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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 5 juin 2003




¿ 0920
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         Mme Eveline Herfkens (coordonnatrice exécutive, Campagne du millénaire, Programme de développement des Nations Unies)

¿ 0925

¿ 0930
V         Le président
V         M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne)

¿ 0935
V         Mme Eveline Herfkens
V         Le président

¿ 0940
V         Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ)
V         Mme Eveline Herfkens
V         Mme Francine Lalonde
V         Le président
V         Mme Eveline Herfkens

¿ 0945
V         Le président
V         Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.)

¿ 0950
V         Mme Eveline Herfkens

¿ 0955
V         Le président
V         M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne)

À 1000
V         Mme Eveline Herfkens
V         M. Keith Martin
V         Mme Eveline Herfkens
V         M. Keith Martin
V         Mme Eveline Herfkens

À 1005
V         Le président
V         Mme Eveline Herfkens
V         Le président
V         M. Mark Eyking (Sydney—Victoria, Lib.)
V         Mme Eveline Herfkens

À 1010
V         Le président
V         M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.)

À 1015
V         Le président
V         Mme Eveline Herfkens
V         Le président
V         Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord)

À 1020
V         Mme Eveline Herfkens
V         Mme Karen Kraft Sloan
V         Le président
V         Mme Karen Kraft Sloan
V         Mme Eveline Herfkens
V         Mme Karen Kraft Sloan
V         Mme Eveline Herfkens
V         Mme Karen Kraft Sloan
V         Mme Eveline Herfkens
V         Mme Karen Kraft Sloan
V         Mme Eveline Herfkens
V         Mme Karen Kraft Sloan
V         Le président
V         Mme Eveline Herfkens
V         Mme Karen Kraft Sloan
V         Mme Eveline Herfkens

À 1025
V         Le président
V         M. Deepak Obhrai
V         Mme Eveline Herfkens
V         Le président
V         Mme Eveline Herfkens
V         Le président
V         Mme Eveline Herfkens
V         Le président
V         Mme Eveline Herfkens

À 1030
V         Le président
V         M. John Harvard (Charleswood—St. James—Assiniboia, Lib.)
V         Le président
V         M. John Harvard
V         Le président
V         Mme Eveline Herfkens

À 1035
V         Le président
V         M. Keith Martin
V         Mme Eveline Herfkens
V         Mme Francine Lalonde
V         Mme Eveline Herfkens

À 1040
V         Le président
V         Mme Eveline Herfkens
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 039 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 5 juin 2003

[Enregistrement électronique]

¿  +(0920)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Conformément à l'article 108(2) du Règlement, le comité reprend l'étude des objectifs de développement du Millénaire et du rôle du Programme des Nations Unies pour le développement.

    Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Eveline Herfkens, coordinatrice exécutive de la Campagne du Millénaire. Les députés ont reçu sa bibliographie. Mme Herfkens a été ministre de la Coopération internationale des Pays-Bas de 1998 à 2002 et, avant cela, soit de 1996 à 1997, elle a été ambassadrice auprès des Nations Unies et de l'OMC. Cela veut dire qu'elle connaît bien la politique et le système onusien. Elle va beaucoup nous apporter.

    Je crois savoir que vous avez une déclaration liminaire à nous faire, après quoi nous vous poserons des questions. Vous avez la parole, madame Herfkens. Soyez la bienvenue.

+-

    Mme Eveline Herfkens (coordonnatrice exécutive, Campagne du millénaire, Programme de développement des Nations Unies): Merci beaucoup. Je suis très heureuse de me trouver parmi vous. Si vous avez lu ma biographie, vous aurez constaté que, vers la fin, on précise que j'ai siégé au parlement des Pays-Bas de 1981 à 1990. À l'époque, j'ai aussi été membre actif de l'Action mondiale des parlementaires dont la moitié des membres, comme vous le savez, est canadienne. Je me sens donc entre amis aujourd'hui.

    Je vais vous entretenir un peu des objectifs du développement du Millénaire. J'ai pensé utile de vous faire remettre ces objectifs sur papier, au cas où vous ne les connaissiez pas déjà.

    Il convient, tout d'abord, de reconnaître à quel point ces objectifs sont fantastiques. Je vous dirai cinq choses. D'abord, j'ai fait de la coopération pendant presque toute ma vie et j'ai constaté que nous avions gaspillé des décennies aux Nations Unies et ailleurs à parler et à palabrer de choses et d'autres sans jamais tomber d'accord. Nous avons passé des décennies à diverger d'opinion entre l'Est et l'Ouest et, pire encore, à ne pas être d'accord entre Nord et Sud au sujet des questions de développement, de ce qu'il devrait être et de qui devrait s'en charger.

    Ce qu'il y a de merveilleux avec les objectifs de développement du Millénaire, c'est que tout le monde les a signés : 189 chefs d'État ou de gouvernement.

    Il y a aussi toujours eu un désaccord entre l'ONU et les institutions financières internationales. Or, ces objectifs qui émanent de l'ONU ont reçu l'aval des institutions financières internationales.

    Troisièmement, il y a toujours eu des différences entre ce que les gouvernements et les organismes non gouvernementaux faisaient jusqu'ici. Cet accord est fondé sur un programme gouvernemental, mais les ONG y ont pleinement adhéré.

    Ensuite, je trouve ces objectifs fantastiques parce que les gens qui oeuvrent dans le domaine du développement ont passé beaucoup trop de temps dans leur tour d'ivoire à s'exprimer à coups d'acronymes impénétrables pour les les gens ordinaires. Grâce à ces objectifs, nous avons réinscrit les questions de développement à l'ordre du jour et l'on peut maintenant expliquer à un chauffeur de taxi ce dont il est question. Il est question de traiter de pauvreté, de santé mentale, de mortalité infantile, de développement durable et de développement environnemental et il est aussi question de permettre à des enfants d'aller à l'école... autant de sujets qui intéressent les populations et les électeurs.

    Ce qu'il y a de bien aussi, avec ces objectifs, c'est qu'ils sont complets et intégrés. Si nous parvenons à envoyer davantage de fillettes sur les bancs de l'école, c'est-à-dire à réaliser l'objectif numéro deux, nous habiliterons les femmes de demain, c'est-à-dire l'objectif numéro trois, et nous permettrons à leurs familles d'être plus en santé, ce qui rejoint les deux autres objectifs. Nous sommes donc en présence d'une importante synergie. Si nous réalisons les objectifs d'hygiène publique, nous permettrons aux fillettes d'aller à l'école, parce qu'elles sont actuellement très nombreuses à passer énormément de temps à chercher de l'eau pour leurs familles. Force est donc de constater qu'il existe une importante synergie entre tous ces objectifs et il suffirait de faire débloquer les choses sur un plan pour débloquer sur tous les autres.

    Quatrièmement, ces objectifs sont simples, concrets et mesurables et ils sont assortis de dates butoir. À l'ONU, nous aidons les pays en développement à évaluer leur situation et à faire rapport à leur population. Le Mozambique, par exemple, a décidé de réduire de moitié le nombre de pauvres d'ici 2015. Où en sommes-nous quant au nombre de fillettes allant à l'école? Grâce à ces données concrètes, associées à un calendrier d'exécution, les parlements et la société civile pourront tenir les gouvernements responsables de leurs engagements.

    Ces données nous permettront aussi d'évaluer nos progrès à l'échelle internationale et de comparer les pays entre eux. Elles constituent un puissant stimulant de l'action politique. Personne n'a, en effet, envie de faire moins bien que son voisin.

    Je me rappelle quand, dans les années 90, les Pays-Bas se sont retrouvés à la sixième place de l'index de développement humain à la suite de la prise en compte des éléments de sexospécificité. Cela a déclenché une véritable action politique et un débat que nous n'avions pas eu avant. Nous ne voulons pas être pires que les Belges et les Français ne veulent pas passer derrière les Italiens. C'est évident! Quand Transparency International ou Freedom House produit un nouveau classement, tout le monde se précipite pour savoir où se retrouve son pays. Nul ne peut supporter l'idée que son pays fasse moins bien qu'un voisin ou qu'une nation comparable. C'est donc un moyen très fort pour stimuler l'action.

    Cinquièmement, ces objectifs sont fantastiques parce que, pendant des décennies, le Nord a blâmé le Sud sous prétexte qu'il ne réglait pas ses problèmes de pauvreté, tandis que les pays pauvres blâmaient les pays riches parce qu'ils ne leur acheminaient pas une aide suffisante et ainsi de suite. Ces débats étaient stériles mais les objectifs actuels ont fait l'objet d'un accord conclu lors de la conférence sur le financement du développement qui s'est tenue à Monterrey, accord qui prévoit qu'il incombe essentiellement aux pays pauvres de régler leurs problèmes de pauvreté. C'est là leur principale responsabilité, mais ils n'y parviendront pas à moins que les pays riches soient plus efficaces sur le plan de l'aide, qu'ils allègent leurs dettes et qu'ils leur ouvrent les échanges internationaux.

    Le huitième objectif, qui porte notamment sur la prestation d'une aide accrue et de meilleure qualité, et sur l'ouverture du commerce, s'inscrit dans le cadre d'un accord qui met un terme aux blâmes réciproques.

    Je me propose d'ailleurs de vous entretenir un peu de ce huitième objectif. Comme il incombe avant tout aux pays en développement de régler leurs problèmes de pauvreté et d'envoyer les enfants à l'école, chaque fois que je prends la parole devant un parlement, j'élabore sur les responsabilités qui lui incombe. Permettez-moi donc de m'attarder un peu sur la responsabilité qui revient aux pays riches.

    On peut se demander pourquoi il y a lieu de se préoccuper du sort de personnes qui ne font pas partie de votre électorat. C'est bien sûr une question que les politiciens doivent se poser en partant. D'un autre côté, je suis sidérée de constater que, depuis des décennies, les sondages d'opinion publique nous montrent que nos concitoyens sont beaucoup plus généreux que leurs gouvernements. Par exemple, quand on demande aux habitants de tous les pays de l'OCDE, notamment du Canada, s'ils seraient prêts à payer 1 p. 100 de plus en impôt pour mettre fin à la mortalité infantile en Afrique, tous répondent par l'affirmative. La majorité des gens veut que le gouvernement joue un rôle utile pour régler les problèmes de mortalité et de pauvreté infantiles. Nous sommes donc en présence d'un appui latent et il ne manque plus qu'une courroie de transmission pour passer à l'action.

    De plus, j'ai constaté que depuis le 11 septembre, dans les populations où la pauvreté fait problème, les impératifs moraux ne fonctionnent plus aussi bien. Depuis cette date, les gens sont davantage conscients que ce qui se passe dans un village pauvre de l'Afghanistan peut aussi leur arriver. Ils ont l'impression d'être les victimes d'une insécurité mondiale croissante, Nous allons devoir traduire ce sentiment en un sens accru de la responsabilité à l'échelle internationale. Cela donne lieu à des conditions où les politiciens peuvent agir en vue d'améliorer les politiques des pays riches en matière d'aide, de commerce international, d'allégement de la dette et ainsi de suite, ce qui n'a jamais été fait aussi clairement avant.

