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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 9 mars 1999

• 0909

[Traduction]

Le président suppléant (M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex, Lib.)): Mesdames et messieurs, M. Graham ne devrait pas tarder. Pour ne pas perdre de temps, je vais demander à M. Stein de commencer et de nous présenter la délégation qui l'accompagne.

M. Ken Stein (président, Groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur (GCSCE)): Merci. Ce serait en vérité un peu présomptueux de ma part.

Le président suppléant (M. Jerry Pickard): Très bien. Voici M. Graham qui arrive en se dépêchant.

• 0910

Ken, vous pourriez vous présenter.

M. Ken Stein: Merci beaucoup, Jerry. Je ne sais pas exactement comment vous voulez que nous procédions. Vous avez devant vous tout un aréopage de personnes qui auront certainement beaucoup de choses à dire sur les questions touchant au commerce.

Si je suis ici personnellement c'est pour vous exposer certaines des constatations de notre groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur concernant les industries culturelles.

Le rapport de notre groupe vous a été communiqué pour étude par le ministre M. Marchi. Je crois que tous les membres de votre comité en ont reçu un exemplaire. Bien entendu, si tel n'est pas le cas, nous demanderons au ministère de vous en faire parvenir.

Les membres du Groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur-industries culturelles, servent à titre gracieux. Ils vont de Christopher Maule qui, je l'espère, n'est pas en situation de conflit d'intérêts puisqu'il est également membre de votre personnel de recherche, à Michael MacMillan, président et chef de la direction d'Alliance-Atlantis, André Bureau, président du conseil d'Astral Broadcasting Group, et des gens comme Peter Grant, associé principal chez McCarthy Tétrault qui s'intéresse de très près aux questions d'information et de magazine dans le domaine du commerce. Le groupe réunit des personnalités des quatre coins du pays.

Comme vous le savez, les groupes de consultations sectorielles sur le commerce extérieur sont le résultat de l'Accord de libre-échange nord-américain et ils ont pour but de conseiller le ministre du Commerce sur la stratégie et les questions touchant à des secteurs particuliers. Avec les années, il est devenu clair aux yeux de notre groupe que la culture, loin d'être quantité négligeable ou secondaire, est devenue un élément capital de la nouvelle économie. Donc, plutôt que d'essayer de l'exempter ou de la retirer de la table lors des négociations commerciales, il a été nécessaire d'inventer de nouvelles démarches pour adapter nos politiques à l'évolution constante du paysage culturel.

Notre comité, à l'unanimité, a recommandé au ministre l'élaboration d'un nouvel instrument international mettant l'accent sur le principe essentiel de la diversité culturelle et énumérant les mesures que des pays peuvent prendre dans un environnement de libre-échange pour promouvoir la diversité culturelle et linguistique et l'identité culturelle.

Le Canada a toujours été à l'avant-garde des efforts internationaux pour libéraliser les marchés mondiaux. En même temps, le Canada a toujours défendu la nécessité pour les nations de pouvoir définir leurs propres politiques culturelles. Je signalerai en passant que le communiqué publié par le premier ministre du Canada et le premier ministre de la France en décembre est tout à fait dans la droite ligne de cette tradition.

Cependant, nous devons encourager les politiques commerciales internationales qui soutiennent les efforts culturels. Tout comme nous avons des accords sur l'environnement et les télécommunications, il est essentiel que nous fassions la même chose pour la culture. Nous souhaitons vivement que notre rapport ne soit pas considéré simplement comme des recommandations au ministre. C'est un appel que nous lançons à la collectivité pour qu'elle discute et qu'elle débatte de la manière d'adapter ou de changer les outils traditionnels que nous utilisons pour définir et soutenir l'expression canadienne pour préserver notre expression individuelle sur un marché culturel ouvert et sans frontières. Pour cette raison, nous sommes extrêmement heureux que le ministre ait choisi de soumettre directement ce rapport à votre comité permanent. Nous suivons avec intérêt vos délibérations.

Permettez-moi en quelques minutes de vous résumer les pensées fortes de notre rapport. La première est que nous croyons que la culture canadienne est une réussite. Notre culture—nos idées, nos chansons et nos histoires—nous explique qui nous sommes. Que nous soyons de Toronto, de la côte Est, de l'Alberta, du Québec, notre culture est d'une importance cruciale pour nous faire connaître nous-mêmes. Par le biais de produits culturels tels que les enregistrements, les livres, les films, la radio et la télévision, nous exprimons nos propres idées et nous envisageons le monde selon nos propres perspectives.

Vu la petitesse de notre marché, notre réussite est surprenante. Ce secteur à lui seul représente 3 p. 100 de notre PIB et plus de 600 000 emplois et sa croissance atteint pratiquement les 10 p. 100 par an et dépasse pratiquement tous les autres secteurs. En même temps, les Canadiens veulent et auront toujours le marché le plus ouvert du monde pour les produits culturels étrangers; 48 p. 100 des livres vendus et plus de 95 p. 100 des projections dans nos cinémas sont d'origine étrangère et, les Canadiens, bien entendu, jouissent d'un éventail complet de services de radiotélédiffusion américains et étrangers.

• 0915

L'objectif de la politique culturelle canadienne a toujours été de favoriser un environnement dans lequel peut s'épanouir un contenu culturel canadien accessible à tous les Canadiens. Nous avons utilisé toute une série d'outils à cette fin: les subventions directes, tous les programmes de Téléfilm et du Fonds de production canadien pour la télévision et le câble—fonds créé à l'origine par l'industrie du câble, si je peux me permettre ce petit message publicitaire—les subventions pour les maisons d'édition et Radio-Canada. D'autres pays comme la France, l'Allemagne et l'Italie ont des programmes analogues et bien entendu ils ont des réseaux de radio-télévision publics largement subventionnés. Nous créons aussi une place dans nos médias de masse pour les enregistrements d'émissions canadiennes par le biais des règles de contenu canadien et ces mesures ont été largement couronnées de succès. D'autres pays tels que la France et l'Australie utilisent les mêmes outils. Nous avons aussi des mesures fiscales, des règles régissant les investissements étrangers et des mesures pour protéger la propriété intellectuelle.

Tous ces outils sont d'une importance cruciale et notre capacité à soutenir et à promouvoir nos propres politiques culturelles doit être préservée. Celles-ci sont essentielles pour notre identité canadienne. Cependant, nous sommes confrontés à un défi.

Les nouvelles technologies, combinées aux politiques plus libérales d'échanges commerciaux, exercent des pressions sur ces mêmes politiques culturelles qui ont permis de créer une culture canadienne forte et diverse et notre identité canadienne. Le défi pour le Canada est de parvenir à un équilibre entre les mesures visant à promouvoir l'expression culturelle et nos obligations commerciales internationales.

La boîte à outils culturelle du Canada a été constituée lorsque les technologies de production et de diffusion des produits culturels étaient simples et limitées et que les frontières signifiaient quelque chose. Aujourd'hui il y a une complexité et une abondance incroyables, voire incontrôlables, et les nouveaux réseaux de distribution comme l'Internet semblent faire perdre toute signification aux frontières.

Fait le plus important, aujourd'hui, les industries culturelles sont aussi un élément essentiel de la nouvelle économie. L'Internet, les satellites, le câble, les multimédias et les CD-ROMs font aujourd'hui partie intégrante de notre quotidien. En même temps, nous constatons l'émergence d'énormes compagnies multinationales et intégrées qui créent de nouveaux produits et de nouveaux marchés à un rythme effrayant. Ne pas participer revient à abandonner à d'autres les locomotives de cette nouvelle économie moderne.

Pour éviter que les produits et les services culturels ne soient traités comme de vulgaires marchandises et pour maintenir et promouvoir notre diversité culturelle et notre identité canadienne, nous devons être conscients des changements qui surviennent autour de nous et, comme la politique canadienne l'a toujours fait, être prêts à réagir. À notre avis, les exemptions culturelles dans les traités commerciaux ne peuvent plus offrir la protection dont la majorité des pays ont besoin pour leurs industries culturelles indigènes. Il faut trouver une nouvelle méthode.

Notre comité a envisagé toute une série d'options. D'abord, maintenir le principe de l'exemption culturelle. Deuxièmement, ne pas nous engager sur le front culturel et faire de notre mieux dans le cadre des paramètres de ces discussions commerciales. Troisièmement, une approche différente par secteur pour les livres, l'édition, les arts, les films ou la télévision. Quatrièmement, un nouvel instrument international pour la diversité culturelle fondé sur le genre de paramètres utilisés pour les télécommunications et pour l'environnement.

Compte tenu de la nécessité de trouver un équilibre entre les obligations commerciales et les objectifs de politique culturelle et de trouver un moyen universellement accepté pour promouvoir la diversité culturelle, notre comité, à l'unanimité, recommande un nouvel instrument international. Cet instrument reconnaîtrait que des politiques et des mesures nationales pour soutenir la culture sont essentielles tout en tenant compte de la réalité du monde compétitif dans lequel nous évoluons.

Ce nouvel instrument pour la diversité culturelle devrait, à notre avis, incorporer les principes importants suivants: premièrement, il reconnaîtrait l'importance de la diversité culturelle. Deuxièmement, il reconnaîtrait que les produits et les services culturels sont très différents des autres produits. Troisièmement, il reconnaîtrait que les politiques et les mesures nationales vivant à assurer l'accès aux produits et aux services canadiens sont très différentes des autres politiques et des autres mesures. Il établirait ensuite les règles relatives au genre de mesures pouvant ou ne pouvant être utilisées par les nations. Pour finir, il déterminerait comment les disciplines commerciales s'appliquent ou ne s'appliquent pas aux mesures culturelles satisfaisant aux règles agréées.

Nous sommes convaincus que les Canadiens peuvent et devraient se rallier à cette initiative et la mener. Nous croyons pouvoir trouver une meilleure solution. Nous pouvons relever de manière beaucoup plus efficace que par le passé les défis lancés au rayonnement de nos industries culturelles et de nos expressions de notre identité.

• 0920

Nous sommes jusqu'à présent très contents des réactions à notre rapport. Il a été largement commenté partout au Canada. Nous espérons que votre comité prolongera et encouragera la discussion sur cette question. Une nouvelle approche au niveau international est désespérément nécessaire.

Merci, monsieur le président.

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Merci beaucoup, monsieur Stein.

Nous suivrons simplement l'ordre sur l'avis de convocation. Le suivant est donc M. Schwanen au nom de l'Institut C.D. Howe.

Je m'excuse d'être arrivé en retard. J'étais coincé avec un interurbain.

M. Stein a été excellent. Il a réussi à se limiter exactement à 10 minutes. Comme vous êtes huit, si vous pouviez tous vous limiter à 10 minutes, cela nous laisserait beaucoup plus de temps pour les questions. Je vous en remercie d'avance.

M. Daniel Schwanen (analyste principal des politiques, Institut C.D. Howe): Certainement. Merci.

Je crois que nous avons tous conscience de discuter d'une question d'importance stratégique pour le Canada, tant du point de vue de nos politiques commerciales que de nos politiques culturelles. L'ordre du jour suggérait que les participants axent leurs commentaires sur le rapport du GCSCE et, comme j'estime que c'est un rapport très clair et très visionnaire, c'est avec grand plaisir que j'axerai mes commentaires sur leurs recommandations. Je serai assez bref.

Je conviens que parmi les quatre options énoncées par le rapport pour le Canada—négocier une exemption culturelle générale, opter pour la réserve sectorielle ou négocier secteur par secteur des mesures avec nos partenaires commerciaux—la meilleure est celle identifiée par M. Stein. Au lieu de l'exemption, considérée comme un instrument négatif par beaucoup de nos partenaires commerciaux et, je crois, peu susceptible de nous gagner un soutien international, nous ferions mieux d'opter pour une approche positive et décider de négocier un instrument pour la diversité culturelle.

Comme le rapport du GCSCE le suggère, cet instrument commencerait par reconnaître l'importance de la diversité culturelle et tenterait de définir les règles s'appliquant aux mesures que les pays pourraient ou non appliquer pour promouvoir la diversité culturelle et linguistique.

Le rapport donne de nombreux exemples de ce que ces mesures pourraient être—de ce qui pourrait être autorisé par un tel instrument qui, c'est à supposer, ou plus du moins c'est mon avis, serait une partie d'un accord commercial plus général. Mais le rapport est muet sur les moyens que nos partenaires commerciaux seraient prêts à accepter pour soutenir nos industries culturelles. Je crois qu'il importe énormément de comprendre qu'on nous demandera de justifier, d'une manière beaucoup plus claire et plus objective, ce que nous faisons sur le front culturel si jamais nous acceptons un tel instrument.

Néanmoins, les avantages pour le Canada sont très clairs, si clairs que j'entérine de tout coeur cette approche.

Quels sont ces avantages? Nous aurions un instrument qui, dans le cadre général des échanges commerciaux, reconnaîtrait le rôle particulier joué dans une société par les produits et services culturels, qui est différent du rôle d'autres genres de biens et de services mercantilisés. Il reconnaîtrait aussi officiellement, dans le cadre de règles commerciales, la légitimité de mesures favorisant la production et la distribution de produits culturels dans le marché intérieur.

Un tel instrument mettrait également l'accent sur les objectifs de politique culturelle jugés acceptables par tous les partenaires commerciaux et sur le type d'instrument et de politique considérés acceptables pour atteindre ces objectifs.

Il pourrait par conséquent rester un instrument utile en dépit de l'évolution des industries culturelles. Si nous avions un instrument pour l'édition et un autre pour les films, etc., ce serait ignorer, bien entendu, la convergence des médias, etc., pour lesquels il faudrait alors négocier un nouvel instrument.

Par conséquent, l'approche culturelle générale dans le cadre de laquelle les pays pourraient se mettre d'accord sur les objectifs de politique culturelle et sur les types d'instruments qui pourraient être utilisés pour toute une gamme de secteurs, y compris les nouveaux secteurs, serait utile. Et bien entendu un tel instrument, c'est à espérer, permettrait d'enterrer à terme le petit jeu du «je me suis servi de mon exemption, c'est maintenant à votre tour» qui selon moi nuit beaucoup à la culture et aussi aux autres industries canadiennes. En d'autres termes, un tel instrument instaurerait plus de certitude pour tous.

• 0925

Il pourrait également y avoir des avantages pour nos partenaires commerciaux. Il y a des pays dans le monde qui essaient de bloquer les signaux émis par les satellites pour des raisons politiques et je crois qu'on pourrait facilement vendre cet instrument pour promouvoir la diversité culturelle de nos partenaires commerciaux puisque cela pourrait faciliter la pénétration de ces signaux dans des pays qui actuellement ont des politiques restrictives. De toute évidence, ce serait avantageux, par exemple, pour les États-Unis.

Mais comme je le disais tout à l'heure, il faut bien comprendre que négocier un tel instrument avec nos partenaires commerciaux ne donne pas carte blanche aux Canadiens pour leurs politiques culturelles. Nos partenaires commerciaux nous demanderaient, ce qui serait tout à fait justifié dans un tel contexte, d'expliquer nos politiques vis-à-vis des objectifs culturels convenus des instruments. En d'autres termes, lorsque nous disons que nous sommes ouverts au commerce, comme le rapport du GCSCE ne cesse de nous le rappeler—et que les échanges commerciaux sont très importants pour le Canada, pas simplement pour l'économie mais pour l'ensemble de la société—on nous demandera de joindre l'acte à la parole. C'est-à-dire qu'on nous demandera de mener nos politiques culturelles non seulement de manière à respecter les objectifs convenus dans l'instrument mais aussi d'une manière qui soit aussi peu restrictive que possible pour les échanges commerciaux. Il faudra nous y attendre si nous négocions un instrument de ce genre.

Donc pour ceux qui veulent carte blanche pour la politique culturelle canadienne, ce n'est certainement pas cet instrument qui le leur donnera. Par exemple, on pourra nous demander—et cet instrument l'envisagera peut-être—combien de pays fixent des quotas. Quels sont les objectifs par rapport au marché, par rapport au goût qui évolue sur le marché, des quotas pour la télévision et la radio, etc.? Je ne serais pas étonné que lors de la négociation d'un tel instrument, nos partenaires commerciaux disent: «Nous convenons que la diffusion de la culture nationale est un objectif important, mais allez-vous fixer vos quotas pour la radio et la télévision à trois ou quatre fois ce que représente la véritable part de marché pour ces produits quand les Canadiens ont le choix?»

On va donc nous demander de justifier nos quotas. On va nous demander de justifier notre définition du contenu local. On va nous demander dans le contexte de la négociation d'un tel instrument comment nos restrictions sur les investissements étrangers facilitent vraiment l'atteinte de ces objectifs. Cela ne veut pas dire que nos partenaires commerciaux ne reconnaîtront pas ces objectifs; ils nous demanderont peut-être simplement un peu plus de précisions, si vous voulez, sur la façon dont ce vaste éventail de politiques culturelles favorise l'atteinte de ces objectifs par opposition à la simple protection d'intérêts commerciaux.

Mon message principal, aujourd'hui, est simple: je suis pour la proposition de négociation d'un instrument régissant la culture dans le cadre d'un accord commercial car il garantirait des certitudes à long terme pour les industries culturelles et d'autres industries, mais il ne faudrait pas espérer que cette approche avalisera toute notre panoplie de politiques culturelles canadiennes.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Schwanen. J'espère que vous pourrez définir ce qu'on doit entendre par une mesure destinée à uniquement protéger la culture sans protéger d'intérêts commerciaux. Il me semble que là est toute la question. Quoi qu'il en soit, je compte aussi sur les autres pour nous proposer quelque chose.

Madame Williams, s'il vous plaît.

Mme Megan Williams (directrice nationale, Conférence canadienne des Arts): Je vous remercie d'avoir invité la CCA à votre réunion. Je suis accompagnée de Sandy Crawley, membre du conseil, qui vous adressera la parole après moi.

• 0930

Permettez-moi de vous expliquer brièvement que la CCA est le plus ancien et le plus important organisme du pays se consacrant à la défense de l'industrie des arts et de la culture. Nous sommes un organisme à but non lucratif, politiquement indépendant, qui représente les intérêts du secteur culturel par l'intermédiaire de ses membres—artistes, travailleurs du secteur de la culture, organismes artistiques, syndicats, organisations de producteurs dans toutes les industries culturelles—ainsi que des citoyens concernés. Le Conseil des gouverneurs, dont les membres sont élus, traite d'un large éventail de questions de principe qui ont des répercussions directes ou indirectes sur la vitalité des industries artistiques et culturelles au Canada.

La CCA s'intéresse à ce sujet parce qu'elle a observé une série de faits causés par la prolifération d'accords internationaux en matière de commerce et d'investissement dont le Canada est signataire. Notre organisme a consacré beaucoup d'énergie à mieux approfondir le contexte du commerce international.

L'an dernier, la CCA a mis sur pied un groupe de travail sur la politique culturelle au XXIe siècle pour s'assurer que les succès des 50 dernières années en matière de développement artistique et culturel se poursuivent au cours du prochain siècle et par la suite. À plusieurs reprises au cours des délibérations du groupe, les participants ont tenté de concilier les aspirations culturelles légitimes des Canadiens avec les contraintes qu'imposent les accords commerciaux internationaux dont le Canada est signataire. L'étude du GATT, par exemple, nous incite à conclure que les dispositions actuelles portant sur la culture sont soit contestées par certains membres de l'OMC, soit définies de façon si limitative qu'elles ne facilitent pas le travail de tout groupe chargé de régler des différends liés à des politiques, des institutions ou des pratiques culturelles.

