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Monsieur le Président, j'aimerais tout d'abord indiquer que je vais partager mon temps de parole avec mon honorable collègue d'. Il aura la chance de s'exprimer sur ce projet de loi très important qui a des répercussions concrètes sur la vie des gens.
Je commencerai mon discours en disant que la plupart du temps, je suis heureux de participer à des débats et de me lever à la Chambre, afin de pouvoir débattre avec mes collègues parlementaires. Aujourd'hui, c'est un peu différent. Si je me lève, c'est avec une certaine amertume et un certain découragement face à une décision importante du gouvernement libéral, mais qui est l'aboutissement d'une trahison, d'une tromperie, d'une absence de confiance et d'une rupture entre ce gouvernement libéral et 2 600 familles de partout au Canada, dont 1 700 dans la région de Montréal. En effet, ces familles se voient complètement abandonnées et rejetées du revers de la main par le projet de loi et ce gouvernement libéral.
Je vais essayer de faire une petite mise en contexte. En 1988, la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada a été mise sur pied, en vue d'une privatisation d'Air Canada qui a eu l'année suivante, en 1989. Dans cette loi, il est expressément dit à l'article 6 que l'entretien des aéronefs d'Air Canada doit se faire au pays et dans trois villes précises, soit Winnipeg, Mississauga et Montréal. Cela a fonctionné pendant des années. Air Canada s'est plié à la loi, notamment avec un contrat accordé, dans la région de Montréal, à une compagnie sous-traitante appelée Aveos qui a fait faillite en 2012. C'est là où les choses se compliquent: Aveos fait faillite et disparaît, mais Air Canada ne la remplace pas. Au contraire, Air Canada en profite pour relocaliser ces emplois dans divers pays dans le monde, comme aux États-Unis, en Europe ou en Asie. Ces 2 600 travailleurs perdent donc leur emploi qui est pourtant garanti par une loi fédérale dûment adoptée par la Chambre des communes et appliquée pendant des années.
À l'époque, on a vu un gouvernement conservateur qui s'est croisé les bras et qui n'a rien fait pour faire appliquer la loi. À ce moment-là, les libéraux ont voulu montrer leur appui aux travailleurs et travailleuses, ainsi que leur camaraderie et leur fraternité. On a même vu l'actuel , le député de , manifester à l'époque sur la Colline du Parlement et scander « So-so-so-solidarité » avec les travailleurs syndiqués, en plus d'exiger que le gouvernement conservateur de l'époque fasse appliquer la loi. Il utilisait effectivement un bon argument selon lequel la moindre des choses que pouvait faire un gouvernement de la loi et l'ordre, était de faire appliquer la loi, surtout quand il s'agissait de sauver de bons emplois bien payés dans un secteur de pointe.
Les libéraux prennent le pouvoir et soudainement le fusil change d'épaule. Ils chantent une autre chanson. Adieu, « So-so-so-solidarité », maintenant, la chanson, c'est « relocalisons, laissons faire nos bons emplois, abandonnons le secteur aérospatial ». On dit carrément à ces gens que leurs emplois sont perdus pour de bon.
En prenant le pouvoir, le truc que les libéraux ont trouvé, ce n'est pas de faire appliquer la loi, mais de changer la loi. Cela facilite les choses, évidemment. On n'a plus besoin de faire appliquer la loi quand on la change pour qu'Air Canada n'ait plus l'obligation de faire l'entretien de ses appareils au pays.
On se demande si c'est cela le plan de création d'emplois des libéraux, c'est-à-dire abandonner les bons emplois qu'on a ici au Québec, à Mississauga et à Winnipeg et faire de la création d'emplois aux États-Unis et en Europe, parce que c'est cela la conséquence du projet de loi . Ce projet de loi, c'est l'abandon de ces travailleurs et travailleuses représentés par l'Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l'aérospatiale, appuyée par la FTQ. Ils sont allés à la Cour supérieure du Québec qui leur a dit, en 2013, qu'ils avaient raison. Air Canada a porté l'affaire en appel. Cela a été à la Cour d'appel du Québec. En 2015, la Cour d'appel du Québec a dit aux travailleurs et travailleuses qu'ils avaient raison.
Je cite la juge Marie-France Bich, de la Cour d'appel du Québec:
À partir du moment où les affaires d'Air Canada la mènent à fermer ce centre [le centre d'Aveos de Montréal] ou à en réduire les activités de façon à ce qu'elles n'équivaillent plus à celles qui y avaient cours en 1988, elle enfreint la Loi.
Cela ne peut pas être plus clair. Le projet de loi menace de tirer le tapis sous les pieds des travailleurs et des travailleuses en rendant beaucoup plus difficile la poursuite de cette démarche légale. Lorsqu'ils plaideront en Cour suprême et que l'article 6 de la loi aura été modifié, il s'agira d'un tout nouveau cadre légal. Les modifications à la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada prévues dans le projet de loi sont extrêmement faibles, pour ne pas dire inexistantes, en ce qui a trait aux obligations d'Air Canada.
Il n'y a plus aucune exigence concernant le maintien d'emplois au pays, un plancher d'emplois, un volume de travail ou un pourcentage de ces tâches qui devraient être effectuées au pays.
En somme, c'est un chèque en blanc donné à Air Canada. Le gouvernement veut lui donner de la flexibilité, mais ce ne sera pas long qu'Air Canada deviendra contorsionniste et délocalisera les bons emplois qui se trouvaient chez nous. Cela m'attriste d'avoir un tel gouvernement qui, sans aucune considération pour la vie de ces 2 600 familles, est prêt à les abandonner cyniquement, après les avoir appuyées sur la place publique. C'est triste.
[Traduction]
Je prends la parole à la Chambre des communes aujourd'hui pour raconter une triste histoire, celle des employés d'Air Canada qui ont perdu leur emploi en 2012. Nous parlons d'environ 2 600 familles au pays. Air Canada était tenue par la loi de faire l'entretien de ses avions au Canada, plus précisément à Winnipeg, Mississauga et Montréal. Maintenant, la compagnie peut faire ce qu'elle veut.
Lorsque les libéraux étaient dans l'opposition, ils ont manifesté à l'extérieur du Parlement aux côtés des travailleurs, avec le syndicat, scandant « solidarité, frères et soeurs », disant qu'ils allaient appuyer les emplois syndiqués, car c'étaient de bons emplois. Ils demandaient au gouvernement conservateur d'appliquer la loi de 1988 concernant Air Canada.
Lorsqu'ils sont arrivés au pouvoir, comme par enchantement, les libéraux ont fait volte-face. Ils chantent une tout autre chanson maintenant. Ils n'appellent plus à la solidarité, mais à la création d'emplois aux États-Unis, en Europe ou en Asie. Avec le projet de loi , Air Canada ne serait plus tenue par la loi de garder ces bons emplois au Canada. Air Canada aurait un chèque en blanc et pourrait faire ce qu'elle veut.
C’est triste parce que les travailleurs et leurs syndicats, les machinistes et la FTQ au Québec, se sont adressés aux tribunaux à deux reprises et ont gagné. Ils ont gagné devant la Cour supérieure et devant la Cour d’appel du Québec. La décision des juges était parfaitement claire: Air Canada ne respectait pas l’obligation qu’elle avait au sujet de l’entretien de ses aéronefs. Maintenant, les libéraux veulent changer la loi, ce qui pourrait avoir des incidences profondes et brutales sur les poursuites judiciaires intentées par ces centaines de travailleurs devant la Cour suprême du Canada.
Maintenant, les libéraux disent qu’ils ne veulent plus aider les travailleurs, qu’Air Canada peut faire ce qu’elle veut et que les travailleurs n’ont qu’à trouver un autre emploi. Toutefois, l’aérospatiale est un secteur très important de notre économie, surtout dans la région de Montréal.
[Français]
Nous ne souscrivons pas à l'argument du selon lequel Air Canada va créer des emplois en achetant des C Series de Bombardier. Il compare des pommes avec des oranges. Si Air Canada achète des C Series, c'est parce que ce sont de bons appareils et qu'elle en a besoin.
Nous refusons de mettre le secteur de la fabrication d'aéronefs en compétition avec le secteur de l'entretien d'avions. Nous sommes capables de faire les deux, et nous devrions le faire. Les libéraux devraient comprendre cela. Ils devraient avoir honte de laisser tomber des centaines de bons emplois et de les envoyer à l'étranger. Nous leur demandons d'entendre finalement raison et de retirer le projet de loi .
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Monsieur le Président, je commencerai par exprimer ma déception d’avoir à prendre la parole pour participer au débat sur ce projet de loi. Ce n’est pas le genre de mesure législative que je m’attendais à débattre. Si on m’avait dit, il y a un an, que les libéraux seraient au gouvernement et si j’avais eu à prévoir quel genre de projets de loi ils proposeraient en fonction de leurs déclarations d’alors, je n’aurais jamais imaginé que je prendrais la parole au sujet d’un tel projet de loi.
Au cours de la dernière législature, l’actuel participait aux piquets de grève des travailleurs d’Air Canada, en scandant des slogans parlant de solidarité et probablement en prenant aussi quelques égoportraits. C’était remarquable parce qu’il essayait à ce moment de recueillir des votes. Beaucoup des travailleurs qui avaient pensé que le premier ministre était sérieux dans son expression de solidarité pourraient bien avoir effectivement voté pour les libéraux parce qu’ils n’auraient jamais soupçonné qu’un gouvernement libéral présenterait un projet de loi comme celui-ci.
