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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 107 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 24 septembre 2018

[Énregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Je déclare la séance ouverte.
    Bonjour à tous. Bienvenue à la réunion ordinaire du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
    J'aimerais pour commencer souhaiter la bienvenue à M. Clement à notre comité, puisqu'il s'agit de sa première réunion.
    C'est un plaisir de vous compter parmi nous.
    Je suis heureux d'être ici, monsieur le président.
    Merci.
    Murray, voyez-vous un inconvénient à ce qu'on propose pour commencer que Tony soit élu vice-président? Le processus durera environ une minute.
    Je crois que c'est une excellente idée, monsieur le président.
    Parfait.
    Monsieur MacKenzie, puis-je avoir une motion relativement au poste de vice-président?
    Je propose que l'honorable Tony Clement soit nommé vice-président du Comité.
    La motion vise à faire de Tony Clement le premier vice-président.
    Y a-t-il d'autres motions?
    Puisqu'il n'y en a pas, plaît-il au Comité d'accepter M. Clement comme le premier vice-président?
    (La motion est adoptée.)
    Félicitations.
    Merci.
    Monsieur Clement, je suis heureux de vous avoir comme premier vice-président.
    Merci, monsieur le président.
    C'est également un plaisir pour moi de passer maintenant à la motion de M. Rankin. M. Rankin a présenté un avis de motion dans les règles concernant une étude sur la clause nonobstant.
    Monsieur Rankin, la parole est à vous. Vous pouvez proposer la motion et en parler.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Je vous remercie de me permettre de présenter rapidement ma motion aux membres.
    Tony Clement, je vous souhaite la bienvenue au sein du Comité.
    Tout le monde a accès à la motion. Vous l'avez reçue. J'ai envoyé une lettre le 13 septembre, pour ensuite inscrire officiellement la motion le 14 septembre.
    La motion demande au Comité d'entreprendre une étude — rien de plus, rien de moins — sur l'invocation possible de manière régulière de l'article 33, qu'on appelle la clause nonobstant, de la Loi constitutionnelle de 1982.
    J'ai demandé que des experts constitutionnels et des procureurs généraux comparaissent devant le Comité pour participer à un réel dialogue au sujet de la nature de cette disposition de notre Constitution et de la façon dont les Canadiens devraient convenir de son utilisation à l'avenir.
    D'entrée de jeu, monsieur le président, j'ai quatre choses à dire au sujet de la motion.
    Premièrement, j'insiste sur le fait que je ne vise pas ici un premier ministre ou un événement précis. Le motif de la motion, c'est qu'il semble à l'heure actuelle que certains dirigeants politiques de notre pays croient peut-être que la prétendue clause nonobstant peut être utilisée de façon répétée et routinière, plutôt qu'en tant qu'outil de dernier recours qu'il faut réserver à des questions de politique publique très graves. Je crois que les fondateurs de la Charte voulaient qu'elle soit utilisée avec parcimonie, comme le premier ministre albertain Peter Lougheed l'a dit à son assemblée législative en 1981.
    Deuxièmement, je reconnais d'entrée de jeu que la clause nonobstant fait partie intégrante de la Charte. L'histoire montre que, en 1981, elle a été ajoutée sur l'initiative du premier ministre Lougheed et confirmée par le premier ministre de la Colombie-Britannique Bennett — en guise de compromis — afin que le reste de la Charte puisse être adopté. C'était vraiment là le prix à payer. Je comprends. J'accepte que cette disposition fasse tout autant partie de la Charte que les autres dispositions qui sont mieux connues et utilisées plus fréquemment.
    Troisièmement, je ne prétends pas que cet important débat doit avoir lieu immédiatement. Je comprends que nous réalisons actuellement une étude très importante, soit celle sur le projet de loi C-75. Je sais aussi que nous avons l'intention de mener une étude sur la discrimination fondée sur le VIH-sida. Il y a beaucoup d'autres raisons pour lesquelles il n'est pas opportun de procéder immédiatement à l'étude que je demande. Je le comprends aussi. Je suis tout à fait disposé à reporter cette conversation à une date ultérieure. Tout ce que je demande, c'est un engagement clair du Comité de mener une telle étude. Aujourd'hui, tout ce que je veux, c'est un vote à ce sujet afin qu'il soit indiqué sur le compte rendu si nous sommes prêts ou non à aller de l'avant à cet égard.
    Pour terminer, il n'y a pas selon moi de meilleure tribune que le comité de la justice et des droits de la personne pour avoir une conversation aussi cruciale.
    Chers collègues, je ne peux imaginer un enjeu plus important en matière de justice et de droits de la personne que l'érosion potentielle — et, en effet, la banalisation — de notre Charte des droits et libertés.
    Chers collègues, vous vous demandez ce sur quoi porte ma motion et ce sur quoi elle ne porte pas? Ce n'est pas un enjeu partisan. Il est directement question du fondement des arrangements constitutionnels conclus par les Canadiens en 1982, il y a environ 36 ans. Ma motion concerne la possibilité qu'un gouvernement de premier plan — le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux et territoriaux — invoque régulièrement l'article 33 de la Loi constitutionnelle.
    Comme tous les membres du Comité le savent, lorsqu'un gouvernement invoque l'article 33, il adopte un projet de loi qui suspend, pour cinq ans, la décision d'un tribunal relativement à des droits fondamentaux garantis par la Charte. La clause nonobstant l'emporte sur la liberté d'expression, la liberté de religion, la liberté de conscience et la liberté d'association. Il est ici aussi également question de droits juridiques, comme le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, qui sont la base du droit des femmes de choisir. C'est quelque chose qui a bien sûr été maintenu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Morgentaler et c'est aussi quelque chose qui a été maintenu plus récemment dans le cas du droit à l'aide médicale à mourir. L'article 33 peut passer outre aux droits de perquisition et de saisie et aux droits à l'égalité.
    Il y a de nombreuses décisions des tribunaux canadiens qui ont changé la donne pour le milieu LGBTQ2, des droits à l'égalité aux avantages sociaux pour les couples de même sexe, de l'affaire Nesbit et Egan jusqu'au mariage homosexuel. Ces gains pourraient être érodés en tout temps par un gouvernement provincial ou fédéral. En effet, l'histoire nous révèle, par exemple, que le premier ministre albertain Ralph Klein a envisagé d'utiliser cette disposition pour passer outre à certains aspects du débat sur le mariage entre conjoints de même sexe dans sa province.
    Je répète que ma motion a peut-être été motivée par une décision précise prise dans une province précise, mais que sa portée ne s'y limite pas.
    Le contexte de ma motion est, bien sûr, tout à fait connu: la décision d'un premier ministre ontarien — pour la première fois dans l'histoire de la province — d'utiliser la clause nonobstant pour régler un différend entre la Ville de Toronto et la province.
    Les gens ont peut-être des avis différents quant à savoir si c'est le genre de situation que prévoyaient les rédacteurs de la Charte lorsqu'ils ont inclus la clause nonobstant.
    Comme les membres le savent, la Cour d'appel de l'Ontario a fait en sorte que, dans ce dossier, il était inutile pour le gouvernement de l'Ontario d'invoquer la clause nonobstant.
    Encore une fois, ce n'est pas ce dossier précis qui nous intéresse. Cependant, c'est une déclaration du premier ministre selon laquelle il allait utiliser régulièrement et à répétition la clause nonobstant qui a autant et grandement préoccupé les avocats constitutionnalistes de partout au Canada. La déclaration du premier ministre de l'Ontario selon laquelle il était prêt à utiliser la disposition à répétition a été condamnée par la plupart des avocats constitutionnalistes et des groupes qui revendiquent l'égalité partout au Canada.
    Je ne sais pas pour vous, monsieur le président, mais j'ai reçu d'innombrables appels de constitutionnalistes de renom. Je renvoie par exemple les membres au site YouTube pour voir deux colloques — un à l'Université d'Ottawa, et l'autre, à l'Université de Toronto— qui ont été déclenchés par les récents événements et la crainte d'érosion de la Charte des droits.

  (1535)  

[Français]

    La possibilité de recourir systématiquement à la disposition de dérogation et l'érosion de la Constitution canadienne sont extrêmement troublantes pour une génération d'avocats comme moi qui ont grandi et pratiqué dans un contexte où le Canada a adopté la Charte. Je crois qu'au cours des 36 dernières années, soit depuis son entrée en vigueur, la Charte n'a été utilisée que 15 fois, et ce, dans le cadre de trois législatures canadiennes seulement. Cela témoigne du fait que son utilisation peu fréquente était l'intention déclarée des premiers ministres provinciaux et du premier ministre du Canada lors de la création de la Charte en 1982. C'était exclusivement une option de dernier recours. Le fait qu'en 36 ans, elle n'ait été utilisée que 15 fois et dans le cadre de trois législatures seulement atteste cette réalité.
    Comme le premier ministre Chrétien, les premiers ministres Romanow et Davis ainsi que l'honorable R. Roy McMurtry l'ont énergiquement soutenu, là n'était pas l'intention au départ. Ils le savaient puisqu'ils étaient là.
    Il n'est pas suffisant de simplement exprimer sa déception de voir le premier ministre de l'Ontario utiliser l'article 33 pour demander systématiquement d'annuler les décisions judiciaires relatives à nos droits constitutionnels, ou encore de simplement déclarer qu'il faut défendre notre Constitution. L'ancien premier ministre Martin s'était juré de ne jamais utiliser la disposition de dérogation dans le cas de lois fédérales. L'ancien premier ministre Mulroney s'oppose aussi fermement à l'utilisation de cette disposition.
    Le Comité pourrait-il recommander au gouvernement fédéral de respecter cet engagement clair pris par deux premiers ministres, l'un du Parti Libéral et l'autre du Parti conservateur?

[Traduction]

    Je veux être bien clair: certaines personnes ont déclaré que les deux seules façons de régler ce problème consistent soit à rouvrir la Constitution pour y apporter une modification de façon à limiter l'utilisation inappropriée de l'article 33, soit à invoquer quelque chose qui, selon la plupart d'entre nous, serait une lettre morte constitutionnelle, le prétendu pouvoir de désaveu. Ces deux options ne m'intéressent absolument pas. J'espère avoir été clair à cet égard.
    Ma motion vise à voir si les experts et les procureurs généraux peuvent trouver d'autres options. Par exemple, s'agit-il maintenant d'une « convention » — c'est-à-dire une des réalités tacites de la Constitution — que, puisque le recours à l'article 33 a été si rare et que les politiciens à qui l'on doit la Charte en ont tous confirmé l'intention initiale, eh bien, il y a peut-être déjà une convention à cet effet? Ou encore, les dirigeants canadiens de bonne volonté pourraient peut-être s'engager à limiter son utilisation, comme le voulaient, selon moi, les rédacteurs de la Charte.
    Monsieur le président, je n'ai pas toutes les réponses. Et je ne prétends pas les avoir. C'est la raison pour laquelle le Comité est l'endroit approprié pour faire preuve de leadership et essayer de trouver des réponses en misant sur la meilleure expertise à notre disposition.
     En conclusion, je vous remercie de votre indulgence. Je demande à chacun d'entre vous de réfléchir à la motion pour ce qu'elle est: l'occasion de commencer une discussion misant sur l'ouverture d'esprit avec des experts constitutionnels et d'autres personnes voulant y participer, de façon à ce qu'on puisse apprendre d'eux et évaluer les options pouvant permettre de protéger les droits garantis par la Charte de tous les Canadiens contre une utilisation régulière et systématique de la clause nonobstant.
    J'attends avec impatience le vote d'aujourd'hui sur cette question d'une importance cruciale.
    Merci beaucoup.
    Allez-y, monsieur Clement.
    Merci, monsieur le président. Merci de vos remarques, monsieur Rankin.
    Je n'ai pas préparé d'observations, mais j'ai certaines choses à dire au sujet de cette motion. J'admets que vous présentez votre demande en raison de votre croyance très bien exprimée qu'il est important d'étudier cet enjeu. Je ne suis peut-être pas toujours d'accord avec certains éléments contextuels que vous avez intégrés à votre analyse, mais je crois que le fondement de la motion, c'est de mener une étude sur l'utilisation de l'article 33.
    Il y a de nombreux désavantages au fait de vieillir. Cependant, l'un des avantages, c'est que je me rappelle 1982. J'étais un humain doué de raison à ce moment-là et j'ai commencé mes études en droit en 1983. Le débat, bien sûr, a captivé le pays. C'était un débat authentique. Je me souviens que de nombreuses personnes voulaient s'assurer que le Parlement et/ou les assemblées législatives aient la possibilité de faire connaître l'opinion publique ou de défendre des droits qui, selon eux, méritaient d'être défendus.
    L'un des députés les plus éloquents à cet égard était le premier ministre du NPD, M. Blakeney, qui voulait d'une telle clause nonobstant — d'après mon souvenir — pour s'assurer que les droits des travailleurs pourraient être protégés par une assemblée législative. Je me souviens aussi de l'autre côté de la médaille, Sterling Lyon, qui n'est plus parmi nous, qui a exprimé, au nom des Manitobains, la croyance qu'il y a des moments où une assemblée législative doit encore avoir le dernier mot dans ces cas.
    Ces personnes ont été entendues, tout comme d'autres dont on a pu entendre au cours des dernières semaines l'interprétation des raisons pour lesquelles la clause nonobstant s'est retrouvée dans la version définitive de la Constitution canadienne et de la Charte.
    Il y a aussi, évidemment, des exemples d'assemblées législatives qui ont utilisé la clause nonobstant. En effet, le gouvernement du Québec, dans le cadre de sa protestation contre la Charte, a invoqué régulièrement la clause nonobstant relativement à de nombreux projets de loi pendant de nombreuses années; je me souviens — et on me corrigera si j'ai tort — que le gouvernement québécois avait exprimé son désaccord au sujet de la façon dont la Constitution avait été rapatriée. Un parlementaire de la Saskatchewan m'a informé que la clause nonobstant a été utilisée par l'Assemblée législative de la Saskatchewan il y a seulement trois semaines. On n'en a pas fait grand cas. On en a fait un peu plus au sujet d'une autre assemblée législative provinciale.
    Tout cela pour dire, monsieur le président qu'il est, selon moi, approprié de mener une telle étude et d'entendre ce que les experts et les représentants du milieu universitaire ont à dire, tout comme certains témoins, peut-être, qui étaient là au moment du rapatriement de la Constitution. Ce pourrait être bien de permettre au Comité de consigner ces points de vue dans un environnement qui, je l'espère, serait exempt de gestes politiques théâtraux afin qu'on puisse aller au fond des choses relativement aux enjeux en cause et avoir une discussion respectueuse de façon à jeter un peu de lumière sur tout cela, au lieu de simplement jeter de l'huile sur le feu.
    Je suis porté à appuyer la motion. Comme je l'ai dit, je ne tiens pas à ce que le compte rendu reflète mon acquiescement à tout ce que M. Rankin a dit dans son introduction, mais, lorsque je regarde l'aspect essentiel de la motion, je peux y adhérer.

  (1540)  

    Quelqu'un d'autre veut-il intervenir?
    Allez-y, madame Khalid.
    Merci, monsieur le président.
    Au cours des trois dernières années que j'ai passées au sein du Comité, j'avais vraiment beaucoup de respect pour M. Rankin et les vastes connaissances dont il nous a fait bénéficier. Je crois sincèrement à tous les enjeux que vous avez soulevés. Je crois que c'est une préoccupation très légitime et qu'il faut y réfléchir, mais je ne suis pas convaincue que le Comité est le bon endroit pour tenir ce débat.
    Nous avons beaucoup cherché des moyens concrets d'influer sur nos lois, des recommandations concrètes à formuler au gouvernement. Nous avons produit des rapports vraiment excellents et réalisé de très bonnes études au cours des trois dernières années. Je ne suis pas sûre que nous puissions intégrer ce dossier dans notre ordre du jour de la prochaine année.
    Au cours des 10 prochains mois, nous avons des projets de loi vraiment lourds et importants à étudier. Nous avons le rapport de notre étude sur la traite de personnes à terminer. Il y a déjà un certain nombre de choses à l'ordre du jour. Je veux vraiment me pencher sur cet enjeu. Nous savons que, à l'avenir, nous serions heureux de travailler en collaboration avec M. Rankin et notre gouvernement afin de déterminer de quelle façon nous pouvons examiner cet enjeu en profondeur, mais je ne crois pas que le Comité soit le bon endroit pour le faire.

  (1545)  

    Allez-y, monsieur Rankin.
    Pour commencer, je suis très reconnaissant du fait que vous appuyez l'idée, et j'espère que les commentaires sur les éléments précis qui ont amené les Canadiens à s'inquiéter n'obscurcissent pas mon engagement à faire de tout cela un enjeu non partisan. Vous avez ma parole. Selon moi, c'est un enjeu trop important pour le traiter de façon partisane.
    Votre référence aux droits des travailleurs est importante. Comme vous le savez, la Cour suprême a confirmé que la négociation collective est un droit constitutionnel. C'est arrivé parce que la Saskatchewan en a parlé, et le fait que la Saskatchewan a utilisé la disposition récemment n'est pas surprenant. C'est l'une des assemblées législatives qui ont utilisé la clause dans le passé. Puisque c'était la première fois qu'on l'utilisait en Ontario, et vu que l'Ontario est la plus grande province et le plus grand marché médiatique, il n'est pas étonnant que nous l'ayons tous remarqué.
    Madame Khalid, je vous remercie de vos paroles généreuses. Vraiment. Je ne peux que répéter qu'il n'y a, à mon humble avis, rien de plus important que cet enjeu. Et si ce n'est pas ici, où? J'ai pensé au Conseil de la fédération, mais le gouvernement fédéral n'en fait pas partie. J'ai pensé aux universités, mais il y a déjà eu un nombre incalculable de colloques: vous n'avez qu'à regarder YouTube. C'est une affaire importante au Canada, et je n'arrive pas à trouver un meilleur endroit qu'ici.
    Comme vous le savez, j'ai proposé cinq réunions. Bon sang, nous siégeons jusqu'à 21 heures ce soir. Nous le faisons aussi d'autres soirs. En fait, nous travaillons souvent jusqu'à 21 heures. Je crois que les Canadiens ont le droit de s'attendre à ce que nous assumions nos responsabilités et que nous nous penchions sur cette question, pour la simple raison que, tout ce que nous demandons, c'est une étude, et, en outre, je suis prêt à la reporter à beaucoup plus tard dans le calendrier. Je ne vois vraiment aucun autre endroit où une telle étude peut être réalisée, où il est possible de faire venir des témoins — peut-être, comme M. Clement l'a suggéré, ceux qui étaient là à l'époque et les procureurs généraux actuels — pour tenir l'un de ces dialogues pour lesquels les Canadiens sont si célèbres, tout simplement pour assurer la participation de ces gens, se relever les manches et voir s'il est possible de trouver des façons de s'entendre sur le fait que l'utilisation appropriée de la disposition doit être limitée et non banalisée.
    C'est tout ce que je veux, en fait. Ce serait vraiment dommage — étant donné qu'il nous reste environ 10 mois — de ne pas pouvoir trouver quelques soirs ou quelques jours pour en parler. Je crois que les Canadiens seront très déçus si on ne le fait pas.
    Merci, monsieur le président et merci à vous, monsieur Rankin, d'avoir présenté la motion.
    Je crois qu'on peut dire sans se tromper que, dans le cadre de notre étude sur la traite de personnes, nous avons appris à mieux nous connaître, et je crois que nous parlions tous les deux de la façon dont nous pouvons en faire plus pour la fédération et s'assurer qu'elle reste forte.
    J'ai eu l'occasion, lorsque je suis allé à Victoria pour ParlAmericas, de rencontrer un ami qui m'est très cher, un professeur, presque un deuxième père, J. Peter Meekison, qui a été sous-ministre du premier ministre Lougheed durant le rapatriement de la Constitution. Il a été l'homme responsable de la création de la proposition de Victoria dans la Constitution. Nous avons parlé de la clause nonobstant, de la façon dont on avait prévu son utilisation et de la raison pour laquelle cette disposition a fait partie des négociations liées au rapatriement de la Constitution.
    Je comprends le sens de votre motion et ce que vous voulez nous montrer. En même temps, en tant que membre du gouvernement, j'estime que notre travail consiste à faire avancer les projets de loi, à écouter les témoins et à s'assurer de faire ce qu'il faut faire ou non du gouvernement au cours des 10 prochains mois. Je crois que M. Clement a raison. On ne s'en est pas trop fait lorsque la Saskatchewan a utilisé la clause nonobstant. On ne l'a pas appliquée ici, en Ontario, en raison du sursis d'exécution de la décision. Je suis heureux que vous ayez mentionné l'étude sur la surcriminalisation liée au VIH, parce que c'est une étude que j'ai fait inscrire au Feuilleton, et je dois convenir avec Mme Khalid que nous devons continuer à avancer. D'autres projets de loi seront référés au Comité, et c'est ainsi que je voterai.
    Le suivant est M. Cooper.
    Merci, monsieur le président.
    J'abonde vraiment dans le même sens que M. Clement et, je dois dire, monsieur Rankin, que nous avons eu l'occasion de discuter de la motion. Au départ, j'étais un peu sceptique, mais je crois que vous avez été clair dans vos commentaires à mon égard et dans ceux que vous avez formulés au profit du Comité: l'intention de la motion consiste à réaliser une étude impartiale dans le cadre de laquelle nous pourrions inviter des experts constitutionnels, des gens qui étaient là, en 1982, afin de réaliser une bonne étude sur une question d'une grande importance pour tous les Canadiens.
    Je dois dire que je suis très déçu des propos exprimés par Mme Khalid et M. Boissonnault pour s'opposer à cette motion qui, selon moi, arrive à point nommé.
    En fait, au cours des trois dernières années durant lesquelles j'ai eu la chance de siéger au sein du Comité, je ne peux pas penser à un seul cas où nous n'avons pas pu parvenir à un consensus sur les nombreuses questions que nous avons étudiées. En effet, la seule fois où nous n'avons pas pu en arriver à un consensus, c'est au sujet d'une motion que j'ai présentée il y a quelques mois relativement à la crise à laquelle nous sommes confrontés en raison de l'incapacité de la ministre de la Justice de pourvoir les postes de juge vacants. C'est la seule fois où le gouvernement a voté contre l'étude d'une question, et c'est évidemment parce que les représentants du gouvernement ne veulent pas parler de l'incapacité de cette ministre à pourvoir rapidement les postes de juge vacants.
    M. Rankin n'a pas imposé de date ferme et précise. La motion vise simplement à donner le feu vert au processus, et il est à espérer que, puisque le Comité a généralement travaillé sous le signe de la collaboration sur cette question, nous pourrons prendre le temps de déterminer s'il est possible d'intégrer ce dossier dans le calendrier. J'espère que nous aurons le temps de le faire d'ici juin.

  (1550)  

    Je pourrais peut-être répondre rapidement à ce qui vient d'être dit, monsieur le président, puisque cet enjeu a été soulevé par M. Cooper.
    Je pense qu'il faut dire pour le compte rendu que la ministre a nommé 212 personnes à la magistrature, 100 personnes au cours de chacune des deux dernières années. C'est plus que n'importe quel ministre de la Justice dans l'histoire canadienne, y compris tous les ministres de la Justice qui ont servi sous le gouvernement précédent.
    Il faut du temps pour mettre en oeuvre un processus équilibré et fondé sur le mérite qui tient compte de choses comme l'expérience vécue, le sexe, la race et la représentation des personnes handicapées et des Autochtones au sein de la magistrature. Il est clair qu'il ne s'agissait pas d'une priorité du gouvernement précédent. Nous savons pourquoi ce sont les priorités de notre gouvernement. Nous ne nous excuserons pas et nous n'écouterons pas cette réponse. Il s'agissait là d'une critique totalement non méritée et non fondée.
    Merci.
    Revenons maintenant à la clause nonobstant. Je voudrais intervenir un instant, si vous me le permettez, chers collègues.
    En tant que membre d'une collectivité qui a été touchée par la clause nonobstant en 1989 — j'étais alors adolescent — et ayant vu de quelle façon elle avait touché les membres de ma collectivité et à quel point elle avait troublé de nombreuses personnes en raison du fait que leur langue avait été bannie de la sphère publique après une décision de la Cour suprême et malgré une promesse formulée durant les élections selon laquelle les affiches bilingues seraient permises, je comprends assurément la consternation des gens lorsque cette clause est utilisée. Bien sûr, je parle en mon nom et, je crois, au nom de la plupart des membres libéraux du Comité lorsque j'affirme que nous ne soutenons pas l'utilisation de la clause nonobstant. Monsieur Rankin, nous partageons certainement vos préoccupations au sujet d'une utilisation aveugle de cette clause. Cela va de soi.
    Je crois cependant que l'urgence de la question a été quelque peu atténuée par la décision de la Cour d'appel de l'Ontario de surseoir à la décision de Toronto. Selon moi, il faut probablement laisser un peu la poussière retomber afin de s'assurer que, lorsque nous parlerons de cette question, nous le ferons de façon objective et nous saurons que la discussion ne porte pas sur un gouvernement, dans une région du pays et au sujet d'une décision précise.
    À la lumière de tout ce que j'ai entendu jusqu'à présent, nous menons actuellement une étude sur le projet de loi C-75 et nous allons bientôt nous voir référer le projet de loi sur le divorce, le projet de loi C-78. Nous devons aussi terminer notre étude sur la traite de personnes et nous avons l'étude de M. Boissonneault sur la décriminalisation du VIH.
    Puisque, selon moi, les membres du gouvernement sont prêts à discuter de cette question avec vous et à voir de quelle façon on peut l'aborder, je pense que nous n'avons peut-être pas besoin de passer au vote aujourd'hui, nous pourrons y revenir plus tard. Si vous voulez voter aujourd'hui, il n'y a pas de problème. Nous pouvons quand même essayer de trouver des solutions à l'avenir et ramener cette question sur la table si on ne s'entend pas. Nous essayons toujours de trouver un terrain d'entente. Je ne pense pas qu'il y en ait un aujourd'hui, mais les choses seront peut-être différentes à l'avenir.
    Allez-y, monsieur Rankin.
    Merci.
    Je pense que c'est précisément grâce à vous, monsieur le président, que nous avons eu — comme M. Cooper l'a souligné — des relations très harmonieuses au sein du Comité. Il est très rare que nous ayons eu le genre de dissensions qui se produit dans de nombreux autres comités. Je vous en félicite.
     J'ai dit clairement dans mes déclarations, en tout cas, je l'espère, que je ne laissais pas entendre qu'il y avait une urgence quelconque à traiter l'affaire maintenant. Je disais simplement que nous devrions le faire à un moment donné dans le cadre de nos travaux. Selon moi, il est assez surprenant qu'on ne puisse pas s'entendre à ce sujet. Je me suis engagé à reconnaître, par l'intermédiaire de l'importante motion de M. Boissonneault, que c'est un sujet que je pourrais traiter avec le respect qu'il mérite et que nous aborderions le plus rapidement possible. J'aimerais simplement souligner que le Comité ne s'occupe pas uniquement de projets de loi. Je me souviens d'une étude sur l'aide juridique, et c'est un des nombreux exemples d'études qui, franchement, n'avaient rien à voir avec la législation.
    Je veux un vote aujourd'hui, monsieur le président. Selon moi, nous devons faire connaître aux Canadiens notre position sur cette question. S'il y a un meilleur endroit pour le faire, je suis tout ouïe. Je n'admets pas l'affirmation selon laquelle nous n'avons pas le temps. Je le dis de façon respectueuse, mais il s'agit selon moi d'un argument spécieux. Je veux tout simplement qu'on indique pour le compte rendu si nous sommes prêts à faire ce travail. Beaucoup de personnes sont venues me voir pour me demander: « Si ce n'est pas vous, ce sera qui? » Selon moi, ces personnes ont droit à une réponse, alors je vous demande respectueusement la tenue de ce vote.

  (1555)  

    Vous avez parfaitement le droit de demander un vote sur votre motion. Je laissais simplement entendre que, encore une fois, il y a peut-être d'autres façons d'aborder cette question qu'au moyen du type d'études proposées. Même si on passe au vote aujourd'hui, cela ne signifie pas que nous ne trouverons pas une autre façon d'aborder la question.
    Y a-t-il d'autres commentaires sur la motion? Puisqu'il n'y en a pas, puis-je mettre la question aux voix? Êtes-vous d'accord, monsieur Rankin?
    M. Rankin a présenté une motion. Tous ceux qui sont en faveur de la motion?
    (La motion est rejetée. [Voir le Procès-verbal])
    Le président: Je vous remercie encore une fois, chers collègues, de la façon dont vous avez traité cette question. J'apprécie beaucoup la cordialité dont on fait preuve au sein du Comité, même lorsqu'il y a désaccord.
    Puisque nous avons plusieurs votes ce soir qui prolongeront notre réunion, je me demandais aussi, chers collègues, puisque nous sommes un peu en avance, si nous ne pourrions pas convoquer le groupe de témoins qui devait passer à 16 heures afin qu'on puisse commencer un peu plus rapidement.
    Dans l'affirmative, j'invite les témoins du groupe de 16 heures à prendre place, vous quatre. Je vous suis très reconnaissant de votre patience pendant que nous réglions ce dossier. Si vous avez des notes d'allocution, veuillez les remettre au greffier. Merci.
    Je promets qu'il pourra y avoir plusieurs poignées de main à la fin du temps consacré à votre groupe. Je veux tout simplement m'assurer qu'on peut accueillir deux groupes avant d'aller voter. Nous ferons du mieux que nous pouvons.
    Je suis très heureux que nous reprenions notre étude du projet de loi C-75; nous accueillions aujourd'hui un illustre groupe de témoins. Je suis donc heureux de souhaiter la bienvenue, à titre personnel, Mme Laurelly Dale, une avocate de la défense au criminel de la Dale Law Professional Corporation. Bienvenue, madame Dale.
    Nous recevons aussi M. Michael Spratt, avocat au criminel chez Abergel Goldstein and Partners.
    Bienvenue, monsieur Spratt.
    Nous entendrons également Richard Fowler et Rosellen Sullivan du Conseil canadien des avocats de la défense. Bienvenue.
    Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous allons suivre l'ordre du jour, ce qui signifie que vous aurez chacun huit minutes et que nous procéderons conformément à l'ordre. Je ne vous interromprai pas avant 10 minutes, mais ce serait formidable si vous pouvez vous en tenir à huit minutes.
    Nous allons commencer par Mme Dale.
    Bonjour. Je suis heureuse d'avoir l'occasion de comparaître aujourd'hui devant le Comité.
    Je m'appelle Laurelly Dale. Je suis avocate de la défense au criminel depuis plus de 11 ans. Je partage un bureau au centre-ville de Toronto avec le réputé John Rosen. J'ai aussi un bureau dans le Nord-Ouest de l'Ontario, à Kenora.
    Je suis d'abord et avant tout officier de justice. Mais les points de vue que j'exprimerai aujourd'hui font suite à votre invitation de vous faire part de mon avis sur la composante du projet de loi C-75 visant à éliminer les audiences préliminaires.
    Il est nécessaire de mener de vastes consultations auprès des avocats au moment d'établir nos projets de loi. En tant qu'avocate de la défense, je ne suis qu'une des intervenants du milieu plus général de l'administration de la justice. À mon avis, il y a un décalage entre l'objectif de réduire les retards et l'élimination des enquêtes préliminaires. Cette élimination nuirait à l'administration de la justice. Il ne s'agit pas d'un débat entre les stratégies de la Couronne et celles de la défense.
    Je suis également membre de la Criminal Lawyers Association et j'adopte et soutiens sa position à cet égard. Je n'ai pas l'intention de rappeler la position de l'Association. Je suis plutôt ici pour vous donner quatre raisons qui justifient ma position.
    Dans un premier temps, l'élimination des audiences préliminaires ne permettra pas de gagner du temps. La mesure aura en fait l'effet inverse et entraînera plus de retards devant les tribunaux. Nous connaissons tous l'arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada établissant un plafond présumé précis de 30 mois, avec ou sans enquête préliminaire. L'objectif de l'arrêt Jordan est de préserver le droit garanti par l'alinéa 11b) de la Charte, soit le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, et non de se servir de cette affaire comme arme pour nuire à l'administration de la justice.
    Il est faux de prétendre que la mesure proposée réduira les délais devant les tribunaux. Il y a des audiences préliminaires dans seulement 3 % des cas. La majorité des cas qui ont fait l'objet d'une enquête préliminaire ont été réglés au niveau des tribunaux provinciaux. Deux grandes études ont conclu que les enquêtes préliminaires ne contribuent pas de façon importante aux problèmes des retards devant les tribunaux. Les audiences préliminaires facilitent le règlement de procès possiblement longs et coûteux devant les cours supérieures. On les utilise souvent pour remplacer des procès et non en plus des procès. Ces enquêtes permettent d'accélérer le processus d'administration de la justice. Il est beaucoup plus facile et rapide de consacrer de deux à quatre jours à une enquête préliminaire plutôt que une ou deux semaines à un procès devant une cour supérieure.
    Récemment, deux de mes dossiers ont été traités par enquête préliminaire et, au bout du compte, on a ainsi évité la tenue de deux procès devant jury devant une cour supérieure. Le premier dossier concernait un enjeu de consentement dans un cas d'agression sexuelle. Nous avons procédé par enquête préliminaire. Mon client a ainsi pu vraiment voir la preuve contre lui d'une façon que le visionnement de déclarations vidéo ne permet pas. Après une demi-journée, mon client a revu sa position et a décidé de plaider coupable. La plaignante est partie en sachant qu'elle n'allait pas avoir, finalement, à témoigner dans le dossier. Dans le deuxième cas, après une journée d'enquête préliminaire, la Couronne a constaté la faiblesse de sa position. L'enquête préliminaire a révélé l'absence totale d'éléments de preuve à l'appui des accusations, ce qui a mené à un retrait.
    Aucun de ces résultats n'aurait pu être obtenu dans les mêmes délais si nous avions procédé directement devant une cour supérieure. Les enquêtes préliminaires aident à établir des estimations exactes en ce qui concerne les procès et à régler les demandes initiales, les enjeux liés aux communications préalables et les motions.
    Je vous demande d'examiner le système de justice pénale pour les adolescents. C'est un exemple d'un système actuel qui n'a pas recours aux enquêtes préliminaires, sauf dans de rares situations. Il y a encore des retards dans le système pour les jeunes.
    Je me suis occupée du dossier d'un jeune qui avait été accusé de voies de fait graves. La partie plaignante était un enfant de 8 mois. Les accusations étaient très graves. L'enfant a subi des hémorragies cérébrales qui ont causé des dommages permanents.
    Les jeunes contrevenants n'ont pas droit à des enquêtes préliminaires, sauf s'ils sont accusés de meurtre, s'ils sont traités comme des adultes ou s'ils sont traités comme des adultes devant les tribunaux. Le cas dont je vous ai parlé était un exemple de situations où une enquête préliminaire est nécessaire. Il y avait d'importants problèmes de causalité. La Couronne n'a pas produit de rapport d'expert, mais voulait tout de même aller de l'avant. Il y avait des éléments de preuve médicale limités. Afin de pouvoir bien répondre à l'accusation portée contre lui et assurer sa défense, mon client avait besoin de nombreux dossiers de tierces parties. Le délai prévu à l'alinéa 11b) s'écoulait sans que la défense soit fautive. Nous avons prévu le procès sans savoir combien d'experts allaient être nécessaires et sans savoir s'il y aurait des problèmes liés à la Charte. Nous avons reçu des dossiers médicaux grâce à une demande de dossiers entre les mains d'une tierce partie.

