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ENSU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 18 novembre 1997

• 0908

[Français]

Le président (l'hon. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous travaillerons aujourd'hui, comme hier, à l'étude des questions concernant les changements climatiques.

[Traduction]

Ceux d'entre vous qui étaient ici hier se souviennent peut-être d'un mémoire présenté par un fonctionnaire du ministère des Finances dans lequel figurait l'expression magique «coût-avantage». Nous avons discuté brièvement hier de cette analyse coût-avantage mais cela n'est pas suffisant.

Si cet aspect des décisions vous intéresse, je vous signale une excellente étude préparée par le GIEC, «Deuxième rapport d'évaluation: changements climatiques en 1995». Vous en avez tous une copie en anglais et en français. On y trouve une brève section, numéro 6 à la page 49 intitulée «Applicabilité de l'évaluation des coûts et des bénéfices». C'est un texte très court et très lucide qui peut vous donner suffisamment d'arguments, si je peux m'exprimer ainsi, pour alimenter une bonne discussion chaque fois que l'on mentionne cette expression devant vous. Cela me donne également l'occasion de vous inviter à vous rafraîchir la mémoire en relisant l'évaluation de 1995 effectuée par le GIEC, parce que c'est là un document important.

• 0910

Nous allons entendre ce matin M. Jim Bruce et nous sommes à la fois heureux et honorés de le recevoir aujourd'hui parce que c'est un scientifique de grande expérience et aussi, un ancien sous-ministre adjoint du ministère de l'Environnement.

M. Bruce a participé à la première conférence sur les changements climatiques tenue en 1987 à Toronto, ce qui était une première pour le Canada et peut-être même pour le monde. C'était la première fois, pour autant que je sache et vous pouvez me corriger là-dessus, que des savants, des représentants du secteur de l'énergie, des chercheurs, des politiciens et j'en passe se penchaient ensemble sur cette question. C'est lors de cette réunion qu'on a fixé pour la première fois la cible d'une diminution de 20 p. 100 d'ici l'an 2005, cible qui a été reprise dans le programme du Parti libéral de 1988. À l'époque, 2005 semblait bien loin. Cela nous donnait 17 ans, et l'objectif semblait réalisable.

Je tiens à compléter la présentation de M. Bruce, qui étudie cette question depuis très longtemps, en le félicitant, au nom de tous les membres du comité, d'avoir reçu la médaille de l'Ordre du Canada l'été dernier et en disant que nous sommes très heureux et très fiers de l'entendre aujourd'hui.

Monsieur Bruce, vous avez la parole.

M. Jim Bruce (membre, Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat): Merci beaucoup, monsieur le président et les membres du comité.

On m'a demandé de ne pas parler ce matin des aspects scientifiques et économiques des changements climatiques, aspects que vous avez déjà examinés de façon assez détaillée et de vous faire simplement rapport sur les séances d'information pancanadiennes qui ont été tenues dans le cadre du programme canadien des changements à l'échelle du globe.

Le président: Excusez-moi de vous interrompre. Les Romains disaient repetita juvant et je tenais à vous mentionner que nous ne nous plaindrons pas si vous répétez quelque chose.

M. Jim Bruce: J'allais ajouter, monsieur le président, que je serais amené à vous parler d'un certain nombre de questions qui ont été soulevées au cours de ces séances d'information et qui concernent les aspects scientifiques et économiques des changements climatiques. Je vais donc vous en parler, si vous le permettez.

Il est intéressant de noter que le programme canadien des changements à l'échelle du globe de la Société royale est en train de terminer une série de séances d'information sur les changements climatiques tenues dans cinq villes du Canada: Calgary, Vancouver, Montréal, Toronto et Halifax, avec l'appui d'un certain nombre d'entreprises et organismes.

La liste des promoteurs de cette série d'ateliers et de séances d'information est vraiment impressionnante. Elle comprend Environnement Canada, TransAlta Utilities de l'Alberta, le Ministry of Environment, Lands and Parks de la Colombie-Britannique, le ministère de l'Environnement et de la Faune du Québec, Hydro-Québec; Nova Scotia Power et Kimberly-Clark de Nouvelle-Écosse. Tous ces organismes et entreprises ont accordé leur appui à ces séances d'information.

La mise sur pied de ces ateliers et séances d'information a permis aux responsables du programme des changements à l'échelle du globe d'établir des partenariats avec divers groupes régionaux. Dans chacune de ces grandes villes, il y avait un groupe universitaire ou un institut de recherche qui était associé au programme des changements et qui participait au financement et à l'organisation de ces séances d'information.

Le programme des séances tenues dans tous ces centres comportait trois grandes parties. La séance d'information de la matinée portait sur les aspects scientifiques; il y avait ensuite une discussion des répercussions possibles des changements climatiques sur la région où se tenait la séance d'information; on passait ensuite à une analyse des mesures d'atténuation que l'on pouvait raisonnablement envisager d'adopter au Canada; enfin, il y avait un exposé sur les aspects économiques des changements climatiques, tant pour ce qui est des coûts qu'entraînerait la décision de ne prendre aucune mesure pour lutter contre les changements climatiques que des coûts des mesures d'atténuation qui pourraient être prises.

• 0915

Il existe un document d'information. Je suis désolé que les membres du comité ne l'aient pas encore reçu mais je vais m'assurer que l'on va vous remettre demain ce document d'information qui accompagnait les exposés et qui existe dans les deux langues officielles.

Dans chacune de ces villes, 80 à 100 personnes environ ont participé à ces ateliers et à ces séances d'information. Il s'agissait principalement d'administrateurs d'entreprises, de représentants de divers groupes d'intérêt, notamment de groupes environnementaux, de groupes s'intéressant au transport, à l'énergie, etc., d'universitaires et de représentants d'organisations non gouvernementales s'intéressant à l'environnement.

Les médias ont largement couvert ces événements, en particulier à Calgary et Montréal, et dans une mesure moindre, à Vancouver et à Toronto, où ces médias étaient toutefois présents. Hier à Toronto, il y avait plusieurs grands journalistes de la presse écrite qui avaient prévu d'écrire des articles de fond et non pas des nouvelles à propos de cet événement.

On a remis aux participants des formules d'évaluation pour connaître leurs réactions. Il ressort de cette opération que, premièrement, ces séances ont été très bien accueillies et, deuxièmement, que les participants aimeraient beaucoup avoir d'autres réunions et discussions sur les mesures que le Canada pourrait souhaiter adopter après la réunion de Kyoto. Cela pourrait contribuer de façon importante à mobiliser la population et à favoriser un consensus sur les mesures que le Canada souhaiterait prendre après la conférence de Kyoto.

Je dois également signaler que les avis exprimés au cours de la séance de clôture des ateliers étaient très partagés pour ce qui est de savoir ce que le Canada devrait faire en tant que pays à Kyoto et par la suite, après que les pays invités se seront réunis dans cette ville pour examiner les mesures à prendre pour mettre en oeuvre la Convention-cadre sur le changement climatique.

Les experts réunis à Toronto comprenaient, par exemple, des représentants de Imperial Oil, des représentants du secteur de l'assurance et une organisation non gouvernementale environnementale. À Vancouver, il y avait un représentant de l'Institut Fraser, Jim Fulton en qualité de représentant d'un organisme environnemental, et sa présence a fait des étincelles. Ces experts nous ont ainsi permis d'entendre toute la gamme des opinions que l'on peut avoir sur cette question.

Il y a une chose que nous avons constaté au cours de ces séances—et je devrais mentionner que la dernière aura lieu à Halifax demain—c'est qu'il existe un certain nombre de mythes et d'idées fausses concernant certains aspects essentiels des changements climatiques. Après quelques réunions, nous nous sommes réunis pour préparer un bref résumé des principaux mythes et idées fausses qui ont été exprimés.

• 0920

Et cette situation n'est guère surprenante si l'on pense à toutes les annonces pleine page publiées dans les journaux qui donnent des opinions contradictoires sur plusieurs de ces questions. Les commentateurs de la presse écrite et parlée que nous avons entendus et les entrevues que nous avons écoutées fournissaient des opinions divergentes sur plusieurs questions. Même le public relativement bien informé qui assistait à ces réunions entretenait certaines conceptions erronées.

