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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 012 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 15 avril 2010

[Enregistrement électronique]

  (1105)  

[Traduction]

    La séance est ouverte. Cette réunion est la 12e du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous sommes le jeudi 15 avril 2010. Mesdames et messieurs les membres du comité, vous avez devant vous l'ordre du jour pour aujourd'hui. Nous poursuivons notre étude sur le crime organisé au Canada.
    Nous accueillons aujourd'hui'hui devant nous plusieurs témoins qui vous nous aider avec notre examen. Nous avons, tout d'abord, le Service des poursuites pénales du Canada, représenté par François Lacasse, ainsi que par Yvan Poulin. Nous avons également CANAFE, avec Hélène Goulet, Paul Dubrule, Denis Meunier et Chantal Jalbert. Bienvenue à vous tous.
    Je pense que vous connaissez le processus. Chaque organisme dispose de 10 minutes pour faire une déclaration, après quoi nous passons aux questions des membres du comité.
    Qui aimerait commencer? Pourquoi ne commencerions-nous pas avec le Service des poursuites pénales du Canada? Monsieur Lacasse.
    Je m'appelle François Lacasse. Mon collègue est Me Yvan Poulin, et nous allons nous partager notre exposé. Je vais faire un bref survol de la loi en matière de divulgation, et mon collègue abordera la question de la divulgation dans le contexte d'un mégaprocès contre le crime organisé.
    Dans l'affaire R. c. Stinchcombe — la cause de 1991 faisant jurisprudence en matière d'obligations de divulgation au pénal, une cause dont vous avez déjà entendu parler —, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'il revient à la poursuite un devoir général de divulguer tous les renseignements pertinents possédés par la Couronne. Avant la cause Stinchcombe, les procédures de divulgation variaient dans le pays, d'une région à une autre, voire même d'un procureur à un autre. En gros, l'arrêt Stinchcombe a changé tout cela en cristallisant une approche unifiée en matière de divulgation.
    Les obligations de divulgation de la poursuite sont une composante du droit de chaque accusé au Canada à une défense pleine et entière, droit qui, comme vous le savez, est protégé par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. De nombreuses règles régissent la divulgation, mais je ne vais traiter que des quelques règles clés qui sont nécessaires pour comprendre l'incidence de la divulgation sur les poursuites visant le crime organisé, et qui sont généralement qualifiées de mégaprocès.
    La première règle clé, la plus importante régissant la nature de ce qui doit être divulgué, est le concept de la pertinence. En bref, les cours ont adopté une opinion très généreuse de ce qu'est la pertinence. Cela ne se limite pas aux preuves produites à l'instance. Cela englobe les renseignements qui pourraient être utiles à la défense, que ceux-ci soient inculpatoires ou disculpatoires. Essentiellement, si le renseignement pourrait présenter quelque utilité pour la défense, il est pertinent et doit donc être communiqué. Pour les poursuivants, la chose est essentiellement définie de manière négative: seul ce qui est clairement sans pertinence ne devrait pas être produit et, en cas de doute, la jurisprudence nous dit qu'il nous faut privilégier la communication.
    Enfin, à cet égard, il me faudrait mentionner qu'il n'est pas nécessaire de communiquer les renseignements privilégiés. Dans le contexte du crime organisé, cela englobe surtout les renseignements protégés par les privilèges sauvegardant l'identité des informateurs et les techniques d'enquête.
    En ce qui concerne le moment où intervient la communication de la preuve, cette obligation est déclenchée par une demande de communication faite par l'accusé ou pour son compte. La communication de la preuve doit être faite avant qu'il ne soit demandé à l'accusé de choisir le mode d'instruction qu'il préfère ou, dans les procès sommaires, avant qu'il ne soit demandé à l'accusé de répondre à l'accusation. Cela est également très important dans le contexte des mégaprocès.
    La loi n'établit pas de mode de communication de la preuve qui soit universel. Même si le dépôt de copies papier de la documentation est la pratique la plus courante, elle n'est pas la seule. Le format électronique est un outil utile, surtout dans les mégaprocès, comme l'expliquera mon collègue.
    Enfin, les coûts et les ressources nécessaires pour remplir les obligations en matière de communication de la preuve sont la responsabilité de l'État. Vous devinerez que cet aspect est lui aussi très important dans le contexte des mégaprocès.
    Conjointement à la communication de la preuve, il importe de tenir compte d'un autre facteur tout à fait crucial dans l'évaluation de la complexité des poursuites pénales en cours: je veux parler des contestations faites par la défense, à l'égard de l'enquête elle-même, invoquant la Charte. Dans ce scénario, le procès pénal visant à déterminer la culpabilité ou l'innocence peut être et est souvent précédé par des motions préalables au procès, et dont l'objet est de déterminer quels ont été les actes des enquêteurs et d'en faire l'examen pour déterminer leur légalité et leur constitutionnalité. En cas d'infraction à la Charte, la loi prévoit des recours qui peuvent être fatals pour les poursuites, notamment exclusion d'une preuve ainsi que suspension de l'instance.
    Le respect de ces deux aspects des procès pénaux modernes au Canada, soit la communication de la preuve et l'examen de l'enquête, a fondamentalement changé le paradigme des poursuites pénales au Canada. Elles sont aujourd'hui principalement axées sur le processus.
    Cela étant dit, je vous soumettrai néanmoins que l'arrêt Stinchcombe en matière de communication de la preuve a sans aucun doute servi à promouvoir l'équité, la transparence et des verdicts plus justes lors de procès criminels. Cependant, la communication de la preuve a un prix. Elle pose des défis conséquents aux poursuivants dans les affaires de crime organisé, comme en traitera mon collègue, Me Poulin.

  (1110)  

[Français]

    Qui dit crime organisé, dit forcément méga dossier. Le but ultime des enquêtes de plus en plus fréquentes en matière de crime organisé est de démanteler les organisations et, surtout, de neutraliser les têtes dirigeantes. Au cours des dernières années, l'expérience démontre que les têtes dirigeantes opèrent généralement en créant une zone tampon autour d'eux, ce qui fait en sorte que la détection et l'obtention de la preuve à leur endroit sont très difficiles.
    Cela fait en sorte que la cueillette d'une preuve suffisante requiert généralement et plus souvent qu'autrement des enquêtes très longues qui nécessitent le recours à une panoplie d'outils, qui vont de la simple filature à la surveillance électronique, en passant par le recours à des agents d'infiltration. L'utilisation de ces moyens d'enquête, à cause de leur nature et en raison de la durée des enquêtes elles-mêmes, va forcément générer un volume de preuves très considérable qu'il faut colliger, classifier et divulguer en fonction des principes que vient d'expliquer Me Lacasse.
    Le défi consiste donc à respecter les principes émis dans l'arrêt Stinchcombe dans un contexte où le volume de preuves est, dans certains cas, tout à fait gigantesque. Je suis le procureur responsable du projet Colisée dont vous avez probablement entendu parler et dont l'objectif consistait à s'attaquer à la mafia montréalaise. Colisée illustre bien, je pense, le volume de preuves que l'on peut recueillir dans une enquête.
    Entre 2002 et 2006, la GRC et d'autres corps policiers ont mené une enquête qui visait la mafia montréalaise. Pendant cette période, près de 1,2 million de conversations ont été interceptées par des policiers. Plus de 50 p. 100 de ces 1,2 million de conservations se sont tenues dans une langue autre que le français et l'anglais, de telle sorte qu'on a dû recourir à des traducteurs tout au long de l'enquête. On a eu recours à plus d'une trentaine de traducteurs. Environ 8 000 conservations ont été choisies et transcrites pour faire partie de la communication de la preuve; en fait, de la preuve à charge de la poursuite. Un grand nombre de ces conversations, souvent parmi les plus incriminantes à l'égard des têtes dirigeantes, étaient d'une pauvre qualité sonore parce qu'interceptées à même des micros placés dans des lieux très bruyants, ce qui ajoutait à la complexité de l'affaire.
    En plus de l'écoute électronique, on a environ 120 000 heures d'enregistrements vidéo qui ont été captées subrepticement et qui se devaient d'être divulguées. Au plus fort de l'enquête, plus de 100 enquêteurs étaient impliqués dans un rôle ou un autre, plusieurs d'entre eux dans la préparation de la divulgation de la preuve. Trois procureurs du ministère public étaient assignés à temps plein à titre de conseillers juridiques pendant l'enquête. Vers la fin de l'enquête, le nombre de procureurs affectés au projet Colisée a grimpé à 10 en préparation de la phase judiciaire.
    Comme vous le savez, en novembre 2006, à l'issue de toute cette enquête, les policiers ont procédé simultanément à l'arrestation de 101 personnes. Nous avons divulgué à certains des accusés les plus impliqués l'équivalent d'au-delà d'un million de pages de documents dans les jours qui ont suivi les arrestations.
    À l'issue d'enquêtes de cette envergure, l'objectif est très grand. Le défi est grand. Cela consiste à divulguer un volume de preuves très important de la façon la plus complète possible dans le moins de temps possible. Étant donné le volume, vous ne serez pas surpris d'apprendre que nous avons recouru au format électronique qui comporte certains avantages et, surtout, qui est maintenant reconnu par les tribunaux comme étant une façon dont on peut se servir pour divulguer la preuve. Cela comporte les avantages suivants: les coûts sont considérablement réduits parce que l'on divulgue de façon électronique; les capacités de recherche, tant pour la défense que pour la Couronne et les policiers, sont beaucoup plus grandes; le volume est évidemment beaucoup moindre et le format électronique se prête beaucoup mieux à la divulgation lorsqu'on parle d'écoute et de surveillance électroniques.

  (1115)  

    On a l'outil, c'est-à-dire la divulgation électronique. Dans le cadre de la divulgation, nous avons suivi ce que j'appellerais trois principes directeurs, justement dans le but de divulguer la preuve de façon efficace. Les principes sont la prévoyance, la focalisation et l'organisation.
    On parle de prévoyance dans le sens où la divulgation doit être planifiée dès le début de l'enquête. Ce n'est pas à la fin qu'on doit se demander comment procéder relativement à tout ce qui doit être divulgué. Si on ne planifie pas, la masse de renseignements sera impossible à divulguer de façon intelligible et en temps utile. Comme vous le savez peut-être, on assigne désormais des procureurs pour qu'ils aident les enquêteurs à planifier la divulgation de la preuve au fur et à mesure que celle-ci est recueillie. Les politiques du Service des poursuites pénales du Canada suggèrent d'avoir recours à cette pratique.
    Le deuxième principe directeur est la focalisation. Ce que l'on dit aux enquêteurs et ce que tentent de faire les procureurs de la Couronne, c'est de restreindre l'étendue des enquêtes et d'éviter ce que j'appellerais l'éparpillement. Il est inopportun que les policiers procèdent à une enquête qui génère un volume inutile de preuves et qui ne permet pas d'atteindre les objectifs que l'on s'était fixés.
    Le troisième principe est l'organisation. Pour se conformer aux exigences, il faut faire en sorte que la divulgation soit compréhensible et intelligible. Il faut pouvoir s'y retrouver. Donc, on classe et on catégorise les éléments de preuve en fonction de leur utilité, et ce, dès le début.
    Pour conclure, je dirai qu'une saine gestion de la divulgation de la preuve en matière de crime organisé exige le recours à l'électronique. Elle demande aussi qu'on suive les principes directeurs que je viens de mentionner. L'expérience, dans l'affaire Colisée et d'autres dossiers, nous démontre que la chose est possible. En revanche, il est évident que cela exige d'importantes ressources et que celles-ci doivent être utilisées de façon très judicieuse.

