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ERRE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité spécial sur la réforme électorale


NUMÉRO 008 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 26 juillet 2016

[Enregistrement électronique]

  (1405)  

[Traduction]

     Bienvenue à cette huitième réunion du Comité spécial sur la réforme électorale. Aujourd'hui, nous recevons M. Peter Russel, professeur émérite à l'Université de Toronto, et M. Patrice Dutil de l'Université Ryerson.
     Nous avons très hâte de vous entendre tous les deux sur la question du système électoral.

[Français]

    Merci beaucoup de vous être libérés pour vous joindre à nous en cette dernière semaine de juillet. C'est fort apprécié. Nous allons beaucoup tirer profit de ce que vous aurez à nous dire cet après-midi.
    Sans plus tarder, nous cédons la parole au professeur Russell pour 20 minutes.

[Traduction]

     Je remercie les membres du Comité pour cette occasion de leur faire part de mes idées sur cet important sujet à l'étude. Je vous félicite tous les 12 de siéger à ce comité et d'y consacrer réellement du temps, mais c'est vraiment votre esprit qui est sollicité, car ces questions sont très complexes au vu des différentes options.
    L'argumentation que je présente dans mon mémoire, et dont je vais faire un survol, est unidimensionnelle et vise l'élément d'intérêt supérieur sur lequel devrait porter vos recommandations, soit la création d'une Chambre des communes représentative des préférences politiques du peuple. C'est toute une idée, n'est-ce pas? Imaginez une assemblée élue représentant les choix politiques du peuple.
    Un système électoral comporte de nombreux éléments importants et préoccupants, dont l'accessibilité, la simplicité, et j'en passe, ayant fait l'objet de nombreux documents. Toutefois, messieurs les députés siégeant à ce comité, si vos recommandations ne traitent pas de cet enjeu fondamental, soit un parlement représentatif du peuple, vous aurez échoué, même si vous faites très bien sur certains des autres enjeux. Vous aurez échoué parce que votre rôle consiste vraiment à formuler des recommandations aptes à faire de nous une démocratie représentative. C'est ce que nous sommes censés être.
     Alors voilà mon propos dans son entièreté.
     Dans mon document, j'essaie d'expliquer brièvement pourquoi le système majoritaire uninominal à un tour du Canada, en vigueur au palier fédéral depuis la Confédération, ne correspond plus à la conjoncture politique du pays depuis 1921. J'ai bien dit 1921, pourquoi? Parce qu'à partir de ce moment-là les choses ont changé et nous n'avions plus le régime de dualité de parti. Jusqu'en 1921, il y avait deux partis. Faites le calcul. L'un obtenait la majorité et l'autre pas. Les gouvernements élus représentaient assez bien le peuple — pas de problème. C'était tout naturel pour les Pères de la Confédération, puisqu'on ne parlait pas de mères de la Confédération.
    Puis, en 1921, les conservateurs d'Arthur Meighen se sont retrouvés en troisième place et les progressistes en seconde place derrière les libéraux de Mackenzie King. Depuis lors, nous avons eu un régime multipartite, composé surtout de quatre ou cinq partis, qui a vraiment été torpillé et miné par le système majoritaire uninominal à un tour. On le voit clairement en haut de la page 2 de mon mémoire où j'énumère les résultats des trente élections fédérales depuis 1921. Quatorze gouvernements ont été élus avec une majorité faussée. Tout à l'heure, je vais expliquer et justifier le qualificatif « faussé », mais, essentiellement, on parle d'un gouvernement détenant une majorité de sièges à la Chambre des communes sans l'appui de la majorité du peuple. Nous avons connu cela. Ça été le résultat le plus fréquent, soit des gouvernements à fausse majorité.
    Ensuite, nous avons eu 13 gouvernements minoritaires. En 30 élections nous avons eu seulement trois gouvernements à majorités réelles, dirigés par un parti ayant remporté 50 % ou plus des sièges, mais surtout 50 % du vote populaire. Cela frisait toujours le 50 % plus: le balayage de Diefenbaker en 1958, Mackenzie King en 1940, pendant la guerre, et Brian Mulroney en 1984. Mais, c'étaient des cas d'exception, car si l'on prend les résultats de nos soi-disant gouvernements majoritaires depuis la fin des années 1980, aucun n'a obtenu plus de 43 % du vote populaire tout en ayant une majorité des sièges à la Chambre des communes leur permettant d'en contrôler les activités et celles du gouvernement. Bonté divine, de nos jours la seule mention d'un résultat de 43 % fait saliver les chefs libéraux et conservateurs. Au cours des dernières années, ils ne s'en sont jamais approchés. Lors des dernières élections dont les résultats étaient majoritaires, ils n'ont jamais atteint 40 %.
    Comme je le dis au paragraphe 7, en tant que démocratie parlementaire le Canada peut certainement faire mieux que d'être le plus souvent gouverné par des politiciens qui, tout en n'étant pas le premier choix de 60 % du peuple, ont le pouvoir de contrôler le Parlement. Cette situation devrait être le but primordial de la réforme électorale et de votre comité.
     Je vais maintenant parler des préoccupations que des gens entretiennent à propos de ce dont je viens de parler. Je fréquente les libéraux et les conservateurs du quartier South Rosedale. La réforme électorale ne les intéresse guère. Quand je leur dis que c'est presque garanti qu'aucun parti n'aura une majorité au Parlement, ils sont horrifiés. « Oh, mon dieu, il nous faut une majorité au Parlement. » Au début, je leur demande: « Aimeriez-vous avoir une Chambre des communes représentative du peuple et de ses préférences politiques? » « Oui, bien sûr, bien sûr. C'est ce que je veux. C'est ça le sens de la démocratie. » Et puis, « Peter, est-ce que vous voulez dire que dans ce genre de régime proportionnel où l'assemblée élue reflète le choix politique du peuple, il n'y a pas de gouvernement majoritaire? »
    Je leur réponds, non, je crains que ce soit très rare. Pourquoi? Parce que nous n'avons plus de vrai parti populaire, c'est une espèce rare. Par « populaire », j'entends un parti représentant 50 % ou plus de la population. Car, non seulement au Canada, mais dans toutes les démocraties occidentales, les gens ont des points de vue très différents. Ce n'est pas seulement Dupont et Dupont, conservateurs et libéraux. Ils ont des idées très variées. Si le régime électoral et démocratique d'un pays ne correspond pas à cette réalité — et c'est notre cas depuis près d'un siècle — il ne répond pas aux besoins de représentation démocratique du peuple.
    Mes voisins et mes amis inquiets — et ce sont de bonnes personnes — disent que les parlements sans majorité leur donnent des frissons et leur font dresser les cheveux sur la tête. Je leurs dis, « Écoutez... », et tout de suite ils disent, « Nous serons comme l'Italie et Israël. » En fait, ils ne sont pas au courant de la situation en Italie, sinon, ils sauraient que maintenant c'est presque le contraire de la représentation proportionnelle, et Israël n'a pas de limite pour les plus petits partis. Mais, ce qu'ils ignorent, c'est que la presque totalité des démocraties parlementaires du monde a un genre de régime de représentation proportionnelle reflétant assez fidèlement les divisions politiques du pays. Les gouvernements majoritaires sont choses très rares. Ils ont des gouvernements minoritaires ou de coalition.

  (1410)  

    Ensuite la question c'est quels sont ces pays? Bien, ce sont de vieux pays désordonnés comme les Pays-Bas, l'Allemagne, la Nouvelle-Zélande et on peut citer — comme je le fais dans mon mémoire et mon livre « Two Cheers for Minority Government » — une douzaine ou plus de pays très bien administrés par des gouvernements n'ayant pas une majorité de sièges dans leurs parlements.
     Dans mon livre, « Two Cheers for Minority Government », je trace le profil historique de nos gouvernements minoritaires canadiens entre 1921 et 2006, l'année de la publication. Mackenzie King en a eu trois, et je poursuis avec Diefenbaker, Pearson, King, Clark — un désastre celui-là — et Stephen Harper. La démonstration visée, et le livre contient plein de faits, c'est l'efficacité impressionnante de ces gouvernements. Ils ont vraiment accompli des choses. Ils n'étaient ni dans une impasse, ni paralysés, ni faibles. Certains furent parmi les gouvernements les plus dynamiques que nous avons connus.
     J'ai regardé la performance souvent productive des gouvernements provinciaux sans majorité à l'assemblée législative. Mon modèle, ce sont les six années du gouvernement minoritaire conservateur de Bill Davis entre 1970 et 1981. Ce fut une période de réformes et de réalisations fantastiques pour l'Ontario. Très souvent, les conservateurs de M. Davis consultaient les démocrates de Stephen Lewis et, ensemble, ils ont élaboré un programme vraiment intéressant de réforme politique pour la province de l'Ontario.
     Avec ces faits, vous serez en mesure d'apaiser les réactions horrifiées à l'idée d'un parlement sans parti majoritaire. Notre population est très bien éduquée et j’espère que la pensée rationnelle a vraiment la cote de nos jours. Dites-leur de regarder les faits et d'ignorer les rumeurs au sujet d'Israël et de l'Italie. Ils peuvent consulter mon livre. Ce n'est pas obligatoire, mais, présentement, c'est le seul livre sur les parlements minoritaires dans le monde anglophone. Ils doivent regarder les faits avant de perdre le sommeil sur la possibilité qu'un régime de représentation proportionnelle nous privant d'une majorité au Parlement.
     En plus des gouvernements avec un parlement dit minoritaire, j'aborde le fonctionnement amélioré du Parlement — il y a plein de d'évidence à cet effet — lorsqu'aucun parti n'est en position de contrôle et que la survie dépend de l'élaboration de politiques d'accommodement allant au-delà du parti majoritaire en Chambre. Un exemple typique, selon moi, c'est la première année du premier gouvernement minoritaire de Stephen Harper. Sans allié naturel à la Chambre des communes, sans parti d'opposition favorable à son parti, il a réussi, politique après politique, étrangère et intérieure, à s'entendre sur ces politiques avec différents partis, sans abandonner les positions conservatrices, mais, en les ajustant et les modifiant, réussissant ainsi à faire adopter quatre de ses cinq priorités électorales.
     Généralement, les parlements minoritaires ont deux partis aptes à s'allier naturellement. Mon argument est que les parlements minoritaires — sans parti majoritaire — peuvent former un gouvernement fort et efficace, mais aussi, et cela est tellement important, donner au Parlement toute sa valeur et son importance, de sa convocation jusqu'à sa dissolution. On peut difficilement en dire autant des parlements du passé — pas celui-ci — qui ont été dominé par un gouvernement avec une fausse majorité.

  (1415)  

     J'ai promis d'expliquer la fausseté. Je dis qu'un gouvernement majoritaire sans appui majoritaire du peuple est faux uniquement parce j'ai souvent vu des chefs libéraux et conservateurs de tels gouvernements dire, « Nous avons un mandat du peuple, le peuple nous a élus. » Que les gens dans la salle veuillent bien m'excuser, mais c'est de la foutaise. Ce n'est pas le cas. Cela conduit à une arrogance qui est fatale pour la démocratie parlementaire.
     Je cesserai de les traiter de parlement à fausse majorité quand les chefs élus cesseront de dire, « Nous avons reçu un mandat direct du peuple. »
     Maintenant, quelques mots sur les gouvernements de minorité par rapport à ceux de coalition. J'ai une section qui en traite. Dans l'ensemble, je préfère une minorité à une coalition, tout comme la plupart des Canadiens, je pense.
     Nous n'avons pas eu de gouvernement de coalition depuis 1921. Nous en avons eu un juste avant — la coalition unioniste de Robert Borden — mais c'était un effort en temps de guerre et les libéraux étaient divisés.
     Selon moi, l'avantage d'un gouvernement minoritaire sur une majorité de coalition... je m'arrête pour préciser ce que vous savez probablement déjà. Les coalitions peuvent être minoritaires. Celle planifiée par MM. Layton et Dion en 2008 aurait été une coalition minoritaire.
    Dans la vie parlementaire, une coalition a pour inconvénient que la plupart des compromis, des consultations et des ouvertures politiques se font à l'étape de la négociation entre les deux chefs, sur l'entente de coopération et l'attribution aux deux partis des postes au Cabinet. Ensuite, une coalition majoritaire peut être aussi dominatrice au Parlement qu'une fausse majorité. Il y a l'exemple récent de Cameron et de Clegg au Royaume-Uni.
     Dans l'ensemble, je préfère la solution du gouvernement minoritaire.
     Je reconnais l'inconvénient des parlements minoritaires, soit le risque d'un trop grand nombre de votes de confiance à la Chambre des communes. Le cas échéant, cela créé une situation de crise perpétuelle si chaque vote menace la survie du gouvernement, alors la Chambre est en crise — certains d'entre vous en ont fait l'expérience —, alors il n'y a pas vraiment de coopération intéressante et collégiale pour l'élaboration de politique. Cela m'inquiète.
     Ma réponse à cela, c'est que dans un régime électoral proportionnel, les votes de confiance sont moins probables. Il y a beaucoup de votes de confiance s'il est vraiment possible de défaire le gouvernement, de provoquer une élection et d'obtenir une majorité. Les chefs de parti adorent les majorités. Je vais être direct, j'entends les chefs des partis libéral et conservateur. Cela facilite la vie, mais il y a plus. Pour les libéraux et les conservateurs, l'étalon or du succès d'un chef, c'est de remporter une majorité. C'est la façon dont le public et les médias les jugent. « Il n'a pas encore remporté de majorité; il n'est pas vraiment un grand leader libéral ou conservateur. »
    Si l'on modifie le système électoral en fonction d'un pays où aucun parti n'est très populaire, où un résultat de 40 % est vraiment le maximum possible, à ce moment-là, je pense que la culture va changer, que les gens, les médias et les leaders politiques se rendront compte que défaire un gouvernement pour déclencher une élection n'est pas très futé, car on ne sait vraiment pas ce qui va se produire dans un système reflétant fidèlement l'opinion des gens.

  (1420)  

    Dans ce contexte, une réforme à laquelle je vous incite à réfléchir comme parlementaires c'est celle mise au point par certaines démocraties parlementaires européennes à RP, soit le vote de défiance constructif où le motionnaire annexe à ce vote le choix du prochain chef du gouvernement — cela devrait être inclus dans vos règles parlementaires et appliqué par le Président. Ils disent, « Appuyer ma motion pour défaire le gouvernement et appuyer ce leader politique. » D'habitude, c'est le chef de leur parti. On aurait toujours un parti minoritaire. Alors, en cas de défaite du gouvernement, vous avez un autre gouvernement, une autre combinaison de partis politiques pouvant donner un gouvernement minoritaire apte à survivre à la Chambre des communes.
     Les démocraties parlementaires européennes à représentation proportionnelle ont constaté l'effet très stabilisateur de ce dispositif. Cela dépend entièrement de vous. Une Chambre des communes ayant adopté un régime de représentation proportionnelle voudra l'étudier sérieusement.

