Monsieur le Président, je me permets aujourd'hui de revenir sur le sujet que j'ai abordé lors de la période des déclarations de députés lundi dernier. Cette fois-ci, j'en parlerai pendant 10 minutes plutôt que 60 secondes et je me permettrai donc certains apartés.
La déclaration que j'ai faite lundi dernier portait notamment sur la question des délais en matière d'immigration, lesquels étaient déjà extrêmement longs avant le début de la pandémie. Ces délais sont encore plus problématiques maintenant puisqu'ils ont des effets négatifs encore plus dramatiques sur la vie des familles privées de leurs proches et de leur soutien en raison du temps requis pour traiter les demandes.
Je commence en parlant un peu de mon expérience professionnelle, car vous comprendrez le lien par la suite. Avant d'être élue députée, j'ai eu une carrière courte, mais bien remplie, en tant que jeune avocate, pendant laquelle j'ai travaillé sur des dossiers d'enlèvement international d'enfants.
L'enlèvement international d'un enfant se produit lorsque les deux parents ont des nationalités différentes et que l'un d'entre eux décide, sans le consentement de l'autre, de sortir l'enfant du pays ou de ne pas y retourner.
Ma mentore, qui a longtemps travaillé sur ce genre de dossier, a constaté au fil des ans une augmentation du nombre d'enlèvements parentaux. Ce n'est pas parce que les gens enlèvent davantage leurs enfants, mais tout simplement parce que la mobilité internationale que nous connaissons depuis 30 ou 40 ans a engendré davantage de couples binationaux, davantage de familles où les parents ne sont pas de la même nationalité. C'est un phénomène en croissance.
Ainsi, si nous ne nous intéressons pas très rapidement à la question des délais de traitement des dossiers de parrainage, le problème pourrait empirer dans les années à venir puisque Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada risque de recevoir de plus en plus de demandes de parrainage. Il faudrait donc crever l'abcès dès maintenant.
Pendant ma carrière, j'ai aussi eu le plaisir de travailler avec des avocats spécialisés en immigration. Certains ont décidé de quitter la pratique privée pour s'envoler vers les cieux plus bleus de l'aide juridique. D'ailleurs, je les salue à la maison s'ils m'écoutent. Lorsqu'ils ont fait ce choix, ils n'ont pas pu garder tous leurs dossiers et j'en ai repris plusieurs, dont des dossiers de parrainage. J'ai donc été à même de constater les délais interminables et les procédures qui nuisent à l'examen rapide des dossiers de parrainage. Je me permets de relater quelques exemples très parlants.
Quand je remplissais les demandes de parrainage, j'avais l'habitude de prendre tous les formulaires, de les identifier avec une étiquette, d'en faire une pile dans le bon ordre, de sceller le dossier et de l'envoyer à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Par la suite, il arrivait souvent que le dossier me soit renvoyé avec mention qu'il manquait un formulaire. Or, mon dossier m'était renvoyé en désordre et comportait souvent ledit formulaire manquant. Si cela se produit alors qu'un seul agent a eu le dossier entre les mains, j'ose à peine imaginer l'état du dossier après qu'il est passé dans les mains de plusieurs agents.
J'ai aussi souvent constaté un problème lié à la liste de contrôle des éléments nécessaires à l'évaluation d'un dossier. Je remplissais cette liste avant d'envoyer le dossier. L'agent la vérifiait, élément par élément, et me renvoyait l'entièreté du dossier dès qu'il tombait sur un élément manquant. J'ajoutais alors le document manquant et lui retournais le dossier. L'agent continuait à vérifier les éléments sur la liste et me renvoyait le dossier à nouveau s'il manquait un autre formulaire. J'envoyais ensuite le document manquant.
Entre temps, un formulaire pouvait ne plus être à jour et l'on me demandait de le remplir à nouveau. J'ai eu des clients en France pour qui la signature des documents se faisait bien. Par contre, j'ai eu des clients en Iran pour qui il était un petit peu plus compliqué de faire signer les documents requis. Un autre de mes clients était militaire dans la jungle, en Amérique centrale, et avait pour seul moyen de communication un téléphone satellite: lui faire signer des documents a été un enfer.
Tout cela se produit simplement parce que les agents ne prennent pas le temps de vérifier complètement la liste avant de renvoyer le dossier. J'ai déjà soulevé ces problèmes en comité.
Il me semble que les agents devraient ouvrir les dossiers dès qu'ils les reçoivent. En effet, on crée la fausse impression que les dossiers sont traités plus rapidement qu'ils ne le sont en réalité. Il faut parfois jusqu'à un an avant que le dossier ne soit réellement ouvert. On dépasse souvent le délai de 12 mois, mais ce dernier est calculé à partir de l'ouverture du dossier. En réalité, les familles attendent beaucoup plus longtemps pour le traitement de leur dossier.
Il y a aussi des problèmes liés au fait qu'il s'agit de dossiers papier. Il m'est arrivé à l'occasion de recevoir un dossier qui n'était pas à moi et qui concernait un client que je ne connaissais pas du tout. Il m'est aussi arrivé de trouver les documents d'une autre personne dans un de mes dossiers.