[Traduction]

    Merci.
    Nous allons maintenant passer à Hélène Goulet. Vous comparaissez au nom de CANAFE.
    J'aimerais commencer par vous présenter les excuses de la directrice, Jeanne Flemming, qui n'a pas été en mesure d'être parmi nous aujourd'hui.
    J'aimerais également vous présenter Chantal Jalbert, directrice adjointe, Opérations régionales et conformité; Denis Meunier, directeur adjoint, Analyse financière et communications de cas; et notre avocat principal, Paul Dubrule.
    Permettez-moi de vous décrire notre mandat et ce que nous faisons. Notre mission est de contribuer à la sécurité publique des Canadiens et d'aider à protéger l'intégrité du système financier grâce à la détection et à la dissuasion du blanchiment d'argent et du financement d'activités terroristes. CANAFE a été créé en 2000, en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, à titre d'organisme indépendant présentant ses rapports au Parlement par l'entremise du ministre des Finances, le ministère des Finances étant le chef de file du gouvernement en matière de lois et de politiques reliées au régime canadien de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. En 2001, après les événements du 11 septembre, la lutte contre le financement des activités terroristes a été ajoutée au mandat du Centre, en vertu de la Loi antiterroriste.
    CANAFE est l'unité du renseignement financier du Canada. Nous avons un peu plus de 300 employés, et trois bureaux régionaux, en plus de notre administration centrale.
    Nous sommes un organisme unique au Canada, car notre mandat est d'analyser les renseignements tirés de déclarations d'opérations financières et de communiquer certains renseignements aux enquêteurs dans les limites permises par notre loi. Notre loi stipule que nous ne pouvons communiquer des renseignements aux services de police que lorsque nous avons des motifs raisonnables de soupçonner qu'ils seraient utiles aux fins d'enquête ou de poursuite relativement à une infraction de blanchiment d'argent ou de financement d'activités terroristes. Lorsque nous avons des motifs raisonnables de soupçonner que les renseignements que nous détenons seraient pertinents à une menace, nous devons les communiquer au Service canadien du renseignement de sécurité.
    Bref, nous fournissons aux organismes d'application de la loi et de sécurité nationale des indices de nature financière. Nous sommes une source de renseignements pour tous les services de police du Canada et possédons une capacité unique de suivre la piste de l'argent issu d'activités criminelles partout au pays et dans le monde. Nous pouvons également communiquer des renseignements à l'Agence du revenu du Canada, à l'Agence des services frontaliers du Canada et au Centre de la sécurité des télécommunications Canada lorsque certains critères réglementaires concernant ces organismes sont remplis. Enfin, nous pouvons communiquer des renseignements aux unités du renseignement financier étrangères.
    Pour vous donner un bon aperçu de notre mandat, il est également important de signaler ce que CANAFE n'est pas. Le Centre n'est pas un organisme d'enquête et il ne possède pas les pouvoirs nécessaires pour recueillir des preuves, pour porter des accusations et pour saisir ou geler des biens. CANAFE n'enquête pas sur les infractions présumées et n'intente pas de poursuites. Le Centre est plutôt un organisme d'analyse, qui produit des renseignements financiers pouvant être communiqués, le cas échéant, afin de faciliter les enquêtes menées par les organismes d'application de la loi et de sécurité.

  (1120)  

[Français]

    Tous les jours, diverses entreprises, que nous appelons des entités déclarantes, transmettent à CANAFE des déclarations sur différents types d'opérations financières. Les entités qui nous font parvenir le plus grand nombre de déclarations sont les banques, mais nous recevons également des déclarations des casinos, des caisses populaires, des compagnies d'assurance-vie et des entreprises de services monétaires, pour n'en nommer que quelques-unes. Nous sommes autorisés, en vertu de notre loi, à recevoir des déclarations d'opérations douteuses et de tentatives d'opérations douteuses, des déclarations d'opérations importantes en espèces de plus de 10 000 $, des déclarations de déboursements de casinos et des déclarations de télévirements internationaux de 10 000 $ ou plus.
    Au fil des années, nous avons monté une vaste base de données comprenant ces déclarations. Grâce à nos programmes informatiques sophistiqués et aux talents de nos analystes très qualifiés, nous pouvons analyser ces données ainsi que de l'information provenant d'autres sources, comme les bases de données des organismes d'application de la loi, les bases de données commerciales ou accessibles au public et, parfois, de l'information provenant d'unités du renseignement financier étrangères. En termes simples, nous prenons des données sur des opérations financières, y ajoutons l'information à laquelle nous avons accès, analysons le tout et divulguons notre produit analytique sous la forme d'une communication de cas. Sans entrer dans les détails de ce que nous faisons, je dirai que nous sommes à l'affût d'opérations et de tendances financières qui nous permettent de cibler des activités présumées de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme.
    Comme vous pouvez l'imaginer, les déplacements de fonds illicites sont habituellement très discrets et complexes. Ils concernent des centaines et parfois même des milliers d'opérations ainsi que des douzaines de personnes et d'entreprises. Les organisations criminelles utilisent parfois plus d'une douzaine d'institutions financières différentes partout au pays et dans le monde pour recycler leurs profits. Il est donc facile de comprendre comment les ressources d'un seul service de police peuvent ne pas suffire à la tâche et pourquoi le rôle du CANAFE est si important.
    Au fil de notre évolution, et alors que nous devenions un organisme chevronné, nous avons été en mesure d'augmenter de façon importante notre production de renseignements financiers. Le rapport annuel le plus récent de CANAFE, déposé l'automne dernier, résume un certain nombre d'enquêtes criminelles qui ont été facilitées par nos renseignements financiers. Un des 556 cas communiqués portait sur une fraude d'envergure internationale en matière d'investissements dans le cadre de laquelle des milliers d'opérations avaient été effectuées pour des centaines de millions de dollars.

[Traduction]

    L'augmentation du nombre de cas que nous avons communiqués l'année dernière poursuit la tendance que nous connaissons depuis que nous sommes devenus opérationnels. Nous sommes maintenant en mesure de produire plus de renseignements financiers, plus rapidement. Ces renseignements font l'objet d'une demande croissante, surtout lorsque les services policiers enquêtent sur des réseaux criminels et de nombreux suspects en même temps. La piste de l'argent est devenue un aspect important du travail d'enquête. Les renseignements financiers permettent de mettre à jour des opérations qui sont parfois reliées à des activités criminelles. Ils peuvent aider les enquêteurs à décider où chercher des preuves, qui inclure dans l'enquête et qui en exclure, comment les différents sujets sont reliés et où les biens peuvent être cachés. Cela vaut pour les enquêtes portant sur les fraudes, le trafic de drogues et de nombreuses autres infractions criminelles concernant les produits de la criminalité.
    La véritable mesure de notre succès demeure notre capacité d'améliorer l'efficacité de ceux qui enquêtent sur des crimes graves.
    Les renseignements stratégiques font également l'objet d'une demande croissante et, alors que nous évoluons et acquérons de l'expérience, nous sommes en mesure d'accroître notre capacité en matière d'analyse stratégique. En expliquant les tendances dans le blanchiment d'argent et en se penchant sur la situation dans son ensemble, nous aidons nos entités déclarantes à être plus efficaces dans la détection et la dissuasion aux premières lignes. Par exemple, nous avons récemment rédigé un rapport à l'intention du secteur bancaire — et il figure également sur notre site Web — intitulé Typologies et tendances en matière de blanchiment d'argent et de financement des activités terroristes au sein du secteur canadien des banques.
    Pour conclure, j'aimerais maintenant passer à un enjeu très important pour nous, la protection des renseignements personnels.
    Notre loi a été rédigée minutieusement afin de protéger de la meilleure façon possible les renseignements personnels, tout en permettant la communication de certains renseignements aux organismes d'application de la loi. Nous sommes le seul organisme fédéral dont le mandat comprend l'obligation d'assurer la protection des renseignements personnels qu'il détient. En vertu de notre mandat, une grande quantité de renseignements personnels nous sont confiés et c'est une responsabilité que nous prenons très au sérieux. Nos mesures de sécurité sont rigoureuses et complètes. Aucun organisme de l'extérieur ne peut avoir accès à nos banques de données. La loi prévoit de lourdes sanctions pénales en cas de communication non autorisée de renseignements. Comme vous le savez peut-être, notre loi prévoit également un examen obligatoire de nos mesures de protection, qui doit être effectué par le Commissaire à la protection de la vie privée tous les deux ans. Les résultats du premier examen, terminé l'automne dernier, démontrent que nous protégeons très bien les renseignements que nous détenons.
    Enfin, vous trouverez à la fin de ma présentation un tableau qui illustre notre processus opérationnel. Je sais qu'il serait trop long pour moi de vous en expliquer les détails aujourd'hui, mais nous serions enchantés de revenir et d'en discuter et, peut-être, d'illustrer comment nous montons un dossier.
    Merci, monsieur le président.

  (1125)  

    Merci à vous tous.
    Nous allons maintenant passer aux questions.
    Monsieur Murphy, vous disposez de sept minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci aux témoins.
    J'aimerais tout d'abord, maître Lacasse et maître Poulin, vous poser des questions au sujet de la communication de la preuve. Nous entendons dire qu'il se fait, à l'intérieur de la collectivité juridique, du travail de nature collaborative entre le barreau de la défense, l'Association du Barreau canadien, l'association des procureurs, et ainsi de suite, sinon pour codifier la chose, au moins pour en arriver à des protocoles en vue de pratiques exemplaires relativement au respect des exigences en matière de divulgation requises aux termes de l'arrêt Stinchcombe.
    Premièrement, ma question est de savoir si la chose est en train de se faire. Comme cela a été dit par plusieurs personnes ici, il serait également vraisemblablement dans l'intérêt de l'avocat de la défense d'avoir une idée de ce qu'est le protocole ou de la nature et de l'envergure de la communication de la preuve, ainsi que du moment opportun pour la faire. Il conviendrait d'éviter de se présenter au procès et d'entendre « Oh, je ne savais pas que vous aviez cela », et que l'instance soit interrompue à jamais du fait de quelque recherche pyrrhique de document.
    À votre connaissance, cela est-il en train de se faire du côté d'autres associations?
    Deuxièmement, et cela s'inscrit peut-être davantage dans notre propos ici, entrevoyez-vous quelque moyen pour nous de codifier la chose et de prendre les éléments de l'arrêt Stinchcombe et de les inscrire dans quelque forme de loi, d'application aussi large que possible, et qui soit de quelque utilité?
    Pour répondre à votre première question, oui, on m'a informé que diverses associations sont en train de faire du travail en vue de la codification de la communication de la preuve. Ni M. Poulin ni moi-même n'avons participé directement à ce travail. Nous faisons davantage de travail dans les tranchées. Ce que vous aurez peut-être compris à entendre notre déclaration est que nous avons essayé de travailler à l'intérieur des règles existantes pour faire fonctionner le système.
    Voilà le premier point. En ce qui concerne votre deuxième question, quant au genre de politique, je vais résumer dans le sens de votre question.
    En tant que procureurs de la Couronne, ce n'est pas notre rayon, si je peux dire, que de déterminer quel genre de politique devrait être adoptée et s'il serait dans l'intérêt de l'administration de la justice de codifier ce que nous dit, en gros, la jurisprudence, depuis presque deux décennies. Nous pensions que l'utilité de notre intervention serait de montrer qu'en élaborant des politiques et en insistant sur la collaboration entre organismes d'enquête, même dans le cas de grosses affaires de criminalité organisée, il n'est pas impossible de se plier aux principes de divulgation.
    Je comprends votre réticence à traiter de politiques ou, que Dieu nous en protège, de la politique. Je comprends. Mais vous êtes avocat. Vous traitez de cela tous les jours. Vous lisez des arrêts. Je vous demande de nous dire non pas à quoi cela ressemblerait, mais à quoi cela pourrait ressembler.
    Ce concept de pertinence est un concept amorphe et très général. Qu'est-ce que c'est et qu'est-ce que ce n'est pas? Il n'y a point de laides amours. La pertinence est déterminée par celui qui en établit les paramètres. Peut-elle être codifiée, ou peut-elle être inscrite dans une politique ou un protocole?

