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AAND Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ABORIGINAL AFFAIRS AND NORTHERN DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU DÉVELOPPEMENT DU GRAND NORD

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 23 novembre 1999

• 1300

[Traduction]

La présidente (Mme Sue Barnes (London-Ouest, Lib.)): À tous, bienvenue au Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Nord. Il s'agit de notre 16e séance, qui prend aujourd'hui la forme d'une vidéo-téléconférence. À l'ordre du jour figure le projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a.

Nous allons entendre, de Toronto, le doyen Peter Hogg et le professeur Patrick Monahan, de Osgoode Hall.

Je vous accueille tous les deux à nos audiences. Je vous remercie vivement de nous avoir fait une place dans votre horaire. Je sais que vous êtes occupés—et nos députés sont occupés aussi—je crois qu'il est important d'entendre votre contribution à ce débat.

Sans plus attendre—nous allons siéger jusqu'à 14 h 00, soit une heure—si vous avez tous deux l'obligeance de nous faire un exposé ne dépassant pas 10 ou 15 minutes, nous pourrons ensuite passer aux questions, soit cinq minutes pour le premier tour, et les cinq minutes doivent comprendre la question et la réponse, autant que possible.

Qui veut commencer?

M. Patrick Monahan (professeur, Faculté de droit de Osgoode Hall, Université York): Je vais commencer, madame la présidente et membres du comité.

Pour que vous sachiez précisément sur quoi vous porter mes observations, et aussi celles du doyen je crois, nous allons parler de la constitutionnalité de l'accord et de loi habilitante, à savoir, est-ce que l'accord lui-même constitue une modification constitutionnelle ou une modification à la Constitution du Canada, ce qui nous obligerait à respecter la procédure de modification constitutionnelle, ou l'accord et la loi habilitante sont-ils valides. Du fait, qu'ils respectent l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982?

Nous nous en tiendrons à cette question juridique. Je ne parlerai pas de la question plus générale concernant la substance du traité ou du projet de loi. Nous nous en tiendrons simplement à la question juridique, à savoir la validité constitutionnelle du projet de loi et de l'accord.

Ma conclusion générale est la suivante.

Même si à mon avis il y a des arguments respectables qui permettent de contester l'accord en se fondant sur des décisions plus anciennes du Conseil privé qui remontent au début du XXe siècle, il est préférable et plus convaincant de conclure en droit que l'accord et la loi habilitante sont valides et ne constituent pas une modification à la Constitution du Canada.

Je suis parvenu à cette conclusion en me fondant surtout sur le libellé des paragraphes 35(1) et 35(3) de la Loi constitutionnelle de 1982, que les membres du comité connaissent, j'en suis sûr. Le paragraphe 35(1) dit ceci:

    Les droits existants—ancestraux ou issus de traités—des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

Donc on protège ici à la fois les droits ancestraux ou issus de traités.

Le paragraphe 35(3) porte que les «droits issus de traités» en vertu du paragraphe 35(1) comprennent les droits acquis en vertu des accords sur les revendications territoriales.

Donc le paragraphe 35(1) précise, par exemple, que ce ne sont pas seulement les accords qui existaient en 1982 et les droits issus de ces accords qui sont protégés par la Constitution, mais aussi des droits acquis en vertu d'accords futurs.

Je suis essentiellement d'avis que les paragraphes 35(1) et 35(3) de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoient précisément le processus qui s'est déroulé ici, nommément, un accord qui a été conclu entre un peuple autochtone et les gouvernements fédéral et/ou provinciaux. Dès la ratification de ces accords, ceux-ci entrent en vigueur conformément à leurs stipulations. Les droits acquis en vertu de ces accords sont alors protégés par la Constitution.

• 1305

Ce qui ne veut pas dire que les accords eux-mêmes font partie de la Constitution du Canada, mais ce que cela veut dire, c'est que les droits sont protégés et que toute loi fédérale ou provinciale qui est incompatible avec ces droits en vertu de l'accord doit respecter le critère de justification que les tribunaux ont établi pour toute atteinte aux droits protégés par l'article 35. Ce critère a été établi dans l'arrêt Sparrow. L'accord, alors, aurait un statut constitutionnel en ce sens que les droits sont protégés par la Constitution mais ils ne constituent pas une modification constitutionnelle au vrai sens du terme.

Je sais que mon temps est assez limité, mais essentiellement, ma conclusion repose sur deux arguments.

Premièrement, les dispositions de l'article 35, et en particulier le paragraphe 34(3) prévoit ce processus, soit de conclure des traités lesquels sont protégés. C'est la seule interprétation raisonnable que l'on pourrait donner à l'intention de l'article 35, paragraphes 35(1) et 35(3).

Deuxièmement, à mon avis, il est fort probable que les tribunaux, sans tenir compte des termes de tout autre accord, vont reconnaître que l'autonomie gouvernementale et le droit à l'autonomie gouvernementale constituent un droit inhérent des peuples autochtones, qui est déjà protégé par le paragraphe 35(1), parce que, comme je vous l'ai lu il y a un instant, le paragraphe 35(1) protège deux catégories de droits. Il protège les droits ancestraux qui, selon les tribunaux, émanent de l'occupation historique et de l'utilisation du territoire par les peuples autochtones, et il y a ensuite l'autre catégorie, qui sont les droits acquis par voie de traité.

Ayant étudié les arrêts de la Cour suprême du Canada portant sur les droits des Autochtones, j'en conclus qu'il est fort probable, même si l'on n'a pas encore rendu de jugement faisant autorité, que les tribunaux vont reconnaître que l'autonomie gouvernementale est déjà protégée par le paragraphe 35(1).

