Madame la Présidente, je vais partager mon temps de parole avec le très sympathique député de La Pointe-de-l'Île.
Depuis le début de l'année 2019, les libéraux sont complètement embourbés dans le fiasco de SNC-Lavalin. L'ex-procureure générale a fait part de sa version des faits, de sa vérité, pour reprendre son expression. J'aimerais à mon tour faire part à la Chambre des faits qui sont à notre disposition.
SNC-Lavalin est une firme de génie-conseil dont le siège social est installé à Montréal et qui emploie des milliers de Québécois et de Canadiens aussi. SNC-Lavalin est visée par des accusations de fraude et de corruption, déposées en 2015 par la Gendarmerie royale du Canada, concernant des gestes posés en Libye. En vertu d'un accord conclu en 2015 avec Ottawa, la firme d'ingénierie peut néanmoins continuer à soumissionner à des contrats fédéraux jusqu'à la conclusion des procédures judiciaires.
Si la compagnie devait être reconnue coupable, elle perdrait le droit d'obtenir des contrats gouvernementaux pour 10 ans au Québec, au Canada et dans le monde. En d'autres termes, elle ferait aussi bien de fermer ses portes. Afin d'empêcher qu'une telle situation se produise, afin d'éviter que SNC-Lavalin ferme ses portes ou déménage son siège social dans un autre pays, le gouvernement fédéral a créé un dispositif: les accords de réparation. Ce dispositif a été créé notamment pour SNC-Lavalin. La ministre du Revenu national ne s'en est pas cachée, le 19 février, dans une entrevue au 98,5 avec M. Bernard Drainville. Celui-ci lui a demandé:
Souhaiteriez-vous un accord de réparation avec SNC-Lavalin?
Voici la réponse de la ministre du Revenu national:
Ce que je peux vous dire autour de la table, c’est que la décision qui a été prise au Conseil des ministres pour SNC-Lavalin, et pas seulement pour SNC-Lavalin, c’est pour les grandes entreprises, que ce soit au Québec ou au Canada. Cette décision-là se prenait déjà dans d’autres pays. Donc, c’est important de protéger les employés et tous les gens qui travaillent à SNC-Lavalin.
Dans sa réponse franchement candide, la ministre a clairement dit que la décision de modifier le Code criminel a été prise pour SNC-Lavalin. Je répète, elle a dit:
[...] la décision qui a été prise au Conseil des ministres pour SNC-Lavalin.
C'est ce qu'elle a dit. Les accords de réparation entraient ensuite en vigueur en septembre 2018. C'est là que le premier ministre a demandé à sa procureure générale de l'époque d'utiliser les accords de réparation dans le cas de SNC-Lavalin. Ce n'était pas une surprise. Le gouvernement avait modifié la loi pour ce cas particulier.
Avant de continuer, je vais rappeler ce que sont les accords de réparation selon le ministère de la Justice. D'ailleurs, le secrétaire parlementaire disait plus tôt qu'il fallait vraiment connaître ce que c'était, alors je vais citer d'abord le chapitre sur les objectifs d'un accord de réparation.
Voici les principaux objectifs d'un accord de réparation:
dénoncer les méfaits d'une organisation et les préjudices qu'ils ont causés aux victimes ou à la communauté;
tenir l'organisation responsable de ses méfaits;
exiger de l'organisation qu'elle mette en place des mesures pour corriger le problème et prévenir des problèmes semblables à l'avenir;
réduire les préjudices que la condamnation criminelle d'une organisation ait pu causer aux employés, actionnaires et autres tiers qui n'ont pas participé à l'infraction; et
aider à réparer les dommages causés aux victimes ou à la communauté, notamment grâce à une réparation et un dédommagement.
Ensuite, dans le chapitre suivant, « Avantages potentiels d'un accord de réparation », il est écrit:
Un accord de réparation tiendrait les organisations responsables de leurs méfaits et les inciterait à les corriger, tout en évitant certaines des conséquences négatives d'une condamnation au criminel. Cela pourrait permettre une indemnisation plus rapide des victimes, et protéger les emplois d’employés innocents et les investissements d’actionnaires innocents. La possibilité de négocier un accord de réparation peut aussi encourager les organisations à divulguer les méfaits et à coopérer plus facilement avec les enquêteurs.
Voici un dernier extrait:
Tant qu'un accord serait en vigueur, toute poursuite criminelle pour une infraction visée par l’accord serait suspendue [et non retirée]. Si l'organisation accusée se conformait aux conditions énoncées dans l’accord, le poursuivant demanderait à un juge de rendre une ordonnance de réussite à l'expiration de l'accord. S'il est convaincu que l'organisation a respecté les conditions de l’accord, le juge pourrait alors suspendre les accusations et aucune condamnation criminelle n'en résulterait. Si l’organisation ne les a pas respectées, le juge pourrait approuver la résiliation de l'accord, les accusations pourraient être rétablies et les organisations accusées pourraient alors être poursuivies et éventuellement condamnées.
