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ENSU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 3 février 1998

• 0843

[Traduction]

Le vice-président (M. Bill Gilmour (Nanaimo—Alberni, Réf.)): La séance est ouverte.

Voilà le président qui arrive.

Charles, j'allais commencer.

Le président (M. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Merci, monsieur Gilmour.

Veuillez excuser mon retard. Bonjour.

[Français]

Bonjour, mesdames et messieurs. Bienvenue à notre rencontre. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions les aspects environnementaux de l'Accord multilatéral sur l'investissement.

[Traduction]

Nous recevons ce matin les témoins suivants: M. Steven Shrybman, de la West Coast Environmental Law Association; Mme Michelle Swenarchuk, de l'Association canadienne du droit de l'environnement, ACDE; Mme Robin Round, coordonnatrice de campagne du Sierra Club du Canada; et, du Congrès du travail du Canada, M. Dick Martin.

• 0845

Je suis ravi de vous revoir. Bienvenue au comité.

Veuillez vous présenter, monsieur.

M. John Gero (directeur général, Bureau des politiques commerciales, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Je suis John Gero. Je suis directeur général du Bureau des politiques commerciales du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.

M. Dymond m'a prié de vous présenter ses excuses. Malheureusement, il n'a pu venir et je le remplace.

Le président: Vous représentez donc M. Dymond, je présume.

Habituellement, nous donnons aux témoins le temps de présenter un bref exposé, d'une dizaine de minutes, afin qu'il nous reste suffisamment de temps pour les questions.

Qui va commencer?

M. John Gero: Merci, monsieur le président.

Comme je le disais, je veux d'abord vous présenter les excuses de M. Dymond, qui ne pouvait malheureusement pas être ici ce matin.

J'aimerais d'abord vous donner une brève description de l'Accord multilatéral sur l'investissement, puis parler un peu de ses dispositions qui se rapportent à l'environnement, et je serai ensuite ravi de répondre à vos questions, à mesure qu'elles se présenteront.

Comme les membres du comité le savent, les négociations entourant l'AMI ont débuté en 1995, à l'OCDE, et 29 pays y participaient. Ils voulaient voir s'il y avait moyen d'instituer un accord multilatéral à partir d'environ 1 300 accords bilatéraux de protection des investissements. On voulait voir s'il était possible, grâce à des négociations à l'OCDE, entre 29 pays, de s'entendre sur un ensemble de règles multilatérales qui remplacerait toute une série de règles bilatérales ou, dans certains cas, régionales, portant sur la protection des investissements.

Le contexte de négociation de base de l'AMI reposait sur la protection à offrir aux investisseurs des autres pays, pour lesquels on voulait créer un ensemble de règles multilatérales.

L'Accord multilatéral sur l'investissement est dans sa structure très semblable à tous les accords de protection des investissements étrangers qui existent déjà.

Dans le cas du Canada, nous avons, comme vous le savez, un accord régional dans le contexte de l'ALENA et toute une série d'accords bilatéraux de protection des investissements étrangers avec de nombreux pays du monde.

Ce genre d'accord repose essentiellement sur trois éléments.

Il y a tout d'abord des garanties de non-discrimination, c'est-à-dire qu'il faut traiter les entreprises étrangères de la même façon que les entreprises nationales. Autrement dit, il ne doit pas y avoir de discrimination entre différents investisseurs étrangers—ce qu'on appelle le traitement de la nation la plus favorisée—il faut les traiter de la même façon qu'un investisseur national: ce sont les dispositions relatives au traitement national de ce genre d'accord.

Deuxièmement, ces accords protègent l'investissement. Ainsi, en cas d'expropriation, on s'assure qu'il y aura une indemnisation complète.

Et troisièmement, comme pour tout accord international, un mécanisme de règlement des différends est prévu, à deux volets. Il y a d'abord le règlement des différends d'État à État, où les pays, entre eux, peuvent résoudre leurs problèmes en prenant les mesures prévues à l'accord; il y a aussi l'arbitrage en cas de conflit entre l'investisseur et l'État, qui permet aux investisseurs d'obtenir le règlement d'un différend qu'ils ont avec l'État signataire.

• 0850

Voilà en général comment est organisé l'accord, tout comme les autres accords de protection des investissements étrangers.

L'AMI, comme d'autres accords de protection des investissements, va du haut vers le bas. Je veux dire par là qu'ils ont des dispositions générales, mais qu'ils comportent aussi des dispositions essentielles, soit une série d'exceptions et de réserves qui permettent aux pays de s'assurer de pouvoir limiter les obligations qu'ils prennent dans certains domaines, en vertu de l'accord. Chaque accord de protection des investissements étrangers comprend de telles réserves et exceptions, comme l'Accord multilatéral sur l'investissement.

Les négociations durent depuis plus de deux ans. L'échéance initiale était le mois de mai dernier. Heureusement, on a pu conclure un accord avant cette date et les ministres de l'OCDE...

Le président: Les membres du comité connaissent bien ces faits. Il nous serait utile que vous abordiez la question du point de vue de l'environnement, ce qui nous permettrait d'apprendre des choses.

M. John Gero: Bien. Je m'excuse, monsieur le président. Je pensais que ce serait utile, mais si les membres sont au courant, je passe à autre chose.

Le président: Nous lisons aussi les journaux, monsieur Gero.

M. John Gero: Du point de vue de l'environnement, il y a trois questions d'ordre environnemental qui ont l'attention des négociateurs.

Il y a tout d'abord le libellé du préambule, qui reconnaît la nécessité d'assurer la protection de l'environnement et de procéder à un développement durable. Je ne pense pas qu'il y ait de grands désaccords chez les négociateurs sur l'importance de cette partie du libellé.

La deuxième question est de savoir si les directives de l'OCDE destinées aux entreprises multinationales seraient intégrées à l'accord. Dans ce cas-là aussi, c'est fort probable. Il ne semble y avoir de grand désaccord entre les pays qui sont en négociation.

Troisièmement, il reste à savoir si l'accord comprendra des dispositions décourageant les pays d'abaisser leurs normes ou réglementation environnementales pour attirer les investisseurs. On semble être généralement d'accord sur la nécessité d'une telle disposition dans le traité. Il reste à décider du libellé exact de cette disposition, particulièrement en ce qui touche sa nature exécutoire.

Voilà en gros les trois principales questions environnementales se rapportant à l'accord.

Je pourrais vous parler un peu du processus à venir, au moins jusqu'au printemps.

Il y aura une autre conférence ministérielle à la fin d'avril, où l'on espère conclure l'accord. On peut dire qu'il est clair désormais qu'il n'y aura pas de texte prêt à signer à ce moment-là, mais qu'il pourrait y avoir un accord de principe, nécessitant quelques peaufinages juridiques après le mois d'avril.

Il y aura une série de rencontres à l'OCDE, au cours des prochains mois, pour voir s'il est possible de s'entendre sur les conditions générales de l'accord.

Je peux m'arrêter ici, monsieur le président. Je serai ravi de répondre à vos questions ou à celles du comité.

Le président: Monsieur Gero, vous vous arrêtez alors que ça commence à devenir intéressant. En fait, vous pourriez commencer là où vous vous êtes arrêté. De toute façon, remettons-en-nous aux questions et continuons.

Qui sera le suivant?

M. Steven Shrybman (directeur exécutif, West Coast Environmental Law Association): Je crois que c'est à moi, monsieur le président.

Merci, monsieur le président et membres du comité, de m'avoir invité aujourd'hui. J'ai fourni au comité deux documents qui ont été traduits. Le premier est un bulletin d'information que nous avons préparé sur les incidences environnementales de l'AMI. L'autre est un mémoire plus détaillé se rapportant aux dispositions relatives aux poursuites lancées par l'État investisseur dans le cadre de ce régime d'investissement. C'est ce dernier document que j'essaierai de vous résumer ce matin.

Je ne sais pas si vous avez ces documents sous les yeux. Il y a un mémoire de notre association et une fiche d'information. Si vous avez eu l'occasion de lire cette fiche, vous aurez constaté que nous avons de nombreuses préoccupations au sujet des incidences environnementales de l'accord qui sont à notre avis tout à fait incompatibles avec les concepts de protection de l'environnement et de développement durable. Je ne vais pas vous en parler ce matin. J'ai examiné les mémoires des autres témoins de ce matin et j'y souscris. J'aimerais me concentrer sur un aspect particulier du régime d'investissement que constitue l'AMI: les dispositions relatives aux poursuites menées par l'État investisseur.

• 0855

Le président et les membres du comité savent bien que notre association, comme d'autres ici aujourd'hui, travaille depuis longtemps et avec ardeur à affirmer le droit des Canadiens à participer à divers processus décisionnels en matière d'environnement, et ce, depuis quelques décennies. Ces droits de participation, qu'ils soient acquis dans le cadre de négociations informelles avec les ministères, pour certaines initiatives environnementales, ou qu'ils aient été obtenus devant les tribunaux, nous permettant de participer à des procédures d'importance environnementale, représentent vraiment des éléments clés d'une société démocratique.

C'est pourquoi je suis ici aujourd'hui, pour vous présenter nos préoccupations au sujet d'un aspect particulier de ce régime d'investissement, qui pourrait avoir des incidences négatives et de grande portée pour les principes de base de notre système juridique.

Comme vous le savez et comme M. Gero l'a déjà signalé, les dispositions relatives aux poursuites par l'État investisseur ne sont pas exclusives à l'AMI, mais sont plutôt conformes aux dispositions du chapitre 11 de l'ALENA et de divers accords bilatéraux d'investissement négociés par le Canada au cours des dernières années. Les incidences potentielles de ces ententes préexistantes n'ont pas été ébruitées, à notre avis, et n'ont jamais, que nous sachions, fait l'objet d'un débat éclairé au Canada.

En gros, les dispositions de l'AMI et des accords précédents relatives aux poursuites par l'État investisseur appliquent les principes du règlement des différends commerciaux internationaux à toute une nouvelle gamme de litiges potentiels qui ont très peu à voir avec les relations commerciales internationales. En effet, l'AMI donnerait aux investisseurs étrangers de nombreux droits substantiels, dont ils pourraient se prévaloir pour contester une panoplie de lois et de politiques et programmes gouvernementaux. Nous pensons que cette transposition des principes du règlement des différends commerciaux internationaux au domaine pratiquement illimité des litiges entre États investisseurs, qui découlent de l'AMI, s'est faite sans grande analyse ni sans grande considération des conséquences qu'une telle transformation pourrait avoir pour les politiques publiques.

Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international voudrait que nous pensions que ces nouveautés, à notre avis révolutionnaires à bien des égards, sont sans effet négatif important pour les politiques publiques. Vous ne pouvez arriver à cette conclusion, monsieur le président et messieurs et mesdames les membres du comité.

Les principes voulant qu'on encourage le règlement des différends commerciaux internationaux suivant les procédures d'arbitrage normatives sont probablement bien ancrés dans les politiques publiques lorsqu'il s'agit de différends commerciaux se rapportant à des liens contractuels entre des parties ayant un pouvoir de négociation relativement semblable. Mais quand on applique sans se gêner ces régimes à la résolution de différends se rapportant à la grande sphère des politiques publiques, n'ayant rien à voir avec des contrats et qui ne peuvent que d'une façon tangentielle être considérées comme ayant un aspect commercial, les conséquences peuvent représenter de très réelles contestations des normes démocratiques de la société canadienne.

Il me reste quelques minutes pour vous présenter les points saillants du mémoire que nous vous avons remis.

• 0900

Tout d'abord, les lois canadiennes mettant en oeuvre ces régimes internationaux... Il en est question dans les dispositions relatives aux poursuites par l'État investisseur dans cet accord sous la section des règles du CIRDI ou du CNUDCI. Les lois canadiennes mettant en oeuvre ces régimes sont nouvelles choses au Canada. Ces lois ne remontent qu'à 1985 et 1986. Ces régimes ne font pas partie du panorama juridique canadien depuis bien longtemps. Ils n'ont pas été mis à l'épreuve. Nous ne savons pas si le gouvernement fédéral a compétence constitutionnelle pour mettre en oeuvre ces régimes de règlement des différends internationaux.

Deuxièmement, les lois mettant en oeuvre ces régimes de règlement des différends internationaux existaient bien avant les négociations qui ont mené à l'ALENA et à d'autres accords d'investissement bilatéral dont a parlé le ministère. Au moment de l'adoption de ces lois, les parlementaires ne savaient pas, ni au fédéral ni au provincial, que bien des années plus tard, elles seraient utilisées d'une façon tout à fait nouvelle dans le cadre de cet accord et des autres qui l'ont précédé.

En troisième lieu, le Canada offre dans l'AMI de déclarer unilatéralement son consentement à l'arbitrage de différends que la politique canadienne pourrait susciter et impliquant un nombre inconnu d'investisseurs étrangers, bien avant que ces investisseurs ou la nature des différends ne soient connus.

Si vous pensez que l'arbitrage se situe dans le contexte des contrats, ces déclarations unilatérales contredisent totalement cette notion étant donné que les parties en question n'ont pas de relations contractuelles avec le gouvernement canadien, mais qu'elles pourront quand même porter plainte contre la politique et la législation canadiennes sans être limitées par des paramètres clairs ou précis.

Nous parlons ensuite du caractère extrêmement secret de ces processus de règlement des différends. Il suffit de comparer les mécanismes dont Ethyl Corporation s'est servie pour contester la réglementation canadienne sur le MMT, d'une part devant la Cour suprême de l'Ontario et, d'autre part, en vertu des règles d'arbitrage des dispositions de l'ALENA qui s'apparentent à l'AMI.

À la Cour suprême de l'Ontario, la plainte a dû faire l'objet d'un avis public. Le document déposé était public. Il était possible de comparaître devant le tribunal pour demander à intervenir comme partie en cause ou intervenant désintéressé.

Aucune de ces règles ne s'applique au règlement des différends commerciaux internationaux. Ces différends sont réglés en secret. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international nous a refusé l'accès à la plainte déposée par Ethyl Corporation ou à la réponse que le ministère a donnée à cette plainte. Il a refusé d'appuyer notre demande de statut d'intervenant. Nous ne pouvons observer les délibérations. Aucun membre du public ne peut le faire. Les délibérations sont tout à fait secrètes et vont à l'encontre de tous les principes du processus judiciaire qui caractérise notre régime démocratique depuis plusieurs siècles.

La première erreur de l'AMI est de croire qu'un régime qui a été établi pour résoudre les différends commerciaux entre des parties contractantes peut être transposé globalement à un nouvel ensemble de différends qui pourraient surgir entre des millions d'investisseurs étrangers et le gouvernement canadien à l'égard de tout un éventail de politiques économiques et environnementales internes. C'est la première erreur.

La deuxième erreur est de croire que, même s'il s'agissait d'un objectif politique légitime—une conclusion que nous sommes loin de partager—, il est totalement injustifié d'adopter un processus de règlement des différends qui est à la fois opaque, secret et antidémocratique.

• 0905

Pour conclure, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a fait valoir que les règles de règlement des différends que prévoit ce régime d'investissement n'ont rien de particulier ou de malencontreux. À notre avis, ce n'est pas conforme à la réalité.

Ces régimes sont tout à fait uniques en droit international. Il est vrai que le Canada a négocié des accords bilatéraux sur l'investissement dans la même veine—qui ne datent, je crois, que deux ou trois ans—mais ces principes n'ont pas été validés dans le contexte du règlement des différends internationaux ou par les tribunaux du Canada ou de la plupart des autres pays.

Nous savons ce que les grandes sociétés feront de ces prérogatives. Nous avons pu le constater dans la cause Ethyl. Nous avons entendu ce genre d'arguments dans le contexte de la réglementation de l'emballage des cigarettes canadiennes. Nous les avons entendus dans le contexte de l'affaire de l'aéroport Pearson pour ce qui est de l'annulation des baux, dont certains étaient en faveur de sociétés américaines. Nous les avons entendus dans le contexte des efforts déployés par l'Ontario pour établir un régime public d'assurance-automobile.

