Passer au contenu
Début du contenu

SSLR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
PDF

38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 4 avril 2005




» 1740
V         Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.))
V         Mme Janice Raymond (codirectrice exécutive, Coalition Against Trafficking in Women, International)

» 1745

» 1750

» 1755
V         Le président
V         Mme Janice Raymond
V         Le président
V         M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC)
V         Mme Janice Raymond
V         M. Art Hanger
V         Mme Janice Raymond

¼ 1800
V         M. Art Hanger
V         Mme Janice Raymond
V         M. Art Hanger

¼ 1805
V         Mme Janice Raymond
V         Le président
V         Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ)

¼ 1810
V         Mme Janice Raymond

¼ 1815

¼ 1820
V         Le président
V         Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD)
V         Mme Janice Raymond

¼ 1825
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond

¼ 1830
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond
V         Mme Libby Davies
V         Le président
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond
V         Mme Libby Davies
V         Le président
V         Mme Janice Raymond
V         Le président

¼ 1835
V         M. Art Hanger
V         Le président
V         M. Art Hanger
V         Mme Janice Raymond

¼ 1840
V         Le président
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Janice Raymond
V         Le président
V         Mme Libby Davies

¼ 1845
V         Mme Janice Raymond
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond
V         Mme Libby Davies
V         Mme Janice Raymond
V         Le président

¼ 1850
V         Mme Janice Raymond
V         Le président
V         Mme Janice Raymond

¼ 1855
V         Le président










CANADA

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 021 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 4 avril 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

»  +(1740)  

[Traduction]

+

    Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)): La séance est ouverte.

    Nous commençons la 21e réunion du Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage. Nous entendons aujourd'hui comme témoin Janice Raymond, de la section internationale de la Coalition contre la traite des femmes.

    Madame Raymond, conformément à notre mode de fonctionnement habituel, nous sommes prêts à écouter votre exposé, pour une période maximale de sept minutes. Puis, les députés vous poseront des questions. En gros, les échanges de questions et de réponses durent sept minutes chacun, puis trois minutes. Mais puisqu'il nous manque quelques députés, nous pourrions étirer un peu la durée des échanges pour les députés présents, par courtoisie.

    Quoi qu'il en soit, je vous remercie d'être venue. Nous apprécions beaucoup votre présence ici ce soir. Je vous laisse donc la parole.

+-

    Mme Janice Raymond (codirectrice exécutive, Coalition Against Trafficking in Women, International): Merci beaucoup, monsieur le président. Merci pour cette occasion de témoigner devant le sous-comité.

    Tous ceux qui luttent contre la violence faite aux femmes, notamment aux prostituées, sont bien au courant de la disparition et de la mort de nombre de ces femmes, en particulier dans la région de Vancouver. À la suite de ces atrocités et de ces crimes graves, la population en général et les pouvoirs publics se demandent souvent ce qui peut être fait. Et tout aussi souvent, leur solution consiste à adopter des mesures par lesquelles on croit protéger les prostituées. Or, ces mesures, qui consistent à légaliser, à décriminaliser ou à réglementer la prostitution, sont vouées à l'échec, qu'il s'agisse de : créer des zones de tolérance où la prostitution est permise dans une ville; d'imposer des examens médicaux; d'inscrire les prostituées dans un registre en les appelant des travailleuses du sexe; de décriminaliser la sollicitation; de décriminaliser le proxénétisme, qui prend ainsi l'allure d'un commerce respectable; de transformer des maisons closes en maisons de protection pour les prostituées. Ces solutions au problème de l'exploitation sexuelle ne sont pas nouvelles. Ce sont de vieilles mesures très répressives.

    Mon organisation, la Coalition contre la traite des femmes, lutte depuis plus de 17 ans contre toutes les formes de régime de prostitution sanctionnées par les États partout dans le monde. Les formes de décriminalisation ou de légalisation peuvent varier d'une ville à l'autre ou d'un pays à l'autre, mais nous considérons que, dans les faits, il s'agit toujours de prostitution sanctionnée par l'État, car leur point commun est la légitimation du système de prostitution lui-même par l'État.

    Nous collaborons avec les législateurs pour qu'ils élaborent des politiques et des programmes qui n'ont pas comme conséquence de décriminaliser l'industrie du sexe et d'abandonner à leur sort les femmes qui pratiquent l'un des métiers les plus avilissants du monde. Mon organisation appuie la décriminalisation des actes de prostitution des femmes elles-mêmes dans les pays où ces actes sont considérés comme des crimes, mais nous n'appuyons d'aucune manière la décriminalisation de l'industrie du sexe.

    J'aimerais parler brièvement des conséquences de la réglementation ou de la décriminalisation de la prostitution dans les pays qui possèdent de tels régimes et que nous connaissons bien. Les zones de tolérance sont souvent préconisées parce qu'on dit que les femmes y sont protégées. Toutefois, de nombreux problèmes sont associés à ces zones. Personne ne veut que son quartier soit une zone de prostitution, ce qui fait que la zone se retrouve dans un trou perdu ou dans un secteur industriel de la ville, où les femmes sont loin de trouver la sécurité.

    La décriminalisation des maisons closes, du proxénétisme et de la sollicitation a habituellement comme conséquence que la police n'a plus rien à voir dans le dossier, qui relève alors des autorités civiles locales. Celles-ci doivent s'occuper de réglementer la prostitution et de faire respecter leur réglementation. Par exemple, depuis que, pendant les années quatre-vingt-dix, on a retiré le dossier de la prostitution à la police de l'État de Victoria, en Australie, pour le confier aux conseils locaux, la prostitution échappe à tout contrôle.

»  +-(1745)  

    La police indique que les conseils locaux n'ont aucune prise sur l'industrie du sexe parce qu'ils s'y connaissent en planification, mais ne sont aucunement outillés pour s'occuper de l'application de la loi. Dans la plupart des villes ou des pays où la prostitution est décriminalisée ou réglementée, l'application de la loi pose un problème qui ne semble pas avoir été prévu. Lorsqu'on retire à la police la tâche d'appliquer la loi en matière de prostitution et qu'on confie cette tâche à des conseils locaux, ceux-ci se plaignent et disent qu'ils ne veulent pas s'en charger. Certains conseils municipaux par exemple, dans des pays où la prostitution a été décriminalisée à l'échelle fédérale, disent qu'ils ne veulent aucune prostitution. Ainsi, lorsque la prostitution a été légalisée aux Pays-Bas, 43 des 348 municipalités ne voulaient pas de maisons closes sur leur territoire, mais le ministre de la Justice leur a répondu qu'elles ne pouvaient pas bannir complètement les maisons closes parce qu'elles porteraient alors atteinte au droit de travailler garanti par la constitution fédérale.

    L'un des arguments pour la décriminalisation de la prostitution consiste à dire qu'on réussira ainsi à faire échec au crime organisé. Malheureusement, les maisons closes illégales fleurissent autour des entreprises légales de ce genre, qui semblent les attirer inexorablement. Nous avons vu ce genre de chose se produire à Melbourne et dans l'État de Victoria, et le phénomène ne se limite plus aux secteurs industriels maintenant, mais se propage dans les banlieues. Il y a trois fois plus de maisons closes illégales dans l'État de Victoria que de maisons closes légales, et les entreprises illégales appartiennent aux mêmes propriétaires que les entreprises légales. Ceux-ci tirent donc profit de leurs activités sur les deux tableaux à la fois.

    On observe également une autre conséquence de la décriminalisation en Allemagne. À l'origine, l'office fédéral du travail dans ce pays avait refusé de publier les offres d'emploi d'un propriétaire de maison close. Ce dernier avait alors intenté une poursuite pour discrimination. Récemment, on a rapporté que des Allemandes vivant de l'aide sociale qui cherchaient un emploi par l'intermédiaire des centres d'emploi fédéraux, se sont vu conseiller de s'assurer de leur admissibilité future à l'aide sociale en travaillant dans des maisons closes ou des clubs de danseuses. On leur a dit qu'elles devaient au moins être en mesure de prouver qu'elles avaient envisagé d'accepter ce genre de travail. De plus en plus de femmes vulnérables seront bernées parce qu'elles croiront que des emplois sont sans danger puisqu'ils sont annoncés dans des centres d'emploi fédéraux.