  (1130)  

    Le Parlement a décidé de codifier dans le passé plusieurs principes de common law. Nous avons vu cela. L'aspect détermination de la peine en droit pénal a été codifié dans les articles 7, 18 et dans les articles subséquents du Code criminel. Il est possible de faire cela. La common law a été codifiée par le passé.
    Est-il nécessaire de faire cela en ce qui concerne l'aspect communication de la preuve en droit pénal? C'est au Parlement qu'il revient d'en décider et au ministère de la Justice d'en étudier la faisabilité.
    Si vous permettez que j'ajoute quelque chose, le Parlement a déjà légiféré relativement à la divulgation dans les cas d'agression sexuelle. Le Code criminel renferme des dispositions qui ont été prises suite à des arrêts de la Cour suprême qui ont été déclarés constitutionnels. Alors, oui, cela peut être légiféré.
    Pour pousser plus loin la chose, vous dites que d'autres groupes y travaillent. Notre personnel aimerait peut-être avoir accès au résultat de leur travail. Il se tient chaque année une conférence sur le droit pénal réunissant des poursuivants et des avocats de la défense. Ce n'est pas l'Association du Barreau canadien qui l'organise. Est-ce de cela qu'il est question ici? De quoi parlez-vous?
    Je sais que le ministère de la Justice est en train de faire du travail et de consulter d'autres intervenants. Quant à la nature exacte du travail que fait le ministère de la Justice... Nous sommes aujourd'hui indépendants. Nous sommes le Service des poursuites pénales du Canada. Je ne connais pas le détail quant aux personnes que consulte le ministère, ni quant au genre de travail qu'il est en train d'effectuer.
    Nous pourrions, je suppose, mener notre petite enquête.
    Brièvement, je vous livre ici rapidement une petite série de questions pour Mme Goulet. Combien d'analystes avez-vous? Vous avez très soigneusement tenu à souligner que vous n'enquêtez pas, mais que vous analysez, mais combien d'analystes comptez-vous? Et vous parlez également de rapports. Ce sont les rapports de différents organismes, comme des banques, et ainsi de suite, n'est-ce pas? Il y a une obligation de vous faire rapport. De manière générale, combien de rapports traitez-vous chaque jour, chaque mois, chaque semaine, selon l'unité de temps que vous préférez retenir? Combien d'employés avez-vous? Je veux dire, combien d'analystes? Quel est le volume?
    Je vais demander à M. Meunier de vous parler des analystes et à Mme. Jalbert de vous parler des entités déclarantes.
    Nous avons environ 40 à 50 analystes tactiques et quelque 10 à 15 personnes qui s'occupent d'analyse stratégique chez CANAFE.
    Si vous souhaitez avoir une explication, le travail de renseignement tactique est, en gros, l'examen de cas précis, noms, adresses, et ainsi de suite, tous renseignements qui feraient partie d'un dossier que nous divulguerions à la police, par opposition au travail de renseignement stratégique, où il s'agit d'examiner des tendances et des schémas, sans mention de noms, en utilisant simplement des typologies très génériques.
    Et quel serait le nombre de rapports?
    Vous voulez parler des rapports qui nous arrivent des entités déclarantes?
    Oui. Vous avez parlé de rapports provenant de banques, etc. Il y a ici une longue liste. Les entités déclarantes fournissent des rapports. J'ai tout simplement tiré le verbe de...
    En vertu de la loi sur le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes, les entités déclarantes couvertes par notre loi doivent nous livrer des rapports sur les transactions sur les opérations suspectes ou les transactions importantes en espèces. Combien? L'an dernier, il y en a eu 24 millions.
    Vingt-quatre millions. Et il y a 40 personnes qui s'occupent de 24 millions de déclarations?
    Nous avons, bien sûr, des systèmes qui nous aident à effectuer ce travail d'analyse. Nous recevons environ 6 500 déclarations par jour et, comme l'ont mentionné ma collègue et Mme Goulet, il y en a de toutes sortes. Ces rapports font état d'opérations douteuses, d'opérations importantes en espèces, de transactions transfrontalières, de télévirements internationaux — les télévirements internationaux sont la catégorie la plus grosse de déclarations que nous recevons — et nous recevons également des déclarations de déboursements de casinos, etc. Nous avons des systèmes qui nous permettent de faire l'examen de ces rapports.
    Mais, je vous le soumets très rapidement, 6 500 par jour, cela ne donne pas un total 24 millions, mais nous pourrons peut-être y revenir.
    Nous y reviendrons.
    Soixante-cinq mille par jour.
    Ce qui donne 24 millions.
    Très bien. Nous allons maintenant passer à M. Ménard, pour sept minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Franchement, nous avons devant nous plusieurs témoins avec qui on pourrait parler pendant des jours et des jours. Pour ma part, j'ai pratiqué le droit criminel pendant plus de 25 ans avant l'arrêt Stinchcombe. C'est à peine connu parce que j'ai été élu pour la première fois en 1993. Je ne veux vous poser que quelques questions, mais j'aurais aimé vous en poser probablement une centaine et aussi à propos de l'arrêt Stinchcombe que je ne connaissais seulement qu'un peu mais dont j'avais déjà entendu parler.
    Une chose est certaine, l'arrêt Stinchcombe a fait augmenter considérablement le coût des enquêtes de police, même si je comprends pourquoi il existe. Si je ne m'abuse, ce principe nous vient d'Angleterre après la cause des Quatre de Guildford.

  (1135)  

    C'est certainement entre autres un élément qui a influencé la cour, mais le principe de divulgation pourrait aussi tirer son origine en matière civile.
    Oui, mais c'est à partir de cet incident et de l'enquête qui a suivi qu'on a légiféré en Angleterre. Il y a donc eu des décisions dont s'est inspiré la Cour suprême.
    Pourriez-vous nous donner une évaluation de cette énorme augmentation des coûts d'enquêtes de police qui peut être compensée par des plaidoyers de culpabilité plus fréquents, compte tenu des preuves évidentes qui peuvent pousser les avocats à plaider coupable plus souvent?
    Je pense qu'une bonne organisation de la preuve et le fait de divulguer la preuve dès le départ a cet effet. Sans entrer dans les détails parce que le dossier n'est pas complètement terminé, pour 101 accusés, je crois qu'environ 70 dossiers sont complétés au moment où on se parle. La communication de la preuve organisée a eu cet effet. Les accusés voient la preuve que détient la poursuite. Celle-ci est organisée de façon compréhensible, malgré le volume important. Cela les convainc que, dans le fond, la meilleure chose à faire est de reconnaître leur culpabilité et de négocier à d'autres égards, par exemple les plaidoyers et les sentences. L'effet est direct, c'est certain.
    Nous n'avons que sept minutes chacun.
    Cette grande initiative a, si je ne me trompe pas, commencé en Angleterre. La Cour suprême s'est inspirée des décisions anglaises. Est-ce que beaucoup de pays font cela? Je suppose que les pays du Commonwealth et ceux de tradition anglaise ont adopté ce procédé: l'Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis. Mais en ce qui concerne l'autre façon de faire, y a-t-il un équivalent,en France ou en Allemagne?
    L'aspect international est du domaine d'expertise de mon collègue.
    Il y a une mouvance générale dans cette direction et je vous citerai le cas de l'Italie qui, dans les années 1980, a connu les premiers grands procès contre la mafia italienne. Comme vous le savez, l'Italie fonctionnait dans un système d'inspiration inquisitoire. À la suite de l'expérience de ces procès, le gouvernement a complètement transformé sa procédure pénale pour la rendre beaucoup plus accusatoire au début des années 1990. Avec cela, viennent évidemment les conséquences que sont la divulgation de la preuve et un rôle beaucoup plus important du ministère public, mais aussi de la défense. Vous n'êtes sans doute pas sans savoir que la France envisage à l'heure actuelle l'abrogation du rôle du juge d'instruction. Pas plus tard que cette semaine, des procureurs haïtiens ont communiqué avec moi pour avoir notre son de cloche et dire que eux aussi considèrent passer en mode accusatoire, ce qui signifie nécessairement un mode de divulgation de la preuve tel qu'on l'entend aujourd'hui.
    En résumé, c'est une tendance mondiale, il faut apprendre à vivre avec cela. L'administration de la justice s'est épouvantablement compliquée depuis que j'ai commencé à pratiquer.
    Je voudrais aller du côté de CANAFE, qui m'intrigue. On entend parler, en tout cas quand on pratique, de certaines méthodes de blanchiment d'argent. Un avocat assez célèbre ne s'en cachait pas. Il était probablement l'un des plus riches dans le métier. Il se vantait d'être très chanceux au casino. Chaque fois qu'il allait en vacances, il allait toujours au casino et il revenait avec des centaines de milliers de dollars. Tout le monde voyait clair dans son jeu et imaginait qu'il achetait des dizaines de milliers de dollars en jetons et qu'il jouait. À un certain moment, il repassait à la caisse et se faisait faire un chèque de la part du casino. Que pouvez-vous faire en pareille situation?

  (1140)  

    L'information nous provient justement des casinos qui sont obligés de nous rapporter les achats que le joueur peut faire. Aussi, depuis le 28 septembre 2009, on reçoit les déclarations de déboursement des casinos. C'est un instrument qui nous permet maintenant de colliger les achats, les déboursements et aussi d'en faire l'analyse. Pour ce qui est d'endroits à l'étranger, il est toujours possible pour nous d'obtenir des informations. Si la police a des informations et nous les donne volontairement, il est toujours possible pour nous d'obtenir des informations par rapport à des enquêtes qui pourraient être faites à l'étranger.
    Vous vous rendez compte que, dans le monde d'aujourd'hui, il y a des casinos partout. Beaucoup de pays considèrent que c'est une façon pour eux de faire de l'argent. Il y en a sur les bateaux. Avez-vous des relations aussi étendues que cela?
    Avec nos partenaires internationaux, nous avons présentement 62 protocoles d'entente relatifs à l'échange d'informations et cela nous permet d'étendre notre réseau de détection à l'échelle internationale.

