu'une vie a été enlevée en raison des actes d'une autre personne.
    MADD Canada croit qu'une peine d'emprisonnement avec sursis pour conduite avec facultés affaiblies causant la mort ne devrait en aucun cas être une option. Permettre à un conducteur aux facultés affaiblies qui a causé la mort de purger sa peine à l'extérieur d'une prison minimiserait la gravité du crime et causerait un préjudice à de nombreuses victimes et à leur famille. Nous devons nous rappeler qu'il s'agit d'un crime entièrement évitable qui continue de se produire, malgré des années — des décennies — d'efforts de sensibilisation de MADD Canada, d'autres organisations et même du gouvernement du Canada. Pourtant, des Canadiens décident encore de prendre le volant alors que leurs facultés sont affaiblies par l'alcool ou la drogue et, ce faisant, ils entraînent la mort de nombreux Canadiens chaque année.
    Nous comprenons que les modifications contenues dans le projet de loi C‑5 visent en partie à lutter contre le racisme systémique inhérent au système de justice pénale du Canada, et nous appuyons cet objectif. Cependant, le gouvernement a déterminé que certaines restrictions à l'égard des peines avec sursis sont conformes à cet objectif et constitutionnelles, et que certaines infractions devraient continuer d'être inadmissibles à une peine avec sursis en vertu du projet de loi C‑5. Dans cette optique, MADD Canada recommande fortement que l'infraction de conduite avec facultés affaiblies causant la mort prévue au paragraphe 320.14(3) et l'infraction de refus associée à cette dernière prévue au paragraphe 320.15(3) du Code criminel soient ajoutées à la liste des infractions ne pouvant faire l'objet d'une peine d'emprisonnement avec sursis, quelles que soient les circonstances, comme l'indique l'article 14 du projet de loi C‑5.
    Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je vais maintenant céder la parole à Steve Sullivan, directeur des services aux victimes de MADD Canada.

  (1540)  

    Monsieur Sullivan, je vous signale qu'il vous reste environ une minute.
    MADD Canada est le seul organisme national de lutte contre la conduite avec facultés affaiblies au pays qui offre des services aux victimes et aux survivants d'accidents attribuables à la conduite avec facultés affaiblies. Lorsque les dispositions sur les peines d'emprisonnement avec sursis ont été adoptées pour la première fois en 1996, les familles étaient scandalisées et se sentaient victimisées de nouveau par l'imposition de la détention à domicile à une personne qui avait tué un être qui leur était cher.
    La perte d'une personne dans un accident de la route attribuable à la conduite avec facultés affaiblies est extrêmement difficile à gérer, parce que c'est quelque chose qui est tout à fait évitable et parce que ces décès ne sont pas perçus comme étant aussi graves que d'autres décès d'origine criminelle, comme un homicide. En 2007, le gouvernement fédéral a adopté le projet de loi C‑9, qui limitait les catégories et excluait la conduite avec facultés affaiblies causant la mort. MADD Canada et ses bénévoles — dont un bon nombre ont vécu cette expérience — ont travaillé fort pour éliminer les condamnations avec sursis pour l'infraction de conduite avec facultés affaiblies causant la mort.
    Les gens que nous soutenons souffrent de trouble de stress post-traumatique, de dépression et d'anxiété. Beaucoup estiment que les peines pour conduite avec facultés affaiblies causant la mort ne reflètent pas les torts qui ont été causés. Pour les familles, l'intention et la motivation du délinquant ne sont pas importantes. Au cours des dernières années, les tribunaux ont reconnu la nécessité d'imposer des peines plus sévères pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort, mais nous croyons que le fait que la possibilité existe d'imposer des peines avec sursis dans ces cas, qui sont le résultat d'actes tout à fait évitables, donne à penser qu'il ne s'agit pas d'un crime grave.
    Merci, monsieur le président.
     Merci.
    J'espère que si vous avez plus d'information pour nous, vous pourrez nous en faire part pendant la période des questions.
    Nous entendrons maintenant Janani Shanmuganathan, de la South Asian Bar Association, pour cinq minutes.
     Je remercie le Comité de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui.
    Je suis membre du conseil d'administration de la South Asian Bar Association of Toronto, la plus grande organisation constituée de membres issus de la diversité au pays. Je suis aussi avocate de la défense en droit criminel.
    Il y a près de sept ans jour pour jour, la Cour suprême du Canada a rendu l'arrêt R. c. Nur, dans lequel, pour la première fois en 30 ans, elle a invalidé une peine minimale obligatoire. J'ai eu le privilège de défendre M. Nur à la Cour suprême et j'ai travaillé à plusieurs contestations concernant des peines minimales obligatoires depuis. Je comparais devant le Comité aujourd'hui, forte de l'avantage que j'ai eu de plaider ces contestations et en ayant en tête les histoires de mes clients qui ont été confrontés aux peines minimales obligatoires que le projet de loi C‑5 abrogerait.
    Il y a un cas en particulier dont je veux vous faire part aujourd'hui. C'est l'histoire d'un jeune client sans casier judiciaire qui est entré dans un dépanneur armé d'un pistolet à air qu'il avait acheté chez Canadian Tire, dont il a menacé le commis du magasin, avant de commettre un vol de 100 $.
    Il était alcoolique à l'époque et il était extrêmement ivre au moment de l'infraction. Il a utilisé les 100 $ pour s'acheter d'autres bières. Il s'est fait prendre en l'espace de quelques heures et a immédiatement avoué son geste. Entre son arrestation et la détermination de sa peine, il a complètement changé de vie. Il s'est inscrit à l'université, s'est mis en couple et a fréquenté régulièrement les réunions des Alcooliques anonymes, dont il est devenu animateur. La dernière gorgée d'alcool qu'il a bue, c'est le jour où il a commis l'infraction.
     Ce client, cette vraie personne, a reçu une peine d'emprisonnement de 12 mois, soit la peine minimale obligatoire prévue. Personne dans la salle d'audience — ni les avocats, ni le juge, ni le personnel de la cour qui a entendu son histoire — ne pensait que cette personne devrait être incarcérée pendant 12 mois et être privée du mode de vie prosocial qu'elle avait adopté, pour être enfermée dans une cellule de prison, mais ils n'avaient aucun pouvoir discrétionnaire ou choix. La juge de première instance avait d'ailleurs souligné qu'il était déchirant pour elle d'envoyer cette personne en prison, mais qu'elle n'avait pas le choix.
    Le projet de loi C‑5 conférerait encore une fois au système de justice pénale le pouvoir discrétionnaire de tenir compte des circonstances entourant l'infraction et de la culpabilité morale du délinquant et de se demander: « Quelle peine cette personne mérite‑t‑elle? »
    Je comparais également devant le Comité aujourd'hui à titre de directrice de la South Asian Bar Association et d'avocate racisée qui représente des accusés racisés. Lorsque j'entre dans une salle d'audience ou une prison et que je regarde les visages des accusés, je constate qu'ils ressemblent au mien. Ces personnes sont souvent racisées. Les données empiriques appuient mon expérience. De nombreuses études ont révélé que le Canada a un problème de surreprésentation des délinquants autochtones et noirs dans les prisons.
    Si ce problème de surreprésentation nous préoccupe en tant que pays, nous avons besoin d'une mesure législative comme le projet de loi C‑5. Nous devons donner aux juges de première instance le pouvoir discrétionnaire de laisser les gens purger leur peine dans la collectivité ou de réduire leur peine d'emprisonnement à ce qui est nécessaire. Sans ce pouvoir discrétionnaire, les juges n'ont pas la capacité de tenir compte des facteurs systémiques qui contribuent à la perpétration de crimes, à savoir les séquelles coloniales, les pensionnats, la pauvreté et le zèle excessif des services de police dans certaines collectivités.
     Le projet de loi C‑5 ne vise pas à être indulgent envers les criminels. Les délinquants qui méritent de longues peines d'emprisonnement continueront de recevoir ces peines. Le projet de loi C‑5 porte sur la proportionnalité et donne aux juges le pouvoir discrétionnaire dont ils ont besoin pour veiller à ce que justice soit faite.
    Je vous remercie encore une fois de m'avoir donné l'occasion de témoigner aujourd'hui.

  (1545)  

    Merci, madame Shanmuganathan.
    Nous allons maintenant passer à notre première série de questions. Monsieur Moore, vous avez la parole pour six minutes.
     Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos témoins de leurs témoignages. Cela fait du bien de recevoir certains d'entre eux en personne, une première pour notre comité. J'espère que cela se poursuivra à l'avenir.
    On a dit du projet de loi C‑5 qu'il offrait à certains délinquants la possibilité de « redonner à la collectivité ». Ayant participé à la rédaction du projet de loi C‑9, qui a mis fin à la pratique consistant à imposer des peines d'emprisonnement avec sursis, comme la détention à domicile, pour des crimes comme la négligence criminelle causant la mort, l'homicide involontaire, la conduite avec facultés affaiblies causant la mort, les voies de fait graves, l'agression sexuelle grave, l'agression sexuelle armée, l'enlèvement et la torture, je peux vous dire qu'il s'agit d'infractions graves. Il est absolument ridicule de prétendre qu'une personne qui a commis un tel type d'infraction devrait immédiatement avoir la possibilité de retourner dans la collectivité pour « redonner ».
    Chaque cas devant un juge est différent et chacun d'eux présente ses propres défis. Les peines minimales obligatoires et la détention à domicile ont leur place, mais dans le cas des infractions graves, nous devons nous assurer que nos collectivités sont protégées et que les délinquants peuvent obtenir l'aide dont ils ont besoin.
    L'utilisation d'une arme à feu pour commettre une infraction, le trafic d'armes, le vol qualifié avec une arme à feu et l'extorsion avec une arme à feu sont des choses dont nous entendons parler tous les jours en tant que parlementaires. Nous entendons parler de violence armée. Il s'agit actuellement d'infractions qui exigent qu'une personne reconnue coupable purge une peine d'emprisonnement, comme il se doit. Ce projet de loi mettrait fin à cela. De toute évidence, cela devrait préoccuper tous les Canadiens, qu'ils vivent en milieu rural ou urbain.
    Comme je l'ai mentionné, en tant que secrétaire parlementaire du ministre de la Justice de l'époque, j'ai été heureux de travailler avec des organismes comme MADD Canada, qui ont appuyé le projet de loi C‑9. Leur perception de ces infractions était celle des nombreuses victimes qu'ils représentent et leur but était de protéger les Canadiens contre la conduite avec facultés affaiblies. À mon avis, il est difficile en fait de croire que nous sommes de retour ici pour discuter de certaines de ces infractions, après le travail acharné qui a été fait pour corriger le déséquilibre dans notre système de justice.
    Ma question s'adresse à MADD Canada.
    Pourriez-vous nous dire quelle a été l'incidence de la loi de 2007 sur les victimes de conduite avec facultés affaiblies, et pourquoi ces dernières et leur famille ont-elles demandé que la loi soit modifiée?