  (1425)  

     Monsieur Russel, ces idées fascinantes et originales sont inédites pour nous. Je suis sûr qu'il y aura beaucoup de questions pour les explorer davantage. Est-ce que nous pouvons passer...
    J'ai juste une autre prière à vous adresser.
    Je me prosterne devant vous, car c'est simplement une réforme stabilisatrice — c'est la dernière, monsieur le président — si vous modifiez le système électoral.
    Je pense que la plupart des membres du public ici présents ignorent ce dont je vais vous parler. Nous sommes quasiment la seule démocratie parlementaire au monde n'ayant pas de règle visant la reprise parlementaire après une élection. Pensez-y. Le Parlement doit tenir une session par année, donc après une élection, quand les gens demandent quand interviendra la reprise parlementaire, personne ne le sait. C'est particulièrement dangereux s'il n'y a pas de parti majoritaire et que la population et, en fait, la communauté internationale, demandent, « Qui est aux manettes au Canada? » Diable, on ne le saura pas avant la reprise parlementaire, car nous devons avoir une majorité au Parlement. Quand le Parlement doit-il se réunir? La réponse est: « Je l’ignore. »
    Mesdames et messieurs, voilà la situation. Une fois le pays a attendu cinq mois pour un premier ministre minoritaire, Joe Clark, un merveilleux Canadien. Je ne suis pas là pour le rabaisser.
    C'est la chose la plus simple. Je traite de la réforme dans mon livre. Il suffit d'un acte du Parlement. Il existe des modèles: la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Dans un cas, la règle est d'un mois et dans l'autre huit semaines.
    Comme vous le savez, les membres de ce comité sont très portés sur les réunions. Nous nous réunissons même en été.
    Monsieur le président, ce serait terrible si vous adoptiez un nouveau système électoral à représentation proportionnelle reflétant vraiment le peuple canadien et que vous élisiez des députés sans savoir quand le Parlement va se réunir.
    Je pense que vous avez raison, monsieur, dans le sens que tout changement au système exigera de nombreux changements aux règles de la Chambre.
    Oui. Excusez-moi d'avoir dépassé le temps alloué.
    Non, vos propos étaient fascinants, mais nous aurons une ronde de questions, qui seront nombreuses, j'en suis sûr.

[Français]

    Professeur Dutil, vous avez la parole.

[Traduction]

    Chers collègues, merci beaucoup. Je suis honoré et ravi de l'invitation de m'adresser à cet auguste comité afin de discuter des mérites et démérites de la réforme électorale. Votre travail est extrêmement important et précieux, et il tombe à point nommé de notre histoire.
    Vous constaterez que je suis en désaccord avec mon collègue. Là où il voit le vice, je vois la vertu, mais je ne suis pas contre la réforme électorale. En mai, j'ai comparu devant un comité de la législature ontarienne où j'ai préconisé l'amendement des lois électorales municipales afin de permettre aux partis de se financer et d'opérer librement dans ce cadre législatif provincial.
    Parfois, la réforme électorale est nécessaire pour créer une assemblée législative ou un conseil municipal apte à améliorer l'administration et la gouvernance. Toutefois, je suis contre les réformes irréfléchies, les idées empruntées à des pays complètement différents qui vont mener les Canadiens au bord du précipice. Les tenants de la réforme électorale incitent les Canadiens à faire le saut sans vérifier ce qu'il y a en bas. Parfois, je suis vraiment choqué par la vacuité de leurs prédictions et de leurs conjonctures sur l'impact de ces changements sur notre système électoral. Ils ont complètement oublié le serment d'Hippocrate que les médecins apprennent au tout début de leurs études: premièrement, s'abstenir de tout mal.
    L'élection de députés n'est pas simplement une question de représentation démographique idéale ou d'appariement parfait entre les suffrages exprimés et les résultats. Le but consiste aussi à donner au Parlement une bonne chance d'appuyer un cabinet fonctionnel et efficace capable de gérer un gouvernement efficace apte à saisir l'esprit du temps et à y réagir, même sans obtenir la majorité des votes.
    Il y a deux critères pour les élections et les deux sont reliés.

  (1430)  

[Français]

    Avant d'aller plus loin, monsieur le président, permettez-moi de vous offrir mes réponses aux questions qui ont été posées.
    Je n'ai vu aucune preuve que tout autre moyen de scrutin pourrait mieux réussir que le système actuel à répondre à ces deux exigences.
    Ce système va célébrer son 225e anniversaire l'an prochain. Il a survécu aux épreuves du temps. Il a démontré sa souplesse en accueillant des idées et des nouveaux mouvements dynamiques. Il a transmis l'esprit de générations de Canadiens au Parlement. Il a permis une alternance du pouvoir ainsi qu'un renouvellement régulier dans les rangs de députés à la Chambre des communes. Il est stable et il est accepté par la grande majorité des Canadiens.

[Traduction]

    Collectivement, nos partis nationaux ont bien réussi à maintenir l'unité du pays et à nous donner de bons gouvernements stables et généralement représentatifs du peuple. Pourquoi se débarrasser d'un système efficace en faveur d'un système compliqué que peu comprennent, ou d'un système favorisant les petits intérêts régionaux et sectoriels en leur donnant l'équilibre du pouvoir ou l'opportunité de tenir le gouvernement en otage à n'importe quel tournant? Ce pays est déjà assez difficile à gouverner comme c'est là. Nos partis nationaux ont été aux carrefours des idées dans notre pays, et le système qui leur a permis de prospérer devrait être maintenu.

[Français]

    Je ne suis pas en faveur du vote obligatoire. Je pense que quelqu'un qui n'a pas étudié les questions ou qui ne se soucie pas suffisamment des enjeux ne devrait pas être forcé d'aller voter. Quel en serait le but? Forcer les gens à faire quelque chose qu'ils ne veulent pas faire n'est pas une bonne habitude à prendre dans une société libérale.

[Traduction]

    Nous savons qui ne vote pas, ce sont les plus jeunes, moins rémunérés, scolarisés et démocratisés. En 2011, dans une étude de Statistique Canada, on demandait aux gens pourquoi ils ne votaient pas. Nous pouvons discuter des solutions, mais permettez-moi de vous donner les chiffres.
    Parmi les répondants, 1,3 % avaient des motifs religieux, 3,7 % n'étaient pas sur la liste des électeurs, ce qui pourrait être corrigé, et 3,8 % avaient oublié, on peut y remédier en partie.
    En outre, 7,6 % n'aimaient pas les enjeux ou les candidats, ce qui est de votre faute, et 8,5 % étaient malades ou handicapés, ce qui pourrait être corrigé. Élections Canada a fait du bon travail.
    Dix autres pour cent étaient en déplacement, on peut y remédier, et 11,4 % avaient une raison « autre ». Certains pensaient peut-être que leur vote ne comptait pas. Onze pour cent de 40 %, c'est 4 % de la population.
    Certains étaient trop occupés, 22,9 %; d'autres pas intéressés, 28 %.
    À mon avis, c'est un vrai problème qu'on peut traiter avec de bons programmes. Beaucoup existent déjà. Il s'agit simplement de faire un meilleur travail. Toujours selon le sondage de 2011, modifier le système électoral ne modifiera pas ces attitudes.
    Troisièmement, j'appuie la recherche soutenue sur le vote en ligne et son adoption éventuelle, une fois que nous serons assurés de sa fiabilité et de sa sécurité.

[Français]

     Je veux que le système parlementaire fonctionne mieux. Comprenez-moi bien. Je veux qu'il soit plus représentatif et plus légitime. Il incombe aux parlementaires de faire en sorte que cet idéal se réalise et de travailler à l'intérieur du système électoral qui a permis d'élire un gouvernement stable et sensible aux problèmes actuels auxquels la population doit faire face.
    Les partis devraient choisir plus de femmes et de représentants des minorités comme candidats. Vous n'avez pas besoin de changer le système pour arriver à ce résultat.

[Traduction]

    Si vous voulez un Parlement plus représentatif du peuple, je vous invite à regarder le Sénat. N'oubliez pas qu'il a été créé pour compenser les distorsions électorales de la Chambre des communes. Nous avons essentiellement laissé nos gouvernements passer cette noble institution à la moulinette. Je ne désire pas un Sénat élu, ni égal. Il possède tous les attributs pour être efficace sans frustrer la volonté des députés dûment élus de la Chambre des communes. Imaginez une chambre haute représentant les segments de notre société sans voix à la Chambre des communes. Le Sénat devrait comporter des membres du Parti vert et du NPD, qui seraient reconnus comme tels.
    Je suis ravi que ce Parlement comporte un nombre record de membres de Premières Nations. Il y a beaucoup d'autres minorités représentées à la Chambre des communes, mais il y en a tellement sans représentation à Ottawa; toutefois le levier est à portée de main et on pourrait l'activer pour le prochain siège vacant. L'âge de retraite garantit le roulement. Je vous invite donc à considérer cette idée.
    Le problème, c'est la politique et non le système. Tout ce qu'il faut c'est de la bonne volonté et des politiques éclairées. Il est inutile de changer le système.
    On vous a saisi de la question de la participation. Rien ne prouve que d'autres systèmes favorisent davantage de participation, sauf deux. Le premier étant le vote obligatoire. Généralement, les juridictions l'ayant adopté se vantent d'un taux de participation bien supérieur à 80 %. Si c'est votre but, pensez au vote forcé. Le deuxième est tout à fait inédit, c'est le vote dominical, une pratique propre à l'Europe. Donnez aux gens une journée pour voter. Voter le dimanche lorsque la plupart des gens ont congé, congé des enfants, de l'école, des activités et de toutes les choses qui accaparent une famille normale en semaine. Donnez-leur une chance d'aller voter. Et, bien sûr, il faut encourager les scrutins anticipés.
     J'ai déjà déclaré publiquement que toute proposition émanant du gouvernement devrait faire l'objet d'un référendum. Je veux aborder la question des référendums. Le mois dernier, dans le « Toronto Star » deux jours après la lecture du discours du Trône, j'ai publié une étude, reprise par l'Institut Fraser, sur les précédents dans la très riche histoire des réformes électorales au Canada, qui a créé une série de précédents. Je prétends qu'il faut suivre le même principe dans toute réforme électorale proposée par ce gouvernement.
    En 1981, la Cour suprême du Canada était confrontée à un épineux problème: le gouvernement fédéral voulait apporter des changements massifs à la Constitution, mais il n'y avait pas de recette claire sur la façon de procéder. La question fut renvoyée à la Cour suprême, laquelle a confirmé l'existence de conventions constitutionnelles au Canada. Une majorité des juges ont constaté que le plan du gouvernement violait ces conventions en essayant d'agir unilatéralement. L'élément clé de la déclaration de la Cour suprême, c'est que les précédents et les conventions constitutionnelles comptaient, du fait que cela représente une certaine perception de la culture et des pratiques politiques.
    Dans le contexte du système britannique, qui fonctionne sans texte constitutionnel et se fonde uniquement sur les actions du passé, l'expert britannique sir Ivor Jennings soutient que les conventions constitutionnelles « sont la chair qui recouvre les os arides de la loi; elles font en sorte que la constitution légale fonctionne; elles la maintiennent en contact avec l'évolution des idées ». Jennings a formulé un ensemble de questions pour tester la validité des conventions constitutionnelles. Selon lui, elles devaient obéir à trois conditions fondamentales, et ces dernières sont connues comme étant le critère de Jennings. Quelles étaient ces trois questions? La première, y avait-il des précédents? La deuxième, les intervenants concernés pensaient-ils être liés par une règle? La troisième, existerait-il un motif constitutionnel pour la règle?
    La Cour suprême a appliqué le critère de Jennings et elle a déterminé l'existence d'une convention qu'Ottawa, les provinces et même le Parlement britannique avaient respectée pour modifier la Constitution par le passé. La Cour a statué que le gouvernement avait besoin d'un degré appréciable de « consentement par les provinces », et on sait ce qu'il est advenu ensuite.

  (1435)  

