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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 22 mars 1999

• 0933

[Français]

Le président suppléant (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Bonjour, chers collègues. Bienvenue à Québec.

C'est la 104e séance du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous ferons l'examen des objectifs du Canada en matière de commerce et du programme de l'Organisation mondiale du commerce, ainsi que l'examen des intérêts prioritaires du Canada dans le processus de création de la Zone de libre-échange des Amériques.

Nous avons le privilège de recevoir une fois de plus le professeur Ivan Bernier de la Faculté de droit de l'Université Laval, qui nous parlera ce matin de l'Organisation mondiale du commerce en tant que forum ainsi que des secteurs particuliers. M. Bernier témoignera à titre personnel. Bienvenue, monsieur Bernier.

M. Ivan Bernier (professeur, Faculté de droit, Université Laval; témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président. Je veux souhaiter la bienvenue aux députés dans la ville de Québec.

Je vais vous parler de l'OMC en tant que forum, mais auparavant, je voudrais vous rappeler mon intérêt pour cette question de l'OMC et des négociations commerciales. Cet intérêt vient évidemment du fait que j'enseigne depuis près de 30 ans cette matière qui a pris une ampleur considérable depuis le début des années 1960.

• 0935

À l'heure actuelle, je me retrouve avec des étudiants qui manifestent un intérêt absolument remarquable pour ce type de questions. Ils comprennent de plus en plus l'importance des relations économiques internationales et le fait qu'on se trouve dans une situation où les frontières tendent à perdre de leur importance au plan économique. Ils entrevoient l'avenir de façon ouverte. Ils ont un esprit critique et ils se posent des questions sérieuses à l'égard de la mondialisation, mais, d'une façon générale, ils entrevoient l'avenir dans cette direction.

Cela dit, je voudrais d'abord vous parler de l'organisation en tant que forum. Les négociations qui vont débuter en l'an 2000 sont la suite d'un long processus qui remonte à 1947-1948, mais il faut prendre conscience des particularités de ce processus de négociation depuis la création de l'OMC.

En ce qui concerne le membership de l'organisation, il faut conserver à l'esprit qu'elle est devenue véritablement multilatérale au sens le plus large. Il y a près de 134 ou 135 membres de l'OMC, et la plupart des États qui ne sont pas encore membres en ont fait la demande. C'est donc un forum d'une importance majeure au plan international; je ne dirais pas qu'il est comparable à l'Organisation des Nations unies, mais il est certainement de cette ampleur.

Ce qui reste à compléter, c'est l'entrée des États membres de l'ancienne Union soviétique qui sont devenus indépendants et, ce qui est peut-être encore plus important, de la Chine. Des négociations ont commencé en 1986 pour faire entrer la Chine dans l'OMC et, depuis quelques années, on annonce l'entrée de la Chine dans les mois à venir. Cette question est encore difficile et intéresse ou lie en particulier les États-Unis et la Chine, qui sont deux grandes puissances chacun à leur façon.

Si l'entrée de la Chine doit se faire cette année ou l'année prochaine, cela aura forcément un impact sur les négociations à venir. Avec son poids, elle influencera les autres pays en développement et défendra vraisemblablement des idées qui ne seront pas nécessairement celles des pays occidentaux. Il faut conserver à l'esprit qu'il risque d'y avoir une dynamique différente de ce point de vue.

On sait que la plupart des pays en développement qui, autrefois, avaient choisi d'oeuvrer surtout au sein de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, ont maintenant joint l'OMC. Ils vont donc chercher à exercer eux-mêmes une influence collective dans ce cadre et, s'ils ont l'appui de la Chine, cela va changer un peu les choses.

L'autre chose qui risque d'affecter et de modifier la façon de négocier, c'est ce phénomène dont on nous a souvent parlé au cours des six à huit derniers mois, soit celui de la nécessité d'ouvrir l'OMC, de la rendre plus limpide, de faire en sorte qu'elle fasse place aux organisations non gouvernementales et à ce qu'on appelle la société civile.

L'Organisation mondiale du commerce a fait de cette ouverture sur l'extérieur l'un de ses objectifs. Elle a maintenant une politique à l'égard des organismes non gouvernementaux et à l'égard de la société civile, et il y a de bonnes chances que ceci modifie substantiellement la façon de négocier.

• 0940

Le Canada, dans un tel contexte, devra chercher à persuader beaucoup plus qu'il n'était nécessaire de le faire autrefois. Il faudra convaincre de l'intérêt et de la nécessité d'un développement comme celui réalisé dans le cadre de l'OMC. Le Canada pourra faire valoir, avec raison, que depuis 1947, d'abord avec le GATT et maintenant avec l'OMC, le régime juridique du commerce international mis en place lui a été favorable ainsi qu'à l'ensemble des États. L'idée de base était d'instaurer un régime de droit dans le domaine du commerce international plutôt qu'un régime axé uniquement sur la puissance économique et sur les forces. Le Canada a eu une influence importante et a pu faire valoir adéquatement ses intérêts, et il se doit de continuer à négocier et à faire valoir son point de vue dans ce cadre.

Certains problèmes se présentent aussi dans ce forum. La première chose qu'il faut souligner, c'est la tendance constante à l'élargissement du champ d'action de l'OMC. Lors des dernières négociations, se sont ajoutés, aux domaines traditionnels d'intervention du GATT, la propriété intellectuelle, certains aspects de l'investissement et les services. Il est question qu'on retrouve au programme de négociation des sujets comme la concurrence et les investissements, pour ne mentionner que ces deux-là.

Cette multiplication de nouveaux domaines d'intervention de l'OMC et la conclusion d'accords dans ces domaines variés font en sorte qu'il y a maintenant un risque de contradiction entre les accords et entre les engagements. Comme exemple bien connu, il y a l'opposition entre le GATT et l'Accord général sur le commerce des services, le GATS. Ce conflit a été mis en évidence, entre autres, dans l'affaire sur la banane dont vous avez tous entendu parler et dans l'affaire sur les périodiques, celle qui concerne directement le Canada présentement.

Dans ces conflits, on a soulevé le problème de déterminer si les interventions nationales étaient relatives aux services ou aux biens et, souvent, la décision rendue l'a été à la surprise des gouvernements concernés. Ayant travaillé sur la question des services, par exemple, je pense qu'il est inévitable que ce type de conflits se multiplie. Il faudra, dans les négociations, établir des règles plus précises à cet égard.

Le règlement des différends est un autre aspect important dont il faut absolument parler parce qu'il a pris une nouvelle ampleur avec la création de l'OMC. Depuis le 1er janvier 1995, pas moins de 160 plaintes ont été portées devant l'OMC, ce qui représente pratiquement plus que le nombre de plaintes portées entre 1947 et 1994. Comme certaines de ces plaintes sont portées par plusieurs pays, le même objet de plainte peut donc revenir avec des parties différentes en cause, mais au total, un nombre important de différends sont maintenant devant l'OMC, et le rythme ne semble pas vouloir ralentir.

Encore cette semaine, on annonçait que le Canada pourrait porter plainte contre les États-Unis devant l'OMC sur le transport des animaux. Cette affaire est la toute dernière. Il faut savoir que le Canada se retrouve actuellement avec huit ou neuf plaintes devant l'OMC. On se rend ainsi compte de l'importance réelle de ce mécanisme de règlement des différends. Il faut regarder quel type de résultats il a donné depuis l'entrée en vigueur du mémorandum sur le règlement des différends adopté en 1994.

• 0945

Une des caractéristiques qui ressortent est celle de la judiciarisation ou de la légalisation du processus de règlement des différends. De 1947 jusqu'à pratiquement 1970 ou 1980, ce processus faisait une large place à la dimension politique, à la négociation. Graduellement, en particulier au début des années 1970 et dans les années 1980, une place plus importante a été accordée au droit. Avec le nouveau mécanisme de règlement des différends que nous avons maintenant, il est clair que le droit occupe une place prépondérante, mais cela ne va pas sans soulever de problèmes.

Tout d'abord, on constate que pratiquement toutes les décisions rendues par des groupes spéciaux vont en appel. En appel, la décision a un caractère encore plus juridique que ce n'est le cas quand il s'agit du groupe spécial, parce qu'on se retrouve en présence de juges qui ont une expérience professionnelle du droit, qui ont siégé comme juges pendant de nombreuses années et qui, évidemment, rendent une décision axée essentiellement et exclusivement sur le droit, comme il se doit.

Lorsque vient le temps de mettre en oeuvre ces décisions, on se rend compte qu'il y a des difficultés. Étant donné le peu de place laissée à la négociation et à la dimension politique, les États perdants vont essayer, en règle générale, de mettre en place la décision en l'analysant dans le but de voir ce qui est possible. La décision spécifie généralement ce qui est incompatible avec le droit de l'OMC. Les parties qui voient leurs interventions ou leur législation jugées incompatibles vont de plus en plus chercher à trouver ce qui est compatible, de sorte qu'on se retrouve avec des mesures de mise en oeuvre qui visent souvent à réaliser les mêmes objectifs que celles qui ont été condamnées, mais qui sont, elles, compatibles avec les exigences de l'OMC.

C'est exactement ce qui se passe dans le cas des périodiques. Le Canada est convaincu que sa loi répond aux exigences de l'Organisation mondiale du commerce et de l'ALENA et qu'il peut donc faire une intervention légitime pour réaliser ses objectifs. Dans le cas des États-Unis, on constate qu'ils poursuivent les objectifs du Canada sous une autre forme. On peut faire la même analyse, jusqu'à un certain point, dans le cas des exportations de bananes.

Je pense que, de plus en plus, on va se retrouver confrontés à ce genre de problème. Cela va peut-être demander des éclaircissements ou des interventions de la part des négociateurs pour clarifier exactement quelle est la part au plan politique, ou la part de négociations, et quelle est la part au plan juridique.

Pour le moment, il y a encore négociation seulement pour la mise en oeuvre de la décision, et cela donne les résultats que l'on connaît. Cela donne comme résultat qu'il y a menace d'utiliser des mesures de représailles, puis contre-menace de mesures de représailles, sans que l'on cherche véritablement à savoir si les nouvelles mesures adoptées sont elles-mêmes juridiques. Il y a véritablement là un problème qui devra, je pense, être clarifié.

Il y a également les problèmes périphériques à l'OMC. Il faut prendre conscience du fait que, dans le fonctionnement de l'OMC, il y a maintenant les problèmes que son directeur général décrit lui-même comme étant périphériques, des problèmes que l'OMC ne peut pas régler à elle seule. Il y a par exemple tout ce qui touche le travail et les clauses sociales que l'on voudrait voir intégrées dans les accords commerciaux internationaux.

• 0950

Il y a aussi les problèmes ayant trait à l'environnement et aux décisions rendues par l'OMC dans ce domaine et aux possibilités d'incompatibilité entre les accords environnementaux et les accords commerciaux. Ce sont des difficultés qui prennent une ampleur croissante et auxquelles l'OMC se trouve confrontée. La semaine dernière, l'Organisation mondiale du commerce a organisé une conférence précisément dans le but d'aborder ces questions environnementales.

Je pense que dans ces domaines du travail, des questions sociales, de l'environnement et de la culture, des questions devront être clarifiées. Je suggérerais au gouvernement canadien de faire un effort spécial pour susciter un débat sur la question des relations entre le droit de l'OMC et le droit des autres organisations internationales.

Par exemple, en ce qui concerne le travail, on peut penser aux relations entre l'Organisation internationale du travail et l'OMC; pour l'environnement, aux relations entre l'OMC et les organisations environnementales. Pour ce qui est de la culture, il faudra explorer à l'avenir les relations entre l'OMC et l'UNESCO.

Comme vous le savez, le Groupe consultatif sur les industries culturelles suggère dans son rapport que l'on négocie une convention internationale. Si cette convention n'est pas négociée dans le cadre de l'OMC proprement dite, elle ne pourra l'être véritablement que dans le cadre de l'UNESCO. Il y aura là un problème, soit celui des possibilités de conflit entre l'UNESCO et l'OMC sur ces questions.

Donc, en ce qui concerne les problèmes périphériques, je pense qu'il est important que le Canada et les autres pays membres de l'OMC se penchent de près sur la question des relations qui doivent être établies entre l'OMC et les organisations spécialisées dans les domaines en question.

Je passe rapidement aux secteurs particuliers. Un accord sur les services me paraît particulièrement important. Les négociations qui vont débuter en 2000 dans le domaine des services sont obligatoires; on n'a pas le choix. Dans le texte même de l'accord, on demande qu'il y ait des négociations sur les services à partir de l'an 2000.

En premier lieu, il faut souligner que l'Accord général sur le commerce des services en est à ses débuts. Il sera donc amené à s'élargir au fil des négociations, tout comme le GATT a pris de l'ampleur au fil des négociations qui ont conduit à l'abaissement des droits de douanes et des barrières non tarifaires.

Il faut savoir également que dans l'accord conclu lors de l'Uruguay Round, des négociations ont été prévues. Leur poursuite a été rendue obligatoire dans trois domaines particuliers dont je voudrais vous dire un mot.

Le premier domaine où il devait y avoir poursuite des négociations était celui des subventions. Ces négociations viennent à peine de débuter, et il est prévisible qu'elles se poursuivront dans le cadre de l'OMC. Il en va de même pour les mesures de sauvegarde qui seraient prises en matière de commerce des services et pour les marchés publics. Dans ces trois domaines, on risque donc d'assister à de nouveaux développements.

Si je m'en tiens simplement au secteur des subventions, il est clair que ceci va prendre une importance considérable. Dans certains domaines, que ce soit celui de la culture ou des services, les subventions sont assez nombreuses. Si on se retrouve avec un régime de réglementation des subventions qui ressemble le moindrement à ce que l'on retrouve dans l'Accord général sur les subventions et les mesures compensatoires de l'OMC, des contraintes importantes s'appliqueront en matière de services pour ce qui est des subventions.

À cet égard, je pense que lors des prochaines négociations, il faudra bien faire l'analyse des mesures canadiennes existantes qui accordent des subventions dans le secteur des services pour voir s'il sera éventuellement nécessaire de demander des réserves dans différents secteurs.

• 0955

C'est une opération qui peut être longue et pénible, mais je pense qu'il est essentiel qu'elle soit faite, et bien faite, si l'on veut préserver une marge de manoeuvre pour l'État.

Maintenant, en ce qui concerne l'élargissement de la portée de l'accord dans les négociations de l'an 2000, des questions vont survenir. Ces questions sont apparues avec l'entrée en vigueur de l'Accord général sur le commerce des services, notamment celle du rapport entre l'investissement et les services.

Comme vous le savez sans doute, en matière de commerce des services, il est souvent nécessaire d'avoir une présence commerciale dans le pays où l'on veut exporter les services. À partir du moment où l'on parle de présence commerciale, il est souvent question d'investissements et on se demande alors si les investissements réalisés pour établir une présence commerciale relèvent de l'accord sur les services ou s'ils relèvent d'un accord sur l'investissement. Encore là, on retrouve une possibilité de conflit entre les services et l'investissement. C'est un problème qui n'est pas résolu et qui devra faire l'objet d'une analyse serrée et de mesures précises.

Il en va de même pour la question de la circulation des personnes. En matière de services, il est souvent nécessaire que les personnes se déplacent pour offrir les services. À l'heure actuelle, la réglementation sur la circulation des personnes en regard de la fourniture de services laisse à désirer. On applique de façon générale les règles concernant l'immigration aux citoyens étrangers qui veulent venir au Canada, mais une question va se poser, et ce sera celle de savoir dans quelle mesure ces règles demeureront compatibles avec les exigences voulant que l'on facilite la circulation des personnes pour permettre la fourniture de services.

Toutes ces questions sont des questions complexes pour lesquelles il faudra absolument trouver des réponses claires, à défaut de quoi l'Accord sur le commerce des services sera source de problèmes nombreux.

Je vais terminer en parlant de l'investissement et de la concurrence. En ce qui concerne l'investissement, la possibilité qu'il devienne l'objet d'un accord, question débattue dans le cadre de l'OMC, est assez grande. À cet égard, je pense que l'expérience récente du Canada oblige à revoir une partie de ce que l'on retrouve dans le projet qui avait été négocié par l'OCDE et, à la limite, dans les normes que l'on retrouve dans l'ALENA.

Ici, je veux faire allusion en particulier aux problèmes des expropriations déguisées, ce qu'on a appelé les creeping expropriations en anglais, et aux plaintes auxquelles le Canada se trouve confronté dans ce domaine. S'il y a négociation sur l'investissement, il faut absolument que ces questions soient clarifiées parce qu'on ne pourra pas avoir véritablement un accord sur l'investissement si l'on s'en tient au texte proposé dans l'AMI et à celui de l'ALENA. Je soupçonne que la réaction des gens sera la même, de façon générale et dans plusieurs pays. On ne peut pas accepter un accord qui permette à des entreprises de contester l'intervention gouvernementale aussi facilement.

Je voudrais également mentionner que si l'on veut que la négociation d'un accord sur l'investissement réussisse, il faut absolument qu'elle se fasse de concert avec celle d'un accord sur la concurrence. Lors des négociations de l'OCDE sur l'investissement, le sentiment général était que cet accord servait d'abord et avant tout les grandes entreprises. Je pense que c'est une vue tronquée de la réalité. Cet accord favorise les pays exportateurs et les pays importateurs, il permet de régler nombre de problèmes en matière d'investissement et il facilite l'investissement mais, malgré tout, il y avait des failles dans cet accord. La principale était le fait qu'on avait le sentiment que l'intérêt des investisseurs était pris en cause d'abord et avant tout, ce qui est normal.

• 1000

Pour contrebalancer cela, il est important d'avoir un accord sur la concurrence qui vise les actions privées des grandes entreprises, les forçant à oeuvrer dans un cadre défini de concurrence, qui serait acceptable à l'ensemble des pays membres de l'OMC et qui serait contraignant dans certains contextes où on lie l'investissement à la concurrence. Je pense qu'il y a là quelque chose qui peut être intéressant.

On ne peut pas passer sous silence le problème de la relation entre le multilatéralisme et le régionalisme. Dans ce contexte, je voudrais vous dire que j'ai vraiment des doutes à propos de la stratégie canadienne visant à multiplier les accords de libre-échange un peu partout dans le monde.

Je pense que c'est une stratégie contre-productive qui va nuire et qui a déjà commencé de nuire à l'Organisation mondiale du commerce. Cette stratégie inquiète, et je pourrais vous le démontrer à partir des déclarations nombreuses du directeur général. Cela inquiète ce dernier, M. Ruggiero, et il faudrait peut-être que le Canada revoie cette stratégie.

Il y a risque de contradiction. Il y a risque de balkanisation des organisations à vocation commerciale internationale, de contradiction dans leurs actions et éventuellement d'affaiblissement de l'OMC. Je suggérerais que cette approche soit révisée, non pas pour dire qu'il faut abandonner toute entreprise dans ce domaine, mais pour revoir cette stratégie qui consiste à multiplier à gauche et à droite de tels accords.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Bernier. Vous nous avez donné un aperçu général de ce qui se passe et surtout de ce qui va se passer à l'OMC. Nous allons maintenant passer à la période de questions.

[Traduction]

Je vais demander à M. Obhrai de poser la première question. Monsieur Obhrai.

M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Réf.): Merci.

Vous allez devoir écouter l'interprétation.

J'ai trouvé votre analyse fort intéressante. C'est la première séance à laquelle j'assiste. Voici ce qui m'intéresse... Vous avez parlé de la loi. Vous avez évoqué la mise en application de la loi et le processus judiciaire. Je suppose que vous parlez de la loi qui régit l'OMC, et qui est exécutoire. Toutefois, il me semble que vous avez évoqué un fait très important, à savoir que l'OMC n'est pas un organisme transparent, les ONG et les autres groupes de pression n'ayant pas voix au chapitre. Le résultat, je présume, aboutit à une décision étroite—et je demande ici votre opinion—et les pays qui poursuivent leurs propres objectifs politiques interviennent.

Vous avez fait allusion à la question de la Chine. Je suppose que vous songiez alors à l'éventuelle adhésion de la Chine, ce qui supposerait qu'elle ferait intervenir son propre programme politique dans l'organisation. Cela se produit également ici. Actuellement, nous assistons au Canada à un débat sur le projet de loi C-55, qui, en l'occurrence, du point de vue de mon parti, reflète le programme politique du gouvernement. C'est notre opinion, les Américains en ayant une différente assortie d'une vision de rechange.

Quelle incidence, d'après votre étude et selon votre opinion, le fait d'élargir la portée de l'organisation et de permettre à plus de pays d'y adhérer aura-t-il sur le libre-échange, sur l'OMC, une fois que toutes les pressions politiques se seront exercées et que la lettre de la loi ne sera plus respectée? Comment entrevoyez- vous cette situation, notamment l'avènement éventuel des ONG et d'autres services sociaux?

[Français]

M. Ivan Bernier: Je vais répondre en français. Ce que l'on peut escompter de cette arrivée de la Chine et de l'influence qu'elle va exercer auprès des autres pays en voie de développement, c'est un impact qui se fera sentir dans le rythme des négociations et surtout dans la possibilité d'un nombre croissant de situations spéciales ou d'exceptions reconnues pour les pays en développement. On verra également une prise en compte plus importante des problèmes ayant trait à la culture et au travail, mais pas nécessairement toujours dans la direction qu'on pourrait envisager.

• 1005

Ainsi, en ce qui concerne le travail et l'environnement, on pourrait prévoir une résistance à la mise en oeuvre de règles rigoureuses et strictes contraignant les pays en développement à mettre en oeuvre des politiques qu'ils seraient incapables, en réalité, de mettre en oeuvre. On le constate, à l'heure actuelle, à propos de l'insertion de clauses sociales dans les accords commerciaux. Il y a une opposition quasi unanime, parmi les pays en développement, à toute tentative d'intégrer des clauses de cette nature à l'OMC.

En matière d'environnement, les pays en voie de développement résistent de façon assez importante à ce que l'OMC s'engage dans le secteur de l'environnement. On craint, en effet, que cela serve à restreindre les exportations des pays en développement dont les produits ne satisferaient pas à des exigences environnementales qu'ils sont par ailleurs incapables de respecter. Voilà le type de problèmes qui risqueraient, jusqu'à un certain point, de se multiplier.

Il y aura aussi prise en compte de l'importance des questions concernant l'emploi et le développement, et une plus grande attention portée au rôle de l'économie dans le développement humain. C'est un discours qui, à mon sens, prendra peut-être une importante croissante, vu l'ouverture qui se fait également du côté des ONG et de la société civile.

Donc, à mon avis, on assistera à des négociations différentes, plus complexes, mais qui obligeront en même temps à mieux saisir la portée des régimes que les pays développés ont traditionnellement mis en place chez eux.

Je ne sais pas si cela répond à vos interrogations.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: J'adopte ici le point de vue suivant: l'OMC a été créée pour promouvoir le libre-échange dans tous les secteurs, et étant donné ce que l'on envisage ici, je me demande si dans l'avenir le mandat de l'OMC ne risque pas d'être restreint de telle sorte que, étant donné le jeu de toutes les exceptions que vous avez mentionnées et celui des intérêts politiques, l'OMC se transformerait ni plus ni moins en une autre organisation inefficace. Est-ce une possibilité? C'est ce que je conclus de votre analyse des exceptions et de tout ce qui se prépare...

[Français]

M. Ivan Bernier: Il faudra faire un effort pour résoudre cette dichotomie dans les intérêts qui va se manifester davantage avec la nouvelle OMC, mais je ne suis pas nécessairement prêt à dire qu'il y aura affaiblissement de l'OMC, perte d'influence et nécessité de s'en remettre uniquement aux organisations régionales.

L'OMC, ou le GATT, à travers plusieurs crises, a démontré par le passé qu'elle savait retomber sur ses pieds, et j'ai encore le net sentiment qu'il faudra trouver et qu'on trouvera une réponse à ces problèmes. Cette réponse ne sera pas nécessairement du côté des accords régionaux. Ultimement, il faudra bien que les choses se fassent à un niveau multilatéral.

Si on s'arrête simplement au domaine de l'investissement, l'intérêt d'un accord multilatéral sur l'investissement est précisément qu'il incorporerait les pays en développement et l'ensemble des pays du monde. Je pense qu'on a besoin d'un forum de cette nature, mais ce sera plus complexe et plus difficile d'y arriver que par le passé.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Bernier.

Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Monsieur Bernier, je vous remercie d'avoir pris de votre précieux temps pour venir témoigner devant nous à titre personnel. Vous aviez déjà participé à une table ronde à Ottawa. Il est intéressant de connaître votre point de vue de façon plus approfondie.