Ce qui rend ces arguments si convaincants c'est que ces sociétés peuvent recourir directement aux mécanismes de règlement des différends que prévoient ces régimes d'investissement. Un investisseur étranger qui désire invoquer ce processus ne rencontre aucun obstacle. S'il possède une action dans une société qui fait affaire au Canada, il peut invoquer cette procédure de règlement des différends.

Comme il est long et difficile d'avoir simplement à répondre à ces contestations, même si elles sont injustifiées, le gouvernement canadien réfléchira à deux fois avant de décider de prendre des orientations politiques légitimes.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Shrybman.

Qui est le suivant?

Mme Michelle Swenarchuk (directrice générale, Association canadienne du droit de l'environnement): Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui.

J'ai remis deux documents au comité. Il y a d'abord le mémoire que nous avons déjà présenté au Sous-comité du commerce international, en novembre dernier, puis un résumé que j'ai intitulé: «The MAI Canada: Economic Deregulation, Round Four». Je voudrais résumer brièvement certains des éléments que contiennent ces documents, après quoi je m'attarderais sur certaines dispositions de l'AMI et certaines de nos recommandations.

Comme vous le savez peut-être, je représente l'Association canadienne du droit de l'environnement, une clinique juridique d'intérêt public de Toronto. Notre association existe depuis 1970. Nous analysons et suivons les répercussions environnementales des accords commerciaux depuis 1988.

Par conséquent, lorsque nous examinons l'AMI, c'est dans le contexte des autres grands accords commerciaux que le Canada a conclus, l'accord avec les États-Unis, l'ALENA, et le GATT de 1994. Nous l'examinons aussi dans le contexte de la soixantaine d'accords bilatéraux sur l'investissement que le Canada a conclus ou qu'il est sur le point de signer sur la protection de l'investissement.

Pour vous donner un bref aperçu général de notre mémoire, nous étudions les accords commerciaux et leurs répercussions sur la politique environnementale dans le contexte de la stratégie économique et nous constatons que les accords commerciaux ont donné lieu à une déréglementation environnementale très importante au Canada. On a déréglementé le commerce et, de plus en plus, l'investissement, et cette déréglementation porte atteinte aux mesures de protection de l'environnement.

• 0910

Dans notre mémoire, je renvoie à quelques ouvrages ceux qui voudraient en savoir plus sur le démantèlement effarant des lois environnementales, en Ontario, depuis trois ans. Nous signalons également que les engagements pris dans le Livre rouge de 1993 quant à l'amélioration de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement et la Loi sur les espèces en péril ne se sont pas matérialisés à Ottawa. Bien entendu, nous sommes extrêmement inquiets par l'accord d'harmonisation de la semaine dernière que nous voyons comme un manquement de plus de la part du gouvernement fédéral à ses engagements vis-à-vis de la protection de l'environnement.

Quoi qu'il en soit, depuis que nous avons commencé à signer des accords commerciaux, en 1988, la déréglementation environnementale s'est poursuivie à un rythme rapide au Canada.

Dans le mémoire, je passe en revue certaines des dispositions dites de protection environnementale qui figurent dans ces accords commerciaux. Malheureusement, les groupes spéciaux semblables à ceux que mon collègue vient de décrire ont inévitablement, lorsqu'ils ont dû jouer le rôle d'arbitre entre des intérêts commerciaux et des intérêts environnementaux ou sanitaires, penché du côté des intérêts commerciaux. Les diverses dispositions prises pour protéger l'environnement dans les divers pays ont donc fait les frais de ces décisions des groupes spéciaux.

Le genre de stratégies qui sont utilisées dans les accords commerciaux et qui contribuent à la déréglementation sont résumées dans notre mémoire. Il y a l'article XX du GATT, qui représente une forme de protection et qui, s'il avait été interprété comme il aurait dû l'être, aurait pu intégrer la protection de l'environnement dans la libéralisation du commerce, n'a pas été interprété de cette façon.

Les accords ont également mené à une internationalisation et une harmonisation des normes qui ont produit des résultats très regrettables selon nous. Comme les directives de l'OCDE, par exemple, cela a conduit à remplacer les lois par des mesures volontaires.

Enfin, pour ce qui est de l'ALENA, il y a la protection des investisseurs que prévoit le chapitre 11. M. Shrybman a parlé de la procédure secrète qui permet aux investisseurs de réclamer des dommages importants au gouvernement en prétendant qu'un investissement a été exproprié. La définition de l'expropriation est si vague qu'à mon avis, pratiquement toute mesure gouvernementale qui réduit la marge bénéficiaire d'une société expose le gouvernement à des poursuites.

Nous savons que le gouvernement canadien fait l'objet d'une poursuite de 350 millions de dollars, entamée par Ethyl Corporation, à la suite de l'élimination du MMT dans l'essence à moteur. Dans notre mémoire, nous mentionnons également une autre poursuite sous le régime du chapitre 11 de l'ALENA. Cela se trouve à la page 6 du mémoire. La poursuite a été intentée par Metalclad. Elle porte également sur un problème environnemental. Metalclad, une société américaine d'élimination des déchets, poursuit l'État de San Luis Potosi, au Mexique, et exige 90 millions de dollars en dommages-intérêts parce qu'on lui a refusé la permission d'établir un site d'élimination des déchets qui aurait, de l'avis des scientifiques, pollué les sources locales d'approvisionnement en eau potable. Les commentateurs américains ont fait remarquer que les 90 millions de dollars exigés représentent plus que le total du revenu combiné de tous les habitants de la zone touchée.

Voilà à quels dangers nous nous exposons en matière d'expropriation et de poursuites par les États investisseurs.

En me servant de documents antérieurs de l'Association canadienne du droit de l'environnement sur le sujet, j'ai également indiqué dans le mémoire que le libellé des dispositions relatives à l'expropriation dans ces accords élargit énormément le champ de ce qui pourrait donner droit à une indemnisation au titre de l'expropriation en vertu des lois canadiennes. Il existe déjà une jurisprudence considérable à ce sujet. Par exemple, les modifications de zonage qui influent sur la valeur des propriétés donnent-elles le droit aux propriétaires touchés de réclamer une indemnisation? D'après le droit canadien, ce n'est pas le cas, mais sous le régime de ces accords, il pourrait en être tout autrement.

• 0915

Certains d'entre vous sont peut-être au courant de la position que le gouvernement de la Colombie-Britannique a adoptée à l'égard de l'AMI. Le mémoire qu'il a présenté l'automne dernier au Comité du commerce expliquait les conséquences de cet accord pour l'environnement et la gestion des ressources. En ce qui a trait aux droits d'expropriation sous le régime de l'AMI, le gouvernement de la Colombie-Britannique a signalé qu'il pourrait y avoir un problème, un problème qui d'après moi pourrait se poser dans tout le Canada; il pourrait s'agir, par exemple, du règlement de revendications autochtones à l'égard de l'aménagement du territoire pour lesquelles il serait nécessaire de rendre aux Autochtones des terres ou d'autres ressources, comme le poisson et les forêts, qui sont actuellement assujetties à une utilisation non autochtone— c'est-à-dire, à des investissements. Les investisseurs étrangers pourraient réclamer une indemnisation totale, aussi ténu ou préliminaire que soit leur investissement.

À mon avis, voilà un excellent exemple des problèmes que pose l'harmonisation internationale lorsqu'elle fait fi des différences historiques, sociales ou environnementales. De toute évidence, ce n'est pas aux pays européens de l'OCDE qu'il revient de décider des droits autochtones; ces droits peuvent néanmoins entraîner des problèmes concrets et urgents au Canada et dans d'autres pays où l'on trouve des populations autochtones.

Le gouvernement fédéral a tenté d'exempter de l'application de l'AMI ses obligations à l'égard des Autochtones et ce, en exprimant une réserve—une réserve dont le libellé, à mon avis, n'est pas très englobant. Reste à voir si cette exemption survivra aux négociations. On ne propose aucune protection des obligations des provinces. Voilà l'un des exemples bien canadiens des dangers que pose le chapitre sur l'expropriation.

Passons maintenant au libellé de l'AMI. Comme bien d'autres l'ont dit, on constate dans cet accord un manque frappant d'équilibre entre les droits et les protections consentis aux investisseurs commerciaux et l'absence de droits et de protection équivalents pour les citoyens ou l'environnement. Par exemple, l'accord ne contient aucune exception générale applicable aux objectifs environnementaux ou sociaux. Par contre, à la page 72 du texte actuel, on trouve des exceptions au titre des mesures de sécurité, de la non-prolifération des armes nucléaires, de la production d'armes ou de munitions, d'obligations au titre de la Charte des Nations Unies en vue du maintien de la paix et, à la page 76, des mesures prudentielles sont consenties en matière de services financiers pour protéger les investisseurs. Il semble que, dans cet accord, la production d'armes et de munitions soit suffisamment importante pour mériter une exception générale, contrairement aux objectifs environnementaux ou sociaux.

Pour ce qui est des dispositions en matière d'environnement, dont M. Gero a déjà parlé, je me contenterai de dire que, comme nous le savons tous, les préambules ne sont pas exécutoires. Les négociateurs de l'ALENA l'ont démontré très franchement, puisque c'est dans le préambule de cet accord qu'ils ont inscrit les mesures en matière d'environnement.

On trouve entre crochets certaines propositions de libellé qui auraient pour effet de conférer une exception en matière d'environnement à certaines prescriptions de résultats. À ce propos, les prescriptions de résultats contenues dans cet accord constituent un autre problème grave pour une vaste gamme de questions relatives à la politique publique, y compris dans le domaine de l'environnement. Dans la version actuelle de l'accord, il semble qu'il soit absolument interdit aux gouvernements d'imposer des règles ou des obligations de résultat à l'égard des investissements. Cela se trouve à la page 20 de l'ébauche actuelle. Les gouvernements ne peuvent lier les investissements dans leur pays à des exigences sur, par exemple, le contenu national de la production, l'achat de biens ou de services fournis sur son territoire, le transfert de technologie, l'embauche de travailleurs locaux ou les fonds locaux d'investissement. Dans une exemption proposée entre crochets, et de ce fait douteuse, on énonce certains motifs environnementaux pour lesquels des prescriptions de résultats seraient autorisées, mais celles-ci ne touchent que le contenu national et les achats sur le territoire. Sa portée est donc très limitée.

Si nous ne pouvons exiger l'embauche de travailleurs locaux et l'achat et le traitement de ressources locales, la tendance actuelle à épuiser de plus en plus rapidement les ressources naturelles et à exporter les emplois de transformation dans d'autres pays ne fera que s'accroître. Cet accord semble ouvrir davantage la voie à cette tendance.

Passons maintenant aux mesures sur le non-abaissement des normes, aux pages 49 et 50 de l'accord. Tout d'abord, ces mesures se trouvent entre crochets; leur libellé n'est pas définitif. Il semble tout au plus qu'il s'agit d'une reprise des mêmes mesures dans l'ALENA. L'article 1114 de l'ALENA est l'article le plus mal compris et le plus mal interprété de tout cet accord. Tous semblent dire, y compris le gouvernement du Canada, que le régime de l'ALENA interdit l'abaissement des normes pour attirer les investissements. C'est tout simplement faux. Tout ce que dit l'article 1114, c'est que les pays ne devraient pas abaisser leurs normes. Ce n'est pas une interdiction. Nous avons chez nous un exemple frappant, Mike Harris, qui démolit d'une part le cadre législatif de l'Ontario en matière d'environnement tout en invitant d'autre part les entreprises à venir s'établir dans sa province. Les deux vont de pair.

• 0920

Les mesures proposées de l'AMI quant au non-abaissement des normes ne sont pas plus rigoureuses que celles de l'ALENA. Il ne s'agit pas d'une interdiction et, à mon avis, ces mesures ne nous permettront de conserver nos normes.

Dans les quelques minutes qui me restent, je parlerai des négociations bilatérales. Le ministère des Affaires étrangères m'a fourni des renseignements très utiles sur les accords bilatéraux que le Canada a signés. Comme je l'ai dit, il y en a environ 60. La plupart se fondent sur un modèle dans lequel se trouvent les éléments essentiels de l'AMI. Il suffit d'ajouter à cela le chapitre de l'ALENA, qui régit environ les deux tiers de nos investissements étrangers directs, c'est-à-dire ceux qui viennent des États-Unis, et nous avons déjà un bon nombre d'accords du type de l'AMI. Il en est de même des autres pays de l'OCDE, surtout des principales puissances. L'Allemagne, qui a signé 109 accords bilatéraux, vient au premier rang, suivie de la France, qui en a 74, etc.—les chiffres sont élevés. Donc, comme M. Gero l'a dit, ces accords constituent un véritable réseau s'étendant à toutes les régions monde.

Dans notre mémoire, j'ai présenté des recommandations précises sur ce que devrait être la position du Canada à l'égard de l'AMI. Mais permettez-moi de vous signaler, au sujet de ces accords bilatéraux, à quel point notre gouvernement a engagé la politique canadienne dans de tels mécanismes, tout doucement, au cours des années. À ma connaissance, cette question n'a jamais été débattue publiquement. Je la classe dans la même catégorie que la plupart des conséquences négatives des accords de libre-échange, que les effets négatifs sur l'environnement. Je demande à votre comité de se donner à lui-même comme à nous une meilleure occasion d'examiner les méthodes d'élaboration des politiques commerciales de notre gouvernement à Genève, dans le cadre du GATT, à Bruxelles, au sein de l'OCDE, et partout au monde, puisqu'il semble ne pas y avoir au Canada d'examen externe de la politique commerciale.

Il en va tout autrement, par exemple, des négociations des diverses ententes environnementales internationales sous l'égide des Nations Unies, négociations que vous connaissez bien, j'en suis certaine. Vous avez participé aux délégations. Moi aussi, tout comme d'autres écologistes. Nous pouvons vraiment participer à ces négociations, et elles sont publiques. Les gens savent ce qui se fait. Ce n'est pas le cas de la politique commerciale. J'espère que nous pourrons ouvrir plus grand cette porte.

Merci.

Le président: Qui est le suivant?

Mme Robin Round (coordonnatrice de la campagne, Front commun sur l'OMC, Sierra Club du Canada): Merci de m'avoir invitée à venir vous rencontrer aujourd'hui.

Je vous ai amené trois documents ce matin: un mémoire que j'ai présenté au Sous-comité de l'investissement, un mémoire très utile préparé par Appleton and Associates, dans lequel on compare l'ALENA et l'AMI proposé, ainsi que le mémoire d'où je tirerai mes remarques d'aujourd'hui.

Comme vous le savez sans doute, mesdames et messieurs du comité, le Sierra Club du Canada est un organisme écologiste national administré par ses membres. Ses activités au Canada remontent à 1969. Sa tâche consiste à protéger l'intégrité de nos écosystèmes mondiaux. Notre travail porte sur l'éducation, la mobilisation du public, la recherche et la défense des droits.

• 0925

Le Sierra Club a créé le Front commun sur l'Organisation mondiale du commerce de concert avec l'Association canadienne du droit de l'environnement, le Congrès du travail du Canada, le Conseil des Canadiens, la West Coast Environmental Law Association et d'autres groupes.

Le Front commun réclame la justice sociale environnementale et le respect des droits démocratiques dans les dossiers liés au commerce international et réclame la pleine participation du public à l'élaboration des politiques commerciales nationales et multilatérales.

Le projet d'accord multilatéral sur l'investissement codifierait les droits des investisseurs et rendrait les gouvernements démocratiquement élus moins aptes à légiférer dans l'intérêt public. C'est un projet profondément antidémocratique qui bafoue les principes du développement durable.

Le Sierra Club du Canada se fait l'écho des vives préoccupations exprimées ici aujourd'hui par nos collègues, mais je limiterai mon propos aux questions touchant à la relation entre l'AMI et les gouvernements subnationaux et au rôle des gouvernements de pays non-membres de l'OCDE dans la négociation de cet accord.

