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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 023 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 4 octobre 2016

[Enregistrement électronique]

  (1305)  

[Français]

[Traduction]

    Bienvenue à l'étude que nous effectuons actuellement sur les violations des droits de la personne au Burundi.
    Nous recevons trois témoins experts, dont deux, Ketty Nivyabandi et Jacqueline Hansen, représentent Amnistie internationale. En outre, Pacifique Manirakiza, professeur de droit à l'Université d'Ottawa, témoigne à titre personnel.
    Je crois comprendre que la greffière vous a donné quelques instructions sur votre exposé et sur le temps dont vous disposez.
    Je pense que c'est vous qui commencerez, Jacqueline. Vous avez la parole, madame Hansen. Commencez votre exposé.
    Nous avons l'honneur de compter parmi nous aujourd'hui une experte de la situation des droits de la personne au Burundi. Je vous présenterai brièvement Ketty, puis je lui céderai la parole.
    Bonjour et merci de nous donner l'occasion de nous adresser au Sous-comité des droits internationaux de la personne dans le cadre de son étude sur la situation des droits de la personne au Burundi.
    Après une période de répression ouverte au cours de la deuxième moitié de 2015, durant laquelle des corps ont été découverts presque quotidiennement dans les rues de Bujumbura, la crise au Burundi a entamé une nouvelle phase de violence moins flagrante, accompagnée d'un climat de crainte qui s'est emparé de la capitale et du reste du pays.
    Au regard des graves violations des droits de la personne dont ce pays est le théâtre, Amnistie internationale demande au Canada de maintenir et de renforcer la surveillance de la situation au Burundi.
    Nous avons l'honneur de compter parmi nous aujourd'hui Ketty Nivyabandi, défenseur des droits de la personne des femmes du Burundi, ancienne journaliste et poète, qui parlera au nom d'Amnistie internationale. Ketty est arrivée récemment au Canada à titre de réfugiée. Elle vit maintenant à Ottawa avec ses filles, et elle peut, d'expérience, parler de la situation des droits de la personne au Burundi et de ses répercussions sur les femmes et les filles.
    Je vous cède la parole, Ketty.
    Merci, monsieur le président, de m'offrir l'occasion de parler au Comité d'une question très sérieuse: le Budundi.
    Je commencerai par un survol de la situation des droits de la personne.
    Amnistie internationale continue de recevoir régulièrement des signalements de graves violations des droits de la personne, notamment des meurtres, des disparitions forcées, des arrestations arbitraires, des détentions illégales, des actes de torture et d'autres mauvais traitements. Les gens continuent de fuir le Burundi, plus de 300 000 réfugiés ayant maintenant cherché la protection de pays voisins.
    Comme le Haut-Commissariat aux droits de l'homme l'a indiqué, le recours à la torture et à d'autres sanctions ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a considérablement augmenté au Burundi dans la foulée de la crise politique actuelle.
    Amnistie internationale a observé des actes de torture et d'autres mauvais traitements de la part des services de renseignements nationaux et de la police, ainsi que des violences commises par des membres des Imbonerakure, l'aile jeunesse du parti au pouvoir. Ces jeunes lancent des injures; battent les gens avec des branches, des barres de fer et des matraques; piétinent leurs victimes; suspendent des poids à leurs testicules; les forcent à s'asseoir dans de l'acide; les menacent de mort et leur refusent des soins médicaux. Des victimes ont également affirmé avoir reçu des décharges électriques et s'être fait verser de l'eau dans les oreilles.
    Les Imbonerakure continuent d'infliger des sévices graves aux gens, et Amnistie internationale reçoit encore des témoignages faisant état de leur présence lors d'arrestations et des campagnes d'intimidation qu'ils mèneraient contre ceux qui refusent de s'allier au parti au pouvoir, campagnes au cours desquelles ils battent, tuent et menacent de tuer des gens. Des réfugiés affirment que les Imbonerakure ont battu des gens qui fuyaient le Burundi pour se réfugier en Tanzanie. Des réfugiés auxquels Amnistie internationale a parlé, nombreux sont ceux qui ont indiqué que la peur et l'intimidation de la part des Imbonerakure figuraient parmi les raisons pour lesquelles ils avaient quitté le pays.
    La société civile et les médias indépendants, qui faisaient autrefois contrepoids au gouvernement, ont été décimés et continuent de faire l'objet d'attaques. Ces derniers mois, des journalistes burundais, des membres de la société civile et des écoliers ont été arrêtés pour avoir exercé leur droit de liberté d'expression. Même ceux qui se trouvent à l'extérieur du pays continuent d'être la cible de représailles. En juillet, un procureur burundais a réclamé la radiation de quatre avocats ayant contribué au rapport de la société civile destiné au Comité des Nations unies sur la torture avant que ce dernier ne procède à son examen du Budundi.
    J'ai vécu cette répression de l'activisme pacifique de la société civile. En mai 2015, j'ai mené des centaines de femmes dans les rues de Bujumbura lors d'une marche pacifique contre le troisième mandat du président. Ces femmes de tout âge qui marchaient pacifiquement, mouchoir blanc à la main, ne présentaient aucune menace et exerçaient leur droit constitutionnel de liberté de regroupement. La police nationale a pourtant employé des gaz lacrymogènes et des canons à eau — habituellement réservés aux foules imposantes et violentes — contre nous. Certaines femmes ont été blessées et se sont écroulées dans la rue alors que la police continuait de nous harceler pendant des heures.
    Peu après, quand la police a commencé à arrêter et à réduire au silence systématiquement toutes les principales voix dissidentes, j'ai été obligée de me cacher et de quitter le Burundi. Bien des femmes avec lesquelles j'ai manifesté pacifiquement n'ont pas été aussi chanceuses. Christa Bénigne Irakoze, mère d'un garçon de cinq ans, manque à l'appel depuis le 29 décembre. La dernière fois où on l'a vue, elle se faisait arrêter à Bujumbura par un membre des forces armées. Même si on ignore toujours où elle se trouve, des témoins ont affirmé qu'elle a été détenue, torturée et violée avant d'être exécutée. Les femmes et les filles continuent d'être victimes d'enlèvements et de violence sexuelle, y compris de viols collectifs, quand elles se trouvent au Burundi et lorsqu'elles fuient le pays.
    Les victimes de violations des droits de la personne au Burundi continuent d'éprouver de la difficulté à accéder à la justice. Le journaliste Esdras Ndikumana a été détenu et torturé pendant plusieurs heures en août 2015 après avoir été arrêté sur la scène du meurtre du général Adolphe Nshimirimana, où il s'était rendu pour effectuer un reportage. Malgré un communiqué promettant une enquête émis par le cabinet du président, peu de progrès ont été réalisés dans cette affaire.

