propose que le projet de loi C-235, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition relativement aux troubles causés par l’alcoolisation foetale, soit lu une deuxième fois et renvoyé au Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
— Monsieur le Président, j'ai le plaisir d'être ici, aujourd'hui, sur le territoire traditionnel du peuple algonquin.
Je souhaite commencer aujourd'hui le débat sur mon projet de loi C-235, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (troubles causés par l’alcoolisation foetale).
Nous avons tous déjà vu des émissions de télévision où il est question d'une personne emprisonnée à tort. Cela dévaste sa vie, et notre coeur se brise pour elle. Je suis sûr que de telles émissions ont ému aux larmes de nombreux députés. Grâce au projet de loi C-235, nous pouvons mettre fin aux souffrances inutiles de nombreuses personnes innocentes. Il n'est pas question ici d'un, de deux ou de trois cas. Il s'agit possiblement de plus de 2 000 cas par an. En fait, cette mesure législative pourrait avoir des répercussions sur 180 000 personnes vivant actuellement au Canada. Il s'agit d'un défi immense et d'une vaste initiative humanitaire.
Dans un premier temps, j'expliquerai brièvement le projet de loi. L'ensemble des troubles causés par l’alcoolisation foetale, ou ETCAF, se caractérise par des lésions permanentes au cerveau, qui sont causées par une exposition prénatale à l'alcool. Dans la grande majorité des cas, ce problème de santé est invisible. Les dommages que subit le système nerveux central peuvent se manifester, par exemple, par des troubles du fonctionnement intellectuel, des fonctions exécutives médiocres, des troubles de la mémoire, un manque de jugement, l'incapacité de maîtriser son impulsivité et une capacité réduite de comprendre les conséquences de ses actions. Les outils d'évaluation modernes permettent de diagnostiquer efficacement ces divers éléments. En raison de leurs lésions au cerveau, donc pour des raisons indépendantes de leur volonté, les personnes atteintes de l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation foetale ne peuvent pas comprendre les conséquences de leurs gestes et leur cerveau ne les empêche pas de commettre des crimes. Par conséquent, il n'est pas logique d'appliquer les règles habituelles en matière de peine, d'incarcération et de libération, car elles sont inefficaces dans ce contexte.
Le projet de loi comprend quatre recommandations de l'Association du Barreau canadien, qui représente les milliers d'avocats et de juges qui traitent de tels cas au quotidien. Premièrement, il permettrait au tribunal d'ordonner l'évaluation d'un contrevenant pour déterminer si celui-ci est atteint de troubles causés par l'alcoolisation foetale. Le cas échéant, le projet de loi permettrait deuxièmement au tribunal d'en tenir compte comme circonstance atténuante pour la détermination de la peine. Troisièmement, le projet de loi prévoit que toute personne atteinte de troubles causés par l'alcoolisation foetale, lorsqu'elle est en détention, doit recevoir un traitement spécialisé. Il ajouterait donc ces troubles à la liste des maladies et groupes de personnes devant recevoir un traitement spécial dans le système correctionnel. Quatrièmement, lorsqu'une personne atteinte de troubles causés par l'alcoolisation foetale est libérée, elle aurait un plan de soutien externe pour l'aider à respecter ses conditions de probation, par exemple, de manière à briser le cycle pour qu'elle ne se retrouve pas de nouveau en prison.
À première vue, le projet de loi est simple. Cela dit, de nombreux projets de loi peuvent être améliorés à l'étape de l'étude en comité. Je suis donc ouvert à tout amendement logique.
Mon objectif est de réduire les souffrances humaines tragiques et inutiles, mais certains voudront sans doute connaître les économies que le projet de loi permettrait de réaliser. Une évaluation coûte aux alentours de 5 000 $. L'incarcération d'un contrevenant coûte 100 000 $ par année. Si l'Ontario réussissait à maintenir hors de prison la moitié des 840 contrevenants atteints de troubles causés par l'alcoolisation foetale à potentiel d'intervention précoce pour seulement un an, cela lui permettrait d'économiser plus de 40 millions de dollars par année, somme dont elle pourrait se servir pour financer des moyens logiques, justes, humains et efficaces de traiter ces contrevenants et les troubles dont ils sont atteints.