  (1550)  

    Merci, monsieur le président.
    Comme nous l'avons mentionné, MADD Canada a participé activement aux discussions et aux débats entourant le projet de loi C‑9 en 2007. Nous étions porteurs du message des familles avec lesquelles nous travaillons et que nous soutenons, des familles qui ont perdu un ou plusieurs êtres chers, à savoir que la détention à domicile et les peines d'emprisonnement avec sursis ne conviennent pas dans les cas de conduite avec facultés affaiblies causant la mort.
    Nous avons vu les peines augmenter de façon générale au cours de cette période, et je pense qu'il est important que les tribunaux reconnaissent qu'un message essentiel doit être envoyé en ce qui concerne la dénonciation et la dissuasion. Toutefois, l'idée que nous puissions faire un pas en arrière et permettre éventuellement des condamnations avec sursis pour les infractions de conduite avec facultés affaiblies causant la mort est blessante et préjudiciable pour bon nombre des familles que nous appuyons. Celles‑ci sont d'avis que cela équivaudrait à les victimiser de nouveau.
    Merci, monsieur Sullivan.
    Dans votre mémoire, vous dites que plusieurs des personnes avec qui MADD Canada travaille estiment que les peines imposées dans les cas de décès liés à la conduite avec facultés affaiblies ne reflètent pas le tort qui a été causé. Dans une lettre que vous avez adressée au premier ministre, en septembre 2020, vous avez déclaré être dans de trop nombreux cas, les seuls soutiens dont disposent les victimes et les survivants. Au sein de ce comité, il a été question de la nécessité de soutenir les victimes et leurs familles.
    Étant donné que les infractions de conduite avec facultés affaiblies ne sont souvent pas une priorité pour les services aux victimes financés par le gouvernement, pourriez-vous nous dire si MADD Canada a participé à des consultations avec le gouvernement fédéral au sujet du projet de loi C‑5? Je sais que vous avez été largement consultés au sujet du projet de loi C‑9, au moment où certains de ces changements sont entrés en vigueur. Les changements proposés auront des répercussions sur les familles des victimes de la conduite avec facultés affaiblies et feront en sorte que les auteurs de ces infractions se retrouveront dans la rue plutôt qu'en prison. Pourriez-vous nous parler des consultations que vous avez eues avec le gouvernement fédéral à ce sujet?
    Nous avons eu l'occasion de discuter du projet de loi précédent, le projet de loi C‑22, je crois, avec les fonctionnaires du ministère. Nous avons également rencontré le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice de l'époque et nous avons exprimé exactement le même sentiment que nous exprimons ici aujourd'hui.
     Il ne me reste qu'une minute. Le temps passe vite.
    Nous apprécions le travail que vous faites parce que vous présentez le point de vue des victimes et de leurs familles. Il est important pour nous, parlementaires, que le Code criminel reflète les valeurs canadiennes et un équilibre dans notre système de justice, afin que tout le monde soit traité équitablement. J'aime toujours privilégier la protection de nos collectivités et de nos victimes et écouter les préoccupations des familles des victimes qui ne sont plus avec nous.
    Vous avez dit que les victimes et les survivants ne devraient pas être sacrifiés pour réintégrer les délinquants en toute sécurité dans la collectivité et que vous croyez qu'un équilibre devrait être établi entre le bien-être des victimes et des survivants et l'intégration sécuritaire des délinquants. Je pense que la plupart d'entre nous sont pour l'intégration sécuritaire des délinquants.
    Pourriez-vous nous expliquer un peu comment vous conciliez ces deux éléments?

  (1555)  

    Je pense que tous les gens avec qui nous travaillons sont conscients qu'à un moment donné, ces délinquants reviendront dans leur collectivité. Leur principale préoccupation est que les gens ne récidivent pas et ne causent pas de préjudice à une autre famille. Nous appuyons le changement de comportement et la réadaptation des gens, mais en même temps, ces décisions peuvent avoir une incidence sur les personnes qui ont été les plus touchées par les actes criminels commis. Qu'il s'agisse d'une décision de libération conditionnelle ou de probation, nous voulons nous assurer de tenir compte des préoccupations de ces personnes et de leurs besoins.
    Merci, monsieur Moore.
    Madame Dhillon, vous avez la parole pour six minutes.
    Merci, monsieur le président. Mes questions s'adresseront à Mme Shanmuganathan.
    J'aimerais commencer par une chose que nous constatons de plus en plus, soit la surreprésentation des personnes de couleur et des Autochtones dans le système de justice pénale.
    Pouvez-vous s'il vous plaît nous parler de l'impact des peines minimales obligatoires sur ces communautés et sur leurs membres qui viennent de milieux défavorisés sur le plan financier?
    Les peines minimales obligatoires limitent la capacité des juges de première instance d'imposer ce qu'ils estiment être la peine appropriée pour un délinquant donné.
    Les données empiriques montrent que les membres des communautés racisées sont surreprésentés dans le système de justice pénale. Ils font l'objet d'arrestations de façon disproportionnée par rapport à leur représentation dans leur collectivité. Ils sont condamnés. Ils reçoivent des peines plus longues. Les peines minimales obligatoires forcent les juges à les envoyer en prison, alors que ce ne serait pas le cas si ces peines n'existaient pas.
    La réalité, c'est que les membres de ces communautés marginalisées n'ont peut-être pas les ressources nécessaires pour lutter contre les peines minimales obligatoires et mener des contestations devant les tribunaux, ce qui fait qu'ils finissent par obtenir une peine qu'ils n'auraient pas reçue autrement.
    On peut espérer que le projet de loi C‑5, en accordant un pouvoir discrétionnaire aux juges de première instance, atténuera le problème de la surreprésentation.
    Nous avons vu que les peines minimales existent depuis plus d'une génération. Pensez-vous qu'elles ont eu une incidence en général sur les communautés marginalisées et racisées ou qu'elles leur ont vraiment nui?
    Je ne peux parler qu'en me fondant sur l'expérience que j'ai acquise en représentant certaines communautés et sur mon examen des données empiriques. Ces dernières montrent que les peines minimales obligatoires n'ont pas d'effet dissuasif sur la criminalité. Le simple fait que la peine minimale obligatoire existe ne signifie pas qu'en voyant cette peine un contrevenant éventuel décidera de ne pas commettre d'infraction.
    Pour aider à réduire la criminalité, il faut investir dans les ressources de la collectivité, en s'attaquant, par exemple, aux problèmes de la pauvreté et de la surveillance policière excessive et à ce genre de problèmes systémiques.
    Si les peines minimales obligatoires ne dissuadent pas la criminalité, le tort qu'elles causent, à mon avis, est disproportionné. Nous envoyons en prison pendant de longues périodes des gens qui ne devraient pas être incarcérés aussi longtemps.
    À votre avis, quelles sont les répercussions sur une personne qui se voit imposer une peine minimale obligatoire, même si elle en est à sa première infraction et à une première condamnation à une peine parfois sévère?
    Pouvez-vous nous parler un peu de la façon dont cela les touche en tant que membres de la société?
    Bien sûr. Il s'agit de l'impact général de l'incarcération d'une personne, et de l'histoire de cette personne qui est un jeune contrevenant sans casier judiciaire, qui s'est essentiellement réadapté et est devenu un membre prosocial de la société. Cette personne est soudainement dépouillée de sa vie, de sa famille, de ses amis, de son emploi et de ses rencontres avec les Alcooliques anonymes, et elle est emprisonnée pendant 12 mois. Le fait de retirer cette personne prosociale de la collectivité et de l'obliger à purger une peine d'emprisonnement, simplement parce qu'il s'agit de la peine prévue par le Code criminel, n'est pas bon pour elle ni pour la société dans son ensemble.
     À votre avis, les peines minimales obligatoires peuvent-elles forcer des personnes provenant de milieux défavorisés à renoncer à leur droit d'être entendues devant les tribunaux parce qu'elles n'ont pas les ressources ou la représentation juridique qu'il faut et qu'elles ne reçoivent pas le même traitement que les autres, le traitement égal qu'elles devraient avoir?

  (1600)  

    Le danger d'une peine minimale obligatoire, c'est qu'elle peut agir comme un incitatif, en ce sens que si une personne est accusée d'une infraction et fait face à une peine minimale obligatoire si elle est déclarée coupable et qu'elle plaide coupable à une infraction moins grave, afin de ne pas avoir à faire face à cette peine minimale obligatoire, cela l'incite à plaider coupable à une infraction, même si elle ne l'est pas. La personne est incitée à plaider coupable, simplement pour éviter la peine minimale obligatoire, même si la Couronne ne peut pas prouver l'infraction.
    Malheureusement, bon nombre de nos accusés qui passent par le système de justice pénale n'ont pas toujours l'avantage d'être représentés par un avocat et ne prennent pas toujours leurs décisions en fonction d'une analyse coûts-avantages, et s'ils pensent que le fait de plaider coupable leur évitera d'aller en prison pendant 12 mois, cela les incitera peut-être à le faire.
    Cela se produit souvent.
    Je vous remercie infiniment d'avoir pris le temps de venir témoigner devant nous et du travail que vous faites pour sensibiliser la population.
    Merci, madame Dhillon.
    Merci.
    Nous passons maintenant à M. Fortin.

[Français]

    Bonjour, madame Shanmuganathan.
     Je trouve que votre témoignage était intéressant. À la fin de votre allocution, vous avez dit que, le problème en lien avec les peines minimales obligatoires, c'est que les personnes racisées ont moins de moyens pour se défendre, pour engager un avocat. En vue de limiter les dépenses, elles peuvent décider de plaider coupables. Elles se trouvent donc à purger des peines de prison qu'elles n'auraient pas eu à purger autrement.
    Dois-je comprendre que le vrai problème est le financement des services judiciaires pour ces personnes?
    Croyez-vous qu'il faut éviter d'envoyer ces personnes en prison, parce qu'elles sont moins fortunées? Si quelqu'un a les moyens de se payer un avocat, il est possible qu'il puisse éviter la prison.
    Est-ce bien ce que vous voulez dire?

[Traduction]

     Ce n'est pas un problème de ressources. Le danger des peines minimales obligatoires au chapitre de l'incitation touche chaque accusé lorsqu'il entreprend une analyse coûts-avantages de ce qu'il doit faire, à savoir s'il doit subir un procès, même s'il n'est pas coupable de l'infraction, ou résoudre le problème d'une autre façon pour ne pas risquer d'aller en prison pour une période définie.
    Le problème est plus grave chez les accusés qui appartiennent à certaines communautés, parce que les membres de ces communautés n'ont peut-être pas suffisamment de soutien, de ressources ou de conseils pour prendre ce genre de décisions, en raison de problèmes de pauvreté. Il ne s'agit donc pas uniquement d'un problème de ressources, mais plutôt du problème que les peines minimales obligatoires créent pour tous les accusés, à savoir l'incitation à plaider coupable à une autre infraction.

[Français]

    Si je comprends bien, la solution serait de financer des services judiciaires, afin de s'assurer que tous les accusés ont accès aux services d'un avocat.
    J'ai toujours un peu de difficulté à comprendre l'impact de cela. On dit qu'il ne faudrait pas imposer de peine minimale aux personnes racisées. Or cela m'apparaît être un raisonnement un peu douteux. On peut être contre les peines minimales ou en faveur de celles-ci, mais, à mon avis, le même raisonnement doit s'appliquer à tout le monde. Je déplore que l'on puisse prétendre que les personnes racisées ont un comportement qui fait qu'elles se retrouvent davantage devant les tribunaux. Cela ne m'apparaît pas être la réalité.
    Cela dit, madame Shanmuganathan, êtes-vous d'accord avec moi pour dire que, parmi l'ensemble des peines minimales obligatoires applicables actuellement, certaines pourraient être abolies, alors que d'autres devraient être maintenues?
    Selon vous, est-ce que toute peine minimale devrait être abolie, quelle que soit l'offense, qu'il s'agisse d'un meurtre, d'un vol à main armée ou de voies de fait?