    Si l'on prend le cas du Canada, par exemple, force est de reconnaître que le Canada n'est pas au nombre des bailleurs de fonds les plus généreux. Je suis râvie de constater que votre gouvernement s'est engagé à doubler son niiveau d'APD d'ici 2010. Malgré cela, je tiens à vous rappeler qu'en chiffres absolus, en dollars, votre budget de développement est inférieur à la moitié de celui que j'administrais quand j'étais ministre aux Pays-Bas. Ainsi, les Pays-Bas font deux fois plus que l'un des plus gros pays du G-7.

    En termes absolus, c'est-à-dire par habitant, les Portugais font en davantage que les Canadiens, même si le Portugal ne fait pas partie des pays les plus riches. Les efforts que vous déployez ne sont pas très généreux et même si vous parvenez à doubler votre APD d'ici 2010, vous traînerez encore de l'arrière par rapport à la moyenne des pays de l'Union européenne. En tant qu'Européenne, j'ai toujours eu l'impression que le Canada faisait partie de notre groupe ou qu'il était beaucoup plus près de nous, parce que nous partagions à peu près les mêmes valeurs. Voilà pour une première chose.

    Deuxièmement, il faut parler de l'efficacité de l'aide. La communauté internationale s'entend généralement pour dire que l'aide doit aller à ceux qui en ont besoin et qui la méritent. C'est là une chose importante. Votre population n'appuiera vos efforts de développement que si vous donnez aux pays qui en ont vraiment besoin.

    Par ailleurs, le budget que le Canada consacre à l'APD est réparti entre plus de 100 pays. Il n'est pas nécessaire d'aider les pays à revenu moyen qui ont accès aux marchés financiers internationaux. Ce serait merveilleux si le Canada pouvait se consacrer davantage aux pays qui en ont besoin et qui le méritent. Il existe également une énorme différence quant à la qualité de la gouvernance dans les pays pauvres. Il ne sert à rien de donner de l'argent à un gouvernement qui ne se fixe pas les bonnes priorités, parce que c'est de l'argent gaspillé.

    Une partie du scepticisme constaté dans les sondages sur le développement, surtout au Canada, tient à l'image de l'aide internationale, les contribuables canadiens à moyen revenu estimant que leur pays se porte au secours d'élites qui ne paient pas d'impôt dans les pays en développement, élites qui volent les pauvres.

¿  +-(0925)  

    Il faut préciser que ce n'est pas ainsi que vous dépensez votre argent. Il est important d'accorder le plus gros de votre aide à des pays pauvres ayant adopté des politiques relativement bonnes. Des centaines d'ouvrages prouvent que l'on peut sortir dix fois plus de gens de la pauvreté si l'on focalise l'aide sur des pays relativement bien gouvernés plutôt que d'en aider d'autres. Il y a beaucoup trop de considérations d'ordre géopolitique qui interviennent dans le choix des pays que le Canada aide actuellement en priorité.

    Je parle trop. Je suis consciente d'être devant des parlementaires et je ferais mieux de vous dire quelques mots à présent du commerce international.

    Il faut être conscient que les politiques intérieures des pays riches sont beaucoup plus lourdes de conséquences pour les pays pauvres que leurs politiques d'aide. Quand j'étais ministre du Développement, j'étais frustrée de voir le nombre de projets que nous administrions pour augmenter la production de lait en aidant les éleveurs pauvres en Afrique. Comme les Hollandais excellent dans la production de lait, c'est un domaine dans lequel nous consacrions beaucoup d'énergie. Malheureusement au bout du compte, l'usine de conditionnement de Tanzanie n'a pas pu acheter le lait des producteurs parce que la politique agricole commune de l'Union européenne subventionnait l'exportation de lait en poudre. À cause de cela, l'usine n'achetait pas de lait en poudre hollandais à des coûts inférieurs aux coûts de production, parce que ce lait était subventionné.

    Même chose avec les subventions sur le coton du gouvernement Bush, subventions qui ont conduit à un effondrement des prix de la laine et du coton et qui ont tué le gagne-pain des planteurs du Burkina Faso et du Mali. À quoi sert-il donc d'aider les exploitants agricoles en Afrique occidentale si, au bout du compte, un simple trait de crayon suffit pour provoquer l'effondrement des prix du coton sur les marchés internationaux au point que ces gens-là ne peuvent plus écouler leur production?

    Voilà donc les problèmes qui se posent sur le plan des échanges commerciaux. L'exemple de la protection des brevets, dans le cadre de l'Accord sur les ADPIC, accord qui consiste à empêcher que des médicaments à prix abordable soient mis à la disposition de résidents de pays pauvres, est un autre exemple d'incohérence des politiques des pays riches, car elles occasionnent aux gens des pays pauvres des torts qu'aucun niveau d'aide ne permettra jamais de compenser.

    Ce que je voulais dire essentiellement au sujet du huitième objectif, celui portant sur l'action que doivent mener les pays riches, c'est qu'il est important d'offrir une aide valable qualitativement et quantitativement, mais qu'il est aussi important de s'intéresser aux échanges internationaux, à l'allégement de la dette et ainsi de suite.

    Merci.

¿  +-(0930)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Avant de passer aux questions, je tiens à dire que nous avons eu la chance, ces derniers mois, d'accueillir des gens comme vos homologues. En février, nous avons accueilli Mark Malloch Brown et, le mois dernier, Mona Khalaf, à New York. Tout cela est très intéressant.

    Nous allons commencer les questions par M. Obhrai. Je vous en prie.

+-

    M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Vous, qui avez été députée de Norvège et qui faites partie d'un des pays de l'Europe... Mais je crois savoir que vous n'êtes pas membre de l'UE.

    Vous avez abordé des apsects très intéressants. Nous estimons que ce dont vous venez de parler décrit l'approche que nous devrions adopter. L'une des recommandations qu'a formulées notre parti quant à la politique à tenir, consiste à réduire l'aide consentie à certains pays et à la concentrer sur d'autres, comme vous l'avez dit, et aussi à ouvrir le volet commerce bilatéral de même que d'insister sur la bonne gouvernance et ainsi de suite.

    Je suis originaire de Tanzanie. Il fut une époque où l'aide internationale affluait dans ce pays. Vous avez souligné à juste titre, et je confirme ce que vous avez dit, que presque tout a dérapé ensuite. Aujourd'hui, 40 ans plus tard, ce pays est beaucoup plus mal loti qu'il ne l'était à l'époque où j'en suis parti, malgré l'aide considérable qui continue d'affluer, notamment en provenance de votre pays.

    Je dois dire que j'ai quelques problèmes avec les objectifs du Millénaire. J'en ai parlé avec notre ministre et je regrette que le gouvernement soit encore en train de se cacher derrière les objectifs du Millénaire. C'est ce que je crois. Ces objectifs sont une norme, mais les choses ont changé dans le monde. Des économies sont en train de naître, des pays peuvent s'occuper d'eux-mêmes aujourd'hui, ce qui ne nous empêche pas de nous réfugier derrière les objectifs du Millénaire en prétendant qu'ils vont nous permettre de réduire la pauvreté d'ici 2015 et que nous aurons tout accompli d'ici-là. Les crises sont disproportionnées dans certaines régions, comme en Afrique et dans certains pays de l'Amérique latine, tandis qu'ailleurs, comme en Asie--et la Chine et l'Inde sont des exemples d'économies émergeantes--les choses semblent aller mieux. Comme vous le disiez, ces pays ont accès aux marchés financiers internationaux et à tout le reste.

    J'aimerais savoir comment les objectifs du Millénaire parviennent à englober tous ces aspects et à nous permettre d'orienter nos ressources vers des régions qui en ont vraiment besoin. Je suis un peu sceptique à l'idée d'envoyer de l'argent dans certains pays. Je vais être très franc à ce sujet. Je vous dirai que nous allons augmenter nos frais de développement de 0,7 p. 100, comme cela a été recommandé, sans nous appuyer sur un plan concret, sans envisager la situation globale, ce que j'ai beaucoup de mal à accepter.

    Que pensez-vous de cela, vous qui avez été ministre dans un pays qui a joué un rôle très important dans de nombreux projets de développement à l'étranger?

¿  +-(0935)  

+-

    Mme Eveline Herfkens: Je suis tout à fait d'accord avec vous quand vous dites que nous avons gaspillé beaucoup d'argent dans le passé sur le plan de l'aide au développement, mais j'espère que nous avons tiré les enseignements qui s'imposaient. Il n'est effectivement pas nécessaire de consentir une aide à la Chine ni même à la majorité des pays d'Amérique latine.

    Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous venez de dire, autrement dit que le monde n'est pas simplement fait de pays très pauvres et de pays très riches, sans personne au milieu. L'objectif de développement du Millénaire qui consiste à réduire de moitié le nombre de pauvres à la surface de la planète, incombe avant tout aux pays qui sont directement concernés. Ce genre d'objectif est valable pour l'Ukraine et pour le Brésil où la pauvreté est importante, mais ce seront surtout les gouvernements de ces pays qui devront se charger de régler le problème. Il ne faudra pas faire de la charité. La Chine réalisera son objectif, elle est sur la bonne voie. Il n'y a aucune raison de l'aider à y parvenir. En revanche, ce n'est pas le cas du Brésil ni d'autres pays d'Amérique latine. Pourquoi? Simplement parce que ces sociétés sont moins équitables. Les pays concernés devront faire beaucoup plus pour intégrer les pauvres dans leurs économies et pour distribuer les emplois.

    Les gens ont raison d'être sceptiques en voyant que l'aide parvient à des pays où des gens sont plus riches qu'au Canada ou aux Pays-Bas. Vous avez raison, les pays de l'OCDE ne devraient pas faire d'efforts particuliers pour aider des économies émergeantes. Cela ne veut pas dire que les objectifs ne sont pas pertinents, mais ces pays devront les réaliser eux-mêmes, sans aide extérieure.

    La régionn qui me préoccupe le plus est celle de l'Afrique subsaharienne. Je ne sais pas dans quelle mesure vous suivez ce qui se passe en Tanzanie, par exemple, mais sachez qu'après 30 ans de politiques complètement nulles, ce pays est en train de faire un travail fantastique. C'est très dur. Bien d'autres pays, comme le Mozambique et l'Ouganda nous donnent de bons exemples sur le plan économique. Pour la première fois en Afrique subsaharienne, nous avons constaté une amélioration du classement de certains pays au chapitre des indicateurs sociaux, au cours des dernières années.