Il est important de souligner que, lors de la dernière législature, de semblables projets de loi ont été présentés à deux reprises devant le Parlement. L’un était un projet de loi des conservateurs, l’autre, des libéraux. Toutefois, le processus législatif n’a pas pu aboutir, faute de temps. Nous entendrons prochainement certains extraits du débat. Des intervenants de tous les partis ont été en faveur de ce projet de loi.
Il est important de reconnaître que ce projet de loi n’est qu’une petite partie de toutes les mesures nécessaires pour soulager la souffrance, voire quelquefois la torture, que vivent les gens atteints de troubles causés par l’alcoolisation fœtale. D’autres mesures doivent être prises, notamment des mesures de prévention. Il s’agit d’une maladie tout à fait évitable. Il faut en particulier prévenir en premier lieu tout contact avec le système judiciaire et prendre diverses autres mesures visant des recherches plus approfondies, des services spéciaux, des services de justice réparatrice, des échanges d’informations, des interventions ciblées et des arrangements de milieux adaptés.
Ces mesures sont importantes pour toutes les personnes atteintes de troubles causés par l’alcoolisation fœtale, mais le projet de loi ne concerne que celles qui ont affaire au système de justice, c’est-à-dire environ 60 % d’entre elles. J’ai bien dit 60 %.
Comme je l’ai dit au début, nous pouvons constater à quel point le besoin est effarant. On estime que 1 Canadien sur 100 est atteint de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation foetale, et les études ont indiqué qu’au moins 10 % à 30 % des détenus actuels sont atteints de l’ETCAF, ce qui nous coûte des dizaines de millions de dollars.
C’est peut-être la raison pour laquelle dans son appel à l’action no 34, la Commission de vérité et réconciliation du Canada demande aux gouvernements du Canada, aux provinces et aux territoires « d’entreprendre des réformes du système de justice pénale afin de mieux répondre aux besoins des délinquants atteints du TSAF [ou ETCAF] ».
Comme je l’ai dit, je suis ouvert aux amendements, et je vais seulement présenter aux députés quatre questions dont les gens pourraient vouloir débattre en comité.
Premièrement, le juge devrait-il avoir le pouvoir de rendre les évaluations obligatoires?
Les avis sont partagés sur la question. Il y a déjà des précédents dans le système de justice pénale d’évaluations qui ont été ordonnées, mais si les parlementaires croient qu’elles ne devraient pas être obligatoires, il serait facile dans ce cas d’amender le projet de loi. Nous devons protéger le délinquant de l’auto-incrimination pendant ces évaluations. Si les parlementaires le souhaitent, ils pourraient élargir l’article sur l’évaluation pour préciser les pouvoirs du Code criminel en matière d’évaluation en général, dont ceux concernant les évaluations de l’ETCAF. Il est tout à l’honneur des territoires et des provinces que les évaluations soient maintenant beaucoup plus accessibles que par le passé.
Deuxièmement, que faire à propos des personnes atteintes d’autres problèmes qui ne sont pas inclus dans le projet de loi?