C'est pourquoi nous avons pensé qu'il serait utile d'essayer de formuler le plus clairement possible les conclusions relatives aux aspects scientifiques et économiques de ces questions, à propos desquels il semblait y avoir des malentendus.

J'ai remis à votre personnel une copie de ce supplément au document d'information que l'on a ajouté en encart ces derniers jours.

Un des membres de votre comité, M. Herron, a assisté à la réunion de Toronto. Il pourrait peut-être vous donner une meilleure idée de la façon dont se sont déroulées ces réunions.

Je vais passer en revue très rapidement ce que nous avons appelé les idées fausses qui ont cours sur un certain nombre de grandes questions.

Tout d'abord, il existe une grande confusion au sujet des tendances de l'évolution des températures. D'après certains éditoriaux et d'autres rapports, on assisterait dans la très haute atmosphère, dans les couches supérieures de la zone des nuages à un refroidissement qui viendrait réfuter la théorie des changements climatiques. En fait, les principes à la base des changements climatiques et les modèles suggèrent que dans la très haute atmosphère, bien au-dessus des nuages, il devrait se produire un refroidissement dû aux modifications climatiques causées par les gaz à effet de serre. Dans les couches moyennes de l'atmosphère, ce que nous appelons la troposphère moyenne, soit entre 3 000 et 7 000 mètres d'altitude, on constaterait un léger réchauffement. Près de la surface, ce réchauffement devrait être important. C'est en général, ce qui a été effectivement constaté.

Par conséquent, le refroidissement de la haute atmosphère vient plutôt confirmer la théorie à la base des changements climatiques et non pas la réfuter.

Les mesures effectuées par satellite dans les couches moyennes de l'atmosphère ont également suscité une grande controverse qui a entraîné, je crois, des malentendus. Les données obtenues par satellite portent sur une période de 18 ans, période qui est très courte lorsqu'il s'agit d'évaluer l'évolution des variables climatiques.

En fait, les données brutes enregistrées par les satellites indiquent qu'il y a eu apparemment un léger refroidissement au cours de cette période de 18 ans parce que les satellites ont commencé à utiliser des systèmes à balayage multispectral à très haute altitude, et après toute une série de corrections, donnent une estimation de la température.

Le problème que pose le fait d'utiliser une période aussi courte est que nous avons commencé à utiliser les satellites au moment où El Ni«o a causé le réchauffement le plus long et le plus fort que nous ayons connu jusqu'à celui de cette année. La terre se trouvait donc dans une période relativement chaude. Les données enregistrées vers la fin de cette période ont également été influencées de 1992 à 1994 par le refroidissement temporaire causé par l'éruption volcanique du mont Pinatubo qui a libéré de grandes quantités de cendres dans la stratosphère, ce qui a eu pour effet de refroidir la terre pendant plusieurs années.

Lorsqu'on veut interpréter des données relatives à une période aussi courte que celle-ci, la plupart des scientifiques vous diront qu'avant de formuler des conclusions au sujet de l'existence d'une tendance, il faut tenir compte des facteurs qui risquent d'avoir influencé les données. Si l'on tient compte d'El Ni«o et des éruptions du mont Pinatubo, la courbe légèrement descendante des températures devient une courbe légèrement ascendante pour la période considérée, si l'on supprime ces effets-là. Les données obtenues grâce aux sondes atmosphériques qui mesurent la température à différentes altitudes indiquent qu'il y a eu une légère augmentation des températures dans la couche moyenne de l'atmosphère.

• 0925

Il est maintenant généralement accepté dans la communauté scientifique que ces deux séries de données sont compatibles lorsqu'on les interprète correctement. Bien sûr, les températures mesurées près du sol ont augmenté davantage, même sur cette période de 18 ans, que les températures enregistrées dans les couches moyennes ou dans la troposphère.

Le deuxième sujet qui a été fréquemment soulevé est celui de la fiabilité des modèles climatiques sur lesquels on se base pour étudier cette question. Il y a des économistes et des économétriciens qui ont remis en question l'utilisation de modèles en se fondant sur l'expérience acquise avec les modèles économiques. Les modèles économétriques causent toute une série de problèmes et s'accompagnent de nombreux facteurs d'incertitudes parce que bien souvent, ils ne fournissent pas les résultats que l'on constate par la suite. Ces personnes affirment les modèles de climat global.

Il existe toutefois une différence importante entre les modèles climatiques et les modèles économétriques. Les modèles climatiques sont construits à l'aide d'équations découlant des lois fondamentales de la physique comme celles de Newton et qui décrivent les courants atmosphériques et les échanges d'énergie dans l'atmosphère et entre la terre, le soleil et l'espace. Ce sont donc les lois de la physique fondamentale qui gouvernent les changements dans l'atmosphère.

Cela est très différent des modèles économétriques qui tentent de décrire les comportements humains et économiques et qui se fondent sur les observations antérieures du comportement des êtres humains. Ces comportements et la dynamique de l'économie sont en évolution constante. Les modèles économétriques sont donc construits sur des sables mouvants alors que les modèles climatiques ont une base solide.

En outre, on a vérifié si les modèles climatiques permettaient de simuler le climat antérieur et c'est ce qu'ils ont fait avec une très grande précision. Par exemple, une fois connu le volume des cendres répandues dans l'atmosphère après l'éruption du mont Pinatubo, les modèles de climat global ont permis de prédire avec une grande précision le refroidissement temporaire qui s'est fait sentir au début des années 90.

Un autre aspect est que, si l'on pense uniquement aux gaz à effet de serre que nous sommes seuls à pouvoir contrôler—le CO2, le méthane et d'autres gaz moins importants—l'augmentation de la température qui en résulterait ne serait pas de 2,5 degrés Celsius, avec un doublement de la quantité de dioxyde de carbone, mais cette augmentation devrait être deux fois plus faible, soit d'environ un degré ou 1,2 degré Celsius.

Les modèles et la théorie expliquent cette augmentation par le fait qu'à mesure que la terre se réchauffe, l'évaporation s'accroît et l'atmosphère est davantage saturée de vapeur d'eau. La vapeur d'eau est un gaz à fort effet de serre de sorte que cette vapeur d'eau supplémentaire vient renforcer les effets du dioxyde de carbone et du méthane.

Les observations faites en Amérique du Nord et dans d'autres régions du monde indiquent qu'il y a eu depuis 30 ans, une augmentation de la vapeur d'eau contenue dans l'atmosphère de la terre, ce qui est conforme à ce que prédisent les modèles et augmente l'effet de serre du dioxyde de carbone, du méthane et des autres gaz du même genre.

Pour ce qui est des événements extrêmes, il existe une certaine confusion entre les divers types d'événements climatiques extrêmes. La question des cyclones tropicaux a été soulevée à plusieurs reprises. Les données concernant les cyclones tropicaux enregistrées depuis quelques dizaines d'années et les projections effectuées à l'aide de modèles, qui ne sont pas très précises dans le cas d'un phénomène relativement limité comme les cyclones tropicaux, indiquent que les cyclones tropicaux n'ont augmenté ni en fréquence ni en intensité. Les modèles actuels prédisent qu'ils n'augmenteront ni en fréquence ni en intensité. Je crois qu'il fallait préciser ces choses.

• 0930

Par contre, les dommages causés par les cyclones tropicaux augmentent à cause de l'élévation du niveau de la mer. Ces dommages vont continuer à augmenter à l'avenir. Un des éléments des cyclones tropicaux qui cause une grande partie des dommages sont les ondes de tempête qui élèvent le niveau de l'eau et qui sont poussées par le vent qui souffle dans la zone de haute pression. Ces ondes causent beaucoup de dommages. Cet effet va encore s'aggraver à mesure que s'élèvera le niveau de la mer.

D'autres événements climatiques comme les précipitations abondantes en Amérique du Nord et dans d'autres régions du monde ainsi que les grosses tempêtes d'hiver semblent également augmenter comme les modèles le prévoient.