    Je prétends que le critère de Jennings s'applique dans cette situation. Le régime de scrutin pratiqué au Canada n'est pas enchâssé dans la Constitution. La Loi constitutionnelle précise que les députés doivent être élus, mais elle est muette sur le système applicable au choix des gagnants. De plus, elle ne comporte pas de formule d'amendement constitutionnel pour changer la façon de voter des Canadiens. Toutefois, depuis des siècles, il y a dans la culture politique canadienne, des précédents et des conventions sur la façon de mener une élection. Donc, le critère de Jennings s'applique.
    Premièrement, concernant les précédents, au cours des dernières décennies, quatre gouvernements provinciaux, l'Î.-P.-É, l'Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Colombie-Britannique se sont engagés à soumettre la question au peuple. En 2006, le gouvernement conservateur du premier ministre Lord a promis un plébiscite sur la réforme électorale qui n'eut pas lieu, car le gouvernement fut défait. Il y aura un deuxième référendum sur la réforme électorale cet automne à l'Île-du-Prince-Édouard.
    Sur la deuxième question, tous les intervenants clés pensaient être liés par une règle. En 2004, le premier ministre ontarien Dalton McGuinty a déclaré:
Nous nous adressons aux citoyens de l'Ontario. Selon nous, la question de la réforme électorale est tellement fondamentale et élémentaire que nous sollicitons le jugement du peuple ontarien sur cette question.
    Kuldip Kular, adjoint parlementaire au procureur général, a déclaré:
Le système électoral ontarien appartient aux Ontariens et non aux élus ou aux commissions nommées. Alors, nous demandons aux Ontariens de décider par eux-mêmes comment notre système politique devrait fonctionner et comment ils veulent élire les députés à Queen's Park.
    En Colombie-Britannique, la première ministre Campbell a même établi un niveau minimum d'appui pour l'acceptation du plébiscite — comme cela se fait ailleurs. L'application de la réforme requiert l'appui de 60 % des votes validement exprimés pour toute proposition et une majorité simple favorable dans au moins 60 % de toutes les circonscriptions. Beaucoup ont soutenu que le seuil était trop élevé. Voici la réplique de la première ministre Campbell:
Nous croyons qu'il s'agit là d'un changement fondamental et important justifiant le double processus d'approbation mis en place. Certains soutiennent déjà que ce taux d'approbation est trop élevé. À l'évidence, le gouvernement n'est pas d'accord. Nous croyons que c'est un changement important appelant le genre d'approbation qui confirme que la grande majorité des gens de cette province pensent que ces changements les avantageront...
    Le concept d'approbation publique super majoritaire a été adopté par toutes les autres provinces en raison de son importance. Le président de l'Assemblée législative de l'Î.-P.-É, Gregory Deighan, le dit de façon éloquente. « Il va de soi que les Prince-Édouardiens aient vraiment leur mot à dire sur le fonctionnement de ces systèmes électoraux, car ils ont un impact important sur les [...] résultats électoraux. »
    Au cours des 25 dernières années, d'autres démocraties du type Westminster se sont également adressées au peuple. L'Australie qui, pendant longtemps, avait apporté des changements importants à son système électoral sans consulter le public, a changé en 1992 quand le Territoire de la capitale de l'Australie a posé la question au peuple. Il s'agit d'un petit État d'environ 300 000 personnes. Le référendum 1992 du Territoire de la capitale de l'Australie était un scrutin consultatif tenu simultanément avec l'élection. On demandait simplement aux électeurs s'ils préféraient le système traditionnel majoritaire uninominal à un tour ou le système à vote unique transférable. Les membres et les citoyens du TCA votèrent en faveur de la proposition.
    En Nouvelle-Zélande, le peuple a été consulté trois fois, soit en 1992, en 1993 et en 2011. Chaque fois, le premier ministre a déclaré, et je cite le premier ministre de 2008, John Key, « Finalement, nous allons écouter l'opinion des Néo-Zélandais sur leur système de scrutin. » Le changement a été adopté en Nouvelle-Zélande.
    À la suite de l'élection générale de 2010 au Royaume-Uni, le parti conservateur dirigé par David Cameron et le parti libéral-démocrate dirigé par Nick Clegg ont convenu d'un gouvernement de coalition qui engageait le gouvernement à tenir un référendum. Le premier ministre Cameron a souligné la nécessité d'un mandat public clair. En janvier 2011, le premier ministre a dit qu'un référendum s'imposait afin de « permettre au peuple de décider de la réforme électorale et qu'un référendum était une étape démocratique ».
    Un mois plus tard, le premier ministre déclarait, « Bien au-delà de nos convictions sur le fonctionnement du système de scrutin, nous partageons une conviction de loin supérieure — la conviction de la démocratie et de l'expression de la voix du peuple. »
    À l'évidence, les autres régimes britanniques ont aussi envisagé des changements électoraux. Ce qui est remarquable, c'est qu'au cours des derniers 25 ans, les gouvernements se sont sentis obligés de permettre aux électeurs de s'exprimer. Conséquemment, la pratique canadienne au plan provincial était donc cohérente avec celle des autres systèmes fonctionnant selon les principes du Royaume-Uni, comme le mentionne notre Constitution.

  (1440)  

    Le critère de Jennings sur la validité de la règle conventionnelle peut donc s'appliquer à la nécessité de solliciter l'aval populaire sur la réforme électorale. À la question de Jennings sur les précédents, le dossier est clair. À la question de savoir si les leaders comprenaient qu'ils étaient soumis à une règle, le dossier est également clair.

[Français]

     Les gouvernements se sont sentis contraints par l'idée qu'aucune modification du système électoral ne pourrait être mise en oeuvre sans le consentement explicite de la majorité, parfois une « surmajorité », de l'électorat. Les gouvernements nationaux du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande l'ont fait. Les gouvernements de grandes provinces canadiennes comme l'Ontario et la Colombie-Britannique l'ont fait, tout comme de plus petites provinces comme le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard.
    Les gouvernements dominés par des progressistes-conservateurs ont ressenti le besoin de consulter l'électorat, comme l'ont fait les gouvernements libéraux et travaillistes. Les référendums ont été utilisés par les gouvernements en situation minoritaire ou en coalition, ainsi que par des gouvernements dans des positions totalement dominantes. L'instrument du référendum a été tout simplement l'instrument conventionnel pour consulter les électeurs sur les changements dans la façon dont les représentants sont élus.
    Me reste-t-il encore cinq minutes, monsieur le président?
    Il vous reste moins de quatre minutes.
    J'en arrive à mon dernier point.
    La façon dont nous votons façonne notre culture politique. Le Canada n'est pas parfait et sa démocratie a ses défauts. Cependant, nous devons aussi reconnaître que le système a fonctionné et que l'électorat qui l'a sanctionné pendant des générations doit être consulté. Le gouvernement du Canada ne peut tout simplement pas supposer qu'il peut unilatéralement changer la façon dont nous votons. Il n'a aucune prétention exclusive au processus électoral et il doit respecter les conventions.

[Traduction]

    L'urgence et la moralité de la réforme électorale sont d'autant plus pressantes, car elle a déjà été rejetée quatre fois par les Canadiens lors de plébiscites. Et, on ne peut pas tout simplement ignorer les opinions passées des électeurs. À l'instar d'autres juridictions, le gouvernement fédéral doit mener des consultations rigoureuses et exhaustives qui ne relèvent pas simplement des défenseurs auto-proclamés de la réforme. En plus, le processus doit comprendre un référendum, peu importe le coût ou le retard imposé aux décisions. Le gouvernement doit en respecter le résultat, quel qu'il soit. Sans s'adresser au peuple, il ne peut prétendre légitimement apporter des changements au précieux processus électoral, qui est la quintessence de notre civilisation démocratique. Notre façon de voter n'est pas un simple détail, c'est quelque chose de structural.
    Maintenant, je vais mettre mon chapeau d'historien politique et vous expliquer plus en détail comment cela a affecté notre culture politique. Il y un danger à vouloir apporter des changements aux structures qui corrigent les faiblesses de nos partis politiques. Le premier ministre a déclaré que le système majoritaire uninominal à un tour génère des disparités entre les votes et le nombre de sièges obtenus. Depuis 1960, 10 élections nous ont donné un gouvernement majoritaire, mais une seule élection, en 1984, où le parti gagnant avait plus de 50 % du vote. À l'évidence, ils avaient lu le livre de M. Russell. Qu'y a-t-il de mal à cela, je vous le demande? Les Canadiens sont très à l'aise avec ce système. Où est le mal à donner à un groupe de parlementaires le droit de gouverner, tout en sachant que la plupart des gens ont voté contre eux?
    Voilà où j'en viens à la question de la culture politique. L'effet net c'est la modestie. Les gouvernements savent que dans quelques mois ou quelques années ils seront chassés du pouvoir. Cela aiguise l'esprit. Cela exige de consulter. Cela se traduit par des changements graduels, mais ce sont de changements. Cela veut dire attendre qu'un consensus se dégage chez la population. C'est la culture politique à l'oeuvre.
    D'autre part, cela crée, bien sûr, une vraie compétition entre les partis afin d'améliorer leurs résultats. Il suffit de voir les progrès réalisés au pays depuis 1960 avec des gouvernements recueillant moins de 50 % du vote. Le monde entier nous envie. Les gens risquent leur vie pour vivre dans un système où le parti au pouvoir est minoritaire. Ce n'est pas accidentel. Les parlementaires l'ignorent à leurs risques et périls. Les Canadiens privilégient une culture politique permettant le transfert clair du pouvoir d'un parti à un autre. Nous aimons le roulement. Je sais que c'est pénible pour vous, mais nous voulons bouter les « profiteurs » dehors lorsqu'ils cessent d'écouter. Les Canadiens privilégient ce système.
    Lors du dévoilement des résultats électoraux, voit-on des émeutes dans les rues? Non, car le système a fonctionné. C'est un représentant de la circonscription qui a été élu et non un représentant d'une formation politique. Notre culture politique vous impose de servir vos commettants. Il y a des règles régissant votre bureau de circonscription. Vous ne pouvez pas afficher vos couleurs. Je sais que certains d'entre vous le font, mais vous n'êtes pas censé le faire. Vous le faites à vos propres risques. Notre culture politique n'est pas sévère. On ne s'attend pas que les partis respectent tous les engagements, seulement les plus importants.
    En conclusion, monsieur le président, mon conseil est en quatre volets.
    N'oubliez pas que le but principal des élections est de permettre au Parlement de former un gouvernement efficace et productif.

  (1445)  

[Français]

    Deuxièmement, examinez de près l'idée de retenir un dimanche ou un jour férié pour le scrutin.
    Troisièmement, tirez avantage de votre situation pour demander aux Canadiens s'ils pensent que le vote devrait être obligatoire.

[Traduction]

    Finalement, faites campagne en faveur d’une plus grande représentativité du Sénat, dès maintenant.

[Français]

    Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous adresser la parole.
    Je vous remercie tous deux de nous avoir livré des présentations passionnées et d'avoir fait valoir vos points de vue respectifs. Je pense que nous nous engageons dans une discussion vive et stimulante. C'est d'ailleurs ce que nous recherchons.
    Nous allons suivre la façon de faire qui semble s'être établie au sein du Comité, c'est-à-dire deux tours de table au cours desquels chaque député dispose d'une période de cinq minutes pour poser des questions et obtenir des réponses.
    Nous commençons par M. Aldag.

[Traduction]

    Très bien, je vous remercie.
    Je vais commencer en faisant remarquer que plusieurs d’entre nous suivent les réactions sur Twitter. Parmi les premiers messages diffusés, je veux simplement vous rapporter que Jennifer Ross remercie M. Russell d’avoir versé son mémoire sur le site Web pour permettre de mieux suivre nos échanges. C’est tout ce que je voulais communiquer, merci. J’ai également apprécié le ton léger que vous avez adopté pour présenter un contenu excellent. Je vous en remercie vraiment.
    Je vais adresser la première question à M. Dutil. Vous avez fait connaître très clairement vos commentaires et vos réflexions sur les référendums et je vous en sais gré. Dans une lettre d’opinion publiée dans le Toronto Star le 9 décembre — le résultat d’une recherche Google lancée à partir de votre nom —, vous parlez de cette idée d’une réforme électorale. Vous y faites mention du fait que notre gouvernement doit mener de véritables consultations, des consultations rigoureuses et exhaustives qui ne sont pas simplement commandées par des partisans auto-proclamés d’une réforme.
    Notre gouvernement ne s’est pas encore déclaré pour ou contre un référendum. Nous en sommes à l’étape de la cueillette d’informations pour le moment. Nous examinons les avantages et les désavantages d’une réforme. J’aimerais connaître vos pensées sur ce à quoi ressembleraient ces autres « véritables consultations » de votre point de vue. Que devons-nous faire d’autre pour nous assurer de réunir un éventail de points de vue et une vraie contribution des Canadiens sur cet enjeu très important?

  (1450)  

    Je vous remercie de me poser la question. J’ai écrit ce billet en décembre. Je pense que ce qui s’est passé, ce qui est arrivé est très bien. J’aime la composition de ce comité. Je pense que vous avez défini des objectifs très élevés. Vous avez un budget suffisant pour accomplir la tâche. Mon seul souci, c’est que le genre de personnes qui assistent à ces réunions sont probablement convaincues de la nécessité d’une réforme électorale. Les gens qui ne pensent pas que ce soit nécessaire ne vont probablement pas se donner la peine de défendre ce qu’ils considèrent comme évident. Voilà ce que je dis.
    Vous devez faire un effort. Ce n’est pas facile, et je suis conscient de tous les efforts que vous y mettez. Vous devez cependant aller vers autant de voix que possible et ne pas vous limiter aux personnes qui sont favorables à une réforme électorale. Ne mâchons pas les mots. Les personnes qui sont en faveur d’une réforme électorale de grande envergure, de la représentation proportionnelle ou d’autres régimes électoraux le réclament depuis une génération maintenant, depuis 25 ans. Les personnes qui veulent appuyer le régime actuel forment la majorité silencieuse — appelez-les comme vous voulez —, les personnes qui pensent que le régime fonctionne en fait pas mal bien et n’a pas vraiment besoin de gros changements.
    Je pense que si vous proposez des idées réalistes, des idées qui sont réalisables, qui sont vraisemblables, qui peuvent être mises à exécution, vous pourriez bien accoucher de quelque chose de vraiment bien. La question du vote obligatoire est un exemple. Profitez de l’occasion pour demander aux gens s’ils pensent que c’est une bonne idée. Je vous ai dit que je ne suis pas en faveur de cela. Je ne crois pas qu’il soit compatible avec nos valeurs, mais peut-être que les Canadiens y sont favorables. Il y a une bonne raison, en passant, pour que soyez intéressés à étudier la question. Selon l’expérience des démocraties occidentales, le vote obligatoire augmente le taux de participation de 8 % à 10 %.
    Si on recule jusqu’en 1867, le taux moyen de participation au Canada s’établit à 70 % environ. C’est pas mal. C’est pas extraordinaire, mais c’est pas mal. Si vous ajoutez l’obligation de voter, vous pouvez hausser ce pourcentage de 8 % à 10 %, ce qui vous amène à 80 %. Ensuite, si le scrutin se déroule le dimanche, des études révèlent que le choix de cette journée entraîne 6 % à 7 % de plus. On assiste à ce résultat surtout le dimanche, mais ça marche aussi le samedi. La troisième journée la plus populaire, c’est le lundi. Quand allons-nous aux urnes? Nous y allons le mardi, le mercredi ou le jeudi. Essayez le scrutin le dimanche. Demandez aux gens; c’est ce que je veux dire. Demandez aux gens si ça les dérangerait d’aller voter le dimanche. Cette suggestion était accueillie avec beaucoup d’hostilité auparavant. Je crois que les temps ont changé. Je répète: en combinant le vote obligatoire et le scrutin le dimanche, vous pourriez ajouter 10 % à 15 % au taux de participation. Qui sait? Les gens ont chacun leur raison pour aller voter et il y a toutes sortes de variantes sur ce thème.
    De toute façon, je crois que de bonnes idées réalistes peuvent vraiment amener ce comité à proposer quelque chose qui soit tangible et applicable rapidement.
    Je vais m’arrêter là. Merci
    Je vous remercie.
    C’est à vous, monsieur Reid.
    Je remercie nos deux témoins.
    J’ai lu avec grand intérêt l’étude de M. Dutil, intitulée The Imperative of a Referendum, et, il y a quelques années, j’ai lu avec grand intérêt le livre de M. Russell, intitulé Two Cheers for Minority Government. En fait, monsieur Russell, vous êtes venu parler de ce livre à un comité auquel je siégeais il y a quelques années. Je suis certain que vous ne vous souvenez pas de moi, mais votre exposé a grandement frappé les esprits, et c’est pourquoi je me rappelle de vous.
    Je veux commencer en m’adressant à M. Dutil, pour qui j’ai deux questions. La première est celle-ci: aujourd’hui, dans votre exposé, vous avez déclaré ceci: « Le gouvernement doit […] respecter le résultat [du référendum], quel qu’il soit. » Ce sont vos mots exacts. Je veux m’assurer que, par cette affirmation, vous ne voulez pas dire qu’en cas de référendum où la proposition est rejetée, la discussion prendra fin, ou a contrario, dans le cas où le nouveau mode de scrutin est adopté, approuvé par le peuple, toute possibilité de réformes ultérieures sera éliminée. En d’autres mots, je suppose que vous ne dites pas que le résultat du deuxième référendum en Colombie-Britannique, que le projet d’un deuxième référendum à l’Île-du-Prince-Édouard ou que le référendum de 2011 en Nouvelle-Zélande, lesquels sont tous des versions différentes d’une revisite de la même question, sont illégitimes.