Quelques-uns des députés du gouvernement, dont certains sont revenus, comme le député de , disaient alors: « La loi est claire. La société doit maintenir les centres d’opérations et de maintenance de Winnipeg, de Montréal et de Mississauga. C’est la loi. Le gouvernement conservateur dit qu’il veut combattre sévèrement la criminalité. Il est temps de se montrer sévère envers Air Canada. » Voilà le genre d’observations que nous entendions à l’époque de la part de députés libéraux tels que le député de Winnipeg-Nord.
Voyons ce qui se passe aujourd’hui, quelques mois plus tard. Comme je l’ai dit plus tôt au cours du débat sur une motion, le nouveau gouvernement a maintenant six mois. La plupart des projets de loi qu’il a présentés portent sur des questions de routine touchant les finances de l’État, sur des mesures faisant suite à des décisions de la Cour suprême qui imposaient des délais déterminés ou encore sur l’abrogation de lois adoptées par le gouvernement conservateur précédent que les libéraux avaient explicitement promis d’éliminer.
Si nous cherchons une mesure législative qui ne porte pas sur ces questions, qui va au-delà de ces choses, alors ce projet de loi représente le seul indice dont nous disposions quant à ce que le gouvernement nous réserve pour les quatre prochaines années. Je dois dire que le projet de loi constitue une trahison complète des travailleurs dont les libéraux prétendaient être les champions lorsqu’ils ont participé avec eux aux piquets de grève. C’est vraiment honteux. Cela témoigne du genre de cynisme et de condescendance dont le fait preuve à l’égard des travailleurs canadiens. Comment a-t-il osé participer avec eux à des piquets de grève en disant qu’il protégerait leurs emplois en blâmant le gouvernement d’alors parce qu’il n’avait pas appliqué une loi que lui-même avait l’intention de modifier une fois au pouvoir? C’est un tour de passe-passe auquel même le gouvernement précédent n’aurait pas été capable de se livrer. Au cours de la campagne électorale, les libéraux disaient vertueusement: « Le gouvernement n’applique pas la loi. Nous allons le faire. » Oui, ils vont le faire tout de suite après avoir modifié la loi pour la débarrasser des dispositions mêmes qui visaient à protéger les emplois et qui constituaient la raison pour laquelle les travailleurs souhaitaient que la loi soit appliquée.
En toute franchise, je suis consterné, mais, depuis le temps que je connais le milieu de la politique, je ne devrais pas être surpris, surtout quand cela vient des libéraux. Après seulement six mois au pouvoir, ils ont déjà réussi à me montrer un nouveau degré de cynisme que je ne connaissais pas encore en politique.
Dans le concours de beaux discours qu’on trouve souvent en politique, les libéraux cherchent à nous faire croire que c’est par suite d’une heureuse coïncidence, survenue sans incitation et sans échanges entre le gouvernement et Air Canada, que la compagnie aérienne a décidé d’acheter quelques appareils C Series de Bombardier, juste au moment où cette société avait des difficultés financières. Quelques députés ont réussi en procédant différents sondages à faire dire au gouvernement qu’il y avait un lien entre ces choses, mais si nous écoutons les réponses des membres du gouvernement, nous les entendrons dire: « Non, non et non, il n’y a pas de lien. C’est juste une heureuse coïncidence. Bombardier avait des difficultés, et Air Canada a pris l’initiative. » Il s’est trouvé que, lorsqu’Air Canada a agi et qu’on a entendu des rumeurs selon lesquelles le gouvernement fédéral abandonnait les travailleurs canadiens, les provinces ont tout simplement décidé de renoncer à leurs poursuites judiciaires.
Et comme tout cela se faisait simultanément sous l’action d’une force inconnue, le gouvernement trouve bon de modifier la loi parce qu’il fallait se montrer équitable envers Air Canada, quelques mois à peine après que les libéraux, encore dans l’opposition, disaient qu’il fallait se montrer sévère envers la compagnie.
Voilà toute l’histoire.
Les libéraux ont affirmé que le projet de loi aurait de nombreux avantages. Toutefois, aucun n’est mentionné dans le projet de loi. Les centres d’excellence n’y sont pas.
Ces emplois ne font l’objet d’aucune garantie légale, mais il y en a dans le cas des emplois appelés à disparaître. Pour ce qui est des nouveaux emplois qui sont censés découler de cette bonne affaire, il n’y a pas de protection. Rien ne garantit qu’Air Canada ne fera pas marche arrière et ne les créera pas ailleurs.
Dans le projet de loi, la disposition qui prête le plus à controverse n’est pas celle qui dit qu’au lieu d’avoir des emplois à Winnipeg, Mississauga et Montréal, il y en aurait au Manitoba, en Ontario et au Québec. C’est plutôt la disposition suivante, selon laquelle Air Canada peut définir elle-même le genre de travail à faire pour satisfaire aux exigences de la loi. C’est la disposition qui laisse à la compagnie le soin de déterminer le volume de travail et le niveau d’emploi. Pour satisfaire aux exigences de la loi, il suffirait qu’Air Canada loue un placard à Winnipeg, qu’elle y place quelques pièces de moteur et qu’elle engage quelqu’un qui viendrait faire une inspection une fois par an pour s’assurer que les pièces se trouvent encore là et peut-être pour les épousseter.
Les libéraux ne peuvent pas me dire que nous sommes censés être satisfaits de la situation et que nous devons accepter quelques emplois ne faisant l’objet d’aucune garantie, surtout si l’on tient compte des propos tenus par la compagnie et le gouvernement. La prochaine fois que ce sera au tour d’un député libéral de prendre la parole, le gouvernement devrait peut-être se limiter à inviter des cadres d’Air Canada à venir présenter directement leurs arguments à la Chambre sans intermédiaires. Les libéraux ne sont que des représentants coûteux d’Air Canada dans ce débat. Nous n’avons pas besoin d’eux.
Nous avons entendu des arguments de ce genre auparavant lorsqu’on a parlé de flexibilité et du besoin de soutenir la concurrence. Je suis sensible à certains de ces arguments, mais on est amené à se demander ce qui se passe. Disons-nous que nous en sommes au point où nous ne pouvons plus faire entretenir des avions au Canada tout en maintenant la compétitivité de l’entreprise? Est-ce là ce que nous voulons dire? Le gouvernement libéral encourage-t-il les Canadiens à croire que l’économie mondiale a évolué à un point tel que nous ne pouvons plus faire la maintenance des avions au Canada et qu’il faut les envoyer ailleurs pour que nos entreprises puissent soutenir la concurrence?
On peut se demander par ailleurs pourquoi il faudrait se soucier de la viabilité d’une entreprise qui ne crée plus directement d’emplois au Canada. Nous donnons des garanties pour ces emplois parce que nous devons être flexibles et compétitifs. Ces propos signifient qu’il faut délocaliser les emplois. Le gouvernement ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Il ne peut pas affirmer que tout cela vise à créer des emplois quand tous les emplois dont il parle sont conformes à la loi actuelle. Il n’y a aucune raison de modifier la loi pour établir des centres d’excellence. Si cette mesure ne vise pas à exporter des emplois, si elle n’a pas pour but de délocaliser les emplois au Mexique ou ailleurs, alors pourquoi modifier la loi? Cela n’a aucun sens.
À première vue, tout cela a pour objet de prendre des emplois canadiens bien rémunérés et de les envoyer à l’étranger. Tout le reste, tout ce qui ne constitue qu’une façade et dont rien n'est établi dans la mesure législative, dont aucun élément n’est exécutoire, ne sert qu’à masquer les vraies intentions du gouvernement, qui sont vraiment déplorables.
Rien ne nous garantit qu'un mois plus tard, Air Canada n'éliminera pas ces emplois. Je ne dis pas qu'elle le fera. Mais rien ne l'empêchera de procéder à des suppressions d'emplois, ne serait-ce que dans trois, quatre ou cinq ans. Les libéraux le savaient très bien lorsqu'ils étaient dans l'opposition. C'est la raison pour laquelle ils disaient que le gouvernement conservateur devait faire respecter la loi. Les libéraux doivent s'apercevoir que, dorénavant, il n'y aura même plus de loi à faire respecter concrètement parce que le projet de loi prévoit donner à Air Canada le droit de réduire comme bon lui semble le volume de ses activités d'entretien au Canada.
L'histoire que nous racontent les libéraux est alambiquée au point d'être choquante. J'espère que les Canadiens écouteront le présent débat. Ils n'auront pas besoin d'écouter longtemps pour comprendre ce qui se passe. J'espère qu'ils tendent l'oreille parce que ce qui se passe dans ce dossier est complètement inacceptable.
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Monsieur le Président, c'est un privilège pour moi de me joindre au débat d'aujourd'hui, qui porte sur le projet de loi . Nous assistons présentement à l'un des rares moments où l'opposition est à peu près unie et parle pour ainsi dire d'une seule voix, même si c'est sans doute pour des raisons fort différentes. À bien des égards, le débat d'aujourd'hui revêt un intérêt tout particulier pour moi. D'abord parce que j'ai déjà fait partie de la force aérienne, et ensuite parce que j'ai une formation d'avocat. Au début de ma carrière, alors que je n'étais encore qu'un stagiaire de première année, j'ai pris part à la restructuration d'Air Canada dans le cadre de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Les Canadiens craignaient alors de perdre leur transporteur aérien. Finalement, Air Canada a réussi à se restructurer et à sauver bon nombre d'emplois, de relations d'affaires un peu partout au pays, et la compagnie aérienne en tant que telle.