  (1605)  

[Traduction]

    Je vais simplement clarifier ce que j'ai dit précédemment. Si j'ai amené le Comité à croire que les peines minimales obligatoires devraient être abolies uniquement pour les membres de la communauté racisée, ce n'est certainement pas ce que je pense. L'argument est que les peines minimales obligatoires devraient être abrogées parce qu'elles touchent les membres de toutes les communautés, et pas seulement ceux des communautés racisées.
    En ce qui concerne l'abolition des peines minimales obligatoires, je proposerais que le Parlement fasse tout ce qu'il peut pour conférer un pouvoir discrétionnaire aux juges — les juges qui prennent connaissance de la situation générale du délinquant et qui comprennent pourquoi une personne a commis telle infraction — et leur confie la responsabilité de veiller à ce que la peine qu'ils imposent soit proportionnelle à l'infraction et tienne compte du profil du délinquant. C'est ce qui fera de notre système de justice un meilleur endroit pour tous les intervenants, y compris le délinquant, le juge et la victime.

[Français]

     Parlez-vous de toutes les offenses? Devrait-on maintenir les peines minimales pour certaines offenses, selon vous?

[Traduction]

    Mon argument — et je me fonde uniquement sur mon expérience du système de justice pénale — est que, d'après ce que nous avons vu dans la documentation sur les peines minimales obligatoires, ainsi que dans les décisions rendues dans les affaires judiciaires en question, les juges n'ont pas besoin de telles peines. S'ils estiment qu'un délinquant doit aller en prison pour une période donnée, ils peuvent imposer cette peine, peu importe l'existence de la peine minimale obligatoire.

[Français]

    Je suis d'accord avec vous, mais, en tant que législateur, quand on dit qu'on enlève des peines minimales, je m'inquiète un peu du message qu'on envoie dans la société. Je suis convaincu, comme vous, que les juges vont imposer des peines appropriées, qu'il y ait ou non des peines minimales. On s'entend là-dessus.
     Cependant, n'envoie-t-on pas un message un peu trouble dans la société quand on dit qu'on va abolir toutes les peines minimales? N'est-ce pas un message disant que ces offenses ne sont pas aussi graves qu'on pourrait le penser?

[Traduction]

    Ce qui devrait nous préoccuper, c'est le public informé. Le message que cela envoie au public informé, c'est que nous faisons confiance aux juges de première instance pour faire leur travail. Ce sont des gens qui sont qualifiés pour les postes qu'ils occupent. Ils vont faire leur travail correctement, et s'ils estiment qu'une personne doit être incarcérée pendant un certain temps, nous pouvons leur faire confiance.

[Français]

    Merci, madame Shanmuganathan.

[Traduction]

    Merci, monsieur Fortin.
    Nous passons maintenant à M. Garrison, pour six minutes.
     Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à tous les témoins d'être avec nous aujourd'hui pour l'étude de ce projet de loi si important.
    J'aimerais commencer par Mme Shanmuganathan et poser une question qui va dans le même sens que ses observations sur les répercussions des peines minimales obligatoires sur la communauté racisée. En ce qui concerne les infractions liées aux drogues, je me demande pourquoi nous parlons de peines minimales obligatoires plutôt que de retirer du Code criminel les infractions pour la possession de petites quantités de drogue à des fins personnelles. Cela n'aurait‑il pas un effet plus important sur les communautés racisées au Canada?
    Je pense que cela aurait certainement un impact, mais je voulais simplement m'en tenir au sujet. Nous parlons de peines minimales obligatoires, mais j'invite certainement le Comité à envisager d'autres options et d'autres façons d'éliminer le problème de la surreprésentation, ou d'aider à l'atténuer. Toutefois, l'élimination des peines minimales obligatoires aurait à tout le moins un certain effet.
    Merci, madame Shanmuganathan.
    Je pense que, techniquement, vous avez raison de vous en tenir au sujet, mais nous parlons aussi de façons de lutter contre le racisme systémique au sein du système de justice, alors je pense que nous devons également garder à l'esprit ce terrain de jeu plus vaste lorsque nous parlons de ce projet de loi.
    J'aimerais m'adresser aux représentants de l'Association du Barreau canadien et parler d'une des choses qui ont été dites dans le cadre de votre présentation. J'ai oublié lequel d'entre vous deux l'a fait, mais vous avez parlé de peines minimales obligatoires qui « ne font que mettre les gens à l'écart jusqu'à ce qu'ils puissent être libérés ».
     J'ai travaillé dans le domaine de la justice pénale, et je sais que nous avons souvent vu des peines de courte durée, soit d'environ un à deux ans, qui n'ont pas permis la réadaptation en raison d'un manque de ressources dans les systèmes correctionnels provinciaux et fédéraux. Est‑ce à cela que vous faisiez allusion dans cette très brève mention?

  (1610)  

     Monsieur le président, si vous me permettez de répondre à la question de M. Garrison, les peines minimales obligatoires sont généralement de moins de deux ans, ce qui signifie que tout délinquant condamné à une telle peine sera incarcéré dans une prison provinciale. Les peines avec sursis doivent, par définition, être de moins de deux ans. En fait, certaines de ces peines minimales obligatoires, qui sont prévues dans les lois fédérales, imposent un lourd fardeau au système carcéral provincial. Ce système n'est pas en mesure d'offrir ce genre de programmes, premièrement, parce qu'il n'a pas les ressources nécessaires et, deuxièmement, parce que les gens ne restent pas là assez longtemps pour bien profiter d'un programme et le mener à terme.
    Une bien meilleure solution serait de permettre aux délinquants — les délinquants non violents, évidemment — de purger leur peine dans la collectivité. Ils commenceraient leur peine par une condamnation avec sursis, qui pourrait comprendre une période de détention à domicile, ainsi qu'un traitement. Leur peine, parce qu'elle serait de moins de deux ans, pourrait être suivie par une période de probation pouvant aller jusqu'à trois ans. En fait, ces personnes pourraient bénéficier d'une surveillance de cinq ans et avoir accès à des programmes de réadaptation.
    L'élimination de ces peines minimales obligatoires est une première étape pour que les gens reçoivent un traitement meilleur, plus long et plus complexe et qu'ils sortent du système réhabilités, plutôt que d'être mis à l'écart jusqu'à ce qu'ils puissent être libérés.
    Bien sûr, cela se traduit par une plus grande sécurité pour le public.
    Pour ce qui est du fardeau pour les systèmes — j'aimerais poursuivre avec vous, monsieur Berkes —, pouvez-vous parler un peu du problème que nous avons avec les retards dans le système de justice pénale et de l'incidence de l'existence de peines minimales obligatoires sur ces retards?
    Monsieur le président, M. Garrison soulève une question très importante. Normalement — et je fais cela depuis plus de 20 ans —, j'ai tout le temps des clients qui viennent me voir et me disent: « Écoutez, vous savez, je l'ai fait. Je veux accepter la responsabilité de mes actes et je veux recevoir ma peine. » Je facilite cela. Le problème avec les peines minimales obligatoires, c'est qu'elles découragent les plaidoyers anticipés.
    Une personne qui peut recevoir une décision appropriée sur laquelle la Couronne et la défense s'entendent, souvent sans incarcération, est fortement incitée à enregistrer un plaidoyer dès le début du processus. S'il y a une peine minimale obligatoire, les affaires traînent, cela donne lieu à des motions présentencielles, et beaucoup de ressources sont consacrées à la défense dans le but d'échapper à une condamnation, parce que celle‑ci aboutirait à une peine minimale obligatoire.
    Si vous éliminez ces peines minimales obligatoires et que vous offrez d'autres peines, les gens régleront généralement leurs problèmes au début du processus, ce qui libérera des ressources précieuses qui pourront être consacrées à des infractions beaucoup plus graves. À l'heure actuelle, ces infractions graves restent en suspens pendant que des ressources sont consacrées à ces peines minimales obligatoires. Le problème, c'est que si les choses traînent trop longtemps, l'arrêt Jordan entre en jeu et les affaires sont rejetées pour cause de retard.
    Si nous adoptons le projet de loi C‑5 dans sa forme actuelle, nous pouvons nous attendre à ce que, dans un délai assez court, il y ait un effet important sur les retards dans le traitement des affaires plus graves devant les tribunaux. Est‑ce exact?
    Toute mesure législative qui encourage les gens à régler leur cas par d'autres moyens qu'un procès libère des ressources. Avec le temps, nous verrons un système de justice plus rapide, ce qui est avantageux pour l'accusé, pour les victimes et pour le système en général.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Garrison.
    Nous passons maintenant à M. Morrison, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
    Lorsque nous parlons d'infractions et de délinquants, je ne crois pas que nous oublions jamais les victimes, mais parfois, les droits des victimes ne sont pas vraiment au premier plan lorsqu'il s'agit de la détermination de la peine.
    Je vais poser une question à M. Dumschat ou à M. Sullivan. Que pensent les victimes à qui vous avez parlé, le cas échéant, surtout au sujet du projet de loi C‑5, concernant l'abrogation possible des peines minimales obligatoires pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort dans le cadre du projet de loi?

  (1615)  

