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SDIR Communiqué de presse de comité

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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
House of Commons / Chambre des communes
Subcommittee on International Human Rights of the Standing Committee on Foreign Affairs and International Development

Pour publication immédiate


COMMUNIQUÉ DE PRESSE


Déclaration : Déplacement forcé d’enfants ukrainiens par la Russie

Ottawa, 1er décembre 2023 -

Depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, environ 19 000 enfants ukrainiens (de tout-petits à adolescents) ont été envoyés illégalement dans des territoires occupés par la Russie et en Russie continentale. Au cours des quelque deux années qui ont suivi l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022, seulement 386 enfants ont été rapatriés. Le transfert d’enfants ukrainiens s’inscrit dans un plan systématique de la Russie qui consiste soit à envoyer ces enfants dans des camps spéciaux pour les endoctriner, soit à les placer dans des familles d’accueil russes, soit à faire en sorte qu’ils soient officiellement adoptés par des familles russes.

Le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international (le Sous-comité) a consacré trois réunions à ce grave problème et a entendu les témoignages d’organisations non gouvernementales qui œuvrent en Ukraine afin de récupérer ces enfants, d’un groupe de recherche universitaire et du procureur général de l’Ukraine. Il a aussi recueilli les témoignages directs d’enfants et de parents ukrainiens qui ont enduré ces épreuves et qui ont bravement raconté leur histoire. Les témoignages ont montré que la Russie avait commis des actes qui correspondent à la définition de crime de guerre de la Cour pénale internationale ainsi qu’à la définition juridique de génocide, ce qui met en évidence le besoin urgent de protéger les groupes vulnérables dans les zones de conflit.

Le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale a décerné des mandats d’arrêt contre le président Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova, commissaire aux droits de l’enfant au sein du Cabinet du président de la Fédération de Russie, pour avoir transféré et déporté des enfants ukrainiens en Russie et dans les territoires sous contrôle russe. Les témoins ont expliqué au Sous-comité que ces transferts d’enfants prenaient diverses formes.

Aux dires d’Andriy Kostin, procureur général de l’Ukraine, les autorités russes commencent par rassembler les enfants ukrainiens, à l’écart des adultes, sous le prétexte de les évacuer pour de prétendues raisons de sécurité. Les enfants sont alors transportés dans les zones frontalières, puis envoyés dans divers établissements de soins pour enfants un peu partout en Russie. Viennent ensuite les processus d’adoption et les changements de citoyenneté afin d’intégrer les enfants dans des familles russes. M. Kostin a insisté sur le fait que les autorités russes ne font aucun effort pour réunir ces enfants à leur famille ou faciliter leur retour.

Le Sous-comité a aussi appris que les enfants peuvent aussi être envoyés dans des territoires occupés par la Russie ou en Russie elle-même, parfois jusqu’en Sibérie et sur la côte du Pacifique, afin de séjourner dans de soi-disant camps de loisirs. Certains enfants finissent par être autorisés à rentrer chez eux, mais bon nombre sont retenus dans ces camps pour de présumés motifs de sécurité, en particulier lorsque leurs parents se trouvent dans des zones récemment reprises par les forces ukrainiennes. Le Laboratoire de recherche humanitaire de l’École de santé publique de Yale a découvert un réseau de camps de rééducation et a récemment révélé le rôle du Bélarus, qui compte treize installations où sont gardés 2 400 enfants ukrainiens.

Afin d’étouffer leur identité ukrainienne, les enfants dans les camps sont soumis à une rééducation afin qu’ils intègrent la culture et l’idéologie russes. Leurs téléphones sont confisqués, ils ne sont pas autorisés à parler en ukrainien et il leur est souvent interdit de communiquer avec leur famille. En outre, les camps incluent généralement l’endoctrinement politique et l’entraînement militaire. Par exemple, dans un camp en Tchétchénie, les enfants ukrainiens apprennent à manier des armes à feu et à conduire des véhicules militaires.

Olga Aivazovska, de l’International Center for Ukrainian Victory (une organisation non gouvernementale), a brossé un tableau sombre du résultat des efforts d’endoctrinement depuis 2014 :

La séparation des enfants de leur famille et la rééducation de ceux qui étaient dans les territoires occupés durant de nombreuses années – depuis 2014 – sont des outils potentiels pour perpétuer cette guerre d’Ukrainiens contre des Ukrainiens. Imaginez un garçon qui n’avait que 10 ans lorsque Donetsk a été occupée et qui a été soumis à la propagande russe pendant 10 ans. Aujourd’hui, ce même garçon a pris les armes et se bat contre les soldats ukrainiens. Pour l’armée russe, c’est le meilleur capital humain qui soit, car la Russie est prête à continuer cette guerre pendant des années.