Le différend soulevé par le projet de loi C-55 nous porte à croire que les exemptions en matière de culture contenues dans l'ALE et l'ALÉNA sont peu efficaces. L'OMC peut être appelée à régler un différend d'ordre culturel, mais, comme nous l'avons déjà fait remarquer, sa décision sera peu fondée sur des considérations culturelles. En fait, si on analyse la décision rendue par l'organisme d'appel au sujet de la politique canadienne dans l'industrie des périodiques, on constate qu'elle est fondée sur des précédents établis pour des biens classiques, comme les oléagineux et les boissons alcoolisées, plutôt que sur des précédents d'ordre culturel.

La négociation avortée de l'Accord multilatéral sur l'investissement, AMI, a été une autre source de préoccupations importantes dans le secteur culturel. Les disciplines prévues dans cet accord ont, pour la première fois, porté officiellement sur le secteur à but lucratif et aussi sur le secteur à but non lucratif, et elles auraient défini la propriété intellectuelle de manière à ce que les investissements et les investisseurs qui s'y rattachent relèvent de l'AMI. Ces dispositions se seraient traduites par une refonte inévitable de la plupart de nos politiques et institutions culturelles. Heureusement, l'arrêt des négociations a mis pour un temps un frein à cette éventualité.

La Conférence canadienne des arts ne s'oppose pas au commerce international ni à la création d'un système commercial mondial sans barrière tarifaire. La CCA reconnaît que le Canada a beaucoup profité de l'expansion des échanges. Cependant, nous devons garder à l'esprit qu'il est important de ne pas compromettre l'intégrité des éléments essentiels de la société canadienne, de ses valeurs et de sa culture. En ce qui concerne le cycle du millénaire et la poursuite des négociations pour l'établissement d'une zone de libre-échange des Amériques, il est relativement urgent que des mesures efficaces et globales soient prises pour confirmer nos droits nationaux dans ces domaines et que ces droits soient protégés dans les futurs accords internationaux sur le commerce et l'investissement. Les conclusions du groupe de travail sur la politique culturelle au XXIe siècle sont essentiellement basées sur cette orientation. Il en est de même du récent rapport du GCSCE dont viennent de vous parler les deux témoins précédents.

De plus, le Canada n'est pas le seul pays à s'intéresser vivement à la question de la souveraineté culturelle. D'autres pays—dont certains membres importants de l'Organisation mondiale du commerce—partagent nos préoccupations face à l'intégrité de leur identité et de leur expression culturelle tout en souhaitant tirer parti des possibilités offertes en matière d'échanges et d'investissements sur un marché élargi.

La CCA et ses membres souscrivent aux efforts déployés par la ministre du Patrimoine canadien en vue de parvenir à un consensus sur la meilleure façon d'atteindre cet objectif. L'intérêt que témoigne de plus en plus le ministre du Commerce international, l'honorable Sergio Marchi, pour la culture et les autres domaines qui ont une importance capitale pour l'autonomie canadienne et son système des valeurs contribue également à nous encourager dans cette voie. La CCA, pour soutenir encore plus les intérêts culturels canadiens sur la scène internationale, participe en étroite collaboration avec le ministère du Patrimoine canadien à une série de réunions internationales de ministres de la culture et à un exercice parallèle mené par les ONG culturelles. Le Canada a accueilli la première réunion de cette série en juin 1998 et la CAA et le ministère collaborent actuellement avec leurs homologues mexicains, suédois et grecs à la préparation d'une série de discussions prévue pour septembre 1999 à Oaxaca.

Nous vous avons apporté un document intitulé At Home In the World. C'est le rapport de la réunion de juin dont je vous ai parlé et j'en ai ici des exemplaires.

• 0935

Votre comité est au courant des problèmes que les accords commerciaux internationaux et leurs implications posent à la culture. Le simple exposé de nos inquiétudes a peu de chance de faciliter les négociations du Canada dans le cadre du cycle du millénaire. Par conséquent, nous soumettons à l'étude de votre comité un certain nombre de recommandations pour guider les prochaines négociations de l'équipe canadienne.

Premièrement, la position du Canada durant le cycle du millénaire ou lors de la négociation de la ZLEA ne doit pas reposer sur les instruments traditionnels envisagés pour soustraire la culture et d'autres secteurs clé aux disciplines des accords commerciaux internationaux. À l'usage, on s'est rendu compte que les réserves par pays et les modèles d'exemptions culturelles n'offraient pas des garanties efficaces d'autonomie et d'indépendance sur le plan culturel. Les défauts apparents de ces instruments sont trop grands pour justifier qu'on continue de s'en servir pour épargner à la culture et à d'autres secteurs clé l'application intégrale des accords internationaux en matière de commerce et d'investissement.

Deuxièmement, avant le début du cycle du millénaire, le Canada ne doit ménager aucun effort dans l'élaboration de mesures qui auront pour effet de garantir l'autonomie nationale dans le secteur de la culture. Il est évident que le Canada ne pourra pas résoudre seul le problème que posent la culture et les accords commerciaux. Il est aussi évident que le Canada n'est pas le seul à éprouver des réserves quant au sort que l'on fait à certains secteurs comme la culture dans les accords commerciaux internationaux. Pour être efficace, le nouvel instrument doit figurer dans le GATT et le GATS si l'on veut que l'OMC soit en mesure d'y recourir pour résoudre les différends concernant la culture.

Pendant qu'il reste encore du temps avant le début du cycle du millénaire, le Canada devrait convoquer une conférence internationale en vue spécifiquement de rédiger un addenda à tous les accords commerciaux en matière de commerce et d'investissement pour instituer les garanties nécessaires au développement et à la promotion de mesures qui renforceront les éléments clé de la culture et des valeurs nationales et de l'expression nationale. Cette conférence doit être ouverte à tous les membres de l'OMC, y compris les États-Unis. Chaque délégation nationale pourrait compter des experts du secteur culturel.

Troisièmement, il importe de contester ouvertement les affirmations de certains de nos partenaires commerciaux, en particulier des États-Unis, voulant que nos actions et politiques culturelles soient en fait une façon déguisée d'instituer un protectionnisme commercial. Le Groupe de travail sur la politique culturelle du XXIe siècle a recommandé que le Comité permanent du patrimoine canadien entreprenne un long processus qui fera beaucoup pour prouver la bonne foi et l'honnêteté du Canada en ce qui concerne les disciplines des accords internationaux en matière de commerce et d'investissement, faute de quoi les contestations continueront, politique par politique et cas par cas.

Quatrièmement, dans le passé, à cause du caractère délicat des questions de culture dans les négociations internationales en matière de commerce et d'investissement, on a repoussé le plus possible les discussions à ce sujet. Or, quand on arrivait enfin à la question de la culture, les grandes lignes de l'accord étaient établies et les négociateurs cherchaient souvent une solution rapide et expéditive à appliquer à la culture. La CCA ne doute pas de la bonne volonté de nos négociateurs commerciaux, mais nous estimons que le Canada et les autres pays qui pensent comme nous doivent aborder le cycle du millénaire en ayant déjà préparé un énoncé clair de leurs préoccupations au sujet des lacunes du GATT et du GATS en matière de culture. Pour que l'on réussisse à la conférence internationale à élaborer un instrument efficace permettant de résoudre ce problème, cet instrument doit être mis sur la table d'entrée de jeu.

Cinquièmement, la CCA a eu facilement et continuellement accès aux négociateurs canadiens durant la négociation de l'Accord multilatéral sur l'investissement. La générosité des négociateurs a permis aux artistes et aux travailleurs des industries culturelles de participer de manière constructive aux travaux de l'AMI. Nous encourageons fortement le ministre du Commerce international à s'engager publiquement à favoriser une aussi grande ouverture durant le cycle du millénaire de l'OMC et durant la négociation de la ZLEA ainsi que dans d'autres négociations visant l'établissement d'un régime commercial mondial libre d'entraves.

La CCA entend continuer de chercher des mesures constructives et efficaces garantissant le droit du Canada d'administrer ses affaires internes sans craindre des mesures de rétorsion ou l'ingérence de tiers. Nous réaffirmons par ailleurs notre appui à la participation du Canada au système mondial d'échanges commerciaux. Nous espérons que nos recommandations aideront le comité et le gouvernement du Canada à se préparer à trouver une solution satisfaisante au problème que posent les enjeux du commerce et de la culture dans le contexte des accords internationaux en matière de commerce et d'investissement.

Merci. Je laisserai maintenant la parole à mon collègue.

Le président: Merci, madame Williams.

Pardon, madame Williams, avant que vous ne nous présentiez votre collègue, pourriez-vous me donner un renseignement. Vous avez mentionné quatre pays. Vous n'en donnez pas la liste dans votre mémoire. De quels pays s'agit-il?

Mme Megan Williams: Les quatre pays sont...

Le président: Avec qui allez-vous à Oaxaca? Vous avez mentionné le Mexique, la Grèce et qui d'autres?

Mme Megan Williams: La Suède.

Le président: D'accord, avec la Suède et le Canada, cela fait quatre pays.

Mme Megan Williams: Oui, c'est ce groupe principal qui prépare les négociations de Mexico.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Crawley, vous avez la parole.

• 0940

M. Alexander (Sandy) Crawley (membre du Conseil des gouverneurs, Conférence canadienne des arts): Je n'ai pas préparé d'exposé mais j'aimerais dire quelques mots sur le rapport définitif du Groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur que j'ai relu ce matin. J'ai été personnellement nommé à ce groupe pour deux mandats, et tout ce que je désire signaler c'est qu'il y a une question qui pourrait intéresser fortement le comité mais qui n'est pas abordée directement dans le rapport. Il s'agit d'une façon d'aborder la question des ressources humaines qui distingue le Canada des autres pays, une approche qui est efficace...

Monsieur Graham, vous avez demandé quelles mesures culturelles ne sont pas fondées sur les échanges commerciaux ou pourraient être interprétées comme ne comportant pas un volet commercial. L'exemple le plus récent que je pourrais vous donner est l'octroi d'une licence au Réseau de télévision des peuples autochtones—je sais que le secteur de la câblodistribution accueille à bras ouverts ce nouvel exemple d'un contenu canadien, et en fait on a raison. Je ne sais pas si on pourrait dire qu'il existe un intérêt commercial simplement parce qu'on demande à chaque foyer canadien de payer 15c et de donner cet argent à une ressource humaine qui n'avait pas accès à ces ressources financières auparavant. Je suppose qu'à long terme, on pourrait dire qu'il y a en fait un intérêt commercial. Si des dizaines de millions de dollars sont donnés à un nouveau réseau, dont les émissions peuvent être visionnées dans tous les foyers canadiens, il y aura des ressources humaines, de la créativité, des expressions de propriété intellectuelle qui n'existaient pas sous cette forme pour ces gens.

C'est un exemple parfait, à mon avis, d'une politique culturelle qui à long terme—et j'ai peur que lorsque nous discutons du cycle de négociations du millénaire, nous pensons tous à long terme—aura un impact économique positif sur la création d'une expertise et d'une propriété intellectuelle qui n'existaient pas auparavant, et qui du point de vue culturel n'avaient pas été représentées auparavant. Pour ce qui est de la diversité culturelle, c'est là un parfait exemple à mon avis du genre de choses...

Il y a une autre mesure... J'ai parfois l'air de me plaindre, mais peu importe au nom de qui je parle, je me souviens que nous avons un nouveau modèle au Québec, le statut de l'artiste. Nous avons le même modèle au palier fédéral. C'est un modèle fort fragile qui ne reçoit pas l'appui des provinces. Nous avons d'ailleurs toujours été déçus du fait que les provinces ne nous aient pas emboîté le pas. Ce sont justement les politiques de cette nature qui distinguent le Canada des autres pays et qui créent au Canada une compétence qui à mon avis n'est pas contestable ou tout au moins ne devrait pas l'être, s'il y avait un nouvel instrument utile. Nous parlons ici de la créativité personnelle de la population, ce qui m'amène à mon dernier commentaire.

Lorsque M. Eggleton était le ministre, j'avais participé à une table ronde. Je n'ai pas eu l'occasion de m'adresser directement à M. Eggleton. Lorsque le Groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur a été constitué et jusqu'à peu près à mi-chemin du mandat de M. Eggleton comme ministre, il comptait toujours des représentants d'organisations d'artistes, d'organisations qui représentent les créateurs. Lorsque que je faisais partie du groupe, il comptait des représentants de la Société des auteurs et compositeurs, SOCAN et ACTRA. Il y a bien des groupes où l'on pourrait choisir des représentants: la Guilde canadienne des réalisateurs, la Writers' Guild et la Writers' Union. Il y a beaucoup d'organismes efficaces et bien établis qui représentent les créateurs. Ils devraient compter des représentants au sein du Groupe de consultations sectorielles, à mon avis. Ils devraient également participer à toutes les consultations sur un nouvel instrument ou une nouvelle institution.

Je suis très heureux que la Conférence canadienne des arts est venue représenter ces intérêts aujourd'hui, mais il existe des sources plus directes et mieux renseignées qui devraient être consultées par le Groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur lorsqu'il se réunit. Je ne cherche pas à critiquer ceux qui travaillent au sein de groupes de consultation; il s'agit de gens extraordinaires qui défendent vraiment la culture canadienne. M. Stein a mentionné Peter Grant. Je crois que M. Grant pourrait probablement être protégé comme trésor national aux termes du GATT.

Cependant, je voulais encore une fois mentionner la question de la représentation dans l'espoir que quelqu'un qui puisse vraiment intervenir prenne les mesures qui s'imposent pour assurer une meilleure représentation.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Crawley. J'aimerais signaler à mes collègues que Peter Grant est un avocat. Puisque la plupart de mes collègues critiquent sans cesse les avocats, c'est gentil d'entendre dire qu'un d'entre eux devrait être perçu comme un trésor national. Je vois que M. Bernier s'en réjouit énormément.

• 0945

Monsieur Crawley, je crois que votre exemple du réseau de télévision autochtone est excellent. Peut-être ne me suis-je pas exprimé d'une façon aussi subtile que je l'aurais voulu.

Un étudiant de deuxième cycle a travaillé pour moi et a passé un an à essayer de définir la différence entre une mesure culturelle valable, qui a un impact secondaire sur les intérêts commerciaux, et un intérêt commercial qui est présenté sous la guise d'une mesure culturelle. Je crois que vous venez de me donner un parfait exemple. Cependant, vous devez comprendre qu'il s'agit de la question qui fascine actuellement les avocats et experts de droit commercial et je regrette qu'on finisse par se servir d'analogies comme les oléagineux et d'autres choses. Il s'agit justement là du type de discussions auquel nous consacrons beaucoup de temps.

M. Sandy Crawley: Je le répète, si tous les organismes appropriés représentant les intérêts des créateurs et des artistes sont représentés, il y aura moins de danger qu'on vous accuse de passe-droits.

Le président: Nous y arriverons un de ces jours. En fait, nous allons visiter les régions du pays pour étudier la question et j'espère que tous les organismes auront l'occasion d'intervenir. Merci beaucoup.

Nous passons maintenant à M. Browne du Centre de droit et politique commerciale.

M. Dennis Browne (directeur, Centre de droit et politique commerciale): Merci, monsieur le président, de m'avoir offert cette occasion de m'adresser à votre comité.

J'aimerais signaler pour la gouverne des députés que le Centre de droit et politique commerciale est parrainé par la Norman Paterson School of International Affairs de l'Université Carleton et par la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa.

Le lien entre la culture et le commerce soulève des questions de plus en plus importantes pour le Canada, et je suis très heureux que votre comité ait décidé d'examiner ces questions de près.

Dans mes commentaires liminaires, j'aimerais aborder quatre grandes questions entourant ce que j'appelle le dilemme commerce-culture. Tout d'abord, pourquoi cela devrait-il nous intéresser? De plus, comment la culture diffère-t-elle des autres secteurs en ce qui a trait au commerce international? Dans les méthodes et systèmes utilisés, qu'est-ce qui cloche et pourquoi? Et enfin, comment se donner un meilleur système ou un meilleur régime.

Avant de passer à ces questions, j'aimerais signaler que j'ai remis plusieurs exemplaires de deux documents au greffier du comité. Le premier est l'introduction de cet ouvrage que le centre a publié en 1997 et qui s'intitule The Culture/Trade Quandary: Canada's Policy Options. Au risque de gêner mon collègue M. Bernier, je dois signaler qu'à mon avis le chapitre qu'il a rédigé dans cet ouvrage est probablement la meilleure explication du droit commercial en ce qui a trait aux questions culturelles. Il n'y a jamais eu un meilleur article publié sur la question. Ça ne vous gêne pas que je dise cela, n'est-ce pas?

Le deuxième article est un article que j'ai publié dans le numéro de janvier de Policy Options qui explique en détail pourquoi je juge que le projet de loi C-55 est un exemple parfait de la mauvaise façon de traiter des questions touchant le commerce et la culture.

Passons maintenant aux quatre questions. Tout d'abord, pourquoi devrions-nous nous intéresser à tout cela. Ceux qui parlent d'ouverture culturelle se plaisent toujours à dire est que les Canadiens doivent pouvoir s'exprimer par des moyens qui leur sont propres. Ce avec quoi je suis parfaitement d'accord d'ailleurs.

Nous savons tous que pour assurer la réussite d'une société démocratique, il faut absolument avoir un sens de valeurs communes. Nous ne sommes pas nécessairement d'accord sur tous les détails, mais si nous ne partagions pas les mêmes valeurs fondamentales, nous ne prendrions pas le risque de confier l'administration du pays à un autre groupe politique après quelques années. La seule façon de maintenir ce sens de valeurs partagées est d'avoir souvent l'occasion de discuter et de s'exprimer sur des choses qui reflètent la culture canadienne, peu importe ce qu'on entend par ce terme.

J'ai près de 60 ans et j'ai pu constater que la population canadienne est devenue de plus en plus mobile, que les liens familiaux ne sont plus aussi étroits, que les structures communautaires comme les églises de paroisse et les terrains de jeux de quartier représentent un élément beaucoup moins important du développement de nos enfants, et que l'importance de l'expression culturelle commerciale s'est accrue de façon presque exponentielle. Ainsi l'expression culturelle a tendance à être de plus en plus incorporée dans nos produits culturels, dont la plupart font l'objet de transactions commerciales. Je parle ici de choses comme les livres, les revues, les journaux, les films, les émissions de télévision, les enregistrements musicaux, les arts de la scène et les choses de cette nature. Ces produits circulent ou sont distribués dans notre société, et à titre de particuliers nous devons choisir parmi tout ce qui est disponible.

Si nous voulons donc faire la promotion des échanges de valeurs culturelles canadiennes, nous devons nous pencher sur les questions touchant les services et produits commerciaux qui acheminent nos messages culturels. Ces produits et services commerciaux font de plus en plus l'objet d'échanges internationaux et le lien commerce-culture devient de plus en plus important. Pour le Canada, ce lien revêt une importance primordiale compte tenu de la proximité, géographique et culturelle, de notre voisin gigantesque. C'est pourquoi la question est si importante.

• 0950

Passons à la deuxième question, soit dans quelle mesure la culture représente-t-elle un domaine différent du point de vue commercial. L'économique de la culture diffère de celle de la grande majorité des autres produits et services. Dans l'ensemble, le coût d'un produit culturel est associé à la première production, la première copie. Il peut coûter entre deux et 20 millions de dollars pour faire la première copie d'un long métrage, mais la cinquième, la 50e et la 500e copie en comparaison ne coûtent pratiquement rien. La même chose s'applique aux émissions de télévision, aux enregistrements musicaux, aux livres, aux revues, ou à tout produit culturel qui est présenté sur support matériel et vendu en plusieurs exemplaires ou distribué d'une façon quelconque.