    Je parle à des victimes et à des survivants tous les jours.
    Je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas d'abroger les peines minimales obligatoires pour la conduite avec facultés affaiblies; il s'agit d'accroître la capacité des juges d'imposer des peines avec sursis pour une plus grande variété d'infractions, y compris la conduite avec facultés affaiblies causant la mort.
    Je parle à des familles depuis des années, dont certaines qui travaillent peut-être encore avec nous, au sujet des condamnations avec sursis. Plus récemment, j'ai parlé à des familles de différents sujets dont nous nous occupons et j'ai abordé la possibilité de réintroduire les peines avec sursis. Beaucoup sont choquées. Les gens avec qui nous travaillons aujourd'hui ne peuvent pas imaginer le jour où une peine avec sursis sera imposée pour conduite avec facultés affaiblies causant la mort.
    Les familles à qui nous en parlons aujourd'hui — je ne sais même pas quels termes utiliser — sont tout simplement choquées de voir qu'il pourrait s'agir d'une peine possible pour quelqu'un qui, de son propre chef, a causé la mort d'une autre personne.
     Merci.
    J'aimerais poser une question à l'Association du Barreau canadien. Je pense que M. Paisana et M. Berkes ont tous deux parlé de délinquants « non violents » et de la façon dont vous verriez les peines minimales obligatoires être retirées pour eux, mais cela veut‑il dire que vous n'êtes pas d'accord pour dire que le vol qualifié avec une arme à feu, l'extorsion avec une arme à feu ou le fait de décharger une arme à feu intentionnellement sont des crimes violents? À mon avis, toutes les infractions mettant en jeu des armes à feu sont assez violentes.
     Même dans le cas de l'élargissement des peines avec sursis, certaines de ces dispositions s'appliqueraient aux enlèvements. Ne considérez-vous pas cela comme violent? Dans le cas d'un enlèvement d'une personne de moins de 14 ans, imaginez que vous dites aux parents de cette personne: « Oh oui, nous allons avoir recours à une ordonnance avec sursis parce que nous réduisons certaines peines minimales obligatoires. »
    Je me demande si vous êtes d'accord pour dire que certaines des infractions énumérées dans le projet de loi C‑5 devraient être conservées, parce qu'elles sont violentes, et qu'en fait, le projet de loi C‑5 pourrait être modifié.
    Je vais répondre à cette question, monsieur le président.
    À mon avis, l'un des problèmes qui entourent ce débat, c'est que l'accent est toujours mis sur le libellé noir sur blanc d'une infraction, par opposition aux circonstances dans lesquelles elle est commise.
     Prenons l'exemple du « vol qualifié avec une arme à feu ». Lorsque l'on dit cela, on pense immédiatement à une personne qui commet un vol à main armée dans une banque. On ne pense pas au complice drogué d'un voleur, qui conduit la voiture et qui n'a aucune idée ou qui ignore délibérément que celui‑ci va entrer dans un magasin avec une arme. Cette personne se trouve‑t‑elle dans la même situation que la personne qui tient l'arme? De toute évidence, non, mais les deux seront traitées de la même façon dans le contexte des peines minimales obligatoires, l'une d'elles étant un participant à l'infraction, et l'autre étant l'auteur principal, ce qui revient au même au sens de la loi.
    Lorsque nous parlons des infractions en fonction de la façon dont elles sont libellées dans la loi, nous perdons de vue le fait qu'elles peuvent être commises dans une grande variété de circonstances, et lorsqu'il est question de peines avec sursis, cela est particulièrement important.
    Pensez à l'importation de drogue. Nous avons tous à l'esprit le grand trafiquant de drogue qui en fait entrer des kilos et des kilos dans notre pays. Nous ne pensons pas à Cheyenne Sharma, l'appelante dans l'affaire Sharma dont la Cour suprême du Canada a été saisie, qui a été violée à 13 ans, qui était une travailleuse du sexe à 15 ans et qui essayait de nourrir sa famille en s'acquittant d'une tâche à la demande d'une personne qui l'exploitait.
    À mon humble avis, il est trop simpliste de se limiter à la désignation de l'infraction. Il ne faut pas seulement penser aux preuves, mais aussi aux circonstances.
    Oui. Merci. Il ne me reste que peu de temps.
    Dans certains cas, je suis d'accord avec vous au sujet du vol qualifié commis avec une arme à feu, mais lorsque nous sommes en présence d'une victime qui ne fait pas la différence entre un fusil à plomb et une arme de neuf millimètres ou de calibre 45, j'ai un peu de difficulté à imaginer que nous allons supprimer les peines minimales obligatoires parce que quelqu'un n'a pas pu déterminer s'il s'agissait ou non d'un fusil à plomb.
    Parlons des infractions liées aux drogues et de la production de méthamphétamine. Comment peut‑on dire: « Oui, produisons‑en et éliminons l'emprisonnement obligatoire pour les trafiquants de drogues. » Le Canada est aux prises avec une crise des opioïdes. Si nous commençons à éliminer les peines minimales obligatoires pour le trafic et ce dont vous parlez, quel message passons-nous aux victimes et aux gens que nous devrions aider?
    N'êtes-vous pas d'accord pour dire que nous devrions peut-être consacrer beaucoup plus de temps à la prévention de la criminalité qu'à la réduction de la criminalité? Je suis d'accord avec vous pour dire que l'incarcération n'est pas exactement la solution, mais...
    Malheureusement, nous n'avons plus de temps. Je suis désolé.
    Nous passons maintenant à M. Naqvi, pour cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vais revenir à M. Paisana pour parler un peu plus des ordonnances de sursis.
    Pour que nous comprenions tous la même chose, pourriez-vous nous décrire votre perception de certaines des caractéristiques ou des éléments clés des ordonnances de sursis? Qu'est‑ce qui les rend uniques? Pourquoi pensez-vous qu'il s'agit d'un outil important à inclure dans le Code criminel?

  (1620)  

    L'ordonnance de sursis était une solution élégante qui a été adoptée par le Parlement dans les années 1990 pour régler le problème de la surincarcération. La raison pour laquelle c'était élégant, c'est que l'on utilisait un outil délicat, plutôt que d'avoir recours à la mesure massue que représente l'incarcération.
    Cela a permis d'adapter la détermination de la peine à des personnes qui, premièrement, n'étaient pas dangereuses; deuxièmement, pouvaient être bien gérées dans la collectivité; troisièmement, avaient commis une infraction qui méritait moins de deux ans d'emprisonnement, infraction pour laquelle, quatrièmement, l'effet de dissuasion et de dénonciation recherché pouvait être obtenu au moyen d'une peine communautaire.
    Il s'agissait d'une mesure législative incroyablement novatrice et importante, car elle visait un sous-groupe de délinquants qui avaient commis une erreur et qui avaient fait quelque chose de terrible dans leur vie, mais qui avaient de grandes chances de se réadapter. C'est le genre de politique réfléchie et éclairée en matière de droit pénal qui nous distingue d'autres pays, comme notre voisin du Sud, où l'approche adoptée est beaucoup plus coercitive. Je pense que cela correspond mieux à notre système de valeurs.
     Pouvez-vous nous parler de l'incidence de la non-application ou de la non-utilisation des ordonnances de sursis sur le système de justice pénale en particulier et sur ses acteurs? Qu'avez-vous observé dans votre pratique et entendu d'autres collègues de l'Association du Barreau canadien?
    L'on constate deux effets d'entraînement importants du fait que les ordonnances de sursis ne sont pas disponibles.
    La première est la plus évidente, et vous en avez beaucoup entendu parler aujourd'hui. Des gens qui autrement purgeraient leur peine dans la collectivité et se réadapteraient doivent aller en prison. Je ne pense pas qu'il y ait vraiment de débat sur le fait qu'ils ne vont pas se réadapter là comme ils pourraient le faire dans la collectivité.
    L'on voit aussi l'autre extrémité du spectre. Des individus obtiennent des condamnations avec sursis plutôt que la version plus sévère d'une peine sous la forme d'une ordonnance de sursis parce que les parties qui plaident et les juges qui entendent les causes se rendent compte qu'il serait complètement injuste d'envoyer la personne en prison. Il ne leur reste qu'une seule autre solution, soit la simple probation. Au lieu d'envoyer injustement la personne en prison, on lui impose moins qu'une condamnation avec sursis et une probation. Cela n'améliore en rien non plus l'administration de la justice.
    Lorsque nous retirons le pouvoir discrétionnaire de ce pratique compromis, nous forçons vraiment les gens à aller à l'autre bout du spectre et à éviter la réponse évidente, qui se trouve à mi‑chemin et qui est souvent l'ordonnance de sursis.
    Pouvez-vous nous parler davantage des répercussions sur les Autochtones, les Noirs et les personnes de couleur du fait que les ordonnances de sursis ne font pas partie de la trousse de recours du système de justice pénale?
    C'est l'une des grandes ironies du projet de loi C-10 qui supprime les ordonnances de sursis. L'ordonnance de sursis a été instaurée principalement en réponse au problème de surreprésentation en milieu carcéral des communautés autochtones et d'autres communautés marginalisées dans les années 1990. Au cours des 25 années qui se sont écoulées depuis, ce problème n'a fait que s'aggraver avec l'imposition de ces restrictions aux ordonnances de sursis.
    L'objet même de cette mesure consistait à donner au système plus de restrictions et d'outils pour s'occuper des collectivités surreprésentées. En l'éliminant, nous ne faisons qu'exacerber le problème, à mon avis.
    Lorsque le projet de loi C‑5 aura force de loi, quelles seront, d'après vous, les possibilités d'imposer une peine d'ordonnance de sursis?
    Le projet de loi élargit sensiblement l'admissibilité d'infractions que nous n'associons pas normalement aux délinquants violents. La portée des infractions visées par les interdictions actuelles des ordonnances de sursis est stupéfiante. Elle englobe entre autres la falsification d'un passeport, les infractions à la Loi sur la concurrence et d'autres infractions qui ne sont pas associées à l'infraction grave qu'on dit viser. Le projet de loi débloque les ordonnances de sursis pour un certain nombre d'infractions où cette mesure est justifiée.
     Je répète ce que j'ai dit plus tôt aujourd'hui. Il s'agit seulement d'accorder plus de latitude, pas moins. Si l'emprisonnement est justifié, qu'il soit de moins de deux ans ou de plus de deux ans, le pouvoir discrétionnaire demeurera le même. Cela comprend des infractions comme la conduite avec facultés affaiblies causant la mort. C'est une infraction pour laquelle la fourchette des peines au pays est de plusieurs années et parfois de plus de 10 ans.
    Merci. Mon temps est écoulé. Je vous remercie de votre participation.
    Merci, monsieur Naqvi.
    Nous passons maintenant à M. Fortin, pour deux minutes et demie.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Ma question s'adressera à M. Jody Berkes, de l'Association du Barreau canadien.
    Je suis assez d'accord sur le fait que les peines minimales obligatoires n'aident pas vraiment à traiter les cas qui se retrouvent devant les tribunaux, mais je pense également que, en tant que législateurs, nous avons des messages à envoyer à la société. Des lois, on en adopte, on en modifie et on en abroge jour après jour depuis les débuts de la Confédération, et même depuis le début des temps. Ce sera d'ailleurs probablement toujours comme cela. Je pense que la législation doit s'adapter à la réalité de la société, qu'elle doit être appropriée et qu'elle doit être un outil utile pour les gens que nous représentons.
    Or, actuellement, il y a une montée de la violence dans certaines régions du Canada. Mon collègue parlait tantôt de la crise des opioïdes. C'est exact, on voit cela dans ma région aussi, ainsi qu'une montée de la violence par armes à feu. En écoutant les nouvelles, j'entendais des mères de famille dire qu'elles avaient peur d'envoyer leur enfant à l'école parce que des armes à feu circulaient même dans certaines écoles. C'est assez inquiétant. On nous interpelle et on nous demande d'agir. On travaille à cela et on demande des escouades de lutte contre le trafic d'armes, par exemple. Or on nous propose d'éliminer les peines minimales obligatoires.
    Monsieur Berkes, tantôt, dans votre témoignage, je vous ai entendu dire qu'il faudrait peut-être faire une exception pour les meurtres. Je voudrais donc savoir si, à votre avis, il n'y aurait pas lieu de faire une distinction. Quand on parle d'abolir les peines minimales obligatoires maintenant, en 2022, on doit s'adapter à la réalité de 2022, et non à celle qu'on vivait en 1970 ou à celle qu'on vivra peut-être en 2060. Or, en 2022, il y a une inquiétude dans la population à l'égard des armes à feu.
    Ne devrait-on pas être prudent et parcimonieux dans l'abolition des peines minimales obligatoires?