  (1600)  

    À partir de là, nous avions besoin d'autres dossiers des services à l'enfance et à la famille pour amorcer le processus d'organisation de notre propre expert. Les éléments de preuve à l'appui de tout ça pouvaient être obtenus grâce au témoignage de la mère de l'enfant, au procès qui serait ajourné en milieu de témoignage, afin qu'on puisse présenter une demande de dossiers entre les mains d'une tierce partie. J'entre beaucoup dans le détail, mais j'établis un point bien réel, soit que, de là, des transcriptions seraient demandées, et il fallait prévoir une autre demande de dossier entre les mains d'une tierce partie. Nous aurions entendu l'horaire, puis attendu 60 jours pour la production des dossiers et 90 jours de plus pour préparer le témoignage de notre expert. Le procès aurait repris des mois plus tard. C'est ce à quoi il faut s'attendre si nous éliminons les enquêtes préliminaires dans notre système pour adultes. Ce n'est pas ainsi qu'on a prévu l'administration de la justice.
    La deuxième justification, c'est que les deux parties, la défense et la Couronne, ont déjà des outils permettant de contourner la tenue d'une enquête préliminaire. La décision de procéder à une enquête préliminaire exige une analyse au cas par cas. Nous ne devons pas présumer que ces enquêtes sont utilisées par la défense comme une tactique dilatoire ou pour obtenir des frais plus élevés par dossier. En tant qu'avocate de la défense, je renonce souvent à des enquêtes préliminaires pour diverses raisons. Parfois, c'est en raison de l'infraction et de la compétence; à d'autres occasions, c'est parce que mes clients sont en détention ou en raison de la solidité de la cause de la Couronne.
    J'ai participé à un important projet lié à la drogue à Toronto. Il y avait de multiples accusés. Une enquête préliminaire de cinq jours avait été prévue en novembre, et, ce qui est rare, la Couronne a préféré procéder par mise en accusation. C'est un outil auquel elle a accès. Il faut obtenir l'autorisation du procureur général. Cependant, la Couronne s'est servie de cet outil pour sauter l'enquête préliminaire et traiter directement l'affaire devant les tribunaux supérieurs.
    La troisième justification, c'est que le projet de loi C-75 accorde la priorité aux faux espoirs d'efficience plutôt qu'à l'équité des procès. L'article 7 de la Charte offre des garanties substantielles et procédurales aux personnes accusées d'un crime. Il est important de ne pas oublier que les enquêtes préliminaires sont seulement accessibles aux personnes accusées d'infractions punissables par mise en accusation, et qui s'exposent à de longues peines d'emprisonnement et de lourdes conséquences si elles sont déclarées coupables. Cette étape supplémentaire constitue une mesure de protection supplémentaire contre les condamnations injustifiées dans le cas des crimes les plus graves.
    J'ai grandi dans le Nord-Ouest de l'Ontario. Ma grand-mère paternelle était une Métisse. Mon bureau à Kenora couvre un important territoire dans le Nord. Nous participons aux cours de circuit. Chaque semaine, environ, nous nous présentons dans des réserves autochtones éloignées en nous serrant dans de petits avions et en croisant les doigts dans l'espoir d'atterrir malgré le brouillard et, parfois, la glace. Il est bien connu que, malheureusement, les Autochtones sont surreprésentés au sein de notre système de justice. Dans mon bureau de Kenora, ils représentent plus de 90 % de mes clients en matière pénale.
     Ce sont eux qui subiront les conséquences de la modification. Le fait d'augmenter les retards signifie qu'ils passeront plus de temps en détention provisoire. Le retrait d'une mesure de protection signifie qu'ils seront les plus susceptibles d'être condamnés à tort. Le projet de loi C-75 n'a pas tenu compte de la façon dont cette décision toucherait le groupe le plus vulnérable.
    Mon quatrième et dernier point, c'est que l'élimination des audiences préliminaires ne tient pas compte des causes profondes des retards. Je ne suis pas ici pour vous fournir une liste exhaustive. Cependant, d'importantes recherches ont établi que les retards sont causés par les peines minimales obligatoires, les pratiques de divulgation et les parties qui se représentent elles-mêmes.
    En conclusion, l'élimination des audiences préliminaires nuira à l'administration de la justice. Le pouvoir discrétionnaire est retiré à l'échelon provincial. Des procès longs et dispendieux devant les cours supérieures deviendront la norme, ce qui exercera des demandes sur les ressources auxquelles notre système ne peut pas répondre. Il n'y a pas de données pour soutenir le projet de loi C-75. D'après mon expérience et les données dont je dispose, l'élimination des enquêtes préliminaires entraînera plutôt en fait des retards importants.
    Le projet de loi C-75 est une réponse illogique au problème des retards devant les tribunaux. Le public pourrait perdre confiance en notre administration de la justice si nos accusés n'ont plus la capacité de présenter une défense pleine et entière, et les retards judiciaires existeront inévitablement malgré l'élimination des audiences préliminaires.
    Sous réserve de toute question, voilà ce que j'avais à vous dire.

  (1605)  

    Merci beaucoup, madame Dale.
    Nous passons maintenant à M. Spratt.
    Merci. C'est toujours un honneur et un plaisir de comparaître devant le Comité. J'ai soumis un mémoire qui compte neuf pages, alors je n'ai pas l'intention de le passer en revue en détail. Vous avez l'information. Je pense que vous constaterez que mes collègues et moi sommes vraiment d'accord sur certaines de ces questions.
    La tenue d'enquêtes préliminaires est une pratique de longue date du système de justice pénale canadien. Il s'agit aussi d'une garantie procédurale. Elle est accessible seulement aux personnes accusées de certaines des infractions les plus graves et vise à garantir qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour que les choses puissent aller de l'avant et que les accusés puissent faire l'objet d'un procès. En plus de cette fonction d'évaluation initiale, l'enquête préliminaire offre aussi un certain nombre d'avantages secondaires qui favorisent le fonctionnement efficient du système de justice et améliorent son équité et la qualité des procédures judiciaires devant nos tribunaux.
    Comme ma collègue l'a dit, les enquêtes préliminaires accaparent très peu de temps devant les tribunaux provinciaux tout en offrant d'importants gains d'efficience, et ce, d'un certain nombre de façons différentes. Elles ciblent les questions à trancher durant le procès et permettent de cerner les problèmes de preuve qui risquent de survenir au milieu d'un procès. Elles garantissent aussi que les parties connaissent suffisamment bien la preuve, ce qui peut aider à régler certaines affaires d'entrée de jeu, sans qu'un procès soit nécessaire. Fait important, les enquêtes préliminaires accroissent l'équité de notre système de procès en permettant à la Couronne et à la Défense d'évaluer les forces et les faiblesses du dossier, d'évaluer la fiabilité et la crédibilité des témoins et, surtout, de préserver et de consigner la preuve dès le début. Très souvent, une enquête préliminaire permet à la Couronne de présenter des éléments de preuve au procès concernant des témoins qui se sont évadés, qui se retrouvent en détention, qui se sont rétractés ou qui sont décédés en attente du procès.
    Le gouvernement justifie de deux façons les limites en matière d'enquête préliminaire prévue dans le projet de loi. D'un côté, l'efficience, et de l'autre, le désir de réduire le fardeau imposé aux témoins et plaignants. Ma collègue a raison: il y a un problème de retards dans nos tribunaux, mais les enquêtes préliminaires n'en sont pas la cause. En fait, l'accent mis sur l'efficience ne fait pas que faire fi des questions d'équité que j'ai soulevées; il passe aussi sous silence les données probantes et l'expérience liées à la façon dont les enquêtes préliminaires peuvent, en fait, accélérer les procédures. Je vais passer en revue ces données probantes avec vous. J'ai donné certains exemples dans mon mémoire. On peut voir que le nombre d'enquêtes préliminaires a diminué et que les enquêtes préliminaires — si on pense précisément aux problèmes ayant mené à l'arrêt Jordan — ne sont pas à l'origine de façon disproportionnée des problèmes liés à la suspension d'affaires soulevés dans l'arrêt Jordan. Cependant, il n'y a pas beaucoup de données probantes à cet égard. Les tenants du projet de loi n'ont pas indiqué exactement quand les enquêtes préliminaires ont lieu, le nombre de cas réglés à la suite de l'enquête préliminaire ou le nombre d'heures épargnées par les tribunaux. C'est le type de données probantes qui, selon moi, devrait être communiqué avant qu'on apporte des changements. C'est le genre d'élaboration de politiques fondées sur des données probantes que, selon moi, nous méritons au sein de notre système de justice pénale.
    Je crois pouvoir dire sans me tromper que les enquêtes préliminaires ne sont pas chose courante, mais elles ont tout de même été étudiées dans une certaine mesure. Bien sûr, vous avez pris connaissance du rapport de 2017 du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui a révélé qu'il n'y avait pas de consensus entre les témoins entendus au sujet de l'élimination des enquêtes préliminaires. Il n'y avait pas de consensus non plus entre ces témoins sur une éventuelle limitation de ces enquêtes. En effet, le comité a déclaré qu'il n'y avait même pas de consensus entre les provinces quant au sort qu'il fallait réserver aux enquêtes préliminaires.
    Lorsqu'on regarde les enquêtes préliminaires, ce que nous savons et ce que je suis ici pour vous dire en tant que praticien, c'est qu'elles constituent une façon idéale de vraiment faire des gains d'efficience au sein du système de justice. Comme je l'ai dit, ces enquêtes permettent de cerner des problèmes. Ce sont des outils d'une valeur inestimable pour s'assurer de ne pas découvrir au beau milieu de l'exposé des éléments de preuve durant un procès une contestation en vertu de la Charte ou un problème lié aux fouilles et saisies. Dans les affaires d'agression sexuelle, s'il y a un problème concernant les antécédents sexuels de tiers, on s'assure qu'on ne les découvre pas au beau milieu du procès, ce qui entraîne des ajournements devant la Cour supérieure ou, ce qui est plus probable en cas de procès devant jury, ce qui peut mettre en péril tout le procès en tant que tel. On ne peut pas ajourner un procès devant jury pour se pencher sur ces problèmes, mais on peut les cerner rapidement grâce à une enquête préliminaire.
    Je crois savoir — et je vais le présumer — que le Comité connaît l'étude de Mme Webster. Je sais qu'elle a été citée dans un certain nombre de mémoires. C'est là une ressource très utile qui soutient certaines des données probantes anecdotiques qu'on vous fournira aujourd'hui.

  (1610)  

    Il y a deux enjeux qui, selon moi, n'ont pas été abordés. Le premier concerne le fait que l'enquête préliminaire est une fonction d'examen judiciaire importante. Dans un grand nombre d'affaires, le projet de loi entraînera le transfert de cette fonction, de ce pouvoir discrétionnaire, en le remettant aux procureurs de la Couronne, qui, bien sûr, ne font pas l'objet d'un contrôle, ce qui peut parfois causer certains problèmes. Cette modification du pouvoir judiciaire discrétionnaire a fait l'objet d'une certaine critique négative de la Cour suprême dans l'arrêt Nur.
    Ensuite, en ce qui concerne les problèmes de retard, dans l'arrêt Jordan, la Cour suprême a tenu compte précisément d'un délai de 30 mois pour les procédures en deux étapes, soit des procédures assorties d'une enquête préliminaire.
    Selon moi, il n'est pas vraiment possible de justifier ces 30 mois si les procédures ne comptent plus qu'une étape. C'est une question qui est actuellement devant la Cour d'appel de l'Ontario. En éliminant les enquêtes préliminaires, on pourrait se retrouver avec un problème beaucoup plus important à la lumière de l'arrêt Jordan, en plus de perdre les gains d'efficience découlant de telles enquêtes.
    Je veux utiliser les quelques minutes qu'il me reste pour vous parler de la fonction de communication préalable.
    Je sais que les personnes favorables à la limitation des enquêtes préliminaires affirment que, depuis l'avènement de la Charte, depuis l'arrêt Stinchcombe, la défense compte sur énormément de communications. C'est vrai, il en est bel et bien ainsi. Ces communications nous permettent souvent de répondre aux questions « qui, quoi, où et quand », mais, souvent, elles ne permettent pas de répondre à la question « pourquoi ». C'est quelque chose que les agents de police ne consignent pas toujours dans leurs notes. Ces communications ne nous permettent pas de cerner les problèmes liés à la fiabilité ou la crédibilité, des choses qu'on peut seulement découvrir grâce à des témoignages.
     Je peux vous dire que, pas plus tard qu'aujourd'hui, devant la Cour supérieure de justice d'Ottawa, je participais à la phase précédant l'instruction d'une affaire assortie d'une enquête préliminaire d'une journée. Il aurait fallu un procès de deux semaines, mais le dossier a été réglé parce qu'on a pu répondre à la question « pourquoi », et les parties se sont entendues.
    Pour terminer, je tiens à dire que, dans mon mémoire, j'ai proposé des amendements qu'on pourrait apporter pour officialiser une procédure de communication préalable ou pour peut-être exiger une meilleure justification de la part de la partie qui demande une enquête préliminaire.
    Je veux maintenant dissiper certaines faussetés parfois entendues. La ministre de la Justice a dit devant la Chambre des communes qu'il existe déjà certaines procédures pour régler une partie des problèmes associés à la fonction de communication préalable. Elle a dit qu'il y aurait encore une certaine marge de manoeuvre dans les processus actuels, comme les enquêtes préalables hors cour, qui ont déjà été mis en oeuvre dans certaines provinces, comme l'Ontario et le Québec.
    Je peux vous dire que ce n'est pas vraiment le cas. En Ontario, il n'y a pas de processus officiel d'enquête préalable hors cour dans le cadre des procédures pénales. On peut le faire de façon officieuse avec le consentement de la Couronne, mais il n'y a pas de mécanisme officiel à cet égard. Cela signifie que, si le Comité veut recourir à cette procédure comme mesure de protection contre certaines des préoccupations, ce n'est pas une mesure uniforme à l'échelle canadienne et elle n'est assurément pas accessible et réglementée dans tous les cas en Ontario.
    Les enquêtes préliminaires et les enquêtes préliminaires inutiles ont déjà été restreintes par le recours à l'article 540 du Code criminel qui permet à la Couronne de présenter des preuves et des déclarations écrites. Cette mesure a réduit une partie du fardeau pour les gens qui devaient témoigner. Bien sûr, il faut que la partie qui présente la demande, habituellement la défense, respecte les articles 536.4 et 536.5 du Code criminel au sujet de l'avis concernant les questions à trancher et les témoins qu'elle aimerait entendre.
    On peut peut-être apporter des modifications pour solidifier ces dispositions, mais les mesures de contrôle actuelles ont réglé certains des problèmes déjà soulevés. Je suis très préoccupé par le fait que nous sacrifions l'équité sur l'autel de l'efficience sans que, au bout du compte, les gains d'efficience escomptés se concrétisent.

  (1615)  

    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer au Conseil canadien des avocats de la défense.
    Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aux honorables membres du Comité. Il s'agit de ma troisième comparution devant le Comité, et c'est un honneur d'être à nouveau parmi vous. Ma collègue et moi sommes ici de la côte gauche et de la côte droite — je vous laisse décider laquelle est la gauche et laquelle est la droite — et nous savons beaucoup moins de choses au sujet de ce qui se produit au centre.
    Je tiens d'abord à dire que nous appuyons et soutenons les commentaires que vous avez déjà entendus. La force de notre accord en tant qu'avocats de la défense révèle ce que nous avons appris de nos nombreuses années d'expérience. Ensemble, ma collègue et moi avons accumulé 44 ans d'expérience. Pour ma part, j'ai participé à plus de 500 procès, dont plus de 50 pour meurtre. J'ai procédé à des enquêtes préliminaires lorsque cela était nécessaire.
    J'aimerais aussi commencer par dire que nous sommes ici aujourd'hui pour parler d'enquêtes préliminaires, mais il y a d'autres aspects du projet de loi qui nous préoccupent grandement. Je dirais simplement, en passant, que l'abolition des récusations péremptoires est une grave erreur. J'ai participé à la sélection de plus de 100 jurys, et je n'ai jamais vu la récusation utilisée à mauvais escient. Elle est nécessaire.
    Revenons aux enquêtes préliminaires. Je suis convaincu qu'il s'agit d'un outil essentiel au sein d'un système de justice efficient, équitable et fiable. Je n'ai vu en outre aucune donnée donnant à penser d'une façon quelconque que leur abolition est justifiée. En fait, le projet de loi lui-même est incohérent, parce qu'il conserve les enquêtes préliminaires dans le cas des infractions pouvant mener à une peine d'emprisonnement à perpétuité, mais c'est aussi là une position arbitraire, dans le cas du vol qualifié, par exemple. L'abolition des enquêtes préliminaires est une décision à courte vue qui créera beaucoup plus de problèmes que bon nombre le prévoient.
    Je vais vous donner un exemple. J'ai été l'avocat d'une personne accusée d'infractions sexuelles passées. Il y avait cinq plaignantes. Les infractions remontaient à la période de 1959 à 1992. Nous avons choisi un procès devant un juge de la Cour suprême et demandé une enquête préliminaire. Une enquête a été prévue. Peu avant la date de début de l'enquête préliminaire, l'avocat de la Couronne a préféré procéder par acte d'accusation, et nous sommes allés directement devant la Cour suprême.
    Le procès a duré plus de deux ans. Pourquoi? À l'insu de la Couronne et de la défense, il y avait un certain nombre d'enjeux liés à l'article 276 — qui concerne les antécédents sexuels — ainsi qu'au moins deux — peut-être trois — demandes de dossiers qui étaient entre les mains d'une tierce partie. Comme vous pouvez l'imaginer, dans les dossiers d'infractions sexuelles passées, la présentation de telles demandes est très probable. Il y a aussi eu une demande de séparation. Toutes ces demandes ont été acceptées, c'est-à-dire qu'elles étaient toutes fondées. Le procès a donc dû être ajourné trois ou quatre fois.
    Bien sûr, il est très difficile de remettre au rôle un procès qui a été ajourné, ce qui, ironiquement, est un important inconvénient pour les plaignants. Ils commencent leur témoignage, on commence le contre-interrogatoire, puis on découvre des éléments de preuve exigeant une décision au titre de l'article 276. Un ajournement est demandé, et les personnes doivent ensuite revenir.
    À mon humble avis, les enquêtes préliminaires ne doivent pas et ne devraient pas être abolies. Il faut les améliorer. Par exemple, les juges des tribunaux provinciaux n'ont à peu près aucun pouvoir à l'étape de l'enquête préliminaire. Le critère lié au renvoi est très faible. Il faut donner aux juges plus de pouvoir durant les enquêtes préliminaires, comme la compétence d'ordonner la communication. Il est souvent évident pour tout le monde dans une salle de cour que la défense a droit à cette communication, mais il faut attendre de se retrouver devant la Cour suprême pour obtenir une ordonnance et recevoir l'information. Les juges doivent avoir le pouvoir d'entendre des demandes de dossiers détenus par une tierce partie et de se prononcer sur les antécédents sexuels.
    En d'autres mots, il faut leur donner les pouvoirs de se prononcer sur des questions avant qu'on se retrouve devant la Cour suprême pour un procès. Utilisons les enquêtes préliminaires pour nous assurer que, une fois devant la Cour suprême, le procès se déroule de façon efficiente, sans interruption et sans motions inutiles.
    C'est le manque de pouvoir du « juge présidant l'enquête préliminaire », comme c'est défini dans le code, qui suscite les préoccupations selon lesquelles, dans certains cas, de telles enquêtes semblent être une perte de temps.

  (1620)  

    Il faut les améliorer, pas les abolir.
    Merci.
    Bonjour. Je m'appelle Rosellen Sullivan. Je viens de Terre-Neuve, qui se trouve, je dirais, sur la bonne côte.
    Des députés: Ah, ah!
    Mme Rosellen Sullivan: En fait, cela va de soi.
    Je ne veux pas répéter ce que mes collègues ont dit. Encore une fois, nous sommes tous d'accord, et, selon moi, c'est important.
    Je veux parler de mon expérience à Terre-Neuve où j'estime qu'il y a des problèmes liés à l'arrêt Jordan dans moins de 3 % des cas, et ce, même lorsque l'affaire Jordan posait problème.
    Ce qui me préoccupe, bien sûr, c'est de savoir si la décision en tant que telle a permis de régler bon nombre des problèmes qui, au départ, ont mené à l'arrêt Jordan. Selon moi, ce n'est pas ce que laissent entendre les données empiriques. Plus particulièrement, j'affirme que, dans mon coin de pays, une bonne partie des problèmes de retards sont surtout liés à la communication, plutôt qu'aux enquêtes préliminaires, et ce, surtout dans les affaires importantes liées à la LRCDAS et dans beaucoup de dossiers où il y a une grande quantité d'analyses judiciaires et de communications de nature médicolégale, ce qui est assez courant de nos jours. Souvent, c'est ce qui explique les retards.
    En fait, je dirais que certaines des autres modifications proposées auront des conséquences à ce chapitre. Encore une fois, je sais que nous sommes ici pour parler des enquêtes préliminaires, mais, si vous regardez la question des récusations péremptoires, je dirais qu'elles vont causer des retards, parce qu'elles entraîneront plus de demandes de récusations motivées. L'autre exemple qui me vient à l'esprit concerne les agents de police qui lisent des éléments de preuve, ce qui entraînera une étape de plus en cours de processus lorsque les avocats de la défense présenteront des demandes de contre-interrogatoire.
    Pour ce qui est de savoir si le système a déjà ou non réglé les enjeux liés à l'arrêt Jordan, je peux vous dire qu'il est maintenant courant à Terre-Neuve que tous ces problèmes soient réglés à l'étape de l'étude du dossier. Les parties demandent explicitement des dérogations. On indique explicitement les motifs des demandes d'ajournement au dossier, afin que tout soit clair et justifié.
    J'irai encore plus loin que mon collègue au sujet du besoin de donner plus de pouvoir aux juges dans le cadre des enquêtes préliminaires et j'affirmerai qu'on pourrait également envisager de hausser le seuil lié au renvoi. Une parcelle de preuve est en fait un seuil très bas. Il arrive très souvent qu'un juge dise: « Je ne peux pas trancher les questions de crédibilité. Je ne peux pas me prononcer sur ces questions. » Si le seuil était plus élevé et si l'on pouvait trancher ces enjeux, je crois que ce serait beaucoup plus efficace et qu'on pourrait ainsi faire beaucoup plus que seulement éliminer les dossiers qui ne font pas l'objet d'un procès. Je sais qu'on vous l'a tous dit d'un point de vue anecdotique, mais sachez que, au cours des deux dernières enquêtes préliminaires auxquelles j'ai participé, dans un cas, la Couronne a retiré l'accusation après l'enquête préliminaire parce qu'il était évident que les déclarations des témoins étaient incohérentes, et, dans l'autre, la solidité de la poursuite était telle, que mon client a décidé de conclure une entente.
    Selon moi, les enquêtes préliminaires sont un moyen plus efficace de rationaliser le traitement des affaires.
    Sous réserve de toutes questions que vous pourriez avoir, ce sont là les commentaires que je voulais formuler.

  (1625)  

    Merci beaucoup à tous les témoins.
    Les conservateurs sont les premiers à poser des questions.
    Merci beaucoup aux témoins d'avoir pris le temps de participer à notre étude du projet de loi.
    Je veux obtenir deux ou trois précisions de deux ou trois d'entre vous.
    Monsieur Dale, vous avez parlé du faux espoir d'efficience en ce qui concerne l'élimination des enquêtes préliminaires. Selon vous — et c'est peut-être aussi l'avis de M. Spratt —, y a-t-il des exemples d'administrations pouvant appuyer vos arguments? Y a-t-il eu des données probantes — M. Fowler ou Mme Sullivan peuvent aussi répondre — d'autres administrations que notre administration devrait considérer comme un avertissement à cet égard?
    Je n'ai assurément pas ce genre de données probantes à portée de main. Mes expériences sont de nature plus anecdotique.
    Je sais que, dans le passé, le Comité a entendu M. Doob et Mme Webster, qui sont peut-être mieux placés pour vous fournir des renseignements statistiques complémentaires.
    Cependant, pour ce qui est de votre expérience pratique — c'est évidemment à cet égard que vous avez une certaine expertise, parce que vous êtes sur le terrain et que vous êtes là lorsque les affaires sont à l'étude —, ne craignez-vous pas que tout ça contribue au problème auquel nous sommes confrontés depuis l'arrêt Jordan?
    Non, bien au contraire. Je peux vous dire qu'on procède rarement à des enquêtes préliminaires. Je le fais rarement. Lorsqu'on le fait, même dans des dossiers très complexes, comme des meurtres au deuxième ou au premier degré, ces enquêtes sont très limitées et très ciblées, surtout dernièrement. En outre, je peux dire sans l'ombre d'un doute que chaque heure que je consacre à une enquête préliminaire permet d'économiser 10 fois plus d'heures devant la Cour supérieure.
    Dans le cadre de votre travail, avez-vous vu beaucoup de cas d'abus des enquêtes préliminaires?
    Je n'en ai pas vu, et c'est en partie en raison du fait que, pour bon nombre des accusations très graves qui font l'objet d'enquêtes préliminaires, une bonne partie de mes clients sont en détention, et l'un des principaux enjeux, c'est qu'ils ne veulent pas retarder leur procès et que le fait de passer du temps devant le tribunal peut entraîner des retards. C'est la raison pour laquelle, selon moi, l'avocat de la défense ne va pas demander des enquêtes préliminaires pour retarder le traitement des dossiers ou en établir pour faire obstruction ou dans le but d'y aborder des questions répétitives, sans but ou inutiles.
    Je vais poursuivre sur la lancée de mon collègue: vous nous demandez si des gens ont déjà abusé des enquêtes préliminaires. Bien sûr — soyons honnêtes —, mais utilise-t-on ces enquêtes couramment pour causer des retards? Non, parce que les juges ont des pouvoirs maintenant, grâce aux audiences ciblées, et ils peuvent demander à l'avocat de s'approcher pour lui demander: « Eh bien, de quelle façon allez-vous vous servir du temps que le tribunal vous accordera? Quel témoin appellerez-vous? Combien de temps consacrerez-vous à chaque témoin? Quels seront les enjeux soulevés durant l'enquête préliminaire? » Ces processus sont très rationalisés.
    La plupart des enquêtes préliminaires auxquelles j'ai participé concernaient des affaires de meurtre et, souvent, elles ne prenaient pas plus de trois ou quatre jours, même si le procès devait durer un mois ou deux. Nous nous concentrions sur les questions pour lesquelles l'enquête préliminaire allait donner des résultats bien concrets.
    Vous devez aussi savoir que les enquêtes préliminaires sont très utiles pour la Couronne. En fait — je ne veux pas révéler trop de secrets —, je renonce souvent à une enquête préliminaire parce que je sais qu'elle sera plus utile à la Couronne qu'à moi.
    Elles sont donc extrêmement précieuses et, tant qu'on n'est pas sur le terrain, qu'on n'examine pas un dossier, qu'on ne se prépare pas pour une comparution devant le tribunal et qu'on ne sait pas à quoi ressemblent les procès, il est difficile de comprendre à quel point les enquêtes préliminaires sont utiles, mais elles le sont vraiment.

  (1630)  

    Si vous me permettez d'ajouter quelque chose très rapidement au sujet de l'aspect pratique de la mise au rôle d'une enquête préliminaire, je ne peux pas me présenter devant un tribunal et affirmer vouloir établir une date d'enquête préliminaire et voir ma demande acceptée. Dans quasiment toutes les administrations, il faut participer à la phase précédant l'instruction en compagnie du juge pour obtenir du temps devant le tribunal, et il y a donc, d'entrée de jeu, un processus permettant de limiter la perte de temps du tribunal ou la mise au rôle de périodes pouvant ne pas être utilisées de façon appropriée.
    En tout cas, en tant qu'avocat de la défense, vous ne voulez pas non plus avoir la réputation d'abuser de ce privilège.
    Tout à fait, et je ne veux pas non plus perdre le temps de mes clients.
    Il vous reste une minute, monsieur Clement.
    D'accord.
    Monsieur Fowler, en ce qui a trait à la façon dont les choses se déroulent concrètement, le système de justice pénale évolue constamment, tout comme les procédures. Diriez-vous que votre conclusion, c'est que les avocats de la défense, durant cette évolution, en sont venus à adopter une position où, maintenant, ils utilisent les enquêtes préliminaires de façon experte, et non pas comme une tactique dilatoire, et que c'est ainsi que la pratique a évolué?
    Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous venez de dire. Je crois que les avocats de la défense utilisent seulement les enquêtes préliminaires lorsqu'elles sont nécessaires. Je crois que vous avez soulevé un point très important: personne ne veut avoir la réputation de perdre le temps du tribunal. Ce n'est plus tellement problématique maintenant. Le temps des tribunaux est précieux. Tout le monde en parle, du moment où le dossier est soumis et on comparaît pour la première fois devant le tribunal.
    À part la réputation d'être malhonnête devant le tribunal, la pire réputation qu'on peut avoir, c'est de perdre le temps du tribunal. Il n'y a absolument aucun avantage à cela. Cette culture a changé complètement. Même si cette culture a déjà existé, ce n'est plus quelque chose qui est dans l'esprit des gens.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous passons à M. Fraser.
    Merci beaucoup.
    Merci à vous tous d'être là. J'ai bien aimé vos exposés et vos commentaires judicieux à ce sujet.
    Monsieur Spratt, vous avez parlé de façon anecdotique, et c'est le genre d'information que vous pouvez nous fournir aujourd'hui. Je reconnais qu'il ne semble pas y avoir beaucoup de données à ce sujet, mais, d'après votre expérience, à quelle fréquence renonce-t-on à des enquêtes préliminaires une fois qu'elles ont été prévues? Pouvez-vous aussi formuler des commentaires sur le temps qu'il faut pour en prévoir? Si on renonce aux enquêtes peu de temps avant le moment où elles avaient été prévues, alors c'est du temps de la cour qui est perdu.
    Je ne me souviens pas d'avoir demandé une enquête préliminaire pour ensuite y renoncer à une date ultérieure. Je suis sûr que je l'ai fait à un moment donné, mais ce n'est pas pratique courante. C'est parce que le temps de la cour est tellement précieux. Lorsqu'on parle des causes profondes des retards — pourquoi faut-il tant de temps, dans certains cas, pour qu'une affaire soit entendue — une partie de la réponse, selon moi, concerne la communication, et une autre partie concerne le processus de l'aide juridique, mais, de façon générale, c'est une question d'obtenir du temps devant la cour. Il est là, le plus long retard.
    J'ai des clients en détention qui, selon moi, devraient bénéficier d'une enquête préliminaire. On pourrait cibler l'enjeu, et une telle enquête pourrait leur être bénéfique, mais ils ne veulent tout de même pas d'une enquête préliminaire en raison des retards que cela provoquera dans leur dossier. Il est très rare qu'une enquête préliminaire soit mise au rôle, puis qu'on y renonce. Et même lorsqu'il en est ainsi, au moins à Ottawa, on fixe des dates d'audience en double ou en triple et donc, si une enquête préliminaire est prévue au rôle, puis qu'on y renonce, du moins dans notre administration, le temps qui devait être consacré à cette enquête préliminaire sera consacré à un autre procès.
    Vous avez parlé un peu du fait qu'il n'y a pas de mécanisme de communication préalable pour les poursuites criminelles ou qu'il n'y a pas de mécanisme pour en demander, même si, j'imagine, que c'est quelque chose qui se produit de façon officieuse. Selon vous, y aurait-il une façon de prévoir dans notre système de meilleures pratiques de gestion de cas et de miser sur des procédures de communication préalable qu'on utilise à l'extérieur des tribunaux pour gagner du temps?
    Je crois que oui, et surtout avec une norme concernant le renvoi aussi faible, je préfère opter pour un processus de communication préalable. C'est quelque chose qu'on peut organiser beaucoup plus rapidement et qu'on peut faire avec beaucoup plus de souplesse. Je n'ai pas à me lever lorsque je pose des questions. En fait, je n'ai même pas à porter un complet. Il y a beaucoup d'avantages à un tel processus de communication préalable, mais je crois que, si on doit s'appuyer sur une telle procédure, elle doit être uniforme. Il doit s'agir d'un processus fondé sur la législation, parce que différentes administrations ont différentes règles, et je ne veux pas me fier au pouvoir discrétionnaire d'un avocat de la Couronne quant à savoir s'il sera d'accord ou non avec le recours à un tel processus.