  (1310)  

    En octobre 2015, Esdras Ndikumana a déposé une plainte officielle devant la Cour suprême contre des agents des services de renseignements, sans toutefois préciser leurs noms, et le procureur lui a demandé de fournir le nom de ceux qui l'avaient battu avant de lancer l'enquête.
    L'affaire Esdras Ndikumana illustre les obstacles qui se dressent devant ceux qui veulent obtenir justice dans des cas de torture au Burundi, même quand la victime réclame justice de façon proactive et a des engagements officiels de l'instance supérieure du gouvernement.
    Au regard de cette absence de vérité, de justice et de dédommagement en cas de violations graves des droits de la personne, il est essentiel que des observateurs internationaux et régionaux assurent la surveillance et fassent des rapports publics. Outre la surveillance constante des observateurs des Nations unies et de l'Union africaine, dont environ le tiers des 200 observateurs des droits de la personne et experts militaires autorisés sont en poste jusqu'à présent, plusieurs autres missions d'enquête ont été réalisées, notamment l'enquête indépendante menée récemment par les Nations unies sur le Burundi et une mission d'enquête de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, qui a visité le pays en décembre 2015. Il faut faire fond sur ces initiatives importantes.
    Malheureusement, les mesures prises jusqu'à présent semblent avoir déplacé, plutôt que découragé, les violations des droits de la personne, comme le montre clairement la nouvelle tendance troublante de disparitions forcées menant à des exécutions extrajudiciaires et à la découverte subséquente de corps dans les rues. Il faut réagir plus énergiquement pour juguler la tendance actuelle au chapitre des violations. Il faudrait notamment accroître la capacité de réunir de l'information sur place afin de veiller à ce que les victimes obtiennent justice. L'adoption, la semaine dernière, d'une résolution du Conseil des droits de l'homme des Nations unies afin de mettre sur pied une commission d'enquête pour se pencher sur les violations des droits de la personne au Burundi depuis avril 2015 avec toutes les ressources nécessaires — dont des experts en balistique, en médecine légale, en violence sexuelle et en violence fondée sur le sexe — constitue un exemple concret des initiatives qu'il faut prendre pour réagir plus fermement aux violations des droits de la personne au Burundi.
    Je conclurai maintenant mon propos avec quelques recommandations d'Amnistie.
    À mesure que le Sous-comité progresse dans son étude de la situation des droits de la personne au Burundi, Amnistie internationale presse le Canada de formuler les recommandations suivantes aux autorités burundaises: respecter les droits de liberté d'expression, de regroupement et d'association; ratifier et mettre en oeuvre entièrement la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées; mettre en oeuvre le protocole optimal de la convention contre la torture, notamment l'établissement d'un mécanisme national indépendant, efficace et doté de bonnes ressources pour prévenir la torture; réaliser des enquêtes impartiales et indépendantes sur tous les incidents de meurtres ciblés, de disparitions forcées, d'arrestations arbitraires, de détention illégale, de torture et d'autres mauvais traitements, et faire en sorte que ceux jugés responsables de ces actes aient à rendre des comptes lors de procès équitables; et collaborer pleinement avec la commission qui procédera à une enquête exhaustive des violations des droits de la personne au Burundi depuis avril 2015 afin de permettre à ses membres de jouir d'un accès total et sans entrave.
    Nous encourageons enfin le Canada à collaborer avec les autres gouvernements pour veiller à ce que les droits des activistes pacifiques de la société civile du Burundi soient respectés, protégés et exercés pleinement. À cette fin, il devrait appuyer activement la société civile, publiquement lorsque les activistes le réclament; chercher à avoir accès aux prisons; surveiller les procès; fournir du soutien financier aux défenseurs des droits de la personne; et réagir promptement quand des activistes doivent quitter le pays d'urgence.

  (1315)  

    Il faudrait appuyer fermement les activités d'activistes particulièrement marginalisés, notamment les défenseurs des droits des femmes, des lesbiennes, des gais, des bisexuels, des transgenres et des intersexués.
    Merci de l'intérêt que vous portez à la situation des droits de la personne au Burundi.