    Ces pays ont besoin d'aide. Nous savons maintenant comment les aider. Nous ne devons pas refaire les erreurs du passé. Ils méritent d'être aidés. Vous pourrez vous dire que, si vous contribuez au budget du ministre de l'Éducation de l'Ouganda ou de la Tanzanie, vous permettrez à des centaines de milliers d'enfants d'aller à l'école, grâce aux bonnes politiques adoptées par ces pays. Il faudra débloquer encore plus d'aide dans les 10 à 20 prochaines années, mais il faudra s'intéresser tout particulièrement aux pays à faible revenu, à ceux qui sont sur la liste de l'ADI ou qui sont en développement.

    Relativement peu d'aide canadienne aboutit dans les pays qui en ont vraiment besoin. Seulement 10 p. 100 de toute votre aide parvient aux pays les moins développés. C'est très, très faible. Seulement 10 p. 100 de l'aide était destinée aux pays de l'Afrique subsaharienne. Ces chiffres sont antérieurs aux grandes initiatives qui ont été annoncées, mais il demeure qu'ils sont très, très faibles. La moitié de l'aide provenant de la plupart des pays d'Europe du Nord est destinée à l'Afrique subsaharienne. C'est là où l'argent devrait aller. Vous pourrez ensuite expliquer à vos électeurs que leur argent sert à envoyer des enfants à l'école.

    Le problème, dans votre cas, c'est que vous consentez votre aide à plus de 107 pays et que vous n'êtes plus en mesure de savoir où elle aboutit au juste. Quand j'étais ministre et que je me déplaçais un peu partout, je tenais des réunions avec les cinq plus importants bailleurs de fonds des pays visités. Je n'ai jamais vu un seul Canadien à la table. Si vous répartissez un budget qui est déjà inférieur à la moitié de celui que j'administrais entre 109 pays plutôt qu'entre 20, il vous est impossible d'atteindre la masse critique pour être efficace où que ce soit. Voilà le genre de réforme que vous devez entreprendre.

    Cela pourra vous aider à conduire vos débats au Parlement, ça se trouve dans le communiqué des ministres des Finances du G-7. Votre ministre des Finances a reconnu, en signant ce document, qu'il fallait concentrer l'aide sur les pays les plus pauvres bien gouvernés ou ayant de bonnes politiques. Je ne connais pas le texte qui a effectivement été adopté. Il y a eu consensus et votre ministre des Finances l'a signé. Il ne vous reste plus qu'à le mettre en oeuvre.

+-

    Le président: Merci.

    Je dois vous dire que nous avons adressé un petit rapport au ministre des Affaires étrangères à propos de la politique étrangère du Canada et il se trouve qu'il mentionne justement la question du ciblage des fonds. Je suis heureux que vous en ayez fait la remarque ce matin.

    C'est à vous, madame Lalonde.

¿  +-(0940)  

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Merci beaucoup, madame. Je vous laisse le temps de mettre votre bidule.

[Traduction]

+-

    Mme Eveline Herfkens: Je comprends le français, mais je ne veux rien râter.

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde: Je vais commencer en vous disant un très gros merci pour vos propos. Certains de mes collègues ont dû me voir sourire de ravissement en vous entendant. D'autant plus que, comme tout cela sera enregistré dans les procès-verbaux, on pourra le répéter. Alors, merci encore une fois et merci de votre franchise.

    Ce que j'apprécie également, en plus de cette franchise, de cette clarté, de cette netteté, c'est votre connaissance de la matière. Il est rare que nous ayons devant nous quelqu'un qui a pu éprouver diverses méthodes, voir les résultats et les comparer à travers le temps et les pays. Alors cela est très précieux et je tenais à vous le dire.

    J'ai quelques questions à vous poser. Après vous avoir entendue, il me semble qu'une des choses les plus importantes qu'il nous faut étudier, à part ce que vous avez mentionné concernant le Canada, c'est le lien entre les pratiques commerciales et, bien sûr, les ententes sur les règles de commerce et le développement. Or, le prolongement de Doha, qui semblait bien se dérouler, n'apparaît pas se poursuivre aussi bien, et nous pouvons craindre légitimement que ces règles iront à l'encontre des efforts de développement qui ont été faits par certains pays.

    J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet et j'espère que vos propos seront aussi clairs qu'ils l'ont été pour d'autres questions. Bien sûr, je pense à l'OMC, mais il y a aussi des pratiques commerciales.

    Également, il est difficile d'avoir de l'information concernant l'exemple que vous nous avez donné au sujet des subventions américaines qui ont tué la culture du coton au Burkina Faso. Où peut-on trouver de l'information à ce sujet?

+-

    Le président: Madame Herfkens.

[Traduction]

+-

    Mme Eveline Herfkens: Merci et merci beaucoup de vos aimables paroles. Je suis très heureuse que vous m'ayez posé la question des liens entre le commerce international et le développement, parce qu'il est toujours très difficile d'en parler.

    En fait, à l'occasion de mes préparations en vue de ce voyage, j'ai pris un exemple canadien sur le plan du commerce international. Quand je vais en Italie, je parle de la pâte de tomate qui est subventionnée et, aux Pays-Bas, je parle du lait en poudre hollandais, mais je ne suis jamais parvenue à effectuer suffisamment de recherches sur tous ces dossiers.

    Pour ce qui est des informations, si votre comité s'intéresse à cela, sachez qu'une des meilleures personnes à qui s'adresser est Nick Stern, chef économiste à la Banque mondiale. La Banque mondiale effectue énormément de recherches sur les liens existants entre les questions de commerce international et les questions de développement. Elle est fort bien dotée en personnel, c'est une grande organisation. Par ailleurs, vos homologues anglais travaillent sur un rapport bipartite sur le commerce international et le développement. Je ne sais pas quand il sortira, mais ils sont venus m'interviewer en long et en large à ce sujet. Vous devriez peut-être suivre cette question. Troisièmement, Oxfam International a produit un rapport sur le commerce international qui est principalement axé sur l'auditoire européen et qui s'attaque à la politique agricole commune de l'UE. Il demeure que c'est un excellent document. Il y a aussi de très bons rapports sur l'Accord des ADPIC. Voilà les questions qui peuvent vous intéresser.

    Soit dit en passant, j'espère que l'année prochaine, en ma qualité de coordinatrice de campagne, je parviendrai à lancer un bulletin d'alerte Doha à l'intention des parlementaires intéressés, parce qu'il est très difficile aux parlementaires de traiter des questions de l'OMC. Je me rappelle à quel point c'était déjà délicat à l'époque du GATT. Toutes ces questions sont très techniques, mais on se perd en détails parce qu'en fait tout est évidemment hautement politique. Il est très difficile d'obtenir des renseignements.

    Je collabore avec différentes assemblées de parlementaires, avec le réseau des parlementaires de la Banque mondiale--je ne sais pas si l'un de vous en est membre--pour essayer de lancer le bullein d'alerte Doha afin d'informer les parlementaires de toute question susceptible de les intéresser dans le cadre des négociations commerciales et leur dire que ceci ou cela pourrait mériter leur attention et que les ministres sont en train de prendre telle ou telle décision. Ce serait fantastique de pouvoir poser les mêmes questions à 15 ou 20 pays de l'OCDE. Si nous avions eu quelque chose du genre à l'époque où l'Accord sur les ADPIC a été négocié, nous aurions sans doute pu éviter bien des catastrophes.

    La série des négociations de Doha est très inquiétante. Nous avons raté toutes les échéances importantes. Nous étions censés, avant le nouvel an dernier, parvenir à un accord international sur la question de l'abordabilité des médicaments. Nous avons raté cette échéance. Ce problème n'est encore pas réglé. Il l'est en partie, ce qui est bien, mais il ne l'est pas complètement. Les questions d'agriculture étaient censées faire l'objet d'un accord sur un cadre de négociation, le 31 mars dernier. Nous avons aussi raté cette échéance et la réunion de Cancun prévue en septembre prochain sera le test décisif parce qu'on se rend compte que la confiance que les pays en développement avaient placée dans les voeux pieux de Doha est en train de s'effriter très rapidement.

    J'aimerais faire campagne au sujet de toutes ces questions-là. Les négociateurs commerciaux fixent toujours des échéances, mais l'un des problèmes que pose l'objectif numéro huit, par rapport aux autres, c'est qu'il n'est pas assorti d'une date butoir. Pouvons-nous faire campagne en faveur de l'adoption d'une telle date? Voilà le genre de problème dont il serait question.

    Il faut tout d'abord mettre un terme aux subventions à l'exportation des produits agricoles d'ici 2010. Deuxièmement, il faudra supprimer tous les tarifs et tous les quotas qui ont un effet négatif sur les produits des résidents des pays pauvres, et il faudra faire la même chose avec les textiles, les vêtements et les produits agricoles. La protection actuelle est telle que les barrières au commerce de produits créés par les pauvres sont deux fois plus importantes que celles imposées aux produits créés par les riches. Nous devons faire en sorte que le nivellement du terrain de jeu devienne un autre enjeu.

    Cette question de l'Accord sur les ADPIC est également importante et j'aimerais beaucoup l'inscrire à l'ordre du jour, parce qu'elle me préoccupe énormément. Elle touche à toute la question du savoir traditionnel, au biopiratage, au savoir des collectivités autochtones et des pays en développement, savoir qui a été repris par des entreprises de pays de l'OCDE. Les résidents des pays concernés n'obtiennent aucune reconnaissance, aucune protection ni aucune rémunération pour ce savoir. Il faudrait inscrire cela à l'ordre du jour. L'Accord sur les ADPIC a été un affront au développement et il faudrait rouvrir ce débat.

¿  +-(0945)  

    Voilà les différents problèmes liés à Doha qu'il faudrait inscrire à l'ordre du jour et qu'il faudrait traiter en temps voulu. Il faudra faire tout cela avant 2015 qui est la date visée pour parvenir aux résultats escomptés. Or, ces accords commerciaux sont les intrants grâce auxquels les pays parviendront à produire leurs extrants. Il est temps de délier les cordons de la bourse pour parvenir à l'objectif de réduction de moitié du nombre de pauvres d'ici 2015. C'est la même chose pour les budgets de l'APDCI. Pour atteindre la moitié en 2010, quand le Canada rejoindra-t-il le niveau auquel il est censé être, celui de 0,7 p. 100 du PIB?

+-

    Le président: Merci.

    Madame Redman.

+-

    Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Merci de vous être rendue à notre invitation et d'avoir été aussi brève et directe dans vos remarques liminaires.

    Vous avez dit que le monde a changé après le 11 septembre, mais je vais vous dire ce que je trouve le plus intéressant de tout. Je crois que notre premier ministre a été très honnête quand il a ouvertement critiqué certains milieux dans ses propos sur la pauvreté et sur les problèmes fondamentaux qui favorisent la poussée du terrorisme.