[Traduction]

    Merci.
    Nous allons passer à M. Comartin pour sept minutes.
    Merci de votre présence.
    Permettez-moi de commencer avec le CANAFE, pour un complément d'information.
    Monsieur Meunier, vous nous avez dit que vous recevez 24 millions de déclarations par an. Est-ce que cela englobe les déclarations étrangères?
    Cela comprend les télévirements internationaux.
    En ce qui concerne les analyses que vous effectuez, faites-vous des ventilations? Ma question est de savoir si votre centre, madame Goulet, établit la distinction entre ce que vous soupçonnez être une activité financière terroriste, par opposition à des opérations du crime organisé. Effectuez-vous cette distinction vous-même, ou bien laissez-vous ce soin à la police?
    Les renseignements qui nous arrivent représentent fondamentalement des opérations financières et nous avons la capacité de porter des jugements sur elles. Lorsque nous avons des motifs raisonnables de soupçonner un blanchiment d'argent ou un financement terroriste, c'est sur la base de certaines modalités que nous avons appris à reconnaître et que d'autres services de renseignements financiers à travers le monde reconnaissent plus ou moins comme des signaux d'alarme, des modalités qui sont associées au financement terroriste et(ou) au blanchiment d'argent, mais pour dire les choses franchement, il existe bien souvent des points communs entre ces méthodes.
    Si vous prenez notre rapport annuel de l'an dernier, vous verrez qu'une bonne proportion des cas que nous avons soumis à la police englobent et un financement terroriste et un blanchiment d'argent.
    Pour rester sur ce sujet, lorsque vous communiquez ces renseignements à la police, indiquez-vous qu'il s'agit là, à votre avis, d'opérations combinées, ou bien exclusivement d'un financement d'origine terroriste ou exclusivement d'origine criminelle?
    Nous divulguons à la police sur la base des divers articles de la loi qui définissent les soupçons raisonnables dans l'un et l'autre cas, et si le renseignement provient de nous, si nous sommes à l'origine de l'affaire, nous le transmettons à la police ainsi qu'au SCRS et nous les laissons faire la part des choses.
    Je conclus donc qu'à l'occasion les renseignements que vous transmettez vont aussi bien au SCRS qu'à la police.
    Oui. Nous transmettons l'information au SCRS dans les cas où nous pensons qu'il existe une menace à la sécurité du Canada.
    Quand vous transmettez à la police, est-ce exclusivement à la GRC ou bien aussi à d'autres services de police?
    La loi parle de « services de police appropriés » et cela signifie le service de police du ressort dans lequel l'activité suspecte se déroule.
    Donc, si c'est une affaire nationale, l'information va automatiquement à la GRC?
    Elle va à la GRC dans les cas où, mettons, celle-ci nous a communiqué volontairement des renseignements sur une enquête particulière. Nous communiquons alors notre information à la GRC et, si nous pensons qu'il est important que le Service de police de Toronto l'obtienne aussi, nous demandons à la GRC l'autorisation de la partager, et même chose s'il s'agit de la Sûreté du Québec ou d'un autre service de police.

  (1145)  

    En ce qui concerne les renseignements communiqués, les dossiers qui sont transférés à la police ou au SCRS, aux services de renseignement, avez-vous une ventilation en pourcentage de ceux qui sont transmis aux services de renseignement, si je puis exprimer les choses ainsi, c'est-à-dire ceux responsables de la sécurité publique, et de ceux qui concernent une activité criminelle traditionnelle? Avez-vous cette ventilation, soit en chiffres absolus en dollars, soit en pourcentages?
    Nous avons une ventilation qui ne nomme pas le SCRS ou un service particulier, publiquement. Nous avons publié le pourcentage qui va à... Oui, je l'ai ici. Je peux vous dire que l'an dernier...
    Est-ce 2008 ou 2009?
    C'est 2008 et 2009 — notre exercice financier. Il s'agit là d'ensembles de divulgations. De ce fait, les totaux ne représentent pas 100 p. 100, mais 68 p. 100 des divulgations sont allées à la GRC, 27 p. 100 à l'Agence du revenu du Canada, 27 p. 100 aux services de police municipaux, 17 p. 100 aux services de renseignement financiers étrangers, 14 p. 100 à l'Agence des services frontaliers du Canada, 10 p. 100 au SCRS, et 10 p. 100 aux services de police provinciaux et 1 p. 100 au Centre de la sécurité des télécommunications Canada.
    Il existe donc un chevauchement considérable tel que beaucoup de dossiers vont à plus d'un service.
    La vérificatrice générale, dans un rapport de 2005, je crois, a critiqué non pas votre centre mais plutôt la GRC et le SCRS parce qu'ils n'exploitent pas suffisamment l'information que vous lui fournissez. J'ai vu des rapports ultérieurs qui faisaient état d'une amélioration.
    Dans vos remarques liminaires, madame Goulet, vous avez indiqué que le critère est le nombre de poursuites, le nombre d'enquêtes. Pour ce qui est du transfert des renseignements, pouvez-vous nous indiquer combien de dossiers sont effectivement suivis soit d'enquêtes soit de poursuites?
    Il faudrait que je demande le renseignement à la GRC. Ce que nous savons, c'est que nous recevons davantage de demandes de renseignement de sa part et que nous lui en transmettons de plus en plus. Nous le faisons plus vite. Nous faisons notre travail plus rapidement et avec la dernière loi adoptée, le projet de loi C-25, nous pouvons lui communiquer beaucoup plus de renseignements. De ce fait, ils sont considérés comme beaucoup plus utiles que dans le passé. Nous savons donc que le suivi est plus grand et le fait que la GRC nous demande des renseignements signifie qu'elle enquête déjà. Si elle s'adresse à nous, c'est qu'elle enquête déjà sur quelque chose, et nous devons donc supposer qu'elle examine la plus grande partie des renseignements que nous lui fournissons.
    Dans le même rapport, elle a dit expressément — encore une fois, critiquant les services de renseignement et la police — qu'il n'y avait pas de communication en retour avec vous. Puis-je donc conclure d'après ce que vous venez de dire que cet échange a lieu maintenant, qui n'existait pas à l'époque?
    Oui. Nous prenons langue de plus en plus et très délibérément avec la GRC et le SCRS pour savoir quelles sont leurs priorités de façon à pouvoir leur être plus utiles. Nous avons donc cette communication régulière avec eux, tout en respectant, bien sûr, nos missions propres.
    Combien de temps me reste-t-il, monsieur le président?
    Quinze secondes.
    Une courte question, dans ce cas, sur l'analyse tactique par opposition à l'analyse stratégique. Qui sont ces analystes? Quelle est leur formation?
    Pour ce qui est de l'analyse tactique, nous avons beaucoup d'agents venant du secteur privé, des banques. Nous avons des diplômés en sciences économiques, des analystes des opérations commerciales, des administrateurs, des enquêteurs expérimentés...
    Pas d'avocats?
    Oui, nous en avons. D'ailleurs, la plupart de mes gestionnaires sont des avocats.
    Et en ce qui concerne l'analyse tactique, nous avons des docteurs en mathématiques et en sciences économiques. Côté stratégique...
    Côté stratégique nous avons des ingénieurs, des statisticiens, des experts en données quantitatives et d'autres experts en analyse qui savent interpréter les données — des gens hautement qualifiés.
    Merci.
    Nous allons passer à M. Woodworth, pour sept minutes.
    Merci aux témoins d'être venus nous rencontrer. Je veux commencer par vous prier d'excuser mes quelques minutes de retard. J'aime donner l'occasion aux gens, au moins une fois dans leur vie, d'entendre un politicien présenter des excuses, lorsqu'elles s'imposent.
    J'ai apprécié vos exposés.
    J'aimerais poser quelques questions, particulièrement à nos invités du Service des poursuites pénales. Une recommandation que j'ai entendue, et à laquelle je réfléchis, intéresse la gestion des cas, particulièrement ceux de criminalité organisée qui donnent lieu à de longs procès. Cela intéresse bien sûr les problèmes de communication de la preuve ainsi que d'autres choses. La recommandation ou la proposition consiste à modifier l'article 645 de façon à permettre à des juges qui ne vont pas présider au procès de rendre des décisions préalables.
    J'y vois des avantages et des inconvénients, mais j'aimerais connaître l'avis du Service des poursuites, si vous pouvez m'indiquer succinctement quels seraient les avantages et les inconvénients et, tout bien pesé, si vous pensez que ce serait une bonne ou une mauvaise chose selon l'optique du ministère public

  (1150)  

    Je crois personnellement que ce serait une bonne idée. Par exemple, si nous prenons le cas du Colisée, une affaire d'écoute électronique, nous l'avons divisée en plusieurs dossiers judiciaires pour faciliter la gestion de l'affaire devant les tribunaux. Nous ne voulions pas avoir en même temps le procès de 101 accusés. Donc, différents juges ont rendu des jugements dans l'affaire Colisée et, théoriquement, il aurait été possible qu'un juge décide qu'une preuve d'écoute électronique était admissible dans un procès et qu'un juge différent arrive à une conclusion différente. Donc, pour la poursuite, il serait plus facile qu'un seul juge tranche toutes les motions préalables au procès, l'une étant l'admissibilité de la preuve d'écoute électronique et l'admissibilité d'autres types de preuve, ce qui permettrait de passer ensuite à la question véritable, celle de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé.
    Monsieur Lacasse, avez-vous quelque chose à ajouter à cela, concernant les avantages ou inconvénients de la suggestion que j'ai formulée?
    Je suis d'accord, bien entendu, avec mon collègue, qui a une expérience directe et récente de la gestion de ce qui était probablement la plus grosse affaire de criminalité organisée au Canada.
    Un autre avantage que je vois est une économie de temps, bien sûr. On peut régler un problème une fois pour toutes et cela va s'appliquer à toutes les autres affaires connexes qui feront l'objet de procès.
    Un inconvénient qui m'a été cité est le fait que ce n'est pas le même juge qui a connaissance de toute la preuve en rapport avec les enjeux préalables au procès et qui va présider au procès lui-même. Ma réponse à cela est que les enjeux sont différents et qu'il n'est pas nécessaire de connaître les preuves en rapport avec ce que j'appelle le procès sur l'enquête, ce à quoi reviennent toutes ces motions préalables, pour pouvoir présider au procès lui-même, qui porte sur l'innocence ou la culpabilité. C'est pourquoi j'estime que ce serait avantageux.
    L'autre question que j'aimerais réellement pouvoir cerner est celle de la divulgation relativement au seuil de pertinence. Nous savons, bien entendu, que suite à l'arrêt Stinchcombe, le seuil est que la poursuite doit divulguer tout ce qui n'est pas « manifestement non pertinent ». D'autres formules parlent de preuves potentiellement pertinentes. Est-ce que vous deux, juristes avisés, pourriez nous indiquer quel seuil serait à la fois équitable pour l'accusé et plus facilement gérable pour la poursuite que le seuil actuel de « manifestement non pertinent » établi par Stinchcombe.
    Une remarque que je ferai à ce sujet, c'est que les obligations de divulgation ne s'appliquent pas seulement aux mégaprocès, mais à la vaste majorité des causes où la divulgation souvent tient en un document de 10 pages. Cela représente de 80 à 90 p. 100 des causes au Canada. Je ne vois donc pas là un énorme problème, et j'ai effectué des poursuites au Yukon et j'en ai effectuées aussi à Montréal contre le crime organisé.
    La difficulté lorsqu'on cherche à restreindre les paramètres régissant la divulgation est de décider exactement où tracer la ligne et comment la définir.