  (1625)  

[Traduction]

     Merci, monsieur le président.
    M. Fortin soulève un point très important, à savoir que les membres du public qu'il sert et que tous les avocats du système de justice pénale savent comment le public perçoit ce que nous faisons. La réponse, c'est que si nous éliminons certaines peines minimales obligatoires ou, comme le recommande l'Association du Barreau canadien, toutes les peines minimales obligatoires, sauf pour les meurtres, cela ne veut pas dire que les gens n'iront plus en prison pour leurs méfaits ou que ceux qui utilisent des armes à feu avec violence ne seront plus incarcérés. Ils le seront. Le fait que les crimes violents sont à la hausse, même sans ces peines minimales obligatoires, prouve qu'elles n'ont pas un effet dissuasif efficace. Ce qu'il nous faut, c'est une application plus sévère de la loi.
    Merci, monsieur Berkes.
    C'est maintenant au tour de M. Garrison, pour deux minutes et demie.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'aimerais revenir à M. Paisana et à ses commentaires sur l'application des ordonnances de sursis dans les cas de conduite avec facultés affaiblies causant la mort ou des lésions corporelles. Comme vous n'avez que rapidement évoqué les peines habituelles relatives à ces infractions, j'en déduis que vous estimez que l'adoption du projet de loi C-5 dans sa forme actuelle aurait relativement peu d'effet sur les cas de conduite avec facultés affaiblies causant la mort, puisque la peine est presque toujours supérieure à deux ans.
    Est‑ce exact?
    C'est exact. Dans les cours d'appel du pays, la fourchette des peines pour cette infraction est de plusieurs années, et elle atteint même parfois les 10 ans. Il n'est pas rare de voir des peines de six, huit ou dix ans. Il suffit de penser à la fameuse affaire de Humboldt qui a donné lieu à une peine de huit ans, par exemple.
    D'accord.
    J'aimerais revenir à Mme Shanmuganathan.
     Vous avez dit très clairement que votre expertise concerne les peines minimales obligatoires, mais j'aimerais parler d'un autre aspect du racisme structurel, c'est-à-dire l'effet des casiers judiciaires sur les personnes condamnées pour des infractions liées aux drogues.
     Vos clients constatent-ils des répercussions à long terme sur l'emploi, le logement et ainsi de suite du fait de ne pas pouvoir obtenir de déjudiciarisation ou de dispositions qui entraîneraient l'effacement du casier judiciaire?
    Oui, sans l'ombre d'un doute. Se faire marquer au fer rouge avec un casier judiciaire a des effets durables et permanents sur une personne. Cela peut nuire à leur capacité d'occuper un emploi rémunéré, d'obtenir un logement et de mener une vie normale. Par conséquent, s'il existe des mécanismes pour éviter aux gens une infraction criminelle ou une condamnation criminelle et un casier judiciaire, c'est évidemment une option souhaitable.

  (1630)  

    Lorsqu'il est question de logement, je sais que dans ma propre collectivité, il y a des programmes de logement social et de logement avec services de soutien auxquels on ne peut être admissible si l'on a un casier judiciaire. Est‑ce le genre d'impact dont vous parlez, que vous avez constaté chez vos clients?
    Oui, en effet. Des vérifications sont menées sur certaines personnes qui veulent obtenir un logement, décrocher un emploi, et si l'on découvre que vous avez un casier judiciaire, vous êtes automatiquement disqualifié.
    Je vois que mon temps est écoulé. Merci beaucoup.
    Merci. Je vais maintenant mettre un terme à cette première partie et suspendre la séance pendant une minute afin qu'une brève vérification du son en provenance de chez M. Robert puisse être effectuée. Je pense que les autres ont tous été vérifiés.
    Pour ce qui est des autres témoins, nous sommes heureux que vous restiez si vous le voulez. Sinon, vous pouvez vous déconnecter si vous le souhaitez.
    Je vais suspendre la séance pendant une minute.

  (1630)  


  (1630)  

    Nous reprenons la séance avec le deuxième groupe de témoins.
    Je vais demander à chaque groupe de parler pendant cinq minutes, après quoi nous passerons aux questions. Comme je l'ai dit plus tôt, j'ai une feuille de pointage de 30 secondes, puis une autre de temps écoulé. Veuillez respecter le temps alloué afin que tous les membres puissent poser une question.
    Nous allons commencer par Brandon Rolle, avocat-conseil principal de l'African Nova Scotian Justice Institute, pour cinq minutes, puis nous passerons à l'organisme Le DISPENSAIRE et ensuite à la Coalition nationale contre le tabac de contrebande.
    Nous allons commencer par vous, Brandon Rolle, s'il vous plaît.
    Bonjour. Je m'appelle Brandon Rolle et je suis avocat-conseil principal au African Nova Scotian Justice Institute, qui a été créé récemment.
    Je suis heureux de prendre la parole aujourd'hui pour appuyer le projet de loi C‑5, que nous considérons comme une étape nécessaire vers la justice.
    Les Afro-Néo-Écossais constituent un peuple distinct qui descend de planteurs noirs libres et esclaves, de loyalistes noirs, de réfugiés noirs, de marrons et d'autres Noirs qui habitaient les 52 communautés noires d'origine dans cette partie du Mi'kma'ki connu sous le nom de Nouvelle-Écosse.
    L'African Nova Scotian Justice Institute est une infrastructure financée par la province, mais surtout dirigée par la collectivité, qui a été mise au point en réponse au racisme systémique contre les Noirs auquel sont confrontés les Néo-Écossais d'origine africaine dans le système de justice. Nous avons agi à titre d'intervenants dans l'affaire Anderson, une décision de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse qui a confirmé le recours aux évaluations d'incidence de l'origine ethnique et culturelle. C'est un outil précieux pour déterminer la peine à infliger aux personnes d'ascendance africaine et il fournit un cadre pour l'application de facteurs systémiques et historiques liés à l'origine ethnique et culturelle.
    Il ne fait aucun doute que le racisme systémique contre les Noirs existe dans le système de justice pénale. Dans l'affaire R. c. S. (R.D.), bien connue en Nouvelle-Écosse, qui a été portée devant la Cour suprême du Canada, cette dernière a appuyé les observations issues d'une autre affaire survenue en Nouvelle-Écosse et l'a affirmé sans détour :
[Le racisme] est une réalité pernicieuse. Son existence en Nouvelle-Écosse a été bien documentée dans le rapport d’enquête sur l’affaire Marshall (c’est-à-dire la Commission royale sur les poursuites intentées contre Donald Marshall fils). Il faudrait être stupide, suffisant ou ignorant pour ne pas en reconnaître la présence, non seulement chez les individus, mais aussi au sein du système et des institutions.
    Il est également très clair que l'une des façons dont le racisme systémique contre les Noirs s'est manifesté, c'est par la surreprésentation en milieu carcéral des Afro-Canadiens.
    Le Comité dispose des données du ministère de la Justice concernant l'incidence disproportionnée des peines minimales obligatoires sur les taux de détention des Noirs. Mais je dirais qu'il y a certains facteurs contextuels que nous pouvons examiner pour nous aider à comprendre pourquoi les peines minimales obligatoires ont une incidence disproportionnée sur les personnes d'origine africaine.
    Premièrement, nous savons que les communautés noires font l'objet d'une surveillance policière excessive. Étant donné que les Noirs sont plus susceptibles d'être arrêtés et accusés d'une infraction, ils sont exposés à un risque disproportionné de responsabilité criminelle pour les infractions passibles d'une peine obligatoire.
    Deuxièmement, les accusés noirs sont détenus de façon disproportionnée avant le procès. Or, la recherche montre de plus en plus clairement que les accusés dont la mise en liberté sous caution a été refusée ressentent une plus grande pression pour plaider coupables.
    Troisièmement, les Afro-Néo-Écossais et les Afro-Canadiens en général ont vécu l'héritage de l'esclavage, du colonialisme, de la ségrégation et du racisme qui a mené à ce modèle historique de désavantage, qui signifie qu'ils sont surreprésentés en milieu carcéral, qu'ils commettent davantage certaines infractions, qu'on leur refuse une mise en liberté sous caution et qu'on leur impose des peines d'emprisonnement plus longues et, par la suite, qu'ils purgent des peines plus sévères en détention.
    Nous sommes d'avis que, pour s'attaquer véritablement au racisme systémique envers les Noirs, l'approche adoptée doit être multidimensionnelle et doit inclure le type de réforme législative proposée dans le projet de loi C‑5. À notre avis, cela doit se faire en combinaison avec des efforts déployés plus en amont dans le système de justice pour s'attaquer aux causes profondes des comportements délinquants, et c'est exactement le type d'infrastructure que nous essayons de bâtir ici, à l'African Nova Scotian Justice Institute.
    Nous appuyons les observations de la juge Derrick dans l'affaire R. c. Anderson, dont j'ai parlé plus tôt, lorsqu'elle a parlé de ce type précis de réforme législative. À l'époque, il s'agissait du projet de loi C‑22, mais nous savons que c'était la version précédente du projet de loi. La juge a dit, et je cite :
Cela revient à ce que la Cour suprême du Canada a souligné dans l'arrêt Gladue, à savoir que « la surincarcération est un problème de longue date qui a été reconnu publiquement à maintes reprises, mais que le Parlement n'a jamais abordé de façon systématique ».[29] Les réformes proposées accroîtraient les pouvoirs discrétionnaires des juges dans la détermination de la peine des délinquants noirs. La disponibilité accrue des ordonnances de sursis donnerait aux juges une plus grande marge de manœuvre pour imposer des peines qui respectent mieux le principe de la proportionnalité, ce qui leur permettrait de mieux servir la collectivité et le délinquant, en tenant compte des facteurs systémiques et des désavantages historiques.
    Nous convenons que les peines minimales obligatoires ne règlent pas efficacement le problème de la récidive. Il a été démontré que des peines d'emprisonnement plus longues et plus sévères accroissent en fait la récidive et que, par conséquent, les peines minimales obligatoires peuvent contribuer à réduire la sécurité publique. Les peines minimales obligatoires ne sont pas conformes au principe fondamental de proportionnalité de la détermination de la peine, parce qu'elles enlèvent au juge chargé de la détermination de la peine le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de la culpabilité morale du délinquant et ne permettent pas de tenir compte non seulement de la situation personnelle de l'accusé, mais aussi des facteurs systémiques et historiques qui peuvent entrer en jeu.
    En ce qui concerne les Néo-Écossais d'origine africaine et les Canadiens noirs, nous sommes d'avis que le pouvoir discrétionnaire des juges devrait toujours être éclairé par des outils comme les évaluations d'incidence de l'origine ethnique et culturelle afin de mieux s'attaquer à la surreprésentation. Ce type de réforme législative est un élément important de la solution. Ce n'est pas la réponse complète, mais nous croyons que c'est un pas vers l'égalité réelle.
    Merci, monsieur le président.

  (1635)  

    Merci, monsieur Rolle.
    Nous entendrons maintenant M. Hugo Bissonnet, Mme Alexandra de Kiewit et le Dr Jean Robert, du centre de santé communautaire Le Dispensaire.
    Vous disposez de cinq minutes, à vous partager comme vous le voulez.