Étant donné que les pouvoirs relatifs à la protection de l'environnement sont de plus en plus dévolus aux provinces et, dans un deuxième temps, aux municipalités, la protection de l'environnement au niveau subnational dans le contexte de l'AMI soulève des questions d'importance cruciale. Malheureusement, le gouvernement fédéral n'a pas défini clairement le rôle et les responsabilités des provinces et des municipalités dans le contexte de l'AMI.

Les fonctionnaires canadiens qui négocient l'AMI ont dit que l'accord ne s'applique pas aux gouvernements provinciaux tout en ajoutant qu'ils ont l'intention de reprendre les règles sur l'investissement contenues dans l'ALENA, et qui s'appliquent elles aux gouvernements provinciaux.

Lorsqu'il a déposé ses réserves en février 1997, le gouvernement fédéral a dit que l'application de l'accord aux provinces canadiennes dépendra de la mise en place d'un équilibre satisfaisant des droits et des obligations prévues dans l'AMI, ce qui donne à entendre que les provinces y seront assujetties dans un avenir qui reste à préciser.

Ces affirmations contradictoires sèment la confusion dans les esprits et ont amené le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international à réclamer d'urgence des précisions dans son rapport sur le Canada et l'AMI publié en décembre.

Dans ses recommandations, le comité semble tenir pour acquis que l'accord s'appliquera aux provinces et cela, du moins en partie, pour les raisons suivantes.

D'abord, l'AMI est censé s'appliquer aux terres, aux territoires, aux eaux internationales et aux mers territoriales de tout État contractant.

Ensuite, aucune des dispositions de l'avant-projet d'accord n'exclut la possibilité qu'il s'applique à tous les ordres de gouvernement, du gouvernement fédéral au gouvernement local. On ne retrouve dans l'AMI aucune procédure d'obtention du consentement des autres ordres de gouvernement. L'AMI ne fait aucunement mention des régimes constitutionnels impliquant un partage des compétences.

Enfin, les États-Unis et la communauté européenne ont tous deux précisé clairement qu'à leur avis, l'AMI s'applique aux gouvernements subnationaux. Le gouvernement fédéral des États-Unis craint que l'AMI empiète sur la souveraineté des États et des gouvernements locaux et a déposé des réserves qui exempteraient toutes les lois des États et des gouvernements locaux des dispositions de l'AMI relatives au traitement national, aux prescriptions de résultat de la nation la plus favorisée, à la haute direction et au conseil d'administration.

Même si ces dispositions ne garantissent pas une protection adéquate, étant donné les dispositions de l'AMI relatives au maintien du statu quo ou les engagements de démantèlement, elles constituent néanmoins une tentative de protéger toute une foule de lois des États qui assurent le juste équilibre entre le développement économique et la protection de l'environnement.

Dans son rapport, la Western Governors Association des États- Unis conclut que certaines lois environnementales adoptées par les États seraient contraires aux dispositions de l'AMI, y compris les lois qui tentent d'équilibrer le développement économique et la gestion des ressources, celles qui tentent de donner aux États la possibilité d'imposer des prescriptions de résultat afin de protéger les emplois dans l'environnement, de limiter les projets de développement sur les terres privées pour protéger les ressources naturelles et les valeurs environnementales, d'imposer des exigences de citoyenneté et de résidence à l'égard des terres publiques, et d'accorder des incitatifs fiscaux ou des subventions aux investissements dans l'achat de matériel de prévention et de contrôle de la pollution.

Bien qu'il soit concevable qu'un AMI soit conclu qui ne s'appliquerait qu'aux domaines de compétence fédérale, cela est fort peu probable pour les raisons énumérées ci-dessus et en raison des pouvoirs considérables dévolus aux gouvernements provinciaux en matière d'investissement.

Comme Michelle l'a dit, la Colombie-Britannique s'est prononcée contre ce projet d'accord. Lorsqu'il a comparu devant le sous-comité, le député provincial, Ian Waddell, a affirmé que l'AMI n'apporterait aucun avantage net aux habitants de la Colombie- Britannique. Il a dit que l'AMI imposerait des restrictions inacceptables à l'aptitude des gouvernements démocratiquement élus d'agir dans l'intérêt des citoyens et affaiblirait les pouvoirs légitimes des gouvernements de créer de nouveaux débouchés pour l'emploi et de protéger l'environnement et les intérêts des consommateurs.

L'Assemblée législative de l'Île-du-Prince-Édouard a adopté des résolutions priant le gouvernement du Canada d'imposer un moratoire à la ratification de l'AMI tant qu'il n'y aura pas eu d'audiences publiques sur le projet de traité à l'Île-du-Prince- Édouard et dans tout le pays afin que les habitants de l'île et les Canadiens aient la possibilité de faire connaître leurs opinions.

• 0930

L'Assemblée législative du Yukon a adopté une motion priant le gouvernement fédéral de cesser sa participation aux négociations sur l'AMI.

La fin de semaine dernière, le premier ministre Roy Romanow a dit lors de deux événements publics:

    Nous disons à Ottawa que les négociations sur l'AMI placeront le Canada dans un gilet de force. Nous n'accepterons pas le nivellement par le bas.

Étant donné ces témoignages, nous croyons fermement que les provinces et les municipalités canadiennes seront assujetties aux obligations et aux dispositions de l'AMI, malgré ce qu'on nous dit. L'ambiguïté du gouvernement fédéral lorsqu'il est question du rôle des gouvernements infranationaux ne doit pas être utilisée pour évacuer le débat, particulièrement en ce qui a trait à l'impact de l'AMI sur l'environnement. Une évaluation des incidences environnementales de l'AMI, y compris des répercussions dans des domaines de compétence infranationale, doit être faite avant que ne reprennent les négociations.

Mon deuxième commentaire touche au rôle des pays de l'OCDE dans l'AMI. Bien que les négociations se soient déroulées entre les pays membres de l'OCDE, l'AMI est censé être un accord mondial sur l'investissement. La Chambre de commerce internationale, dans la description qu'elle faisait en 1996 des principales dispositions de l'AMI, disait:

    Le gros des restrictions relatives à l'investissement étranger s'appliqueront à l'extérieur de la zone OCDE... Les entreprises doivent pouvoir compter sur un régime international qui inclura les économies à croissance rapide d'Asie, d'Europe centrale et orientale et de l'Amérique latine.

Voici la conclusion de la déclaration ministérielle de l'OCDE de mai 1997:

    Les ministres expriment leur détermination [...] à ouvrir un dialogue soutenu avec les pays non-membres [...]

Bien que les pays non-membres de l'OCDE semblent être visés par l'AMI, ils n'ont pas été invités à participer aux négociations. Ils seront invités à adhérer à un traité international qu'ils n'auront pas contribué à élaborer et qu'ils ne peuvent pas modifier. Le Canada ne devrait pas être partie à un accord qui n'aura pas été négocié par les pays qui y seront assujettis.

Les dispositions de l'AMI prévoyant l'abrogation des lois existantes afin que tous les secteurs soient ouverts aux investissements étrangers empêcheraient les pays en développement d'arrêter leurs propres priorités et de décider seuls du rythme de leur intégration à l'économie mondiale. Le Canada n'aurait jamais atteint le degré de développement économique qu'il connaît s'il n'avait pu imposer aux investisseurs étrangers des prescriptions de résultat destinées à protéger ses citoyens des effets négatifs de l'investissement et à renforcer les liens entre l'investissement étranger et les économies locales. L'AMI interdirait aux gouvernements méridionaux d'en faire autant. Faut-il s'étonner de voir que les pays en développement ont rejeté en 1996 la négociation d'un traité global sur l'investissement par l'entremise de l'OMC.

De nombreux pays en développement imposent actuellement des restrictions à l'investissement étranger dans les secteurs clés de leur économie. À titre d'exemple, citons les industries très polluantes à Taiwan, le traitement et l'évacuation de déchets toxiques ou radioactifs en Colombie, les forêts, la pêche, les mines et l'agriculture aux Philippines, l'achat de terres agricoles et de biens immobiliers en périphérie des réserves naturelles du Brésil, de Brunei et du Pakistan. Ce ne sont là que quelques exemples.

Les récents régimes de réglementation environnementale et une capacité limitée de les faire respecter seront menacés par les poursuites intentées par les grandes multinationales dont la puissance économique dépasse de beaucoup celle d'un grand nombre de pays en développement. Le chiffre d'affaires des huit plus grandes multinationales est supérieur au PIB des 50 pays les plus pauvres. Les pays en développement n'auront pas le luxe d'élaborer des législations environnementales sans d'abord évaluer la menace et les conséquences financières de contestations lancées par les entreprises en vertu de l'AMI.

En outre, les effets dévastateurs mondiaux de la crise en Asie du Sud-Est ont entraîné une mobilisation générale en faveur d'un resserrement des contrôles sur les flux d'investissements à court terme et non pas d'un traité mondial qui tendrait à les libéraliser encore plus. Le Canada doit évaluer les effets de contagion de la crise financière en Asie du Sud-Est et notamment de l'effondrement des marchés outre-mer sur lesquels étaient écoulées les exportations canadiennes au moment où il envisage de démanteler les obstacles à l'investissement étranger.

Nous croyons qu'il faut instaurer des règles internationales applicables aux investissements étrangers mais ces règles doivent permettre au gouvernement de s'acquitter de ses responsabilités et de réglementer l'investissement étranger de façon à permettre la réalisation des priorités nationales en matière de développement durable. L'AMI est beaucoup trop important pour qu'il soit mis en place sans qu'on ait au préalable fait un examen approfondi de toutes les questions touchant le développement durable, y compris les incidences de l'accord sur les pays en développement. Tant que cette évaluation n'aura pas été faite, le Canada devrait se retirer de toutes négociations relatives à l'AMI.

Étant donné le préoccupations décrites dans ce mémoire, nous demandons instamment au comité de recommander les mesures suivantes à la Chambre.

D'abord, le Canada doit entreprendre une évaluation indépendante et approfondie des incidences environnementales et sociales et des incidences relatives au développement de l'AMI, en garantissant par ailleurs la pleine participation du public à cette évaluation. Les négociateurs doivent être conscients de toute la gamme d'opinions sur l'impact de l'AMI sur les gouvernements national et infranationaux, sur les collectivités locales, sur les obligations existantes et sur l'emploi, ainsi que sur les lois nationales destinées à protéger l'environnement, la santé publique, les intérêts des consommateurs, les droits des travailleurs et les droits de la personne. Les Canadiens, les provinces et les municipalités doivent pouvoir participer à cette évaluation dans le cadre de consultations publiques à l'échelle nationale sur l'AMI.

• 0935

Voici notre deuxième recommandation: Les négociateurs canadiens doivent faire pression pour que l'échéance d'avril 1998 soit repoussée jusqu'à ce qu'on ait terminé l'évaluation des incidences de l'AMI. Si cette évaluation des incidences révèle que les coûts sociaux et environnementaux pour le Canada l'emportent sur les avantages au plan de l'investissement, le Canada devra se retirer des négociations.

Merci.

Le président: Merci, madame Robin.

Monsieur Martin, vous attendez patiemment votre tour. Vous avez la parole.

M. Dick Martin (secrétaire-trésorier, Congrès du travail du Canada): Merci, monsieur le président et membres du comité.

Je vais essayer d'éviter les redites. Au nom du Congrès du travail du Canada, j'appuie les propos de mes collègues. Un grand nombre des points qu'ils ont abordés sont repris ici.

Avant d'entrer dans le vif de mon propos, j'aimerais dire au président et aux membres du comité que nous prenons cette question très au sérieux. Bob White, président du Congrès du travail du Canada, est aussi président de la CSC, la Commission syndicale consultative auprès de l'OCDE. Il a rencontré tout dernièrement à Paris les représentants du gouvernement du Canada et d'autres gouvernements et des employeurs et il s'est entretenu avec eux de l'inclusion dans l'AMI des droits des travailleurs et des garanties environnementales.

Il nous a dit que les négociateurs canadiens semblaient plus disposés à repousser l'échéance, mais semblent croire que l'accord n'est pas à la veille d'être ratifié. Toutefois, nous n'osons croire que les milieux d'affaires seront ouverts à cette idée. Ils semblent parfaitement contents de dire qu'il serait inapproprié d'attirer les investisseurs en affaiblissant les normes d'hygiène, de sécurité et de protection environnementale. Or, ils se refusent à l'inclure dans le texte, acceptant tout simplement de dire qu'il devra y avoir des consultations obligatoires avec les parties touchées.

Comme on l'a dit ici, nous avons constaté que les consultations obligatoires prévues dans l'ALENA en ce qui a trait aux préoccupations environnementales et aux droits des travailleurs n'ont rien donné, que ce sont des paroles qui s'envolent. Nous ne cessons d'espérer que ces consultations aboutiront, mais pour l'instant, rien ne nous permet d'espérer des changements ou des améliorations en ce qui a trait à l'environnement ou aux droits des travailleurs en vertu de l'ALENA.

En plus d'être secrétaire-trésorier du Congrès du travail du Canada et président de notre comité sur l'environnement, je suis aussi président de l'Organisation interaméricaine du travail qui a son siège à Caracas au Venezuela et qui représente toutes les centrales syndicales, du moins 90 p. 100 d'entre elles, de cet hémisphère. Je peux vous dire qu'ils sont tout aussi inquiets que nous. Nous rencontrons les fonctionnaires du gouvernement, les présidents, les ministres du Commerce et d'autres, pour tenter d'obtenir que dans un éventuel accord de libre-échange des Amériques l'on tienne compte des préoccupations d'ordre environnemental aussi bien que des droits des travailleurs et des droits de la personne.

La semaine prochaine, nous devons rencontrer un certain nombre de dirigeants syndicaux et des représentants de la Banque de développement interaméricaine à Washington pour de nouveau présenter les arguments en faveur de l'inclusion dans tout futur accord commercial de mesures de protection pour l'environnement et les droits des travailleurs. Nous espérons pouvoir aussi rencontrer les représentants de l'Organisation des États américains pour défendre aussi cette position. Nous ferons partie d'une importante délégation d'ONG et de représentants syndicaux qui se rendra à Santiago au Chili pour défendre les droits de la personne, l'environnement et les droits des travailleurs advenant la mise en place de futurs accords commerciaux ou encore de l'AMI.

Nous croyons qu'à ce stade-ci, comme d'autres l'ont déjà dit, l'AMI, sous sa forme proposée, est simplement une Charte des libertés des grandes sociétés. Nous tenons aussi à répéter ce que d'autres ont dit: nous sommes absolument consternés que la société Ethyl puisse poursuivre le gouvernement du Canada relativement à l'interdiction d'importer et de faire le commerce interprovincial de l'additif neurotoxique MMT. Nous félicitons le gouvernement d'avoir adopté cette position, et maintenant on voudrait que collectivement, en tant que société, nous payions cette entreprise pour qu'elle rejette du poison dans notre atmosphère. C'est absolument scandaleux, incroyable.

• 0940

Aux termes de la procédure de l'État investisseur de l'AMI, un investisseur peut aller en arbitrage—comme l'a signalé Steve—et engager des poursuites contre une partie contractante, soit un gouvernement national, en prétextant une violation de l'AMI qui aurait causé des pertes ou des préjudices à son investissement. Ni les citoyens et travailleurs ordinaires touchés par cet investissement, ni les gouvernements nationaux ne peuvent engager des poursuites contre les investisseurs. Les citoyens ne peuvent pas non plus poursuivre les parties contractantes. En fait, cela va toujours à sens unique. Je serais ravi de bénéficier d'une clause comme celle-là dans une convention collective, si c'était possible. Mais je n'obtiendrais jamais cela. Je suppose que les employeurs eux-mêmes aimeraient beaucoup pouvoir en bénéficier, mais nous ne serions pas d'accord.

Je vais aborder maintenant les garanties environnementales qui, à notre avis, devraient figurer dans l'AMI.