  (1155)  

    C'est ce que je vous demande.
    Selon ma propre expérience pratique, nous savons au moins maintenant que, en cas de doute, il faut simplement divulguer. Selon une perspective analytique, à mon sens, c'est le seuil le plus simple à trouver. C'est lorsque vous devez l'appliquer, avec toutes les conséquences pour la gestion des coûts et des ressources mises en jeu lors de poursuites majeures... Je ne suis pas convaincu d'être capable de vous proposer un seuil qui permette de faire cela, qui s'appliquerait exclusivement à ce que l'on appelle les mégaprocès. Et qu'est-ce qu'un mégaprocès? Ce qui était des mégaprocès il y a 10 ans sont aujourd'hui devenues probablement des causes de routine. À mon sens, et je laisserai M. Poulin en parler — le problème en est davantage un de gestion que de définition du seuil approprié à appliquer.
    Je suis d'accord et, dans l'affaire Colisée, juste pour vous donner un exemple, nous n'avons pas défini comme pertinent les 1,2 million d'appels téléphoniques interceptés par la police. Nous avons établi une procédure telle que nous avons divulgué 8 000 conversations que nous avons choisies dans la preuve que le ministère public voulait soumettre au jury ou au procès portant sur les faits. Nous avons divulgué les transcriptions de ces appels et ensuite nous avons transféré le fardeau à la défense en lui disant: « Si vous voulez d'autres appels interceptés lors de l'enquête, demandez-nous-les et nous vous donnerons les registres de ces appels » — non pas les appels de tout le monde, car il y a des considérations de protection de la vie privée qui entrent en jeu du fait qu'un accusé n'est pas autorisé à connaître l'appel à son médecin d'un autre accusé. Il y a donc de grosses attentes concernant la protection de la vie privée qui interviennent, mais c'est la procédure que nous avons suivie dans l'affaire Colisée pour remplir le critère défini dans Stinchcombe.
    Merci.
    Nous allons avoir un très rapide tour de deux minutes pour les libéraux, le Bloc, et le gouvernement, et ensuite nous devrons passer à l'audition du juge LeSage.
    Madame Mendes, vous avez deux minutes.
    Merci, monsieur le président.

[Français]

    Merci à toutes et tous pour votre présence.
    Très rapidement, j'aimerais vous poser une question sur les entités qui se rapportent à vous. Dans le cas de la liste que vous nous donnez ici, c'est-à-dire la définition des entités qui se rapportent à vous, pensez-vous que d'autres pourraient s'ajouter, dont les fournisseurs des services Internet, par exemple? Il y a l'exemple des casinos en ligne. Ce genre d'entités devrait-il se rapporter à vous? C'est ma question. Essayons de procéder rapidement.
    D'accord, merci.
    Chantal.
    Les casinos sont présentement couverts par notre loi et cela inclut les casinos en ligne. Alors, s'ils sont couverts par la loi et ont une licence de la part des provinces pour opérer de façon légale au Canada, ils sont couverts.
    Et ceux qui sont illégaux?
    Ceux qui sont illégaux ne sont évidemment pas couverts.
    Croyez-vous qu'il y a d'autres entités qui devraient se rapporter à vous?
    En ce moment, on a une grande liste d'entités. On a certainement les banques, les casinos, les entreprises de services monétaires, les caisses populaires, les agents d'immeubles. On a une liste très complète. Alors, pour l'instant, on considère que la liste fonctionne quand même assez bien. Cela nous fournit 24 millions de rapports et on fait régulièrement, s'il y a lieu, des révisions à la loi avec le ministère des Finances. C'est à ce moment-là qu'on pourra envisager de couvrir d'autres secteurs.
     La semaine dernière, on a entendu le témoignage d'un comptable judiciaire qui parlait de la difficulté d'identifier les propriétaires de certaines entreprises à numéros et comment, lorsque vient le temps d'intenter une poursuite contre eux, il est parfois très difficile d'arriver jusqu'au véritable propriétaire d'une entreprise. Y a-t-il des suggestions sur la façon d'améliorer les obligations d'identification des propriétaires d'une entreprise?

[Traduction]

    Cela va exiger une réponse très brève.
    C'est tout. Oui.

[Français]

    Ce serait, par exemple, en vertu de la Loi sur les corporations canadiennes d'Industrie Canada qui détermine ce qui doit être rendu public. Quand nous avons cette information, une large part peut être divulguée à la police.

  (1200)  

    Lorsqu'on aborde les poursuites contre le crime organisé, il faut considérer que l'utilisation de prête-noms est la norme dans ce milieu. Alors, c'est une très grande difficulté que de lier à des individus des biens qu'on tente de confisquer. Il y a plusieurs années, c'était le problème majeur et je vous dirais que c'est toujours le même problème. Peu importe qu'on ait réduit ou transféré le fardeau aux accusés dans certains cas, encore faut-il lier un bien à un individu pour le confisquer. On est confrontés au problème.

[Traduction]

    Merci.

[Français]

    Monsieur Lemay, vous avez deux minutes.
    Excusez-moi d'être sorti trop souvent. En fait, c'était extraordinairement intéressant ce que vous disiez.
    Contrairement à mon collègue, j'ai très bien connu Stinchcombe. J'ai même vécu avec pendant 15 ans. Alors, je peux vous dire qu'au criminel, c'est vrai que cela a donné beaucoup de travail, mais c'était très bien fait.
    Au début d'une enquête, saurez-vous si vous devrez remettre tel document? J'ai cru entendre que vous vous prépariez déjà dès le début.
    Assurément. Maintenant, cette pratique est recommandée dans nos directives du Service des poursuites pénales du Canada, soit que les procureurs s'engagent dès le départ. Dans certains cas, au début d'une enquête, on pense qu'on empruntera telle voie et on se rend compte à la fin que la voie empruntée était bien différente.
    Alors, tant au début qu'en cours de route, il faut savoir s'ajuster et il faut travailler main dans la main avec les policiers pour organiser la communication de la preuve qui sera faite tout au long du processus.
    J'ai lu avec un très grand intérêt le rapport CANAFE de 2009, qui était très instructif.
    Les diamants, les émeraudes, les rubis et tous ces produits de très grande valeur entrent-ils sous votre juridiction?
    Il y en a 7 000 qui sont couverts. On les appelle les marchands en métaux précieux ou en pierres précieuses ou les bijouteries.
    Par exemple, en Belgique, on sait qu'on traite beaucoup de diamants. Avez-vous une entente avec la Belgique, par exemple, ou avec leurs forces policières? Comment cela fonctionne-t-il? Par exemple, une personne pourrait se rendre en Belgique et revenir avec un petit sac de diamants.
    Je vais répondre à la première partie concernant la conformité. Prenons le cas d'un bijoutier qui aurait à nous fournir un rapport parce qu'il aurait conclu une transaction de plus de 10 000 $, par exemple, ou qu'elle pourrait être liée à une opération douteuse. À ce moment-là, le rapport serait révisé par mon collègue responsable de l'analyse, ce qui pourrait faire l'objet de divulgation, mais ça se fait au Canada. À moins que des corps policiers ou nos collègues internationaux fassent une demande. À cette condition, nos protocoles d'ententes vont s'appliquer.

[Traduction]

    Merci.
    Nous allons passer à M. Petit. Veuillez poser une question brève, sinon vous n'aurez peut-être pas la réponse. Deux minutes.

[Français]

    J'ai une question pour Mme Goulet.
    On parle des criminels à cravate et de tous ceux qui ont fraudé partout au Canada. On en a eu de grands exemples au Québec, en Alberta et ailleurs. Beaucoup de transactions s'opèrent avec des organismes publics et même parfois gouvernementaux.
    Recevez-vous, traitez-vous ou analysez-vous des documents qui peuvent provenir d'institutions gouvernementales où on gère beaucoup d'argent? Par exemple, il y a la Caisse de dépôt et placement du Québec, Teachers' et tous les organismes où il se fait des transferts d'argent. En effet, on voit que le crime organisé s'infiltre dans certaines choses. Recevez-vous ou analysez-vous des documents de cette nature?
    Si je ne m'abuse, ces organismes publics et parapublics sont exclus de la loi comme entité de déclaration. Ils peuvent toujours nous en envoyer s'ils le veulent.
    Vous n'avez aucune information venant d'eux?
    Ils ne sont pas obligés de nous en fournir.
    Ils font des transactions de milliards de dollars partout au Canada, mais vous n'avez aucune analyse ou document venant d'eux?
    Ils sont exclus de la loi.
    D'accord.
    C'est tout, je n'ai pas d'autres questions.

[Traduction]

    C'était excellent. C'était même exceptionnel.
    Merci à tous nos témoins. Votre témoignage sera versé au compte rendu. En outre, nous allons prendre ces témoignages pour rédiger un rapport, qui sera probablement assez long. Nous avons consacré plus d'une année à cette étude, et nous vous remercions de nouveau pour le travail que vous avez fait ce matin.
    Nous allons suspendre la séance pendant deux minutes et nous entendrons ensuite le juge LeSage par vidéoconférence.

    


    

  (1205)  

    La séance reprend.
    Mesdames et messieurs, nous avons l'honneur de recevoir le témoignage de l'honorable juge Patrick LeSage, ancien juge en chef de la Cour supérieure de l'Ontario.
    Monsieur le juge, soyez le bienvenu. Je crois que vous connaissez la procédure, à savoir que vous avez 10 minutes pour faire un exposé, et ensuite les membres vous poseront leurs questions. Vous avez la parole.
    Merci de m'avoir invité. Je dois commencer par dire, toutefois, que je ne sais pas trop pourquoi vous l'avez fait. Je ne suis pas un expert de la criminalité organisée. Je n'ai pas réellement de déclaration liminaire à faire. Je n'ai rien de particulier à dire, sinon peut-être faire état d'un rapport du professeur Michael Code, qui est maintenant juge à la Cour supérieure de l'Ontario. Et soit dit en passant, j'aurais dû le mentionner dès le départ, je ne suis plus le juge LeSage. J'ai pris ma retraite de la cour il y a six ans et demi environ, et je suis donc simplement Pat LeSage ou M. LeSage, comme vous préférez, mais je ne porte plus de titre honorifique.
    Quoi qu'il en soit, le professeur Code et moi-même, il y a quelques années, avons rédigé un rapport sur les affaires criminelles complexes à l'intention du procureur général de l'Ontario, l'objectif étant de voir si nous pouvions formuler quelques recommandations en vue de rationaliser ces procès.
    Nous avons présenté notre rapport et formulé un certain nombre de recommandations. Certaines portent sur des sujets qui ont déjà été abordés ici — j'étais en ligne et ai pu suivre la discussion au cours des 15 dernières minutes — tant dans les questions que les réponses des témoins précédents qui, je crois, appartiennent au Service des poursuites pénales du Canada, encore que je n'en sois pas sûr. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas sûr d'avoir grand-chose de nouveau ou d'original à contribuer.
    J'ai entendu quelques questions et quelques réponses concernant des modifications du Code criminel. Le professeur Code et moi-même — veillons à ne pas mélanger nos codes — avons formulé maintes recommandations dans notre rapport intéressant la procédure et l'administration, mais très peu de recommandations portant sur des modifications du Code criminel. L'une d'elles a déjà été mentionnée, soit l'aménagement de l'article 645 du Code criminel.
    Pour vous donner un peu de contexte, la question de savoir à quel moment un procès débute a fait souvent l'objet de litiges, mais en gros la coutume était qu'un procès devant jury, comme j'en ai souvent eu l'occasion de présider, ne commençait qu'une fois le jury constitué. Puis, aux alentours de 1985, le Code criminel a été modifié de façon à autoriser le démarrage du procès avant la constitution du jury, et ce afin que les décisions préalables puissent être rendues avant que le jury soit constitué et éviter de renvoyer ensuite les jurés pour une durée considérable.
    Cela a été un changement très, très utile. J'étais à l'époque à la Cour. Nous pensons qu'une modification ultérieure pour permettre simplement à n'importe quel juge de la cour de rendre des décisions préalables avant le démarrage du procès lui-même améliorerait l'efficacité du processus de jugement. Autrement dit, des décisions très précoces pourraient être rendues sur la recevabilité, et j'ai entendu quelqu'un tout à l'heure mentionner des éléments tels que les écoutes téléphoniques ou les perquisitions et saisies relativement à la communication de la preuve. Quantité de points de litige pourraient être tranchés par avance.
    On peut logiquement se demander pourquoi le juge au procès ne pourrait pas faire cela par avance? Eh bien, le problème — et c'est probablement difficile à comprendre — c'est que cela présente des problèmes logistiques considérables, car parfois on aimerait rendre ces décisions très longtemps à l'avance. Ce juge particulier va probablement être amené ensuite à présider un autre procès et lorsque le procès en question est prêt à commencer, il ou elle peut être pris ailleurs.
    Nous ne voyons aucun inconvénient à autoriser n'importe quel juge à rendre ces décisions et de nombreux avantages. En sus, cela pourrait bien permettre aux tribunaux de mieux utiliser les connaissances de leurs magistrats. Certains juges sont très experts, par exemple, en écoutes électroniques.