[Français]

     Merci beaucoup, madame Nivyabandi.
    Nous passons maintenant à monsieur Manirakiza.

[Traduction]

    Vous pouvez faire votre exposé.

[Français]

    Mesdames et messieurs les membres du Sous-comité des droits internationaux de la personne, permettez-moi d'abord de vous remercier de m'avoir invité à comparaître devant cette assemblée. Je voudrais également vous remercier d'avoir pris le temps de vous pencher sur la situation des droits de la personne au Burundi, que j'estime être une initiative très louable et qui va éventuellement contribuer à résoudre la crise qui se vit actuellement au Burundi.
    Je dois dire, d'emblée, que la situation des droits de la personne au Burundi est très préoccupante. Néanmoins, avant d'en parler en long et en large, j'estime quand même qu'il est très important — dans le souci de permettre aux membres de ce comité d'avoir une compréhension profonde de la situation et d'avoir aussi des informations qui facilitent la lecture de cette situation —, de contextualiser la situation actuelle.
     Depuis son indépendance en 1962, le Burundi a connu des crises cycliques qui se sont traduites par des violations massives et systématiques des droits de la personne. Cela a été le cas en 1965, en 1969, en 1972, en 1988, en 1993 et durant les années qui ont suivi. Certains de ces épisodes ont été caractérisés par la perpétration de crimes tellement graves que certaines autorités les ont qualifiés de crimes contre l'humanité, de crimes de génocide ou de crimes de guerre. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle les négociateurs des accords de paix d'Arusha ont abouti, et j'ai eu l'honneur de faire partie de ces personnes à l'époque.
    Bien que tous ces épisodes aient fait des victimes parmi les deux grandes composantes de la population burundaise, les Hutus et les Tutsis, il est généralement admis que les Hutus étaient en grande majorité les victimes de ces différentes atrocités dont le paroxysme a été atteint en 1972. En dépit de l'ampleur des violations des droits humains que le Burundi a connues durant les différents épisodes que j'ai énumérés plus tôt, il est important de signaler que les crimes qui en ont découlé sont restés totalement impunis. Les victimes n'ont jamais obtenu justice et leurs ressentiment, griefs et frustrations n'ont jamais été apaisés, essentiellement parce que les institutions qui sont chargées d'assurer la protection des droits de la personne avaient démissionné de leur mission et étaient instrumentalisées par le pouvoir.
     Il importe de souligner que cette impunité des crimes du passé est devenue, depuis lors jusqu'à aujourd'hui, un encouragement à la perpétration des crimes, puisque les auteurs savent qu'ils ne seront pas inquiétés par la justice. Il est donc très important de garder en perspective le phénomène de l'impunité qui, selon moi, constitue un facteur très déterminant qui justifie ce qui se passe actuellement, en dépit, bien sûr, de la dénonciation et de la condamnation des crimes qui se commettent.
    En août 2000, les protagonistes politiques ont adopté l'accord d'Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi. Cet accord a eu le mérite de consacrer le partage du pouvoir entre les grandes composantes de la population, à savoir les Hutus et les Tutsis. Mais il faut également signaler que l'accord a consacré le principe de l'inclusion des groupes qui étaient marginalisés jusque là, à savoir les femmes et la communauté des Batwa. En plus, cet accord avait jeté les jalons d'une injustice transitionnelle qui aurait eu pour effet de permettre la reddition des comptes des responsables des crimes du passé mais, malheureusement, on se rend compte que le système de justice transitionnelle est en panne, est en manque de vitesse.
    Grâce à cet accord et à d'autres accords supplémentaires qui ont été signés par la suite avec les groupes armés, des élections avaient pu être organisées en 2005 et ensuite en 2010. En plus, les organes de sécurité ont été réformés et restructurés selon les termes de l'accord d'Arusha avec une parité au niveau de la représentativité de chaque ethnie dans ces corps. Également, les équilibres ont été établis au chapitre de l'administration, au point que 60 % de postes sont pourvus par les Hutus tandis que 40 % des postes sont pourvus par les Tutsis. Ces équilibres restent largement respectés aujourd'hui, bien que le gouvernement actuel veuille contester l'accord d'Arusha en tant que tel. Alors, quelle est la situation actuelle?

  (1320)  