Pour ce qui est de l'aspect économique, la publication du rapport du Conference Board du Canada n'a pas eu que des côtés positifs. Le rapport en lui-même est excellent. Il résume les résultats obtenus à partir de 16 modèles sur ce qu'il en coûterait au Canada de revenir en 2010 aux émissions de 1990 ou de réduire de 5 ou 10 p. 100 les émissions de ces gaz d'ici 2010.

Les résultats obtenus vont d'environ moins 2,3 p. 100 du produit intérieur brut pendant une période où le PIB augmenterait d'un pourcentage se situant entre 30 et 38 p. 100, selon les projections retenues. C'est le résultat le plus négatif. Le résultat le plus positif est que l'on pourrait réduire ces émissions tout en renforçant l'économie grâce à l'adoption de mesures favorisant une utilisation plus efficace de l'énergie, grâce aux nouvelles technologies, etc.

Dans ses conclusions, le Conference Board indique très clairement que les résultats obtenus dépendent énormément des hypothèses de base retenues. Malheureusement, les modèles utilisés par les groupes environnementaux ont tendance à indiquer que l'on peut faire beaucoup de chose, tout en stimulant la croissance de l'économie alors que les modèles utilisés par les industries des carburants fossiles ont tendance à montrer le contraire. Ce sont les hypothèses de base retenues pour construire ces modèles qui jouent un rôle essentiel, et c'est ce que dit le rapport du Conference Board.

Cela n'a pas empêché le Conference Board de faire figurer en tête dans le résumé le résultat le plus pessimiste. Le rapport mentionnait qu'un des résultats possibles était le résultat le plus pessimiste. Je leur ai dit qu'ils auraient dû indiquer «autre résultat possible» et inscrire le résultat le plus optimiste, mais ce n'est pas ce qui a été fait.

J'ai été particulièrement frappé par l'exposé présenté hier par le gouvernement de l'Ontario pour qui, l'affirmation selon laquelle le PIB va diminuer de 2,5 ou de 2,3 p. 100 si l'on adopte des mesures de réduction des gaz à effet de serre, est parole d'évangile. Le gouvernement de l'Ontario s'est fondé sur cette affirmation pour élaborer sa politique et ce n'est pas une bonne fondation. Il retient les hypothèses de base les plus pessimistes et utilise une série de mesures qui ne sont pas les meilleures pour obtenir ces résultats. Il est incontestable que les moyens utilisés pour obtenir les résultats recherchés ont des répercussions sur l'économie.

Un représentant de TransAlta en Alberta a fourni un exemple particulièrement intéressant de cet aspect. Il a montré qu'en n'allant pas trop vite—autrement dit, si l'on encourage le recours aux technologies qui réduisent l'émission de gaz à effet de serre au moment du renouvellement des équipements—on pourrait obtenir d'excellents résultats à peu de frais.

• 0935

Supposons, par exemple, que le prix du gaz naturel albertain demeure à peu près à son niveau actuel et que l'on convertisse au gaz les usines hydroélectriques qui utilisent le charbon à l'heure actuelle. Elles ne vont pas toutes se convertir demain mais chaque fois qu'on doit remplacer une de ces usines ou la rénover, on pourrait obtenir une réduction d'environ 15 p. 100 des émissions de dioxyde de carbone d'ici l'an 2010 en Alberta. Cela pourrait également déboucher sur une réduction de près de 60 p. 100 d'ici l'an 2030.

Voici donc un exemple de la façon dont la conception des politiques—il a affirmé que cela ne coûterait pratiquement rien—a un effet considérable sur l'ampleur des coûts transférés sur l'économie.

C'est la leçon qu'il faudrait tirer du résumé, excellent mais partial, préparé par le Conference Board. Aucun des modèles examinés par le Conference Board ne tient compte des répercussions positives que pourrait avoir une réduction de la consommation des carburants fossiles sur la pollution de l'air ou sur le ralentissement des changements climatiques. Ce rapport contient une simple analyse des coûts, et pas des avantages, que cela peut entraîner pour la société, coûts qui, d'ailleurs, pourraient être très faibles si l'on s'y prenait de la bonne façon.

Monsieur le président, voilà les réflexions que m'ont inspirées ces séances d'information. Je crois que votre comité va jouer un rôle très important; il va en effet influencer grandement la façon dont le Canada va en arriver à un consensus national sur la façon d'aller de l'avant après les décisions qui seront prises à la conférence de Kyoto. Bien sûr, il va falloir que le gouvernement fédéral, ses fonctionnaires et ses ministres négocient avec les provinces. J'estime toutefois qu'il faut poursuivre le dialogue, voire même l'intensifier, avec les membres du public qui s'intéressent à ces questions, qui ont un rôle à jouer dans ce domaine et que nous avons essayé de rejoindre—en général, avec succès—grâce à ces séances d'information pancanadiennes. Avec les partenariats que nous avons créés entre les groupes régionaux ou locaux et le programme national des changements à l'échelle du globe de la Société royale, c'est un mécanisme qu'il serait souhaitable d'utiliser pour renforcer ce consensus pour l'après-Kyoto.

M. Herron souhaite peut-être nous parler de la séance d'information à laquelle il a assisté à Toronto. Je n'en sais rien.

M. John Herron (Fundy—Royal, PC): En fait, j'aurais voulu poser quelques questions au sujet de l'allocution de Doug Russell. Je crois qu'il est allé un peu trop loin mais nous y reviendrons peut-être plus tard. Entre-temps, je redonne la parole au président.

Le président: Merci, monsieur Jim Bruce. Nous allons donc commencer par M. Gilmour, et ce sera ensuite M. Bigras et M. Herron.

M. Bill Gilmour (Nanaimo—Alberni, Réf.): Merci d'être venu nous parler, monsieur Bruce. J'ai bien aimé votre communication, en particulier lorsque vous avez dit que la théorie du changement climatique est bien une théorie alors qu'il y a beaucoup de gens qui en parlent comme d'un fait. Vous avez signalé que la personne qui construit le modèle et les hypothèses sur lesquelles elle se base peuvent entraîner des différences importantes sur le plan des conclusions.

Quelques instants avant votre exposé, je vous ai entendu parler des mesures volontaires parce qu'il y a en fait deux approches: l'approche volontaire et l'approche réglementaire. Je crois que le gouvernement n'accorde pas suffisamment d'importance à l'approche volontaire. J'ai travaillé dans le secteur forestier. J'ai constaté que ce secteur préférait l'approche volontaire. Si quelqu'un fixe un objectif, les entreprises du secteur s'arrangent pour l'atteindre. Elles préfèrent décider elles-mêmes comment elles vont y parvenir. Cela est différent de l'approche réglementaire qui ordonne aux entreprises de faire telle et telle chose.

J'aimerais savoir ce que vous pensez des avantages et des inconvénients de l'approche volontaire, de ce qu'elle a donné dans le passé et peut-être, des façons de l'améliorer.

• 0940

M. Jim Bruce: L'expérience indique que, jusqu'ici du moins, l'approche volontaire n'a pas permis d'atteindre tous les résultats que nous aurions aimé obtenir au Canada. Cela s'explique, je crois, pour deux raisons. Premièrement, pour une raison que je ne comprends pas très bien, le gouvernement s'est toujours refusé à dire aux entreprises du secteur que, si elles prenaient rapidement des mesures, il en tiendrait compte par la suite, en particulier lorsque le moment viendrait d'adopter des normes plus strictes. Le gouvernement s'est refusé à prendre ce genre d'engagement. En fait, aux États-Unis, le gouvernement s'est entendu avec certaines entreprises de sorte qu'il y a des sociétés qui exercent des activités dans les deux pays et qui concentrent leurs efforts dans leurs installations situées aux États-Unis, et non au Canada, parce qu'elles savent qu'elles vont en retirer quelque chose par la suite, situation que je trouve tout à fait déplorable.

L'autre aspect est qu'il me paraît essentiel de fixer un objectif qui permette de mesurer les résultats d'un programme volontaire. Si l'on se fixe un objectif et qu'on adopte un système d'échange de droits d'émission de façon à pénaliser le moins possible le secteur industriel—de cette façon, les entreprises qui sont en mesure de réduire leurs émissions au meilleur coût le feraient dans un système d'échange de droits d'émission—je dirais qu'un système d'échange de droits combiné à un objectif ou à un plafond et avec une récompense pour ceux qui prennent des mesures immédiates, contribuerait au succès d'un tel programme.

