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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 040 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 29 mai 2012

[Enregistrement électronique]

  (1305)  

[Traduction]

[Français]

    Nous sommes le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Aujourd'hui, en ce 29 mai 2012, nous tenons notre séance no 40.

[Traduction]

    Nous continuons notre étude de la situation des droits de la personne en Birmanie.
    Avant de présenter les témoins, je vous mentionne que la séance d'aujourd'hui est télévisée, ce qui ne sera pas le cas de celle de jeudi.
    Nos témoins d'aujourd'hui sont deux représentants de Project L.A.M.B.S. International, James Paul Humphries, fondateur et directeur du projet, et Hkaw Win Humphries. Veuillez m'excuser, madame, si je n'ai pas bien prononcé votre nom, je n'ai malheureusement pas eu le temps d'en vérifier la prononciation.
    Je leur donne la parole pour leur déclaration liminaire, après quoi nous passerons aux questions.
    Madame, monsieur, vous avez la parole.
    Honorables membres du Sous-comité des droits de la personne de la Chambre des communes du Canada, nous vous sommes reconnaissants de nous accueillir pour vous faire part de notre histoire et de nos préoccupations au sujet du peuple kachin du Myanmar, ou Birmanie.
     Le peuple jinghpaw, également connu sous le nom de Kachins ou habitants des montagnes, fait partie de l'un des 135 groupes de personnes qui créent une population diversifiée dans un pays qui compte plus de 55 millions d'habitants. Comme beaucoup de leurs frères tribaux — les Shans, les Chins et les Karens —, tous ces peuples des montagnes ont été victimes, pendant de nombreuses années, de ce qui pourrait être facilement qualifié de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de génocide.
    Le peuple kachin compte environ deux millions de personnes. La population vit dans la division Nord appelée l'État de Kachin. Le statut d'État a été accordé par le gouvernement britannique et par l'ancienne classe dirigeante de la Birmanie, en vertu de l'accord de Panglong, du 12 février 1947, célébré aujourd'hui comme Jour de l'Union. Mais quelques mois seulement après la signature de l'accord, les dirigeants, notamment le général Aung San, père de Aung San Suu Kyi, et plusieurs de ses ministres, ont été assassinés au cours d'une réunion tenue à Rangoon, le 19 juillet 1947.
    Le pays a acquis son indépendance des Britanniques le 4 janvier 1948 et le statut d'État lui a été accordé le 10 janvier 1948. U Nu, le premier ministre en 1948, a dirigé le pays par intermittences jusqu'en 1960. C'est à cette époque que diverses armées kachines ont été créées. Le général Ne Win s'est emparé du pouvoir en 1961 et, depuis cette date jusqu'à 1988, le Kachin était encore régi par une forme de démocratie ou de dictature. Toutefois, peu après la victoire sans conteste de Mme Aung San Suu Kyi en 1991, le régime militaire dirigé par Maung Saw s’est emparé du pouvoir et a fait arrêter et emprisonner cette dernière et les membres de son cabinet, de même qu'un grand nombre de partisans de la Ligue nationale pour la démocratie. Un peu plus tard, en 1992, Than Shwe est devenu le dirigeant du pays. Avec ses généraux, il a été le principal dirigeant au cours des 20 dernières années.
    Ces deux derniers dirigeants ont infligé la mort et la destruction à tous les groupes de personnes qui s'opposaient à eux. Deux exemples l’illustrent, soit le mouvement étudiant de 1996 et les manifestations auxquelles se sont livrés les moines en 2007. Les tactiques répressives employées envers les populations d'ethnies kayah, karen, chin, pa oh, rakhine, shan, mon, kachin et wa se sont soldées par la fuite de centaines de milliers de réfugiés dans de nombreux pays dans le monde. En outre, l'assassinat, les mauvais traitements et le viol de centaines de milliers d'autres sont passés sous silence. Même aujourd'hui, après la récente élection de 2010 et l’élection partielle de 2012, ces terribles événements ont toujours cours dans tout le pays.
    Oui, bien des changements positifs ont été accomplis à Yangon et à Nay Pyi Daw, mais ce n'est qu'une ruse, le but étant de faire en sorte que les sanctions internationales soient levées, ce qui aura pour effet d'enrichir davantage ces criminels, que les citoyens appellent le régime militaire de Than Shwe. Ne vous laissez pas berner. Than Shwe contrôle toujours la constitution du pays, l'armée, les ressources et le gouvernement élu de Thein Sein.
    Le pays de la Birmanie ou du Myanmar a eu plusieurs constitutions au fil des ans, une en 1947 de type britannique, une autre en 1974 de type socialiste-communiste, et la dernière en 2008, de type dictature militaire ou de type démocratique. La nouvelle constitution qui, nous a-t-on dit, a été approuvée par un vote à 96 p. 100, est un mélange curieux de styles de gouvernement américain et britannique, parallèlement à une réalité incompréhensible conjuguant régime dictatorial et démocratique, ce qui crée beaucoup de confusion au sujet de ce que cela signifie dans un pays qui est censé être une fédération.
    Aung San Suu Kyi a affirmé que, sur une échelle de un à dix, la compréhension qu'ont les gens du fédéralisme obtiendrait un. En outre, je crois que sur une échelle similaire, la compréhension qu'ont les gens de ce qu'il en est au juste de la constitution et de ce qu'elle prévoit au sujet des droits de la personne obtiendrait moins cinq. La constitution donne beaucoup de pouvoirs au commandant en chef du service de la défense. Presque toutes les décisions importantes prises par le gouvernement élu, de même que les décisions prises par le président, doivent passer par le commandant en chef. L'armée détient plus de 25 p. 100 des sièges et ceux-ci sont personnellement pourvus par le commandant en chef.

  (1310)  

    La constitution est censée être la règle suprême qui guide les gens dans l'élaboration et la compréhension des lois du pays. Cependant, le système judiciaire, y compris la Cour suprême, est étouffé par un nuage de peur. D'autres personnes au sein du système judiciaire ont été nommées par l'armée et agissent sous son influence.
    Du niveau local au niveau de l'État, et en particulier dans les régions montagneuses, par exemple dans l'État de Kachin, une grande confusion règne au sujet des divers rôles du gouvernement. L'armée prête peu d'attention à ce que le gouvernement ou le commandement central dans la capitale semble dire. Tout dépend du commandant en chef et à ce que lui et son astrologue désirent. Le commandant en chef agit le plus souvent comme s'il était le chef suprême, le roi du pays. La nouvelle capitale, Nay Pyi Daw, est censée, tout comme dans les temps anciens, symboliser son pouvoir et son autorité sur le peuple.
    Il importe de savoir que le commandant en chef peut, à tout moment, suspendre la constitution pour une période pouvant aller jusqu'à deux ans, et peut aussi dissoudre le parlement à tout moment s'il perçoit la nécessité de le faire. L'énorme influence qu'il exerce est principalement attribuable au fait que la constitution selon lui est appliquée et protégée. Cette disposition, bien sûr, le protège ainsi que le rôle qu'il exerce.