Tout d'abord, il faut soustraire à l'application de l'AMI toute mesure prise par les gouvernements dans les domaines de la santé, la sécurité et la protection de l'environnement, y compris la conservation des ressources. Il faut que la formulation soit suffisamment rigoureuse et explicite pour protéger les politiques qui favorisent la propriété communautaire des terres et les droits de conservation des ressources locales, de même que les subventions, les allégements fiscaux et les privilèges d'investissement qui appuient les régimes locaux et régionaux de développement durable. Les accords multilatéraux sur l'environnement, devraient aussi être précisément exemptés. Cela limiterait automatiquement l'application de la règle sur l'expropriation et la portée des poursuites des investisseurs. Il faut aussi procéder à une analyse sérieuse des répercussions environnementales, comme l'ont fait valoir d'autres témoins qui ont comparu devant le comité.

Une mise en garde s'impose au sujet du rôle des AME dans l'AMI—ce n'est pas facile à dire. Nous recommandons que soient précisément exemptées des règles de l'AMI tous les traités internationaux en matière de santé, de protection de l'environnement et de conservation des ressources. Les arrangements des deux organismes internationaux concernés ne devraient figurer sur la liste des AME étant donné qu'il ne s'agit pas d'instances publiques démocratiques et responsables et que leurs arrangements n'exigent pas une ratification internationale avant de faire partie de facto du droit international. Autrement dit, ces arrangements sont négociés discrètement par des groupes d'intérêts particuliers et deviennent ensuite partie intégrante du droit international.

Nous pensons qu'un bon exemple est la Commission du Codex Alimentarius, qui, par voie de réglementation, assure l'innocuité des aliments contre, par exemple, les résidus de pesticide et les contaminants. La Commission du Codex Alimentarius est une instance à laquelle il ne convient pas de faire référence dans les accords internationaux. Le Codex n'est pas un organisme des Nations Unies, ni un organisme parrainé par les Nations Unies, du moins pour autant que nous le sachions, pas plus qu'il n'est parrainé par quiconque d'ailleurs. Cet organisme a simplement vu le jour et des gens sont intéressés à en faire partie. La Commission n'accueille pas de gouvernements nationaux, mais les délégations aux réunions ont un fort contingent de représentants du milieu des affaires, notamment des compagnies de produits chimiques, du secteur alimentaire et agroalimentaire, à tel point que parfois les gens d'affaires sont plus nombreux que les fonctionnaires. Quant aux organismes de défense de l'intérêt public, leurs représentants en sont pratiquement exclus. Chose certaine, nous ne sommes jamais invités à participer à ses réunions, pas plus qu'aucun de nos collègues. Mais vous pouvez être certains que les producteurs de produits chimiques y sont toujours les bienvenus.

L'un des principaux domaines d'activité de la Commission du Codex consiste à fixer les tolérances maximales de résidus, c'est-à-dire le pourcentage de résidus de pesticide autorisés dans les aliments. Il est admis que cet exercice n'est pas fondé sur des considérations scientifiques mais—cela va de soi—sur l'efficience de l'industrie agricole, autrement dit sur les profits en bout de ligne. Les limites maximales de résidus du Codex sont spécifiquement protégées dans l'ALENA et le GATT, en ce sens que si une partie adopte des normes du Codex, elle ne peut faire l'objet d'une contestation commerciale. Pourtant, les pays qui imposent des limites plus rigoureuses que le Codex doivent justifier cette initiative par des preuves scientifiques, comme les résultats d'une évaluation du risque. Encore là, cela va à sens unique.

En 1997, le Canada a perdu une cause devant un groupe d'experts du GATT-OMC au sujet des résidus d'hormones dans le boeuf. Le groupe d'experts a constaté qu'étant donné que les pays sont obligés de suivre les normes internationales où c'est possible, étant donné que le Codex était précisément inclus à titre de norme internationale, et étant donné que la norme européenne était plus stricte que le Codex, les interdictions européennes concernant le boeuf en provenance de l'Amérique du Nord n'étaient pas justifiées en droit international et devaient être abrogées. Voilà un exemple qui milite en faveur d'une exclusion explicite du Codex de l'application des règles commerciales. Il faut préciser explicitement que le Codex ne figure pas sur la liste des AME protégés.

La même chose vaut pour la politique et les normes de procédure de l'Organisation internationale de normalisation, l'ISO. Tout comme la Commission du Codex, il s'agit d'un organisme qui n'a de comptes à rendre à personne. En fait, il s'agit d'un organisme privé bénévole. Ses normes, comme ISO 9 000 sur la gestion de la qualité et ISO 14 000 sur la qualité de l'environnement, sont précisément protégées dans l'ALENA. Au GATT, on reconnaît des normes internationales comme celles de l'ISO et les parties doivent donc s'y conformer dans la mesure du possible.

• 0945

Manifestement, les gens d'affaires souhaitent que les normes de gestion de l'ISO remplacent les normes, mesures et règlements nationaux et veulent exclure ces derniers à titre d'obstacles indus au commerce. Ainsi, Stephen Van Houten, président de l'Alliance des fabricants et exportateurs du Canada, a récemment écrit dans un document que ce genre de normes facultatives devraient constituer un régime de réglementation qui remplacerait celui des gouvernements. M. Van Houten est président du Comité directeur de la stratégie de l'environnement de l'Association canadienne de normalisation.

Tout organisme international dont l'action est susceptible d'affaiblir les systèmes nationaux et la réglementation en matière d'environnement devrait être explicitement exclu de la liste des accords internationaux protégés.

Enfin, dans tous les cas unilatéraux non couverts par les AME qui ont été soumis à des groupes d'experts, la cause de l'environnement a toujours été perdue au profit de la liberté du commerce, comme l'a signalé Michelle Swenarchuk. Dans la mesure où les règles et les procédures de l'AMI s'alignent sur celles des régimes de libre-échange, les perspectives ne sont guère encourageantes pour la protection de l'environnement, même si l'on resserre les garanties environnementales. Tant que les causes seront tranchées en secret par des fonctionnaires chargés du commerce aux termes d'une jurisprudence et d'une procédure de règlement des différends inspirées des régimes de libre-échange, il y a fort à parier que l'intérêt de l'environnement sera subordonné à celui des libre-échangistes.

Des motifs convaincants nous amènent à dire que les garanties relatives à l'environnement dans l'AMI doivent être absolues, c'est-à-dire soustraites à toute mesure relevant des institutions, des groupes d'experts et des procédures de l'AMI. Et même cela ne sera pas suffisant si les causes concernant les investissements sont ensuite soumises à l'OMC comme sont toujours susceptibles de l'être les différends concernant les AME. La jurisprudence en ce qui concerne les causes environnementales à l'OMC s'est avérée inégale, arbitraire et imprévisible, sauf pour la quasi-certitude que la cause environnementale sera perdue pour un motif ou pour un autre. Aucun accord international n'est acceptable à moins de prévoir des garanties rigoureuses et exhaustives pour l'environnement.

J'invite le comité à se demander si la prémisse de l'accord ne va pas à l'encontre de la protection de l'environnement et du développement social. Au bout du compte, même le fait de soustraire les droits écologiques et humains à l'application d'un accord de libéralisation du marché ne sera pas suffisant pour protéger d'autres sociétés humaines ou encore l'environnement planétaire.

La position du gouvernement national semble être d'essayer d'obtenir des exceptions concernant la main-d'oeuvre et l'environnement et, peut-être, de restreindre la portée des règles d'expropriation. Si ce n'est pas possible, le gouvernement insistera peut-être pour que s'appliquent des réserves ayant pour effet de soustraire le Canada à l'application de certaines règles de l'AMI. Évidemment, cela étant sujet à la négociation, on risque de voir la position canadienne se diluer. En outre, ce qu'on pourra gagner grâce à ces réserves risque d'être perdu ailleurs car le Canada sera moins attrayant pour les investisseurs étrangers, étant donné que ces derniers auraient dans les autres pays de l'OCDE des droits qu'ils n'auraient pas au Canada. Monsieur le président, le problème n'est pas lié aux exceptions et aux réserves, mais bien à l'AMI lui-même.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Martin.

Dans votre déclaration liminaire, vous avez mentionné un document provenant de Paris. Vous serait-il possible de retrouver ce document? Si vous le trouvez, pourriez-vous le faire parvenir aux membres du comité?

M. Dick Martin: Certainement. En fait, nous venons juste de recevoir un rapport du secrétaire général de la Commission syndicale consultative. Je le lisais justement hier soir. Je le ferai parvenir aux membres du comité.

Le président: Merci.

Avant de commencer le premier tour de table, je tiens à signaler la présence dans la salle de l'ex-président de notre comité, l'honorable David Macdonald, parlementaire distingué et député qui a piloté d'excellents rapports au nom du comité. Ces rapports ont été déposés au Parlement entre 1988 et 1993. Le gouvernement de l'heure a fait la sourde oreille aux recommandations que renfermaient ces rapports, mais les électeurs ont toujours le dernier mot et ils savent se venger des gouvernements délinquants.

Voudriez-vous dire quelques mots à ce sujet? Bienvenue au comité.

L'honorable David Macdonald (témoignage à titre personnel): J'apprécie cette occasion de prendre la parole et je vous remercie. Le comité continue assurément de faire un travail important et excellent. Vous et moi avons siégé ensemble au comité pendant cinq ans.

Monsieur le président, ce que j'apprécie le plus, c'est qu'on continue de se servir des documents précédents comme paramètres dans le débat actuel, particulièrement en ce qui concerne l'atmosphère.

Je voulais simplement dire que je suis accompagné de quatre étudiants de l'Université Concordia qui étudient l'AMI. Ils sont venus entendre les témoins et écouter la discussion. Ils reviendront plus tard pour s'entretenir avec chacun des représentants des partis et fouiller le sujet plus en détails. Nous estimons que c'est une bonne expérience d'apprentissage pour eux que de voir comment s'élabore la politique gouvernementale. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion d'être des observateurs silencieux ici ce matin. Merci beaucoup.

• 0950

Le président: Merci. Je tiens à vous dire, David, que nous continuons à faire bon usage de votre rapport sur la Constitution et l'environnement. En fait, nous invitons certaines personnes à se faire un devoir de le lire ces jours-ci.

M. David Macdonald: Excellent.

Le président: Nous allons maintenant commencer la période de questions avec le représentant du Parti réformiste, M. Gilmour, suivi, je suppose, de M. Bigras et ensuite de Mme Kraft Sloan, de M. Lincoln et de quiconque lèvera la main. Monsieur Gilmour.

M. Bill Gilmour (Nanaimo—Alberni, Réf.): Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins dont les exposés pendant cette heure ont été des plus intéressants et informatifs.

Mes observations s'adressent à M. Gero. On a parlé du caractère secret de l'AMI. Au cours des élections, en juin, ce fut un enjeu important en Colombie-Britannique. Je sais que ce n'était pas un enjeu important en Ontario, mais dans l'Ouest, ce l'était, et cela continue de l'être. J'aimerais vous interroger au sujet du processus. En tant que parlementaires, nous devrions pouvoir prendre connaissance du document définitif et en discuter avant qu'il soit signé. Est-ce ainsi que les choses vont se passer?

M. John Gero: Je suppose... En fait, c'est le gouvernement qui déterminera le processus à suivre et, s'il décide d'adhérer à l'AMI, c'est lui qui établira la procédure parlementaire. Évidemment, il faudra aussi voir si des changements législatifs seront nécessaires à la suite de l'adoption de l'AMI. Quant à savoir selon quelles modalités le Parlement examinera la version définitive de l'AMI, le gouvernement n'a pas encore pris de décision et cette décision sera fonction des changements législatifs éventuels qui seront nécessaires à ce moment-là.

M. Bill Gilmour: Vous avez dit qu'il n'y aura pas de texte prêt à être signé en avril, mais que le gouvernement signera une lettre d'intention. Le train est donc d'ores et déjà sur les rails et il avance à toute vitesse. En tant que parlementaires—et j'espère que mes collègues ministériels sont du même avis... Nous n'avons pas eu l'occasion de prendre connaissance de l'accord. Comment pouvons-nous discuter d'une chose qui n'est même pas écrite sur papier? C'est insensé. Par conséquent, je vous le redemande, quel est le processus prévu?

Le président: C'est une question pour la période de questions, monsieur Gilmour. Je ne sais pas si M. Gero peut nous donner une réponse satisfaisante, mais s'il veut essayer, libre à lui.

M. John Gero: Monsieur le président, il existe évidemment un processus aux termes duquel le gouvernement devra obtenir l'approbation du Cabinet avant de signer quelque texte que ce soit. Tant que le gouvernement du Canada n'aura pas signé de texte à Paris, il ne prend aucun engagement découlant de ce texte. Par conséquent, tant que le gouvernement du Canada n'aura pas signé de texte, il n'est aucunement engagé.

Deuxièmement, il va de soi que le gouvernement du Canada devra aussi ratifier ce texte et la procédure qu'il suivra pour le faire dépendra dans une grande mesure des obligations découlant de l'accord et des changements législatifs qui s'imposeront. D'ailleurs, il en est ainsi pour la signature et la ratification de tout accord international.

M. Bill Gilmour: Manifestement, tout cela est très secret. C'est donc le ministère des Affaires étrangères qui se charge des négociations. Avez-vous reçu l'ordre de tenir ces négociations secrètes? Vous a-t-on dit de gérer cela de cette façon?

M. John Gero: Non, ce n'est pas du tout un processus secret. L'existence de l'AMI et des négociations connexes a été rendue publique au moment où l'on a décidé de négocier. Il est vrai qu'on n'y a guère prêté attention au cours des 18 mois des négociations. Il y a eu beaucoup plus de débats publics et d'intérêt pour le sujet au cours des neuf derniers mois environ. Dans ce contexte, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international accueille fort bien ce débat. D'ailleurs, le ministre du Commerce international accorde beaucoup d'importance au débat public.

• 0955

Bon nombre de comités de la Chambre ont consacré des séances à l'AMI. Il y a même eu des séances exhaustives du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, qui ont débouché sur un rapport. Nous avons régulièrement des consultations avec toutes les parties intéressées, y compris, si je ne m'abuse, tous les groupes autour de la table aujourd'hui.

D'ailleurs, au cours de six derniers mois des négociations et même avant, l'OCDE a mené des consultations régulières avec les syndicats et les milieux d'affaires, selon des formules de négociation convenues. Les représentants de l'OCDE ont aussi organisé une séance avec des ONG et à cette occasion, il y a eu des négociations entre les négociateurs et les représentants de ces ONG.

Par conséquent, j'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une négociation secrète.

Le président: Le Sous-comité des affaires étrangères, sous la présidence de Bob Speller, a déposé aux environs du 15 décembre un rapport auquel votre parti a contribué.

Mme Michelle Swenarchuk: Monsieur le président, je vous signale que si nous avons pu en discuter, c'est que le texte en question a fait l'objet d'une fuite. Il n'a jamais été fourni par le ministère des Affaires étrangères.

M. Bill Gilmour: Je conteste l'affirmation selon laquelle le processus est public. Que je sache, il n'y a pas eu de réunion dans l'Ouest du Canada, où c'est un enjeu important. Où sont les assemblées publiques? Où en a-t-on débattu? Y a-t-il une tribune qui permette aux gens d'exprimer leurs préoccupations? Les sujets de préoccupation sont nombreux. Écoutez-vous?

M. John Gero: Absolument. Il y a eu un certain nombre de discussions dans l'Ouest également, discussions auxquelles le négociateur, M. Diamond, a participé. C'était des discussions publiques sur l'AMI.

Le président: Merci. Monsieur Bigras, suivi de Mme Kraft Sloan.

[Français]

M. Bernard Bigras (Rosemont, BQ): Moi aussi, je remercie les témoins de nous avoir fait part de certains renseignements ce matin. À la lumière de ce dont vous venez de nous faire part, il est clair que cet accord aura des incidences sur le plan environnemental.