  (1210)  

    Voilà donc un changement possible. Ce pourrait être une modification très simple. Il pourrait suffire de dire que « juge » signifie tout juge de la cour concernée.
    Une autre modification nous a paru utile. Certaines dispositions du Code criminel permettent de recourir à une preuve par affidavit sur des points qui ne sont pas hautement litigieux ou particulièrement controversés: la propriété d'un bien, par exemple, dans un cas de vol; une attestation qu'un billet de banque est faux; une attestation que l'alcootest a donné un certain résultat; ou des documents bancaires ou commerciaux admissibles en vertu de la Loi sur la preuve au Canada. Nous suggérons d'examiner et d'explorer d'autres domaines où l'on pourrait recourir à une preuve par affidavit, sous réserve toujours, bien entendu, que si la partie adverse — c'est-à-dire la défense — souhaite contre-interroger le souscripteur, l'auteur de l'affidavit, elle puisse le faire avec l'autorisation de la cour.
    Le seul autre domaine où nous recommandons une révision est l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada. C'est celui qui intéresse les questions de sécurité nationale. Comme vous le savez, l'administration du droit est une responsabilité provinciale et les procès criminels sont tenus dans les cours provinciales ou les cours supérieures de la province. À l'heure actuelle, comme vous le savez probablement, si une question de sécurité nationale surgit, l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada intervient et cette question doit être tranchée par la Cour fédérale. Cela occasionne un va-et-vient entre les deux cours. En outre, le retard qui peut être ainsi occasionné — et je dis « peut », mais c'est bien le cas parfois... Ces décisions sont susceptibles d'appel, contrairement aux décisions des procès ordinaires qui ne peuvent faire l'objet d'un appel qu'à la conclusion de l'affaire.
    Dans notre rapport nous préconisons donc que les ministres de la justice fédéral, provinciaux et territoriaux se penchent sur la question pour trouver une façon plus rationnelle de conduire les procès.
    Voilà, je pense, mes seules remarques concernant des recommandations précises de modifications du Code criminel ou de la Loi sur la preuve.

  (1215)  

    Merci beaucoup.
    J'aimerais ajouter une autre chose encore.
    Même si à l'époque je m'y connaissais un peu en droit pénal, cela fait maintenant plus de six ans que j'ai quitté la magistrature et je ne suis pas très au fait des modifications récentes du code. Je dois donc plaider d'emblée mon ignorance. Je plaide également mon ignorance, et vous prie de m'en excuser, de l'autre langue officielle du Canada, qui est aussi ma langue paternelle.
    Merci.
    La raison pour laquelle nous vous avons demandé à comparaître aujourd'hui tient simplement à votre expérience des grosses affaires criminelles complexes. Et un certain nombre de membres du comité voulaient mettre à profit cette expérience. Nous étions donc très impatients de vous entendre.
    Merci.
    Nous allons maintenant passer aux questions. Je demande votre accord pour limiter les tours à cinq minutes, au lieu de sept minutes, afin de pouvoir poser plus de questions. D'accord?
    Des voix: D'accord.
    Le président: Je pourrais peut-être rapidement présenter les membres qui m'entourent à la table, monsieur LeSage. Nous avons Brian Murphy et Alexandra Mendes, représentant le Parti libéral. Nous avons Serge Ménard et Marc Lemay, représentant le Bloc Québécois. Nous avons Joe Comartin, du NPD. Du côté gouvernemental, nous avons Bob Dechert, Rick Norlock, Stephen Woodworth, Brent Rathgeber et Daniel Petit.
    Monsieur Murphy vous disposez de cinq minutes.
    Merci.
    Monsieur LeSage, si vous insistez — ou monsieur le juge LeSage — ayant été avocat pendant une vingtaine d'années et membre des barreaux de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick pendant tout ce temps, c'est pour moi aussi un grand plaisir de vous accueillir ici. Nous avons entendu d'autres juges à la retraite comme témoins devant des comités — deux au cours de mes quatre années ici: l'ancien juge en chef de l'Alberta, M. Wachowich, et feu Antonio Lamer. C'était très précieux. Je veux donc vous féliciter et vous remercier de prendre le temps de comparaître.
    J'ai deux questions assez précises. L'une intéresse la communication de la preuve et l'autre la représentation, et elles sont relatives aux procès criminels car ces deux aspects influencent les grands procès ou mégaprocès et les procès de membres du crime organisé.
    Premièrement, en ce qui concerne la divulgation, êtes-vous d'avis qu'il faut assouplir les exigences? Nous recherchons ici une façon, peut-être non pas de codifier cela dans le Code criminel, mais au moins de recommander que cela devienne une pratique exemplaire ou une politique ou un protocole que la communication soit faite — peut-être au-delà de l'option ou du plaidoyer quelque part en cours de route — afin de ne pas arriver sur les marches du tribunal et de recevoir l'inévitable demande d'ajournement une fois que tout est prêt à démarrer, ce qui entraîne des coûts, des retards, etc. Voilà la première question.
    La deuxième question intéresse la représentation. Souvent les avocats arrivent, soit par accident soit délibérément, sans être préparés ou franchement pas capables de défendre la cause à laquelle ils ont été commis d'office ou qu'ils ont choisi d'accepter. Cela procède de l'idée que peut-être, dans certains cas, certains avocats sont dépassés. Nous connaissons cela au Parlement, étant souvent débordés par des enjeux qui dépassent souvent nos compétences, et cela fait la manchette des journaux chaque jour.
    Dans un tel cas, pensez-vous qu'un juge devrait avoir le droit ou devrait intervenir un peu comme un intervenant désintéressé, pour dire qu'il pense que cet avocat plaidant n'ayant que deux années d'expérience ne devrait pas s'occuper d'une affaire de triple homicide avec trois tonnes de documents communiqués? Serait-ce déplacé pour un juge de dire cela?

  (1220)  

    Permettez-moi de répondre dans l'ordre inverse, en commençant par votre dernière question.
    Le professeur Code et moi-même nous sommes penchés sur cette question dans notre rapport. Nous pensons tous deux que le juge présidant a le pouvoir de dire à un avocat qu'il n'est pas capable de mener le procès et doit soit se faire seconder soit céder la place. Je connais deux cas où cela est arrivé, et il en existe probablement beaucoup d'autres que je ne connais pas. Les deux cas étaient des affaires de meurtre et les juges de la Cour supérieure de l'Ontario ont simplement dit aux avocats, après quelques motions préliminaires, qu'ils étaient incapables, n'avaient pas l'expérience pour conduire le procès et devaient demander à un avocat expérimenté soit de les seconder soit de prendre en main l'affaire.
    Les deux cas sont allés en appel. Je ne me souviens plus si ce point-là a été un enjeu en appel, mais dans l'affirmative ce n'était pas un enjeu majeur. Mais il n'y a pas eu de protestation, dans les deux cas on a fait appel à des avocats expérimentés.
    Le professeur Code et moi-même pensons tous deux que le pouvoir de le faire existe.
    Il existe un problème un peu plus ardu, et c'est lorsque l'accusé insiste pour se représenter lui-même et se conduit d'une manière qui non seulement perturbe totalement le procès mais souvent nuit à sa propre cause. Nous préconisons — et c'est d'ailleurs une autre recommandation dans notre rapport — que le Code criminel soit peut-être modifié pour tenir compte d'un tel cas.
    Dans la première situation, celle d'un avocat incompétent, nous pensons que le juge a le droit de lui ordonner d'en prendre un autre. S'il refuse, je pense que vous pouvez simplement dire: « Je ne vais pas continuer ce procès avec vous ».
    Dans la situation plus difficile, et nous en avons eu un aperçu à Montréal il y a quelques années — le professeur de Concordia qui se représentait lui-même et a tellement perturbé le procès — nous pensons qu'il devrait exister une disposition dans le code permettant au juge de décréter que l'accusé ne peut plus se représenter lui-même, et même de dépasser le rôle d'amicus curiae. Nous pensons que le juge a le droit de désigner un amicus curiae mais nous pensons à une situation où vous deviendrez plus qu'un amicus curiae, vous deviendrez l'avocat de la défense.
    Merci.
    Désolé de cette longue réponse.
    Non, c'est bien. Merci.
    Nous allons passer à M. Ménard pour cinq minutes.
    Oh, désolé, je n'ai pas répondu concernant la divulgation.
    Permettez-moi de dire simplement que j'ai entendu tout à l'heure les propos du Service des poursuites pénales et que j'y souscris. Nous pensons, et je crois que le moment est venu, qu'il faut passer à la communication électronique, ce qui facilite beaucoup les choses. Une fois que l'information est enregistrée électroniquement — et cela se fait habituellement dans les grands procès de criminalité organisée — vous avez la communication électronique de la preuve en remettant simplement un disque dur.
    Merci.
    Monsieur Ménard.

[Français]

    Bonjour, monsieur le juge.
    Nous aimerions vous parler beaucoup plus longtemps. Malheureusement, nous allons devoir retenir bien des questions que nous voudrions vous poser.
    J'ai pratiqué le droit criminel pendant plus de 25 ans avant de commencer à faire de la politique, en 1993. J'ai pratiqué à Montréal et j'ai très bien connu le juge Lamer. J'avais pour lui, d'abord quand il était avocat, puis lorsqu'il était juge, un immense respect.
    Comme jeune avocat, j'étais déjà scandalisé par le nombre de témoins que nous convoquions à la cour de façon totalement inutile. Dans les affaires de drogue, par exemple, pour établir que la drogue avait été trouvée chez l'accusé, on faisait comparaître le concierge et ainsi de suite. À cette époque, j'avais fait une suggestion, mais cela fait si longtemps que je ne me rappelle plus dans quelle revue elle a été publiée. Il s'agissait de créer une procédure consistant à émettre un avis à l'autre partie pour que celle-ci admette des faits qui ne sont jamais contestés, par exemple le fait que l'accusé habite à l'endroit où la drogue a été trouvée. Il y avait aussi la continuité de la possession d'un objet qu'un policier transmettait éventuellement à un laboratoire et qui était ensuite retourné. D'ailleurs, en anglais, on avait appelé cela un notice to admit. À ce que je sache, on n'applique ça nulle part. Pourtant, beaucoup de témoins sont encore convoqués pour rendre des témoignages purement techniques. Or, dans leur esprit, cela discrédite vraiment l'administration de la justice.

  (1225)  

[Traduction]

    Je conviens que cela n'embellit pas l'image de la justice, et oui, je pense que cela lui nuit. Est-ce au point de jeter le discrédit... Je ne crois pas que j'irais aussi loin, mais c'est certainement néfaste.
    Je trouve votre suggestion très intéressante et c'en est une qui devrait être examinée et explorée. Je dois vous le dire, je suis traditionaliste. Comme vous pouvez le voir, je suis vieux, et il est difficile pour quelqu'un de mon âge de changer sa façon de voir et d'envisager de nouvelles façons de faire les choses, mais je trouve que votre idée est excellente et devrait être examinée.
    Vous avez tout à fait raison: nous passons beaucoup trop de temps sur des choses élémentaires, fondamentales, qui en fin de compte ne sont pas litigieuses. Nous cherchons à surmonter cela avec une gestion de cas très agressive avant le procès. Un juge expérimenté, convaincant, peut souvent accomplir cela lors des audiences préalables, mais je pense que c'est une possibilité de modification législative qui mérite examen.