  (1455)  

    Je pourrais ajouter beaucoup de subdivisions à ce que j’ai écrit. Je supposerais que la question sera claire. Je favoriserais une supermajorité sur ces questions, pour être tout à fait franc, comme l’ont fait les gouvernements provinciaux au Canada et comme l’ont fait l’Australie et la Nouvelle-Zélande, parce que ces questions sont très importantes. Une majorité simple ne saurait me convaincre.
    Je pense que si vous respectez toutes ces conditions, si le scrutin est juste, oui, je pense que les gouvernements doivent accepter la décision populaire. Est-ce que j’ai bien compris votre question?
    Oui, respecter la décision de mettre en place un nouveau mode de scrutin, ou non. Je dis seulement que de reposer la question à une date ultérieure n’est pas quelque chose que vous écartez d’office comme option, ou j’ai mal compris?
    Non, je ne voudrais pas que l’on prenne l’habitude de demander au peuple tous les deux ou trois ans s’il aime le mode de scrutin. Non, je pense qu’une fois par génération, peut-être toutes les deux générations, ou peut-être une fois par siècle, ça pourrait être une bonne idée. Qui sait à quoi va ressembler notre démocratie à l’ère du vote électronique dans 15 ou 20 ans? Je ne peux vraiment pas prédire l’avenir. J’aimerais pouvoir le faire.
    Permettez-moi de vous poser une question différente au sujet du test de Jennings. J’ai moi-même acquis mon savoir sur les conventions de la Constitution grâce aux écrits d’Albert Venn Dicey, qui a vécu une ou deux générations avant sir Ivor Jennings, et je n’ai pas lu Jennings, donc laissez-moi simplement vous poser une question. Jennings élabore trois règles dont l’une veut que les acteurs, dans les précédents, se soient crus liés par une règle. On semble supposer que les conventions évoluent et qu’on ne peut y porter atteinte, donc je dois me poser la question suivante.
    Actuellement, on fait face à un premier ministre qui affirme refuser une convention à laquelle d’autres acteurs provinciaux au Canada et des acteurs du Commonwealth ont agréé. Il affirme que peu importe ce à quoi ils croyaient être liés, lui n'est pas tenu d’aller devant le peuple. Il aurait reçu son mandat lors des élections de 2015. Il va aller de l’avant sans procéder à un référendum. Il critique ensuite les référendums à plus d’un titre, mais permettez-moi de m’interroger. Comment tout cela fonctionne quand vous avez un acteur qui adopte cette position à l’égard de ce qui semble être une convention établie?
    J’ai évoqué le test de Jennings parce que, encore une fois, il a été expressément appliqué par la Cour suprême en 1981. Je ne viens pas de le sortir de mon chapeau. La Cour suprême a appliqué le test de Jennings et je crois que ce test s’applique encore une fois à la situation, puisqu’on essaie de changer un élément fondamental de notre Constitution. C’est un élément non écrit, mais nous votons selon le modèle du scrutin uninominal majoritaire à un tour depuis 1792. Ce fait a préséance sur tout. Le premier scrutin au Bas-Canada a eu lieu en 1792. Nous utilisons ce mode de scrutin depuis lors.
    Vous touchez à un pilier de notre système et nous n’avons aucune formule d’amendement pour les piliers de notre système. Dans une telle situation, vous devez déterminer s’il s’agit bien d’une convention. Le test de Jennings vous offre un moyen d’établir s'il s’agit d’une convention. Je crois qu’elle répond au test, mais ce n’est pas moi qui vais décider. Je soupçonne que ce qui devrait se passer, c’est que soit le Comité, soit le gouvernement soumette la question à la Cour suprême et laisse cette dernière en juger: est-ce que le test de Jennings s’applique dans le cas présent? Nous devrons tous vivre avec les conséquences de cette décision.

[Français]

     Merci.
    C'est maintenant le tour de M. Cullen.

[Traduction]

    Je vous remercie, monsieur le président.
    Monsieur Dutil, affirmez-vous que les gouvernements minoritaires ne sont pas efficaces?
    Oh, non! Je n’oserais jamais dire ça.
    Mais vous avez fait planer la menace des quatre cavaliers de l’Apocalypse, si nous nous retrouvions en situation minoritaire à la suite d’une quelconque représentation proportionnelle. Vous avez parlé de personnes prêtes à mourir pour obtenir le droit d’avoir des parlements minoritaires et…
    Les fausses majorités.
    ... oui, les fausses majorités, comme l’a dit M. Russell… Pourtant, un parlement minoritaire est le résultat probable d’un système de type proportionnel, n’est-ce pas?

  (1500)  

    Oui. Je n’aime tout simplement pas les systèmes proportionnels. Je crains que les systèmes proportionnels ne mettent l’accent…
    Je vous en prie, accordez-moi ceci. Si le Comité devait adopter une recommandation favorable à un mode de représentation proportionnelle au Canada, un des résultats… parce que j’apprécie cet échange, où il est question des résultats pour les électeurs, quant aux politiques qui peuvent naître du Parlement… Vous aimez notre comité.
    J’aime beaucoup ce comité.
    Ce qu’il y a d’intéressant à propos de ce comité, c’est que sa composition reflète les voix des Canadiens au dernier scrutin, essentiellement. La représentation que vous constatez ici est le résultat du vote des Canadiens lors de la dernière élection.
    Pourquoi ne voudrait-on pas que cela prenne forme au Parlement en général, voilà une question intéressante. Les gouvernements minoritaires ont été beaucoup plus productifs, relativement à ce que les Canadiens veulent et aiment. Laissez-moi vous énumérer rapidement des éléments que vous connaissez certainement: le régime de retraite universel, l’assurance-emploi, le drapeau national, la Loi fédérale sur la responsabilité, le financement de l’enseignement postsecondaire, le bilinguisme, l’assurance-maladie. Voilà des choses que je crois que les Canadiens aiment beaucoup et qui sont toutes le résultat de mesures prises par un gouvernement minoritaire, lequel, encore une fois, est un résultat beaucoup plus probable dans un mode de scrutin dit proportionnel.
    Pourquoi cette opposition à un processus électoral qui donnerait souvent des gouvernements qui, dans l’histoire canadienne, ont produit de meilleurs résultats pour les Canadiens?
    La réponse est simple. Ces gouvernements minoritaires étaient composés de députés de partis nationaux et non de petits partis sectoriels, des partis régionaux qui réussissent d’une manière ou d’une autre à former une coalition et où chacun prend sa part du gâteau en fonction de ce qu’il veut retirer de l’action gouvernementale. Nous sommes en présence, dans ces gouvernements minoritaires…
    Attendez un peu! Vous permettez?
    Lors de la dernière élection britannique, un parti régional, le SNP, a gagné quasiment tous les sièges en Écosse. Nous avons vécu cette expérience ici, lorsque Bloc québécois a formé l’opposition officielle. Ça s’est produit à la suite d’un scrutin uninominal majoritaire. Nous admettons tous, je crois, ainsi que tous nos témoins qu’il n’existe pas de système parfait. Tout dépend de vos priorités et de ce à quoi vous attribuez le plus de valeur.
    Nous pensons que les systèmes qui reflètent la volonté des votants, comme ce comité le pense de la dernière élection, sont intrinsèquement axés vers une plus grande collaboration. D’autres distingués témoins venant de pays qui ont adopté ces systèmes nous ont déclaré que le régionalisme dont vous parlez est en fait le résultat contraire de systèmes à représentation plus proportionnelle.
    Je vais me tourner quelques instants vers M. Russell. Plus tôt, on a laissé entendre que tout ce qu’il faut, c’est de la bonne volonté et une politique éclairée. Nous recherchons cela en tout temps. L’efficacité de relier les électeurs sur le plan géographique, de sorte qu’il y ait une représentation locale, de sorte que l’électorat sache qui sont leurs représentants, de concert avec ce qu’on appelle l’intégrité du mode de scrutin…
    Vous avez parlé de rendre le Parlement plus pertinent dans la vie des gens, de lui donner une plus grande résonance grâce aux systèmes de représentation proportionnelle que vous préconisez. Pouvez-vous élaborer?
    Oui, j’ai beaucoup réfléchi à ce sujet. Au début de ma courte odyssée personnelle, j’étais plutôt entiché de la représentation proportionnelle mixte — je pense que le Comité commence à comprendre tous ces termes techniques — où vous avez des listes en complément des députés élus selon le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour. Au fil de mes lectures et à mesure que j’étudiais d’autres pays, je me suis intéressé de plus en plus au modèle des circonscriptions plurinominales, le vote unique transférable. Je remarque que quelques-uns des chercheurs canadiens en science politique les plus créatifs — vous allez les entendre — suggèrent d’autres modes de scrutin à vote unique transférable dans lesquels les districts ou circonscriptions les plus vastes sont représentés par autant que cinq députés, mais vous maintenez ce lien géographique.
    Vous n’avez pas encore entendu Jean-Pierre Kingsley…
    M. Nathan Cullen: Nous l’avons entendu.
    M. Peter Russell: Je ne suis pas à jour sur ce que vous avez entendu.
    Il combine ce qui s’articule autour d’une idée très intéressante: avoir des circonscriptions uninominales dans les régions rurales du Canada et des circonscriptions plurinominales dans les villes.
    Encore une fois, revenons au second volet de ma question, qui était…
    Votre temps est écoulé, malheureusement.
    Je poserai la question la prochaine fois que j'aurai le micro.
    Absolument.
    Monsieur Thériault.

[Français]

     Bonjour, messieurs.
    Je vais profiter du caractère contradictoire de vos vues respectives pour vous poser deux petites questions.
    Comment expliquez-vous l'émergence du cynisme des électeurs à l'égard du politique?
    Que pensez-vous de la loi non écrite dans aucun Parlement de la ligne de parti?

  (1505)  

[Traduction]

    Je crains de ne pas avoir entendu la question.

[Français]

    Comment expliquez-vous l'émergence du cynisme au sein de la population à l'égard du politique?
    Que pensez-vous de la règle non écrite de la ligne de parti?

[Traduction]

    Il y en a beaucoup, mais je n’ai pas de données sur le sujet. D’après moi, les citoyens canadiens font preuve de moins de cynisme, sont moins cyniques envers la démocratie que dans la plupart des autres pays. Je ne suis pas témoin d’un cynisme excessif dans la population, l’êtes-vous, monsieur? Pensez-vous que beaucoup de personnes sont cyniques? Peut-être que je fréquente un groupe de personnes très optimistes.

[Français]

    On n'a pas de données sur le cynisme. Il faut s'en rendre compte.
    Comme je suis historien de formation, j'ai tendance à mettre les choses en perspective dans le temps.
    À la lecture de ce que les politiciens ont vécu auparavant, je n'ai pas l'impression qu'on est plus cynique aujourd'hui qu'on l'était avant. Il y a eu des époques où les premiers ministres étaient défaits dans leur propre comté. Cela fait longtemps que ce n'est pas arrivé au Canada. Cela arrive parfois dans les provinces, notamment au Québec.
    Je n'ai pas vraiment l'impression qu'un cynisme particulier s'est installé dans le système. Je reconnais que, dans les années 1980, il y a eu une diminution du taux de participation des Canadiens, mais je vous rappelle que cette tendance a été constatée dans tout le monde occidental. Les statistiques sont très claires là-dessus. Que ce soit la France, l'Angleterre, le Canada, la Belgique ou les États-Unis, tous ont connu une diminution du taux de participation depuis le début des années 1980, mais ce taux commence à remonter.
    Comme le professeur Russell l'a dit, on est peut-être en train de remonter la pente. Il y a moins de cynisme qu'auparavant. Il reste que c'est une impression.
    Contrairement à ce que certaines personnes tentent d'avancer, il n'y a pas de lien causal entre le mode de scrutin, c'est-à-dire la mécanique, et le fait de contrer une hausse du cynisme. Il y a des gens qui prétendent que changer le mode de scrutin aura nécessairement un effet sur le cynisme de la population et sur la confiance de celle-ci dans le système politique.
    Vous proposez deux modes de scrutin ou systèmes politiques. Que pensez-vous de la ligne de parti?

[Traduction]

    Une partie de mon exposé a porté sur les dangers de gouvernements minoritaires, des gouvernements sans parti majoritaire, où une discipline de parti très stricte entre en jeu, parce que chaque vote met en jeu la survie du gouvernement, ça passe ou ça casse. Je suggère que nous ayons un système où les habitants du Canada seront représentés avec plus de justesse; je pense que ça dissiperait le cynisme, parce que nous n’aurions pas de crises, un vote de confiance après l’autre. Les partis seraient moins tentés d’en faire la proposition. Le chef du parti ministériel aurait plus tendance à permettre le vote libre sur plus d’enjeux, et je pense que le vote de censure constructif, qui entre en jeu dans certaines démocraties parlementaires européennes, vaut vraiment la peine d’être envisagé pour produire un parlement qui ne passe pas d’une crise à l’autre. Vous ne voulez pas ça. Vous ne le voulez pas.
    Des études comparatives nous ont appris — et j’espère que vous échangez avec des chercheurs en science politique qui connaissent ces autres pays — que les pays qui ont la représentation proportionnelle ne sont pas perpétuellement en crise.