Je voudrais avoir une précision. La directrice générale de l'Association canadienne du droit de l'environnement nous a fait part globalement des conséquences des accords de commerce internationaux sur les lois nationales sur la protection de l'environnement. Les accords entraînent l'affaiblissement de ces lois. Au Comité des affaires étrangères, elle a eu l'occasion de donner un exemple très précis, soit la décision rendue en août 1997 par le groupe spécial de l'Organisation mondiale du commerce et du GATT concernant les hormones de croissance bovine. J'ai lu le rapport du sous-comité, mais il n'y avait là que quelques lignes à ce sujet. J'aimerais avoir des précisions sur l'impact environnemental des accords.

Mme Michelle Swenarchuk: Je vais vous répondre en anglais.

[Traduction]

C'est une cause qui a été tranchée à l'Organisation mondiale du commerce, tout d'abord à la fin août et ensuite sur appel. Le Canada a déposé une plainte aux frais de l'OMC contre l'interdiction de la Communauté européenne appliquée aux résidus d'hormones dans le boeuf, ce qui en fait est et continue d'être une interdiction concernant le boeuf du Canada. Les États-Unis ont déposé une plainte identique.

La décision de l'OMC compte environ 300 pages. Un groupe d'experts a examiné le processus aux termes duquel la Communauté européenne avait imposé son moratoire sur les résidus d'hormones, moratoire qui avait précédé l'accord du GATT de 1994. Pour diverses raisons, on a appliqué le chapitre sanitaire et phytosanitaire du GATT et on a décidé qu'étant donné le libellé de ce chapitre du GATT, la nécessité de procéder à une évaluation du risque pour établir des normes et le fait que la norme du Codex Alimentarius différait de la norme européenne, les Européens ne pouvaient maintenir leur interdiction concernant les résidus d'hormones dans le boeuf. Le Canada a donc remporté sa cause. Les normes de santé ont été affaiblies.

• 1000

L'affaire a ensuite fait l'objet d'un appel. La décision du tribunal d'appel n'est pas disponible pour des gens comme moi. Elle est peut-être au ministère des Affaires étrangères. Comme nous nous y attendions, la décision de l'OMC a été maintenue, mais il y a eu une discussion plus approfondie sur les motifs. Peut-être que le ministère des Affaires étrangères peut nous renseigner. Je crois savoir également que la Communauté européenne n'est pas disposée tout simplement à abandonner sa norme immédiatement, de sorte qu'il y aura sans doute d'autres consultations politiques.

À ma connaissance, c'est la première fois qu'une norme de santé est abrogée par l'OMC. Il y a eu d'autres normes liées à l'environnement.

Le président: Madame Kraft Sloan, suivie de M. Charbonneau, M. Jordan et M. Duncan.

Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Les témoins ont signalé des problèmes en ce qui concerne les gouvernements infranationaux, soit les gouvernements provinciaux et municipaux. D'après ce que j'ai compris, on ne sait pas exactement quel sera leur statut par rapport à l'AMI.

Si l'on prend le terme «fédéral» par rapport au terme «national», je me demande quelles seront les conséquences étant donné que nous venons tout juste de signer un accord d'harmonisation avec les provinces qui prévoit la création d'un organisme chargé d'instaurer un système de normes environnementales nationales. Si les provinces participent à cet exercice, deviennent-elles sujettes aux dispositions de l'AMI? Quelle est la différence entre «fédéral» et «national» et cette différence est-elle reconnue à l'échelle internationale dans le cadre de cet accord?

M. Steven Shrybman: Vous posez deux questions et je répondrai à chacune d'elles.

Nous pensons que l'AMI s'appliquera aux gouvernements infranationaux. D'ailleurs, la documentation de l'OCDE disponible sur son propre site Web le mentionne. C'est aussi la position de l'Union européenne et des États-Unis. Personne ne semble contester l'application de l'AMI aux gouvernements infranationaux, même si le Canada semble essayer de réserver les provinces comme monnaie d'échange. Nous supposons que cela entrera en jeu à un moment donné au cours du processus de négociation. Mais aucune partie à cette négociation ne semble douter de l'application de cet accord aux gouvernements infranationaux.

Pour ce qui est de votre deuxième question au sujet du CCME—à savoir s'agit-il d'une institution nationale ou d'une institution des gouvernements infranationaux—, nous pensons qu'on considérera qu'elle relève d'un gouvernement national. Par conséquent, elle sera certes assujettie aux règles de l'AMI, que ces dernières s'appliquent aux gouvernements infranationaux ou non—et nous pensons qu'elles s'y appliqueront—, mais aussi aux règles de l'OMC. À notre avis, les engagements que le Canada a pris dans le contexte de la négociation de cet accord d'harmonisation avec les provinces sont irréconciliables avec les engagements qu'il a pris à l'OMC. D'ailleurs, nous avons déjà soulevé cette question devant le comité à une autre occasion.

Le président: Monsieur Charbonneau, suivi de M. Lincoln, que j'avais oublié, de M. Jordan, M. Duncan et ensuite, du président.

[Français]

M. Yvon Charbonneau (Anjou—Rivière-des-Prairies, Lib.): Au cours des derniers mois, nous avons, comme parlementaires, été saisis de nombreux points de vue sur l'Accord multilatéral sur l'investissement. Je voudrais, comme parlementaire, me faire l'écho de nombreuses lettres qui ont été envoyées à différents parlementaires avec copie à tous les autres, des lettres de personnes bien renseignées et bien documentées qui s'inquiètent de la portée de cet accord ou du caractère secret des négociations entourant cet accord.

Nous avons aussi reçu quantité de représentations de différentes organisations, dont le Congrès du travail du Canada, qui est venu devant nous ce matin, la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, le Conseil des Canadiens, etc.

• 1005

Je voudrais demander au représentant du ministère quelle est son appréciation de la recommandation 13 du rapport de décembre 1997 du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. On y dit, en parlant du Canada:

    Il devrait, pour parer aux inquiétudes des Canadiens concernant le maintien et l'adoption de normes environnementales efficaces, libeller l'accord en des termes vigoureux et non équivoques [...]. Rien dans l'AMI, à l'exclusion du traitement national des dispositions de non-discrimination, ne devrait empiéter sur la capacité de tous les paliers de gouvernement au Canada de prendre de nouvelles mesures pour protéger l'environnement et promouvoir un développement durable.

On parle ici de «tous les paliers de gouvernement» et non pas seulement du gouvernement central.

Deuxièmement, j'aimerais savoir quelle est votre réponse à la première proposition faite ce matin par le Sierra Club:

[Traduction]

    Le Canada devrait entreprendre une évaluation indépendante et exhaustive de l'incidence de l'AMI sur l'environnement, la société et le développement, avec la participation pleine et entière de la population [...] Des audiences publiques nationales sur l'AMI devraient être organisées pour permettre aux Canadiens et aux autorités provinciales et municipales de participer à cette évaluation.

[Français]

J'aimerais avoir votre réponse à ces deux suggestions.

[Traduction]

Le président: Monsieur Gero.

M. John Gero: Merci, monsieur le président.

Le gouvernement répondra officiellement aux recommandations du comité, mais permettez-moi de vous rappeler les propos qu'a tenus le ministre devant le comité. Il a dit:

    Au sujet des normes relatives à l'environnement et à la main- d'oeuvre, je tiens à dire clairement que le gouvernement n'acceptera jamais un accord qui limiterait sa capacité de protéger l'environnement ou de maintenir les normes de travail élevées qu'il juge bon d'appliquer. Nous insistons également pour que le libellé de l'accord soit suffisamment vigoureux pour ne pas inciter les' autres pays à abaisser leurs normes pour attirer des investissements.

Le ministre a exprimé très clairement devant le comité la position de son gouvernement et il va de soi que le gouvernement fournira une réponse officielle aux recommandations du comité.

Comme vous le savez, une évaluation environnementale sera faite, comme c'est le cas pour tous les accords internationaux. À ce stade-ci, je ne peux vous dire quel sera le processus retenu. Évidemment, il faut connaître la teneur de l'accord avant de pouvoir l'évaluer sérieusement du point de vue de l'environnement.

Si vous me permettez d'aborder une autre question, je dirais qu'il y a eu une certaine confusion au sujet du rôle des provinces et des responsabilités fédérales-provinciales. Le gouvernement est d'avis pour le moment que cet accord ne vise pas les gouvernements provinciaux. C'est sa position.

Cependant, il se peut qu'au terme de la négociation et de la consultation avec les provinces, l'on décide que les gouvernements provinciaux seront visés par cet accord. Cette décision n'a pas encore été prise. Chose certaine, si c'est le cas, si les gouvernements provinciaux sont visés, ils seront soumis aux mêmes exceptions et aux mêmes réserves que le gouvernement fédéral. Sur ce point, pour ce qui est de l'environnement et du travail, chose certaine, comme le ministre l'a dit, il s'agit de compétences conjointes au Canada, et nous consultons très activement les provinces à cet égard.

Merci, monsieur le président.

[Français]

M. Yvon Charbonneau: Monsieur le président, permettez-moi de poser une question au représentant du ministre. Les Canadiens et les Canadiennes ainsi que les organisations que j'ai mentionnées sont préoccupés par cette question. De quelle façon seront-ils assurés que les textes que va signer un jour le gouvernement canadien correspondront aux énoncés d'intention du ministre, que vous nous avez rappelés? Comment pourrons-nous nous assurer que ces énoncés seront traduits de manière concrète dans les textes avant que ces derniers ne soient signés?

[Traduction]

M. John Gero: Eh bien, si je puis dire, nous sommes en consultation constante avec tous les groupes qui se trouvent réunis ici aujourd'hui. Il y a eu plusieurs discussions avec bon nombre de ces organisations, dont le CTC. Nous demeurons disposés à tenir de nouvelles consultations à cet égard. Nous voulons nous assurer ainsi, au fur et à mesure que les choses évolueront dans les trois ou quatre mois à venir, qu'ils seront satisfaits des positions que le gouvernement du Canada prendra et a prises.

Mme Michelle Swenarchuk: Sauf votre respect, monsieur le président, M. Gero ne sait peut-être pas que cette affirmation est simplement inexacte de notre point de vue. Nous avons eu l'occasion de déjeuner avec M. Dymond à Paris lors de la consultation OCDE-ONG. Et c'est la seule consultation que nous avons eue avec le gouvernement.

• 1010

Deuxièmement, en réponse à votre question, monsieur, je dois dire que les Canadiens ne devraient nullement être rassurés par le libellé de l'accord que l'on propose étant donné que l'on n'offre pas de protection suffisante. Absolument pas. Il existe dans le GATT un libellé plus protecteur, une exception générale, c'est une protection meilleure que ce qu'on propose ici, et l'on n'offre aucune protection pour ce qui est des lois environnementales. Donc, en toute honnêteté, nous devons dire aux Canadiens qu'il n'y a rien ici qui protégera l'environnement.

Ce que nous avons proposé au comité—et je tiens à le répéter aujourd'hui—c'est une exclusion énoncée dans les termes les plus généraux. D'autres ont fait les mêmes propositions. À savoir, une exception rédigée en termes très vagues qui soustrait à l'accord toutes les politiques relatives à l'environnement et à la gestion des ressources, qui sont essentielles à la protection environnementale ici. Ce serait un début. Mais notre gouvernement n'a rien proposé de ce genre.

Le président: Monsieur Lincoln.

M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.): Ayant lu les mémoires des syndicats et des groupes écologiques que nous recevons aujourd'hui, monsieur Gero, je vois émerger quelques idées centrales. Je vais vous demander ce que vous en pensez.

Êtes-vous d'accord avec eux pour ce qui concerne les articles sur le traitement national et la prescription de résultats? Pour ne prendre que ces deux exemples, en vertu de ces articles aujourd'hui, si l'AMI était adopté, nous perdrions le droit à la gestion des ressources; on resserrerait les exigences pour certains permis ou certaines licences ou certains avantages qui seraient consentis à un citoyen canadien pour la protection de l'environnement ou du territoire; il serait beaucoup plus difficile, sinon impossible, de consentir des subventions pour ces mêmes raisons; on limiterait la disposition sur le contenu canadien ainsi que la disposition favorisant l'embauche locale. Est-ce ainsi que vous interprétez le libellé actuel de l'AMI?

M. John Gero: Monsieur le président, je pense que le ministre s'est exprimé clairement sur un bon nombre de ces questions. Par exemple, il a dit clairement que le gouvernement du Canada s'oppose totalement à la prescription de résultats pour ce qui est de l'embauche locale. Chose certaine, le gouvernement canadien continue de s'opposer à ces exigences.

Il y a peut-être encore des textes de l'AMI qui sont à l'état d'ébauche, mais il a dit clairement qu'étant donné que le Canada ne croit pas que ces mesures préservent la faculté que nous avons d'adopter les normes en matière d'environnement ou de travail que nous jugeons nécessaires, le Canada n'adhérera pas à cet accord. Il a fait une déclaration officielle en ce sens. Il est vrai que le texte de l'accord évolue. Il y a encore certaines dispositions à cet égard—entre crochets bien sûr—et nous avons exprimé notre opposition à cet égard.

M. Clifford Lincoln: Ce que vous dites, c'est que toutes les réserves qui ont été exprimées par les groupes écologistes relativement aux incidences énormes qu'auraient les dispositions concernant le traitement national et la prescription de résultats sur la protection de l'environnement et des droits sur les ressources ne trouveraient aucun écho, et si l'on conservait ces mêmes dispositions, l'accord ne serait pas ratifié. Voilà ce que j'ai compris.

M. John Gero: Il faudrait considérer chaque disposition isolément, monsieur le président, mais je crois de manière générale que pour certaines réserves qui ont été exprimées et au sujet desquelles nous avons procédé à des consultations, il n'y a pas beaucoup de différence entre la positon du gouvernement du Canada et celle des groupes écologistes.

M. Clifford Lincoln: Chose certaine, ce n'est pas ce qu'ils semblent dire.

J'ai une dernière question concernant la protection des investisseurs. Êtes-vous d'accord, oui ou non, avec les groupes que nous avons entendus aujourd'hui et qui disent que les règles d'expropriation en vertu de l'AMI et également bien sûr de l'ALENA et de toutes les dispositions de l'OMC représentent en réalité un changement considérable dans le fonctionnement de notre système au Canada, dans la mesure où nos tribunaux n'auront plus compétence pour se prononcer, et l'opinion publique non plus, et dans la mesure où le processus d'information du public sera supplanté par tous ces groupes spéciaux secrets et inconnus de l'OMC, de l'AMI et de l'ALENA, ce qui donnera un avantage formidable à des entreprises comme Ethyl Corporation, Metalclad et d'autres, qui vont contester sans cesse nos positions concernant la protection légitime de l'environnement.

• 1015

M. John Gero: Ce n'est pas ce que nous pensons. En vertu du droit canadien, bien sûr, toute entreprise, canadienne ou étrangère, peut adresser une requête à un tribunal canadien si elle croit que le gouvernement l'a traitée injustement. Cette possibilité existe en vertu du droit canadien.

Il est vrai que le système d'arbitrage international est différent, mais en substance, de notre point de vue, il devrait exercer sa compétence dans le même contexte.

Les textes sur l'expropriation existent en droit international depuis plus de 100 ans, il n'y a donc rien de nouveau dans ce contexte. Du point de vue du gouvernement canadien, personne n'ira dire que les gouvernements canadiens traitent injustement les entreprises.

M. Clifford Lincoln: Je n'ai pas dit ça du tout. Je parlais justement du contraire. Affirmez-vous que la Ethyl Corporation pourra se faire entendre aussi bien par un groupe spécial de l'ALENA si elle allègue qu'elle est victime d'expropriation et d'un préjudice, que par un tribunal canadien? Êtes-vous en train de nous dire que les deux sont pareils?

M. John Gero: Monsieur le président, je ne suis pas avocat, et de toute évidence, il faudrait effectuer une certaine analyse juridique pour comprendre les objections que la Ethyl Corporation ferait valoir devant un groupe d'arbitrage de l'ALENA et un tribunal canadien. Je ne suis pas en mesure de vous donner ici un avis juridique complet.