    Je suis d'accord avec vous quand vous dites qu'il faut cibler l'aide internationale. Personnellement, je n'éprouve aucune difficulté à me tourner vers mes électeurs pour leur dire que nous sommes tenus de continuer à investir dans d'autres pays mais que nous sommes parfois critiqués parce que nous traitons avec des pays qui sont loin d'avoir une bonne fiche de route dans le domaine des droits de la personne. J'aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez du type d'intervention que je soutiens, et qui correspond à l'orientation de notre gouvernement, autrement dit qu'il vaut bien mieux maintenir le dialogue avec ces pays par le biais du commerce international que de leur lancer la pierre sous prétexte qu'ils ne font pas ce que nous souhaitons.

    Pourriez-vous également nous faire part de vos commentaires au sujet du modèle que le Canada applique? Je pense, par exemple, à certains programmes de l'ACDI, à la façon dont le programme de partage du maïs a permis de recueillir énormément d'argent auprès des Canadiens afin d'investir dans ce qu'ils jugent être des programmes valables, ce qui a donné lieu à des investissements internationaux dans des projets de base susceptibles de faire pencher la balance en faveur des résidents des pays assistés.

    Nous avons reçu des témoins qui nous ont parlé de la relation unique que le Canada entretient depuis des années avec les organismes non gouvernementaux, même si j'entends parfois des gens qui entretiennent des réserves au sujet de certains organismes à qui l'on reprocherait des actes de corruption, même si l'on entend dire que l'aide n'aboutit pas là où elle est nécessaire et si les gens se sentent donc plus à l'aise de passer par les programmes gouvernementaux parce qu'ils ont au moins la garantie que l'argent ira là où il faut. Je me demande si vous ne pourriez pas réagir à tous ces aspects de l'aide aux pays les plus démunis.

¿  +-(0950)  

+-

    Mme Eveline Herfkens: Certes. Pour ce qui est du premier aspect, j'estime qu'il n'existe pas de lien direct entre le terrorisme et la pauvreté, si ce n'est que la pauvreté supprime tout espoir et retire toute possibilité pour les jeunes, donnant ainsi lieu à un terreau favorable au terrorisme, Cela m'amène à dire qu'il existe peut-être un lien mais qu'il n'est pas direct.

    Pour ce qui est de la question des droits de la personne, je suis tout à fait d'accord avec le principe voulant que l'on dirige l'aide uniquement vers les pays qui sont bien gouvernés et qui ont adopté de bonnes politiques, la bonne gouvernance étant synonyme de démocratie et autres, si ce n'est que tout n'est pas noir ou blanc. Aucun pays n'est parfait, pas même le mien. Nous aussi, nous avons des cas de corruption et nous avons nos scandales. Je ne sais pas ce qui se passe au Canada, mais nul n'est parfait.

    Ainsi, tout cela est très difficile et il faut bien comprendre qu'il peut exister un lien entre un certain degré de pauvreté et la qualité de la gouvernance. Si l'on ne peut payer de salaire décent aux policiers, ceux-ci s'en prendront au peuple. Je simplifie, mais je veux illustrer le lien qui existe entre le degré de développement et la situation économique, c'est-à-dire la mesure dans laquelle vous allez pouvoir investir dans de bonnes institutions comme les parlements et les bureaux de comptabilité générale et autres, la mesure dans laquelle vous allez pouvoir verser de bons salaires aux fonctionnaires pour qu'ils ne tombent pas dans la corruption et qu'ils puissent tout de même envoyer leurs enfants au collège.

    Il y a donc un lien, mais il n'est pas net et il faut comparer la situation entre des pays qui présentent des niveaux de développement identiques. C'est alors qu'apparaissent les différences. Prenez le cas de l'Afrique, par exemple. La situation au Zimbabwe est particulièrement pourrie, disons-le. Au Mozambique, en Tanzanie et en Ouganda, les choses vont relativement mieux, mais on ne peut pas affirmer qu'elles sont parfaites parce que le Mozambique est en train de vivre une situation de transition très difficile puisqu'il passe d'un État à parti unique à une démocratie multipartite, ce qui exige du temps - beaucoup trop à mon goût. En revanche, ces pays ont adopté de bonnes politiques économiques et ils font tout ce qu'ils peuvent pour respecter les objectifs du Millénaire. Si nous appliquions simplement les normes de nos sociétés à ces pays, personne ne serait satisfaisant, mais tout est relatif.

    Je suis d'accord: il faut examiner la question de la gouvernance, pas uniquement sur le plan des droits de la personne, mais sur tous les aspects. Comment les pays dépensent-ils leurs ressources, par exemple? Consacrent-ils déjà une part suffisante de leurs budgets à l'enseignement primaire, car il s'agit-là d'un volet important de la gouvernance dans le domaine des droits de la personne ou de la démocratie? C'est déjà une chose.

    Pour ce qui est de la mobilisation de nos sociétés, je dois vous dire que la situation dans mon pays est à peu près semblable à celle du Canada puisque nous entretenons aussi des relations de longue date avec les ONG. Notre passé a été marqué par l'action de missionnaires si bien que, depuis les débuts de la coopération en matière de développement, nous consentons un pourcentage fixe de notre APD à une ONG catholique, à une ONG protestante et à une ONG laïque. Notre société repose sur ces trois piliers et c'est ainsi que nous nous y sommes pris.

    Est-ce bon, est-ce mauvais? Personnellement, j'estime que nous sommes allés trop loin, aux Pays-Bas, dans nos dépenses afin de mobiliser des partenaires de la société autour de nos projets de développement, et que nous en sommes à un point où nos dépenses ne donnent plus rien. La notion de partenariat peut être séduisante, mais il y a lieu de se demander dans quelle mesure la compétence hollandaise ou canadienne est pertinente en Afrique.

    J'irai plus loin. J'estime qu'une grande partie de l'argent consacré au développement, argent qui était destiné à renforcer la capacité institutionnelle, a eu l'effet contraire. Nous avons toujours été convaincus d'en savoir plus que les autres. Nous avons toujours joué ceux qui savaient tout, nous nous sommes présentés ici et là pour sermonner ceux que nous aidions avant de repartir. Rien de cela n'a été très utile. Vu sous cet angle, il existe donc un conflit entre l'efficacité de l'aide et la participation de nos ressortissants ou de nos institutions nationales. Il est important d'examiner ce conflit de près, mais il faut, pour cela, faire preuve de courage politique, parce qu'il y a de gros intérêts qui sont en jeu.

    Si vous me le permettez, monsieur le président, je vais vous raconter une petite histoire qui m'est arrivée quand j'étais ministre et que j'ai essayé de d'expurger de nos programmes les fameux intérêts dont je vous parlais, intérêts que j'estimais contraires à l'efficacité de l'aide.

    Nous avions un organisme qui envoyait des médecins hollandais en Afrique. Il ne s'agissait pas du volet humanitaire. Nous envoyions nos médecins au Ghana. Le problème dans ce cas, c'est que les médecins ghanéens quittent leur pays pour s'installer à Londres ou à Washington. Entre temps, nous envoyions des médecins hollandais qui reviennent beaucoup plus chers que les médecins ghanéens, parce qu'il faut leur verser le salaire qu'ils touchaient avant de partir à l'étranger, plus toutes sortes d'avantages, ces gens-là voulant rouler en quatre-quatre et avoir des réfrigérateurs pour stocker leurs médicaments.

    Pour ce que me coûtait chaque médecin hollandais, j'aurais pu maintenir 20 médecins ghanéens chez eux, parce qu'ils reviennent beaucoup moins cher. Les gens, en fait, préfèrent rester chez eux. Ils ne veulent pas aller dans d'autres pays. En revanche, le médecin qui n'est pas sûr d'obtenir un salaire raisonnable, qui n'aura pas de réfrigérateur ni de véhicule tout-terrain trouvera beaucoup plus intéressant d'aller pratiquer à Washington. C'est pour cela que j'aurais pu maintenir sur place 20 médecins ghanéens pour chaque médecin hollandais retiré. J'ai donc convenu, avec le ministre ghanéen de la Santé, de retirer tous les médecins hollandais et de verser à mon homologue l'argent correspondant afin qu'il puisse combler les salaires des médecins locaux et investir dans des installations.

    Notre organisation de médecins hollandais se retrouvait sans objectif et a elle dû se saborder. Les responsables de l'organisation ont commencé à se plaindre en lançant des slogans affirmant que j'allais condamner à mort des bébés africains en retirant nos médecins de là-bas. Croyez-moi, il faut du courage politique pour aller à l'encontre de certains intérêts au sein de nos sociétés, mais si vous êtes soucieux d'efficacité en matière d'aide, c'est la seule façon de permettre à vos programmes de survivre et vous devrez donc vous pencher sur ce genre de problème.

    Je suis certaine que vous avez consulté le résultat de l'examen des pairs sur le Canada, publié par le DAC. C'était l'un des principaux aspects qui y étaient mentionnés. Vous l'avez, n'est-ce pas? J'espère que vous allez en parler. Au CAD, la qualité des programmes des bailleurs de fonds fait l'objet d'un examen par les pairs, tous les deux ans. Le débat sur le Canada a été d'une excellente qualité. Susan Whalen y a participé. Ce genre d'examen fait ressortir les faiblesses. Je tenais toujours à ce que mon parlement débatte des examens par les pairs parce que c'était une façon déterminante pour nous d'obtenir l'appui politique nécessaire aux améliorations qui s'imposaient.

¿  +-(0955)  

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons passer à M. Martin.

+-

    M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Madame Herfkens, si je devais vous lancer un seul mot, ce serait bravo! Venez chez nous. Merci beaucoup de votre discours passionné et de votre efficacité. Ce que vous faites est absolument extraordinaire, comme mes homologues vous l'ont dit avant moi.

    Ma première remarque prendra la forme d'une requête.

    Vous avez parlé de Nick Stern et d'Oxfam. Si le PNUD a formulé des propositions dans le cadre des négociations de l'OMC, je suis certain que notre comité aimerait être mis au courant de ces demandes dont l,objet est d'améliorer l'efficacité de l'Accord sur les ADPIC et autres.

    Ma première question portera sur le pire des scénarios. Nous savons que la corruption et la partisanerie politique ont causé d'énormes problèmes dans les pays qui se retrouvent dans les pires situations. Vous avez cité le cas du Zimbawe, mais il y a aussi celui du Congo et de bien d'autres. Les peuples de ces pays ne sont pas pris en compte et ils souffrent énormément.

    Ma question est la suivante. Existe-t-il un mécanisme ou pourriez-vous proposer un mécanisme à l'ONU pour nous permettre d'appliquer une forme de bâton et de carotte, en incorporant les leviers de la Banque mondiale et du FMI, de même que de l'ONU, mécanisme que nous pourrions appliquer aux despotes qui infligent d'énormes souffrances à leur peuple pour leur avantage personnel. Nous pourrions, par exemple, invoquer le cas de l'Ouganda et celui de M. Nsibambi au Congo.

    Ma deuxième question sera la suivante. Stephen Lewis a dit que le taux de prévalence du VIH dépassait les 5 p. 100 et qu'il était totalement inefficace d'investir l'argent du développement dans les pays concernés, ce qui n'est pas du tout rassurant. Pourriez-vous...