J'ai aussi entendu des histoires d'horreur relatives aux dossiers papier. Lorsqu'un bureau de traitement des visas à l'étranger a fermé pour déménager, on a tiré un classeur et trouvé des dossiers qui étaient tombés derrière. Ils étaient là depuis 10 ans.
Il y a vraiment un problème en lien avec la question des dossiers papier. C'est encore plus criant dans le contexte de la crise de la COVID-19. En effet, les agents n'ont pas pu faire de télétravail parce qu'ils utilisent des dossiers papier. Les dossiers ont donc continué à stagner pendant plusieurs mois, ajoutant aux délais que l'on connaît déjà.
C'est une chose que l'on doit absolument revoir rapidement. Cela posait déjà problème avant la crise, et cela pose davantage problème maintenant. Il faut donner un grand coup en ce qui a trait à la numérisation des dossiers.
La crise nous a aussi appris autre chose, notamment le fait que beaucoup de choses peuvent être faites à distance. Comme nous l'avons vu, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a commencé à tenir des séances d'assermentation par vidéoconférence pour les nouveaux citoyens.
À la fin d'un dossier de parrainage, une entrevue est souvent requise pour qu'on puisse attester de l'authenticité de la relation entre le parrain et la personne parrainée. Pourquoi cela ne pourrait-il pas se faire également par vidéoconférence? La question se pose. Cela réglerait un autre problème que nous connaissions bien longtemps avant la crise. Je veux parler de la situation que nous voyons présentement à Cuba. Le bureau situé à La Havane a fermé ses portes, et on ne peut plus passer d'entrevue en personne. On demande aux gens de se déplacer à Mexico ou à Trinité-et-Tobago pour passer leur entrevue de fin de dossier de parrainage — le fameux droit d'établissement.
Il me semble que ce serait un bon moment pour se dire que cela réglerait le problème, pour qu'on puisse commencer à traiter les dossiers de résidence permanente en ayant recours à une partie vidéoconférence. Cela s'est fait pour les dossiers de citoyenneté et les octrois de citoyenneté — les cérémonies d'assermentation. Comme avocate en droit international de la famille, j'ai connu Zoom bien longtemps avant la crise. Puisque les dossiers d'enlèvement sont souvent traités de façon très rapide, avec des dates rapprochées, nos clients ne pouvaient pas toujours se présenter pour leur audience. Nous fonctionnions alors avec Zoom. Si les tribunaux civils du Québec peuvent le faire, il n'y a pas de raison pour qu'un agent d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada ne puisse pas le faire.
Je dois dire que le dossier de porte-parole en matière d'immigration que j'ai présentement, sans rien vouloir enlever à mes collègues, est probablement le plus beau des dossiers, parce que c'est l'un des plus humains. Malheureusement, c'est aussi l'un des plus crève-cœur. Depuis lundi, je reçois énormément de commentaires sur ma page Facebook. Les gens nous rappellent à quel point c'est difficile de vivre sans leur famille, à quel point c'est difficile pour de jeunes enfants, dans des périodes de cristallisation de leurs apprentissages, de vivre sans l'un de leurs deux parents, à quel point c'est difficile, dans un contexte de pandémie, d'être séparé de ses proches. C'était vrai avant la crise, et c'est encore plus vrai depuis la crise.
Le dossier de la question des délais doit certainement se gérer de façon collaborative. Je doute que cela fasse l'objet d'une prise de position politique où chacun des partis va se battre bec et ongles pour défendre une position différente. Je n'imagine aucun de mes collègues dire qu'il faudrait que les délais de traitement soient beaucoup plus longs.
Il faudra donner un grand coup et décider de façon collective d'en faire une priorité. Nous devons faire en sorte que, dans les dossiers d'immigration, on mette plus d'effectifs et donc plus d'argent.
C'est une chose que je souhaite voir lorsque le prochain budget sera présenté, étant donné que celui du mois de mars, on ne l'a pas vu encore. Je souhaite qu'un montant soit investi pour qu'on puisse régler les arrérages des dossiers qui sont présentement massifs et qui ne vont aller qu'en augmentant, et qu'on puisse s'assurer d'implanter un système informatique qui permettra de régler beaucoup de problèmes.
Malgré tout cela, je n'ai même pas abordé la question des travailleurs immigrants, qui a été problématique pendant la crise. Je n'ai pas touché à la question de la gestion des dossiers de réfugiés, qui ont aussi été problématiques durant la crise. Je n'ai même pas abordé la question des dossiers des étudiants étrangers.
Je lance aujourd'hui un cri du cœur pour qu'on puisse faire un effort collectif afin d'améliorer l'ensemble des processus d'immigration, pour qu'on n'ait pas de choix déchirants à faire si, éventuellement, il y a une prochaine crise. Je lance un cri du cœur pour qu'on n'ait pas à choisir entre deux dossiers, qui sont tout aussi malheureux, puisqu'on n'a pas présentement les ressources adéquates pour bien gérer ces dossiers.
J'en appelle donc à la collaboration de mes collègues pour un meilleur système d'immigration.