Nous nous souvenons tous de l'époque où plusieurs autres transporteurs desservaient le pays, comme Canadian et Wardair. C'est dire à quel point la concurrence mondiale est féroce.
Le jeune avocat que j'étais était très fier de travailler pour le cabinet qui, à l'époque, avait représenté Air Canada tout au long de sa restructuration.
Son passé de société d'État, voilà pourquoi nous sommes aujourd'hui saisis du projet de loi , Loi modifiant la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada, cette dernière loi ayant été adoptée à la suite de la privatisation du transporteur aérien. La plupart des commentaires provenant de mes collègues néo-démocrates renvoient à des engagements datant de 1987 ou 1988, c'est-à-dire au moment de la privatisation de la société d'État.
Selon moi, même nos amis libéraux ne prétendraient pas que l'industrie n'a pas changé depuis 1988. Il serait faux de prétendre que les syndiqués dont ils parlent effectuent les mêmes tâches sur le même genre d'appareils, car l'industrie a assurément changé sur le plan de la technologie, des besoins de la main-d'oeuvre et de la mondialisation de la chaîne d'approvisionnement. Il faut donc débattre de la question à la Chambre des communes.
Je suis du même avis que les néo-démocrates, dans le sens où la façon dont le débat est présenté à la Chambre me chicote. À bien des égards, il semble que le nouveau gouvernement ait adopté de vieux réflexes libéraux — qui ont rebuté de nombreux Canadiens durant le règne des gouvernements libéraux précédents —, c'est-à-dire qu'il conclut des ententes qui profitent à des intérêts spéciaux ou à certains groupes et laisse sous silence les répercussions d'une affaire sur les questions d'intérêt public.
Je vais soulever quelques points concernant le projet de loi qui sont importants selon moi.
De bien des manières, les libéraux montrent la véracité du vieux dicton suivant: pourquoi prendre position sur une question lorsqu'il est possible politiquement d'en défendre les deux côtés?
En voici un exemple. La plupart des membres du Parti libéral de cette époque, c'est-à-dire pendant les années 1980, s'opposaient à la privatisation d'Air Canada lorsque le gouvernement Mulroney a procédé à cette privatisation. Mais les voici maintenant qui essaient de faire adopter en douce une modification aux dispositions concernant la participation prévue dans les années 1980 et ce qui correspondait à l'époque à des garanties d'emploi. Ils n'en ont discuté que de façon limitée et ne l'ont pas vraiment mentionné dans leur programme électoral, qu'ils considèrent comme intouchable dans tous les autres aspects qu'ils ont abordés depuis le début. C'est pourquoi nous nous retrouvons dans la situation actuelle.
La situation est également attribuable à une mauvaise décision politique en ce qui concerne l'aéroport de l'île de Toronto et le fait qu'un exploitant du secteur privé envisageait de faire l'acquisition d'un appareil Bombardier alors que cette entreprise cherchait à obtenir une aide de la part du gouvernement. Toutefois, en raison d'un petit groupe de pression du centre-ville de Toronto, qui est très influent au sein de son caucus, le gouvernement a contourné le processus de réglementation concernant l'agrandissement d'un aéroport régional.
Cette décision ne sera pas sans ramification, car nos réseaux de transport sont intégrés. Ce qui se produit relativement à l'aéroport Billy Bishop aura une incidence sur Hamilton, l'aéroport à Kitchener-Waterloo, l'aéroport Pearson et l'aéroport de Pickering ainsi que leur taille à l'avenir.
Comme je l'ai dit, il ne s'agit pas d'une décision prise en vase clos. Les libéraux ont mis fin à l'examen et aux demandes d'agrandissement de l'aéroport de l'île de Toronto, empêchant ainsi Bombardier de vendre un appareil à un exploitant du secteur privé à un moment où l'entreprise est sur la corde raide. Or, je crois que derrière le projet de loi se trouve un accord négocié par le gouvernement fédéral avec un autre acheteur afin de le remercier d'avoir acheté les appareils en question et d'être venu à la rescousse, pour ainsi dire. J'aimerais que le ministre précise à la Chambre si le projet de loi C-10 a été mentionné comme élément de la vente du secteur privé concernant Bombardier qui a été annoncée par Air Canada. L'annonce s'est faite à peine quelques jours après que des représentants de l'entreprise ont rencontré le ministre. Il faut donc faire les rapprochements qui s'imposent et déterminer ce qui a donné lieu au projet de loi C-10. La raison pour laquelle cette mesure n'était pas prévue dans le programme électoral des libéraux est qu'elle découle des difficultés éprouvées par Bombardier. C'est ce qui me préoccupe.
Nous devons tenir un véritable débat sur la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, dans le cadre duquel nous discuterions des répercussions des difficultés financières de Bombardier, ainsi que de la vente de leurs appareils et de litiges qui impliquaient plusieurs provinces.
Le projet de loi contient peu de mots, mais lorsqu'on examine un peu plus en profondeur les questions sous-jacentes, comme l'ont fait aujourd'hui les députés de l'opposition, on constate qu'il renferme beaucoup plus de choses que ce que ses quelques pages peuvent laisser croire, et le gouvernement n'a pas fait preuve de transparence à cet égard. Le gouvernement avait fait de la transparence et des voies ensoleillées sa marque de commerce, mais il n'aura mis que quelques semaines à abandonner ces beaux principes dans la plupart de ses dossiers.
Dans mes observations, je vais expliquer de quelle façon, à mon avis, ces décisions sous-jacentes en matière de politique publique sont associées à ce qui nous est présenté dans le projet de loi , et pourquoi donc le projet de loi me préoccupe beaucoup. Le gouvernement n'a pas fait preuve de transparence sur le chemin qui nous a menés à l'étude de cette mesure visant à modifier une loi et une pratique de longue date.
En tant qu'ancien membre de l'Aviation royale canadienne, je suis également très fier de notre industrie aérospatiale, très fier de Bombardier et d'Air Canada, nos transporteurs, et fier de nos fournisseurs de renommée mondiale. C'est pourquoi lorsque le gouvernement s'est dépêché de saborder l'expansion de l'aéroport de l'île de Toronto sans tenir des consultations appropriées, cela a eu une incidence sur notre industrie. De nombreux Canadiens ne savent pas que le Canada a été le troisième pays à se rendre dans l'espace, grâce à Alouette I. Le Canada a ni plus ni moins formé la plupart des pilotes du monde libre, qui ont gagné la Deuxième Guerre mondiale, grâce au programme d'entraînement aérien du Commonwealth britannique.
En fin de semaine, j’ai joué le rôle de l’honorable George Hees, ministre des Transports du gouvernement de John Diefenbaker, au cours d’un dîner où nous avons procédé à une reconstitution du rêve de l’Avro Arrow. Nous avons célébré l’industrie aérospatiale et nos réalisations. Nous n’avons cependant pas célébré Diefenbaker lui-même à ce dîner, parce qu’il a annulé le programme de l’Avro Arrow. Toutefois, nous avons un patrimoine extraordinaire. Les perspectives de cette industrie ne sont pas vraiment bien connues des Canadiens. Nous sommes encore les premiers producteurs de simulateurs de vol du monde, tant du point de vue de la R-D que de celui du volume de production.
Au cours d’une visite à Séoul que j’ai faite à titre de secrétaire parlementaire au Commerce international dans le gouvernement précédent, j’ai pu examiner un simulateur CAE installé dans les faubourgs de Séoul, qui servait à la formation des équipages des lignes aériennes asiatiques. La visite avait été organisée dans le cadre de l’accord commercial avec la Corée du Sud. CAE est une entreprise réputée dans le monde entier. Nous devrions en être fiers.
Le Canada se classe encore troisième parmi les producteurs de petits et moyens aéronefs. Bombardier s’apprête à produire un plus grand appareil qui, encore une fois, comptera parmi les meilleurs de sa catégorie. Nous sommes également en troisième position pour ce qui est de la production de moteurs pour les besoins de l’aviation civile. Ce sont là des nombres incroyables qui supposent des emplois hautement qualifiés et bien rémunérés, tous axés sur l’exportation.
À un moment où notre dollar est bas, nous donnant la possibilité d’être très compétitifs dans le domaine du commerce international, nous devrions encourager cette industrie au lieu de conclure des marchés secrets pour freiner son élan. Les entreprises de ce secteur ont des recettes totalisant 28 milliards de dollars, aussi bien dans la chaîne d’approvisionnement que dans la production et la fabrication, et emploient 76 000 travailleurs dans toutes les provinces du pays, et notamment dans les régions de Montréal, Winnipeg et Toronto ainsi que dans la partie continentale de la Colombie-Britannique. Nous devrions encourager les entreprises à créer ces emplois et collaborer avec elles.
C’est ce que le gouvernement précédent a fait en procédant à une réforme de la recherche-développement. En fait, le gouvernement précédent avait mis en évidence le rapport de Red Wilson pour que nous ne perdions jamais de vue notre compétitivité. Red Wilson était un cadre supérieur de CAE.