  (1315)  

    De nombreux droits positifs pour le peuple sont inscrits dans la constitution. Par exemple, le droit à la liberté d'expression, à la liberté de la presse, à la liberté de religion, à la liberté de voyager n'importe où dans le pays et à la jouissance des mêmes droits entre les peuples, sans discrimination. Les femmes, aussi, sont protégées dans la mesure où elles bénéficient des mêmes droits et du même salaire que les hommes.
    Toutefois, la constitution supprime aussi plusieurs autres droits. Par exemple, les chefs religieux ne peuvent voter. Ils ne peuvent être membres d'un parti local et ils ne peuvent entrer dans la fonction publique. Contrairement aux libertés prévues dans la constitution, la liberté de mouvement est limitée. Les voyageurs doivent s'inscrire partout où ils vont et doivent signer un registre, même s'ils ont été invités à passer la nuit chez un parent ou chez un ami. Les voyageurs doivent constamment passer des points de contrôle et ils sont souvent suivis et observés par le renseignement militaire où qu'ils aillent.
    Le problème principal semble être que les incidences de la constitution n'ont jamais été clarifiées ou même définies. Des déclarations générales sont émises, des déclarations qui peuvent être interprétées de différentes façons, mais apparemment elles visent toutes à ce que le président et le commandant en chef soient protégés.
    La réalité aujourd'hui est que les gens sont emprisonnés sans avoir la possibilité de se défendre devant un tribunal. On leur enlève leur propriété, on leur défend par la force de parler leur langue d'origine et de conserver leur culture et leurs traditions. L'armée impose le travail des enfants et emploie les enfants comme porteurs et soldats. Les gens n'ont pas le droit de se réunir et l'armée interdit les rassemblements de plus de trois à cinq personnes. La soi-disant liberté de religion est largement contrôlée par le gouvernement. En pratique, il y a une politique bien réelle de la peur et de l'intimidation à tous les niveaux.
    Enfin, les gens n'ont pas la liberté de voter comme ils le veulent. Ils sont parfois rassemblés comme du bétail et amenés au bureau de vote où on leur indique comment voter. S'ils refusent de voter correctement, selon les directives, ils sont soumis à des amendes et à un travail communautaire non rémunéré.
    L'un des défis majeurs qui se posent est que les dirigeants locaux qui désirent former des partis politiques ne sont pas autorisés à le faire. Le plus souvent, il n'existe pas d'opposition. Ils toléreront les personnalités publiques connues mondialement telles que Aung San Suu Kyi et un parti important comme la LND, mais seulement quand cela joue en leur faveur et les remonte dans l'opinion mondiale. Les seuls dirigeants autorisés à former des partis politiques sont ceux qui ont une attitude favorable au gouvernement et à l'armée. À tout moment, le gouvernement ou l'armée peut nier le droit d'une région du pays à présenter des candidats ou même à voter. Cela s'est produit jusqu'à récemment, cette année. Dans l'ensemble de l'État de Kachin, deux millions de personnes se sont vu nier leur droit démocratique à déposer un bulletin de vote.
    Les prisons logent des centaines de prisonniers politiques. Bien sûr…
    Veuillez m'excuser, je dois vous interrompre un instant.
    Je constate que vous avez lu deux pages d'un texte qui en contient six, ce qui signifie que vous allez probablement utiliser tout le temps dont nous disposons si vous le lisez jusqu'à la fin. Vous venez déjà d'utiliser vos 10 minutes. Je me demande si vous pourriez résumer la suite très brièvement, afin de permettre ensuite aux députés de vous poser des questions. Évidemment, toutes les informations que nous avons ici figureront au procès-verbal. Si nous avons le temps de vous poser quelques questions, cela nous permettra sans doute d'obtenir plus d'informations que si nous nous contentons de vous écouter.
    Cela vous convient-il?
    Absolument, si vous me permettez de vous lire au moins les quelques recommandations qui figurent sur notre dernière page.
    Tout à fait.
    Voulez-vous les lire maintenant ou devrions-nous prévoir un peu de temps à la toute fin de votre communication pour vous permettre de les formuler?
    Je peux élaguer un peu afin d'arriver rapidement aux recommandations.
    Je tenais juste à aller au bas de cette page pour attirer votre attention sur le fait que la traite de personnes, le sida, la persécution, le commerce de la drogue, l'esclavage des enfants, l'esclavage des adultes, les prisonniers politiques, et bien d'autres choses encore, restent des problèmes majeurs dans le pays. En outre, on entrave l'accès de l'ONU et des ONG au pays pour les empêcher d'aider les populations.
    Dans le contexte actuel, les Kachins ne cessent d'être confrontés à une foule de défis, comme nous l'indiquons aux points 1 à 5 que mon épouse allait vous lire, mais elle n'en aura pas le temps, je suppose. Parmi ces défis, je mentionne le barrage, ainsi que l'accord de Panglong qui devait asseoir à leur intention l'idée du fédéralisme.
    À la page suivante, je mentionne que la guerre a eu jusqu'à présent pour effet de déplacer 75 000 personnes à l'intérieur du territoire. Cette population a besoin de nourriture, de vêtements et de médicaments. Malheureusement, les ONG ne peuvent pas se rendre dans les régions concernées afin de l'aider, ce qui veut dire que beaucoup de ses membres ne peuvent même pas se nourrir.
    J'aimerais maintenant lire les recommandations, monsieur le président, avant de conclure.
    Premièrement, encourager fortement le gouvernement du Myanmar à utiliser l'accord de Panglong à titre de fondement pour tenir d'autres discussions permettant de paver la voie et d'accéder dans l'avenir à la paix et à l'harmonie avec les différents groupes ethniques.
    Deuxièmement, offrir au nouveau gouvernement du Myanmar, dans le cadre de ses travaux avec Mme Aung San Suu Kyi, de l'aide afin de définir clairement et de mettre en oeuvre le fédéralisme et de montrer comment il fonctionnera à l'échelle du pays.
    Troisièmement, encourager le gouvernement du Myanmar à s'engager véritablement à mettre en oeuvre la nouvelle constitution et à suivre un calendrier à cet effet de façon à tendre davantage vers la démocratie.
    Quatrièmement, défendre au côté du gouvernement du Myanmar le rétablissement uniforme de l'ordre public partout au pays et établir, sous toutes réserves, le rôle des juges et de la Cour suprême.
    Cinquièmement, aider le gouvernement du Myanmar à comprendre que la diversité, au sein des pays, ne constitue pas une nuisance, mais bien une bénédiction.
    Sixièmement, inciter les dirigeants du Myanmar à réellement ouvrir la porte à la liberté d'expression, la liberté de religion et la liberté d'appartenir à la collectivité mondiale, et libérer les opprimés de leurs craintes.
    Septièmement, inciter fortement leur gouvernement à accorder au peuple non seulement la liberté de religion, mais également aux chefs religieux, le droit de vote, le droit d'appartenir à un parti politique et la liberté de se porter candidat à une fonction politique.
    Huitièmement, souligner que le gouvernement du Myanmar doit immédiatement mettre fin à plus de 20 années de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre, de génocide et de nettoyage ethnique qui sont perpétrés de façon systématique contre les groupes de personnes d'ethnies kayah, karen, chin, pa oh, rakhine, shan, mon, kachin et wa.
     Notre espoir est que tous les citoyens du Myanmar pourront occuper la place qui leur revient de plein droit en tant que citoyens du monde, au sein de notre village mondial. Nous espérons que tous les citoyens ne s'attarderont pas aux fautes commises par les autres, mais qu'ils vont aider tout un chacun à développer leur plein potentiel en tant que peuple réellement libre.
     Notre prière est que les dirigeants du Myanmar feront abstraction de leur individualisme et qu'ils verront le rôle qu'ils jouent en tant que collectivité de dirigeants qui aide ses citoyens dans leur réussite, alors que chacun exploite ses dons et ses talents sous l'oeil vigilant du Bon Dieu.
    Nous vous supplions, en tant que sous-comité oeuvrant aux droits humains internationaux, d'acheminer nos préoccupations au gouvernement canadien afin que ces renseignements fassent partie d'un rapport. Ce rapport indiquera comment nous, en tant que peuple appelé les Canadiens répondrons au Myanmar, à ses dirigeants et à ses peuples. Nous demandons que soient examinées les violations des droits de l'homme qui sont perpétrées contre leur propre peuple. Tout ce que nous voulons, c'est démontrer au Myanmar que nous, en tant que Canadiens, sommes prêts à les aider à atteindre le succès dans leur parcours, pour devenir une démocratie au plein sens du terme.
    Nous désirons vous remercier pour votre temps, votre intérêt et votre souci à l'égard de la question des droits humains.