Dans votre étude des grandes questions relatives à l'OMC, vous avez porté à notre attention quelque 75 questions auxquelles vous ne pourrez certainement pas répondre au cours des 10 prochaines minutes. Donc, si par bonheur vous aviez un mémoire pour compléter votre page de notes sur les grandes lignes de votre plan d'intervention, c'est avec grand plaisir que j'en prendrais connaissance. Je suis sûr qu'il en va de même pour les autres membres du comité. Vous pourriez nous le faire parvenir plus tard. Est-ce possible, monsieur le greffier? Donc, si jamais vous aviez des écrits sur les multiples questions que vous avez posées, j'en serais bien aise. Je vais cependant en énumérer quelques-unes pendant le peu de temps mis à notre disposition.

• 1010

Vous avez parlé du problème de la Chine et de ses divergences de vue par rapport aux États-Unis et aux pays occidentaux, si elle adhérait à l'OMC au cours des prochains mois. Pourriez-vous élaborer un peu sur ces divergences? C'est ma première question.

Vous avez aussi parlé d'un processus pour se prémunir contre les mesures de représailles qui seraient appliquées à la suite des décisions d'un panel ou d'un tribunal d'appel de l'OMC. Est-ce que vous avez des pistes de solution pour qu'on puisse se prémunir contre ces décisions?

Vous avez aussi parlé d'ouverture vers la société civile. Comment et pourquoi? Vous avez parlé des liens entre l'OIT, l'OMC, l'UNESCO, etc., et des problématiques périphériques. Dans la sphère économique, on parle du FMI et d'une nouvelle architecture, terme à la mode. Voulez-vous parler d'une nouvelle architecture de ces multiples institutions qui nous gouvernent que sont l'OIT, l'UNESCO et l'OMC? Iriez-vous jusque-là?

Voici ma dernière question. Sur le plan de la culture, quand vous êtes venu participer à la table ronde sur la culture, on a entendu un discours à l'unisson voulant qu'il fallait une convention sur la culture dans le cadre de l'OMC. Si ma mémoire est fidèle, vous disiez qu'il était peut-être trop tard pour proposer cette idée à l'OMC, à cause de l'emploi du temps commandé par son programme. Ce matin, vous dites qu'on pourrait le proposer à l'UNESCO. Pourriez-vous élaborer davantage? Si vous n'avez pas le temps de le faire, peut-être pourriez-vous nous faire parvenir vos réflexions par écrit plus tard.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Vous avez donc cinq questions.

M. Ivan Bernier: Je vais répondre rapidement compte tenu du temps qui nous reste. Je vais commencer par la question sur la culture. J'ai effectivement voulu souligner, à Ottawa, qu'il était probablement inutile de songer à conclure une convention culturelle dans le cadre de l'OMC parce que c'était déjà trop tard. À mon avis, cela ne fonctionnera pas.

Par contre, il pourrait y avoir négociation d'une convention sur la culture dans un autre cadre qui serait a priori plus favorable, celui de l'UNESCO forcément. Le problème qui va surgir, par contre, est précisément celui que je mentionnais tout à l'heure, à savoir celui des relations entre ce qui pourrait être négocié dans le cadre de l'UNESCO et les engagements que les parties sont déjà à négocier à l'OMC. Il faudra bien trouver moyen de régler ces différends.

Je ne pense pas que ce soit impossible; c'est de même nature que les problèmes qui se posent à l'heure actuelle en matière environnementale. On travaille fermement à trouver un mécanisme qui permette que des accords multilatéraux sur l'environnement puissent prendre place face à l'OMC et, par conséquent, à établir des relations entre les organismes qui régissent ces accords et l'OMC. Voilà pour la dernière question. Je vais les prendre à rebours.

Par rapport aux problèmes périphériques, je pense qu'il y a effectivement une tendance qui se manifeste à l'heure actuelle. On commence à voir les interrelations qui existent entre les différents types d'organisations internationales et à voir qu'il devient de plus en plus nécessaire de structurer ces relations d'une façon plus précise.

À l'heure actuelle, il est possible qu'une organisation internationale siège à l'OMC à titre d'observateur, mais ce n'est pas suffisant. Ce n'est pas ce à quoi je pense. À mon avis, il faudra avoir des mesures beaucoup plus efficaces et plus concrètes pour permettre la résolution des problèmes qui opposent ces différentes organisations ou qui opposent des accords distincts.

À propos de la société civile, vous demandez comment et pourquoi. Je pense que la seule façon de faire est de favoriser toujours une plus grande limpidité, de faciliter l'accès aux documents pertinents. Évidemment, dans un monde idéal, on pourrait souhaiter que l'ensemble des groupes qui constituent la société civile puissent avoir un mot à dire dans les négociations, mais c'est une utopie. On ne négocie pas à 100, à 200 ou à 300. Il faut avoir un organisme ou un groupe négociateur.

• 1015

Mais on peut définir les mandats. Cela peut se faire quand on sait que dans le contexte européen, la commission doit développer des politiques qui soient à la satisfaction de l'ensemble des États membres et qu'à l'intérieur des États membres, il y a là aussi des groupes distincts qui font valoir leurs points de vue. Je pense que, pour un pays comme le Canada et pour les autres pays membres de l'OMC, il y a possibilité de développer de tels mécanismes.

Une rencontre comme celle d'aujourd'hui fait partie de ces mécanismes. Cependant, il y en a d'autres qui peuvent être envisagés. Il peut y avoir éventuellement des liens sectoriels entre organismes pour les intéresser davantage à certaines discussions sectorielles et pas seulement à des points de vue globaux ou généraux. Je pense qu'il faudrait développer des approches sectorielles en fonction des problèmes qui sont soulevés ou d'autres questions. Quoi qu'il en soit, je crois que l'essentiel est de chercher à aller plus loin, de chercher à intéresser à ce que fait le Canada et à l'expliquer, et de convaincre du bien-fondé des mesures qui sont prises.

Pour ce qui est des représailles consécutives aux décisions, c'est clair qu'on se trouve véritablement face à un problème. Aujourd'hui, j'insisterais en particulier sur le fait qu'il faut absolument se sortir de cette situation où un pays peut, simplement en annonçant des mesures de représailles, créer un tort à d'autres pays. Vous comprenez évidemment ce que je veux dire par cela.

Ce qu'il va falloir faire accepter et préciser, dans le cadre de l'OMC, c'est qu'un pays ne puisse pas procéder de cette façon. Un pays pourrait user de représailles une fois qu'il aurait obtenu l'autorisation de l'OMC de le faire. La mesure de représailles ne devrait être annoncée qu'une fois que le pays a été autorisé à exercer des représailles.

Aux États-Unis, étant donné l'article 301 du Trade Act, il est clair que ce sera difficile de renverser la situation actuelle, qui plaît aux industriels américains et permet d'exercer des pressions considérables. Je crois que ce sera difficile, mais il va falloir s'en sortir. Pour s'en sortir, il faudrait peut-être, en plus d'interdire ce type d'action quant aux représailles, voir à développer des mécanismes plus efficaces sur le plan de la consultation et des discussions lorsque vient le moment de mettre les décisions en oeuvre.

Une période de 12 à 15 mois suit la prise de décision, pendant laquelle les États visés par la décision peuvent discuter entre eux, avec l'aide de l'OMC. Je pense qu'on est en train de prendre des leçons à ce sujet, et il faudrait sans doute qu'on parvienne à se donner des règles plus précises pour faciliter le règlement des différends plutôt que de les rendre plus complexes et plus difficiles.

Finalement, il y a la Chine et les divergences de vue entre elle et les pays occidentaux. La Chine, évidemment, veut promouvoir, dans le cadre de sa demande d'adhésion à l'OMC, une perspective plus favorable aux pays en développement, une perspective qui tienne davantage compte de leurs difficultés. Cela peut se manifester dans différents domaines, que ce soit dans celui de la propriété intellectuelle, dans celui de l'investissement ou dans d'autres secteurs comme ceux-là. Je pense que la Chine et d'autres pays en développement vont arriver avec des propositions plus concrètes, qui feront l'objet de demandes officielles. Ce seront des projets présentés au nom des pays en développement, dans ce contexte-là.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Bernier.

Nous allons maintenant donner la parole à M. Bachand.

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Comme le disait mon collègue Benoît Sauvageau, il y a énormément de questions à débattre. Il est certain qu'au cours de cette semaine et des semaines qui vont suivre, nous aurons le temps d'en poser et de recevoir des réponses beaucoup plus globales.

J'aurais envie de vous demander, ainsi qu'à tous les autre témoins, de me faire un portrait de l'OMC. Je pense toutefois qu'en cinq minutes, on n'aurait pas nécessairement le temps d'y parvenir. Tenons-nous en donc à des points plus particuliers. C'était un premier commentaire.

• 1020

Vous avez exprimé votre inquiétude quant au risque de diminuer l'importance de l'OMC par la ZLEA, la Zone de libre-échange des Amériques, ainsi que par toutes les ententes bilatérales, trilatérales ou régionales au niveau des blocs. C'est une inquiétude que je ne partage pas vraiment. Je pense que c'est tout simplement diminuer convenablement et de façon constructive le poids de l'OMC pour l'avenir.

Personnellement, j'encourage le gouvernement canadien à conclure rapidement des ententes régionales convenables au niveau de l'Amérique. Pourquoi? C'est que de plus en plus, dans les négociations internationales, même si les pays individuels y sont représentés, les blocs, que ce soit de l'Europe, de l'Amérique du Nord, de l'Amérique du Sud ou de l'Asie, s'y trouvent aussi représentés de façon directe ou indirecte et il se fait des consensus.

Actuellement, l'Europe se prépare à adopter une position commune vis-à-vis de l'OMC, où elle se manifeste avec un poids politique, démographique et économique très fort. Le Canada doit lui aussi s'allier sur un plan régional pour faire face à cette musique jouée, non pas par des pays individuels, mais par des blocs. On pourrait même dire que ce sont des blocs continentaux qui sont en train de se consolider. Donc, je pense qu'il est correct de le faire, mais de façon constructive.

C'était un commentaire. Je passerai maintenant à des choses plus pointues qui cadrent avec votre expérience et votre formation sur le plan juridique.

On entend souvent dire que les ONG et la société civile, donc les individus, n'ont pas de voix à l'OMC, lors du groupe spécial, lors du panel et même lors de l'appel. Mais il y en a qui vont plus loin et qui disent que même des ONG ou la société civile pourraient porter plainte. Qu'en pensez-vous en rapport avec la position des pays qui considèrent devoir maintenir leur souveraineté en ce qui a trait à la procédure juridique?

J'en parle parce que ma deuxième question est un peu liée à cela. C'est à propos de l'AMI. Vous savez que les négociations de l'AMI n'ont pas fonctionné. On a mis cela sur le dos de la culture, mais je pense que c'était beaucoup plus compliqué et qu'il ne s'agissait pas seulement de la culture.

Au niveau de l'AMI, les entreprises avaient un droit de poursuite qui retirait aux États—ce qui était extrêmement dangereux, à mon point de vue—un élément incroyablement important de leur souveraineté. Croyez-vous qu'il serait possible que des instances autres que les gouvernements ou les États puissent porter plainte?

Plus précisément, toujours au niveau de l'AMI, croyez-vous qu'on est en train, dans nos négociations sur l'investissement, d'essayer de faire en entrant par la porte d'en arrière ce qu'il est impossible de faire en entrant par la porte d'en avant?

L'AMI n'a pas fonctionné. Il a été publicisé très largement et très rapidement. Pendant deux mois, il a fait la une des journaux. On a vu diverses manifestations, dont Opération SalAMI à Montréal, etc. Ne pensez-vous pas qu'on est en train de noyer, par un processus médiatique... Ce qui n'a pas fonctionné dans le cas de l'AMI, on va le refaire dans le cadre d'une négociation très globale, et les résultats risquent d'être les mêmes. Il y a toujours le point de vue juridique, professeur Bernier, par rapport à qui peut faire appel, etc. Donc, c'est relié à l'AMI.

M. Ivan Bernier: Je pense que dans le cadre des décisions rendues récemment à l'OMC, il y eu a un début d'ouverture à la participation de groupes, mais il s'agit de quelque chose d'assez limité. Cela ne se fait pas directement, mais un groupe peut remettre un mémoire à son pays, et l'État national peut l'intégrer dans son propre mémoire.

M. André Bachand: Monsieur Bernier, vous ne parlez pas du Parti réformiste qui a... [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Ivan Bernier: Non. C'était lors d'une décision concernant l'environnement aux États-Unis, où les groupes environnementaux avaient réussi à faire passer dans le mémoire américain une partie de leurs propres revendications.

• 1025

Cela dit, les groupes en question ont demandé d'avoir la possibilité de remettre directement à l'OMC, et non pas par l'entremise de leur État, un mémoire qui serait pris en considération directement par le groupe spécial. Ce dernier s'y est refusé en disant qu'il revenait aux États de le faire. On sent cependant qu'une tendance est en train de s'installer et qu'il pourrait y avoir, à certaines conditions, possibilité de faire des choses. On en est rendu à peu près là.

Pour ce qui est d'une participation plus directe au mécanisme de règlement des différends ou à l'OMC, cela n'est pas sérieusement envisagé. Les choses se font beaucoup plus au niveau de la consultation.

Dans le cas de l'AMI, vous avez raison. Il y avait un problème majeur du fait que des investisseurs pouvaient assez librement contester des réglementations nationales. Mais le problème n'est pas tant lié au fait que les investisseurs ont le droit de contester les réglementations qu'au fait qu'on leur a donné une possibilité d'action beaucoup plus grande que celle qu'on aurait dû leur accorder en réalité. Cette possibilité implique, dans le cas d'une expropriation, qu'un investisseur puisse se plaindre directement et demander un arbitrage, mais lorsqu'on parle de situations équivalant à une expropriation, on sort de l'expropriation proprement dite. Là, n'importe quoi peut devenir équivalent. N'importe quel investisseur qui se sent menacé par une intervention gouvernementale pouvant affecter le fonctionnement ou le rendement de son entreprise de façon sérieuse peut contester. Cette tendance se dégage à l'heure actuelle.

Ceci va-t-il être repris dans le cadre de l'OMC? Si on doit négocier cette question sur l'investissement dans le cadre de l'OMC, il faut absolument que l'on referme la porte qui a été ouverte à ce niveau-là. On peut laisser aux investisseurs la possibilité de se plaindre sur des choses précises et restreintes d'expropriation véritable ou des choses du genre, mais certainement pas comme on l'a fait pour des situations équivalant à l'expropriation, ce qui ouvre une porte très large à n'importe quoi. Le véritable problème se trouve là.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Bernier.

Madame Folco.

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Monsieur Bernier, c'est la deuxième fois que j'ai le plaisir de vous entendre.

En premier lieu, vous avez parlé des pays en voie de développement et de l'entrée éventuelle de la Chine; vous avez simplement dit que c'était un nouveau concept et que la Chine verrait peut-être les choses d'une autre façon.

Pourriez-vous développer votre idée sur la façon dont la Chine pourrait percevoir son rôle à l'OMC et sur l'importance de son entrée, en particulier pour les pays en développement?

M. Ivan Bernier: C'est quelque chose qui aurait intéressé...

Mme Raymonde Folco: Excusez-moi, j'ai dû m'absenter car j'avais des messages urgents.

M. Ivan Bernier: Je veux y revenir parce que c'est manifestement une question qui suscite de l'intérêt.

Il faut comprendre que la Chine est un pays qui est une grande puissance en devenir sur le plan économique.

Mme Raymonde Folco: En devenir.

M. Ivan Bernier: Elle est une grande puissance en devenir du fait de son immense marché. Le potentiel de son marché intéresse; tout est à développer.

Si les États-Unis vont en Chine et que l'Europe n'y va pas, il est certaine que les Européens seront inquiets. Et si le contraire se produit, les Américains seront également inquiets. Le marché est trop grand et a trop de potentiel pour qu'on puisse ignorer 1,2 milliard d'habitants.

Le fait que ce pays en soit un en développement veut tout dire. La Chine est très consciente de cela et très habile pour négocier l'ouverture de son marché, souvent en forçant les entreprises à réexporter une partie de leur production. C'est ainsi qu'il y a maintenant un déficit commercial de 40 à 45 milliards de dollars entre les États-Unis et la Chine, cela en faveur de la Chine. On parle de beaucoup d'argent et cela ne fait que croître. Les statistiques de la semaine dernière indiquaient que le déficit des États-Unis avec la Chine s'était accru.

Il en va de même pour plusieurs pays développés. Il faut se rendre dans les magasins pour voir tout ce qui peut provenir de la Chine à l'heure actuelle.

Il est certain que la Chine se considère comme une puissance. Dans ses négociations en vue d'entrer à l'OMC, elle a démontré qu'elle saurait prendre le temps nécessaire pour le faire et qu'elle ne céderait pas à des pressions qu'on voudrait exercer sur elle pour qu'elle fasse des concessions aux pays développés ou aux États-Unis.

• 1030

Elle prend le temps nécessaire, sait se défendre et défend des points de vue qu'elle affirme être ceux des pays en développement. Elle recherche un statut de pays en développement. En raison précisément de sa force et de sa puissance, elle forcera les pays développés au sein de l'OMC à écouter ce qu'elle à dire et elle deviendra ainsi en quelque sorte un leader des pays en développement.

Les pays en développement n'ont eu jusqu'à maintenant que très peu de poids dans le fonctionnement de l'OMC. Jusqu'à maintenant, on considérait que les décisions fondamentales dans les négociations se prenaient entre les États-Unis, le Japon et l'Europe. Lorsque les États-Unis se retrouvaient avec l'un ou l'autre des deux autres groupes, il y avait pratiquement une décision acquise.

Cela va très loin et montre bien que la situation particulière vécue jusqu'à aujourd'hui va possiblement changer. C'est cela qu'il faut comprendre. À moins que l'entrée de la Chine à l'OMC soit refusée pour les cinq prochaines années, il est quasi inévitable qu'elle sera membre de l'OMC lors des négociations à venir.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci.

Madame Debien.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Au tout début de nos audiences, nous avons rencontré des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères qui ont dit que des discussions étaient en cours avec les provinces au sujet des futures négociations de l'OMC. D'après vous, quels sont les principaux axes sur lesquels le Québec devrait orienter ses pourparlers dans ces discussions? Quels sont les grands dangers pour le Québec?

Ma deuxième intervention est davantage un commentaire. Vous avez soulevé tout à l'heure les problèmes périphériques à l'OMC, c'est-à-dire les clauses sociales, les droits de la personne et les questions environnementales. L'OMC ne serait-elle pas la réponse institutionnelle la plus appropriée pour traiter, clarifier et régler tous ces grands problèmes? Tous les pays peuvent apposer leur signature au bas des grands instruments internationaux, mais on sait très bien que ces conventions n'ont généralement aucun pouvoir réglementaire ou coercitif, alors que l'OMC s'apprête à devenir l'instance la plus puissante de la planète, où à peu près toutes les questions seront abordées.

M. Ivan Bernier: Pour répondre à votre dernière question, je pense qu'il est risqué de donner autant de pouvoir à l'OMC, d'autant plus que sa logique de fonctionnement fait peu de place aux considérations sociales et aux questions du travail et de la culture; et elle ne fait que commencer à s'intéresser à l'environnement.

J'ai pu suivre l'évolution de l'intérêt de l'OMC pour l'environnement. Cela remonte tout au plus au début des années 1990, pour parler sérieusement. Et même là, il y a un décalage entre le discours de l'OMC sur l'environnement et les actions environnementales prises dans le cadre de l'OMC.

Ce n'est pas facile d'amener une organisation pensée et conçue dans un but essentiellement commercial à prendre en considération des problématiques d'une autre nature. Je concède que cette organisation a atteint un niveau d'efficacité pas nécessairement atteint par les autres, et c'est pourquoi on veut insérer des clauses sociales dans les accords commerciaux.

La solution semble se situer à mi-chemin. Il s'agit non pas de transformer l'OMC en une organisation à la fois sociale, culturelle, environnementale et commerciale, mais de favoriser l'établissement de liens et de règles au niveau des relations entre les problématiques commerciales, environnementales, du travail et culturelles. C'est la direction qu'on semble prendre à l'heure actuelle. On va chercher à développer de façon institutionnelle des liens plus étroits pour favoriser, par exemple, une meilleure prise en considération des questions environnementales à l'OMC, sans pour autant faire de l'OMC une organisation véritablement environnementale.

• 1035

Puisque l'OMC agit dans tous les domaines, je pourrais dire que tout est un enjeu important pour le Québec, bien que, manifestement, l'agriculture se distingue. On sait qu'on vient de rendre une décision au sujet des produits laitiers et que le secteur de l'agriculture est un secteur relativement nouveau parce qu'on n'a véritablement commencé à chercher à intervenir dans ce secteur que lors des négociations de l'Uruguay Round. Les interventions se font au niveau du soutien, des subventions à l'agriculture, des subventions à l'exportation et de l'accès aux marchés. Ce sont les trois grandes questions qu'on soulève dans le secteur de l'agriculture. Il est évident que lors des prochaines négociations, on va chercher à faire diminuer davantage le soutien interne à l'agriculture, à limiter encore davantage les subventions à l'exportation et à ouvrir encore davantage le marché agricole des pays membres.

Dans ces conditions, il est clair qu'il est capital pour le Québec—et ceci prévaut également pour le secteur des services qui est tellement porteur d'avenir—d'avoir sa propre réflexion et d'envisager ces situations à la lumière de ses propres problèmes. C'est pourquoi, selon moi, le gouvernement québécois décidait récemment de faire des démarches pour consulter le secteur agricole en fonction des négociations qui viennent. Ces facteurs ne feront que contribuer à une meilleure compréhension des problèmes qui seront examinés dans le cadre de l'OMC. Plus les gouvernements provinciaux vont s'intéresser à cela et intervenir dans ces secteurs-là, plus ces choses s'en trouveront facilitées.

Mme Maud Debien: Merci, monsieur Bernier.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Monsieur Bernier, avant de vous remercier d'être venu témoigner ici aujourd'hui, j'aimerais vous poser une question. Vous avez brièvement traité de l'accord sur les marchés publics. On sait que le 1er janvier 1996, 27 des 134 pays membres ont signé un accord, bien qu'ils aient émis de nombreuses restrictions. Par exemple, le Canada a émis des restrictions face à la question de la réparation des navires et du transport urbain. Quelle devrait être la position du Canada à l'égard des achats par des administrations provinciales et municipales? Est-ce qu'on devrait aller de l'avant ou émettre des restrictions, tout particulièrement au niveau de l'éducation et des installations hospitalières?

M. Ivan Bernier: Je pense que ce serait utile. Je serais favorable à une prise en compte des marchés publics provinciaux, ne serait-ce que pour permettre une plus grande transparence dans le fonctionnement des marchés. Il y a à l'heure actuelle une situation paradoxale dans le cadre de l'ALENA, qui n'est pas l'OMC mais qui s'en rapproche. Dans le cadre de l'ALENA, on a demandé aux gouvernements nationaux de mettre sur pied un système de révision des marchés publics. Lorsqu'une décision est rendue par un organisme gouvernemental qui conclut des marchés publics, cette décision peut être revue s'il y a des comportements qui vont à l'encontre des exigences de l'ALENA. Ceci a été ouvert non seulement aux Américains et aux Mexicains, mais également à tous les Canadiens, de telle sorte qu'on ne se retrouve pas à donner aux Américains et aux Mexicains des droits que les Canadiens n'auraient pas. Mais cela n'a été ouvert que pour les achats gouvernementaux fédéraux. Je crois que ce ne serait pas une mauvaise chose que les achats gouvernementaux provinciaux soient également visés par de tels accords.

Comme on l'a vu au niveau fédéral dans le cadre de l'ALENA, les 25, 30 ou 35 premières décisions rendues par les organismes gouvernementaux étaient régulièrement condamnées à cause de leur incompatibilité avec les dispositions de l'ALENA. Graduellement, sous la pression de ces plaintes, ils ont commencé à ajuster leur comportement. Les plaintes auxquelles on accorde gain de cause se font désormais plus rares et les organismes agissent d'une façon beaucoup plus prudente, objective et neutre qu'ils ne le faisaient auparavant. S'il en était ainsi pour les provinces, je pense que ce serait un gain. Je souhaite qu'on aille dans cette direction-là.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Bernier. C'est toujours avec grand plaisir que nous vous entendons, et quand vous témoignez à titre personnel, le plaisir est nettement supérieur. Je vous souhaite une bonne fin de journée. Je vous remercie encore une fois d'être venu comparaître devant nous à titre personnel.

• 1040

M. Ivan Bernier: C'est moi qui vous remercie. Je vous souhaite bonne chance. Bon séjour à Québec. Au revoir.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Comme nous sommes déjà un peu en retard, nous allons commencer à entendre dès maintenant notre deuxième témoin, M. Paul Crête, le député du comté de Kamouraska—Rivière-du-Loup—Témiscouata—Les Basques.

Monsieur Crête, je suis persuadé que vous connaissez très bien notre formule. Je vous remercie de nous avoir distribué copie de votre mémoire et je vous invite à commencer.