Il y a lieu de mentionner certaines de ces entreprises, pour lesquelles j’éprouve une admiration particulière, à titre non seulement d’ancien membre des forces aériennes, mais aussi d’ancien ministre des Anciens Combattants. Beaucoup d’entre elles emploient des vétérans. Dans certains cas, ceux-ci font partie des cadres supérieurs. Ces entreprises comprennent MacDonald, Dettwiler and Associates, les fabricants du fameux Canadarm, qui constitue probablement notre plus grande réalisation en matière de R et D, Viking Air, qui a reconstitué quelques-uns des appareils classiques de Havilland qui ont volé pendant des générations, Cascade, Avcorp, Bombardier, CAE et COM DEV. Nous avons aussi des sociétés internationales qui produisent au Canada, comme Boeing, General Dynamics et Lockheed Martin dans le cadre du programme des retombées industrielles et régionales, qui crée des emplois découlant de nos achats dans le domaine de la défense. À certains moments, le gouvernement semblait un peu incertain à cet égard. Toutefois, si nous achetons quelque chose, il y a de l’argent qui est consacré à la recherche et au développement et à la création d’emplois chez nous.
La chaîne d’approvisionnement joue un rôle capital. C’est la raison pour laquelle notre industrie doit être modernisée. Nous devons tenir un débat sur la participation publique et l’industrie pour que nos fabricants, y compris certaines des entreprises que j’ai nommées, puissent profiter des travaux de maintenance d’Air Canada, de WestJet ou de Porter. Nos fabricants doivent aussi participer à la chaîne mondiale d’approvisionnement pour ce qui est de la maintenance et de la production.
Pourquoi discutons-nous du projet de loi ? Nous avons entendu les discours passionnés des députés néo-démocrates, mais tout cela se ramène à trois changements subtils à la loi découlant de la privatisation d’Air Canada en 1988.
Le projet de loi modifie l’alinéa 6(1)d) de la loi pour remplacer l’obligation de maintenir les centres d’entretien et de révision dans la forme prévue dans les années 1980 par l’obligation d’exercer ou de faire exercer ces activités d’une manière qui reconnaisse que beaucoup de constructeurs spécialisés — qu’il s’agisse de pièces ou de trains d’atterrissage — peuvent assurer l’entretien spécialisé qui est tellement important pour le secteur des compagnies aériennes. Cette spécialisation peut intervenir dans l’exercice des activités. Cela est raisonnable dans cet environnement, mais nous ne savons rien des conditions à cause des ententes secrètes qui ont donné lieu au projet de loi C-10.
L’entretien et la révision seraient étendus de façon à englober toute forme de travail relatif aux cellules, aux moteurs et aux éléments constitutifs, surtout parce que quelques-uns des principaux producteurs ont des compétences spécialisées dans certains sous-éléments.
Les régions géographiques protégées en 1988 lors de la privatisation d’Air Canada étaient les villes de Winnipeg et de Mississauga ainsi que la région urbaine de Montréal parce que, je crois, il fallait donner une description plus large. Les modifications proposées dans le projet de loi étendent ces régions aux provinces correspondantes.
Le projet de loi reconnaît d’une certaine façon le fait que l’industrie a évolué depuis 1988. Je peux certainement comprendre les raisons pour lesquelles Air Canada souhaite être libérée des exigences qui lui avaient été imposées en 1988 afin que la privatisation n’occasionne pas trop de perturbations.
Si nous examinons sa situation actuelle, le transporteur aérien se porte bien et est un chef de fil mondial à bien des égards, mais il doit également être concurrentiel à l'échelle mondiale. Il doit pouvoir tirer profit de la même expertise et des mêmes occasions que ses compétiteurs. Par conséquent, si nous l'obligeons à exercer ou à faire exercer des activités d'entretien dans une certaine région du Canada, l'important, c'est qu'il puisse profiter du meilleur de ce que l'industrie a à offrir pour assurer l'entretien et la modernisation de sa flotte.
L'autre chose que j'ai dite au début de mon intervention, qui est la raison derrière le débat d'aujourd'hui et au sujet de laquelle le gouvernement n'a pas fait preuve de transparence, c'est le fait que le projet de loi est réellement le résultat d'un litige relativement au respect de la loi. Comme je l'ai dit, Air Canada se sent probablement, et avec raison, injustement contrainte par une mesure prise non pas par le gouvernement précédent, ni l'autre d'avant, mais par l'avant-avant-dernier gouvernement, dans les années 1980, à une époque où la privatisation était un phénomène nouveau. Toutefois, je crois qu'aujourd'hui, la plupart des Canadiens ne s'attendraient certainement pas à ce que le gouvernement fédéral exploite sa propre compagnie de transport aérien dans un environnement concurrentiel qui offre amplement de choix.
Le Québec et le Manitoba se sont joints à l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale dans les litiges liés aux changements de nature commerciale apportés dans ces provinces. Compte tenu de la participation de ce syndicat, je comprends parfaitement pourquoi les députés néo-démocrates interviennent avec autant d'enthousiasme dans ce dossier. Je respecte leur dévouement envers les travailleurs et les causes qui leur tiennent à coeur. Toutefois, je pense que les travailleurs pourraient leur dire que l'industrie n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était en 1988.
Le gouvernement du Québec a abandonné les procédures judiciaires en raison de la décision d'Air Canada de faire l'acquisition d'appareils. Évidemment, il y a eu du marchandage politique, et le gouvernement du Québec s'est retiré du litige en échange de la promesse que lui a faite Air Canada d'appuyer l'industrie en faisant l'acquisition d'appareils Bombardier.
Le Manitoba a aussi renoncé aux poursuites judiciaires en établissant un accord en vertu duquel Air Canada acceptait d'appuyer trois fournisseurs manitobains de services aérospatiaux de calibre mondial et de louer à des conditions préférentielles un de ses hangars d'entretien à un exploitant manitobain. Nous avons donc vu un autre gouvernement provincial en arriver à une entente qu'il estimait suffisante pour se retirer de poursuites civiles liées à une loi remontant aux années 1980.
Comme je l'ai dit au début, j'aurais nettement préféré que le nous dise que le projet de loi découle encore une fois d'une entente pragmatique. Pour ce faire, toutefois, il aurait fallu qu'il explique tous les aspects de cette entente, qu'il nous dise ce qui s'est passé et qu'il révèle si le gouvernement a approché un acteur du secteur privé pour l'aider à donner suite aux demandes d'aide de Bombardier.
C'est là où les choses se corsent. Le gouvernement devrait-il bricoler sa position derrière des portes closes? Est-ce justifié quand on sait que le ministre était en mauvaise position pour avoir mis fin, par une manigance, à l'étude du projet d'agrandissement de l'aéroport Billy Bishop de l'île de Toronto lorsque des gens de son caucus et un groupe de Toronto ont milité contre tout agrandissement de l'aéroport? Cette annulation a eu pour conséquence qu'une entreprise privée qui comptait acquérir des appareils Bombardier ne pouvait plus le faire. Tous ces faits concordent et expliquent pourquoi le projet de loi a vu le jour.
Nous pourrions en fait discuter sérieusement de la pertinence de libérer une entreprise des obligations d'une loi de 1988 qui limitent sa compétitivité. Nous pourrions avoir cette discussion — j'en serais d'ailleurs ravi —, car le ministre et le gouvernement libéral n'ont pas fait preuve d'ouverture et de transparence à l'égard de la Chambre. Leur récent budget découle d'ailleurs à peu près de la même attitude, selon le directeur parlementaire du budget. Il s'agit du budget le moins transparent depuis plus de 15 ans.
J'aimerais que le gouvernement explique tous les aspects qui ont mené à la rédaction du projet de loi : les procès connexes, les pressions subies en ce qui concerne la stabilité financière de Bombardier et la nécessité, pour Air Canada, d'être concurrentielle à l'ère de la mondialisation. Je crois que nous pourrions débattre en bonne et due forme de cette question si la Chambre en était saisie. Je suis déçu que nous n'ayons pas les renseignements nécessaires pour tenir ce débat.
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Monsieur le Président, je suis heureux de prendre la parole à la Chambre au sujet du projet de loi , Loi modifiant la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada et comportant d'autres mesures.
Sur le plan technique, le projet de loi supprimera les articles de la Loi qui prévoient qu'Air Canada doit exercer les activités d'entretien et de révision des avions à Mississauga, à Montréal et à Winnipeg.
En langage clair, les modifications proposées à la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada de 1988 signifient que les emplois de 3 000 Canadiens qui effectuent l'entretien des avions seront touchés. Aux termes de la modification, Air Canada serait encore tenue de faire exercer les activités d'entretien dans chacune des trois provinces, mais elle pourrait modifier le type, le volume ou la portée d'une partie ou de la totalité de ces activités dans chacune d'elles. De plus, selon la portée, le niveau d'emploi de ces régions pourrait être modifié. Air Canada serait libre de dicter combien de personnes travailleraient dans ces centres et quel travail elles effectueraient.
Je veux être bien clair en ce qui concerne un aspect précis de la question. Le Parti conservateur estime qu'il est temps qu'Air Canada devienne une entreprise du secteur privé non financée par les contribuables. Nous croyons qu'Air Canada et tous les autres transporteurs devraient pouvoir être davantage concurrentiels, être sur un pied d'égalité, et que cela ne doit pas se faire aux dépens des emplois de qualité et bien rémunérés des Canadiens. Ayant travaillé près de 20 ans dans le domaine de l'aviation, je connais personnellement les défis que doivent relever les compagnies aériennes canadiennes pour continuer de soutenir la concurrence dans une industrie mondiale en constante évolution.