M. Bill Gilmour: Merci. Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites à la fin de votre exposé que le gouvernement va devoir payer pour les consultations qu'il n'a pas faites. La plupart des groupes d'intérêt, qu'ils soient du secteur de l'industrie ou de l'environnement, ou même le citoyen qui utilise sa voiture pour aller travailler sont des acteurs. Nous sommes tous des acteurs dans ce débat et nous devons donc participer aux solutions.

Nous l'avons en fait constaté cette semaine; les ministres provinciaux ont rencontré leurs homologues fédéraux à Regina mercredi dernier et tout cela se fait à deux ou trois semaines de la conférence de Kyoto. Il y a quelques ententes, même si je crois qu'elles sont très provisoires, sur les mesures que les provinces seront disposées à prendre, en particulier avec ce que vous dites à propos des décisions de l'après-Kyoto et des orientations que nous nous fixerons par la suite.

J'ai aimé les commentaires que vous avez faits au sujet du gaz naturel et du charbon. Il n'y a pas de solution facile parce que le secteur du charbon va nécessairement être touché. Voyez-vous d'autres secteurs dans lesquels il serait plus facile d'obtenir des résultats, grâce à des conversions comme celles-là, plutôt que d'utiliser le bâton réglementaire?

M. Jim Bruce: J'aimerais prendre un peu de recul. Le secteur de l'extraction d'énergie pourrait faire beaucoup de choses pour réduire sa consommation d'énergie, en abandonnant le pétrole, le charbon, et cela serait positif.

Mais oublions cela pour un moment et examinons l'usage final qui est fait de l'énergie au Canada. Le principal utilisateur, et celui dont la consommation augmente le plus, est le secteur du transport. Au cours de l'atelier tenu à Toronto, on a beaucoup parlé de ce qui pouvait être fait dans le domaine du transport. On a parlé de la possibilité d'utiliser les nouvelles technologies, que ce soit en mettant sur pied un programme volontaire au sein de l'industrie automobile ou en revenant aux normes en matière de consommation de carburant, ainsi que les véhicules hybrides et les piles à combustible pour réduire la consommation de la plupart de nos automobiles et camionnettes?

Un autre aspect qui a suscité beaucoup de discussions est la possibilité de s'en remettre davantage au rail qu'à la route pour le transport de marchandises, parce que le chemin de fer consomme beaucoup moins de carburant.

• 0945

On a également parlé de modifier progressivement le tracé urbain pour ne pas être obligé de prendre la voiture pour aller chercher du lait au dépanneur, pour pouvoir y aller à pied ou à bicyclette. La façon dont les villes peuvent être conçues pour réduire la dépendance des citoyens envers leur automobile constitue une autre question qui a suscité beaucoup d'intérêt au cours de ces réunions.

Il existe donc plusieurs façons de réduire les émissions dans le secteur du transport—qui est le secteur qui croît le plus vite—et j'estime que le gouvernement devrait les examiner avec beaucoup d'attention.

M. Bill Gilmour: Vous êtes beaucoup plus près de ces choses que la plupart d'entre nous. Vous pourriez peut-être prendre votre boule de cristal et nous faire quelques prédictions.

Kyoto est pour bientôt. Que pensez-vous qu'il va se passer, en particulier avec les États-Unis et les pays sous-développés? Pensez-vous que l'on va réduire sérieusement nos objectifs? Que va-t-il en résulter, d'après vous?

M. Jim Bruce: Je ne prétends pas être un expert en négociations mais Doug Russell, qui a été le principal négociateur d'Environnement Canada pendant des années fait partie de la caravane qui s'est rendue dans ces différentes villes. Je m'occupe principalement de l'aspect scientifique et il traite des négociations. Ce sont ensuite les gens de la région qui parlent des effets de tout cela sur leur région et des autres aspects de la question.

Doug Russell estime que, premièrement, s'il y a entente, il est très probable qu'elle va incorporer le genre de cible dont ont parlé M. Clinton et notre premier ministre; c'est-à-dire, un retour au niveau des émissions de 1990 d'ici 2010 ou peut-être une réduction de 5 p. 100 d'ici 2010 ou 2015, c'est le genre de cible qui est le plus susceptible d'être acceptée par les pays développés. Il est également probable que quelques pays en développement seront prêts à s'engager à réduire leurs émissions; la plupart d'entre eux ne pourront le faire immédiatement mais nous espérons mettre sur pied un mécanisme qui leur permettra de se joindre aux autres un peu plus tard. Voilà ce qu'il considère comme étant le résultat le plus probable.

Il a toutefois également affirmé que l'on pourrait se retrouver sans entente, en particulier si le Canada et les États-Unis exercent trop de pressions sur les pays en développement pour qu'ils s'engagent dès aujourd'hui dans cette direction, engagement que la plupart d'entre eux ne sont pas prêts à prendre. Ces pays-là répondent: ce sont vous les pays industrialisés qui êtes les principales causes du problème. C'est vous qui émettez plus de 60 p. 100 des gaz à effet de serre. Montrez-nous ce que vous êtes prêts à faire et nous vous emboîterons le pas.

M. Bill Gilmour: Merci, monsieur Bruce.

Le président: Monsieur Bigras.

[Français]

M. Bernard Bigras (Rosemont, BQ): Tout d'abord, j'aimerais vous remercier de nous faire part des discussions qui ont eu lieu lors de vos rencontres. Quant à moi, j'ai été sensibilisé grandement à ce problème fort important des changements climatiques par une étude publiée par Environnement Canada qui s'appelle L'Étude pancanadienne sur les impacts et l'adaptation à la variabilité et au changement climatique et que vous avez probablement examinée lors de vos rencontres. Si c'est le cas, j'aimerais avoir vos commentaires sur cette étude d'Environnement Canada.

J'aimerais, en premier lieu, mettre surtout l'accent sur l'aspect économique de la chose. Vous nous dites que la question a été abordée, entre autres, par le gouvernement ontarien, lequel vous a fait part de l'impact possible de cela à très court terme, soit une réduction de 2 à 3 p. 100 du PIB provincial. J'aimerais savoir si, dans vos rencontres, vous avez abordé la question de l'impact à long terme d'un changement dans nos façons de faire, fondé sur des sources d'énergie non polluantes qui, à long terme, pourraient tout aussi bien s'avérer rentables sur le plan économique. C'est là ma première question.

• 0950

[Traduction]

M. Jim Bruce: Oui, merci.

Des économistes ont présenté ces communications à chacune de ces séances d'information. Je n'ai pas assisté à celle de Montréal, et je ne sais donc pas très bien ce qui s'y est dit, mais les économistes que j'ai entendus ont tous repris l'affirmation que l'on retrouve dans la déclaration qu'ont signée il n'y a pas longtemps près de 2 800 économistes, d'après laquelle les coûts du genre de réduction des émissions dont nous parlons seraient négligeables ou très faibles à court terme. À long terme, ils pourraient entraîner des avantages économiques nets pour les économies nord-américaines pour les raisons que vous venez de citer. J'ai entendu ce point de vue et la plupart des économistes qui ont étudié la question le partagent.

[Français]

M. Bernard Bigras: Ma deuxième question sera, pour employer votre terme, dans la foulée de Kyoto. Vous nous avez fait deux clins d'oeil, au début et à la fin de votre présentation, à propos des mesures qui devraient être prises pour donner suite aux engagements qui seront pris à Kyoto. Compte tenu des discussions qui ont eu lieu dans chacune des régions du pays, j'aimerais savoir si on ne devrait pas, pour véritablement atteindre les objectifs qui seront fixés à Kyoto, s'assurer de l'adhésion de toutes les provinces à cet accord, soit par décret des provinces, soit par ententes, lesquelles garantiraient que les provinces chercheront à atteindre les objectifs définis à Kyoto.