Évidemment, la situation est bien différente si l'on parle de véhicules automobiles, d'ouvre-bouteilles ou même d'ordinateurs. Nous savons tous que le contenu intellectuel augmente dans bon nombre de produits, et dans certains produits il est beaucoup plus élevé que dans d'autres. Néanmoins, le coût de ces produits continuera à être attribuable en grande partie à la fabrication du produit même.

Cela veut dire que la dynamique du secteur culturel est bien différente de celle du secteur de fabrication de machins. Les règlements utilisés pour assurer la gestion des échanges commerciaux de machins et renforcer les facteurs économiques de la production et fabrication de machins ne seraient pas tout à fait aussi efficaces si on s'en servait pour les produits culturels. Ainsi le commerce des produits culturels est différent de celui des machins à au moins deux égards importants.

Tout d'abord, pour la majorité des produits culturels, le contenu culturel est facilement distingué du produit physique en soit. Il suffit de quelques exemples bien simples pour illustrer ce commentaire. Si vous allez à la vidéothèque de votre quartier, vous pourrez choisir des bandes vidéo préparées par Warner Brothers, des films de Warner Brothers. Vous louerez donc la copie d'un film américain et votre transaction et celles des autres Canadiens feront probablement accumuler des recettes brutes de millions ou de centaines de milliers de dollars. Mais la bande magnétoscopique que vous louez aura été fabriquée, ou tout au moins enregistrée, au Canada. La seule qui a fait l'objet d'un échange commercial international est l'original de la bande magnétoscopique, et cet original peut être utilisé pour produire des transactions commerciales d'une valeur de centaines de milliers de dollars; cependant, sa valeur réelle comme produit physique est très limitée.

De la même façon, si vous allez à un salon du livre international, vous y verrez des éditeurs qui n'y vendent pas de livres; ils vendent plutôt les droits d'édition. Ainsi, si un éditeur indien, par exemple, achète les droits d'édition pour The English Patient, un ouvrage canadien fort populaire qui s'est très bien vendu, tout ce qui sera vendu dans le domaine du commerce international est un signal électronique qui transfère le contenu du livre de la maison d'édition canadienne à la maison d'édition indienne. Évidemment, on s'attend à ce que cette transaction invisible aura pour résultat la vente de milliers de copies en Inde; cependant l'élément commercial tangible est infinitésimal. Cela vaut également pour toute une série d'autres produits culturels, et en raison de la fabrication d'un plus grand nombre de produits numérisés, grâce aux nouvelles technologies, cette caractéristique deviendra de plus en plus monnaie courante.

Inversement—et il y a toujours l'autre côté de la médaille—un producteur d'un produit culturel fixe peut réaliser des économies de production qui lui permettront de vendre le produit culturel physique à l'échelle internationale, même si le contenu culturel est étranger au producteur. Par exemple, il y a une dizaine d'années, je travaillais à l'ambassade canadienne en Suède et nous avons noté qu'un grand nombre de long-jeux vendus chez les disquaires suédois étaient en fait fabriqués au Canada, même si le contenu musical n'était pas canadien. Cette autre dynamique entre également en jeu.

La deuxième grande différence à l'égard du traitement des produits ou services culturels dans le domaine du commerce international est que les produits culturels ne sont pas ce qu'on appelle en droit commercial des «marchandises similaires». Vous savez probablement que le principal objectif des règlements en matière de commerce international est d'empêcher toute discrimination de la part des gouvernements à l'égard du traitement accordé à des produits similaires, soit à la frontière ou sur le marché international. Les façons habituelles de déterminer s'il y a observation des règlements commerciaux sont le traitement national et le traitement de la nation la plus favorisée. Il faut donc assurer la non-discrimination à la frontière et sur le marché national.

Puisque le trait distinctif d'un produit culturel est son contenu culturel, un produit culturel d'un pays, de par définition, n'est pas semblable ou similaire à un produit culturel d'un autre pays. Par conséquent, il est très difficile, sinon impossible, d'appliquer certains règlements commerciaux, particulièrement ceux qui visent à empêcher les pratiques commerciales déloyales, aux produits culturels de la même façon qu'on les applique aux machins. Par conséquent, ces différences qui caractérisent les produits culturels, l'économique qui les entoure et la façon dont ils sont échangés sur le marché international, ainsi que leur importance socio-politique, nous permettent de soutenir que les règlements commerciaux visant les produits culturels devraient être différents de ceux qui sont imposés aux autres produits.

• 0955

Nous en arrivons à la troisième question: Dans les méthodes et systèmes utilisés, qu'est-ce qui cloche et pourquoi? C'est là, monsieur le président, la question que vous nous avez demandé d'étudier. À mon avis, nous aurions tort de continuer à chercher des exemptions plutôt que d'élaborer des règlements pertinents. Je suis heureux que d'autres témoins ce matin aient présenté la même opinion.

Nous avons par le passé cherché à obtenir des exemptions aux règlements dans le cadre d'accords commerciaux. Nous l'avons fait dans l'ALE/ALÉNA, dans des ententes bilatérales avec Israël, le Chili, et dans environ 19 ententes bilatérales sur la protection des investissements que nous avons négociées avec divers pays en voie de développement. Nous avons également demandé une exemption culturelle dans l'AMI. Malheureusement, c'est une approche qui mène à l'absence de règlements, alors qu'il devrait y avoir des règlements clairs et justes. L'expérience nous a appris à tous que les petits et moyens pays comme le Canada sont beaucoup mieux protégés lorsqu'il y a des règlements que lorsqu'il n'y en a pas. Dans des questions comme celles qui nous occupent, il est inévitable qu'il y aura des différends à l'échelle internationale, et qu'ils seront réglés en fonction de règlements plutôt qu'en fonction de la taille ou de la puissance relative des pays touchés. Les exemptions ne devraient être que des pis-aller en attendant la négociation de règlements en matière de produits culturels.

Le fait de reconnaître la spécificité des produits culturels par l'entremise d'exemptions et d'ententes régionales nous met à la merci de l'OMC qui dans l'ensemble ne reconnaît pas la spécificité de la culture, de sorte que nous nous retrouvons à tout le mieux devant une alternative difficile, soit l'absence de règlements ou des règlements inappropriés. L'exemption culturelle de l'ALE/ALÉNA, qui prévoit un droit de rétorsion, est la pire chose possible: elle fait disparaître la protection des règlements et donne l'avantage au joueur le plus puissant, en lui offrant un droit de représailles.

De plus, d'après la démarche actuelle du Canada, notre pays ne semble pas vraiment savoir ce qu'il essaie de protéger ou de favoriser. Il ne semble pas y avoir de définition simple, dans les discussions en matière de politique, de ce qu'on entend vraiment pas culture canadienne. Les exemptions culturelles dans les accords commerciaux ont défini les industries culturelles comme étant des personnes qui participent à la réalisation, la production, la distribution ou la vente de produits culturels comme des livres, des revues, des journaux, des films, des bandes magnétoscopiques et j'en passe. Il va de soi que les choses qui sont produites ou réalisées par l'industrie culturelle sont les produits culturels dont nous traitons ici.

Plusieurs programmes d'aide du gouvernement comportent des dispositions énonçant les facteurs déterminants du caractère canadien de certains produits comme les films, les émissions de télévision, les périodiques, les livres et j'en passe, et l'aide est habituellement accordée aux industries culturelles qui produisent, réalisent ou vendent ces produits culturels. C'est donc une démarche qui tend à être axée sur l'industrie. Très souvent on établit le caractère canadien en fonction de la propriété des divers éléments des industries culturelles.

Le projet de loi C-55, que la Chambre étudie actuellement, est fondé—cette loi a déjà été adoptée? C'est dommage. Espérons que le Sénat l'examinera d'un oeil critique. Je ne veux pas prendre position politique, mais j'ai une opinion bien arrêtée sur ce projet de loi parce qu'il suppose qu'un éditeur qui appartient à 75 p. 100 à des intérêts canadiens réalisera des revues qui ont un contenu canadien mais qu'un éditeur qui n'appartient à des intérêts canadiens qu'à 74 p. 100 ne le fera pas. C'est une supposition un peu étrange à mon avis. Ainsi l'éditeur qui appartient à 74 p. 100 à des intérêts canadiens n'aura pas accès aux revenus découlant de la publicité au Canada peu importe le contenu du magazine ou l'équité de ses politiques en matière de prix de la publicité.

Comme quelqu'un l'a déjà dit ce matin, le Canada cherche à obtenir un consensus international sur l'importance de la préservation de la diversité culturelle en faisant valoir les besoins de chaque citoyen de chaque pays qui veut s'exprimer par des moyens qui lui sont propres. L'argument qu'on présente contre cette approche est qu'elle ne représente en réalité qu'une ruse visant à protéger les intérêts commerciaux nationaux, et les industries culturelles nationales. Tant que le Canada s'en remettra à la méthode malhabile que renferme le projet de loi C-55 qui, à prime abord n'a absolument rien à voir avec le contenu mais tout à voir avec la propriété, nous ferons le jeu de ceux qui s'opposent à nous à l'échelle internationale et nous minerons nos propres efforts visant à assurer la protection et la promotion de la diversité culturelle.

Enfin, y a-t-il de meilleures façons de procéder? La réponse est bien simple, oui. À mon avis, il faut d'abord s'entendre sur ce qu'on entend par culture canadienne. Que voulons-vous favoriser et protéger?

• 1000

À mon avis, notre définition devrait être la plus large possible. Personnellement, au fur et à mesure que l'on discute de plus en plus de la question, j'accepte de mieux en mieux la notion que toute expression de valeur d'une idée ou d'une émotion fait par un Canadien vivant au Canada est une expression de culture canadienne. Au moins, c'est l'expression de la culture d'un Canadien ou d'une Canadienne.

Nul besoin de se limiter aux «récits racontés sur le Canada par des Canadiens pour les Canadiens». Une interprétation canadienne d'événements internationaux est une application des valeurs canadiennes tout comme ce serait le cas d'une interprétation des événements qui se déroulent au Canada. Le facteur de résidence est important. Je doute fort qu'un écrivain, un cinéaste ou un compositeur canadien qui vit à New York ou à Paris ou à Los Angeles depuis 20 ou 30 ans produit toujours ce que nous appellerions un produit culturel canadien. Les gens refléteront peut-être toujours leurs racines et leur travail reflétera peut-être toujours leurs racines mais, à mon avis, une culture expatriée est presque certainement une culture altérée. C'est la première chose à faire—trouver une définition.

La deuxième étape est de décider que les politiques appuyant la culture canadienne devraient chercher principalement, et devraient être perçues comme telles, à faire la promotion de la création d'une expression culturelle. Et je crois que ça revient à ce que vous disiez. L'élément important devrait toujours être le contenu canadien car, selon ma définition, c'est ce que je proposerais moi-même. D'autres critères, comme la propriété canadienne du moyen de production ou de distribution, ne devraient pas vraiment être jugés importants, ou devraient même simplement être écartés de la main. Si l'on est fondé de croire que seule la propriété canadienne permettra d'assurer la production de contenu canadien, l'appui accordé ne sera à ce moment-là offert qu'aux propriétaires canadiens. Si l'on n'est pas fondé de croire cela, on ne devrait pas s'en servir dans le cadre d'un volet si important de la politique canadienne.

Troisièmement, une fois que nous avons écarté les méthodes qui pourraient nous nuire, nous devons, le Canada doit, accorder la priorité au maintien et à la multiplication des efforts visant à obtenir un consensus international sur le besoin de faire la promotion de la diversité culturelle dans le cadre d'ententes internationales sur l'investissement et le commerce qui reconnaissent et qui incluent clairement la spécificité de la culture. Dans ce contexte, j'appuie sans réserve les recommandations du groupe de consultations sectorielles. Je crois qu'il a misé juste et que ses perspectives sont axées sur l'avenir.

Quatrièmement, les représentants canadiens, en consultation avec toutes les parties prenantes, devraient commencer à élaborer des concepts pour des règles acceptées à l'échelle internationale qui permettront de favoriser la diversité culturelle. Je suppose qu'ils le font déjà, et il est déjà possible d'avoir de tels règlements une fois qu'on aura convenu de la spécificité de la culture. Les subventions gouvernementales, par exemple, sont autorisées aux termes des règles commerciales internationales dans diverses circonstances. On pourrait définir et inclure les subventions culturelles dans l'accord de l'Organisation mondiale du commerce sur les subventions et les mesures compensatoires.

Les taxes d'accise ou les droits d'utilisateur peuvent être employés de façon non discriminatoire pour assurer un mécanisme de financement dans le cadre duquel l'utilisateur paie pour les créateurs culturels. Cette approche est déjà intégrée dans le Fonds canadien pour la télévision et pourrait être également appliquée à d'autres secteurs culturels.

L'article IV du GATT prévoit des contingents à l'écran, pour les films d'origine nationale, dans les salles de cinéma. Cet article n'a jamais vraiment été mis en oeuvre de façon pratique, mais le concept se reflète également dans les exigences en matière de contenu canadien pour le secteur de la radio et de la télévision. Malheureusement, cependant, il n'y a pas encore de règles claires et d'approbation unanime au sein des organisations commerciales. Néanmoins, le concept d'un contingent réservé aux produits culturels à contenu national existe et doit être vraiment mieux défini et enchâssé dans un nouveau mécanisme.

Compte tenu des circonstances économiques spéciales des industries culturelles dont j'ai parlé plus tôt, il faut élaborer et adopter à l'échelle internationale des règles sur la concurrence en ce qui a trait au secteur culturel. La simple puissance sur le marché des cinéastes américains, par exemple, écarte les films d'origine nationale peu importe leur qualité ou la mesure dans laquelle ils sauraient plaire aux cinéphiles. Les règles actuelles sur la concurrence et celles qui portent sur les recours commerciaux ne pourront certainement pas stimuler la concurrence dans les secteurs culturels.

J'aimerais enfin signaler que le Canada a toute une série complexe de règlements et de programmes visant à favoriser et protéger la culture canadienne et les industries culturelles canadiennes. Cette situation entraîne inévitablement une certaine ingérence sur le marché parce que c'est là qu'on retrouve l'expression culturelle commerciale. Certaines politiques canadiennes sont peut-être malavisées; certaines doivent certainement être abandonnées ou peaufinées compte tenu des changements technologiques rapides et de la mondialisation qui se produisent. Vu le pourcentage très élevé de produits culturels étrangers que l'on retrouve dans tous les secteurs du marché culturel canadien, nos politiques ne pourraient certainement pas être interprétées comme étant restrictives.

Les politiques canadiennes offrent un vaste choix aux Canadiens. Leur principal objectif est de maintenir des niveaux élevés de choix tout en assurant que le choix inclut des produits culturels canadiens. Dans l'ensemble, ces politiques ont réussi, mais elles seront assujetties à des pressions toujours plus grandes en raison des changements technologiques et de l'orientation vers une plus grande libéralisation des marchés internationaux. Il faut donc absolument, compte tenu de ces changements, adopter une approche tournée vers l'avenir et chercher sincèrement à obtenir des disciplines internationales claires sur les marchés culturels qui permettront de favoriser la diversité culturelle.

Merci.

• 1005

Le président: Merci beaucoup, monsieur Browne.

[Français]

Professeur Bernier, s'il vous plaît.

M. Ivan Bernier (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président. Avant de traiter des objectifs du Canada dans le secteur de la culture lors des prochaines négociations de l'OMC, je voudrais d'abord souligner que la culture d'un État, entendue dans un sens sociologique et anthropologique comme englobant la langue, l'histoire, les institutions sociales et politiques, les us et coutumes, etc., peut difficilement ne pas être affectée par la libéralisation des échanges dans la mesure où celle-ci tend à limiter l'intervention de l'État dans l'économie et à imposer un même moule commercial aux multiples attentes des citoyens dans les divers domaines de l'activité humaine.

C'est donc dire que les prochaines négociations de l'OMC, tout comme les négociations du Cycle de l'Uruguay et les autres négociations précédentes, auront, qu'on le veuille ou non, un impact sur la culture canadienne. Je ne veux pas affirmer par là que le Canada devrait s'abstenir de participer à ces négociations dans le but de préserver intégralement sa culture; ce serait une proposition absurde qui ne tiendrait pas compte du fait qu'une culture vivante a un caractère essentiellement dynamique et s'adapte en permanence à des changements aussi bien internes qu'externes. Mais si ces changements sont imposés par le haut, sans qu'il y ait discussion de ceux-ci, il y a alors risque d'acculturation et de rejet.

C'est pourquoi je considère que le Canada devrait défendre avec vigueur au sein de l'OMC, comme il le fait dans le cadre de la ZLEA, la Zone de libre-échange des Amériques, où il assume présentement la présidence du comité sur la société civile, le principe que ces négociations de l'OMC devraient se dérouler dans la plus grande transparence, avec la participation dynamique de la société civile. L'exemple de l'AMI nous montre très bien ce qui peut arriver lorsqu'on s'éloigne un peu trop de la société civile.

Ce qui nous rassemble ici ce matin et nous préoccupe plus spécialement, c'est la question du traitement accordé aux biens et services culturels dans les accords commerciaux internationaux, et plus particulièrement dans le cadre de l'OMC. Le Canada a toujours affirmé jusqu'à maintenant le principe qu'un État devait demeurer libre d'intervenir en faveur de ses industries culturelles et a vigoureusement défendu son point de vue dans ses négociations commerciales internationales depuis une quinzaine d'années, d'abord dans l'ALE, puis dans l'ALÉNA, lors des négociations de l'Uruguay Round, dans ses accords bilatéraux de libre-échange avec le Chili et Israël, dans tous ses accords bilatéraux sur l'investissement conclus depuis 1993 et, enfin, dans les négociations de l'OCDE sur l'investissement.

Si ses efforts ont rencontré un certain succès sur le plan régional et bilatéral, il n'en va pas de même au plan multilatéral, où il s'est buté à l'opposition absolue des États-Unis. Alors, il n'y a pas de raison de croire qu'il en ira différemment lors des prochaines négociations de l'OMC. Bien au contraire, le comportement récent des États-Unis dans l'affaire des périodiques donne à croire qu'ils ont l'intention de mettre fin à ce qu'ils perçoivent maintenant comme un mouvement en faveur de la reconnaissance d'un traitement particulier des produits culturels dans les accords commerciaux internationaux.

Dans une récente étude de l'International Trade Commission aux États-Unis, on plaçait le Canada dans la position d'être le leader d'un groupe d'États désireux de restreindre les exportations américaines de produits culturels. Évidemment, je pense que c'est un portrait un peu exagéré, mais ceci démontre quand même assez bien la perception qui prévaut à l'heure actuelle aux États-Unis. Tous ceux qui suivent le moindrement de près ce qui se passe du côté du représentant américain au commerce savent très bien que le discours actuel est plutôt musclé à l'égard du Canada et des autres pays qui veulent suivre l'exemple canadien. Il faut s'attendre à ce genre de chose. Ceci va nécessairement affecter l'évolution des discussions sur la culture dans le cadre de l'OMC.