  (1320)  

    Merci beaucoup à tous deux.
    Nous allons maintenant passer à la période des questions, et c'est M. Hiebert qui commence.
    Merci, docteur Humphries et Hkaw Win, de vous être joints à nous aujourd'hui. Je suis heureux que vous acceptiez de témoigner devant notre comité. Votre témoignage a été interrompu parce que le temps dont dispose ce comité est limité. Cela arrive souvent quand nous avons des témoins qui ont beaucoup à dire, mais nous ne tenons que deux réunions par semaine, d'une heure chacune, et nous devons essayer de faire le plus de choses possibles durant cette période.
    Avant de vous poser quelques questions, j'aimerais vous donner une ou deux minutes pour vous permettre de dire les choses importantes que vous n'avez pas eu le temps de dire. Je songe à la liste concernant les difficultés auxquelles le pays est confronté. Vous avez parlé de traite des personnes.
    Ce document est le fruit du très long travail que nous avons effectué avec plusieurs autres docteurs pour essayer de vous communiquer le plus d'informations possibles. Des femmes et des enfants sont emmenés en Thaïlande et en Chine comme main-d'oeuvre à bon marché. Les femmes du Myanmar sont emmenées en Chine parce qu'il y a là-bas un déséquilibre à la naissance entre les garçons et les filles. Il y en Chine de vastes populations de garçons et le pays récolte donc maintenant, si je peux m'exprimer ainsi, des femmes d'autres pays, qui sont emmenées légalement ou illégalement pour être mariées à ces garçons.
     L'épidémie de sida est catastrophique dans les régions du Nord. Le commerce de la drogue a toujours été florissant dans le nord de la Thaïlande et au Myanmar, la drogue servant de monnaie d'échange. Beaucoup de gens sont impliqués dans la drogue dans ces régions. Il y a encore beaucoup d'autres choses que je pourrais vous dire. Je pourrais vous en parler pendant des heures.

  (1325)  

    Vous avez beaucoup parlé de la constitution et des déséquilibres ou anomalies de ce document. Dans vos recommandations, vous en réclamez la modification. Comment cela pourrait-il advenir, étant donné que le gouvernement est contrôlé par l'armée et que celle-ci dispose au parlement de sièges qui lui sont réservés?
    Cela devra se faire de l'intérieur. J'ai pris la peine d'étudier la constitution. Malheureusement, elle répond avant tout aux besoins des militaires, afin de les protéger. Elle énonce en théorie beaucoup de droits et de libertés mais aucune de ses dispositions n’est respectée. Il y a toutes sortes de choses. Par exemple, on dit que la liberté de religion est assurée, mais mon épouse, qui est ministre du culte, et l'un de mes amis, qui est pasteur, n'ont pas le droit de voter. Comment peut-on dire que nous vivons en démocratie quand des personnes n'ont pas le droit de voter?
     Il est dit dans la constitution que n'importe qui peut créer un parti politique mais, quand nous créons des partis pour participer au système gouvernemental, les autorités les interdisent. Il est dit dans la constitution que le droit de vote est garanti mais, quand ça ne convient pas aux autorités, elles le suppriment. Et la constitution leur en donne le droit.
     Les autorités ont aussi le pouvoir de suspendre la constitution et le gouvernement à n'importe quel moment pendant une période pouvant aller jusqu'à deux ans. Tout cela est prévu dans le texte. Cela a été légalement voté. C'est le document officiel aujourd'hui. Le problème est que la constitution ne dit rien sur les groupes ethniques et sur beaucoup d'autres choses.
    Des témoins qui vous ont précédé nous ont beaucoup parlé du conflit dans l'État de Kachin. Il y avait là-bas un cessez-le-feu qui a duré 17 ans et qui a été rompu l'an dernier. Dans vos recommandations, vous mentionnez l'accord de Panglong. Pensez-vous qu'il y a un vaste appui des régions autres que l'État de Kachin pour le retour à un modèle de gouvernement fédéral?
    Dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, quand l'accord a été signé, il y a eu de nombreux groupes ethniques. Le gouvernement britannique avait accordé le statut d'État à beaucoup des grands groupes ethniques, lesquels, du fait de ce statut, devaient s'unir au sein d'un régime fédéral.
    Si vous examinez leur vieux drapeau, vous y verrez 14 étoiles dont sept représentent les États et sept représentent les divisions. Elles forment un cercle qui est censé exprimer l'idée que ces groupes individuels s'uniraient au sein d'une fédération ou d'une union mais, sous le régime militaire, c'est un gouvernement central qui a été établi et tous les autres groupes ont été laissés de côté.
    Maintenant, ils ont modifié le drapeau, sur lequel il ne reste plus qu'une seule étoile, laquelle cause beaucoup de dissensions parce qu'elle dit à beaucoup de gens qu'il n'y a plus maintenant qu'un gouvernement central qui contrôle tout. La disparition des 14 étoiles a indiqué aux autres groupes qu'il n’est plus question pour eux de faire partie de l'entité commune.