[Français]

     Je suis honoré d'avoir été invité.
    Je vous parlerai beaucoup plus avec mon cœur qu'avec mon cerveau.
    Je suis médecin et j'ai une première spécialité en maladie infectieuse, que j'ai exercée en milieu hospitalier universitaire, mais j'ai aussi une longue expérience en ce qui a trait à l'approche de santé communautaire. Cette année, cela fait exactement 46 ans que je soigne des personnes. Je dis bien que je les soigne, car je ne les traite pas nécessairement. J'accompagne des personnes qui font partie d'une culture qui est l'objet d'agressions systémiques et qui est définie par un vocable excessivement méchant, soit « toxicomane ».
    En raison de mon expérience, j'ai été profondément bousculé et peiné par ma lecture du projet de loi C‑5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, car on semble placer dans la même catégorie les armes à feu et les drogues. Je vous rappelle que les armes à feu tuent d'autres personnes, tandis que la drogue tue la personne qui en consomme. Les armes à feu constituent un problème de sécurité, alors que la consommation de drogue n'est pas un problème de justice, mais de santé. C'est très important.
    Cela m'a beaucoup interpellé. Je suis tout à fait d'accord pour qu'on abolisse enfin les peines minimales obligatoires pour les gens qui se traitent, à défaut d'obtenir des soins, avec des substances qui circulent et qui se vendent dans leur milieu. C'est le premier point que je voulais présenter.
    Mon deuxième point concerne les gens qui meurent d'intoxication ou de surdose. Un aspect caractérise la consommation de substances dans le but de se soigner, et c'est l'ignorance totale de ce que contiennent les substances qui circulent. Par exemple, mon métier de médecin m'oblige à informer les consommateurs sur ce que ces résidus contiennent. J'ai dans mes mains une substance minuscule qui est plus petite que la tête d'une allumette. C'est de l'héroïne qui m'a été apportée récemment par des consommateurs et qui contient 12 substances différentes. Ce qui tue les gens, c'est l'ignorance. En ce sens, il ne faut pas empêcher la manipulation de ces substances. Pour ma part, j'ai cette possibilité, car c'est mon métier, et, pour soigner les gens, il faut que je le fasse. Or c'est un problème très important.
    Des exemptions sont prévues pour possession simple pour usage personnel. Le troisième point que je voulais souligner, c'est qu'il faut absolument ajouter une exemption pour que des personnes comme les membres de mon équipe et moi puissent avoir accès à cela. En ce sens, il faudrait ajouter une exemption pour utilisation professionnelle. Ainsi, lorsque nos travailleurs de rue, qui sont des professionnels, traverseront la rue avec un sachet contenant un peu de résidu de poudre, ils n'auront pas la crainte de se faire arrêter et emprisonner.
    C'est ma seule recommandation. Bien sûr, j'ai d'autres idées, notamment concernant les termes utilisés, mais c'est la réaction personnelle que j'ai eue. J'œuvre dans ce milieu depuis 46 ans, j'ai travaillé auprès de prisonniers, et je connais très bien cette question. L'analyse des résidus peut sauver des vies. Nous analysons aussi les urines aussi pour voir ce que les gens consomment. C'est ce qui est à la base des soins.

  (1640)  

     Il y a exactement un an, nous avons personnellement présenté une demande pour obtenir une exemption. Nous attendons encore, car nous ne l'avons pas obtenue.
    Sur ce, je cède la parole à ma collègue Mme de Kiewit.

[Traduction]

     Merci. Malheureusement, votre temps est écoulé, mais j'espère que vous pourrez répondre à d'autres questions et en profiter pour faire vos déclarations.
    Nous passons maintenant à la Coalition nationale contre le tabac de contrebande. Monsieur Barnum, vous disposez de cinq minutes.
    Bonjour, mesdames et messieurs.
    Je m'appelle Rick Barnum et je suis le nouveau directeur exécutif de la Coalition nationale contre le tabac de contrebande.
    Encore récemment, j'étais sous-commissaire de la Police provinciale de l'Ontario et j'ai passé plus de 30 années dans les forces de l'ordre, essentiellement à lutter contre le crime organisé. J'ai pu voir de mes propres yeux à quel point la contrebande du tabac peut être lucrative.
    Le Service canadien de renseignements criminels estime que la contrebande de tabac et de cannabis coûte plus de 12 milliards de dollars en soins de santé, en perte de productivité, en frais de justice pénale et autres coûts directs.
    La GRC estime à plus de 175 le nombre de gangs criminels impliqués dans le commerce illicite du tabac, qui leur procure chaque jour des millions de dollars qu'ils utilisent pour financer leurs autres activités illicites, dont le trafic d'armes à feu illégales, le trafic de drogues comme le fentanyl et la traite des personnes.
    Pour endiguer cette importante source de financement du crime organisé, le gouvernement a adopté en 2014 le projet de loi C‑10, qui faisait de la contrebande de tabac une infraction au Code criminel passible d'une peine minimale obligatoire. Depuis, les forces de l'ordre du Canada se servent de ces deux outils pour dissuader les gens de s'adonner à la contrebande de tabac.
    Avant cela, un grand nombre des personnes accusées et reconnues coupables en vertu des lois provinciales régissant les taxes sur le tabac se voyaient simplement imposer une amende, qu'elles finissaient par ne jamais payer. L'infraction au Code criminel et les peines associées ont donc rendu la contrebande de tabac moins attrayante pour certains.
    Cependant, le projet de loi C‑5 propose d'éliminer la peine minimale obligatoire applicable à ce trafic tout en continuant d'en faire une infraction au Code criminel. En éliminant la peine minimale obligatoire, le gouvernement prive les forces de l'ordre d'un outil propre à dissuader d'éventuels trafiquants.
     Dernièrement, le gouvernement a aussi contribué à alimenter la contrebande en augmentant continuellement les taxes sur le tabac. L'histoire nous montre, comme l'a également signalé le directeur parlementaire du budget, que les augmentations de taxes sans mesures de lutte contre la contrebande font grossir un marché noir qui finance directement les gangs criminels. C'est pourquoi, après avoir enlevé un des outils à la disposition des forces de l'ordre, le gouvernement doit en ajouter un autre.
    Premièrement, en l'absence d'une action fédérale concertée, la contrebande de tabac continue d'augmenter partout au Canada. On trouve des cigarettes illégales, fabriquées surtout en Ontario, de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve. Pour endiguer ce commerce illicite, nous recommandons que le gouvernement établisse au sein de la GRC une équipe de lutte contre la contrebande de tabac, qui aiderait à coordonner l'application de la loi dans toutes les provinces. Des provinces comme le Québec ont connu de grands succès avec un tel modèle, où sont coordonnés les efforts des corps de police municipaux et régionaux.
    Deuxièmement, l'augmentation des taxes sur le tabac sans mesures de lutte contre la contrebande ne peut qu'encourager cette dernière. Nous recommandons que le gouvernement adopte à nouveau une approche prudente à l'égard de la taxation du tabac légal jusqu'à ce que le tabac de contrebande ne fasse plus problème dans tout le pays.
    Enfin, l'Ontario demeure l'épicentre de la contrebande de tabac au Canada. Une cigarette sur trois achetées dans cette province est achetée illégalement. Les gangs criminels empochent des millions de dollars chaque jour grâce à ce commerce illicite.
    Pour attaquer le problème à sa racine, nous recommandons que le gouvernement fasse équipe avec l'Ontario pour lutter contre la contrebande de tabac. En coordonnant l'application de la loi à l'échelle du pays et en adoptant une approche prudente en matière de taxation, le gouvernement peut commencer à s'attaquer efficacement au problème croissant de la contrebande de tabac au Canada. En supprimant un outil d'application de la loi, le gouvernement doit en ajouter un autre.
    Nous espérons pouvoir compter sur votre appui pour lutter contre la contrebande de tabac et aussi contre le crime organisé.
    Merci de votre temps. Je serai heureux de répondre à vos questions.

  (1645)  

     Merci, monsieur Barnum.
    Nous entamons maintenant la première série de questions, en commençant par M. Cooper, qui dispose de six minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci aux témoins.
    Je vais adresser mes questions à M. Barnum.
    Dans votre témoignage, vous avez dit que, depuis l'adoption du projet de loi C‑10, l'ajout de cet article au Code criminel est un outil important pour faire appliquer la loi. Étant donné votre vaste expérience dans les forces de l'ordre et la lutte contre le crime organisé, j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'aspect des peines minimales obligatoires dans le projet de loi C‑10 en ce qui concerne la contrebande de tabac.
    Un certain nombre de témoins nous ont dit simplement que les peines minimales obligatoires ne fonctionnent pas, qu'elles sont inefficaces et qu'elles favorisent la récidive. Est‑ce là l'expérience que vous en avez? J'imagine que c'est tout le contraire.
    D'après mon expérience, au fil des ans, les personnes que nous avons arrêtées pour contrebande de tabac en grande quantité ont reçu habituellement une amende salée la première fois et, habituellement, la deuxième fois aussi. Ce n'est pas avant la troisième ou la quatrième fois qu'ils écopent habituellement d'une petite peine d'emprisonnement, de moins de deux ans.
    Êtes-vous d'accord pour dire qu'une peine minimale obligatoire est un outil important?

  (1650)  

    C'est un outil important pour les forces de l'ordre, en ce sens qu'il permet de nous assurer, lorsque nous portons des accusations, que nous arrêtons des gens et que nous menons des enquêtes importantes, qu'ils peuvent au moins aller en prison.
    Avez-vous pu constater un tel effet depuis l'adoption du projet de loi C‑10?
    Les enquêtes que nous faisions étaient de très haut niveau. On ne parle pas ici de gens qui se promènent dans la rue avec un sachet de tabac de contrebande. On parle de gros camions remplis à capacité et de choses de ce genre.
    Nous avons constaté que la personne pouvait aller en prison, mais la plupart du temps, il s'agit d'une amende importante, parfois de 200 000 $ à 300 000 $ ou plus, mais pas d'une peine d'emprisonnement.
    Vous faites bien de préciser qu'on ne parle pas d'une personne qui se promène avec un sachet de tabac.
    Une partie du problème de ce projet de loi, à mon avis, c'est qu'il ne se présente pas comme on l'avait annoncé. Le gouvernement parle de possession simple, même si on a émis la directive de ne pas intenter de poursuite en pareil cas. Le projet de loi vise essentiellement à éliminer la prison obligatoire pour les infractions de trafic, d'importation, d'exportation et de production des substances inscrites aux annexes I et II.
    À propos de substances, nous avons une crise des opioïdes au Canada. Vingt Canadiens en meurent chaque jour.
    Pouvez-vous nous parler du lien entre ceux qui font de la contrebande de tabac et ceux qui perpétuent la crise des opioïdes au Canada?
    Oui, et c'est une excellente question.
    D'après mon expérience vécue, il ne fait absolument aucun doute que depuis une dizaine d'années environ, il n'est pas rare que la police mène d'importantes enquêtes de haut niveau sur le tabac de contrebande ou la cocaïne, la méthamphétamine ou le fentanyl, au cours desquelles elle tombe sur des quantités considérables de drogue quelconque, mais je n'ai jamais vu de groupes importants du crime organisé travailler de façon linéaire, en se contentant de la contrebande de tabac. Dans nos saisies, il n'est pas rare de trouver de la cocaïne, du tabac et du fentanyl avec des armes de poing, et la liste continue.
    Récemment, en 2020, dans l'enquête Cairnes menée par la Police provinciale de l'Ontario juste au nord de Toronto, dans la région de York, on a trouvé deux ou trois kilos de cocaïne, des centaines de caisses de tabac de contrebande, des kilos de fentanyl, des armes de poing et des substances utilisées pour couper la cocaïne vendue dans la rue, tous saisis auprès d'un seul groupe du crime organisé, et on a procédé à une seule arrestation.
     Combien de temps est‑ce qu'il me reste, monsieur le président?
    Il vous reste une minute et demie.
    Merci. Je vais la consacrer à M. Robert.
     Monsieur Robert, vous avez parlé de possession simple et d'usage personnel, mais là encore, le projet de loi ne s'attaque pas au problème. Il élimine les peines d'emprisonnement obligatoires pour les producteurs et les revendeurs de drogues dangereuses qui causent du tort à de nombreux Canadiens.
     Chaque jour, 20 Canadiens perdent la vie à cause des opioïdes. C'est 7 000 morts par année. Ne trouvez-vous pas inquiétant que ce projet de loi élimine la prison obligatoire pour les trafiquants, les producteurs et les revendeurs de drogue, et n'y a‑t‑il pas une distinction importante à faire entre ceux qui se livrent à ces activités et ceux qui se procurent de la drogue pour leur usage personnel?