Mme Aivazovska a aussi expliqué qu’en raison de récents changements apportés aux lois russes, il est plus facile pour les mineurs ukrainiens d’obtenir la citoyenneté russe, soit automatiquement, soit à la demande des tuteurs ou des établissements de soins. En tant que nouveaux citoyens russes, ils ne peuvent pas renoncer à leur citoyenneté tant qu’ils ne se sont pas acquittés de leurs obligations envers la Fédération de Russie, notamment leur service militaire, qui est obligatoire pour les hommes de 18 à 30 ans.

Afin de mieux comprendre les conséquences de ces actes sur les vies personnelles, le Sous-comité a recueilli directement le témoignage des personnes les plus touchées, c’est-à-dire les enfants et leurs parents. Leurs récits offrent un aperçu extrêmement émouvant de la réalité et mettent en évidence le courage des enfants, le dévouement de leurs parents et le besoin urgent d’une intervention internationale pour s’attaquer à la crise. Le Sous-comité partage l’avis du procureur général Kostin : « Il est très important que les enfants jouent un rôle dans la quête de justice et qu’ils participent au débat. S’ils sont prêts, leur voix en tant que victimes et témoins de crimes de guerre est extrêmement importante. » Le Sous-comité a eu l’honneur de donner à ces témoins une tribune où parler de leur expérience.

Vladyslav Rudenko, le fils adolescent de Tetiana Bodak, a été amené dans un camp à Lazurne, dans la région occupée de Kherson, contre son gré et à l’insu de sa mère. Lorsque cette dernière s’est présentée pour le récupérer, elle a été interrogée et détenue pendant 24 heures. Elle a ensuite dû porter un capuchon sur la tête pendant que des représentants armés l’amenaient voir son fils. Son fils et elle ont été autorisés à partir ensemble seulement après avoir filmé une vidéo dans laquelle ils faisaient de fausses déclarations sur l’organisation Save Ukraine et en faveur de la Russie.

Anastasiia Motychak, 16 ans, a séjourné dans un camp en Crimée avec l’autorisation de ses parents afin de ne plus avoir à endurer le bombardement quotidien de sa ville natale. Comme elle était gardée dans le camp plus longtemps que ce qui avait été prévu au départ, sa mère a traversé la Pologne, le Bélarus et Moscou pour la récupérer, ce qui lui a pris 15 jours.

Yevhen Mezhevoi a été séparé de ses enfants par les services de filtration russes à un point de contrôle militaire. Ses enfants ont été envoyés en autobus vers une destination inconnue, pendant qu’il était lui-même emmené dans divers lieux de détention. Après deux mois de détention dans une cellule surpeuplée sans installations sanitaires, il a été libéré et est retourné à pied chez lui, à Donetsk. Il s’est rendu en Russie pour rejoindre ses enfants grâce aux efforts de Save Ukraine.

Denys Berezhnyi, maintenant âgé de 18 ans, a été pris par des soldats russes au domicile de ses parents pendant l’occupation de Kherson et a été emmené contre son gré dans un camp russe, où on a refusé de lui donner de l’insuline, ce qui a finalement mené à son admission dans une unité de soins intensifs.

Kseniia Koldin, maintenant âgée de 19 ans, a passé neuf mois en Russie avec son jeune frère. Elle raconte : « […] je sais que mon frère, qui avait 12 ans, était plus sensible à la pression psychologique exercée sur lui […] si les Russes savent qu’il y a de la famille en Ukraine, ils exercent une pression psychologique encore plus grande pour empêcher les enfants d’envisager un retour en Ukraine. »

Le Sous-comité a été profondément ému par ces témoignages chargés d’émotions, en particulier par les descriptions du soulagement ressentis par les enfants à leur retour en Ukraine.

Des témoins ont expliqué au Sous-comité que les mesures de la Russie visant les enfants ukrainiens avaient un caractère stratégique et systématique. Le Bureau du procureur général de l’Ukraine a souligné que, en droit international humanitaire, la déportation et le transfert forcés de personnes protégées depuis des territoires occupés sont catégoriquement interdits, peu importe le motif. La violation de ce principe constitue le fondement des mandats d’arrêt que la Cour pénale internationale a décernés contre le président Poutine et Mme Lvova-Belova. En plus de dissimuler des enfants, la Russie omet d’enregistrer rapidement les enfants déplacés et refuse de collaborer avec les organisations internationales, ce qui constitue manifestement des violations du droit international humanitaire.