À  +-(1000)  

+-

    Mme Eveline Herfkens: Qu'a-t-il dit?

+-

    M. Keith Martin: Il a dit que, quand le taux de prévalence du VIH dépasse les 5 p. 100, il est totalement inutile d'investir de l'argent de l'aide internationale dans les pays concernés. À cause de l'importance des taux de VIH dans certains pays, la population active est fortement touchée, la démographie est bousculée et, peu importe la somme investie au titre de l'aide au développement, il n'est aps possible d'obtenir les résultats escomptés à cause du nombre impressionnant de gens qui meurent ou qui mourront dans les pays en question.

    Êtes-vous d'accord ou pas avec cela? Si oui, comment devrions-nous régler le problème?

    Enfin, en quoi les objectifs du développement du Millénaire s'intègrent-ils dans tout cela? Comme vous l'avez dit, il est essentiel de les appliquer à l'Afrique subsaharienne.

    Merci.

+-

    Mme Eveline Herfkens: Je commencerai par votre dernière question. Le sixième objectif traite du sida. Ce que j'aime dans ce qui se fait à propos des pays en développement, c'est que les pays bénéficiaires peuvent moduler les objectifs en fonction de leur situation. Le rapport de la Campagne sur les objectifs de développement du Millénaire dans le cas du Lesotho, par exemple, débute par le sixième objectif dont tous les autres découlent ou avec lesquels ils sont liés. Ainsi, l'objectif qui concerne le sida, surtout dans l'Afrique méridionale, est l'un des plus importants. Toutefois, comme tous les objectifs sont liés, nous ne pouvons pas oublier les autres.

    La meilleure manière d'améliorer la situation du côté du sida consiste à intervenir au niveau de l'enseignement. Il faut que les gens sachent lire et écrire pour qu'on puisse les renseigner. De plus, on constate qu'en Zambie plus d'enseignants meurent des suites du sida que le gouvernement ne parvient à en former. Il faut donc toujours envisager la situation dans son ensemble. Il demeure que le sida fait partie des objectifs du Millénaire, surtout en Afrique et en Afrique subsharienne. C'est l'objectif sur lequel nous devons axer l'essentiel de nos efforts dans les pays en développement. C'est ce qui se fait.

    Quant à ce qu'a dit Stephen Lewis, je connais très bien Stephen depuis les années 80 quand nous étions tous deux parlementaires et je sais qu'il est comme moi, qu'il est passionné et qu'il exagère. Je ne suis donc pas d'accord avec cette remarque que vous lui attribuez. Je ne sais pas si c'est précisément ce qu'il a dit et si c'est dans ce contexte qu'il l'a dit, mais il m'arrive aussi de déborder de passion et de me dire, quand j'entends des gens me citer ensuite, que j'ai peut-être exagéré.

    J'estime que nous devons consacrer davantage de notre aide à la prévention du sida, à son traitement et à l'ensemble des problèmes associés à cette maladie. C'est précisément ce que nous faisons. S'il y a une chose qui nous énerve beaucoup en Europe, c'est la campagne de relations publiques de Bush auprès du G-8, parce que c'est ce que nous faisons depuis des décennies et que cela ne simplifie pas les choses. Si elle ne faisait que payer pour les médicaments, l'aide donnerait des résultats dans ces pays.

+-

    M. Keith Martin: Madame Herfkens, envisagez-vous que l'on puisse demander au PNUD d'assumer un rôle de coordination entre les pays bailleurs de fonds, qui peuvent avoir tendance à tous faire la même chose? Vous devez trouver ce qui se passe agaçant et décevant. Pensez-vous que le PNUD pourrait assumer un certain rôle...

+-

    Mme Eveline Herfkens: Je le souhaiterais. Dans la réalité, les pays souverains ne se laissent pas coordonner, surtout pas par l'ONU. Si vous pensez que le président Bush va accepter que Mark Brown et moi-même assurions la coordination de son intervention, je peux vous dire que ce n'est pas ainsi que les choses se passent, même si le monde s'en porterait mieux. En revanche, les pays bailleurs de fonds essaient beaucoup plus qu'il y a 25 ans de travailler ensemble.

    Si vous voulez vous lancer dans le débat de la qualité de l'aide, je vous invite à prendre connaissance des actes de la conférence de Rome, en février dernier, à l'occasion de laquelle tous les bailleurs de fonds se sont engagés à harmoniser leurs procédures et à collaborer. S'ils en sont arrivés là, c'est que l'aide n'est pas efficace. Imaginez-vous dans la peau d'un des deux seuls fonctionnaires compétents du ministère de la Santé en Zambie. Vous passez tout votre temps à rédiger des rapports à l'intention de 30 bailleurs de fonds ayant tous des exigences différentes, tandis que votre ministre passe fait régulièrement bombance avec les ministres étrangers du développement qui lui rendent visite et qui veulent ouvrir des hôpitaux dans votre pays. L'aide éparpillée, fragmentée, portant sur différents projets, s'est avérée être un véritable désastre.

    Ces dernières années, les bailleurs de fonds se sont engagés à harmoniser leurs procédures, à collaborer, à travailler ensemble. Personnellement, j'ai organisé une coordination très étroite entre les pays du nord de l'Europe. Ainsi, les Pays-Bas ne sont plus présents au Malawi, mais j'ai versé mes fonds, par le truchement du DFID, l'homologue britannique de l'ACDI. J'étais également présente en Afrique francophone, tandis que les Britanniques n'y étaient pas, parce qu'ils n'avaient pas de diplomate parlant français. Je m'occupais donc d'administrer une partie des fonds du DFID dans nos programmes là-bas. Cela revient à dire que les différents bailleurs de fonds ont beaucoup moins de maux de tête qu'auparavant. Nous devrions travailler davantage dans ce sens. L'ACDI a lancé un ou deux projets pilotes intéressants là-bas, mais j'estime que c'est trop peu.

    Il y a donc des efforts qui sont faits dans le sens de l'harmonisation et vous trouverez tout sur la conférence de Rome sur Internet. Les sites Internet du CAD et de l'OCDE y font référence et votre greffier pourrait peut-être vous aider à vous y retrouver. Il y a aussi le site de la Banque mondiale. Encore une fois, il s'agit d'un engagement pris par les pays bailleurs de fonds, mais comme il n'est pas assorti d'un échéancier, ils peuvent toujours parler... Le problème, c'est que nous faisons tous ce genre de déclarations fantastiques en matière d'aide internationale mais qu'une fois rentrés à la maison, nous reprenons nos activités comme si de rien n'était. Quand mon premier ministre est rentré de l'Assemblée du Millénaire, je lui ai dit : « C'est très intéressant. Pouvons-nous maintenant tenir un débat au Cabinet sur ce que tout cela va signifier pour nous? » Il en est resté interloqué. Malgré tout, nous avons eu ce débat et je crois que nous avons été seuls à le faire.

    C'est un véritable problème et c'est à ce niveau que les parlements doivent intervenir. Seuls les parlements peuvent tenir les gouvernements pour responsables de ce qu'ils promettent sur la scène internationale et c'est pour cela que, dans le cadre de notre campagne, nous voulons élaborer toutes sortes d'outils pour travailler avec les parlementaires, parce que force est de constater que cet aspect fait vraiment problème en matière de gouvernance mondiale.

À  +-(1005)  

+-

    Le président: Merci.

+-

    Mme Eveline Herfkens: Je n'ai pas répondu à toutes vos questions, excusez-moi.

+-

    Le président: Nous y reviendrons.

    Monsieur Eyking.

+-

    M. Mark Eyking (Sydney—Victoria, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Merci de vous être rendue à notre invitation.

    Je suis au courant de ce qui se passe aux Pays-Bas et de vos réalisations dans les pays sous-développés. Mes parents viennent de Hollande. Mon père vient du Nord et ma mère du Sud. J'ai trois cousins qui travaillent dans des pays sous-développés. Chaque fois que je leur parle, je suis impressionné par le fait qu'ils mobilisent les jeunes sur place pour les faire travailler, de même que la population locale, et qu'ils sont très au courant de ce qui se passe chez eux. J'estime que nous devrions un peu nous en inspirer.

    Par rapport aux États-Unis, immense pays qui poursuit ses propres objectifs politiques et qui fait ses choses de son côté, nous ne savons pas toujours où nous en sommes. Je vois les choses de la même façon qu'un grand nombre de pays européens. J'estime que nous voyons beuacoup de choses de la même façon.

    Si nous resserrions nos liens avec les pays européens dans le domaine de l'aide publique au développement - j'ai d'ailleurs soulevé cette question avec un témoin qui vous a précédé - pensez-vous que nous devrions nous répartir l'Afrique en régions ou sections? Par exemple, le Canada pourrait s'occuper de deux ou trois pays sur lesquels il concentrerait son aide, sans nécessairement les adopter entièrement. Nous y enverrions nos jeunes qui pourraient nous faire rapport, ce qui, comme vous l'avez dit, serait beaucoup plus intéressant que d'être partout à la fois sans parvenir à aucun résultat concret. Ce serait bien de pouvoir s'entendre avec les pays européens et d'autres sur une répartition du genre. Nous pourrions, par exemple, nous concentrer sur le Zimbabwe et sur certains besoins et la population canadienne saurait exactement ce que nous faisons et elle serait très fière de la façon dont nous nous y prenons.

+-

    Mme Eveline Herfkens: C'est vrai, la mobilisation des jeunes est effectivement une très bonne idée. Permettez-moi de vous faire une remarque à ce propos.

    Les pays qui ont atteint le niveau de 0,7 p. 100 du PIB dans les années 70, et qui y sont restés, ont aussi appliqué une résolution de l'ONU prévoyant que l'on consacre au moins 1 p. 100 du budget de l'APD à l'éducation au développement afin de sensibiliser les populations des pays bailleurs de fonds. L'argent nécessaire aux jumelages et aux voyages des jeunes, à tous ces mécanismes dont vous avez parlé, fait partie de ce budget. Les programmes de mobilisation de la population sont des instruments fantastiques en matière d'investissements à long terme dans le domaine de l'aide au développement.

    Pour ce qui est de la position du Canada par rapport aux pays européens, je me souviens que, dans les années 70, quand j'ai débuté en politique, il existait un groupe de pays dits d'optique commune. Le Canada en faisait partie avec les pays d'Europe du Nord. Malheureusement, le Canada s'est retiré de ce groupe, en partie parce qu'il a réduit ses contributions au titre de l'APD. Pourquoi assurer un travail de coordination avec un pays qui ne dispose même pas d'un budget valable? Je peux vous paraître dure dans mes propos, mais il se trouve que les pays d'Europe de Nord ont toujours beaucoup regretter que le Canada se retire de notre groupe des pays d'optique commune.