[Français]

    Je vous remercie de cette question.
    Les chiffres que vous mentionnez représentent le pire. Cela peut-il être pire?
    Nous parlons ici de consommation pour usage personnel. Ce que nous visons, c'est arrêter de punir les gens pour leur maladie. C'est cela qui est important. Le commerce, la fabrication et la distribution représentent plutôt un problème de sécurité publique qu'un problème de santé individuelle.
    En passant, je vous signale que nous avons surtout parlé des opioïdes, mais que presque 90 % des substances vendues contiennent de 2 à 18 substances différentes. Nous avons mis l'accent sur les opioïdes, mais il y a aussi d'autres drogues.

  (1655)  

[Traduction]

    Merci, monsieur Cooper. Merci, monsieur Robert.
    C'est maintenant au tour de Mme Diab, pendant six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

    Je remercie tous les témoins d'être avec nous cet après-midi.

[Traduction]

    Mes questions s'adressent à M. Brandon Rolle, de l'African Nova Scotian Justice Institute.
    Je précise à l'intention de mes collègues que j'ai eu la chance de rencontrer M. Rolle lorsque je siégeais à l'Assemblée législative provinciale, et je suis familière avec un certain nombre d'initiatives qui ont cours en Nouvelle-Écosse pour combattre le racisme systémique. C'est une réalité bien étayée dans notre système, alors je vous suis vraiment reconnaissante d'être ici avec nous aujourd'hui pour nous faire profiter de votre expérience et de vos compétences.
    Je crois comprendre, monsieur Rolle, que vous avez rencontré récemment le ministre de la Justice lorsqu'il était en Nouvelle-Écosse, il y a quelques semaines, je crois. Pouvez-vous dire au Comité si vous avez discuté de ce projet de loi avec lui, et ce que vous lui avez dit — et je vous demande d'être aussi franc que vous devez l'être avec nous — à propos des peines minimales obligatoires et des limites imposées aux ordonnances de sursis, les deux sujets qui nous occupent aujourd'hui, et à propos de l'effet sur le visage du racisme dans notre système de justice, d'après vos compétences et votre expérience?
    Je vous remercie de la question.
    Un des arguments que nous avons avancés dans l'affaire Anderson, et qu'il est important de ne pas oublier, c'est que depuis des siècles, on se sert de la loi elle-même pour opprimer les personnes d'ascendance africaine, en particulier les Néo-Écossais d'ascendance africaine. Il s'agit évidemment d'un problème complexe qui ne relève pas seulement de la justice, mais qui appelle une réponse de la justice, parce que c'est en partie un problème de justice.
    Lorsque le ministre Lametti est venu en Nouvelle-Écosse, nous avons surtout parlé du travail qui se fait avec les évaluations d'incidence de l'origine ethnique et culturelle, qui ont à voir avec ce débat, parce qu'en permettant plus de peines à purger dans la collectivité, nous permettons en fait que se fasse une partie du travail qui s'attaque aux causes profondes du problème. L'évaluation d'incidence de l'origine ethnique et culturelle tient compte du contexte historique et fait le lien entre certains facteurs systémiques et la raison pour laquelle la personne se retrouve devant le tribunal. Elle présente ensuite des options de réadaptation adaptées à sa culture.
    En maintenant ce régime punitif de peines minimales obligatoires, nous enlevons aux juges le pouvoir discrétionnaire d'offrir les programmes culturellement adaptés qui sont nécessaires pour s'attaquer aux causes profondes. Si l'idée est que les peines minimales envoient en quelque sorte le message qu'elles vont réduire la récidive, je pense que des décennies de recherche ont démontré que ce n'est pas le cas. Nous devons nous attaquer aux causes profondes du problème. C'est ce que nous essayons de faire à l'institut.
    Comme la détermination de la peine se fait à la fin du processus, nous devons donc aussi l'intégrer au processus tout entier et examiner le pouvoir discrétionnaire de la police et de la Couronne. C'est le genre de mesures de soutien que nous voulons mettre en place à l'institut — des programmes de surveillance de la liberté sous caution et des programmes de réinsertion sociale — pour que les gens puissent réintégrer pleinement la société d'une manière qui favorise la sécurité collective. C'est en partie ce que nous essayons de faire.
    Le racisme est omniprésent dans le système de justice — je pense que c'est clair — et la solution doit être multidimensionnelle, comme je le disais dans ma déclaration préliminaire.
     J'aimerais avoir votre avis. Croyez-vous que ce projet de loi va permettre de réduire les taux d'incarcération des Néo-Écossais ou des Canadiens de race noire?
    Comme certains témoins l'ont déjà dit, les auteurs de crimes graves continueront d'aller en prison, mais cela donne aux juges la possibilité d'imposer des peines dans la collectivité à ceux qui n'ont pas besoin d'aller en prison. En particulier, nous savons qu'un Noir en prison n'aura pas accès à des programmes adaptés à sa culture. Il sera plus souvent considéré comme un fauteur de troubles. Il sera classé à risque élevé. Il ne passera pas de là à un endroit où il pourra réussir sa réintégration dans la société.
    Le processus de réintégration devrait commencer dès l'entrée en milieu de détention. L'absence de programmes adaptés signifie qu'il faudra compter davantage sur les ressources communautaires pour avoir une incidence sur la réadaptation. Je pense que c'est la réponse.

  (1700)  

    Pouvez-vous m'en dire un peu plus au sujet des condamnations avec sursis? Un délinquant a besoin d'un toit et d'un peu de soutien. Pouvez-vous me dire ce qui arriverait si cette disposition devait disparaître, j'imagine, avec le rejet du projet de loi? Quelles seraient les conséquences pour un jeune homme noir — ou une femme, d'ailleurs — si on enlevait cette possibilité de détention dans la collectivité lorsque les circonstances s'y prêtent?
    Le meilleur exemple que je peux vous donner est celui de l'affaire Anderson.
     Un jeune homme noir a été arrêté au hasard avec une arme à feu prohibée. Dans son entourage, la violence armée faisait des morts. Il s'est procuré une arme non pas pour commettre des crimes, mais pour se protéger. Dans cette affaire, la juge a convoqué un agent des services correctionnels et lui a demandé ce que le système avait à offrir à ce jeune homme si on l'envoyait en prison. L'agent a témoigné qu'il n'y avait rien d'adapté à ses besoins dans les programmes en place. Par contre, la juge a aussi convoqué des membres de la collectivité pour leur demander ce qui était disponible. Ils ont été en mesure de présenter quelques options de counselling, d'éducation et des programmes de ce genre qui allaient l'aider dans la collectivité.
    La peine minimale obligatoire avait déjà été invalidée, mais sinon, ce jeune homme aurait été emprisonné et n'aurait pas reçu le traitement adapté à sa culture qui s'imposait dans son cas, et le résultat aurait été pire. Encore une fois, cela n'aurait pas servi l'intérêt de la sécurité publique, à mon humble avis.
    Merci beaucoup.
    Mon temps est écoulé.
    Merci, madame Diab.
    Monsieur Fortin, vous disposez de six minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je vais poser mes questions au Dr Robert et ensuite à Mme de Kiewit.
    Docteur Robert, je comprends de votre témoignage que vous seriez en faveur des mesures de déjudiciarisation que l'on prévoit ajouter après l'article 10 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Ces mesures disent que, quand un individu est arrêté avec une quantité de substances qui ne constitue pas du trafic, on peut le diriger vers d'autres ressources, comme un organisme qui va l'aider et traiter sa dépendance à la drogue comme un problème de santé, et non comme un problème judiciaire. Je comprends que vous êtes d'accord sur cette mesure, mais, si ce n'est pas le cas, vous me le direz.
     J'aimerais que vous me parliez plus précisément d'une partie de votre témoignage où vous disiez que ce qu'on ne retrouvait pas dans le projet de loi, c'était une exemption pour les professionnels qui manipulent des drogues au quotidien, non pas pour les consommer ou pour en faire le trafic, mais simplement parce qu'ils travaillent avec quelqu'un qui a un problème de dépendance. Je ne suis pas certain de bien comprendre cela, mais j'aimerais que vous m'en parliez.
     Que visez-vous précisément, docteur Robert?
    Ce que nous visons particulièrement, ce sont les gens qui n'ont pas l'appui de leur profession pour répondre à l'angoisse des consommateurs qui ne veulent pas mourir, mais qui veulent juste arrêter de souffrir. Il y a d'autres professionnels, comme des travailleurs sociaux et des psychologues, qui travaillent avec nous. Surtout, il y a les travailleurs de rue, qui sont en contact direct avec les consommateurs sur les lieux. C'est grâce à la confiance qu'on a pu installer avec eux qu'ils nous apportent tous les jours des résidus à analyser avec eux pour que nous transmettions ensuite l'information rapidement. C'est le nerf de la guerre pour éviter les morts et les intoxications.
    Or, dans ces autres milieux professionnels, et même dans celui des médecins, les gens ont très peur de se faire prendre et de se faire arrêter. Il s'agit donc de reconnaître que les professionnels, qui ne sont pas seulement des médecins, qui œuvrent auprès des personnes qui consomment de la drogue ont besoin de se sentir protégés, ne serait-ce qu'en vertu de la loi du bon samaritain, par exemple.
    Sans vouloir trahir votre âge, je comprends que vous en avez vu d'autres, puisque vous avez dit pratiquer dans ce domaine depuis de nombreuses années.
    À votre connaissance, est-il fréquent que des travailleurs de rue ou des travailleurs sociaux aient à manipuler des drogues non pas pour la consommer ou en faire le trafic, mais simplement pour apporter leur aide?