On peut donc s'attendre à ce que les prochaines négociations de l'OMC soulèvent de nouveau un débat sur ce point. Cela apparaît inévitable dans le cas de l'Accord général sur le commerce des services. On se rappellera que c'est dans le cadre de ce dernier que la Communauté européenne avait déposé, à la toute fin des négociations de l'Uruguay Round, en 1993, un projet de clause de spécificité culturelle qui, trop tardif, avait été abandonné faute d'appui. Le projet en question avait été déposé dans les derniers jours des négociations et, manifestement, l'épuisement général et le manque d'intérêt quant à cette question précise ont eu raison de la proposition européenne.

• 1010

Diverses clauses demeurent encore à négocier dans cet accord, en particulier celle qui devrait porter sur les subventions aux services et une autre sur les mesures de sauvegarde. Le projet des négociation sur le traitement accordé aux services en ce qui concerne les subventions a débuté, mais il n'avance pratiquement pas ou à un rythme très lent. C'est une question qu'il faudra suivre de près puisqu'elle reviendra certainement lors des prochaines négociations. Il faudra suivre ces discussions avec attention puisque les subventions sont utilisées couramment par tous les pays pour appuyer leurs industries culturelles.

Si vous faites une analyse, vous constaterez que dans bien des cas, ces subventions sont octroyées uniquement aux producteurs nationaux, à l'exclusion des producteurs étrangers, que ce soit dans le domaine du cinéma, du film ou du livre. Il y a implicitement une forme de discrimination et, en l'absence d'exception, il se pourrait que de telles subventions soient éventuellement remises en cause. C'est pourquoi il faudra prévoir des mesures de protection pour la culture dans ce domaine.

De même, le refus assez évident de la plupart des États de prendre des engagements en matière d'accès au marché et de traitement national dans le domaine des industries culturelles, toujours dans le cas de l'Accord général sur le commerce des services, n'empêchera pas les États-Unis de revenir à la charge afin d'obtenir davantage d'engagements dans ce domaine. Il y a tout lieu de croire que de nouvelles pressions seront exercées par le gouvernement américain afin que des engagements plus poussés de la part d'un plus grand nombre d'États soient pris en ce qui concerne les services culturels.

Dans le secteur des services de télécommunication de base plus particulièrement, des pressions pourraient être exercées afin que soit éliminée toute forme d'exigence en matière de contenu. C'est maintenant à travers les télécommunications que les États-Unis s'intéressent à la question des contenus. Il est clair que ce pourrait être une porte d'entrée qu'il serait difficile de refermer, le cas échéant, si on ne voit pas venir la chose.

Il ne fait absolument pas de doute, par ailleurs, que si le projet d'Accord multilatéral sur l'investissement de l'OCDE devait être transféré dans le cadre de l'OMC, le débat sur le traitement des produits culturels y referait immédiatement surface. À la lumière de toutes les discussions, y compris celles qui ont porté sur l'impact de cet accord sur l'investissement devant cette commission et devant d'autres commissions parlementaires, entre autres l'année dernière, je crois qu'il y a lieu de s'inquiéter.

Évidemment, on a vu depuis que d'autres aspects de cet accord sur les investissements étaient de nature à inquiéter, dont toute cette évolution vers les expropriations déguisées, le recours à la notion d'expropriation déguisée pour attaquer à peu près n'importe quelle intervention gouvernementale pouvant déplaire à un producteur étranger. J'exagère un peu, mais pas beaucoup. À l'heure actuelle, on est confrontés à un problème dans ce domaine-là et la seule perspective que cet accord sur l'investissement revienne dans le cadre des négociations de l'OMC a de quoi nous inquiéter.

Enfin, dans la mesure où l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, communément appelé TRIPS, ne traite pas des droits de copie numérique, il y a fort à parier que l'on cherchera à s'entendre sur une réglementation de base applicable au secteur du multimédia. Ici, je pourrais mentionner d'autres possibilités de débat touchant la culture.

Comme vous le savez sans doute, il est question qu'on aborde la question de la concurrence lors des prochaines négociations de l'OMC. Dans ce contexte, il faudra peut-être voir de plus près ce qu'il faut faire et comment il faut traiter d'une question comme celle de l'abus de position dominante. En matière de distribution, je crois qu'il y aurait lieu de suivre de près ce qui pourra être inscrit dans cet accord concernant justement les abus de position dominante. Enfin, comme on peut le voir, les sujets de désaccord relativement aux produits culturels risquent d'être nombreux lors des prochaines négociations.

Je n'ai pas encore parlé du projet qui est celui de l'hypothèse retenue par le SAGIT sur les produits culturels, qui prévoit un accord séparé distinct. Je pourrais en dire un mot rapidement.

• 1015

Que je sache, un tel accord n'est pas envisageable dans le cadre des négociations de l'OMC. Cela veut donc dire qu'il faudrait qu'on l'inscrive comme sujet de discussion et ce, probablement au moment où on définira le mandat des prochaines négociations. Si on ne le faisait pas, il pourrait y avoir un problème. On pourrait être tout simplement confrontés à une absence de comité de négociation sur ce projet. Il faut véritablement envisager la situation et cette hypothèse en ayant à l'esprit la nécessité de faire accepter, dès le départ, qu'il y ait lors des prochaines séances une négociation sur le projet en question.

Cela dit, on peut maintenant se poser le problème de ce que le Canada peut et doit faire et se demander quels devront être ses objectifs. En prévision des prochaines négociations de l'OMC, le Canada devra définir de façon claire ses propres objectifs relativement au traitement des produits culturels et élaborer une stratégie réaliste pour les atteindre.

Son objectif premier, s'il désire conserver une marge de manoeuvre essentielle dans ses interventions en faveur des industries culturelles, sera de convaincre les autres membres que les produits culturels doivent jouir d'un statut particulier dans les accords commerciaux internationaux. Mais c'est seulement lorsqu'on aura reconnu que les biens culturels font l'objet d'échanges au plan international, comme n'importe quel autre bien, et qu'en conséquence les interventions gouvernementales relatives à ces derniers ne peuvent échapper totalement à la réglementation internationale que l'on pourra obtenir que les interventions qui visent les objectifs proprement culturels, tels que la préservation d'une présence nationale sur le marché des produits culturels en raison du rôle que jouent ces derniers au plan de la communication symbolique, soient exclues de la réglementation commerciale internationale.

En d'autres termes, les biens culturels étant à la fois objets d'échange commercial et instruments de communication symbolique—il y a donc dualité dans leur nature—il faudra en arriver à distinguer plus clairement entre les interventions qui visent les objectifs véritablement culturels et celles qui cherchent à stimuler la croissance des industries culturelles. On revient évidemment encore à notre problème de la distinction entre les interventions qui visent les produits culturels en tant que tels et celles qui visent l'aspect commercial.

Là-dessus, je répondrai en rappelant que dans le cadre de l'OMC, l'essentiel des débats qui ont cours sur des exceptions ou des réserves de cette nature se fait dans une étude cas par cas des mesures gouvernementales, en ayant à l'esprit leur finalité—dans quelle mesure sont-elles nécessaires à la réalisation des objectifs ou visent-elles principalement la réalisation des objectifs—et en cherchant à déterminer si elles ne sont pas une façon déguisée de protéger les industries nationales. Toutes ces choses sont relativement bien connues. C'est une procédure d'examen éprouvée dans le cadre du fonctionnement de l'OMC. Je crois qu'il n'est pas nécessaire de chercher à obtenir une définition absolue de ce que peut être l'intervention culturelle en tant qu'intervention culturelle.

Au plan de la stratégie maintenant, je vais adopter une position qui se veut un peu plus réaliste par rapport à ce que je connais des négociations commerciales. Diverses approches sont possibles, allant de celle consistant à ne souscrire aucun engagement en matière de culture jusqu'à celle consistant à mettre au point un nouvel accord portant sur les produits culturels ou sur la diversité culturelle. Puisque ces diverses approches ont été analysées dans le rapport du groupe de consultation sectoriel, je n'ai pas l'intention de revenir sur ces dernières. En revanche, je voudrais m'arrêter un instant sur la nécessité de ne pas miser uniquement sur une solution qui serait considérée comme la solution absolue à tous les maux. Je pense ici en particulier à la proposition qui consiste à négocier un accord global sur la diversité culturelle. J'ai mentionné tout à l'heure la résistance absolue des États-Unis à ce genre de choses.

• 1020

Deuxièmement, il faut mentionner qu'un tel accord devrait résoudre un certain nombre de problèmes, en particulier celui de son lien avec le GATT et des dispositions couramment utilisées, y compris celles qui ont été utilisées contre le Canada dans l'affaire sur les périodiques, comme l'article 3 sur le traitement national ou, à la limite, l'article 11 sur les restrictions quantitatives. Il faudra établir la priorité de cet accord sur les dispositions du GATT et sur celles d'autres accords qui pourraient être en contradiction avec l'accord en question, à moins, évidemment, qu'il n'y ait pas de contradiction. Mais s'il n'y a pas de contradiction, les États pourront, comme par le passé, continuer à utiliser les recours qu'ils possèdent dans le cadre du GATT aussi bien que dans celui du GATS.

Il faudra aussi arriver à convaincre un nombre suffisant d'États que ceci est la procédure et la façon de faire pour arriver à nos fins. Beaucoup de travail a été fait, et je ne peux pas dire que je considère cette solution irréaliste. Je crois qu'elle peut avoir des chances de succès, mais ce n'est pas pas nécessairement garanti. Si on veut prendre des précautions, il faut se demander ce qui arrivera s'il n'y a pas un tel accord, si cette question n'est pas inscrite pour fins de discussion au début des négociations, s'il n'y a pas l'appui requis, si on se retrouve dans les négociations en train de discuter des produits culturels ou des services culturels, comme dans le cadre de l'Accord général sur le commerce des services, sans avoir de position de repli, sans vraiment savoir ce qu'on défend, maintenant que l'objectif principal n'a pas été retenu. C'est pourquoi je pense qu'il est absolument essentiel qu'on aborde cette question de la place des produits culturels de façon globale en ayant à l'esprit toutes les possibilités. Il ne faut pas, évidemment, mettre tous ses oeufs dans le même panier.

Au-delà de l'hypothèse attrayante d'un nouvel accord portant sur l'ensemble des problèmes reliés à la circulation internationale des produits culturels, il importe de se préparer en fonction d'une négociation accord par accord, où des textes précis devraient être transmis à l'occasion des réserves inscrites pour ceci ou cela. Si on se retrouve encore une fois, comme ce fut le cas lors des dernières négociations, avec une seule solution de repli consistant à ne pas prendre d'engagement, on aura encore une fois raté notre coup et on sera peut-être encore moins avancés qu'on l'est présentement.

Voilà essentiellement ce que je voulais dire à ce sujet. Merci.

Le président: Merci beaucoup, professeur Bernier.

[Traduction]

Monsieur Acheson.

M. Keith Acheson (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président. Je suis économiste à l'Université Carleton et je suis venu illustrer la loi des rendements décroissants lorsque vous avez huit intervenants.

Le président: Tout comme M. Bernier, n'oubliez pas que devant vos étudiants, vous pouvez parler aussi vite que vous voulez, mais qu'ici il faut que vous pensiez à nos interprètes.

M. Keith Acheson: Je m'occupe depuis environ 10 ans de recherches sur les industries culturelles d'un point de vue universitaire—et je ne suis pas en contact direct avec ces industries. J'ai inclus dans mon document un peu de publicité sur le travail que Chris et moi avons fait et j'ai mentionné un livre qui porte sur les questions que vous étudiez, un livre qui sera publié dans quelques mois.

J'aimerais aborder quatre questions importantes ce matin. La première est l'importance de s'attaquer à un problème épineux, soit séparer la politique culturelle, pour laquelle je songe au contenu, de la politique industrielle—le cadre fiscal, juridique et réglementaire des industries culturelles. Deuxièmement, il faut se rappeler de l'intérêt canadien au chapitre de la négociation d'une entente spéciale sur la culture à l'OMC. Les deux prochaines questions portent sur la structure d'une telle entente, soit qu'il faut intégrer la politique industrielle dans le traitement des autres secteurs à l'OMC, et qu'il importe d'intégrer une mesure de protection culturelle dans l'entente culturelle qui ne peut pas être utilisée de façon opportuniste pour contrecarrer les objectifs visés par l'entente. J'aimerais vous parler brièvement de ces quatre questions.

• 1025

Dans le secteur culturel, la politique s'écarte de la norme des autres secteurs d'activité parce que les gens sont généralement convaincus que ce que nous lisons, voyons et entendons, influe sur notre développement et sur celui des collectivités dans lesquelles nous vivons. L'ubiquité de cette conviction s'accompagne d'une certaine confusion au sujet de ces liens. Au Canada, un mandat culturel mal défini, à mon avis, a permis l'élaboration d'une série de politiques protectionnistes qui seraient inacceptables pour les autres secteurs d'activité canadiens. La distinction dont je parle représente un point de départ à l'élaboration d'une structure de régie internationale pour les industries culturelles.

La position implicite pour la politique culturelle devrait être la responsabilité personnelle de choisir ce que l'on veut lire, entendre et regarder. Laissons les Canadiens prendre ces décisions. Si un certain contenu nuit au développement des enfants ou à d'autres groupes vulnérables, favorise un comportement nuisible sur le plan social, ou met en danger un des fondements de la culture d'une collectivité—comme la langue—il faudra envisager de fixer certaines limites à l'accès à ce contenu. Si un contenu souhaitable du point de vue social n'est pas disponible auprès des sources actuelles, le gouvernement pourra ou bien le produire ou en financer la production.

Quant à l'opportunité d'une entente internationale, d'excellents arguments ont été mis de l'avant aujourd'hui, mais j'aimerais insister sur le fait que le secteur de chacune des industries culturelles qui produit et distribue le contenu sur un marché international ne peut pas être viable s'il se limite au marché canadien, à moins de recevoir d'importantes subventions, de limiter l'accès d'options moins onéreuses pour les consommateurs canadiens ou—dernière possibilité—l'accès aux marchés internationaux.

Pour ce qui est du contenu d'ordre linguistique, les industries canadiennes francophone et anglophone représentent un petit élément d'un vaste marché. Dans le cas de la musique et des images visuelles, le marché canadien est également un petit élément d'un grand tout. Il en va de même pour les produits de masse et les produits spécialisés. Seules d'importantes subventions peuvent garantir un contenu de qualité mondiale pour les producteurs qui ne peuvent vendre leurs produits que dans un petit pays. Les limites visant l'accès étranger restreignent le choix des consommateurs davantage dans un petit pays, puisque l'économie ne peut pas offrir la diversité de contenu qui provient de sources étrangères. Étant donné que ces deux instruments coûtent très cher, l'accès aux marchés étrangers est d'une importance cruciale pour les producteurs de contenu d'un petit pays et pour les gens créatifs. S'ils ont accès au même marché que leurs concurrents, les entreprises culturelles et les artistes canadiens auront la possibilité d'exprimer leur créativité et les consommateurs canadiens pourront alors jouir d'un grand nombre d'options.

Le fait d'exempter la culture des accords commerciaux ne soustrait pas les questions culturelles à certaines règles internationales. En l'absence d'un cadre institutionnel efficace au sein duquel le commerce international et l'investissement dans les industries culturelles peuvent se dérouler, le Canada connaîtra de plus en plus de conflits culturels bilatéraux avec des pays ou des blocs plus vastes et plus riches. Dans le passé, les États-Unis ont adopté une position ferme dans les différends culturels avec le Canada, car ce pays craignait que cela n'ait une réaction en chaîne sur la politique des autres pays.

Au cours de négociations commerciales internationales, le Canada peut constituer des alliances avec d'autres pays qui partagent ses idées dans le but d'améliorer les chances d'élaborer un cadre de valeurs et de règlements qui évite la jungle des interactions bilatérales. À mes yeux, du point de vue universitaire, le mystère n'est pas de savoir pourquoi des pays comme le Canada devraient appuyer un accord aux termes de l'OMC, mais plutôt pourquoi les maîtres de la jungle—les États-Unis, le Japon ou l'Union européenne—devraient le faire.

Pour en revenir à l'accord international, et dire quelques mots au sujet de l'élément industriel, il devrait être semblable en principe à ceux qui s'appliquent aux échanges commerciaux et aux investissements d'autres secteurs de biens et services. Le comité devrait savoir qu'il faudra pour cela que vos politiques soient transparentes, ainsi que celles des autres pays, et l'accord sur les télécommunications dans le cadre de l'OMC en est un excellent exemple.

Je reviens maintenant à l'aspect très particulier d'un accord culturel, ce que renfermera cette garantie culturelle et comment elle sera conçue. L'ouverture réciproque des marchés qui est à mon avis importante pour certaines industries culturelles canadiennes ne sera possible que si les garanties inhérentes à la politique cultuelle soient limitées. Si c'est simplement un moyen de créer un accord sur le papier dans lequel l'échappatoire ou la garantie culturelle—ce n'est pas le bon terme—permet aux gens de faire ce qu'ils veulent faire de toute façon, alors c'est de nouveau la jungle. Il faut bien comprendre dans ces conditions qu'un accord international est un accord disciplinaire, qui s'applique autant aux autres qu'à vous-mêmes.

• 1030

Pour être efficace, l'accord est censé restreindre la poursuite de l'objectif culturel à quelques instruments et en limiter l'utilisation générale. Étant donné les distinctions qui seront faites entre les médias en vertu de l'accord culturel—et il y en aura vraisemblablement entre les médias—outre la prolifération des accords spéciaux dans le cadre de l'OMC, il est essentiel que tous ces accords se fondent sur le même principe de base, et qu'ils ne soient pas trop différents, dans leur esprit et dans leurs dispositions, pour que cela ne pose pas continuellement des problèmes limitrophes.

Une entente ne sera pas applicable si un comportement stratégique annihile tous les mécanismes de règlement des différends. Le Canada a intérêt à appuyer des accords auxquels il a souscrit, tant dans l'esprit que dans le respect de la lettre de ces lois. Lorsque je parle à des gens à Patrimoine canadien, par exemple, je me rappelle souvent que nous avons pour politique d'examiner le préambule de la Loi sur les communications ou de la Loi sur la radiodiffusion, lequel renferme l'énoncé de principes que nous appliquons, et Patrimoine s'en sert pour justifier ses politiques. Cela me paraît normal, mais il faudrait également appliquer le préambule à certains de nos accords internationaux et conclure ces derniers dans le même esprit, car nous avons nous aussi tout à fait intérêt à ce qu'ils soient applicables.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, professeur Acheson.

La semaine dernière, nous avons reçu un groupe de témoins et nous n'avons pas eu l'occasion de leur demander si les États-Unis, le Japon et l'Union européenne allaient de toute façon conclure cette entente et que tous les autres pays n'auraient pas d'autre choix que de les suivre. Vous semblez être de cet avis dans votre exposé. On constat que depuis toujours lorsque les États-Unis, le Japon et l'Union européenne s'entendent sur une question, il est très difficile pour les autres pays d'adopter une position différente—et cela semble être au coeur de vos propos.

M. Keith Acheson: J'en conviens. Toutefois, vous avez plus de chance de créer une alliance pour contrer cette influence que si vous signez une série d'accords bilatéraux avec chacun de ces pays individuellement. C'est ce que j'essayais de vous faire comprendre.

Le président: Merci beaucoup.

Notre dernier témoin est Mme McCaskill. Je regrette de vous avoir fait attendre si longtemps. Les membres du comité sont impatients de pouvoir poser leurs questions.

Mme Anne McCaskill (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président. Je suis la dernière, mais j'essaierai de ne pas être la moins intéressante.