    Les Pays-Bas sont à l'avant-plan de la décriminalisation et de la légalisation de la prostitution dans le monde, mais dans ce pays, les gens sont en train de remettre en question certains aspects de cette orientation. À l'origine, on avait défendu la création de la Tippelzone d'Amsterdam, une zone de tolérance bien connue, en disant que les femmes y seraient protégées, que la police y serait bien présente et que les abus seraient réprimés. Mais en 2003, le conseil municipal a dû fermer la Tippelzone parce qu'elle était devenue le paradis des trafiquants. Les membres du crime organisé avaient découvert qu'ils pouvaient beaucoup mieux se livrer à leurs activités dans une zone de prostitution légale parce que la police ne la surveillait plus assez étroitement. La création de la Tippelzone a été un échec lamentable. Personne n'y était en sûreté, surtout pas les prostituées.

    La décriminalisation et la légalisation de la prostitution ont aussi pour conséquence d'accroître la traite des femmes. Contrairement aux affirmations selon lesquelles la légalisation et la décriminalisation limiteraient l'expansion de l'industrie du sexe, lorsque le proxénétisme a été légalisé et que l'établissement de maisons closes a été décriminalisé, l'activité a crû de 25 p. 100 au sein de l'industrie du sexe. Europol, l'Organisation internationale pour les migrations et d'autres sources indiquent que 80 p. 100 des femmes qui travaillent dans les maisons closes néerlandaises ont été amenées d'autres pays au moyen de la traite.

»  +-(1750)  

    Le nombre de femmes néerlandaises s'adonnant à la prostitution est en baisse et la demande de femmes utilisées pour leur corps est bel et bien en hausse, et non en baisse, conformément à la tendance voulant que tout marché cherche à croître et encore plus lorsqu'il trouve de nouvelles conditions favorables à son développement comme, dans ce cas-ci, la décriminalisation, la réglementation et la légalisation de la prostitution. C'est pourquoi le rapporteur national des Pays-Bas sur la traite des femmes a indiqué qu'à l'avenir, compte tenu de la réticence des femmes néerlandaises à travailler dans l'industrie du sexe, on pourrait envisager comme solution d'aller chercher des femmes hors du pays, hors de l'Union européenne et hors de l'Espace économique européen pour leur donner un accès légal et contrôlé au marché néerlandais. On appellerait cette quête de main-d'oeuvre étrangère la migration pour le travail du sexe. Mais en fait, les femmes visées seraient poussées à émigrer parce qu'aucune femme pauvre venant de l'extérieur de l'Union européenne ne ferait de son propre chef les démarches nécessaires pour émigrer aux Pays-Bas.

    Alors, quelle est la solution de rechange pour résoudre ce problème? Je suis très heureuse de constater que vous allez entendre le témoignage d'un représentant du gouvernement suédois, parce que je crois que l'une des meilleures façons de régler ce que l'on appelle le problème de la prostitution, mais qui est en fait le problème de l'industrie du sexe, est de réduire la demande. Plutôt que d'établir des zones de tolérance, des maisons closes protégées ou des établissements qui jouent le même rôle, comme les clubs de danseuses, nous pensons que les gouvernements et les municipalités devraient tâcher premièrement de limiter la demande. Deuxièmement, ils devraient ouvrir des centres qui aideraient les femmes à se sortir de la prostitution, et ces centres devraient bénéficier d'une certaine aide. Mais pour une raison ou une autre, nombre de villes qui cherchent une solution au problème de la prostitution pensent qu'elles doivent décriminaliser l'industrie du sexe en général et que l'approche de la tolérance zéro n'est pas viable.

    Il y a des villes comme Glasgow, en Écosse, où le conseil municipal considère qu'il est de son ressort d'adopter des politiques en vue de prévenir la prostitution parmi les femmes et en vue de les aider à s'en sortir. Les autorités de Glasgow comprennent que le vrai problème n'est pas les femmes, mais l'industrie du sexe, et que le principal groupe de pression qui milite pour la légalisation ou la décriminalisation de l'industrie du sexe, c'est l'industrie du sexe elle-même. Un règlement municipal de Glasgow interdit les clubs de danse contact et justifie cette interdiction en disant que ces clubs sont contraires au principe de l'égalité entre les sexes. Mais les gouvernements doivent passer vraiment à l'action en ce qui concerne la demande. La demande est l'aspect le moins visible du problème de la prostitution.

    Lorsqu'on décriminalise la prostitution et l'industrie du sexe, nombre d'hommes qui, auparavant, n'auraient pas pris le risque d'acheter des faveurs sexuelles, se mettent à considérer la prostitution comme un comportement acceptable. Lorsque les barrières juridiques tombent, les barrières sociales et morales tombent aussi. Pour les garçons et les jeunes hommes, la légalisation ou la décriminalisation de l'industrie du sexe signifie que les femmes sont des objets sexuels et que la prostitution est simplement un jeu qui ne fait de tort à personne.

    La Suède a adopté une loi qui dit que sans la demande masculine, il n'y aurait pas d'offre féminine. La loi considère la prostitution comme une forme de violence contre les femmes, et l'achat de services sexuels est criminalisé. En outre, la loi prévoit beaucoup de ressources pour aider les femmes à se sortir de l'univers de la prostitution.

»  +-(1755)  

    Mais quel effet a eu la loi suédoise depuis qu'elle est entrée en vigueur en 1999? Le nombre de prostituées a diminué de 50 p. 100, et de 70 à 80 p. 100 des hommes qui achètent des services sexuels ne le font plus sur la place publique. Selon un rapport de la police, rien n'indique que la prostitution soit devenue une activité clandestine ou que la prostitution par l'intermédiaire des clubs de danseuses, des agences d'escorte ou des maisons closes ait augmenté. La police dit aussi que la loi suédoise interdisant l'achat de services sexuels a beaucoup ralenti la traite des femmes. Comparativement aux pays voisins, la traite des femmes et le taux de femmes pratiquant la prostitution sont beaucoup plus bas en Suède.

    J'espère sincèrement qu'alors même que nombre de gouvernements se rendent compte que la décriminalisation de la prostitution est un échec, le Canada n'empruntera pas cette voie. Nous devons vraiment trouver des moyens pour protéger les prostituées, et non simplement accepter d'emblée la logique selon laquelle la décriminalisation fera office de mesure de protection. Je pense que les gouvernements doivent par ailleurs se munir de la volonté politique nécessaire pour s'attaquer à la demande.

    Merci beaucoup pour le temps que vous m'avez accordé.

+-

    Le président: Merci, madame Raymond.

    Vous nous avez présenté bien des situations de fait dans votre exposé. Avez-vous des recherches pour appuyer ces situations de fait? Si oui, pourrions-nous en obtenir des copies?

+-

    Mme Janice Raymond: Oui. J'ai écrit un article qui énumère dix raisons pour s'opposer à la légalisation de la prostitution dans lequel vous trouverez plusieurs des sources que j'ai citées. Je peux remettre cet article au comité pour les références qu'il contient.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Hanger, vous avez la parole pour les sept prochaines minutes.

+-

    M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je tiens à vous remercier pour votre présentation ce soir. Pour être bien franc, je suis d'accord avec beaucoup de vos positions en ce qui concerne l'application de la loi. Je crois que c'est la seule façon de contrôler en gros ce qui se passe dans ce secteur, compte tenu notamment des activités du crime organisé centrées autour de l'industrie du sexe. D'après ce que j'ai pu lire, c'est probablement en Suède où l'on retrouve l'exemple de contrôle le plus bénéfique pour un pays, et très certainement pour les femmes en général quand on pense à celles qui sont forcées d'entrer dans l'industrie du sexe.

    Je me demande, puisque vous parlez de la traite des femmes, quelle est l'incidence de cette dernière sur le Canada en ce qui concerne le trafic étranger? Je sais qu'il y a des activités intérieures, mais quelle est l'importance des activités de l'extérieur?

+-

    Mme Janice Raymond: Si je comprends bien, vous me demandez quelle est l'incidence sur le Canada de la traite des femmes de l'étranger ou d'autres pays?