[Français]

    C'était certainement le cas du juge Lamer. J'ai fait avec lui un procès devant jury qui a duré moins d'un avant-midi, délibérations comprises. Toutefois, c'était un cas clair. Il est étonnant que cette idée émise il y a plus de 20 ans — j'étais alors un jeune avocat — n'ait jamais été exploitée. Est-ce que si on écrit en français, on est moins lu que si on écrit en anglais? Bref, vous ne connaissez pas de cas où l'on a procédé de cette façon.
    Souvent, quand je pense à l'évolution du droit criminel depuis l'affaire Stinchcombe et depuis la Charte, je me demande sérieusement ce qu'il adviendrait si nous avions à aider un pays émergent à bâtir un système de droit criminel. Je me demande si bien des pays auraient les moyens de se payer le genre de procédures complexes que nous avons développées au cours des 20 dernières années. On parlait tout à l'heure du fait qu'Haïti voulait établir un système. Réussirait-on à vendre ces procédures de communication de la preuve, ces procès et les motions qui les précèdent à des pays moins riches que le nôtre?

[Traduction]

    C'est une très bonne question. Je soupçonne qu'une partie, voire la plus grande partie, ne serait pas à leur portée.
    Notre système a évolué au fil d'une longue période. Je suis devenu procureur de la Couronne il y a 47 ans, et à mes débuts, nous ne divulguions rien — rien. Il y avait l'acte d'accusation et c'était tout. Les choses ont changé graduellement, et c'est pour le mieux. Cela ne fait aucun doute.
    Certes, nous connaissons ce qu'il est difficile d'appeler encore, je suppose, des douleurs de croissance, car l'arrêt Stinchcombe remonte à 1990, je crois, mais je ne crois pas que ce dernier posait autant de problèmes il y a cinq ou 10 ans. Il faut un certain contrôle pour déterminer la pertinence, et les représentants du Service des poursuites pénales ont mentionné cela plus tôt, mais si vous pensez qu'un renseignement est pertinent, il faut le produire.
    Le gros problème ne tient pas seulement à la production, mais au fait que les enquêtes aujourd'hui sont beaucoup plus sophistiquées qu'elles ne l'étaient à mon époque. J'ai poursuivi des douzaines d'affaires de meurtre, et aucune n'a duré plus d'une semaine, mais la preuve était simple et claire. Il n'y avait presque pas de preuve médico-légale, hormis l'examen pathologique. On ne produisait tout simplement pas autant de matériel d'enquête qu'aujourd'hui.

  (1230)  

    Merci.
    Nous allons passer à M. Comartin pour cinq minutes.
    Bienvenue, juge LeSage.
    Je sais que M. Woodworth et M. Murphy ont tous deux abordé cette question avec nos témoins précédents. L'idée est que nous, parlementaires, pourrions codifier la définition de la pertinence ou bien essayer d'inscrire davantage de précisions dans le Code ou dans la Loi sur la preuve au Canada relativement à l'arrêt Stinchcombe, et je pense que ce serait pour en limiter quelque peu la portée.
    J'ai deux questions. Premièrement, pensez-vous que c'est possible? Deuxièmement, si c'est possible, est-il approprié que nous, législateurs, envisagions de le faire?
    Je pense que la pertinence est très difficile à codifier. Cela paraît simple, et si l'on prenait une codification très simple et si l'on regardait le texte sur la preuve, on pourrait peut-être avoir, en une phrase très courte, une définition de la pertinence. Cela conviendrait peut-être, mais...
    J'ai grandi et j'ai été procureur à l'époque d'avant les dispositions sur la protection des victimes de viol. Il y a une seule chose que j'aie jamais fait le voeu d'essayer de modifier, et c'était la façon dont les victimes de viol étaient traitées dans les années 1960 et 1970. Cela a changé avec les lois sur la protection des victimes de viol, mais elles sont très complexes, je trouve. Il aurait suffit de quelque chose demandant et permettant aux juges de trancher sur la pertinence, car tout ce que font ces dispositions sur la protection des victimes de viol c'est dire que les preuves non pertinentes ne sont pas admissibles, mais voyez à quoi point ces articles sont complexes. Je trouve qu'il est difficile d'inscrire ce genre de choses dans une loi, c'est un peu comme légiférer sur ce qui est bien et mal. On peut prendre un cas particulier de mauvaise action et en faire un crime, mais il est difficile de codifier la pertinence.
    On pourrait peut-être avoir quelques indications précisant qu'une apparence de pertinence, par exemple, ou une trace de pertinence ne suffisent pas, qu'il faut une pertinence claire. Mais au-delà de cela, mon expérience me dit qu'il serait très difficile de rédiger une telle disposition législative.
    Merci de cette réponse.
    En ce qui concerne l'aménagement proposé — je crois que c'est à l'article 645 — pour permettre à tout juge au stade de la communication préalable de trancher, pourriez-vous nous donner un peu l'optique de la défense? Est-ce que les avocats de la défense y objecteraient? Ayant plaidé à des procès criminels, je songe à un cas où, peut-être aux trois quarts du procès, survient un litige sur l'admissibilité d'une preuve. Le juge présidant a un avantage à ce stade, car il ou elle a entendu tout le reste de la preuve, que le juge d'avant-procès ignore probablement.

  (1235)  

    C'est une très bonne question.
    Généralement parlant, le barreau des avocats de la défense a accepté les grandes recommandations que le professeur Code et moi-même avons formulées, certains d'entre eux avec des réserves considérables. Mais, oui, je pense qu'il y a une acceptation générale.
    Ce que nous disons dans notre rapport, c'est que la personne qui préside le procès peut réviser la décision si une preuve, une preuve claire, est devenue disponible et/ou est présentée à la cour, une preuve dont le juge des motions n'avait pas connaissance. C'est donc une chose que nous disons.
    Nous disons également que certaines choses, par exemple, la preuve de faits similaires... J'ai toujours trouvé difficile de trancher à ce sujet avant de « sentir » le procès. Je n'ai jamais aimé la preuve de faits similaires, je ne l'admettais presque jamais, mais cela est un autre sujet. Mais il faut connaître un peu le parfum, peut-être même l'aveu, si l'on veut introduire un aveu. Mais pour des choses comme les écoutes électroniques, les perquisitions et saisies, il ne devrait rien être produit au procès qui n'a pas été communiqué avant le procès. Cela peut tellement accélérer le règlement des affaires. Si les écoutes électroniques sont communiquées, vous aboutissez souvent à beaucoup de plaidoyers de culpabilité; si les écoutes électroniques sont refusées, le ministère public finit souvent par retirer les accusations.
    Nous ne voyons donc pas beaucoup d'inconvénients et nous voudrions laisser au juge présidant le procès la faculté de réviser les décisions, mais uniquement si une preuve nouvelle et claire devient disponible.
    Merci.
    Nous allons passer à M. Dechert, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Bon après-midi, monsieur LeSage.
    Je peux peut-être vous appeler Pat, puisque nous avons été collègues chez Gowlings. Il est agréable de vous revoir.
    C'est juste. J'allais dire que c'est la première fois que je suis contre-interrogé par un associé.
    Nous ne parlerons pas de finances.
    D'accord.
    J'espère que tout le monde se porte bien chez Gowlings et j'espère que vous leur transmettrez mes salutations.
    Ils se portent bien, merci.
    Très bien.
    Bienvenue, et merci d'être venu nous rencontrer aujourd'hui.
    Plusieurs d'entre vous ont posé des questions résultant de l'arrêt Stinchcombe et je vais faire de même, car nous avons eu quantité de discussions à ce sujet pendant nos déplacements à travers le pays.
    Un certain nombre de services de police nous ont fait part du fait que les contraintes de communication imposées par Stinchcombe ont souvent compromis leurs techniques d'enquête et ils considèrent que certaines organisations criminelles se servent même de la divulgation pour se familiariser avec les techniques d'enquête policières et adapter leurs pratiques de manière à éviter la détection à l'avenir.
    Plus tôt ce matin, les procureurs fédéraux nous ont dit que l'arrêt Stinchcombe autorise certaines dérogations dans le cas des renseignements protégés, notamment ceux relatifs aux techniques d'enquête. Je n'ai pas eu l'occasion de leur demander jusqu'où peut aller cette protection des techniques d'enquête employées par la police, mais je me demande si vous avez jamais eu à connaître de cette question et quelle portée vous attribuez à cette protection actuellement autorisée par Stinchcombe et ce que nous, législateurs, pourrions faire pour mieux protéger la confidentialité des techniques d'enquête policières? Il ne s'agit pas seulement du personnel employé par la police mais aussi des moyens techniques utilisés aujourd'hui car, comme vous l'avez fait remarquer, elles sont devenues aujourd'hui très sophistiquées.
    J'aimerais savoir si vous avez un avis à ce sujet.
    Je ne suis pas sûr de pouvoir vous être très utile à cet égard. Je sais qu'il y a eu des décisions individuelles concernant l'ampleur de la communication qui sont allées un peu plus loin que je ne l'aurais fait moi-même. Mais je suis réticent... Je suppose que je ne suis pas assez informé pour dire comment cette pratique pourrait être combattue.
    Mon avis personnel est que rarement je n'ai trouvé ces renseignements pertinents, et par conséquent ils ne sont pas communicables. Néanmoins, il se peut qu'un aspect particulier de ces méthodes soit pertinent, auquel cas il faut le divulguer. J'allais faire l'analogie avec l'ADN et la façon dont le système ADN fonctionne. Clairement, cela doit être quelque chose qui peut être exploré — ou le système de manutention des échantillons. Mais les techniques d'enquête...? L'anonymat d'un informateur est un principe clairement reconnu, et ce de longue date, et à ma connaissance les tribunaux n'ont jamais hésité à l'appliquer.
    Si j'étais juge, je demanderais tout d'abord si le renseignement est pertinent, et puis ensuite s'il... L'identité de l'informateur est confidentielle, non seulement pour protéger l'informateur lui-même mais aussi dans une certaine mesure pour protéger la méthode utilisée. J'ai présidé bien des procès qui mettaient en jeu des policiers infiltrés qui avaient fait beaucoup de travail sur le dossier et je n'ai jamais rencontré de problèmes particuliers, mais je sais qu'il peut y en avoir et je n'ai pas de solution à offrir lorsque cela arrive.