Le président: Monsieur Jordan.

M. Joe Jordan (Leeds—Grenville, Lib.): Merci, monsieur le président. Je veux seulement faire une observation sur ce que M. Gilmour a dit à propos du caractère secret du processus de négociation de l'AMI.

Au cours de ma campagne—et je me considère comme un mordu de la politique et un homme informé—on m'a posé une question lors d'un débat au sujet de L'AMI, et je me suis creusé les méninges en me demandant si nous avions oublié des prisonniers au Vietnam, parce que je n'avais pas la moindre idée de ce dont il s'agissait. Et je ne pense pas que j'étais le seul à m'interroger. Donc cet enjeu a commencé à émerger, mais je suis loin de croire qu'on a eu à ce sujet le débat public et la consultation que cette question mérite.

Je veux seulement faire une observation sur l'avenir que l'on réserve à notre pays et les conséquences de la ratification d'un tel texte.

Quand je considère la poursuite de la Ethyl Corporation et l'interdiction du MMT, ou les poursuites juridiques contre une région du pays qui n'aimait pas que l'on ouvre un dépotoir qui polluerait la nappe phréatique, ce ne sont pas là à mon avis les réactions extrémistes d'un gouvernement qui prend des mesures pour protéger l'environnement. Si ces litiges sont soumis aux groupes spéciaux internationaux chargés de régler les différends, à tort ou à raison, je pense qu'on a évoqué le risque de ce type de poursuite juridique qui pourrait vraiment inhiber le pouvoir réglementaire du gouvernement, sachant que les ressources financières sont limitées, et qu'au bout du compte, cela ressemblerait à une partie de poker... Si je peux doubler ma mise chaque fois que je perds, je vous dis, je vais finir par gagner.

Donc, quelles que soient les justifications de ces entreprises et leur chance de réussite devant les tribunaux, il n'en demeure pas moins qu'on les empêche d'agir.

Mais disons que notre pays se réveille un beau matin et qu'il décide que la croissance économique à tous crins n'a fait aucun bien à l'environnement, n'a fait aucun bien à la société, et ne nous a fait aucun bien essentiellement comme pays. Je ne dis pas que c'est vrai ou faux, mais disons que ça arrive. Étant donné les contestations juridiques de ce qui constitue à mon avis des règlements gouvernementaux qui ne sont pas extrémistes et qui tombent même sous le sens, est-ce que le gouvernement pourrait décider que l'autosuffisance est l'objectif à atteindre et qu'il ne prendra pas part au commerce international de crainte d'en dépendre à l'avenir? La réglementation gouvernementale, va-t-elle se heurter de plus en plus souvent à cet accord au fur et à mesure qu'elle se répand? Je me rends bien compte que ma question est un peu théorique, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Si notre pays décide—et je crois honnêtement qu'il devrait décider en ce sens—que nous nous dirigeons à toute vapeur dans la mauvaise direction et que nous voulons corriger certaines erreurs, si nous privilégions le statu quo ici, allons-nous compliquer nos problèmes étant donné la nature et l'étendue de cet accord?

• 1020

M. Dick Martin: Permettez-moi de répondre à votre dernière question. Je pense que nous nous passons l'anneau dans le nez. C'est de plus en plus le cas. Je ne veux pas rappeler ici toutes les batailles de l'ALE, mais c'était la préoccupation que nous exprimions dans le temps. Nous l'avons réitérée lors du débat sur l'ALENA. Nous avons maintenant une plus longue expérience de l'ALENA, du moins c'est mon cas pour ce qui concerne les accords parallèles sur le travail, et nous constatons que ces accords parallèles sont inopérants, on n'aboutit qu'à des parlottes, comme je l'ai dit. On voit aussi la même chose du côté de l'environnement.

Notre lecture de l'AMI, tel qu'il est libellé en ce moment, nous donne à croire qu'une fois de plus, on nous interdira, essentiellement, de proposer, comme vous dites, des lois raisonnables visant à protéger l'environnement et les citoyens. Nous savons que la rédaction de l'AMI n'est pas terminée, mais ce que nous voyons ici et ce que l'on propose va très loin, et nos gouvernements ne pourront plus que percevoir des impôts et contrôler l'armée, et tout le reste sera soumis à des normes volontaires.

Voilà pourquoi nous y avons fait allusion, dans notre mémoire, où nous parlons de ces organisations à caractère volontaire qui ne sont pas gouvernementales, qui ne sont pas mandatées par les Nations Unies, qui ne sont pas mandatées par l'OMT, qui ne sont pas mandatées par des organismes internationaux reconnus, mais qui surgissent spontanément et arrêtent des règles qui nous touchent tous et qui se retrouvent ensuite dans un accord comme l'AMI, et notre organisation n'a eu aucune influence sur sa rédaction, et très franchement, les parlementaires non plus.

Je ne veux pas perdre mon temps à imaginer des complots parce que c'est parfois un peu trop facile. Mais il y a des moments où l'on peut aisément prétendre que c'est quelqu'un d'autre qui tire les ficelles. Je pense qu'il appartient à tout gouvernement... Chose certaine, comme Canadien, je pense qu'il appartient à notre gouvernement de protéger la faculté que nous avons de prendre des décisions qui profitent à tous les Canadiens de manière générale et non pas seulement aux investisseurs multinationaux.

Nous avons adressé des mémoires à d'autres comités parlementaires. Dire que c'est l'investissement qui passe avant tout, désolé, je ne suis pas d'accord, ce sont les gens qui passent avant tout.

M. Steven Shrybman: Côté pratique, si l'on adhère à l'AMI, on y adhère pour très longtemps. Si le Canada décide de s'en retirer, il devra donner un avis de cinq ans aux autres parties contractantes. En vertu de l'ALENA, cet avis n'est que de six mois. À compter de ce moment-là, les investisseurs qui ont un intérêt dans le pays—et il s'agit ici de n'importe quel investisseur qui possède une action dans une entreprise qui fait affaire ici—ont le droit de conserver cette protection pour 15 ans de plus. Voilà pourquoi les gens disent qu'il faudra 20 ans pour en sortir.

Ronald Reagan disait que l'Accord de libre-échange avec les États-Unis était la constitution économique de l'Amérique du Nord. Le directeur général de l'OMC a dit la même chose récemment au sujet de l'OMC. Il s'agit de constitutions économiques qui limitent les prérogatives de la souveraineté. Les tenants de ces initiatives s'entendent là-dessus. Voilà pourquoi ces régimes ont pour but d'imposer à jamais ces politiques.

Vous avez parlé de la production autarcique, si l'on décide par exemple d'avoir une production agricole autarcique, d'écourter la distance entre le jardin et la table parce que cela diminuera notre consommation énergétique, parce que cela favorisera la sécurité alimentaire de notre pays—eh bien, toutes ces politiques entrent essentiellement en contradiction avec la volonté de globaliser la production agroalimentaire et tout le reste dans le monde.

Nous sommes donc vulnérables à des contestations de plusieurs manières dans le cadre de ces régimes. Il est impossible de réconcilier les deux. Et l'on vise ici à enchâsser un paradigme très dominant qui est un carcan, de l'avis de nombreux écologistes, et l'on veut que ce carcan soit immuable, et les gouvernements futurs—qui, nous l'espérons, constateront un jour qu'ils se sont engagés dans une voie insoutenable—ne pourront pas changer le cours des choses.

Le président: Monsieur Duncan.

M. John Duncan (Île de Vancouver-Nord, Réf.): Merci, monsieur le président.

D'abord, je tiens simplement à dire qu'à mon avis, le gouvernement s'efforce de tenir le public à l'écart de tout ce débat. Ce n'est pas une question que je pose là, je dis simplement la forte impression que j'ai.

• 1025

Au sujet de ce document, monsieur Gero: Je me demande si vous avez eu l'occasion... Nous avons reçu un document d'Appleton & Associates, avocats internationaux. Il y a une série d'affirmations dans ce texte qui ont trait aux différences entre l'AMI et l'ALENA. Ces affirmations vont droit au coeur d'un grand nombre de questions que les gens se posent au sujet de ce qu'ils savent jusqu'à présent de l'AMI. J'aimerais que l'on discute de certaines de ces affirmations.

Par exemple, l'application de l'AMI aux gouvernements provinciaux, territoriaux, locaux et autochtones: vous avez dit que, de l'avis du gouvernement du Canada, les gouvernements provinciaux ne sont pas nécessairement visés par cet accord. Puis- je vous poser la même question au sujet des gouvernements territoriaux, locaux, municipaux et autochtones? C'est ma première question: est-ce que l'AMI s'applique à ces gouvernements?

M. John Gero: Oui, dans mon esprit, le mot «provincial» désigne tous les gouvernements infranationaux. Pour le moment, les règles de l'AMI, dans la mesure où le gouvernement du Canada est concerné, ne s'appliquent qu'au gouvernement fédéral.

M. John Duncan: Si j'ai posé cette question, c'est entre autres parce qu'il y a divergence dans les opinions juridiques à ce sujet, comme c'est souvent le cas pour n'importe quoi. Par exemple, en ce moment, la Cour suprême du Canada discute de la question de savoir si, sur le plan constitutionnel, il existe un troisième ordre de gouvernement au Canada, à savoir le gouvernement autochtone. Depuis 130 ans, le Canada soutient qu'il n'existe que deux ordres de gouvernement.

Plus loin dans le texte, si l'on exclut les provinces, on exclut en fait beaucoup de monde, il est donc absolument essentiel de savoir si l'AMI s'applique aux gouvernements provinciaux ou non. Si ce n'est pas le cas, est-ce qu'il n'y a pas moyen de dire expressément dans l'AMI que ce texte ne s'applique pas aux gouvernements provinciaux?

M. John Gero: Je devrai vérifier le libellé exact, mais si j'ai bien compris la réserve que le gouvernement canadien a fait valoir dans la négociation de l'AMI, on dit clairement que ce texte ne s'appliquera qu'au gouvernement fédéral.

M. John Duncan: Ce qui m'amène à ma question suivante. Le texte préliminaire de l'AMI dont l'on discute souvent en public est déjà dépassé. Votre ministère dispose-t-il des textes les plus récents, et la liste des exclusions et exemptions que le Canada a proposées à l'OCDE est-elle également accessible au public?

M. John Gero: Je crois savoir que le ministre a communiqué la liste complète des exceptions et réserves du Canada au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Le président: Monsieur Duncan, on me dit qu'on les retrouve sur le site web.

M. John Duncan: D'accord. Il s'agit donc de savoir maintenant si votre ministère peut nous communiquer la liste des exemptions et exclusions qu'ont réclamées les autres pays qui participent à la négociation de cet accord?

M. John Gero: Je crois que certaines de ces listes ont été rendues publiques, mais il appartient à chaque gouvernement de décider si sa liste d'exceptions sera communiquée au public. Mais je crois savoir que certaines de ces listes ont en fait été rendues publiques. Je ne suis pas sûr si c'est le cas pour toutes ces listes.

• 1030

M. John Duncan: Merci.

J'ai une autre question. Vous avez dit que vous n'êtes pas avocat. J'ai également entendu dire que si la loi canadienne qui a interdit l'utilisation du MMT avait été conçue en fonction de critères scientifiques plutôt que politiques, la Ethyl Corporation n'aurait pas pu intenter de poursuites. Votre ministère est-il également de cet avis?

M. John Gero: Désolé, je ne connais pas assez bien les détails de cette affaire pour vous donner une réponse complète.

M. Steven Shrybman: Monsieur le président, je pense que la réponse est évidente. Même si nous avions eu les meilleures raisons au monde sur le plan de la santé—disons qu'on parle de cigarettes maintenant—le fait que cette interdiction tenait à des motifs authentiques relativement à la santé n'aurait eu aucune influence, pour ce qui est des dispositions de ce régime ou de l'ALENA, sur la poursuite intentée par la société Ethyl.

Ces dispositions disent qu'à moins qu'il n'y ait un objectif légitime en matière de politique gouvernementale, on ne peut rien faire. Mais même s'il existe un objectif légitime en matière de politique gouvernementale—un objectif relatif à la santé, par exemple—, on demeure obligé d'indemniser une société si des biens sont saisis. Donc, les termes relatifs à l'environnement que l'on retrouve dans cette ébauche, qui ne vaut pas grand-chose à mon avis, ne s'appliquent pas du tout à première vue à la clause d'expropriation. Disons-le clairement.

Le président: Monsieur Duncan, une dernière question.

M. John Duncan: Il me reste maintenant à demander à M. Gero s'il veut bien demander à son ministère de se prononcer sur le litige de la Ethyl Corporation et sur la question des gouvernements provinciaux que j'ai soulevée ici.

M. John Gero: Monsieur le président, je pense que la situation pour les provinces est très claire. Je ne peux rien vous promettre pour ce qui est de la Ethyl parce que l'affaire est bien sûr en litige, et je ne suis pas sûr de ce que je peux communiquer ou non au comité.

Le président: C'est une question importante. Monsieur Duncan, vous obtiendrez peut-être satisfaction en adressant la question sous forme de lettre au ministre de la Justice, et vous verrez la réponse qu'il vous fera. C'est le ministère qui est actuellement responsable de ce dossier.

Monsieur Finlay, suivi par M. Laliberte et moi-même. Le second tour commencera après.

M. John Finlay (Oxford, Lib.): Monsieur le président, je dirai d'abord que c'est un plaisir que d'être ici ce matin à titre de membre substitut de ce comité qui étudie cette question importante, et comme toujours, j'admire votre compétence.

J'ai quelques observations. La première fait suite à ce que M. Gilmour et mon collègue M. Jordan ont dit au sujet de la consultation publique et de l'AMI. Ou bien le gouvernement ne fait pas bien son travail ou alors ce sont les journaux qui travaillent mal—parce que c'est trop technique pour eux—ou que sais-je encore. Je tiens à vous dire, monsieur Gero, que j'ai parlé il y a une semaine à six messieurs qui se trouvaient dans mon bureau et je leur ai demandé ce qu'ils pensaient de l'AMI. Il s'agissait de six hommes d'affaires. Ils m'ont regardé avec de gros points d'interrogation dans les yeux, et la discussion s'est arrêtée là. Le grand public, le milieu des affaires, etc., ignorent ce que c'est.

Vous avez dit, je crois, monsieur Gero, qu'il nous faut conclure un accord avant de pouvoir procéder à une évaluation d'un risque environnemental en vertu de cet accord. Ne mettons-nous pas la charrue avant les boeufs? Il me semble que nous devrions avoir une certaine idée du risque environnemental que nous prenons avant de rédiger ces dispositions, et chose certaine, avant d'y adhérer. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Une autre chose qui m'inquiète beaucoup, c'est que tout au long de nos travaux jusqu'à présent—et je suis membre de ce comité depuis près de deux ans—, il me semble que nous avons suivi, ou tenté de suivre, la suggestion de Margaret Mead selon laquelle, en matière d'environnement, on doit penser globalement et agir localement. Mais si nous ne réfléchissons pas plus à cet AMI, nous nous ferons flouer parce quÂon ne pense qu'au risque de la planète et très peu à ce qui se passe au niveau local.

Le Canada est une nation favorisée et une fédération. Peut-être que ce dernier terme est nouveau pour certains de nos partenaires mondiaux, mais cela sous-entend une responsabilité qui va du palier national jusqu'au palier local en passant par le palier provincial, et vice versa. Bon nombre de dirigeants locaux s'attendent du gouvernement fédéral qu'il s'occupe des dossiers internationaux dans l'intérêt de tous.

• 1035

Il y aura une assemblée publique dans ma circonscription la semaine prochaine. D'après ce que j'ai entendu ce matin, monsieur le président, ce n'est pas trop tôt. Je vais encourager mes électeurs à y participer.

Je suis très déçu par ce que j'ai entendu ce matin sur la façon dont nous menons ces négociations. D'abord, ne devrions-nous pas évaluer les risques? Deuxièmement, ne devrions-nous pas aussi être plus attentifs aux voeux des provinces, des collectivités et des gens plutôt qu'aux grandes sociétés internationales?