     Elle est, comme je l'ai dit, très préoccupante. Plusieurs sources d'information concordantes, dont Amnistie internationale; d'autres organisations intergouvernementales comme l'Union africaine, surtout la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples; et l'Organisation des Nations unies, ont mené des enquêtes qui concourent à une même conclusion. Des violations graves et systématiques des droits de la personne se passent aujourd'hui. Des gens sont exécutés sommairement, sans aucun semblant de justice. Ils sont torturés — Mme Nivyabandi en a déjà parlé en long et en large. Les gens sont enlevés et disparaissent.
    En même temps, il faut aller au-delà de la question des droits civils et politiques pour aussi s'interroger sur la question des droits socioéconomiques. Les droits socioéconomiques ne sont pas du tout en reste. Par exemple, récemment, près de 80 000 écoliers ont été chassés du système d'enseignement parce qu'ils n'ont pas réussi le test d'avancement au second cycle de l'enseignement fondamental. Ils n'ont pas la possibilité de reprendre l'année. C'est une violation importante du droit à l'éducation pour ces enfants.
    Il est important de signaler que la situation actuelle des droits de la personne découle en réalité de la contestation du troisième mandat du président de la République, Pierre Nkurunziza. Aussitôt que sa candidature a été annoncée, en avril 2015, les gens, essentiellement de la capitale de Bujumbura, sont descendus dans les rues pour manifester contre cette décision. Réagissant à ce soulèvement soudain et pour le moins inusité dans le contexte de l'apprentissage démocratique au Burundi, la police a fait usage d'une force parfois excessive contre les manifestants. On peut aussi déplorer certains des actes, des bavures, qui ont été commis par les manifestants.
    Par ailleurs, les choses se sont compliquées essentiellement à partir du 13 mai 2015 avec la tentative de coup d'État qui a échoué. À partir de ce moment, le gouvernement a durci son ton et a commencé à réprimer toutes les personnes associées de près ou de loin aux manifestations. Il a amalgamé le coup d'État manqué et les manifestations qui avaient eu lieu précédemment. Le gouvernement a savamment essayé de démontrer qu'en réalité il existait un lien entre les manifestations et le coup d'État manqué, mais ce lien n'a pas été établi, à mon sens.
    Du côté du gouvernement — comme dans le cas de la plupart des gouvernements qui agissent de cette façon —, on invoque le paradigme de la loi et de l'ordre pour traquer les manifestants. Ils ont été traités d'insurgés ou de terroristes. Ceci est très important parce que le gouvernement s'est donné une sorte de justification juridique pour agir contre ces gens. Parfois, le gouvernement n'hésite pas à invoquer l'exemple de qui se passe ailleurs en disant que, même ailleurs, c'est justifié de prendre des mesures extrêmes contre les terroristes.

  (1325)  

     Cependant, à y regarder de près, la chasse à l'homme visait essentiellement les opposants politiques et les membres de la société civile, qui se sont ouvertement opposés au projet du troisième mandat.

[Traduction]

    Vous avez déjà légèrement dépassé le temps qui vous était accordé, mais je constate que votre exposé achève bientôt.

[Français]

    J'ai soumis un texte écrit au Sous-comité, mais je m'en voudrais de ne pas insister sur quelques éléments qui, d'après moi, sont très importants dans le cadre de cet exercice. Je voudrais surtout vous appeler à la prudence, quand vous traitez de la question burundaise.
    Parlons de la nature de la question burundaise. Il y a des analyses simplistes qui présentent le problème burundais comme étant un problème ethnique, donc qui oppose essentiellement les Hutus et les Tutsis. Eh bien, ce n'est pas le cas. La situation au Burundi est plus complexe que cela.
    Il y a plein de Tutsis qui sont associés au gouvernement en place. Dans l'opposition et dans la société civile, il y a des Hutus et des Tutsis qui font cause commune pour s'opposer au troisième mandat et à ses conséquences. Donc, la situation est plus complexe que cela.
    J'aurais aimé parler des possibilités d'intervention du Canada, mais comme je viens de le dire, j'ai soumis un texte à l'attention du Sous-comité. J'aurai probablement l'occasion d'en parler en répondant à des questions.

  (1330)  

    Merci, monsieur Manirakiza.

[Traduction]

    Je pense que vous constaterez que vous pourrez aborder certains points dont vous vouliez parler quand la période de questions commencera.
    Nous accorderons d'abord la parole à M. Anderson pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    De façon générale, les gens pensent que la crise a débuté en avril 2015, mais je pense que dès 2013, certains indices montraient que le gouvernement tentait de modifier les conditions de l'accord d'Arusha dans la constitution, essayant ainsi de renforcer le pouvoir de l'exécutif.
    Ma question s'adresse à vous deux. Aurions-nous dû voir cette crise venir? Dans l'affirmative, qu'aurions-nous pu faire? Quelles leçons pouvons-nous tirer pour l'avenir? La même chose s'est produite ailleurs dans la région. Aurions-nous dû savoir que cette crise se préparait et intervenir plus énergiquement depuis le début?
    Certainement. Je pense que cette crise aurait pu être évitée en intervenant bien plus tôt. Comme vous l'avez indiqué, des tentatives avaient été faites pour modifier la constitution avant 2015. En outre, le gouvernement au pouvoir depuis 10 ans avait déjà tendance à violer les droits de la personne et ne semblait pas avoir l'intention de respecter la diversité politique. Je pense que la communauté internationale a exercé des pressions considérables sur le gouvernement juste avant avril 2015 pour convaincre le président Nkurunziza de ne pas briguer un autre mandat. Beaucoup d'efforts ont été déployés sur le plan diplomatique. Peut-être aurait-on pu agir avec plus de fermeté.
    De plus, la réaction semble tardive. Nous commençons maintenant à observer une réaction, mais selon moi, on ne porte pas assez attention à la crise. Si on avait réagi dès que le gouvernement a tenté de modifier la constitution, la situation aurait pu être différente. Par exemple, immédiatement après que le président eut annoncé qu'il se portait candidat, cette candidature a été soumise à l'examen de la cour constitutionnelle. Le vice-président de cette cour a quitté le pays — comme on peut le lire dans le rapport des Nations unies, que vous devriez pouvoir consulter — et a évoqué les pressions extrêmement fortes que les juges ont subies pour autoriser le président à se présenter. C'était là une grosse sonnette d'alarme qui aurait dû susciter une réaction à ce moment.
     La réponse brève est: oui.
    Merci.
    Répondez brièvement, je vous prie. J'ai une ou deux autres questions.
    Je répondrai brièvement, oui.