  (1330)  

    Vos cinq minutes sont terminées, monsieur Hiebert.
    Monsieur Marston, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président, et bienvenue à nos invités.
    Si je comprends bien la situation de ce pays, aucune forme de démocratie n'a cours dans ce pays depuis extrêmement longtemps. Vous avez parlé du drapeau et du symbole qu'il représente pour le peuple, mais la constitution a été très clairement conçue pour que ce soit en fait le commandant en chef qui contrôle réellement le pays, pratiquement comme un roi, comme vous l'avez dit. Voilà la réalité brutale. Je suis effaré d'apprendre que le gouvernement officiel d'un pays puisse répandre le sida. Je ne doute pas de ce que vous avez dit. Je dis simplement que c'est l'une des maladies les plus horribles du point de vue des dommages qu'elle cause aux cultures et aux peuples si les malades ne sont pas traités, mis en quarantaine et correctement soignés.
    Je tiens à dire que les recommandations que vous avez formulées sont des choses que l'opposition officielle n'a aucun mal à appuyer. Je ne veux pas en sous-estimer la valeur car elles sont très importantes et procèdent d'une très bonne intention. Elles touchent à l'essence même de la démocratie, et je ne vois pas comment on pourrait ne pas les appuyer.
    Vous dites qu'il y a eu un cessez-le-feu pendant 17 ans. Qui l'a rompu?
    Les Birmans.
    Le gouvernement?
    On entre ici dans une question de sémantique. Il s'agit de savoir qui est qui. Les Birmans sont souvent définis comme un peuple, le peuple des plaines, alors que les Kachins sont un peuple des montagnes, tout comme les Karens…
    Je comprends cela, et c'est pourquoi j'ai délibérément posé la question: parce que je connaissais la réponse.
    Les Kachins ont eu leurs propres armées sur leurs bases pendant 40 ans et…
    Je ne vous demande pas une longue description, je voulais seulement vous donner l'occasion d'indiquer officiellement que ce sont les forces gouvernementales qui ont rompu ce…
    C'était le but de ma question. Donc, Than Shwe contrôle toujours tout.
    L'une des choses que j'ai notées plus tôt, au sujet de la Chine, est qu'il y a un certain mouvement à Beijing vers une sorte de potentiel de démocratie mais que, quand on s'enfonce dans le pays, le décalage est énorme. Je soupçonne que c'est la même chose quand vous parlez des militaires qui ont leurs petits royaumes dans les régions rurales. D'autres pays ont eu de vrais problèmes avec la police. Y a-t-il une force de police ou tout dépend-il des militaires?
    Je n'ai vécu que dans la ville de Myitkyina, la capitale de l'État de Kachin. Elle a une force de police mais elle a aussi une vaste force militaire.
    Est-ce que la police agit la main dans la main avec les militaires, c'est-à-dire qu'il n'y a en réalité aucune différence entre les deux?
    Elle s'occupe plus de choses telles que les feux de signalisation, les activités générales...
    Juste les allées et venues…
    Mais il y a un service de renseignement militaire, et ce sont ces types-là qui s'occupent de toutes les autres choses au nom des militaires.
    On trouve ce genre de service dans chaque pays où le peuple est opprimé.
    Exact.
    Ces services portent différents noms. Certains témoins nous ont dit que le gouvernement ne contrôle pas vraiment les militaires. Cela ressort clairement de vos déclarations d'aujourd'hui. Vous nous dites la même chose. Vous approuvez cette affirmation parce que tout votre témoignage concorde avec ce que nous ont dit d'autres témoins.
     S'il n'y a pas de changement vers un remplacement des militaires par un contrôle civil efficace, pensez-vous que les choses resteront foncièrement les mêmes et que la répression ne s'arrêtera pas? Avez-vous un sentiment quelconque qu'il y a une évolution pour autoriser un pouvoir civil? Quand Aung San Suu Kyi a été élue, les attentes et les espoirs du monde occidental se sont accrus, et je suis sûr que cela a été la même chose dans le pays aussi, dans une certaine mesure. En termes réels, cependant, quelles sont les chances qu'il arrive quelque chose de positif?
    Comme je l'ai dit, les gens ont généralement l'espoir positif que les choses finiront par changer. L'un de nos atouts est que beaucoup de ces personnages du régime militaire sont âgés et que le changement finira par venir. La démographie du pays est telle que les jeunes finiront par être plus nombreux que les gens ordinaires dans le pays.
    Pensez-vous qu'il faudra une révolution armée ou y a-t-il une chance de voir arriver une sorte de Printemps arabe?
    Il y a une date prochaine qui est tout à fait critique. C'est le 10 juin. Comme je l'ai dit dans mon rapport, bon nombre des autres groupes ethniques qui ont un cessez-le-feu ont dit que, si les choses ne sont pas complètement réglées en ce qui concerne les Kachins et que le régime ne retire pas ses armées, les cessez-le-feu de beaucoup d'autres groupes armés seront rompus. Ces groupes s'uniront et toute la situation risque d'exploser.