  (1705)  

    Voilà, vous avez bien compris. Ces personnes se sentent menacées, et les échos qu'elles entendent de la société sont qu'elles pourraient se faire prendre. En ce sens, je vis moi-même de la stigmatisation systématique de la part de mes collègues. Quand ils savent que je soigne des gens qui consomment des drogues, ils ont l'air surpris que je m'occupe de « ce monde-là ». C'est de la stigmatisation.
    Je vous remercie, docteur Robert.
    J'aimerais maintenant m'adresser à Mme de Kiewit.
    Dans son introduction, le Dr Robert disait que certaines personnes qui ont des dépendances aux drogues se traitaient elles-mêmes lorsqu'elles éprouvent des problèmes de santé. Je ne suis pas certain de la nature des traitements ou de la façon d'interpréter cela.
    J'aimerais donc entendre votre point de vue sur cette question.
    En effet, il existe de nombreuses raisons de consommer des drogues. Je suis moi-même une utilisatrice de drogues. Je suis aussi intervenante de première ligne depuis plus de 10 ans dans la résolution des méfaits et en travail de rue. Je viens d'une bonne famille. Ma première expérience avec les drogues remonte à l'époque du collège. J'ai commencé à consommer de la drogue pour certaines raisons et j'en consomme encore. J'ai rencontré dans le cadre de mon travail des personnes qui ont commencé à consommer à la suite d'un accident, par exemple.
    Cependant, plusieurs personnes utilisatrices de drogues se rendent à l'hôpital pour des douleurs en particulier et ne reçoivent pas le traitement dont elles ont besoin pour soulager la douleur lorsqu'on apprend qu'elles ont déjà été traitées avec des médicaments antidouleur ou utilisé des drogues. Pourtant, elles ne se rendent pas à l'hôpital pour aller en désintoxication, mais pour se faire traiter pour un problème de santé qui peut être très urgent. C'est souvent dans de telles circonstances que ces personnes se tournent vers le marché noir pour acheter des substances qui les aident à se sentir bien, à continuer de travailler, ainsi qu'à pouvoir continuer de contribuer à la société.
    Il nous reste quelques secondes.
    Quel effet une accusation pour possession de drogues pour consommation personnelle a-t-elle sur l'état de santé d'une personne?
    Cela a une foule d'effets sur son état de santé. Quant à moi, j'ai un dossier criminel à cause de cela, ce qui m'enlève l'accès à bien des choses. Pourtant, cela fait plus de 10 ans que je contribue à la société et que je travaille très fort. Je siège à des conseils d'administration et j'accomplis beaucoup de choses pour ma communauté.
    En ce qui a trait à la santé, les utilisateurs de drogues sont en danger. Avec la crise des opioïdes, je perds des personnes toutes les semaines. Hier, j'ai appris le décès d'une amie qui a dû acheter des médicaments antidouleur sur le marché noir.
    Je vous remercie, madame de Kiewit.

[Traduction]

     Merci, monsieur Fortin.
    C'est votre tour, monsieur Garrison, pendant six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'aimerais poursuivre avec Mme de Kiewit.
    Nous parlons ici du projet de loi C‑5, mais il y en a un autre à l'étude au Parlement. C'est le projet de loi d'initiative parlementaire C‑216, qui propose de supprimer non pas les peines minimales obligatoires, mais l'infraction de possession personnelle de drogues, et d'établir un régime d'approvisionnement sécuritaire.
    Je ne sais pas si vous avez vu ce projet de loi, mais ma question pour vous est évidente. Devant la crise des opioïdes, n'avons-nous pas besoin de beaucoup plus que ce que contient le projet de loi C‑5?
    Vous avez raison. Je fais partie de l'association canadienne des personnes qui utilisent des drogues et, à ce titre, de la Communauté de pratique nationale sur l'approvisionnement plus sécuritaire.

[Français]

    En effet, il faut vraiment aller beaucoup plus loin que ce que fait ce projet de loi. Il nous faut un ensemble de pratiques et de politiques pour cesser d'accuser criminellement les personnes qui utilisent des drogues. Nous voulons ainsi non pas décriminaliser la drogue, mais bien éviter d'accuser criminellement les personnes qui la consomment. Ces personnes pourraient être votre mère, votre père, votre frère, votre sœur, et ainsi de suite.
    Les médias montrent souvent ce qui frappe le plus, comme les personnes itinérantes ou celles qui ont de gros problèmes. Moi, je travaille tous les jours, mais je vais peut-être me faire une injection d'héroïne en fin de semaine. Cela n'est pas intéressant, mais cela fait partie de ma vie. Je suis en danger et je sais que je suis à risque de surdose également. Beaucoup de mesures autres que le projet de loi sont donc nécessaires.
    Je vous remercie.

[Traduction]

     Merci.
    Je sais que nous avons très peu de temps aujourd'hui. J'aimerais revenir un instant à M. Rolle.
    Dans le projet de loi C‑5, on propose d'accroître le pouvoir discrétionnaire de la police et des procureurs dans les cas de possession personnelle de drogues en petites quantités. Compte tenu du racisme systémique et en l'absence d'une réforme sérieuse de la police, je me demande si vous avez des préoccupations au sujet de cette augmentation du pouvoir discrétionnaire et de la façon dont il serait appliqué.

  (1710)  

     Je pense qu'il y a lieu d'accroître le pouvoir discrétionnaire. La reddition de comptes devient importante lorsqu'on parle d'user du pouvoir discrétionnaire, alors le fait que la conservation des données soit facultative peut poser un problème. Je pense que c'est un pas en avant, mais peut-être pas assez.
    La question qui s'ensuit est de savoir qui a accès aux données lorsqu'on parle de recourir aux renvois ou aux avertissements de la police. J'aimerais beaucoup qu'il y ait un cadre national pour recueillir des données ventilées en fonction de la race, ce qui dépasse peut-être la portée du projet de loi, mais oui, c'est une préoccupation. Le pouvoir discrétionnaire de la police et celui de la Couronne sont deux des plus grands pouvoirs qui peuvent s'exercer dans le système de justice, alors je pense qu'il faut certains mécanismes de reddition de comptes lorsqu'on envisage d'y recourir.
    Savez-vous s'il y a des publications ou des études qui traitent actuellement du recours à ce pouvoir discrétionnaire? Je pose la question parce que je n'ai pas vu beaucoup de travaux à ce sujet.
    Non. Je sais que, par endroits, on se bat pour que soit normalisée la collecte de données ventilées en fonction de la race. En ce qui concerne les points d'entrée des données, il s'agit habituellement des postes de police ou des établissements correctionnels, alors je pense que nous passons à côté de tout un segment en ne permettant pas aux gens de s'identifier eux-mêmes au palais de justice ou en n'obligeant pas les avocats à donner à leurs clients la possibilité de le faire.
    En ce qui concerne le recours au pouvoir discrétionnaire de la police pour les avertissements ou les renvois à la justice réparatrice, je ne peux pas dire que j'ai vu beaucoup de travaux à ce sujet non plus.
    Ma dernière question ressemble un peu à celle que je viens de poser au témoin du Dispensaire. Croyez-vous que le projet de loi C‑5 constitue une réponse assez forte au racisme systémique qui existe dans le système de justice?
    Non, mais je pense qu'il fait partie de la réponse. Il faut plus d'interventions en amont, mais ce projet de loi apporte certainement un élément de réponse. Le problème est tellement complexe que nous n'allons pas le régler simplement à l'étape de l'imposition des peines, mais cela ne nous libère pas de l'obligation d'intervenir à cette étape parce que c'est la liberté des gens qui est en jeu. En ce sens, j'appuie le projet de loi.
    Je pense qu'il y a encore beaucoup de travail à faire dans tout le système. Par exemple, j'aimerais bien que l'alinéa 718.2e) du Code criminel reconnaisse expressément les Noirs pour mieux ancrer l'idée que nous allons nous attaquer à la surreprésentation carcérale de façon très précise et très ciblée, mais ce projet de loi fait partie de la solution.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Garrison.
    Monsieur Morrison, vous disposez de cinq minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci à tous les témoins présents aujourd'hui.
    Monsieur Barnum, j'ai quelques questions à vous poser. Il est intéressant de vous entendre parler du tabac de contrebande alors que beaucoup de gens ici doivent se dire: « Et puis après? Est‑ce que c'est vraiment un problème? » Il y a quelques années, quand j'étais dans les forces de l'ordre et que je travaillais sur une affaire de tabac illégal, je pensais la même chose. Je me demandais si c'était vraiment un problème, jusqu'à ce que j'aie affaire aux gangs et au crime organisé. C'est là que l'on comprend ce qui se passe. Je suis certain que beaucoup de gens qui nous écoutent seront surpris d'entendre où peut mener la contrebande de tabac.
    Étant donné que vous avez eu affaire au problème beaucoup plus récemment que moi, j'aimerais savoir comment vous voyez les choses se dérouler maintenant que nous savons qu'il ne s'agit pas seulement de tabac, mais de toutes sortes de drogues illicites, que ce soit la méthamphétamine en cristaux, la cocaïne ou peu importe. Cela fait partie de la grande criminalité organisée, de l'activité des gangs et des fusillades qui éclatent partout. Je pourrais parler aussi de la crise des opioïdes, qui en est une conséquence.
    Qu'est‑ce que vous constatez de par votre expérience lorsque les choses déraillent? Quelles sont les conséquences, les victimes? Qu'est‑ce qui arrive au bout du compte?
     Étrangement, le problème du tabac de contrebande peut sembler unique, mais il ne l'est pas. Ce que je veux dire, c'est que la contrebande de tabac est extrêmement rentable pour les groupes du crime organisé au Canada, et c'est un problème canadien. Quatre-vingt-dix pour cent du tabac de contrebande que nous saisissons au Canada vient de l'Ontario. Ce n'est pas quelque chose qui arrive dans nos ports et qu'on cache quelque part ni rien de ce genre.
    La plupart des groupes criminels impliqués font partie du crime organisé canadien. Ils vendent le tabac de contrebande dans les collectivités canadiennes. L'argent qu'ils en retirent sert à financer toutes sortes d'activités criminelles, comme celles dont nous parlons aujourd'hui. Je sais très bien de quoi on parle. Je l'ai entendu pendant les 20 dernières années de ma carrière. Je ne suis pas ici pour en parler du point de vue d'un policier, mais c'est tout lié aujourd'hui à la contrebande de tabac.
    Dans les 10 dernières années, je ne me souviens pas d'une seule personne d'importance que nous ayons arrêtée ou accusée de contrebande de tabac et qui était associée spécifiquement à un groupe racial ou à une quelconque communauté ethnique. Dans 90 % des cas, c'étaient des figures de proue du crime organisé et c'étaient des Blancs. C'est à eux que nous avons affaire ici.
    En ce qui concerne le tabac de contrebande, je vous demanderais de ne pas simplement le balayer du revers de la main avec tout ce que le projet de loi C‑5 cherche par ailleurs à accomplir, ce à quoi je ne m'oppose pas. Cependant, le problème est unique du fait que le crime organisé garde l'œil sur le tabac de contrebande, comme sur la cocaïne et le fentanyl et toutes ces autres substances dont nous parlons aujourd'hui, et qu'il s'en sert pour gagner des millions de dollars à ses propres fins.

  (1715)  

    J'aimerais bien qu'on m'en parle un peu d'un point de vue policier, mais nous... C'est un des principaux problèmes que nous essayons de régler, le crime organisé et l'activité des gangs, surtout la violence armée et les plaies béantes qu'elle peut laisser dans une collectivité. Peu importe qui est impliqué ici. Il y a des fusillades et des jeunes gens, et il me semble que si vous nous parliez de votre expérience de policier...
    La sonnerie se fait entendre. Avons-nous le consentement unanime pour nous rendre jusqu'à 17 h 30, après quoi nous aurons le temps de nous rendre en personne... non. Je vois un « non », alors malheureusement, nous devons nous arrêter ici. Nous n'avons pas le consentement unanime pour nous rendre jusqu'à 17 h 30.
    Je tiens à remercier tous les témoins des propos éclairants qu'ils nous ont offerts aujourd'hui. C'est une étude importante.
    Nous reprendrons nos travaux vendredi.
    Merci. La séance est levée.
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