  (1635)  

    Pensez-vous que cela va permettre de dissiper la plupart des préoccupations soulevées aujourd'hui? Cela réduit les enjeux. De toute évidence, vous avez les moyens de vérifier une partie des éléments de preuve. Vous pouvez déterminer s'il y a ou non des questions de communication préalable auxquelles on doit répondre, et ce genre de choses.
    Cela permettrait de dissiper une bonne partie de mes préoccupations. Je ne crois pas que cela s'appliquerait nécessairement dans tous les cas, parce qu'on a toujours cette fonction de sélection. Même si le seuil concernant les renvois est très faible, je me suis occupé, en tant qu'avocat, de beaucoup d'affaires où le renvoi n'a pas été ordonné pour tous les chefs d'accusation, voire pas du tout. Je ne voudrais pas perdre cette mesure, mais dans 90 à 95 % des affaires qui devraient, à mon avis, faire l'objet d'une enquête préliminaire, je serais satisfait par une procédure de communication préalable.
    Si vous deviez fixer aujourd'hui une enquête préliminaire à Ottawa, combien de temps faudra-t-il attendre pour y arriver?
    Si nous parlons d'une journée ou deux en détention, nous pourrions attendre de quatre à huit mois, et s'il s'agit d'une personne en liberté, nous pourrions devoir attendre plus de un an avant de passer devant les tribunaux.
    L'autre chose au sujet du processus de communication préalable, c'est que nous n'avons pas besoin de juges. Pour l'essentiel, cela peut se faire en l'absence d'une intervention judiciaire.
    Monsieur Fowler, vous avez parlé brièvement de problèmes liés à la gestion des cas. Y aurait-il une façon de contourner la nécessité de tenir une enquête préliminaire au moyen de la gestion des cas et de la communication préalable?
    J'ai des réserves par rapport au processus de communication préalable car, m'étant retrouvé dans de nombreuses salles d'audience différentes, durant de nombreux jours différents, j'ai remarqué quelque chose par rapport au caractère formel du processus, à la prestation du serment et à la présence du juge, qui inculque vraiment aux gens l'idée qu'ils doivent dire la vérité. Nous ne pouvons sous-estimer cela. Le caractère informel du processus de communication de la preuve ne répond pas à cette question fondamentale, qui est la pression de dire la vérité. Cela ne transmet pas le message selon lequel nous prenons cela au sérieux.
    En ce qui concerne la gestion des cas, il y a un grand éventail d'administrations dont la disponibilité des ressources et les besoins sont différents. Je pense que la solution tient à prévoir la centralisation de la gestion des cas dans le Code criminel, plutôt que celui-ci confère ce pouvoir aux provinces et aux juges. Les juges en chef dans les provinces et les territoires particuliers sont les mieux placés pour déterminer comment utiliser au mieux la gestion des cas, compte tenu des ressources dont ils disposent et de la fluctuation des affaires, de la fluctuation du nombre de juges et de ce genre de choses.
    Madame Dale, je suis curieux: vous avez parlé de la façon dont l'enquête préliminaire débouche sur de nouveaux renseignements ou que le fait que chaque partie voie quels éléments de preuve peuvent être présentés au procès entraîne en réalité plus souvent des règlements. Pourriez-vous nous donner des renseignements anecdotiques sur la fréquence à laquelle les affaires se règlent après la tenue d'une enquête préliminaire?
    Je peux dire que deux des trois dernières enquêtes préliminaires que j'ai menées cette année se sont réglées à l'échelon de la cour provinciale. Cela va dans le sens — et je sais qu'on en a fait mention — de l'étude de Webster et Bebbington de 2013 selon laquelle, particulièrement en Ontario, il y a deux fois plus de causes réglées en cour provinciale grâce à des enquêtes préliminaires.
    Lorsque je mets au rôle une enquête préliminaire... nous devons tous passer à travers le processus préparatoire au procès. Nous devons en quelque sorte nous battre pour calculer le temps nécessaire et montrer pourquoi nous avons besoin de l'enquête préliminaire, parce que ces enquêtes ne sont pas simplement accordées sur demande. On doit transmettre tout un tas de types de renseignements et assurer une grande coordination avant qu'elles soient mises au rôle. La Couronne comme la défense se demandent si cela débouchera ou non sur un règlement à l'échelon provincial, plutôt que de voir l'affaire renvoyée devant un tribunal d'instance supérieure.
    Si je peux poser une question très rapidement, lorsqu'une affaire doit faire l'objet d'une enquête préliminaire, arrive-t-il souvent qu'elle soit éliminée ou supprimée parce que la personne fait un nouveau choix ou plaide coupable, une fois que l'enquête préliminaire a été fixée?

  (1640)  

    Parlez-vous d'éliminer l'enquête préliminaire?
    Eh bien, il ne vous serait pas nécessaire de tenir l'enquête préliminaire, parce que six mois plus tard, vous n'en auriez plus besoin, parce que vous auriez fait un nouveau choix et que la personne aurait plaidé coupable.
    Je serais d'accord avec les commentaires de mon ami. Je ne me rappelle pas l'avoir fait récemment. Je pense que cela se produit très rarement.
    De façon générale, lorsqu'une enquête préliminaire est mise au rôle, c'est pour un but très ciblé. Même si on la présente comme une répétition générale du procès, c'est une description un peu généreuse, parce que la Couronne n'a pas besoin de fournir tous ses témoins et ses éléments de preuve. En général, les parties s'entendent sur les témoins qu'elles souhaitent entendre, et c'est très ciblé.
    Merci.
    Merci. Je suis sûr que j'ai dépassé mon temps.
    Allez-y, monsieur Rankin.
    Merci.
    Je vais commencer par vous, monsieur Fowler, car je crois que vous êtes celui qui venez de plus loin. Je veux vous dire quelque chose, monsieur. Je ne suis pas d'accord avec vous sur certains points, mais pour ce qui est de savoir quelle est la bonne côte, je pense que nous serions d'accord pour dire que, bien sûr, c'est la côte ouest. Je voulais juste le dire aux fins du compte rendu.
    Je pense que l'idée maîtresse de vos commentaires, c'était le besoin d'améliorer, et non pas d'abolir, les enquêtes préliminaires. Je pense que tout le monde l'a dit. Je crois que vous l'avez dit de façon très ferme.
    Vous avez soulevé en passant toute la question des récusations péremptoires. Vous avez dit que, selon votre expérience, elles n'étaient jamais utilisées à mauvais escient. Je pense que de nombreuses personnes qui sont venues ici diraient que, dans l'affaire Stanley avec Colten Boushie, en Saskatchewan, où un Autochtone est décédé, l'avocat de M. Stanley a obtenu qu'aucun Autochtone ne fasse partie du jury. Certainement, cela a sérieusement inquiété beaucoup de Canadiens, qui m'ont écrit.
    Je reconnais que certaines personnes ont dit utiliser les récusations péremptoires précisément pour que des personnes racialisées puissent faire partie de jurys. J'aimerais seulement vous donner l'occasion d'approfondir vos commentaires convaincants sur les récusations péremptoires. Je vous demande si vous ne croyez pas qu'il y a eu mauvaise utilisation, dans ce cas, du moins.
    Eh bien, vous savez, je n'étais pas là, mais j'ai beaucoup lu sur cette affaire. À ce que je sache, je n'ai vu aucune donnée sur qui a été écarté, qui était Autochtone. Je n'ai entendu aucun élément de preuve au sujet du nombre d'Autochtones qui figuraient au tableau, qui est le groupe de personnes à partir duquel le jury est sélectionné. De plus, je crois fermement que nous ne devrions pas faire reposer une réforme fondamentale du droit criminel sur des anecdotes. Nous devrions la fonder sur des recherches et des données recueillies à l'aide de sources fiables.
    Permettez-moi de vous poser cette question rhétorique, parce que nous sommes au courant de l'affaire Boushie. Permettez-moi de vous poser cette question.
    Un client est accusé d'agression sexuelle. Nous avons éliminé les récusations péremptoires, donc la Couronne n'est pas en mesure de décider qui compose le jury; je ne suis pas en mesure de déterminer qui compose le jury. Par chance — parce que c'est ce qui arrivera — 12 hommes sont sélectionnés. C'est un cas d'agression sexuelle très médiatisé, 12 hommes composent le jury, et mon client est acquitté. À quoi ressemblera le tollé, à votre avis?
    Je peux vous dire que, quand les récusations péremptoires sont en place, des femmes feraient partie de ce jury. Nous utilisons les récusations péremptoires parce que ceux d'entre nous qui plaident des procès devant jury — et de nombreux avocats ne le font pas — croient qu'un jury représentatif sur le plan de l'âge, de l'occupation et du sexe est la meilleure façon d'avoir un groupe cohésif de 12 personnes qui délibèrent dans cette salle au sujet du destin de notre client.
    Je comprends, et nous pourrions en débattre plus longuement ailleurs, mais le temps nous presse. La Criminal Lawyers' Association, par exemple, a proposé un article indépendant qui permet à un juge, au final, de jeter un oeil sur la composition de ce jury pour voir s'il est représentatif de la collectivité. Si cet article existait, je crois que nous pourrions probablement éviter un jury composé entièrement d'hommes.
    Je suis d'accord avec vous, et à ma connaissance, la Nouvelle-Zélande est la seule administration qui prévoit cela.
    Très bien. Merci.
    Le juge a la capacité de dire à tout le monde: « Ce jury n'est juste pas représentatif. Vous avez mal utilisé vos récusations péremptoires. Nous allons nous débarrasser du jury et recommencer. »

  (1645)  

    Merci, monsieur Fowler.
    Madame Dale, j'aimerais juste insister de nouveau sur une de vos anecdotes du début, parce que nous avons entendu dire très souvent que, pour les femmes, le problème avec les enquêtes préliminaires, dans le cas des agressions sexuelles, c'est qu'elles sont de nouveau traumatisées parce qu'elles doivent répéter le processus. Je crois que votre suggestion était très évocatrice: dans le cas auquel vous avez participé, l'accusé a été invité à plaider coupable et, par conséquent, le procès n'a jamais eu lieu. Je tiens à vous remercier de nous avoir donné cet exemple.
    Vous avez aussi parlé de retards et d'un certain nombre de raisons qui expliquent ces retards. Vous avez dit que les peines minimales obligatoires en étaient une importante, ainsi que les plaideurs non représentés. Pourriez-vous nous expliquer cela davantage?
     Comme je l'ai souligné, la recherche sur ce sujet n'est pas exhaustive. Tout particulièrement en ce qui concerne les plaideurs non représentés, je sais qu'un certain nombre d'études soutiennent l'avis selon lequel il devrait y avoir dans le système de justice pénale plus de fonds d'aide juridique, parce qu'il a été déterminé que les plaideurs non représentés exacerbent les retards dans les tribunaux.
    Il y a une raison pour laquelle nous avons étudié à la faculté de droit. Nous avons cette expérience. C'est un processus très compliqué, et le fait d'avoir des plaideurs non représentés qui essaient de s'y attaquer seuls entraîne des retards importants dans le système.
    Les peines minimales obligatoires reflètent une absence de pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les peines qui sont imposées. Par conséquent, on crée davantage un besoin pour déterminer les forces et les faiblesses à la moindre occasion et pour que les clients puissent présenter une défense pleine et entière, parce que, s'ils font face à une peine minimale obligatoire, ces conséquences sont extrêmement graves. Puis, bien sûr...
    Puis cela voudrait dire plus de temps devant les tribunaux, parce que les gens font face à une peine obligatoire importante...
    Oui.
    ... et, par conséquent, rien ne nous incite à prendre des mesures qui permettent de gagner du temps.
    Exactement, et les conséquences sont graves, c'est-à-dire des peines de deux ans ou plus, et, bien sûr, c'est une considération importante.
    J'ai aussi été impressionné par votre allusion aux répercussions disproportionnées pour les Autochtones.
    Maître Spratt, si je peux...
    J'aimerais juste vous avertir que votre temps est écoulé. Si vous avez une brève question pour Me Spratt, alors essayez d'être...
    Je ne sais pas combien de temps il me faudra.
    Si c'est pour être très long...
    Je vais juste la poser.
    Bien sûr.
    Vous avez parlé de tout ce que les renseignements dans l'affaire Stinchcombe vous donnent, c'est-à-dire le qui, le quoi, le où et le quand. Vous avez aussi parlé du « pourquoi ». Vous avez dit que l'enquête préliminaire permet souvent de répondre à la question importante du « pourquoi » et fournit un contexte qui ne peut pas être exploré à partir d'une divulgation sur papier.
    J'aimerais savoir pourquoi. Pourriez-vous nous dire pourquoi le « pourquoi » serait plus pertinent, dans ce cas.
    Je pourrais peut-être utiliser l'exemple d'un agent de police qui participe à une fouille. L'agent va toujours dire ce qu'il a fait et où il a trouvé ce qu'il cherchait, mais les motivations subjectives de l'agent de police — ce qu'il pensait, pourquoi il croyait que certains aspects de ses observations étaient importants, et comment ceux qui sont liés à ce qu'il a fait — ne sont souvent pas consignées dans ses notes, particulièrement lorsqu'il a affaire à ces questions importantes portant sur des dispositions de la Charte.
    Merci.
    C'était une excellente réponse brève. Merci.
    M. Boissonnault est le suivant.
    Merci, monsieur le président, et merci à tous les invités d'être ici aujourd'hui.
    Pour vous mettre un peu en contexte, mon expérience est non pas celle d'un avocat, mais bien celle d'un conseiller d'affaires, d'un directeur d'ONG. Je n'ai pas les connaissances approfondies en droit que vous avez tous, avec plus de 100 ans de représentation au Barreau et que sais-je encore.
    J'aimerais vous faire part de quelques statistiques. Je viens d'une province qui renferme 55 % de la population autochtone du Canada. Au total, 25 % des jeunes de ma ville sont autochtones, et nous aurons la plus grande concentration d'Autochtones au pays d'ici 2025. Les Autochtones sont surreprésentés dans le système de justice pénale; pourtant, ils sont sous-représentés dans les jurys. Cela fait 27 ans depuis la décision Sherratt, qui a établi clairement le fait que les récusations péremptoires peuvent aider à les rendre plus représentatifs, mais peuvent aussi nuire à la représentation.
     Je vous prends au mot, monsieur Fowler, quand vous dites que vous faites partie des bons et que vous n'utilisez pas les récusations péremptoires pour exclure les gens, mais nous disposons de preuves anecdotiques selon lesquelles cela se produit.
    J'aimerais commencer par Mme Sullivan. Comment pouvons-nous atteindre cet objectif de jurys plus représentatifs si nous conservons les récusations péremptoires et que les avocats sont en mesure d'en abuser? J'aimerais obtenir des commentaires de vous tous sur ce que fait la Nouvelle-Écosse. Plutôt que de se servir du droit de propriété comme moyen de sélectionner des jurés, elle utilise le système de soins de santé. Si vous examinez notre mode de sélection des jurés, cela ressemble à la situation qui existait avant le suffrage universel.

  (1650)  

    Oui.
    Le système de justice évolue, d'après M. Clement, mais peut-être pourrions-nous aider à faire avancer un peu l'évolution.
    J'aimerais obtenir vos commentaires sur ces deux éléments.
    Je suis d'accord. Je crois que, à Terre-Neuve aussi, on utilise le système de soins de santé, et au Labrador en particulier, ces enjeux sont présents. Tout récemment, j'ai participé à un procès devant jury au Labrador. Dans cette affaire, c'était le bassin de jurés même qui posait problème. Même si on avait utilisé le système de soins de santé, bon nombre des réserves étaient si éloignées du centre judiciaire que même le fait de s'y rendre était un problème, donc beaucoup de gens étaient exemptés en raison de difficultés indues et ne participaient pas du tout au système.
    Je crois que vous devez améliorer ce genre de choses — par exemple, en vous assurant que tout le monde y a accès. Les gens veulent servir dans des jurys.
    Vous voulez dire élargir le bassin.
    Élargir le bassin et faciliter l'accès des gens. À Terre-Neuve, géographiquement, c'est un grand enjeu.
    Bien sûr.
    Si vous faites en sorte que les gens puissent venir, que ce ne soit pas une difficulté pour eux d'aller là-bas, ils sont disposés à servir dans des jurys, et le bassin sera plus représentatif.
    Que pouvons-nous faire de plus pour rendre les jurys plus représentatifs et conserver les récusations péremptoires?
    Selon mon expérience, les gens n'ont pas essayé de manipuler le processus de cette façon.
    Je comprends.
    Monsieur Fowler, aimeriez-vous d'abord vous exprimer sur cette question? J'aurai ensuite une autre question pour vous concernant une autre affaire.
    Je suis d'accord. Ce sont les lois provinciales concernant les jurys qui dictent, dans une grande mesure, la taille du tableau. Vous pouvez payer des jurés davantage en raison des dérangements.
    Lorsqu'il s'agit des Autochtones, nous devons reconnaître une chose fondamentale... Ils se méfient du système de justice pénale, pour des raisons évidentes, toutes les raisons que vous avez énoncées. Comment pouvons-nous les encourager à faire assez confiance au système pour vouloir participer à un jury?
    J'ai sélectionné des jurés en Colombie-Britannique et au Yukon. Le Yukon se sert des dossiers de santé, donc il y a beaucoup plus d'Autochtones qui viennent. Ils disent tous qu'ils ne veulent pas faire partie du jury. De nombreuses personnes essaient de trouver des raisons pour s'en dégager. Il s'agirait, en partie, d'éduquer et d'encourager les Autochtones de manière à ce qu'ils comprennent qu'ils ont beaucoup à gagner en faisant partie d'un jury.
    Nous avons le même enjeu dans la communauté LGBTQ2 et dans les communautés racialisées, particulièrement la communauté noire, qui estime, avec raison, qu'elle est surreprésentée dans le système de justice pénale, mais sous-représentée dans les jurys.
    Je voulais revenir à votre point, monsieur Fowler. Vous avez tenté de parler de quelques réformes possibles relativement aux enquêtes préliminaires. Comment celles-ci ou d'autres modifications recommandées du système pourraient-elles accélérer le système de justice pénale?
    À l'heure actuelle, en raison de l'arrêt Mills de la Cour suprême du Canada, les juges d'une cour provinciale qui occupent les fonctions de juge d'enquête préliminaire n'ont pas la compétence qu'ils auraient s'ils étaient juges de première instance. Vous avez la même personne, disposant du même niveau d'expérience et d'éducation, mais parce qu'il s'agit d'une enquête préliminaire plutôt que d'un procès, elle ne peut pas faire bon nombre des choses — ou elle ne peut faire presque aucune des choses —, qu'elle pourrait faire si elle était juge de première instance. Elle ne peut pas ordonner de communication de la preuve, statuer sur des demandes de dossiers entre les mains d'une tierce partie ni rendre des décisions relativement à des demandes préalables d'antécédents sexuels.
    Si nous pouvions élargir la compétence du juge d'une cour provinciale dans le cadre d'une enquête préliminaire, nous serions à même de nous occuper de bon nombre de ces demandes durant l'enquête préliminaire. Elles sont simplement retardées et ne peuvent être entendues qu'au procès devant la Cour suprême. Cela permettrait d'améliorer davantage les enquêtes préliminaires en ce qui concerne la collecte de renseignements et le règlement de nombreuses questions, de sorte que le procès n'ait pas à en répéter une partie.
    Je n'ai pas vu votre mémoire, mais si vous pouviez nous faire part de certaines de ces recommandations, j'en débattrais certainement avec mes collègues.
    
    Merci.
    Monsieur Spratt, j'ai une question pour vous et pour Mme Dale en ce qui concerne les autres moyens d'accélérer le système de justice pénale, ainsi que de conserver les récusations péremptoires et les enquêtes préliminaires.

  (1655)  

    Avant de répondre à cette question, pourrais-je juste ajouter une chose de plus à la question touchant les jurys?
    Le problème tient effectivement à l'échantillon représentatif. Au-delà de cela, il s'agit de savoir qui détient, en réalité, le privilège si vous avez un échantillon représentatif. Prenez l'exemple du système national de garderies. Toutes les mères célibataires que j'ai reçues dans un jury veulent en sortir, et ce n'est pas assez de donner quelques dollars; c'est le programme national de garderies qui soutient les gens pour qu'ils puissent servir dans des jurys et participer pleinement, comme un seul volet.
    Pour accélérer un procès, on peut faire certaines choses. Je pense que l'enquête préliminaire accélère les procès en ce moment, et nous devrions donc l'améliorer, mais si vous voulez accélérer les procès, donnez-moi plus de juges, plus de salles d'audience. Je suis prêt à aller en procès demain pour un certain nombre de chefs d'accusation, particulièrement si mon client est en détention. La raison pour laquelle nous devons attendre 8 ou 12 mois tient non seulement aux problèmes de communication préalable — je peux les régler entretemps — c'est que la première date que m'offre la cour soit dans 6 ou 12 mois, et, à Ottawa, vous attendez 6 ou 12 mois, et lorsque vous arrivez au procès, on règle trois autres affaires dans ce tribunal.
    Juste aujourd'hui, j'ai fait régler une affaire, et heureusement, une personne faisant partie de mes associés a été en mesure d'entendre l'affaire. C'était un bref procès, mais elle n'a pas pu le commencer réellement avant environ 15 heures, parce qu'elle attendait une salle d'audience.
    Dans le temps qu'il nous reste avant l'intervention du président, partagez-vous la préoccupation de M. Spratt, madame Dale, c'est-à-dire que si nous retirions les enquêtes préliminaires, la période de 30 mois passerait à 24 mois en vertu de l'arrêt Jordan?
    C'est 18 mois.
    Je suis désolée; pouvez-vous répéter la question?
    Si nous éliminons les enquêtes préliminaires, pensez-vous que la cour va, au fil du temps, raccourcir la durée prévue dans l'arrêt Jordan?
    Je partage ses préoccupations selon lesquelles le temps prévu dans l'arrêt Jordan et l'évaluation faite à cet égard vont changer le paysage.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Vous êtes un groupe de témoins fascinant, et nous pourrions continuer longtemps, mais malheureusement, compte tenu du nombre de groupes de témoins aujourd'hui, je dois vous arrêter ici.
    Je tiens à remercier chaleureusement chacun d'entre vous; vous avez été très utiles au Comité.
    Nous allons nous arrêter brièvement pendant une minute pour changer les groupes de témoins. Je demanderais au prochain groupe de bien vouloir se présenter, parce que nous aurons un vote et que j'aimerais qu'on termine au moins notre discussion avant d'aller voter.

  (1655)  


  (1700)  

    Reprenons nos travaux. J'invite tout le monde à s'asseoir.
    Je sais que nous avons beaucoup à faire, mais j'aimerais m'assurer que la réunion est sur la bonne voie et que nous profitons au mieux de tout le temps avec nos témoins.
    Nous accueillons aujourd'hui, pour notre deuxième groupe de témoins... et je dois me corriger. Comme M. Clement me l'a signalé, je n'avais pas la bonne heure pour le vote. Le groupe de témoins qui sera interrompu est, en fait, notre prochain groupe, et pas celui-ci. Donc, heureusement pour vous, il y aura une certaine continuité, et nous n'aurons pas à attendre entre vos déclarations et nos questions.
    Nous recevons aujourd'hui Mme Lisa Silver, qui est professeure adjointe à la faculté de droit de l'Université de Calgary. Bienvenue.
    Nous accueillons M. Daniel Brown, de Daniel Brown Law. Bienvenue.
    M. Howard Chow, chef adjoint, Service de police de Vancouver, de l'Association canadienne des chefs de police, se joint à nous.
    Nous accueillons Mme Rachel Huntsman, conseillère juridique de la Force constabulaire royale de Terre-Neuve. Bienvenue.
    Nous allons suivre l'ordre du jour. Commençons par Mme Silver.
    Merci beaucoup.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de me fournir l'occasion de commenter les modifications proposées touchant des articles du Code criminel portant sur les enquêtes préliminaires. C'est un privilège d'être ici pour parler d'un enjeu qui porte le poids des discours historiques et qui a mobilisé des esprits beaucoup plus grands que le mien. La question d'abolir l'enquête préliminaire a résonné dans ces murs et dans les tribunaux de notre pays et a effectivement mobilisé l'intérêt du public également.
    Pourquoi suis-je ici pour parler de cette question? Je suis avocate de la défense de formation, et ce, depuis mes débuts à la Faculté de droit, au milieu des années 1980. J'ai mené des enquêtes préliminaires, j'ai débattu à leur propos en tant qu'avocate d'appel et j'écris maintenant à leur sujet en tant que professeure de droit. En effet, je me suis assez exprimée au sujet de l'enquête préliminaire et des changements proposés. J'espère que mon mémoire et ma déclaration liminaire jetteront un peu de lumière sur la raison pour laquelle je crois que l'enquête préliminaire, peut-être sous une forme structurelle différente, mérite d'être conservée.
    Je vais commencer par une histoire personnelle. C'est une histoire que je répète souvent à mes étudiants, lorsqu'on me demande quelle affaire m'a le plus influencée au début de ma carrière. Après avoir été admise au Barreau, en 1989, j'ai reçu une affaire d'un des avocats qui partageaient les locaux du cabinet d'avocats qui m'embauchait.
     L'enquête préliminaire allait se tenir deux jours plus tard. Le client, qui était détenu, était accusé de tentative d'entrée par effraction dans l'intention de commettre un acte criminel. La peine maximale pour l'infraction complète — parce qu'elle concernait une maison d'habitation — aurait été l'emprisonnement à vie, mais comme il s'agissait d'une tentative, elle était de 14 ans, ce qui demeure une peine d'emprisonnement importante.
     En passant, en vertu des nouvelles modifications proposées, une telle enquête préliminaire ne serait pas possible.
    C'était une histoire assez pathétique et que l'on connaissait trop bien. On a retrouvé le client en train de flâner devant une maison, sur les trottoirs de Rosedale — c'était à Toronto — en tenant dans les mains un bâton pointu et effilé. Il semblait en état d'ébriété. La police a été appelée et, après avoir mené des recherches dans la maison située à proximité, elle a eu l'impression que la serrure de la porte d'entrée venait d'être grattée, car il y avait des bouts de peinture qui semblaient provenir du bâton pointu du client.
    Les apparences, toutefois, peuvent être trompeuses. Après avoir examiné le dossier, j'ai recommandé au client que nous nous opposions à un renvoi durant l'enquête préliminaire. Il va sans dire que le juge a accepté, et le client a été acquitté et immédiatement libéré.
     L'enquête préliminaire a changé la vie de mon client. Elle lui a donné de l'espoir. En fait, il a fini par se remettre sur le bon chemin. Il est retourné à l'école et est devenu travailleur auprès des jeunes dans un établissement pour les jeunes délinquants. Plus tard, il m'a envoyé une carte postale lorsqu'il est allé en Bosnie dans le cadre d'une mission de maintien de la paix des NU.
    Je voulais vous raconter cette histoire. Je sais qu'on m'a invitée ici en raison de mes diplômes universitaires et de mes écrits dans ce domaine, mais pour moi, rien ne montre plus clairement que cette histoire particulière l'importance de l'enquête préliminaire comme outil pour faire le bien.
    D'un point de vue moins émotif, je suis certaine que vous avez déjà entendu la semaine dernière et aujourd'hui — j'ai écouté — de nombreuses bonnes raisons démontrant pourquoi l'enquête préliminaire sous sa forme actuelle doit être conservée. Mon mémoire décrit aussi l'importance historique de l'enquête préliminaire comme bouclier protecteur essentiel contre le pouvoir de l'État.
     C'est plus qu'une question de procédure. Nous continuons d'en parler comme d'une affaire procédurale, mais c'est plus que cela. Elle est au coeur du système de justice pénale, parce que, à mon avis, elle est liée aux concepts de la présomption d'innocence et du procès équitable. L'enquête préliminaire équilibre la balance de la justice conformément à ces principes fondamentaux et assure une surveillance judiciaire utile.
    Le pouvoir de l'enquête préliminaire, comme je l'ai déjà mentionné, ne peut être tenu pour acquis ni sous-estimé. Je sais qu'on se questionne au sujet de la provenance de la preuve, du fait de savoir si les enquêtes préliminaires entraînent des retards, mais elles utilisent assurément des ressources judiciaires qui sont limitées. Comme nous en avons déjà parlé, nous vivons une crise, pour ainsi dire, dans notre système judiciaire, ainsi que le démontrent les décisions Jordan et Cody.

  (1705)  

     En fait, comme vous l'avez déjà entendu dire, le comité sénatorial recommandait notamment, devant cette crise, de cesser ou de limiter les enquêtes préliminaires. Le projet de loi C-75 a une vision plus nuancée de la recommandation du Sénat, mais il va tout de même trop loin. Les modifications n'offrent pas la protection promise par la pleine exécution des enquêtes préliminaires et, comme cela est décrit à la page 5 de mon mémoire — et je crois qu'il y a environ huit points différents — elles ne tiennent pas compte des nombreuses autres façons dont l'enquête préliminaire aide au bon fonctionnement du système de justice pénale.
    En gardant à l'esprit toutes ces préoccupations concurrentes, et compte tenu du fait que nous devons encore trouver une solution au problème qui accompagne notre désir de fournir un procès équitable, nous avons besoin d'une solution qui pourrait peut-être rajuster, si ce n'est maintenir, la balance de justice dans son ensemble, dans notre common law et notre Charte. Dans mon mémoire, il est écrit que la solution recommandée dans les modifications ne le permet pas.
    Au lieu de cela, les membres du Comité devraient envisager une solution plus pratique et utile. C'est une solution qui est à portée de main. Elle se trouve dans notre système de justice civile — vous en avez déjà entendu parler aujourd'hui — dans ses procédures concernant les questions ou la communication préalable au civil.
    Le système de la communication préalable est carrément à l'extérieur de la cour, dans la plupart des cas. Il procure des éléments de preuve utiles en vue d'un procès. Il encourage le règlement du point de vue civil également. Il est offert à tous les plaideurs à des procès civils de la cour supérieure, et il est fondé sur la communication complète. Grâce à l'utilisation de ce système civil, les ressources judiciaires et, par conséquent, les ressources des tribunaux peuvent être ciblées de manière à rester fidèles à la fonction de renvoi primaire de l'enquête préliminaire, en plus de faire avancer ces objectifs accessoires vitaux, que ce soit la conservation de la preuve, la constitution d'un dossier reposant sur des seuils probatoires pour une défense ou la participation à des discussions en vue d'un règlement.
    Lorsqu'il y a une question de renvoi réaliste, une enquête préliminaire peut être instruite par un juge. Lorsque l'affaire suppose un des autres objectifs viables en vue de questions préparatoires au procès, l'affaire peut être instruite sous une forme moins coûteuse, à l'extérieur du tribunal dans une salle de conférence, où elle peut être enregistrée en vue d'une utilisation ultérieure au procès.
    Cette recommandation offre une solution de rechange viable aux modifications, elle équilibre des droits concurrents, elle tient compte des ressources des tribunaux et elle est déjà utilisée.
    Je remercie le président et les autres membres du Comité de m'avoir invitée à présenter des observations sur ce qui fait partie intégrante de notre système de justice pénale.
    Merci.

