Madame la Présidente, en commençant, j'aimerais annoncer que je vais partager mon temps de parole avec ma très estimée collègue de Shefford.
Le débat que nous tenons actuellement en est un qui se doit d'être tenu dans la réserve, la dignité et la sérénité. Il n'y a nulle place ici pour toute partisanerie. La question est grave et notre décision aura des répercussions majeures sur la vie de nombreux citoyens et citoyennes, et peut-être même un jour sur nous-mêmes, car nous allons tous un jour ou l'autre quitter ce monde. C'est une fatalité.
Ce qui est triste dans toute cette histoire, c'est que notre société, par l'entremise de décisions prises au sein même de ce Parlement, a forcé des gens qui souffrent à souffrir davantage. En effet, des personnes atteintes de maladies graves se sont vues dans l'obligation de faire appel au système judiciaire pour faire respecter leurs droits les plus fondamentaux et, pire encore, à faire une grève de la faim pour avoir accès à l'aide médicale à mourir en satisfaisant le critère de mort raisonnablement prévisible. Se rend-on compte de ce que nous avons demandé à ces patients souffrants?
Au bout de la misère et devant déjà composer tous les jours avec des souffrances épouvantables sur les plans physique et psychologique, des gens gravement malades ont dû affronter les tribunaux ou se placer dans une situation de mort prévisible. Le système de justice, on le sait, est rempli d'embûches. Les frais tout autant que les délais sont la plupart du temps déraisonnables. C'est un véritable parcours du combattant que ces personnes ont dû vivre, parce que nous avons décidé à la place des gens affectés.
Nous avons failli à la tâche de prendre des décisions éclairées et de respecter les libertés des personnes. Siéger à la Chambre est un énorme privilège doublé de lourdes responsabilités. Nous devons être à la hauteur de la fonction que nous occupons. Je demande donc à l'ensemble des députés de la Chambre de ne pas faillir cette fois-ci. De valeureux malades ont dû affronter le système pour nous mener à une décision sage et éclairée. Il y a un sens très clair aux directives de la Cour supérieure du Québec. Ayons le courage et la clairvoyance de les appliquer et adoptons le principe de ce projet de loi, qui mérite d'être bonifié en comité.
Le jugement Baudouin donnant raison à Nicole Gladu et à Jean Truchon est très clair: « Le Tribunal n’entretient aucune hésitation à conclure que l’exigence de la mort naturelle raisonnablement prévisible brime les droits à la liberté et à la sécurité de M. Truchon et de Mme Gladu, garantis par l’article 7 de la Charte. »
Il faut bien lire ces dernières lignes. On y parle de droit à la vie et de liberté de choisir. Qui de nous peut prétendre choisir pour l'autre? Je nous mets en garde contre la tentation de penser à nous-mêmes. Je nous mets en garde contre le fait de voter selon nos propres croyances, nos propres philosophies ou notre propre religion. Il faut préserver le libre choix et, pour choisir, il faut des options. La base du jugement obtenu après une très longue attente et une angoisse continue est très claire: il s'agit de droits et libertés. Ainsi, personne ne peut choisir pour une autre personne. Nous devons lever les barrières afin que chacun puisse vivre ses derniers moments à sa façon, librement et sans contrainte. Évidemment, il ne faut pas négliger de protéger les plus vulnérables selon la règle bien enracinée dans la pratique médicale du consentement libre et éclairé. Éclairé par l'exposition à toutes les options possibles, et libre de toute pression indue.
Ce projet est un pas dans la bonne direction. Il inclut des mesures de précaution importantes et prévoit l'étude d'autres questions importantes qu'il faut analyser. Il prévoit entre autres d'exclure les personnes souffrant uniquement de maladies mentales. Je pense qu'il s'agit d'une décision prudente. Cette question extrêmement complexe devra faire l'objet d'une étude plus approfondie. Nous ne pouvons pas trancher sur cette question présentement, d'où la nécessité de l'étudier correctement, sans escamoter d'étapes.
Il faudra aussi étudier la question des demandes anticipées pour les personnes nouvellement diagnostiquées d'une affection pouvant avoir une incidence sur leur capacité de prendre des décisions dans l'avenir. Ce sont là des questions extrêmement délicates que nous devrons étudier avec grand soin et beaucoup de précaution. Il est donc prudent de ne pas les inclure pour le moment.
Ce projet de loi vise globalement à permettre aux gens souffrant de maladies dégénératives et incurables d'avoir accès à l'aide médicale à mourir, que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible ou non, sauf pour les cas de maladies cognitives dégénératives, comme je viens de le mentionner.
Pour les gens dont la mort est raisonnablement prévisible, il s'agit d'assouplir les règles en retirant le délai de 10 jours entre la demande écrite et la prestation du service. Le délai de 10 jours peut être retiré si une personne a été évaluée et que sa demande d'aide médicale à mourir a été approuvée si des dispositions ont été prises avec son praticien pour obtenir une renonciation au consentement final parce qu'elle risque de perdre sa capacité de prise de décision avec l'avancement de la maladie ou encore avec l'administration de médicaments visant le soulagement. Ainsi, s'il arrivait que la douleur, même avec les soins, ne puisse être soulagée, le patient aura pu, lors de sa demande, signer et convenir d'un renoncement au deuxième consentement.
Cette dernière mesure permet d'allonger la période de vie totale dans une relative qualité. La personne n'est donc pas obligée de demander trop rapidement l'aide médicale à mourir parce qu'elle a peur de perdre sa capacité de le faire.
Pour les gens dont la mort n'est pas raisonnablement prévisible, un délai de 90 jours est nécessaire entre la demande et les prestations du service de l'aide médicale à mourir, à moins que des évaluations aient été faites et que la perte de capacité soit imminente. Il faudra donc appliquer ce délai de façon raisonnable et raisonnée. Qui de nous est en mesure de garantir que 90 jours seront suffisants pour certains? Qui de nous est en mesure de dire si un délai de 90 jours sera un enfer beaucoup trop long à vivre pour d'autres? Nous sommes en droit de nous questionner sur l'application de ce délai. Personne ne peut le dire. C'est pourquoi cet article et l'ensemble de ce projet de loi devront être mis en œuvre de façon censée, variable et intelligente. Le praticien est la meilleure personne pour juger de ce qui est valable et de ce qui ne l'est pas en collaboration, par l'écoute et, bien sûr, le traitement humain de son patient. En fin de compte, c'est le patient lui-même, son bien-être, sa dignité qui devront être la priorité.
Dans cette cause, je le rappelle à tous, il est question de dignité, mais surtout de droits et libertés. Ainsi, chaque individu, lorsqu'il arrive en fin de vie, doit avoir la possibilité d'exercer un choix, et ce choix ne peut revenir qu'à la personne elle-même. Évitons d'imposer nos propres valeurs, nos propres orientations, et assurons-nous simplement d'encadrer la pratique et le droit de l'aide médicale à mourir de façon convenable. Respectons la liberté de chacun. C'est fondamental.
J'invite tous les parlementaires de la Chambre à prendre conscience de la grande responsabilité qui repose sur nos épaules. Nous avons entre les mains le destin de centaines de milliers de personnes. Nous avons entre les mains non seulement les souffrances de fin de vie de ces gens-là, mais aussi les souffrances et les angoisses de leurs familles. C'est atroce de voir souffrir un proche en fin de vie et de se sentir impuissant à l'aider. Certains députés de la Chambre pourraient se poser des questions sur les choix personnels. Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous devons déterminer comment appliquer de façon raisonnable l'encadrement de cette loi très complexe et, à travers tout cela, maintenir le libre choix des personnes.