Partant de cette théorie, et si elle est exacte, ce que nous avons alors ici n'est qu'une tentative visant à définir par voie d'accord la portée des droits à l'autonomie gouvernementale. Autrement dit, on ne crée pas un nouvel ordre de gouvernement parce que, si l'on s'en tient à cet argument, les tribunaux ont déjà implicitement reconnu que les peuples autochtones et les droits à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones ont un statut constitutionnel. Donc, pour cette raison, même sans tenir compte du paragraphe 35(3), qui prévoit ces accords modernes sur les revendications territoriales, il me semble que ce que l'on fait ici, c'est strictement définir la portée d'un droit qui existe déjà vraisemblablement en vertu du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Par conséquent, je ne crois pas que les arguments que l'on a fait valoir, et que le comité a peut-être déjà entendu invoquer par des témoins précédents... Je ne sais pas quels témoins vous avez entendus, mais l'argument selon lequel cet accord crée un troisième ordre de gouvernement qui diffère de ceux que nous avons déjà, ne me semble pas vraisemblablement susceptible d'être retenu par les tribunaux. Les tribunaux vont probablement statuer que ces droits à l'autonomie gouvernementale existent déjà et que tout ce qu'on fait ici, c'est d'essayer de les définir.

Voilà, madame la présidente, ce qui constitue en substance ma conclusion et son fondement.

La présidente: Merci beaucoup.

Professeur, voulez-vous commencer votre exposé maintenant, s'il vous plaît?

M. Peter Hogg (professeur et doyen, Faculté de droit de Osgoode Hall, Université York): Madame la présidente, je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit le professeur Monahan. Si vous le permettez, j'exprimerai seulement les mêmes idées, très brièvement, eu des termes légèrement différents.

Je pense que le comité doit partir de l'hypothèse que le peuple nisga'a possède déjà des droits ancestraux, à savoir, des droits qui émanent de leur occupation du territoire avant l'arrivée des Européens et de leur organisation avant l'arrivée des Blancs. Ils avaient déjà des droits ancestraux sur le territoire—nous le savons depuis l'affaire Delgamuukw—et ils avaient presque certainement des droits à l'autonomie gouvernementale parce que, bien sûr, ils constituaient des sociétés organisées avant la colonisation européenne.

• 1310

Donc même si les tribunaux ne se sont pas encore prononcés définitivement sur cette question, il fait peu de doute dans mon esprit que les tribunaux vont décider qu'il existe un droit ancestral à l'autonomie gouvernementale.

Donc le peuple nisga'a a déjà tout cela, que l'on conclut un traité ou non. L'objectif de l'Accord nisga'a est de substituer à ces «droits ancestraux» sur le territoire et à l'autonomie gouvernementale des «droits issus de traités» définis plus clairement sur le territoire et à l'autonomie gouvernementale. Si l'on ne concluait aucun traité, si, par exemple, le Parlement n'approuvait pas le traité nisga'a ou s'il n'avait jamais été conclu au départ, il subsisterait encore le problème qui consiste à donner plus de certitude et de clarté aux droits que le peuple nisga'a a maintenant, en tant que peuple autochtone, sur le territoire et à l'autonomie gouvernementale.

Je pense que la meilleure idée que l'on puisse se faire de ce traité est celle d'un mécanisme qui convertit des droits ancestraux en des droits issus de traités beaucoup plus clairs et certains. C'est tout ce que je veux dire à titre préliminaire, madame la présidente. Je serais heureux, tout comme le professeur Monahan, de répondre à vos questions.

La présidente: Merci beaucoup, à tous les deux, pour votre témoignage. Avant de passer aux questions, permettez-moi de dire que j'entends un écho dans mon écouteur, donc s'il y a quelqu'un qui ne comprend pas à un moment donné, veuillez me le faire savoir pour qu'on fasse répéter.

Monsieur Konrad, nous allons commencer notre tour de cinq minutes avec vous. Allez-y quand vous voudrez.

M. Derrek Konrad (Prince Albert, Réf.): Merci beaucoup, madame la présidente.

Je vous remercie pour vos opinions savantes, messieurs.

Je signale simplement que ce que vous nous avez donnés, c'est votre opinion fondée sur votre étude du traité et de l'histoire, de la jurisprudence et d'autres documents que vous avez probablement examinés. Je me demande combien d'universitaires avaient prévu le jugement Marshall qui a été rendu ces dernières semaines et ce qu'ils auraient fait s'ils l'avaient vu venir—et cela comprend le gouvernement, qui ne semble pas l'avoir vu venir non plus.

J'hésite à m'engager dans une voie où l'on dépend d'opinion juridiques, particulièrement lorsqu'il y a des gens de bonne volonté qui ont une bonne compréhension des arrangements et des accords constitutionnels, sans inscrire plus de certitude dans la loi ou des échappatoires pour le cas où les choses ne marcheraient pas comme on pensait.

Par exemple, l'accord lui-même ne fait pas partie de la mesure législative dont est maintenant saisi le gouvernement. S'il est inscrit dans la constitution et échappe au Parlement, il pourrait y avoir des choses qu'un parlement futur pourrait décider de changer, peut-être—et on l'espère—même avec l'accord des personnes régies par le traité nisga'a. Je me demande si vous pourriez commenter ces observations.

M. Peter Hogg: Il me semble qu'il y a une différence très importante entre l'affaire Marshall, par exemple, et le traité nisga'a, à savoir ceci: l'affaire Marshall concernait un traité très ancien, qui avait été rédigé en des termes très vagues, et il était très difficile de savoir ce qu'il signifiait—et bien sûr, la Cour suprême du Canada ne s'est pas entendu sur son sens. Quand on considère l'Accord nisga'a, l'on se retrouve devant une tentative très détaillée et très claire de définir la nature exacte de choses comme les droits de pêche, les droits forestiers, pétroliers et gaziers. On a voulu clarifier comme il faut tout cela.