Je possède une société de conseils en commerce extérieur dont les bureaux se trouvent ici à Ottawa, mais j'ai des antécédents au gouvernement fédéral, dans le domaine de la politique commerciale. Pendant presque une vingtaine d'années, je me suis occupée de la politique commerciale et j'ai également été négociateur commercial, notamment pendant les quatre dernières années des négociations d'Uruguay à l'OMC. J'ai également dirigé les négociations pour le Canada dans le cadre de l'Accord sur la propriété intellectuelle ou ADPIC, et je participe directement—notamment dans le cadre de négociations avec les États-Unis—à des questions culturelles depuis un certain temps. Vous comprendrez donc que je m'intéresse de près à la question.

J'aimerais essayer de ramener à un niveau plus réaliste la discussion qui se déroule ici aujourd'hui et le débat qui aura lieu au cours des semaines et des mois à venir, lorsque vous tiendrez vos consultations dans tout le pays au sujet de la prochaine série de négociations dans le cadre de l'OMC. J'aimerais profiter de l'occasion pour parler, comme d'autres l'ont fait, des conclusions et des recommandations du rapport du Groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur ou GCSCE. Mais je voudrais également le faire dans le cadre d'une évaluation pratique de ce qui nous attend dans le dossier culturel, notamment dans le contexte des prochaines négociations de l'OMC.

• 1035

Il ne fait aucun doute que la question de savoir si les règles commerciales de l'OMC devraient s'appliquer à la politique culturelle—et, dans ce cas, dans quelle mesure—sera l'une des questions les plus difficiles et les plus controversées de la prochaine série de négociations. La façon dont on abordera cette question aura une extrême importance, non seulement sur l'issue des négociations, mais également sur la façon dont les gens jugeront les négociations et l'évolution générale du système des échanges commerciaux internationaux. Il sera essentiel de définir clairement et de défendre les intérêts canadiens dans le domaine de la politique culturelle si le gouvernement souhaite obtenir l'appui du public pour les futures négociations commerciales dans le cadre de l'OMC et ailleurs.

Le plus important pour le moment, c'est de définir les questions et les cadres de discussion. Étant donné que j'ai peu de temps pour présenter mes remarques liminaires, j'aimerais me concentrer sur trois questions clé sur lesquelles il faudra se pencher en vue d'élaborer la position du Canada dans ce dossier en vue de la prochaine série de négociations. Ce faisant, monsieur le président, je vais m'attaquer directement à la question que vous avez posée, celle des rapports entre la culture et l'intérêt commercial, car elle est au coeur du problème.

Il y trois questions d'importance cruciale dans ce débat, et d'autres y ont fait allusion.

Tout d'abord, quels sont les objectifs fondamentaux de la politique culturelle canadienne que nous souhaitons préserver, et sur quels motifs peut-on expliquer et justifier ces principes? Manifestement, il faut s'interroger au départ sur les priorités de notre politique nationale, et ce sont ces priorités qui devraient déterminer la position du Canada lors des négociations internationales, et non le programme d'une autre partie.

En second lieu, quels obstacles le Canada doit-il surmonter s'il veut réaliser ces objectifs, et que faut-il faire pour faire disparaître ces obstacles?

Troisièmement, l'OMC est-elle bien l'instance voulue pour traiter de toutes ces questions? À ce sujet, je soutiens que, dans un premier temps, nous ne sommes pas confrontés à une question de politique commerciale que l'on pourra résoudre simplement dans le cadre de négociations commerciales. Avant d'aborder le volet politique commerciale de ces questions, il faudra se pencher sur les questions fondamentales touchant la politique culturelle et essayer de dégager un consensus international sur les objectifs culturels légitimes que les pays devraient être à même de poursuivre, ainsi que sur les mesures et instruments dont doivent disposer les gouvernements pour poursuivre vraiment ces objectifs.

Dans le premier cas, c'est une question de politique culturelle et, en toute franchise, je ne pense pas que l'OMC soit l'endroit idéal pour en discuter. J'ai participé à la mission canadienne auprès de l'OMC pendant quatre ans et, le moins qu'on puisse dire, c'est que j'ai un préjugé favorable à l'égard de cette institution. Toutefois, pas plus qu'elle n'est une instance pour établir une politique environnementale ou du travail, l'OMC n'est pas une tribune qui a pour mandat d'établir la politique culturelle. Elle peut jouer un rôle à ce chapitre et j'y reviendrai, mais il ne s'agit tout simplement pas d'une question commerciale.

Si nous revenons à la première question des objectifs fondamentaux de la politique culturelle canadienne, il nous faudrait évidemment beaucoup plus de temps que ce qui nous est imparti ce matin pour discuter de tous les aspects de cette question. Je pense toutefois que nous pourrons aborder rapidement certains aspects fondamentaux qui font sans doute l'objet d'un quasi-consensus.

Tout d'abord, la promotion de la diversité et du choix culturels grâce à des marchés ouverts aux produits culturels. Cela a toujours été l'une des pierres angulaires de la politique culturelle du Canada. Contrairement à ce que bien des gens aimeraient laisser croire, le marché canadien des produits culturels n'est pas protégé. Nous n'appliquons aucune mesure à l'égard des importations de produits culturels, quelle qu'en soit l'origine.

• 1040

Si vous le permettez, j'aimerais rappeler aux membres du comité certaines statistiques que vous connaissez sans doute déjà. Les taux réels de pénétration des importations dans nos secteurs culturels prouvent bien à quel point notre marché des biens culturels est très ouvert: 70 p. 100 du marché canadien des livres se compose d'importations, principalement des États-Unis; plus de 80 p. 100 de l'espace réservé aux revues dans les kiosques à journaux est occupé par des publications étrangères, principalement des États-Unis, et les revues importées des États-Unis comptent pour 50 p. 100 de l'ensemble des ventes de revues au Canada; 70 p. 100 de la musique diffusée sur nos stations de radio est étrangère; 86 p. 100 des émissions dramatiques en anglais diffusées aux heures de grande écoute à la télévision canadienne sont étrangères, et encore une fois principalement américaines.

Le président: Pouvez-vous répéter ce pourcentage?

Mme Anne McCaskill: J'ai dit 86 p. 100 des émissions anglaises diffusées aux heures de grande écoute. En outre, 95 p. 100 des recettes cinématographiques des cinémas canadiens découlent de productions étrangères, principalement américaines.

À mon avis, cela ne ressemble guère à un marché protégé de biens culturels; c'est plutôt une indication d'une culture assiégée. Nous n'avons aucune mesure protectionniste à l'égard des biens culturels importés et les Canadiens ont un vaste choix. Nous prenons des mesures dans le secteur des services—non pas, là encore, pour limiter l'accès des industries culturelles étrangères, mais plutôt pour nous permettre de conserver notre capacité de production de nos propres biens culturels pour les Canadiens, lesquels occupent malheureusement une toute petite part du marché canadien.

En second lieu, un autre objectif fondamental est de garantir l'accès à des biens culturels qui soient le reflet de nos sociétés et de nos valeurs, même si c'est très laborieux. Depuis longtemps, l'un des pivots de la culture politique canadienne est l'existence d'un contenu canadien dans tous les médias.

Troisièmement, le fait de garantir que nos industries culturelles peuvent créer et distribuer des biens culturels canadiens sur le marché constitue un autre objectif. Il ne faut pas y voir une façon illégale pour le gouvernement canadien de protéger les intérêts commerciaux des industries culturelles canadiennes. La réalité toute simple, c'est que ce sont les industries culturelles qui permettent d'amener les produits des créateurs canadiens sur le marché. En l'absence d'industries culturelles, nous n'aurions aucun moyen, ou presque, d'offrir ces produits culturels aux Canadiens. Les industries culturelles font donc partie intégrante de la culture canadienne.

Enfin, il faut admettre que la propriété fait une différence dans les possibilités offertes aux créateurs d'atteindre les marchés international et international. Si vous me permettez une brève digression, j'aimerais répondre à ce qu'a dit Dennis Browne au sujet de la loi C-55, à laquelle il reproche de ne pas traiter du contenu parce qu'elle se fonde principalement sur les exigences relatives à la propriété. En réalité, ce sont les éditeurs canadiens qui produisent le contenu canadien pour les lecteurs canadiens dans le secteur des revues. Des recherches approfondies ont été effectuées sur la question des revues, et la grande majorité des éditeurs canadiens qui produisent des revues dans notre pays offrent continuellement 80 p. 100 ou plus de contenu canadien dans leurs publications. C'est la réalité.

S'agissant des taux de propriété prévus dans le projet de loi C-55, ils n'ont rien de nouveau; ils se fondent tout simplement sur les dispositions relatives à l'investissement étranger qui se trouvent dans d'autres lois et règlements canadiens, et notamment dans la Loi sur Investissement Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu. Si l'on veut remettre en cause la validité de ces taux en matière d'investissement, il faut remettre en cause pas seulement les dispositions du projet de loi C-55, mais également tout le régime canadien concernant les investissements.

Enfin, depuis longtemps, notre objectif primordial est de garantir que nous possédions nos propres voies de communication de façon à permettre à la culture canadienne de s'exprimer et de nous permettre de nous voir et de nous entendre les uns les autres.

En second lieu, il faut se pencher sur les défis auxquels sont confrontés les industries culturelles et les créateurs canadiens. Ils sont de deux ordres, à mon avis.

Tout d'abord, il faut tenir compte des réalités économiques de nos marchés culturels et de nos industries culturelles, afin de bien comprendre les politiques et mesures nécessaires et justifiables pour atteindre les objectifs de notre politique culturelle. Il est bien beau que les gens s'entendent à dire, comme la plupart le font, qu'il importe de préserver une identité culturelle distincte et de maintenir le genre de politique culturelle que nous appliquons depuis longtemps. Toutefois, à moins d'avoir les moyens voulus pour réaliser ces objectifs sur le plan pratique, il faut bien avouer que le cadre de la politique culturelle n'est plus qu'une coquille vide.

• 1045

Le deuxième type de défi est lié à l'attaque plus directe lancée par les États-Unis contre notre politique culturelle, laquelle sera, comme l'a dit le professeur Bernier, au coeur du programme que poursuivront les États-Unis lors de négociations futures. Commençons par le deuxième défi.

Il ne faut pas oublier quelques faits bien réels. Tout d'abord, les énormes maisons d'édition multinationales de New York et les studios de télévision, de cinéma et d'enregistrement de la Californie sont les nouveaux moteurs de croissance des exportations américaines. Ils dépassent désormais l'aérospatiale et constituent le plus important secteur d'exportation des États-Unis. Grâce à l'aide du gouvernement américain, ces secteurs adoptent de propos délibéré une stratégie visant à obtenir un mandat mondial pour ce qu'ils appellent eux-mêmes les «produits de divertissement».

Les États-Unis préconisent une optique de la culture assez particulière, dans le monde, pour justifier ce qui n'est en fait qu'une stratégie purement mercantile. À leurs yeux, la culture est une chose qui se limite essentiellement aux beaux-arts. Tout le reste n'est que loisirs et affaires. Enfin, les produits de divertissement sont des produits comme tous les autres et devraient donc être assujettis aux forces du marché.

C'est pourquoi les États-Unis rejettent une politique culturelle comme la nôtre qui se fonde sur la conviction que les biens culturels sont en fait uniques en leur genre. Les États-Unis ciblent la politique canadienne dans le but de prouver aux autres pays, surtout les pays en développement, qu'il est inutile pour eux de s'inspirer du modèle canadien.

La position américaine sur la politique culturelle ne reconnaît pas—même rejette carrément—les réalités et des conséquences probables des forces du marché qui devraient s'exercer librement, selon les États-Unis. À mon avis, nous devons réagir à certains des postulats de l'optique américaine et lever un certain nombre de mythes pour bien comprendre les obstacles auxquels se heurtent les industries culturelles canadiennes sur le marché.

Le premier postulat, dont il a déjà été question, est que le produit culturel est assimilable aux autres denrées. Rares sont les pays du monde qui sont de cet avis, je pense. La majorité des pays s'entendent plutôt à dire que les biens culturels sont en fait des moyens de transmettre des biens incorporels. Ils transmettent des idées, des valeurs, un patrimoine, une culture. En tant que tels, ils occupent une place différente au sein de la société et devraient également avoir une place différente des gadgets dans le système du commerce international. Ce ne sont pas de simples gadgets.

En outre—et je pense, monsieur le président, que c'est un point qui vous intéresse tout particulièrement—les États-Unis prônent que la culture peut et doit être dissociée du commerce. Les gouvernements peuvent soutenir la culture, c'est-à-dire principalement les beaux-arts, mais ne doivent pas intervenir dans le secteur commercial. À mon avis, la culture et le commerce sont en fait inextricablement liés et il n'y a pas à nous en excuser. Je ne vois aucune raison de croire qu'il est déplacé ou même le moindrement gênant de s'inquiéter de la viabilité commerciale des industries culturelles canadiennes qui permettent d'amener les biens culturels canadiens sur le marché.

En réalité, si les industries culturelles canadiennes ne sont pas rentables, elles ne pourront plus continuer d'exister pour mettre les biens culturels à la disposition des Canadiens. Les États-Unis et d'autres pays estiment qu'il faut subventionner les industries culturelles. En fait, il n'y a tout simplement pas assez d'argent pour soutenir les industries culturelles, même au faible niveau qui existe à l'heure actuelle dans notre pays. En second lieu, le gouvernement ne devrait pas se préoccuper de créer des biens culturels; cette tâche revient à la collectivité des créateurs et au secteur privé.

• 1050

Par conséquent, le fond du problème est que pour rester rentables, les industries culturelles canadiennes doivent avoir accès aux recettes qui leur permettront de produire les biens culturels que recherchent les Canadiens et qui font l'objet de la politique culturelle au Canada.

Nous n'appliquons aucune mesure de protection à l'égard des importations de biens culturels, mais la politique canadienne vise en fait à prévoir un espace aux industries culturelles dans le marché de services, comme la distribution, la publicité et la vente au détail, pour leur donner une toute petite chance de survie contre les énormes économies d'échelle et avantages concurrentiels inégalables qu'auraient les industries américaines de divertissement, si elles pouvaient dominer ces marchés de services et ces flux de revenus comme elles dominent le marché des biens au Canada.

Un autre postulat, qui n'est en fait qu'un mythe, à mon avis, c'est que s'il existe une demande sur le marché des biens culturels canadiens, nos industries culturelles vont prospérer. Malheureusement, le modèle classique d'offre et de demande ne s'applique pas aux industries culturelles. En effet, ces dernières sont présentes sur plusieurs marchés. Elles offrent des biens culturels aux consommateurs, mais cela procure rarement assez de revenus pour leur permettre d'être rentables.

Elles doivent également être en mesure d'exister sur les marchés de la publicité, les marchés de la distribution, et ainsi de suite. Si elles se font exclure de ces marchés, elles seront vouées à une disparition certaine et ne pourront plus continuer d'offrir des biens culturels, même s'il existe au Canada une demande à l'égard de ces biens.

Dernier postulat de la politique américaine, les politiques et programmes culturels canadiens sont injustement protectionnistes. J'en ai déjà parlé, je pense. Il m'est très difficile de voir comment on pourrait qualifier de protectionnistes les politiques canadiennes, pas plus que je ne vois de raison pour le gouvernement de s'excuser de prendre des mesures pour garantir la viabilité de nos industries culturelles, alors que d'autres pays, comme les États-Unis, n'hésitent pas à prendre des mesures protectionnistes contre le bois d'oeuvre, le blé, le poisson ou tout autre produit qui se trouve sur sa liste rouge.

Le fin mot de l'affaire, c'est qu'il existe un grand nombre de réalités économiques que l'on a tendance à oublier ou feindre d'ignorer dans le cadre de ce débat, mais dont il faut en fait tenir compte, des réalités que nous devons absolument affronter. Il faut trouver à l'échelle internationale un terrain d'entente et de consensus sur les objectifs valables de la politique culturelle et les mesures auxquelles les gouvernements devraient avoir accès pour poursuivre cette politique. Les mieux placés pour tenir ce genre de discussion sont en fait les ministres responsables des affaires culturelles qui doivent s'efforcer de créer ce nouvel instrument relatif à la diversité culturelle que recommande le GCSCE dans son rapport.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, madame McCaskill.

Je remercie tous les participants. La discussion a été très instructive et nous avons beaucoup d'information à assimiler.

Chers collègues, nous commencerons par M. Penson, ou devrais-je commencer par Mme Finestone, puisque vous êtes...

M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Mme Finestone voudra peut-être se déplacer, car elle ne se sent peut-être pas très à l'aise ici.

Le président: Je pensais qu'elle avait rejoint les rangs du Parti réformiste et qu'elle serait donc la première à poser des questions.

M. Charlie Penson: Merci de cette occasion, monsieur le président.

Je tiens à souhaiter la bienvenue à tous nos témoins de ce matin. Nous avons entendu des opinions assez diverses, qui nous aideront à concentrer notre discussion sur la question de savoir si le Canada doit ou non aborder la culture lors de la prochaine série de négociations de l'Organisation mondiale du commerce.

Pendant que je vous écoutais, je me demandais en quoi cela concernait les électeurs et bien d'autres Canadiens d'un bout à l'autre du pays. Lorsque j'entends dire que la culture est assiégée dans notre pays... Quelle importance cela a-t-il dans les préoccupations de mes électeurs?

Nous avons parlé plutôt des oléagineux. Les agriculteurs se heurtent à de sérieux problèmes parce qu'ils n'ont pas accès à des marchés comme celui de l'Union européenne. Il y a 60 milliards de dollars de subventions uniquement pour cette année parce que nous ne réussissons pas à obtenir la libéralisation des droits de douane et des subventions. Et les gens perdent leur exploitation agricole. Quelle importance cette question a-t-elle dans l'esprit des Canadiens lorsqu'on leur dit que la culture est assiégée. Je ne pense pas que ce soit une priorité pour la plupart des gens. Ils n'ont pas cette impression.

• 1055

Je lance simplement l'idée des ouvriers métallurgistes de Hamilton qui risquent de perdre leur emploi à cause des mesures de représailles prises contre le projet de loi sur les revues à tirage dédoublé. Vont-ils se préoccuper davantage de leur emploi, ou vont-ils s'inquiéter de la politique culturelle canadienne qui préserve le statu quo pour une société comme Rogers, celle qui possède la revue Maclean's? Grâce à son réseau de câblodistribution, cette société importe sans doute plus de produits culturels américains dans notre pays que n'importe quelle autre entreprise. Qu'en pensent les ouvriers métallurgistes?

Je dois dire que je suis heureux de constater un changement d'opinion assez marqué dans les milieux culturels au cours de l'année écoulée, puisque l'on semble dire que nous ne devrions pas demander d'exemption qui serait sujette à des représailles dans les domaines dont je viens de parler. C'est un tournant important, à mon avis, qui mérite d'être approfondi.

Lorsqu'on parle de réalité, il faut également tenir compte de la réalité de notre plus proche voisin, les États-Unis. C'est vous, madame McCaskill, sauf erreur, qui avez dit que la culture, l'industrie du divertissement, est la principale exportation de ce pays. C'est une industrie commerciale et c'est ainsi que les États-Unis considèrent ce secteur. Lors des négociations futures, que ce soit dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce ou de négociations distinctes, comment allons-nous tenir compte de cette réalité? Les États-Unis devront manifestement être présents à la table de négociation.