[Français]

     Effectivement, on a vu la crise venir. Il y avait des signes avant-coureurs de cela, notamment dans les déclarations qui étaient faites par les responsables du parti au pouvoir, à l'égard justement des comportements en termes de respect des droits de la personne. Qu'est-ce qui aurait pu être fait pour éviter cette situation ou, alors, qu'est-ce qui pourrait être fait pour éviter qu'il y ait d'autres crises dans le futur?
    J'ai mentionné l'accord d'Arusha qui est, en fait, le socle ou la pâte de la pizza de la paix burundaise, si vous voulez bien. Si les dispositions de cet accord avaient été mises en oeuvre conformément à ce qui y est prescrit, avec l'assistance de la communauté internationale qui avait pris l'engagement de garantir moralement la mise en oeuvre de cet accord, on ne se retrouverait pas dans la situation actuelle.
    Tout cela pour dire que, quelle que soit la résolution que vous allez prendre et quelles que soient les autres mesures qui seront prises par l'ONU ou l'Union africaine, s'il n'y a pas de suivi soutenu de la part de la communauté internationale, les risques sont là.

  (1335)  

[Traduction]

    Merci.
    Nous nous trouvons maintenant devant une situation au sujet de laquelle les Nations unies ont préparé un rapport. Le Conseil des droits de l'homme a voté la mise sur pied d'une commission d'enquête, une initiative qui ne recueille pas l'approbation du gouvernement du Burundi. Son porte-parole a indiqué que le rapport avait été rédigé expressément pour déstabiliser la nation burundaise, tout en ajoutant que le gouvernement continuerait de collaborer avec la communauté internationale, particulièrement avec les Nations unies.
    Je me demande si vous avez des réflexions à ce sujet. Cette commission d'enquête peut-elle réussir? Si ce n'est pas le cas, sera-t-elle au moins autorisée à faire son travail? Que faudra-t-il faire pour exercer des pressions efficaces sur ce gouvernement pour le faire changer d'attitude?
    Je pense que la situation ne fait que montrer davantage à quel point il est difficile d'obtenir la collaboration du gouvernement du Burundi, qui est dans une position défensive. Il s'érige en victime d'une conspiration internationale et a rejeté l'enquête et bien d'autres initiatives. Voilà qui pose un défi à la commission d'enquête, mais je ne pense pas qu'il soit absolument impossible qu'elle réussisse quand même à rédiger des rapports crédibles et à mener une enquête crédible. Il faudrait continuer d'exercer des pressions sur le gouvernement pour qu'il collabore avec cette commission d'enquête, et il existe, selon moi, bien des façons de s'y prendre pour le faire.
    Il est étonnant que ce même gouvernement fasse encore partie du Conseil des droits de l'homme à Genève, même si on a la preuve criante de ses exactions contre ses citoyens.
    Il faut exercer davantage de pressions et ne surtout pas croire que l'affaire est résolue avec la mise sur pied de la commission d'enquête. Il faut exercer plus de pressions que jamais sur le gouvernement, et c'est peut-être à cet égard que le Canada peut donner l'exemple.
    Je tiens à saluer la bravoure dont vous avez fait preuve en participant à la manifestation. Le Comité est sensible à ce courage et c'est pourquoi il souhaite vous honorer.
    Merci beaucoup. De nombreuses autres femmes ont fait preuve du même courage.
    Vous avez affirmé qu'il faut colliger davantage de renseignements sur la situation. Avez-vous des suggestions sur la manière dont nous pourrions nous y prendre?
    Oui. Je pense qu'il faut offrir beaucoup de soutien. Bien entendu, la plupart des membres de la société civile ont fui le pays; il est donc très difficile d'obtenir des renseignements crédibles sur place. Il reste toutefois quelques organisations locales qui s'activent dans des conditions difficiles, ainsi qu'une poignée de journalistes qui travaillent clandestinement.
    Il faut offrir davantage de soutien au Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies au Burundi et aux quelques organisations de la société civile qui restent pour leur permettre d'accomplir leur travail. Ce serait un domaine d'intervention crucial, selon moi.
    Merci beaucoup. C'est tout le temps que nous avons pour cette intervention.
    Madame Khalid.
    Merci beaucoup. Je remercie les témoins de comparaître et d'avoir présenté leurs exposés.
    Madame Nivyabandi, votre bravoure mérite des félicitations et des remerciements.
    Merci.
    Je veux commencer en parlant brièvement de la Cour pénale internationale, laquelle a, comme nous le savons, entamé un examen préliminaire des violations des droits de la personne au Burundi. Je me demande si et comment le Canada pourrait appuyer cette enquête.

[Français]

     Il faudrait lier cette question à la question précédente sur la commission d'enquête qui vient justement d'être décidée par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme.
    L'attitude du gouvernement actuel n'est pas inusitée à l'échelle internationale. Souvenez-vous que le même conseil avait mis en place une commission d'enquête pour la Syrie et une commission d'enquête sur l'Érythrée. Ces gouvernements n'ont jamais daigné coopérer avec ces commissions d'enquête. Mais ces commissions d'enquête ont tout de même fonctionné sur la base des informations en provenance de la diaspora et des agences des Nations unies qui sont en place en ce qui concerne le Burundi. Pour une commission d'enquête, il n'est donc pas du tout impossible de travailler.
    Bien sûr, l'idéal aurait été que le gouvernement coopère. Je dis cela d'expérience parce que j'ai fait partie d'une commission internationale d'enquête sur le Soudan du Sud. On a eu la chance d'avoir la coopération du gouvernement. On entrait, on sortait et on avait accès à certains services gouvernementaux. Néanmoins, même sans cela, je pense qu'il est toujours possible d'aboutir à des conclusions qui s'imposent au regard des circonstances.