• 1315

Pour ce qui est de la clarté et de la certitude, je pense qu'on se portera beaucoup mieux avec un document comme l'Accord nisga'a, par opposition aux accords très anciens ou, comme dans le cas de la plupart du territoire de la Colombie-Britannique, où il n'existe aucun accord et où les droits ancestraux sont extrêmement incertains. De même, je note l'observation que vous avez faite vous-même, monsieur Konrad, à savoir, si les dispositions de l'accord s'avèrent...

La présidente: Excusez-moi, mais je dois vous arrêter ici un instant.

Avez-vous de la difficulté à les entendre?

M. Derrek Konrad: Oui, pendant la dernière minute.

La présidente: Ça ne me semble pas très clair.

Est-ce qu'on peut avoir un technicien?

M. Peter Hogg: Le problème se trouve-t-il à notre bout?

La présidente: Je pense que c'est la réception à notre bout à nous. Avez-vous du mal à nous entendre?

M. Peter Hogg: Non. Nous vous entendons très clairement.

La présidente: Ah. Il y a comme un écho dans nos écouteurs.

Pourquoi n'essayons-nous pas tout simplement quelques instants sans les écouteurs à notre bout?

Allez-y, et nous verrons si ça marche un peu mieux.

M. Peter Hogg: Êtes-vous prêts? Entendez-vous ce que je dis maintenant?

La présidente: Oui. Allez-y. Il y a encore un écho. Je pense que la difficulté est peut-être à votre bout, cependant.

M. Peter Hogg: Nous avons un technicien qui apporte un ajustement ici pour voir si ça va aider.

La présidente: Merci.

M. Peter Hogg: Permettez-moi de répéter ce que j'ai dit plus tôt. Si vous avez du mal à entendre, nous tâcherons d'apporter d'autres ajustements ici.

Ce que je disais plus tôt, c'était que les difficultés posées par l'arrêt Marshall il y a quelques semaines, tenaient largement au fait qu'il s'agissait d'un traité très ancien, qui avait été exprimé en des termes très vagues. La différence entre ce traité et le traité nisga'a, c'est que ce dernier, comme tous les députés le savent, est un document très détaillé où l'on essaie de définir avec précision et exactitude les droits que possède le peuple nisga'a dans tous les domaines que visent l'accord.

Je pense qu'on s'en tirera beaucoup mieux avec un traité qui définit les droits clairement que sans traité, ce qui obligerait les Nisga'as à retourner devant les tribunaux pour définir le territoire auquel ils ont droit et les pouvoirs relatifs à l'autonomie gouvernementale qu'ils avaient. Ce ne serait pas défini comme ce l'est maintenant dans le traité nisga'a. Si ce traité se révèle, et ce sera probablement le cas à l'avenir, défectueux d'une manière quelconque, alors on pourra le corriger en suivant la procédure définie dans le traité, ce qui bien sûr ferait intervenir le consentement du peuple nisga'a.

La présidente: Étant donné que je vous ai interrompu, monsieur Konrad, je vous autorise à poser une autre question.

M. Derrek Konrad: J'ai lu le traité qui fait l'objet de l'arrêt Marshall. Je note que des juges ont dit qu'il n'y avait aucune contradiction à première vue, donc c'est toujours contestable.

Mais cela ne répond par vraiment à ma question. Ma question était celle-ci: est-ce qu'on veut que ces choses échappent au contrôle du Parlement à tout jamais, ou voulons-nous inclure le traité dans le projet de loi dont le Parlement est saisi, de telle sorte qu'il devienne une loi, ou ne pas... L'accord sur les revendications territoriales, ça va: ayons un accord sur les revendications territoriales qui précise les limites géographiques, les montants d'argent et ce genre de choses, mais les dispositions relatives à l'autonomie gouvernementale n'auraient pas à être là. Ne croyez-vous pas que cela donnerait un meilleur résultat et susciterait beaucoup moins d'opposition au traité s'il en était ainsi?

• 1320

M. Patrick Monahan: J'essaie de comprendre à quoi l'on veut en venir ici. Veut-on donner aux dispositions du traité force de loi par l'adoption d'une loi? Je ne crois pas que c'est ce que vous recherchez. Je n'ai pas réfléchi à cette question en particulier.

Ce que nous essayons de dire ici, c'est qu'en l'absence de cet accord, vous confériez en fait aux tribunaux le soin de créer ces droits, et seuls les juges décideraient de ce qui est approprié.

Par exemple, au chapitre 11 de l'Accord nisga'a, l'on définit les divers pouvoirs des gouvernements nisga'as, et l'on dit comment les lois adoptées en vertu de ces pouvoirs vont s'harmoniser avec les lois fédérales et provinciales. Sans un tel accord, sans ce traité, il appartiendrait alors aux tribunaux de créer leur propre liste de pouvoirs et de définir les relations entre les lois fédérales et provinciales, d'une part, et les lois autochtones, d'autre part.

La présidente: Merci.

Madame Davies, allez-y, s'il vous plaît.

Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Je suis l'une des représentantes de la Colombie-Britannique. Comme vous le savez, j'en suis sûr, nous avons eu en Colombie-Britannique un débat assez épique, et ce fut en fait le plus long débat dans l'histoire de l'assemblée législative de la Colombie-Britannique, et nous avons eu aussi des consultations publiques exhaustives. Des opinions ont été exprimées de tous les côtés. L'une des idées qui me rend absolument folle, c'est cette opinion très répandue selon laquelle le traité nisga'a serait illégal pour une raison quelconque. On ne cesse de répéter cela. Le Parti réformiste le dit tout le temps.