  (1510)  

    Nous allons passer à Mme May.
    Je dois dire que c’est un honneur immense que de siéger à titre de députée à cette table et de poser des questions à un de mes héros du monde universitaire et de la science politique, M. Russell. C’est exceptionnel et je vous suis reconnaissante d’être ici en personne et de répondre à nos questions.
    Je pense également que c’est magnifique d’avoir quelqu’un, soit dit sans offense, qui est une sorte d’éminence grise dans le domaine et il n’y a rien de « gris » chez vous. Vous nous avez fait rire, vous nous avez divertis, mais vous avez été très clair sur ce que vous pensez.
    Dans votre mémoire, vous avez abordé un point que vous n’avez pas mentionné dans la discussion, et ça m’intrigue. Pour vous dire, j’imagine que ce que vous appelez une « fausse majorité » comporte un risque additionnel puisque, comme vous le soulignez dans votre mémoire, le Canada est « la démocratie parlementaire la plus centralisée au monde », et quand vous continuez en disant que « dans un Parlement minoritaire, il est probable que ses dirigeants soient moins en mesure de s’ingérer dans les activités parlementaires » — je soupçonne que vous pensez au pouvoir exécutif du Cabinet du premier ministre.
    Je me demande si vous voulez faire des commentaires sur l’utilité de limiter les abus de pouvoir.
    Nous avons instauré, en fait depuis l’époque de Pierre Trudeau — et c’est lui qui a vraiment enclenché le processus —, un Cabinet du premier ministre de très grande taille et très puissant.
    La plupart des Canadiens ne savent pas qu’il est beaucoup plus gros et plus puissant que celui de Londres, au Royaume-Uni, ou de Canberra, ou encore de Wellington et autres démocraties britanniques. Je crois que c'est devenu l'évidence dont personne ne veut parler au sein de notre démocratie: des personnes non élues, dont le but ultime est d’assurer la réélection du gouvernement en place, ont une si grande influence sur la politique, et commencent même à s'ingérer dans les affaires de l’exécutif et le régime parlementaire, dictant aux ministres ce qu’ils peuvent dire et quand ils peuvent prendre la parole, « aidant », voilà un joli choix de mot, les députés à fournir les bonnes réponses à la période des questions.
    Une étude internationale de la centralisation du pouvoir dans les démocraties parlementaires réalisée il y a 10 ans — que je cite dans mon livre et qui a été effectuée avec grand soin — a constaté que le Canada était de loin la démocratie parlementaire la plus centralisée. Je dois ajouter que cette étude a été menée avant 2006. Je précise ce fait parce que certains affirment que ce n’était là qu’une caractéristique du mode de gouvernance de M. Harper. Ce n’est pas le cas, car le phénomène est apparu sous les libéraux et s’est poursuivi sous les conservateurs et s’est intensifié.
    Je dis à mon collègue et ami Patrice Dutil que les Canadiens ne descendent pas dans la rue pour scander « Bon sang! Faisons tomber… Lançons des pierres. Des personnes non élues disent quoi faire à nos ministres et à nos députés. » Nous sommes un peuple tranquille. Nous tolérons des situations atroces.
    Je vous donne un seul exemple. Ça m’a presque fait pleurer. Le livre, intitulé Tragedy in the Commons, réunit des entrevues de députés de tous les partis dans lesquelles ils racontent leur expérience au cours de 10 années, pas vraiment les 10 dernières années, mais 10 années depuis le début du siècle. Ces années furent un vrai cauchemar.
    Je dis à Patrice Dutil que, bien sûr, nous pouvons nous en accommoder. Nous pouvons être tout de même un grand pays et nous sommes un pays formidable, mais je pense simplement que, sur le plan de la démocratie, on peut faire mieux. On peut faire beaucoup mieux et on devrait essayer de faire mieux.
    Je vous remercie, monsieur Russell.
    Je veux aussi vous demander ceci: vous n’avez pas abordé cette question et je ne vous ai pas posé la question parce que je pense qu’on ne devrait pas perdre notre temps à en parler en long et en large. Cependant, étant donné que la question d’un référendum revient sans cesse sur le tapis, je me demande si vous avez une opinion sur l’existence d’une prescription constitutionnelle nous obligeant à en organiser un.
    J’ai beaucoup écrit sur les conventions de la Constitution et j’ai consacré de nombreuses années de ma vie à les étudier. J’aime bien le test de Jennings, mais comme ce dernier serait le premier à l’admettre, les conventions sont en fait déterminées par le processus politique. Si un premier ministre déclare qu’il ne fera plus telle chose dorénavant, contrairement à une règle de droit dans la loi ou dans la Constitution elle-même, ça signe la mort de la convention en question. Autrement dit, le sort des conventions est décidé dans l’arène politique.
    Personnellement, je crois que sur cette question d’un référendum, si le Comité édicte une recommandation favorable — je pense qu’elle doit reposer sur un large consensus —, la réponse est affirmative. Ce n’est pas pour un quelconque motif subtil d’ordre constitutionnel, mais je prédis que si vous ne le faites pas, le problème ne se résumera pas aux mérites de votre recommandation; le problème sera celui soulevé par Patrice, soit que vous ne procédez pas de manière assez démocratique.

  (1515)  

    Merci.
    Nous passons à Mme Romanado.

[Français]

    Professeurs Dutil et Russell, je vous remercie beaucoup de votre participation à la séance d'aujourd'hui et de vos témoignages très intéressants.

[Traduction]

J’aime toujours avoir des discussions franches et directes.
    J’adresse ma question à M. Russell.
    Avec votre suggestion d’une représentation proportionnelle, est-ce que vous laissez entendre que des gouvernements minoritaires seraient formés ou est-ce que le résultat attendu serait la création d’un précédent par l’élection d’un gouvernement de coalition?
    Je pense que la coalition est devenue un stigmate. On l’a qualifiée de « mal » en 2008 chez les dirigeants du Parti conservateur. J’ai trouvé cela très trompeur. J’ai déjà dit que je préférais un gouvernement minoritaire à une coalition, mais ce n’est pas un mal pour autant.
    Ce dont on peut être certain, même si on a beaucoup critiqué le projet de coalition du Parti libéral et du NPD, c’est qu’il n’existait aucune convention voulant que la formation d’une coalition doive être annoncée avant la tenue d’un scrutin. Cet argument a été apporté par certains dirigeants du Parti conservateur: si vous allez former une coalition, vous devez en informer le peuple au préalable pour être en droit d’en former une par la suite. Je ne connais pas un seul pays qui suive une telle règle. Le Canada ne l’a certainement jamais établie. Vous êtes libres de former une coalition, même si vous ne l’avez pas annoncé avant la tenue du scrutin.
    J’aime la dynamique parlementaire d’un gouvernement minoritaire un peu plus que celle d’une coalition. La Nouvelle-Zélande offre une combinaison intéressante des deux. Habituellement, le gouvernement forme une coalition minoritaire dont le Parti vert ne fait pas partie. Étant donné que le gouvernement de coalition est minoritaire, il y a beaucoup d’interactions entre le Parti vert et les autres partis. Il existe maintenant un Parti maori, mis à part les sièges réservés aux Maoris. Il y a beaucoup d’interactions même entre les partis qui forment la coalition.
    J’aime assister aux concessions mutuelles au sein d’un Parlement de sorte que le résultat des débats parlementaires n’est jamais réglé d’avance. Tout le monde sait que même si on en parle toute la nuit, la politique sera celle annoncée. Je pense qu’un vrai Parlement est une assemblée délibérante qui va vraiment être à la hauteur des attentes.
    Je me souviens de ce que j’appelle l’exemple classique, soit le premier gouvernement minoritaire formé par Harper. Dans le dossier de la politique étrangère, nous étions divisés sur la question de l’Afghanistan. Nous avons assisté à un formidable débat parlementaire. Il a créé une scission chez les libéraux, mais il a produit une politique conservatrice modérée. Ensuite, je pense que c’est dans le budget que le NPD a négocié des changements à la politique en matière de protection de l’enfance avec le gouvernement conservateur et a obtenu, du moins pour quelque temps, une meilleure politique à cet égard. C’était donnant, donnant à la Chambre. J’aime assister à ce comportement à la Chambre des communes.

  (1520)  

    Un secteur qui m’est particulièrement cher en raison de mon parcours personnel, c’est la mobilisation des jeunes. Nous avons assisté à une hausse du taux de participation des jeunes lors du dernier scrutin fédéral. J’aimerais connaître vos propositions pour conserver cette mobilisation tant sur le plan de la participation électorale que pour motiver la prochaine génération intéressée à prendre part à la vie politique et dont je crains que nous ne nous préoccupions pas assez. J’aimerais avoir vos idées sur la manière non seulement d’augmenter la participation des jeunes aux élections, mais également d’animer leur volonté ou d’accroître leur intérêt pour la politique active.
    C’est un point très important. Nous en apprenons de plus en plus sur les jeunes en politique. Nous sommes au courant de la mauvaise nouvelle qui veut que la plus jeune cohorte, soit les 18 à 25 ans, affiche la plus faible participation.
    Cependant, des collègues très ingénieux, soit Paul Howe à l’Université du Nouveau-Brunswick et Henry Milner à l’Université de Montréal, ont examiné le phénomène à l’échelle mondiale, et en particulier en Europe de l’Ouest. Probablement, je suppose que ce qu’ils proposent, c’est d’améliorer le mode d’enseignement de la politique dans les écoles. Si vous lisez leurs livres, vous vous rendrez compte que ce n’est pas seulement une question d’enseignement, mais aussi de méthode d’enseignement. Les cours doivent être interactifs et pas seulement magistraux. Il faut faire preuve d’une grande créativité et offrir une forte interactivité, en simulant par exemple le processus parlementaire.
     Ce type d’activité n’est pas assez fréquent au Canada. On n’insiste pas assez sur ça. Le Forum des enseignantes et des enseignants, que certains d’entre vous connaissent, fait partie de ce mouvement. Tous les mois de novembre, 110 enseignants et enseignantes du secondaire sont envoyés ici. J’ai aidé à réunir l’argent nécessaire à cette fin. C’est une initiative magnifique, mais nous devons vraiment aider les enseignants. J’ai découvert avec horreur que l’Ontario, ma province, est la seule qui dispense un cours obligatoire d’éducation civique dans les écoles secondaires.
    Je vous remercie beaucoup.
    Nous allons maintenant passer à M. Kenney.
    Ce n’est pas une bonne nouvelle.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je vous remercie, monsieur Russell et monsieur Dutil, pour vos fascinants témoignages aujourd’hui et, monsieur Russell, pour votre travail d’une vie sur ces questions notamment.
    Je me permets une ou deux observations auxquelles sentez-vous libre de réagir, monsieur Russell. Vous avez parlé de la coalition NPD-Parti libéral de 2008. Je suggère que l’une des raisons pour lesquelles 70 % à 80 % de l’opinion publique a rejeté cette proposition a été dictée, d’une part, par le silence gardé sur cette option avant le scrutin et, d’autre part, par la participation du Bloc québécois à cette coalition. Rappelez-vous M. Duceppe en train d’apposer sa signature sur cet accord. Comme vous avez suggéré que la légitimité démocratique du processus exige l’organisation d’un référendum, je vous soumets que les partis qui vont possiblement former une coalition doivent au moins en reconnaître la possibilité, étant donné l’absence de coalitions officielles au cours de notre histoire.
    Plus particulièrement, sur un autre élément d’information, je comprends qu’Israël a fixé un plancher de 3,25 % dans son mode de représentation proportionnelle. Cette part la plus minime a fait partie des réformes apportées par Israël il y a 15 ans, je crois.
    J’aimerais que vous commentiez tous les deux ce que je vais dire. M. Dutil a exposé les grandes lignes du test de Jennings qui peut s’appliquer à la question de savoir s’il existe une convention constitutionnelle concernant l’organisation d’un référendum quand il est question de réforme électorale. Il a également suggéré que le gouvernement renvoie la question de l’existence d’une convention, ou non, à la Cour suprême.
    Est-ce que l’un de vous aurait l’obligeance de faire des commentaires à ce sujet, puisque ça touche à l’arrêt de la Cour suprême suite au renvoi relatif à la réforme du Sénat, il y a deux ans, jugement dans lequel elle a semblé adopter soudainement une interprétation très rigoureuse de l’intention première des Pères fondateurs à l'égard du Sénat. À toutes fins utiles, pour le paraphraser, le tribunal a déclaré que les Pères fondateurs avaient une idée précise de ce à quoi devait ressembler le Sénat, idée qui serait trahie si les sénateurs étaient élus.
    Croyez-vous qu’il serait également possible que, suivant la même argumentation, le tribunal déclare que les Pères fondateurs avaient l’idée que la Chambre des communes serait composée de personnes élues selon le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour?

  (1525)  

    Je pense qu’un député courrait le risque dans ce cas-là, parce qu’une élection produit deux sortes de représentants. Cette formule employée dans l’arrêt pour désigner l’architecture de la Constitution, vous en conviendrez, n’est pas précise, et la création de deux sortes de représentants pourrait être considérée comme un écart par rapport à l’architecture. Cependant, avoir des circonscriptions plurinominales selon diverses versions du système de vote unique transférable serait, je crois, correct. Nous l’avons déjà appliqué dans notre histoire. C’est une autre raison pour laquelle je suis passé de la représentation proportionnelle mixte au vote unique transférable, car je pense que ce dernier mode de scrutin crée moins d’incertitude du point de vue de la Constitution.
    Dépendant de ce qui serait proposé, la Cour suprême devrait décider si ça s’applique ou non. Je crois qu’il est très difficile de prédire en ce moment quelle serait la décision finale. Je trouve que la Cour suprême actuelle est difficile à déchiffrer, de toute façon. Par ailleurs, je crois que le test de Jennings oblige le gouvernement à défendre sa cause devant le peuple, parce que nous nous écarterions de la jurisprudence et que nous abandonnerions une pratique établie qui remonte beaucoup plus loin que la date de fondation de notre pays.
    Je ne suis pas certain d’avoir donné une réponse très satisfaisante à votre question.
    Hier, nous avons entendu d’autres chercheurs en science politique et lorsque j’ai demandé s’il existait une convention de référendum au regard d’une réforme électorale, leur réponse a été un simple non, sans qu’ils donnent une quelconque explication. De quels arguments contre une telle convention disposerait-on? Je n’ai entendu personne me faire valoir quelque argument.
    On ne dispose pas d’argument contre cette convention. Lorsqu’on a posé la question à la Cour suprême en 1981, elle a répondu que les conventions ont de l’importance et que le gouvernement du Canada doit respecter ces conventions, et il doit œuvrer à obtenir le consentement des provinces sur l’essentiel. Le gouvernement doit donc respecter cette règle. Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez simplement écarter. Les conventions ont une très grande importance.
    Permettez-moi de citer Peter Hogg.

[Français]

    Reste-t-il suffisamment de temps pour que je le cite, monsieur le président?
     Pas vraiment.
    D'accord, j'y reviendrai.

[Traduction]

    Peut-il simplement terminer sa phrase? Je vais laisser tomber mon prochain…
    D’accord, allez-y. Mais nous dépassons les cinq minutes pour chacun.
    Allez-y.
    Peter Hogg écrit, dans son livre, intitulé Constitutional Law of Canada, que l’obligation morale de respecter une convention est plus absolue que celle de suivre un usage et que tout écart par rapport à une convention peut être dénoncé plus sévèrement qu’une entorse à l’usage.
    Une convention a de l’importance.
    D’accord, merci.
    Monsieur DeCourcey, c’est à vous.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie également les témoins.