M. Paul Crête (député de Kamouraska—Rivière-du-Loup—Témiscouata—Les Basques, BQ): Merci de me recevoir. Mon intervention de ce matin s'inscrit exactement dans le mandat qu'on a confié à votre comité.

Je lisais dans les notes que l'étude menée par le comité illustre bien le rôle nouveau que joue le Parlement en général. Moi, je parlerais plutôt du rôle que le Parlement veut jouer. En devenant un lieu d'échange, le comité permet au gouvernement de consulter les Canadiens de façon démocratique avant de négocier des accords internationaux. On voit donc là l'évolution dans les positions; plutôt que d'être devant une situation de fait, les citoyens peuvent donner leur point de vue.

Ce qui m'intéresse particulièrement, c'est la question que vous posez dans ce même document et qui se lit: quelle doit être la position du Canada dans les secteurs où les négociations doivent obligatoirement commencer en l'an 2000, principalement dans le secteur de l'agriculture et dans celui des services? Ma présentation portera précisément sur l'agriculture.

Le 20 février, on tenait dans ma circonscription un colloque sur l'agriculture du KRTB, soit Kamouraska—Rivière-du-Loup—Témiscouata—Les Basques, et la mondialisation. Je crois pouvoir prétendre que nos conclusions peuvent valoir pour l'ensemble du Bas-Saint-Laurent face à la mondialisation.

Je viens aujourd'hui vous livrer le résumé de la réflexion de ce colloque auquel participaient plus de 110 intervenants du milieu agricole, qui étaient autant des producteurs et des gens de la transformation que des élus du monde agricole, si je puis les appeler ainsi. Les présidents des UPA de la Côte sud et du Bas-Saint-Laurent, qui sont les deux UPA régionales concernées, étaient présents. La conférence d'ouverture, qui devait enclencher la discussion, a été donnée par M. Gratien D'Amours, le deuxième vice-président national de l'UPA.

Je sais que vous avez déjà entendu des témoins vous parler de l'agriculture, que vous en entendrez de nombreux autres et que d'autres comités se penchent aussi sur cette question. Je ferai du pouce sur la déclaration de M. Bernier, qui disait que l'agriculture sera vraiment un champ d'action important lors de la prochaine ronde, mais l'optique que je veux vous présenter est plutôt celle d'une région donnée face au le phénomène de la mondialisation.

Qu'est le KRTB? C'est une région agricole très prospère dont l'économie est basée principalement sur la production laitière, à la suite du partage des marchés qui a été fait au Canada en agriculture au cours des années 1960 ou 1970 et qui a fait en sorte que le Québec est devenu nettement le plus grand producteur laitier au Canada. La région que je représente est peut-être un des fers de lance dans ce domaine-là.

Je crois qu'il est important de souligner que ce colloque est né d'un échange que j'avais eu avec des étudiants de l'Institut de technologie agricole de La Pocatière, qui m'avaient dit qu'ils voulaient bien vivre de l'agriculture, qu'ils croyaient avoir la capacité et la formation nécessaires, mais qui voulaient savoir quelles conditions les gouvernements pouvaient leur garantir et s'ils pourraient vivre de l'agriculture à l'avenir. Ils me demandaient: «Qu'est-ce qui fait que je vais me décider à acheter la ferme de mon père et à demeurer dans ce domaine? On ne veut pas une certitude totale, mais on veut savoir dans quelles conditions l'agriculture de demain se fera. Est-ce qu'elle va supposer une transformation en profondeur? Est-ce que nous devrons devenir des gens ayant une expertise beaucoup plus diversifiés plutôt que des producteurs dans un domaine donné seulement? En plus d'être producteurs, devrons-nous aussi être des transformateurs?» Ce sont des questions semblables que les étudiants se posaient.

Le colloque nous a permis de faire une analyse de la situation actuelle, et je vais vous livrer rapidement les grands éléments de cette réflexion. Premièrement, tout le monde à la base était très conscient de la diminution du soutien aux productions agricoles, qui a été présentée comme étant une répercussion de l'application des accords internationaux. Mais on se rend compte que le Canada a été beaucoup plus zélé, si je puis dire, que tous les autres pays de la planète face au respect des exigences des accords internationaux, comme on l'a vu entre autres au niveau des subsides pour le lait. Les intervenants agricoles nous ont lancé un message très clair: avant que le Canada pose tout autre geste dans le domaine agricole pour accroître davantage la correspondance avec les objectifs des accords internationaux, il faut que les autres pays de la planète posent des gestes concrets.

• 1045

Je n'ai pas les statistiques en main, mais elles pourraient vous être fournies par des gens qui ont plus d'expertise dans ce domaine. Je peux cependant vous dire que ces statistiques démontrent clairement que le Canada a vraiment eu une attitude très agressive pour se conformer aux exigences internationales. Il y a même de méchantes langues qui ont dit que c'était peut-être une façon de se trouver un argument pour faire la lutte au déficit et que c'était la contribution des intervenants agricoles à la lutte au déficit.

Deuxièmement, les participants ont dit beaucoup s'inquiéter des conséquences de ce désengagement. On accuse un retard au niveau de la recherche de nouvelles technologies, de produits mieux acclimatés et de programmes ponctuels de gestion de crise. On a vu la nécessité d'intervenir dans ce domaine-là quand le prix du porc a été touché. Il faut réfléchir afin de trouver une façon d'être moins à la merci des crises internationales, telles la crise asiatique, qui peuvent survenir.

On a aussi parlé du manque de contrôle sur l'avenir. Les gens ne veulent pas nécessairement avoir un plus grand contrôle, mais plutôt savoir dans quel environnement ils devront travailler. On propose qu'il y ait une véritable politique agricole qui reconnaisse l'importance de ce secteur de développement et de l'avenir du marché rural et qui comprenne des orientations en vue de favoriser la relève et d'assurer la protection des propriétés agricoles québécoises. Cette recommandation est valable pour l'ensemble du Canada.

Parmi les éléments de solution les plus originaux qu'on a entendus, on disait que le Canada pourrait intervenir au niveau international et proposer de façon stratégique que le système de gestion de l'offre qu'on a développé chez nous soit adopté de plus en plus par d'autres pays, y compris par les pays en voie de développement. Lorsqu'on se penche sur la question de la sécurité financière des agriculteurs américains, on constate qu'ils sont peu avancés au niveau de la gestion de l'offre comparativement à nous. Il y a peut-être une voie d'avenir de ce côté-là. En sécurisant le système interne de gestion de l'offre dans chacun des pays, on diminuerait la nécessité de programmes de subvention. Il y a peut-être même une voie d'avenir en Europe de ce côté-là. Le Canada pourrait mettre cette carte sur la table et contribuer de cette façon à l'évolution des négociations, mais sans avoir à céder sur une libéralisation encore plus grande. Il pourrait plutôt présenter un modèle qui pourrait s'avérer intéressant pour les autres. Cette solution représente peut-être une réponse à certaines de nos inquiétudes.

L'autre question importante sur laquelle nous nous sommes penchés, c'est celle des petits producteurs. Bien que nos fermes aient beaucoup grossi au cours des 10, 15 ou 20 dernières années, serons-nous en mesure de continuer à exploiter des fermes de taille bien inférieure à celles qu'on retrouve aux États-Unis? Est-ce qu'on va pouvoir continuer à avoir des fermes à la fois familiales et industrielles? Il ne s'agit pas de retomber dans le domaine artisanal, mais de faire en sorte que le réseau actuel puisse continuer à exister et conserver sa solidité.

On a aussi beaucoup réfléchi sur le transfert des fermes et sur la façon dont il devrait s'effectuer. On n'est pas loin de la mondialisation. Lorsqu'un fils ou une fille de 20, 22 ou 25 ans doit décider d'acheter ou non la ferme familiale, il faut qu'il ou elle sache dans quel environnement la ferme pourra être exploitée à l'avenir. Est-ce qu'en l'achetant, on est assuré que certains systèmes, comme celui qui régit le quota de lait, continueront de prévaloir? Aujourd'hui, le prix du lait est très bon, mais qui sait ce qu'il sera dans deux, trois ou cinq ans? On pourrait faire une analogie avec les gens qui achètent un permis de taxi et qui ne savent pas si, d'ici quelques années, le système de contrôle de permis va encore exister. Donc, il y a le même genre de problématique.

Les producteurs agricoles ont quand même confiance dans leur capacité de relever le défi d'une concurrence internationale. Ils croient que le gouvernement canadien doit mettre l'accent sur ce que lui permettent les boîtes vertes dans les accords internationaux. Lors de ce colloque, les participants ont vraiment pris conscience que le gouvernement fédéral, entre autres, pouvait intervenir dans le domaine des boîtes vertes sans contrevenir de quelque façon aux accords internationaux.

• 1050

On a l'impression que l'effort supérieur qui leur a été demandé dans la lutte au déficit au cours des dernières années aurait pu être contrebalancé par un effort particulier du côté de la recherche et du développement.

Chez nous, cela a été vécu de façon particulière lors de la fermeture de la Ferme expérimentale de La Pocatière, une ferme spécialisée dans la production ovine, production qui est en croissance au Québec et au Canada. On a argumenté le fait que ce secteur n'avait pas d'avenir, alors que la production était en très grande croissance. On ne veut pas faire rouvrir la ferme fédérale demain, mais les producteurs souhaitent qu'on puisse, dans trois ou cinq ans, dire que le gouvernement du Canada a réinvesti dans la recherche et le développement, dans tout ce qui touche les boîtes vertes et que c'est de ce côté-là que la compétitivité de notre industrie agricole pourra être assurée à l'avenir.

Une voie de réflexion a également été présentée, soit celle de l'importance de différencier la production du Québec. Par exemple, les producteurs québécois refusent d'utiliser la somatotrophine. Est-ce qu'il n'y a pas de ce côté-là, au plan international, des choses qui pourraient être assumées par nos industries, sans nécessairement essayer de faire concurrence à la production de masse des États-Unis ou d'autres pays qui ont des conditions climatiques particulières?

Il y a également la question des producteurs agricoles de chez nous et la position de l'UPA. Personne ne contestera le fait que l'UPA est un lobby très bien organisé et très solide. Ce colloque avait pour but de voir quel genre d'impact la mondialisation aurait sur la population d'un territoire donné.

On n'en est plus à dire que la mondialisation est méchante et noire, et que le protectionnisme est bon. Les gens ont vécu cela pendant un certain nombre d'années. Ils en ont fait l'analyse et ont perçu ce qui se passait, mais ils veulent s'assurer qu'il y aura un avenir pour l'agriculture et qu'on ne viendra pas défaire le modèle qu'on s'est donné, tant au Québec qu'au Canada.

Je conclurai en disant que l'agriculture du comté de Kamouraska—Rivière-du-Loup—Témiscouata—Les Basques est une agriculture saine qui, au fil des décennies, a su s'adapter aux modifications des marchés et des réglementations. Il est important que ceux et celles qui font et feront l'agriculture de demain voient le plus clairement possible l'environnement dans lequel ils devront être concurrentiels. De producteurs spécialisés du lait, ils devront se transformer en producteurs polyvalents et en transformateurs. Ils sont bien prêts à le faire, mais ils veulent que le cadre réglementaire, le cadre des politiques gouvernementales le permette.

En conclusion, je voudrais me faire le porte-parole des gens de chez nous. Ces gens méritent d'avoir de leurs gouvernements un appui sans équivoque parce qu'ils ont construit une agriculture qui mérite d'être mise en valeur et d'être montrée en exemple partout dans le monde.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Monsieur Crête, je vous remercie de nous avoir fait partager les résultats du colloque que vous avez tenu dans votre comté, et surtout les préoccupations de vos concitoyens ainsi que les pistes de solution que vous nous suggérez.

Nous allons maintenant passer à la période de questions.

[Traduction]

Monsieur Obhrai, allez-y.

M. Deepak Obhrai: Merci d'être venu témoigner lors de cette rencontre.

Vous avez parlé d'agriculture, car vous représentez des agriculteurs. Vous avez parlé du gouvernement du Canada qui appuie le secteur agricole. Vous avez soulevé plusieurs questions, notamment celle du protectionnisme et des subventions. Vous savez sans doute qu'actuellement, dans l'ouest du Canada, on discute vigoureusement de l'avenir des marchés de céréales. La Commission canadienne du blé, qui représente le régime de gestion de l'offre là-bas, est maintenant contestée par des agriculteurs qui estiment qu'elle leur met des bâtons dans les roues. J'ai l'impression que les vieux agriculteurs aiment bien ce régime de gestion de l'offre, mais les plus jeunes sont plus combatifs, comme vous l'avez dit.

Vous avez également dit que le secteur agricole estime qu'il peut relever les défis qui se posent actuellement. C'est ce que nous constatons là-bas. Dans ce contexte, et à la conférence que vous avez évoquée, cette question a-t-elle été abordée, à savoir le fait que l'on réclame une plus grande ouverture du marché, ce qui vient contrecarrer le système de gestion de l'offre en vigueur actuellement au Canada?

• 1055

[Français]

M. Paul Crête: Je suis heureux que vous me posiez cette question. Vous exprimez le point de vue des gens de l'Ouest.

Pendant le colloque, on s'est aussi beaucoup posé de questions sur la capacité du gouvernement canadien d'assurer une défense adéquate des agriculteurs de l'ouest du Canada, du Québec, de l'Ontario et de toute autre partie du Canada.

Il faut s'assurer qu'il y ait une défense adéquate de tous les intérêts agricoles canadiens dans le contexte que vous mentionniez, notamment les marchés vers les États-Unis. De plus en plus, le marché agricole, tout comme les autres marchés au Canada, est un marché nord-sud. La population américaine est là, les clients sont là, la masse critique de consommation est là. Je trouve que le gouvernement canadien a un très grand défi à relever s'il veut assumer cette responsabilité.

Personnellement, je trouve que si le Québec était un État souverain, il serait beaucoup mieux en mesure de défendre l'agriculture québécoise de façon intéressante. La même attitude permettrait aux gens de l'Ouest d'avoir une défense plus adéquate. Il n'y a qu'à se souvenir de la décision prise concernant le bois d'oeuvre. On est arrivé à une entente avec les Américains, mais finalement, cette entente a eu des impacts négatifs pour le Québec et particulièrement pour une région comme la mienne.

Nous sommes beaucoup plus près du Nouveau-Brunswick qui peut vendre son bois d'oeuvre aux États-Unis sans être touché par la question d'une tarification, alors que la décision prise pour le Canada visait surtout à régler le conflit qu'il y avait entre la Colombie-Britannique et l'ouest des États-Unis. Donc, il y a là un problème.

L'autre aspect que vous soulevez est la question de savoir s'il faut aller vers les marchés libres ou pas. Je suis un peu plus ferré dans le domaine de la production laitière. On vient de rendre une décision qui touchera environ 5 p. 100 du marché canadien du lait, mais je pense que ce n'est pas seulement ce 5 p. 100 qui est important. Il est important de voir que c'était une tête de pont qui s'ouvrait sur plusieurs années et que dans trois, cinq ou dix ans, on aura de plus en plus de marchés libres.

Que ce soit pour le lait ou pour une autre production, notre responsabilité comme parlementaires et celle du gouvernement, selon moi, n'est pas de mettre des barrières pour empêcher que ces façons de faire du commerce et d'accroître les exportations soient protégées par une forme traditionnelle de protectionnisme, mais plutôt de mettre en place des conditions permettant à un marché plus libre de se développer, afin qu'à moyen terme on soit capables de répondre aux exigences de la concurrence.

Je pense qu'il y a une évolution chez les agriculteurs au Québec et au Canada, ainsi que chez les gens qui les représentent. On n'a qu'à regarder ce qui s'est passé lors de la dernière négociation. Au cours de la prochaine négociation, on veut surtout créer des conditions de libéralisation de marché intéressantes qui permettraient au Canada d'être compétitif vis-à-vis des autres pays et lui éviteraient d'avoir à jouer les boy-scouts.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Crête. Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau: Je trouve très intéressant que les députés viennent témoigner.

Paul, je te remercie et te souhaite la bienvenue, surtout que tu es venu rendre compte de la position d'une région. Je pense qu'on va entendre beaucoup de groupes nationaux qui sont surtout basés à Ottawa, et il est donc très enrichissant pour notre comité d'entendre ce que pense un agriculteur du KRTB.

J'ai trois questions à te poser sur ta présentation, Paul. Tout d'abord, j'aimerais parler de l'évolution de la pensée des agriculteurs. Avant, ils disaient non à la mondialisation. Ils pensaient que c'était une grosse bête noire. Mais tranquillement, ils se sont mis à se dire qu'ils devaient s'y faire et se plier aux marchés, et qu'il y avait certains avantages à cela.

Pour améliorer l'opinion publique, il faut consulter convenablement. Toi, tu as consulté les agriculteurs de ton comté. Il y aura au Québec une consultation de l'UPA, et une consultation semblable dans les autres provinces. En prévision des prochaines rondes de négociations en novembre, quelle est ton opinion personnelle et celle des agriculteurs de ta circonscription concernant les consultations du gouvernement, que ce soit le gouvernement du Québec ou le gouvernement canadien, en vue d'arrêter cette position concernant l'agriculture?

• 1100

Dans ton mémoire à la page 6, tu dis:

    Globalement, il est bien évident que la plupart des producteurs agricoles appuient la position de l'UPA.

Pour ce qui est de la position de l'UPA, si je me souviens bien, M. Proulx...

Mme Maud Debien: De l'UPA?

M. Benoît Sauvageau: De l'UPA. Lorsqu'il est venu témoigner à Ottawa, il nous a dit qu'il était en faveur de la disparition des subventions à l'exportation, mais en échange d'une augmentation à 4 p. 100 de la part de marché pour l'ensemble des Canadiens. Il était aussi, bien entendu, en faveur d'un revenu stable pour les petits agriculteurs. Pour ce qui est de l'élimination des subventions à l'exportation, il n'y a pas trop de problèmes. C'est une question que je veux poser.

Il y a aussi la question soulevée par mon collègue réformiste relativement à la problématique est-ouest dans la défense des intérêts des agriculteurs et des agricultrices. À cette même table ronde, on a entendu dire qu'il y avait eu entente chez les producteurs de l'Est, de l'Ouest, de l'Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique. Ces gens s'entendent. Ce sont les gouvernements qui ne s'entendent pas.

Le représentant de l'UPA avait dit : «Nous nous entendons. Si les gouvernements ne s'entendent pas, ils vont nous retrouver sur leur chemin.» Est-ce que cette opinion est partagée chez vous?

M. Paul Crête: En premier lieu, je dirai que la préoccupation des gens ne porte pas tant sur le fait qu'il y ait des consultations ou pas. Ce que vous faites ici aujourd'hui est intéressant et je pense que cela servira à faire avancer les choses. Cela se fait dans plusieurs comités. La préoccupation des agriculteurs est plutôt de voir sur quoi on lâchera du lest et sur quoi en n'en lâchera pas lorsqu'on sera à la table de négociations. On veut aussi voir de quelle façon les gouvernements vont s'assurer que les éléments retenus seront vraiment présents dans l'entente finale.

Il y a là une préoccupation que je comprends très bien, ayant moi-même participé à plusieurs négociations. Il y a les négociations de Stockholm. Les négociateurs deviennent plus solidaires entre eux qu'avec les mandataires. Il faut trouver les mécanismes de contrôle, les élastiques nécessaires pour garder un contrôle sur le mandat qu'on donne afin qu'il soit respecté.

Sur les subventions à l'exportation, les rapports que nous avons eus nous montrent qu'il est assez évident que le Canada est dans une position intéressante, parce que c'est un pays qui peut mettre sur la table des conditions qui sont vendables. Les Européens et les Américains auront plus de mal.

Les agriculteurs veulent s'assurer, dans le cas des boîtes vertes, par exemple, que le gouvernement fédéral ne dira pas simplement qu'il a fait quelque chose dans l'attribution des subventions à l'exportation. Il faut aussi qu'il puisse mettre sur la table des efforts particuliers dont on ne verra les résultats que dans cinq ans. L'agriculture se construit sur plusieurs années.

Ce qu'on décide aujourd'hui en recherche et développement fera que dans 10, 15 ou 20 ans, on aura une agriculture forte. La gestion de l'offre qui a été développée n'était pas une matière de recherche et développement, mais une façon de sécuriser les marchés qui a eu un effet pendant 10, 15 ou 20 ans.

Selon moi, l'évolution de l'agriculture devra dorénavant reposer sur la façon dont on investit dans la recherche et développement et dans les autres aspects des boîtes vertes.

Les gens veulent qu'on fasse attention, par exemple, de ne pas se servir de la question de la protection des médicaments ou d'éléments semblables pour en faire une nouvelle forme de protectionnisme. Cela n'est pas une voie d'avenir intéressante.

Vous avez également posé une question ayant trait aux États. J'espère que je ne vais pas commettre un sacrilège en disant ce qui suit. Je ne suis pas un expert en agriculture, mais il y a un an et demi ou deux ans, j'ai assisté, à Victoria, à une rencontre de tous les intervenants des fédérations agricoles du Canada. La capacité de défense des intérêts des agriculteurs est très différente d'une province à l'autre. Je n'ai aucun doute que l'UPA, au Québec, sera écoutée par le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada parce que sa position est solide. Le ministre de l'Agriculture du Québec s'est engagé à faire en sorte que la position du Québec soit celle de l'ensemble des intervenants.

• 1105

Il était prêt à prendre le temps nécessaire pour que cela se fasse. Cette semaine, il y a eu un suivi du sommet sur l'agriculture de l'année passée, qui va sûrement poser d'autres jalons. Je ne suis pas certain que toutes les fédérations agricoles du Canada aient la même solidité, non pas à cause des personnes, mais à cause de leur passé, à cause des formes d'intervention qu'il y a eu dans le passé.

Il faudrait qu'il y ait un éveil technologique pour s'assurer que les positions du gouvernement canadien seront respectées. Quand le Canada aura à présenter des positions de compromis ou sa propre position lors des négociations, il pourra se passer des choses qui feront qu'une partie ou l'autre des économies agricoles régionales du Canada se sentiront frustrées par le résultat. Dans ce domaine, il faudra être plus vigilant.

Il y a un effet qu'il faut regarder de près, et c'est l'impact des politiques internationales sur l'agriculture locale. Je pense notamment à la diversification. Je vous donne un exemple bien concret.

Chez nous, on avait une industrie qui s'occupait beaucoup de production laitière. Les agriculteurs, se rendant compte qu'il va y avoir un changement dans le domaine laitier, veulent se protéger d'une certaine façon et se tournent vers d'autres productions. On voit le problème de la production porcine et l'acceptation, par les milieux, de cette situation sur le plan environnemental.

À première vue, cela ne semble pas relié, mais selon moi, c'est relié très directement. C'est ce qui vient avec la mondialisation. On a vu des accords sur la mondialisation qui ont eu des impacts sur la qualité de vie ou sur les programmes sociaux. On a le même problème dans le cas des choix de production qui, à l'autre bout de la chaîne, ont des effets sur l'environnement. Cela fait qu'il y a des déchirements à l'intérieur de régions. On se pose des questions. J'aimerais que vous puissiez aussi tenir compte de cet aspect.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Crête.

Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Il est très intéressant d'entendre le député du KRTB. Cela ressemble à l'ancien KGB. En tout cas, c'est une nouvelle façon de faire connaître cette très belle région du Québec. C'est la première fois que j'entendais cela. KRTB, cela ressemble au nom d'un nouveau poste de radio. Quand il y a la lettre K, c'est normalement un poste américain.

Ce que tu dis est vrai. Présentement, plusieurs personnes pensent qu'il faut adopter une position. On veut avoir une position canadienne à tous les points de vue en prévision des négociations de l'OMC. Il faut bien rappeler, comme tu le faisais, que c'est une position de négociation; il faut en être conscient. Si on dit qu'on veut absolument quelque chose, je ne suis pas sûr qu'on va avancer; on risque de se retrouver avec quelque chose qu'on n'aura pas choisi. C'est très important pour l'agriculture, et je te félicite d'avoir un intérêt particulier pour l'agriculture du KRTB.

Tu soulevais une question au sujet de la capacité du fédéral de représenter les intérêts de toutes les régions du pays. Tu as raison de dire que ce n'est pas évident. C'est un très grand territoire.

Le problème, c'est que les territoires se sont spécialisés au cours des années. Le Québec a 42 p. 100 de la production laitière. Alors, automatiquement, la production laitière en Saskatchewan est moins importante. De la même façon, même si le Québec augmentait considérablement sa production céréalière, elle resterait quand même moins importante que celle de la Saskatchewan. Pour toutes sortes de raisons, entre autres des raisons de géographie, les différentes régions du pays se sont spécialisées.