[Traduction]

M. Jim Bruce: Je ne suis pas un spécialiste des relations fédérales-provinciales dans ce domaine mais je pense à la façon dont l'Union européenne s'est occupée de cette question. Les pays de l'Union européenne—qui ne diffèrent pas beaucoup plus les uns des autres que les provinces canadiennes—ont conclu une entente qui autorise certains pays à augmenter leurs émissions, tout en demandant aux principaux pays comme l'Allemagne et le Royaume-Uni de réduire leurs émissions de façon importante. L'effet net est d'en arriver à une réduction des émissions de 10 à 15 p. 100 d'ici l'an 2010.

En prenant comme cadre de référence l'ensemble de l'Union européenne, ces pays ont pu tenir compte du fait que certaines régions étaient obligées d'augmenter leurs émissions mais que d'autres étaient en mesure de les réduire sensiblement. Ils ont réussi à obtenir une réduction nette importante des émissions.

Je ne sais pas si l'on pourrait conclure ce genre d'entente avec les provinces mais cela me semble un modèle intéressant.

[Français]

Le président: Monsieur Charbonneau, s'il vous plaît.

M. Yvon Charbonneau (Anjou—Rivière-des-Prairies, Lib.): Je vous remercie, monsieur Bruce, de votre contribution et de l'effort que vous faites pour nous éclairer sur plusieurs points de discussion.

Tout d'abord, j'aurais une question à vous poser en ce qui a trait à la première partie de votre exposé de ce matin, soit les mythes ou les malentendus.

Nous avons reçu ici des océanographes qui nous ont laissé entendre—enfin c'est ce que j'ai compris—que nous étions assez ignorants, généralement parlant, relativement à toutes ces questions. Prenons seulement la question des mesures de changement de température dans les parties habitées, ou encore les données provenant de l'atmosphère, sans intégrer ou sans pouvoir intégrer, à ce stade-ci, les données qui fournies par les océanographes. Comme tout le monde le sait, la superficie de la terre est à 70 p. 100 couverte d'océans. En somme, ce qui se passe au sein des océans nous est encore largement inconnu, ou le peu que l'on en sait n'est pas intégré aux données provenant des mesures faites à la surface du globe ou dans l'atmosphère.

• 0955

Ils ont donc beaucoup insisté sur le grand besoin qui existe d'intégrer toutes ces données avant d'en arriver à des stratégies très précises sur les mesures à prendre, ce qui n'empêche pas de prendre certaines mesures de précaution, bien sûr. Sur le phénomène global, on ne sait pas grand-chose. Nous sommes à peine en train de lever le voile de notre ignorance.

Partagez-vous cette opinion quant au besoin d'intégrer l'ensemble des données à ce stade-ci? Vous nous avez parlé de modèles climatiques assez intéressants, mais intègrent-ils ces données?

[Traduction]

M. Jim Bruce: Ils tiennent compte de tout ce que nous savons. Nous utilisons aussi bien des modèles d'atmosphère que des modèles d'océan. Ils prennent en compte tous les facteurs de forçage naturel, ainsi que le forçage par les gaz de serre qui a tendance à réchauffer l'atmosphère, le forçage par les aérosols, particules qui ont tendance à rafraîchir l'atmosphère. Certains ont même tenu compte du léger effet de rafraîchissement dû à la diminution de la couche d'ozone créée par les CFC dans l'atmosphère. Tous ces facteurs sont pris en considération dans les modèles.

Au cours des deux dernières décennies, nous avons suivi les changements sur le plan géographique et nous les avons comparés statistiquement avec les effets du forçage que prévoyait le modèle, effets qui se manifestent déjà dans le cas des gaz de serre et des aérosols. Nous avons ainsi constaté que la correspondance entre les deux phénomènes est de plus en plus étroite. En outre, la température moyenne du globe est très bien rendue par les modèles; le réchauffement atteint maintenant un point où les fluctuations naturelles du système climatique n'entrent plus en jeu. Le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat s'est appuyé sur ces observations pour faire une déclaration prudente dans laquelle il indique cependant qu'il apparaît maintenant que les êtres humains ont une influence sur le système climatique.

Ce qui est important c'est que le phénomène commence à être perceptible. Le temps de réaction du système est très long du fait que le réchauffement des océans est très lent. Il se passera encore 20 ou 30 ans avant que ne le fasse sentir le plein effet des émissions de gaz carbonique sur le climat terrestre, à cause de l'effet modérateur des océans. C'est ce qui déterminera le choix entre une intervention immédiate ou ultérieure. À cause de la longueur du temps de réaction et du fait que l'inversion de la tendance des systèmes humains et des systèmes énergétiques est aussi très lente, j'estime qu'il n'est sans doute pas trop tôt pour intervenir; en fait, il est peut-être déjà trop tard.

[Français]

M. Yvon Charbonneau: Les mesures volontaires de réduction sont-elles à classer parmi les mythes ou parmi les pistes de solution?

[Traduction]

M. Jim Bruce: Non, je crois que si les crédits et les mesures incitatives appropriés sont mis en place pour que les sociétés agissent, la prise volontaire de mesures peut donner de très bons résultats. Je ne pense cependant pas que l'on puisse compter entièrement là-dessus. Une entreprise n'a aucune raison d'investir des sommes considérables dans l'amélioration de son efficacité énergétique, à moins que les coûts de combustible ne diminuent suffisamment vite pour qu'elle puisse couvrir ses frais en un ou deux ans. Les entreprises recherchent un rendement rapide et elles ont besoin d'une aide, de mesures incitatives de la part du gouvernement, et en tout cas, d'une forme quelconque de crédit pour agir rapidement. C'est la condition du succès du programme de réduction volontaire des émissions.

• 1000

[Français]

Le président: Monsieur Charbonneau. Une question très courte, s'il vous plaît.

M. Yvon Charbonneau: Pourriez-vous nous dire si cette question de transfert de crédit, de manque de crédit, qui revient de temps à autre dans les débats publics a déjà fait l'objet de discussions dans les cercles internationaux importants? Est-ce que d'autres pays ont trouvé cette idée intéressante? Qu'en est-il exactement? Certains disent que c'est un mythe, d'autres, que c'est une piste bien envisageable.

[Traduction]

M. Jim Bruce: Oui, c'est un sujet qui est tout à fait d'actualité, en particulier à Washington et dans d'autres régions du monde. Selon la plupart des études économiques, le coût de la réduction des émissions pourrait être réduit d'environ 50 p. 100 par un programme d'«échange» de droits d'émission. Ce programme encourage la réduction des émissions dans les industries ou les secteurs où ces réductions sont les moins coûteuses, au lieu d'obliger tout le monde à effectuer la même réduction de cinq pour cent.

Le président: À vous, monsieur Herron; nous entendrons ensuite Mme Kraft Sloan.

M. John Herron: J'ai quelques commentaires et questions qui m'ont été inspirés par les exposés d'hier, qui étaient tout à fait différents.

Ce dont je suis de plus en plus convaincu, c'est que c'est l'objectif lui-même qui semble être devenu une obsession pour nous, si bien que nous avons presque perdu de vue le débat sur le travail à faire proprement dit. À votre avis, les plans concernant les objectifs à atteindre en 2010, 2015 et 2020 sont-ils valables, étant donné, comme vous le disiez vous-même, que ce que nous saurons dans quelques années de l'urgence de la question, l'état d'avancement des sciences ou de la technologie risquent d'être tout à fait différents de l'état actuel des connaissances? Si c'était à vous de décider, pensez-vous qu'il serait préférable de nous fixer un objectif à court terme?

M. Jim Bruce: Oui. Je crois que votre remarque est tout à fait pertinente. Entre maintenant et 2010, il va se passer une foule de choses, tant en ce qui concerne notre connaissance des réactions du système climatique à l'augmentation des émissions que des moyens dont nous disposerons pour réduire ces émissions de façon économique. Ce qu'il faut avant tout, c'est un objectif; sans lui, il n'y a pas de critère de comparaison et aucun résultat précis à atteindre. Ce qu'il faut donc, c'est un objectif.