Quoi qu'il en soit, avant d'entrer dans le vif du sujet, qu'on me permette de faire un bref historique d'Air Canada et de sa présence dans le paysage canadien.
La société Air Canada a hérité d'une flotte de 109 avions lorsqu'elle a été privatisée, en 1988. Tous les grands aéroports du pays où elle s'est d'abord rendue ont été construits avec l'aide financière du gouvernement fédéral de l'époque. Air Canada est la plus grosse compagnie aérienne du pays et un acteur important du secteur international de l'aviation. Or, s'il en est ainsi, c'est non pas en dépit, mais grâce au soutien que lui ont accordé le gouvernement et les contribuables du Canada au fil des ans.
De nos jours, Air Canada est le principal occupant de tous les grands aéroports du pays sauf les aéroports de Calgary et Billy Bishop, à Toronto. Quel que soit l'aéroport, la société jouit ainsi d'une influence énorme sur ses activités et a droit aux meilleurs créneaux d'atterrissage. On aurait presque envie de dire que cela lui confère un certain avantage concurrentiel sur les autres transporteurs, y compris ceux du Canada.
Comme je l'ai dit auparavant, nous avons accueilli favorablement l'intention initiale de la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada lorsqu'elle a été présentée en 1988. La loi énonçait des conditions visant à faire en sorte que tout le soutien gouvernemental octroyé à Air Canada ne soit pas perdu et serve à en faire une société d'État prospère. En quelque sorte, le gouvernement protégeait son investissement.
Les conditions voulaient qu'Air Canada soit assujettie à la Loi sur les langues officielles, que son siège social demeure à Montréal et que 75 % de ses actions avec droit de vote appartiennent à des Canadiens et, enfin, que « les centres d’entretien et de révision [soient maintenus] dans les villes de Winnipeg et Mississauga et dans la Communauté urbaine de Montréal. » Étant donné ces conditions, il est étonnant de voir le gouvernement apporter une modification aussi mineure à la Loi. S'il est difficile d'établir quels seront pour Air Canada les bienfaits de cette modification, il apparaît nettement que celle-ci permettra au transporteur aérien de transférer des milliers d'emplois à l'extérieur du Canada.
Puisqu'il est question de donner à l'un des transporteurs aériens canadiens un avantage concurrentiel, il serait peut-être utile de considérer l'industrie dans son ensemble. Le fait qu'Air Canada a toujours du mal à soutenir la concurrence en dépit de toutes les faveurs qu'elle a reçues indique peut-être qu'il faut moderniser l'industrie de l'aviation au Canada.
J’aimerais traiter de certains des défis auxquels est confrontée l’industrie aéronautique dans son ensemble, car pour bien comprendre ces questions il faut d’abord comprendre le produit. Le transport aérien est une infrastructure économique et sociale essentielle. Elle donne accès au commerce et à l’investissement, elle rapproche les gens de leur travail, de leurs amis et de leurs familles, elle fournit des biens et services essentiels dans les régions éloignées, par exemple des services d’évacuation médicale.
La géographie, la taille de la population et les conditions environnementales font augmenter les coûts d’exploitation des transporteurs aériens au Canada, si on les compare à ceux d’autres pays. Le marché canadien du voyage aérien est relativement mûr et il a connu une croissance allant de modeste à moyenne au fil des ans. Selon les estimations, le marché canadien du voyage aérien représente au total entre 122 et 125 millions de passagers transportés. Toutefois, cela n’est rien en comparaison des marchés émergents et en développement, ailleurs dans le monde.
Dans une certaine mesure, cela s’explique par les politiques mises en place dans le contexte industriel et économique des années 1990. En gros, les politiques qui étaient destinées à protéger notre industrie sont celles-là mêmes qui l’entravent aujourd’hui.
La plupart des services aériens intérieurs du Canada sont assurés par Air Canada et WestJet. Un petit nombre de transporteurs aériens régionaux et locaux desservent quelques petites collectivités ici et là au pays. Cela améliore un peu le service et la connectivité.
Dans les années 1990, le modèle de transport à faible coût de la Southwest Airline a été reproduit au Canada par WestJet. Cette innovation venait à un moment où les consommateurs et les collectivités étaient victimes des prix abusifs pratiqués par les deux grands transporteurs aériens du Canada à l’époque, Canadian et Air Canada.
Les principales sociétés de transport aérien à la demande au Canada sont Transat et Sunwing. Elles s’intéressent surtout aux destinations vacances saisonnières. L’arrivée de WestJet dans le ciel canadien a été très remarquée, puisque l’entreprise offrait des voyages à bon marché. Elle a permis à de nombreux Canadiens de faire des voyages en avion pour la première fois. C’était une époque stimulante et un projet porteur.
À une certaine époque, les déplacements par avion étaient réservés à l’élite et paraissaient prestigieux et relativement inaccessibles en raison de leur coût. Avec l’arrivée de transporteurs à faibles coûts et de la concurrence, les déplacements aériens sont maintenant abordables et cela a stimulé la croissance du marché.
Tant Air Canada que WestJet offrent maintenant des vols à faibles coûts et à prix réduit pour les destinations vacances, ou encore des vols nolisés par l’entremise de leurs filiales respectives : Rouge et Encore. Ces nouvelles venues ont stimulé la croissance de certaines destinations dans plusieurs marchés et à l’heure actuelle, nous avons quelques transporteurs débutants à faibles coûts, qui en sont à diverses étapes du montage financier et qui devraient arriver sous peu sur le marché.
Au bout du compte, la compétition avec les transporteurs existants sera plus vive et aura un effet sur les prix. Pendant quelque temps, nos transporteurs nationaux réagiront en offrant encore plus de sièges à bas prix et peut-être même de nouvelles routes, mais à en juger par l’expérience passée seuls les nouveaux arrivants aux finances solides pourront se maintenir.
Incapables de soutenir la concurrence ou d’affronter les grandes entreprises établies parce que les règles jouent contre eux, les transporteurs débutants ont souvent la vie courte. Les principales victimes sont alors les collectivités et, en fin de compte, le consommateur.
Bref, il est peut-être temps de revoir les politiques qui nous ont été profitables quand l’industrie aéronautique canadienne avait besoin de protection, mais qui sont devenues des entraves à notre compétitivité. Évidemment, un tel protectionnisme entraîne des coûts qui sont essentiellement supportés par les consommateurs, puisque ce sont eux qui paient des tarifs aériens relativement élevés, et par le secteur canadien du voyage et du tourisme qui lui aussi, en raison de coûts supérieurs, ne cesse de perdre des parts de marché depuis une décennie. C’est simple, le Canada perd du terrain et est de moins en moins concurrentiel.
Le Conference Board du Canada a calculé qu'en 2012, les aéroports canadiens ont contribué au produit intérieur brut à hauteur de 4,3 milliards de dollars, généré des retombées économiques totales de 12 milliards de dollars, donné de l'emploi à près de 63 000 personnes et payé plus de 3 milliards de dollars en taxes et impôts fédéraux et régionaux. Les aéroports canadiens sont essentiels au succès de l'économie canadienne, une porte d'entrée clé pour le tourisme récepteur et émetteur, les échanges commerciaux et les voyages personnels. Le commerce national et international dépend de nos aéroports, ces portes d'entrée clés.
Le Canada jouit d'un emplacement géographique stratégique. Nous sommes au carrefour des routes orthodromiques entre l'Asie, l'Europe et les Amériques. Nous avons cet avantage concurrentiel, mais notre pays n'en a jamais profité pleinement. Nos concurrents ont neutralisé cet avantage au moyen de politiques et de programmes intégrés visant à faire en sorte que le tourisme récepteur et le trafic de correspondance passent par leurs plaques tournantes mondiales, en outrepassant essentiellement le territoire canadien ou, pour utiliser un terme du domaine de l'aviation, en le survolant.
Les aéroports canadiens doivent soutenir une concurrence de plus en plus féroce de la part de pays ayant reconnu l'importance du transport aérien comme moteur de croissance économique. Nos homologues américains font directement affaire avec une bonne partie du marché canadien des voyages transfrontaliers et internationaux, auquel ils ont facilement accès. Finalement, les aéroports canadiens se font aussi concurrence entre eux au chapitre de l'attribution des capacités de charge, qui sont limitées.
Nos collectivités et nos aéroports régionaux doivent souvent se disputer les services aériens. Tel qu'il a été mentionné durant le débat sur l'aéroport Billy Bishop, les aéroports canadiens vivent des moments difficiles en raison du changement de la capacité des appareils et de l'attention qui continue à être accordée aux enjeux environnementaux comme le bruit, qui peut être problématique en raison d'usages résidentiels ayant été permis trop près d'un aéroport.
Dans les années 1990, à la faveur de la politique nationale sur les aéroports, un nouveau cadre a redéfini le rôle du gouvernement fédéral dans le secteur de l'aviation. Les 26 aéroports du RNA du Canada, qui étaient considérés à titre de liens essentiels pour le pays, étaient jugés essentiels pour le réseau national de transport aérien. Ils assuraient 94 % de la circulation aérienne au Canada. Ces aéroports ont été cédés à bail à des autorités aéroportuaires et, dans certains cas, à des municipalités.