  (1710)  

    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant entendre Me Brown.
     Merci.
    Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs. Je vous remercie de me fournir l'occasion de venir vous parler du projet de loi C-75.
    En guise de contexte, je suis avocat de la défense. Je pratique à Toronto, qui est une des juridictions de la cour pénale les plus occupées de tout le Canada.
    Le retard est quelque chose qui est toujours présent à l'esprit de tous les participants du système de justice à Toronto — les juges, les avocats de la Couronne et la défense. Au cours des 15 dernières années, j'ai eu la possibilité d'agir comme avocat dans des centaines d'affaires, et je souhaite pouvoir vous parler aujourd'hui de mes expériences avec les enquêtes préliminaires et de la façon dont elles servent à préserver l'efficacité et l'équité dans le système de justice.
    Pendant que j'étais assis à écouter le dernier groupe de témoins, et maintenant Mme Silver qui a pris la parole dans le cadre du présent groupe, j'étais inquiet. J'avais l'impression que tout le monde me volait la vedette. Toutefois, je vois en réalité d'un bon oeil le fait qu'il semble y avoir beaucoup de consensus concernant tous nos points de vue. Je vois une lueur d'espoir dans le fait que mes points de vue trouvent un écho auprès d'un si grand nombre d'experts différents.
    D'abord, il importe de redire que l'enquête préliminaire n'est pas une approche universelle. C'est quelque chose qui agit et qui s'adapte à différents types d'affaires et de situations. C'est un outil qu'on peut utiliser sous différentes formes. Dans certains cas, comme vous l'avez entendu, l'enquête préliminaire agit comme outil de sélection essentiel pour écarter les affaires faibles avant qu'on accorde beaucoup de temps et d'énergie à les traduire en justice. Lorsque le procureur de la Couronne ne peut pas prouver que certains éléments de preuve sont en mesure de soutenir les allégations, certaines accusations, ou même, comme nous l'avons entendu, l'affaire en entier peuvent être rejetées par le juge de l'enquête préliminaire.
    En plus de réduire la consommation des ressources et du temps qui font déjà défaut aux tribunaux, cette fonction de sélection peut également réduire le temps que les gens passent en détention pour quelque chose qu'ils n'ont pas fait ou que le procureur de la Couronne ne peut tout simplement pas prouver. Comme d'autres ici l'ont dit, il serait erroné de croire que nous pourrons simplement prendre le temps alloué à une enquête préliminaire et mettre un procès dans ce créneau.
    Les enquêtes préliminaires sont des audiences beaucoup plus abrégées pour un certain nombre de raisons.
    D'abord, les juges ne tirent pas de conclusion quant à la crédibilité dans des enquêtes préliminaires. Ils doivent accepter le témoignage des témoins sur parole. Pour cette raison, les avocats axent souvent l'enquête sur l'interrogatoire des témoins les plus importants ou l'exploration des enjeux juridiques qui pourraient les aider au procès, plutôt que d'essayer de prouver au juge que le témoin n'est pas crédible ou fiable.
    Notre Code criminel donne aussi aux procureurs des outils leur permettant de renoncer à appeler des témoins non essentiels à une enquête préliminaire, tant et aussi longtemps que les éléments de preuve satisfont au seuil de base, c'est-à-dire qu'ils sont crédibles ou fiables. Cela explique pourquoi les statistiques montrent que la plupart des enquêtes préliminaires se terminent en un jour ou deux, parce qu'elles reposent sur les questions distinctes voulues, dans certains cas, pour démontrer la force ou révéler la faiblesse de la cause du procureur de la Couronne.
    En revanche, la présentation d'une affaire criminelle dans un procès est beaucoup plus complexe et peut nécessiter la planification de semaines, voire de mois, de temps des tribunaux. Pour cette raison, les procès criminels se tiennent souvent bien des mois, si ce n'est une année ou plus, après la date prévue de l'enquête préliminaire.
    C'est simplement une bonne politique d'avoir en place un mécanisme comme l'enquête préliminaire pour éliminer les causes faibles avant qu'on consacre beaucoup de ressources et de temps pour les traduire en justice. C'est particulièrement vrai si les accusés sont renvoyés sous garde en attendant l'issue de leur affaire criminelle.
    Même dans des affaires où certaines accusations ne sont pas abandonnées ou lorsque l'affaire en entier passe tout de même à l'étape du procès, l'enquête préliminaire permet la tenue de discussions fructueuses. Comme nous l'avons entendu aujourd'hui, les procureurs peuvent reconnaître les faiblesses importantes de leur affaire, ou comme Mme Dale en a parlé dans le dernier groupe de témoins, les défendeurs peuvent voir qu'il n'y a aucune échappatoire dans la preuve qui pèse contre eux et peuvent choisir de plaider coupable, ce qui met un terme aux poursuites avant qu'on consacre du temps devant les tribunaux. Les enquêtes préliminaires renforcent le règlement des affaires faisant l'objet d'un procès.
    On devrait aussi se demander si les deux parties devraient être obligées, à la fin d'une enquête préliminaire, de tenir une rencontre obligatoire avec le juge de l'enquête préliminaire. Nous appelons cela des rencontres préparatoires au procès avec l'autorité judiciaire. Même si elles sont un peu rares et ne sont certainement pas obligatoires en Ontario, elles peuvent aider à favoriser des discussions supplémentaires sur le règlement, parce que le juge, qui a entendu les témoins témoigner, peut fournir quelques commentaires additionnels qui peuvent aider à la conclusion d'un accord entre les parties avant que l'affaire ne quitte la salle d'audience pour être entendue ailleurs.

  (1715)  

    En plus d'avoir une fonction d'examen et de règlement, les enquêtes préliminaires jouent un rôle important en matière de communication préalable de la preuve.
    Certains peuvent se questionner sur l'importance de l'enquête préliminaire à la lumière du devoir accru de divulguer imposé à la police et à la Couronne. Cependant, il est important de préciser que la divulgation ne peut pas remplacer la fonction de communication préalable d'une enquête préliminaire ciblée, car bien que la divulgation soit un droit constitutionnel, il n'y a pas de garantie constitutionnelle à l'égard d'une enquête de police approfondie.
    Un agent de police peut simplement interroger un témoin brièvement, noter cet interrogatoire dans un calepin et déposer une accusation au criminel en se basant seulement sur cette information. Il n'y a pas d'obligation juridique qui requiert que l'agent interroge d'autres témoins potentiels, rassemble des éléments de preuve provenant de réseaux sociaux ou de messages textes ou se penche sur une possible collusion entre les témoins. Exiger la divulgation pour répondre à la communication préalable n'est pas juste.
    Il est encore plus important, évidemment, de souligner le fait qu'il n'y a pas de possibilité d'obliger les témoins de la Couronne à s'entretenir avec la défense avant l'enquête préliminaire ou à l'extérieur de l'organisation judiciaire. Les avocats de la défense qui tentent d'obtenir des renseignements ou de communiquer avec les témoins n'ont aucun moyen de s'assurer qu'ils peuvent prendre connaissance de ces éléments de preuve avant le procès.
    Les enquêtes préliminaires ne sont pas qu'un outil pour la défense. Elles peuvent également aider les procureurs de la Couronne, puisque n'importe quel témoignage obtenu lors d'une enquête préliminaire peut être présenté au procès dans le cas où un témoin n'est plus en mesure de venir témoigner. Nous en avons entendu parler lors des discussions avec le dernier groupe de témoins.
    Cela s'applique particulièrement dans le cas de témoins vulnérables qui peuvent être très réticents à venir en cour pour y témoigner, mais qui ont déjà donné leur témoignage lors de l'enquête préliminaire. Le procureur de la Couronne peut empêcher qu'en présentant le témoignage fourni à l'enquête préliminaire, l'affaire soit rejetée pour manque de preuve. Une enquête préliminaire peut également aider un témoin de la Couronne à se préparer et à offrir un meilleur témoignage au procès, puisqu'il a déjà témoigné à l'enquête préliminaire.
    Les enquêtes préliminaires aident la défense de plusieurs façons. Elles aident également les procureurs de la Couronne.
    Les enquêtes préliminaires permettent également le bon déroulement des affaires. Elles assurent le respect du calendrier. Elles empêchent la divulgation ou la communication préalable tardives d'un élément de preuve médicale ou psychiatrique qui pourrait faire dévier un procès et mener à des ajournements prolongés. Des études ont démontré que la perte de temps durant un procès en raison de la divulgation tardive contribue de façon importante au problème de retards au Canada.
    En raison du rôle que jouent les enquêtes préliminaires dans l'examen des cas mal préparés — puisqu'elles favorisent le règlement et assurent le bon déroulement du procès —, selon mon expérience, les enquêtes préliminaires ne créent pas de retards ou de lacunes dans le système judiciaire. La véritable question à se poser celle de savoir si l'élimination des enquêtes préliminaires pour les cas d'infraction grave accroît l'équité en protégeant les témoins qui pourraient être appelés à témoigner à deux reprises durant l'instance criminelle.
    Il peut survenir certaines occasions où la Couronne souhaite protéger des témoins vulnérables, mais notre Code criminel propose déjà une trousse d'outils exhaustive afin de répondre à ces préoccupations. Par exemple, comme nous l'avons entendu, lorsque c'est justifié, le procureur de la Couronne peut préférer une mise en accusation directe et passer immédiatement au procès sans enquête préliminaire. Cela peut être fait au cas par cas. Les procureurs de la Couronne peuvent également présenter les déclarations préalables de la police en vertu de l'article 540 du Code criminel afin d'éviter qu'un témoin vulnérable ait à témoigner lors de l'enquête préliminaire.
    Notre Code criminel contient également toute une série de dispositions qui servent à protéger les témoins vulnérables lorsqu'ils témoignent, ce qui inclut la possibilité de témoigner par télévision en circuit fermé ou à l'arrière d'un écran, de réclamer un avocat désigné pour contre-interroger un témoin vulnérable lorsque l'accusé se représente lui-même et de rendre une ordonnance de non-publication pour protéger l'identité de témoins vulnérables. Encore une fois, tout cela peut être fait au cas par cas.
    Une approche souple aux enquêtes préliminaires, qui permet à l'enquête de répondre aux besoins de l'affaire, permettra de mieux répondre aux objectifs en matière d'équité et d'efficacité, en plus de permettre à la fois à la Couronne et à la défense de bénéficier de certains des nombreux avantages qu'offre une enquête préliminaire. Cette approche est de loin supérieure à l'élimination complète de l'enquête préliminaire pour la plupart des infractions dans le simple but de protéger les témoins vulnérables alors qu'il existe d'autres options dans le Code criminel à cette fin.

  (1720)  

    
    Je propose trois recommandations au Comité:
    La première est le maintien des enquêtes préliminaires pour toutes les infractions punissables par mise en accusation.
    La deuxième, comme l'a dit Mme Silver, est l'adoption de réformes qui permettent la simplification des enquêtes préliminaires au besoin, sans qu'on élimine toutefois la communication préalable, laquelle est appropriée. Il s'agit de tenir compte de certaines des recommandations de modification de l'article 537 du Code criminel visant à donner davantage de pouvoir au juge chargé de l'enquête préliminaire à l'égard du déroulement de l'instance.
    La troisième est l'étude de réformes plus importantes qui maintiennent la fonction de communication préalable de l'enquête préliminaire, mais offrent de la souplesse. Par exemple, on pourrait exiger que le tribunal obtienne une permission pour pouvoir procéder à une enquête préliminaire lorsque cela est dans l'intérêt de la justice, ou bien adopter des lois permettant la communication préalable hors cour dans les affaires où le renvoi à procès n'est pas en cause.
    Merci de m'avoir reçu. J'ai hâte de répondre à vos questions.
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer à l'Association canadienne des chefs de police.
    Bonjour.
    Je m'appelle Howard Chow et je suis le chef adjoint constable du Service de police de Vancouver. Je suis accompagné par Rachel Huntsman, c.r., conseillère juridique auprès de la Royal Newfoundland Constabulary.
    Distingués membres du Comité, au nom du constable chef Adam Palmer, président de l'Association canadienne des chefs de police, je suis heureux d'avoir l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je tiens à préciser qu'en raison de conflits d'horaires la semaine dernière, nous sommes ici pour discuter de questions touchant le projet de loi C-75 qui vont au-delà des enquêtes préliminaires.
    Dans l'ensemble, l'ACCP appuie le projet de loi C-75 et l'intention marquée du législateur de moderniser le système de justice criminelle, de réduire les retards judiciaires et de simplifier les procédures connexes. Pour gagner du temps, je ferai porter mes observations principalement sur les modifications qui, selon l'ACCP, ont un impact direct sur les pouvoirs et les opérations de la police.
    Tout d'abord, j'aimerais discuter des éléments de preuve de routine présentés par la police. Ce projet de loi modifierait le Code criminel afin de permettre aux agents de police de fournir des témoignages par affidavit, éliminant l'obligation pour eux de se présenter en cour. Bien que l'ACCP encourage cette modification, nous estimons que la définition actuelle est trop large et qu'il faudrait préciser ce qu'est un « élément de preuve de routine ». La modification proposée ne définit pas quel type d'élément de preuve pourrait être acceptable, ce qui pourrait réduire l'efficience en raison de la présentation de motions préalables au procès.
    La prochaine source de préoccupations concerne les comparutions. Bien que l'ACCP soit d'accord pour qu'on donne à la police la possibilité de ne pas faire comparaître à une séance de libération sous caution une personne accusée d'une d'infraction de nature administrative, il est prévu que le processus de comparution entraînera un manque de données sur ces infractions dans le CIPC. Cela signifie que les agents de police d'autres administrations ne seront pas en mesure d'avoir accès aux antécédents criminels complets d'un délinquant. Il s'agit d'information vitale pour la police lorsqu'elle décide si elle doit remettre une personne en liberté et sous quelles conditions.
    De plus, en 2008, l'infraction de défaut de comparution a été ajoutée à la liste des infractions secondaires. La Banque nationale de données génétiques nous a fourni les renseignements suivants: elle a reçu plus de 36 220 dépôts en vertu de cette disposition du Code criminel, lesquels correspondaient à 1 157 profils ADN d'un fichier judiciaire, y compris dans le cas de 55 homicides et de 107 agressions sexuelles. Le problème, c'est que si un délinquant comparait pour défaut de comparution au lieu de voir une accusation être portée contre lui, il n'y aura pas de dépôt de son ADN.
    Ensuite, l'ACCP appuie le principe de retenue dans le cas des populations autochtones et vulnérables. Cependant, l'article 493.2 proposé impose un fardeau considérable à l'agent de police au moment de l'arrestation, puisqu'il doit déterminer si la personne appartient à ces catégories. En réalité, dans le domaine du maintien de l'ordre, les arrestations se font souvent au milieu de la nuit, par un policier qui connaît peu les antécédents de la personne arrêtée. L'ACCP recommande la modification de cet article pour faire en sorte qu'un agent de police doive prêter une attention particulière à la situation d'une personne accusée qui semble être autochtone ou appartenir à une population vulnérable.
     De plus, l'ACCP recommande l'ajout d'une définition du terme « population vulnérable » dans le projet de loi C-75. Des facteurs tels que l'origine ethnique d'une personne, son statut économique, ses antécédents de toxicomanie, son âge, ses problèmes de santé mentale et sa santé en général sont difficiles à évaluer sur le terrain. Une précision de ce qui est une « personne vulnérable » aiderait la police à répondre aux exigences de cet article.
    J'aimerais maintenant aborder une préoccupation importante de l'ACCP, l'hybridation des actes criminels. Cette modification touchera 85 infractions du Code criminel, dont un certain nombre sont liées au terrorisme. Présentement, celles-ci sont classées en tant qu'infractions secondaires dans le Code criminel. Si la Couronne procède par acte d'accusation et que le délinquant est déclaré coupable de l'une de ces infractions, la Couronne peut demander à ce que le contrevenant soumette un échantillon d'ADN à la Banque nationale de données génétiques. Cependant, si ces 85 infractions sont hybridées et que la Couronne décide de procéder par déclaration de culpabilité par procédure sommaire, l'infraction ne sera plus considérée comme une infraction secondaire, et une ordonnance de prélèvement d'un échantillon d'ADN ne pourra être obtenue.
    La police fournit un échantillon d'ADN à la banque de données pour établir des liens entre les scènes de crime et établir une correspondance entre celles-ci et les contrevenants et faire en sorte que ces infractions punissables par mise en accusation ne puissent pas donner lieu à un dépôt à la banque de données aura un impact direct et négatif sur les enquêtes policières.

  (1725)  

    Encore une fois, les renseignements qui suivent proviennent de la banque de données, et ils démontrent comment les dépôts faits dans le cas de ces 85 infractions punissables par mise en accusation ont aidé à établir des correspondances pour des infractions primaires et secondaires.
    Entre le 30 juin 2000 et le 21 février 2018, donc pendant une période de 18 ans, la banque de données a reçu des dépôts pour 52 de ces 85 infractions secondaires, pour un total de 9 677 dépôts à la BNDG. De ces 52 infractions punissables par mise en accusation, les dépôts fournis pour 22 d'entre elles ont mené à l'établissement de 588 correspondances avec un profil ADN d'un fichier judiciaire, et 221 correspondances ont été établies avec des infractions primaires, y compris dans le cas de 19 homicides et de 24 agressions sexuelles.
    Nous proposons une solution à cela, qui serait d'inscrire ces 85 infractions punissables par mise en accusation comme infractions secondaires ou primaires au paragraphe 487.04 du Code criminel, ce qui permettra l'émission d'une ordonnance de prélèvement d'un échantillon d'ADN peu importe la décision de la Couronne.
    Le dernier point dont j'aimerais discuter concerne le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'identification des criminels. Ce paragraphe prévoit qu'une personne en garde légale inculpée ou déclarée coupable d'une infraction punissable par mise en accusation peut devoir se soumettre à la prise des empreintes digitales et des photographies. Au titre du projet de loi C-75, l'accusé peut tout de même être tenu de comparaître en vertu d'une citation à comparaître ou d'une promesse à des fins d'identification. Cependant, la jurisprudence établit que la citation à comparaître doit être confirmée par un juge ou un juge de paix avant que la personne soit considérée comme en état d'accusation pour cette infraction.
    Une personne en état d'arrestation et qui se trouve en garde légale ne peut faire l'objet d'une prise des empreintes digitales ou des photographies avant que l'accusation ne soit portée. Le problème tient au fait que lorsque la Couronne a décidé de procéder par déclaration de culpabilité par procédure sommaire, l'infraction n'est plus considérée comme une infraction punissable par mise en accusation, et l'accusé ne peut être identifié en vertu de la Loi sur l'identification des criminels. Cela signifie qu'un nombre important d'accusations ne seront pas inscrites au CIPC. Pour cette raison, les agents de police, les avocats de la Couronne, les juges de paix et les juges à l'extérieur de la province ne seront pas en mesure de savoir si une personne appréhendée ou accusée est impliquée dans une affaire en instance ou a déjà été déclarée coupable.
    L'ACCP recommande que la Loi sur l'identification des criminels soit modifiée pour permettre la prise des empreintes digitales dès l'arrestation, avec les mesures de protection appropriées afin de protéger l'intégrité du processus. L'ACCP recommande également que la Loi soit modifiée afin de permettre la prise des empreintes digitales pour toute infraction au Code criminel, ou, à tout le moins, en dépit de la décision de la Couronne.
    Enfin, l'ACCP est en faveur de modifications visant l'optimisation de l'utilisation de la technologie dans les milieux policiers, tout en encourageant un fort leadership et une orientation claire pour l'établissement de normes appropriées relatives à l'introduction et à la mise en place de la technologie.
    Nous nous réjouissons des modifications recommandées proposées par le projet de loi C-75. Cependant, nous reconnaissons que cela exigera des policiers de première ligne qu'ils suivent une formation considérable.
    Merci du temps et des efforts que vous consacrez à ce projet de loi. Nous serons heureux de répondre à toutes vos questions.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer à la période de questions.
    Nous commençons par M. Cooper.
    Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que les témoins.
    Je souhaite discuter un peu de la question de la reclassification des infractions et me pencher sur les enjeux qui en découlent. Toutefois, avant d'aborder ce sujet, monsieur Chow, vous avez mentionné les auditions sommaires liées aux infractions contre l'administration de la justice et certains enjeux touchant le CIPC, ainsi que les problèmes liés à sa base de données et le fait que ces comparutions pour manquement aggraveront ces problèmes.
    John Muise, qui a témoigné devant nous la semaine dernière, a proposé que les membres du Comité créent un mécanisme pour faire en sorte que les entrées relatives à une comparution figurent à droite sur le dossier criminel, permettant ainsi d'utiliser cette information plus tard, au moment où les agents de la paix, les tribunaux ou les membres d'une commission des libérations conditionnelles prennent des décisions concernant la mise en liberté, le renvoi ou la détention. Appuyez-vous cette recommandation?

  (1730)  

    Du point de vue de l'ACCP, pour ce qui est des conditions de mise en liberté, nous avons adopté la position selon laquelle il faut opter pour les conditions les moins contraignantes. L'instauration d'infractions mixtes fera en sorte que nous ne serons pas en mesure de consigner les renseignements sur les personnes accusées de certaines infractions dans la banque de données du CIPC. Cela nous nuit dans les cas où des délinquants se déplacent dans le pays et qu'ils aboutissent dans des administrations différentes, où nous n'avons pas accès à ces renseignements qui nous sont essentiels au moment de décider si nous mettons en liberté ces délinquants, et selon quelles conditions, ou si nous les plaçons en détention.
    Certaines des infractions que le gouvernement propose de rendre mixtes sont de nature très grave. Vous avez souligné, par exemple, les infractions liées au terrorisme. Il y a aussi celles pour conduite avec capacités affaiblies causant des lésions corporelles et pour enlèvement d'un mineur. Pourriez-vous nous parler de cet enjeu?
    Un autre point touche les délinquants soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée — il s'agit de personnes très dangereuses. Actuellement, le défaut de se conformer à une ordonnance de surveillance de longue durée constitue une infraction punissable par mise en accusation. Sous le régime proposé par le projet de loi C-75, cette infraction deviendrait mixte. Pourriez-vous donner des commentaires à ce sujet?
    De toute évidence, il y a des infractions qui sont très graves. Il y a un certain nombre d'infractions liées au terrorisme qui font partie des 85 infractions punissables par mise en accusation, et qui, maintenant, si le projet de loi est adopté, seront des infractions mixtes.
    Le fait de réduire la gravité de ces infractions en les incluant dans la catégorie des infractions mixtes a aussi une incidence sur nos partenaires internationaux, ainsi que sur le message qu'on leur envoie.
    Les statistiques à ce sujet sont très bien présentées dans le mémoire détaillé que nous avons fourni. Une de nos préoccupations importantes est liée à la banque de données génétiques nationale et à notre incapacité de recueillir des échantillons d'ADN ou de présenter une demande à cet effet à la suite d'une déclaration de culpabilité. Je crois que les chiffres le montrent bien. En ce qui concerne les années pour lesquelles on a pu nous fournir des statistiques, nous ne serions pas en mesure de lier une personne à une scène de crime parce que nous n'aurions pas accès aux données ou aux correspondances d'ADN.
    Que répondriez-vous à l'affirmation de la ministre selon laquelle la reclassification en infractions mixtes n'est aucunement liée à la détermination des peines? Quand vous prenez une infraction passible d'un maximum de 10 ans d'emprisonnement et que vous en faites une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, auquel cas la peine maximale serait de deux ans moins un jour, de toute évidence, cela a une incidence sur la détermination de la peine. Ne croyez-vous pas?
    Je suis d'avis... Selon ce que je comprends...
    Je reconnais que ce n'est pas dans toutes les affaires que la peine maximale sera imposée, mais, de toute évidence, il y a une incidence sur la détermination de la peine quand vous passez de 10 ans à deux ans moins un jour.
    À ce sujet, j'admets qu'il y a différents points de vue et je comprends l'intention qui sous-tend leurs objectifs. Je suis d'avis que ce qui nous pose un défi... La position de l'ACCP, c'est que la difficulté résidera dans la capacité à présenter une demande d'échantillon d'ADN et à faire valoir cette demande. C'est là que le défi réside.
    Je sais que d'autres groupes de témoins ont discuté des incidences de ces modifications. Ce qui est proposé dans le projet de loi C-75, c'est la possibilité d'imposer des amendes, mais, encore une fois, ces amendes existent déjà.
    Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
    Non. Ça va. Combien de temps me reste-t-il?
    Il vous reste une minute.
    Je vais m'adresser à Mme Silver.
    Vous avez parlé d'adopter une forme civile de procédure qui permettrait de mener des interrogatoires. D'après ce que je comprends, cette approche est utilisée au Québec, du moins de façon limitée. Des représentants du Barreau du Québec l'ont mentionné lors de leur comparution devant ce comité la semaine dernière. Pourriez-vous nous en dire davantage sur l'expérience vécue au Québec?
    Je ne suis pas au courant de ce qui se fait au Québec, mais je peux vous affirmer que cela a été utilisé de façon limitée en Alberta dans le cadre d’audiences dans le domaine de la justice réparatrice, quand il y a des produits de la criminalité ou qu'on tient une audience en matière de confiscation. Les contre-interrogatoires portant sur des affidavits qui ont été fournis dans ces affaires ont été menés au moyen de la forme civile de cette procédure. Cela fonctionne.
    Les règles relatives aux appels en matière criminelle le permettent aussi. Ainsi, quand vous vous présentez devant un tribunal, si vous avez de nouveaux éléments de preuve, si vous présentez n'importe laquelle de ces demandes au moyen d'affidavits, c'est la procédure qui s'applique. Vous suivez les règles qui s'appliquent à la forme civile pour ce qui est de l'interrogatoire.
    Je ne sais pas si c'est ce qui se fait au Québec, mais c'est assurément quelque chose qui n'est pas étranger à la procédure en droit criminel et au processus en matière criminelle.

  (1735)  

    Merci.
    Merci.
    Allez-y, monsieur Boissonnault.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie tous les témoins présents aujourd'hui.
    Madame Silver, vous avez présenté un excellent mémoire. Je vous remercie de nous l'avoir transmis tôt. J'en suis reconnaissant.
    Vous habitez en Alberta.
    C'est exact.
    Vous reconnaissez qu'un grand nombre d'Autochtones vivent dans cette province...
    Oui.
    ... et qu'ils sont surreprésentés dans le système de justice pénale.
    Oui.
    Il y a aussi la situation des personnes LGBTQB et celles des personnes racialisées, en particulier celles appartenant à la communauté noire.
    Oui.
    J'ai été frappé par le texte qui figure à la page 6 de votre mémoire — c'est-à-dire vos recommandations, dont je parlerai dans un instant. Vous dites dans le dernier paragraphe:
    
L’efficacité n’est pas le but ultime de notre système de justice. Cela n’est pas l’intention derrière les arrêts Jordan et Cody. Un changement culturel suppose un ensemble de valeurs et non un ensemble de documents traités efficacement. L’objectif devrait être d’améliorer le système de justice pénale tout en préservant la protection des personnes qui risquent d’être privées de leur liberté.
    À titre d'une des personnes autour de cette table qui ne sont pas avocats, je suis frappé par cette recommandation à la fois philosophique et pratique qui nous rappelle la raison d'être du système.
    De quelle façon votre deuxième recommandation s'applique-t-elle de façon concrète? Vous avez écrit ce qui suit:
Dans le cas des affaires pour lesquelles un renvoi n’est pas en cause, utiliser une version modifiée de la forme civile de la procédure de communication préalable qui permettrait que les interrogatoires soient effectués à l’extérieur des tribunaux dans une atmosphère plus efficace et moins dispendieuse
    Cette approche serait-elle une façon moins efficace de mener une enquête préliminaire, sans le poids du système judiciaire pour contraindre les gens à dire vraiment la vérité, comme l'a mentionné Richard Fowler plus tôt aujourd'hui?
    Je comprends ce qu'il a dit à propos de cette procédure, mais elle se déroule sous serment. Ce n'est pas comme s'il n'y avait pas de serment. En fait, elle pourrait se tenir dans une atmosphère de plus grande ouverture pour les personnes non représentées ou celles issues d'une collectivité autochtone, qui se sentent opprimées dans une salle d'audience.
    Comme je l'ai dit, il s'agit de trouver l'équilibre, mais je crois que cette procédure est utilisée. Elle a été utilisée avec succès par des tribunaux civils et elle peut l'être aussi dans le système de justice pénale. Il faut pour cela effectuer un changement de culture. C'est tout. Cela exige que nous pensions un peu différemment.
    Merci.
    Quelles mesures prendriez-vous pour faire en sorte que nous ayons un bassin de jurés plus représentatif?
    À tout le moins, quand je pense à la situation qui s'est présentée dans deux affaires tranchées au Canada, je crois qu'il est possible pour la Couronne de présenter une demande au juge et qu'il est possible pour celui-ci de réagir au fait que le juré sélectionné n'est pas représentatif ou n'est pas impartial.
    Merci.
    Monsieur Brown, avez-vous des recommandations à nous soumettre pour réussir à obtenir un bassin de jurés plus représentatif?
    Un des points que vous avez soulevés, c'est que les personnes racialisées et les Autochtones sont surreprésentés dans le système de justice, ce qui signifie qu'un nombre record de ces personnes quittent le système de justice avec un dossier criminel. Un des obstacles à la participation d'une personne à un jury, c'est une déclaration de culpabilité pour une infraction punissable par mise en accusation. Peut-être que le gouvernement devrait se demander si nous souhaitons ou pas exclure les groupes de personnes qui sont surreprésentés dans le système de justice et les empêcher d'être jurés et de participer au système de justice en raison de la règle existante, qui est peut-être désuète, qui les écarte dès le départ.
    L'idée d'utiliser les cartes d'assurance-maladie pour sélectionner un bassin de jurés vous plaît-elle?
    L'idée que je rejette, c'est celle d'utiliser les registres fonciers pour sélectionner des jurés, parce que, encore une fois, cette façon de procéder est intrinsèquement tendancieuse pour ce qui est de la façon de figurer, ou pas, sur les registres. Selon moi, il doit exister une meilleure façon. Il semble qu'un de ces meilleurs moyens consiste à évaluer les personnes en fonction de leur carte d'assurance-maladie. Assurément, c'est une des nombreuses solutions, et il faut aussi reconnaître le problème qui tient au fait que si on sélectionne seulement des personnes qui ne sont pas des propriétaires fonciers, on exclut du bassin de jurés un groupe de gens dès le départ.

  (1740)  

    Merci.
    Chef adjoint constable Chow, je tiens à vous remercier, ainsi que vos collègues, du travail que vous avez accompli et que vous continuez d'accomplir auprès de la communauté LGBTQ. Le symbole du bouclier LGBT qui marque les endroits qui sont sécuritaires et les commerces de la ville où on peut entrer est fantastique. Votre ville n'est pas qu'une hôte pour de grandes productions dramatiques; vous effectuez aussi un excellent travail sur le terrain. Je l'apprécie.
    Je souhaite parler de l'article 236 et du nouvel article 523.1, qui donneront aux agents de la paix le pouvoir de refuser de porter des accusations pour des infractions contre l'administration de la justice. Il y a beaucoup de personnes qui reviennent devant les tribunaux en raison d'un défaut de respecter une condition de leur mise en liberté sous caution. Elles ont un problème de dépendance, donc elles se remettent à boire de l'alcool, mais, justement, une de leurs conditions, c'est de ne pas consommer de l'alcool.
    Croyez-vous que les agents de la paix refuseront de porter des accusations, et devons-nous nous assurer que de la formation est offerte pour aider les agents de police à exercer ce pouvoir discrétionnaire sur le terrain?
    Je crois que ce pouvoir discrétionnaire est utilisé chaque jour en ce moment. Je ne crois pas que nous ayons besoin de... Le simple fait qu'il soit codifié et inscrit de façon formelle dans une loi ne fera que le renforcer. Nos agents comprennent le cycle des manquements et des retours devant la justice à cause du défaut de respecter des conditions de mise en liberté. Cela existe déjà. Comme je l'ai dit, je peux vous affirmer que nos agents exercent déjà ce pouvoir discrétionnaire.
    On a cité de nombreux exemples où une personne rentre tard à cause d'un retard de l'autobus, et cela signifie qu'elle a dépassé l'heure de son couvre-feu. Je dirais que la majorité des agents exerceraient leur pouvoir de discrétion dans de tels cas.
    Toutefois, il faut donner de la latitude à nos membres, simplement parce qu'il y a des délinquants qui tenteront de déjouer le système. Nous voyons cela souvent.
    Je pense que si nous intégrons cette disposition dans le code, c'est dans l'intention d'offrir cette protection, mais aussi d'indiquer explicitement sur le fait que nous nous attendons à ce que les agents de police exercent ce pouvoir discrétionnaire sur le terrain. C'est pourquoi vos membres sont formés. Nous donnons aux agents de police ce pouvoir sur nous. Nous voulons qu'ils soient en mesure de l'exercer et qu'ils fassent preuve de jugement lorsqu'ils le font.
    Exactement.
    Merci beaucoup.
    Nous entendrons M. Rankin à présent.
    Merci à vous tous. C'étaient de très bons exposés.
    J'aimerais commencer par féliciter Mme Silver pour son blogue. Je l'adore. Merci, et félicitations pour ce grand prix que vous avez gagné. C'est excellent.
    Merci.
    Cette publicité étant faite, j'aimerais aussi dire que dans votre mémoire — qui a été, comme l'ont dit mes collègues, très apprécié — vous m'avez fait penser à l'histoire de Susan Nelles, au début des années 1980. Nous évitons aux gens d'aller jusqu'au procès quand ce n'est pas nécessaire, quand il y a une absence de preuve et que le procès ne peut pas avoir lieu. C'est une raison importante en soi de conserver les enquêtes préliminaires.
    Merci pour ce rappel.
    Je vous en prie.
    J'avais oublié cette histoire.
    M. Brown et vous-même — M. Brown à la page 3 de son mémoire et vous à la page 3 aussi, je pense — avez tous les deux parlé de la communication sur papier et sur vidéo, mais vous dites que, sans la possibilité d'un contre-interrogatoire, ce n'est pas un substitut approprié à l'enquête préliminaire. Vous faites référence à la juge en chef McLachlin, entre autres.
    J'aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet, car il doit certainement y avoir des cas où nous utiliserons davantage les vidéos, et les communications sur vidéo et ce genre de choses seraient utiles. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cet aspect précis de votre exposé?
    Je pense que, en ce qui concerne l'utilisation des communications sur papier, vous devez vous demander de ce que vous en retirerez exactement. Vous avez déjà entendu dans les précédents témoignages — et cela pourrait être appliqué ici — Michael Spratt dire que c'est le « pourquoi » qui importe. Souvent, dans le cas des déclarations vidéo ou papier très restreintes, vous ne serez pas capable d'en retirer ce dont vous avez besoin pour le procès, particulièrement parce qu'il est possible de présenter une preuve par ouï-dire pendant une enquête préliminaire. En faisant cela, vous perdez de vue l'objectif final, qui est le procès. Je pense que c'est ce que vous devez faire lorsque vous entreprenez cette fonction accessoire qu'est l'enquête préliminaire.
    Avez-vous quelque chose à ajouter à cela, monsieur Brown?
    Je pense qu'il est important de rappeler, une fois de plus, que ce qui est écrit sur le papier ou ce qui est dit sur une vidéo ne peut pas nous révéler s'il y a ou non collusion entre les parties. Il est impossible de dire, comme l'affirme Mme Silver, s'il s'agissait ou non d'une information de première main ou de quelque chose que le témoin a entendu d'une autre personne et qu'il n'a pas clairement exprimé dans le témoignage. Il y a beaucoup d'avantages à mener une enquête préliminaire qui permet de poser des questions auxquelles il n'est pas nécessairement possible de répondre sur papier.

