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FINA Rapport du Comité

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LES IMPLICATIONS POUR L’INTÉRÊT PUBLIC
DES FUSIONS DE GRANDES BANQUES :
UNE OPINION DISSIDENTE

L’hon. Lorne Nystrom, député
Porte-parole du NPD en matière d’institutions financières
Mars 2003

« Jusqu’ici, les banques survivent fort bien telles qu’elles sont »

– Robert Kerton, Association des consommateurs du Canada

Le ministre des Finances, John Manley, et le Secrétaire d’État (Institutions financières), Maurizio Bevilacqua, ont demandé au Comité permanent des finances et au Comité sénatorial des banques de consacrer du temps et de l’énergie à examiner et à mieux définir les implications pour l’intérêt public des fusions de grandes banques. Ce faisant, ils ont ressuscité une question à laquelle les Canadiens avaient opposé un rejet total.

La position du NPD est claire : les fusions de grandes banques n’ont jamais été, et ne seront jamais, dans l’intérêt public. Lorsque quatre des plus grandes banques canadiennes ont envisagé de fusionner en 1998, il a fallu une année d’audiences publiques, des protestations, 4 millions de dollars, cinq rapports et le Bureau de la concurrence pour convaincre le ministre des Finances d’alors, Paul Martin, que le fait de laisser à une ou deux grandes banques privées la maîtrise du crédit de la nation serait mauvais pour la concurrence, mauvais pour l’emploi, mauvais pour les collectivités et, par conséquent, contraire à l’intérêt public.

Rien ne prouve que le paysage financier canadien soit fondamentalement différent en 2003 de ce qu’il était en 1998. Cette année-là, le Groupe de travail McKay avait déposé son rapport final, dans lequel il recommandait qu’un processus d’examen des projets de fusion de grandes banques soit effectué dans tous les cas. Les Lignes directrices relatives à l’examen des projets de fusion ont donc été élaborées en réponse à ce document, afin de faciliter la définition de l’« intérêt public ». Le secteur bancaire a soutenu que ces lignes directrices étaient trop larges, et qu’elles demandaient à être précisées. D’une façon générale, toutefois, les Lignes directrices relatives à l’examen des projets de fusion sont déjà claires et adéquates. Il vaut mieux qu’elles soient larges, afin de donner au Comité des finances la marge de manœuvre suffisante pour les interpréter au cas par cas. Nous convenons avec le Comité qu’il ne servirait à rien d’être trop prescriptif dans des directives concernant l’intérêt public et les fusions de grandes banques. De plus, à notre avis, c’est aux candidats qu’il incombe de démontrer que les fusions projetées sont favorables à l’intérêt public.

Le système bancaire canadien est l’un des plus concentrés du monde. Six des principales banques représentent plus de 85 % des actifs du secteur, et leur part des dépôts s’est même accrue entre 1997 et 2001, passant de 70 % à 73 %. En quoi les choses seraient-elles améliorées si seulement deux ou trois banques dominaient le secteur bancaire?

 Pourquoi les fusions de grandes banques ne servent pas l’intérêt public

L’honorable Douglas Peters, PhD, C.P., ancien Secrétaire d’État (Finances) du gouvernement libéral entre 1993 et 1997 et ancien économiste en chef et vice-président principal de la Banque TD, a démontré que les implications pour l’intérêt public des fusions de grandes banques deviennent évidentes lorsque l’on se pose les questions suivantes :

La fusion aurait-elle pour effet :

 1.de réduire le coût des services bancaires payés par les particuliers?
 2.d’améliorer le niveau et la qualité du service que les Canadiens obtiennent auprès de leurs banques?
 3.d’accroître le choix des citoyens en matière de services bancaires?
 4.d’améliorer la disponibilité et de réduire le coût du crédit pour les petites et moyennes entreprises du Canada?
 5.de réduire le coût du crédit pour les grandes entreprises canadiennes?
 6.d’améliorer la profitabilité des opérations internationales des banques canadiennes?
 7.d’améliorer l’économie canadienne en augmentant l’emploi et en favorisant la croissance économique?