Même ce matin, nous avons entendu des témoins qui nous ont dit que—M. Flanagan, je crois que c'est son nom, de l'université McGill, et il y avait en fait aussi un certain M. Scott. À leur avis, parce que l'accord, le traité, crée d'une certaine manière un ordre de gouvernement distinct, et que cela va se faire partout au pays, c'est anticonstitutionnel. On nous bombarde avec ça. Mais si je comprends bien ce que vous avez dit aujourd'hui, le paragraphe 35(1) définit clairement le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Cela existe depuis toujours. C'est une chose que la société moderne ne peut pas conférer. Cela existait avant l'arrivée des Européens.

Ce qui à mon avis est très important dans ce que vous dites, c'est qu'il s'agit maintenant de définir ces droits, mais je ne suis pas sûr que c'est ce que l'on comprend là-bas. Comparativement à l'arrêt Marshall, il me semble qu'il vaut beaucoup mieux que les droits ancestraux soient définis et en fait codifiés par voie de traité, au lieu de s'en tenir à des textes vagues et ambigus ou qui font continuellement l'objet d'une interprétation juridique.

Voici la question que j'ai. Vos propos au sujet des paragraphes 35(1) et 35(3) sont très clairs, mais les tribunaux ont-ils rendu d'autres jugements qui démoliraient en fait votre thèse? La jurisprudence est-elle très claire à cet égard dans la mesure où elle confirme votre conclusion?

M. Patrick Monahan: Eh bien, je dirai simplement que le paragraphe 35(1) ne dit pas expressément qu'il existe un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, mais si on lit les arrêts de la Cour suprême du Canada qui interprètent l'article 35, je pense qu'il est fort probable que les tribunaux vont reconnaître l'existence du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale à l'article 35.

Mais pour être juste—et vous avez parlé des autres témoins que vous avez entendus—je dirai qu'il n'y a rien d'explicite au paragraphe 35(1). Ce n'est pas que le paragraphe 35(1) dit expressément qu'il existe un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, mais je crois que cela est implicite dans les jugements que les tribunaux ont rendu et dans l'interprétation qu'ils ont donnée jusqu'à ce jour de l'article 35. Donc, oui, je pense que dans l'ensemble, les tribunaux seront d'accord pour dire que ce processus, qui consiste à codifier les droits ou à définir les droits issus de traité, est valide et approprié.

• 1325

Il y a des causes plus anciennes où le Conseil privé a tranchées et que le professeur Scott a peut-être citées. Je ne sais pas. Je n'ai pas entendu ce témoignage. Il y a des causes plus anciennes qui disent que les gouvernements fédéral et provinciaux disposent de tous les pouvoirs gouvernementaux en vertu de la Constitution canadienne. Ce sont des causes plus anciennes.

Je dirai simplement que ces jugements ont été rendus au début du XXe siècle avant que l'on reconnaisse les droits ancestraux—ce que nous faisons maintenant depuis 1982—je crois donc que l'on a vraiment tort, sauf tout le respect que je dois au professeur Scott et peut-être à d'autres, de citer ces causes plus anciennes, qui ont maintenant 60 ou 80 ans dans certains cas, et de les invoquer pour interpréter l'article 35.

Au cours des dix dernières année, les tribunaux ont rendu plusieurs jugements sur l'article 35. Je pense que ces jugements nous suggèrent fortement qu'il existe déjà un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, qui émane de l'occupation antérieure du territoire par les peuples autochtones. Par conséquent, c'est à partir de là que les tribunaux vont interpréter la loi émanant de ce traité.

La présidente: Professeur Hogg, si vous voulez ajouter quelque chose, allez-y.

M. Peter Hogg: Aucune de ces causes anciennes ne traite des...

La présidente: Professeur, pouvez-vous attendre un instant?

Est-ce qu'on peut hausser le volume encore? Je n'entends rien.

Pouvez-vous ressayer, monsieur le doyen Hogg? Allez-y.

M. Peter Hogg: Je disais simplement...

[Note de la rédaction: Difficultés techniques]

...que tous les pouvoirs avaient été distribués entre le Parlement fédéral et les assemblées législatives provinciales. Aucun d'entre eux ne faisait état de l'autonomie gouvernementale originale, donc aucune cause n'a nié...

[Note de la rédaction: Difficultés techniques]

La présidente: Ce n'est pas encore parfait à notre goût—loin de là.

Monsieur Keddy allez-y. Je vais allouer deux minutes de plus à tout le monde, pour que chacun puisse parler lentement, pour que ce soit plus clair quand l'autre centre nous parle.

M. Gerald Keddy (South Shore, PC): Merci, madame la présidente. Personne ne parle lentement dans les Maritimes, mais nous ferons de notre mieux.

Nous remercions les témoins de prendre part à cette vidéoconférence, mais chose certaine, je veux qu'on parle plus longuement de l'arrêt Marshall. J'ai compris votre réponse lorsque vous avez dit que le Traité nisga'a codifie ou, si vous voulez, met en ordre les droits en vertu de ce traité, ou que le traité va définir. Je pense que l'erreur que les gens commettent au sujet de l'arrêt Marshall, abstraction faite de votre réponse où vous avez dit que c'était un vieux traité basé sur le traité de 1760 et qu'il était certainement vague et ambigu par endroits... Il était question d'une chose seulement, la pêche à l'anguille—et les juges ont clarifié cela—et l'on peut étendre cela à la chasse et peut-être à la cueillette.

Sans un traité moderne ou un traité qui codifie clairement les droits et lois et qui confirme le titre foncier des Micmacs, les tribunaux vont simplement continuer de décider à la place du Parlement du Canada. L'arrêt Marshall milite en faveur des traités modernes, et c'est peut-être sa seule utilité, de telle sorte que les droits sont clairement établis et définis. Voulez-nous nous parler un peu plus de l'arrêt Marshall?