  (1340)  

[Traduction]

    Peut-on avoir accès sur place actuellement afin de vraiment mener une enquête approfondie et de réunir des faits sur les violations des droits de la personne du Burundi?
    Allez-y.

[Français]

    Certainement, parce qu'aujourd'hui plus qu'hier, l'information circule. Avec l'aide des médias sociaux, l'information circule. Tout ce qui se passe à la seconde près au Burundi est connu dans le monde entier. En plus de cela, comme je l'ai dit, la communauté internationale est malgré tout présente au Burundi. Ce n'est pas que le Burundi soit fermé sur lui-même. Il y a des représentants du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme et des observateurs des droits de l'homme de l'Union africaine sur le terrain. Tout cela, à mon avis, constitue des sources d'information par rapport aux violations des droits de la personne.

[Traduction]

    Merci.
    Des témoins précédents ont indiqué qu'un dialogue intérieur au Burundi pourrait aider à atténuer, au moins en partie, certaines tensions et à réellement obliger les responsables à rendre des comptes sur les violations des droits de la personne. Je veux parler brièvement de ce dialogue. Qui y participe et quelles sont ses chances de réussite?
     Deux efforts de dialogue sont en cours au Burundi, dont un est dirigé de l'intérieur pour réunir toutes les parties, y compris le gouvernement, les membres de l'opposition — dont la plupart sont en exil —, la société civile, les femmes, les jeunes et, essentiellement, le spectre intégral de la société burundaise afin de trouver une solution commune au problème. Bien entendu, il est difficile de composer avec un gouvernement qui n'a pas l'intention ou qui ne montre pas qu'il a l'intention de participer.
    Cette initiative est dirigée par l'Union africaine et est mise en oeuvre à Arusha sous la houlette du président de l'Ouganda et de l'ancien président de la Tanzanie. Le processus est au point mort en raison du manque de détermination du gouvernement à y participer.
    Un dialogue interne parallèle a lieu concurremment à l'instigation du gouvernement. Il s'agit, selon moi, d'un semblant de dialogue. Il se déroule au Burundi et réunit des acteurs qui sont censés représenter les divers groupes du pays, mais qui sont en fait principalement des partisans du gouvernement. Il s'agit, j'en ai peur, d'une mascarade.
    Je pense qu'il faudrait continuer d'appuyer l'initiative lancée par les autorités internationales et exercer des pressions sur le gouvernement du Burundi pour qu'il y participe. C'est absolument essentiel. Si cette initiative ne porte pas fruit, ce sera la guerre civile.
    Comme vous le savez sûrement déjà, des groupes commencent à s'armer. De plus, nous ne pouvons pas voir nos concitoyens se faire tuer quotidiennement sans réagir. Certains groupes sont amorphes. Ils ne sont pas encore bien organisés, mais ils sont là. Une guerre civile se prépare et fera irruption si nous n'agissons pas maintenant.

  (1345)  

[Français]

     Oui, je crois que ce dialogue est incontournable dans la mesure où, comme je l'ai dit dans mon exposé, la crise est avant tout politique. Or, le dialogue est justement la meilleure façon de régler les crises politiques. Nous avons de l'expérience dans ce domaine. Cette expérience a abouti à la conclusion de l’accord d’Arusha, qui est maintenant contesté par le gouvernement actuel.
    Une des pistes que je suggère dans mon document est que le Canada appuie les efforts de la Communauté des États de l'Afrique de l'Est, qui vise à mettre fin à la crise burundaise par l'entremise de négociations. Le Canada en a fait l'expérience. Je me souviens que, dans les années 2000, Carolyn McAskie était sur place. Elle a suivi toute la série de négociations qui se sont déroulées pendant cette période.

[Traduction]

    Merci beaucoup. Le temps est écoulé.
    Nous laissons maintenant la parole à Mme Hardcastle.
    Merci, monsieur le président.
    Je veux remercier les témoins de leur franchise. Je crois comprendre que vous témoignez pour nous faire prendre conscience qu'il faut maintenir et renforcer la surveillance. En ce qui concerne le rôle du Canada à cet égard, que pourrions-nous faire à propos de la torture? Pouvez-vous parler un peu plus du rapport de la commission des Nations unies et de la torture que le Canada pourrait contribuer à combattre?
    Volontiers.
    Malheureusement, la crise qui secoue le Burundi a des proportions énormes. Le pays est actuellement le théâtre d'actes de torture extrêmement brutaux et très ciblés, comme l'indiquent les rapports des Nations unies. La cruauté de ces actes s'accentue. Nous notons une évolution depuis le début. Les gens, qui étaient autrefois incarcérés et battus, sont maintenant victimes de formes de torture très brutales, notamment de violence sexuelle et fondée sur le sexe.
    Je pense que le Canada a un rôle très important à jouer en s'assurant que les violations des droits de la personne demeurent une priorité majeure. À titre d'êtres humains, il semblerait que notre tolérance à la violence ait augmenté. Cette tolérance devient intolérable. Le Canada peut faire bien plus en prenant la tête des efforts déployés pour tenir les gens responsables de leurs actes. Si la torture continue de prendre des formes plus graves et plus brutales, c'est que les auteurs savent pertinemment qu'ils jouissent du pouvoir et d'une impunité absolue.
    Le Canada doit, selon moi, adhérer au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour inciter le Burundi à mettre en oeuvre le traité de prévention de la torture. Amnistie internationale — dont fait partie ma collègue ici présente — se réjouit de l'engagement du ministre Dion à adhérer au protocole, et nous sommes impatients d'avoir d'autres nouvelles à ce sujet.
    Vous avez absolument raison d'affirmer qu'il s'agit d'une question cruciale et importante.