  (1745)  

    J'aimerais m'adresser au chef adjoint Chow.
    Merci pour votre exposé. Je suis évidemment impatient de le lire plus attentivement, car vous êtes passé rapidement sur un certain nombre de points. J'aimerais indiquer aux fins du compte rendu que vous avez parlé de la preuve policière courante en affirmant qu'elle nécessite une clarification, qu'elle est trop générale. Nous entendons constamment dire cela. C'est rassurant de l'entendre de la part de la police aussi.
    Ensuite, en ce qui concerne la nécessité de définir « population vulnérable », je me suis dit que vous avez bien réussi à en faire mention dans le compte rendu également.
    Franchement, je ne sais pas si j'ai bien compris le point sur les bases de données. J'aimerais en discuter avec vous. Vous avez parlé des nouvelles infractions hybrides, ou du fait que, quand vous utilisez la procédure sommaire, vous ne pouvez pas prélever l'ADN et l'envoyer au centre. Ai-je bien compris? Je pense que votre recommandation consistait à autoriser l'ordonnance de prélèvements d'ADN en application de l'article 487.04, peu importe la décision de la Couronne. Est-ce bien cela? Est-ce bien ce que vous recommandez pour débloquer la situation? J'ai peut-être mal compris vos observations.
    Je céderai la parole sur ce point à Mme Huntsman.
    Je vais répondre à la question. Pour obtenir une ordonnance de prélèvement d'ADN au moment de la détermination de la peine, il faut que l'infraction soit une infraction primaire ou une infraction secondaire. S'il s'agit d'une infraction primaire, alors le juge devra délivrer une ordonnance de prélèvement d'ADN. S'il s'agit d'une secondaire, la Couronne peut demander la délivrance d'une ordonnance de prélèvement d'ADN, et il revient au juge de décider de la délivrer ou non.
    Dans le cas des infractions secondaires, plusieurs sont appelées infractions figurant sur la liste. Je ne sais pas exactement combien il y en a, mais disons qu'il y en a 10 ou 15. Elles sont identifiées par numéro d'article.
    Il existe aussi des infractions qu'on pourrait appeler infractions résiduelles. Elles sont définies comme étant des actes criminels pour lesquels la période d'emprisonnement prévue est de 10 ans ou moins. Cependant, la Couronne doit avoir procédé par mise en accusation.
    S'il y a conversion en infractions mixtes et que la Couronne choisit de procéder par voie sommaire, il n'y a plus rien à faire.
    Exactement. Il est trop tard. C'est ça le problème.
    Puisque le Parlement cherche à augmenter de six mois à deux ans la durée d'incarcération pour les infractions punissables par déclaration sommaire de culpabilité, à mon avis, cela pousserait évidemment la Couronne à utiliser la procédure sommaire plus souvent. Nous verrons donc un grand nombre d'infractions secondaires qui auraient nécessité une ordonnance de prélèvement d'ADN ne plus en obtenir.
    Il y aurait les conséquences sur le maintien de l'ordre dont a parlé le chef adjoint Chow.
    Exactement.
    C'est intéressant. Je pense que c'est la première fois que nous entendons parler de cela.
    Nous avons, en fait, soumis ce que nous pensons être la solution, qui consiste à simplement considérer ces 85 infractions comme étant des infractions primaires, ou à les inscrire sur une liste en tant qu'infractions secondaires.
    Ce genre de modification dissiperait complètement vos préoccupations, n'est-ce pas?
    Oui, c'est ce que nous pensons.
    Me reste-t-il encore du temps?
    Il vous reste deux secondes. Votre temps s'est écoulé.
    Merci, monsieur le président.
    C'est au tour de Mme Khalid.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins pour leur très intéressant témoignage d'aujourd'hui.
    Je m'adresse à Mme Silver ou M. Brown. Vous avez beaucoup parlé des enquêtes préliminaires, tout comme beaucoup d'autres témoins. Des responsables de l'Association du Barreau canadien nous ont fourni quelques statistiques. Ils ont affirmé que seulement 54 % des affaires portées devant la Cour supérieure font l'objet d'enquêtes préliminaires, et que dans 25 % des cas, c'est un choix. La proportion des affaires pour lesquelles une enquête préliminaire est menée ne dépasse pas 5 % du nombre total de dossiers, pour tout le Canada, et, au plus 2 % des comparutions devant un tribunal concernent des enquêtes préliminaires, et dans la grande majorité des cas, celles-ci durent deux jours ou moins.
    D'après ce que je comprends de tous les témoignages que nous avons entendus, c'est que seul un très petit nombre d'affaires sont associées à une enquête préliminaire. Nous avons beaucoup entendu parler des répercussions négatives sur le système de justice de la suppression des enquêtes préliminaires. Pouvez-vous nous dire combien de personnes seraient touchées si les enquêtes préliminaires étaient réellement supprimées, comme il a été suggéré dans le projet de loi C-75?
    Je suis d'avis que ce n'est pas la quantité qui est importante mais la qualité. C'était le but de mon petit récit du début. Il ne s'agit pas de savoir « combien de temps vous allez gagner? », mais de savoir si, « à seulement 5 %, c'est important. » Chaque personne est importante, surtout lorsqu'il s'agit de la présomption d'innocence et de ses principes. Si une personne va être libérée, c'est important pour elle.
    Oui, c'est seulement 5 % et, pour ce qui est du temps, ce n'est peut-être pas autant que ce que tout le monde pense, mais je ne pense pas que cela soit important. L'important c'est le « pourquoi ». Pourquoi avons-nous ces enquêtes? Nous devons nous préoccuper de la fonction de renvoi primaire.

  (1750)  

    La seule chose que j'ajouterai c'est qu'il existe un rapport sur la condamnation injustifiée de James Driskell. Dans cette affaire, la Couronne a entre autres préféré la mise en accusation directe; elle a sauté l'étape de l'enquête préliminaire. Treize ans plus tard, après que James a purgé toutes ces années de prison pour une infraction qu'il n'avait pas commise, le juge Patrick LeSage a examiné la condamnation injustifiée et a conclu que l'absence d'enquête préliminaire dans cette affaire en particulier, et l'incapacité de découvrir les faits non divulgués qui a mené en partie à la condamnation injustifiée étaient des facteurs contributifs.
    Une fois de plus, qu'il s'agisse de 5, de 10 ou de 3 %, nous voulons faire tout notre possible pour assurer un système de justice équitable et juste pour toute personne ayant été condamnée de manière injustifiée. Une enquête préliminaire aide à atteindre cet objectif.
    Y a-t-il d'autres outils qui pourraient être utiles aux enquêtes préliminaires?
     Je pourrais peut-être répondre à cette question. Certains des arguments tenaient directement au pouvoir discrétionnaire de la poursuite. La Couronne procède à un examen et à un triage. Elle examine les dossiers et abandonne les affaires qui sont à la limite. C'est assez clair.
    Je pense que les derniers témoins y ont fait référence. Dans l'affaire R. c. Nur, tranchée par la Cour suprême du Canada, la juge en chef McLachlin a été très claire sur le fait qu'on ne peut pas substituer le pouvoir discrétionnaire de la poursuite par une surveillance judiciaire. C'est de cela qu'il s'agit.
    Merci.
    Je pense que mon collègue M. Fragiskatos a une question.
    Je ne suis pas un membre régulier de ce comité, mais j'ai la chance d'y siéger aujourd'hui pour étudier un projet de loi très important.
    Ma question concerne les enquêtes préliminaires. Certains observateurs ont dit que dans les cas, notamment, d'agression avec violence, faire témoigner une victime à une enquête préliminaire puis lui faire revivre l'expérience pendant le procès sert à victimiser de nouveau son expérience.
    Pourriez-vous nous parler de cela? Je pose cette question en tant que personne qui s'intéresse sincèrement à ce problème. Je n'ai pas de diplôme en droit comme mes amis ici à ma droite, mais je me soucie des victimes et du traumatisme laissé par leurs expériences, qu'elles revivent à ces deux occasions.
    J'ai dit plus tôt qu'il existe déjà des outils adaptés à chaque cas pour qui veut se prévaloir d'une enquête préliminaire. Une mise en accusation directe, avec le consentement du procureur général, envoie directement une affaire devant le tribunal.
    Dans les affaires où le plaignant est particulièrement vulnérable, il existe déjà des outils pour sauter l'étape de l'enquête préliminaire. Encore une fois, nous voulons protéger les plaignants, mais nous voulons également protéger la présomption d'innocence. Il faut maintenir un équilibre approprié entre ces aspects. La réponse n'est peut-être pas d'éliminer les enquêtes préliminaires dans tous les cas.
    Nous parlons des victimes vulnérables en particulier, et puisque nous avons maintenu le seuil de la peine d'emprisonnement à perpétuité. D'accord, nous avons à présent protégé les personnes qui ont porté plainte pour agression sexuelle, qui n'auront pas à témoigner deux fois. Mais, les victimes d'une agression grave ou d'une tentative de meurtre, étant donné la peine d'emprisonnement à perpétuité qui peut être infligée, doivent encore témoigner.
    Le projet de loi C-75 est simplement une solution imparfaite au problème de la protection des victimes vulnérables, en tout cas.
    Merci beaucoup.
    Avant de terminer, il y a une question sur laquelle j'aimerais revenir.
    M. Fragiskatos a soulevé un point qui a été abordé pour la toute première fois par le premier groupe de témoins, soit qu'un procès peut être interrompu à de multiples reprises à cause des requêtes qui sont déposées. Par exemple, lorsqu'il y a une assignation à produire des documents ou des renseignements de tiers, la partie plaignante peut être soumise à un contre-interrogatoire qui peut être interrompu et s'étendre sur plusieurs jours. Parfois, l'enquête préliminaire permet d'alléger le processus. M. Fragiskatos a soulevé à ce sujet un point intéressant, par rapport à ce que vous avez dit.
    Les témoignages ont encore une fois été fascinants. Je veux vous remercier chaleureusement d'être venus témoigner de toutes les régions du pays. Nous vous en sommes très reconnaissants.
    Je demanderais au prochain groupe de témoins de s'installer le plus vite possible. Pendant ce temps, nous allons prendre une courte pause.

  (1755)  


  (1800)  

    S'il vous plaît, mesdames et messieurs, nous reprenons nos travaux. Mon objectif est de faire en sorte que nos trois témoins puissent présenter leur déclaration avant le vote. Après le vote, nous passerons aux questions, si les témoins peuvent rester avec nous. La décision leur revient, bien sûr.
    Nous recevons aujourd'hui Mme Elizabeth Sheehy, professeure, faculté de droit, Université d'Ottawa. Je suis heureux de vous revoir.
    Nous accueillons également Mme Kathryn Smithen, avocate et procureure, Smithen Law, Services d'assistance à l'enfance. Bienvenue.
    Mlle Daisy Kler, intervenante à la maison de transition Vancouver Rape Relief and Women's Shelter, interagira avec nous par vidéoconférence de Vancouver. Bienvenue.
    Voici l'ordre que je vais suivre. Puisque Mme Smithen doit prendre un avion, elle présentera son témoignage en premier, suivie de Mlle Kler, puis de Mme Sheehy, puisqu'elle habite ici à Ottawa.
    Si possible, ne dépassez pas huit minutes. Ainsi, vous pourrez toutes les trois présenter votre témoignage avant que nous partions voter.
    Madame Smithen, vous avez la parole.
    Je tiens à remercier le Comité de sa généreuse invitation. Je l'ai reçue il y a quatre jours seulement, mais je suis heureuse d'être ici et enthousiaste à l'idée de témoigner à propos des dispositions du projet de loi C-75 concernant la façon dont le système de justice traite la violence entre partenaires intimes.
    D'entrée de jeu, je tiens à vous dire que, fondamentalement, je ne peux pas être objective ni en tant que personne ni en tant que juriste. Je crois que le Comité doit être au courant de ces partis pris avant que je présente mon témoignage.
    Mon premier parti pris tient au fait que j'ai été victime de violence familiale grave il y a plus de 25 ans. Mon ex-conjoint a été accusé de 17 infractions criminelles, y compris de tentative d'étranglement et d'agression sexuelle, et il a été traduit en justice. J'ai témoigné en tant que partie plaignante devant une cour supérieure, contre mon ex-conjoint, plusieurs années après les infractions, et j'étais aussi, malheureusement, la mère d'un témoin de la Couronne. Ma fille, qui a aujourd'hui 30 ans, a dû témoigner à l'âge de 9 ans de la violence à laquelle elle avait été exposée à l'âge de 4 ans.
    Mon deuxième parti pris tient à ma vie professionnelle. J'ai déjà été stagiaire en droit pour un avocat criminaliste, mais, après mon admission au Barreau de l'Ontario il y a sept ans, à l'âge de 49 ans, j'ai choisi, après mûres réflexions, de me spécialiser en droit de la famille. Présentement, dans le cadre de mon travail, je représente un grand nombre de femmes qui ont été victimes de violence familiale, de violence sexuelle ou des deux types de violence et dont les enfants ont aussi été affectés.
    Comme je viens de le dire, j'ai choisi cette spécialité professionnelle à dessein. Même si je suis consciente du rôle important et crucial que remplissent les avocats criminalistes dans l'ensemble des sociétés qui valorisent la primauté du droit, cela ne me convenait pas du tout, probablement à cause de ce que j'ai vécu.
    J'ai décidé consciemment que ma priorité, dans ma carrière d'avocate, serait de représenter les femmes et leurs enfants dans le système de justice afin de réparer, du moins je l'espère, les torts qu'ils ont vécus à cause de la violence familiale. Mon but à tout instant est de susciter des changements là où c'est possible pour qu'ils puissent vivre en sécurité.
    Certains diraient qu'il y a entre le droit familial et le droit criminel énormément de chevauchements qui me permettraient d'atteindre mon but, mais à cela je répondrai honnêtement, devant le Comité, qu'il est quotidiennement frustrant d'essayer d'atteindre ces buts.
    Aujourd'hui, mon exposé portera surtout sur les dispositions relatives à la mise en liberté provisoire qui, selon moi, doivent être modifiées de façon que les victimes puissent vivre en sécurité.
    À mon avis, il faudrait modifier le projet de loi C-75 en y ajoutant une inversion du fardeau de la preuve lorsqu'il y a deux accusations ou plus de violence entre partenaires intimes. Cela aiderait les victimes davantage que le fait de tout miser sur la seule issue du processus, c'est-à-dire sur la condamnation.
    D'après ce que je sais, le projet de loi prévoit actuellement une inversion du fardeau de la preuve seulement lorsque la personne accusée avait été reconnue coupable antérieurement. Cela pose problème pour plus d'une raison: premièrement, la violence entre partenaires intimes est rarement signalée. Peu importe si c’est la première fois que l’accusé est traduit en justice, il n’est pas rare — comme nous le savons tous — qu'il y ait de longs antécédents de violence avant que la police arrête le délinquant présumé. Comme nous le savons tous, la violence entre partenaires intimes se fait surtout derrière des portes closes. Il n’est pas rare que toutes les violences passées soient cachées non seulement à la police, mais aussi à la famille, aux amis et aux collègues, jusqu’à ce qu’un incident attire l’attention des forces policières sur la famille. Le secret inhérent à la violence familiale, souvent dû au cycle de la violence ou à la honte que la victime ressent, rend très difficile pour une victime d’aller chercher de l’aide.
    Il y a aussi le fait qu'une femme s'expose à un danger plus grand une fois que la vérité éclate au grand jour. Sa honte devient publique, et elle subit des pressions des gens qui veulent qu'elle retire sa plainte ou témoigne différemment. C'est une nouvelle source de pression ainsi qu'une nouvelle et très réelle source de danger. Le taux élevé de plaignantes qui sont contraintes à se rétracter ou à ne pas se présenter au procès fait qu'il s'agit d'une infraction toute particulière, étant donné qu'il est bien plus difficile d'obtenir une déclaration de culpabilité pour ce type d'infraction que pour d'autres.
    À l’époque où j’étais stagiaire pour un avocat criminaliste, en 2008 et 2009, mon directeur, dont je tairai le nom, puisqu’il n’est pas ici aujourd'hui, conseillait toujours à ses clients accusés d’infractions de violence familiale de refuser toutes les offres de la Couronne visant à mettre fin aux procédures. Il disait toujours que, dans la plupart des cas, la plaignante ne se présentait pas et que toutes les accusations seraient retirées en conséquence.

  (1805)  

    Malheureusement, il avait la plupart du temps raison.
    Dans les cas de violence entre partenaires intimes, les conditions de mise en liberté sous caution sont rarement respectées ou carrément ignorées. Selon moi, cela tourne en dérision le système juridique. C'est quelque chose dont nous sommes conscients dans les tribunaux criminels; personne ne remet cela en question. S'il faut absolument qu'il y ait une condamnation antérieure pour inverser le fardeau de la preuve, on exige beaucoup trop et on le fait bien trop tard.
    Nous, législateurs et avocats, n'avons pas besoin qu'il y ait eu condamnations pour savoir que le danger est plus grand pour les personnes victimes de ce type d'infraction que pour les autres. Je crois qu'il est mal avisé de mettre un délinquant présumé en liberté s'il est accusé de deux infractions ou plus; ce serait courir au-devant du danger.
    Dans mon travail d'avocate spécialisée en droit de la famille, je vois des clients après qu'ils sont passés par le système de justice pénale. J'ai très souvent entendu des procureurs de la Couronne proposer un engagement de ne pas troubler l'ordre public, dans des affaires de violence entre partenaires intimes. Cela veut dire qu'il n'y aura jamais de condamnations.
    On invoque toutes sortes de raisons pour justifier cela. Voici quelques-unes que j'ai entendues pendant ma très courte carrière.
    « La violence familiale est un problème social; il vaut mieux s'y attaquer à l'extérieur du système juridique. »
    Selon le raisonnement de certains procureurs de la Couronne, il serait préférable que les victimes aillent chercher du counselling axé sur la violence familiale, et je serais d'accord avec eux; ce serait très bien si les agresseurs admettaient leur responsabilité et changeaient leur comportement à l'extérieur de la salle de consultation. Malheureusement, cela n'arrive que très rarement.
    Voici un autre argument que j'ai entendu: si le délinquant perd son travail — ce qui va probablement arriver s'il est condamné au criminel —, cela fera diminuer sa capacité de verser la pension alimentaire, comme si la sécurité de la victime était comparable à la pension alimentaire.
    J'ai entendu des commentaires encore plus cyniques, comme « Elle ne va pas le laisser, de toute façon », comme si cela justifiait de ne pas porter d'accusations.
    Bien sûr, même si certains de ces arguments sont fondés, ils empêchent que la partie plaignante soit traitée avec le respect auquel a droit toute personne dans le système juridique. Cela va à l'encontre des objectifs mêmes de ces dispositions législatives judicieusement élaborées, parce qu'on n'assure ni la sécurité des plaignantes ni celle de leurs enfants. Souvent, ce qui arrive au tribunal de la famille lorsque l'affaire au criminel disparaît à cause d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public, c'est que les délinquants, devant le tribunal de la famille, font comme s'ils n'avaient jamais été accusés officiellement dans le système juridique, et le cycle de la terreur envers les victimes se poursuit.
    En droit de la famille, de nombreux avocats spécialisés comme moi essaient de combler cette lacune en élaborant des plans de sécurité avec les clients, mais la position de la Couronne dans les affaires au criminel vient miner nos efforts.
    En résumé, le message véhiculé dans ce projet de loi est que, dans le système juridique, la violence familiale est un crime moins grave que les crimes entre personnes ne se connaissant pas, et je suis convaincue que ce n'est pas notre but.
    Je suis consciente du fait que beaucoup de choses que j'ai dites aujourd'hui vont à l'encontre d'une bonne partie de la jurisprudence et du témoignage de mes estimés collègues de la défense. Je suis depuis longtemps la cible de critiques dans le milieu du droit à cause des opinions que j'ai exprimées aujourd'hui et de mes idées de réforme. Lorsque j'étudiais en droit, un de mes pairs se moquait sans cesse de moi et agissait comme si j'étais un lézard à trois têtes à cause de mes positions, mais mes convictions sont inébranlables.
    Le plus triste, c'est que j'ai entendu des avocats de la défense rire des projets de loi et des efforts concernant les droits des victimes. J'ai été complètement abasourdie l'année dernière d'entendre une avocate de la défense respectée critiquer ses propres collègues de la Couronne — c'était dans le cadre d'un programme de perfectionnement professionnel continu — parce qu'ils avaient appelé des plaignantes des « survivantes », comme si c'était un terme vulgaire, d'une certaine façon.
    Rien de ce que j'ai proposé aujourd'hui ne minerait le droit des accusés de présenter une défense pleine et entière ni ne porterait atteinte aux droits que la Charte a prévus pour les personnes accusées. Cependant, mes recommandations feraient en sorte que les droits que la Charte a prévus pour les victimes de violence entre partenaires intimes seraient reconnus — en particulier le droit à la liberté et à la sécurité —, valorisés et protégés par les institutions canadiennes, comme la Chambre.
    Je vous remercie chaleureusement de m'avoir permis de témoigner.

  (1810)  

    Merci beaucoup.
    Allez-y, mademoiselle Kler.
    J'aimerais remercier le Comité de m'avoir invitée à témoigner. Je croyais avoir 10 minutes, alors je vais devoir aller plus vite que prévu.
    Avant toute chose, je veux dire que le Vancouver Rape Relief and Women's Shelter a été la première ligne d'écoute téléphonique pour les victimes de viol au Canada. Notre refuge pour les femmes battues et leurs enfants a ouvert ses portes en 1973. Nous recevons environ 1 300 nouveaux appels par année et hébergeons une centaine de femmes, avec leurs enfants qui ont fui des hommes violents. Nous menons des activités de défense des intérêts, et nous offrons des services d'accompagnement aux femmes qui vont voir la police, qui comparaissent devant les tribunaux ou qui se rendent à l'hôpital. Nous offrons aussi souvent des services en lien avec l'immigration et à l'aide sociale.
    Nous aidons les femmes qui séjournent chez nous à trouver un logement, à trouver un avocat en droit de la famille pour les questions concernant la garde des enfants et les droits de visite; nous les aiderons aussi à faire une déclaration à la police, à trouver un service de garde et à faire presque tout ce qu'il faut faire au quotidien. Au besoin, nous faisons appel à des interprètes et aidons à résoudre les problèmes liées à l'immigration ou aux demandes d'asile.
    Notre organisme est composé de travailleurs salariés et de bénévoles. Parmi nos membres, il y a d'anciennes femmes battues, des femmes qui sont sorties du milieu de la prostitution et des survivantes d'agression sexuelle. Nous avons des membres de tous les âges, de toutes les races et de toutes les classes sociales.
    Depuis 40 ans que nous travaillons aux premières lignes dans ce domaine, nous connaissons toutes les formes de violence masculine envers les femmes, y compris les voies de fait contre une conjointe, l'inceste, le viol, les agressions sexuelles et la prostitution.
    Notre expertise et nos connaissances relativement à la violence des hommes envers les femmes font qu'on nous a énormément consultés, autant au Canada qu'à l'étranger. Par exemple, nous avons mis notre expertise concernant la violence envers les femmes à contribution dans le cadre de consultations provinciales et fédérales. Tout récemment, nous avons témoigné devant votre Comité à propos du trafic de personnes et de la prostitution ainsi que du projet de loi C-51.
    Notre organisme est aussi également très actif dans le mouvement féministe. Chaque année depuis 1997, nous organisons une conférence publique d’une journée en mémoire de la tuerie de Polytechnique, à Montréal. L’organisme a animé des discussions de fond sur les questions clés de la violence masculine envers les femmes, auxquelles ont participé des groupes féministes locaux, nationaux et internationaux luttant pour l’égalité des femmes et des intervenantes de première ligne de services pour les femmes. L’événement connaît un grand succès auprès du public et des féministes de la ville.
    En 2011, nous avons participé à la conférence internationale Monde des Femmes à Ottawa. En collaboration avec la CLES — la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle —, nous avons organisé une discussion trilingue internationale réunissant des expertes pour aborder le sujet de la prostitution, une forme de violence masculine envers les femmes. Nous avons accueilli des intervenantes des Premières Nations ainsi que de 15 pays du monde.
    Nous travaillons aussi en coalition avec d'autres intervenants et organismes luttant contre la violence, par exemple l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel, le Réseau canadien des maisons d'hébergement pour femmes et la Society of Transition Houses de la Colombie-Britannique.
    Notre organisme s'intéresse aux dossiers publics où il est question de l'égalité des femmes, et cherche à les faire progresser. Par exemple, notre organisme était l'une des parties ayant qualité pour agir dans les audiences institutionnelles et d'experts dans le cadre de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Nous faisons partie d'une coalition nationale d'intervenants de première ligne ayant obtenu le statut d'intervenant dans l'appel de Bradley Barton, qui a été déclaré non coupable du meurtre de Cindy Gladue. Nous allons présenter notre témoignage de vive voix devant la Cour suprême du Canada le 11 octobre.
    Qu'avons-nous appris dans notre travail de première ligne? Que la plupart des femmes victimes de violence masculine ne se tournent pas vers le système criminel. Quelque 30 % seulement des femmes qui nous téléphonent l'ont fait, et c'est beaucoup, étant donné que la plupart des centres d'aide aux victimes de viol axent uniquement leurs efforts sur les victimes d'agression sexuelle, qui sont encore moins nombreuses à le faire. Cependant, puisque nous nous occupons aussi de femmes battues, nous savons que des voisins ou d'autres personnes appellent la police pour elles. Puisque d'autres personnes que ces femmes téléphonent, la proportion est un peu plus élevée en ce qui nous concerne.
    Souvent, c'est la police elle-même qui approche les femmes avec qui nous travaillons à la maison de transition. Lorsqu'elles téléphonent elles-mêmes à la police, leur dossier ne se rend pas devant les tribunaux, et, s'il s'y rend, il n'est pas souvent susceptible d'aboutir à une condamnation au criminel. D'après notre expérience, la plupart des femmes qui ont trouvé refuge chez nous et qui demandent l'aide de la police obtiennent un numéro de dossier de police et rien d'autre. Les arrestations et les accusations sont rares, et il est extrêmement peu probable qu'il y ait une déclaration de culpabilité.

  (1815)  

    Les femmes ne font pas confiance au système de justice pénale. Elles ne croient pas que le tribunal va trancher en leur faveur, parce que jusqu'ici il ne l'a pas fait. Nous sommes favorables à certaines des modifications proposées dans le projet de loi, mais je dois souligner que ces modifications ne toucheront qu’une petite proportion des femmes qui ont été victimes de violence masculine.
    J’ai bon espoir que certaines de ces mesures auront un effet positif. Nous sommes convaincus que le fait de protéger le droit à l’égalité des femmes ne portera pas atteinte aux droits des hommes, que la Charte garantit. Cependant, notre position est que les femmes battues et victimes d’agression sexuelle, elles, ont rarement droit à la justice et que les droits que leur confère la Charte sont trop peu souvent protégés. Nous croyons que les lois en vigueur concernant les femmes battues ou victimes d’agression sexuelle doivent être appliquées.
    Nous savons aussi que nos prisons sont remplies d'hommes pauvres, racialisés ou autochtones, non pas parce qu'ils commettent plus de crimes contre les femmes, mais parce que le système de justice pénale criminalise injustement ces populations et laisse les hommes blancs nantis s'en tirer. C'est une femme pauvre, racialisée et autochtone qui risque le plus d'être arrêtée si un homme violent appelle la police à propos d'elle.
    Nous ne croyons pas que les prisons réussissent à réhabiliter les hommes, et nous ne demandons pas des peines d'emprisonnement plus longues. Cependant, les collectivités ne tiennent pas les hommes responsables des actes de violence qu'ils commettent. C'est pourquoi les femmes vont continuer d'avoir besoin de la protection du système de justice pénale, et nous, féministes, devrons continuer de lutter pour qu'elles aient accès à la justice.
    Nous approuvons certains des changements terminologiques, par exemple le remplacement de « conjoint » par « partenaire intime » et l’élargissement de la définition aux anciens partenaires et aux partenaires amoureux, puisque cela rend compte des relations que peut avoir une femme sans être mariée. Cette modification permet aussi d’interpréter plus largement et de manière approfondie le pouvoir que les agresseurs continuent d’exercer sur les femmes même après que la relation a pris fin. Nous savons en effet que le risque est le plus grand dans les dix-huit premiers mois après que la femme a quitté un homme violent. Nous constatons que les hommes peuvent être violents envers les femmes à toutes les étapes de la relation et après également. C’est pourquoi la substitution de l’expression « violence entre partenaires intimes » est une bonne chose, puisque cela veut dire que l’homme sera plus susceptible d’être tenu responsable de ses actes.
    Malgré tout, ce changement de vocabulaire ne corrige en rien la faille fondamentale de ce projet de loi. Nulle part dans ce projet de loi la violence des hommes envers les femmes n'est reconnue. Le monde entier a compris que la violence masculine envers les femmes est une réalité sociale impossible à nier. Il n’y a rien dans le projet de loi qui reflète ou qui souligne le fait que les agresseurs sont très majoritairement des hommes, et les victimes, des femmes.
    Un changement encourageant est l’inversion du fardeau de la preuve relativement à la mise en liberté sous caution. Cela aidera à réduire le nombre d’hommes qui récidivent immédiatement en attaquant leur partenaire intime féminine.C'est un pas dans la bonne direction, car il reviendra aux hommes qui ont des antécédents de violence familiale de démontrer qu'ils doivent être mis en liberté. Cela envoie un message indiquant que la violence contre les femmes est un crime grave.
    Cependant, je trouve regrettable que l’inversion du fardeau de la preuve ne s’appliquera pas aux hommes qui n’ont pas de casier judiciaire pour violence familiale, y compris ceux qui ont eu droit à une absolution inconditionnelle ou conditionnelle. J’ai travaillé sur le dossier d’une femme battue dont l’agresseur était un avocat. Devant le tribunal, il a dit qu’il avait besoin de se rendre aux États-Unis pour rendre visite à de la famille. Même s’il avait reconnu sa culpabilité, la juge lui a accordé une absolution sous conditions. Donc, s’il utilise de nouveau la violence, ce qui est très probable, l’inversion du fardeau de la preuve ne s’appliquera pas.
    Nous sommes aussi en faveur de l’élimination des enquêtes préliminaires obligatoires. Nous savons, car nous l'avons vu en accompagnant les femmes qui devaient comparaître devant un tribunal, que les enquêtes préliminaires sont un moyen pour les avocats de la défense d’essayer de discréditer le témoignage de ces femmes en relevant ne serait-ce qu’une incohérence négligeable entre les déclarations faites à la police, les témoignages pendant l’enquête préliminaire et les témoignages pendant l’audience. Pour vous donner un exemple récent, j’ai assisté le mois dernier à une audience où une femme devait témoigner. Pendant la phase précédant l’instruction, elle a dit dans une déclaration : « Je crois que je portais un cardigan. » Plus tard, elle dit : « Je portais un cardigan. » En contre-interrogatoire, l’avocat de la défense a insisté gratuitement sur cette différence et a laissé entendre qu’elle mentait parce qu’elle n’avait pas dit la même chose mot pour mot. L’utilisation à mauvais escient des enquêtes préliminaires est chose courante dans les affaires d’agression sexuelle, et nous sommes satisfaits que des restrictions soient imposées à son utilisation.
    Le projet de loi C-75 prévoit également que l'étranglement passera à un niveau plus élevé des voies de fait et sera comparable aux voies de fait causant des lésions corporelles. Puisque l'étranglement est un indicateur d'une augmentation probable du niveau de violence pouvant aller jusqu'au meurtre de la femme, ce changement reflète mieux la gravité du crime...

