Monsieur le Président, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-83. Comme nous le savons, c’est un projet de loi qui symbolise l’approche du gouvernement actuel en matière de leadership dans ce pays. Cette approche consiste à ignorer les préoccupations de nombre de personnes, à faire preuve de peu de leadership moral et de transparence, et à compromettre la sécurité des Canadiens pour réaliser des gains politiques.
J’ai dit à maintes reprises à la Chambre que la priorité absolue de la Chambre est — et devrait être — de faire passer la sécurité des Canadiens avant toute autre question ou tout autre enjeu politique. Avec ce projet de loi, la Chambre ne répondrait pas à cette attente.
Pour reprendre les propos de mon collègue néo-démocrate de Beloeil—Chambly, je ne peux penser à aucun projet de loi qui ait été présenté au Parlement sans être appuyé par des témoins. C’est exactement ce qui est arrivé avec le projet de loi C-83. Le ministre a prétendu que le projet de loi mettrait fin à l’isolement préventif. Parmi les témoins qui ont réfuté le projet de loi, mentionnons des groupes de défense des prisonniers, des groupes de défense des libertés civiles, d’anciens directeurs de prison, des professeurs, des syndicats d’agents correctionnels, l’enquêteur correctionnel et un sénateur. L’impression de la majorité était que le projet de loi n’est pas suffisamment précis et que l’information qu’il contient ne peut étayer une telle affirmation de la part du ministre.
Le ministre prétend que le projet de loi se veut une réponse aux préoccupations soulevées par les tribunaux comme quoi l'isolement aurait causé la mort de deux détenus. Or, les faits montrent clairement que ces deux malheureux décès sont attribuables à un mauvais fonctionnement et à une mauvaise gestion du système.
Le ministre prétend que la sûreté et la sécurité du personnel sont prioritaires. Or, des travailleurs du service correctionnel et d'anciens détenus ont déclaré, dans leur témoignage, que l'isolement est essentiel pour gérer les détenus violents et imprévisibles, et que le projet de loi exposerait le personnel à des risques accrus.
Des groupes de défense des libertés civiles soutiennent que le projet de loi est inconstitutionnel et qu'il aggravera la situation plutôt que de l'améliorer. Ils déplorent que le projet de loi ne prévoit pas de mécanisme de surveillance externe pour faire contrepoids aux autorités de Service correctionnel Canada. Le ministre a d'ailleurs avoué cette absence de surveillance.
La sénatrice Pate a témoigné devant le comité et indiqué que le projet de loi C-83 est mauvais. Elle a réfuté les arguments présentés par le ministre pour soutenir que le projet de loi mettrait fin à l'isolement, faisant remarquer qu'une prison de la Nouvelle-Écosse qu'elle a visitée avait simplement renommé son unité d'isolement « unité d'intervention intensive » et que cela n'avait rien changé. Le ministre le niera sans doute. Pour ma part, je préfère croire le témoignage d'une sénatrice qui raconte ce qu'elle a vu que la promesse d'un ministre qui, comme on le sait, a induit le Parlement et les Canadiens en erreur de manière répétée.
La seule réussite du ministre relativement au projet de loi, c'est peut-être d'avoir uni le NPD, le Parti vert et le Parti conservateur, qui s'opposent tous à celui-ci.
Je tiens à souligner la contribution inattendue et très précieuse de M. Glen Brown, qui connaît bien le système et qui a envoyé un témoignage écrit. M. Brown est un ancien directeur et sous-directeur d'établissement chevronné qui enseigne maintenant la justice pénale et la criminologie à l'Université Simon Fraser et au Collège Langara.
Étant donné qu'il a déjà été responsable d'unités d'isolement, il souligne que les cas d'Ashley Smith et d'Edward Snowshoe relevaient davantage d'une mauvaise gestion de problèmes de comportements et de négligence. Ces problèmes ne sont pas de nature législative. Il s'agit de problèmes de gestion, de formation et de reddition de comptes. Lorsqu'un détenu est placé en isolement, il devrait être mieux informé des risques et des problèmes de santé mentale inhérents à sa situation. Ils devraient avoir des échanges fréquents avec les agents et les employés et pouvoir recevoir davantage de services. Bref, cette situation devrait attirer l'attention sur le plan de réadaptation d'un délinquant.
M. Brown a écrit ceci:
Un processus d’isolement préventif fonctionnel est efficace lorsqu’il favorise tous les éléments suivants: une surveillance accrue, une gestion de cas plus active, un échange de renseignements plus soutenu, un aiguillage prioritaire vers des services cliniques et la rapidité de l’intervention de la gestion de cas dans l’établissement d’un plan.
Après avoir indiqué que les données scientifiques et la recherche montrent qu'une gestion adéquate des unités d'isolement ne cause pas de préjudice à court ou à long terme, M. Brown a ajouté que « réagir à la situation actuelle par une vaste réforme législative revient à réagir de manière idéologique et à ne pas tenir compte des recherches scientifiques et des données probantes ».