Les infrastructures de nombre de ces aéroports étaient désuètes. Dans certains cas, si ce n'est dans tous les cas, les infrastructures avaient besoin d'être rénovées. Des fonds pour leur remise en état ont été accordés à la suite des négociations de transfert, mais on s'attendait à ce que ces aéroports fassent ensuite tout en leur pouvoir pour devenir financièrement autonomes.
Pour un aéroport, les possibilités de faire de l'argent sont limitées. Après les transferts de propriété et l'acquisition de leur indépendance, les autorités aéroportuaires se sont rendu compte qu'il leur fallait adopter un système financé par les utilisateurs. Les frais d'amélioration aéroportuaire sont alors devenus la norme et, aujourd'hui, ces aéroports sont des exemples incroyables de l'aéroport du RNA des années 1990. Toutefois, certains aéroports sont aux prises avec de grandes difficultés pour demeurer concurrentiels et novateurs.
L'approche visant le financement des infrastructures et services aériens par les utilisateurs est efficace et durable, mais elle augmente les coûts pour le secteur et les utilisateurs. Les transporteurs aériens paient plus cher pour utiliser nos aéroports parce que leur exploitation coûte plus cher.
Aucun des compétiteurs du Canada n'exige des loyers dispendieux et des impôts qui minent la capacité concurrentielle; le Canada est le seul à le faire. Par exemple, les loyers des aéroports peuvent représenter jusqu'à 30 % des budgets d'immobilisations des aéroports, beaucoup plus que ce à quoi on peut s'attendre en dividendes et impôt sur le revenu pour un aéroport privé lucratif, comme il s'en voit en Europe.
Le gouvernement fédéral reçoit environ 300 millions de dollars annuellement en loyers, mais il ne réinvestit que 50 millions dans nos aéroports. Le Canada ne peut devenir un chef de file mondial en termes de compétitivité du transport aérien sur le plan des coûts sans que le secteur soit fortement subventionné, non seulement pour offrir des subventions équivalentes à celles offertes par certains de nos compétiteurs, mais aussi pour compenser les coûts de fonctionnement énormes et l'absence d'économies d'échelle.
Si le Canada veut demeurer concurrentiel, nous devons intégrer pleinement des parties de notre système de transport local et reconnaître les partenaires essentiels, tels que le gouvernement, les transporteurs aériens et les intervenants dans les milieux du tourisme et des affaires, en utilisant une approche globale de style « équipe Canada » pour harmoniser les politiques et la promotion. Nous devons stimuler les déplacements aériens du Canada vers l'étranger, de l'étranger vers le Canada et à l'intérieur du Canada. À elle seule, cette mesure aurait plus de répercussions positives sur l'industrie que le fait de donner continuellement des avantages concurrentiels à une seule compagnie du secteur privé.
La politique canadienne sur le transport aérien est probablement le défi le plus important auquel est confrontée notre industrie aujourd'hui. Il est essentiel de réaligner la politique canadienne sur le transport aérien afin d'améliorer la connectivité, la compétitivité internationale et la prospérité économique du pays. Le gouvernement peut améliorer la compétitivité du Canada et aider à créer des débouchés dans les secteurs du commerce et du tourisme, ce qui permettra de stimuler la demande pour les services aériens et de renforcer nos transporteurs nationaux — tous nos transporteurs, pas seulement un — en évitant qu'ils s'attardent à faire des gains faciles et à prendre soin de leurs amis.
Examinons notre politique sur le transport aérien. Appliquons notre politique Ciel bleu de manière plus progressiste et mieux harmonisée stratégiquement avec les objectifs du Canada en matière de commerce international et de tourisme. Poursuivons plus énergiquement la conclusion d'accords de type « Ciel ouvert » avec les partenaires du Canada en matière de libre-échange. Poursuivons la conclusion d'accords plus progressistes et plus ouverts avec les marchés touristiques visés par le Canada. Ouvrons de nouveaux marchés pour le tourisme et le commerce. Wow, quelle idée novatrice!
Le tourisme est une grande industrie à forte croissance, qui a des répercussions importantes sur l'économie mondiale. En 2013 seulement, on a dénombré plus d'un milliard de touristes dans le monde entier, qui ont généré des recettes de l'ordre de 1,3 billion de dollars. L'industrie touristique canadienne rapporte 84 milliards de dollars à l'économie du pays et emploie plus de 600 000 personnes.
Dans l'industrie touristique, la concurrence ne cesse de s'intensifier puisqu'un nombre croissant de pays investissent dans le marketing et harmonisent leurs politiques en matière de transport aérien et de visa afin de décrocher une plus grande part du marché. Le Canada tire de plus en plus de la patte à cet égard. L'harmonisation de nos objectifs sur le plan du tourisme avec notre politique en matière de transport aérien ne fera que renforcer l'industrie aéronautique et les transporteurs canadiens.
Voici une citation du président et chef de la direction d'Air Canada, Calin Rovinescu:
Il était temps que la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada, créée au moment de la privatisation de l'entreprise il y a près de 30 ans, soit modernisée pour reconnaître le fait qu'Air Canada est une entreprise du secteur privé, appartient à des intérêts du secteur privé et exerce ses activités dans une industrie mondiale hautement compétitive qui a subi une transformation majeure au cours des trois dernières décennies.
Je suis d'accord avec lui, mais il faut que tous puissent lutter à armes égales, et la protection des emplois canadiens doit être une priorité absolue.
La société Air Canada a annoncé qu'elle effectuera la maintenance et la révision seulement après avoir annoncé l'achat d'appareils C Series de Bombardier.
Jusqu'à tout récemment, Air Canada faisait l'objet de poursuites du Québec et du Manitoba après la fermeture de centres de service dans ces provinces.
Au Québec, la société a décidé de ne pas rouvrir une usine qui, en faisant faillite en 2012, avait mis à pied 2 000 travailleurs spécialisés. Le gouvernement du Québec s'est adressé aux tribunaux en faisant valoir qu'Air Canada n'avait pas respecté ses obligations juridiques lorsqu'elle avait transféré certains de ses gros travaux d'entretien à l'étranger. La Cour d'appel du Québec a rendu sa décision en novembre dernier. Le gouvernement du Québec a toutefois abandonné ses poursuites lorsqu'Air Canada a convenu d'acheter 75 appareils C Series de Bombardier et de les entretenir dans la province. S'agit-il d'un heureux hasard? Je ne le crois pas.
Le gouvernement du Manitoba a également mis fin aux procédures judiciaires après que le transporteur aérien a signé une nouvelle entente de services d’entretien qui devrait créer au moins 150 emplois dans la province.
Air Canada externalise déjà ses travaux d’entretien auprès de deux fournisseurs au Québec ainsi que vers des fournisseurs aux États-Unis, à Singapour, en Irlande et en Israël.
Le projet de loi présenté par le devrait en principe n’avoir aucun lien avec la société Bombardier, mais de fait il est entièrement axé sur Bombardier. Le gouvernement n’a pas encore dévoilé s’il accorderait à Bombardier le milliard demandé le 11 décembre 2015, mais il semble qu’il réussisse à contourner l’opinion publique au moyen d’ententes secrètes.
Dans sa brève intervention lors de la présentation du projet de loi , le ministre a salué la décision d’Air Canada d’acheter des appareils C Series et il y a vu la principale cause de la décision des gouvernements du Québec et du Manitoba de renoncer aux poursuites contre le transporteur. C’est bien aimable de leur part. Le ministre a également fait valoir que cela permettrait à Air Canada d’être plus compétitive dans une industrie en évolution et de plus en plus mondialisée. Je crois que cette remarque se passe de commentaires.
Les contribuables du Canada ont déjà beaucoup aidé Air Canada, et l’entreprise les remercie en leur enlevant des emplois de qualité et bien rémunérés. Le Parti conservateur n’appuie jamais les projets de loi qui font disparaître des emplois, en particulier quand il existe des solutions de rechange valables qui ne mineraient pas la rentabilité de l’entreprise.
Le gouvernement a l’occasion d’examiner toute notre industrie et d’apporter des changements véritables. Si le gouvernement voulait vraiment prendre une mesure pour stimuler tout le secteur aérospatial canadien et, comme je l’ai dit, favoriser un réel changement, y compris chez Air Canada, il pourrait s’attaquer à l’une ou l’autre des questions que j’ai mentionnées précédemment. Je ferai remarquer que toutes ces mesures suscitent un appui presque universel dans le secteur de l’aviation et n’entraîneraient pas la moindre perte d’emploi au Canada.
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Madame la Présidente, je suis heureux qu'on me donne maintenant l'occasion de faire un discours dans le cadre de ce débat, après avoir participé toute la journée aux questions et observations.
Je tiens à souligner que si je participe au débat, si je fais ce discours, c'est parce que c'est un enjeu qui a été porté à ma connaissance par un électeur de ma circonscription, il y a quelques mois. Cet homme était un employé d'Aveos et, à mon avis, il a perdu son emploi parce qu'Air Canada ne cesse de tenter de se soustraire à ses obligations, qui sont pourtant énoncées clairement dans la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada.
J'ai beaucoup aimé discuter avec cet homme. Je suis toujours heureux que des électeurs viennent me rencontrer à mon bureau pour me parler d'enjeux que je ne connais pas, et lorsque j'en ai l'occasion, j'expose leurs préoccupations à la Chambre. Dans ce cas, je partage les préoccupations exprimées par cet homme. Voilà ce qui me motive à participer à ce débat.