Deuxièmement, les objectifs ne devraient jamais être figés. Certes, des objectifs sont nécessaires, mais ce qu'il faut aussi, c'est un mécanisme qui permettrait de les réexaminer périodiquement de manière à profiter du progrès de nos connaissances. Comme nous l'avons dit dans le rapport du GIEC, le défi à relever n'est pas de trouver dès aujourd'hui la meilleure solution possible pour les 100 prochaines années; le défi est de trouver le bon point de départ tout en demeurant capable de modifier l'orientation en fonction de l'augmentation de nos connaissances. Nous avons donc besoin d'objectifs, mais il serait bien préférable qu'ils soient à court terme. Nous en avons probablement besoin d'un pour 2010, mais même pour cette date relativement rapprochée, nous devrions mettre en place un mécanisme de révision des objectifs en fonction de l'état de nos connaissances.

M. John Herron: Je crois qu'il serait bien plus fructueux d'abandonner le débat sur les objectifs pour concentrer nos efforts sur le travail à faire, sur la manière de mettre en oeuvre un plan quelconque de contrôle de nos émissions.

Pourriez-vous m'expliquer la définition d'objectifs ayant force obligatoire? Qui ira en prison?

• 1005

M. Jim Bruce: Lorsque les gens parlent d'«objectifs ayant force obligatoire» dans ce contexte, je crois qu'ils entendent par là un engagement plus fort que celui qui a été pris au cours de la première convention-cadre, qui consistait simplement à présenter un rapport sur les «mesures prises visant...». Lorsque les gens parlent de «force obligatoire», ils veulent dire que les pays s'engageraient à atteindre tel ou tel objectif d'ici l'an 2010.

En ce qui concerne les sanctions si l'objectif n'est pas atteint, on n'a jamais discuté de sanctions commerciales. Par contre, des pressions commerciales non officielles pourraient être exercées sur les pays qui ne respectent pas leurs engagements, comme cela s'est fait dans le cas de l'industrie du bois. Les groupes écologiques peuvent exercer des pressions commerciales même s'il ne s'agit pas de mesures officielles prises par les gouvernements. Si le Canada se retrouve le seul des pays industrialisés à ne pas prendre d'engagements, il risque fort de se heurter à des obstacles commerciaux non officiels de ce genre.

M. John Herron: Pour terminer, je voudrais savoir si les pays en développement ont vraiment la volonté de participer à une forme de programme commun de mise en oeuvre ou de programme d'«échange» d'émissions? J'ai remarqué qu'au cours de son exposé, Doug Russell a dit que c'est dans ce pays que l'on risque d'avoir des difficultés. Les Américains ont une idée très claire de leur rôle et ils souhaiteraient obtenir la participation des pays en développement. Pourtant, nous semblons régir—j'aime le terme—notre politique à coup de communiqués de presse dans lesquels nous évoquons la participation appropriée des pays en développement. Pourriez-vous nous en parler un peu? C'est un point qui a été soulevé plus tôt.

M. Jim Bruce: L'idée d'un programme conjoint de mise en oeuvre a autant de partisans que d'adversaires dans les pays en développement. Parmi les premiers, on peut citer le Costa Rica, l'Argentine, etc., qui se rendent compte qu'ils pourraient obtenir une aide financière de sociétés de pays industrialisés pour accéder à la technologie moderne qu'ils souhaiteraient avoir. Cela leur permettrait d'améliorer leurs économies et de réduire les émissions chez eux.

Il y a cependant d'autres pays—l'Inde, par exemple—qui font valoir que s'ils renoncent aux tâches faciles dans le cadre d'un programme de mise en oeuvre commun avec un pays industrialisé, quand leur tour viendra de réduire les émissions chez eux, il ne leur restera plus que les tâches difficiles à accomplir.

Les sentiments sont donc très mitigés dans les pays en développement. Je crois que la clé du succès à Kyoto sera d'essayer d'éviter que les pays en développement continuent à former un bloc monolithique, et se regroupent de façon logique. Cela permettra aux pays qui veulent aller vigoureusement de l'avant de le faire, et à ceux qui n'y tiennent pas, d'attendre quelques années de plus.

Le président: Ajoutez à cela le fait qu'à Berlin, à la dernière conférence, des pays en développement tels que les Philippines, la Chine et l'Inde—c'est la mention de l'Inde qui m'y a fait penser—sont fréquemment et vigoureusement intervenus pour faire valoir que l'on devrait tout d'abord les laisser réduire la pauvreté chez eux avant de parler de réduire les gaz de serre. Ils ont fait un véritable article de foi du lien entre ces deux problèmes.

Madame Kraft Sloan.

Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Merci.

Je pense aussi que si nous nous fixons des objectifs à plus court terme, il sera non seulement plus facile de les atteindre—ou en tout cas, cela nous permettra de voir un peu mieux où nous en sommes et d'exercer plus de contrôle—mais nous pourrons également commencer à envisager des innovations à court terme, sources de réussites plus modestes sur lesquelles nous pourrons nous appuyer. Cela me paraît très important pour tout ce que l'on essaye d'entreprendre.

J'ai deux questions à vous poser. Premièrement, à votre connaissance, qu'a-t-on fait sur le plan gouvernemental ou dans le secteur privé afin de nous préparer pour la période postérieure à Kyoto?

• 1010

M. Jim Bruce: Je ne suis pas au courant de tout ce qui se passe, mais je sais que des mesures très rigoureuses ont été prises dans de nombreuses municipalités. Nous en avons entendu un peu parler l'autre jour.

La SOREMA, la grosse société de réassurance, a proposé d'assurer d'avance les sociétés qui veulent moderniser leurs bâtiments. La police d'assurance garantit que la réduction des coûts de combustible sur une période de trois à cinq ans permettra de couvrir le coût de modernisation des bâtiments. Le secteur des assurances, qui a essuyé de lourdes pertes à cause de catastrophes liées au climat voit donc un moyen de promouvoir ces objectifs en faveur de l'efficacité énergétique.

On peut donc citer des exemples de ce genre, que l'on trouve d'ailleurs souvent dans les municipalités. Malheureusement, à l'échelon intergouvernemental on s'est beaucoup plus souvent demandé si l'on devrait faire quelque chose que comment on devrait procéder. Je crois qu'il faut maintenant agir très vite pour nous mettre d'accord sur le processus. Nous avons, bien entendu, une excellente liste d'objectifs entre lesquels nous pourrions faire un choix. Il faut simplement que nous décidions de poursuivre résolument certains de ces objectifs dans la foulée de Kyoto.

Mme Karen Kraft Sloan: Il me paraît important d'adopter une stratégie portant sur six mois, un an, trois ou cinq ans. Lorsque les objectifs sont à court terme, il est beaucoup plus facile d'adapter les mesures au temps de réaction.

Dans la foulée de Kyoto, qui, selon vous, devrait participer à une consultation ou à un effort de mise en oeuvre? Avez-vous des noms ou des organismes précis à nous donner?

M. Jim Bruce: À l'échelon gouvernemental, le problème tenait en partie au fait qu'il y avait des ministres de l'énergie d'un côté et des ministres de l'environnement de l'autre et qu'il n'y a jamais eu de contact entre eux. À mon avis, il faudrait qu'un plus grand nombre des décideurs et des teneurs d'enjeu dans ce domaine participent à ces discussions, en particulier les ministres chargés des finances et du développement industriel, et aussi les représentants des secteurs des technologies énergétiques et des technologies de la conservation.

Dans un article récent de l'Economist, l'auteur estimait la taille du marché européen dans le domaine des technologies du rendement énergétique et des technologies des énergies renouvelables jusqu'à l'an 2000. Il estimait que cela représentait un montant de 300 milliards de dollars US. Nous devrions avoir une part de ce marché, mais ce n'est pas le cas, nous jouons un rôle presque inexistant dans ce domaine.

Mme Karen Kraft Sloan: Et le marché de 900 milliards de dollars dans le domaine de la technologie de l'environnement, d'ici l'an 2000. Voilà ce que sont les projections.

Quelles mesures précises pensez-vous que nous devrions prendre pour obtenir de bons résultats à court terme?

M. Jim Bruce: Personnellement, j'exploiterais les succès de certaines municipalités de notre pays.

Mme Karen Kraft Sloan: Bien. Ceux des clubs des 20 p. 100, etc.?