• 1330

M. Peter Hogg: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Il me semble que le grand avantage des traités modernes tient au fait qu'ils définissent en effet les droits avec tous les détails et toute la clarté voulue. C'est ce que fait l'Accord nisga'a. Je connais aussi les accords du Yukon; ils font la même chose. Cela vaut beaucoup mieux que de ne pas avoir de traité du tout, ce qui était la situation des Nisga'as, ou d'avoir un traité très ancien, qui n'était pas fait...

La présidente: Excusez-moi, professeur. Nous allons devoir faire une pause de cinq minutes. Les techniciens l'ont demandée. Ils vont repartir votre système. Nous espérons que lorsqu'ils l'auront relancé, le son sera un peu plus clair qu'il ne l'est maintenant. Votre témoignage nous est précieux, et nous voulons nous assurer de l'entendre.

• 1331




• 1336

La présidente: D'accord. Nous allons continuer. J'espère que cet ajustement à l'équipement nous donnera un son de bien meilleure qualité. Je crois avoir interrompu la réponse de notre témoin.

Si vous voulez bien reprendre la parole, je vous donnerai le temps voulu.

Mme Libby Davies: Quelle était la question?

Des voix: Ah, ah!

La présidente: Quelle était la question?

Oui, si vous vous souvenez de la question, bien sûr.

Monsieur Keddy, pouvez-vous reformuler brièvement votre question? Nous continuerons ensuite. Merci beaucoup.

M. Gerald Keddy: Je me meurs de reformuler ma question sans introduction. Très brièvement, la question portait sur l'arrêt Marshall sur la côte Est et sur le fait que sans traité moderne, nous serons obligés de rediscuter de cette question sans cesse et de définir les droits un par un, ce à quoi vous avez fait allusion plus tôt. Ce pourrait être le cas avec les Nisga'as si nous ne définissons pas ces droits et ne les codifions pas d'une manière quelconque.

La présidente: Allez-y, professeur.

M. Peter Hogg: Voici ce que j'ai répondu à cette question: c'est parfaitement exact. Je crois que si l'on a un traité moderne et détaillé, il est fort peu probable que l'on ait besoin à l'avenir d'intenter des procès pour clarifier les droits que possède le peuple nisga'a. Ces droits sont définis avec beaucoup de clarté et de certitude dans ce texte. Par conséquent, nous acquérons, me semble-t-il, la paix et la clarté pour ce qui est des droits du peuple nisga'a.

M. Gerald Keddy: Est-ce que...

M. Patrick Monahan: Me permettez-vous d'ajouter une remarque?

M. Gerald Keddy: Bien sûr.

M. Patrick Monahan: Dans leurs jugements, dans l'affaire Delgamuukw en particulier, les tribunaux ont sans cesse affirmé qu'ils voulaient encourager les négociations et les accords volontaires entre les peuples autochtones et les gouvernements, au lieu que l'on s'adresse aux tribunaux pour définir les droits. Ce que les juges disent, c'est que s'ils y sont obligés, ils le feront, bien sûr, mais ils préfèrent de beaucoup que les autorités politiques en viennent à une entente.

C'est ce qui est arrivé ici. Il y a eu accord. Cet accord est en train d'être ratifié et, par la suite, le tribunal pourra dire que les modalités du traité vont s'appliquer, ce qui voudrait dire que les tribunaux n'auront pas à déterminer, ni pour eux-mêmes, ni pour nous, quel est la portée des droits à l'autonomie gouvernementale. Nous pourrons maintenant nous fonder sur les modalités du traité. Si l'on examine les décisions des tribunaux, on peut voir que c'est ce que les tribunaux encourage les autorités politiques à faire.

La présidente: Monsieur Keddy, une brève question et une courte réponse.

M. Gerald Keddy: Je suis bien prêt à poser une brève question, mais je ne pense pas qu'on puisse y répondre brièvement. L'Accord définitif nisga'a stipule clairement que la Charte des droits et liberté s'appliquera. Pourtant, certains ont prétendu qu'elle ne s'appliquait pas. Avez-vous une opinion là-dessus?

La présidente: Allez-y.

M. Peter Hogg: À mon avis, si l'accord stipule que la Charte des droits s'applique, elle s'appliquera. C'est aussi simple que cela. Certains n'étaient pas convaincus que la Charte des droits s'appliquerait à l'autonomie gouvernementale en l'absence d'une telle disposition. Pour ma part, il me semble que la Charte s'appliquerait même dans un tel cas, mais il n'y a plus de doute si l'on insère cette disposition.

• 1340

La présidente: Merci beaucoup.

Nous passons à M. O'Reilly. Nous reprenons les périodes de cinq minutes parce que la transmission est très claire.

M. John O'Reilly (Haliburton—Victoria—Brock, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.

Merci beaucoup aussi aux témoins.

Je voudrais faire la lumière sur une chose que le professeur Hogg connaît assez bien, je pense, soit le mythe de la taxation sans représentation. Je signale à votre attention l'accord conclu entre les Premières nations Champagne et Aishihik, l'accord d'autonomie gouvernementale, qu'on appelle communément l'accord du Yukon, je pense. Cet accord prévoit des lois sur la perception d'impôt. Je pense qu'on y stipule que les Premières nations Champagne et Aishihik ont le pouvoir d'adopter des lois relativement à

    L'imposition, à des fins locales de propriétés situées dans le territoire visé par le règlement et des occupants et locataires dudit territoire relativement à leurs propriétés dans ce territoire, y compris les procédures et les appels d'évaluation, de perception et d'application

relatifs à ces droits de propriété, et «d'autres modes d'imposition directs des citoyens», et, si aux termes de l'article 14, «d'autres personnes et entités sur le territoire visé par le règlement», pour obtenir des recettes aux fins des Premières nations Champagne et Aishihik.