  (1335)  

    Y a-t-il un sentiment que le rapport de force entre les militaires et les groupes de jeunes est un peu celui de David et Goliath?
    Vous devrez répondre très brièvement, parce que le temps de parole du député est écoulé. Je dois interrompre votre discussion afin de donner la parole à quelqu'un d'autre.
    C'est un peu l'impression qui règne, mais le fait est que les gens des vallées ne sont pas aussi aptes à se battre que ceux des montagnes, et que ces derniers sont beaucoup plus agressifs.
    Monsieur Sweet, c'est à vous.
    Je voudrais revenir sur une partie de ce témoignage qui me trouble profondément. Vous l'avez mentionnée, et M. Marston aussi.
    Avez-vous la preuve absolue que le gouvernement a réellement favorisé le transfert de personnes ayant contracté le sida afin de répandre cette maladie? Avez-vous des preuves concrètes à ce sujet?
    Je ne peux que vous renvoyer à ce qu’ont prouvé certains médecins d'ONG qui sont dans la région au sujet de l'expansion de l'épidémie de sida. Je préfère ne pas les nommer mais vous pouvez probablement deviner qui ils sont.
    Le défi est de savoir ce qui arrive en premier, le boeuf ou la charrue. Bien des personnes jugées indésirables dans la partie centrale du pays ont été transférées dans les régions du Nord. Beaucoup de ces personnes qui étaient des drogués, des personnes atteintes du sida et des personnes ayant des problèmes d'alcoolisme ont été transférées au sud, ce qui a représenté un fardeau extrême pour les services de santé, selon ce que m'ont dit les ONG. Certaines de ces ONG ont affirmé que l'épidémie de sida dans ces régions est probablement l'une des pires au monde. Je ne pourrais probablement pas vous remettre un document gouvernemental prouvant que le gouvernement avait l'intention de transférer ces personnes là-bas, mais mon épouse et d'autres, qui témoigneront plus tard cette semaine, peuvent confirmer que cela s'est produit, car ce ne sont pas des Kachins. Si vous êtes un Kachin, il vous est facile de dire que ce sont des gens d'autres ethnies qui ont été transférés, sans emploi ni quoi que ce soit d'autre. Pour quelle autre raison les aurait-on transférés là-bas?
    Ce transfert n'a pas été volontaire. C'était un transfert gouvernemental.
    Oui, il y a eu ce transfert. Le gouvernement s'empare des terres des Kachins et d'autres personnes et transfère ensuite ces personnes dans ces régions.
    En ce qui concerne la persécution gouvernementale, diriez-vous que la répression religieuse dont vous avez parlé est plus vive pour la population à prédominance chrétienne de l'État de Kachin ou qu'elle touche toutes les religions?
    Il y a des niveaux de persécution différents. Il y a une persécution contre la religion à tous les niveaux. Si vous êtes ministre du culte, comme je l'ai dit, ou pasteur, ou même moine bouddhiste, vous n'avez pas le droit de voter et vous n'avez pas le droit d'occuper un poste de fonctionnaire. Vous n'avez pas le droit de former un parti de gouvernement. Tout cela est indiqué là-dedans. C'est une forme de persécution.
    La deuxième forme vient du fait que la plupart des peuples des montagnes sont chrétiens. Le Canada a accueilli des milliers de Karens venant de camps de réfugiés thaïlandais. Beaucoup sont des chrétiens. C'est un problème pour les Karens depuis 60 ans. Pour les Kachins, c'est depuis 50 ans.
    Ces groupes sont-ils persécutés parce qu'ils sont kachins ou parce qu'ils sont chrétiens? Dans bien des cas, à mon avis, ce n'est ni l'un ni l'autre. Je pense qu'ils sont persécutés parce que les Kachins sont assis sur l'une des plus vastes régions de ressources naturelles au monde, et que tout le monde veut s'emparer des ressources naturelles — l’or, le teck — de leur territoire et du sous-sol.
    Comme je le disais à quelqu'un d'autre, c'est comme un trépied. Il y a les Kachins, il y a la religion, il y a les ressources. Ce qui se passe, c'est que beaucoup de choses terribles se font à cause des ressources.
    Oui. Ce sera l'un de nos défis lorsque nous rédigerons notre rapport, monsieur Humphries. J'apprécie votre témoignage. Il y a presque deux réalités. Je l'ai dit à tous les autres témoins et je vais vous le dire à vous aussi. Il y a Aung San Suu Kyi, qui est évidemment une championne des droits humains et qui a déclaré qu'elle est heureuse que des pays ont annulé leurs sanctions. Nous entendons dire des choses très positives au sujet de certaines parties de la Birmanie, notamment de la part de nos propres représentants là-bas. On en est même au point où le premier ministre de l'Inde s'est rendu hier à Rangoon, où il a fait certaines ouvertures positives, et a aussi invité Aung San Suu Kyi à venir faire une communication en Inde.
     En revanche, il y a aussi cette autre réalité de l'État de Kachin, avec tout le témoignage que vous venez de donner, comme d'autres personnes qui vous ont précédé, indiquant qu'il y a une énorme persécution. Ce n'est pas seulement de la persécution religieuse mais en réalité une persécution généralisée contre quiconque souhaite une forme quelconque de semblant d'indépendance et souhaite revenir à l'entente originelle et vivre dans un État indépendant. Notre problème sera d'essayer de mettre en relief ces deux réalités très différentes. Que pensez-vous de mon résumé de la situation? Est-ce ce que vous…

  (1340)  