M. Jim Bruce: Oui. Le club des 20 p. 100 a fait oeuvre très utile en présentant un certain nombre de technologies qui fonctionnent vraiment et qui, dans les cas dont j'ai entendu parler, ont déjà donné d'excellents résultats dans les villes.

Mme Karen Kraft Sloan: Je travaille avec une organisation de l'Ontario à la mise en oeuvre d'un programme éco-communautaire national qui apporterait une aide sur le marché de la modernisation résidentielle. Ce genre d'initiatives vous paraît-elle utile?

M. Jim Bruce: Très. J'ajouterais qu'il est assez curieux que le débat à l'échelon gouvernemental ne se déroule qu'entre les autorités fédérales et provinciales.

Mme Karen Kraft Sloan: En effet.

M. Jim Bruce: Les municipalités détiennent une très grande partie des instruments de changement requis pour régler cette question.

Mme Karen Kraft Sloan: Oui, tout se passe à l'échelon local.

Le président: Je vais maintenant donner la parole à M. Pratt; le fauteuil interviendra ensuite, après quoi nous aurons une seconde série de questions très brèves.

M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.): Merci, monsieur le président.

• 1015

En tant qu'ancien membre du conseil d'administration de la Fédération des municipalités canadiennes, j'ai été très heureux d'entendre vos remarques au sujet du rôle des municipalités. J'estime moi aussi qu'elles ont un rôle extrêmement important à jouer dans le règlement du problème.

Ma question a trait aux hypothèses sur lesquelles on s'appuie dans d'autres pays. Je pense en particulier, en ce qui concerne les États-Unis et l'Europe, aux effets économiques de la stabilisation ou de la réduction de cinq ou dix pour cent. Connaissez-vous les hypothèses sur lesquelles les Américains et les Européens s'appuient pour prévoir les effets de ces réductions sur le PIB?

M. Jim Bruce: Les Européens sont un peu différents. Le Parlement allemand, par exemple, a fait effectuer d'importantes enquêtes sur les coûts probables. J'ai vu certaines des études dont les conclusions ont été généralement acceptées. Selon ces études, les mesures d'amélioration de l'efficacité énergétique et de remplacement des hydrocarbures—on s'intéresse actuellement beaucoup à l'énergie éolienne en Allemagne—il serait possible de réduire les émissions d'environ 45 p. 100 d'ici 2020. Trente pour cent de ces réductions seraient réalisées de manière économique. Autrement dit, les coûts initiaux seraient compensés par la réduction des coûts de combustible et des dépenses de santé due à la pollution locale de l'air. Ce qui est intéressant c'est que les Allemands pensaient également que cela permettrait de créer un demi-million d'emplois net.

Le gouvernement allemand a donc accepté ce genre d'analyses, faites de manière très approfondie par une commission d'enquête parlementaire, et ses politiques en sont inspirées.

Les États-Unis ont été, je crois, nettement influencés par la déclaration d'économistes—2 500 aux États-Unis plus 300 au Canada et sept ou huit prix Nobel—qui ont étudié la question et ont conclu que les effets sur l'économie américaine seraient en fait négligeables. Je crois que c'est sur cette analyse que l'administration américaine s'appuie mais je pense que beaucoup de membres du Congrès et du Sénat n'accepteront pas toutes les conclusions de l'analyse.

M. David Pratt: Pourrait-on donc dire que quelques-unes des cassandres que nous avons au Canada, y compris le Conference Board qui s'attend toujours à ce que le ciel nous tombe sur la tête, font fausse route à bien des égards?

M. Jim Bruce: J'ai déjà dit que le rapport du Conference Board était excellent et qu'il contenait des arguments très valables, mais il faut le lire en entier. C'est dans le sommaire, au début, qu'il se montre le plus pessimiste, mais si vous allez plus loin, vous constaterez que c'est un rapport très utile.

Je crois qu'il y a des exagérations de part et d'autre. Des études économiques indépendantes montreraient probablement que le ciel ne va pas nous tomber sur la tête et qu'au cours des prochaines années, même si le nombre des catastrophes naturelles augmente, le climat ne va pas non plus totalement se dégrader.

Le président: Je vous remercie.

J'ai quelques questions à poser. L'information rassemblée par vous au cours de vos voyages dans le pays et par la Société royale en tant que société organisatrice, sera-t-elle communiquée aux négociateurs qui s'occupent du dossier des changements climatiques?

M. Jim Bruce: Certaines des personnes qui participent activement aux négociations, en particulier les représentants d'Environnement Canada, ont assisté à toutes les séances. Nous nourrissons donc le vif espoir qu'ils auront pris note de ces informations. Je crois que nous allons produire un court rapport qui sera remis à Environnement Canada, au CNRC et aux Affaires étrangères.

Le président: Vous a-t-il semblé qu'un consensus était en train de s'établir?

M. Jim Bruce: Je crois qu'il existait déjà chez la majorité des personnes qui ont assisté à ces séances, mais il y en avait quelques-unes, appartenant pour la plupart à l'industrie des combustibles fossiles qui ne sont manifestement pas encore convaincues. Il avait cependant quelques exceptions. Le représentant de l'Association des producteurs pétroliers a catégoriquement déclaré à la séance de Calgary qu'il fallait agir et que les Canadiens sont suffisamment intelligents pour agir sans porter préjudice à notre économie.

• 1020

Je dirais donc qu'un consensus est en train de se dégager, mais il y en a encore quelques-uns qui ne sont pas d'accord.

Le président: Quelle importance accordez-vous à l'innovation dans le domaine de l'énergie?

M. Jim Bruce: Je crois que la première ligne de défense, à moins que ce ne soit d'attaque, doit être constituée par les mesures de conservation de l'énergie et le remplacement des hydrocarbures, lorsque c'est économiquement possible, en utilisant des sources produisant moins de carbone, notamment le gaz naturel, l'électricité, etc.

Le président: Et la seconde ligne?

M. Jim Bruce: Il faut songer aux instruments économiques. Ayant constaté que les règlements donnent d'excellents résultats dans le domaine de l'environnement, je n'exclurais personnellement pas la possibilité de renforcer les règlements relatifs à l'efficacité énergétique des appareils ménagers, des logements et peut-être aussi des automobiles.

[Français]

M. Bernard Bigras: J'aimerais revenir un peu sur ce qu'a soulevé mon collègue, M. Herron, concernant les objectifs et dont je me dissocie totalement. Il a toujours été clair pour moi qu'en ce qui regarde la gestion, lorsqu'on veut planifier une action et se donner un plan d'action, il faut se fixer des objectifs. J'aimerais discuter avec vous des buts et des objectifs. Avez-vous débattu, lors de vos rencontres, de la proposition japonaise qui tient compte de plusieurs variables, dont la population et le climat, en ce qui concerne l'établissement de l'objectif à atteindre par les pays? Voilà ma question.

Le président: Monsieur Jim Bruce, s'il vous plaît.

[Traduction]

M. Jim Bruce: Oui, on a discuté la proposition japonaise, qui prévoit modestement une différenciation des responsabilités en fonction des taux de croissance de la population et d'autres facteurs. Je crois qu'elle a pas mal de partisans.

Le problème est que si vous lisez les rapports des divers pays, vous constatez qu'ils invoquent tous une foule de raisons pour ne pas atteindre l'objectif original de stabilisation en l'an 2000. Du moins, certains appellent cela des raisons.

Dans le cas du Canada, nous disons qu'il fait trop froid chez nous et que nous avons besoin d'énormément d'énergie pour nous chauffer; quant aux Américains, ils invoquent le fait que la climatisation est indispensable au Texas. Nous parlons des immenses distances que nous avons à parcourir alors que 92 p. 100 de nos déplacements en automobile se font en ville ou dans les environs.

Il y a donc beaucoup de discussions sur la manière de réaliser cette différenciation. Je me demande si on parviendra à tout régler à Kyoto.

[Français]

Le président: Monsieur Charbonneau, s'il vous plaît.