[Français]

     J'aimerais compléter la réponse de Mme Nivyabandi, car la question de la torture est aussi extrêmement préoccupante. Pour ne pas répéter la réponse qu'elle a donnée, je dirais qu'il me semble que le Canada pourrait aller plus loin pour documenter ces cas de torture et, éventuellement, traduire en justice des personnes qui seraient reconnues responsables. Parfois, les gens sont appelés à voyager ici et dans des pays avec lesquels vous entretenez des relations de coopération sur le plan pénal. Il est toujours très utile de montrer aux gens que les crimes ne peuvent pas rester impunis. S'ils peuvent rester impunis au Burundi, l'impunité n'est pas la bienvenue une fois hors des frontières du Burundi. Cela, c'est très important.

  (1350)  

[Traduction]

    Merci beaucoup, madame Hardcastle.
    Monsieur Miller.

[Français]

    Je vous remercie, madame Nivyabandi et monsieur Manirakiza.
    D'abord, je vous remercie de votre courage. J'espère que la prochaine fois que vous viendrez ici, ce sera pour partager votre poésie avec nous.
    Ce sera un plaisir.
    Je veux reprendre les propos de M. Anderson, qui a parlé des personnes responsables. Ces personnes doivent être nommées. Il y a plusieurs résolutions internationales, des commissions d'enquête, des dénonciations de pays de l'Occident si je puis dire, à défaut du bon mot.
    Sans intervention internationale, quel est le désir de ce gouvernement de faire un changement, de rectifier le tir et de respecter la règle de droit? À cette fin, j'aimerais que vous nommiez les instances étatiques qui sont en cause. On parle du ministère de l'Intérieur, du service de renseignement. Le groupe de jeunes, je présume que c'est quasi étatique, est laissé à lui-même par des instances politiques. J'aimerais surtout vous donner l'occasion de nommer les instances étatiques qui sont en cause.
     Je vous remercie de la question.
    Le gouvernement burundais ne démontre aucune intention de changer les choses, et c'est là le danger. Ce gouvernement utilise l'appareil étatique pour opprimer le peuple. Dans cet appareil, il y a, comme vous venez de le mentionner, le ministère de l'Intérieur et de la Sécurité publique, à commencer par le ministre de l'Intérieur lui-même, qui est responsable de la police nationale, dont les abus sont largement documentés. Il y a aussi des abus du Service national de renseignement. Des personnes sont souvent enlevées par des officiers de ce service. C'est généralement dans ses chambres que les gens sont torturés ou qu'ils disparaissent pour ne plus revenir. On voit des camionnettes avec des plaques du Service national de renseignement enlever des gens en plein jour et qu'on ne revoit plus.
    Ce qui devient grave, c'est qu'on ne retrouve plus les corps dans la rue comme avant, parce qu'il y a eu beaucoup de pressions de la part de la communauté internationale, ce qui laisse penser que les gens sont souvent enterrés dans des fosses communes, entre autres.
    Il y a la police nationale et le Service national de renseignement. Le ministère de la Justice ne traduit pas les responsables en justice et agit souvent de pair avec le gouvernement burundais. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le procureur général a demandé qu'on radie quatre avocats qui sont contre la torture. Il y a aussi le bureau du président et son service de communication. En gros, ce sont les grandes institutions qui sont touchées.
    Vous devez comprendre qu'il y a un contrôle total de tout l'appareil étatique. Même ceux qui, au départ, ne sont pas d'accord, sont carrément obligés de suivre les instructions qui viennent du gouvernement par crainte d'être répudiés ou de souffrir également de représailles. C'est un phénomène qui s'étend à tout le gouvernement.
    Au-delà des institutions qui sont responsables, il faut dire aussi qu'il y a des institutions de l'État qui pourraient apporter leur contribution. C'est très important que le Canada ait aussi cette version des choses.
    L'intervention internationale est très importante, mais en même temps, elle est subsidiaire. Le rôle primordial de protéger les citoyens revient toujours à l'État. Alors, comment pourrait-on s'assurer que le gouvernement renonce à ces exactions et à ces bavures pour, comme vous le disiez, emprunter la voie de l'État de droit?
    Il y a certaines institutions qui ont été mises en place et qui fonctionnent dans des conditions extrêmement difficiles. Ces institutions pourraient, si elles étaient appuyées, aider d'une manière ou d'une autre. C'est la même chose en ce qui concerne la Commission de vérité et réconciliation. Cette commission est à pied d'oeuvre, mais le contexte politique et économique actuel ne lui permet pas de continuer à assumer son mandat.
    Il faut signaler que, jusqu'à récemment, la Commission nationale indépendante des droits de l'homme avait ce qu'on appelle le « statut A », qui est accordé aux organisations nationales des droits de la personne les plus performantes. On pourrait voir comment appuyer ces institutions dans le but de voir si elles peuvent contribuer à résoudre cette question des droits de la personne.