Avoir un accord de réparation ne signifie pas que l'on abandonne les poursuites contre une entreprise qui a enfreint la loi. Un tel accord permet plutôt de s'assurer qu'elle ne l'enfreindra plus.
SNC-Lavalin est une entreprise qui a commis des crimes et elle doit payer pour ces crimes, mais pas les milliers d'employés qui y travaillent, ni les retraités, ni les clients, ni les contractants, ni les sous-traitants, ni les Québécois qui, par l'intermédiaire de la Caisse de dépôt et placement du Québec, en sont les actionnaires. Ce n'est pas parce que SNC-Lavalin a commis des crimes qu'il faut détruire SNC-Lavalin.
Il faut punir les criminels. Cela veut dire qu'il faut poursuivre les dirigeants qui ont commis des crimes. Cela veut dire qu'il faut faire payer l'entreprise pour les crimes qu'elle a commis. Un accord de réparation permet cela. C'est pourquoi bon nombre de pays utilisent cet outil.
Revenons maintenant au mois de septembre 2018. Le premier ministre demande à la procureure générale d'utiliser l'outil judiciaire qu'est l'accord de réparation — c'est un pouvoir que lui confère la loi —, mais elle refuse de le faire. Hier, nous avons entendu l'ex-procureure générale pendant des heures, mais nous ne savons toujours pas pourquoi elle a refusé de le faire.
Le Bureau du premier ministre lui a dit que, sans accord de réparation, SNC-Lavalin pourrait déménager à Londres. La procureure générale de l'époque a répondu qu'elle ne changeait pas d'idée. Le Bureau du premier ministre lui a dit que cela pourrait coûter des milliers d'emplois au Québec et au Canada. Elle a répondu qu'elle ne changeait pas d'idée.
Tous les arguments y sont passés. On lui a demandé si elle voulait obtenir l'avis d'autres d'experts, mais elle a dit non. On lui a dit qu'on pourrait perdre lors des prochaines élections, mais elle a dit qu'elle s'en foutait. On lui a dit qu'on a pris des engagements, mais elle n'en démord pas. On lui a dit qu'on pourrait perdre le siège social et des milliers d'emplois, mais rien n'y fait.
Pourquoi refusait-elle d'en arriver à un accord de réparation — pour lequel elle avait voté — avec une entreprise pour qui avaient été pensés les accords de réparation? Nous ne le savons toujours pas. C'est un secret. Après quatre heures de témoignages, nous ne le savons toujours pas.
Comme démocrates et amoureux de la démocratie, nous croyons à la séparation des pouvoirs et nous croyons que le judiciaire et l'exécutif doivent être indépendants l'un de l'autre. Nous croyons que ce principe devrait être protégé en tout temps, sans compromis.
Y a-t-il eu des pressions indues? Je n'en suis pas encore certaine. Avant de demander qu'on passe les menottes au premier ministre, j'aimerais entendre toutes les versions. Je voudrais connaître plus que la version des faits de l'ex-procureure générale. Je veux connaître la vérité, tout simplement.
Or pour l'instant, la vérité, c'est que des milliers d'emplois sont en danger. La vérité, c'est que SNC-Lavalin risque de quitter Montréal pour Londres. La vérité, c'est que les conservateurs et les néo-démocrates préfèrent le scandale politique libéral à la tragédie humaine de milliers de familles touchées par le départ de SNC-Lavalin. La vérité, c'est que le seul moyen de sauver ces emplois, c'est un accord de réparation. La vérité, c'est que si on veut que SNC-Lavalin paie pour ses crimes, il faut cet accord de réparation. La vérité, c'est qu'il n'y en a toujours pas.
Hier, nous avons assisté à un règlement de comptes entre l'ex-procureure générale et le premier ministre. Elle n'a pas répondu à la question la plus fondamentale: pourquoi a-t-elle décidé de ne pas conclure d'accord de réparation, évitant ainsi la perte de milliers d'emplois et d'un siège social au Québec? Elle en avait le pouvoir et elle a choisi de ne pas l'exercer. Pourquoi?
Maintenant, il faut que le nouveau procureur général prenne ses responsabilités. Ce ne sera pas facile, mais c'est la chose à faire. S'il ne le fait pas, il faudra conclure que dans ce règlement de comptes, les victimes, ce seront les milliers d'employés de SNC-Lavalin. Pour eux, il était temps que nous ayons un débat d'urgence sur cette question.