+-

    M. Art Hanger: Oui. Vous avez dit que ce problème touchait, évidemment, Amsterdam. Je crois que vous avez dit que 80 p. 100 des femmes forcées de pratiquer la prostitution viennent de l'extérieur du pays et même de l'extérieur de l'Europe.

+-

    Mme Janice Raymond: D'après ce que je sais de la traite des femmes ou de personnes d'autres pays vers le Canada, il s'agit très certainement d'un problème, comme c'est le cas aux États-Unis et ailleurs. Il n'y a pratiquement aucun pays à l'abris du trafic international des personnes.

    Toutefois, comparativement aux taux européens, particulièrement dans les pays qui ont légalisé la prostitution, les taux par rapport à la taille de la population ne sont pas comme ceux de la Hollande ou de l' Allemagne, où 80 p. 100 des prostituées proviennent de la traite. Je ne connais pas le pourcentage de femmes touchées par la traite ni le pourcentage des activités de traite de l'étranger. Je ne connais pas les taux par rapport à la population totale de prostituées. Je ne sais pas si quelqu'un a étudié cette question au Canada.

    Cependant, je crois que les chiffres concernant les femmes amenées au Canada au moyen de la traite ne sont pas aussi élevés que dans les pays de l'Europe de l'Ouest. C'est la même chose aux États-Unis. Nous estimons que de 20 000 à 30 000 femmes par année entrent aux États-Unis, mais ce n'est rien comparativement aux taux en Allemagne et en Hollande.

¼  +-(1800)  

+-

    M. Art Hanger: Vous avez soulevé, selon moi, un point très important dans le débat en cours. Si le gouvernement hollandais cherche à l'extérieur de son territoire, et même à l'extérieur de l'Europe, des femmes à qui offrir des occasions d'emploi—en d'autres mots, ces femmes entreront dans ce pays pour combler cette demande et je suppose qu'à votre avis quelqu'un doit débattre de cette question au sein de ces gouvernements—l'État sanctionnera dans les faits l'entrée de femmes au pays uniquement pour une fin très précise, à savoir la prostitution. Ils ne parlent pas de prostituées, mais bien de travailleuses du sexe. Mais en réalité, il s'agit bien de prostituées. Que le gouvernement veuille ou non admettre qu'il modifie la loi pour faciliter cette pratique, l'État la sanctionne.

+-

    Mme Janice Raymond: Exactement. Le problème, de notre point de vue, est que la prostitution est maintenant présentée comme une option pour les pauvres et pour les femmes pauvres. Ce ne sont pas les femmes comme moi, ce ne sont pas, dans la grande majorité des cas, les femmes avantagées sur le plan économique qui se prostituent.

    Un autre problème qui se pose dans le cas de la Hollande, en particulier, et à l'extérieur des États-Unis et des pays de la zone économique de l'Europe est l'érosion du statut de la prostitution et ce que cela comporte... J'entends par là la transformation de la prostitution d'une violation des droits de la femme en un droit de la femme, en d'autres mots la transformation de la violence en travail, et cela se produit partout. Nous voyons également maintenant, avec les politiques comme celle du gouvernement hollandais, qui fait de la promotion à l'extérieur du pays et qui est prêt à accorder des visas, des permis de travail et ainsi de suite aux femmes étrangères qui entrent au pays, que la traite ne sera plus reconnue comme un crime parce qu'on dira, et on dit déjà, qu'il s'agit d'une migration pour travailler dans le commerce du sexe.

    Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, peu de femmes entreront au pays sans une forme de migration facilitée, que ce soit par l'entremise d'agences de recrutement ou d'agences illégales. Dans la plupart des cas, les agences de recrutement qui amènent les femmes dans d'autres pays au moyen de la traite sont actuellement illégales dans bien des parties du monde, mais il en existe qui sont légales.

    On ne parlera plus de prostitution, mais de travail du sexe. La traite, quant à elle, sera désignée comme une migration pour travailler dans le commerce du sexe. En fait, c'est ce qui se produit maintenant. De nombreux groupes préconisent de telles politiques sous prétexte d'éliminer la discrimination contre les femmes d'autres pays.

+-

    M. Art Hanger: Voici ce qui m'inquiète. Je suis allé en Russie en 1999, et il y avait eu un sondage. Je ne sais pas s'il avait été réalisé à l'échelle du pays, mais il avait été effectué dans une région—je crois que c'était dans les environs de Saint-Pétersbourg. On avait demandé aux jeunes filles du premier cycle du secondaire ce à quoi elles aspiraient. La plupart de ces filles vivaient dans la pauvreté. Le taux de pauvreté était très élevé dans la région. Ces filles regardaient l'exemple de certaines qui avaient amélioré leur sort par la prostitution, et 70 p. 100 d'entre elles ont répondu qu'elles aspiraient à suivre cette voie pour se sortir de leur misère.

    À mon avis, cela les rend très vulnérables à l'exploitation. Ces filles étaient au premier cycle du secondaire, c'est-à-dire en septième, huitième et neuvième année. Elles étaient âgées de 15 ans. Il n'y a aucun doute dans mon esprit que plusieurs n'hésiteraient pas à profiter d'elles et à les expédier où bon leur semble pour les exploiter.

    Je ne sais pas si vos recherches prouvent ou montrent ce qui me préoccupe. Combien de ces femmes qui proviennent de ces pays étrangers, disons du bloc de l'Est, ont moins de 18 ans?

¼  +-(1805)  

+-

    Mme Janice Raymond: Il y en a beaucoup, mais tout cela est très clandestin. Par exemple, on a évalué en 1996 aux Pays-Bas, avant la légalisation complète des maisons closes en l'an 2000, que de 3 000 à 6 000 enfants se prostituaient. En 2002, on a évalué qu'il y en avait 15 000 et que la plupart provenaient du Nigeria. La traite des personnes du Nigeria est très répandue dans de nombreux pays d'Europe. Ce phénomène a commencé en Italie, mais on le retrouve maintenant en Scandinavie. En fait, on voit ce phénomène dans des pays où ces femmes n'avaient jamais fait l'objet de traite.

    Un fort pourcentage de ces femmes sont des mineures. Mon organisation, la Coalition contre la traite des femmes, finance un projet en Italie concernant la traite des Nigériennes en Italie. C'est un projet qui consiste à donner des services directs. Nous fournissons, entre autres, de l'aide, des conseils juridiques, des conseils médicaux et des installations résidentielles aux femmes amenées en Italie au moyen de la traite. Plus de 60 p. 100 de ces Nigériennes ont moins de 18 ans. Certaines n'ont même pas 16 ans. Je dirais que de 15 à 20 p. 100 d'entre elles environ n'ont pas 16 ans.

    Vous avez parlé de l'attrait que la prostitution représente pour les jeunes femmes et les jeunes filles. Bien sûr, une partie du problème est attribuable aux médias. Une partie du problème tient aussi au fait que nous n'avons pas besoin d'un système de prostitution légalisée et décriminalisée pour voir autour de nous des femmes et des jeunes filles transformées en objets sexuels dans les médias, mais cela aide très certainement lorsque la prostitution est décriminalisée, que de nombreux obstacles légaux et sociaux, pour les femmes et les filles en particulier, tombent.

    Mon organisation appuie aussi des projets de prévention au Venezuela, aux Philippines et en République dominicaine. Ces projets de prévention visent essentiellement les jeunes filles, mais aussi les jeunes garçons, dans les écoles et les centres communautaires des grandes villes de ces pays. En gros, des enseignants informent les enfants sur les techniques de recrutement que les trafiquants et les proxénètes utilisent dans les cours d'écoles.

    Nous n'avons pas besoin d'aller au Venezuela pour voir cela. Je peux aller à Boston et voir la même chose. Les proxénètes vont maintenant dans les cours d'école et disent aux jeunes filles qu'elles peuvent faire beaucoup d'argent en se déshabillant dans les clubs de sexe. C'est souvent un moyen de les entraîner dans la prostitution.

    J'ai enseigné à l'université pendant 30 ans. Je dirais que de 10 à 15 p. 100 de mes étudiants travaillaient dans des clubs de sexe et des clubs de danse-contact pour payer leurs études. Bon nombre d'entre eux sont non seulement demeurés dans ces clubs, mais ont fini par se prostituer.