Tu soulevais la question de la souveraineté. Je peux te dire que, même au Québec, dans certaines régions, les gens pensent que le gouvernement du Québec les représente moins bien. Le problème, c'est que le Québec est aussi un grand territoire. Il y a des secteurs d'activité qui ne sont pas assez bien représentés. On accuse souvent le Québec de défendre le lait, mais d'oublier les autres productions, entre autres pour ce qui est de la transformation.

J'aimerais avoir ton opinion sur la question de l'étiquetage. C'est plus ou moins lié à l'OMC, mais il y a une question importante, celle d'un produit dont j'ai beaucoup de difficulté à prononcer le nom: la somatotrophine bovine. J'aimerais savoir ce que tu en penses.

• 1110

Devrait-il y avoir un étiquetage pour indiquer que c'est un produit biologique ou pas? La Grande-Bretagne est en train de le faire, ce qui soulève beaucoup de problèmes qui, éventuellement, seront soumis à l'OMC. En effet, ceux qui importent ou exportent les produits sans transformation ou avec transformation génétique, avec ou sans produits chimiques particuliers, présupposent que l'action de la Grande-Bretagne va à l'encontre des règles de l'OMC. Il sera peut-être intéressant de suivre cette question.

Tu disais que, dans ton comté, les gens commencent à diversifier leur production pour faire face au nouvel acte de l'OMC ainsi qu'à un éventuel éclatement des quotas. Tu soulignais avec justesse que les prix des quotas, mais aussi ceux de l'acre de terre, étaient très élevés au Québec. Actuellement, acheter une terre avec des quotas coûte une fortune au Québec; les prix n'ont jamais été aussi élevés et cela soulève la problématique de la relève et des investissements. J'aimerais t'entendre sur la question du danger de la diversification. Normalement, lorsqu'on fait face à la mondialisation, on veut se spécialiser davantage. Comment explique-t-on cela? D'un côté, on veut se diversifier pour faire face à la musique mondiale et de l'autre, on se dit que lorsqu'on y fait face, il faut être extrêmement spécialisé pour relever les défis mondiaux. J'aimerais t'entendre là-dessus en ce qui concerne l'agriculture.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Monsieur Crête.

M. Paul Crête: Tout d'abord, c'est ma région d'appartenance qui est identifiée par le sigle KRTB. Cela ne doit pas avoir beaucoup de liens avec le KGB, à moins qu'on ne soit notre propre mafia!

Pour ce qui est de la somatotrophine, je soulevais beaucoup plus la question de l'importance de se positionner en termes de créneaux et de voir quels sont ceux dans lesquels on a un avenir et on peut développer des aspects sans nécessairement affronter la compétition de masse. C'est un choix à faire: aller vers la production de masse ou bien choisir des créneaux dans lesquels on peut être efficaces et acquérir des marchés. Il y a 250 millions d'Américains; si 30 millions d'entre eux décidaient de payer un peu plus cher pour des produits biologiques de qualité, cela représenterait l'équivalent du marché canadien. Les Américains ont fait le choix de la production de masse. La somatotrophine améliore la production, mais il demeure que certains ne veulent plus boire de lait dès qu'il savent qu'il a été produit avec cette hormone. C'est en ce sens qu'il y a des choix à faire.

Au niveau de l'étiquetage, je pense plutôt à la qualité. On doit indiquer sur l'étiquetage le contenu de nos produits, ce qui les caractérise et en fait des produits vraiment naturels. C'est dans cette direction qu'il faut aller, avec le plus de transparence possible, mais sans tomber dans l'excès, ce qui nous obligerait à assumer des coûts de surveillance et de contrôle démesurés.

Concernant la diversification, je souhaite qu'on mette à profit les boîtes vertes pour la diversification des productions dans lesquelles on a déjà de l'expertise. On est capables de produire du lait, mais il reste encore à faire la transformation du lait en produits de deuxième et de troisième transformation. Il y a donc place pour un investissement des gouvernements dans les domaines permis par les accords internationaux. Cela permettrait de donner une valeur ajoutée et de réduire l'usure des terres.

Il ne faut jamais oublier que l'agriculture n'est pas une usine mais fonctionne avec des éléments naturels. Brûler des terres, comme on l'a déjà fait et comme on le fait encore dans certaines parties du monde, n'est pas nécessairement intéressant à long terme. Il faut donc regarder les choix qui s'offrent à nous en ce sens.

Ce sont les précisions que je voulais apporter.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci.

Monsieur Graham.

• 1115

M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.): Excusez-moi d'être en retard. Je suis entré alors que vous parliez avec mon collègue des produits chimiques introduits dans les produits agricoles. Je pense à l'affaire des boeufs, où les Européens mettent en cause l'importation de produits agricoles venant des États-Unis et de l'Amérique du Nord, régions plus ouvertes que l'Europe à l'usage de processus modernes.

Certains prétendent que la seule solution est celle de l'étiquetage qui permet d'indiquer aux consommateurs le contenu des importations. On aurait ainsi une protection. D'autres, en Europe, prétendent que ces produits sont cancérigènes et que c'est le devoir de l'État que de protéger ses citoyens contre l'usage de tels produits.

Au Canada, si je vous ai bien compris, vos producteurs sont plutôt enclins à employer des produits modernes et tous les systèmes modernes d'agriculture, et voient les moyens employés par les Européens comme des entraves à nos exportations vers l'Europe.

Quelle est l'opinion des consommateurs québécois à l'égard de ces produits et que devrions-nous faire pour avoir une politique bien équilibrée dans notre pays afin de protéger nos consommateurs aussi bien que nos producteurs? Avez-vous une opinion à cet égard?

M. Paul Crête: Votre question m'amène à dire qu'on devra faire très attention, lors de la prochaine ronde de négociations, à toute la question des produits pharmaceutiques utilisés d'une façon ou d'une autre en agriculture pour augmenter la production, afin que cela ne serve pas d'écran à une nouvelle forme de protectionnisme. Il faut étudier cela à fond pour voir si, effectivement, il y a des arguments réels ou si on ne se sert de cette problématique que pour...

On a déjà vu une chose similaire dans le cas du bois. Ils avaient décidé, en Angleterre, de ne plus importer notre bois d'oeuvre parce qu'ils avaient trouvé un champignon pouvant être dangereux. Cela s'est avéré complètement farfelu, mais c'était devenu une arme pour empêcher l'importation ou l'exportation de notre produit. Il faut donc aborder ces problématiques de de façon constructive.

La meilleure façon pour le Canada de donner une image positive est de s'assurer qu'au niveau de la santé animale, par exemple, on ait une transparence suffisante pour indiquer que notre travail est fait de façon adéquate.

Un exemple un peu négatif de cela est la question de la production de l'agneau. Depuis 10 ou 15 ans, il y a eu une augmentation importante de cette production, puis est arrivée la question de la maladie de la tremblante. On n'a pas réussi à obtenir, ni de Santé Canada ni d'Agriculture Canada, les détails du développement, de l'origine et de la façon dont cette maladie s'était propagée dans la population animale. Il a fallu que les députés fassent de très gros efforts pour éviter d'en faire un débat trop émotif comme celui de la maladie de la vache folle en Angleterre, mais il a aussi fallu que les associations de producteurs fassent des efforts pour que les gens comprennent très bien que cette maladie n'est pas transmissible à l'humain.

Ce type d'exemple devrait nous servir à l'avenir pour éviter de telles situations. Si le Canada veut faire un effort particulier, il fera bien de s'assurer que les services reliés au contrôle de la qualité des produits puissent agir de façon transparente afin que tous reconnaissent qu'ils sont des intervenants de très grande qualité. Ils le sont déjà, mais un effort supplémentaire est à faire de ce côté-là.

J'espère m'être bien exprimé. Chez nous, on n'est pas prêts à faire le choix de la production à tout prix.

• 1120

La somatotrophine n'a pas été le choix des producteurs de ma région. Ils veulent plutôt le contraire. On veut s'assurer d'avoir les bons créneaux et des produits de qualité, et on veut que ce choix puisse être soutenu de façon adéquate. Lorsque les Américains choisissent d'utiliser la somatotrophine, si nos producteurs font le choix de ne pas l'utiliser et que le Canada, comme pays, décide de ne pas l'utiliser, il faut que ce dernier offre aux producteurs des occasions de faire connaître leurs produits, qui sont différents à cet égard. Si la seule différence entre notre lait et celui des Américains est qu'il est indiqué sur l'emballage «produit américain» ou «produit canadien» et qu'il n'y a pas d'information sur ce qui différencie les deux laits, c'est le prix qui fait le marché à ce moment-là. S'il y a d'autres éléments d'information, ce ne sera pas seulement le prix qui influencera la décision du consommateur.

M. Bill Graham: Je comprends bien. Nous nous trouvons assez souvent entre les Américains et les Européens à cet égard. Nous sommes peut-être plus ouverts que les Européens, mais pas aussi portés que les Américains à nous servir de n'importe quel produit pharmaceutique pour augmenter la production à n'importe quel prix.

M. Paul Crête: Je n'ai pas la prétention d'être un expert, mais il y a un exemple qui me vient à l'esprit, et c'est celui de la production de fromage de lait cru. C'est un produit qui existe en Europe. Ici, au Canada, il y a eu une réaction, à un moment donné, de la part des fonctionnaires, qui voulaient mettre en oeuvre des normes très strictes. Ils disaient que ce type de production ne devait pas être toléré au Canada, mais on s'est rendu compte, au contact de la réalité quotidienne, que ça n'avait pas de bon sens. C'est pour cela que je vous avertissais au départ de faire attention de ne pas tomber dans les excès, ni d'un côté ni de l'autre, et de ne pas en faire un nouvel outil protectionniste. À ce moment-là, on ne rendrait service ni aux consommateurs ni aux producteurs.

M. Bill Graham: Merci.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Madame Debien.

Mme Maud Debien: Bonjour, Paul.

M. Paul Crête: Bonjour.

Mme Maud Debien: Bienvenue et merci de ta présentation.

Je veux revenir sur la question de la gestion de l'offre. On sait qu'au Canada et au Québec, il y a un débat qui perdure sur cette question. Par contre, on sait aussi que plusieurs pays arrivent à protéger sans problème leurs secteurs agricoles sensibles aux importations en utilisant des techniques de gestion de l'offre. Je pense par exemple aux arachides aux États-Unis, au sucre et au lait en Europe. Cela diffère sensiblement de notre système de gestion de l'offre, mais ce sont les mêmes facteurs qui jouent.

Cela veut dire, dans le fond, et j'aimerais que tu me dises ce que tu en penses, que ce sont strictement des pressions politiques qui réussissent à maintenir ces systèmes de protection des secteurs sensibles dans les autres pays, et non des règles strictes de commerce. Jusqu'à maintenant, c'est ça.

Si ce sont strictement les pressions politiques qui peuvent maintenir le système de gestion de l'offre, il faut que le Canada mette ses culottes—passez-moi l'expression—et réussisse à protéger son propre système de gestion de l'offre.

M. Paul Crête: Je suis assez d'accord avec vous, madame.

Mme Maud Debien: Je ne le savais pas! Je commence à m'intéresser au système de gestion de l'offre.

M. Paul Crête: J'ai peut-être utilisé les mauvais mots. À mon avis, gérer le commerce agricole comme le commerce d'un produit qui n'est pas de nature agricole est une erreur. Il faut qu'on soit conscient que le commerce agricole nécessite un système qui garantisse des conditions financières minimales à nos producteurs. On dit que c'est politique, mais c'est aussi économique, en ce sens qu'à moyen terme, si nos producteurs n'ont plus cette garantie, il y aura soudainement beaucoup moins de gens intéressés à se lancer en agriculture. On va retomber dans une période où l'agriculture est un peu le fruit du hasard et est très soumise aux fluctuations du marché. On vient de le voir dans le cas du porc et du marché de l'Asie.

• 1125

Si on était dans une situation de marché pur, la production porcine du Québec et du Canada serait morte à 90 p. 100 et on repartirait la production à 10 p. 100. Mais entre les deux, il y aurait une période où il n'y aurait plus de porc sur le marché. Le prix subirait des fluctuations terribles. Ce sont des situations qu'on ne rencontre pas dans le cas d'autres genres de produit, mais qu'on rencontre dans le cas des produits agricoles.

Je suis d'accord pour dire qu'il faut des pressions politiques et qu'il faut que le gouvernement se tienne debout. Le gouvernement se tiendra debout quand il aura compris qu'en faisait ça, il aide l'agriculture, la production et le développement de son pays à long terme.

C'est un des champs dans lesquels on va juger le rôle des gouvernements par rapport aux multinationales de l'intervention économique. Il y a des multinationales qui sont capables passer à travers toutes ces crises et qui pourraient profiter de la mort des petites entreprises pour prendre le contrôle des marchés, mais ce ne serait pas nécessairement la meilleure solution pour les économies des pays concernés. Vous devez soupeser ces choses et faire des recommandations en conséquence.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Crête.

Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: Monsieur Crête, j'ai une question à vous poser sur la gestion de l'offre. C'est peut-être parce que Mme Debien et moi venons de deux comtés de la ville de Laval qui ont un peu d'agriculture, bien que ce ne soit pas du tout à la même échelle que chez vous.

Ma question a trait aux particularités régionales de la gestion de l'offre. Vous savez peut-être encore mieux que moi qu'on dit en général qu'à la prochaine étape des négociations de l'OMC, la gestion de l'offre telle qu'elle est perçue au Québec va disparaître. Les conversations que j'entends et les textes que je lis pointent dans cette direction. C'est une particularité régionale que nous avons, au Québec.

Plutôt que de vous demander de critiquer, bien que ce soit une première étape importante, je vous demanderai de faire un pas en avant et de nous suggérer des démarches qui feraient que le Canada pourrait protéger cet aspect qui est perçu comme régional, qui est important, sans que cela soit perçu comme du protectionnisme. C'est un élément extrêmement négatif de nos jours. Je vous demanderai aussi quelles sont les chances de réussite d'une démarche que vous pourriez nous proposer.

M. Paul Crête: Je parlais de cela dans mon mémoire. C'est un élément original qui est vraiment venu de la base. Ce n'est pas nous qui avons poussé cela politiquement. Ce sont les agriculteurs qui ont dit que la meilleure façon de maintenir le système de la gestion de l'offre était de le faire adopter par beaucoup de pays dans le monde.

Samedi soir, je soupais avec l'ambassadeur du Canada au Mali, qui était à Rivière-du-Loup. On a fait une réflexion sur cette chose. Il voyait beaucoup d'avenir pour ce type de gestion de l'offre dans les pays en développement. Une solution constructive serait que le Canada dise: «On va expliquer ce système à plusieurs pays et leur dire ce qu'il permet et quels sont ses avantages et ses inconvénients.» Le Canada pourrait aussi demander aux fédérations agricoles internationales de diffuser dans le monde entier le mode de fonctionnement qu'il y a au Québec. Ainsi, on pourrait discuter dans plusieurs pays de la possibilité d'adopter ce type de mesure. Cela peut se faire en parallèle avec les négociations. Il faut toujours être très nuancé parce qu'il ne s'agit aucunement d'imposer des façons de faire à d'autres pays. Il s'agit de faire connaître le système et de montrer comment il a permis de régulariser la situation des agriculteurs. Cela pourrait être une belle façon d'obtenir des appuis de plusieurs pays qui ne sont pas de très grandes puissances mondiales, mais qui peuvent avoir un poids en se regroupant collectivement pour faire ça.

Je suis loin de me présenter comme un très grand expert là-dedans, mais cette idée m'a semblé originale et intéressante. Je crois qu'elle pourrait permettre à l'agriculture de se développer un peu partout dans le monde, particulièrement dans les pays en développement. On pourrait ainsi faire de ces pays des acteurs un peu plus importants de ces accords internationaux. Cela ne serait pas mauvais en bout de ligne. Il serait intéressant qu'ils aient plus de place lors des prochaines rondes de négociations.

• 1130

Mme Raymonde Folco: Merci.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci beaucoup. Je remercie notre témoin de ce matin. Même si le Comité de l'agriculture effectue actuellement une étude des impacts futurs des négociations de l'OMC sur l'agriculture, il est très important pour notre comité non seulement de savoir ce qui se passe dans le monde rural, mais aussi de percevoir les inquiétudes de ces gens. Donc, je remercie beaucoup le témoin de nous avoir fait partager les résultats de son colloque. Merci beaucoup.

Nous allons maintenant faire une petite pause-santé de quelques minutes.

• 1131




• 1147

Le président (M. Bill Graham): Chers collègues, pouvons-nous reprendre nos débats? M. Dupras m'apprend que, M. Germain ayant une approche légèrement différente de celle de MM. Théberge et Rémillard, nous les avons séparés. Au lieu de les entendre tous les trois à la fois, nous demanderons d'abord à M. Germain de présenter sa position. Quand nous en aurons terminé avec lui, nous demanderons à MM. Théberge et Rémillard de se présenter devant le comité.

Allez-y, monsieur Germain. Vous avez 10 ou 15 minutes pour présenter votre énoncé et nous passerons ensuite aux questions.

M. Daniel Germain (sociologue, Association coopérative d'économie familiale de Québec): Je ferai mon possible. Merci de nous accueillir.

L'ACEF de Québec est un mouvement qui s'intéresse à la libéralisation des échanges depuis 1985. Nous sommes intervenus à de nombreuses reprises en commission parlementaire sur différentes questions touchant à la libéralisation du commerce.

Depuis deux ans principalement, nous concentrons notre travail sur les questions agricoles, dont je vais plus particulièrement vous entretenir aujourd'hui.

Nous avons été présents, entre autres, à la grande conférence sur l'agriculture organisée par le ministère de l'Agriculture du Québec l'an passé. Nous avons siégé au Forum des décideurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois, où nous représentions les consommateurs. Nous assurons un suivi depuis l'an dernier. Nous avons travaillé à plusieurs projets de loi en cours concernant les modifications dans le secteur agricole, et aussi à des questions touchant les normes sanitaires et phytosanitaires. Nous avons donc travaillé sur les différents codes nationaux: code national sur les viandes, code national sur la vente au détail, etc. Donc, cela vous situe un peu quant au travail que nous accomplissons.

L'Association coopérative d'économie familiale de Québec répond avec enthousiasme à l'appel du comité. Cependant, les délais impartis à la prestation d'un avis éclairé et rigoureux sont cruellement courts. Nous aurions préféré traiter de l'ensemble des questions, notamment celles touchant l'accord sur l'agriculture. Nous sommes parfaitement au fait des enjeux entourant cet accord. Je fais nommément allusion à l'accord qui va être renégocié à l'OMC.

Selon nous, il est essentiel que le Canada maintienne des politiques de soutien à son agriculture. La sécurité alimentaire des Canadiens et des Canadiennes dépend d'une agriculture locale prospère et protégée des abus du marché, une agriculture que les contribuables désirent toujours soutenir.

J'entends préciser ici que nous ne sommes pas, loin de là, fermés à l'ouverture des marchés, car le Canada peut en tirer de grands avantages. Cependant, cela ne peut se faire à n'importe quelles conditions et, actuellement, nous sommes inquiets des dispositions prises par l'OMC.

• 1150

Nous pensons que le Canada doit aussi défendre le maintien des entreprises commerciales d'État et des offices de commercialisation soutenus par les producteurs. À notre avis, ces pratiques sont essentielles sur des marchés dont la tendance oligopolistique est un fait historique. Les producteurs et les pays doivent posséder des outils de mise en marché capables d'affronter des marchés à concurrence imparfaite, souvent dominés par des consortiums, des cartels et des collusions de toutes sortes.

Par ailleurs, nous pensons que les contribuables n'ont pas à soutenir les subventions à l'exportation sous toutes ses formes: mesures fiscales, soutien interne appliqué à des lignes de production destinées à l'exportation, subventions directes. En bref, ce qu'on attend de l'agriculture et des politiques agricoles, c'est la sauvegarde de nos productions locales dans la perspective du maintien, à un niveau adéquat, de la sécurité alimentaire au Canada. Je n'entends pas par là l'autosuffisance complète des productions locales, mais je pense que les consommateurs doivent pouvoir disposer de ce qui croît au Canada et au Québec.

Il y a des raisons historiques à cela. Au XIXe siècle, il y a eu plusieurs famines dans le monde. On pense aussi à la grave récession des années 1930, alors qu'il y avait peu de politiques agricoles qui permettaient le maintien d'une agriculture locale. Il s'en est suivi des famines, notamment. On ne pense pas que c'est nécessairement ce qui nous attend dans les prochaines années, mais on voudrait vous rappeler que les politiques agricoles ont un but, soit d'assurer la sécurité alimentaire en maintenant les producteurs en état de produire afin de leur éviter la faillite.

De ce point de vue-là, je pense qu'une politique agricole de soutien se défend. Il ne s'agit toutefois pas de maintenir une défense blindée. On comprend que des aménagements doivent être faits actuellement, mais on doit garantir la protection de notre agriculture.

Pour citer un exemple, parlons de la question du porc. La crise asiatique est un autre bel exemple. Les producteurs de porc ont perdu beaucoup d'argent avec cela. Nous pensons que les contribuables n'ont pas à soutenir l'agriculture destinée aux marchés d'exportation. Pour établir une comparaison, disons que lorsque je dépose de l'argent dans un compte de banque, mon argent est protégé jusqu'à concurrence de 60 000 $ par l'assurance-dépôt. Par contre, si je décide de jouer mon argent à la bourse, sur les marchés financiers, je n'ai aucune protection. C'est un peu le parallèle qu'on fait. Le marché d'exportation est un marché à risque plus élevé, et souvent un marché très lucratif qu'on ne doit pas protéger. Cela crée énormément de distorsion sur les marchés.

Cela complète ce que j'ai à dire sur la question de l'agriculture en tant que telle. J'aimerais maintenant davantage insister sur l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires. Comme vous le savez, c'est un accord qui fait partie de la série d'accords conclus dans le cadre de l'OMC. On a émis un avis récemment sur cette question. On a fait une analyse assez fouillée du texte de loi, analyse qui a porté sur quatre points.

D'abord, on a examiné la question de la reconnaissance de la souveraineté des États à intégrer aux dispositions de l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires. On a aussi examiné le renforcement de la portée de l'accord en ce qui a trait à l'harmonisation des mesures sanitaires et phytosanitaires entre les pays, de manière à réaliser davantage la normalisation internationale, ainsi que la portée de l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires au sujet des organismes modifiés génétiquement, des produits dérivés des organismes génétiquement modifiés et des autres produits issus des biotechnologies.

On a aussi examiné la question de l'élargissement du protocole sur la biosécurité établi dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique qui a été, je crois, signée récemment—les discussions finales ont eu lieu au cours des derniers mois—, de manière à y inclure les impacts socioéconomiques dans l'évaluation des risques encourus par les pays importateurs d'organismes génétiquement modifiés et de produits dérivés.

La premier constat qu'on a fait en analysant les différents accords et notamment celui sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, c'est que le texte confirme, assure et garantit la primauté de la liberté du commerce sur la protection de la santé humaine et animale et la préservation des végétaux.

• 1155

Nous ne sommes pas opposés à ce qu'il y ait une ouverture vis-à-vis des marchés internationaux et que le commerce international soit facilité. Cela dit, cette ouverture ne doit pas devenir la priorité absolue. À notre sens, c'est la santé humaine et animale ainsi que la préservation des végétaux qui priment sur la liberté du commerce. En d'autres termes, le développement durable doit primer sur la liberté du commerce. Cela inclut aussi les questions sociales.

Donc, notre première recommandation est que le Canada défende ce point de vue. Peut-être cela n'a-t-il pas sa place à l'OMC même. Cependant, à moyen terme et à long terme, il faudra penser à une structure qui intègre aux accords de l'OMC d'autres types d'accords qui chapeautent un ensemble d'intérêts en vue du bien commun. Je crois que c'est une chose importante qu'il faut défendre, et nous vous demandons justement de discuter de ces choses.

D'autre part, pour ce qui est des mesures sanitaires et phytosanitaires, nous représentons également les consommateurs; les consommateurs veulent s'assurer que les produits soient de qualité et inoffensifs pour la santé. Déjà, dans l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, la façon scientifique d'évaluer le risque est une bonne chose. Elle permettra de dégager certaines conclusions objectives.

Cependant, certaines des dispositions de l'accord nous semblent insuffisantes. Il faut comprendre que les connaissances, dans leur état actuel, sont incomplètes. On fait une innovation technologique, on invente un nouveau produit sans vraiment être en mesure d'en évaluer toutes les conséquences et l'impact. Donc, il y a toujours un décalage entre le moment de l'invention, celui de sa mise en marché, et l'état des connaissances.

Il y a eu plusieurs exemples de cela, dont celui de la thalidomide dans le domaine des médicaments. Récemment, il y a eu celui de la somatotrophine. Si les citoyens n'avaient pas fait exercé de pressions, je ne suis pas certain que Santé Canada aurait procédé à son interdiction pour des raisons touchant à la santé animale. Il y a eu un immense débat là-dessus, qui a duré de nombreuses années.