Premièrement, elles ne remplissent pas nos prisons par milliers comme c’est le cas des délinquants atteints de l’ETCAF; deuxièmement, s’il y avait un grand besoin par rapport à d’autres problèmes établis qui nécessiteraient des conditions spéciales qui pourraient être prescrites, quelqu’un aurait proposé des solutions législatives pertinentes et troisièmement, la plupart des autres conditions sont visibles et également connues du juge, tandis que l’ETCAF est considéré comme le problème invisible, parce que tant qu’il n’est pas diagnostiqué, bien des gens, incluant les juges, ne peuvent pas savoir que le délinquant en est atteint et que sa fonction cérébrale et son système nerveux central sont perturbés. D’ailleurs, certains ont un quotient intellectuel élevé, mais présentent quand même les lacunes en matière d’interaction que j’ai décrites au début de mon discours. Quatrièmement, si une autre condition avec ses déficiences et ses dispositions spéciales devaient être présentées au comité, il serait facile de les ajouter au projet de loi maintenant ou au Code criminel à une date ultérieure. À ce jour, nous n’avons pas reçu de preuves sérieuses qu'il existe une autre condition présentant un problème qui approcherait l’ampleur de la difficulté posée par l’ETCAF dans notre système de justice actuel, qu'ont établie les avocats, les juges et les spécialistes de l’ETCAF au Canada.
Voici une troisième question dont les députés voudront peut-être débattre au comité. Qu’arrivera-t-il, dans les rares cas de délinquant violent atteint de l’ETCAF, si les résultats de l’évaluation ont pour effet de placer le délinquant en isolement protecteur pour plus longtemps que ce qui aurait été le cas sans l’évaluation, pour sa propre sécurité et celle du public?
Je dis, tant pis. En tant que gouvernement soucieux de se baser sur des données probantes, il vaut mieux avoir plus de données pour prendre une décision.
Quatrièmement, est-ce que ce plan de soutien devrait être approuvé par le juge ou l'agent de probation, et devrait-il être volontaire une fois écoulée la durée d'une peine d'emprisonnement normale d'une personne ne souffrant pas de l'ensemble des troubles causés par l’alcoolisation foetale?
Ces quatre points pourraient faire l'objet de discussions. Comme je l'ai dit, je suis ouvert à des amendements.
Si nous agissons maintenant, nous pourrons épargner des injustices et des souffrances inutiles à des milliers de personnes. Peut-être que, dans le futur, nous pourrions même ajouter d'autres troubles s'ils sont bien cernés et documentés, et s'il existe des solutions efficaces. Il n'y a toutefois aucune raison de laisser traîner les choses. Si une personne conteste une loi, qu'elle gagne sa cause et que cela est intégré au système de justice pénale, alors nos efforts avant-gardistes auront été utiles, ils auront aussi permis à cette personne ou à ce groupe d'obtenir justice.
Les députés des deux côtés de la Chambre souhaitent ardemment améliorer la façon dont on traite les troubles mentaux au Canada. Quelle grande percée humanitaire ce serait si nous pouvions améliorer la vie de milliers de personnes souffrant de ce trouble. Il va sans dire que le soutien législatif accordé aux personnes souffrant de l'ensemble des troubles causés par l’alcoolisation foetale et ayant des démêlés avec la justice bénéficie d'un solide appui au Canada, et partout dans le monde en fait. Lorsque le Parlement a été saisi d'un projet de loi semblable, le parrain conservateur a déclaré que 1 500 intervenants appuyaient ses efforts. J'ai mon propre vaste réseau de partisans.
Ce député conservateur avait aussi déclaré ceci à la Chambre, le 5 juin 2014:
Je voudrais aussi exprimer ma gratitude envers les législateurs du territoire du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest, qui ont dans les deux cas adopté récemment à l'unanimité des motions demandant au gouvernement du Canada d'appuyer le projet de loi C-583.
Certains intervenants étrangers s'occupant de l'ensemble des troubles causés par l’alcoolisation foetale applaudissent le Canada pour ses mesures avant-gardistes, et ils souhaitent les utiliser comme modèles dans leur propre pays.