    Dans les années 70 et au début des années 80, à l'époque de Maurice Strong, le Canada était l'un des principaux pays bailleurs de fonds de l'ère moderne, il était devant tous les autres et il ouvrait la marche dans le domaine de l'aide au développement. Aujourd'hui, nous n'en sommes plus là du tout et je n'ai pas compris ce qui s'est produit. Il ne m'appartient pas d'en parler mais cela est peut-être dû au fait que l'ACDI soit un organisme distinct. Si c'est le ministre du développement qui en était chargé, vous auriez peut-être pu avoir ce débat à un échelon politique supérieur, mais je ne peux juger. Avant, vous partagiez l'optique des pays d'Europe du Nord. Nous serions très heureux de vous accueillir de nouveau au sein de notre groupe.

    L'expérience européenne en matière de division de l'Afrique n'a pas été des plus heureuses et les problèmes subsistent. Il y a encore de nombreux conflits en Afrique et il y a de graves problèmes dans les régions britanniques et françaises et dans tout le Congo. Ce genre de division est très risqué. Toutefois, si le Canada parvenait à concentrer ses efforts sur 20 pays plutôt que sur 109, principalement en Afrique, son action payerait davantage. Vous parviendriez alors à une masse critique qui vous permettrait de montrer aux Canadiennes et aux Canadiens ce que vous avez effectivement réalisé. Ce faisant, vous réserverez beaucoup de place à l'édification et vous ne gaspillerez plus autant d'argent parce que vous devez actuellement compter sur une bureaucratie qui doit connaître la réalité de 80 pays de plus. Voilà ce qu'efficacité veut dire.

    Pour que l'aide soit efficace, il faut déléguer les responsabilités sur le terrain. Comment vous y prenez-vous pour avoir des représentants de l'ACDI dans 62 pays? Ce n'est pas sérieux, à moins que vous ne consacriez la moitié de vos budgets en frais de fonctionnement. Avec un budget qui était plus de deux fois supérieur à celui du Canada, j'avais décidé que nous ne serions pas efficaces si nous étions présents dans plus de 20 pays. Je le rappelle, notre budget était plus du double du vôtre.

    Ainsi, cette façon de faire serait effectivement très intéressante. Vous seriez davantage visible. Vous seriez l'un des acteurs importants. D'un autre côté, il n'est pas question de confier la totalité d'un pays à un seul bailleur de fonds. Il y aurait beaucoup trop de jeux de pouvoir et de jeux politiques derrière tout cela, surtout en Europe qui n'a pas le passé le plus probant à cet égard. La Norvège et le Canada pourraient peut-être faire du meilleur travail, mais les Européens se diraient que les néocolonalistes reviennent à l'attaque. Ce n'est pas ce qu'on veut.

À  +-(1010)  

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Harvey, s'il vous plaît.

+-

    M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président. Permettez-moi de remercier notre témoin. Je la trouve chanceuse parce que tout semble facile pour elle.

    Je suis nouveau dans le domaine de la coopération internationale, je ne suis pas un spécialiste au même titre que vous, mais il me semble que jusqu'en 2000, on a fait un bilan assez sévère des résultats. Plutôt que de blâmer notre pays, j'aurais plutôt tendance à le féliciter de ne pas avoir investi davantage dans un gouffre sans fond. En effet, si l'aide internationale a été largement inefficace--et je vais vous parler franchement--, je pense que c'est peut-être de la prudence de la part de nos concitoyens. Lorsqu'on parle de coopération internationale, évidemment, les gens veulent aider l'ensemble des pays qui en ont le plus besoin, mais très souvent, on nous pose des questions sur la pertinence de l'aide internationale et sur son efficacité.

    Je siège au comité depuis quelques semaines seulement, mais je pense que depuis un an et demi ou deux ans, depuis la Déclaration du millénaire, depuis les dernières conférences internationales, particulièrement à Kananaskis, on amorce une période intéressante dans le domaine de la coopération internationale. Dans cet esprit--vous êtes certainement au courant--, notre pays a décidé de cibler davantage les pays qui seraient le plus largement bénéficiaires, dont six pays africains, qu'on a appelés le groupe des neuf. Depuis plusieurs mois, le gouvernement a entrepris d'importantes consultations dans le domaine agroalimentaire et dans le domaine de l'émergence du secteur privé. Auparavant, on garrochait de l'argent de tous les côtés, mais les résultats étaient inefficaces.

    Donc, plutôt que blâmer notre gouvernement ou notre pays, parce que notre pays a été dirigé par différents gouvernements, je dis qu'on a fait preuve de prudence parce que la coopération internationale était un gouffre sans fond et incontrôlé. Maintenant, vous nous avez dit que cela commençait à être plus rationnel.

    J'aimerais vous demander ce que vous pensez du fait qu'on ait ciblé davantage des pays qui ont une bonne gouvernance--comme vous l'avez recommandé à deux ou trois reprises dans votre témoignage--, afin que nous puissions dire à nos concitoyens que nos investissements dans les pays étrangers sont efficaces à 80 p. 100 au lieu de 25 p. 100. D'autant plus que je n'ai jamais mystifié le 0,7 p. 100 du produit intérieur brut. Pourquoi ne pas travailler davantage à améliorer l'efficacité de l'aide internationale de sorte que je puisse dire aux gens du Québec, aux gens de l'Ontario et aux gens l'Ouest canadien que nos investissements de 2,5 milliards de dollars sont efficaces, qu'ils sont bons et que ce n'est pas gênant?

    Merci, madame.

À  +-(1015)  

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Herfkens, il y a des différences d'opinion.

+-

    Mme Eveline Herfkens: Bien sûr. Cela m'aurait fait peur s'il n'y avait pas eu des opinions différentes, parce que nous nous serions retrouvés dans l'ex-système soviétique.

    Je suis tout à fait d'accord avec vous, la question de l'efficacité est fondamentale. Si vous voulez bénéficier d'un appui de la population à long terme pour la coopération au développement, vous devrez absolument améliorer l'efficacité de vos investissements. Je sais que le Canada a annoncé son intention de concentrer davantage son aide sur les pays pauvres qui ont adopté de bonnes politiques, mais cela n'a pas encore été fait. Même à cela, il s'agit d'intentions plutôt vagues. Il est exclusivement question d'augmenter l'APD consentie aux pays qui auront adopté de bonnes politiques.

    Quand je suis devenue ministre, j'ai déclaré que, pendant mon mandat, nous mettrions un terme à toute forme d'aide consentie à des pays à revenu moyen pour concentrer 50 à 60 p. 100 de nos budgets d'aide dans les pays pauvres. Nous avions des stratégies de substitution pour les pays qui ne répondaient pas à nos exigences. C'était une position un peu plus radicale que celle que vient d'adopter le Canada, parce que vous maintenez votre aide à 107 pays et que vous allez simplement augmenter vos budgets. Malgré tout, par rapport aux autres bailleurs de fonds, vous allez vous retrouver avec des sommes plutôt faibles consenties aux pays pauvres qui auront adopté des politiques satisfaisantes.

    Je suis désolé si vous avez l'impression que je blâme le Canada, mais je ne fais que vous communiquer des données factuelles par rapport à la situation d'autres bailleurs de fonds. Dans certains de ces dossiers, vous vous retrouvez en queue de peloton, sauf par rapport aux États-Unis.

    Je me réjouis de vos réformes et de vos annonces récentes, mais il va maintenant falloir passer aux actes et il n'y a rien de radical là-dedans. C'est important précisément pour ce dont vous avez parlé à propos de l'efficacité. L'aide n'est efficace que si vous la consacrez à des pays qui en ont besoin, à des pays vraiment pauvres qui auront adopté des politiques relativement acceptables. Si vous agissez de façon moderne plutôt que de conduire des projets répondant à l'offre en travaillant avec d'autres bailleurs de fonds pour appuyer les programmes gouvernementaux des pays récipiendaires, vous pourrez prouver à votre électorat que l'aide donne des résultats.

    Je tiens à féliciter le gouvernement du Canada pour avoir fait rapport à son parlement à propos des objectifs de développement du Millénaire. Les gens comprennent ce que sont ces objectifs. Ainsi, vous pourrez remercier votre électorat, vos contribuables, car ils auront permis d'envoyer beaucoup d'enfants à l'école. Les objectifs du Millénaire sont un bon moyen de communication pour établir un lien entre l'accroissement de l'efficacité et l'accroissement du soutien du public.

+-

    Le président: Nous allons maintenant passer à Mme Kraft Sloan, puis à M. O'Brien et à M. Harvard.

+-

    Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord): J'espère que vous trouverez un peu de temps dans votre horaire très chargé pour écrire un livre sur votre expérience et sur les conseils que vous avez à prodiguer. Je trouve cette matinée fort utile.

    Je suis heureuse d'avoir reçu cet aperçu du Programme du Millénaire. Je pense qu'il va inciter les pays du Sud à agir et rendre les pays du Nord plus responsables.

    Toutefois, je crains que tout cela ne soit finalement que des voeux pieux et, comme vous l'aviez dit, qu'on continue comme si de rien n'était. Je suis très intéressée par la question de la bonne gouvernance et des critères à appliquer à cet égard, critères dont vous avez beaucoup parlé. Toutefois, j'ai l'impression qu'on a tendance, dans le monde, à créer des listes. Parfois on se retrouve sur celle de l'axe du mal et parfois pas.

    Voici ce qui me préoccupe. Le choix des pays et des critères se fera-t-il en fonction des intérêts des pays bailleurs de fonds? C'est sous cet angle que sera ensuite envisagée la bonne gouvernance. Il faudra adapter ces objectifs pour produire une sorte de liste. Pouvez-vous m'apporter certaines garanties à cet égard et me donner une idée de ce que donnera votre démarche très pragmatique?

    L'un des recherchistes m'a également indiqué qu'au dos de votre échéancier, à l'objectif sept qui consiste à travailler dans le sens de l'environnement durable, vous êtes en train de rechercher quelles mesures opérationnelles fondamentales vous pourriez appliquer à cette catégorie. Il n'y a rien du côté du VIH/sida non plus. Pouvez-vous nous en parler?

À  +-(1020)  

+-

    Mme Eveline Herfkens: Le sixième objectif concerne le VIH/sida.

+-

    Mme Karen Kraft Sloan: Il n'est pas sur ce tableau.

+-

    Le président: Non, il est sur le petit.

+-

    Mme Karen Kraft Sloan: Ah bon? sur le petit. On précise que c'est un objectif global de développement du Millénaire, mais il n'apparaît pas dans l'échéancier.

+-

    Mme Eveline Herfkens: Je viens juste de vous le faire remettre. Il a été imprimé à l'intention du G-8. Ça vient juste de sortir et j'en ai pris dix avec moi. Je les ai ramassés en quittant mon bureau pour vous les faire distribuer. Je ne les ai même pas étudiés moi-même.

+-

    Mme Karen Kraft Sloan: C'est très bien.