Je sais que les Américains n'ont pas été invités à l'une des conférences de l'été. Mme Williams laisse entendre qu'il serait sans doute bon qu'ils y soient. Je pense que c'est une bonne idée. Si une menace plane sur la culture canadienne, elle vient des États-Unis. C'est la réalité. Ils sont nos voisins et leur gros secteur du divertissement est une véritable industrie.

Voici la question que je vous pose: Comment va-t-on affronter le problème? Que ce soit à l'occasion des négociations du cycle du millénaire à l'OMC ou que l'on fasse disparaître la question entièrement, nous sommes quand même confrontés à cette réalité.

Le président: Monsieur Stein.

M. Ken Stein: J'ignore comment vous voulez que nous prenions la parole, monsieur le président, mais je ne peux m'empêcher de réagir à ce que je viens d'entendre. Je pense que...

M. Charlie Penson: Si vous ne pouvez pas vous en empêcher, cela montre bien que vous devriez être le premier. C'est l'une de nos valeurs culturelles ici.

M. Ken Stein: J'ai grandi dans l'ouest du Manitoba et je m'y connais un peu en ce qui concerne le blé et ces autres questions. Personne dans le secteur culturel ne soutient que notre secteur est plus important que les autres. Sidérurgiste ou agriculteur, les deux occupations ont autant d'importance. Ils ne sont pas plus importants mais ils sont différents.

J'ai certains exemples en tête. Prenez le cas d'un signal satellite. Une seule opération, effectuée en un clin d'oeil, peut conduire à une multitude de produits. C'est pourquoi il est beaucoup plus difficile de trouver des règles commerciales et d'équilibrer le commerce dans le secteur culturel. Ailleurs, dans la sidérurgie ou l'agriculture, il est possible d'équilibrer les choses. Nous n'y sommes pas parvenus dans le culturel.

L'autre chose importante, en tout cas pour les secteurs et les gens que je représente ici, c'est que le monde d'aujourd'hui se caractérise plus par les services que par les produits. Or, toutes les règles commerciales ont été conçues en fonction des produits et le dossier des magazines chevauche la définition du produit et du service.

Dans les services, l'élément culturel est presque l'aspect le plus important. Qu'il s'agisse de la publicité, de la radiodiffusion ou de la musique, ce sont aujourd'hui les secteurs où les États-Unis exportent le plus, comme le disait Anne. C'est vers ces secteurs que nous gravitons, mais il y a des dizaines d'années que le Canada ne s'en occupe pas parce que nous disons que c'est un secteur exempté.

Cela rejoint votre deuxième question: Pourquoi estimons-nous devoir changer? Il est absolument essentiel de ne pas tomber dans la naïveté face aux États-Unis. En revanche, si nous ne pouvons pas imposer des mesures qui resteront, c'est toute la nouvelle économie fondée sur ces secteurs qui va nous échapper.

Les Américains ne négligent rien pour parvenir à la domination mondiale dans ce secteur. J'ai entendu les commissaires de la FCC dire en conférence qu'ils vont soutenir l'industrie américaine dans certaines décisions parce que c'est ce qui lui assurera la domination. Ce sont des propos que je n'ai jamais entendus dans la bouche d'un représentant du CRTC au Canada. Il faut composer avec ce déséquilibre. Ce sera un élément très important de notre économie future et il faut prendre des mesures pour le soutenir.

• 1100

M. Charlie Penson: Monsieur Stein, admettez-vous que peu importe qu'il s'agisse d'un service ou d'un produit, cela reste une transaction?

M. Ken Stein: Il y a beaucoup d'échanges commerciaux dans ce secteur et c'est une des questions épineuses qu'il a fallu aborder dans le GCSCE.

M. Graham a très bien posé la question lorsqu'il a demandé quelle était la différence entre les intérêts commerciaux et les intérêts culturels. Nous avons essayé de dire qu'il y avait eu des précédents. Nous n'avons pas trouvé de solution à tout le problème, mais dans certains domaines nous avons examiné d'autres moyens d'atteindre nos objectifs, c'est-à-dire sans passer par des mesures commerciales. La propriété intellectuelle est un bon exemple de cas où nous avons pu faire des progrès et assurer une protection à nos créateurs et à nos artistes. C'est reconnu à l'échelle mondiale.

Les Américains sont très vigoureux lorsqu'il s'agit de protéger les droits de leurs artistes et créateurs partout dans le monde; ils s'en prennent à la Chine et à l'Extrême-Orient dans la lutte contre le piratage. Ils sont très vigoureux quand vient le moment de protéger les droits de leurs artistes et de leurs créateurs et nous disons que nous devrions l'être tout autant.

M. Charlie Penson: Voici la question que je vous pose, par contre: Comment allons-nous les amener à la table de négociation? Il faut être deux pour négocier et s'ils ne s'intéressent pas du tout à notre vue des choses, que faites-vous? Nous traitons ici avec la plus grande économie du monde et le spectacle est leur plus grosse exportation.

M. Ken Stein: Je dirai trois choses. D'abord, on ne peut pas les prendre de front. Je connais davantage les politiques des communications et de la radiodiffusion que celles du commerce, mais il me semble que les accords multilatéraux sont la meilleure façon d'arriver à conclure une entente avec les États-Unis. C'est donc ce que nous préconisons.

Deuxièmement, dans chacun de nos secteurs, nous avons établi des relations de travail avec les Américains. Par exemple, ma société a réussi à conclure un accord tout à fait satisfaisant en ce qui concerne le dumping de Country Music Television. Cela a été avantageux pour notre société. Nous sommes maintenant les propriétaires de la chaîne Country Music Television au Canada, mais nous avons fini par parvenir à une entente avec le réseau américain sur des modalités de collaboration; la chaîne américaine n'est pas diffusée au Canada. Ce n'est jamais allé jusque là.

Dans nos secteurs et dans notre comité, nous avons constaté que dans nos rapports de travail avec les États-Unis, il faut continuer de pousser sans cesse. S'il y en a beaucoup, vous avez raison, ce ne sera pas facile, mais ce n'est pas une raison de ne pas essayer.

M. Charlie Penson: J'ai le sentiment que la plupart de nos témoins préféreraient que la culture ne soit pas un sujet de négociation dans le cycle élargi de l'OMC et qu'ils préféreraient que cela fasse l'objet d'une conférence distincte. J'ai raison?

M. Ivan Bernier: Ce serait l'idéal, mais quelle conséquence cela aurait-il sur les règles actuelles? Si cela ne change rien aux règles, je veux bien, mais cela n'aura aucune conséquence. Le vrai problème ici, c'est l'application des règles actuelles de manière à conserver certaines des politiques que nous avons.

Il serait bon d'essayer d'obtenir un accord distinct qui traiterait de tous les aspects de la question culturelle. Il y en a plusieurs. Je parlais par exemple de l'abus de la position dominante. Aux États-Unis, une action a été intentée contre les distributeurs de films en vertu de la Loi sur la concurrence. Ils ont déjà été poursuivis dans les années 40 et les États-Unis s'en prennent à nouveau à eux aujourd'hui.

• 1105

Je pense qu'il y a là un problème en général. Il est largement reconnu que dans le domaine de la distribution des produits culturels, il y a beaucoup de concentration, ce qui est un gros problème. Voilà donc le genre de choses qu'il faudrait examiner et couvrir dans ces accords. Nous avons de sérieuses raisons de nous plaindre des États-Unis.

Mais sur l'essentiel, comme le choix entre un accord distinct ou les accords actuels, ce ne sera pas tâche facile d'amener les État-Unis et certains autres États à accepter que le nouvel accord l'emporte sur ce qui existe actuellement. Cela me pose un problème.

Le président: Je dois interrompre cette série de questions parce que nous avons largement dépassé la limite de 10 minutes.

Monsieur Sauvageau

[Français]

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Je tiens moi aussi à vous remercier énormément. Cette séance nous a permis de comprendre les complexités des négociations futures sur le domaine culturel et...

Le président: Monsieur Sauvageau, on sait que c'est complexe, mais est-ce qu'on a compris les complexités?

M. Benoît Sauvageau: Non. Il y a un changement de cap majeur concernant l'exemption culturelle au niveau des discussions et de la négociation d'un traité international sur les aspects culturels. On se rappelle la position qu'avaient adoptée M. Marchi et Mme Copps jusqu'à l'Accord multilatéral sur l'investissement. Il y a donc eu un changement de cap majeur.

Quels dangers menaceraient le Canada ainsi que la France et les autres pays susceptibles d'être alliés au Canada si on maintenait la position d'exemption culturelle actuelle au cours des prochaines négociations, non pas nécessairement à celles de l'OMC puisque cette question n'est pas à l'ordre du jour, mais lors des négociations dans le cadre de futurs accords internationaux?

M. Daniel Schwanen: Je vais dire en premier lieu qu'on a vu un exemple de cela dans le cas de l'industrie des périodiques. On croyait dans certains milieux avoir une exemption. D'ailleurs, je ne suis pas d'accord non plus sur la Loi C-55. Il faut quand même dire que la dynamique en a été une où on croyait être protégés par une exemption culturelle, tandis que, dans le fond, on ne l'était pas parce que les États-Unis ont fait appel à d'autres règles du commerce international. Comme M. Bernier le disait, la question est de savoir quelle règle s'applique dans quel camp. On ne peut pas laisser cela comme ça, au hasard, quand il y a des règles qui sont contradictoires ou quand on pense, à tort, qu'on a une exemption.

Évidemment, il y a un danger que l'autre pays—il s'agit souvent des États-Unis, mais j'entendais récemment dire qu'on devrait aussi être protégés contre les magazines belges et français—qui n'est pas d'accord sur nos politiques puisse dire: «Vous avez une exemption, mais dans le fond, vous ne protégez pas vraiment votre culture, mais plutôt autre chose. Nous ne sommes pas d'accord et il n'y a pas de règle pour interpréter tout cela. Nous allons donc attaquer vos autres industries. Vous nous volez un marché et nous allons donc vous voler un marché.» Tel est le danger de l'incertitude qui nous menace; c'est le résultat de l'absence de règles dans les industries culturelles. Je préférerais qu'on ait des règles plutôt qu'une exemption dont la signification n'est pas la même pour tous.

Le président: Merci.

M. Ivan Bernier: Si l'Accord multilatéral sur l'investissement revient à l'OMC à des fins de discussion, la question de l'exemption culturelle va immédiatement se poser à nouveau. Quoi qu'on fasse, la question va se poser carrément: est-ce qu'on reprend là où la France avait laissé au sujet de cette clause d'exemption culturelle? Est-ce qu'on reprend sur la base des réserves, ou est-ce qu'on laisse tout cela de côté en se disant qu'il y aura un accord à côté? Toutes ces choses vont se passer en même temps et ce sera extrêmement complexe à gérer. C'est pourquoi je vous disais tout à l'heure qu'on ne pouvait pas séparer toutes ces choses; elles vont se passer simultanément.

[Traduction]

Le président: Madame McCaskill.

Mme Anne McCaskill: J'aimerais vous dire quelque chose ici. Je pense qu'il y a un peu de confusion sur l'exemption culturelle dans l'ALÉNA—où nous en sommes aujourd'hui et à quels problèmes nous faisons face du côté de l'OMC. Le fait est que jusqu'à présent, le Canada et d'autres pays n'ont tout simplement pas mis en oeuvre leurs obligations en vertu de l'ALÉNA ou des autres accords de l'OMC qui limitent notre capacité d'appliquer des politiques culturelles.

• 1110

L'affaire des magazines a été la grosse exception parce que c'est le seul cas où des décisions de politique culturelle ont été appliquées à des produits. Elles ont été appliquées aux magazines en tant que produit, même si le problème sous-jacent que ces mesures étaient censées corriger portait sur la concurrence déloyale sur le marché des services de publicité. C'était donc un problème de service mais les mesures ont été appliquées à des produits.

Il est intéressant de souligner que les Américains n'ont pas contesté les mesures que nous avons prises au sujet des magazines en invoquant l'ALÉNA. Le fait qu'il n'y a jamais eu de différend commercial sous l'égide de l'ALÉNA au sujet de l'une quelconque de nos politiques culturelles montre que l'exemption culturelle a des effets. Les Américains n'ont pas invoqué l'ALÉNA pour les magazines; ils se sont adressés à l'OMC parce qu'ils ont vu la possibilité de contester ces mesures en invoquant le GATT, l'accord sur les produits. Aucune de nos autres politiques culturelles ne s'applique aux produits. Ces politiques s'appliquent aux services et reposent sur les droits de la propriété intellectuelle, et les Américains n'ont jamais contesté ces mesures. Ils se plaignent des exigences relatives au contenu et ne prisent pas les règles du CRTC. Il y a quantité de choses qui ne leur plaisent pas, comme la Loi sur le droit d'auteur. Mais ont-ils contesté l'une ou l'autre de ces choses ou invoqué l'ALÉNA ou l'OMC pour les combattre? Non. Pourquoi? Parce que nous n'avons accepté aucune obligation sur laquelle pourraient se fonder les États-Unis ou tout autre pays pour contester ces mesures.

Si l'on se tourne vers le prochain cycle de négociations à l'OMC, je ne crois pas que la question de la culture deviendra un sujet de négociation distinct. En réalité, je ne vois pas comment cela pourrait se faire, de façon utile, parce que les questions sous-jacentes relèvent de la politique culturelle et je ne pense pas qu'il puisse y avoir une discussion très satisfaisante de la politique culturelle à l'OMC.

Ce qui va sûrement se passer, c'est que les États-Unis vont réclamer du Canada des concessions dans tous ces secteurs aux termes de l'accord sur les services et de l'accord sur la propriété intellectuelle, dans lesquels nous n'avons jusqu'à présent pris aucun engagement. Soyez certains que les Américains voudront que l'on inclue notre marché des services de publicité dans les secteurs des magazines et de la radiodiffusion dans nos engagements aux termes du GATT lors du prochain cycle de négociations sur les services. Soyez assurés qu'ils reviendront à l'attaque sur le droit d'auteur dans l'accord sur la propriété intellectuelle. La position qu'ils adopteront sur ces points—c'est ce qu'ils ont fait la dernière fois et on peut s'attendre qu'ils fassent de même—déclarerait illégales toutes nos règles sur le contenu canadien et un certain nombre de nos politiques culturelles.

Jusqu'à présent le Canada et beaucoup de pays européens et de pays en développement—nous sommes loin de faire cavalier seul ici—ont déclaré que leurs politiques culturelles ne sont pas sur la table lors de ces négociations commerciales et qu'ils n'accepteront aucune obligation qui gênerait leur aptitude à conserver ces politiques. Quelle sera la position du Canada sachant que les États-Unis diront aux prochaines négociations: «Nous voulons mettre sur la table votre marché des services de publicité dans le secteur des magazines et dans le secteur de la radiodiffusion et nous voulons que vous ouvriez l'accès à ces marchés lors du prochain cycle de négociations sur les services». Que va répondre le Canada?

Le président: J'ai du mal à accepter votre affirmation catégorique que le seul secteur de produits où ils pourraient s'en prendre à nous est celui des magazines. Que faites-vous de l'édition? À moins d'être dans la situation, comme M. Stein l'a dit, de celui qui vend le droit d'auteur et qui ne fait donc que transférer le droit de les imprimer ailleurs, mais si les livres sont vendus, j'imagine qu'ils seraient... Qu'en est-il des films?

Il faudra que nos attachés de recherche examinent la chose parce que c'est très important. Si vous dites que le seul secteur qui répond à la définition traditionnelle de produit dans le GATT c'est celui des magazines, c'est une situation tout à fait différente pour nous. Je pense que ce serait trop simple mais peut-être les autres participants ont-ils...

• 1115

Mme Anne McCaskill: En fait, monsieur le président, je pense que c'est très simple.

Le président: Cela nous aide beaucoup, si vous avez raison.

Mme Anne McCaskill: J'ai participé aux négociations, et ma mission m'a été confiée personnellement par le ministre du Commerce extérieur de l'époque. Il m'a dit que le Canada n'accepterait absolument rien dans la négociation sur les droits de propriété intellectuelle qui aurait pour effet de miner ou de déclarer illégale la moindre politique culturelle existante ou...

Le président: Ses politiques culturelles existantes, parce que vous ne saviez pas ce que vous alliez faire dans l'avenir.

Mme Anne McCaskill: Eh bien, encore une fois, nous n'avons pas accepté d'obligations dans le secteur des services et de la propriété intellectuelle.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: On a une opposition évidente de la part de notre voisin du sud, mais aussi une autre opposition potentielle, soit celle de l'opinion publique ou de la société civile. On a vu comment la société civile s'était soulevée contre l'Accord multilatéral sur l'investissement et avait a priori manifesté son aversion à ces accords négociés loin d'elle qui semblaient mettre en danger ses acquis. Si on se décidait à présenter une position comme celle-là lors des prochaines négociations à l'OMC et ailleurs, quelle serait alors la position de l'opinion publique?

J'aimerais aussi que vous répondiez aux questions de M. Daniel Schwanen, qui parlait, si j'ai bien compris, de quotas et de subventions. Lorsque je pense aux témoignages qu'on a entendus lors de la première table ronde et à la position d'autres groupes de pression, il me semble que la première chose que l'opinion publique dira, bien que ce ne soit pas vrai, à mon avis, c'est que le Canada est prêt à donner sa culture en pâture aux Américains et au monde entier.

Quelle est votre position face aux quotas, aux subventions et à l'opinion publique?

M. Ivan Bernier: Je vais d'abord répondre à la question sur l'impact de la société civile.

À l'heure actuelle, un phénomène nouveau se produit parce que les différents groupes de la société civile sont en contact entre eux à travers le monde par Internet. Ils arrivent à communiquer rapidement et à s'organiser très rapidement à partir de contacts. Un groupe de Canadiens, de Québécois ou d'Ontariens peut facilement communiquer avec des gens en Allemagne et en France qui travaillent dans le même domaine et élaborer des mesures ou des formes d'intervention pour s'opposer à ceci ou à cela. C'est un phénomène nouveau auquel nous sommes maintenant confrontés. On ne sait pas encore jusqu'où cela pourra aller, mais ayant moi-même fouillé sur Internet, je peux vous dire que c'est présent et qu'on attend.

Vous savez qu'il y a actuellement une poursuite devant les tribunaux de Montréal contre un groupe de jeunes qui ont cherché à intervenir durant une rencontre portant sur l'Accord multilatéral sur l'investissement à Montréal. Ils sont poursuivis pour avoir causé du trouble, etc. Mais, derrière cela, il y a un principe, qui est celui du droit de s'exprimer. Tout ceci sera repris et appliqué à nouveau au contexte des négociations. Je pense qu'il y a là quelque chose à surveiller.

Vous avez soulevé deux autres points, soit les quotas et les subventions. Il est clair que ce sont des types d'obstacles qui peuvent et qui vont revenir éventuellement. Dans le domaine de la télévision ou du cinéma, par exemple, les États-Unis avaient menacé l'Europe d'une poursuite. Ils avaient alors invoqué non seulement l'accord du GATT, en faisant valoir entre autres que les émissions de télévision pouvaient être considérées comme des biens, mais aussi... La question n'a jamais été résolue; elle demeure ouverte. Est-ce qu'un film ou un vidéo de télévision est un bien ou un service? Cela fait aussi partie des problèmes qui devront être résolus; on est loin d'avoir des réponses complètes. Vous pouvez vous imaginer la complexité d'une question telle que «est-ce qu'un CD-ROM est un bien, un service ou un programme multimédia».

Le président: Merci.

[Traduction]

Monsieur Blaikie.

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Merci, monsieur le président.