M. John Gero: Je voudrais faire quelques remarques.

Nous tentons de parler avec le plus grand nombre de Canadiens possible au sujet de l'AMI. Étant moi-même au centre de ce dossier, il est difficile pour moi de croire qu'il y a encore des gens qui n'ont jamais entendu parler de l'AMI, mais il y en a. Vous avez raison de dire qu'un grand nombre de Canadiens n'y ont pas prêté attention ou ne s'intéressent pas à l'AMI.

Deuxièmement, nous tentons de mener les consultations les plus vastes possible auprès de tous les intéressés. Mme Swenarchuk a raison de dire que notre dernière rencontre remonte à octobre dernier. Mais, nous avons eu des réunions avec le CTC, le Sierra Club et l'Institut international de développement durable en janvier, et le processus de consultation des Canadiens intéressés se poursuit. Nous sommes disposés à rencontrer quiconque souhaite discuter de cet accord avec nous.

Il est aussi vrai que, pour le ministre, il est essentiel que les Canadiens connaissent le contenu de l'accord, et c'est pourquoi il a suggéré que le Comité des affaires étrangères et du commerce international tienne des audiences exhaustives sur ce sujet et qu'il dépose un rapport auquel le gouvernement répondra. C'est de ma faute si tous les Canadiens ne sont pas encore au courant de l'AMI, mais nous tentons désespérément de communiquer avec le plus grand nombre de Canadiens possible et d'écouter leurs points de vue.

Le président: Monsieur Gero, j'ai l'impression qu'à la fin de cette rencontre, M. Dymond vous devra plus qu'une caisse de bière.

Monsieur Laliberte, vous avez la parole.

M. Rick Laliberte (Rivière Churchill, NPD): Merci.

Vous dites être au centre de ce dossier. Moi, je dirais plutôt que vous êtes dans l'oeil du cyclone et que, de cet endroit, vous ne voyez pas la tempête que vous créez. Au Canada, une tempête fait rage autour de vous concernant les questions de souveraineté et de protection de l'environnement. Mais comme vous êtes au coeur de la tempête, vous n'en êtes pas conscients, vous n'êtes pas touchés. Mais lorsque vous aurez signé cet accord, nous devrons en assumer les conséquences, nous les Canadiens, et transmettre cet héritage à nos enfants.

Du point de vue historique, la dernière fois que cela s'est passé en Amérique du Nord, c'est probablement lorsque, en application de la théorie de la destinée manifeste, les investisseurs et ceux qui s'installaient sur cette terre ont établi une relation entre eux. C'est précisément ce que font les investisseurs en l'occurrence: ils établissent la relation entre eux sans égard à ceux qui en sont touchés.

On a demandé, et c'est une question pertinente, pourquoi le Canada ne se retirerait-il pas des dispositions de l'accord portant sur l'environnement et la gestion des ressources? Pourquoi n'êtes- vous pas plus exigeants sur ces questions? Qui protégez-vous, l'industrie canadienne? Les grands secteurs qui seront probablement touchés sont ceux des forêts et des mines. Les autres secteurs auront aussi des normes à respecter, mais ce sont surtout les forêts et les mines qui sont touchés.

• 1040

M. John Gero: Je ne peux que répéter ce qu'a dit le ministre au Comité des affaires étrangères et du commerce international, à savoir qu'il n'acceptera jamais un accord qui limiterait notre capacité de protéger l'environnement. Je ne peux être plus précis que ne l'a été le ministre à ce sujet. Il est au courant des questions qui sont soulevées et c'est là l'engagement qu'il a pris devant votre comité.

M. Rick Laliberte: Ni le ministre ni le négociateur n'envisagent de retirer le Canada de l'application de ces dispositions de l'AMI. Nous, nous appuierions une résolution en ce sens.

Par ailleurs, notre pays étant une fédération, les gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux sont tous liés au gouvernement fédéral. Il y a percolation des responsabilités. Peu importe les mesures qu'adopteront les gouvernements provinciaux à l'avenir, cette définition ou cette terminologie, du point de vue juridique, devra s'appliquer à ces multinationales, même si elles veulent s'opposer à notre volonté nationale.

M. John Gero: Il y a une distinction entre les lois des provinces et les lois fédérales dans le contexte international et en droit international. Si le gouvernement canadien accepte des obligations qui limitent les pouvoirs du gouvernement fédéral mais pas ceux des gouvernements provinciaux, il y a une différence.

Dans ce contexte, il reste à déterminer comment cela peut se faire. Le ministre a bien indiqué qu'il ne signera aucun accord qui réduirait la capacité du gouvernement à protéger l'environnement.

M. Rick Laliberte: C'est une affaire de politique lorsque vous remettez en question les paroles de ceux qui négocient au nom de leur pays; cela ne nous plaît pas.

Le président: Merci.

Nous avons discuté de l'aspect politique, et vous aurez probablement une autre occasion de le faire, monsieur Laliberte.

Avant de commencer le deuxième tour de questions, permettez- moi de poser deux courtes questions de nature technique.

J'aimerais savoir, monsieur Gero, si votre ministère a mené une étude sur l'efficacité des accords parallèles de l'ALENA sur la protection de la main-d'oeuvre et de l'environnement, à la lumière de ce que vous êtes sur le point d'entreprendre, afin de déterminer si des ententes parallèles à l'AMI en matière de travail et d'environnement seraient aussi efficaces. A-t-on étudié ce sujet et, dans l'affirmative, qu'a-t-on conclu jusqu'à présent?

Ceux d'entre nous qui ont des contacts avec la Commission de l'environnement à Montréal ainsi que la Commission du travail à Washington ont l'impression que ces accords parallèles n'ont pas vraiment permis de réaliser les objectifs pour lesquels on les a créés.

M. John Gero: Je ne suis pas au courant que l'on ait mené des études de ce genre, mais je vais vérifier s'il y a eu des études, privées ou publiques, dans ce domaine.

Le président: Cela nous serait utile.

Ma deuxième question est hypothétique. Si le Canada décidait de ne pas signer cet accord, que perdrait-il? Nous avons une excellente réputation en matière d'investissements étrangers; nous continuerions d'attirer des investissements étrangers pour toutes sortes de raisons qu'il serait trop long de décrire ici mais que nous connaissons tous. En outre, on continuerait d'accueillir les investissements canadiens comme autrefois, pour à peu près les mêmes raisons. Qu'avons-nous à perdre en refusant de signer?

M. John Gero: Votre question en soulève plusieurs autres.

Étant une puissance moyenne, le Canada a toujours été d'avis qu'il lui était avantageux de faire partie de l'environnement fondé sur des règles internationales plutôt qu'une situation où la force prime le droit et où on utilise ses pouvoirs économiques pour en arriver à des ententes négociées.

• 1045

Depuis plusieurs dizaines d'années, nous appuyons le concept selon lequel un environnement fondé sur des règles internationales est préférable pour notre croissance économique au système du «justicier», si je peux l'appeler ainsi. C'est la première question.

Deuxièmement, il y a deux autres aspects. Premièrement, les capitaux étrangers investis au Canada permettent la création d'emplois et la croissance au Canada; de même, dans l'environnement contemporain, les investissements faits à l'étranger ont les mêmes effets. En quoi le fait de signer ou de ne pas signer l'AMI, changera-t-il cela? Tout indique que les investisseurs jouissent d'un certain niveau de protection dans certains pays qu'ils n'ont pas dans d'autres. C'est un des facteurs qui déterminent le choix de l'endroit où on fera des investissements. Il est difficile de dire dans quelle mesure ça pèse dans la balance, mais il est probable que cela compte.

De même, du point de vue canadien, nous avons signé des ententes bilatérales sur la protection des investissements étrangers, par exemple, parce que les Canadiens nous ont dit qu'ils voulaient investir dans le pays X ou Y et qu'ils voulaient que ces investissements soient protégés. Ils savent que, ailleurs, le système juridique n'est pas toujours aussi bon que le système canadien et ils comptent sur ces ententes bilatérales pour protéger leurs investissements dans ces pays. Pour ces raisons, autant pour les investissements étrangers faits au Canada que pour les investissements canadiens faits à l'étranger, la création d'un système fondé sur des règles est avantageuse.

Le président: Il y a un an, certains d'entre nous ont fait des démarches auprès de M. Dymond pour faire exempter l'eau, parce que, dans une centaine d'années, il se pourrait que des investisseurs étrangers tentent de modifier le cours des rivières, comme on l'a proposé il y a une quinzaine d'années, au profit d'autres pays et au détriment du Canada. A-t-on parlé de l'eau? Dans l'affirmative, figurera-t-elle sur la liste des exemptions?

M. John Gero: Le gouvernement du Canada juge que l'AMI ne traite pas du tout de l'eau puisque cet accord ne traite pas du commerce des biens ou des services. Ainsi, on n'y aborde pas la question d'interdire les exportations. Ce n'est donc pas un problème à notre avis, puisque l'AMI ne traite pas du tout de l'eau.

Le président: Merci, monsieur Gero.

Les intervenants suivants seront MM. Gilmour, Jordan, Lincoln et Bigras. Monsieur Gilmour, je vous prie.

M. Bill Gilmour: Merci, monsieur le président.

J'aimerais examiner plus attentivement la question des exemptions provinciales. Ce n'est pas clair pour moi. Des témoins nous ont dit que la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Yukon et l'Île-du-Prince-Édouard ont différentes préoccupations concernant l'AMI. Je suis d'accord avec M. Laliberte pour dire que ce sont les ressources naturelles qui seront les plus touchées, les forêts, les mines, le gaz et le pétrole. Or, les forêts, les mines, le gaz et le pétrole relèvent tous des provinces aux termes de la Constitution. Comment peut-on exempter les provinces puisque, par définition, elles seront les plus directement touchées?

J'ai bien du mal à croire que les provinces ne sont pas parties à cet accord. Elles le sont, puisqu'elles sont responsables des ressources naturelles en vertu de la Constitution. Peut-être pourriez-vous m'expliquer tout cela.

M. John Gero: Les gouvernements provinciaux sont parties à l'entente seulement dans la mesure où, au moment de signer l'accord, le Canada stipule qu'elle s'applique aux provinces. Si le gouvernement canadien s'engage à assujettir uniquement les activités du gouvernement fédéral à cette entente, les obligations prévues dans celle-ci ne s'appliqueront pas aux gouvernements provinciaux.

Deuxièmement, si, au terme des consultations, les gouvernements provinciaux et fédéral concluent que l'accord devrait aussi s'appliquer aux provinces, on peut présumer que les exemptions et accords sur mesure qui s'appliquent actuellement au gouvernement fédéral s'appliqueraient aussi aux provinces, que ce soit dans les domaines des services sociaux, de la santé ou autres.

Pour l'instant, le gouvernement du Canada n'engage que la responsabilité du gouvernement fédéral s'il signe cet accord. S'il changeait de position—parce que nous sommes en consultation constante avec les provinces—et si, au bout du compte, l'AMI s'applique autant au gouvernement fédéral qu'aux provinces, les préoccupations que vous avez exprimées à l'égard du palier fédéral concernant la nécessité de prévoir certaines réserves et exceptions devraient se refléter dans l'AMI, tout comme elles l'ont été dans l'ALENA. L'ALENA s'appliquent aux gouvernements provinciaux, même s'il prévoit des exceptions au chapitre des investissements qui visent, manifestement, les mesures prises par les gouvernements provinciaux.

• 1050

M. Bill Gilmour: J'ai une brève question, monsieur le président.

Prenons l'exemple des forêts dans ma province de la Colombie- Britannique. En Colombie-Britannique, l'AMI ne soulève pas l'enthousiasme. Je doute fort qu'elle accepte de signer cet accord. Supposons toutefois que le Canada signe l'AMI. Puis, on exproprie une terre à bois pour régler une revendication territoriale ou pour autre chose, et une entreprise américaine intente des poursuites.

Voulez-vous dire que le gouvernement fédéral paierait alors la note parce que la Colombie-Britannique n'a pas signé l'accord? Il me semble que la province est partie à l'accord puisqu'elle est responsable des forêts.

M. John Gero: Je dis seulement que, si le gouvernement fédéral a contracté des obligations pour le gouvernement fédéral seulement et que le gouvernement de la Colombie-Britannique exproprie une propriété, on n'aurait aucun recours contre le gouvernement de la Colombie-Britannique aux termes de l'AMI.

Je vous donne un exemple. Il existe un accord de l'OMC sur les marchés publics aux termes duquel le gouvernement fédéral s'est engagé à voir à ce que certaines entités fédérales fassent leurs achats de façon non discriminatoire. Par conséquent, si une de ces entités fédérales adopte des pratiques d'achat discriminatoires, nous pourrions devoir comparaître devant un groupe spécial de l'OMC pour avoir violé cette entente.

Cet accord ne s'applique toutefois pas aux provinces. Par conséquent, si une entité provinciale continue ses pratiques discriminatoires, rien ne l'oblige à y mettre fin et on ne pourrait invoquer l'accord de l'OMC pour contester ces pratiques sous prétexte que le gouvernement fédéral a contracté des obligations à cet égard.

Il y a donc une distinction très claire entre les mesures prises par le gouvernement fédéral et les mesures prises par les gouvernements provinciaux. Dans la mesure où le gouvernement fédéral ne contracte pas d'obligations qui ont une incidence sur les provinces, comme ça été le cas pour l'Accord sur les marchés publics, aucun autre pays ne peut dire au gouvernement canadien: «Attendez un instant; le ministère des Forêts de la Colombie- Britannique s'est rendu coupable de discrimination lorsqu'il a acheté de l'équipement forestier; vous avez contracté des obligations à ce chapitre, elles doivent s'appliquer à la Colombie- Britannique». Ce n'est pas ainsi que les dispositions s'appliqueront.

M. Steven Shrybman: Monsieur le président, je me dois de protester. J'estime que le ministère a adopté une position malhonnête concernant l'inclusion des gouvernements infranationaux, les provinces.

Les États-Unis ont clairement indiqué que les gouvernements infranationaux sont aussi liés. La CEE a adopté la même position, tout comme l'OCDE. J'estime que le Canada se sert des provinces comme d'une monnaie d'échange. Il est irréaliste de croire que tout accord qui sera conclu ne s'appliquera qu'au gouvernement du Canada si seul ce gouvernement dit aux autres membres de l'OCDE que, en ce qui concerne la plus grande crainte du pays, en ce qui concerne les investissements étrangers, les provinces sont exclues.

Le gouvernement fédéral continue de prétendre que les provinces sont exclues, sachant que la situation changera peut-être radicalement à la dernière minute, lorsqu'il sera trop tard pour exercer des pressions ou pour engager le pays dans un débat sur les conséquences de ce régime pour les provinces; c'est au mieux une attitude de sainte nitouche et au pire une tentative délibérée d'induire les Canadiens en erreur afin qu'ils ne participent pas d'une façon significative au débat que le ministère prétend vouloir encourager.

M. John Gero: Malheureusement, je n'ai pas une boule de cristal. Et je ne peux vous dire si les provinces seront visées par cet accord. Tout ce que je peux vous dire, c'est que si les provinces sont parties à l'accord, elles appliqueront le même genre de mesures, que celles—ci soient fédérales ou provinciales. Par conséquent, le débat actuel sur l'application de l'AMI aux mesures fédérales sera le même en ce qui concerne les mesures provinciales.

Ainsi, le ministre s'est engagé à ne pas signer d'accord qui influerait sur notre capacité à protéger l'environnement; je présume que les gouvernements provinciaux adopteraient les mêmes conditions. Si l'AMI s'appliquait aux provinces aussi, je présume qu'elles souhaiteraient être aussi exemptées de mesures limitant leur capacité à protéger l'environnement.

Le président: Monsieur Jordan, je vous prie.