Cependant, les experts de l'ETCAF ne sont pas les seules personnes à être très enthousiastes à l'égard du projet de loi. N'oublions pas que le projet de loi est différent d'un grand nombre de projets de loi d'initiative parlementaires habituels, qui ne reposent peut-être pas sur une base législative. Le projet de loi se compose seulement des quatre recommandations de l'Association du Barreau canadien, qui ont été formulées par son président à l'époque, Rod Snow, ainsi que par ses milliers de membres, soit des avocats, des juristes et des juges, qui, au sein de l'appareil judiciaire et du système correctionnel, ont constamment affaire à des délinquants atteints de l'ETCAF. Elles étaient donc les personnes toutes désignées pour proposer des améliorations à la loi.
La détermination de la peine a pour but de protéger la population en dissuadant les délinquants de récidiver à leur sortie de prison — et ils finiront presque tous par être remis en liberté. Cependant, comme leur cerveau a été endommagé, les délinquants atteints de l'ETCAF ont souvent du mal à établir un lien entre le crime qu'ils ont commis et la sanction qui leur a été imposée. Par conséquent, comme ils ne savent pas pour quelle raison ils sont punis, pourquoi devrions-nous continuer de les incarcérer, une pratique cruelle et insensée, qui coûte des dizaines de millions de dollars? Nous devrions plutôt les soigner et les surveiller comme il se doit, en tenant compte de la triste réalité, à savoir qu'ils souffrent d'une déficience mentale.
J'aimerais de nouveau citer le discours prononcé le 5 juin 2014 par un député conservateur, alors que le Parlement était saisi du projet de loi. Le député parlait alors d'une jeune femme atteinte de l'ETCAF qui a pris la parole à une conférence. Voici cet extrait du hansard:
Elle a raconté qu'il lui est arrivé de se rendre au travail le matin et, après s'être aperçue qu'elle avait oublié ses clés, de devoir retourner chez elle pour aller les chercher, puis d'oublier pourquoi elle était retournée chez elle. Ensuite, après s'être finalement souvenue de ce qu'elle cherchait, c'est-à-dire ses clés, elle avait oublié pourquoi elle en avait besoin. Elle a dû s'arrêter, se calmer, puis apaiser la confusion et la frustration qu'elle ressentait parce qu'elle était incapable de bien comprendre ce qu'elle devait faire.
Imaginons que cette jeune femme doit rencontrer son agent de probation ou se présenter en cour à intervalles réguliers. Que se passera-t-il si elle rate un rendez-vous? Elle devra retourner en prison à cause d'un manquement. Le système nerveux de ces gens est endommagé et ils conçoivent mal le passage du temps. Nous les condamnons de manière irrationnelle et injuste à un douloureux purgatoire personnel.
La ministre fédérale de la Justice actuelle a été on ne peut plus claire en février dernier lorsqu'elle a déclaré ceci devant l'Association du Barreau canadien:
En vérité, de nombreux délinquants souffrent à la fois de problèmes de santé mentale et de toxicomanie [...]
[I]maginons un Canada dans lequel le système de justice tient mieux compte des besoins de tous les Canadiens. Et si la première interaction d'un délinquant avec le système de justice pénale n'était pas la première d'une longue série? Et si cette interaction déclenchait plutôt des mécanismes conçus pour s'attaquer aux facteurs qui ont suscité les comportements criminels en premier lieu?
La journée a été longue. Imaginons que nous rentrons à la maison. Toutefois, après quelques pâtés de maisons, à notre stupéfaction, la police nous arrête et nous jette en prison pendant quelques années, loin de nos amis et des membres de notre famille, sans que nous sachions pourquoi. Ensuite, lorsque nous avons purgé notre peine et que nous sortons de prison, d'autres policiers nous arrêtent en nous disant que nous avons raté un rendez-vous et qu'ils nous renvoient en prison. On serait en droit de se demander comment les gens peuvent être si cruels.
Chers collègues, agissons comme des Canadiens et mettons fin aux souffrances de milliers de personnes qui, pour des raisons indépendantes de leur volonté, ne peuvent faire autrement qu'agir comme ils le font.