Nous pensons donc qu'il faut ajouter à l'accord, de façon très explicite, ce que nous appelons une règle de précaution. En d'autres termes, si les connaissances scientifiques sont insuffisantes pour trancher la question et démontrer qu'il n'y a pas de risque, on doit appliquer le principe du doute raisonnable et autoriser un pays à interdire un produit jusqu'à ce que les connaissances soient suffisamment avancées. Or, nous ne sommes pas sûrs que l'accord actuel le permette de façon très claire. Je ne vous citerai pas l'accord pour vous le démontrer parce que nous n'en avons pas le temps.

Ce que nous demandons, c'est que la souveraineté des pays en matière sanitaire et phytosanitaire soit renforcée dans un contexte d'harmonisation internationale. Je m'explique. Dans un premier temps, nous sommes très favorables à ce qu'il y ait des normes internationales en matière sanitaire et phytosanitaire parce que les divers pays pourront ainsi équilibrer leurs mesures. Comme on le sait, au Canada, on a de bonnes normes qui satisfont les citoyens et les citoyennes du Canada. Les consommateurs se sentent bien protégés par les normes. Nous tenons à ce que l'harmonisation internationale ne se fasse pas par un nivellement vers le bas. Donc, nous favorisons une harmonisation des normes internationales, mais en permettant aux pays qui le désirent d'imposer des normes plus sévères.

Je tiens à préciser le point suivant: il ne faut pas que ce soit fait dans le but de créer un obstacle au commerce, que ce soit un obstacle ouvert ou déguisé. Actuellement, avec les éléments d'analyse dont on dispose, il est possible de déterminer si telle mesure d'un pays crée un obstacle au commerce.

Le problème que pose actuellement l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, c'est que toute loi ou tout règlement est présumé susceptible de créer un obstacle au commerce. C'est clairement l'esprit de l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires. On le sent très bien dans le libellé des articles. Il y a présomption que toute politique menée par un pays dans le but de protéger la santé humaine peut être une forme de protectionnisme. Déjà, au départ, on part avec deux prises contre les consommateurs.

• 1200

Nous pensons également que l'accord doit nommément assurer la qualité des aliments et le bien-être des animaux. J'insiste plus particulièrement sur la question de la qualité. Il va falloir prévoir dans l'accord certaines règles concernant la certification des produits. Là-dessus, l'accord n'est pas très clair. Nous demandons qu'une procédure de certification des produits soit nommément établie. Évidemment, nous pensons plus particulièrement aux aspects sanitaires et phytosanitaires.

Un autre point, dont les consommateurs diraient qu'il est très épineux, est celui des biotechnologies dans leur ensemble. Là-dessus, la position de l'ACEF est quand même très modérée. Nous ne pensons pas que, systématiquement, les produits génétiquement modifiés soient dangereux et qu'il faille les proscrire des marchés. Cela dit, il faut agir avec prudence. À mon sens, l'accord actuel ne permet pas d'agir avec prudence.

Nous demandons, notamment, qu'on régisse les échanges d'organismes génétiquement modifiés. Actuellement, il se pratique un commerce transfrontalier. Certains produits se promènent d'une frontière à une autre sans qu'on en connaisse entièrement les conséquences. Je citerai l'exemple de la compagnie Monsanto qui a fait des expériences avec du blé génétiquement modifié en Inde. Le blé en question était stérile et il a pollinisé le blé d'autres agriculteurs du voisinage. En conséquence, leur blé est devenu stérile. Vous voyez le genre de risques que peuvent faire courir certains organismes génétiquement modifiés. Il faut donc agir avec prudence. La façon de le faire est de réglementer correctement en cette matière.

Cela indique aussi qu'un pays importateur doit émettre un certificat d'entrée pour ces produits, un certificat qui démontre clairement qu'après analyse, le pays importateur a pu conclure que le produit ne présentait pas de risque pour la santé humaine ou animale et pour la préservation des végétaux.

Nous demandons aussi que des compensations financières soient prévues quand des dommages ont été causés à la biodiversité, à la santé humaine ou à la santé animale. Dans ce sens, si l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires ne peut pas complètement absorber tous ces aspects, nous pensons que le Protocole sur la biosécurité et la Convention sur la biodiversité ont primauté sur la liberté du commerce. Cela devrait donc être bien inscrit, à mon sens, dans les accords sur la mondialisation du commerce.

D'un côté, il y a l'OMC d'un côté et de l'autre, différents types d'accords qui protègent davantage le bien commun. On ne sent pas un arrimage complet entre les deux. À terme, il faudra y parvenir, sinon il se pourrait que l'OMC et le poids de l'économie, des transnationales et des multinationales fassent en sorte que les citoyens des pays n'aient plus grand-chose à dire. On n'en est pas encore là, mais il se passe tout de même des choses inquiétantes.

Je citerai le dossier de la margarine, dans le cas du Québec. Unilever Canada a menacé d'intenter des poursuites contre le gouvernement du Québec. Je crois qu'Unilever a un budget annuel qui équivaut au budget du Québec. Comment un pays pourra-t-il se défendre adéquatement si certaines de ces compagnies ont des moyens qui dépassent largement ceux des États? Ce sont des questions auxquelles nous n'avons pas de réponses et qui nous inquiètent. Je préciserai que les accords ne sont pas du tout rassurants là-dessus.

Il y a aussi une question qui nous a été posée par plusieurs, notamment par les gens du ministère de l'Agriculture du Québec. On nous a demandé si les organismes génétiquement modifiés et les produits dérivés devaient faire l'objet d'une entente particulière. Nous croyons que oui.

• 1205

D'une certaine façon, c'est ce qui doit se produire. Certains disent présentement que l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, qui touche les boissons et les aliments, va nécessairement toucher la question des organismes génétiquement modifiés. D'une certaine façon, c'est vrai. Toutefois, comme je l'ai dit tout à l'heure, étant donné la nouveauté de ces produits et notre incapacité à démontrer l'absence de risque, on doit agir avec prudence. Il ne s'agit pas de dresser un obstacle systématique à ces produits, mais plutôt de s'assurer que les compagnies et les gouvernements se donnent les moyens d'étudier la chose en profondeur et de démontrer qu'il n'y a pas de risque. Les risques sont grands, on le sait, et cela ne touche pas uniquement la santé humaine. La question de la biodiversité est importante et je crois que la question du développement durable est aussi importante à cet égard.

Alors, grosso modo, c'est fondamentalement ce qu'il faut faire pour défendre les intérêts des Canadiens et des Canadiennes dans le cadre de l'OMC. Outre la question de la liberté du commerce, celle du bien commun doit aussi être considérée.

Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Germain. Nous avons lu votre mémoire, qui est très détaillé et qui complète votre présentation orale. Monsieur Obhrai, la parole est à vous.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Merci, monsieur, d'être venu ici. Vous avez abordé des points fort intéressants et vous nous mettez fermement en garde.

Il y a deux choses au sujet desquelles je voudrais avoir des précisions. Je suis un peu embrouillé. Dans votre déclaration liminaire, vous dites que vous souhaitez défendre les organisations dirigées par l'État, mais dans le même souffle vous affirmez que les contribuables n'ont pas à soutenir les exportations. Pour moi, une organisation dirigée par l'État est soutenue par les deniers publics. Vous avez ajouté que le contribuable ne devrait pas avoir à en faire les frais. Je suis tout à fait d'accord avec cette affirmation. Je voudrais que vous développiez davantage votre première affirmation.

Merci beaucoup d'avoir pris en compte la question de la santé, surtout les produits agricoles ayant subi des transformations génétiques que l'on commence à offrir sur le marché. Vous avez fait une mise en garde à cet égard. Voici ma question... L'OMC existe théoriquement afin de réglementer le marché libre, et nous devrions donc laisser à l'organisation le soin de prendre les règlements qui s'imposent. C'est ni plus ni moins le message que vous avez voulu communiquer aux autorités responsables de l'agriculture au Québec, à savoir, j'oserais dire, que la responsabilité d'empêcher que des produits insalubres n'entrent au Canada devrait incomber à Santé Canada ou à un organisme comparable.

Pourquoi l'OMC voudrait-elle s'occuper...? Je m'inquiéterais un petit peu si l'on confiait cette responsabilité à l'OMC, car elle représente une administration énorme au sein de laquelle serait créée une section de la santé à laquelle il incomberait de faire les vérifications qui s'imposent. Comme, j'en suis sûr, la plupart des Canadiens, je préférerais quant à moi que cette responsabilité incombe au Canada—c'est-à-dire que nous déterminions si ce produit est insalubre, faute de tests. Comme vous l'avez dit, il existe ici des normes très exigeantes que nous voulons maintenir. J'hésiterais à confier cette responsabilité à l'OMC. Qu'en pensez-vous?

[Français]

M. Daniel Germain: Cela m'amène à préciser mon commentaire. Effectivement, sur la question sanitaire et phytosanitaire, l'organisation internationale qui serait la mieux placée pour régir ces questions est l'Organisation mondiale de la santé plutôt que l'OMC. C'était un peu le sens de mon intervention de tout à l'heure, que je vais préciser davantage. Je crois fermement, mais peut-être ne verrons-nous pas cela de notre vivant, que d'ici environ un siècle, nous nous dirigerons vers une forme de gouvernement mondial. C'est clair. Il y a des signes qui ne trompent pas. Je crois que l'Organisation mondiale de la santé devrait faire partie des organismes qui chapeauteraient un ensemble d'autres accords, dont celui de l'OMC.

• 1210

L'OMC ferait partie d'une série d'accords plus spécifiques régissant les échanges commerciaux. Cela devrait être inclus dans une série d'ententes qui défendent davantage le bien commun. C'est ma perspective.

Par ailleurs, sur la question des contribuables, je crois que, d'une certaine façon, notre commentaire peut apparaître contradictoire. Fondamentalement, nous voulons dire qu'il est normal que le citoyen paie des impôts pour s'assurer des services ainsi qu'une protection. C'est donc dans cet esprit qu'on explique aux citoyens et aux citoyennes que le soutien à l'agriculture leur permet de s'approvisionner avec des produits locaux à un prix tout à fait concurrentiel. En même temps, ces mêmes citoyens sont des consommateurs, des gens qui travaillent, des entrepreneurs et ainsi de suite. Il y a donc une forme de solidarité sociale qui se défend.

Cependant, les citoyens ne doivent pas payer pour un protectionnisme qui défend les intérêts d'un groupe particulier, d'un groupe d'intérêt, d'un groupe de producteurs, d'un groupe de transformateurs ou d'un petit groupe de citoyens. Il faut maintenir des politiques de soutien dans la perspective de la défense du bien commun. Pour le reste, on comprend qu'il doit y avoir nécessairement des ajustements et que l'on ne doit pas non plus soutenir l'agriculture, comme tout autre secteur d'ailleurs, d'une façon démesurée.

Cela dit, je vous rappelle que l'agriculture est un élément hautement important et stratégique pour la sécurité d'un pays. L'agriculture produit de la nourriture. Il doit y avoir un traitement particulier pour l'agriculture et il faut maintenir un certain niveau de sécurité alimentaire. On voit un problème dans certains pays d'Afrique: toute leur production va sur les marchés extérieurs pour payer une dette trop lourde. Ces gens-là n'arrivent plus à cultiver des produits locaux et dépendent uniquement du commerce international. De toute évidence, le Canada est très loin d'une situation semblable, et on souhaite d'ailleurs qu'il en reste loin.

Le président: Merci.

M. Daniel Germain: Cela me fait plaisir, monsieur.

Le président: Monsieur Sauvageau, vous avez la parole.

M. Benoît Sauvageau: Je vais probablement partager mon temps avec Mme Debien.

Monsieur Germain, je tiens à dire que je n'ai pas au préalable pris connaissance de votre mémoire. Il nous a été remis tout à l'heure, pendant la pause-café. Cependant, je l'ai parcouru pendant votre présentation. J'ai surtout lu les recommandations. Je crois que ce mémoire répond à mes questions et je vais donc m'en inspirer. Je tiens à vous dire qu'il semble très bien fait et très enrichissant pour nous et pour le comité.

Vous avez soulevé à plusieurs reprises la problématique des relations entre, par exemple, l'Organisation mondiale de la santé et l'OMC. Cela me rappelle les propos tenus par M. Bernier plus tôt, quand il parlait de problèmes périphériques. Avez-vous des idées concrètes pour régler cette problématique périphérique, non pas dans un siècle comme pour le gouvernement mondial, mais à court terme? Est-ce que vous auriez des pistes de solutions à nous fournir?

M. Daniel Germain: Concrètement, il faudrait d'abord agir au niveau de la structure même des accords. Présentement, le problème est que ces accords consacrent au départ la primauté de la liberté du commerce sur toutes les autres libertés. Il est difficile de travailler dans le cadre d'un accord qui enchâsse cette liberté-là.

L'autre façon de faire consiste à aménager des clauses spéciales. Nous en proposons quelques-unes. Nous disons qu'il faut garantir la souveraineté des pays. Chaque pays a le droit de décider des politiques qu'il juge opportunes. Cela s'intègre dans l'accord où on a des dispositions et des recommandations qui, selon nous, s'intègrent à certains des libellés de l'article, sous réserve évidemment que cela n'engendre pas des obstacles au commerce ou ne crée de distorsion volontaire. C'est difficile.

• 1215

Je suis tout à fait conscient de la position prise lors des négociations, parce qu'on part déjà d'un contexte bien particulier. Il faudrait peut-être récrire les accords. Ce serait la façon la plus concrète d'y intégrer des clauses. Nous en avons d'ailleurs proposé quelques-unes. Je pense qu'on peut défendre l'ouverture des marchés tout en protégeant les populations, et donner les éléments nécessaires d'ajustement pour les pays qui sont décalés.

Pour ce qui est des normes sanitaires et phytosanitaires, certains pays sont loin derrière nous. Donc, si on réalise une harmonisation internationale, des pays devront hausser leurs normes et d'autres peut-être les abaisser. C'est ce qui risque d'arriver aux Européens et peut-être aussi aux Canadiens.

Mme Maud Debien: Monsieur Germain, j'aimerais avoir votre avis sur la question de la gestion de l'offre. Vous avez probablement entendu, tout à l'heure, ma remarque et mon commentaire à ce sujet.

Comment se fait-il que la plupart des pays arrivent à protéger sans problème leurs secteurs agricoles sensibles aux importations, justement par le biais de la gestion de l'offre? Je donnais l'exemple des arachides aux États-Unis, celui du sucre également, et celui du lait en Europe. Ici, au Canada, cette discussion sur la gestion de l'offre semble continuellement poser un problème, alors qu'ailleurs elle n'en pose pas. Est-ce que c'est strictement par des pressions politiques, dans le fond, que s'explique cette protection?

J'aurai aussi un commentaire sur l'intervention de M. Obhrai au sujet des mesures sanitaires et phytosanitaires. M. Obhrai disait qu'au Canada, évidemment, on n'a pas de problème avec nos mesures de santé et nos mesures de sécurité qui, vous l'avez dit vous-même, sont excellentes, mais le problème n'est pas ici. Le problème est au niveau des produits dans le cadre de la libéralisation du commerce. Le problème se pose lorsqu'on reçoit d'autres aliments ou d'autres produits qui pourraient poser un risque pour la santé humaine. Je pense qu'à ce moment-là, il faut absolument qu'il y ait un organisme pour déterminer les règles à suivre dans le domaine de la sécurité alimentaire, pour les humains et pour les animaux.

Vous avez parlé de l'Organisation mondiale de la santé, mais j'ai dit précédemment que ces grands organismes internationaux n'avaient pas de pouvoirs réglementaires et coercitifs, alors que l'OMC a de tels pouvoirs. Donc, c'est là que devraient aussi se décider ces questions très importantes pour l'humanité.

M. Daniel Germain: Je vais répondre d'abord à la première question. Je trouve tout à fait intéressant ce que vous venez d'ajouter. Effectivement, l'Organisation mondiale de la santé n'a pas les dents aussi longues que l'OMC.

Mme Maud Debien: Elle n'en a pas du tout.

M. Daniel Germain: Cela m'amène à apporter une précision à mon commentaire. Ce serait efficace, par exemple dans le cas de l'Organisation mondiale de la santé, si on lui donnait un pouvoir de réglementation adéquat, et c'est là qu'on voit les disparités. Le droit de commerce est protégé et même blindé à l'OMC; le bien commun, lui, ne semble pas l'être autant.

Si on arrivait au degré de réglementation et de discipline qui est prescrit par l'OMC pour des considérations qui touchent davantage le bien commun, les citoyens, pas seulement ceux du Canada mais également ceux de la planète, seraient mieux protégés.

L'autre problème, toujours sur cette même question, est qu'actuellement, parallèlement aux accords de l'OMC, on assiste au Canada à une forme de déréglementation. Donc, de plus en plus, la tendance est de remettre entre les mains d'un organisme neutre les questions sanitaires.

Nous avons un problème à ce sujet. Nous pensons que les pouvoirs publics doivent conserver la gestion de cela. Ils ne doivent pas seulement avoir un droit de regard. Ce sont eux qui gèrent. On voit cette tendance notamment au Québec. On parle d'un organisme de certification pour les normes HACCP.

• 1220

Cet organisme ne fera même pas partie du MAPAQ, du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec; c'est un organisme neutre. Le problème est de savoir quelle est la nature de cette neutralité.

On se pose aussi cette question dans les différentes commissions rattachées aux différents accords. Il y a une commission qui gère les différends dans le cadre de l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires. Rien ne détaille vraiment la procédure de nomination des gens. Les citoyens se sentent très loin de tout cela. Nous percevons une perte de pouvoir, une perte de transparence. À qui va-t-on présenter notre cahier de doléances? Toute la question est là.

Pour les «organismes neutres», cela fait des années que l'on demande que des représentants des consommateurs y siègent. Ce n'est pas vraiment le cas. La question de la transparence se pose plus difficilement. Évidemment, si j'ai des comptes à demander, je peux appeler mon député ou mon ministre, et j'ai accès à l'information au gouvernement fédéral, ce qui est moins souvent le cas avec d'autres types d'organismes.

Cela se produit actuellement. On dit que c'est pour des raisons de compressions budgétaires. Au Canada, il y a un lobby politique très bien implanté. Cela m'amène à la première question. On veut une déréglementation tous azimuts et à tout prix, mais évidemment, on est conscient que le gouvernement canadien résiste, jusqu'à un certain point, à ces pressions.

Pour ce qui est de la gestion de l'offre, je vous dirai qu'actuellement, c'est un débat purement idéologique. Ce qu'on sait actuellement, tant d'un côté que de l'autre, c'est que la gestion de l'offre est justifiée, mais je pense qu'il faut revoir la façon de gérer l'offre. Cela dit, on ne peut pas se départir d'organismes qui gèrent l'offre, et on l'a clairement exprimé à plusieurs reprises. De toute façon, nous sommes dans des marchés à concurrence imparfaite. Le marché parfait existe seulement dans le manuel du premier cours du bac en économie.

La loi du marché, de l'offre et de la demande fonctionne dans un village. Vous avez dix potiers qui fournissent une population de 2 000 habitants, et un équilibre va se créer entre l'offre et la demande. Il y en a peut-être deux qui vont disparaître, mais il en restera huit et ils vont ajuster leurs prix. Cela est possible dans un petit marché fermé. On suppose que le marché est fermé, mais en réalité il n'est pas fermé.

On voit ce qui se passe dans le cas du pétrole. Les pétrolières s'associent pour régir les prix; elles maintiennent les prix. Elles ont une intégration verticale et horizontale des marchés.

Les outils de gestion de l'offre et aussi, par ricochet, des entreprises de commercialisation d'État ou des offices de commercialisation sont tout à fait justifiés, en autant qu'ils ne soient pas là pour créer des distorsions volontaires au marché.

Entre vous et moi, parlant de distorsion du marché, les Américains n'en font pas trop cas actuellement; ils ont des offices de commercialisation privés. Pourquoi est-ce que ces offices créeraient davantage de distorsion qu'un office public? Je pose la question. Nous n'avons aucune confirmation de cela. On a pu lire dans plusieurs ouvrages—beaucoup d'économistes le reconnaissent du bout des lèvres, des économistes néo-classiques plus que des économistes de modèle classique—que le marché de la libre concurrence est une vue de l'esprit et que, de toute façon, les marchés ont toujours tendance à se concentrer.

Si les gouvernements ont décidé d'intervenir pour la gestion de l'offre et pour la commercialisation, c'est justement pour créer un équilibre entre les petits producteurs, les petits transformateurs et les gros joueurs de ce monde.

Pour faire allusion aux commentaires de M. Sauvageau au sujet de ce que j'appellerais les dommages collatéraux, je dirai que ces organismes sont justifiés pour le bien des petits joueurs et des petits marchés qui risquent d'être emportés par la tourmente. C'est curieux, mais en général, ceux qui sont pour le libre-échange sans aucune contrainte, sans aucune distorsion, sont souvent les premiers à faire des associations d'affaires.

• 1225

La tendance des marchés va toujours vers des oligopoles, comme cela a été historiquement démontré. Le fait d'utiliser ces organismes, au lieu de créer une distorsion dans le marché, crée un équilibre.

J'ai un autre argument en faveur des organismes de commercialisation et des offices de gestion de l'offre. Là on suppose que le marché est dans une concurrence parfaite. Supposons que le marché est en situation de concurrence parfaite, qu'on a des joueurs et qu'un de ces joueurs est un organisme de commercialisation ou un organisme de gestion de l'offre. Un économiste classique accuserait cet organisme de créer une distorsion du marché. En général, que font ces organismes? On dit qu'ils ont toujours tendance à maintenir les prix élevés à l'avantage des producteurs et des transformateurs.

Si on est dans un marché à concurrence parfaite, ceux qui ne bénéficient pas de cet outil de protection bénéficient de la distorsion du marché. Si les prix sont maintenus élevés artificiellement, ceux qui ne sont pas sous l'aile d'un organisme de commercialisation baisseront leurs prix et vont flanquer une bonne dérouillée à l'organisme.

Je trouve que c'est un débat purement idéologique. Ce qu'on dit, dans le fond, c'est: Moins d'État, mieux d'État. C'est l'argument fondamental et je pense qu'il y a une position mitoyenne éclairée, rigoureuse, sérieuse, qui est celle de la majorité des citoyens canadiens et aussi, je pense, de la majorité des députés à Ottawa.

Les gens comprennent très bien qu'il faut se situer quelque part entre les deux extrémités, qui sont, d'une part, le marché complètement fou et libéré et, de l'autre, le plan quinquennal, pour faire allusion au KGB, dont on parlait tout à l'heure.

Je pense qu'il y a un juste milieu et que le Canada est quand même dans une position avantageuse à cet égard. Nous ne voulons pas que cette position soit modifiée. M. Chrétien a dit qu'il faisait bon vivre au Canada. Nous voulons qu'il fasse encore bon vivre au Canada et nous voulons que les citoyens travaillent et continuent d'être bien protégés.

Mme Maud Debien: Merci.

Le président: Merci.

Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Monsieur Germain, je vous remercie de votre exposé et surtout de la réflexion que vous avez faite. Je la qualifierais d'un peu avant-gardiste. C'est très bien et surtout très positif à l'égard des futures orientations de l'OMC. À vous écouter, on comprend de plus en plus le rôle très important que les ONG et la société civile se doivent de jouer dans les futures négociations.

Je vais revenir sous peu sur ce que Mme Debien a dit. L'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, qui est issu de l'Uruguay Round, est quand même avant-gardiste, en ce sens que le principe de la nation la plus favorisée ne s'applique pas à de telles choses.

Ma première question porte sur le fait que la Chine va probablement intégrer l'OMC, de même que la Russie. Ces pays veulent être considérés comme des pays en voie de développement. Qu'est-ce que cela va amener pour cet Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires? Pensez-vous vraiment qu'on puisse rouvrir, bonifier ou amender l'accord tel qu'il existe actuellement pour y incorporer des recommandations comme celles que vous nous avez faites?

Est-ce que le gouvernement canadien devrait s'entendre avec certains autres pays qui partagent les mêmes préoccupations? Il pourrait essayer d'en arriver à un accord avec certains pays pour ensuite les amener à l'OMC ou à l'Organisation mondiale de la santé, afin qu'on en discute là-bas. De quelle façon voyez-vous cela?

Ce matin, le professeur Bernier nous disait même que dans la question de la culture, il est peut-être trop tard pour apporter certaines modifications.

Vous avez également parlé des évaluations de risques, et surtout de l'éthique. J'aimerais que vous abordiez un peu le sujet de l'éthique.

M. Daniel Germain: Pour votre première question, j'abonde dans votre sens. Les pressions de la Chine risquent d'être très importantes, car c'est un marché phénoménal.