Et le texte se poursuit. Ce n'est sans doute pas un accord aux termes de l'article 35, mais je voudrais savoir ce que vous en pensez. Bon nombre de députés réformistes disent que nous créons une sorte de pouvoir d'imposition semblable à ce qu'on verrait dans un pays du tiers monde et que c'est une chose dont nous devrions nous méfier beaucoup. S'il existe déjà cet accord qui contient des dispositions du même genre, pourquoi nous dit-on que c'est une disposition tout à fait nouvelle qui n'entre pas dans le cadre de l'article 35?

Pourriez-vous comparer l'accord des Nisga'as et celui des Premières nations du Yukon, professeur Hogg?

La présidente: Allez-y, monsieur le doyen?

M. Peter Hogg: Je ne peux pas faire une comparaison détaillée entre les dispositions de l'accord Champagne-Aishihik, même si je les connaissais bien il y a quelques années, et celle de l'Accord nisga'a. De façon très générale, je vous dirai seulement que, si vous créez des pouvoirs d'autonomie gouvernementale dans un traité moderne, la Première nation doit pouvoir financer son gouvernement. Si le gouvernement autochtone ne doit pas compter uniquement sur les paiements de transfert du gouvernement fédéral et de la province, il a besoin de certains pouvoirs d'imposition. Il me semble que c'est une partie inévitable d'un traité moderne. C'est pour cela que c'est prévu dans l'Accord nisga'a et c'est pour cela que c'est prévu aussi dans l'accord Champagne-Aishihik.

M. John O'Reilly: Merci beaucoup, professeur.

Peut-être que Patrick Monahan... je vois qu'il a enlevé le «g» de son nom. S'il est vraiment Irlandais, ce devrait être «Monaghan», avec un «g». Peut-être que Patrick Monahan voudra ajouter quelque chose.

Des voix: Oh, oh!

La présidente: Allez-y, professeur.

M. Patrick Monahan: Ma grand-mère m'a raconté une histoire: sa famille était tellement pauvre quand elle est arrivée d'Irlande qu'elle n'avait pas beaucoup d'encre dans son stylo et qu'elle a eu l'idée d'écrire son nom sans le «g».

Mais ce n'est pas de cela que vous vouliez que je parle. Je dois dire que je suis d'accord avec le doyen Hogg. N'importe quel gouvernement, que ce soit un gouvernement municipal ou celui que crée l'Accord nisga'a, doit pouvoir financer ses activités. Si nous acceptons le principe d'autonomie gouvernementale, et comme je l'ai déjà dit, que nous l'acceptions ou non, les tribunaux vont probablement interpréter l'article 35 comme conférant déjà ce droit, il est logique de donner à ces gouvernements le moyen de financer leurs propres activités.

En l'absence d'une telle disposition, il y aurait taxation sans la moindre représentation, parce que si les gouvernements nisga'as ne pouvaient pas percevoir d'impôts, toute leur assiette du revenu proviendrait uniquement du gouvernement fédéral ou provincial. À ceux qui prétendent qu'il y a taxation sans représentation, s'il y en a, je répondrais donc que ce serait encore plus grave si nous ne prévoyons pas le pouvoir de percevoir des impôts dans l'accord.

La présidente: Merci beaucoup.

Monsieur Scott. Allez-y.

• 1345

M. Mike Scott (Skeena, Réf.): Professeur Hogg, en 1991, vous avez publié un livre intitulé Is The Canadian Constitution Ready For The 21st Century?. À la toute fin de cet ouvrage, sous la rubrique «autonomie gouvernementale», vous écriviez ceci:

    le gouvernement fédéral est prêt à négocier des ententes d'autonomie gouvernementale dans le cadre du processus global de revendications territoriales à la condition bien importante que ces accords ne soient pas considérés comme créant des droits issus de traités aux termes de l'article 35. Ce dont le gouvernement fédéral veut s'en doute se garder, c'est de passer outre au processus de modification constitutionnelle auquel participeraient les provinces en même temps que les organisations autochtones.

Le professeur Stephen Scott nous a dit ce matin, et vous sembliez penser la même chose dans votre livre, que, pour la première fois, avec l'Accord nisga'a, qui est différent de l'accord Champagne-Aishinik, l'accord des revendications territoriales du Yukon et tout autre accord négocié au nord du 60e parallèle, le gouvernement a inclus l'autonomie gouvernementale dans le traité, ce qui veut dire que l'accord crée des droits issus de traités aux termes de l'article 35. Dans votre ouvrage, vous dites qu'on passe outre ainsi au processus de modification constitutionnelle. Je voudrais savoir si vous êtes encore du même avis qu'en 1991.

La présidente: Allez-y.

M. Peter Hogg: Ce que j'ai toujours dit et ce que je disais en 1991, c'est que c'était une erreur pour le gouvernement du Canada de ne pas inclure le droit à l'autonomie gouvernementale dans les accords de règlement des revendications territoriales. Autrement dit, j'ai toujours cru, et je n'ai pas le texte exact de ce que je disais dans cet article sous les yeux, que les droits à l'autonomie gouvernementale devraient faire partie des accords sur le règlement des revendications territoriales. Autrement dit, je parlais de ce que faisait le gouvernement à l'époque, mais sans l'approuver.

En réalité, le gouvernement du Canada a maintenant entamé un processus qui vise à constitutionnaliser les accords d'autonomie gouvernementale au Yukon aussi parce que ces accords ont été conclus selon l'ancienne politique. La nouvelle politique, que reflète l'Accord nisga'a, vise à intégrer les accords d'autonomie gouvernementale au traité. À mon avis, c'est la bonne façon de procéder.