    Je crois qu'il y a un effet domino ici. Dès qu'on autorise une certaine forme de décriminalisation, tout s'ensuit. Les pressions des proxénètes, des maisons closes et de l'industrie pour accroître leurs activités suivent également. Je ne connais aucun pays où la prostitution a diminué après avoir été réglementée, décriminalisée ou légalisée.

+-

    Le président: Merci, madame Raymond.

    Madame Brunelle, vous avez la parole.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ): Bonjour, madame. Je vous remercie d'être présente à notre rencontre. J'espère que vous ne venez pas du Massachusetts, que vous venez de moins loin. Ce que vous avez à nous proposer est très intéressant. Nous avons fait récemment une tournée du Canada, et il est certain que le problème de la prostitution est surtout un problème social, un problème de pauvreté. C'est également un problème de violence faite aux femmes.

    On constate que votre coalition est favorable à la décriminalisation de la pratique de la prostitution par les femmes. Par contre, il y aurait une criminalisation plus grande des actes commis par les clients, par les proxénètes et par ceux qui vivent de cette exploitation. Vous nous parlez du modèle suédois et vous nous dites qu'il n'y aurait pas d'offre de la part des femmes sans demande de la part des hommes.

    Dans un premier temps, je me demande dans quelle mesure cela n'est pas un peu utopique, quand on voit—vous en avez parlé tout à l'heure—comment notre société est sexuée et à quel point les films, les revues... Les jeunes filles veulent être des femmes à l'âge de 10 ans. Tout est basé là-dessus. Comment peut-on faire en sorte qu'il n'y ait pas de demande? À mon avis, tout cela est difficile à concilier.

    Dans un deuxième temps, j'aimerais que vous m'expliquiez certaines choses. Jusqu'où peut-on aller dans la décriminalisation de la pratique de la prostitution par les femmes? Quelles sont vos solutions? Vous parlez de criminaliser certains actes. Est-ce qu'il y aurait des peines d'emprisonnement plus fortes pour les proxénètes? Est-ce que les clients seraient pénalisés? Il y a toutes sortes de formules possibles. Est-ce que vous avez des précisions à nous apporter à cet égard?

¼  +-(1810)  

[Traduction]

+-

    Mme Janice Raymond: Pour répondre à la première partie de votre question, je ne voulais pas dire qu'il n'y aurait pas de prostitution s'il n'y avait pas de demande. Évidemment, il n'y a pas que la demande qui explique l'existence de la prostitution et de l'industrie du sexe. Il y a aussi la pauvreté, le recrutement des femmes dans les industries de la prostitution et les politiques de migration restreintes. Les trafiquants semblent en effet être les seuls à vraiment promouvoir la migration vers les pays où les politiques de migration sont très restreintes. La présence de militaires est un autre problème; on retrouve souvent d'importantes industries du sexe autour des bases militaires.

    Il est intéressant de signaler que nous parlons de ces facteurs depuis très longtemps. Nous parlons de la pauvreté, des techniques de recrutement, de la traite et de tellement d'autres facteurs depuis... eh bien, je travaille dans ce dossier depuis au moins quinze ans et nous en parlons depuis toujours.

    Ce n'est que récemment qu'on s'est penché sérieusement sur le facteur de la demande. La demande n'est pas le seul facteur qui sera à établir une industrie de la prostitution, mais il s'agit très certainement d'un facteur important et du facteur que la plupart des gouvernements semblent ne pas vouloir parler.

    La Suède est le premier pays qui tente de s'attaquer sérieusement à la demande, ce qui m'amène à la deuxième partie de la question : que font-ils exactement là-bas et qu'est-ce que j'entends par s'attaquer à la demande?

    Dans le modèle suédois, les hommes sont arrêtés lorsqu'ils sollicitent des services sexuels, ou même avant lorsque la police a de bons motifs de croire qu'un homme sollicitera de tels services. Maintenant, si cela se produit, s'il y a une intention de solliciter et que les policiers croient qu'un homme sollicitera des services sexuels, ils s'adresseront à lui pour lui dire qu'il s'agit d'un crime en Suède. Il ne sera pas arrêté et il ne sera pas pénalisé, parce que l'intention de la loi est de prévenir la transaction.

    S'il est pris sur le fait cependant, il sera alors arrêté et accusé, et, selon les constatations, il sera mis à l'amende—je crois que le montant minimum est cinquante jours-amendes—ou il recevra, au plus, une peine d'emprisonnement de trois mois, ce qui est rare dans le cas d'une première arrestation. C'est une mesure législative plutôt modeste.

    La loi a pour effet de briser l'anonymat de l'acheteur, et l'acheteur prise l'anonymat avant tout.

    Cette loi est avant tout préventive. Des hommes ont été arrêtés et accusés en vertu de la loi, et de nombreux ont été mis à l'amende, mais de nombreuses transactions de prostitution, du moins celles dans lesquelles la police est intervenue, ont été évitées.

    Cette loi établit aussi une position, sociale ou morale selon les points de vue, quant à l'attitude du pays à l'égard de la prostitution. La loi dit essentiellement que les femmes ne seront pas arrêtées, que les exploiteurs ne seront pas arrêtés, mais qu'on aidera à offrir des solutions de rechange aux femmes et qu'on s'attaquera à la demande. La loi pénalise essentiellement les acheteurs d'une certaine façon, que ce soit au moyen d'amendes ou de peines d'emprisonnement relativement courtes.

    Gunilla Ekberg pourra très certainement vous parler davantage du fonctionnement sur le terrain dans son témoignage au comité, puisque je crois comprendre qu'elle pourrait témoigner.

¼  +-(1815)  

    Oui, le proxénétisme est un crime. La Suède a aussi adoptée une nouvelle loi contre le trafic des personnes, notamment des femmes de l'étranger qui sont emmenées au pays. La police et le rapporteur national sur ce genre de trafic signalent que le taux de trafic en Suède n'a pas augmenté depuis que la loi est entrée en vigueur.

    Encore une fois, il faut comparer cette situation à celle qui prévaut dans les pays limitrophes, notamment le Danemark et la Norvège, où ce trafic a augmenté de façon exponentielle. Par exemple, au Danemark, dont le nombre d'habitants est relativement semblable à celui de la Suède, environ 7 000 femmes ont été emmenées au pays dans le cadre de ce trafic de personnes, comparativement à quelque 500 à 700 femmes dans le cas de la Suède.

    Pourquoi? Selon ce que la police et les ONG entendent dire, mais surtout la police, il n'est pas avantageux de s'adonner à ce trafic en Suède, parce que cette activité est surveillée. Par exemple, la police retrace les appels téléphoniques des présumés trafiquants. Les policiers entendent dire qu'il n'est pas financièrement avantageux de s'adonner au trafic des femmes en Suède, parce que les acheteurs craignent d'être attrapés. Les trafiquants et les proxénètes doivent trouver différents endroits, afin de pouvoir transférer les femmes et les clients, s'ils croient que la police risque de découvrir un endroit donné. Cette contrainte est très désavantageuse sur le plan financier, de sorte que ces individus préfèrent exercer leur activité ailleurs. C'est pourquoi ils envoient les femmes au Danemark, en Norvège et en Finlande.

    La Finlande est en train d'étudier la loi suédoise. Le ministre de la Justice est derrière cette initiative et, selon les renseignements dont nous disposons actuellement, une loi semblable fera bientôt l'objet d'un vote au Parlement finlandais. La Corée et les Philippines ont déjà adopté des mesures législatives très similaires à la loi suédoise. La semaine dernière, la République tchèque a voté contre le retrait de la convention de 1949, qui était la première étape vers la légalisation et la décriminalisation de la prostitution dans ce pays. Il semble bien que la décriminalisation ne soit plus du tout envisagée en République tchèque. Nous nous en réjouissons, parce que ce pays était perçu comme la prochaine nation européenne qui allait légaliser la prostitution. En fait, tous les médias avaient déjà annoncé que la République tchèque avait légalisé la prostitution.

    Ce sont là des développements très intéressants. Je peux vous dire que le vent est en train de tourner. Nous nous battons depuis 15 ans contre une orientation, mais celle-ci est en train de changer. C'est l'une des raisons pour lesquelles je dis que ces politiques échouent. Même les Pays-Bas reconnaissent que leur politique a échoué, du moins en partie.