Je dirais d'abord qu'il est essentiellement question ici de savoir s'il devrait effectivement y avoir une négociation comme celle-là et si nous devrions y être. Nous avons entendu les témoins nous exhorter de ne pas y être, même de rejeter l'idée même d'un cycle de négociations. Rien de ce que j'ai entendu ici aujourd'hui a ébranlé ma conviction que l'OMC est un instrument d'imposition du modèle américain d'activité économique sur le reste de la planète. Prédominance ou domination mondiale, pour moi c'est du pareil au même. Voilà la grande question. Quelqu'un ici est-il prêt à dire que nous ne devrions même pas être à la table de négociation?

• 1120

J'aimerais poser une question à M. Bernier. Il est très courant aujourd'hui d'entendre parler de société civile. Je pense que personne ne s'entend sur ce que cela veut dire. Quelle différence voyez-vous entre consulter la société civile et suivre la démarche politique et consulter la population? C'est quoi, la société civile?

L'expression est apparue à la fin de la guerre froide, je crois, quand on a attribué à la société civile le mérite d'avoir fait tomber l'Union soviétique. Je pense avoir compris ce que cela signifiait à l'époque, mais je ne comprends pas ce que Sergio Marchi veut dire lorsqu'il dit que le Canada essaie de tailler une place à la société civile dans les consultations sur la zone de libre-échange des Amériques ou ailleurs. C'est une formule à la mode, mais du diable si je sais ce que ça veut dire. Peut-être vous pourriez m'aider.

M. Ivan Bernier: Cela ne signifie pas l'État, pas l'entreprise, mais d'autres groupes qui ont d'autres projets et qui essaient de faire valoir un point de vue différent dans ces discussions. Essentiellement, ils travaillent sur le terrain. Il s'agit souvent de petites associations qui essaient d'infléchir les vues de la population sur diverses questions. Elles s'organisent en fonction de leurs intérêts, comme l'intérêt des femmes ou les intérêts de l'environnement ou diverses autres questions de ce genre. Il ne s'agit pas habituellement de citoyens ordinaires. Ce sont des citoyens regroupés en petites associations dans le but d'exprimer d'autres vues.

M. Bill Blaikie: Par exemple, quelle est la place des syndicats dans la société civile? Est-ce un groupe d'intérêts? Est-ce que ça fait partie de la société civile? Vous dites que ce n'est ni l'État ni l'entreprise. Pour moi, cela signifie que l'entreprise n'est pas un groupe d'intérêts. Je trouve ça curieux lorsqu'on dit que l'entreprise n'est pas un groupe d'intérêts alors que le reste d'entre nous en est un, comme si l'entreprise n'avait pas d'autre intérêt que de faire de l'argent.

M. Ivan Bernier: Je dirais que la société civile, dans son sens courant, désigne d'autres choses que l'État ou l'entreprise. Cela pourrait désigner les syndicats, mais je ne sais pas si ça désigne les syndicats, qui ont leurs propres moyens de faire valoir leurs vues. Il s'agit de petites associations, composées de gens qui ont le sentiment de ne pas être écoutés, dont les vues ne sont pas prises en compte.

Cela s'est bâti progressivement. Je ne dis pas les mécanismes conçus par l'État pour consulter la société civile excluent les syndicats ou d'autres groupes, même l'entreprise. Mais parmi ceux qui estiment faire partie de la société civile, je dis seulement qu'ils sont différents.

M. Daniel Schwanen: Je pense que ce dont on parle aujourd'hui, c'est l'effet que peut avoir l'élaboration de règles commerciales avec nos partenaires sur la façon dont nous poursuivons certains objectifs nationaux—en matière d'environnement, de main-d'oeuvre et de culture—et comment cette élaboration peut même influer sur ces objectifs. Je pense que c'est peut-être là où on veut en venir lorsqu'il est question de faire participer les groupes que M. Bernier décrivait: nous voulons votre avis sur la façon dont les règles que nous avons élaborées dans ces secteurs vont toucher ce qui vous tient à coeur.

• 1125

Il est évident que l'entreprise s'intéresse beaucoup aux règles commerciales puisque c'est le propre même de l'entreprise. Mais qu'en est-il de l'effet des règles commerciales sur d'autres secteurs? C'est pourquoi à mon avis nous sommes actifs dans ce que l'on appelle la société civile.

M. Bill Blaikie: Je ne comprends toujours pas en quoi c'est différent. Je siégeais ici au comité lorsque nous avons étudié l'ALE en 1987. Nous avons parcouru le pays et entendu quantité de témoins. Nous allons faire de même cette fois-ci, sauf que maintenant il s'agira de témoins de la société civile. La dernière fois, on les appelait tout simplement des citoyens. C'est le même groupe et sans doute les mêmes gens et c'est pourquoi je pense qu'il serait bon d'avoir une définition plus nette.

En tout cas, je conteste l'avis selon lequel la société civile désigne des gens qui estiment qu'on ne les écoute pas, contrairement aux syndicats. Dans ce genre de négociations, il n'y a pas d'autre groupe qui a eu moins d'influence sur les résultats des négociations que le mouvement syndical, qui a toujours pris le contre-pied du résultat que nous avons obtenu.

Le président: Monsieur Browne, voulez-vous essayer de répondre?

M. Dennis Browne: Non, en fait, non.

Le président: Je ne pensais que vous penchiez de ce côté.

M. Dennis Browne: Je veux revenir à ce que vous avez dit au début. Devrait-il ou non y avoir un cycle de négociations? Le Canada devrait-il ou non y participer?

Vos attachés de recherche vous auront sûrement dit que nous nous sommes engagés par écrit à entreprendre la renégociation de l'accord sur l'agriculture l'an prochain et à renégocier l'accord sur les services. Cela est déjà prévu dans les accords de l'OMC. Ce sont de toute évidence des questions qui revêtent une grande importance pour le Canada et, dans le cas du deuxième, l'accord sur les services, c'est bien de cela que nous discutons aujourd'hui, comme l'a fait remarquer Mme McCaskill.

Cela nous ramène à la question de savoir quel est l'endroit où discuter de la culture. Quelle que soit la décision finale de la communauté internationale à propos de la culture, le dossier doit être incorporé à l'OMC. Les mécanismes de règlement des différends de l'OMC pourraient alors servir à appliquer ces décisions. Cela en fera partie intégrante de façon permanente. Comment y parvenir, c'est une autre question.

Prenons le cas de l'agriculture. Avant le cycle d'Urugay, beaucoup de travail avait été accompli à l'OCDE pour jeter les bases de négociations sur l'agriculture. Beaucoup de travail a aussi été fait par ce que l'on appelle le groupe Cairns, composé de pays à vocation agricole plus petits, pour essayer d'influencer les travaux. Ce sont là des enseignements qui peuvent s'appliquer à la culture.

Il faudrait trouver un cadre qui ne soit pas un cadre de négociation pour les discussions préliminaires—c'est ce qui se fait actuellement—de manière à dégager un terrain d'entente commun entre un nombre important de pays. Il n'est pas nécessaire que les États-Unis soient à la table. De fait, ils ne pourront pas y être. Il faut que les petits pays essaient dès le début d'influer sur l'ordre du jour parce que la décision finale, celle à la onzième heure, sera prise par les États-Unis, l'Europe et peut-être le Japon.

Si nous intervenons dès le début et savons bien où nous voulons aller, nous pouvons compter sur le consensus d'un certain nombre de pays et nous aurons ainsi la possibilité d'influencer les négociations. Comme M. Bernier l'a dit, il est peut-être déjà trop tard pour se donner une stratégie globale pour le cycle du millénaire. Néanmoins, cela ne devrait pas nous faire dévier de notre objectif ultime, qui est d'obtenir des règles claires pour pouvoir maintenir la diversité culturelle au Canada et dans d'autres pays.

Le président: Merci beaucoup.

Madame Bulte.

Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je tiens à vous remercier tous d'être venus aujourd'hui. Je vais délaisser un peu l'OMC pour parler de la ZLEA, car je crois savoir que même si les décisions finales se prennent à l'OMC, il y aura des discussions de nature technique à la ZLEA.

J'ai lu le rapport du GCSCE, et je souscris à ses recommandations et à l'idée d'accords internationaux. Mais très prochainement il y aura la ZLEA, que certains considèrent être un prolongement de l'ALÉNA. Dieu nous en préserve, mais c'est ainsi que c'est perçu. Là, il y a une exemption culturelle. Nous avons tenu des discussions sur l'AMI, où nous avons produit une nouvelle définition de la culture préparée par la SOCAN. Que va-t-on faire à la veille de la ZLEA? Je ne peux pas croire que nous allons passer complètement sous silence la culture et nous contenter d'ajouter à l'ALÉNA. Que devraient faire nos négociateurs? J'aimerais que vous nous disiez ce que l'on fait dès maintenant de la culture pendant que l'on attend la préparation de cet accord international.

• 1130

M. Dennis Browne: En ce qui concerne la ZLEA, je pense que vous l'avez très bien décrite. Actuellement, les pays de l'hémisphère sont en train d'apprendre ce que sont leurs obligations à l'OMC et ce qu'ils veulent y ajouter. Par définition, la base de la ZLEA c'est l'OMC, et l'on ajoute ensuite un niveau à l'OMC.

Personnellement, je pense que la ZLEA n'aboutira sans doute pas à un accord commercial hémisphérique parce qu'au bout du compte, les questions seront incorporées au cycle du millénaire de l'OMC. Dans l'intervalle, cependant, vous avez tout à fait raison, des questions seront évoquées qui influeront sur nos objectifs culturels. J'estime quant à moi qu'au lieu d'essayer de s'en servir de lieu de négociation de nos instruments culturels, ce qui ne serait sans doute pas à notre avantage—les premiers intéressés ne sont pas à la table—nos négociateurs devraient prendre bien soin, quel que soit le sujet de discussion ou de négociation dans le cadre de la ZLEA, de ne pas s'engager dans la voie dont Mme McCaskill parlait. On ne devrait pas nous soutirer des obligations ou des engagements qui compliqueraient ensuite l'intégration du volet culturel à un accord commercial plus vaste.

Est-ce que cela vous semble sensé?

Mme Sarmite Bulte: Oui, mais parallèlement, il faut se rappeler ce qu'a dit M. Penson, c'est-à-dire comment les amener à négocier. Il me semble qu'il serait avantageux de réunir les différentes parties—surtout celles qui viennent d'Amérique centrale et d'Amérique latine et qui ont leurs propres politiques en matière de culture—afin de négocier également avec les États-Unis à ce moment-là.

Cela dit, le professeur Bernier a parlé de la dominance des États-Unis. Ce que préconisent les pays des Caraïbes, à l'heure actuelle, c'est un indice de vulnérabilité dans les négociations de la ZLEA. Comment pourrait-on utiliser un tel indice de vulnérabilité? Quelles leçons pouvons-nous en tirer, puisque nous sommes les voisins des Américains?

Dernière question, M. Penson a également demandé comment les amener à négocier. Il y a sept à 10 jours, je crois, j'ai lu un article dans le Wall Street Journal au sujet de l'OMC et des bananes, de l'Union européenne et des États-Unis. On disait dans cet article, entre autres, que les lois relatives aux sanctions commerciales des États-Unis vont peut-être à l'encontre de l'OMC. Serait-ce une façon d'amener les Américains à négocier, alors?

Je pose ma question à tous les témoins.

Mme Anne McCaskill: Je me permets de répondre. Il y a deux éléments à votre question. Premièrement, tant qu'il n'y a pas eu de consultations internationales sur les questions qui sous-tendent la politique en matière de culture, il est fort probable que nous demeurerons dans une impasse totale dans les négociations commerciales dans ce domaine, tout comme nous nous sommes retrouvés dans une impasse absolue dans les discussions de l'AMI. Voici quelle sera la situation.

Nous entamerons les prochaines négociations l'an prochain. Les Américains demanderont l'accès à notre marché de la publicité dans le secteur des magazines et de la radiodiffusion. Ils nous demanderont de prendre des engagements quant à notre secteur de la radiodiffusion, d'une façon plus générale—c'est-à-dire nos services de radiodiffusion—et également dans le domaine de l'audiovisuel. Lorsqu'ils négocieront les APIC, ils demanderont également l'application du traitement national des droits d'auteur sur tous les tableaux.

Le Canada ne sera pas en mesure de faire devoir à aucune de ces demandes, à moins qu'il soit prêt à abandonner, en fait, la plupart des politiques que nous avons actuellement dans le domaine de la culture. Aucun gouvernement ne s'est montré disposé à cela jusqu'à présent. Nous avons déjà débattu de cette question il y a 10 ans lors des négociations de l'ALE avec les États-Unis. En réalité, les exigences des États-Unis auront pour effet net de mettre à la poubelle notre cadre actuel de politique en matière de culture, de services et de droits à la propriété intellectuelle.

Je ne crois pas qu'il sera possible de s'entendre dans ce domaine tant que nous n'aurons pas réglé les problèmes sous-jacents en matière de culture. D'après les Américains, il ne s'agit pas de culture mais de commerce. Nous, nous disons qu'il s'agit de culture. Nous entretenons depuis fort longtemps un dialogue de sourd sur cette question. Je ne crois pas que cela s'améliorera dans les prochaines négociations. Il n'y aura pas de solution tant que nous n'aurons pas réglé les questions sous-jacentes de politique culturelle—c'est-à-dire les objectifs légitimes de la politique et les moyens pour atteindre ces objectifs.

• 1135

M. Sandy Crawley: La ZLEA se trouvera dans un cul-de-sac, pour user d'une autre métaphore. Même si rien n'arrive, on pourra en tirer bien des leçons. Je reconnais le bien-fondé de votre question. On peut en apprendre beaucoup et on peut établir des relations avec les nations des Caraïbes, celles de l'Amérique latine, etc., pour nous préparer à la possibilité d'amener les Américains à négocier dans ce nouveau cadre, ce qui représente, pour le Canada, un rôle ambitieux.

Nous nous accommodons parfois de ces choses. Les Américains ont-ils signé la convention sur les mines antipersonnel? Non, pas encore. La convention est néanmoins un progrès pour le reste du monde. Il existe là un problème politique. Je suis très heureux que vous ayez posé ces questions, car les leaders politiques devront établir ces relations.

Si les intérêts commerciaux des Américains—qui n'ont rien à voir avec la culture, d'après leur définition—sont menacés de quelque façon, ils viendront bien négocier. Cela ne pose pas de problème. Il faudrait prendre un certain élan avec nos alliés stratégiques. Comme l'a dit Anne, nous devons fixer nos objectifs très clairement dans notre politique intérieure afin de savoir comment négocier dans un contexte qui ne nous convient pas. Ce sera l'impasse.

Le président: Nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il faut nous trouver des alliés stratégiques. Nous devons créer une sorte de groupe Cairns sur cette question de la culture, et les États-Unis de toute évidence n'en feront pas partie.

La plupart des membres de notre comité voyagent beaucoup dans l'exercice de leurs fonctions. Pour ma part, j'ai consulté tous les présidents de comités européens et de comités des affaires étrangères, mais je n'ai pas constaté un appui énorme. Je n'ai pas trouvé dans ces pays un appui aussi important que je l'aurais cru. J'ai l'impression qu'ils ne se rendent pas compte du danger. Comme je l'ai dit au président du comité des affaires étrangères de l'assemblée législative d'Argentine, les gens se rendront peut-être compte du problème lorsque toutes les stations de télévision appartiendront aux Américains et que tout ce qui sera diffusé sera des reprises de comédies américaines traduites. À l'heure actuelle, nos pays ne voient pas les choses sous le même angle, surtout pour ce qui est de ceux qui parlent une autre langue.

Comment allons-nous établir cette alliance stratégique d'ici novembre prochain, ou du moins durant les négociations?

Je suis désolé d'interrompre votre période de questions, madame Bulte, mais je sais que vous avez essayé de traiter des mêmes questions lorsque vous avez voyagé.

M. Ken Stein: J'allais dire qu'il faut vraiment travailler sur deux fronts. On ne peut pas ignorer les questions commerciales, refuser de participer ou décider de continuer parce que, dans les nouvelles négociations, on touche de trop près les ententes de services qui auront, comme Anne l'a fait remarquer, des répercussions pour les domaines et les industries de la culture. Mais parallèlement, il faut mettre davantage l'accent sur les discussions sous l'angle de la culture avec les gouvernements.

Vous avez raison, monsieur le président, les ministres du commerce d'autres pays ne se montreraient sans doute pas sensibles à la question de la culture. Toutefois, Mme Copps a je crois adopté la bonne initiative en essayant de discuter comment nous traiterons de cette question avec les autres ministres d'autres gouvernements. En négociant la question jusqu'à ce qu'on trouve une solution, plutôt qu'en invoquant une exemption, comme ce qui se faisait précédemment, on réussira peut-être enfin à démontrer l'importance de ce domaine.

Plus encore, nous pensons que la diversité est importante. S'il n'y avait qu'un produit homogène... Nous devons assumer le leadership et nous devons nous attaquer constamment à cette question, comme l'ont dit Sandy et d'autres, afin de faire valoir ces arguments et faire bouger les choses.

Le président: Monsieur Bernier.

M. Ivan Bernier: J'ai examiné la situation de l'Amérique latine, dans le contexte de la ZLEA, et j'ai constaté des choses très intéressantes. Il y a eu un progrès réel dans l'intérêt que suscite cette question de la place de la culture dans le processus d'intégration. Par exemple, dans le contexte de MERCOSUR, il existe maintenant un groupe de parlementaires qui étudie la question de la culture, un conseil de ministres de la culture, un comité de la culture—tout cela dans le contexte de MERCOSUR. Ces gens se réunissent maintenant régulièrement et réfléchissent à la façon de traiter la culture.

• 1140

Le problème, c'est qu'ils abordent la chose sous un angle différent de celui que nous adoptons très souvent. Pour eux, dans bien des cas, le contrôle exercé par le gouvernement sur la télévision et les services audiovisuels posait un problème. Ce qu'ils voulaient, c'était la diversité culturelle. Mais il y a maintenant un autre genre de problème. Il y a trop d'uniformité—ce n'est plus l'intervention et les points de vue du gouvernement, mais plutôt, les points de vue étrangers, dans la plupart des pays de l'Amérique latine.

Mme Sarmite Bulte: Professeur Bernier, vous pourriez peut-être nous en dire davantage sur cet indice de vulnérabilité qui est proposé par les Caraïbes. Comment peut-on l'intégrer à la dominance? Cela dépendra-t-il de la mise en oeuvre? Comment peut-on intégrer cet élément à nos relations avec les États-Unis, si c'est possible?

M. Ivan Bernier: Il est difficile de répondre à cette question, puisqu'il s'agit d'un nouveau concept. Il faudrait peut-être l'examiner de plus près. Dans le contexte latino-américain, en tout cas, je me suis rendu compte qu'il existe certaines puissances au Brésil, et en Argentine aussi dans une certaine mesure, et de toute évidence au Mexique, qui voudraient exporter leurs produits culturels dans le domaine du cinéma et des émissions télévisées. La plupart des autres États sont complètement dépassés par la situation. Leur vulnérabilité est extrême. Ces pays doivent vraiment lutter pour obtenir davantage de produits culturels chez eux. Dans le cas de l'Uruguay, par exemple, seuls sept pour cent des émissions de télévision, environ, sont produites au pays.

M. Ken Stein: Permettez-moi d'ajouter une observation. Il est possible d'être également plus précis. Les États-Unis appuient les ententes de droits d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle. Dans bien des cas, mais pas dans tous, les États-Unis appuient certaines limites à la propriété dans leurs secteurs particuliers.