M. Yvon Charbonneau: À votre connaissance, est-ce que certaines mesures ont été mises en oeuvre dans certains pays après la tenue d'un sommet et ont entraîné une certaine mobilisation, une certaine réorganisation au niveau gouvernemental?

Quand, par exemple, un gouvernement veut atteindre la réduction de son déficit sur deux ou trois ans, il prend des moyens, mobilise ses principaux ministres et donne des mandats très précis. Avez-vous quelques exemples à nous donner de ce que certains pays pourraient avoir élaboré en termes de réorganisation de leur appareil pour la mise en oeuvre de ces mesures?

[Traduction]

M. Jim Bruce: Effectivement, un certain nombre de pays ont appliqué des mesures. Je n'en connais cependant aucun où cela a exigé une réorganisation complète du gouvernement.

En ce qui concerne les mesures prises, permettez-moi de citer encore une fois le cas de l'Allemagne. Ce pays a récemment signé avec ses constructeurs d'automobile un accord aux termes duquel—je crois que la date fixée est 2005—toutes les automobiles construites par Mercedes et par BMW respecteront une norme de consommation de carburant de cinq litres au 100 kilomètres, en tout cas ce sera la moyenne pour les nouvelles voitures. Au Canada, les trois Grands en sont encore aux 9,5 litres pour 100 kilomètres.

• 1025

Nous avons donc encore beaucoup de chemin à faire pour rattraper les Japonais et les Allemands dans ce domaine. À mon avis, si nous n'agissons pas assez rapidement, nous allons perdre une part du marché international de l'automobile.

Le président: Monsieur Gilmour.

M. Bill Gilmour: Peut-être pourrions-nous parler un peu des «échanges» de droits d'émission. L'Alberta est un peu pénalisée dans ce domaine à cause de sa production de gaz naturel. Cependant, elle le vend aux États-Unis, qui le brûlent à la place du charbon. Il y a donc un gain global net.

On peut appliquer le même raisonnement au niveau de l'individu, je suppose. Quelqu'un qui fait 160 kilomètres en voiture pour se rendre à son travail, par exemple, pourrait être obligé de faire un échange avec la vieille dame d'en face de chez lui, qui ne conduit qu'une fois semaine.

J'imagine déjà la formation d'une grosse bureaucratie mondiale, et j'ai du mal à l'imaginer. L'idée est bonne, mais comment le mettre vraiment en pratique?

M. Jim Bruce: On n'a pas encore essayé de conclure une entente internationale sur les échanges d'émission. C'est une notion dont les économistes parlent et à laquelle ils consacrent des études, mais l'essai reste à tenter.

La méthode a été utilisée dans les États de la vallée de l'Ohio, par exemple dans le cas des échanges d'émission de dioxyde de soufre. Au début, on pensait que les permis coûteraient environ 600 $ par unité d'émission. Ils se vendent aujourd'hui environ 60 $. Les réductions d'émission ont pu être réalisées pour beaucoup moins cher qu'on ne l'avait prévu. Cela tient en partie à l'entente sur les échanges d'émission, mais aussi au fait que cela a entraîné une grosse amélioration de la technologie.

Vous avez raison. La façon de parvenir à une entente internationale n'a rien d'évident. Il est probable que les États-Unis exerceront des pressions en faveur d'un système d'échanges d'émission en Amérique du Nord. Je crois d'ailleurs que ce serait une bonne chose pour le Canada si nous savons tirer notre épingle du jeu.

Le président: Monsieur Herron.

M. John Herron: À une échelle beaucoup plus réduite, nous avons des échanges d'émission en Colombie-Britannique et en Ontario.

M. Jim Bruce: Oui.

M. John Herron: Je vais essayer de tout regrouper dans une seule question.

Si nous avions des mesures d'incitation équitables en faveur du développement des énergies de remplacement, comme c'est le cas dans d'autres domaines, notamment dans le cas des sables bitumineux, pensez-vous qu'il serait rentable de changer notre approche et de mettre l'accent sur les services énergétiques plutôt que sur l'approvisionnement énergétique? Dans le cas du charbon, en particulier, serait-il rentable de le remplacer par le gaz naturel dans les usines qui, de toute façon, ont besoin d'être modernisées?

M. Jim Bruce: En ce qui concerne le premier point, j'ai comparu devant le Comité des ressources naturelles et Jeff Passmore, qui a peut-être aussi témoigné devant vous, a très bien expliqué la différence de traitement fiscal entre l'industrie des carburants fossiles et l'industrie de l'énergie renouvelable, en dépit des rajustements effectués au cours de ces deux ou trois dernières années. Il est indiscutable qu'à égalité de traitement, ou si nous favorisions, même légèrement, les sources d'énergie renouvelable, des économies considérables pourraient être réalisées.

Excusez-moi, j'ai oublié la seconde partie de votre question.

M. John Herron: La seconde partie était en fait une seconde question. Je parlais du charbon, au cours des travaux de modernisation...

M. Jim Bruce: Oui, tout à fait; et comme je l'ai peut-être déjà dit, l'analyse effectuée en Alberta a montré que l'on obtenait des réductions considérables des émissions en éliminant l'utilisation du charbon pour produire de l'électricité et en utilisant le gaz naturel—et il va sans dire que l'Alberta ne manque pas de gaz naturel.

Il faut cependant reconnaître que certaines collectivités au Canada, surtout les petites, sont presque totalement tributaires des mines de charbon. Toute politique canadienne raisonnable doit en tenir compte, prévoir des mesures de réadaptation et d'autres emplois dans les localités qui souffriraient beaucoup d'une réduction importante de l'utilisation du charbon.

• 1030

Le président: Nous allons terminer par Mme Gagnon avant de tenir notre séance à huis clos.

[Français]

Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Je voudrais vous demander ce que vous pensez de la mise sur pied d'un comité d'experts qui pourrait analyser et évaluer toutes les ententes qui seront prises à Kyoto.

[Traduction]

M. Jim Bruce: Il existe deux organismes internationaux pour cela. Le premier est l'organe subsidiaire chargé de l'évaluation scientifique et technologique de la Convention-cadre sur le changement climatique, et l'autre est le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat. Ce groupe est surtout composé de scientifiques universitaires et de quelques scientifiques du gouvernement. Le premier est uniquement composé de scientifiques du gouvernement. Je ne pense pas que ces organismes correspondent exactement à ce à quoi vous pensez, mais ils pourraient tous deux faire une partie du travail.

[Français]

Mme Christiane Gagnon: Au Canada. Ce serait un comité qui aurait un rôle...

[Traduction]

M. Jim Bruce: Au Canada.

[Français]

Mme Christiane Gagnon: ...un peu comme celui du vérificateur général, qui vérifie toutes les mesures prises par le gouvernement ou, encore, qui assurerait le suivi des ententes et des promesses faites à Kyoto par le gouvernement. C'est bien beau de dire oui à Kyoto, mais quand on revient ici, comment doit-on mettre tout cela en oeuvre?

[Traduction]

M. Jim Bruce: Il serait fort utile d'avoir un tel comité d'experts. La Société royale du Canada pourrait constituer un comité indépendant. Il faut cependant reconnaître que l'initiative doit venir des trois ordres de gouvernement, ainsi que de l'industrie et des particuliers. Il faudrait donc engager un large processus de consultations.

L'idée est intéressante, car si l'on crée un groupe de surveillance crédible, celui-ci pourrait présenter des rapports périodiques. Je ne pense pas que le Bureau du vérificateur général conviendrait à cette tâche, car sa responsabilité principale consiste à s'assurer que le gouvernement respecte les règles et les procédures. Par contre, le BVG ne se préoccupe pas vraiment de savoir si ces procédures sont les bonnes.

Le président: Le commissaire chargé de l'environnement et du développement durable pourrait le faire.

M. Jim Bruce: Il a parlé hier à notre séance, et il conçoit son rôle d'une manière nettement plus restrictive que ce que l'on propose ici.

[Français]

Le président: Merci, madame Gagnon.

[Traduction]

Nous avons terminé. Je vous remercie encore une fois vivement de cette séance très instructive. Nous espérons vous revoir bientôt.

M. Jim Bruce: Merci de m'avoir invité.

[La séance se poursuit à huit clos]