Monsieur le Président, je prends la parole au sujet du projet de loi C-7, qui modifie le Code criminel concernant l'aide médicale à mourir.
Jusqu'à présent, mon bureau a reçu environ 135 appels, courriels et lettres sur le sujet. Je suis conscient qu'il s'agit d'une question délicate, non partisane et qui nous touche personnellement.
Rappelons brièvement quelques faits. Les dispositions du projet de loi sur l'aide médicale à mourir sont entrées en vigueur en juin 2016. Récemment, un juge du Québec a conclu que, dans ces dispositions le libellé sur la « mort prévisible » était trop restrictif. Le gouvernement libéral s'est empressé d'accepter cette décision et a choisi de ne pas faire appel. Il a plutôt modifié la loi en tenant compte de la décision de la cour.
Cela m'a amené à comparer cette décision à celle qu'a rendue récemment un tribunal de l'Alberta, où quatre juges ont qualifié d'inconstitutionnelle la taxe sur le carbone. Je me demande si le gouvernement acceptera aussi rapidement la décision du tribunal albertain, sans faire appel, mais je m'écarte du sujet.
Comme je l'ai dit, l'aide médicale à mourir est une question délicate et non partisane qui nous touche personnellement. Il n'est pas difficile de trouver des exemples de personnes qui sont contentes d'avoir accès à l'aide médicale à mourir, même si la décision est difficile à prendre. Malheureusement, ce sont des cas simples qui ne sont qu'une minorité. Dans la plupart des cas, les choses sont beaucoup plus compliquées. Les histoires qu'on m'a racontées reflètent ces complications, comme lorsqu'un décès surprend les familles, lesquelles doivent ensuite faire face aux conséquences.
Le projet de loi permettrait à une personne dont l'état de santé est particulièrement mauvais de demander et de recevoir l'aide médicale à mourir, sans que l'on impose une période d'attente. Il y a des cas où des médecins ou des représentants de l'hôpital exercent des pressions pour que la personne songe à recourir à l'aide médicale à mourir. Par exemple, Roger Foley, un Ontarien atteint d'une maladie neurologique incurable, affirme que des professionnels de la santé lui ont offert l'aide médicale à mourir de manière répétée, bien qu'il ait exprimé à maintes reprises son désir de vivre à la maison.
Il y a aussi le cas de Mme S. en Colombie-Britannique. La Dre Wiebe a déploré les souffrances aiguës de Mme S, mais estimait qu'elle n'était pas admissible à l'aide à mourir. Malheureusement, Mme S. a ensuite décidé de se laisser mourir de faim. La Dre Wiebe et un autre médecin ont alors jugé que, en raison de son état de malnutrition et de déshydratation avancé, la mort naturelle de Mme S. était raisonnablement prévisible. Par conséquent, la Dre Wiebe l'a euthanasiée en mars 2017.
Selon un article du Globe and Mail, cette affaire est la première à être rendue publique où un organisme de réglementation de la profession médicale s'est prononcé sur la question litigieuse de savoir si les médecins devraient aider à mourir les patients qui ne remplissent tous les critères de la loi fédérale qu'après avoir cessé de manger et de boire.
Il n'est pas difficile d'imaginer une situation où un hôpital encouragera, pour des raisons d'efficacité, son personnel à suggérer aux patients dont les cas sont chroniquement difficiles et complexes de recourir à l'aide médicale à mourir. Le problème n'est pas simple. Il est très complexe.
Ce qui me dérange dans ce dossier, c'est que le gouvernement court-circuite le processus d'examen parlementaire prévu dans la loi. Nous savons que le ministre de la Justice actuel a voté de façon contraire à son parti lorsque la loi d'origine a été mise aux voix parce qu'il estimait qu'elle n'allait pas assez loin. Maintenant, en tant que ministre de la Justice, il est en mesure d'apporter les changements qu'il veut. C'est troublant, car il choisit de court-circuiter le processus d'examen prévu dans la loi et d'apporter les modifications qu'il souhaite à la loi, sans consultation.
La loi actuelle prévoit un examen tous les cinq ans, et cet examen aura lieu dans quelques mois seulement.
Pourquoi le gouvernement est-il si pressé d'apporter des modifications de fond à la loi et de court-circuiter le processus d'examen qui y est prévu?
À mon avis, il est beaucoup plus sensé d'uniquement donner suite à la question soulevée par la juge du Québec, puis de consulter adéquatement les Canadiens cet été pour proposer ensuite des modifications fondées sur ces consultations. Le gouvernement a plutôt mis en ligne un vaste sondage pendant deux semaines. Il a reçu beaucoup de réponses, mais je crois tout simplement que c'est la preuve qu'il y a un vif intérêt pour la question et que les Canadiens ont beaucoup de choses à dire à ce sujet. À ce jour, les résultats du sondage n'ont pas été publiés, et je demande qu'ils le soient. J'exhorte le gouvernement à faire ce qui s'impose et à abandonner les modifications qui vont au-delà de ce que la juge du Québec a demandé d'ici la fin du processus d'examen, plus tard cette année.
Étant donné que nous parlons de changements à apporter à cette loi, je tiens à parler des soins palliatifs. Bon nombre de Canadiens réclament une stratégie pancanadienne sur les soins palliatifs. Selon moi, il est commode de se tourner vers les provinces et de dire que c'est leur problème, mais il ne peut pas y avoir de stratégie complète de fin de vie sans fonds ni lois qui régissent les soins palliatifs.
Le gouvernement n'a pas tenu l'une de ses principales promesses électorales, soit celle d'investir 3 milliards de dollars dans les soins de longue durée, y compris les soins palliatifs. L'accès aux soins palliatifs est un élément essentiel des décisions de fin de vie.