  (1240)  

    Il a été question dans certains cas des méthodes de surveillance électronique que l'on utilise aujourd'hui, tant pour les écoutes électroniques que peut-être le recours à l'informatique — la surveillance de l'Internet, ce genre de choses — pour prendre des organisations criminelles internationales la main dans le sac. Mais de toute évidence les procureurs semblent considérer que ce privilège existe et que dans la plupart des cas le ministère public peut faire valoir que cette information est protégée et par conséquent non communicable.
    Ce dont je me suis toujours souvenu pendant mes nombreuses années comme procureur et ensuite juge est que la toute première question à poser est celle de la pertinence. Il est étonnant à combien de questions cela répond: Est-ce pertinent? Si j'étais juge, quelqu'un devrait me convaincre que la méthode employée est pertinente. Que contestez-vous à cet égard? Est-ce le volume, ou...? Je ne vois pas en quoi la technique importe. Je déclarerais probablement la requête inadmissible pour cause de non-pertinence en ce sens que la technique d'enquête ne peut aider l'accusé à se défendre.
    Je partage la préoccupation. Je n'ai pas de solution simple.
    Merci.
    Nous allons redonner la parole à M. Murphy.
    Pour rester encore un peu sur l'arrêt Stinchcombe, l'idée d'autoriser la communication après le choix et le plaidoyer, soit le thème derrière tout cela — et je suis d'accord avec M. Ménard concernant les demandes d'admission et les problèmes de représentation, afin de ne pas se retrouver sur les marches du tribunal avec un ajournement à cause d'un avocat inexpérimenté... Le thème dans tout cela est le souci d'éviter les coûts et les retards, car un procès au pénal reporté coûte à tout le monde. J'ajouterai à la question à laquelle vous n'avez pas répondu concernant une réforme du principe Stinchcombe pour autoriser la communication en cours de route, une question un peu provocante à la lumière de ce que vous avez dit sur la compétence des avocats: existe-t-il des juges qui ne sont pas tout à fait de taille à mener des mégaprocès?
    Je sais que la Cour fédérale se limite à la juridiction fédérale mais nombre de ces juges sont des spécialistes dans certains domaines et je sais que la cour ontarienne dispose d'une telle pléthore de juges qu'ils se spécialisent plus ou moins. Est-il nécessaire d'avoir une spécialisation des magistrats canadiens dans les mégaprocès, ou bien un mégaprocès est-il simplement un procès plus gros que la normale?
    Voilà trois questions en une, monsieur le juge.

  (1245)  

    Eh bien, vous avez mis le doigt sur un recoin ancien, ancien, plus doux et délicat de ma psyché.
    Tout d'abord, permettez-moi de vous le dire, je suis très fervent partisan du système des jurys, et c'est parce que je crois en la sagesse que ces 12 personnes apportent à leur tâche. Cependant, lorsque on voit ce qui devient presque une mécanique dans certains des procès complexes d'aujourd'hui, peut-être mes opinions anciennes sur les juges généralistes et la non-spécialisation des juges ne pèsent plus aussi lourd qu'auparavant.
    Je pense que si vous demandiez aux avocats de la défense et aux procureurs à travers le pays s'ils souhaitent des juges spécialisés, ils répondraient probablement oui. En revanche, si vous disiez ensuite: « Que pensez-vous du juge X ou du juge Y? Ils sont des juges spécialisés en droit pénal. Aimeriez-vous les avoir? », la réponse sera non. C'est là l'avantage du généraliste.
    Certainement, en Ontario, au cours de mes 29 années dans la magistrature, le plus souvent — 90 p. 100 du temps — nous avions des juges expérimentés et nous affections les juges expérimentés aux affaires complexes, tout comme nous affectons des juges expérimentés de notre liste commerciale aux affaires commerciales complexes, particulièrement les motions ou les insolvabilités.
    Nous avons des effectifs de juges spécialisés et j'aime croire qu'un bon juge en chef affectera un expert à une affaire complexe. Hormis cela, je préférerais ne pas voir de désignations telles que seuls certains juges puissent faire certaines choses, car il y a beaucoup d'affaires non complexes. Moi-même, qui avais des antécédents en matière pénale, j'ai présidé des procès dans tous les domaines du droit — peut-être pas bien, mais j'ai présidé dans tous les domaines — mais je ne m'occupais pas des causes complexes. Je n'étais pas sur la liste commerciale et ne m'occupais pas d'une restructuration de 100 millions de dollars.
    Je dis donc des spécialistes si nécessaire, mais pas nécessairement des spécialistes.
    Merci.
    Nous allons passer à M. Lemay.

[Français]

    Merci, monsieur le juge. Vous me permettrez de vous appeler ainsi car je vous ai connu quand vous étiez juge. Même si je demeurais en Abitibi, j'avais l'occasion de lire vos jugements. Comme criminaliste, j'ai toujours préféré avoir des juges d'expérience qui connaissaient le droit criminel.

[Traduction]

    L'interprète pourrait-elle parler plus fort, s'il vous plaît?
    Nous demandons à l'interprète de parler plus fort.

[Français]

    D'habitude, ma voix porte beaucoup, monsieur le juge. Je ne sais pas si vous m'entendez bien.

[Traduction]

    C'est juste que j'entendais mal. C'est bien maintenant.

[Français]

     Je recommence.
     Monsieur le juge, nous, les criminalistes, aimons beaucoup les juges d'expérience qui savent orienter et diriger un débat vers le point central, surtout en droit criminel. Mon collègue, Me Ménard, disait un peu ce que je voulais souligner. On pourrait peut-être enlever certaines choses.
     J'aimerais entendre vos réflexions sur les affidavits relatifs aux points non litigieux. Généralement, on y va par admission. Vos recommandations vont un peu plus loin. Par exemple, sur des points précis, la propriété de la maison dans une cause criminelle, par exemple, pourrait être déterminée par affidavit. Est-ce exact?

[Traduction]

    Oui. Le propriétaire du bien, oui.

[Français]

    Il y a d'autres points semblables. Par exemple, un document en provenance de la Société de l'assurance automobile du Québec concernant la propriété d'un véhicule automobile pourrait selon vous faire l'objet d'un affidavit.

  (1250)  

[Traduction]

    Oui, dans le cadre de l'article relatif aux documents commerciaux de la Loi sur la preuve.

[Français]

    Je n'ai pas bien compris une chose. Dans une de vos recommandations, vous parlez des juges d'une même juridiction. Selon vous, quel est le problème? En effet, vous parliez de juges de la même cour. Est-ce que j'ai mal compris? Pouvez-vous revenir sur ce point qui porte sur les juges d'une juridiction où se déroule le procès?

[Traduction]

    Nous avons formulé quelques recommandations sur les juges et l'une était quelque peu en rapport avec la question antérieure de M. Murphy, à savoir que le juge responsable de l'administration devrait affecter des juges très expérimentés aux conférences préalables. C'est l'une des choses que nous préconisons concernant les juges.
    En ce qui concerne l'article 645 du Code criminel, il exige que le juge qui va conduire le procès soit celui qui entend et détermine toutes les motions, ce que nous appelons aujourd'hui les motions préalables. Nous recommandons que ce puisse être n'importe quel juge de cette cour. Si le procès va avoir lieu à la Cour du Québec ou la Cour provinciale de l'Ontario, alors n'importe quel juge de cette cour pourrait entendre les motions préalables et rendre les décisions à leur sujet. Si c'est à la Cour supérieure, alors tout juge de la cour supérieure pourrait rendre ces décisions sur les motions préalables.

[Français]

    Au lieu que ce soit le juge du procès ou le juge qui devra entendre le procès, ce pourrait être n'importe quel autre juge de la même juridiction.

[Traduction]

    Oui.

[Français]

    Cela pourrait être fait très rapidement par un amendement au Code criminel.

[Traduction]

    Oui, c'est une modification très simple...

[Français]

    Donc, si...

[Traduction]

    ... à l'article 645.

[Français]

    Si je vous comprends bien, monsieur le juge LeSage, si par exemple, au cours d'un procès, il y a une motion pour exclure une preuve, on pourrait s'adresser à un juge de la même juridiction sans nécessairement attendre d'avoir le juge au procès.

[Traduction]

    Exactement. C'est juste.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Merci.
    Nous allons accorder une dernière question à M. Rathgeber, puis nous aurons une très courte discussion à huis clos pour décider qui seront nos témoins mardi prochain. Je pense que nous avons eu confirmation de l'un et nous avons besoin d'en approuver un autre.
    Monsieur Rathgeber.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur le juge LeSage, de votre présence aujourd'hui.
    J'aimerais revenir sur un thème ouvert par mon ami, M. Murphy, concernant la compétence des juges et l'expérience dans certains domaines.
    Je crois savoir que depuis votre départ à la retraite de la magistrature, vous êtes chez Gowlings, un grand cabinet juridique canadien. Certes, les grands cabinets juridiques sont très spécialisés au niveau de leurs services de contentieux, leurs services de droit commercial, etc. Envisagez-vous une évolution naturelle dans la magistrature telle que les juges deviendraient de plus en plus spécialisés? En tout cas, dans ma province de l'Alberta et dans d'autres, l'on a créé les tribunaux de la famille et les tribunaux de la jeunesse dans les cours provinciales. Est-ce là l'évolution naturelle de la magistrature, à votre avis?
    Je le crois. Comme je le dis, je nourris toujours quelques réserves, car je suis vieux et ancré dans mes habitudes, mais je crois que c'est réellement là l'évolution.
    Permettez-moi de dire juste un mot à ce sujet. Lorsque j'étais juge, j'ai consacré probablement 25 p. 100 de mon temps au droit familial et, s'il est un domaine que j'ai trouvé très éprouvant, c'est le droit familial. Nous avons une cour unifiée de la famille et je pense par conséquent que les juges qui y siègent devraient avoir l'occasion de temps à autre de faire autre chose. C'est presqu'un ressourcement ou un congé sabbatique de faire autre chose. Je pense que les juges dans un domaine spécialisé devraient, à l'occasion, faire autre chose.
    Mais la réalité est que dans une grande ville comme Toronto, nous avons des juges qui sont dans une très large mesure spécialisés, notamment dans les domaines que vous avez mentionnés. Nous sommes très similaires à l'Alberta.

  (1255)  

    Revenant à la communication de la preuve, j'ai été avocat de droit civil pendant quelques années, tout comme mon ami, monsieur Murphy, et nous pensons qu'il y a des leçons à tirer de la procédure civile sur le plan des demandes préalables et des requêtes interlocutrices, des déclarations sous serment, afin de limiter les litiges pendant le procès. Cela semble fonctionner très bien en droit civil. Je serais curieux de savoir, dans les 60 secondes qui me restent, si vous pensez qu'il y a des leçons à tirer de la procédure civile, et si vous pourriez en nommer une ou deux.
    Je pense que vous les avez évoquées. Je n'avais pas réfléchi auparavant à des choses comme la demande d'admission, mais cela paraît logique et c'est quelque chose que l'on pourrait explorer plus avant. Peut-être cela a-t-il été fait, mais oui, nous devons mettre à jour notre procédure. Nous devons modifier un certain nombre de choses pour la moderniser.
    Il y a Lepp, de l'Alberta; je ne sais plus s'il est juge ou sous-procureur général, mais j'étais à une conférence récemment où il a proposé quelques changements fondamentaux réellement intéressants. Il n'y a pas de mal à envisager des changements fondamentaux.
    Merci d'avoir comparu par téléconférence, monsieur LeSage.
    Avant de vous laisser partir, j'ai une dernière question. Avez-vous jamais obtenu une réponse du gouvernement provincial, plus précisément du bureau du procureur général au rapport que vous et M. Code avez déposé en 2008?
    Oui, la plupart des recommandations ont été mises en oeuvre, voire toutes. Ils ont certainement suivi la plupart de nos recommandations. Je suis heureux de dire que le système d'aide juridique a également été mis en oeuvre dans une certaine mesure. Le barreau a suivi certaines recommandations, mais en ce qui concerne plus précisément le procureur général, oui, il l'a fait.
    Très bien, merci de ce renseignement.
    Merci beaucoup.
    Oui, monsieur Ménard.

[Français]

    Monsieur le président, peut-être pourriez-dire au juge que les membres francophones du comité sont d'avis qu'il porte très bien son nom.

[Traduction]

    Très bien, merci.
    Merci.
    Nous allons suspendre la séance un instant, le temps de passer à huis clos.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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