[Traduction]

    J’adresse ma question à M. Russell.
     Dans la toute première phrase de votre mémoire, vous dites que le but, la valeur ou le résultat de tout changement au système électoral est de créer « une Chambre des communes qui représente les préférences politiques de la population ». Je me demande quel poids ou quelle valeur vous croyez que les électeurs attribuent à leur préférence politique lorsqu’il est question d’élire quelqu’un de la circonscription locale, quelqu’un avec qui ils auraient un lien, de maintenir la valeur d’une représentation locale dans toute forme de système électoral.
    Nous possédons pas mal de données à ce sujet. Pas moi, car je ne conduis pas ce genre de recherche, mais les pséphologues, les personnes qui étudient les électeurs et ce qui motive leur vote. Mes collègues qui exercent au Canada depuis quelque temps ont montré que le parti, pour la plupart des gens, est plus important que le candidat dans leur circonscription, et cette attitude n’a pas changé depuis très longtemps. Souvent un candidat exceptionnel ou un candidat vraiment nul peut faire une grosse différence et perdre ou gagner l’élection. La majorité des Canadiens vote en fonction du parti lorsqu’elle entre dans l’isoloir.
    Une partie de ce comportement s’explique du fait de la campagne médiatique. La majorité des citoyens, peut-être pour de mauvaises raisons, n’assiste pas aux séances de présentation des candidats. Je suis fou de ces rencontres. Je les trouve passionnantes, comme ces petites salles municipales. J’y vois toujours les mêmes visages. La plupart des gens suivent une campagne électorale à la télévision et maintenant sur Internet, sans même lire les journaux, et ils ne discutent pas des candidats locaux. En fait, ils ne parlent même pas des personnes qui pourraient former le Cabinet. Ils parlent des chefs de parti et des partis, et c’est tout.
    Lors de la dernière élection, j’ai frappé aux portes et je n’ai pas appris grand-chose au sujet des candidats. J’ai juste entendu parler de M. Harper et de M. Trudeau, des libéraux et des conservateurs. J’ai essayé d’en dire un peu sur le Parti vert, mais on n’était pas très intéressé. Voilà, c’est tout!

  (1530)  

    J’ai posé la question parce que, hier, dans leurs exposés, des professeurs ont parlé des assemblées de citoyens et du travail de commissions du droit et d’autres témoins ont parlé de la valeur accordée par les citoyens à ces processus pour assurer une représentation légitime, un plus grand choix et une plus forte préférence dans le ballottage et le besoin de maintenir un lien entre le votant et l’élu.
    Je veux reprendre là où mon collègue M. Aldag a posé une question à laquelle M. Dutil a été en mesure de répondre. Monsieur Russell, y a-t-il des moyens que nous, les membres du Comité, devrions envisager pour nous assurer d’effectuer une vaste consultation de la population pour la suite des choses?
    Bigre! votre travail n’est pas de la tarte! Je sais qu’on a dit que vous devriez organiser des assemblées de citoyens, mais je sais que ça ne se fera pas.
    Pourtant, on en a dit du bien. Ce qui est intéressant au sujet de l’assemblée de citoyens en Colombie-Britannique et de celle de l’Ontario, c’est qu’elles ont représenté un réel effort pour rejoindre un large échantillon de la population des provinces respectives. La plupart des habitants de ces provinces n’avaient jamais réfléchi à la question de la réforme électorale, ils s’y sont appliqués pendant un mois et ont simplement laissé mûrir leur réflexion et se sont prononcés finalement en faveur de la représentation proportionnelle: le vote unique transférable en Colombie-Britannique et la représentation proportionnelle mixte en Ontario.
    Vous n’avez pas tenu ce genre d’assemblée, mais, à mes yeux, elles sont impressionnantes. Tout ce que vous pouvez faire, cependant, lorsque des témoins prétendent devant vous que telle chose ou telle autre va se produire, c’est d’insister pour avoir des preuves de ce qu’ils avancent. Je crois que plus vous commanderez des preuves, plus vos recommandations seront étayées.

[Français]

     Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer à M. Blaikie.

[Traduction]

    Je vous remercie beaucoup.
    J’aimerais que vous élaboriez un peu plus sur un des thèmes en politique canadienne au cours des dernières décennies, soit la concentration du pouvoir au Cabinet du premier ministre. Je pense que le fait d’avoir un système qui produit ce que vous avez appelé des fausses majorités favorise certainement ce phénomène.
    Par quels moyens un système électoral différent pourrait, à votre avis, aider à atténuer le phénomène de centralisation du pouvoir au Cabinet du premier ministre?
    Eh bien, le CPM ne va pas se ratatiner et disparaître. Nous avons — la formule de Patrice est utile — une « culture politique ». Elle imprègne la culture du pays, davantage encore que dans les autres pays ayant un régime parlementaire de type britannique, et celle du personnel politique des cabinets ministériels. Nous avons changé la culture politique de notre démocratie parlementaire, et la plupart des changements ont été bénéfiques. Je suis tout à fait pour que les membres du personnel politique aident les ministres, et je pense que le CPM a beaucoup de bon travail à faire.
    Mais nous pouvons faire deux ou trois choses. Tout d'abord, si le gouvernement est en position minoritaire, la tendance à pousser les membres du gouvernement à faire ce que des gamins, comme on dit — et je dirais « des gamins et des gamines » — en culottes courtes leur disent de faire... Cela, je pense, tendra à s’estomper; je le crois vraiment.
     Je ne suis pas naïf: on continuera d’avoir un CPM fort, pour autant que ça me déplaise. J’ai regardé la période des questions à la télévision, et j’en reviens encore une fois à ce beau livre Tragedy in the Commons et à ce que des députés expérimentés y disaient au public canadien de leur soumission à des jeunes qui n'étaient jamais descendus dans l’arène politique. Leurs conseils ne venaient pas directement du premier ministre: le premier ministre est trop occupé. Ils imaginaient ce qu'ils croyaient être la bonne réponse pour la période des questions ou ce qu’il convenait que fasse le ministre pour son prochain point de presse. Je pense que cela va se calmer un peu.
    Le grand changement législatif, cependant, consiste à surmonter une décision de la Cour suprême. La Cour suprême du Canada a, en 2011, par une belle journée de juin quand tout le monde était endormi, décidé par huit juges contre un, que le Cabinet du premier ministre n’est pas une institution du gouvernement et donc que la Loi sur l'accès à l'information ne s’y applique pas. Or, si jamais un bureau est un bureau du gouvernement, c’est bien le CPM. Un juge, LeBel, un merveilleux juge du Québec, a clamé son opposition.
    Le CPM est une institution gouvernementale; l’accès à l'information devrait être garanti sur des choses telles que son budget, sa structure, les descriptions des postes des personnes qui en font partie, le recours aux sondages — les sondages qu'il fait, et l’emploi qui en est fait... Nous n’aurons pas les conversations privées, qui doivent se dérouler entre le premier ministre et son personnel, mais nous devons grandir et reconnaître, comme la Cour suprême ne l'a pas fait, que c’est une institution publique, et que nous devrions en savoir autant à son sujet que sur toute autre institution du gouvernement. J'ai écrit beaucoup à ce sujet, mais je crains que le reste du pays pense que, comme mon idée de fixer un délai au Parlement pour se réunir après une élection, c’est une abstraction qui flotte et passe comme une feuille sur la rivière. J'espère, cependant, que vous l'avez entendue.

  (1535)  

    Je voulais juste demander ceci très rapidement, monsieur Dutil. Corrigez-moi si j’ai mal compris, mais vous avez dit que l'un des principaux objectifs d'un système électoral est de produire un gouvernement stable qui, essentiellement, n’ait pas à se soucier d'être battu au Parlement. Quelle est la distinction effective entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif du gouvernement si le système électoral est vraiment juste destiné à produire une législature qui va, sans discernement, souvent, dans le cas d'une fausse majorité, soutenir le pouvoir exécutif?
    Ce que je voulais dire, c’est que nous voulons un Parlement qui soutienne le gouvernement, un gouvernement responsable qui peut compter sur le soutien d'une majorité au Parlement. Que cela vienne d'un parti ou d'une variété de partis n'a pas grande importance. Ce qu’on veut, c’est un système qui soit aussi stable que possible. Voilà tout ce que je veux dire. En théorie, nous élisons des gens au Parlement afin qu'ils se réunissent et forment des partis, une unité d'opinion qui à son tour appuie un exécutif. Ils peuvent provenir d'un seul parti. Avec le temps, nous avons créé des partis pour faciliter cette compréhension, mais ils sont très séparés.
    Nous allons devoir passer à M. Deltell, s'il vous plaît.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Messieurs les professeurs, soyez les bienvenus à votre Parlement canadien. Comme l'ont souligné plus tôt mes collègues, il est intéressant de voir que deux éminents universitaires dont les points de vue sont complètement différents débattent côte à côte du fond de la question. C'est ce qu'il y a de plus beau dans la démocratie. Nous avons beaucoup de chance.
    Vous êtes, je crois, les septième et huitième universitaires que nous recevons à ce comité. J'invite tout le monde à bien réfléchir à la possibilité d'accueillir un universitaire qui a dit ce qui suit: « Les précédents rendent un référendum incontournable au Canada: pour changer de mode de scrutin, il faut obtenir l’appui du peuple. » Ce grand universitaire n'est nul autre que l'honorable Stéphane Dion. J'invite tous mes collègues à bien réfléchir à cette possibilité.
    Avant d'aller plus loin, j'aimerais revenir sur ce qu'a affirmé il y a quelques instants mon collègue du NPD M. Cullen. Il a dit que la composition de notre comité représentait la volonté exprimée par la population lors de la dernière élection. Du point de vue mathématique, je ne suis pas d'accord sur cette affirmation.
    Le Parti vert, qui a obtenu 600 000 votes, a un représentant. Le NPD, pour sa part, en a deux. A-t-il obtenu 1,2 million de votes? Non. Il en a remporté 3,6 millions, soit six fois plus que le Parti vert. Dans notre cas, c'était neuf fois plus. Nous avons trois représentants et ils en ont un. Notre composition est en effet différente de celle de la Chambre des communes, mais cela ne représente pas du tout ce que les Canadiens ont exprimé lors de la dernière élection.
    J'ai plusieurs questions à vous poser.

  (1540)  

[Traduction]

    Tout d'abord, je vais commencer par vous, monsieur Russell. Vous avez dit que les temps sont très difficiles, si nous vous écoutons, que pendant les 150 dernières années, et surtout au cours des 100 dernières années, nous n’avons eu que trois fois des gouvernements majoritaires. Deux d'entre eux étaient des conservateurs — Diefenbaker et Mulroney, le bon vieux temps.
    C'est depuis 1921.
    Monsieur Russell, ce que je veux vous dire, c’est que, bien sûr, ce n’est pas parfait; ce n'est pas limpide; il n'y a pas de systèmes parfaits.
    Je suis d'accord.
    Ne reconnaissez-vous pas que le gouvernement disposait de la majorité des voix au moins, sauf sous le gouvernement de Joe Clark en 1979, lorsque nous avons obtenu moins de voix que M. Trudeau? Tout le temps, au cours des 100 dernières années, au moins, la majorité des gens étaient au pouvoir.
    Vous voulez dire que vous aviez la majorité relative.
    Oui, je parle de la majorité.
    Oui, mais qui est seulement une pluralité, d'environ 40 %. Je ne pense pas que le gouvernement devrait être contrôlé étroitement par une administration que seulement 40 % des gens ont choisie.
    Quel résultat négatif cela a-t-il donné pour l'économie canadienne et pour la démocratie canadienne? Qu'est-ce qui a mal tourné dans les 100 dernières années avec ce système?
    Eh bien, plusieurs choses. Il faudrait revenir à l'époque des fausses majorités. Nous en avons eu une juste avant ce gouvernement, et alors que les Canadiens, par exemple, soutenaient des partis qui prennent le réchauffement climatique très au sérieux, cela ne semblait pas être le cas de leur gouvernement. Les étudiants que je fréquente — je continue d’enseigner à l'Université de Toronto — et même mes voisins de Rosedale s’inquiétaient du fait que notre gouvernement ne reflétait pas leurs préoccupations en la matière. La majorité des Canadiens s’en alarmaient, je pense.
    Monsieur, nous parlons maintenant des politiques.
    Je ne donnais qu’un exemple.
    Si vous voulez vous engager dans cette voie, je peux vous emboîter le pas. Ce n’est pas le cas ici. Ce n’est pas le lieu pour cela.
    Je vous demande ce qui cloche dans ce pays depuis 100 ans en raison de ce système politique? Au cours des 100 dernières années, quelles décisions aux effets dévastateurs pour notre démocratie ont-elles été prises à cause de notre système?
    Je pense que mon collègue aimerait répondre à cette question.
    Nous avons 30 secondes pour faire l'historique.

[Français]

     Monsieur Deltell, je vais vous donner un seul exemple: l'établissement de la conscription, en 1917, et les distorsions qui ont été perpétrées sur le système électoral par le gouvernement conservateur et le gouvernement unioniste. Autrement, dans la plupart des cas, on peut justifier les politiques qui ont été choisies par les gouvernements et qui ont été appuyées.
    Quand les gens se sont mis en colère contre le gouvernement conservateur — c'est l'exemple que M. Russell veut nous donner —, ce dernier a choisi d'ignorer les attentes environnementales des Canadiens et il en a subi en partie les conséquences.
    Merci.
    Madame Sahota, vous avez la parole.

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Monsieur Russell, vous disiez, en parlant des élections plus tôt, que nous ne votons pas pour le candidat, qui n’est pas au centre de nos préoccupations, mais plutôt pour le parti lorsque nous élisons nos députés. Je suis d'accord jusqu’à un certain point. Je l'ai constaté dans ma propre élection aussi. Mais je pense aussi qu’après les élections, cela change. Après les élections, les gens ont tendance à accorder bien plus d’importance à leur député, ils veulent quelqu'un pour leur rendre des comptes, quelqu'un à contacter, quelqu'un qu’ils puissent aller voir et à qui parler.
    C’est moi qui le dis, mais je pense que mon bureau de circonscription est probablement l'un des plus fréquentés du pays. Je sais que mes électeurs pensent qu'il est très important de pouvoir me joindre. Ils disent clairement, « Nous avons voté pour vous, pas nécessairement pour le premier ministre, mais pour vous, vous êtes tenue d’écouter ce que nous avons à dire, que ce soit sur Postes Canada ou l'environnement ou quoi que ce soit. » Que pensez-vous de ça, de ce lien au plan local avec le député?