• 1055

M. Joe Jordan: J'aimerais revenir sur un point. L'inclusion des provinces est un aspect important, si fondamental qu'il ne faut pas le négliger. Il en a été de même lors du débat sur l'harmonisation. On constate que les provinces ont parfois tendance à préférer les intérêts économiques à court terme au détriment de la protection à long terme de l'environnement. C'est bien beau de dire que les mêmes règles s'appliqueront aux provinces, mais cela ne signifie pas qu'elles adopteront le même point de vue.

En ce qui concerne la déclaration du ministre sur la «menace à l'environnement», elle me semble vulnérable à deux égards: premièrement, il est clair que la seule menace de l'arbitrage entre des investisseurs et un État suffit à influer sur les actes d'un gouvernement. Cela m'apparaît comme une véritable menace.

Deuxièmement, et je crois que le CTC en a parlé, même si vous prévoyez une entente sur mesure pour l'environnement, il faut aussi tenir compte d'un large contexte où l'inertie règne. Un accord parallèle, officiel ou non, sera lié à cette entente. C'est comme attacher son canot de sauvetage à un navire pensant que, si le navire coule, on pourra monter dans le canot. Cela n'aura aucune incidence sur les normes que nous adopterons ou appliquerons.

Mme Michelle Swenarchuk: Il n'y a pas d'accords parallèles à l'AMI. C'est dans l'accord ou ça ne l'est pas. Il n'est nullement question d'adopter des accords parallèles.

M. Joe Jordan: Mais il y a les accords parallèles à l'ALENA...

Le président: Excusez-moi, mais n'a-t-on pas proposé des accords parallèles?

Mme Michelle Swenarchuk: Non.

Le président: Non? Je suis désolé.

M. Joe Jordan: Ce que je voulais dire, c'est que si vous croyez que cela réglera le problème, à mon avis, ce n'est pas le cas.

Une question particulière pour la représentante de l'Association canadienne du droit de l'environnement. Supposons que le Canada décide d'adopter une loi sur la bonne gestion à vie des produits. Nous dirons alors aux entreprises qui font des articles qui ne sont pas fabriqués au Canada, de sorte que l'idée qu'on peut traiter équitablement tous les investisseurs ne peut s'appliquer... Disons qu'il s'agit de téléviseurs et qu'il ne s'en fabrique pas au Canada. Si nous comptons adopter une loi qui dit au fabricant que, lorsque la télévision brise, il devra assumer les coûts de récupération et d'élimination du téléviseur, cette disposition ne va-t-elle pas à l'encontre de cet accord? Pourrons-nous faire ce genre de choses?

M. Steven Shrybman: En guise de réponse, je dirais que cela serait plus difficile en vertu de l'accord de l'OMC sur les obstacles techniques au commerce, même si les sociétés, bien sûr, pourraient faire valoir que toute contrainte à leur capacité de mener leurs opérations ici constitue en effet une expropriation de leurs possibilités d'affaires et donc ouvre droit à une compensation en vertu de ces règles.

Pendant que j'ai la parole... Le ministre encore une fois... Il est fâchant d'entendre toutes ces assurances de la part du MAECI, assurances que j'estime être vraiment de nature à induire en erreur. Si le ministre a dit qu'il ne signerait pas d'accord qui nuise, de quelque façon que ce soit, à notre capacité de poursuivre des initiatives environnementales, le Canada n'a pas émis de réserve, ou du moins il ne nous en a pas fait part, et le texte de l'accord n'exprime aucune limite des rôles d'expropriation en vertu de ce régime dans le but de protéger l'environnement. Concernant la question qui constitue le meilleur exemple de la façon dont ces règles contredisent les buts écologiques, il n'y a aucune proposition en vue d'améliorer les dispositions de ces règles d'expropriation. Il est donc injuste de dire aux Canadiens que le gouvernement ne signera pas d'accord qui risque d'être contraire aux prérogatives écologiques, puisque tous les renseignements que nous avons obtenus à propos de ce régime nous indiquent que le Canada est content de ces règles d'expropriation et n'a pas émis de réserve à leur sujet.

Le président: Monsieur Lincoln.

M. Clifford Lincoln: J'aimerais d'abord faire une petite déclaration pour le compte rendu à propos de cet accord et son exposition médiatique. Monsieur le président, vous vous rappelez sans doute que nous avons appris l'existence de cette question tout à coup dans un article du Globe and Mail ou du Toronto Star, je crois, et nous avons commencé à poser des questions. Nous avons demandé au ministre à cette époque de comparaître devant le comité. Il y avait si peu de parlementaires qui étaient même un peu au courant de la situation, y compris nous-mêmes à ce moment-là, que seulement deux personnes sont venues; il y avait toute une panoplie de bureaucrates—huit ou dix personnes—et chose importante, il n'y avait personne du ministère de l'Environnement.

• 1100

J'ai questionné des hauts fonctionnaires du ministère de l'Environnement qui ne savaient même pas à ce moment-là ce que signifiait l'AMI. Je sais qu'il y a au moins un ministre qui ne savait pas ce que c'était à cette époque.

Très peu de gens savaient, et vous et moi avons appris à cette réunion à laquelle nous avons assisté que des négociations étaient en cours depuis 15 ou 18 mois. À ma connaissance, aucun parlementaire n'était au courant, encore moins la population canadienne.

Je crois donc que ces négociations se poursuivent en catimini depuis très, très longtemps; nous avons perdu le match il y a long. J'ai lu des déclarations du ministre actuel, qui disent qu'il ne va tourner le dos aux négociations à cause des préoccupations des écologistes ou d'autres questions, qu'il faut continuer à chercher une entente, et que cela semble être un fait accompli. Quand j'entends aujourd'hui que nous allons peut-être signer quelque chose en avril, cela me dérange beaucoup parce que la population et les provinces n'ont pas eu l'occasion d'en discuter en profondeur. Quand vous voyez tous les gros problèmes que cet accord causera pour notre pays, je pense que c'est très mauvais.

Je ne vais pas mettre M. Gero sur la sellette. J'ai beaucoup de sympathie pour lui; il n'est pas politicien et il doit soutenir le poids de toutes ces questions, etc., et je crois que c'est injuste.

J'aimerais demander aux autres témoins, parce que je crois que c'était Gordon Gibson, si je ne m'abuse, qui a dit dans un article que si nous nous retirions des négociations sur l'AMI aujourd'hui et si nous refusions de signer, nous pourrions tout de même continuer à faire des investissements à l'étranger et recevoir des investissements de l'extérieur.

Les autres témoins ont dû examiner cette question, parce qu'ils ont dit dans leur présentation, quand ils parlaient des exemptions possibles, que même si nous cherchions une exemption...

J'ai deux questions à poser. Tout d'abord, peut-on améliorer cet accord dans son état actuel? Deuxièmement, si nous laissons tomber, nous en porterons-nous beaucoup plus mal?

Mme Michelle Swenarchuk: Tout d'abord, non, je ne crois pas qu'on puisse l'améliorer. Je crois qu'il a été conçu de façon très intelligente et très globale dans le but d'atteindre certains objectifs et d'accorder certaines protections aux investisseurs au détriment d'une vaste gamme d'objectifs sociaux et écologiques.

Deuxièmement, nous en porterons-nous plus mal? Comme d'autres l'ont déjà souligné au Comité sur le commerce, le chapitre sur l'investissement de l'ALENA, cet accord canado-américain, ne semble pas avoir aidé le Canada au niveau de l'investissement américain étranger. À vrai dire, notre part d'investissement étranger américain a diminué depuis que ce chapitre est en vigueur. Il n'y a donc aucune garantie, aucune preuve, qui puisse nous porter à croire que la signature de cet accord rendra le Canada plus appétissant pour les investisseurs étrangers. Étant donné que les deux tiers de nos investissements de l'étranger nous viennent des États-Unis et que le chapitre correspondant de l'ALENA ne nous a pas valu ce genre de résultat, pourquoi présumer que cet accord-ci aurait alors cette conséquence?

Cet accord ne ferait sentir ses effets qu'au niveau de ce dernier tiers et il me semble que le résultat net en serait de donner aux investisseurs européens et japonais les mêmes droits, au Canada, que nous avons déjà accordés aux investisseurs américains. Je ne vois pas ce que le Canada y gagne.

Nous devons pousser un peu plus loin et reconnaître que le Canada est en train soit de signer soit de négocier des accords semblables avec beaucoup d'autres pays, presque une soixantaine, à l'heure actuelle, et nous devrions aussi nous pencher là-dessus. La plupart de ces pays sont soit de l'Europe orientale ou de l'hémisphère sud. Je crois que c'est surtout le capital canadien qui y trouvera son compte. Je ne crois pas que le citoyen canadien ordinaire y trouve son compte du tout.

M. Dick Martin: J'aimerais revenir sur ce que disait M. Lincoln, mais d'une autre façon.

Lorsqu'on étudie la question, il s'agit beaucoup moins de la protection d'investisseurs étrangers sur la scène internationale, ce qui est le but avoué, que d'un outil qui servira à s'attaquer à nos programmes en matière de relations de travail, de droits de la personne, d'environnement et de tout le reste.

Où se trouve donc le danger pour l'investisseur d'aujourd'hui? Je ne connais pas beaucoup de gouvernements actuels qui s'embarquent dans l'expropriation ou la nationalisation. Au contraire. Le Mexique déréglemente et privatise à tour de bras un peu partout. L'Europe de l'Est fait la même chose. Où sont donc les risques pour les investisseurs au niveau des multinationales ou des banques? Il n'y a pas de risque.

• 1105

Ces intervenants-là ont déjà obtenu le gros de ce qu'ils voulaient et nous en avons un bon exemple ici, au Canada. Les compagnies minières ne cessent de dire que nos règlements sur l'environnement, au niveau provincial, sont beaucoup trop rigides et elles prennent donc leur argent pour aller l'investir au Chili où les normes en matière d'environnement sont déjà très faibles. Ou encore, pour des raisons d'environnement, elles s'en vont en Argentine, mais leur investissement est protégé. Elles s'en servent comme levier pour nous assommer tout en disant: «Déréglementez ou, à tout le moins, rabaissez vos normes sur l'environnement au Canada si vous voulez que nous ramenions nos sous ici parce que vous êtes beaucoup trop strictes.»

Il a été question de comportement secret et furtif. Je suis d'accord avec M. Lincoln à propos du comportement furtif, mais nous sommes en démocratie parlementaire où les choses sont un peu plus transparentes. Voyez-vous d'ici le grand débat qui s'amorce au Mexique à ce propos? Je peux vous parier qu'il y a énormément de Mexicains qui en savent long sur ce dont nous discutons ici: c'est- à-dire absolument rien.

Nous sommes en constante communication avec les syndicats indépendants mexicains, c'est-à-dire des gens à l'extérieur du PRI: écologistes, intellectuels et ainsi de suite. Quand nous avons abordé avec eux le sujet de l'AMI, ils nous ont regardé d'un air totalement ahuri et nous ont dit qu'ils n'avaient pas «la moindre idée de quoi nous causions». Après que nous leur ayons expliqué la chose, ils ont commencé à en parler un peu plus, mais vous pouvez être sûrs que ça ne fait pas l'objet d'un chaud débat comme ici, au Mexique, ce grand pays au système parlementaire promoteur de la liberté démocratique et membre de l'OCDE.

Nous avons demandé à nos collègues aux États-Unis s'il y a un quelconque débat engagé là-bas soit au Congrès américain ou dans les médias et, encore une fois, c'est un gros zéro. Donc, à notre avis, ces négociations sont en effet furtives. Nous sommes heureux de constater que le débat s'ouvre un peu, mais je dois vous dire qu'il faudra qu'il y ait encore beaucoup plus de consultations au Canada.

D'autres ont répondu à la question à savoir quelle différence cela peut faire si on laisse tomber toute l'affaire? Au bout du compte, je crois qu'il y aurait peut-être un peu plus de protection et que ça mettrait un peu plus de pression sur les négociations internationales si l'on disait que ce n'est pas acceptable parce qu'on attaque, de façon furtive, beaucoup d'autres valeurs sous le couvert de la protection des investissements. C'est une attaque furtive contre les normes et les régimes réglementaires. C'est pour cela que nous avons parlé de la question d'associations privées non gouvernementales et non onusiennes qui se retrouvent dans des lois internationales et fédérales. Nous n'avons pas notre mot à dire dans ce domaine, ni vous non plus.

Le président: Merci, monsieur Martin.

Monsieur Laliberte, voulez-vous conclure?

M. Rick Laliberte: Voilà la perception dont j'allais vous faire part moi aussi. Personne ne veut de ce débat au Canada parce qu'il serait unilatéral. Il n'y a personne pour défendre l'AMI. Je n'ai entendu personne défendre l'AMI où que ce soit. Chacun a ses propres inquiétudes et son mot d'avertissement: même un fermier à White Fox, en Saskatchewan, la première fois qu'il en a entendu parler, a demandé: «Pourquoi le Canada s'empresse-t-il à abdiquer sa souveraineté? Pourquoi le Canada remet-il ses pouvoirs entre les mains d'intérêts internationaux?» Les gens en viennent immédiatement à une conclusion: pourquoi? Il n'y a personne au Canada qui défende l'AMI, sauf les négociateurs. Si débat il y a, il sera unilatéral.

La question de l'environnement est très importante pour nous parce que nos ressources font notre richesse. Si nous parlons de normes, la seule industrie qui soit de compétence fédérale est probablement l'industrie de l'uranium, si ma mémoire est bonne. L'industrie forestière se trouve au niveau provincial. Ce ne sera pas long avant que les investisseurs trouvent des échappatoires ou aient recours aux tribunaux pour que ces derniers soumettent les compétences provinciales au traité.

Je vous mets au défi de me donner des exemples d'insécurité au niveau des investissements au Canada. Le Canada est un pays très sécuritaire pour les investissements. Nous sommes souverains. Nous voulons protéger notre environnement, nos normes de travail, les normes de notre collectivité, nos normes sociales et nos normes culturelles. Ces aspects font partie des exigences en matière d'investissement que nous avons comme Canadiens, et à bon droit, mais nous compromettons le tout à cause de l'AMI.

Engageons donc le débat.

• 1110

Le président: Si personne n'a d'autre question à poser, nous nous en tiendrons là.

M. Pratt a fait une proposition.

Mme Michelle Swenarchuk: Monsieur le président, pourrais-je répondre à l'une des questions que vous avez posées à M. Gero un peu plus tôt. Vous avez demandé si l'eau se trouve exemptée dans le cadre de cet accord et il a répondu que ce dernier ne porte pas sur les biens ou les produits et que ce genre d'exemption n'existe donc pas.

Je crois que la question qui vous préoccupe est plutôt la suivante: est-ce que les investissements dans le domaine de l'eau sont exemptés en vertu de l'accord? Évidemment pas. Et c'est une question très actuelle en Ontario puisqu'il y a d'importantes multinationales qui lorgnent du côté de la privatisation accrue des approvisionnements en eau et des usines de traitement en Ontario. Elles se préparent à la curée, en Ontario. En vertu de cet accord, elles auront ces droits.

Le président: Merci beaucoup pour cet éclaircissement.

Malgré ce qui a été dit ce matin, je suis obligé, ainsi que le sont mes collègues, à ces multinationales et à ces investisseurs internationaux parce que sans eux et sans l'AMI, notre séance de ce matin n'aurait pas eu lieu. Nous avons fait bon usage du temps qui nous était imparti. Au nom de mes collègues et de ceux qui sont présents à cette table, je tiens à vous remercier pour votre participation.

Monsieur Pratt, je crois savoir que vous avez une proposition à faire concernant les dépenses entraînées par la réunion d'hier. Vous avez la parole.

M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.): Oui, monsieur le président. Voici ma proposition: que, de temps à autre, le comité siège, pour travailler, pendant les heures de repas et qu'en de telles circonstances, le coût du repas soit assumé par le comité.

Le président: Merci. Quelqu'un appuie? Monsieur Laliberte, merci.

    La motion est adoptée

Le président: La séance est levée jusqu'à demain après-midi. Merci encore une fois.