    J'espère que cela répond à votre question.

¼  +-(1820)  

+-

    Le président: Merci.

    Madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci beaucoup.

    Premièrement, je veux m'excuser d'être arrivée en retard et de ne pas avoir entendu votre exposé, madame Raymond. J'étais avec un groupe qui discutait de l'actualité. Cela dit, j'ai entendu certaines de vos réponses et j'ai lu rapidement votre mémoire, de sorte que j'ai une idée de votre point de vue.

    Je vais vous faire part du dilemme dans lequel je me trouve. Nous avons entendu un certain nombre de groupes qui appuient votre position, laquelle semble être une position abolitionniste qui prône une diminution de la demande en matière de prostitution et qui confond presque la décriminalisation avec la légalisation, et ce dernier point me chicote vraiment. Ces deux termes sont employés de façon interchangeable, mais ce sont deux choses différentes. J'ai remarqué que vous aussi vous faites cela. En réalité, le système en vigueur en Suède est fondé sur la décriminalisation partielle.

    Ma préoccupation est la suivante. Je suis d'accord avec vous qu'il faut axer nos efforts sur la prévention, sur certaines des questions socioéconomiques sous-jacentes, particulièrement dans le contexte des femmes qui se prostituent pour survivre, des ressources nécessaires pour sortir de ce milieu et ainsi de suite. Je suis d'accord avec vous que c'est une priorité fondamentale. Ma préoccupation est celle-ci : que fait-on dans l'intervalle, en attendant? Si des femmes s'adonnent au commerce du sexe, je crains que, à moins qu'on leur dise que nous allons les empêcher de force de s'adonner à cette activité—et peut-être que c'est ce que certaines personnes souhaitent—le fait d'adopter un système davantage axé sur la criminalisation, que celui-ci vise les travailleuses du sexe ou même les clients, aura pour effet de faire en sorte que cette industrie devienne encore plus souterraine. Je sais qu'un grand nombre des travailleuses du sexe que nous avons entendues au pays, je dirais même la grande majorité d'entre elles, étaient en faveur de la décriminalisation. Je pense qu'on ne peut ignorer leur point de vue. Nous parlons ici de personnes directement touchées qui se sont exprimées en fonction de leur expérience personnelle. Par conséquent, je pense qu'il faut en tenir compte. Je ne pense pas qu'on puisse ignorer leur point de vue.

    En ce qui a trait à la Suède, vous avez dit que, jusqu'à maintenant, les mesures prises donnent des résultats prometteurs. Je n'en suis pas sûre. Il y a beaucoup de renseignements contradictoires relativement à ce qui se passe vraiment là-bas. Certains sites Web renferment des rapports dans lesquels on se demande, premièrement, si la demande a vraiment diminué et, deuxièmement, si l'industrie est encore plus souterraine qu'auparavant. Personnellement, je pense que c'est un problème énorme.

    La collectivité que je représente englobe le côté est du centre-ville, où étaient toutes les femmes qui ont disparu. Les travailleuses du sexe avec qui je parle sont d'avis que la disposition sur la communication est terrible. Elles disent que la disposition sur les maisons de débauche est terrible. Lorsqu'elles sont dans la rue, elles ne sont absolument pas en sécurité, parce que les policiers sont les dernières personnes à qui elles vont signaler un cas de violence.

    Je mentionne beaucoup de points, mais ce que je veux dire c'est que je comprends votre position et que j'appuie certains de vos points, tout en étant très préoccupée par l'application concrète de ces mesures. Cela dit, que faisons-nous pour les femmes qui sont là ce soir et qui courent un grand danger, en partie à cause de la façon dont les lois sont appliquées? C'est une question de dosage, mais il faut aussi voir la réalité telle qu'elle existe.

    Peut-être avez-vous une réponse.

    Vous dites que le modèle suédois est prometteur. Je pense que les avis sont très partagés à ce sujet. Êtes-vous d'accord que des opinions très différentes sont exprimées relativement à la question de savoir si le soit-disant modèle suédois, comme on l'appelle maintenant, fonctionne véritablement?

+-

    Mme Janice Raymond: Je vais commencer par répondre à la dernière partie de votre question, puis je vais revenir aux groupes de femmes dans le milieu de la prostitution et à ce qu'elles disent.

    Est-ce que je suis d'accord pour dire que le modèle suédois donne de bons résultats? Je pense que cela dépend de la source consultée. Si vous regardez les rapports factuels qui ont été publiés en Suède—par le rapporteur national et l'unité des enquêtes criminelles nationales de la police fédérale suédoise—vous y trouverez les chiffres pertinents. Il y a aussi le fait que cette loi a été adoptée par un Parlement où les femmes représentent 45 p. 100 de la députation. Il y a aussi les sondages d'opinion publique effectués tout récemment—le dernier date d'environ six mois—selon lesquels 80 p. 100 des Suédois appuient la loi en question. Il y a aussi les ONG qui travaillent avec des prostituées et qui disent que depuis l'entrée en vigueur de la loi un plus grand nombre de ces femmes font appel à leurs services, parce que ceux-ci sont maintenant financés. Ces ONG obtiennent des ressources. Le gouvernement leur verse un certain montant pour la prestation de ces services.

¼  +-(1825)  

+-

    Mme Libby Davies: Je pense que c'est un point très important. En Suède, il existe un très bon filet de sécurité sociale que nous n'avons pas ici au Canada et que vous n'avez certainement pas aux États-Unis. C'est là un facteur très important afin de réduire au moins le nombre de femmes qui se prostituent pour survivre.

    Par conséquent, je suis d'accord avec vous sur ce point. Plus le filet de sécurité est fort, plus il favorise la prévention et plus il aide les femmes à sortir du milieu de la prostitution.

+-

    Mme Janice Raymond: Mais une loi semblable vient tout juste d'être adoptée en Corée et une autre a aussi été adoptée aux Philippines il y a un an, dans le cadre d'un ensemble de politiques et de mesures législatives visant le trafic des personnes et la prostitution. Il s'agit là de pays en développement qui n'ont pas le système de sécurité sociale de la Suède. Je pense qu'il faut vraiment commencer à faire preuve de créativité. La décriminalisation n'est pas un concept nouveau. Ce n'est pas une méthode nouvelle.

    Je veux répondre à votre argument portant qu'il faut vraiment porter attention aux points de vue formulés par les prostituées elles-mêmes. Je pense qu'il faut bien comprendre ici que les femmes et les groupes de femmes dans le milieu de la prostitution ne s'expriment pas d'une seule voix. Ainsi—et je prends mon propre pays à titre d'exemple—tout le monde aux États-Unis a entendu parler d'un groupe appelé COYOTE. COYOTE est un groupe qui prétend représenter les femmes du milieu de la prostitution. Les membres de ce groupe disent être d'anciennes prostituées. Un bon nombre d'organismes ont étudié ce groupe qui existe depuis environ 18 ans. Le nombre de ses membres qui sont effectivement d'anciennes prostituées est probablement de trois, et ce chiffre est tiré d'une source. Il vient d'un livre publié par Valerie Jenness, qui défend la prostitution comme étant un travail et qui veut que cette activité soit légalisée.

    COYOTE ne fournit aucun service aux femmes du milieu de la prostitution. C'est un groupe communautaire de relations publiques.

+-

    Mme Libby Davies: Oui, mais nous parlons de la situation au Canada et nous avons rencontré bien des personnes, tant en groupes qu'à titre individuel. Je n'ai pas dit que toutes ces personnes avaient le même point de vue; j'ai dit la plupart. Je dirais que la plupart de ces femmes souhaitent au moins une certaine forme de décriminalisation, sinon une décriminalisation complète. Je n'ai pas eu l'impression que ces femmes étaient toutes influencées par une orientation politique particulière. Vous n'êtes peut-être pas d'accord, mais nous avons parlé à un grand nombre de groupes dans tout le pays et ces personnes nous ont communiqué un message fondé sur leur expérience et sur ce qu'elles vivaient en tant que prostituées.