  (1545)  

    C’est une dimension très importante du gouvernement parlementaire et vous en faites l’expérience tous les jours, en particulier lorsque vous n'êtes pas à Ottawa. L’un des aspects du système de VUT que je préfère est qu'il préserve ce lien et le renforce. Permettez-moi de donner un exemple de ma propre partie du Canada, le centre de Toronto. Ces dernières années, nous n’avons presque jamais eu de député conservateur. Mon quartier du centre-ville de Toronto est plein de conservateurs, et avec un système VUT les conservateurs auraient un député — j’en suis bien convaincu — et peut-être même deux, et il n’y aurait pas toujours un libéral ou un néo-démocrate.
    Je pourrais donner l’exemple inverse dans d'autres régions du pays, à « Redmonton », comme j'aime à l'appeler, où depuis longtemps... il est un peu plus facile maintenant pour un libéral de se faire élire, pas très facile, mais il y a beaucoup de libéraux à Edmonton et ils n’ont pas eu de député.
    Je pense aussi aux peuples autochtones qui disposent rarement des voix nécessaires dans une circonscription donnée, une seule circonscription de la taille de nos circonscriptions actuelles. Mais sous un système de VUT, un candidat autochtone aurait sûrement ses chances, beaucoup plus que dans notre système uninominal à la majorité simple. Cela pourrait même, je crois, renforcer les liens entre le député et la population entre deux élections.
    Quel est le meilleur système, selon vous, pour amener les députés à rendre des comptes? Pas un député, mais comme dans une circonscription du genre dont vous parliez tout à l'heure où vous en auriez cinq ou davantage, si un membre fait fi de ses responsabilités et l'autre... Comment les tenir tous à leurs responsabilités?
    Si je comprends bien votre question, et je vais utiliser le mot technique, je suis un burkien en ce qui concerne le rôle du député. Je ne vois pas le député simplement comme un représentant du peuple dans sa circonscription. Vous choisissez un député parce que vous pensez que cette personne a un bon jugement sur les questions du jour. Les gens dans leur circonscription, quelle qu’elle soit au Canada, sont partagés. Ils n’ont pas un point de vue unique, et je ne crois pas à la responsabilité du député face à l'électorat dans sa circonscription.
    Il est important, je trouve, de passer beaucoup de temps dans sa circonscription et de rencontrer les gens. Et encore une fois, avec le VUT, il est plus probable qu’il y ait plusieurs députés d’obédience politique diverse dans la circonscription. Mais je ne crois pas à la responsabilité du député vis-à-vis des gens de la circonscription. Je le dis publiquement.
    Au moment des élections, bien sûr, si vous avez fait un mauvais travail, ils peuvent vous jeter dehors, dans la mesure où la question se pose durant la campagne.
    Je vous remercie.
    Nous allons commencer le deuxième tour avec M. Aldag, pendant cinq minutes.
    Je vous remercie.
    Monsieur Russell, les témoins précédents l’ont déjà dit, nous allons devoir réduire les choix à un moment donné. On ne va pas poursuivre les consultations sur 18 modèles différents, on en choisira trois ou quatre. Alors que je tente de comprendre quels sont ces trois ou quatre modèles les mieux adaptés à notre système, je suis avide de sages conseils.
    Dans votre mémoire, vous retenez le système mixte proportionnel ou le VUT, avec une préférence pour le VUT.
    Si je comprends bien vos remarques liminaires, vous avez vaguement fait référence à une éventuelle difficulté constitutionnelle. Je ne sais pas si j’ai mal compris ou s'il y a quelque chose de lié au système mixte proportionnel.
    Il y a une question sur Twitter à laquelle je vais venir, mais tout d'abord je veux juste savoir si vous voulez expliquer pourquoi vous dites que le VUT est peut-être mieux adapté au Canada, compte tenu de notre unique... quelles que soient ces valeurs et attributs. Pourriez-vous consacrer une minute à ce sujet?

  (1550)  

    Le VUT, conserve une sorte de membre du Parlement. Cela signifie qu’au niveau local, il y a des députés multipartis pour représenter la répartition des préférences politiques dans les quartiers. Il ne s’agit donc pas seulement de pluralité, il n'y a pas seulement la préférence politique qu’une majorité de gens préfère à toute autre préférence unique.
    Dans mon secteur de Toronto, nous avons beaucoup de gens de gauche, beaucoup de droite, beaucoup de verts, et j'aime l'idée d'un certain nombre de députés représentant les districts de Toronto plutôt que des circonscriptions individuelles avec un seul député. Cette idée me plaît beaucoup.
    D'accord. En fait, quand vous donniez cette explication, c’était, je pense, dans un contexte avec deux types de députés, susceptible de présenter un problème, disiez-vous.
    Oh, sur la question constitutionnelle.
    Oui, cette question nous vient par Twitter de James Crown. Il dit que votre mémoire exprime une préférence pour le VUT, mais il veut savoir si un système mixte proportionnel avec des listes régionales ouvertes répondrait au besoin et permettrait d'éviter la question constitutionnelle.
     Oui. Encore une fois, nous avons ce nuage au-dessus de nous. La Cour suprême a créé un nouveau type de concept — M. Kenney y a fait allusion — de l'architecture de la Constitution.
    Il est un peu difficile pour ceux d'entre nous qui épluchons chaque mot des décisions de la Cour suprême de vous dire: « Eh bien, voici ce que signifie “l'architecture”. » Mais je soupçonne que si quelqu'un dit qu'avoir deux types de députés modifie l'architecture, cela pourrait donner lieu à un recours, et il serait gênant d'avoir un nouveau système électoral sous un nuage constitutionnel.
    Je ne pense pas que vous ayez ce problème avec le VUT, mais je pense que la constitutionnalité du système mixte proportionnel serait mise en cause. Voilà tout, et cela me préoccupe.
    Je vous remercie pour cela.
    Monsieur Dutil, avez-vous des idées sur des systèmes autres que le scrutin uninominal majoritaire à un tour? Des systèmes que nous pourrions envisager?
    Je vois toujours des complications avec les autres systèmes. Au bout du compte, je ne suis pas sûr de ce qu'ils apportent de fondamentalement différent, si vous avez une grande circonscription avec trois sièges au Parlement occupés par trois députés d’affiliations différentes, au lieu d'une circonscription avec un seul député qui est directement responsable.
    Je crois que pour beaucoup de gens, la présence du député est importante; je pense que c'est l'une des choses que les Canadiens ont le plus à coeur. Ils peuvent ne pas vous soutenir personnellement; ils peuvent avoir voté libéral, conservateur, NPD ou voté vert; mais ils aiment le fait que vous soyez là.
    À Ryerson, j'ai lancé un programme, il y a quelques années, qui met effectivement nos étudiants de quatrième année en politique dans votre bureau. Vous n’en faites peut-être pas partie, mais il est offert à tous les membres de la zone métropolitaine du grand Toronto. Pour répondre à la question de votre voisin — comment éduquons-nous nos élèves? —, c'est l’une de nos façons de faire.
    Quoi qu'il en soit, j’ai épuisé mon temps de parole.
    Merci.
    Monsieur Reid.
    Merci, monsieur le président.
    Je veux revenir à la question des conventions politiques et leur capacité à orienter ou contraindre un premier ministre qui s’est déclaré disposé à passer outre. Pour ce faire, je tiens à signaler en quoi consiste selon moi le plus grand danger, tout d'abord, puis je céderai la parole à Albert Venn Dicey, qui traite d'un parallèle particulièrement intéressant.
    Comme vous le savez, lors des élections de 2015, le Parti libéral a remporté 39 % des voix, mais 54 % des sièges, ce qui lui a donné 100 % du pouvoir. Plus précisément, il a remporté 184 sièges.
    Il ressort de calculs effectués sur la base de ces données et d'informations provenant de sondages sur les deuxième, troisième et quatrième préférences des électeurs que, si l’on avait utilisé un bulletin de vote préférentiel dans les circonscriptions à un seul siège, les libéraux auraient remporté 224 sièges. Cela signifie, bien sûr, qu'ils auraient eu 70 % des sièges.
    Mais l’on peut chercher dans la direction opposée. La question est de savoir jusqu’où leur faible pourcentage du vote pourrait baisser tout en leur permettant d'obtenir plus de 50 % des sièges et 100 % du pouvoir, étant donné que ce système particulier tend à favoriser le parti du centre. Voilà la question fondamentale sous-jacente, si telle est la direction que prend le premier ministre, comme semblent le confirmer les indications qu’il a données jusqu'à présent.
    En ce qui concerne les conventions, dans son ouvrage Introduction to the Study of the Law of the Constitution, Albert Venn Dicey traite du Septennial Act. Il s’agit d’une loi adoptée en 1716 par le Parlement britannique, qui, à ce moment-là avait été élu pour un mandat de trois ans. La loi modifiait le mandat du Parlement afin de lui permettre de gouverner pendant quatre années de plus — et le Parlement l’avait adoptée quand il lui restait un an à courir — et il n'y avait pas de recours en justice possible contre cette loi. Certains membres de la Chambre des Lords ont protesté et ont écrit ou dit à l'époque:
... la Chambre des communes doit être choisie par le peuple, et lorsqu'elle est ainsi choisie, ses représentants sont vraiment les représentants du peuple, ce qui ne peut être proprement dit d’eux, lorsqu’ils se maintiennent dans leur fonction au-delà du terme pour lequel ils ont été choisis; car, passé ce terme, ils sont choisis par le Parlement, et non par le peuple, qui se trouve ainsi privé du seul remède qu'il ait contre ces... [députés]
    Vous voyez où je veux en venir. En effet, le Parlement a réécrit les termes de son propre contrat unilatéralement, s’est attribué de nouveaux pouvoirs, et le peuple n’avait aucun recours. De même, si M. Trudeau réécrit la loi électorale afin que la prochaine élection se déroule selon des règles en vertu desquelles il peut perdre un nombre important de votes, alors la pierre de touche classique d'une convention, qui est de savoir si elle vous coûtera la prochaine élection, est subvertie.
    Je vous soumets donc cette question: que faire dans une situation où les questions de légitimité sont si clairement séparées de la direction dans laquelle un gouvernement tente d'aller?

  (1555)  

    Quant au résultat probable de ce genre de scénario, voici ce que je voudrais dire. Si le gouvernement modifie unilatéralement les règles selon lesquelles les Canadiens élisent leur Parlement, et si c'est accepté, cela créera un précédent dont le prochain gouvernement pourra se servir pour changer les règles lui aussi — c’est aussi simple que ça —, et on en arrivera à une situation où n’importe quel gouvernement insatisfait du résultat pourra éventuellement tenter sa chance, changer à nouveau le système, et gagner plus ou moins gros.
    Ce genre de situation m’inquiéterait. Encore une fois, si l’on parle de donner aux Canadiens ce qu’ils veulent — un bon gouvernement, stable, souple et qui peut être mis à la porte — cela alimenterait le cynisme. Pour revenir à la question de M. Thériault, ce serait le meilleur moyen d’encourager le cynisme. C’est ça qui me tracasse.
    C’est une question de légitimité, je pense. La quête d’une convention peut sembler très érudite et intellectuelle. Je pense tout bonnement que ce serait une mauvaise idée de changer le système électoral sans tenir un référendum. Les Canadiens risquent d’avoir beaucoup de mal à l’avaler.
    Mais ce à quoi il faut penser selon moi — et je suis sûr que vous y avez pensé —, c’est à la loi référendaire. Celle que nous avons maintenant ne fonctionnera pas. Elle a été conçue pour la Constitution; et elle ne s’appliquait pas au Québec.
    Il faudra examiner de très près les règles relatives aux dépenses. Vous devriez vous reporter au référendum en Nouvelle-Zélande en 1993. Ces règles de dépenses et le fait d'avoir des équipes pour le oui et pour le non est absolument crucial.
    Il faut une réflexion sérieuse sur le référendum. Prenez le référendum de 1993 en Nouvelle-Zélande — le second, après celui de 1992 —, le patronat néo-zélandais a dépensé des millions de dollars dans des annonces prédisant la fin de la civilisation si le système mixte proportionnel passait. Grâce à cette campagne du patronat qui a dépensé sans compter, la popularité du système qui était de 86 % lors des élections précédentes est tombée à 53 %.

  (1600)  