Quand je travaillais avec Gérard Pelletier, il y a 25 ans, nous avons constaté de nombreux cas dans lesquels les États-Unis ont appliqué une politique de suppression des annonces publicitaires pour protéger les intérêts américains de la publicité sur le tabac. Ils ont utilisé un système de substitution simultanée appelé, je crois, SYNDEX, pour occulter les annonces de leurs propres radiodiffuseurs. Les Américains contrôlent leurs propres services de radiodiffusion par satellite. À l'heure actuelle, cela pose un certain risque pour le secteur des satellites américain.

Les Américains ont donc toutes ces possibilités. Il ne faudrait pas croire que les Américains vont accepter d'emblée qu'il s'agit d'un marché libre. Ted Turner disait toujours que la grande force des décideurs américains, c'est qu'ils ont fait accepter au reste du monde la séparation de la distribution et du contenu, mais qu'eux-mêmes, ils s'en moquent éperdument.

C'est bien ce que font les Américains, n'est-ce pas?

Le président: Tout à fait.

M. Ken Stein: C'est exactement ce que je dis; c'est ce qu'ils font. J'ai rencontré les représentants du secrétaire au commerce américain pour discuter de bon nombre de questions concernant l'entreprise. Ils disent toujours qu'il faut laisser s'exercer les forces du marché, mais il me vient à l'esprit au moins 10 cas différents où ce n'est pas le cas. Je leur demande combien de services de programmation canadiens sont distribués par les câblodistributeurs américains, et ils ne peuvent jamais me répondre. Je leur dis pour ma part que nous distribuons des douzaines de réseaux américains.

L'envers de la médaille, cependant, c'est que, comme Anne le dit, il ne s'est pas posé de problème quant à l'Accord de libre-échange. C'est bien, mais essayez donc de vendre votre produit aux États-Unis, essayez d'expliquer à quelles sortes d'obstacles vous êtes confrontés à Michael MacMillan, Robert Lantos ou Jim Shaw.

Le président: Les producteurs de cinéma.

M. Ken Stein: C'est exact. Il faut donc être direct avec eux. Il existe des cas précis dans le domaine de la propriété intellectuelle, des droits de distribution et de la propriété qui peuvent être discutés à la table de négociation pour leur montrer qu'il y a des choses qui laissent autant à désirer de leur côté.

Le président: Nous l'avons constaté. Merci.

Monsieur Penson, à vous la parole. Je vais vous demander si vous auriez la gentillesse de laisser la parole d'abord à M. Speller, car il doit se rendre à une autre réunion.

M. Bob Speller (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.): Monsieur le président, je poursuivrai dans la même veine que M. Blaikie sur la question de savoir si nous devrions négocier ou non. Je ne sais pas si le NPD est d'accord pour que nous négociions ou non, mais j'aimerais donner l'occasion aux autres membres du groupe de répondre à cette question. Je sais que M. Browne l'a déjà fait. À quel point est-il important que le Canada participe à ces négociations?

Mme Anne McCaskill: Le Canada doit négocier. Dans le cadre des accords actuels, il est prévu qu'il y aura d'autres négociations, et ces négociations auront lieu. On ne sait pas encore exactement quelle en sera la portée ou la formule, mais il y aura des négociations. Le Canada doit y prendre part pour faire valoir et défendre ses propres intérêts. La question est de savoir si le Canada devrait préconiser des négociations ambitieuses de vaste portée ou des négociations de portée plus modeste. C'est ce qui doit être discuté, car je ne crois pas que l'on puisse éviter les négociations.

• 1145

Le président: L'un des membres du groupe pense-t-il que le Canada ne devrait pas participer aux négociations? Peut-être faudrait-il commencer par là.

M. Sandy Crawley: Je dirais seulement qu'il ne faut pas être prêt à parier sans s'assurer qu'on a des chances de son côté. Vous ne pouvez pas jouer perdant. Il faut avoir des objectifs très clairs et savoir exactement quand il y a lieu de se désister, comme nous l'avons fait pour l'AMI. Si nous n'avions pas été à la table de négociation de l'AMI, nous aurions pu nous voir imposer un accord auquel nous n'aurions pas participé. Il serait donc naïf de dire que nous ne pouvons pas être de la partie.

Le président: Monsieur Bernier.

M. Ivan Bernier: Il y a une différence importante entre l'AMI et l'OMC. L'OMC...

[Note de la rédaction: Inaudible]

...l'OCDE n'était rien. Vous pouviez vous dissocier de cet accord sans que cela n'ait de graves conséquences. Mais si vous ne participez pas à l'OMC ou même aux négociations, vous êtes complètement en dehors du coup. L'OMC compte 134 membres et, si vous en êtes exclu, cela pourrait poser un sérieux problème.

M. Ken Stein: J'ajouterais qu'en examinant les conséquences des politiques commerciales, nos réussites et nos échecs, nous avons constaté que, lorsque les négociateurs commerciaux du Canada rencontrent suffisamment tôt ceux des autres pays, nous arrivons généralement mieux à résoudre ces questions.

Nos négociateurs commerciaux ont remporté un bon nombre de victoires dans toutes sortes de secteurs, mais il faut qu'ils se mettent au travail de bonne heure. Selon moi, la question n'est pas de savoir s'ils devraient être ou non à la table de négociation, mais plutôt ce qu'ils font maintenant. Ils devraient être au travail afin que nous soyons prêts et que, quand le moment viendra de négocier, nous sachions exactement quels sont les atouts dans notre jeu, quelle position nous adopterons. Ainsi, nous aurons déjà réglé certaines de ces questions à l'avance.

Le président: Merci.

Monsieur Penson.

M. Charlie Penson: Nous avons parlé de la possibilité de vastes négociations, de négociations du millénaire, qui mettront toutes sortes de questions différentes sur le tapis. Cela nous ramène à ce que je disais à propos de l'agriculture. C'est un secteur important qui a besoin d'une libéralisation des échanges et qui voudrait mettre de nombreuses questions sur le tapis, non seulement du point de vue du Canada, mais du point de vue de l'Union européenne qui devra peut-être céder beaucoup de terrain dans le secteur de l'agriculture. Si des questions comme la loi sur la concurrence internationale et les droits de propriété intellectuelle étaient mises sur le tapis, cela permettrait d'avoir des négociations plus importantes. Voilà ce que j'essayais de faire valoir également.

Monsieur Stein, vous avez mis en lumière les obstacles qui bloquent l'entrée aux marchés des États-Unis. Nous savons qu'ils existent également dans les autres secteurs et que les Américains sont très durs en affaires. Ils veulent que nous leur donnions libre accès à nos marchés alors qu'il est difficile pour nous d'accéder à leurs propres marchés. L'agriculture est un autre secteur dans lequel ils ont toutes sortes de programmes différents.

Il serait utile que vous informiez le comité de problèmes que nous avons dans le secteur culturel et des domaines dans lesquels nous n'avons pas accès aux marchés américains. Nos négociateurs peuvent discuter de ces questions et se servir de ce déséquilibre pour améliorer notre position.

On a également parlé plus tôt de la domination du marché des États-Unis pour ce qui est de la distribution de films. La loi sur la concurrence américaine peut servir à lutter contre cela. Une meilleure solution serait peut-être de se servir de leur propre loi contre eux pour aider notre industrie à améliorer sa situation. Votre groupe pourrait-il nous fournir ce genre de renseignements? Je crois que cela nous serait utile.

Le président: Merci. Ce serait utile en effet. Comme je l'ai dit, si l'un de vous a des idées au sujet d'un autre pays qu'il connaît bien—M. Bernier a eu la gentillesse de nous parler du MERCOSUR—et que nous devrions examiner lorsque nous voyagerons ou lorsque nous chercherons à créer des associations avec d'autres pays, cela nous serait également très utile.

• 1150

Permettez-moi de poser également une ou deux questions.

Madame McCaskill, vous avez bien exposé, dans votre mémoire, les difficultés que nous avons à survivre. Lorsque nous avons tenu nos audiences sur la politique culturelle canadienne, lors de notre examen de la politique étrangère, il y a quelques années, le document préparé par ce comité mixte contenait un chapitre sur la culture et l'apprentissage. Ann Medina, John Ralston Saul et un tas de personnes ont comparu devant le comité où nous avons longuement discuté de cette question. Ils ont fait valoir que nous étions maintenant d'importants exportateurs de biens culturels et que si nous voulions que la culture canadienne prenne sa place dans un monde moderne intégré, nous ne pouvions pas rester isolés. Il faut donc trouver un moyen d'exporter notre culture.

Je crois que, lorsque nous négocierons, nous rechercherons des politiques qui nous permettrons non seulement de survivre... car je suis d'accord avec vous, sans culture canadienne, comment allons-nous protéger l'assurance-maladie, le contrôle des armes à feu et tout ce qui correspond aux valeurs canadiennes? C'est une question de politique, mais aussi de culture. Nous devons trouver un moyen de faire également partie du reste du monde. Il y a donc un équilibre très délicat à assurer.

Voilà la question que je veux vous poser. Je vais poser toutes mes questions après quoi vous pourrez peut-être y répondre dans l'ordre.

Monsieur Browne, vous avez parlé de la culture et de l'OMC. Je suis d'accord avec vous, mais de nombreux témoins nous ont dit que l'OMC est la seule chose qui allait compter parce que, contrairement à l'ONU, qui n'est pas aussi efficace, l'OMC est la seule organisation à avoir un mécanisme de règlement des différends vraiment efficace. Les questions concernant l'environnement, le travail et la culture vont finalement se retrouver toutes devant l'OMC, car si une entente peut être conclue, c'est l'endroit où elle pourra être appliquée. Ce système va-t-il être soumis à des pressions si fortes qu'il ne pourra pas y résister? Telle est la crainte qui a été exprimée.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez et ce que tous les participants à la table ronde pensent d'un de mes violons d'Ingres. Quand nous parlons de la société civile et du fait que l'OMC sera peut-être la seule organisation valide au monde pendant un certain temps, pourquoi personne ne parle de créer une association parlementaire autour de l'OMC où l'on pourra discuter des questions dont nous parlons aujourd'hui, où un représentant de l'Uruguay pourra nous parler tandis que nous pourrons nous entretenir avec quelqu'un de la Chine, lorsque ce pays finira par adhérer, et ainsi de suite? C'est ce qu'une société civile est censée être, elle est censée être représentée par des élus et des membres du gouvernement. Mais peu de témoins, voire aucun, n'a soulevé cette question.

Lorsque nous sommes allés à Genève, pour le 50e anniversaire, M. Blaikie et M. Speller, qui sont maintenant partis, et moi-même, avons participé tous les trois à un groupe de discussion organisé par un ONG sur ce sujet. De tous les politiciens qui se trouvaient en ville pour l'occasion, nous étions les seuls à y participer, ce qui est assez typiquement canadien. Les Canadiens veulent prendre part à tout.

Voilà mes trois questions, en commençant par Mme McCaskill, puis M. Browne, et je vous demanderais ensuite de répondre à la question de savoir si une assemblée parlementaire serait une bonne idée.

Mme Anne McCaskill: Vous soulevez là une question importante à propos de laquelle les gens expriment souvent des inquiétudes et font valoir qu'il existe des tensions entre les intérêts de nos exportateurs et la politique de protectionnisme culturelle que nous voulons poursuivre. Je crois nécessaire de faire le point au sujet de certaines hypothèses.

En premier lieu, notre marché de biens culturels est entièrement ouvert. Nous ne limitons pas les importations de biens culturels. Par conséquent, nous n'avons pas à éprouver la moindre gêne lorsque nous cherchons des marchés d'exportation pour nos biens culturels. Ce serait merveilleux si nous pouvions occuper 86 p. 100 des heures de grande écoute à la télévision américaine ou 50 p. 100 des ventes des périodiques aux États-Unis. Nous n'avons pas à ressentir la moindre gêne de ce côté-là. Je ne pense pas qu'il y ait des tensions. Les mesures que nous prenons...

Le président: Comment allons-nous pénétrer le marché américain?

Mme Anne McCaskill: Cela varie d'un secteur à l'autre. Il y a certains secteurs culturels dans lesquels nous avons un potentiel d'exportation et où nous obtenons déjà d'assez bons résultats—mais cela n'a aucune commune mesure avec ce que les Américains font sur notre marché. Et il y a d'autres secteurs culturels dans lesquels nous ne pouvons tout simplement pas exporter. Par exemple, les périodiques ne sont pas des produits d'exportation et cela ne vaut pas uniquement pour les périodiques canadiens. Seuls les périodiques américains font exception à cette règle.

• 1155

Lorsqu'il s'agit de pénétrer le marché de la câblodistribution et de la radiodiffusion aux États-Unis, des obstacles bien réels s'y opposent. Ce n'est pas nécessairement dû à la réglementation, mais plutôt au système. Je ne sais pas comment les négociations commerciales permettront de surmonter ces obstacles. Ils ne résultent pas nécessairement de barrières s'opposant à l'accès aux marchés, bien que les Américains fassent la même chose que nous du côté des services et du côté de l'investissement.

Je crois qu'il est important d'examiner cette question et de bien la comprendre, et cela pour deux raisons. Premièrement, il s'agit de pouvoir répondre aux Américains lorsqu'ils se plaignent de certaines règles ou de règlements du CRTC. Les Américains occupent 86 p. 100 des heures de grande écoute de la programmation en langue anglaise à la télévision canadienne. Il serait intéressant de pouvoir souligner l'impossibilité de pénétrer les grands réseaux de radiodiffusion des États-Unis. Deuxièmement, s'il est possible d'aborder certaines de ces questions d'accès, au niveau bilatéral, avec les États-Unis, je ne vois aucune raison de ne pas le faire.

Le président: Merci.

Monsieur Acheson.

M. Keith Acheson: J'aurais une ou deux choses à ajouter à ce qui vient d'être dit.

Je crois que nous devons examiner nos propres politiques. Notre marché n'est pas ouvert au reste du monde pour ce qui est du contenu. Dans le secteur des périodiques, ce n'est pas que l'on empêche l'entrée au Canada de certains périodiques, mais cela coûte plus cher. Ils ne sont pas subventionnés pour l'affranchissement. Par conséquent, je peux recevoir chez moi deux des trois revues publiées en Angleterre auxquelles je suis abonné. L'une d'elle est The Economist et l'autre The Times Literary Supplement. Je ne pense que leur contenu va faire de moi un mauvais Canadien. Peut-être vaudrait-il mieux que je lise Châtelaine, mais je ne le pense pas. Je ne vois donc pas pourquoi je devrais payer parce que je ne lis pas des choses distrayantes. J'ignore pourquoi je lis toutes ces choses, mais cela m'intéresse. Pourquoi doivent-elles être plus coûteuses? Il y a des produits étrangers qui ne peuvent pas être importés au Canada. Je ne reçois pas HBO, etc., et je ne dis pas que ce soit une perte. Une bonne partie de ces produits peuvent nous arriver par d'autres voies.

Si l'on prend l'exemple des États-Unis, on dira sans doute que les Américains sont durs en affaires. Je suis sûr que leur attitude déteint de façon négative sur les négociations commerciales et sans doute sur la politique commerciale, mais par ailleurs, le marché est très ouvert et offre des occasions extraordinaires à nos industries culturelles.

Nous avons la chance exceptionnelle d'avoir un petit contingent de gens intelligents sur deux des principaux marchés linguistiques du monde. Nous ne pourrons pas nous permettre les mêmes budgets, ni garder les mêmes spécialistes dans notre pays s'ils ne peuvent pas participer à des marchés plus vastes. Ils y participent déjà.

Si l'on considère la croissance des sociétés de production cinématographique, on voit qu'une bonne partie de leurs recettes de ventes provient de l'étranger. C'est manifeste pour CINAR, pour Atlantis, pour Alliance, pour Coscient, tous les... Elles soutiennent ici des activités créatives qui sont exportées par la suite.

• 1200

En ce qui concerne les magazines étrangers, un auteur canadien ne peut généralement pas publier dans les magazines étrangers, parce que ceux-ci ne s'intéressent pas aux histoires canadiennes. Mais prenons le cas d'Alice Munro ou de Mavis Gallant. Sans doute Mavis Gallant vit-elle à Paris depuis des années, et sans doute s'agit-il là d'une forme de culture artificielle d'expatriée, mais elle écrit sur certains quartiers de Montréal comme personne d'autre au monde ne pourrait le faire.

À mon avis, on ne peut pas prétendre que toute la production étrangère soit de mauvaise qualité, ni que le consommateur canadien qui veut acheter un produit de cette qualité se fait avoir. Je ne me fais pas avoir lorsque j'achète ces magazines. La qualité y est. Je ne leur connais aucun équivalent canadien. Personnellement, je ne vois pas pourquoi on m'en priverait, et pourquoi on priverait nos jeunes et tous nos créateurs de la possibilité de participer à un vaste secteur. Rien ne peut justifier qu'on interdise aux magazines canadiens spécialisés en environnement, en technologie, etc., d'accéder à un vaste marché mondial.

Mme Anne McCaskill: Monsieur le président, puis-je répondre? Des données de fait...

Le président: Je vous signale qu'il est midi passé. C'est regrettable, mais c'est ce qui se produit à toutes nos tables rondes. On aborde à peine la partie la plus intéressante du débat, et c'est déjà fini. Je crois que c'est dans la nature des choses. Les échanges sont un peu crispés au début, puis...

Mme Anne McCaskill: Me permettez-vous de corriger brièvement une erreur factuelle dans les propos que vient de tenir M. Acheson?

Le président: Si vous avez relevé une erreur factuelle, oui, mais s'il s'agit d'une opinion, nous risquons...

Mme Anne McCaskill: D'après les statistiques, les exportations de magazines de tous les pays du monde, sauf des États-Unis, atteignent en moyenne 1 p. 100 de la production intérieure. Le contenu des magazines est local. C'est comme les journaux ou les nouvelles locales. Voilà les faits. Encore une fois, les exportations atteignent en moyenne 1 p. 100. Les États-Unis exportent environ 5 p. 100 de leur production intérieure, et la quasi-totalité des exportations viennent au Canada.

Deuxièmement, rien ne vous empêche d'acheter n'importe quel magazine de n'importe quel pays au monde.

Le président: M. Acheson n'a pas prétendu le contraire.

M. Keith Acheson: Je n'ai pas prétendu le contraire.

Mme Anne McCaskill: Mais il a indiqué...

M. Keith Acheson: J'ai dit qu'ils coûtaient plus cher.

Mme Anne McCaskill: Oui, car le Canada accorde des subventions aux éditeurs canadiens, tout en se conformant aux règles de l'OMC. Nous avons parfaitement le droit d'agir ainsi et de nombreux pays en font autant.

Le président: Voilà l'argument canadien, mais il est très intéressant. Merci beaucoup de le faire valoir. Nous devrions organiser davantage de tribunes qui permettent un véritable débat.

Je tiens à vous remercier très sincèrement de votre présence. La matinée a été très intéressante et très stimulante. Croyez-moi, nous allons continuer à fouiller la question. N'hésitez pas à nous écrire si vous avez d'autres remarques à formuler.

Chers collègues, nous avons une petite question administrative à régler. Nous avions l'intention de nous rendre dans l'Ouest pendant la semaine du 19 avril. Il va falloir remettre ce voyage à la semaine du 26 avril.

Nous reprendrons nos travaux jeudi matin à 9 heures. La séance est levée.