  (1820)  

    Madame Kler, je suis désolé de vous interrompre, mais nous sommes rendus à 10 minutes, et je veux que Me Sheehy puisse aussi témoigner.
    D'accord. J'ai une dernière chose à dire.
    En ce qui concerne l'étranglement, je crois que c'est un bon changement, mais il ne reflète pas le caractère potentiellement mortel de l'acte.
    En ce qui concerne la détermination de la peine, je trouve important qu'on ait ajouté les anciens partenaires et les partenaires amoureux à la définition, puisque les femmes qui ont quitté des hommes violents courent un plus grand risque d'être agressées par eux. Même si le projet de loi C-75 habilitera les tribunaux à augmenter la peine maximale pour les récidivistes qui ont un antécédent de violence familiale, la plupart des juges n'imposent pas la peine maximale dans les affaires de violence familiale, alors cela n'aura probablement aucune incidence.
    Je remarque aussi que, pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, qui englobent la plupart des infractions de violence masculine, la peine maximale est passée de six mois à deux ans, sauf pour ce qui est des agressions sexuelles. Je trouve que cette omission est étonnante. Cela laisse entendre que les femmes battues ne sont jamais victimes d’agression sexuelle. Selon moi, cela renforce le mythe répandu selon lequel les femmes victimes de violence entre partenaires intimes sont différentes des femmes victimes d’agression sexuelle. En vérité, les agressions physiques masculines comprennent souvent une composante d’agression sexuelle.
    Je vais m'arrêter ici. J'avais encore quelques sujets à aborder, mais avec un peu de chance, je pourrai en parler en répondant aux questions.
    Merci.
    Merci.
    Vous avez la parole, maître Sheehy.
    Jusqu'à ce que nous devions partir.
    Excusez-moi?
    Vous avez huit minutes jusqu'à ce que nous devions partir, du moins je l'espère.
    D'accord.
    Merci de m'avoir invitée à témoigner à propos du projet de loi C-75. Comme vous le savez, je suis professeure émérite à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, où j'enseigne le droit pénal et la procédure criminelle depuis 34 ans. J'ai consacré toute ma carrière à la façon dont le système judiciaire traite les affaires de violence contre les femmes.
    Je ne parle pas au nom d'un groupe; toutefois, je saisis toutes les occasions qui me sont offertes de travailler avec les militantes féministes du mouvement des femmes indépendantes, parce que le leadership et les réflexions d'intervenantes de première ligne comme Daisy sont fondés sur des décennies de travail de première ligne, sur une stratégie de lutte contre la violence envers les femmes ainsi que sur un engagement politique inébranlable à l'égard de la libération des femmes et de leur droit à l'égalité. Donc, j'approuve tout ce qu'elle a dit, mais j'ai d'autres choses à ajouter.
    Je suis d'accord avec Daisy sur le fait qu'il est très difficile d'élaborer des politiques et des lois efficaces en matière de droit criminel sans d'abord se pencher sur les expériences de vie des femmes et sur les conditions particulières de la violence masculine. Quand nous utilisons des termes vagues et génériques comme « violence conjugale » ou « violence familiale », nous éludons le fait qu'il s'agit de violence masculine envers les femmes. Cela laisse croire à tort qu'il y a parité entre les hommes et les femmes, pour ce qui est de la violence, et nous empêche de mettre au point des stratégies juridiques efficaces ciblant le grave danger que la violence masculine représente pour le droit des femmes à la vie, à la liberté et à l'égalité.
    Je partage l'avis de Daisy. Il y a un problème. À cause de cela, il est difficile pour nous d'utiliser la bonne terminologie et d'élaborer les bonnes stratégies. Les bonnes intentions sur lesquelles repose le projet de loi sont minées, dans une certaine mesure, par le fait qu'il n'est pas fondé sur une stratégie nationale de prévention de la violence contre les femmes ni sur l'expertise des féministes de première ligne.
    Jje voulais soulever quatre points, mais Daisy en a déjà abordé plusieurs.
    J'allais parler de la disparité au chapitre de la détermination de la peine.Pour toutes les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, la peine maximale est maintenant de deux ans, sauf pour les cas d'agression sexuelle. C'est étrange. C'est une anomalie. Je crois que cela reflète une façon de penser divergente, avec la violence familiale d'un côté et les agressions sexuelles de l'autre.
    Comme Daisy, je ne suis pas favorable à l'imposition de peines d'emprisonnement plus longues. Je ne crois pas que c'est de ce côté que nous devrions déployer des efforts, mais il y a dans ce projet de loi un message qu'il faudrait probablement corriger. La peine d'emprisonnement maximale de deux ans devrait s'appliquer à toutes les infractions punissables par procédure sommaire qui sont liées à la violence envers les femmes.
    Un autre point que je veux faire valoir est que le projet de loi prévoit aggraver la peine pour les actes criminels perpétrés avec violence ou menace de violence par un partenaire actuel ou un ancien partenaire, y compris un partenaire amoureux. L'amendement omet toutefois les hommes qui sont obsédés par des femmes et qui les traquent alors que ces femmes ont refusé toute relation amoureuse avec eux. Ces hommes sont animés du même sentiment que les hommes qui agressent leur partenaire intime: cette idée que les femmes sont leur possession, qu’elles leur doivent quelque chose ou qu’elles doivent être punies parce qu’elles refusent de les aimer ou de leur obéir. Ces hommes peuvent être aussi dangereux que ceux qui agressent leur conjointe ou leur ex-partenaire. Le danger que ces hommes représentent pour les femmes qu’ils harcèlent devrait être consigné dans les dossiers du système de justice pénale. Ainsi, il sera plus facile d’évaluer le risque qu’ils posent pour les femmes qu’ils harcèlent et les autres femmes à l’avenir.
    La nouvelle définition omet également la possibilité que l’agresseur s’en prenne à d’autres personnes, par exemple le nouveau partenaire, les membres de la famille, la mère, le père, les soeurs ou les amis. Les agresseurs peuvent blesser ou menacer d’autres personnes dans le but d'intimider et de contrôler leur victime, et ils sont aussi susceptibles de s'en prendre à ceux qui interviennent pour la protéger. Ces formes de violence font aussi partie de la dynamique de la brutalité conjugale, et le projet de loi devrait les traiter comme tels.
    Je tiens à mentionner que chacune de mes recommandations est assortie du libellé que je propose. Je ne vais pas les lire, mais vous les trouverez dans mon mémoire, que j'ai remis au greffier.
    J’ai déjà parlé de la détermination de la peine, alors je vais passer à mon troisième point, l’étranglement, dont Daisy a déjà parlé. Je suis d’accord avec elle, c’est une modification souhaitable. Un agresseur ou un agresseur sexuel qui étouffe, fait suffoquer ou étrangle sa victime devrait être accusé d’une infraction plus grave, de niveau deux. Les études montrent que le risque de lésion cérébrale ou de décès est plus élevé chez les victimes d’étranglement. L'étranglement est un facteur de risque déterminant relativement au risque de décès ou de féminicide conjugal, et c’est aussi un moyen que les hommes utilisent pour terrifier et dominer les femmes. L'agresseur dit littéralement que la vie de sa victime est entre ses mains.

  (1825)  

    Il est donc crucial que le casier judiciaire d'un délinquant qui est reconnu coupable de ce genre d'infraction précise s'il y a eu agression par étranglement ou agression sexuelle par étranglement. J'ai déjà vérifié, et il semble que cela sera effectivement inscrit comme cela dans le casier judiciaire. C'est très important si l'on veut que la police, les procureurs et les juges comprennent le risque que pose ce genre de délinquant en particulier.
    Cet ajout au Code criminel suit ce qui a été fait dans certains États des États-Unis ainsi que dans d'autres pays qui reconnaissent que les agressions avec étranglement perpétrées par des hommes doivent être dénoncées, faire l'objet d'un suivi et alléger le fardeau de la preuve pour la Couronne. Cependant, d'autres modifications au Code criminel sont absolument nécessaires si nous voulons que celle-ci ait un effet. C'est que, voyez-vous, la loi n'a pas semble-t-il résolu la question de savoir si une femme peut consentir à des lésions corporelles — qui ne sont ni mineures ni temporaires — dans le contexte dune relation sexuelle.
    Je peux en dire beaucoup sur ce problème juridique. C'est un problème de nature juridique, mais il y a aussi une composante concrète, c'est-à-dire la société dans laquelle nous vivons. Nous sommes prêts à mettre notre incrédulité de côté et à acquitter quelqu'un simplement parce qu'il se peut qu'une femme consente, dès le premier rendez-vous, comme dans l'affaire Ghomeshi, à se laisser étrangler avant même d'échanger des salutations ou de discuter de ce que suppose l'étranglement ou du risque qu'il peut poser.
    Il est évident que les hommes accusés de ces nouvelles infractions d'agression ou d'agression sexuelle invoqueront la notion de consentement. Je ne vois pas pourquoi il serait justifié en droit pénal de prévoir une exception à la règle générale selon laquelle les gens ne peuvent pas consentir à des lésions corporelles graves et permanentes. Je crois qu'une exception de ce genre aurait pour effet de discriminer les femmes en raison de leur sexe, en particulier les femmes victimes de la violence masculine ou de la violence inhérente au milieu de la prostitution. Si nous voulons que l'étranglement soit une forme précise d'infraction criminelle, je crois qu'il faudrait ajouter une disposition au projet de loi C-75 en prévision de ce genre de défense.
    Mon quatrième point concerne les dispositions relatives à l'inversion du fardeau de la preuve, que Kathryn Smithen a déjà abordé avec compétence. Il est rare qu'un membre du Barreau ait une position encore plus radicale que celle d'une professeure de droit, mais c'était le cas ici. J'allais énoncer le même avis que Daisy, c'est-à-dire que l'inversion du fardeau de la preuve devrait s'appliquer aux hommes qui ont été déclarés coupables, même s'ils n'ont pas été condamnés. Cependant, je suis effectivement d'accord avec Kathryn: je crois que les données justifieraient que l'inversion du fardeau de la preuve s'applique aux hommes accusés d'infractions de violence familiale, peu importe s'ils ont déjà été déclarés coupables ou condamnés. C'est que le ministère de la Justice a justement mené une étude il y a quelques années sur les délinquants auteurs d'actes de violence familiale. Cette étude a montré que 50 % de ces délinquants ne respectaient pas leurs conditions et que, parmi ceux-ci, 50 % récidivaient avec violence. Cela prouve qu'il s'agit d'une catégorie de délinquants à risque élevé, auxquels l'inversion du fardeau de la preuve devrait s'appliquer. Ainsi, on accorde aux femmes une certaine sécurité leur permettant de fuir ou de se cacher pendant l'instruction de l'affaire.
    Je vais m'arrêter ici. Merci beaucoup.

  (1830)  

    Oui, merci beaucoup. Nous devons aller en Chambre.
    Mesdames, nous serons de retour dès que nous aurons fini de voter. Nous espérons vraiment que vous pouvez rester pour répondre à nos questions, mais nous saurons comprendre si vous devez partir. Nous vous enverrons nos questions par courriel.
    Savez-vous combien de temps vous serez partis?
    Nous devons voter sur deux questions. Cela devrait prendre entre 30 et 40 minutes. Nous serons de retour dès que possible.
    Merci encore. Nous sommes navrés.
    La séance est suspendue.

  (1831)  


  (1905)  

    Reprenons les travaux. Je tiens à remercier les témoins de leur grande patience. Nous sommes vraiment désolés. Nous ne décidons pas du moment des votes.
    Nous laisserons M. Cooper poser la première question.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins.
    Maître Smithen, vous avez dit que vous êtes en faveur de l'application de l'inversion du fardeau de la preuve aux personnes accusées de deux infractions de violence entre partenaires intimes plutôt que d'une déclaration de culpabilité effective. Maître Sheehy, je crois que vous avez dit que vous seriez satisfaite si l'inversion du fardeau de la preuve s'appliquait à la première accusation. Je crois comprendre, madame Kler, que vous êtes vous aussi en faveur de l'inversion du fardeau de la preuve dès qu'une accusation est portée.
    Ai-je bien compris votre témoignage?
    C'est la première fois que j'entends cet argument, alors j'aurai besoin d'un peu plus de temps pour bien y réfléchir. Je ne suis pas aussi rapide que Me Sheehy sur ce sujet.
    Ce que j'ai dit c'est ce que je...
    Allez-y.
    Madame Kler, vous avez la parole.
    D'accord. Je ne peux pas tous vous voir, alors je ne sais pas à qui vous vous adressez si vous ne dites pas mon nom.
    À propos de l'inversion du fardeau de la preuve, je crois que c'est un bon début. J'ai perçu une lacune qui concerne les hommes qui ont été... Dans le cas de la femme battue auprès de qui j'ai travaillé, l'homme avait été reconnu coupable, mais il avait obtenu une absolution conditionnelle, alors, s'il l'agresse à nouveau...
    Je comprends ce que vous voulez dire à propos de l'absolution conditionnelle...
    Oui...
    L'inversion du fardeau de la preuve ne s'appliquerait plus à lui, même s'il a été reconnu coupable.
    Maître Smithen, vous vouliez préciser votre position.
    Je crois que ce qui me préoccupe, c'est que, pour la première infraction, il n'y a aucun antécédent connu. Souvent, la police aura accès aux antécédents, dans ses bases de données, mais cela ne veut pas dire que des accusations ont été portées au criminel.
    Selon moi, lorsque la personne est accusée d'une infraction et a des antécédents, ou lorsqu'elle est accusée de deux infractions ou plus, mais n'a pas d'antécédents, l'inversion du fardeau de la preuve devrait s'appliquer. Cela indique qu'il y a une habitude, que le délinquant présumé n'a pas commis un acte isolé.
    Maître Sheehy, êtes-vous aussi de cet avis?
    Oui, effectivement.
    Ce n'était pas ma position de départ. Initialement, j'ai fait observer que les délinquants qui plaident coupables ou qui sont reconnus coupables mais dont la peine n'est pas consignée ne seraient pas visés par le projet de loi.
    Je suis d'accord sur le fait qu'il faut que nous soyons tous vigilants lorsqu'il y a des signes montrant que la violence entre partenaires intimes est fréquente. Certains facteurs de risque importants ne seront pris en considération, je crois, qu'à une audience sur l'inversion du fardeau de la preuve.

  (1910)  

    Très bien.
    J'appuie bien évidemment les dispositions du projet de loi sur l'inversion du fardeau de la preuve et je suis entièrement disposé à examiner des modifications qui permettraient d'élargir la portée de ces dispositions.
    Cela dit, la position de l'Association du Barreau canadien, entre autres entités, est que les dispositions relatives à l'inversion du fardeau de la preuve ne sont pas vraiment nécessaires. À ce sujet, elles soulignent que le projet de loi C-75 fournirait aux juges deux critères à examiner pour leur décision relative à la caution. Premièrement, est-ce que la personne est accusée d'avoir perpétré une infraction avec violence ou avec menace ou tentative de violence et, deuxièmement, est-ce que la personne accusée a déjà été reconnue coupable d'une infraction antérieure de portée plus large qu'une simple infraction de violence entre partenaires intimes?
    J'aimerais avoir votre avis sur la position de l'ABC. Quelle est votre réaction par rapport à cela?
    Je ne prétends pas parler pour l'ABC, loin de là, mais je crois qu'il s'agit d'un point de vue qui manque de perspective.
    Les décisions touchant la remise en liberté provisoire sont fréquemment rendues par des juges de paix, dont nombre n'ont pas suivi de formation juridique. Ce qui se passe, c'est que les décisions touchant la remise en liberté provisoire ne sont pas appliquées de manière uniforme partout. Il y a beaucoup de discrétion à cet égard. Je crains que, s'il n'y a pas d'inversion du fardeau de la preuve, les gens condamnés pour des infractions de violence entre partenaires intimes passent entre les mailles du filet. Il faut reconnaître qu'il s'agit d'une infraction grave.
    Des amis policiers m'ont dit que, lorsqu'ils reçoivent ce genre d'appels — pour des cas d'homicide, manifestement, ou de violence conjugale —, ils prennent maintenant cela très au sérieux. J'ai peur qu'on prenne cela plus à la légère sein du système judiciaire. On n'attribue pas à cette infraction le potentiel de danger qu'elle pose, particulièrement si une tendance se dégage.
    Très bien.
    Maître Sheehy, vous nous avez fourni certaines données statistiques au sujet des manquements commis par des personnes accusées de violence conjugale. L'un des aspects du projet de loi C-75 est le fait de prévoir des comparutions pour manquement à l'égard d'infractions contre l'administration de la justice, qui pourraient inclure, évidemment, le manquement aux conditions de remise en liberté provisoire imposées. Êtes-vous préoccupée par le processus de comparution pour manquement, à tout le moins, dans le contexte de la violence entre partenaires intimes?
    Je ne dispose pas d'assez de renseignements pour vous donner une opinion éclairée à ce sujet.
    D'accord.
    Quant à la question de savoir si ces procédures améliorées feront quoi que ce soit pour protéger les femmes, je n'en sais pas assez au sujet...
    Très bien. Je voulais simplement poser la question.
    Oui. Merci.
    Merci beaucoup.
    Mme Khalid est la suivante.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous nos témoins d'examiner d'une perspective sexospécifique le projet de loi C-75 et ses répercussions.
    Des témoins précédents ont affirmé que l'inversion du fardeau de la preuve en ce qui a trait à la violence entre partenaires intimes risquerait d'accroître le taux de non-signalement des cas de violence entre partenaires intimes et de violence conjugale. Êtes-vous d'accord avec cela?
    La question s'adresse à Mes Smithen et Sheehy, puis à Daisy.
    Je ne pense pas que ce soit le cas. Pour beaucoup des femmes que j'interroge, le simple fait de les faire parler de l'infraction est un long processus. Je ne crois pas qu'elles soient nombreuses, du moins parmi celles que j'ai déjà rencontrées — et je m'inclus au nombre —, à avoir réfléchi aussi profondément à la question. Je ne vois absolument aucune preuve en ce sens.
    Maître Sheehy, êtes-vous d'accord avec cela?
    Je ne comprends même pas l'argument. On dit que les femmes ne feront pas de signalement si elles croient que leur partenaire sera possiblement détenu? Je trouve cela difficile à croire, car, lorsque les femmes sont désespérées au point de faire intervenir la police, elles sont habituellement très effrayées.
    Je ne sais pas quel serait le fondement de cet argument.

  (1915)  

    Bien. J'ai complètement...
    Daisy, voulez-vous ajouter un commentaire également?
    Oui. En fait, il est difficile de s'y opposer lorsqu'on ne connaît pas la nature de l'argument. Si quelqu'un dit que l'inversion du fardeau de la preuve est appliquée, alors en quelque sorte, les femmes feront moins de signalements. Ce n'est qu'une déclaration. Ce n'est pas un argument.
    Je suis d'accord avec maître Sheehy pour dire que, si les femmes ont recours à la police et au système de justice pénale, c'est qu'elles sont à ce point désespérées et qu'elles ont très peur. Très peu de femmes font appel au système de justice pénale; il s'agit habituellement de leur dernier recours. Que la femme soit réticente à faire un signalement ou non, l'État a le devoir de la protéger. Je pense que l'inversion du fardeau de la preuve vient renforcer ce devoir.
    Maître Smithen, vous avez dit vouloir proposer un amendement selon lequel, pour que l'inversion du fardeau de la preuve soit appliquée, une personne doit avoir été accusée d'une infraction perpétrée contre un partenaire intime plutôt que d'avoir déjà été condamnée. Pouvez-vous décrire quelles seront les incidences de cette disposition selon vous? Croyez-vous que la portée est excessive ou adéquate en ce qui a trait à la protection des femmes contre la violence conjugale?
    Encore une fois, les données probantes et les statistiques montrent que les femmes courent habituellement un plus grand danger lorsqu'elles sont séparées ou lorsque le système de justice, y compris le droit de la famille, intervient en quelque sorte dans leur vie. Je ne qualifierais pas cela de période de réflexion, mais je pense que, si les femmes avaient du temps, ce qui n'est pas le cas lorsque le délinquant suit littéralement leurs faits et gestes et essaie de les convaincre de se rétracter, elles pourraient avoir l'occasion de se prévaloir de ressources.
    Encore une fois, je ne parle pas de tous les délinquants, mais comme je l'ai dit plus tôt dans ma réponse au député, lorsqu'un schéma est établi ou qu'il y a des preuves, je propose qu'il y ait une inversion du fardeau de la preuve.
    Merci.
    Maître Sheehy, vous avez abordé brièvement la définition de « partenaire intime » et le fait de peut-être élargir la définition de sorte qu'elle englobe des gens qui ne sont habituellement pas visés. Vous avez dit qu'un harceleur criminel, par exemple, devrait être visé par cette définition. Nous avons aussi entendu des témoignages selon lesquels l'expression « partenaire amoureux », incluse dans la définition de partenaire intime, est vague.
    Elle est vague?
    Oui. La définition d'une personne considérée comme un partenaire amoureux est vague. Croyez-vous que la définition de « partenaire intime » pourrait être précisée afin qu'elle soit plus applicable ou plus claire quant aux personnes qui y sont visées, ou devrait-elle être générale et laisser place à la discrétion, selon chaque situation?
    Le problème, c'est que nous employons un langage neutre pour décrire un problème sexospécifique, soit la violence des hommes envers les femmes.
    Il serait probablement important d'employer une formulation plus générale, car ce sur quoi nous voulons que le juge se concentre, c'est la violence faite par un homme à l'endroit d'une femme. Est-ce le genre de situation dangereuse où d'autres personnes vont être ciblées et incluses, comme les parents ou le nouveau petit ami, ou un garçon qui fait une fixation sur une fille? Ce dernier risque-t-il réellement de commettre un acte de violence à l'endroit d'une femme? Je ne veux pas que le libellé soit plus étroit, à moins qu'il ne soit propre au sexe et qu'il précise... C'est le coeur du problème dont nous parlons et que nous essayons de cibler avec le projet de loi.
    Je ne suis pas certaine que ce soit une excellente réponse. Je demande une définition plus générale, ce qui va à l'encontre de la diminution de la portée du sens de « partenaire amoureux » à laquelle vous faisiez référence. J'élargirais la portée pour y ajouter « les hommes qui veulent un rendez-vous amoureux, ceux qui sont rejetés, ceux qui ne laissent pas la femme tranquille et ceux qui font une fixation sur une femme ».
    C'est un point de vue très intéressant.
    Je vous en remercie. Je n'ai pas d'autres questions.
    C'est bien, car vous en êtes tout juste à six minutes.
    Allez-y, monsieur Rankin.
    Merci à tous les témoins.
    Maître Smithen, je vous remercie tout particulièrement du courage que vous avez eu de nous faire part de votre situation personnelle avant de commencer. Je vous en suis reconnaissant.
    Je ne suis pas certain de comprendre toute cette question d'inversion du fardeau de la preuve. Je vais essayer de comprendre davantage.
    Ma première question s'adresse aux avocats. N'y a-t-il pas lieu de craindre qu'une inversion du fardeau de la preuve, en général, ne soit pas conforme à la Charte? Je comprends bien si certains d'entre vous disent que nous y aurions recours uniquement s'il y a manifestement un schéma de comportement. Je croyais avoir entendu certaines personnes dire que, même s'il y a eu une condamnation antérieure ou une absolution sous conditions... Je suis un peu confus quant à votre position au sujet de l'inversion du fardeau de la preuve. Vous pourriez peut-être me donner des éclaircissements. Souhaiteriez-vous appliquer l'inversion du fardeau de la preuve dans tous les cas de violence entre partenaires intimes, ou uniquement si un schéma de comportement a été établi par le passé, pour lequel une personne a obtenu une absolution sous conditions, a été condamnée, ou autre chose? Je ne suis pas certain de votre position à cet égard.

  (1920)  

    Ce qui me préoccupe, c'est que le système actuel fait ce que j'appelle du report à la fin. Il garde toutes les peines sévères en matière de détermination de la peine et d'inversion du fardeau de la preuve pour l'étape finale du système de justice pénale.
    En toute franchise, un grand nombre de cas de violence entre partenaires intimes ne se rendent pas aussi loin dans le processus. C'est très habituel au sein de mon administration — je ne peux parler pour les autres —, dans les cas dont j'ai eu connaissance, 9 fois sur 10, le délinquant a la possibilité d'obtenir un engagement de ne pas troubler l'ordre public s'il n'a pas de casier judiciaire et qu'il suit des séances de consultation. La consultation, c'est bien, ça a une certaine valeur. Dans une situation typique, le délinquant suivra pendant 16 semaines le programme d'intervention auprès des partenaires violents; dans le cadre de ce programme, il est tenu de faire un aveu de culpabilité et de prendre part à des séances de consultation. Puis, lorsqu'il remet au procureur de la Couronne un certificat attestant qu'il a terminé le programme, il se voit imposer un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Il n'a aucune condamnation au criminel. Ça s'arrête là.
    Puis, dans de nombreux cas, le délinquant revient ou fait face au système de droit de la famille et dit: « Oh, ce n'était pas vraiment une infraction grave, vous voyez, le procureur a retiré l'accusation. » Ce qu'il a dit pour obtenir cet engagement de ne pas troubler l'ordre public est très différent de ce qu'il dit par la suite, que ce soit dans les affaires familiales ou s'il doit se présenter de nouveau devant un tribunal pénal.
    Excellent.
    Mon point, c'est d'affecter les ressources dès le départ, lorsque le témoin plaignant est le plus en danger et que les dispositions mises en place — dispositions de sécurité pour la femme et ses enfants — feront la plus grande différence.
    Merci. C'est très utile. Je vous remercie des éclaircissements.
    Nous avons reçu ici comme témoin Jonathan Rudin, des Services juridiques autochtones. Je vous invite à formuler des commentaires sur son opinion. Il allègue que la disposition d'inversion du fardeau de la preuve relativement aux demandes de remise en liberté provisoire pour les personnes accusées de violence conjugale fait fausse route. Dans son exposé, il a dit que cela touche particulièrement les femmes et les filles autochtones. Il a dit que, ce qui se produit souvent, c'est le phénomène de la mise en accusation double, phénomène qui survient quand un homme accusé de voies de fait contre sa conjointe insiste pour dire que c'est elle qui a commencé et qui devrait être accusée. Cela a eu pour conséquence que de plus en plus de femmes se retrouvent empêtrées dans le système de justice pénale et se retrouvent accusées de voies de fait alors qu'elles n'auraient jamais dû l'être.
    Il dit:
Si ces dispositions sont adoptées, et que leurs conjoints les accusent encore de violence, elles pourraient se buter à l'inversion du fardeau de la preuve. Par conséquent, elles seront détenues et risquent de plaider coupables, ce qui perpétuera le cycle encore et encore.
    Il dit que cela aura une incidence démesurée sur les femmes autochtones car, comme vous le savez, elles sont très surreprésentées dans la population carcérale, avec un pourcentage supérieur à 40 %
    J'aimerais savoir si vous avez des commentaires à formuler quant à ce phénomène qu'il a porté à notre attention. Que répondriez-vous?
    Allez-y, madame Kler.
    D'abord, je crois que nous devons reconnaître que, même chez les détenus masculins en établissement carcéral, les personnes de couleur et les hommes autochtones sont surreprésentés. L'institution du racisme se renforce au sein du système carcéral. Dans les maisons de transition, nous voyons des femmes accusées. Il arrive souvent qu'un homme appelle la police au sujet d'une femme; il s'en suit qu'elle est racialisée, mais pas lui. C'est un homme blanc. Elle est plus susceptible d'être accusée. C'est un phénomène.
    Le problème, c'est que chaque fois que nous neutralisons le genre, même dans le présent projet de loi, aucune analyse ne montre qu'il s'agit de violence masculine à l'endroit des femmes. Supposons que la police voulait instaurer une politique pro-arrestation; l'interprétation voulue était que l'arrestation devait se faire en faveur de la femme battue. Ce que l'on observe, c'est une politique pro-arrestation qui ne comporte aucune analyse du genre et qui fait en sorte qu'on arrête souvent la femme, et parfois, l'homme n'est même pas arrêté.
    Il a raison de dire que cela se produit. La clé n'est pas de contester l'inversion du fardeau de la preuve; il faut corriger cette idée de neutralité du genre dans les dispositions législatives et reconnaître dans la loi qu'il y a un phénomène de violence faite par des hommes à l'endroit des femmes. Il se trouve que la majorité des victimes sont des femmes, et que les agresseurs sont des hommes. À moins que l'on commence à inscrire cela dans tous les projets de loi, il y aura des conséquences.

  (1925)  

    Merci.
    Mon temps est-il écoulé?
    Monsieur Rankin, vous n'avez plus de temps.
    Je suis très conscient du fait que Me Smithen a un avion à prendre.
    M. Virani et M. Fraser se partagent les six prochaines minutes.
    J'ai un commentaire à faire et une question à poser.
    Maître Smithen, je tiens à vous remercier personnellement, et je suis certain qu'il en va de même pour de nombreux membres du Comité, d'avoir été aussi honnête et de nous avoir fait part de votre expérience de vie personnelle de manière franche, vivante et convaincante. C'est ce genre de témoignage que nous voulons entendre, et je vous en félicite.
    Madame Kler, j'aimerais vous poser une question au sujet de votre témoignage, puis inviter vos deux collègues à formuler des commentaires à ce sujet.
    Vous avez parlé de l'effet potentiellement traumatisant d'une enquête préliminaire à l'égard d'une plainte pour inconduite sexuelle ou d'un procès pour agression sexuelle, et comment cela pouvait faire revivre les événements à la plaignante et la contraindre à se soumettre à un contre-interrogatoire éprouvant au sujet de questions très mineures, ce qui peut en effet la victimiser de nouveau. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
    Puis, j'aimerais demander à Me Sheehy et à Me Smithen de nous dire si elles sont d'accord avec l'opinion de Mme Kler.
    Merci.
    Chose certaine, la façon dont la méthode utilisée depuis toujours pour mener les enquêtes préliminaires chez les femmes a fonctionné — ou n'a pas fonctionné —, c'est que la défense se sert de n'importe quelle différence entre, disons, la déclaration faite à la police, lors de l'audience préliminaire et lors du procès. Toute différence relevée entre ces trois témoignages est examinée, à tel point que la femme a dû, dans ce cas-ci, dire si elle était certaine ou non qu'elle portait ou non un cardigan. Cela a duré environ 10 minutes. Ce témoin en particulier était très confiante et s'exprimait très clairement, pourtant, elle était ébranlée par le fait qu'un détail aussi mineur lui fasse revivre la situation. Ce n'est qu'un exemple — ce qu'elle portait —, mais si vous pensez aux enquêtes préliminaires et à toutes les questions posées et aux choses dites, ou si vous hésitez pendant qu'on vous questionne... Elle a revécu son traumatisme.
    Dans sa déclaration de la victime, elle a parlé du fait de devoir être le parfait témoin et de voir non seulement ses dires, mais également toute sa vie passés au peigne fin. À un certain moment, elle a dit qu'elle était jeune et un peu anxieuse. Cela a été utilisé durant le procès pour montrer qu'elle était réellement rancunière, car elle était tout simplement anxieuse et que c'est pour cette raison qu'elle accusait cet homme.
    Il est certain que, dans le cas des femmes qui ont subi une agression sexuelle, je pense que la mauvaise utilisation des auditions préliminaires nous apparaît très évidente.
    Merci.
    Puis-je demander à Me Sheehy ou à Me Smithen si elles ont des commentaires à formuler?
    Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, maître, je vais devoir partir dans environ deux minutes.
    Mme Elizabeth Sheehy: Vous devriez y aller la première.
    Mme Kathryn Smithen: Je ne peux parler pour tout le monde. En ce qui me concerne, je peux dire qu'en fait... Je ne dirais pas que j'ai « apprécié » cela, mais le fait qu'un juge écoute ce que j'ai vécu et reconnaisse la gravité du geste a été très libérateur pour moi, tant à l'audience préliminaire qu'au procès.
    Cela m'a été très utile et m'a permis d'apprendre à me défendre, ce que je n'avais pas fait depuis de nombreuses années. Je suis assez brillante pour savoir que je ne sais pas tout, et particulièrement dans le cadre de mon travail, je dois me rappeller que chacun réagit différemment à un traumatisme. À l'égard de mes clients, je garde toujours en tête qu'il s'agit de leur vie, pas de la mienne, et que de nombreuses femmes sont de nouveau victimisées dans le processus.
    L'avocat de la défense est là pour faire son travail, et certains le font mieux que d'autres. Je suis certaine que mes deux collègues ne seront pas d'accord avec moi, mais je ne crois pas qu'il faille éliminer les audiences préliminaires. Je pense qu'elles sont une partie importante du système judiciaire et qu'elles doivent être maintenues. Je crois que je ferais mieux de partir avant qu'on me coupe la tête.

  (1930)  

    Il reste environ deux minutes à la série de questions.
    Allez-y, monsieur Fraser.
    Merci à tous d'être ici.
    Maître Smithen, je sais que vous devez partir, mais je vous remercie de votre présence.
    Mme Kathryn Smithen: Merci beaucoup.
    M. Colin Fraser: Maître Sheehy, j'aimerais vous poser une question, car je ne comprends pas un élément qui a été soulevé deux ou trois fois dans les exposés. Il concerne une distinction relativement aux agressions sexuelles qui font l'objet d'une poursuite par voie sommaire. Vous avez parlé du fait qu'elles sont traitées de manière distincte. Je ne suis pas au courant de ce problème. Pourquoi pensez-vous cela?
    Je l'ai déjà expliqué aux analystes ici présents. C'est simplement que le projet de loi modifie toutes les autres dispositions qui traitent des formes d'agressions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Elles ont toutes été modifiées de sorte que la peine maximale passe de 6 ou 18 mois à la nouvelle peine par défaut, à savoir 2 ans. La seule qui n'a pas été modifiée est l'agression sexuelle. La peine maximale d'emprisonnement demeure de 18 mois.
    C'est prévu précisément à l'article 271, et cela n'a tout simplement pas été modifié. Je suis certaine que c'est un oubli.
    Merci de porter cela à notre attention. C'est très utile.
    J'aimerais revenir sur une question que M. Rankin a posée au sujet de la Charte. C'est Me Smithen qui en parlait.
    L'inversion du fardeau de la preuve à une enquête sur le cautionnement sans qu'un schéma factuel ait été invoqué devant les tribunaux me semble un problème fondamental en ce qui concerne la présomption d'innocence. Je crois que cela pourrait possiblement aller à l'encontre de la Charte.
    Vous avez toutes les trois dit être en faveur de cette pratique. Je me demande si vous avez réfléchi à la Charte des droits.
    Il y a un autre cas d'inversion du fardeau de la preuve à l'article 515, à l'égard d'une personne accusée d'infractions liées au trafic de drogues — elle n'a pas été condamnée, mais a été accusée —, et la question s'est rendue jusqu'à la Cour suprême du Canada.
    La Cour suprême du Canada a maintenu l'inversion du fardeau de la preuve au motif que les délinquants de ce type sont plus en mesure de se soustraire et, en fait — s'appuyant, d'une certaine façon, sur des hypothèses communes et pas nécessairement sur des éléments de preuve —, appartiennent à une catégorie de délinquants qui ont beaucoup de contacts et sont capables d'échapper à la justice et aux accusations.
    Connaissez-vous l'intitulé de cet arrêt? Je suis désolé, je ne le connais pas.
    Je n'ai pas enseigné le droit criminel au cours des deux dernières sessions d'automne.
    Ce n'est pas grave; nous allons le trouver. Merci à toutes.
    J'enverrai un courriel.
    Merci, Maître, merci beaucoup.
    Encore une fois, c'était un groupe un peu chaotique, car nous vous avons fait attendre durant la pause, mais je vous suis reconnaissant d'être restées avec nous. Un gros merci à vous deux, c'est grandement apprécié.
    Nous allons faire une courte pause pendant que je demande au prochain groupe de prendre place.