Des témoins étaient aussi préoccupés par le fait que les gestes de la Russie, en particulier le transfert systématique et forcé d’enfants ukrainiens, cadrent avec des éléments du crime de génocide au sens de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Mme Aivazovska a en outre souligné que le transfert d’enfants ukrainiens implique leur rééducation et la rupture de leur identité ukrainienne et que ces « activités ont un lien direct avec le génocide. » En outre, de l’avis de M. Kostin, le caractère systématique des mesures russes prouvait explicitement que la Fédération de Russie avait bel et bien une intention génocidaire de faire disparaître l’Ukraine en tant que nation.

M. Kostin a insisté sur le rôle important du Canada en tant que co-responsable de la quatrième étape du plan de paix de l’Ukraine, qui met l’accent sur la « libération des détenus et des personnes déportées ». Il a aussi mentionné son rôle de chef de file dans la création d’une coalition internationale visant à faciliter le retour des enfants ukrainiens déportés par la Russie. Le Canada a pris des sanctions contre des personnes mêlées au transfert forcé d’enfants ukrainiens, dont Mme Lvova-Belova, et a ouvert des enquêtes nationales sur les crimes de guerre commis en Ukraine.

Néanmoins, les témoins souhaitent qu’on en fasse davantage. Voici les appels à l’action lancés devant le Sous-comité :

  • La nomination d’un point de contact de haut niveau à Affaires mondiales Canada afin de coordonner les efforts du Canada avec ses alliés.
  • Une collaboration constante des organismes de sécurité et d’application de la loi canadiens avec le gouvernement de l’Ukraine afin d’échanger des renseignements et de créer une base de données commune pour faciliter l’identification et le retour des enfants.
  • La création d’un système centralisé de suivi et de gestion de l’information pour garantir la localisation, le statut de la tutelle et le bien-être de chaque enfant ainsi que pour soutenir l’enquête et la poursuite des crimes commis par la Russie.
  • Un soutien accru pour les organisations non gouvernementales qui œuvrent en Ukraine pour trouver les enfants et les rendre à leur famille, et pour fournir un soutien en matière de santé mentale.
  • La prise de sanctions contre les petits et les moyens fonctionnaires, en particulier ceux qui gèrent des camps locaux, de manière à insister sur le fait que participer au transfert d’enfants constitue un crime de guerre et qu’invoquer le respect des ordres ne constitue pas une excuse valable.
  • Des mesures pour combler les lacunes dans le droit humanitaire international et établir des procédures et des mécanismes adéquats pour le retour de ces enfants à leur famille et à leur pays natal. Il s’agit d’un dossier important qu’il faut étudier et régler sans tarder.
  • L’utilisation de tout le pouvoir diplomatique du Canada pour persuader d’autres membres de la communauté internationale qui n’ont pas encore condamné ces crimes de guerre présumés qui font l’objet d’actes d’accusation par la Cour pénale internationale, de dénoncer ces crimes odieux et de contribuer aux efforts collectifs pour aider ces enfants en facilitant leur retour dans leur pays.

Plusieurs témoins, dont les enfants, ont souligné la nécessité de sensibiliser la communauté internationale au sort pénible des enfants ukrainiens touchés par le conflit. Le Sous-comité partage l’avis de Nathaniel Raymond, du Laboratoire de recherche humanitaire, qui estime que si nous ne parvenons pas à bien rapatrier les enfants touchés, nous minerons à jamais l’importance générale du statut spécial protégé accordé aux enfants dans les conflits armés : « C’est ce qui est en jeu ici. Il ne s’agit pas seulement des enfants ukrainiens, mais de tous les enfants coincés dans une guerre. »

Le Sous-comité recommande que les appels à l’action ci-dessus soient suivis d’effet, que le Canada réaffirme que la Russie commet un génocide en Ukraine par l’enlèvement d’enfants et d’autres crimes et que le Canada prenne toutes les mesures possibles pour favoriser une victoire complète de l’Ukraine et empêcher que d’autres enfants ne deviennent des victimes de cette invasion illégale.

Le Sous-comité remercie les témoins de leur précieuse contribution, en particulier ceux qui ont témoigné directement depuis l’Ukraine. Votre courage est une véritable source d’inspiration. Le Sous-comité tient aussi à remercier les organisations non gouvernementales qui ont comparu pour le travail essentiel qu’elles accomplissent sur le terrain en Ukraine. Il est solidaire de ces organisations et du peuple ukrainien.

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec :
Patrick Williams, greffier du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
Téléphone: 613-992-9672
Courriel: SDIR@parl.gc.ca