    Oui. Je dirais que si Aung San Suu Kyi pouvait être présidente aujourd'hui, la plupart de ces groupes ethniques se rallieraient immédiatement à elle. Ce serait immédiat. Toutefois, le système est conçu de telle manière qu'elle n'a aucune possibilité de devenir présidente. Il est dit très clairement dans la constitution qu'une femme ayant eu un mari étranger ne pourra jamais être présidente du pays. On a mis cette disposition pour une raison précise, et il faudrait un vote de 75 p. 100 pour la modifier. Avec la constitution actuelle, elle ne pourra jamais atteindre le haut de l'échelle, où elle s'est déjà trouvée dans le passé.
    Nous devons trouver une méthode pour aider les autorités à refaire la constitution, à rebâtir les partis et à leur faire comprendre ce qu'est le fédéralisme. Aung San Suu Kyi a la conviction qu'ils ne comprennent pas le fédéralisme. Ce concept leur est étranger.
    J'ai l'impression que mon temps de parole sera bientôt écoulé. Au fond, vous dites qu'il ne pourra y avoir aucun changement tant que le gouvernement militaire n'aura pas montré de bonne foi qu'il est prêt à engager des pourparlers sur la constitution.
    Exactement, je dirais que c'est le minimum.
    Vous aviez raison, monsieur Sweet, votre temps de parole est écoulé.
    Nous passons au professeur Cotler.
    Merci, monsieur le président.
    Je sais que vous n'avez pas eu le temps de faire toute votre déclaration liminaire mais j'ai eu le temps de lire votre mémoire. Mon attention a été attirée par le paragraphe commençant par « Depuis juin 2011 », où vous décrivez les crimes de guerre commis contre les Kachins. Vous y dites que des gens ont été torturés pour leur soutirer de l'information, que certaines personnes sont disparues, que des villages ont été bombardés et incendiés sans discernement, que des femmes et des enfants ont été violés, que des terrains ont été minés, qu'on a transformé des gens en bombes humaines, etc. En conclusion, dites-vous:
En raison de cette année d'horribles atrocités contre sa population, la KIA est passée de la défense à l'offensive, en attaquant l'armée birmane partout où elle pouvait être (ces représailles ont débuté vers le milieu d'avril 2012).
    En lisant cela, j'ai réalisé que ce qui s'est passé en Birmanie l'an dernier — surtout contre les Kachins — a débuté presque en même temps, mais un peu plus tard, que ce qui s'est passé en Syrie.
    J'espère que vous ne serez pas froissés par ma comparaison avec ce qui se passe en Syrie. Il y a eu l'expression d'un outrage international mais, en ce qui concerne ce que subissent les Kachins, c'est-à-dire, selon les témoins, des crimes de guerre et des agressions assez semblables à ce qui se passe en Syrie, on constate non seulement que cet outrage n'est pas tellement évident, mais aussi qu'on a en fait assoupli les sanctions contre la Birmanie, et je parle ici des États-Unis, de l'Union européenne, du Canada, etc. Comment expliquez-vous ces deux attitudes très différentes de l’UE, des États-Unis et du Canada au sujet de deux situations qui semblent très similaires concernant d'une part les Kachins en Birmanie et, d'autre part, la Syrie?
    À mes yeux, bon nombre des problèmes ressemblent un peu à la situation qui existait autrefois en Europe. J'ai beaucoup voyagé en Ukraine et dans d'autres pays, où l'on vous emmène toujours dans la capitale voir les bonnes choses. On vous fait visiter la centrale hydroélectrique, on vous montre que tout marche très bien et que la population vit dans un vrai paradis, mais on ne vous laisse jamais sortir de la capitale.
    Or, ce qu'il y a en dehors de la capitale, c'est une situation extrêmement problématique, mais il vous est impossible d'en donner la preuve. L'ONU a essayé de le faire l'an dernier dans la région des Kachins mais ses représentants n'ont pu s'y rendre que deux fois, et pendant très peu de temps. Comprenez que nous donnons des millions de dollars à l'ONU pour aider les Kachins, mais que l'Organisation n'arrive pas à leur acheminer les ressources. Elle ne le peut pas parce que la région est encadrée par deux chaînes montagneuses, ce qui l'isole complètement et permet au régime militaire d'en verrouiller l'accès. Il est donc très difficile de recueillir de l'information sur la situation.
    J'espère que ça ne deviendra pas un autre Kosovo où nous avons découvert 20 ans après qu'il y avait beaucoup de charniers et avons conclu que des atrocités avaient été commises quand nous avons pu dénombrer les ossements. J'espère que cette situation ne se reproduira pas chez les Kachins.
    Nous savons cependant que des atrocités sont commises; nous avons des preuves à ce sujet. Ce qui est triste — je n'en ai pas parlé dans mon mémoire —, c'est que le Parlement britannique a débattu de toutes ces questions de génocide en 2000, à peu près. Il suffit de consulter les archives britanniques pour voir qu'il avait conclu qu'un génocide était en cours. On peut lire dans les rapports de la Chambre des communes britannique qu'il s'agit d'un génocide mais, aujourd'hui, 20 ans plus tard, on en est encore à se demander s'il y a vraiment un génocide, alors que cela a été examiné et confirmé par le Parlement britannique.
    C'est ce qui se passe en ce moment mais, quand on parle de trouver un juste équilibre entre les choses positives qui se font sur place, et que je trouve enthousiasmantes, et ce qui se fait en dehors de la capitale… Que peut-on faire? Comment pourrait-on instaurer la démocratie que souhaite Aung San Suu Kyi, je crois, ainsi que le reste du monde?
    Le problème est que nous sommes en présence de deux très vastes pays. La Chine a fait du Myanmar sa marionnette. Elle contrôle près de 75 p. 100 de ses ressources naturelles, elle possède les barrages, elle contrôle tout. Elle possède tout. Il y a actuellement, en ce moment même, un soulèvement au sujet de l'électricité parce que plus de 95 p. 100 de l'électricité produite par les barrages en construction est destinée à la Chine.
    Donc, la population locale ne retire rien de ses ressources, de l’or, de l'uranium et du platine. Toutes ces merveilleuses choses sont envoyées à l'extérieur du pays. La population locale en reçoit très peu de choses. Voilà la dichotomie contre laquelle nous luttons. Je ne sais pas si j'ai répondu complètement à votre question mais…

  (1345)  

    Comme le temps m'est compté, je passe très rapidement à une autre question, si je peux…
    Ce sera votre dernière question.
    Il y a dans votre mémoire une affirmation qui m'intrigue un peu, quand vous dites ceci : « Il n'est un secret pour personne que le régime militaire veut entrer dans la nucléaire ». Ensuite, vous parlez de l'investissement et de l'application de technologies dans ce but, et vous faites allusion à la technologie applicable de la Russie, de la Chine et de la Corée du Nord.
    Encore une fois, le contraste est frappant à mes yeux. Je compare le fait que la Birmanie aspire à devenir une puissance nucléaire — avec tout ce que cela comporte, et sans qu'on en dise le moindre mot à l'échelle internationale — à la situation qui existe en Iran.
    Ce qui se passe… Là encore, je n'ai pas visité ces sites personnellement mais c'est une chose avérée, notamment par les États-Unis. Il y a aux États-Unis plusieurs personnes qui sont sorties du Myanmar avec les plans des sites, et il y a les photographies aériennes. Nous avons des preuves solides montrant que cela se fait. Vous pouvez tout voir à ce sujet sur YouTube, de A à Z.
    Il y a quelques années — je ne me souviens pas de combien exactement —, les Américains ont arraisonné un navire de la Corée du Nord qui emportait ce genre d'équipement au Myanmar, ainsi que des armes. Quant à savoir pourquoi les autorités veulent que le pays se nucléarise, je ne saurais le dire, à moins que ce soit pour desserrer quelque peu l'étau chinois dans lequel il est enserré depuis longtemps. Je ne sais pas. C'est pure spéculation de ma part.