  (1930)  


  (1935)  

    Nous reprenons nos travaux. J'aimerais remercier les participantes de notre dernier groupe d'être restées avec nous, car nous avons eu un peu de retard en raison des votes.
    Aujourd'hui, nous accueillons Mme Joy Smith, fondatrice et présidente de la Joy Smith Foundation Inc. et ancienne députée.
    Bienvenue, madame Smith.
    Merci beaucoup. C'est un honneur d'être ici.

[Français]

    Nous entendrons également, par vidéoconférence et à partir du Japon, Mme Maria Mourani, une ancienne députée qui est criminologue et sociologue.
    Bienvenue, madame Mourani.
    Nous recevons aussi Me Marie-Eve Sylvestre, qui est professeure à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, Section de droit civil.
    Bienvenue, Me Sylvestre.

[Traduction]

    Nous accueillons également la directrice générale du London Abused Women's Centre, Mme Megan Walker, qui est une habituée du Comité. Bienvenue.

[Français]

    Comme il a été convenu, nous allons commencer par les témoins qui se joignent à nous par vidéoconférence, de façon à ne pas interrompre celle-ci et à ne pas perdre la communication.

[Traduction]

    Madame Smith, madame Mourani, vous serez les premières. Vous aurez huit minutes. Je ne vais pas vous interrompre avant la dixième minute, mais essayez de vous en tenir à huit minutes si vous le pouvez.
    Nous entendrons d'abord Mme Smith, puis Mme Mourani.
    Madame Smith, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président. Je remercie le Comité d'examiner le projet de loi C-75.
    J'aimerais aussi dire bonjour à mes collègues. J'ai été députée pendant près de 12 ans. Je sais à quel point vous travaillez fort au sein de ce comité. Je suis ravie de pouvoir y contribuer.
    Je dois dire que le projet de loi C-75 me préoccupe grandement. Je crois qu'il comporte certaines forces, mais j'aimerais aborder la partie qui concerne la traite de personnes.
    Je pense que peu de gens comprennent ce qu'est la traite de personnes. C'est lorsque de jeunes filles, principalement, sont ciblées et conditionnées de sorte qu'elles ont parfois confiance en leurs prédateurs, puis elles finissent par être victimes de la traite.
    Lorsque j'examine le projet de loi C-75, je suis préoccupée. On peut voir dans le projet de loi que le problème de la traite de personnes à l'échelle mondiale et nationale n'est pas bien compris. Beaucoup d'aspects n'ont pas été abordés. Des dispositions législatives sont... En fait, les criminels ont un peu de répit.
    Je veux vous parler de la traite de personnes afin que vous compreniez ce que c'est. J'ai eu affaire à des centaines de survivants de la traite de personnes. Ce qu'ils vivent est horrible. Les prédateurs ciblent leurs victimes.
    Je vais vous donner un exemple. Je connais une jeune fille qui était très belle. Elle vivait au sein d'une très bonne famille. Elle était très douée à l'école et tout; elle occupait un excellent travail. Elle a suivi un programme d'été dans un centre communautaire, puis de jolis garçons sont arrivés dans le portrait.
    Il y avait cinq filles, qui étaient amies depuis de nombreuses années. Les gens pensent que ce sont les personnes les plus vulnérables ou celles qui ne vivent pas dans une bonne famille qui sont les plus susceptibles d'être victimes de la traite de personnes. Ce n'est pas vrai.
    Toutes les filles — les garçons également, mais principalement les filles — peuvent être ciblées, victimes de traite et, finalement attirées par la ruse vers le commerce du sexe, sans que ce soit leur faute. Cette fille en particulier venait d'une très bonne famille. Ses parents l'ont déposée au centre communautaire. Ils lui ont donné un téléphone cellulaire pour qu'elle les appelle lorsqu'elle retournerait à la maison, mais ce qui est arrivé à cette fille est l'expérience typique d'un grand nombre de victimes de traite de personnes.
    De jolis garçons ont approché les filles et les ont courtisées. Les filles étaient âgées de 14 et 15 ans, et elles sont rapidement tombées amoureuses. Les trafiquants les ont emmenées à des fêtes. Ils leur ont demandé de dire à leurs parents qu'elles passaient la nuit chez une amie. Mais elles n'étaient pas du tout chez leurs amies; elles étaient dans des soirées avec ces jolis garçons, ou du moins, ce qu'elles croyaient être de jolis garçons. Ces derniers les invitaient à manger dans des restaurants chics, leur faisaient faire des tours de limousine, leur offraient des chaînes en or, les faisaient se sentir très spéciales, leur disaient qu'ils les aimaient et qu'ils se marieraient un jour.
    Un soir, tout le scénario a changé, et le vent a soudainement tourné. Les garçons se sont réunis et ont dit aux filles: « Vous savez quoi? Vous devez nous rembourser pour tous les cadeaux que nous vous avons faits, et voilà comment vous allez le faire ». Les filles s'y sont opposées, particulièrement Malana, qui a tellement protesté qu'elle a été sévèrement battue. Ils l'ont menacée. Ils lui ont dit qu'ils iraient à son école et voir ses parents pour leur dire ce qu'elle faisait. Elle offrait déjà des services à certains hommes pour son petit ami, car ce dernier lui avait dit qu'ils avaient besoin d'argent pour acheter une maison, qu'elle avait un corps magnifique, que le fait de danser dans un bar de danseuses nues était de l'art et que tout le monde pourrait la regarder.
    C'est la partie illusoire de la traite de personnes. Elle a fini par être victime d'un viol collectif. Elle a été vendue à un autre trafiquant.

  (1940)  

    Cinq d'entre elles ont vécu une expérience très semblable. Les quatre autres filles ont disparu. Ma fondation a aidé la cinquième pendant de nombreuses années à se réadapter, à retourner à l'école, car nombre de ces survivants de la traite de personnes manquent une grande partie de leur éducation — quatre, cinq, six, sept ans, s'ils survivent aussi longtemps.
    La traite de personnes est très lucrative. Les trafiquants empochent entre 260 000 et 280 000 $ par année. C'est une souffrance horrible infligée à de très jeunes filles. Pourquoi choisissent-ils des filles mineures ou très jeunes? C'est parce qu'elles sont faciles à intimider. Elles ont facilement peur. Ils choisissent de très jeunes personnes et peuvent leur laver le cerveau encore et encore.
    Lorsque j'examine le projet de loi C-75 et que je constate que certaines des peines sont très légères, je pense qu'il conviendrait de réaliser une autre étude sur la traite de personnes, et particulièrement sur le préjudice que subissent ces jeunes personnes. Elles sont transformées à jamais. Dire que la prostitution est une industrie est faux: il s'agit de la plus grande détresse vécue par les femmes. Je n'ai jamais rencontré de jeunes filles qui avaient souhaité se retrouver dans cette situation.
    Ceux qui commettent ces crimes et leurs complices font beaucoup d'argent, et c'est pourquoi ils le font. Quand j'ai été au Parlement durant 12 ans, c'était ma responsabilité de défendre les intérêts des personnes les plus vulnérables. Les gens doivent comprendre.
    Quand je regarde les membres du Comité aujourd'hui, je vois principalement des hommes autour de la table, et je vois deux ou trois femmes assises à l'extrémité. Voici Maria.
    Maria, merci. Je suis absolument ravie de vous voir. Cette femme a fait de l'excellent travail dans le dossier de la traite de personnes. Quand je vois Megan Walker et d'autres qui ont travaillé si longtemps, durant de nombreuses années, avec des victimes et des survivants de la traite de personnes, et qui ont vu certaines des choses que nous voyons en cours de route... J'ai travaillé pendant 23 ans en tout à essayer d'y mettre fin, et ma fondation continue maintenant de sensibiliser les intervenants dans les écoles et les élèves à la façon dont s'y prennent les prédateurs et d'expliquer aux enfants comment ils peuvent se protéger.
    À mes yeux, le projet de loi C-75 expose une nouvelle philosophie à l'égard de la traite de personnes. C'est comme si c'était acceptable. Les accusations criminelles sont moins sévères. Je pense qu'il y a beaucoup d'incompréhension au sujet de la traite de personnes. Il est impératif, selon moi, que les parlementaires se renseignent sur le sujet, qu'ils parlent à des survivants.
    Il y a des femmes qui font beaucoup d’argent dans le domaine de la prostitution, et elles y attirent d’autres jeunes filles, mais ce ne sont pas des victimes de la traite. Ce sont des personnes qui, selon mon expérience, font beaucoup d’argent en profitant de l’innocence de très jeunes personnes. Je pense que les parlementaires doivent être soucieux du respect des femmes lorsqu'ils sont autour de la table. Ils doivent considérer qu’il n’y a pas de plafond de verre. Les femmes ont le droit d’être en sécurité. Elles ont le droit d’être honorées. J’estime que ces aspects n’ont pas vraiment été approfondis dans le projet de loi.
    La traite de personnes se poursuit. Je le sais, je suis allée dans des écoles. Notre fondation se rend maintenant dans des écoles des quatre coins du pays, et je ne fais pas du tout d’argent avec la fondation. Je le fais par amour, parce que me je énormément attachée aux survivants et à tous ceux qui m’ont raconté leur histoire. Je me suis attachée aux gens qui ont défendu leurs intérêts pendant des années. Je crois que le Parlement doit maintenant prendre la question très au sérieux. Quand je vais dans des écoles, peu importe lesquelles, et que je parle de traite de personnes et de la façon de faire des prédateurs, plusieurs filles viennent me voir.

  (1945)  

    J’étais dans une école la semaine dernière. Il y avait beaucoup d’élèves. Je me suis adressée aux élèves de la cinquième à la douzième année. Croyez-le ou non, à chaque niveau, des élèves sont venues me voir après avoir compris les techniques utilisées par les prédateurs et m’ont dit: « Vous savez quoi? Je crois que mon petit ami me conditionne. » Je leur ai demandé pourquoi elles pensaient cela, et elles m'ont répondu des choses comme: « Eh bien, je suis tombée en amour avec lui. Il est tellement merveilleux. » Deux ou trois d’entre elles m’ont dit qu’elles avaient l’intention de se marier, mais qu'en fait, les garçons proposaient des choses qui les choquaient.
    Ils voulaient obtenir de l'argent, mais...
    Madame Smith, vous en êtes maintenant à 11 minutes. Pourriez-vous essayer de conclure? C'est parce qu'il y a trois autres témoins dans le groupe. Merci.
    Je suis désolée. Je n'ai pas de chronomètre. Merci, monsieur le président.
    Quoi qu'il en soit, je crois qu'il s'agit d'un enjeu qui doit être pris très au sérieux, et je ne pense pas que le projet de loi C-75 reflète la situation comme il le devrait.
    Merci de m'avoir permis de donner mon opinion au Comité. Je vous en suis reconnaissante.
    Merci beaucoup.
    Pour vous rafraîchir la mémoire, vous avez demandé une étude. Nous sommes en train de réaliser une étude sur la traite de personnes. Nous avons parcouru le pays et rencontré des gens. En fait, vous faisiez partie de nos témoins dans le cadre de l'étude. Nous n'avons pas encore publié notre rapport, mais une étude est actuellement en cours. Espérons que vous en serez satisfaite.

[Français]

     Madame Mourani, la parole est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    Bonjour à tous.
    C'est toujours un très grand plaisir d'être parmi vous. Je remercie le Comité de son invitation. Je tiens aussi à saluer mon ex-collègue Joy Smith, avec qui j'ai beaucoup travaillé sur cette question lorsque j'étais députée.
    Comme vous pouvez vous en douter, je ne vais pas aborder toutes les dispositions du projet de loi C-75, qui est quand même assez costaud. Je vais simplement m'attarder aux dispositions concernant mon projet de loi sur la traite de personnes, soit le projet de loi C-452, Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes). Le projet de loi avait été déposé en première lecture le 16 octobre 2012, puis adopté à l'unanimité en deuxième et en troisième lectures, comme vous le savez. Il a ensuite passé toutes les étapes au Sénat et a reçu la sanction royale le 18 juin 2015.
    Je vais m'attarder précisément à l'article 389 du projet de loi C-75, puisque cet article ne fait qu'établir la mise en vigueur des articles 1, 2 et 4 du projet de loi C-452, et qu'il soumet l'article 3 à l'adoption d'un décret. Il établit donc sa mise en vigueur par décret, c'est à dire selon le bon vouloir du gouvernement, qui a clairement fait savoir son opposition à cet article.
    Je sais que plusieurs députés présents autour de cette table sont nouveaux et qu'ils n'étaient pas députés lors de l'ancienne législature. Je voudrais prendre le temps d'expliquer un peu comment est né le projet de loi.
    Le projet de loi est le fruit d'une consultation qui s'est échelonnée sur plusieurs années. Plusieurs groupes ont été consultés, que ce soit des groupes de femmes, des groupes qui s'occupent des victimes, des victimes elles-mêmes ou des policiers — plusieurs corps policiers ont été consultés. Le projet de loi a aussi été soumis à l'examen de criminalistes du Québec. Il a donc été examiné et réexaminé, pour aboutir à ce que vous connaissez actuellement.
    Une analyse criminologique a aussi été faite du phénomène de la traite de personnes au Canada, ce qui nous a permis de comprendre qu'il y avait des brèches dans notre Code criminel qu'il fallait, d'une certaine manière, colmater. Le constat que nous avons fait comprend les points suivants: tout d'abord, la traite de personnes est très, très payante. C'est un acte criminel qui implique des individus qui font beaucoup d'argent. Le phénomène n'existe pas seulement au Canada, il s'étend à l'échelle mondiale. D'ailleurs, plusieurs experts tendent à dire qu'à l'échelle mondiale, la traite de personnes arrive au deuxième rang en importance après le trafic de la drogue et qu'elle dépasse même la vente des armes. Il faut le faire!
    La traite de personnes est non seulement payante, mais elle cause des souffrances incroyables aux victimes. Je peux vous dire que, dans le cadre de ma profession, depuis la fin des années 1990, j'ai rencontré énormément de victimes. Ce qu'elles racontent, la souffrance de ces victimes, est incommensurable, indescriptible. On peut parfois même se demander si cela est vrai et réel. On se dit que cela ne se peut pas, et on se demande comment il se fait que des choses pareilles arrivent ici, au Canada.
    La forme de traite de personnes la plus courante au Canada est la traite interne. Elle concerne donc directement des filles de chez nous, qui sont déplacées un peu partout au Canada pour la forme de traite la plus importante au pays: l'exploitation sexuelle. C'est sur celle-ci que je vais m'attarder. Bien sûr, il existe aussi un petit peu de traite en vue d'imposer du travail forcé. À ma connaissance, je n'ai jamais entendu parler de trafic d'organes au Canada, mais cela est possible. On n'a peut-être simplement pas encore attrapé les coupables. Je n'en sais rien.
    La traite en vue de l'exploitation sexuelle est non seulement la forme la plus importante, mais elle rapporte des milliards de dollars à l'industrie du sexe. Par exemple, il est établi que 11 % des hommes au Canada ont consommé de la prostitution. Quand on se compare, on se console. Ainsi, aux Pays-Bas, ce pourcentage est de 60 %. En Allemagne, le pourcentage s'établit à 66 %, et au Cambodge, à 65 %. En Suède, où il existe une approche tout à fait différente, le pourcentage chute à 8,5 %. N'oublions pas que lorsqu'on légalise la prostitution, la traite augmente, et la consommation aussi.

  (1950)  

    La traite au Canada, ainsi qu'à l'échelle mondiale, touche majoritairement des femmes et des enfants. La moyenne d'âge d'entrée dans la prostitution au Canada est de près de 14 ans. J'ai rencontré des victimes qui étaient devenues prostituées à l'âge de 13 ans. D'autres ont été obligées de se prostituer à l'âge de 10 ou 11 ans. La moyenne d'âge s'établit toutefois à 14, 15 et 16 ans. Nous ne sommes pourtant pas en Thaïlande, nous sommes au Canada.
    Pendant une période d'environ cinq ans, soit de 2007 à 2013, 40 % des victimes reconnues comme telles au Canada étaient des mineurs. Cela confirme la tendance mondiale, où on constate aussi une augmentation des chiffres relativement aux mineurs. Bien sûr, ce sont toujours majoritairement des filles par rapport aux garçons.
    Les villes réputées être des plaques tournantes quant au trafic de personnes sont Montréal, Calgary, Vancouver et Toronto. Le Canada est reconnu pour être un pays de transit, de recrutement, de destination et de tourisme sexuel. Ces constats ont été faits par la GRC et le département d'État américain. Ce qui est très intéressant, c'est qu'en moyenne, les profits réalisés par un trafiquant exploitant sexuellement une victime peuvent aller de 168 000 dollars à 336 000 dollars par année. Ces chiffres proviennent encore une fois de la GRC. Comme je le mentionnais, la traite est donc très payante.
    Le projet de loi C-452 avait deux objectifs: rendre la traite moins payante, ou non payante, et protéger les victimes. À la suite de la consultation, nous avons constaté que la traite est un crime qui a besoin d'une victime. On a besoin du témoignage d'une victime. Or, comme vous le savez, les victimes sont, soit terrorisées, soit amoureuses et complètement sous le charme de leurs proxénètes. Elles souffrent de stress post-traumatique, du syndrome de Stockholm et de toutes sortes de maux d'ordre psychique. En l'absence de victime, il est donc extrêmement difficile de mener des enquêtes.
    Nous avons aussi constaté que, lorsqu'on arrivait à obtenir des enquêtes et que celles-ci aboutissaient à des accusations, les peines n'équivalaient pas aux crimes commis. Les victimes déclaraient que, très souvent, les trafiquants devaient faire face à trois, quatre chefs d'accusation et ils se voyaient infliger une peine, soit la plus lourde, notre système étant ainsi fait. Les victimes ne comprenaient pas trop. Elles accusaient quelqu'un de traite, de proxénétisme, de voies de fait graves, de tentative de meurtre et, au bout du compte, le criminel se voyait infliger une peine, celle correspondant au crime le plus grave. Cela pouvait constituer somme toute une peine légère comparativement à l'ensemble des crimes commis. En conséquence, les victimes nous ont dit vivre, d'une certaine manière, une autre injustice au sein du système. Elles finissent par se dire que ce n'est pas la peine de dénoncer le trafiquant, de subir tout ce processus judiciaire.
    Au fond, il fallait faire en sorte de pouvoir colmater toutes ces lacunes. Je me suis dit — et toujours en m'appuyant sur la collaboration avec les différents partenaires —, que rendre la traite moins payante veut dire que cela ne rapporte pas beaucoup d'argent au trafiquant et qu'il prend beaucoup trop de risques. En fait, cela crée un équilibre. D'abord, il fallait faire une chose qui n'existe toujours pas dans notre système — et c'est un peu aberrant —, c'est-à-dire confisquer les fruits de la criminalité. Cela se fait dans le cas des gros trafiquants de drogue, mais pas dans celui du trafic de personnes. On a ajouté cela.
     Une personne qui se fait prendre et qui est reconnue coupable va devoir démontrer que tous ses biens ne découlent pas du trafic qu'elle a pu faire en exploitant sexuellement des filles. D'une part, l'État peut lui prendre, d'une certaine manière, tout ce qu'elle a. D'autre part, compte tenu du renversement de la charge de la preuve, on permettait la tenue d'enquêtes sans forcément avoir besoin du témoignage d'une victime. Ce cas relève du processus de protection des victimes. Elles ne sont pas forcément obligées d'aller témoigner; ce sont les policiers qui doivent accumuler les preuves nécessaires pour une mise en accusation.

  (1955)  

    Madame Mourani, les 10 minutes qui vous étaient allouées sont écoulées. Je vous demanderais de bien vouloir conclure votre présentation.

  (2000)  

    D'accord. Je vais conclure.
    Mon dernier point touche la nécessité de faire en sorte que les peines soient plus sévères en introduisant des peines consécutives. C'est le but des modifications au Code criminel proposées dans le projet de loi C-452. Cependant, ces modifications doivent être mises en application par décret, et c'est le gouvernement qui doit le faire. Malheureusement, je n'ai pas assez de temps pour vous expliquer la saga qui a suivi, mais je suis sûre qu'en répondant à vos questions, je pourrai déployer mon argumentaire.
    Je vous remercie beaucoup.
    Je vous remercie.
    Nous cédons maintenant la parole à Me Sylvestre.
    Bonjour.
    Merci de votre invitation. Mes propos vont porter exclusivement sur la mise en liberté provisoire.
    Je me permets de commencer en vous racontant l'histoire de Martine.
    Au moment où notre équipe de recherche fait sa rencontre en 2014, Martine est une jeune femme dans la mi-trentaine en situation d'itinérance. Elle suit des traitements pour réduire sa dépendance aux opioïdes et elle vit avec le VIH.
    En avril 2008, Martine est arrêtée une première fois pour avoir communiqué avec des gens dans le but de se livrer à la prostitution, infraction prévue à l'alinéa 213(1)c) du Code criminel, l'équivalent fonctionnel du présent paragraphe 213(1.1) du Code criminel criminalisant le travail du sexe.
    En raison de ses antécédents, Martine est détenue par un policier et comparaît le lendemain. La Couronne s'oppose à sa libération, et Martine est donc renvoyée pour son enquête de mise en liberté devant le tribunal tenue trois jours plus tard.
    Martine passe quatre jours dans un centre de détention préventive. C'est un scénario typique au Québec. En Ontario, cette période est plus longue. Ce centre déborde et on y maintient en détention des personnes qui, souvent, n'ont pas encore été reconnues coupables d'aucun crime ni condamnées. De plus, Martine n'a pas consommé de substances depuis quatre jours. Elle est donc en état de grande souffrance et présente plusieurs symptômes liés au sevrage.
    C'est sous la contrainte, en état de survie, qu'elle accepte les conditions de mise en liberté qui lui sont imposées par le procureur et entérinées par le juge. Ces conditions comprennent notamment une interdiction de consommer de l'alcool et des drogues et une interdiction de se trouver dans un périmètre couvrant tout le Centre-Sud de Montréal et Hochelaga-Maisonneuve, soit environ 12 kilomètres carrés. Cela représente l'équivalent de la distance entre la Colline du Parlement et la rivière Rideau, de l'avenue Bronson à la rue Elgin.
    Martine n'est pas en position de contester ses conditions de mise en liberté, entre autres parce qu'il lui est impossible d'arrêter de consommer du jour au lendemain, qu'elle réside souvent dans un motel de la rue Saint-Hubert, qu'elle va chercher un panier d'épicerie à la Fondation d'aide directe - SIDA Montréal et qu'elle fréquente Méta d'Âme, un organisme qui vient en aide aux personnes dépendantes aux opioïdes, où elle suit des traitements pour soigner le VIH et où elle bénéficie de services sociaux. Tous ces endroits se trouvent dans le quadrilatère qui lui est interdit.
    Elle accepte n'importe quoi, parce qu'elle veut sortir le plus vite possible.
    Son procès est fixé pour le mois de juillet. Comme elle ne tient pas un agenda dans la rue, Martine omet de comparaître à la cour. Elle est accusée de défaut de comparaître et un mandat est délivré.
    Quelques mois plus tard, elle est arrêtée et immédiatement mise en détention. Après avoir passé 48 heures en centre de détention, elle comparaît et plaide coupable quant à l'infraction de communication, de non-respect des conditions de mise en liberté et de défaut de comparaître. Elle est alors condamnée à 30 jours d'emprisonnement, ce qui sera suivi d'une période de probation d'un an assortie des mêmes conditions.
    Deux mois plus tard, Martine se fait prendre dans son périmètre alors qu'elle est intoxiquée et en train de communiquer avec quelqu'un. Il s'agit d'une nouvelle infraction et elle est de nouveau accusée de non-respect des conditions. Cette fois, on exclut Martine de l'île de Montréal au complet. Elle est forcée de suivre une thérapie dans une banlieue, une condition qu'elle ne respectera pas, à nouveau.
    De non-respect en non-respect, de défaut de comparaître en défaut de comparaître, Martine, en deux ans, va accumuler sept infractions contre l'administration de la justice pour deux infractions principales. Pendant toute cette période, elle se sent constamment surveillée. Elle vit beaucoup de stress. C'est le jeu du chat et de la souris avec les policiers. Sa consommation de drogue augmente. Elle doit quitter son logement. En banlieue, nous dit-elle, elle crève de faim.
    Durant la période où elle est bannie de Montréal, elle ne peut plus recevoir ses traitements pour le VIH, qui ne sont pas disponibles à l'extérieur de la ville. Finalement, on lui permet d'aller à ses rendez-vous médicaux, mais elle doit trouver un moyen de transport qui la dépose à la porte du centre médical. Appelée à commenter sa situation, Martine ne mâche pas ses mots: « Ils sont à veille de me demander de marcher sur les mains », dit-elle.
    Le cas de Martine n'est pas exceptionnel dans notre système de justice. Si je vous ai raconté son histoire, c'est pour illustrer les faits suivants.
    D'abord, nos prisons sont pleines de personnes comme Martine, détenues de façon préventive pour des infractions extrêmement mineures — vols à l'étalage, entraves au travail des policiers, méfaits, possession de drogue, voies de fait simples et innombrables non-respects de conditions. Ces personnes sont détenues plus longtemps avant de comparaître qu'elles ne l'auraient jamais été si on leur avait infligé une peine sur-le-champ. De plus, le renversement de la charge de la preuve qui pèse contre celles qui sont accusées de non-respect de conditions ne fait qu'accroître leurs risques de détention.
    Alors qu'on pense parfois que le système de justice s'occupe réellement de crimes sérieux, on apprend qu'en réalité les infractions commises contre l'administration de la justice occupent plus de 25 % de toutes les causes traitées par les tribunaux chaque année. Quarante pour cent des causes entendues en contiennent au moins une.

  (2005)  

    Ces chiffres sont encore plus élevés chez les Autochtones, qui sont aussi plus souvent détenus.
    Notre système de justice produit des récidivistes, mais ce ne sont pas des criminels. Ce sont des personnes qui sont incapables de respecter des conditions irréalistes et arbitraires.
    L'infraction commise contre l'administration de la justice la plus commune est le non-respect des engagements liés à la mise en liberté, soit la violation d'une promesse de mise en liberté. De fait, lorsque les personnes sont libérées, les juges leur imposent des conditions dans 95 à 100 % des cas. Les conditions les moins respectées sont celles liées à l'abstinence et à l'interdiction d'aller ou de se trouver dans un lieu.
    Le projet de loi C-75 fait un pas dans la bonne direction, et je souligne notamment l'ajout prévu des articles 493.1 et 493.2 au Code criminel. Cependant, le projet de loi ne va pas assez loin pour régler ces problèmes, pour veiller à ce que nos prisons et nos tribunaux ne soient pas des lieux par excellence de gestion de la misère et de la pauvreté, pour faire en sorte que notre système de justice s'occupe de l'essentiel et que les droits des personnes marginalisées, notamment des femmes et souvent des Autochtones, soient respectés.
    Je propose une série de modifications dont la plupart sont dans mon mémoire.
    Il faut tout d'abord définir l'expression « populations vulnérables » au nouvel article 493.2, sinon c'est la personne qui comparaît qui aura le fardeau de la preuve de son désavantage.
    Il faut aussi exiger que les policiers délivrent des citations à comparaître sans les assortir de conditions lorsque les personnes ne constituent aucune menace réelle et imminente à la sécurité des victimes et des témoins.
    Il faut modifier le nouveau paragraphe 501(3), qui traite des motifs pour lesquels les policiers peuvent imposer des conditions, afin d'exiger de tenir compte de la gravité de l'infraction alléguée, notamment lorsqu'il s'agit d'assurer la présence d'une personne au tribunal.
    Il faut absolument modifier les motifs de détention prévus au paragraphe 515(10) afin que les juges de paix ne puissent détenir une personne et lui imposer des conditions que dans les cas où il faut assurer la présence de la personne au tribunal lorsque la gravité de l'infraction l'exige et où la personne présente une menace réelle, sérieuse et imminente à la sécurité d'un témoin ou d'une victime.
    Il faut aussi ajouter une disposition interdisant de détenir une personne s'il est peu probable qu'elle soit condamnée à une peine d'emprisonnement.
    Il faut aussi éliminer tous les renversements de la charge de la preuve, surtout celui prévu à l'alinéa 515(6)c) en cas de non-respect de conditions.
    Il faudrait aussi prendre des précautions supplémentaires concernant deux types de conditions: les conditions d'abstinence et les conditions géographiques. Pour les conditions liées à l'alcool et aux drogues, le policier et le juge doivent s'assurer auprès de la personne de son degré de dépendance afin de voir si la condition imposée est réaliste dans les circonstances. De plus, il faudrait dans tous les cas viser la réduction des méfaits. Le 17 octobre, on va décriminaliser le cannabis au Canada, mais on risque de le criminaliser à nouveau par la porte arrière si on l'inclut dans les conditions de mise en liberté.
    Il faut aussi éliminer la possibilité pour les policiers d'imposer des conditions géographiques, sauf si la sécurité d'une personne ou d'une victime est en jeu.
    Finalement, il faut éliminer la procédure parallèle visée à l'article 523 concernant les non-respects mineurs, et qui est une fausse bonne idée à mon avis. Les personnes vont continuer de comparaître devant les juges et d'engorger les tribunaux. C'est déjà le cas dans des provinces comme la Colombie-Britannique, où les prévenus comparaissent devant les juges, se font donner un avertissement, repartent, mais continuent par la suite de revenir devant les tribunaux. La façon dont la procédure est structurée risque d'accroître le nombre de personnes qui, auparavant, ne faisaient pas l'objet d'une accusation. Enfin, il faut décriminaliser les activités liées aux drogues — pas seulement le cannabis — et au travail du sexe afin de ne pas mettre en danger la vie et la sécurité des personnes.
    C'est la première fois en 50 ans que le Parlement a l'occasion de modifier les dispositions législatives liées à la mise en liberté. Il faut tout faire pour réduire la détention préventive de personnes non dangereuses et éliminer les conditions inutiles et discriminatoires à l'encontre de personnes marginalisées. Dans sa formulation actuelle, le projet de loi C-75 ne va pas assez loin.

  (2010)  

     Merci beaucoup.

[Traduction]

    Nous allons écouter Mme Walker.
    Merci beaucoup de m'avoir invitée ici aujourd'hui. Je suis ravie de vous voir et d'accueillir M. Peter Fragiskatos, député de London—Centre-Nord, à la table avec nous aujourd'hui.
    Le London Abused Women's Shelter offre des services de défense des intérêts, de soutien et de consultation aux femmes et aux filles âgées de plus de 12 ans qui ont subi de la violence commise par des hommes dans leurs relations intimes, par leurs proxénètes et/ou leurs clients sexuels, et en milieu de travail.
    Nous sommes une très petite organisation qui compte 11 employés et dont le mandat est de faire en sorte que toutes les femmes aient immédiatement accès aux services. L'année dernière, notre petit bureau a aidé 6 045 femmes et filles. Au cours des trois dernières années, 1 664 femmes et filles victimes de la traite, poussées à la prostitution, exploitées sexuellement et en danger ont suivi nos programmes axés sur la prostitution et le trafic. C'est probablement plus que partout ailleurs au pays. Nos programmes sont très populaires, et nous sommes reconnaissants de pouvoir les offrir.
    Nous soutenons également des familles de partout au pays. L'année dernière, nous avons soutenu 140 membres de familles, qui ont, dans certains cas, pris l'avion depuis d'autres provinces, ou parfois même de territoires, pour rechercher leurs filles disparues dans cet horrible univers de la traite de personnes.
    Les deux tiers de toutes les activités de traite au Canada débutent en Ontario. Les filles sont recrutées par des trafiquants à des fins de prostitution et de pornographie. On les recrute dans les bars, dans les universités, dans les écoles secondaires et sur leur lieu de travail.
    London, comme en témoignera Peter, est un carrefour d'activités de traite de personnes. Les filles et les femmes y sont recrutées ou y sont emmenées. Le responsable de l'unité de lutte contre la traite de personnes du Service de police de London a récemment dit que la traite était une épidémie dans la société.
    L'unité de lutte contre la traite de personnes offre des services à de nombreuses filles âgées de 11 à 17 ans. Ces filles et ces femmes sont victimes de traite de la part de leurs petits amis, de membres de la famille et du crime organisé. Par crime organisé, nous pensons souvent à des motards ou à la mafia, mais je parle de petits gangs qui existent dans les collectivités à l'échelle du pays.
    Nous devons reconnaître qu'il y a un lien entre le crime organisé, la violence masculine à l'endroit des femmes dans les relations intimes et la traite de personnes. Comme on l'a déjà dit, le trafic de femmes et de filles est très lucratif, en comparaison du trafic d'armes ou de drogues, où le trafiquant doit continuer de dépenser plus d'argent pour s'approvisionner. Les trafiquants peuvent faire de l'argent sur le dos de la même femme encore et encore.
    De nombreuses femmes avec qui nous travaillons ont été forcées de ramener tous les jours entre 1 500 et 2 000 $ à leurs proxénètes. Cela veut dire qu'elles offrent des services sexuels et assouvissent les fantasmes pornographiques de 15 à 20 hommes par jour.
    Nous vous demandons d'essayer de comprendre et de reconnaître qu'il y a un lien entre la prostitution et la traite, et que la prostitution est fondamentalement préjudiciable, violente et déshumanisante. La prostitution alimente la traite.
    La législation actuelle au Canada criminalise les proxénètes, les propriétaires de maisons closes et les clients qui achètent des services sexuels; de nombreux services de police à l'échelle du pays la considèrent comme un outil précieux pour les aider à lutter contre le trafic. Soit dit en passant, un récent sondage Ipsos au sujet des dispositions législatives en matière de prostitution au Canada a révélé que 58 % des gens vivant en Ontario appuient la législation actuelle.
    Je sais à quel point il est difficile pour les gens d'entendre parler de la torture répétée que subissent les femmes et les filles victimes de prostitution, de trafic et d'exploitation sexuelle, mais pour comprendre l'importance de ces enjeux, il est crucial que vous en entendiez parler.
    La plupart des filles victimes de traite n'ont aucune idée de ce que leur trafiquant a négocié avec le client qui achète les services sexuels. La femme ne le sait pas si un homme vient assouvir un fantasme de viol, par exemple. L'homme se voit remettre une carte pour entrer dans la chambre de la fille, il entre et la viole littéralement pour réaliser son fantasme. La fille se sent comme si elle venait tout juste d'être violée et elle est profondément traumatisée.