+-

    Mme Janice Raymond: Écoutez, j'allais dire qu'un grand nombre... et je dois encore revenir à cet exemple. Je connais certains des groupes ici, comme Stella. Je connais d'autres groupes qui font la promotion de cette idée, comme Pivot et certains groupes à Vancouver. J'ai été à Vancouver et...

+-

    Mme Libby Davies: Les avez-vous rencontrés?

+-

    Mme Janice Raymond: Oui, j'ai rencontré certains de ces groupes, mais pas tous.

    Mais il y a aussi des groupes aux États-Unis, comme DIGNITY, Breaking Free et SAGE, à San Francisco, qui n'appuient pas la décriminalisation. Ces groupes n'appuient pas la décriminalisation des dispositions visant les clients. Ils appuient la décriminalisation des dispositions visant les femmes. Par conséquent, je pense qu'il faut voir les groupes qui appuient cette idée et se demander s'ils travaillent directement avec les intéressées. Ces groupes travaillent-ils vraiment avec les prostituées? Quels services fournissent-ils?

+-

    Mme Libby Davies: Les groupes auxquels nous avons parlé, notamment PACE, WISH, Pivot, et PEERS, à Vancouver, sont tous des groupes qui fournissent des services. Êtes-vous en train de dire que ces groupes ne sont pas crédibles?

+-

    Mme Janice Raymond: Je ne sais pas. Je ne sais pas d'où provient leur financement. Je ne sais pas quels services ils fournissent. Vous dites qu'ils fournissent des services.

¼  +-(1830)  

+-

    Mme Libby Davies: Ils fournissent beaucoup de services dans la rue.

+-

    Mme Janice Raymond: Je connais un grand nombre de groupes qui fournissent des services, tant en Europe qu'aux États-Unis, et qui adopteraient le point de vue tout à fait opposé. En fait, mon organisation a mené une étude dans le cadre de laquelle elle a interrogé des prostituées et leur a demandé si le fait de légaliser la prostitution—nous leur avons expliqué ce que cela signifiait—aiderait les choses. Contrairement à ce que vous avez dit, il existe beaucoup de similitudes entre la légalisation pure et simple et la décriminalisation assortie d'une réglementation. Quoi qu'il en soit, nous ne devrions pas nous lancer dans ce débat. Nous avons expliqué à ces femmes ce que la légalisation de la prostitution signifiait, et entre 75 p. 100 et 80 p. 100 d'entre elles s'opposaient à cette mesure, au motif que cela équivaudrait à légaliser l'exploitation dont elles font l'objet. En fait 95 p. 100 d'entre elles ont dit qu'elles ne voudraient pas que leurs filles ou les filles de leurs amies fassent ce qu'elles font.

+-

    Mme Libby Davies: Donc, vous ne voyez guère de différence entre la décriminalisation et la légalisation?

+-

    Mme Janice Raymond: Je pense que décriminaliser la tenue d'une maison de prostitution est la même chose que légaliser cette activité. La seule différence c'est que l'État taxe les gains de la maison de prostitution et ceux des femmes. Mais l'effet est le même du point de vue des conséquences de la prostitution. Si vous décriminalisez les maisons de prostitution, celles-ci ne sont plus illégales.

+-

    Mme Libby Davies: Qu'en est-il des agences d'escorte?

    Oh, je m'excuse.

+-

    Le président: Vous pouvez poser une dernière question.

+-

    Mme Libby Davies: J'allais simplement dire qu'il n'y a pas vraiment de bordel comme tel. Il existe bien des agences d'escorte titulaires des permis nécessaires. Elles sont censées avoir des personnes sur leur liste de paye. Il s'agit d'employées qui paient de l'impôt. Essentiellement, nous tolérons cette activité et nous savons qu'elle sert de paravent à la prostitution. Ce sont donc en quelque sorte des bordels, mais on s'en sert également pour répartir le travail à l'extérieur. C'est un autre aspect qui me préoccupe vraiment.

    Faut-il donc conclure de votre position que vous préconisez de fermer ces endroits parce qu'ils sont...

+-

    Mme Janice Raymond: Tout à fait, parce qu'ils servent de paravent à la prostitution.

+-

    Mme Libby Davies: Très bien, mais que se passe-t-il par la suite? Ce qui m'inquiéterait énormément, c'est que, si nous ne nous attaquons pas à cette demande et ne mettons pas en oeuvre tous ces services—et même alors—, le commerce du sexe deviendrait ainsi de plus en plus dangereux parce qu'il est si occulte. C'est ce qui préoccupe énormément ma collectivité.

+-

    Le président: Je demanderai à Mme Raymond de répondre, puis nous passerons à un autre intervenant. Je vous cède la parole, madame Raymond. 

+-

    Mme Janice Raymond: Je le conçois parfaitement et je partage vos préoccupations, mais je sais également que la situation de ces femmes ne s'améliore pas mais empire lorsque vous encadrez le tout dans une politique officielle.

    Prenons l'exemple de l'esclavage. Dans le débat qui avait cours aux États-Unis sur l'esclavage, on se demandait s'il fallait le réglementer ou l'abolir. Des penseurs éminents ont défendu la réglementation en faisant valoir que celle-ci pourrait améliorer la situation. Réglementer le nombre d'esclaves à bord des négriers et leurs conditions de vie améliorerait l'esclavage, si je peux m'exprimer ainsi.

    À mon avis, la prostitution fait actuellement l'objet d'un tel débat. Lorsque l'esclavage a été interdit aux États-Unis, la première loi ne portait que sur le commerce international d'esclaves. Et la situation a empiré au chapitre du commerce intérieur d'esclaves! Les membres d'une même famille étaient séparés : pères, mères et enfants. Les femmes devaient davantage procréer parce qu'aucun esclave ne pouvait être importé. Les conditions ont empiré jusqu'à l'interdiction du commerce intérieur.

    Ce n'est pas un argument justifiant la décriminalisation du commerce du sexe. Si je saisis bien vos propos, je pense qu'il ne s'agit pas d'un argument justifiant la décriminalisation de la prostitution. Vous faites plutôt valoir qu'il faut réellement se pencher sur le problème et se demander ce que nous pouvons faire pour nous attaquer à la demande, élément que nous avons négligé, et ce que nous pouvons faire pour appliquer les lois? Dans bien des pays, la faute n'est pas imputable aux lois mais à la police qui n'applique pas certaines d'entre elles. De plus, les lois sont appliquées d'une façon discriminatoire à l'endroit des femmes. C'est là le problème.

+-

    Le président: Merci, madame Raymond.

    Monsieur Hanger, vous disposez de trois minutes. Je dois vous limiter à trois minutes pour les questions et réponses, à cause du temps déjà écoulé.

¼  +-(1835)  

+-

    M. Art Hanger: Merci, monsieur le président.

    Je veux en fait poursuivre dans la même veine que Mme Davies.

    Plusieurs groupes ont comparu devant le comité. En autres, le ministre de la Justice de notre pays a signalé qu'il souhaiterait que le comité s'adresse aux travailleuses du sexe. Ai-je besoin d'ajouter que nous en avons convoqué plusieurs? Nombre d'entre elles... Je pense que nous pouvons établir une distinction. Nous n'avons vraiment jamais parlé à des prostituées de la rue aux prises avec de graves problèmes comme la toxicomanie et la violence. Beaucoup d'entre elles ont indiqué qu'elles n'avaient à peu près pas de liens avec le crime organisé et que, si vous faites passer la prostitution de la rue aux établissements, les problèmes auxquels elles sont exposées seront moindres.

    Certaines ont même fait valoir que pouvoir vendre leur corps renforce leur autonomie. Cet aspect a été souligné au cours de plusieurs séances. Selon elles, il n'existe aucune différence entre faire l'amour avec un homme pour de l'argent et aller dîner au restaurant avec un homme pour coucher avec lui par la suite.

    Par contre, les membres du public se mettent en colère lorsque la prostitution envahit leur rue ou quartier. Ils voient le trafic de la méthamphétamine en cristaux et les prostituées passer d'un endroit à l'autre et l'effet négatif important que cela entraîne sur l'ensemble de leur collectivité. C'est pourquoi certains préconisent de légaliser le commerce du sexe pour éliminer la prostitution de la rue, mais ce résultat n'est jamais atteint. La prostitution de rue demeure—quel que soit l'endroit où vous alliez. C'est ce que le comité a appris.