En ce qui concerne la grande solution du ministre en matière d’isolement, à savoir appeler les unités d’isolement préventif « unités d’intervention structurée », M. Brown a fait remarquer que le projet de loi C-83 décrit ces unités dans un langage si large et si vague que les conséquences de leur mise en place sont très incertaines et que les détails ne sont pas connus, alors qu’ils sont la clé. La configuration actuelle de nombreuses unités d’isolement ne facilitait pas la socialisation et la participation aux programmes. L’accent mis sur les programmes laisse supposer des séjours plus longs dans les unités d’intervention structurée, de l’ordre de semaines ou peut-être de mois. Les unités d’intervention structurée ne conviendraient pas à la gestion à court terme des détenus au comportement imprévisible, comme ceux sous l’influence de la drogue. Il y a aussi l’incapacité d’avoir du personnel spécialisé pour certaines sous-populations en milieu carcéral. Enfin, toujours selon M. Brown, compte tenu de la configuration actuelle de nombreux établissements carcéraux, une aile pourrait devoir être considérée comme une unité d’intervention structurée, ce qui signifie que jusqu’à 96 détenus pourraient être placés en isolement 20 heures par jour alors qu’avant, ce n’était que 16 heures.
En résumé, un expert, qui a travaillé pendant des années dans des établissements carcéraux avec unités d’isolement, dit ne pas comprendre le plan du ministre. Il ajoute que les prisons n’ont souvent pas l’infrastructure nécessaire et ne sont pas adaptées aux besoins, ce qui pourrait entraîner un effet contraire à ce que prétend le ministre.
La seule valeur potentielle de la loi pourrait peut-être venir d’un mécanisme d’examen externe de l’isolement préventif, qui pourrait donner aux Canadiens une plus grande confiance dans la gestion des délinquants. Cependant, le ministre a dit au comité que nous n’avions pas le pouvoir de faire cela, un ordre qui a été respecté par les députés libéraux membres du comité, alors que les députés de l’opposition ont mis de l’avant des mécanismes pour assurer une telle surveillance, qui ont été rejetés avec vigueur.
Lorsque nous avons poussé les libéraux à modifier les pires parties du projet de loi au comité et que nous avons souligné les problèmes flagrants soulevés par les nombreux témoins experts, on nous a dit que les députés libéraux votaient « en faisant confiance au ministre ».
Le rôle des comités n’est pas de soutenir un ministre et de lui faire confiance, mais plutôt de mener des examens détaillés sur des questions difficiles, d’entendre des experts et des Canadiens concernés, ainsi que d’examiner les programmes, les dépenses et les mesures législatives pour déterminer s’ils répondront aux besoins des Canadiens ou, à tout le moins, à ce que le ministre prétend qu’ils répondront. À cet égard, notre comité a échoué.
À la fin du débat en comité sur le projet de loi C-83, mes collègues conservateurs et moi avons fait connaître notre point de vue. Nous avons indiqué que le comité n’avait pas réussi à examiner la loi et à prendre des décisions éclairées. Nous avons aussi dit que, selon nous, le ministre avait caché au comité des renseignements auxquels il avait de toute évidence accès à l’époque, notamment le coût et les modalités de mise en œuvre dans le projet de loi, ce qui, selon la plupart des témoins, était essentiel pour savoir si ce dernier serait utile. Pour le ministre, il semblait plus important de ne pas présenter son plan au comité. Pour déterminer si un projet de loi représentant des dépenses d’un demi-milliard de dollars sera efficace, il faut que l’on sache où et comment l’argent sera utilisé. Nous n’avons toujours pas de plan à cet égard.
Quelle a été la réaction aux critiques et au scepticisme généralisés provoqués par le projet de loi? Les députés ministériels ont dit faire « un acte de foi » et ont fait confiance au ministre. Qu’est ce que le comité a accompli par l’étude de cette mesure? À mon avis, presque rien. Les députés libéraux ont rejeté des amendements sur la façon dont l’argent serait dépensé. Ils ont rejeté l’exigence de publication des normes des nouvelles unités d’intervention structurée. Ils ont rejeté les limites concernant la reclassification des prisons. Ils ont refusé que le ministre nous explique comment il allait mettre en oeuvre ce nouveau plan.
En ce qui concerne ce projet de loi, les libéraux ont tourné le dos aux Canadiens. Nous devons faire confiance au ministre, qui a souvent induit les Canadiens en erreur au sujet de choses comme le catastrophique voyage en Inde, le projet de loi C-59 et le projet de loi C-71, l’incapacité d’accorder le financement dont la police a besoin pour lutter contre les gangs, et j’en passe.
La Chambre peut faire mieux. Nous devons faire mieux. Nous pouvons tous atteindre un niveau plus élevé. Personnellement, j’estime que le comité a failli à sa tâche envers les électeurs, les collectivités et le pays. Le projet de loi C-83 est un autre exemple des nombreux échecs du gouvernement libéral.