J'ai un exemple personnel provenant de Saskatoon, qui dispose de 12 lits de soins palliatifs pour une région de plus de 300 000 habitants.
Ma belle-mère était atteinte d'une maladie mortelle. Dans son cas, l'aide médicale à mourir n'a pas été demandée et elle n'était pas souhaitée. Par chance, sa mort a été relativement rapide et, par miracle, elle a pu obtenir une des 12 places à Saskatoon.
Il ne faudrait pas que la prestation de bons soins de fin de vie relève d'un miracle. Il ne faudrait pas que l'aide médicale à mourir soit la seule solution raisonnable pour une personne en fin de vie parce qu'elle n'a pas accès à des soins palliatifs. J'exhorte donc le gouvernement à consacrer autant d'efforts dans le dossier des soins palliatifs qu'il l'a fait dans celui de l'aide médicale à mourir.
La liberté de conscience est un autre grand sujet de préoccupation. Il faut accorder aux médecins et aux professionnels de la santé un droit solide à la liberté de conscience. Ils doivent être autorisés à refuser de participer à cet acte et avoir l'assurance qu'ils ne seront pas pénalisés ou harcelés pour avoir fait ce choix. Ils ne doivent pas non plus être tenus de renvoyer un patient à un autre professionnel de la santé. Leur liberté de conscience doit être entièrement protégée.
En outre, il faut protéger la liberté de conscience des établissements. Au-delà des briques et du mortier, les établissements regroupent des personnes qui ont des valeurs. Par conséquent, il faut aussi protéger la liberté de conscience des établissements. Plusieurs décisions de la Cour suprême sont instructives à cet égard.
Dans la décision qu'elle a rendue en 2015 dans l'affaire Loyola, la Cour suprême a déclaré ce qui suit:
La liberté de religion au sens où il faut l’entendre pour l’application de la Charte doit donc tenir compte du fait que les convictions religieuses sont bien ancrées dans la société et qu’il existe des liens solides entre ces croyances et leur manifestation par le truchement d’institutions et de traditions collectives.
Dans une autre décision rendue en 2015, la Cour suprême a dit ceci:
Un espace public neutre, libre de contraintes, de pressions et de jugements de la part des pouvoirs publics en matière de spiritualité, tend à protéger la liberté et la dignité de chacun, et favorise la préservation et la promotion du caractère multiculturel de la société canadienne.
Il faut respecter le caractère multiethnique de la société canadienne. Il faut aussi respecter les professionnels de la santé et les institutions, et leur permettre d'user pleinement de leur liberté de conscience en étant à l'abri du harcèlement et des conséquences.
Je m'interroge au sujet de certaines des modifications proposées. La loi actuelle prévoit une période de 10 jours entre le moment où la demande est faite et celui où l'aide médicale à mourir est administrée. Selon la loi actuelle, il est déjà possible de déroger à cette période d'attente. En effet, le Code criminel dit que, si deux professionnels de la santé:
[...] jugent que la mort de la personne ou la perte de sa capacité à fournir un consentement éclairé est imminente, une période plus courte que [le premier médecin ou infirmier praticien] juge indiquée dans les circonstances [peut être acceptée].
Il existe déjà une disposition à ce sujet. Il n'est pas nécessaire de faire des changements. Le cas est déjà prévu et réglé.
Un autre point qui soulève des inquiétudes est le manque de mesures de sauvegarde pour les personnes ayant un problème de santé mentale. La santé mentale est une question très complexe. Les personnes qui ont reçu un diagnostic de trouble de santé mentale sous-jacent n'ont pas l'obligation d'être évaluées par un psychiatre afin de déterminer si elles sont aptes à donner un consentement éclairé.
Il n'existe aucune solution universelle pour régler les problèmes de santé mentale. Toutefois, il est facile d'imaginer le cas d'une personne qui traverse une période très sombre et qui envisage de recourir à l'aide médicale à mourir. Pourtant, cette même personne pourrait obtenir de l'aide professionnelle appropriée pour réussir à trouver la lumière au bout du tunnel et se sentir mieux. Ce ne sera pas nécessairement toujours le cas, mais cela montre l'importance de la période de réflexion obligatoire. Celle-ci évite aux médecins et autres intervenants professionnels de prendre une décision précipitée qu'ils risquent de regretter.
Selon un sondage publié en janvier dernier, c'est en Saskatchewan et au Manitoba que l'on appuie le moins l'aide médicale à mourir. En 2018, seulement 67 des 172 demandeurs de l'aide médicale à mourir en Saskatchewan l'ont reçue. Certains patients ont vu leur demande être refusée, tandis que d'autres ont changé d'idée ou sont décédés avant la fin des procédures administratives.
J'aimerais conclure en reprenant les propos d'un de mes électeurs avec qui j'ai discuté cette semaine pour souligner l'élément le plus important: « Nous devons ralentir le rythme dans ce dossier, pas aller plus vite. » Oui, nous devons donner suite à la décision rendue par la Cour supérieure du Québec, mais cela ne requiert qu'un changement. Un examen prévu par la loi aura lieu cet été.
Attendons les consultations pertinentes et utilisons cet outil pour analyser tous les changements proposés. Dotons-nous d'une stratégie pancanadienne en matière de soins palliatifs. Offrons aux médecins et autres professionnels de la santé la possibilité d'avoir la conscience en paix. Protégeons la vocation des institutions. Maintenons la période de réflexion de 10 jours et la capacité de prévoir des exceptions, comme il est déjà prévu. Donnons suite à la décision rendue par la Cour supérieure du Québec et laissons les autres points en suspens d'ici à ce que l'examen prévu par la loi soit terminé cet été. Ralentissons le rythme.