  (1350)  

    Très bien. Nous passons donc au député suivant.
    Madame Grewal, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur et madame Humphries, d'être venus témoigner devant le comité.
    J'ai lu dans le magazine The Irrawaddy que la confiscation de terres en Birmanie « s'intensifie parce que des agences d'État et des entreprises nationales puissantes se positionnent pour accueillir des investissements étrangers ». On dit dans cet article que des groupes ont été expulsés manu militari de leurs terres pour laisser la place à de grands projets, notamment de pétrole et de gaz naturel. J'ai aussi lu quelque part que des projets d'extraction de ressources naturelles et d'infrastructure auraient été mis en oeuvre essentiellement dans des régions habitées par des minorités ethniques. Selon certains rapports, les collectivités locales n'ont jamais été consultées. Je sais que le droit de la propriété est assez vague en Birmanie, mais je crois comprendre qu'une nouvelle loi est en cours d'élaboration.
     À votre avis, est-ce que cette nouvelle loi sera conçue pour faciliter les choses aux entreprises ayant des liens avec les militaires, lesquelles pourront dire alors qu'elles agissent conformément à la loi quand elles s'emparent de terres appartenant à ces minorités?
    Oui, c'est encore une fois l'aspect antinomique de la constitution. Celle-ci dispose que vous avez le droit de posséder des terres mais, en contrepartie, elle donne au gouvernement le droit de vous exproprier à n'importe quel moment au nom du bien du pays. C'est ça la réalité.
    Quand ils veulent construire un barrage, comme ils l'ont fait au nord de Myitkyina, il leur suffit de dire qu'ils vont construire un barrage. C'est le quinzième plus grand barrage au monde et ils se sont mis à expulser les Kachins par milliers. Ils n'ont jamais respecté les engagements qu'ils avaient pris, par exemple de leur donner de nouvelles fermes ou de nouvelles terres ailleurs. Ils se sont simplement emparés des terres. Ensuite, ils ont fait venir environ 10 000 travailleurs migrants de Chine — j'habitais là-bas à l'époque — et la population locale n'a donc même pas eu la possibilité de gagner un peu d'argent en participant à la construction. Ils ont fait venir des Chinois pour construire les barrages, pour déblayer et creuser la terre et faire tout le travail, même si les Kachins ne voulaient pas du tout de ce barrage.
    Il y a donc tous ces projets en construction, comme le pipeline et tous les équipements allant de la baie jusqu'au milieu du Myanmar, à travers l'État de Shan, jusqu'en Chine, encore une fois. Toutes ces terres sont en train d'être confisquées. J'ai remis à la greffière du comité une carte montrant le nombre de régiments postés le long de ce pipeline, pour garantir que celui-ci sera construit et mis en place.
    Il y a ensuite le troisième qui va démarrer. Ils vont reconstruire le chemin de fer reliant la Thaïlande au Myanmar. Nous connaissons tous le célèbre film Le pont de la rivière Kwaï. Ce chemin de fer construit durant la guerre est en train d'être reconstruit. Là encore, ils vont confisquer des terres appartenant aux Karens.
    Tous ces agissements ont été bien étayés de documents, et les populations n'ont aucun recours. Il n'y a aucune justice. Personne n'a le moyen de dire: « C’est injuste, nous allons porter l'affaire devant les tribunaux ». Les gens n'ont aucun recours. Les terres sont perdues et c'est tout. En outre, s'ils se plaignent un peu trop, ils disparaissent.
    La Birmanie a annoncé qu'elle fera un recensement en 2014. Bien que certains groupes, comme Human Rights Watch, aient dit que cela pourrait avoir un effet positif là-bas, dans les régions ethniques, d'autres craignent que le recensement ait pour effet d'isoler encore plus les minorités ethniques, comme les Rohingyas, un groupe d'immigrants à prédominance musulmane.
    À votre avis, depuis l'élection d'un gouvernement théoriquement civil en 2011, et l'élection partielle d'une assemblée bicamérale en 2012, doit-on craindre un isolement encore plus marqué des minorités ethniques et religieuses? Que pourrait faire le gouvernement canadien pour s'opposer à l'isolement des minorités ethniques et religieuses?
    Je pense qu'il ne faut pas mépriser les groupes ethniques. Ce ne sont ni des sauvages ni des incultes. En fait, ce sont largement les groupes ethniques qui ont fait de la Birmanie ce qu'elle est aujourd'hui. Les Kachins sont des gens très éduqués, comme beaucoup des autres groupes ethniques. Les Chins sont aussi des gens très éduqués. Je pense qu'il faut les faire venir dans l'ensemble afin de mettre sur pied un gouvernement capable de tenir compte des intérêts de tous les groupes ethniques. Le problème, ce sont les ressources. À mon avis, c'est ce défi-là qui va les amener à…
    C'est comme si notre gouvernement fédéral décidait de prendre toutes les taxes sur le pétrole, sans rien laisser à l'Alberta. Voilà le problème auquel sont confrontés les groupes ethniques actuellement. Ils sont assis sur toutes ces ressources et ne font que réclamer la part qui devrait légitimement leur revenir dans le cadre de contrats et d'ententes pour les années futures.
    Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.

  (1355)  

    Si, vous y avez très bien répondu.
    C'était malheureusement tout le temps que vous aviez.

[Français]

    Monsieur Jacob, c'est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    Ma question s'adresse à M. Humphries.
    À la lecture de votre rapport et en vous écoutant, je constate que les conflits ethniques armés minent les chances d'édification d'une Birmanie démocratique.
    Premièrement, le processus démocratique récemment amorcé a-t-il eu un écho sur le terrain, dans les zones de conflit? Deuxièmement, la résolution des conflits ethniques est-elle importante pour la viabilité de la réforme démocratique en Birmanie?