M. Mike Scott: Je comprends très bien ce que vous dites. Selon vous, le gouvernement devrait prendre ces mesures quoi qu'il arrive, mais vous considérez dans votre document de 1991, que l'inclusion de dispositions d'autonomie gouvernementale dans un traité passe outre au processus de modification constitutionnelle.

Vous dites aussi que ce n'est pas parce que les Canadiens ont rejeté l'Accord de Charlottetown en 1992 et que l'un des cinq éléments clés de cet accord était le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale que le gouvernement ne doit pas appliquer le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale de toute façon.

Ce que je veux savoir, c'est ceci: ne pensez-vous pas que, en rejetant l'Accord de Charlottetown, les Canadiens ont rejeté en même temps l'inclusion de l'autonomie gouvernementale comme droit ancestral ou issu de traités aux termes de l'article 35 de la Constitution? Ne pensez-vous pas que, si le gouvernement voulait procéder de cette façon, il aurait le droit de le faire, tant qu'il le fait dans le cadre du processus de modification constitutionnelle, sans passer outre à ce processus comme vous le dites dans votre document?

La présidente: Allez-y, monsieur Hogg.

M. Peter Hogg: L'Accord de Charlottetown était un accord extrêmement compliqué qui portait sur une multitude de questions en plus des droits autochtones. On aurait tort de dire que, en rejetant l'Accord de Charlottetown, les Canadiens ont rejeté un aspect particulier de l'accord. Ont-ils rejeté les dispositions relatives au Sénat? Ont-ils rejeté les dispositions sur la répartition des pouvoirs? Ont-ils rejeté les mesures relatives à la Cour suprême? Ont-ils rejeté les changements aux procédures de modification? L'Accord de Charlottetown était tellement vaste, selon moi, qu'on aurait tort de considérer que, en le rejetant, on a rejeté toutes les dispositions qu'il comprenait.

La présidente: Merci beaucoup.

• 1350

Monsieur Iftody, s'il vous plaît.

M. David Iftody (Provencher, Lib.): Merci, madame la présidente.

Merci beaucoup de vos exposés, messieurs. Je suis très heureux que deux distingués et éminents avocats canadiens nous aident dans nos délibérations. Je tiens à vous remercier de nous avoir consacré tout ce temps.

Je voulais vous poser quelques questions. D'abord, un commentaire: vous avez peut-être eu l'occasion de lire le document d'information de Mel Smith où il donne son avis sur ce qu'il appelle un troisième ordre de gouvernement qui outrepasse les pouvoirs délégués aux termes de l'article 92 par l'entremise des provinces aux municipalités. Il se sert de cet exemple et affirme ensuite que les pouvoirs conférés dans le Traité nisga'a, par exemple, sont beaucoup plus vastes que les pouvoirs délégués aux municipalités et entraînent donc une modification à la Constitution, ce qui devrait déclencher un référendum, en Colombie-Britannique, dans ce cas-ci. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

Ma deuxième question porte sur la possibilité qu'on empiète sur certains de ces droits. Autrement dit, on nous a dit que l'accord sera constitutionnalisé, que nous ne pourrons plus y toucher et que nos descendants pour bien des générations ne pourront pas y toucher non plus. Par ailleurs, si l'on se rapporte à l'affaire Sparrow, dans une certaine mesure, et surtout à l'affaire Badger, où les tribunaux ont dit que la suprématie du Parlement est un facteur très important dans les accords de ce genre et que, si quelque chose tourne très mal de la façon qu'envisage souvent l'opposition, il resterait malgré tout un pouvoir général résiduel selon ces dispositions dans le cadre de la Charte et de la Constitution à cause de la suprématie du Parlement.

Pouvez-vous répondre à ces deux questions? Merci.

M. Patrick Monahan: Je peux peut-être commencer. Je dois dire tout d'abord que les pouvoirs prévus dans l'accord sont plus vastes, d'après moi, que ceux qu'on retrouve d'habitude à l'échelon municipal au Canada. Par exemple, il n'y a pas de gouvernement municipal au Canada qui peut adopter des lois qui ont prépondérance sur les lois fédérales ou provinciales comme ce sera le cas des lois adoptées par les organismes gouvernementaux nisga'as. Dans certains cas, ces lois peuvent l'emporter sur une loi fédérale ou provinciale.

Je suis donc d'accord avec M. Smith pour dire que ces pouvoirs ne correspondent pas parfaitement à ceux des municipalités. De façon générale, cependant, je dois dire que les pouvoirs donnés aux institutions nisga'as et les cas dans lesquels ces lois l'emporteront sur les lois fédérales et provinciales sont reliés à des affaires locales, de façon générale, des affaires d'intérêt local pour les Nisga'as. En réalité, je pense que l'on a maintenu un très bon équilibre entre les pouvoirs des Nisga'as et de leurs gouvernements pour adopter des lois, et le pouvoir du Parlement fédéral et de l'Assemblée législative provinciale de continuer à adopter des lois d'application générale.

Selon moi, le traité maintient cet équilibre. Vous n'êtes peut-être pas d'accord avec la façon dont on a maintenu l'équilibre, mais je pense qu'on l'a fait de façon très prudente. Malgré tout le respect que j'ai pour M. Smith, il me semble que l'article 35 de la Constitution englobe le droit à l'autonomie gouvernementale et la possibilité de conclure des accords comme celui-ci et que la Constitution permet expressément de conclure de tels accords comportant de tels pouvoirs.

Pour ce qui est de la deuxième question et de la question d'empiétement, je suis d'accord là-dessus. Je pense que le Parlement pourrait, à la lumière des décisions Sparrow et Badger, adopter une loi qui pourrait dans certains cas l'emporter sur les modalités du traité.