Il est certes révélateur que cet électeur de ma circonscription souhaite que nous abordions cette question, mais il est très clair depuis le début du débat que c'est un enjeu que le gouvernement ne souhaite pas aborder. Les libéraux veulent présenter cette mesure législative, et ils veulent bien sûr qu'elle soit adoptée. Cela dit, même si les autres partis participent activement au débat, de toute évidence, le gouvernement n'est pas très disposé à discuter de la question. On peut facilement comprendre pourquoi.
Voici la situation.
Le gouvernement a proposé une solution qui, selon moi, donne satisfaction à tous les acteurs importants. Par contre, la mesure législative ne tient pas compte d'un groupe d'intervenants qui est trop souvent mis de côté: la population, les travailleuses et travailleurs canadiens, les contribuables, les gens qui ne peuvent pas se permettre d'embaucher des lobbyistes, les personnes qui ne peuvent pas se permettre d'assister à des activités de financement avec des ministres à 500 $ le couvert, des personnes qui vaquent à leurs activités courantes et qui espèrent, probablement contre toute attente, que le gouvernement les traitera de façon juste et honnête.
Le gouvernement a inventé une solution à ce problème. Les libéraux croient, apparemment—ce qui me rappelle le titre d’un ouvrage que j’ai lu récemment—que le projet de loi plaît à tous sauf à la population. Il est vrai que la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada est fort peu connue des Canadiens pour qui elle est sans incidence, mais je crois que le projet de loi que nous examinons devrait intéresser tout le monde dans une certaine mesure, parce qu’il nous en dit long sur la façon dont le gouvernement fait des affaires. Pour paraphraser Michael Corleone, si vous voulez faire des affaires avec ce gouvernement, il fera des affaires avec vous.
J’aimerais commencer par passer en revue l’historique de cette immonde mesure législative et rappeler qui a déjà dû payer le prix de la politique du gouvernement et continuera de le payer.
En 1988-1989, dans le cadre de deux émissions distinctes, Air Canada a été privatisée, notamment à la suite de décisions d’un précédent gouvernement conservateur qui a, selon moi, su reconnaître l’intérêt d’une telle décision. Je crois que la plupart d’entre nous reconnaissent maintenant, en principe, qu’il vaut toujours mieux pour un gouvernement de s’extraire de toute activité commerciale, mais dans les mois qui ont précédé cette privatisation la population du Canada s’était déjà engagée avec enthousiasme dans ce projet et avait investi pour créer et maintenir ce qui avait été une société d’État.
Le mécanisme ayant servi à la privatisation a son importance dans ce cas. La privatisation d’Air Canada s’est faite par l'émission d’actions. Le gouvernement a émis et vendu des actions dans ce qui était auparavant une société publique. En l’occurrence, comme dans certains autres cas au cours de ces années où le gouvernement a présidé à de telles privatisations par voie d’émission et de vente d’actions, certaines dispositions restrictives ont été imposées à la société visée par la privatisation. Dans le cas d’Air Canada, la société s’est vu imposer quatre conditions: elle était assujettie à la Loi sur les langues officielles; elle devait conserver son siège social à Montréal; 75 % de ses actions avec droit de vote devaient être détenues par des Canadiens; elle devait maintenir des centres d’exploitation et de révision à Winnipeg, à Montréal et à Mississauga. C’était la loi, et c’était là les conditions de la privatisation.
Le projet de loi dont nous sommes saisis vise à annuler la dernière de ces conditions, soit le maintien de centres d'entretien et de révision dans ces trois villes canadiennes. On n'aurait plus à maintenir ces emplois au Canada.
Nous pouvons donc avoir l'assurance que le projet de loi aura pour effet non pas de créer des emplois au Canada, mais plutôt de transférer des emplois à l'étranger. C'est indéniable. Le gouvernement a beau souligner les autres emplois qui sont créés dans le secteur aérospatial, mais il est très clair que le projet de loi dont nous sommes saisis aura pour effet d'aider cette société à transférer des emplois à l'étranger.
Tout le monde sait que, lorsque des conditions sont imposées à une vente, quelle que soit la nature de la vente, cela risque d'avoir des effets sur le prix. Dans un article publié en 2012, l'École de politiques publiques de l'Université de Calgary a dit ceci au sujet de la privatisation: « Que [ces] dispositions aient été dans l'intérêt des Canadiens ou non, elles ont probablement fait baisser le prix initial des actions et les recettes du gouvernement lors de la vente. »
À cause de ces conditions, les actionnaires ont obtenu les actions à un prix moindre que celui qu'ils auraient payé dans d'autres circonstances, et les contribuables ont obtenu moins d'argent. En résumé, le gouvernement du Canada a vendu ses actions d'Air Canada selon certaines conditions qui ont fait baisser la valeur de ces actions, mais le gouvernement de l'époque croyait que ces conditions en valaient le coût.
Compte tenu des circonstances dans lesquelles la privatisation s'est déroulée, en 1988-1989, il semble évident que, par simple souci d'équité envers les contribuables canadiens, on devrait s'attendre à ce que l'annulation subséquente de n'importe quelle de ces conditions ne se fasse pas sans coût, surtout en ce qui concerne les conditions voulant qu'Air Canada maintienne certains emplois au Canada. L'annulation de ces conditions présente, d'une part, un coût économique pour les travailleurs et les contribuables, et d'autre part, un avantage économique pour Air Canada. Le projet de loi du gouvernement aura pour effet d'accorder des bénéfices inattendus à Air Canada aux dépens des travailleurs et des contribuables, donc des gens ordinaires.
Pourquoi le gouvernement fait-il ceci? Pourquoi adopterait-il une loi qui libérerait Air Canada d'obligations commerciales de longue date qui sont clairement énoncées et qui permettrait aux actionnaires de faire l'acquisition d'Air Canada à un prix inférieur? Pourquoi ferait-il une telle chose? Cela n'a aucun sens, jusqu'à ce qu'on se rende compte qu'il y a d'autres intérêts en jeu, d'autres intérêts auxquels des députés ministériels ont fait allusion directement. Je le répète, ce ne sont pas les intérêts des travailleurs et des contribuables, mais les intérêts d'une autre entreprise privée.
La société Air Canada a fait l'objet de poursuites de la part des gouvernements du Québec et du Manitoba parce qu'elle n'a pas respecté ses obligations au titre de la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada, c'est-à-dire la loi qui fait état des exigences selon lesquelles des centres d'entretien et de révision doivent être maintenus à Winnipeg, à Montréal et à Mississauga, comme nous l'avons mentionné. Toutefois, ces gouvernements ont arrêté les poursuites en raison d'événements qui ne semblent pas liés, mais qui le sont tout à fait. Il semble qu'il s'agisse d'un stratagème complexe mis au point pour protéger les intérêts d'un groupe différent d'actionnaires, c'est-à-dire des actionnaires de Bombardier.
Bombardier est une entreprise que nous voulons tous voir survivre et réussir. Cependant, de ce côté-ci de la Chambre, nous nous préoccupons davantage de protéger les travailleurs et les contribuables que d'offrir d'autres cadeaux à des propriétaires d'entreprises. Le lien entre les retombées pour Air Canada et les retombées pour Bombardier a déjà été clairement exposé par ma collègue de . Des députés ministériels y ont fait allusion, mais n'ont pas fourni d'éclaircissements. Quoi qu'il en soit, la question mérite d'être examinée une fois de plus.
Le 17 février dernier, la société Air Canada annonce qu'elle a entamé des négociations avec Bombardier concernant l'achat d'appareils C Series alors qu'elle avait n'avait jamais manifesté le moindre intérêt pour cet avion. Puis, le 8 mars, le ministre inscrit au Feuilleton le projet de loi dont nous sommes saisis. Les gouvernements du Québec et du Manitoba suspendent leurs poursuites. On peut difficilement les imaginer reprendre là où ils en étaient si le projet de loi devait être adopté puisque la loi sur laquelle étaient fondées leurs démarches aura été modifiée de fond en comble.
Air Canada verrait ainsi les conditions assorties à sa privatisation être levées sans contrepartie juste au moment où elle envisage ce qu'elle n'envisageait pas jusque-là, c'est-à-dire acheter des appareils Bombardier. Le gouvernement sait que la population accepterait difficilement qu'il injecte directement de l'argent dans Bombardier en sachant que cette dernière, comme Air Canada, délocalise ses emplois à l'étranger. Il se peut donc que nous ayons affaire à ce que l'on pourrait appeler une aide financière indirecte. Le gouvernement lève les conditions auxquelles était assujettie Air Canada et, en retour, celle-ci accepte de faire ce qu'elle n'avait jamais dit être dans ses cartons, à savoir conclure un gros contrat avec Bombardier.
Je crois que l'on touche ici au noeud de l'affaire. On ne sait pas trop pourquoi, ni comment, mais le gouvernement lève les conditions auxquelles était assujettie Air Canada et, en retour, celle-ci accepte de faire ce qu'elle n'avait jamais dit être dans ses cartons, à savoir conclure un gros contrat avec Bombardier.
Le gouvernement du Québec a fait ressortir un certain lien de cause à effet de façon explicite lorsqu'il a laissé tomber sa poursuite contre Air Canada. Voici ce qu'on peut lire dans le communiqué de presse:
Sous réserve de la conclusion d'ententes définitives, le gouvernement du Québec a accepté d'abandonner les procédures judiciaires relatives à l'obligation d'Air Canada de maintenir un centre d'entretien et de révision après qu'elle a convenu de collaborer avec la province à l'établissement d'un centre d'excellence pour les [...] appareils C Series au Québec.