+-

    Mme Eveline Herfkens: En fait, j'ai même volé ces dix là, parce qu'ils n'étaient pas censés...

+-

    Mme Karen Kraft Sloan: Je ferai mieux d'y faire attention alors.

+-

    Mme Eveline Herfkens: C'est peut-être à cause de la nature de l'objectif. Il est beaucoup plus difficile de renverser le cours d'une épidémie que de fixer un échéancier. Je ne sais pas.

+-

    Mme Karen Kraft Sloan: Oui, ou c'est peut-être un problème d'accélération...

+-

    Mme Eveline Herfkens: Oui.

+-

    Mme Karen Kraft Sloan: Vous pourriez peut-être renvoyer un document au comité exposant le lien entre les objectifs du Millénaire de moindre importance qui ont été identifiés, parce que nous nous retrouvons ici avec huit objectifs et deux échéanciers qui ne sont pas continus.

+-

    Le président: Le rapport sortira en juillet. Je demanderais à notre témoin, si cela lui est possible, de faire parvenir à chaque député un exemplaire du rapport qui sortira en juillet, c'est-à-dire le mois prochain. C'est encore un peu tôt, mais nous venons d'en avoir l'exclusivité grâce à Mme Herfkens.

    Merci.

+-

    Mme Eveline Herfkens: Il est possible que les données n'étaient pas disponibles. Ça aussi c'est possible. Nous nous heurtons notamment à la difficulté d'obtenir des données valables sur ces questions-là.

    Rappelez-moi la première chose dont vous avez parlé. Excusez-moi, je fonctionne à l'aveuglette maintenant, parce que je n'ai pas d'exemplaire du document que je viens de vous faire remettre.

+-

    Mme Karen Kraft Sloan: Je parlais du choix des critères et je voulais savoir si en fin de compte ce sont les pays bailleurs de fonds qui...

+-

    Mme Eveline Herfkens: Ah oui, les critères.

    J'ai oublié de dire une chose dans ma présentation. Vous savez, je suis ne vraie hollandaise en ce sens que je suis très carrée et très critique et que je ne fais généralement pas beaucoup de compliments pour commencer, contrairement à l'habitude des Européens du Sud. Je tiens cependant à vous faire un compliment, parce que vous investissez dans le multilatéralisme. Ce sont précisément les décisions dans le domaine du multilatéralisme qui permettent d'éviter le genre de problèmes qui vous préoccupe, à juste titre.

    Les Américains ont adopté un programme qui vise à contester celui du Millénaire et qui est axé sur les pays pauvres bien gouvernés. Ils ont formulé leurs propres critères qui sont légèrement différents des vôtres ou des nôtres, mais comme il s'agit d'un programme bilatéral, que peut-on dire? Tout cela appartient au gouvernement américain.

    Ce qu'il y a de bien, c'est que, dans le cadre du partenariat stratégique de la Banque mondiale avec l'Afrique, il se fait un excellent travail sur le plan multilatéral. Nous imprimons subit notre orientation et cela nous permet de neutraliser la chose. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas lieu de faire d'effort et que les Américains sont les seuls concernés. Les Français appliquent aussi un programme géopolitique très clair et ils désirent par-dessus tout que leurs anciennes colonies bénéficient d'un traitement beaucoup plus favorable que les autres. Ce sont les décisions tenant compte de la dimension multilatérale qui permettent d'injecter un peu d'équité dans les jugements rendus. Mais il s'agit d'un débat très long, très difficile. Beaucoup de travail a été réalisé, surtout afin de définir ce qu'il faut entendre par gouvernance donnant droit à l'ADI. Je ne sais pas si c'est ainsi que vous procédez au Canada, mais aux Pays-Bas, nous demandons des comptes à nos directeurs généraux qui nous représentent à la Banque mondiale et au FMI et nous leur demandons de faire rapport aux comités du Parlement.

    Votre directeur général à la Banque mondiale devrait pouvoir tout vous dire sur la façon dont la gouvernance de tel ou tel pays est évaluée par le groupe multilatéral qui est responsable de ce dossier. J'ai même oublié sous quel acronyme on le désigne. Ce dossier est considéré comme technique, mais en réalité il est très politique.

À  +-(1025)  

+-

    Le président: Merci. Comme vous avez un autre engagement à 11 h, je voudrais savoir si vous pouvez rester encore 10 ou 15 minutes.

    Mes collègues voudraient vous poser une deuxième série de questions, mais nous nous limiterons à une seule question et nous ne radoterons pas. Nous allons commencer par M. Obhrai avant de passer à M. Harvard, à M. Martin, puis à Mme Lalonde.

+-

    M. Deepak Obhrai: Vous avez parlé d'efficacité de l'aide et d'intérêts particuliers. C'est très intéressant. Je rentre tout juste de Mexico. Lors de la conférence de Monterrey sur l'établissement de passerelles, nous avons beaucoup insisté sur l'agriculture qui est l'une des principales activités responsables de la pauvreté. Pourtant, lorsque nous parlons d'efficacité de l'aide et d'intérêts particuliers dans certains pays de l'Union européenne - soit les subventions européennes, les subventions françaises surtout mais aussi les subventions allemandes - on semble ne pas se préoccuper du tout que le fait de verser de telles subventions peut avoir des répercussions catastrophiques sur les pays du Tiers Monde. Le budget de l'aide n'est rien à comparer à ces subventions.

    Au Canada, comme vous l'avez dit, notre budget d'APD a été réduit et vous nous avez critiqués pour cela. On pourrait cependant critiquer les pays de l'Union européenne parce que l'efficacité de l'aide est quasiment nulle à cause des subventions qui ont tué l'agriculture dans les pays en développement. N'êtes-vous pas d'accord?

    J'aimerais que les Nations Unies et votre organisation s'en prennent plus ouvertement à l'Union européenne. J'ai été étonné que le ministre français des Affaires étrangères écarte complètement du revers de la main l'aide étrangère et déclare que les subventions européennes obéissaient à un intérêt particulier. Votre organisation ne pourrait-elle pas faire en sorte que l'on tienne compte de ces subventions dans l'évaluation de l'efficacité de l'aide consentie aux pays en développement?

+-

    Mme Eveline Herfkens: J'espère que vous posez la question dans le cas du Canada également, parce que j'ai des chiffres ici. Je m'en prends toujours à la politique de l'Union européenne et parce que je suis Européenne, c'est plus facile, mais c'est aussi parce que ces politiques sont les pires de toutes. Cela ne revient pas à dire que les autres pays de l'OCDE sont des saints.

    La subvention annuelle européenne pour les bovins est de 436 $ par tête, ce qui est plus élevé que le revenu annuel des résidents de la plupart des pays pauvres. Les vaches sont davantage subventionnées que la moitié de la population de la planète. Il demeure que le Canada subventionne les bovins à hauteur de 131 $ par tête et vous ne pouvez donc pas dire que vous ne donnez pas de subvention en agriculture. J'aimerais savoir dans quelle mesure... Je ne serais pas surprise d'apprendre qu'au Canada également les subventions que vous consentez à l'agriculture sont très nettement supérieures à votre budget de l'APD. Je n'ai pas les chiffres avec moi, parce que, encore une fois, je n'ai pas étudié très en détail la question du Canada.

    Vous connaissez peut-être la revue Foreign Policy et vous avez peut-être entendu parler de la première tentative de classer les pays riches. Nous avons cette sale habitude, dans le domaine du développement international, de comparer les pays pauvres entre eux et de les réprimander s'ils ne font pas bien. Pour la première fois, le Global Development Center, cellule de réflexion indépendante de Washington, a décidé de classer les pays riches. Ce classement a été publié dans le numéro de Foreign Policy de ce mois.

    Le Canada n'est pas parfait, lui non plus. Vous vous en êtes plutôt bien sortis du côté de l'immigration. En Europe, nous sommes en train d'avoir des débats parlementaires à propos de cet indicateur et vous pourriez peut-être vous y intéresser. Le greffier pourrait peut-être vous distribuer ceci.

+-

    Le président: Ces données sont valables jusqu'en 2000, c'est cela?

+-

    Mme Eveline Herfkens: Oui, c'est toujours comme cela que ça se passe avec les classements.

+-

    Le président: Très bien.

+-

    Mme Eveline Herfkens: Excusez-moi, cela a toujours fait partie du problème.

+-

    Le président: Oui, je le sais.

+-

    Mme Eveline Herfkens: Cependant, nous allons le transformer en exercice annuel et nous espérons que le concours sera lancé.

À  +-(1030)  

+-

    Le président: Monsieur Harvard.

+-

    M. John Harvard (Charleswood—St. James—Assiniboia, Lib.): Avant de poser ma question au témoin, puis-je demander que le greffier nous distribue ce document?

+-

    Le président: Oui.

+-

    M. John Harvard: Sachez, madame, que j'ai beaucoup apprécié votre franchise. Ne vous sentez surtout pas obligée de vous excuser pour ce qui pourrait être perçu comme une critique envers le Canada ou envers l'un de nos programmes. Nous apprécions beaucoup tout ce qui est critique et débat.

    J'ai deux remarques à faire. Tout d'abord, j'estime tout à fait logique de concentrer notre aide étrangère à quelques pays seulement, plutôt qu'à un grand nombre, ce qui nous oblige à beaucoup trop répartir nos budgets et à faire trop peu dans tous les pays où nous sommes présents.

    Je voudrais d'abord savoir dans quelle mesure les pays bailleurs de fonds cherchent-ils à coordonner leurs programmes? Je ne trouve pas très logique qu'à la faveur des aléas de l'aide, un pays bénéficie de beaucoup d'attention--je ne parle pas du niveau d'aide, mais du niveau d'attention--d'un grand nombre de pays bailleurs de fonds, tandis qu'un autre, pour d'autres raisons, ne serait-ce que les aléas de la chose, serait relativement négligé. J'ai l'impression que le Canada, par exemple, peut offrir le genre de connaissances et de compétences dont ont besoin certains pays, mais pas d'autres. Il me semblerait logique que l'on coordonne un peu tout cela. Je ne sais pas si c'est ce qui se fait.

    Je n'étais pas là pour entendre votre déclaration d'ouverture, mais vous avez parlé de programmes axés sur l'offre. Je suppose que l'inverse de l'offre, c'est la demande, et j'aimerais beaucoup que vous me précisiez ce que vous entendez par-là.

    Voilà quelles étaient mes deux questions.

[Français]

+-

    Le président: Madame Herfkens.

[Traduction]

+-

    Mme Eveline Herfkens: Ce qui nous est très difficile de comprendre, chez les bailleurs de fonds, pour nos populations, c'est que nous n'aidons pas les pays à se développer, ce sont eux qui se développent eux-mêmes. Il est très difficile de se défaire de cette mentalité, même chez les bailleurs de fonds, et je dirais peut-être plus particulièrement chez les organismes donateurs.