  (2015)  

    Nous avons une idée de ce que vivent les femmes et les filles, particulièrement lorsqu’elles ont été victimes de traite à de fins de pornographie. Elles sont victimes de simulation de noyade. Elles sont suspendues au plafond par les pieds tandis qu’on les fouette, qu’on les bat, qu’on leur électrocute les lèvres et le vagin. On leur frappe les pieds à répétition jusqu’à ce qu’ils enflent et qu’ils saignent, et on leur cloue les mamelons à des planches de bois pour qu’elles arrêtent de bouger.
    C'est de la torture. On ne peut pas appeler ça autrement. C'est de la torture dans la sphère privée, et il faut que la loi reconnaisse qu'il s'agit de torture non étatique, afin que l'expérience vécue par les femmes soit validée.
    Nous savons que le député fédéral Peter Fragiskatos a déposé un projet de loi à la Chambre des communes pour modifier le Code criminel en ce qui concerne le recours à la torture. C'était le projet de loi C-242. Nous avons senti que cet enjeu avait été minimisé devant le Comité et à la Chambre des communes au Parlement. Seulement deux experts en torture non étatiques ont été appelés à témoigner, et aucune victime. Puis, le projet de loi a été renvoyé au Parlement, où, en date du 29 novembre 2016, le projet est mort au Feuilleton. Il est approprié de parler de mort. C'est exactement comment les femmes et les filles victimes de la torture disent se sentir, et bien sûr, c'est le mot qu'on utilise quand une femme meurt des suites de la torture — « Elle est morte. »
    De nos jours, la pornographie est extrêmement violente, et il en résulte qu'on voit des femmes assassinées sur pellicule. Les hommes qui regardent de la pornographie apprennent que les femmes ne sont rien d'autre que des objets jetables qui existent uniquement pour satisfaire le fétichisme des hommes. L'enfant moyen regardera de la pornographie à l'âge de 11 ans. Lorsque je me rends dans des cours d'école et que je vois un groupe de jeunes entassés, je m'approche — ça ne prend qu'un enfant en possession d'un téléphone — et je constate qu'ils regardent tous de la pornographie. Ce sont des enfants en deuxième, troisième et quatrième années.
    Dans la pornographie, les femmes se font traîner par les cheveux jusqu'à la salle de bain où on leur plonge la tête dans la cuvette de toilette et on tire la chaîne à répétition. Dans les vidéos, on voit des femmes qui luttent pour leur vie et qui tentent de respirer tout en avalant de l'eau et en s'étouffant, pourtant, plus elles se débattent, plus on les maintient longtemps sous l'eau.
    Dans la pornographie, les hommes, comme de nombreux hommes dans la société, veulent que les femmes et des filles sachent qu'ils ont le pouvoir de les tuer et de les faire revivre. Des femmes et des filles doivent endurer que plusieurs hommes éjaculent dans leur visage, et le sexe anal et oral non protégé est la norme. Ces femmes et filles souffrent de traumatisme et d'importants problèmes de santé, comme la syphilis, une infection de l'oeil causée par la gonorrhée et le relâchement de l'anus.
    La motion M-47 a été présentée par le député conservateur M. Arnold Viersen. Elle a été renvoyée au Comité permanent de la santé afin que l'on examine les répercussions de la pornographie sur la santé publique. Le comité a fourni une réponse qui ne réglait pas les problèmes systémiques en matière de santé publique liés à la pornographie. Il a plutôt traité cela comme une question de santé sexuelle que l'on peut résoudre grâce à l'éducation. Ce n'est pas approprié.
    J'en arrive aux recommandations. Êtes-vous sur le point de me dire que j'en suis à 10 minutes? Je sais que je suis rendue à huit minutes.
    Vous en êtes à environ neuf minutes et dix secondes.
    Oh, d'accord. J'ai presque fini.
    Vous devrez en arriver à vos recommandations sur le projet de loi C-75.
    Il est très difficile de s'y retrouver dans le projet de loi C-75, ce qui le rend inaccessible à presque toutes les victimes, et particulièrement aux femmes qui ont été victimes de violence ou d'exploitation sexuelle. Dans la plupart des cas, les filles et les femmes victimes d'agression sexuelle, de torture, de traite ou qui se livrent à la prostitution ne savent même pas que le gouvernement discute de ces questions en ce moment.
    Nous avons certaines recommandations à formuler.
    Nous aimerions que vous élaboriez un outil de consultation pour permettre aux femmes de se faire entendre, particulièrement celles qui sont touchées par la prostitution, la traite, l'exploitation et la violence masculine, afin que vous puissiez tenir compte de leur rétroaction dans le projet de loi. Nous savons comment les élaborer pour vous. Vous devez tendre la main à ces femmes et ces filles.
    Nous vous demandons de réexaminer la question de la législation de la torture non étatique en tant qu'infraction criminelle. Nous vous demandons de prescrire par la loi un processus d'adhésion en ce qui concerne la pornographie en ligne, de sorte que, comme pour les jeux de hasard en ligne, seules les personnes âgées de plus de 18 ans puissent y avoir accès. Nous vous demandons de corriger les problèmes systémiques qui discriminent les femmes, qui les empêchent d'avoir accès au système de justice pénale ou de continuer d'en faire partie. À tout le moins, nous vous demandons d'arrêter d'utiliser l'expression « violence fondée sur le sexe » et de nommer cette forme de violence pour ce qu'elle est: de la violence des hommes envers les femmes. Les femmes sont restées trop longtemps dans l'ombre. Le temps est venu de continuer à en parler.
    J'en arrive donc à ma dernière recommandation. Nous aimerions que la Chambre des communes demande instamment au Sénat d'adopter rapidement les modifications de la Loi sur les juges. Le vote à la Chambre des communes était unanime, et rien ne bouge au Sénat depuis maintenant environ deux ans. Les femmes attendent avec impatience qu'il y ait des juges formés pour traiter des questions de violence sexuelle.
    Il est difficile de discuter de nos problèmes liés à la violence des hommes envers les femmes, à l'oppression et à la violation des droits de la personne devant un comité composé de 11 hommes et d'une seule femme. C'est difficile parce que, aussi bien intentionnés que vous êtes, en tant qu'hommes, vous avez des pouvoirs et des privilèges que les femmes n'ont pas.
    L'expression « nous persistons néanmoins» » est valable, car les femmes doivent se battre tous les jours pour être entendues, pour survivre et pour être crues. Je suis heureuse d'avoir l'occasion d'être ici et de présenter quelques faits sur la traite de personnes ainsi que certaines recommandations.

  (2020)  

    Merci beaucoup.
    Nous allons passer aux questions de M. Clement ou de M. Cooper, celui qui souhaite prendre la parole.
    C'est ma première séance.
    Bienvenue.
    Évidemment, je tiens à remercier tous les témoins. C'est un sujet très éprouvant. C'est très bouleversant pour nous tous — plus que bouleversant.
    Je ne sais pas si c'est approprié: je suis un homme, mais j'ai également une femme, une mère, une soeur et deux filles. Cela nous concerne tous. Je sais que, bien sûr, je ne peux pas parler des expériences que vous avez vécues, mais il est important que cela figure dans le compte rendu, alors je vous remercie toutes de nous en faire part.
    J'essaie de comprendre. Vous avez toutes formulé des recommandations. Certaines proposaient des recours différents. Pour ce qui est de l'étude du projet de loi C-75, je pense que ce qu'on nous dit, c'est qu'il doit y avoir plus de recours que ceux qui sont prévus, soit par l'intermédiaire du projet de loi, soit au moyen d'une mesure législative complémentaire.
    Je crois comprendre, monsieur le président, comme je l'ai entendu autour de la table à l'occasion de ma toute première séance, que, en tant que comité, vous vous êtes penchés sur la traite de personnes et vous travaillez à la rédaction d'un rapport.
    Oui, c'est exact.
    J'estime qu'il est important que cela figure aussi au compte rendu.
    Mme Walker a fait une très bonne description de ce qu'elle souhaitait voir se réaliser.

[Français]

    C'est la même chose pour Me Sylvestre.

[Traduction]

    Peut-être vais-je simplement me tourner vers Joy Smith.
    Joy, vous avez soulevé certains aspects pour lesquels vous estimiez que le projet de loi ne prenait pas les choses au sérieux; par conséquent, que ce soit par l'intermédiaire du projet de loi ou au moyen d'autres mesures législatives, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont, dans un monde idéal — ce à quoi nous aspirons tous des deux côtés de la table —, on pourrait améliorer les choses pour que l'excellent travail que vous faites pour les femmes et les filles dans notre société n'ait plus de raison d'être?

  (2025)  

    Je vous remercie, Tony, de cette question. J'ai l'habitude de vous appeler monsieur le ministre Clement, mais ce sera Tony ce soir.
    Dans une galaxie lointaine, très lointaine...
    C'est un problème très grave. Ce que Megan a décrit est tout à fait exact. Il doit y avoir une consultation plus importante que celle qui a lieu actuellement; il faut parcourir le pays et parler à différentes personnes. Vous savez, il faut tenir des consultations approfondies avec les survivants de la traite de personnes pour comprendre ce qu'ils vivent vraiment et ce dont ils ont besoin pour se réadapter.
    Je crois que la troisième mesure est la prévention. Nous venons tout juste de prendre la relève à la fondation et nous avons élaboré des programmes scolaires, mais cette initiative doit être appuyée par le gouvernement dans toutes les écoles primaires et postsecondaires. Les enfants qui sont victimes de cette traite sont très jeunes. Le plus jeune auquel j'ai eu affaire avait cinq ans. Aucun enfant ne s'en remet jamais, peu importe le genre de réadaptation qui est faite. Il y a des déclencheurs — des odeurs, des mots, n'importe quoi — qui font resurgir des souvenirs tout au long de leur vie; on doit donc également s'occuper des mesures de prévention. Je pense que le gouvernement fédéral doit se pencher là-dessus.
    Je pense également qu'il serait utile d'accroître la gravité des accusations portées contre ces agresseurs, car si les peines sont légères, cela ne va pas les dissuader, et ils laisseront dans toute la collectivité un sillon de jeunes vies détruites. À mon avis, les recommandations que Megan a formulées étaient très bonnes.
    Toutefois, en plus de cela, il doit également y avoir le volet prévention, et le gouvernement fédéral est responsable des établissements postsecondaires. Je sais que, dans certaines des conférences auxquelles j'ai participé... lors d'une conférence, j'étais à Calgary. Une jeune fille s'est présentée; elle avait été victime de la traite de personnes et était tombée sous l'emprise de son agresseur au sein même de l'université, ce qui veut dire que cela se passe partout et que la sensibilisation est beaucoup trop faible. Les Canadiens ne comprennent toujours pas ce qu'est la traite de personnes.

[Français]

    Mme Mourani, souhaitez-vous ajouter quelque chose à ce sujet?
    Certainement.
    En ce qui concerne les recommandations, je vais vous répéter ce que les victimes et les corps policiers m'ont dit. Les victimes attendent l'entrée en vigueur du projet de loi C-452, qui a reçu la sanction royale en 2015. Cela fait trois ans maintenant que le gouvernement refuse de mettre en vigueur cette loi.
    Comme vous le savez puisque vous avez été ministre, monsieur Clement, cela ne prend même pas une journée pour prononcer un décret ministériel afin qu'une loi entre en vigueur. Comme vous le savez aussi, la Chambre a voté de manière unanime à deux reprises, soit à la deuxième lecture et à la troisième lecture de ce projet de loi. Même M. Trudeau, qui est maintenant le premier ministre, a voté en faveur de ce projet de loi.
    Ce que dit l'actuelle ministre de la Justice, c'est que le projet de loi C-36 créerait des problèmes en ce qui concerne les peines consécutives. J'en profite ici pour féliciter le précédent gouvernement d'avoir adopté cette grande loi sur la prostitution. Or, souvenez-vous, le projet de loi C-36 a reçu la sanction royale le 6 novembre 2014, et le projet de loi C-452, le 18 juin 2015, près d'un an plus tard.
    Tout le monde avait voté en faveur de cela. Comment se fait-il que M. Trudeau, maintenant premier ministre, semble revenir sur ce vote? Les victimes sont très frustrées à l'égard de cette situation, surtout les familles qui ont des jeunes en fugue ou qui se retrouvent dans des réseaux de prostitution, et à qui les policiers disent qu'ils ne peuvent pas intervenir sans témoignage ni plainte, et ce, même s'il s'agit de filles mineures. Il est urgent que le gouvernement déclare cette loi en vigueur dès maintenant, sans attendre que le projet de loi C-75 soit adopté ou qu'il reçoive la sanction royale.

  (2030)  

    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant céder la parole à M. Virani.
    Je remercie tout le monde. Les témoignages que nous avons entendus nous ont fait prendre conscience — à moi et à mes collègues — du fait que les membres du Comité sont presque tous des hommes, à l'exception de Mme Khalid. Il est donc important de vous écouter et de bien nous informer.
    Cette semaine et la semaine dernière, nous avons aussi reçu des témoignages nous disant que nous avions une surreprésentation de personnes autochtones ou issues de minorités visibles. Pourtant, notre comité ne comporte aucun membre autochtone, et seulement deux qui sont issus d'une minorité visible. Nous présentons donc certaines lacunes.
    J'aimerais aborder trois sujets. Veuillez m'excuser, mais je vais poser mes questions en anglais. Vous pouvez cependant y répondre en français, Me Sylvestre. J'ai lu votre sommaire en anglais.

[Traduction]

    Vous avez fait ressortir quelque chose de très important à l'heure actuelle, à savoir la réduction des méfaits. Vous en avez parlé dans le contexte de la femme sans abri, Martine, dont vous avez raconté l'histoire, et cela fait beaucoup les manchettes en ce moment parce que certains gouvernements, y compris le gouvernement conservateur dans ma propre province, contestent maintenant toutes les preuves bien établies qui ont été présentées concernant la réduction des méfaits.
    Dans ma circonscription, Parkdale—High Park, nous avons un site de prévention des surdoses qui fonctionne de façon extralégale parce que le premier ministre Ford, dans son infinie sagesse, a jugé bon de retirer l'approbation de celui-ci, du moins temporairement. La police n'est pas d'accord, le maire n'est pas d'accord, et il est clair que notre gouvernement fédéral n'est pas d'accord, mais ce qui est important dans votre témoignage, si j'ai bien compris, c'est que, si vous voulez vraiment appliquer la réduction des méfaits, il faut l'appliquer partout.
    Cela doit même éclairer les décisions judiciaires et les décisions des tribunaux sur des questions telles que les conditions de remise en liberté provisoire. Si vous imposez une condition trop restrictive, vous empêchez les gens d'accéder à une région géographique ou à un service — ou, dans ce cas-ci, à un centre d'injection supervisé — et d'obtenir l'aide dont ils ont besoin. Au lieu de réadapter les gens, on les criminalise et on les piège dans le système.
    Est-ce que je vous ai bien compris? Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce point en particulier, sur la façon dont cela devrait éclairer notre approche à l'égard de la mise en liberté sous caution?
    Je suppose que l'un de mes principaux arguments est que les interdictions de consommer, et les restrictions de zones ou les interdictions de se trouver dans un périmètre empêchent les personnes marginalisées d'obtenir les services de santé et les services sociaux dont elles ont besoin, y compris les services de réduction des méfaits. Une partie de notre recherche a été menée dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver, où des gens ont besoin d'avoir accès à des services de réduction des méfaits, y compris des centres d'injection supervisée. Les restrictions de zones s'appliquent presque automatiquement dans le cas des infractions liées aux drogues, notamment la possession, mais également le trafic, de sorte qu'on les empêche d'avoir accès à ces services essentiels en période de crise au Canada.
    Lorsque nous envisageons d'imposer des conditions, il est très important de penser aux conséquences que cela aura sur les personnes marginalisées qui veulent avoir accès aux services sociaux et de santé dont elles ont besoin. C'est également important d'y réfléchir quand vient le temps d'imposer des conditions liées à l'alcool et aux drogues. Si nous imposons une interdiction de consommer à des personnes qui, en raison de leur dépendance, sont incapables de la respecter et forcées de la violer systématiquement,se retrouvant avec un casier judiciaire très chargé, nous ne les aidons évidemment pas à se sortir des problèmes sociaux dans lesquels ils sont enlisés.
    Je suppose que mon principal message, chers membres du Comité, est que la criminalisation des auteurs d'une infraction mineure et des membres de communautés marginalisées est probablement la pire solution ou le pire moyen de régler les problèmes sociaux et, pour en revenir à votre question, de leur permettre d'avoir accès aux services de réduction des méfaits.

  (2035)  

    Dans le même ordre d'idées, pour poursuivre dans ce sens, un aspect du projet de loi sur lequel nous avons entendu des témoignages concerne les infractions contre l'administration de la justice et la remise en question que nous sommes en train de faire à cet égard. Encore une fois, on se retrouve avec des manquements mineurs aux conditions qui n'entraînent pas de danger pour la société, mais qui entraînent, comme vous l'avez dit, six infractions relatives à la remise en liberté provisoire, alors que l'infraction initiale était bien plus mineure. Vous obtenez une sorte d'effet multiplicateur.
    J'aimerais savoir ce que vous pensez des changements que nous proposons d'apporter dans le projet de loi C-75 en ce qui concerne l'administration de la justice, et en particulier en ce qui concerne la façon dont cela touche la communauté autochtone, les communautés racialisées, les femmes et les autres personnes que vous avez incluses dans ce groupe de personnes vulnérables.
    Je pense que le projet de loi C-75 ne va pas assez loin en ce qui concerne la prévention de ces manquements et l'accumulation des infractions contre l'administration de la justice. De nombreux changements devraient être apportés, notamment l'inversion du fardeau de la preuve pour les personnes qui n'ont pas respecté une condition. Cela exerce une certaine pression sur les personnes qui doivent être placées en détention, ce qui est très problématique.
    Il y a autre chose qu'il faudrait changer. C'est l'imposition de conditions irréalistes à des personnes qui ne représentent pas une menace grave pour le public, les victimes et les témoins. Dans notre étude, par exemple, l'un des prédicteurs les plus importants du manquement était le nombre de conditions imposées. Plus il y en a, plus on est susceptible de les enfreindre, ce qui semble logique, n'est-ce pas? Nous savons que, en moyenne, sept ou huit conditions par ordonnance de remise en liberté provisoire sont imposées aux gens. Cela fait beaucoup de conditions à respecter. Bon nombre d'entre elles n'ont rien à voir avec l'infraction. Et beaucoup d'entre elles ne sont pas des infractions criminelles en soi, mais le deviennent simplement parce qu'elles sont inscrites dans les ordonnances de mise en liberté sous caution.
    Nous devons vraiment libérer les gens sans condition lorsqu'ils ne représentent aucune menace. C'est ce que dit le Code criminel depuis 1970. La Cour suprême du Canada l'a dit, et la Charte canadienne l'a dit. Ce n'est toujours pas appliqué par les juges et les agents de la paix. Je pense que nous devons renforcer le libellé du projet de loi C-75 afin de nous assurer de nous débarrasser de ces nombreuses infractions contre l'administration de la justice.
    Merci infiniment.
    Allez-y, monsieur Rankin.
    Merci à tous les témoins.
    Maître Sylvestre, je vais porter mon attention sur vous, si vous me le permettez. Je tiens à vous dire que j'ai trouvé votre mémoire excellent. J'ai vraiment apprécié le travail empirique qui en est à l'origine ainsi que toutes vos recherches. J'ai trouvé que toutes les recommandations spécifiques étaient exactement ce dont nous avions besoin, alors bravo. Vous nous avez fourni un mémoire extrêmement utile.
    Je veux simplement vous donner l'occasion de préciser certains des points que vous avez soulevés. Il y en a tellement que je crains que nous ne puissions pas leur rendre justice dans le temps dont nous disposons. Par exemple, vous proposez de définir l'expression « populations vulnérables », laquelle est trop vague. Fait intéressant, les chefs de police ont fait la même suggestion plus tôt aujourd'hui.
    Ce sur quoi j'aimerais vraiment que vous nous donniez plus de détail figure à la page 2 de la version française de votre mémoire, où vous parlez d'exiger « que les conditions imposées par les agents de la paix soient raisonnables et proportionnées eu égard à la nature et à la gravité de l'infraction alléguée ».
    Tout d'abord, n'est-ce pas exactement ce que les tribunaux ont dit qu'il devait se passer — le principe de l'échelle dans l'arrêt Antic et ainsi de suite?
    Deuxièmement, ne faites-vous pas qu'importer le libellé de la Charte dans l'expression « raisonnables et proportionnées »? Si nous adoptons votre amendement, est-ce que tout cela ne constituera pas qu'un seul grand argument fondé sur la Charte?
    Je veux être certaine de bien comprendre ce que vous dites.
    Selon vous, les conditions qui doivent être imposées par les agents de la paix doivent être « raisonnables et proportionnées eu égard à... la gravité ». Cela ressemble beaucoup à ce que nous avons déjà en vigueur...
    C'est exact.
    ... et, à mes yeux, cela ressemble beaucoup à un critère de la Charte.
    Bien sûr, les conditions doivent être raisonnables. C'est le critère de la Charte à l'heure actuelle, l'alinéa 11e), et la Cour suprême du Canada l'a mentionné, mais on ne trouve pas dans ces décisions l'aspect de proportionnalité quant à la gravité de l'infraction. Je pense que cela devrait être le cas.
    Les deux principaux motifs de détention et d’imposition de conditions sont de s’assurer que la personne comparaîtra au tribunal et qu'elle ne commettra pas une autre infraction criminelle, n’est-ce pas? Pour ce qui est de la comparution devant les tribunaux, nous avons constaté dans notre étude que, souvent, les sans-abri et les personnes qui vivent ou travaillent dans la rue, et qui composent avec la drogue, par exemple, avaient commis des infractions très mineures, mais avaient été remis en liberté provisoire avec des conditions très strictes parce qu’ils n’avaient aucune adresse où se présenter et qu’ils ne pouvaient garantir au tribunal qu’ils reviendraient. Il me semble que nous devons nous assurer que les conditions imposées sont proportionnelles à la gravité de l’infraction. Lorsque l’infraction est très mineure, nous devons assouplir les conditions que nous imposons parce que nous ne faisons que vouer les gens à l’échec.

  (2040)  

    À la page suivante, vous faites une remarque similaire au sujet du « niveau de dépendance du prévenu à l'alcool ou à la drogue ». Vous en avez parlé dans votre exposé. Je pense que vous parlez de la futilité de ces conditions lorsque les gens reviennent toujours parce qu'ils sont dépendants, et ainsi de suite, et qu'ils ne seront jamais en mesure de respecter ces conditions. Vous avez fait des recommandations utiles à ce sujet, y compris des définitions des accessoires facilitant la consommation de drogues, entre autres.
    À la page 3 de votre mémoire, il y a deux autres choses dont, honnêtement, je ne suis pas certain qu'elles fassent partie du mandat du Comité. J'aimerais que ce soit le cas. Le président a peut-être un point de vue différent.
    La première est l'élimination de « toutes les peines minimales obligatoires ». De nombreux témoins ont dit qu'il s'agissait là du problème dont personne ne parle dans notre étude, et vous en reconnaissez l'importance. La deuxième est l'abrogation de certains articles qui criminalisent le travail sexuel. Encore une fois, je ne suis pas certain que nous puissions le faire — j'attends avec impatience la décision du président à ce sujet —, mais je suis d'accord avec vous pour dire que cela concorde très bien avec les principes que vous avez énoncés.
    J'aimerais approfondir un peu plus la question. À la page 6 de votre mémoire, vous parlez de l'« imposition généralisée de conditions déraisonnables menant à des bris de conditions répétés ». Vous avez parlé du nombre très élevé de conditions au moment de la mise en liberté: sept conditions en moyenne en Colombie-Britannique, et huit en Alberta. Comment éviter la situation ridicule faisant que les gens qui enfreignent continuellement ces conditions et se retrouvent incarcérés pour des raisons qui, comme vous le dites, sont géographiques ou ont trait à leurs dépendances? Quelle est la solution? Quel est votre grand projet pour ce comité?
    Tout d'abord, dans de nombreux cas, nous les mettons en liberté sans condition. C'est ce que la loi nous dit. C'est ce que le principe de la retenue introduit dans le projet de loi nous dit de faire. Il semble que, jusqu'à présent, nous pensons que les options sont soit de garder la personne en détention, soit de la remettre en liberté sous conditions, alors qu'on devrait choisir de la mettre en liberté sans condition, d'autant plus que la plupart des infractions sont très mineures, ou de la mettre en liberté sous conditions. Toutefois, lorsque nous mettons des personnes en liberté sous conditions, nous devons être très stricts, et les conditions doivent être réalistes et raisonnables. Je pense que la mise en liberté sans condition est une solution de rechange sérieuse que nous devrions envisager, de même que la possibilité de vérifier si les conditions imposées sont réalistes, compte tenu des circonstances de la vie de la personne.
    Vous pensez aux dépendances et ainsi de suite. Les restrictions géographiques peuvent avoir un sens en ce qui concerne la violence familiale, mais elles n'en ont certainement aucun pour ce qui est des accusations liées à la drogue. Je pense que vous l'avez fait ressortir très clairement.
    Exactement.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup.
    Le dernier intervenant est M. Fraser.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vais partager mon temps de parle avec M. Fragiskatos.
    Professeure Sylvestre, j'ai deux questions à vous poser. Premièrement, vous avez suggéré qu'on fournisse une définition de l'expression « populations vulnérables ». En avez-vous une à proposer à notre comité?
    Certainement.
    Je vous remercie de la question. Dans le mémoire, je précise de quels groupes il s'agit exactement. Il y a les personnes en situation d'itinérance, les usagers de drogue, les travailleuses et les travailleurs du sexe ainsi que les personnes ayant des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Ces groupes sont surreprésentés. Il y a également les minorités visibles et les minorités racisées. Il y a une disposition spécifique pour les Autochtones, mais il n'y en a pas pour les minorités racisées. La recherche a démontré que ces groupes étaient surreprésentés dans le système de justice. Ils ne devraient pas avoir à démontrer chaque fois au tribunal qu'ils font partie de ces groupes ni devoir présenter une preuve empirique démontrant cette surreprésentation.
    Merci.

[Traduction]

    J'aimerais passer à l'anglais, mais je reste avec vous, professeure.
    Nous avons entendu plus tôt aujourd'hui certaines réflexions selon lesquelles la condition d'inversion du fardeau de la preuve pour le partenaire intime prévue dans le projet de loi C-75 ne va pas assez loin et que, en fait, elle devrait être modifiée afin de permettre l'inversion du fardeau de la preuve dans le cas où, par exemple, une personne est accusée de deux infractions de violence entre partenaires intimes sans avoir été condamnée auparavant. Pouvez-vous dire au Comité ce que vous pensez de ce genre de modification?

  (2045)  

    De façon générale, je m'oppose à l'inversion du fardeau de la preuve. Je suis plutôt d'accord avec le mémoire présenté devant ce comité par Aboriginal Legal Services, dans lequel il est mentionné que cela pourrait également s'appliquer aux femmes, et cela s'applique effectivement aux femmes. Je crois que M. Rankin en a parlé tout à l'heure.
    Je pense que la décision relative à la mise en liberté devrait tenir compte de la preuve selon laquelle les personnes représentent une menace sérieuse pour les victimes et les témoins, et qu'il ne devrait pas y avoir d'inversion du fardeau de la preuve parce que, chaque fois que nous ajoutons des dispositions restrictives au Code criminel, cela se répercute toujours sur les groupes surincarcérés et surreprésentés, y compris les Autochtones, les minorités racialisées et, dans certains cas, les femmes.
    Vous dites que, dans une situation où quelqu'un est accusé, s'il n'a pas de casier judiciaire, mais qu'il représente une menace — par exemple, pour un témoin ou pour la personne présumément agressée —, cela est déjà pris en compte en ce qui concerne la remise en liberté provisoire. Est-ce que c'est exact?
    Exactement.
    Merci.
    Je vais maintenant laisser la parole à M. Fragiskatos.
    Vous avez deux minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je poserai une question à propos des enquêtes préliminaires. Je ne suis pas membre à part entière de ce comité. Je remplace simplement un collègue, mais je suis avec beaucoup d'intérêt ce dossier ainsi que d'autres questions liées au projet de loi.
    Nous avons entendu dire aujourd'hui que les enquêtes préliminaires risquent de traumatiser de nouveau les victimes. J'aimerais demander à Mme Walker et à Me Sylvestre si elles sont d'accord avec le point de vue qui a été présenté au Comité et s'il existe un moyen d'éviter de traumatiser de nouveau les victimes de violence par des enquêtes préliminaires, si c'est effectivement le cas.
    Je ne peux rien dire à ce sujet. Je ne suis pas avocate, et ce n'est pas mon domaine de spécialisation.
    D'accord.
    Ce que j'entends de la part des avocats de la défense et des procureurs de la Couronne, c'est que, dans bien des cas, les enquêtes préliminaires permettent aux tribunaux de traiter de nombreuses affaires et de mieux organiser le procès à venir. Je n'entends pas dire qu'il s'agit d'une procédure inutile.
    En ce qui concerne les cas de violence conjugale en particulier, très peu d'entre eux se rendent jusque dans le système de justice pénale. Je pense que cela montre que la criminalisation n'est souvent pas la réponse que nous devons chercher pour lutter contre la violence conjugale et que nous devrions envisager d'autres moyens.
    D'autres ont parlé de prévention. J'ajouterais également à la discussion la justice réparatrice. J'ai mené des recherches auprès de femmes autochtones dans une communauté autochtone du Québec. Elles veulent lutter contre la violence conjugale au moyen de leurs traditions juridiques autochtones. Elles veulent mettre en place davantage de mécanismes de justice réparatrice. Je ne suis pas certaine que le système de justice pénale répond à leurs besoins en ce moment. Je comprends et je suis allée dans une autre direction, mais je pense qu'il est important de soulever cet aspect également.
    En fait, je peux répondre à cela très rapidement. Très peu de femmes se manifestent, par peur. Elles ont peur de la police. Elles ont peur d'être tuées, parce qu'elles ont été menacées de meurtre. De plus, le système de justice pénale n'est pas un système axé sur les femmes. Il compte de nombreuses failles systémiques qui discriminent les femmes et remettent en question leurs histoires.
    Nous savons que, en moyenne, les femmes sont victimes de violence de 30 à 40 fois avant même d'aller voir la police. Les femmes apprécient les politiques de mise en accusation obligatoire parce qu'elles craignent d'être battues si elles doivent dire: « Oui, inculpez-le ».
    Ce dont nous avons vraiment besoin, à mon avis, c'est d'élaborer un système nous permettant de porter des accusations et d'aboutir à des condamnations sans dépendre tout le temps du témoignage des victimes, parce qu'elles ont peur. Nous avons vu l'amélioration du processus d'enquête à San Diego et nous avons également vu des interrogatoires de témoins qui ont été fructueux.
    Vous faites référence à... Nous avons tous deux parlé dans le passé du modèle de Philadelphie.
    La situation est différente. Il s'agit de cas de violence sexuelle.
    D'accord, je vois. Merci.
    Je vous remercie toutes du travail que vous faites.
    J'aimerais remercier le groupe de témoins.

[Français]

    Vos témoignages ont été bien appréciés, et nous vous remercions de la patience dont vous avez fait preuve.

  (2050)  

[Traduction]

    Encore une fois, merci, et je vous souhaite une excellente fin de journée.
    La séance est levée.
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