J'attire l'attention des députés sur la formulation soigneusement choisie: « [...] collaborer [...] à l'établissement d'un centre d'excellence pour les [...] appareils C Series [...] ».
Je rappelle que le gouvernement refuse de reconnaître ce lien. J'ai demandé sans détour à l'un des députés quelle était la nature de ce lien et pourquoi il était question de nouveaux investissements dans les C Series pendant un débat sur la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada. Les députés en parlent entre eux avec clins d'oeil tacites et coups de coude entendus, mais ils ne confirment aucun lien.
Ce qui se trame transparaît quand même assez clairement, étant donné le déroulement des événements et les avantages qu'obtiennent Air Canada de la part du gouvernement et Bombardier de la part d'Air Canada.
Il semble donc que Bombardier obtient bel et bien de l'aide du gouvernement après tout. Or, la société prétend soudainement qu'elle n'en a plus besoin. Un article du Financial Post publié le 23 mars dernier cite un représentant de Bombardier. En passant, cet article a été publié le jour avant que le projet de loi soit déposé, mais certainement après qu'il ait été inscrit au Feuilleton des avis. Voici ce que dit le représentant de Bombardier:
À vrai dire, le financement fédéral représenterait simplement un appui supplémentaire pour le programme [...] Il ne s'agit véritablement que d'un boni supplémentaire qui serait utile, mais qui n'est très clairement pas nécessaire.
On parle d'un sauvetage de 1 milliard de dollars. Voilà un boni supplémentaire qui, sans aucun doute, serait bien utile à bon nombre d'entre nous également. Toutefois, cela ne correspond pas du tout à ce que disait la société il y a quelques mois.
Je me demande s'il faut en déduire que Bombardier n'a réellement jamais eu besoin de l'argent ou simplement que, en date du 23 mars, il était devenu clair que la société toucherait la même somme, simplement par des moyens différents, notamment sans les conditions embêtantes nécessitant une réforme réelle et substantielle, sans les contraintes que peut impliquer une aide financière plus directe.
Je travaillais pour le ministère de l'Industrie pendant le mandat du gouvernement précédent. À ce moment-là, nous nous affairions à sauver de grands constructeurs automobiles. Au cours de ces années, j'ai appris à connaître quelques députés qui sont toujours à la Chambre aujourd'hui. Je sais que, pour nous qui sommes de tendance conservatrice et qui croyons aux libres marchés, il a été très difficile de prendre la décision de secourir les constructeurs automobiles. De nombreuses personnes de tendance conservatrice n'acceptent probablement toujours pas cette décision, mais elle découlait manifestement de conditions et de circonstances très particulières.
À l'époque, en 2009, le gouvernement a appliqué une approche de renflouement soigneusement élaborée qui comportait quelques éléments cruciaux. Le gouvernement exigeait des réformes qui assureraient la viabilité de l'entreprise en cause. Il entendait faire tout en son possible pour que les investissements procurent un rendement satisfaisant. L'entente visait d'une part à accorder un prêt et de l'autre à acheter des actions.
Ceux qui croyaient que le plan de sauvetage était nécessaire à cette époque ont pu au moins constater qu'il était transparent. Il s'agissait du moindre des maux, car il prévoyait une réforme. Il a aussi été élaboré de manière à éviter tout autre sauvetage du genre à l'avenir et à faire en sorte que ces entreprises connaissent du succès et qu'elles continuent de créer des emplois au Canada. Loin de moi l'idée de prétendre que la décision n'était pas difficile à l'époque, mais il est clair que, dans une certaine mesure, elle a donné de bons résultats puisque ces sociétés ont poursuivi leurs activités.
Toutefois, ce qui est nouveau dans ce dossier, c'est qu'il semble s'agir d'un sauvetage indirect. Des avantages sont conférés à Bombardier par l'entremise d'Air Canada, et ce, de manière opaque, sans reddition de comptes ni réforme. Je souligne que, selon des estimations, Bombardier a reçu depuis 1961 près de 4 milliards de dollars d'aide gouvernementale sous différentes formes.
Je dirais simplement que, si le gouvernement souhaite appuyer une société privée, il devrait à tout le moins tenter de s'assurer que c'est la dernière fois qu'il doit le faire et qu'il existe des réformes pour éviter de devoir multiplier les plans de sauvetage.
Il y a ici un problème d'opacité. En effet, on fait allusion à des choses qui se produisent, mais sans préciser comment ou pourquoi elles se produisent.
Je veux me pencher sur certaines des remarques faites par d'autres députés et les réfuter.
Nous avons entendu beaucoup de discours intéressants des députés qui ont pris la parole sur ce sujet, bien que peu de députés ministériels soient intervenus.
Les libéraux parlent de moderniser la loi. Je crois qu'une députée nous a dit que nous étions en 2016. C'est un argument qui est utilisé si souvent, non seulement pour justifier la politique de parité hommes-femmes au Cabinet, mais aussi ici, comme si dire l'année où nous sommes est tout ce que le gouvernement a à faire pour nous convaincre que les mesures qu'il prend permettent de procéder à une modernisation et d'aller de l'avant. Je ne pense pas que trahir les travailleurs et les contribuables contribue à la modernisation. Au contraire, je pense que cela nous ramène en arrière.
Les libéraux ont affirmé qu'ils mettaient à jour la loi, mais ce n'est pas ce qu'ils font. Ils ont fait un choix politique qui trahit les contribuables et les travailleurs.
Dans certains discours, le gouvernement a précisé qu'il y a des coûts associés aux conditions qu'Air Canada doit respecter, mais pas les autres entreprises privées. La réalité, c'est que ces conditions étaient associées à la vente d'actions à un prix inférieur, comme je l'ai déjà mentionné. N'oublions pas non plus qu'Air Canada possède des avantages que les autres entreprises n'ont pas. Le Canada réglemente rigoureusement son industrie aérienne. Je crois qu'il est évident qu'il le fait pour protéger les intérêts économiques des transporteurs canadiens. Nous pouvons débattre, de part et d'autre, de la valeur de ces politiques, mais il ne fait aucun doute qu'elles existent et qu'Air Canada a aussi été avantagée par la réglementation gouvernementale. C'est quelque chose que nous devons reconnaître et dont nous devons tenir compte.
En fin de compte, c'est simplement une question d'équité. Ce sont des conditions qui furent imposées à Air Canada pour sa vente, et ceux qui ont acheté ces actions savaient exactement ce qui se passait.
Parmi les arguments entendus, on nous a aussi parlé de la viabilité d'Air Canada. Il ne fait aucun doute que nous voulons tous qu'Air Canada et Bombardier soient en bonne santé, que ces entreprises créent des emplois au Canada et qu'elles offrent des services de qualité aux Canadiens tout en offrant différentes options sur le marché, mais il ne manque pas de moyens pour améliorer la viabilité d'Air Canada. Certains de mes collègues en ont déjà donné des exemples. Nous pourrions par exemple porter à 49 % la part des actions des transporteurs aériens canadiens pouvant appartenir à des intérêts étrangers. Autoriser davantage d'argent à entrer au Canada — au lieu de laisser filer des emplois — permettrait là aussi de favoriser la compétitivité. Nous pourrions aussi continuer de simplifier les processus d'immigration et les contrôles douaniers et instaurer une série de principes directeurs auxquels se fieraient les aéroports pour établir leurs tarifs. Voilà le genre de mesures de réforme qui rendraient la société Air Canada plus concurrentielle, et les autres transporteurs aériens par le fait même.
Ce n'est pas tout ce que j'avais à dire à propos des coûts qu'Air Canada doit assumer, mais pas les autres transporteurs aériens. On pourrait dire la même chose de la Loi sur les langues officielles, mais comme rien n'indique que le gouvernement a l'intention de soustraire Air Canada à son application, oui, Air Canada devra toujours satisfaire à des exigences auxquelles les autres transporteurs aériens n'ont pas à se soumettre, et je crois que tout le monde comprend pourquoi il en est ainsi.
En somme, les conditions sont levées, mais au détriment des contribuables, qui n'en retirent aucun avantage. Bombardier obtient du travail d'Air Canada, mais puisqu'il n'y a aucune condition, les deux entreprises peuvent continuer à envoyer des emplois à l'étranger. Air Canada obtient quelque chose en ne donnant rien en retour, Bombardier obtient quelque chose en ne donnant rien en retour, et le gouvernement pense se débarrasser d'un problème politique potentiel.
Mais la vraie question est la suivante: qui est laissé pour compte?
Ce sont les travailleurs et les contribuables. Ce sont les gens ordinaires. Ce sont eux qui sont laissés pour compte, car les libéraux sacrifient les principes de l'économie réelle et de l'économie de marché libre au profit de leur propre capitalisme de copinage.
Les députés de ce côté-ci de la Chambre croient profondément au mécanisme du marché, mais la condition nécessaire est l'équité, et le projet de loi n'est pas équitable. Il n'est pas équitable pour les travailleurs qui perdront leur emploi ni pour les contribuables qui auraient pu recevoir davantage pour la privatisation d'Air Canada. Il est avantageux pour l'élite, mais pas pour la population, et c'est pourquoi nous nous y opposons.