    On semble arguer notamment que la prostitution est exempte d'exploitation lorsqu'elle est régie par le gouvernement...

+-

    Le président: Monsieur Hanger, pourriez-vous, je vous prie, poser une question?

+-

    M. Art Hanger: ... et je me demande ce que vous en pensez. La prostitution est-elle exempte d'exploitation?

+-

    Mme Janice Raymond: J'espère que mon exposé et mes réponses à vos questions indiquent que je ne partage pas cette opinion. Il y aura toujours des femmes qui, naturellement, l'affirmeront. Je pense que dire le contraire équivaudrait, pour beaucoup d'entre elles, à nier ce qu'elles sont et ce qu'elles font.

    En travaillant auprès des femmes dans les programmes visant à les aider à sortir de la prostitution, nous avons constaté—à mesure que nous apprenons à les connaître, à comprendre ce qui les a amenées à se prostituer et à saisir ce qu'a été leur vie—que la majorité d'entre elles ont été, dans leur enfance, victimes d'agression sexuelle à l'extérieur du cadre de la prostitution. Une grande majorité viennent de milieux aux prises avec de graves difficultés financières, et il ne s'agit pas nécessairement de pauvreté. Il existe toutes sortes de raisons. En parlant à ces femmes et en les accompagnant dans leur cheminement, si je peux m'exprimer ainsi, vous vous rendez compte qu'elles ne tiennent plus ce discours. Elles disent vouloir se sortir de ce milieu. Cependant, dans bien des cas, elles ne diront pas à un comité ou à la presse qu'il y a de l'exploitation ou qu'elles ont vécu une expérience éprouvante, à moins d'avoir quitté le milieu de la prostitution depuis un certain temps, parce que, je le répète, elles ne veulent pas nier la réalité de leur vie.

    Je voudrais ajouter à cet égard que j'estime que bon nombre des femmes qui parlent au nom des prostituées ne comptent parmi celles qui font le trottoir, qui sont des toxicomanes ou qui sont aux prises avec une multitude de problèmes autres que la prostitution. Ces femmes-là ne peuvent pas parler pour elles-mêmes. Elles ne le font pas. L'expérience nous a appris que, souvent, les femmes qui, dans les groupes, parlent au nom des prostituées s'adonnent à cet activité occasionnellement et non pas systématiquement.

    Selon moi, les seules qui parlent pour elles sont celles qui ont survécu à la prostitution et les groupes qui ont à coeur ces questions, parce que ces femmes ne peuvent pas parler en leur nom, et c'est là le problème.

¼  +-(1840)  

+-

    Le président: Merci.

    Madame Brunelle, vous disposez de trois minutes pour votre période de questions et réponses.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Vous avez raison de dire que les prostituées ne sont pas un groupe monolithique. C'est ce qui fait la difficulté de la question. J'ai une opinion différente de celle de mon collège, ayant vu des femmes qui servent d'escortes et qui sont heureuses de l'être. Elles disent qu'elles le font pour l'argent.

    Il y a aussi l'enfant qui a été abandonné et qui est victime de la drogue. Il se trouve dans cet enfer et il essaie de s'en sortir. C'est très important que vous parliez de mesures sociales, de mesures de soutien. Certaines prostituées nous disent qu'il ne faut pas s'attaquer à leurs clients, parce qu'elles vont mourir de faim et seront dans une extrême pauvreté.

    Elles ne sont pas toutes des escortes de luxe. Il faut donc que toute loi ou toute transformation soit accompagnée de mesures sociales et de mesures de soutien. C'est ce qui manque de façon dramatique au Canada. Il n'y a pas de mesures sociales.

    Comment peut-on concilier les besoins des uns et des autres? La tâche du législateur est vraiment difficile à cet égard. Il y en a qui nous disent qu'il faut les aider afin qu'elles puissent continuer de gagner leur vie, qu'elles ont le droit d'utiliser leur corps. D'autres nous disent qu'il faut les aider à s'en sortir. Certaines intervenantes nous ont dit qu'une travailleuse du sexe mettait de cinq à dix ans pour sortir de l'enfer de la drogue et de la prostitution.

    Je ne sais pas quelle réflexion cela suscite en vous, mais pour ma part, j'en suis là. Je vous assure que plus j'avance dans ce dossier, plus je trouve complexe.

[Traduction]

+-

    Mme Janice Raymond: Je souscris certainement à ce que vous dites. Il s'agit d'un problème très complexe, et vous avez raison de dire qu'il faut de toute urgence offrir un meilleur soutien social. Ce n'est pas une priorité pour les gouvernements, compte tenu de tous les dossiers nécessitant des ressources. Cependant, sur le plan des lois et des politiques sociales, toute question controversée avec laquelle les législateurs doivent composer en matière de politique sociale, comporte des opinions divergentes par rapport aux lois en découlant. Il faut donc se demander si nous voulons institutionnaliser l'exploitation sexuelle, ce qui s'est certes produit dans les pays qui ont décriminalisé ou légalisé la prostitution, ou encore si nous voulons offrir de véritables solutions de rechange aux femmes, qu'il s'agisse de ressources supplémentaires ou de moyens pour s'attaquer à la demande.

    Ce débat ne prendra jamais fin. Même dans le débat sur les drogues, vous vous rendez compte que certains consommateurs de drogues dangereuses—et je parle notamment des méthamphétamines—affirmeront que c'est leur choix et qu'il faudrait le leur laisser. Voulons-nous institutionnaliser ce modèle dans la politique sociale? Voilà ce qu'il faut se demander. Que voulons-nous institutionnaliser? Après l'institutionnalisation, il est très difficile de faire marche arrière.

    Nous devons donc offrir davantage de ressources sociales et financières. Cela se justifie d'autant plus à la lumière des statistiques sur les résultats du modèle mis en oeuvre en Suède. Si vous jetez un coup d'oeil au nombre de femmes qu'on fait venir illégalement en Suède actuellement, au nombre de femmes qui s'adonnent à la prostitution de rue et au nombre de clients, vous constaterez que rien n'indique qu'on a basculé dans la clandestinité—du moins selon la police. C'est donc une solution qu'il faut essayer. C'est à tout le moins beaucoup plus commode, d'après les statistiques, que ce qui se passe aux Pays-Bas, en Allemagne, en Autriche, à Victoria et, maintenant, en Nouvelle-Zélande.

+-

    Le président: Merci, madame Raymond.

    Madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies: Pour résumer très brièvement, je crois comprendre que vous établissez comme principe que la décriminalisation ou la légalisation, que vous associez dans une bonne mesure, équivaut à l'institutionnalisation. À mon avis, bien des points de vue permettent de le confirmer ou l'infirmer. En fait, bon nombre des travailleuses du sexe auxquelles nous avons parlé s'opposaient à l'institutionnalisation, ce qu'elles associaient, je crois, à la légalisation. Certaines distinctions s'imposent donc.

    Vous venez de faire allusion très brièvement à la Nouvelle-Zélande, question que vous n'abordez cependant pas vraiment dans votre mémoire. Beaucoup ont traité de la Suède mais également de la Nouvelle-Zélande. Les mesures qui y ont été prises sont différentes de celles adoptées aux Pays-Bas, notamment. Comme il s'agit d'une initiative toute récente, on a peut-être tiré certaines leçons de la situation observée aux Pays-Bas.

    Avez-vous d'autres précisions concernant la Nouvelle-Zélande?

¼  +-(1845)  

+-

    Mme Janice Raymond: La loi a été adoptée il y a un an.

+-

    Mme Libby Davies: C'est effectivement très récent.

+-

    Mme Janice Raymond: Tout à fait. Je connais des ONG néo-zélandaises qui se sont opposées à la loi. Vous n'êtes pas sans savoir que le Parlement l'a adoptée par une seule voix.

+-

    Mme Libby Davies: Effectivement, mais avez-vous parlé aux groupes qui étaient en faveur de celle-ci? Vous penchez-vous sur uniquement un aspect de la question en raison de vos opinions très tranchées?

+-

    Mme Janice Raymond: Je participe fréquemment à des débats comme celui-ci, au cours desquels les opinions émises sont différentes de la mienne.