  (1355)  

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Il reste du temps pour une autre question.
    Monsieur Tabbara.
    Je serai bref.
    Ma question porte sur le système judiciaire avant 2015 et avant le troisième mandat du président. Les responsables étaient-ils tenus de rendre des comptes? Je sais que nous avons beaucoup parlé de l'impunité pendant vos témoignages, mais avant 2015, le système judiciaire comprenait-il des mesures de contrôle? Les gens étaient-ils tenus responsables de leurs actes? Pouvez-vous nous dire très brièvement ce qu'il en était?

[Français]

     Comme je l'ai dit, le phénomène de l'impunité est vraiment un facteur déterminant qui explique ce qui se passe aujourd'hui. On parle d'impunité à l'égard de crimes qui ont été commis dans le passé. J'ai énuméré de grands épisodes où on a effectivement enregistré les crimes les plus graves, notamment des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et même des crimes de génocide.
    Tous ces crimes sont restés impunis parce que l'appareil judiciaire, qui est incrusté dans l'appareil exécutif, n'a pas rempli sa mission. La même situation peut s'appliquer aujourd'hui. L'appareil judiciaire d'aujourd'hui est comme celui d'hier. Il n'y a pas vraiment eu d'évolution substantielle. C'est la raison pour laquelle — et je dois insister sur ce point — il y a un lien intrinsèque entre la crise actuelle et les crises antérieures. On ne peut pas résoudre la crise actuelle sans égard aux crises passées.
    Bien sûr, la crise actuelle est très préoccupante. Bien sûr, c'est urgent d'arrêter l'hémorragie, comme on le dit, mais en même temps, trouver une solution à la crise actuelle uniquement serait une solution partielle. Si on veut résoudre définitivement le problème de l'impunité, il faut aussi envisager la solution par rapport aux crises antérieures.
    C'est la raison pour laquelle je demande au Canada de voir comment il pourrait s'impliquer davantage dès le départ dans la détermination du mandat de cette commission d'enquête qui vient d'être mise sur pied par les Nations unies. Il ne faut pas seulement s'impliquer dans la détermination du mandat de cette commission, mais également dans son fonctionnement tout en gardant en tête, bien sûr, son lien intrinsèque et étroit entre la crise d'aujourd'hui et celles du passé.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Je suis entièrement d'accord avec M. Manirakiza quand il dit que l'impunité règne au Burundi depuis bien des années. Je voulais aussi indiquer qu'il est vrai que nous devons trouver une solution holistique à la question de l'impunité et résoudre les crimes commis au cours des décennies, avec ce cycle qui perdure.
    À l'heure actuelle, nous sommes confrontés à une crise incroyable sur le plan de la protection des civils. Même si nous cherchons une solution holistique, nous devons accorder la priorité à ce point. Une commission d'enquête a effectivement été mise sur pied, mais vous savez comment les choses se passent. Il faudra un an ou plus pour déterminer qui sont les acteurs en cause. Que faire d'ici là? Que faisons-nous à propos des vies humaines perdues aujourd'hui? Comment pouvons-nous nous assurer qu'il n'y a plus de pertes de vie pour qu'on n'ait plus à rédiger de rapports dans l'avenir? Que pouvons-nous faire aujourd'hui?
    C'est ce qui est urgent dans la situation actuelle, et c'est à cet égard que j'espère que le Canada pourra assumer un rôle de meneur en veillant à ce que cette crise ne passe pas inaperçue. De nombreuses crises secouent le monde, mais celle-là devrait recevoir une attention internationale.

  (1400)  

    Merci beaucoup.
    Simplement pour éclaircir les faits, M. Manirakiza a longuement parlé de la complexité de la situation sur place, soulignant qu'il ne s'agit pas d'un conflit ethnique entre les Hutus et les Tutsis, mais bien d'un problème politique. Human Rights Watch a témoigné lors de notre dernière séance et l'a indiqué clairement. Partagez-vous cette opinion?
    Je conviens que le problème est principalement politique et fait des victimes tant chez les Tutsis que chez les Hutus.
    Je voudrais toutefois apporter une nuance. Il existe un antécédent historique de clivage ethnique, et comme le gouvernement actuel — ou du moins ses hauts dirigeants — est issu de victimes d'un ancien génocide perpétré en 1972, on commence à distinguer une stratégie politique de revanche, une revanche qui peut pendre des formes ethniques.
    Contrairement à ce qui s'est passé au Rwanda, où la population a participé au génocide, je ne pense pas que cette situation puisse se produire au Burundi. Quand on entend le discours haineux — une indication claire que nous devrions faire attention à quelque chose — prononcé par les agents du gouvernement, on constate qu'il pourrait s'agir d'incitation à la violence ethnique. Même si le problème est principalement politique, il pourrait se détériorer en un conflit ethnique.
    Je partage l'opinion générale.
    Mesdames et messieurs, je vous demanderais brièvement de consentir à l'unanimité d'accepter les propos de M. Manirakiza qui figurent dans son document plutôt que ceux qu'il a lus, puisqu'il a abrégé son exposé. Très bien.
    Au nom de tous les membres du Comité, je remercie nos deux témoins de nous avoir fait bénéficier de leur expertise et je félicite de nouveau Mme Nivyabandi de sa grande bravoure.
    Merci beaucoup.
    Mesdames et messieurs, la séance est levée.
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