• 1355

Je dois cependant admettre que les tribunaux envisageraient cette possibilité dans des cas très restreints parce que la justification devrait être établie de façon très précise et très rigoureuse à mon avis. Comment les tribunaux pourraient-ils dire que nous avons conclu un accord et accepté certains compromis, c'est-à-dire que les Autochtones, de même que les négociateurs fédéraux et provinciaux ont accepté certains compromis, et que le Parlement veut maintenant ne pas en tenir compte? Je pense que ce serait uniquement dans des cas très restreints que le Parlement ou l'assemblée législative pourrait envisager d'adopter des lois qui ne soient pas conformes aux dispositions du traité.

La présidente: Votre temps de parole est expiré.

Monsieur Keddy, les cinq dernières minutes seront à vous.

M. Gerald Keddy: Merci.

Ma question porte directement sur l'Accord définitif nisga'a, mais ce n'est pas une chose dont nous avons longuement discuté ici. Quand je lis l'accord, je vois que certaines dispositions permettent une évolution naturelle, si l'on veut, de l'appareil gouvernemental. Certaines parties de l'Accord nisga'a sont énoncées très clairement, notamment lorsqu'il s'agit de l'application des lois actuelles, mais on a laissé une marge de manoeuvre pour l'avenir. Pour ma part, je considère que c'est un avantage de l'accord parce qu'il pourra évoluer sans dépasser les limites qui y sont prescrites.

Selon vous, l'Accord définitif nisga'a permettra-t-il, par exemple, au gouvernement nisga'a de changer et d'évoluer? Le gouvernement nisga'a ne sera peut-être pas le même dans 20, 50 ou 100 ans que ce qui figure dans l'Accord définitif nisga'a. Cela pourrait s'insérer dans l'évolution naturelle des gouvernements partout au Canada.

La présidente: Allez-y, professeur Monahan.

M. Patrick Monahan: L'accord dit bien qu'il n'impose pas une forme particulière au gouvernement nisga'a. Il permet au peuple nisga'a lui-même d'établir ses propres institutions politiques. Vous avez donc tout à fait raison de dire que l'accord ne coule pas une forme particulière de gouvernement dans le béton, mais donne au peuple nisga'a la possibilité de façonner ses propres institutions politiques et de les adapter selon les besoins.

M. Gerald Keddy: Merci.

La présidente: Vous pouvez prendre plus de temps si vous le voulez, monsieur Keddy.

M. Gerald Keddy: Quelqu'un d'autre a-t-il une question à poser?

La présidente: Y a-t-il d'autres questions?

Une question, monsieur Finlay.

Merci beaucoup, monsieur Keddy.

M. John Finlay (Oxford, Lib.): Merci, madame la présidente.

Merci beaucoup, messieurs, de vous être joints à nous grâce aux merveilles de la télévision et de la technologie moderne.

M. Keddy vous a posé une question au sujet de l'application de la Charte des droits et libertés et je voudrais poursuivre dans la même veine. Pourriez-vous commenter le but et l'effet de la réserve qui figure à l'article 9? Elle stipule ceci:

    La Charte canadienne des droits et libertés s'applique au gouvernement nisga'a concernant toutes les questions relevant de sa compétence, eu égard au caractère libre et démocratique du gouvernement nisga'a, comme le stipule l'accord.

Pourriez-vous commenter cette réserve? Qu'est-ce que cela signifie en termes clairs? Devons-nous nous inquiéter au sujet d'une future interprétation de ces mots ou est-ce suffisamment clair?

M. Peter Hogg: Dans la Charte des droits on trouve une disposition, soit l'article 1 qui dit:

    La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Tous les droits prévus dans la Charte sont donc assujettis à cette réserve, ce qui permet aux gouvernements d'adopter des lois qui limitent les droits de la Charte s'ils le font pour une raison très importante et d'une façon qui limite le droit le moins possible.

• 1400

Il y a eu bien des cas où la Cour suprême du Canada a maintenu des lois qui limitaient les droits de la Charte en se fondant sur l'article 1. Selon moi, le chapitre 9 de l'Accord nisga'a vise simplement à préciser que certaines lois vont empiéter sur les droits prévus dans la Charte, mais que ces lois sont justifiées par d'importants objectifs sociaux. Je répète que le droit des Nisga'as d'adopter de telles lois se rapproche beaucoup de la façon dont le Parlement fédéral et les assemblées législatives provinciales peuvent maintenant limiter les droits prévus dans la Charte de la même façon.

M. John Finlay: Merci beaucoup.

La présidente: Allez-y, professeur Monahan.

M. Patrick Monahan: Je voudrais simplement ajouter que le dernier membre de phrase du chapitre 9 me réconforte parce que cela semble indiquer d'après moi que, quand les gouvernements nisga'as voudront justifier des lois qui limitent certains droits, ils seront eux-mêmes assujettis aux mêmes critères que les gouvernements provinciaux et fédéral. Les critères seront exactement les mêmes et si, par exemple, le gouvernement nisga'a ne peut pas établir que la loi a des limites raisonnables qui peuvent se justifier dans une société libre et démocratique, cette loi et ces limites seront jugées non conformes à la Charte.

Cela laisse donc entendre, à mon avis, que les critères prévus à l'article 1 de la Charte s'appliqueront aussi au gouvernement nisga'a.

La présidente: Merci beaucoup.

Au nom de tous les membres du comité, je tiens à remercier nos invités de leur témoignage. C'est très important pour nous d'entendre toutes sortes d'avis sur cette question. Vous avez certainement contribué au débat aujourd'hui. Je m'excuse des cinq minutes que nous avons perdues à relancer le système, mais je peux vous garantir que cela en valait la peine parce que nous avons pu vous entendre beaucoup plus clairement par la suite.

Merci beaucoup. La séance est levée.