+-

    Mme Libby Davies: Qu'en est-il cependant de vos recherches auprès des ONG?

+-

    Mme Janice Raymond: Bien sûr, nous nous penchons sur cette question. Je pense qu'il est trop tôt pour déterminer les résultats en Nouvelle-Zélande. Je peux vous affirmer que nombreux sont les groupes qui disent que, jusqu'à présent, la mesure législative n'a absolument pas réussi à éliminer le trafic international des femmes dans ce pays, que la prostitution enfantine augmente, que les positions adoptées ont frustré passablement de nombreux conseils locaux, qui doivent prendre des décisions qui, selon eux, n'ont vraiment rien à voir avec celles qu'ils devraient mettre en oeuvre.

    Je m'explique : les conseils locaux et les municipalités sont contraints de prendre des décisions notamment sur l'opportunité d'autoriser les bordels dans un rayon de 500 mètres d'une église ou d'une école, alors que bon nombre d'entre eux voudraient simplement les expulser de leur territoire. Cependant, ils ne sont pas en mesure de s'y opposer en raison de la Loi fédérale sur la décriminalisation.

    Je pense effectivement que nous pouvons certes affirmer qu'il existe des distinctions entre la légalisation et la décriminalisation. À mon avis, tant les tenants de l'industrie du sexe que les abolitionnistes féministes, dont je suis, sont d'accord sur un point notamment : ils ne veulent pas que les femmes soient criminalisées. Je pense que nous ne voulons pas non plus qu'elles soient fichées ni qu'elles fassent l'objet d'examens médicaux. C'est ce qu'on englobait dans la légalisation, car telle est également la situation aux Pays-Bas et en Allemagne. En fait, les femmes font l'objet d'un suivi alors que, sur le plan de la santé publique, rien ne justifie de viser uniquement celles-ci—si l'objectif est bel et bien des les protéger—, car une maladie sexuelle peut être transmise à une femme par un homme, et c'est celle-ci qui fait l'objet d'un examen, qui est diagnostiquée, etc. Vous comprenez où je veux en venir. Ce sont-là tous les points sur lesquels nous nous entendons.

    Nous divergeons d'opinion sur le fait que nous ne pouvons pas criminaliser les clients car cela sera préjudiciable aux femmes. Lorsque nous nous opposions au désinvestissement en Afrique du Sud dans les années 80, beaucoup ont affirmé que, si les industries et les entreprises n'investissaient plus en Afrique du Sud en raison de l'apartheid, les personnes qui subiraient le plus grave préjudice seraient les Noirs travaillant dans ces industries ou pour ces entreprises.

+-

    Mme Libby Davies: Oui, mais avec tout le respect que je vous dois, l'ANC souhaitait ces sanctions, n'est-ce pas?

+-

    Mme Janice Raymond: De nombreux groupes de femmes dans le domaine de la prostitution veulent ces sanctions.

+-

    Mme Libby Davies: Il y a également de nombreuses femmes qui nous ont affirmé ne pas en vouloir. C'est pourquoi il faut tenir compte également de leurs opinions.

+-

    Mme Janice Raymond: Je dis que ce n'est pas un point de vue monolithique, comme vous semblez le présenter.

+-

    Mme Libby Davies: Je suis d'accord avec vous que ce n'est pas un point de vue monolithique, mais vous devez reconnaître qu'il y d'autres opinions qui sont sincères et légitimes.

+-

    Mme Janice Raymond: Tout à fait; et je reconnais ces opinions, même si je ne les partage pas.

+-

    Le président: Madame Raymond, la fin de nos questions approche. Je souhaiterais vous en poser quelques-unes en terminant.

    Vous connaissez très bien différents pays et leurs lois. Tous semblent convenir que les enfants ou les adolescents ne devraient pas être impliqués dans l'industrie du sexe. Selon vous, existe-t-il des pays dont les mesures sont plus efficaces à cet égard?

¼  +-(1850)  

+-

    Mme Janice Raymond: Je pense que c'est une question fort complexe. Me demandez-vous s'il existe une politique ou des programmes que je recommanderais?

+-

    Le président: Existe-t-il une solution, une politique ou une loi qui soit plus efficace que les autres?

+-

    Mme Janice Raymond: Par rapport aux politiques mises en oeuvre en matière de légalisation ou de décriminalisation, nous nous inquiétons beaucoup notamment de l'abaissement de l'âge du consentement dans certains pays. C'est notamment le cas aux Pays-Bas, où l'âge du consentement a été établi à 14 ans. C'est un problème parce que clients et proxénètes peuvent faire valoir essentiellement qu'il s'agissait d'une activité sexuelle consensuelle et non forcée.

    À mesure qu'entrent en vigueur un grand nombre de ces lois plus permissives face à la décriminalisation, à la légalisation et à la réglementation, les décisions qui seront prises par rapport aux dispositions sur l'âge du consentement nous préoccupent beaucoup. Nous nous inquiétons vivement même de la simple perception sociale en découlant. Et cette perception sociale existe. Je ne parle pas d'une perception sur le plan juridique. Certains pays établissent actuellement des distinctions entre les adultes, les adolescents et les enfants. Les adolescents deviennent donc la catégorie intermédiaire. Des législateurs font valoir en fait que, s'il existe des dispositions régissant l'âge du consentement, les peines imposées ne sont peut-être pas assez sévères lorsque notamment un client est accusé et mis en état d'arrestation alors que l'enfant s'adonnant à la prostitution a 15 ou 16 ans au lieu de 17 ou 18 ans. On se demande sérieusement s'il ne s'agit pas d'une autre façon d'affaiblir les lois sur la prostitution. On se penche sérieusement sur cela aux Pays-Bas.

    Selon moi, il s'agit là d'une grave préoccupation. Je souligne tant les dispositions sur l'âge du consentement qui, selon nous, sont affaiblies et l'ont été parfois, que la perception sociale des enfants, c'est-à-dire lorsque vous êtes un enfant. Certes, nous avons une convention des Nations Unies selon laquelle une personne est un enfant jusqu'à 18 ans. Cependant, les lois nationales peuvent l'emporter sur cette convention. C'est un aspect très préoccupant, particulièrement lorsqu'il s'agit de pornographie impliquant des enfants qui jouent un rôle sexuel d'adultes et vice versa. C'est fréquemment ambigu. Souvent, cela se mute en valeurs sociales, qui sont cependant la prochaine étape vers l'adoption d'une mesure législative.

    La question des enfants nous préoccupe donc beaucoup.

    De plus, nous nous inquiétons énormément du fait que de nombreux pays et organismes non gouvernementaux souhaitent établir une distinction entre les enfants et les adultes au chapitre de la prostitution. Notamment, ils conviendront que la prostitution et le trafic des enfants constituent un problème et qu'il faudrait adopter une mesure législative pour s'y attaquer. Cependant, que se passe-t-il lorsqu'il s'agit d'une femme de 19 ans qui a commencé à se prostituer à 14 ans? C'est l'âge moyen où l'on commence à s'adonner à la prostitution dans le monde, ce qui signifie que la moitié ont commencé à se prostituer plus tôt et l'autre moitié plus tard. Peut-on dire que, le jour où elle a 18 ans, la jeune fille a le choix, de façon à ce que nous puissions dire que c'est un choix pour les adultes mais pas pour les enfants? Ce n'est pas une mince tâche. C'est très complexe.

    La distinction entre les enfants et les adultes pose de graves problèmes dans le présent débat ainsi que sur les plans social et législatif. Je pense que certains pays commenceront à modifier leurs dispositions sur l'âge du consentement. Un pays a déjà pris des mesures à cet égard.

¼  -(1855)  

-

    Le président: Nous vous sommes reconnaissants d'avoir comparu ce soir. Et nous vous remercions d'avoir partagé avec nous vos nombreuses connaissances. Nous vous en remercions infiniment.

    Ce soir, nous accueillerons l'Association canadienne des chefs de police. Nous souhaiterons peut-être prendre quelques instants par la suite pour examiner nos travaux à venir, particulièrement en ce qui concerne l'orientation de notre examen et les autres questions que nous voudrions peut-être explorer. Êtes-vous d'accord?

    Des voix: D'accord.

    Le président : Merci. Bonsoir.

    La séance est levée.