D'un point de vue stratégique de négociateur, nous n'avons pas ce problème. Donc, la commande est peut-être difficile à passer, et j'en suis conscient. Cela dit, je pense qu'il faut en discuter et le préciser dans la perspective du moyen et du long terme. Je pense qu'à court terme, il faut d'abord protéger l'acquis de normes internationales. On suppose que les normes chinoises sont plus basses que les nôtres. Ainsi, lorsque nous importons des produits de ce pays, nous nous assurons que les normes sont haussées. Je crois que l'accord doit défendre ce principe et qu'on ne doit pas le diluer davantage. Les normes qui sont actuellement prévues dans l'accord représentent la base minimale. Nous abordons la question dans une perspective à plus long terme et recommandons d'intégrer ces normes, peut-être pas nécessairement dans un accord de l'OMC, mais dans le cadre d'un accord qui va chapeauter tout cela et où la question du commerce ne va pas tout dominer. Le commerce est un élément dans la perspective du développement durable. Il faut qu'il prospère, mais il faut tenir compte des citoyens dans leur ensemble.

• 1230

Nous défendons la base existante, mais nous croyons qu'il faut tenir compte d'autres éléments lors de nos discussions, dont ceux auxquels nous avons fait allusion. On sait très bien que, comme ce fut le cas en 1995, lors du dernier cycle de l'Uruguay, si je me souviens bien, le Canada ne participera même pas aux dernières séances à huis clos.

Le président: Sur l'agriculture?

M. Daniel Germain: Non, pas nécessairement. Il ne participera pas aux séances où l'on viendra à l'entente finale. Ces séances sont-elles tenues à huis clos, comme j'ai cru le comprendre?

Le président: Oui, je le crois.

M. Daniel Germain: Je peux me tromper.

Le président: Est-ce que vous parlez des négociations de Singapour ou de celles qui ont précédé?

M. Daniel Germain: Non, de celles du cycle de l'Uruguay en 1995, lorsqu'on a fondé l'OMC. Enfin, c'est ce que j'ai lu, mais peu importe. On est conscient du poids que représente le Canada, qui ne compte que 30 millions d'habitants. À côté des États-Unis, on ne pèse pas lourd dans la balance. C'est pourquoi nous devrons songer à former des alliances stratégiques et tactiques, comme vous le dites si bien. À ce moment-là, nous devrons évidemment faire des concessions.

Au niveau de la protection sanitaire, les Européens sont une référence, bien qu'il faille discerner les mesures auxquelles on a recours pour faire du protectionnisme commercial. Par exemple, il était clair qu'il y avait des raisons justifiant la position prise dans le cas des hormones de croissance pour les bovins. Nous croyons que les mécanismes doivent nous permettre de faire ce discernement-là, et possiblement de nous faire des alliés. Nous sommes divisés face à cette question des hormones de croissance. Mais, enfin, en termes de mesures sanitaires idéales, il faut se tourner vers l'Europe, qui est un modèle à suivre. Les pays d'Europe vivent cette intégration au sein de l'Europe unie. C'est ainsi que les négociations vont se jouer.

Nous parlions plus tôt de cette solidarité qui s'établit entre les négociateurs, mais ces derniers ne devront pas oublier, dans la mesure du possible, les recommandations qu'ont formulées les autres personnes derrière eux.

Quant à l'évaluation éthique, je tiens à rappeler le principe qu'on a énoncé tout à l'heure selon lequel on ne peut pas évaluer correctement l'ensemble des risques. Évidemment, on sait très bien que le plus grand risque qu'on court, c'est celui de mourir. Il faut continuer à vivre et ne pas laisser la paranoïa nous envahir. Il n'y a pas de système parfait. Nous croyons qu'un système public assure une plus grande transparence. Notre évaluation des risques a des limites. Un pays peut décider qu'un décès sur un million d'habitants représente une norme acceptable, alors qu'un autre établira cette norme à un sur trois.

Les organismes génétiquement modifiés soulèvent des questions d'ordre éthique. Bien que je n'aie pas inscrit ce sujet parmi mes recommandations en vue des négociations de l'OMC, sachant qu'on ne peut l'intégrer aux autres sujets de négociation, j'aimerais soulever le fait que le genre humain s'est donné le droit de modifier génétiquement les organismes pour créer de nouvelles formes de vie. Je crois qu'il faudra se pencher sur cette question de façon plus approfondie.

• 1235

Selon nous, la question la plus critique est celle des risques qui sont actuellement non mesurables. On prépare des porcs en vue de la transplantation d'organes à des humains. On nous dit que ce n'est pas dangereux, mais quand on approfondit cette question et qu'on regarde les études, on s'aperçoit qu'on n'a toujours pas d'assurances à ce sujet. Nous ne soutenons pas qu'on ne devra jamais avoir recours à ces procédés, mais nous constatons que ces expériences font partie du jeu auquel se prêtent les entreprises qui développent des produits. Il est tout à fait légitime qu'elles fassent la promotion de leurs produits puisque c'est une question de rentabilité. Nous comprenons cela et nous respectons leur point de vue. Mais nous soutenons qu'en contrepartie, nous devrions nous doter d'un pouvoir nous permettant d'équilibrer les choses et de faire en sorte qu'on puisse examiner sous toutes ses coutures un produit qu'une entreprise se propose de mettre sur le marché. Si le produit présente un risque, on appliquera le principe de la précaution, sous réserve que ce principe ne soit pas utilisé comme une forme de protectionnisme commercial. Par exemple, on a débattu pendant de nombreuses années de la somatotrophine et on a finalement convenu que cette hormone était dangereuse pour la santé. Le ministère de la Santé a donc dit qu'elle ne devait pas être utilisée pour l'instant. Je crois qu'il est important que ces questions restent dans le domaine public et qu'un pays ait encore la possibilité de...

M. Bernard Patry: J'aimerais simplement faire un commentaire, monsieur le président. La recherche sur la xénotransplantation se fait actuellement à Toronto, bien qu'il y ait de graves problèmes d'éthique à ce sujet.

Le président: Oui, effectivement.

M. Bernard Patry: Merci.

Le président: Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: Moi aussi, monsieur Germain, je voudrais vous féliciter de la direction qu'a pris votre mémoire.

Lorsque vous avez parlé en particulier du blé stérile, cela m'a ramenée à des conversations et à des textes que j'ai lus dernièrement sur le fait que non seulement ce blé stérile risque de contaminer les terres avoisinantes, mais également sur le fait qu'on s'en va, non pas vers un type de protectionnisme qui a toujours été un point central lors des discussions de l'OMC, mais bien vers un monopole.

J'ai pris l'exemple du blé stérile et je constate qu'en bout de ligne, il est possible qu'un pays comme le Canada ou les États-Unis ait le monopole de la production du blé puisqu'on aura vendu à d'autres pays qui produisent aujourd'hui du blé, comme l'Égypte ou la Roumanie, du blé stérile et que ces derniers devront revenir tôt ou tard acheter de nouvelles semences, contrairement à la coutume qui veut qu'une semence en produise une autre d'année en année, pendant des siècles et des millénaires.

Mais là on s'en va dans une tout autre direction. Un pays ou des pays auront le contrôle total des semences, et les autres pays qui produisent du blé devront revenir acheter leurs semences chaque année ou à tous les deux ans. Il y aurait donc un contrôle total. Je vois là non seulement un problème d'éthique extrêmement important, comme vous l'avez souligné, mais également un problème de contrôle économique. On en parle très peu dans les discussions de l'OMC. Est-ce que vous voudriez ajouter quelque chose à cela?

M. Daniel Germain: Oui, certainement. J'ai fait des analyses sur plus d'un accord et je puis dire qu'il est clair qu'en accordant la primauté à la liberté de commerce sur les autres droits, on favorise le genre de situation dont vous venez de faire état. Je conviens que cette question est très peu présente au sein des discussions de l'OMC. Peut-être est-ce parce que les négociateurs sont davantage préoccupés par le développement économique et les bénéfices immédiats. Je crois toutefois que nous devrions avoir une perspective à long terme. Je déplore le fait qu'on n'aborde pas vraiment de telles questions; ainsi, on va certainement renforcer les situations de dépendance que vivent certains pays.

Imaginez jusqu'à quel point vous êtes mal pris si vous cultivez un blé stérile et que vous êtes constamment obligé d'aller voir Monsanto Canada Inc. ou une autre compagnie pour acheter des semences. Cela soulève aussi des questions au niveau de la sécurité internationale. Nous sommes dans un environnement beaucoup plus ouvert.

• 1240

M. Bush parlait d'un nouvel ordre mondial. Il y a différentes façons d'aborder cette question. On multiplie aussi les risques de conflits. Dans le cas d'une économie qui est complètement intégrée au niveau international, il y a des problèmes lorsqu'éclate un conflit majeur. Durant la Seconde Guerre mondiale, l'approvisionnement a été problématique pour la Grande-Bretagne.

Actuellement, tout se fait par bateaux, par avions ou par transport routier. Maintenant, les entrepôts roulent, flottent ou volent. Pour ce qui est du commerce international, en plus de créer des dépendances au niveau de produits que les gens n'ont plus la possibilité de reproduire eux-mêmes par les méthodes traditionnelles, on augmente la circulation, multipliant ainsi les situations de dépendance qui peuvent en découler. Il y a toutes sortes de raisons qui peuvent faire que cela bloque.

Mme Raymonde Folco: Monsieur le président, je veux ajouter un mot là-dessus.

Je veux souligner deux points que j'avais oublié de mentionner. Premièrement, si un pays ou une transnationale contrôle les espèces de blé—disons qu'il y en a quelques-unes—et qu'une maladie se propage à ces espèces, on est vraiment mal pris au niveau de la production et du ravitaillement à travers le monde. C'est un danger international par rapport au nombre d'espèces qui existeront bientôt sur la terre. J'ai pris l'exemple du blé.

L'autre exemple est que si une transnationale contrôle les semences et donc l'alimentation sur le plan mondial, on peut en voir les conséquences quand il y a une guerre. Il y a un problème lorsqu'une transnationale ou même quelques transnationales contrôlent totalement la production du blé, par exemple.

M. Daniel Germain: Exactement, et cela renforce la situation problématique parce que déjà, à cause de l'amélioration génétique du blé, il n'y a pratiquement plus de blé sauvage, sauf peut-être quelques touffes ici et là.

À un moment donné, on s'est aperçu du problème. Si une maladie comme celle de l'orme ou une maladie qui s'attaque au blé survient, les gens paniquent et se disent: «Ça y est, c'est la famine qui nous pend au bout du nez.» On a établi des endroits pour maintenir des semences. Au niveau de la reproduction des semences, il y a des gens et des organismes un peu partout sur la planète qui entretiennent ces plants.

Toutefois, avec la venue du blé génétiquement modifié, on se pose ce genre de questions. Que va-t-on faire de ces mesures de sécurité? S'il y a des mutations et des contaminations d'un blé à l'autre, on ne sait pas avec quelle rapidité elles pourront se propager.

Il y a actuellement des risques qu'on ne peut pas maîtriser. Au niveau épidémiologique, quand on parle de l'accroissement de la circulation, on veut parler des biens et des personnes. Il y a des maladies qui s'implantent dans des pays à cause justement des échanges internationaux. On va donc devoir se prémunir contre cela. Il ne s'agit pas de fermer les frontières, mais il va falloir se doter d'outils proportionnels aux enjeux et aux situations qui sont en train de se mettre en place. On ne sent pas que ces choses-là se mettent en place à la même vitesse. On parlait plus tôt de l'OMS, mais cette organisation n'a pas pas les dents assez longues.

Le président: Merci. En terminant, est-ce je peux vous demander deux choses?

M. Daniel Germain: Oui.

Le président: D'abord, je crois que vos deux règles de précaution, soit le fardeau de la preuve et l'augmentation de la souveraineté, sont liées. C'est peut-être la même chose en ce sens que si vous avez une règle de précaution qui est très élevée, vous allez augmenter la souveraineté ou élargir le champ de compétence sur cette règle de précaution. Ce sont les deux revers de la même médaille, si je peux présenter la chose ainsi.

M. Daniel Germain: Oui.

Le président: C'est cela que j'ai compris.

Je veux revenir, dans un deuxième temps, à votre allusion au déficit démocratique dans les institutions internationales et même à votre observation en ce qui concerne le rôle de l'OMC vis-à-vis de l'Organisation mondiale de la santé. Qui va déterminer les compétences de chacune? Est-ce qu'on va les déterminer en établissant des règles? Cela s'avère très complexe.

• 1245

Pensez-vous qu'il serait au moins nécessaire qu'il y ait une assemblée de parlementaires associée à l'OMC pour avoir un minimum d'apport démocratique? Cela permettrait d'avoir au moins une discussion au niveau parlementaire, pas seulement des discussions entre les gouvernements et les ONG, ce qui est maintenant un peu la règle.

L'OMC, ce sont les ONG et, qu'ils soient bons ou pas, des représentants des groupes de spécialistes. Ce sont les gouvernements qui déterminent les règles. Il n'y a pas de vraie démocratie dans le système, comme cela se passe au Parlement européen. Je prends cela comme exemple.

M. Daniel Germain: En effet, ce serait important. D'ailleurs, pour ce qui est de la souveraineté des pays, ce serait une manière de l'appliquer à un niveau supranational. Je pense que les parlementaires de chaque pays concerné par l'OMC devraient avoir des occasions de se rencontrer. Le modèle européen est intéressant. Évidemment, le modèle européen dépasse la question strictement commerciale.

Bien d'autres questions sont touchées, mais cela peut être une façon d'assurer une forme de transparence et d'imputabilité pour les citoyens et les citoyennes, sur le plan local. Cela vaut pour un pays particulier. Les citoyens et les ONG peuvent faire des suggestions à leurs parlementaires qui, eux, auront à discuter avec les représentants d'autres États.

Je pense que le jeu de la démocratie doit se faire d'un gouvernement à d'autres gouvernements; il ne faut pas que ce soit uniquement des rencontres entre fonctionnaires et des pressions des ONG. Tel est le sens de la souveraineté. Les gouvernements doivent être tout à fait présents.

Pourquoi ai-je insisté sur le principe de la souveraineté? Le principe de la précaution, d'un point de vue juridique, autorise les pays à disposer d'eux-mêmes. Cependant, on tenait tout de même à inscrire le principe de la souveraineté, parce que ce principe est clair à l'OMC. On voulait justement sentir la présence des États.

La formule que vous proposez serait peut-être intéressante, mais ce ne sera pas demain la veille, comme on dit. Cela va prendre peut-être 50 ans, mais je pense qu'il faut aller dans cette direction-là.

Le président: Vous avez sûrement senti que c'était mon violon d'Ingres.

L'année dernière, nous étions à Genève. Au plan ministériel, tous les pays étaient représentés. Un des ONG qui poussent cette idée d'avoir une assemblée parlementaire pour des raisons de déficit démocratique avait organisé une réunion à laquelle il n'y avait que des ONG et trois parlementaires, tous canadiens. C'est peut-être une idée qui est valable, mais pour le moment, ce n'est pas le cas de tous les autres pays.

Merci beaucoup, monsieur Germain.

M. Daniel Germain: Je vous remercie de votre attention.

Le président: Je vais demander à M. Théberge et M. Rémillard de nous joindre à la table.

Monsieur Rémillard et monsieur Théberge, vous voudrez bien nous excuser de nous avoir fait attendre.

M. Théberge représente l'ACEF Rive-Sud. Que veut dire ACEF?

M. Enrico Théberge (porte-parole, ACEF Rive-Sud de Québec): Cela signifie Association coopérative d'économie familiale. C'est à peu près le même organisme que celui de M. Daniel Germain, sauf qu'on a choisi d'autres avenues que les siennes.

Aujourd'hui, je suis venu exposer les objectifs que poursuit l'ACEF Rive-Sud de Québec. Également, j'essaierai de vous faire part de nos préoccupations face au futur développement du droit économique international et des recommandations que nous faisons au comité afin que ce dernier les soumette aux autorités compétentes qui représenteront le Canada au cours du Round du millénaire de l'OMC.

• 1250

Voyons les objectifs poursuivis par l'ACEF Rive-Sud de Québec. C'est un organisme communautaire qui a été fondé il y a une dizaine d'années afin de protéger les consommateurs de certaines pratiques commerciales, de leur permettre d'acquérir des connaissances pour effectuer un achat éclairé et raisonnable et de promouvoir de nouvelles avenues pour leur permettre d'agir comme citoyens libres.

Pour atteindre ces divers objectifs, l'ACEF Rive-Sud, avec l'aide et l'expertise de ses précieuses collaboratrices... Ce sont des femmes qui font partie de l'équipe permanente. Je suis membre du conseil d'administration et je ne fais pas le travail de terrain comme les membres de l'équipe permanente. Donc, il y a seulement des femmes qui travaillent à temps plein.

L'ACEF propose donc à la population des cours d'accession à la propriété et de préparation financière à la retraite et organise des rencontres d'information sur divers thèmes comme l'assurance-vie, la nouvelle loi sur les pensions alimentaires, etc.

L'ACEF effectue diverses interventions médiatiques pour éveiller la population à certaines problématiques. L'ACEF fait également partie de différents groupes, dont le Conseil des assurances de dommages, pour représenter les intérêts des consommateurs.

L'ACEF fait aussi de façon habituelle des consultations budgétaires auprès de citoyens qui se trouvent dans une impasse budgétaire. Il s'agit de prendre rendez-vous avec la personne et de tenter de redresser sa situation financière en lui proposant un budget tenant compte de ses ressources pour qu'elle puisse être en mesure de boucler son budget. Nos collaboratrices se sont rendu compte, au cours des dernières années, qu'elles devaient faire beaucoup plus de consultations budgétaires qu'auparavant. Pourquoi? Parce que beaucoup plus de personnes perdent leur emploi et donc leur pouvoir d'achat.

En se présentant devant ce comité, l'ACEF Rive-Sud de Québec essaie d'analyser les causes pouvant expliquer ce phénomène de pertes d'emploi et de chômage. Je vais donc vous présenter certaines de nos préoccupations.

Les politiciens canadiens et québécois hurlent à toutes les occasions qu'ils vont atteindre le déficit zéro. Pour y arriver, ils ont dû faire certains choix. Les gouvernements canadien et québécois ont coupé dans les budgets attribués aux divers programmes sociaux et vendu certaines sociétés d'État. Par exemple, le gouvernement canadien a vendu une bonne part—je ne peux en préciser le pourcentage—des actions qu'il détenait dans VIA Rail à des intérêts privés.

Les gouvernements québécois et canadien ont assoupli certaines règles de protection. Je n'ai qu'à rappeler l'autorisation du gouvernement québécois pour la construction d'un barrage sur la rivière Chaudière par la compagnie Innergex, malgré l'avis contraire du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement.

Les règles de protection de certaines parties de l'économie nationale sont en train de s'atténuer au nom d'une logique néo-libérale. Ce sont les intérêts du marché plutôt que ceux à long terme de la population qui décident de tout. Il faut se préoccuper de cela.

D'où vient cet acharnement à poursuivre dans la perspective néo-libérale? On n'a qu'à faire un bref historique du GATT, qui était l'ancêtre de l'OMC jusqu'en 1993-1994.

L'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, le GATT, a été négocié à la suite de la Deuxième Guerre mondiale, en 1947, pour libéraliser les échanges internationaux et pour abaisser les frais de douanes imposés sur les produits importés. Les États remettaient ainsi en cause une politique économique suivie par la plupart, le protectionnisme économique, qui avait ses avantages et ses désavantages: l'avantage de protéger un pan d'économie nationale, mais en même temps le désavantage d'empêcher l'ouverture de nos marchés vers l'exportation.

Par la suite, les signataires des accords subséquents au GATT ont négocié pour abaisser les frais de douanes et ont créé une institution juridique, l'Organisation mondiale du commerce, ayant pour mandat de régler la plupart des litiges en droit international économique.

• 1255

On a accordé aux instances d'application de ces accords le pouvoir d'imposer des amendes ou des sanctions aux États ne respectant pas leurs engagements internationaux, ce qui n'existait pas jusque-là. Auparavant, lorsqu'il y avait litige, on essayait de le régler, mais il arrivait souvent que les États ne respectaient pas l'issue du jugement. Dorénavant, l'Organisation mondiale du commerce peut imposer des sanctions aux parties récalcitrantes.

Bien que ces engagements internationaux qu'on retrouve à l'OMC puissent sembler justes, au-delà de cette rationalité économique, nous vivons une crise économique mondiale profonde. La population mondiale est de plus en plus nettement scindée en deux: les riches et les pauvres. Cette crise découle de l'application aveugle des principes afférents à la libéralisation des marchés internationaux. Lorsqu'un État désire mettre en oeuvre cette politique libérale, il s'expose à l'affaiblissement de son économie par le fait de la concurrence internationale. L'équilibre de ses finances publiques s'en trouve dès lors menacé et il devra choisir de nouvelles avenues pour financer les programmes qu'il avait créés. Il pourrait être tenté de prélever ces sommes auprès des mieux nantis, mais pour ne pas faire fuir les capitaux, il choisit d'avaler les pilules économiques prescrites par les pharmaciens néo-libéraux: désengagement de l'État dans le secteur économique et réduction des dépenses publiques affectées aux services sociaux ou aux programmes environnementaux. Les gouvernements canadien et québécois, comme la plupart des autres gouvernements de la planète, se sont soumis à cette médecine de cheval.

Ignacio Ramonet, le rédacteur en chef du Monde diplomatique, a élaboré un concept pour désigner le processus d'asservissement des esprits des politiciens à cette doctrine: ça s'appelle la pensée unique. On peut retrouver l'élaboration de son concept dans Le Monde diplomatique de janvier 1995. Cette pensée hypnotise et elle est utilisée par toutes les sommités politiques et médiatiques.

Linda McQuaig, une auteure canadienne réputée, a écrit un ouvrage très éclairant qui s'appelle Shooting the Hippo: Death by Deficit and other Canadian Myths. Elle nous rappelle dans son bouquin un événement médiatique majeur qui faisait l'éloge de la pensée unique. Radio-Canada a diffusé, il y a quelques années, un documentaire sur la prospérité de l'économie néo-zélandaise, qui se serait relevée après avoir appliqué les préceptes néo-libéraux de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international et où tout irait pour le mieux depuis. Toute critique de ce modèle néo-libéral a été évacuée par la plupart des médias et des politiciens. Ainsi, ils n'osent pas examiner les causes de la dévaluation majeure du peso mexicain ou de la crise financière qui secoue actuellement l'Extrême-Orient.

Je passe maintenant à nos recommandations.

Ce n'est que récemment que les Québécois ont accepté de regarder les problèmes en face. Mais le gouvernement canadien aurait-il consulté une partie de la population, si infime soit-elle, sans l'action d'éclat d'un des députés de la Chambre des communes, Stéphan Tremblay, qui voulait lancer le débat sur la souveraineté parlementaire, sans l'arrestation de 84 manifestants qui protestaient contre les négociations sur l'Accord multilatéral sur l'investissement à Montréal ou sans l'effondrement dramatique des économies de l'Extrême-Orient, de la Russie, du Brésil et du Mexique?

Dans les circonstances actuelles, les citoyens sont bien conscients de la menace. Ils demandent des comptes au gouvernement et exigent des changements. Ils ont enfin constaté qu'ils ne sont pas à l'abri de l'exploitation et de l'exclusion. Ils ont compris que les conséquences du néo-libéralisme ne se font pas sentir que dans le tiers monde et que la cause de tous ces oubliés de la machine économique mondiale est aussi la leur.

Pourrions-nous donc assister à la naissance d'une vraie solidarité entre les citoyens de l'Occident et ceux des pays sous-développés? Si les Occidentaux acceptent de jeter un regard critique sur leur société, ils se rendront à l'évidence que tous les êtres humains sont dans le même bateau, sans gouvernail.

Le changement de millénaire, malgré l'hystérie qu'il provoque, ne serait-il pas l'occasion pour le Québec, le Canada et tous les pays occidentaux de remodeler les échanges économiques internationaux selon la logique de la solidarité internationale? D'abord, il serait irresponsable de ne pas se retourner vers le passé, sur ces quelques siècles qui ont vu l'exploitation de l'être humain par l'être humain s'ériger en culte avec la colonisation, l'esclavage et l'émergence d'un système économique toujours plus sauvage et impitoyable. Les tenants du néo-libéralisme n'ont toutefois pas coutume de s'attarder au passé, ne serait-ce que pour en tirer des leçons. Le pire, c'est qu'ils sont encore moins portés à regarder vers l'avenir avec un regard qui embrasserait tant les perspectives environnementales que sociales. Pour eux, seul le présent compte. C'est pourquoi les citoyens doivent prendre la parole.

Une fois passé le temps de l'examen de conscience, vient le temps des résolution. À chaque Jour de l'An, on prend de belles petites résolutions qui finissent par tomber à l'eau.