[Traduction]

    Je comprends ce que vous dites, et cela nous ramène à ces choses difficiles car le régime militaire était aussi un groupe de conflit armé avant de laisser tomber l'uniforme pour endosser des costumes trois pièces, acheter toutes les terres et se faire élire. Il faut comprendre que, sur ces 600 sièges, probablement 550 sont occupés par des militaires ou d'anciens militaires. De ce fait, il y a dans un certain sens un groupe armé plus fort qui essaye maintenant de supplanter un groupe armé plus petit, les Kachins, qui était là depuis 50 ou 60 ans et essayait de…
    Ce n'est pas parce qu'ils ne voulaient pas travailler avec eux. Quand j'habitais là-bas, il y avait beaucoup de réunions entre les Birmans et les Kachins pour essayer de résoudre les problèmes. L'une des choses qu'ils ont essayé de faire a été de laisser les Kachins être les gardes-frontières, mais en ne leur laissant pas le droit d'occuper des postes de haut niveau dans l'armée. Ils peuvent simplement garder la frontière. Nous leur dirons quoi faire, où aller et comment se battre pour nous. Les Kachins ont refusé en disant qu'ils voulaient avoir un droit reconnu dans le pays et pouvoir aider leur population à aller de l'avant et à faire des études.
    Ce sont donc eux qui, durant cette période de cessez-le-feu, ont travaillé avec le gouvernement, ou plutôt avec le régime militaire. Cependant, ce qui est arrivé durant le cessez-le-feu, c'est que l'armée kachine a sans cesse dû reculer alors que l'armée birmane ne cessait d’avancer et d'occuper de plus en plus de positions et de s'emparer des terres de l'église, de s'emparer des mines de jade, de toutes les choses qui appartenaient autrefois aux Kachins. Durant le cessez-le-feu, les Birmans ont constamment avancé dans le territoire kachin, à un point tel que les Kachins ont finalement conclu qu'ils n'auraient plus rien et qu'ils devaient donc résister pour défendre leurs droits.
    Cela répond-il à votre question?

[Français]

    Merci.
    J'ai une autre question. À votre avis, quelles sont les perspectives de paix durable entre les groupes ethniques minoritaires et l'armée birmane? Autrement dit, quelles sont les principales concessions que les deux parties devront faire dans l'avenir?

[Traduction]

    Au risque de me répéter, il faudra changer la constitution afin qu'elle reflète un groupe de population plus homogène.
    Nous avons 135 groupes ethniques dans le pays et il y aura donc beaucoup de travail à faire. En discutant avec bon nombre des dirigeants des divers groupes ethniques, je n'en ai jamais entendu aucun dire: « Nous voulons devenir un pays indépendant ». Ils veulent faire partie d'une fédération. Ils veulent travailler ensemble. Je pense que c'est vraiment ce que désirent les groupes ethniques, et non pas d'obtenir une quelconque indépendance. Ils veulent travailler avec les autres parce que, d'une certaine manière, ce sont tous des frères et des soeurs, si vous voyez ce que je veux dire. Ils font tous partie des clans tribaux issus de l'histoire, et ils savent qu'ils ont beaucoup de points communs. Ce qu'ils veulent, c'est établir ensemble un système fondé sur l'égalité, et donner espoir et encouragement à leurs enfants et à leurs descendants.
    Voilà pourquoi vous ne voyez aucun des groupes militaires attaquer la capitale ou marcher sur Rangoon. Ils n’essayent pas d'utiliser leur pouvoir contre les Birmans. Ils réclament simplement l'égalité. Ils réclament un plus juste équilibre.
    Je crois que c'est ce qu'ils essayent de faire, et je leur tire mon chapeau pour cela.
    Cela dit, comme l'a déclaré Aung San Suu Kyi , il faudra que ce soit une fédération pour que tous travaillent ensemble. Elle le comprend bien, mais je ne pense pas qu'ils le comprennent tous, à cause de toutes ces années durant lesquelles ils sont passés du statut du royaume sous la coupe des Britanniques à un statut dans lequel ils sont maintenant tous séparés. Il n'ont simplement aucune idée de ce qu'est la démocratie. Ce n'est pas dans leurs gènes. Il y a toujours eu un chef suprême dirigeant son peuple.

  (1400)  

[Français]

    Merci.
    Me reste-t-il encore quelques minutes?
    Non, aucune.
    D'accord. Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Humphries.

[Traduction]

    En réponse à l'une des questions du professeur Cotler, M. Humphries a mentionné un rapport. Je ne sais pas si c'était un rapport de comité mais il s'agissait d'un rapport de la Chambre des communes britannique.
    Je me demande si vous pourriez nous en donner la source? Cela nous serait utile pour la préparation de notre propre rapport.
    Oui, nous pourrons le faire. En fait, la greffière en a un exemplaire, et Russ aussi.
    Nous voulions éviter de vous donner trop de papier. Il y a environ 150 pages dans mon annexe et, bien sûr, je ne voulais pas vous obliger à tout traduire. Je l'ai donc remis à la greffière afin de vous laisser décider ce que vous voudrez en faire. Nous voulions donner de la crédibilité à nos affirmations, et ce rapport en est un élément important.
    Je vous en remercie. Malheureusement, notre règlement interdit à la greffière de distribuer tout document qui n'existe pas dans les deux langues officielles. Nous ne pourrons pas le distribuer. Toutefois, si vous l'avez, je suppose qu'on peut le trouver par Internet, et rien ne nous empêche de donner le lien à tous les membres du comité afin qu'ils puissent y jeter un coup d'oeil.
    Vous êtes tout à fait autorisés à le traduire en français. Je savais pas si vous vouliez 150 pages d'informations en français.
    Je suis sûr que nous en serions très heureux, mais j’ai le sentiment que les traducteurs s'y opposeraient.
    Quoi qu'il en soit, nous avons l'information. Personne n'a été privé de l'information, ce dont nous vous remercions.
    Nous vous remercions également de votre témoignage. Je vous remercie d'être venus devant le comité. J'ai eu la possibilité de lire tout votre mémoire, où j'ai trouvé de très bonnes informations, même si j'ai été obligé de vous couper la parole pendant que vous le lisiez. J'encourage cependant tout le monde à le lire complètement.
    J'ai noté aussi que vous avez ajouté une annexe très complète, avec une bibliographie et une liste de sites Web qui devraient nous permettre d'obtenir encore plus d'informations et de poursuivre nos recherches si nous le souhaitons.
    Je vous remercie beaucoup tous les deux d'être venus.
    Je vais suspendre la séance un instant avant de poursuivre la réunion à huis clos pour donner aux membres du comité une idée du programme des prochaines semaines, avant le congé de l'été. Nous reprendrons donc dans un instant.
    La séance est suspendue.
     [La séance continue à huis clos.]
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