    Il arrive trop souvent qu'au lieu de nous rendre sur place pour écouter et comprendre les priorités énoncées par les gens eux-mêmes, les pauvres qui sont devenus experts en matière de survie et qui savent ce dont ils ont besoin, nous nous présentons là-bas avec des solutions toute faites. Nous sommes ravis de la façon dont nous nous sommes développés et nous pensons que notre structure de société est formidable, mais cela ne revient pas à dire que nos solutions conviennent à des cultures entièrement différentes des nôtres.

    L'aide au développement moderne, l'aide efficace, est axée sur la demande. Elle obéit à des priorités qui clairement énoncées ainsi qu'à des politiques élaborées localement par les gens et par les États bénéficiaires. Sinon, les choses ne fonctionnent pas.

    Pour ce qui est de l'ancienne approche par projet, les Hollandais étaient épouvantables à cet égard également. Nous avions des projets de développement intégrés dans le monde rural et nos experts finissaient par administrer des régions entières des pays aidés. Comme nous étions limités sur le plan géographique, nous nous trouvions à créer de petits paradis dans des océans de misère. Nos projets fonctionnaient très bien, mais ils étaient minuscules et ils se limitaient à une région seulement. Puis, les experts hollandais sont allés et tout s'écroulait derrière eux. Aucun projet ne pouvait être viable à moins d'être intégré dans des politiques et de faire l'objet de priorité des pays. L'approche axée sur la demande est donc très importante.

    À propos de la coordination, vos attachés de recherche pourraient certainement vous renseigner à propos de la réunion de Rome. La répartition des tâches, c'est-à-dire des pays, est très difficile. Tout le monde a ses petits objectifs géopolitiques. Vous avez une diaspora au Canada, ce qui veut dire qu'il y a des lieux à la surface du globe avec lesquels vous n'avez d'autres choix que d'entrenir des relations. Les Européens, quant à eux, ont leur passé, valable ou pas.

    Je vais vous donner un exemple. Je ne cesse de répéter à mes homologues français et britanniques qu'ils ne se préoccupent des enfants africains que dans la mesure où ils parleront français ou anglais, selon le cas.

    Les pays bailleurs de fonds ont effectivement leurs préférés. Il est vrai que certains pays reçoivent plus d'attention que d'autres qui seront négligés parce que les gens y parlent français ou, pire encore, parce qu'ils parlent portugais étant donné que le Portugal n'est pas le plus important donateur du monde, ou encore parce qu'il s'agit de petits pays.

    J'ai oublié de dire tout à l'heure que la réponse se trouve dans le multilatéralisme. Il y a des initiatives absolument fantastiques. C'est ce que je dis régulièrement à des auditoires américains. Le système multilatéral, à l'échelle internationale, est un fantastique mécanisme de prestation dans n'importe quel domaine. L'Unicef s'occupe d'enfants. Le PNUE se charge de renforcer la capacité des pays. La Banque mondiale est un fantastique instrument d'éducation pour toutes les initiatives accélérées. Le Fonds pour la santé mondiale n'a plus aucun budget, il est incroyablement sous-financé. Le budget de ce fonds, tous les éléments du système onusien confondus, est inférieur à celui que j'administrais quand j'étais ministre. Le Fonds manque cruellement d'argent.

    Les pays négligés ne peuvent compter que sur le système multilatéral. Voilà pourquoi il est tellement important d'investir dans ce genre de système. J'espère que, malgré une augmentation de vos budgets de l'APD, vous vous en tiendrez à cette bonne pratique qui consiste à consacrer au moins un tiers de l'argent au système multilatéral. Nous avons les chiffres, c'est exactement un tiers. J'espère que vous vous en tiendrez à cela, parce que cet argent profite aux gens qui sont oubliés, aux pays oubliés, aux crises oubliées, celles qui ne sont pas couvertes par CNN.

À  +-(1035)  

+-

    Le président: Nous allons prendre une question de M. Martin et une de Mme Lalonde. Je sais que vous voudrez en poser d'autres, alors limitez-vous à une question chacun.

+-

    M. Keith Martin: Il est tragiquement ironique, madame Herfkens, de constater que dans les pays les plus pauvres on trouve des populations pauvres, des pays riches et des despotes qui exploitent la situation.

    Ma question est simple. Ne pensez-vous pas que, dans l'application des mécanismes multilatéraux dont vous parlez, par l'intermédiaire de la Banque mondiale, du FMI, nous devrions adopter des réponses modulées, certaines très exigeantes dans le cas de dictateurs à qui nous ferions payer un certain prix pour qu'ils mettent fin à leurs activités et qu'ils se désistent? Ce serait en quelque sorte la méthode de la carotte et du bâton.

+-

    Mme Eveline Herfkens: C'est précisément la question à laquelle je n'ai pas répondu.

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde: Une de vos affirmations m'a beaucoup frappée, parce que je pense qu'elle est parfaitement pertinente, en tout cas pour les pratiques d'ici. Vous avez dit que si on veut développer, il faut déléguer aux pays, et si on exige des rapports à n'en plus finir pour des programmes gros comme cela, une grande partie de l'argent va passer en bureaucratie.

    Mais si l'ACDI a commencé à faire des rapports à n'en plus finir, c'est qu'il y avait des exigences ici, particulièrement de certains partis, de rentabilité de ces programmes-là. Mais là, il me semble qu'on court après sa queue.

    Alors, voulez-vous être plus précise quand vous dites qu'il faut déléguer? Comment doit-on le faire?

[Traduction]

+-

    Mme Eveline Herfkens: Le problème, c'est qu'avant plusieurs pays pauvres, des pays en développement, devaient faire toutes sortes de rapports aux bailleurs de fonds. Les récipiendaires devaient d'abord rendre des comptes à la communauté internationale plutôt qu'à leurs populations... deux petits fonctionnaires devant rédiger toutes sortes de rapports. Nous avons essayé de régler ce problème par le biais de l'harmonisation, notamment lors de la conférence de Rome, afin de voir comment nous pourrions éviter cela. N'y aurait-il pas lieu de s'entendre sur des rapports uniformisés que les pays bénéficiaires rempliraient en un seul exemplaire et adresseraient à leurs bailleurs de fonds?

    Au bout du compte, les récipiendaires doivent rendre des comptes à leur population et à leur parlement respectif. Après tout, ce n'est pas la façon dont ils rédigent leurs rapports qui importe, notamment à propos de leurs propres ressources. N'oublions pas que, même dans les pays qui dépendent le plus de l'aide internationale, la majorité des ressources est locale. Il n'est pas un seul pays au monde dont le budget d'enseignement est financé à plus de 5 p. 100 par l'extérieur.

    Pour que ces pays puissent se développer, il est beaucoup plus important de les contraindre à rendre des comptes à leur parlement sur les 95 autres pour cent de leur budget. Il convient d'instaurer des systèmes de vérification et d'aider les parlementaires à lire et à interpréter les budgets pour déterminer s'ils sont favorables aux pauvres, s'ils obéissent à de saines priorités et s'il faut renforcer les pratiques comptables générales plutôt que de s'attarder à tous ces rapports individuels qui sont adressés à une foule de petits bailleurs de fonds. L'harmonisation sera donc très importante.

    La plupart des bailleurs de fonds ne prennent plus de décision au niveau de leurs administrations centrales, parce qu'ils sont conscients qu'il n'est pas possible de rédiger, depuis Ottawa par exemple, un plan de développement pour la Tanzanie. La plupart d'entre nous ont délégué aux gens sur le terrain toutes les décisions concernant notre programme d'aide. Il n'est pas possible d'y parvenir quand on est une toute petite organisation comme l'ACDI, présente dans 62 pays, et que les trois quarts de votre budget est consacré à vos frais de fonctionnement.

    Excusez-moi, monsieur Martin, mais je n'ai pas vraiment répondu à votre question.

    Pour ce qui est des pays où il y a des conflits, du problème de la mauvaise gouvernance et autres, la difficulté tient au fait que les puissances extérieures ont beaucoup moins d'influence pour instaurer la paix ou pour chasser les bandits du pouvoir que vous le souhaiteriez. Un important travail a été fait sur les causes effectives des conflits. Je vous invite à consulter l'ouvrage de Paul Collier, qui vient juste de paraître.

    Quels pays sont les plus portés aux conflits? Ce sont les pays qui sont fondamentalement pauvres et qui disposent d'incroyables ressources naturelles. Pourquoi cela? Eh bien, les rebelles peuvent voler les diamants. Dans certains conflits, les rebelles ont intérêt à continuer de voler. Dans les pays pauvres, les jeunes n'ont aucun espoir et leur meilleur plan de carrière consiste à se joindre aux forces rebelles. Qui suis-je pour juger de cela? Nous avons commencé à réagir à ce phénomène avec notre programme des diamants du sang qui a pour objet d'entraver le commerce de cette pierre précieuse. Nous nous attaquons directement à la base économique des rebelles; c'est la meilleure façon de s'y prendre.

    L'idéal consiste à intervenir dans le cadre des efforts de maintien de la paix. Comme la communauté internationale nous l'a prouvée, elle s'est souvent présentée trop tard dans les crises africaines. Nous nous sommes améliorés. En Yougoslavie, nous avons fait un peu mieux. Du côté du maintien de la paix, nous avons encore beaucoup à faire. Soit dit en passant, c'est l'un des domaines dans lesquels le Canada excelle. Les Pays-Bas et le Canada étaient présents en Érythrée et en Éthiopie au début. Quand j'étais ministre du Développement, je me suis rendue sur place et je me rappelle y avoir vu votre Police montée ainsi que les bérets bleus de l'ONU.

À  -(1040)  

+-

    Le président: Je tiens à dire deux choses à Mme Herfkens. D'abord, les documents que vous nous avez fait remettre ce matin sont extraits du tout dernier rapport sur le développement humain qui sera publié le mois prochain. Je sais que mes collègues trouveront ce document très utile. Accepteriez-vous que notre greffier s'entretienne avec vous après la réunion pour s'assurer que tout le monde recevra un exemplaire de ce document une fois qu'il sera publié.

    Deuxièmement, notre sous-comité des droits de la personne et du développement international vient tout juste de préparer un rapport sur les catastrophes humanitaires en Afrique. Nous allons le déposer la semaine prochaine et nous vous en ferons parvenir un exemplaire. Si vous avez des remarques à faire, nous serons très heureux d'en prendre connaissance.

    Pour terminer, je tiens à vous remercier de nous avoir fait partager votre expérience et de nous avoir parlé de votre travail. Nous avons sûrement été contaminés par votre passion. Enfin, sachez que nous serez toujours la bienvenue à ce comité quand vous passerez à Ottawa.

    Encore une fois, merci beaucoup.

+-

    Mme Eveline Herfkens: Merci.

-

    Le président: Nous allons suspendre la séance pendant cinq minutes, après quoi nous passerons à huis clos pour parler de nos travaux à venir.

    Merci.

    [La séance se poursuit à huis clos]