• 1300

Compte tenu du questionnement qu'on doit faire, il faudrait prendre des résolutions qui tiennent le coup. En plus de demander des explications aux gouvernements, les citoyens devraient exiger des garanties et ne plus tolérer que leur sort soit entre les mains insatiables des dirigeants des multinationales ou de l'investisseur tout-puissant protégé par les chiens de garde de l'ordre économique mondial que sont le FMI, la Banque mondiale et l'OMC.

Tout d'abord, les citoyens souhaitent mettre un terme aux dérapages et aux abus de ces organismes internationaux, qui ont depuis longtemps outrepassé leur mandat et leurs pouvoirs. Dans le contexte actuel, leur rôle devrait être redéfini et les citoyens de tous les pays devraient être amenés à exercer une plus grande influence. Vu la perte de confiance que l'on connaît, une démocratisation de ces organismes s'impose. Les citoyens devraient exiger des gouvernements que toute information concernant leur implication au sein des organismes internationaux et leurs manoeuvres souterraines avec ceux-ci et avec des investisseurs leur soit transmise. S'il n'y avait pas eu une réaction des organismes non gouvernementaux et d'autres groupes d'intérêt, l'Accord multilatéral sur l'investissement aurait peut-être été signé sans l'accord des populations, ce qui aurait été scandaleux.

Le néo-libéralisme ne peut plus rester un sujet tabou réservé aux seuls initiés. De même, il n'est plus possible de les laisser régner sur la planète en faisant l'éloge de son invulnérabilité ou de la logique des lois du marché. Comme on l'a vu récemment, le néo-libéralisme est loin d'être invulnérable, et il est encore moins un mal nécessaire. En fait, ce que demandent les citoyens, c'est tout simplement d'être mis dans le secret des dieux, même si leurs gouvernements doivent redoubler d'efforts de vulgarisation. Il est faux de dire que les citoyens ne savent pas ce qui est bon pour eux. Ainsi demandent-ils à être véritablement informés du phénomène. Où est la limite entre le fait de ne pas informer ou le refus d'informer et le crime de la désinformation?

Finalement, bien que l'ACEF Rive-Sud de Québec ne se spécialise pas dans la finance ou l'économie internationale, elle ne peut qu'appuyer toutes les propositions avancées un peu partout qui visent à protéger les populations nationales des abus et de l'irresponsabilité des investisseurs. Alors qu'aujourd'hui le néo-libéralisme a le droit d'imposer ses vues au gouvernement, notamment en matière de politique sociale, on craint qu'il s'accapare demain le droit de diriger à la place des gouvernements.

Un autre problème est que les mouvements des capitaux d'un pays à l'autre ne créent pas toujours de richesse réelle et fragilisent les économies. On n'a qu'à rappeler l'épisode grave de la dévaluation du peso mexicain il y a quelques années. Parmi les solutions proposées, on note l'idée d'une taxation universelle de toutes les transactions financières internationales. Celle-ci responsabiliserait probablement les investisseurs et constituerait une nouvelles source de revenus pour les gouvernements. À ce chapitre, la lutte aux paradis fiscaux qui permettent aux citoyens malhonnêtes de se soustraire à leurs obligations envers leur pays franchirait un pas important vers l'équité sociale.

Il est temps d'admettre que les pauvres sont pauvres et qu'ils n'ont plus d'argent. Ils ne faut plus que les gouvernements sabrent leurs programmes. Toutefois, la solution la plus intéressante reste la création d'un organisme qui ferait contrepoids aux trois principaux organismes internationaux que je viens de mentionner. Comme on le devine, son financement serait laborieux, mais si nous vivons vraiment dans des démocraties, l'aval du peuple doit primer.

Cet organisme aurait entre autres pour missions de contrôler les fuites de capitaux, de régler de façon équitable et humaine les différends entre gouvernements et multinationales et d'informer véritablement la population. Ce serait une sorte de protecteur du citoyen, une institution toujours inexistante en 1999.

Si l'AMI voulait laisser les pleins pouvoirs aux investisseurs et les munir d'une impunité à toute épreuve, cet organisme chercherait au contraire à les responsabiliser en les traitant comme on traite tout citoyen.

Évidemment, ce ne sont là que quelques possibilités. Comme il n'y a plus personne pour dire que l'heure n'est pas grave, il est nécessaire d'agir au plus vite. Depuis le 1er janvier 1994, des zapatistes au Mexique essaient de nous éveiller à cette problématique—il en existe peut-être qui prennent les armes—tranquillement et de constituer un réseau intercontinental de résistance au néo-libéralisme.

Avec l'arrivée de l'an 2000, le Canada a une chance exceptionnelle de passer à l'histoire avec un projet qui rétablirait pleinement aux citoyens leurs droits et en s'imposant en tant que leader international de lutte au néo-libéralisme. Mais peut-il vraiment faire preuve d'initiative? On se pose cette question. J'espère que vous nous donnerez des indications encourageantes.

• 1305

Le président: Merci, monsieur Théberge. Je vous invite à venir au Parlement, à Ottawa, où vous pourrez voir se perpétrer quotidiennement ce crime de désinformation de tous côtés de la Chambre.

Des voix: Ah, ah!

Le président: Je vais donner la parole à M. Rémillard, après quoi nous pourrons poser des questions à nos deux témoins.

Monsieur Rémillard, puisque vous avez eu la gentillesse de distribuer votre mémoire, il n'est pas nécessaire que vous le lisiez entièrement. Vous pourriez en soulever les points importants.

M. Stéphane Rémillard (témoigne à titre personnel): Ce n'est pas un mémoire, mais plutôt des notes d'exposé. Je voudrais dès le départ m'excuser auprès de mon interprète à qui je poserai probablement des problèmes.

Le président: C'est gentil de votre part.

M. Stéphane Rémillard: Occasionnellement, je sortirai peut-être un peu du texte et je ferai des sauts.

Le président: Il n'y a pas de problème. J'aimerais qu'on s'assure que les députés auront suffisamment de temps pour poser leurs questions.

M. Stéphane Rémillard: D'accord.

J'aimerais tout d'abord vous dire que j'ai été consultant pendant quatre ans en commerce international au sein de ma propre entreprise et que j'ai souvent eu l'occasion de travailler auprès d'entreprises privées. J'ai pu constater que, dans la perspective d'un homme d'affaires, certaines considérations très académiques sont tout à fait secondaires. Je me suis engagé au niveau des questions relatives à l'habitation. Mon exposé touchera donc un peu le côté social, ce qui va peut-être pondérer les autres aspects dont je traiterai et vous démontrer que les gens qui oeuvrent dans le commerce international peuvent aussi avoir certaines préoccupations sociales.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que le phénomène de la mondialisation des échanges fait couler beaucoup d'encre. Afin d'apporter ma contribution au débat et de tenter d'éclairer un peu mieux notre gouvernement sur les positions adoptées à l'égard de cette question, je m'attacherai à procéder de la façon suivante pour mon exposé.

Je vous invite donc, dans un premier temps, à jeter un regard sur les données et observations contenues dans les rapports produits par l'OMC et le Bureau international du travail. Ces rapports présentent des caractéristiques assez particulières qui rejoignent le point de vue de M. Bernier sur ce qu'on appelle le problème périphérique, c'est-à-dire une espèce d'incompréhension en termes d'orientation théorique par rapport à l'observation des deux aspects d'une réalité au niveau de la mondialisation, de la réalité sociale reliée au travail et de la réalité à caractère plutôt commercial, où les considérations d'ordre social sont plus ou moins évacuées à l'intérieur de l'OMC.

Je me suis plus particulièrement intéressé à l'aspect du travail, qui est une composante essentielle de l'intégration des citoyens au sein de notre société. L'absence de travail ou la précarité de l'emploi sont des facteurs très aggravants dans la vie quotidienne d'un individu et ils entravent sa possibilité de participer pleinement à la société canadienne ou québécoise.

En prenant connaissance des observations de ces deux rapports, on pourra identifier les répercussions de la mondialisation au niveau social et examiner le pouvoir de l'État d'intervenir dans le champ de l'économie en particulier.

Contrairement à M. Bernier, j'ai une vision très interventionniste et je crois que la rationalité économique a occasionnellement, voire même assez souvent, besoin d'être orientée.

Je m'attarderai un peu plus aux caractéristiques de l'OMC, à son évolution, à ses tendances en termes de vision du commerce, ainsi qu'à certaines problématiques qui sont liées à la complexification de plus en plus grande des problématiques dont elle traite. Je parlerai éventuellement, comme l'a fait brièvement M. Graham, du déficit démocratique de l'OMC, en particulier dans le processus des négociations multilatérales, dont celles de l'Uruguay Round.

Une étude des conclusions du premier rapport du Secrétariat de l'OMC sur l'évolution du commerce international en 1997 nous offre une quantité appréciable d'information sur la mondialisation. Dans le contexte de cet exposé, je me contenterai de présenter essentiellement les grandes lignes du rapport puisque je suis conscient que nous ne disposons pas de beaucoup de temps ici.

Dans un contexte général, le rapport de l'OMC observe premièrement que le volume des exportations de marchandises au niveau mondial s'est accru de 9,5 p. 100. C'est une augmentation très significative puisqu'on n'a dépassé ce taux qu'une seule fois depuis deux décennies. Nous ne sommes donc pas en période de contraction des marchés.

• 1310

Deuxièmement, au niveau des productions, il y a eu une augmentation de l'ordre de 3 p. 100. Il y a donc un constat qui s'impose. Premièrement, il y a un écart qui se crée entre le commerce lui-même et la production. C'est, d'une certaine façon, un indicateur de ce qu'on appelle l'écart qui se crée entre l'économie réelle et l'économie spéculative. Vous allez me dire qu'on parle de commerce, mais il y a aussi une forme de spéculation à l'intérieur du processus commercial lui-même. Les transactions, dans bien des cas, sont carrément des transactions entre intermédiaires. C'est une caractéristique de la mondialisation, soit cet écart entre l'économie réelle et l'économie spéculative. Mais il y a quand même un point positif dans ce taux de 3 p. 100 pour 1997. Il reste le meilleur taux enregistré depuis 1989, donc depuis assez longtemps.

L'organisation prévoyait aussi en 1998 des perspectives plus incertaines en raison de la crise financière asiatique. On a vu qu'elle a eu un impact chez nous, particulièrement au niveau du dollar canadien. Mais elle s'attendait aussi à ce que la moyenne du taux de croissance reste supérieure à celle de la première moitié des années 1990. Globalement, les pronostics ont été assez respectés à ce niveau-là. On n'est pas tombés dans une période de récession. L'Amérique du Nord a quand même réussi à garder une position convenable au niveau des marchés.

Ce rapport de l'OMC nous présente d'autres observations importantes. Il y a une observation très intéressante, en 1997, pour les deux Amériques, soit l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud. On a enregistré des taux vraiment exceptionnels cette année-là. L'Amérique du Nord a enregistré un taux de 10,5 p. 100. C'est un taux supérieur à la moyenne mondiale. Pour l'Amérique du Sud, le taux se situait à 12,5 p. 100. Cette performance a donné lieu à une augmentation de nos parts de marchés qui était sans précédent depuis 10 ans. C'est quand même un élément qu'il faut applaudir et qui est rassurant. Pour l'Amérique du Nord, c'est quand même intéressant. Ce n'est pas le cas dans toutes les régions.

L'OMC souligne également d'autres points significatifs, notamment le fait que les différences entre les régions se sont amenuisées en termes de taux de croissance des exportations. La fermeté du dollar US a provoqué une divergence nette entre les volumes exportés et leur valeur. C'est le déclin des prix des exportations en dollars le plus prononcé depuis 1950. Cela a aussi un certain effet de distorsion parce que lorsqu'on prend ces mêmes volumes d'exportation du côté européen, on se rend compte que l'évolution est à peu près égale; c'est-à-dire qu'on voyait un écart, mais il n'était pas très marqué. Donc, au niveau de l'analyse, cela pouvait provoquer des difficultés.

Du côté de l'OIT, l'Organisation internationale du travail, le dernier rapport du BIT sur l'emploi dans le monde nous apporte d'autres éléments très significatifs, mais dans la perspective du travail et de l'économie sociale. Il nous indique surtout un paradoxe.

En pleine période de croissance des échanges jugée exceptionnelle par l'OMC, on voit se maintenir un taux mondial moyen de chômage de l'ordre de 8,04 p. 100. C'est quand même un taux de chômage assez important sur une base mondiale. Ce chiffre ne reflète qu'une partie de la réalité parce que tout le monde sait que lorsqu'on parle de statistiques sur le chômage, il y a une foule d'autres aspects de la réalité sociale qui sont ignorés. Je pense par exemple à la précarité des emplois, aux gens qui ont carrément cessé de chercher un emploi, aux gens qui ont un emploi mais seulement pour des périodes très courtes ou encore aux travailleurs autonomes qui sont enregistrés comme faisant partie de la force active de travail. Il faut toutefois considérer le vrai travailleur autonome par opposition à celui qui le fait un peu par dépit.

Au niveau de ce qu'on appelle la précarité de l'emploi, le BIT note que de 25 à 30 p. 100 des travailleurs de la planète sont sous-employés. C'est aussi une donnée importante.

Il serait difficile de reprendre, dans le cadre de cet exposé, chacune des régions qui ont été étudiées par le Bureau international du travail.

• 1315

J'ai comptabilisé, au niveau des pays du G-7, les données sur les niveaux de chômage. On pouvait observer que sur les sept pays, seulement les États-Unis et le Japon se distinguaient par un taux particulièrement bas. Le taux aux États-Unis se situait à 4,7 p. 100. Au Japon, il était de 4,0 p. 100. Bien entendu, je ne suis pas convaincu que ces données prenaient en compte la crise financière asiatique. Les chiffres comptabilisés faisaient état de la situation un peu avant la crise.

Au Royaume-Uni, on constatait que le taux était de 6,2 p. 100. C'est un peu mieux que d'autres pays, mais ce n'est quand même pas une performance exceptionnelle si on la compare à celle des deux autres partenaires.

Pour ce qui est des autres pays, c'est-à-dire l'Allemagne, avec un taux de 10,7 p. 100, le Canada, avec 8,6 p. 100, la France et l'Italie avec des taux de 12 p. 100, il y a de quoi s'interroger. On parle de pays avec des économies très fortes, mais avec des taux de chômage se situant autour ou au-delà de 10 p. 100. On commence à parler sérieusement de problèmes eu égard à des pays qui font partie du G-7. Que doit-on penser des autres pays qui ont peut-être des économies beaucoup moins fortes et qui peuvent vivre des situations encore plus prononcées en termes d'impacts structurels liés à la mondialisation?

Le rapport du BIT constate aussi quelques tendances nouvelles qui ont déjà été identifiées par un certain nombre d'organismes ici au Canada, mais qu'il vaut néanmoins la peine de répéter encore une fois. Les groupes sociaux les plus visés par les impacts de la mondialisation sont bien sûr les femmes, les jeunes et les travailleurs âgés. C'est un fait qu'on observe ici même au Canada.

Le BIT observe aussi une autre tendance, soit le glissement de plus en plus marqué vers le secteur tertiaire, c'est-à-dire le secteur des services, ainsi qu'une demande plus grande pour du personnel qualifié qui requiert de la formation professionnelle en cours ou en transition d'emploi. Il constate aussi le recours de plus en plus fréquent à du personnel auxiliaire pour éviter les coûts liés à la formation et à la requalification de ce même personnel. Au Québec, bien entendu, le fameux 1 p. 100 pour la formation est quand même un élément qui a un impact. Je n'ai cependant pas eu le temps d'aller vérifier les chiffres à ce niveau-là. Il vaudra la peine que je les vérifie lors de la rédaction complète de mon mémoire.

Dans un article de Mme Rossana Rossanda. membre du Groupe de Lisbonne, publié dans Le Monde diplomatique et intitulé «Limite à la compétitivité. Pour un nouveau contrat social», on retrouvait l'observation suivante:

    Si les capitaux se déplacent en temps réel, les hommes et les femmes, eux, sont enracinés dans leurs territoires. L'entreprise, en quelque sorte, les traverse puis les abandonne, et leurs structures syndicales et politiques se dissolvent.

C'est une belle formule, c'est bien tourné et ça reflète une réalité. Les observations de Mme Rossanda sont confirmées en grande partie par un autre rapport du BIT sur le taux de syndicalisation dans le monde. Le rapport ne s'arrête pas seulement aux syndicats, mais touche aussi différents types d'associations qu'on rencontre dans les pays démocratiques. Le rapport traitait des taux de syndicalisation dans 36 pays. Sur ces 36 pays, il y en a seulement 10 qui enregistraient un taux positif en termes de variation. Cela peut devenir inquiétant. Il y a des endroits où le rendement négatif était particulièrement marqué. Il y a aussi une exception positive à la règle qu'il est important de signaler, soit celle de l'Afrique du Sud avec un taux d'au-delà de 100 p. 100. On peut comprendre qu'il y a un contexte particulier en Afrique du Sud, particulièrement avec le rétablissement de toutes les structures démocratiques qui avaient été plus ou moins désarticulées pendant la période de l'apartheid. Le cas de l'Afrique du Sud n'est peut-être pas significatif du courant général qu'on observe dans le monde au niveau de la syndicalisation.

Le Bureau international du travail fait remarquer un autre point important. Si on constate un problème chez les syndicats, on observe aussi chez les associations patronales du monde une désaffectation qui est assez similaire à celle observée dans les syndicats. Comment devrait-on interpréter cela? Je crois que, quelque part, l'espèce de pression compétitive qui se manifeste amène un repli de l'entrepreneur sur des prérogatives immédiates et sur tout ce qui pourrait s'appeler l'engagement auprès de son propre corps, de son propre groupe social. Tout cela est un peu désarticulé.

• 1320

Il va peut-être falloir également se donner des outils au niveau national pour essayer de ramener la pression à un niveau où les personnes seront capables de fonctionner pour soutenir nos institutions démocratiques. C'est un fait.

J'en arrive maintenant aux questions liées aux impacts. C'est toute la structure démocratique des pays qu'il va falloir essayer de protéger en se donnant un certain nombre de moyens. Pour l'instant, on devrait considérer qu'on est au niveau de la réflexion, mais la mondialisation agit vraiment comme un agent corrosif. Il faudrait probablement voir comment on pourrait accentuer cette protection. Ce serait peut-être par un niveau plus avancé de représentation et de défense des intérêts de chaque pays sur une base de regroupement régional. La Zone de libre-échange pourrait envisager, dans un premier temps, la mise en place—et ce sera dans mes recommandations—d'une sorte de commission des Amériques, un peu comme la Commission européenne, où seraient représentés non seulement les intérêts de notre voisin du Sud, mais également ceux des différents membres de la Zone des Amériques, intérêts qui pourraient être calibrés autour d'une position commune.

Cela m'amène à la deuxième partie de mon exposé, celle portant sur l'OMC comme telle.

Le président: Il faut vous dire qu'habituellement, on essaie de limiter les observations des témoins à 10 et 15 minutes pour laisser aux membres du comité le temps de poser des questions.

M. Stéphane Rémillard: À combien de minutes suis-je rendu?

Le président: Vous avez déjà dépassé 15 minutes.

M. Stéphane Rémillard: Je vais essayer de faire cela très rapidement dans ce cas-là.

Tout le monde connaît très bien les tendances de l'OMC, qui sont fortement orientées vers une analyse de type très classique de l'économie, de type ouvert, c'est-à-dire le libre-marché à grande échelle. J'ai déjà identifié un certain nombre d'impacts de la mondialisation. L'OMC ne semble pas manifester d'intérêt à contenir les effets de la mondialisation. C'est une première problématique qui sera liée à la relation que le Canada devra entretenir pour essayer d'amener l'organisme à avoir une vision un peu plus sensible aux questions relatives aux impacts ou, à tout le moins, à réaliser des études d'impacts. Ce ne sera peut-être pas si difficile à faire.

La complexification de plus en plus grande des problématiques traitées par l'OMC a des effets importants. Cela amène occasionnellement des pays comme le Canada, entre autres, à prendre des engagements qu'ils sont dans l'impossibilité d'appliquer. Pourquoi? Pour toutes sortes de raisons, et particulièrement pour une raison d'ordre constitutionnel: les compétences partagées font qu'il est difficile d'appliquer ces engagements.

Dans une certaine mesure, les problèmes reliés aux offices de commercialisation peuvent en partie s'expliquer par cette difficulté de coordonner le travail commun entre le fédéral et le provincial. Des questions de cet ordre vont également se présenter au niveau culturel.

À la limite, le gouvernement canadien devrait peut-être envisager de regarder l'avis qui a été présenté par le Conseil privé de Londres, soit d'ouvrir la porte et de permettre, pour ce qui est des systèmes fédéraux, l'établissement, au sein de l'OMC, d'une tribune des États faisant partie des fédérations, de façon à ce que le point de vue des États constituants puisse être entendu et que les engagements pris par les fédérations puissent être calibrés. Cela nous permettrait peut-être d'éviter de payer des droits compensatoires sur des périodes prolongées.

Enfin, il reste la question du déficit démocratique. À ce niveau, j'ai déjà parlé un peu de la recommandation que je proposais, c'est-à-dire de se donner une espèce de commission qui, dans le processus global des négociations multilatérales, nous permettrait d'avoir une représentation qui soit différente de celle des États-Unis. Je vais m'arrêter ici.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci beaucoup de votre exposé, monsieur Rémillard.

Nous allons maintenant passer à la période de questions.

[Traduction]

Monsieur Obhrai.

M. Deepak Obhrai: Merci de votre exposé, où nous trouvons une opinion différente. Je l'ai écouté avec attention.

• 1325

Beaucoup des éléments que vous avez cités ne doivent pas être négligés, ne doivent pas être écartés et l'on ne doit pas prétendre qu'ils n'existent pas. Ils ont indéniablement une incidence. Naturellement, le libre-échange a une certaine incidence sur ce que vous avez dit, et sur ce que votre collègue de l'autre côté a dit. Mais je voudrais vous présenter un point de vue différent. Je tiens à vous dire qu'il faut commencer à adopter une approche plus globale.

J'ai grandi dans un pays démocratique, économiquement en santé, pouvant donner à ses ressortissants une citoyenneté, et qui était très progressiste. Et c'était un pays pauvre—la Tanzanie, un pays qui devait se bagarrer. Au mois de mars, j'ai eu l'occasion d'y retourner en visite. Quand je vivais là-bas—et je tiens à dire ceci, et je vous demanderais d'écouter attentivement—le gouvernement du pays a modifié sa politique et décidé de se lancer dans les affaires. C'est ce qu'il a fait. Le gouvernement s'est emparé de tout et a créé une économie d'État, ce dont vous parliez. Les éléments que vous avez cités et l'intervention de l'État, c'est tout à fait ce que vous avez décrit. Ce processus a ni plus ni moins étouffé l'initiative de la population. Il faut bien le comprendre. Les gens, en l'absence d'incitatifs, ont quitté le pays.

Quand j'y suis retourné après 20 ans, le pays était en mauvais état. Son infrastructure s'était écroulée, et toutes les industries étaient à vendre.

Avez-vous entendu parler du président Nyerere? C'est l'un des socialistes très respectés là-bas. Savez-vous ce qu'il m'a dit? Il m'a dit: «Mon pays s'est affaibli. L'État s'est affaibli. Dans un tel cas, il n'y a plus de latitude possible.»

Et la question des riches... Savez-vous ce qui se produit? Les plus pauvres n'ont jamais rien eu de toute façon. C'est la classe moyenne qui disparaît. Les riches ne s'en ressentent pas, car ils peuvent s'en tirer. Par conséquent, sur le plan mondial, ce libre- échange... Le président a donc proposé le néolibéralisme. La prochaine fois, ce sera le néobloquisme.

Je vous parle par expérience. J'ai pu constater les dégâts que cela a causés. Il faut donc réfléchir soigneusement. C'est essentiel. Le néolibéralisme n'existe pas. Regardez ce qui se passe dans les autres pays, les pays où l'économie est fermée, et voyez la situation où ils se trouvent.

Je n'ai pas de questions à poser, car, pour ma part, j'ai été témoin de ce qui s'est produit là-bas. Je vais toutefois reprendre certains points que vous avez soulevés, notamment à propos des lois ouvrières.

Il faut toujours qu'il y ait un juste milieu. Il faut éviter le déséquilibre.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Deepak, de ces remarques.

Nous passons à M. Sauvageau.

[Français]

M. Stéphane Rémillard: Je voudrais simplement faire deux brefs commentaires.

Le président: Deux commentaires très succincts.

M. Stéphane Rémillard: Premièrement, j'aimerais vous faire remarquer que je ne suis pas contre le libre-échange. Au contraire, je vois le libre-échange comme un instrument extrêmement important pour maintenir ici la qualité de vie. Quand on parle de la nécessité d'établir un équilibre entre une vision sociale et une vision commerciale, je suis tout à fait d'accord avec M. Obhrai. Ce qu'il faut comprendre aussi, c'est que l'érosion des pouvoirs du gouvernement canadien requiert qu'on se donne au moins des leviers au niveau international si on ne peut pas compenser le déficit de la perte de pouvoirs au niveau national. C'est simplement ma position, et elle n'a rien à voir avec une attaque contre le néo-libéralisme.