La réponse à toutes ces questions est non. Il est évident que les fusions de banques au Canada seraient nuisibles à l’intérêt public. Seule la menace systémique d’une défaillance massive du secteur financier pourrait justifier les alliances douteuses auxquelles le Comité sénatorial des banques souhaite donner sa bénédiction. Et même alors, le secteur financier traverserait mieux la crise et aurait moins besoin des fonds publics pour le renflouer s’il était plus diversifié. Les banques à charte canadiennes affirment qu’elles doivent devenir extra-grandes pour prospérer dans l’économie mondiale. Elles soutiennent que seules les mégabanques sont en mesure de soutenir la concurrence internationale. Elles croient que les économies d’échelle ne peuvent être réalisées que par des mégainstitutions.

Tous ces arguments sont faux.

Il est inexact de soutenir que nos grandes banques ont besoin de grossir pour réaliser des économies d’échelle. Même la Banque du Canada a écrit que « jusqu’à présent, les recherches empiriques n’ont pas permis de prouver qu’une banque devait être une mégainstitution — par opposition à une simple grosse banque — pour pouvoir tirer profit de la majorité des économies d’échelle ». Lorsque les PDG des banques à charte du Canada soutiennent qu’il leur faut devenir des mégabanques pour soutenir la concurrence internationale, ils omettent de souligner que leurs établissements réussissent déjà extrêmement bien sur la scène internationale. Et si ce n’est pas le cas, des éléments de preuve indiquent que leurs pertes n’ont rien à voir avec leur taille, mais proviennent de mauvaises décisions en matière de prêts. Citons les prêts de la TD au secteur des télécommunications des États-Unis, ou encore les aventures de la CIBC à New York dans le domaine des investissements. Lorsqu’un marché est dominé par deux ou trois consortiums financiers, il faut également supposer que ces géants continueront de combler les pertes encourues à l’étranger aux frais des consommateurs et des contribuables canadiens.

 La concurrence étrangère

Certains soutiennent que les fusions de banques ne nuiront pas aux consommateurs canadiens. Mais il est illusoire de penser qu’une armée de concurrents étrangers pénétreront le marché et sauveront les consommateurs. En effet, la domination totale des mégabanques canadiennes sur le marché intérieur dissuade la concurrence étrangère de lancer le moindre assaut frontal. De fait, les subsidiaires des banques étrangères ont vu reculer leur part des dépôts, qui est passée de 7 % à 3 % entre 1997 et 2001.

Au contraire, les institutions financières étrangères resserreront leur emprise sur les institutions financières canadiennes en profitant du rejet par Paul Martin de la règle de la participation multiple qui garantissait qu’aucun actionnaire unique ne pouvait contrôler plus de 10 % d’une banque à charte.

 Le Parlement doit avoir le dernier mot

Comme le disait le rapport minoritaire du NPD en 1998 (qui répondait au « premier rapport [provisoire] » du Comité permanent des finances « L’avenir commence maintenant ») :

« Les banques décident quelles entreprises survivront et lesquelles flancheront; quels emplois seront créés et lesquels seront supprimés; qui aura une maison et qui n’en aura pas. On voit bien que les banques ne sont pas des sociétés comme les autres. Le secteur bancaire fait bien plus que simplement prêter les dépôts des épargnants. Les institutions bancaires créent de l’argent en consentant des prêts aux entreprises, aux consommateurs ou aux gouvernements. Elles créent aussi de l’argent par des moyens indirects comme la titrisation et les activités hors bilan.

Le Parlement a accordé aux banques du Canada une protection particulière qui n’a d’équivalent dans aucun autre secteur. Elles disposent d’une charte spéciale qui leur permet de contrôler le crédit; elles ont progressivement augmenté leur mainmise sur le secteur des sociétés de fiducie; elles ont absorbé toutes les grandes maisons de courtage et sont en train de s’introduire sur le marché des assurances. Aujourd’hui, au nom de la compétitivité mondiale, elles souhaitent concentrer leur domination en se fusionnant jusqu’à ce qu’il ne reste plus que deux ou trois mégabanques.

Les chartes octroyées par le Parlement confèrent aux banques des pouvoirs si vastes que, pour empêcher les abus, elles doivent être réglementées par un gouvernement élu démocratiquement et soumises à la discipline de la concurrence du marché. La concentration du marché freinerait la concurrence et défierait l’autorité du Parlement. Il n’est pas dans l’intérêt public de laisser le contrôle du crédit national à une ou deux banques privées.