Le président: Monsieur Théberge.

M. Enrico Théberge: J'ai trois brefs commentaires.

• 1330

Dans mon allocution, je ne voulais pas vanter l'économie étatisée. Plusieurs exemples démontrent que ce type d'économie ne fonctionne pas toujours bien; on pouvait voir souvent une nomenklatura qui décidait de tout. Cela deviendrait une élite qui décide de tout, et ce n'est pas souhaitable. Actuellement, il est décevant de constater qu'il n'y a plus de contrôle fait par la population; c'est l'élite qui décide toujours et je trouve cela très grave.

Je voulais aussi préciser que le néo-libéralisme est une doctrine qui a été avancée et créée par John Rawls et Robert Nozick. Ce petit commentaire s'adressait à M. Obhrai.

Le président: Monsieur Sauvageau.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Je voudrais faire une brève remarque.

Vous avez exposé le fruit de votre analyse. Je vous parle pour ma part par expérience. Je suis un témoin oculaire. Voilà pourquoi je vous propose de faire plus de... [Note de la rédaction: Inaudible]

[Français]

M. Benoît Sauvageau: J'ai remarqué un préjugé favorable à la taxe Tobin de la part de vous deux. J'attends un téléphone concernant la motion présentée en Chambre par Lorne Nystrom, un député néo-démocrate, et amendée par le Bloc québécois, pour demander au gouvernement de mettre de l'avant un comité d'étude sur la taxe Tobin. Cette motion devrait être discutée cette semaine car il ne restait que quelques points à finaliser. Si vous voulez suivre ce débat, c'est la motion M-239. Le Bloc québécois a parrainé l'amendement; je l'ai présenté, appuyé par Stéphan Tremblay qui a fait un discours à ce sujet.

Concernant Stéphan Tremblay, comme M. Théberge l'a mentionné, il a présenté ses quelques 50 000 signatures en Chambre en utilisant le nouveau processus des signatures des députés pour présenter une motion ou un projet de loi. Cette affaire chemine également.

Je reviens à la question d'une plus grande transparence de l'OMC. On a vu comment Internet pouvait être populaire pour certains ONG. On n'a qu'à penser à l'Accord multilatéral sur l'investissement. Lorsque le texte est apparu, la levée de boucliers ne s'est pas fait attendre. Certains témoins ont suggéré de rendre disponibles sur Internet les textes de discussion de l'OMC pour permettre aux différents ONG ou parlements d'en prendre immédiatement connaissance. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet.

Au niveau de l'ouverture, de la consultation, de l'information—vous êtes ici depuis quelques heures ce matin, car c'était ouvert à tous—et des statistiques sur le chômage, j'aimerais que vous me corrigiez parce que j'ai toujours des haut-le-coeur quand j'entends des statistiques sur le chômage. Je ne veux pas faire de politique, mais je vous dirai qu'on a juste à voir comment, avec des resserrements, on peut faire diminuer le taux de chômage.

Par exemple, si on exigeait 2 500 heures de travail au lieu de 910 pour avoir accès à l'assurance-emploi et si on disait qu'on n'y a plus droit après avoir reçu une première fois des prestations, le taux de chômage canadien pourrait tomber à environ 1,7 ou 1,5 p. 100. Serions-nous meilleurs? Je crois que non. Il faut donc être prudent avec les statistiques sur le chômage qu'on nous présente.

Aux États-Unis, on n'a pas le droit d'être sur le chômage plus d'une ou deux fois, et le taux s'élève à 4 p. 100. Quelle est la réalité par rapport au Canada? Ce n'est pas tout à fait la même chose. On peut bien se comparer, mais avec des situations comparables.

M. Enrico Théberge: Sur la disponibilité de l'information sur Internet, cet outil est très intéressant parce qu'il permet d'avoir accès à différents dossiers ou éléments qui n'étaient pas disponibles auparavant, mais il reste à savoir ce que le citoyen est en mesure de faire. L'important est d'essayer de contrebalancer l'intérêt des multinationales. La mondialisation semble avoir été faite pour et par les multinationales. Quelques pays peuvent bien s'en sortir, mais ce ne sont que quelques pays, et une concurrence effrénée sera toujours en place au lieu d'une logique de solidarité internationale. On ne pensera jamais en fonction des autres si on continue à laisser les multinationales diriger tout.

• 1335

Je suis heureux d'être ici, mais c'est grâce à l'invitation adressée à l'ACEF Rive-Sud de Québec que j'y suis. Plusieurs autres organismes n'ont jamais été prévenus. Je ne connais pas tous les modes de publicité, mais très peu d'organismes connaissaient l'existence des séances du comité.

Le président: De cette séance?

M. Enrico Théberge: Des séances du comité qui avaient lieu au Concorde aujourd'hui. J'ai parlé avec beaucoup de membres des organismes situés dans la ville de Québec et ils ont dit ne pas avoir été avisés.

Le président: Vous abordez un autre problème. On a voulu faire de la publicité dans les journaux, mais c'est tellement coûteux que le comité ne pouvait pas se permettre de faire une telle dépense.

M. Enrico Théberge: Cette séance était ouverte à tous, mais je voulais vous faire remarquer que le «tous» était très restreint.

Le président: Il faut que les gens le sachent, on comprend cela.

Madame Debien.

Mme Maud Debien: Je voudrais tout d'abord faire un commentaire sur l'intervention de M. Théberge. Vos propos et ceux que nous avons entendus jusqu'à maintenant de la part d'un certain nombre d'ONG et de participants de la société civile dénotent qu'il y a un malaise, que tout n'est pas clair. D'ailleurs, l'échec de l'AMI est aussi une preuve qu'il y a un déficit démocratique et une absence de transparence. Il importe donc que les gens soient informés et parties prenantes aux discussions.

L'important n'est pas de savoir qui a raison ou qui a tort ou de prendre parti pour le néo-libéralisme ou pour une société avec des connotations plus sociales; l'important est de poser les bonnes questions. Je pense que vous êtes là pour en témoigner.

Je ne veux pas verser dans le style d'intervention de M. Obhrai en disant que si, dans certains pays, telle chose s'est bien passée, c'est à cause de ceci ou de cela. On est ici pour vous écouter et pour se rendre compte qu'effectivement—et vous n'êtes pas les seuls à nous avoir dit qu'il y a un malaise et qu'il faut se poser les bonnes questions—, le gouvernement canadien doit prendre les bonnes décisions au moment des négociations à l'OMC. C'est en ce sens que j'ai reçu votre témoignage, monsieur Théberge.

Monsieur Rémillard, dans l'une de vos recommandations, vous avez parlé du déficit démocratique et suggéré une commission des Amériques qui viendrait combler ce déficit. M. le président a parlé tout à l'heure d'une assemblée parlementaire comme celle que l'on retrouve, par exemple, au Conseil de l'Europe. Est-ce un peu dans le même sens que vous parlez d'une commission des Amériques?

M. Stéphane Rémillard: [Note de la rédaction: inaudible] ...d'une zone de libre-échange. Les degrés d'intégration ne sont pas nécessairement les mêmes. Par exemple, au niveau de la Communauté européenne, on a atteint un niveau d'intégration beaucoup plus avancé. Si on établissait au départ une commission, ce serait déjà un plus.

Il ne faut pas oublier que la Communauté européenne ne s'est pas construite d'un seul bloc; le parlement est venu beaucoup plus tard. La commission a joué ce rôle pendant longtemps pour essayer de pallier ce déficit. D'ailleurs, c'est aussi au niveau de la commission que s'est ouvert le débat sur le déficit démocratique. C'est justement par ces efforts qu'on a pu finalement en arriver au Parlement européen, mais aussi aux comités des régions et à plusieurs autres choses mises en place par la commission.

Je connais bien ce sujet car j'ai travaillé comme stagiaire à la Commission des communautés européennes. On peut en prendre des éléments, mais par étape. Mettre la charrue devant les boeufs risquerait probablement de faire déraper le processus. Je suis plus conservateur à ce niveau-là.

Mme Maud Debien: Merci.

Le président: Pour compléter la question de Mme Debien, vous savez que dans le système européen, la commission est peut-être le moins démocratique de tous les systèmes du monde. Il y a peut-être un paradoxe dans ce que vous nous dites.

M. Stéphane Rémillard: Oui, mais...

Le président: C'est peut-être seulement le terme de «commission» qui...

• 1340

M. Stéphane Rémillard: Eh bien, il faut s'entendre. Il faut aussi le prendre en relation avec le processus de négociation multilatérale parce qu'il faut qu'il y ait un organisme représentatif. Évidemment, on aurait pu faire un meilleur choix que celui du terme «commission».

Le président: Non, mais il y a...

M. Stéphane Rémillard: Il faut s'entendre.

Le président: Monsieur Rémillard, il existe une commission en vertu de l'ALENA, mais ses membres sont les ministres responsables du commerce international. Cette commission se réunit une ou deux fois par an; c'est une institution qui a très peu de pouvoir. On peut donc proposer une institution plus importante.

M. Stéphane Rémillard: Oui, une institution importante qui permettrait de calibrer la représentation de la Zone de libre-échange de façon à ce que, lorsqu'on arrivera au GATT, il y ait une position des Amériques qui ne soit pas seulement le reflet des États-Unis. C'est le principe que j'avançais.

Le président: Oui, oui.

M. Stéphane Rémillard: Il n'était pas question de copier la Communauté européenne.

Le président: Non, mais pour être précis, ce n'est pas une institution bureaucratique comme celle de la Commission européenne que vous proposez, mais plutôt une institution politique.

M. Stéphane Rémillard: C'est une étape préalable. Peut-être qu'il va falloir l'envisager dans un processus d'évolution, mais il faut éventuellement déboucher sur quelque chose qui, effectivement, aura un caractère beaucoup plus démocratique.

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Merci, monsieur le président.

J'aurai quelques commentaires parce que les présentations ont été assez rigoureuses. Au sujet de l'Europe, je pense qu'il faut faire attention. On apprend de nouvelles choses sur l'Europe tous les mois. La vitalité et l'enthousiasme du début étant passés, il y a plus de questions au sujet de l'Europe. Il faut donc faire très attention.

Je me souviens des déclarations de certains députés du Québec lors de l'entrée en vigueur de l'euro. On voit ce qui se passe avec l'euro depuis quelques semaines ou depuis quelques mois.

Mon collègue Benoît Sauvageau a parlé du taux de chômage. Je voudrais lui rappeler que le taux de chômage n'a rien à voir avec l'assurance-emploi. Le taux de chômage est un calcul complètement différent. Il faut donc faire attention. À part quelques différences, surtout dans les pays du G-7, le calcul du chômage est similaire. Si l'on compare le taux de chômage du Canada et des États-Unis, on voit qu'il y a un problème. On crée plus d'emplois aux États-Unis qu'au Canada.

Je suis d'accord sur la remarque faite par M. Théberge. Le comité n'a pas fait assez de publicité, et nous en portons le blâme, mais comme le président l'a dit, c'est une question d'argent. On accuse souvent les parlementaires ou les politiciens de dépenser l'argent à tort et à travers. Pour en arriver à ce qu'un comité réunissant tous les partis puisse voyager, on doit se battre comme des diables dans l'eau bénite. Il est difficile d'avoir l'argent nécessaire pour se déplacer. Il y a donc des coupures qui doivent se faire, notamment en ce qui a trait à la publicité.

Le grand problème dans tout cela, c'est la vulgarisation; c'est d'arriver à expliquer aux gens ce qu'est l'OMC. Je pense que cela est bien clair: les gens réagissent parce que ce qui se passe est très complexe.

Vous parliez de l'AMI, tantôt. L'Opération SalAMI à Montréal a probablement permis à beaucoup de gens de comprendre ce qui se passait. SalAMI n'a pas arrêté les négociations, mais cela a peut-être créé un intérêt et permis de comprendre ce qui se passait sur la scène internationale. Je pense que cela est important.

Notre rôle, en tant que comité, serait d'essayer de mettre cela à la portée des gens. Malheureusement, nous avons plus un rôle d'écoute. On invite les gens à venir nous rencontrer, mais nous n'avons pas cette phase éducative.

On dépense des millions et des millions de dollars à promouvoir des budgets, tant fédéraux que provinciaux, mais combien dépense-t-on pour éveiller les gens à des ententes qui vont peut-être coûter des millions et des millions en mesures sociales, en emplois, etc?

On a parlé de la taxe Tobin, qui est un vieux concept maintenant. Il y a longtemps que le chèque du prix Nobel a été encaissé.

• 1345

La taxe Tobin est un sujet qui revient. On en parle en Chambre actuellement. Il y a beaucoup de questions à ce sujet. J'aimerais avoir votre avis sur la taxe Tobin. On voit cela comme une source possible de revenu. On parle même d'un système de péréquation. Pouvez-vous l'imaginer? Cela met le diable aux vaches au pays, mais on parle d'un système de péréquation internationale.

Concernant la taxe Tobin, j'aimerais que vous nous parliez de sa faisabilité et de ses avantages. Cela nous éclairera à la veille d'un débat en Chambre sur la question. Je sais que c'est très spécialisé, mais j'aimerais avoir votre avis sur la question.

Le président: Je suis certain que, s'il y avait pensé, M. Bachand aurait fait de la publicité pour le rapport sur le G-7 publié par ce comité il y a quatre ans, alors qu'on avait parlé de la taxe Tobin. Je sais que vous n'étiez pas là, monsieur Bachand.

M. André Bachand: Non, mais je l'ai lu, monsieur Graham.

Le président: On a eu une longue discussion sur le sujet et je recommande à ceux et celles qui aimeraient en savoir plus sur la taxe Tobin de lire ce rapport.

Monsieur Théberge.

M. Enrico Théberge: Cela m'intéresserait.

Le président: Je vous enverrai une copie de ce rapport.

M. Enrico Théberge: Parfait. Je vous remercie beaucoup parce que c'est toujours intéressant.

M. André Bachand: C'est très intéressant.

M. Enrico Théberge: La faisabilité de la taxe Tobin est une idée qui a été mise de l'avant par certains organismes. Un comité ad hoc a été créé en France. Il y en a un en Europe aussi; on commence à voir des ramifications européennes.

Je n'ai pas d'idée précise quant à sa faisabilité, mais l'idée est lancée. On dit que les transactions financières internationales seraient plus contenues qu'elles ne le sont actuellement. Au moins, c'est un début. On ne peut pas s'attendre à un miracle; il n'y a jamais de solution miracle. On n'a qu'à regarder ce qui se passe au Canada. On n'a pas encore trouvé de solution miracle. Ce qu'il faut, c'est trouver une solution pour contenir le marché et la spéculation qui s'y fait actuellement. Je viens de ce fait de vous parler des avantages.

Vous avez parlé du calcul des statistiques relatives au chômage. On est porté à dire qu'aux États-Unis, il y a moins de chômage qu'au Canada, qu'il y a plus d'emplois. Peut-être qu'il s'y crée plus d'emplois, mais ce sont souvent des emplois précaires. On a beaucoup de statistiques et de rapports à cet effet.

M. André Bachand: Vous avez absolument raison, mais je voudrais apporter une petite correction. Je ne veux pas corriger Benoît, car je n'oserais jamais le faire, mais je veux juste signaler que le taux de chômage est une indication, une vue d'ensemble. Ensuite, il faut voir le revenu familial disponible et le lien avec la pauvreté. Plusieurs éléments entrent en ligne de compte. Il y a par exemple la question du logement et celle de la santé de ces individus. Seulement pour une statistique, il faut compiler un ensemble de statistiques.

Vous avez raison de dire qu'il faut voir l'ensemble du problème. Une personne peut travailler au salaire minimum, vivre dans un logement insalubre, avoir des problèmes avec l'éducation de ses enfants. Le problème est très large.

Le président: Monsieur Rémillard, est-ce que vous avez quelque chose à ajouter?

M. Stéphane Rémillard: Je pourrais ajouter quelque chose au sujet de la faisabilité de la taxe Tobin.

Dans une certaine mesure, je crois qu'il est possible de mettre en place un tel mécanisme. Certaines transactions financières sont extrêmement complexes. Je crois que la mise en place de la taxe Tobin ne serait pas beaucoup plus compliquée. Il faudra bien sûr un organisme central pour coordonner tout cela. C'est évident.

Je crois qu'il y a un certain degré de faisabilité. Évidemment, cela implique peut-être une autre organisation internationale. Est-ce que c'est une maladie? Je ne le sais pas.

Mme Maud Debien: Il faut qu'il y ait une certaine volonté politique.

M. Stéphane Rémillard: Oui, évidemment.

Une voix: Et une grosse volonté technologique.

M. Stéphane Rémillard: Oui, mais je crois que la technologie ne pose pas de problème. On voit qu'il y a une évolution technologique qui en surprend toujours quelques-uns. Alors il ne faut pas s'inquiéter.

Le président: Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Monsieur Théberge et monsieur Rémillard, j'ai quelques petits commentaires à faire à la suite de ceux de mes collègues.

Ma première question s'adresse à M. Théberge. Elle porte sur la création du comité et sur la position du Canada vis-à-vis des ONG et de la société civile. Je pense que vous pourriez lire sur le site Internet l'allocution que le ministre Sergio Marchi a prononcée devant le comité international.

• 1350

À la page 9, vous pouvez lire ceci:

    Dans les négociations sur la ZLEA, par exemple, nous avons réclamé—et obtenu—la création d'un groupe de travail spécial sur la société civile qui entendra les opinions de tous les segments de nos sociétés.

Je pense que c'est important de le mentionner parce que c'est une première. Cela peut faire boule de neige et ce qu'on veut y voir intégré sera porté à l'attention de l'OMC. C'est mon premier commentaire.

Mon deuxième commentaire portera sur la taxe Tobin. Bien sûr, tout est faisable, mais il faudrait que les pays du monde entier puissent faire partie de ce système. Si un pays ne l'intègre pas, on verra toutes les transactions en devises aller dans ce pays; les transactions en devises vont alors se faire à partir de ce pays. Donc, cela amènerait énormément de revenus. On pourrait parler, comme vous l'avez mentionné, de péréquation comme telle pour aider les pays en voie de développement, les pays défavorisés, les pauvres de la planète, mais est-ce que c'est vraiment faisable? Je ne le sais pas, mais on va en discuter en Chambre.

Mes collègues et le président ont aussi mentionné la commission des Amériques. Ce sera mon troisième commentaire. Il existe l'Organisation des États américains. Il existe plusieurs organisations en tant que telles. Pour nous, ce serait une commission de plus. Le problème réside peut-être dans le terme, et M. Graham l'a déjà mentionné.

On a eu aussi la COPA, la Conférence des parlementaires des Amériques. Si on veut avoir quelque chose de positif, il faut que ce soit quelque chose de parallèle aux gouvernements, où seraient présents des parlementaires de tous les pays concernés. Je pense que c'est de là que devraient venir les réflexions, les commentaires et les discussions parce que si on laisse cela dans des commissions qui sont sous l'égide des fonctionnaires, ça ne marchera pas.

Un député: Comme la COPA alors?

M. Bernard Patry: Comme la COPA? La COPA, c'était un peu trop grand. Il y avait tous les États américains. C'était un peu trop gros. Cela devrait être un peu plus petit.

Merci. C'est tout.

Le président: Monsieur Théberge, voulez-vous ajouter un commentaire là-dessus?

M. Enrico Théberge: Seulement un dernier commentaire relativement à ce que M. Patry disait.

Je comprends la problématique mondiale actuelle. Lorsqu'un État pose une action progressiste, il faudrait que tous les États le fassent. Ce serait l'idéal. Cependant, si on dit que cela ne vaut pas la peine à cause de ce danger, on risque de verser dans le laxisme. Donc, il faudrait essayer de trouver un outil législatif pour contourner ce danger ou pour le prendre en considération.

Le président: Merci beaucoup. Il y a tellement de gens qui viennent devant nous et qui formulent cette même plainte, et nous aussi.

Vous avez dit que ce sont des élites qui décident. Vous n'avez pas d'élites devant vous. C'est le problème. Ce sont des élites bien éloignées de nous et c'est ce qui fait peur pour le moment. Est-ce que vous êtes d'accord avec moi pour dire que nous devons faire face à l'intégration, sur le plan environnemental, économique ou autre? On essaie de créer des institutions qui répondent à cette intégration de plus en plus poussée.

Je crains que lorsque la Chine se joindra à l'OMC, cela sera même plus difficile, parce qu'il y aura deux autres énormes sociétés complexes qui vont s'ajouter à tout cela.

Monsieur Théberge, vous qui êtes jeune, qui faites partie de ces gens qui sont plus ouverts aux nouvelles technologies, pensez-vous qu'avec les nouvelles technologies, avec Internet, il y aura plus de possibilités de consultation entre les gens? On aurait ainsi une base démocratique pour ces décisions; on ne les pousserait pas jusqu'au point où elles se prendraient loin de la population. On se trouve maintenant face à des décisions qui sont imposées de partout.

Il y a une certaine inquiétude, comme je l'ai constaté dans un journal récemment. Je crois que c'est vraiment toute une expérience en Europe. J'ai eu la chance d'y enseigner le droit européen pendant des années; on voyait un système où les États membres poussaient vers Bruxelles les problèmes ardus, pour que ce soit Bruxelles qui subisse les conséquences politiques des décisions que les États membres ne voulaient pas prendre eux-mêmes.

Il y a donc une certaine chape noire sur la démocratie. Est-ce que la nouvelle technologie nous offre les mêmes possibilités que cette assemblée parlementaire à laquelle je m'attache particulièrement?

• 1355

M. Enrico Théberge: Je crois que, relativement aux problématiques et aux différents débats internationaux qui auront lieu à l'avenir, ce seront des outils et on n'aura d'autre choix que de les utiliser.

Relativement à ce qu'on disait tout à l'heure au sujet des ONG qui ont diffusé les accords de l'AMI, cela s'est fait par le biais d'Internet. C'est grâce à Internet qu'on a pu saisir cette occasion d'établir un forum international informel. Alors, Internet peut être un outil.

Le président: Oui, mais Internet a-t-il seulement un pouvoir d'opposition ou s'il peut aussi servir à développer un consensus?

Dans le cas de l'AMI, on a vu Internet servir de voix de l'opposition, mais si le monde veut survivre dans le XXIe siècle, il faut avoir le moyen de régler ces choses et convenir de solutions.

M. Enrico Théberge: Le vrai problème c'est que, pour l'instant, on peut parfaitement l'imaginer, mais que l'établissement d'un consensus et d'un dialogue sur un chat... Je ne connais pas beaucoup Internet, mais je trouve que c'est une grosse problématique.

Le président: On nous a dit que sur Internet, on avait...

Mme Maud Debien: C'est un commentaire sur vos commentaires?

Le président: Madame Debien, on a pu voter hier sur Internet pour les résultats des Oscars. Si on commençait par là, on...

Mme Maud Debien: Je m'excuse, monsieur le président. Je voulais tout simplement dire que tant qu'Internet ne sera accessible qu'à une classe privilégiée, à des gens informés, éduqués, on pourra rêver en couleur, mais la société civile, la population en général aura toujours des problèmes d'information.

La majorité des gens au Canada n'ont pas accès à Internet. Je pense que le problème n'est pas la technologie d'Internet, mais bien l'accès au réseau Internet pour M. et Mme Tout-le-Monde.

Le président: Oui, tout à fait.

Mme Maud Debien: Tant qu'on ne réglera pas ce problème-là, les problèmes technologiques...

Le président: Il paraît que le Canada est le pays le plus branché du monde, mais on essaie quand même de faire cela.

Monsieur Théberge, monsieur Rémillard, merci beaucoup d'être venus. Vous nous avez donné beaucoup de choses sur lesquelles nous devrons réfléchir. Merci beaucoup.

Monsieur Rémillard.

M. Stéphane Rémillard: Je voudrais seulement faire un commentaire au sujet d'une remarque de M. Patry. Au sujet de la COPA, on est d'accord. Je parlais d'un rapport démocratique et représentatif dans les relations de la Zone de libre-échange des Amériques avec l'OMC. Je n'entre pas dans le processus parlementaire.

Le président: Je vais ajouter un petit quelque chose, des petits détails de cuisine.

Les salles doivent être libérées à 16 heures; l'autobus part à 16 heures, devant l'hôtel. Je sais qu'il y en a certains qui ont leur propre voiture.

Mme Raymonde Folco: Moi, j'ai ce transport. S'il y a des gens qui veulent venir, ça me fera plaisir d'avoir de la compagnie.

Le président: D'accord.

Demain matin, on commence à 9 heures. Notre journée sera bien chargée.

La séance est levée.