L’expérience démontre que plus un système bancaire est concentré, plus les spéculations sont risquées, au détriment de tous. Les mégabanques japonaises ont accumulé 1 000 milliards de dollars américains de pertes potentielles en raison des prêts spéculatifs. Des pertes analogues ont été essuyées par des mégabanques aux États-Unis, en France, en Suisse et en Allemagne.

Nous sommes d’une désespérante naïveté si nous croyons que des désastres de ce genre ne peuvent se produire au Canada. Qu’arrivera-t-il si une mégabanque de 700 milliards de dollars fait faillite? Le gouvernement fédéral n’aurait guère d’autre choix que d’intervenir et de la renflouer avec l’argent des contribuables.

 Les priorités des gens avant tout

La vérité, c’est qu’en fusionnant entre elles, les grandes banques vont réduire la concurrence et augmenter leurs bénéfices, pour plaire à leurs actionnaires. Il faudra alors que les consommateurs acceptent une concurrence plus faible, des choix réduits et des frais d’administration plus élevés — sans mentionner les mises à pied et les fermetures de succursales. En fait, lorsque Canada Trust a fusionné avec la Banque TD, la nouvelle société TD Canada Trust a imposé des frais de service plus élevés aux clients de la Banque TD. De surcroît, il est prouvé que la formation de mégabanques aggraverait encore la situation déjà mauvaise des petites entreprises canadiennes, lesquelles sont à l’origine de la majorité des nouveaux emplois.

L’avis des Canadiens sur le secteur bancaire dépasse largement l’opinion simpliste selon laquelle ce qui est bon pour les actions des banques est bon pour les Canadiens. Le fait que de nombreux Canadiens soient effectivement actionnaires directs ou indirects des grandes banques, et que les fusions puissent améliorer le rendement de leurs actions, est une piètre consolation pour ceux qui cherchent à obtenir une hypothèque ou un prêt à des taux abordables.

En appuyant les fusions, le Comité sénatorial des banques ne reconnaît pas les besoins des Canadiens et fait fi de plusieurs enjeux. Nous savons que c’est le Parlement du Canada qui a octroyé leurs chartes aux grandes banques canadiennes. Il s’agissait de privilèges qui les autorisaient à occuper une position dominante sur la marché intérieur. Elles doivent par conséquent rendre des comptes non seulement à leurs actionnaires, mais aussi au Parlement du Canada. Que le Sénat qui, n’étant pas élu et n’ayant pas de comptes à rendre, soit d’avis que le processus d’examen des fusions des banques ne doive pas comporter un examen de la part du Comité des finances de la Chambre des communes, cela équivaut à une abrogation de responsabilité, pas moins. Pis encore, tout projet de fusion de grandes banques obéissant uniquement à un désir de bénéfices devrait être assujetti à un vote de la Chambre des communes, après avoir été examiné par le Comité des finances.

Qu’en est-il des pressions croissantes subies par les familles de plus en plus endettées et des nombreux Canadiens retraités qui n’ont d’autre choix que de continuer à travailler? Avec les niveaux affligeants de la pauvreté infantile et la piètre qualité de l’éducation et des programmes de garderies, la situation des travailleurs à faible salaire prend les proportions d’une crise. Le Comité sénatorial des banques et, bien entendu, le Comité des finances de la Chambre ne devraient-ils pas offrir leurs perspectives sur ces problèmes plus pressants?

Si le Parlement souhaite vraiment rouvrir un débat au sujet des banques, qu’il le fasse porter sur les questions fondamentales qui importent aux travailleurs canadiens. Pour commencer, il pourrait se pencher sur les frais administratifs imposés par les banques, les taux d’intérêt abusifs associés aux cartes de crédit, l’exploitation des usagers de guichets automatiques, le réinvestissement collectif, les abris fiscaux à l’étranger, les options d’achat d’actions offertes aux dirigeants d’entreprises, etc.

Sous aucun prétexte les impératifs des entreprises ne devraient passer avant le processus démocratique. Nous devons cesser de prétendre que les fusions de grandes banques seront bénéfiques pour l’intérêt public et commencer à améliorer, et non pas à affaiblir, le potentiel économique de tous les Canadiens.