    Nous allons devoir passer à M. Cullen, pour cinq minutes, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Je veux parler du rôle des femmes en politique.
    Il y a eu un changement radical dans la dernière campagne électorale au Canada, mais aucun changement dramatique en termes de représentation des femmes au Parlement. Le Parlement n'a changé, en fait, que de 1 % du total, en termes nets. Dans le classement mondial des pays en termes de représentation des femmes à l'Assemblée législative, le Canada se trouve au 62e rang. Nous pouvons nous féliciter, je suppose, de ne pas être au 96e rang comme les États-Unis, mais avec la 62e place, il n’y a pas de quoi pavoiser.
    Parmi les pays du top 10 pour ce qui est de la représentation des femmes, il y en a un qui ne dispose pas d'un système de représentation proportionnelle, mais c'est Cuba. Je ne suis pas sûr que nous devions citer cet exemple.
    On doit se poser une question sur la participation des femmes dans les systèmes proportionnels. La grande majorité des pays qui enregistrent de bons résultats à cet égard ont des régimes électoraux à la proportionnelle.
    Vous avez demandé des données concrètes plus tôt, c’est pourquoi j’essaie de vous en fournir dans la discussion aujourd'hui.
    Monsieur Dutil, avez-vous des commentaires à ce sujet?
    Oui. Il n'y a absolument rien qui vous empêche dans le système actuel de présenter davantage de candidates femmes.
    Il semble y avoir quelque chose, parce que même…
    Il n'y a rien; c’est un choix que vous avez fait.
    Certainement au sein des partis, le NPD se distingue avec 42 %, mais on constate que le succès des femmes en politique se heurte à une barrière. N’est-ce pas juste? Sauf si vous acceptez que 26 % de représentation est un bon résultat, évidemment, le système n’est pas à la hauteur de nos attentes sur ce point. Les partis politiques... Vous pouvez blâmer qui vous voulez. Blâmez les électeurs, si ça vous chante...
    Non, je blâmerai les partis.
    ... mais suggérer que l'ADN, le mécanisme en place aujourd’hui régissant les candidatures et les élections, n’est pas un facteur serait faux, est-ce exact?
    Je pense qu'il est erroné de blâmer le système pour des échecs politiques.
    Je ne blâme pas le système.
    Vous le blâmez. Vous dites...
    Pas du tout. Je demande s’il n’y a pas une corrélation...
    ... qu’un autre système donne naturellement plus de femmes. Ce n’est pas le cas, mais je vais vous soumettre un autre exemple.
    Je ne peux même pas suivre maintenant. Pourquoi ne pas laisser M. Dutil répondre, et ensuite vous pouvez poser une question supplémentaire?
    Merci, monsieur le président.
    Je dirai simplement qu’en Ontario, il y a eu une augmentation spectaculaire du nombre de femmes parlementaires, et cela s'est fait dans un régime de scrutin nominal à un tour. Si les partis souhaitent sérieusement faire en sorte que les femmes soient bien représentées, alors ils devraient présenter davantage de femmes comme candidates.
    J’ai cité des données montrant qu'il existe une corrélation, semble- il, au moins en surface; que, dans les systèmes proportionnels, les femmes font mieux. Vous étiez d’accord avec cette déclaration, n’est-ce pas?
    C’est une coïncidence; rien de causal.
    C’est une coïncidence? Seulement coïncidence que la grande majorité des pays qui réussissent à avoir une meilleure représentation des femmes sont également des pays qui ont des systèmes proportionnels? C'est juste une coïncidence; cela ne prouve rien?
    C’est une coïncidence.
    Très bien.
    Présentez davantage de candidates femmes.
    On a posé plus tôt une question à propos de la représentation de la volonté des électeurs.
    La question que voici est pour vous, monsieur Russell. Elle vient de Twitter, de Jennifer Ross, qui demande, « Pensez-vous qu'un référendum pourrait avoir lieu après que les électeurs ont essayé... » et comprendre ce qu’est le nouveau système? Vous avez parlé non pas tant d’une convention que de la validation du processus actuellement en cours visant à permettre aux Canadiens de faire entendre démocratiquement leur voix par le biais d'un référendum.
    Je ne suis pas partisan d’une période d'essai. Je voudrais vraiment qu’on fasse des simulations dans les mairies et ailleurs. L'une des meilleures façons d'amener les gens qui n’ont pas vraiment beaucoup réfléchi à ces solutions de rechange à le faire, c’est de procéder à des simulations. C’est la meilleure méthode d'enseignement.
    J’en ai fait l’expérience. Lorsque vous essayez d’expliquer aux gens, même en employant un langage très clair, en quoi consiste le VUT ou un autre système, cela rentre par une oreille et sort de l'autre.
    Bien sûr.
    Si vous prenez congé un samedi après-midi et que vous tenez deux votes, l'un en appliquant un système et l'autre en utilisant le deuxième, les gens apprendront non seulement quelque chose, mais en plus, ils y prendront beaucoup de plaisir. Faites-le; organisez des simulations.
    Ce que nous essayons de surmonter, c’est la barrière de la peur de l'inconnu, ou la crainte du changement...
    Bien sûr.
    ... quelque chose de bien naturel.
    De nouveau, cela concerne les résultats. Il nous faut y revenir, je crois, parce que nous parlons uniquement du mécanisme ici, alors que ce qui intéresse les Canadiens, c’est les résultats que cela pourrait donner.
    Mon collègue conservateur plus tôt a tenté à nouveau de faire passer la coopération et les coalitions et autres joyeusetés pour un vice, ce qui est étrange, parce que M. Harper en 2004 a essayé de faire ce qu'il n'a pas appelé un gouvernement de coalition, mais un gouvernement de « co-opposition ». C’est l’expression, différente, qu’il a utilisée quand il a essayé avec M. Duceppe et M. Layton de renverser le gouvernement libéral minoritaire. Je me souviens bien. J'y étais.
    Ce qui est valable quand c’est un parti qui le dit cesse de l’être. Je pense qu’il nous faut considérer comme une vertu l'idée que des partis puissent partager des idées et partager le pouvoir.
    N’est-ce pas quelque chose que nous devrions encourager?

  (1605)  

    Malheureusement, nos cinq minutes sont écoulées. Peut-être pourrions-nous laisser la réponse à un autre intervenant.
    Nous passons maintenant à M. Thériault.

[Français]

    Que de choses à dire! Vous êtes inspirants, messieurs.
    La question du vote régional ou du régionalisme a été soulevée par plusieurs intervenants. Je me questionne beaucoup à ce sujet. Certains prétendent que le système actuel provoque des aberrations régionales comme celles qui se sont produites en 1993 et qu'il faut, pour cette raison, instaurer un système proportionnel. Je pourrai y revenir. D'autres affirment que le système proportionnel mixte compensatoire va favoriser l'émergence de votes régionaux.
    Qu'en pensez-vous?
    Comme nous ne disposons que de cinq minutes et que je veux aborder un autre volet de la question, j'aimerais que vous me donniez une réponse courte.
    L'expérience nous démontre qu'avec un système proportionnel, de plus en plus de partis vont représenter des intérêts de plus en plus étroits. C'est aussi simple que cela et c'est prouvé mathématiquement.
    Qu'en pensez-vous, professeur Russell?

[Traduction]

    Je ne pense pas que ce sera le cas; je pense le contraire. Je pense que cela encouragera les partis à être nationaux.
    À l'heure actuelle, il est tentant pour les partis qui arrivent toujours en deuxième ou troisième position et ne reçoivent aucune représentation à la Chambre des communes de se concentrer uniquement sur la région où ils sont forts. Cela a toujours été une tentation. Heureusement, les conservateurs ont résisté à cette tentation et ont travaillé dur au Québec, par exemple, pour faire de leur parti un parti national. Il en va de même pour les libéraux, qui ont failli se faire évincer de l'ouest pendant un certain temps.
    Je pense qu'un système de RP aurait vraiment pour effet d’encourager des partis nationaux. Le niveau de seuil est très important. Lorsque vous prenez en compte les données d'autres systèmes — nous avons parlé du seuil bas dans le système israélien de RP —, vous devez tenir compte de ça, et aussi des données sur la prolifération des partis: ces données font défaut. Les comparaisons devraient reposer sur des données constatées.
    Il n’y a pas de véritable prolifération des partis régionaux dans les pays qui ont adopté la représentation proportionnelle, et elle est plus importante dans les pays qui ont un régime de scrutin uninominal majoritaire à un tour. Cela a été dit.

[Français]

    Je m'excuse de vous interrompre, mais ce n'est pas le point que je voulais aborder.

[Traduction]

    Donc, fions-nous aux données concrètes.

[Français]

     Vous avez cité plus tôt le juge LeBel dans le cadre de l'affaire Figueroa. Ses propos vont comme suit: « Notre système fédéraliste représente peut-être la manifestation la plus remarquable de l’importance attachée à la représentation politique des intérêts régionaux au Canada. » Il cite en outre les Pères de la Confédération, dont John A. Macdonald, que vous connaissez, monsieur Dutil. Lors des débats entourant la Confédération, John A. Macdonald a dit que « toute proposition qui impliquerait l’absorption de l’individualité du Bas-Canada, ne serait pas reçue avec faveur par le peuple de cette section » et qu'« il n'y avait [...] aucun désir de perdre leur individualité comme nation ».
     Le vote de 1993 n'était-il pas simplement la manifestation concrète de la volonté de ne pas perdre cette individualité comme nation? Appelleriez-vous cela des intérêts étroits?
     La situation historique de 1993 ressemble à celle de 1917, quand le Québec s'est manifesté presque unanimement en faveur de Wilfrid Laurier. Dans les deux cas, c'était une réaction vive à une situation politique extraordinaire.
    Ce sont des intérêts étroits, effectivement, en ce sens qu'on répondait à une réalité cinglante qui méritait, évidemment, un vote presque unanime, une réaction pour qu'il y ait au sein du Parlement une voix uniquement québécoise.
    Dans une représentation proportionnelle, je vous garantis qu'il va y avoir un parti régional dans chacune des régions du Canada. En Ontario, je vous garantis qu'il y aura des partis sous-régionaux. Il va y avoir un parti torontois. Il va y avoir un parti de Vancouver.

  (1610)  

    Merci beaucoup.
    C'est maintenant le tour de Mme May.
    Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    Je veux revenir sur quelque chose pour M. Russell. Dans son témoignage hier, M. Nelson Wiseman, que vous connaissez, je suppose, a dit qu'il n'y a vraiment rien de nouveau à apprendre à ce sujet; que nous devrions nous reporter aux travaux de la commission de réforme du droit et des assemblées de citoyens; et que si le gouvernement était sérieux au sujet de la réforme électorale, ce comité n'existerait pas; qu’il aurait simplement annoncé ce qu'il voulait faire et serait passé à l’exécution.
     Puisque vous comptez parmi les experts qui ont préparé le Rapport 2004 de la Commission du droit Un vote qui compte: la réforme électorale au Canada, vous avez peut-être une idée de ce que la période 2004-2016 nous a appris de nouveau, ou pensez-vous, avec M. Wiseman, qu’il nous suffit d’examiner ce qui s’est fait ailleurs?
    Plusieurs choses se sont produites depuis 2004. J'ai mentionné les assemblées de citoyens. Je sais qu'elles ne réunissaient pas tous les citoyens canadiens, mais elles étaient représentatives. Elles constituaient un effort extraordinaire pour faire participer les Canadiens ordinaires de tous les horizons. Vous devriez examiner leur travail. Leur rapport. C’est le condensé de nombreux efforts et d’une réflexion approfondie. C'est un apport nouveau depuis la commission de réforme du droit.
    Il tend à confirmer, je pense, l'efficacité des gouvernements dans les pays à RP face à la crise fiscale. L'année 2008 a posé un énorme défi pour les démocraties. Si les gouvernements à régime de RP avec une minorité parlementaire — aucun parti n’a de majorité, suivant la vieille tendance — ne peuvent rien faire, alors comment expliquer l’excellente performance des gouvernements minoritaires et des coalitions pendant les années de crise fiscale, tout aussi bons que dans les pays avec des gouvernements disposant d’une fausse majorité.
    Je dirais la même chose sur ce qui est, je pense, le plus gros problème de notre temps: les questions environnementales et le réchauffement climatique. Encore une fois, je pense que le bilan des pays ayant un régime de RP est très impressionnant.
    Nous avons mentionné, tout comme M. Cullen, que la participation des femmes dans les assemblées élues s’affermit depuis 2004. Cet argument, d'ailleurs, a été mis en avant par nul autre que le fondateur de Représentation équitable au Canada, le regretté Doris Anderson, pour expliquer pourquoi il ne s'agit pas d’une coïncidence. Cela reste dans mon esprit une contribution formidable, qui a permis de lancer Représentation équitable au Canada.
    Je dis seulement qu'il y a eu une explosion d'études au cours des 10 dernières années sur le comportement de l’électorat. La plupart montrent qu'il y a un lien de moins en moins évident entre modalités du scrutin et taux de participation: le taux de participation a augmenté et diminué indépendamment des systèmes électoraux qui ont été choisis.
    Les études sur le sujet se sont multipliées au cours des 10 dernières années. Elles portaient sur d'autres facteurs. Les deux facteurs qui me semblent faire une différence, comme je l'ai dit dans mon exposé d'ouverture, sont le vote obligatoire et le vote le dimanche.
    Les statistiques, je pense, continuent de montrer une légère hausse d'au moins 6 % à 7 % dans les pays qui ont une RP.
     Je veux vous poser une autre question, monsieur Dutil. Dans votre article paru — je n’ai pas vu la chose à l'Institut Fraser, mais j'ai vu le Toronto Star — vous avez dit que notre système électoral a forcé les cadres politiques à faire des compromis.
    Un de mes griefs contre le système uninominal majoritaire, et en particulier lorsqu’il donne de fausses majorités, est qu’il ne fait rien de tel. Ces dernières années, les parlementaires semblent s’ingénier à trouver des problèmes qui pourraient être résolus pour éviter délibérément de les résoudre.
     Je vais vous donner l'exemple du registre des armes d'épaule. Le regretté Jack Layton avait une solution de compromis à proposer. Les conservateurs au pouvoir sous M. Harper, au lieu de porter remède à ses insuffisances, ne voulaient pas en entendre parler parce qu’ils voyaient dans la question du registre des armes d'épaule, une de ces questions qui polarisent l’opinion et qui pouvaient permettre de battre des députés décents dans leurs circonscriptions, en centrant toute la campagne sur le seul fait que tel ou tel député n'avait pas milité pour l’élimination du registre.
    Je me demande si vous avez un commentaire à faire là-dessus.

  (1615)  

    Malheureusement...
    Est-ce que le régime du scrutin uninominal majoritaire à un tour ne favorise pas ce genre de polarisation?
    ... nous avons épuisé nos cinq minutes de parole, mais vous avez fait valoir votre point de vue.
    Allez-y pendant 10 secondes, s'il vous plaît.
    Il y a toujours des questions qui polarisent, et je regrette vraiment ce qui est arrivé, et la proposition aurait pu être améliorée. Je ne suis vraiment pas d’accord avec la façon dont les choses se sont passées.
    Mais quelle est la solution politique? Est-ce qu’il fallait un parti anti-armes à feu dans un système proportionnel, ayant le pouvoir de trancher et de résoudre le problème tout de suite? On peut envisager toutes sortes de scénarios.
    Nous devons passer à Mme Romanado, s'il vous plaît.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup.
    Merci, messieurs.
    On nous a dit beaucoup de choses au cours des deux dernières réunions sur notre système actuel et le fait qu’en réalité, il ne fonctionne pas; que des millions de Canadiens estiment que leur vote ne compte pas, ce qui ajoute au cynisme des électeurs, contribue au faible taux de participation, et ainsi de suite. Quand je me suis présentée pour la première fois, il y avait sept candidats, et j’ai gagné avec 35 % des voix.
    La réalité est que 65 % de la population de Longueuil—Charles-LeMoyne n'a pas voté pour moi. Maintenant, après les élections, je représente la totalité des 103 000 électeurs, peu importe qu'ils aient voté pour moi ou non.
    Comment en bonne conscience, cependant, pouvons-nous dire aux millions de Canadiens qui estiment que leurs voix ne comptent pas dans le système actuel que nous devrions maintenir le statu quo parce que nous avons toujours fait ainsi? On nous a chargés de faire en sorte que le mode de scrutin soit équitable, que les gens sentent quand ils se rendent aux urnes que leur vote compte. Je voudrais que vous nous expliquiez un peu comment le Comité peut persuader ceux qui nous écoutent qu’il fera en sorte que leur vote compte.
    Je dois être franc. Cela ne reflète pas la réalité. Chaque vote compte — chaque vote. Le vote de chacun a été compté. Vous êtes arrivée la première, et vous savez très bien que cela illustre ce que je disais au début. Vous savez très bien que la plupart des gens ont voté contre vous, ce qui fait de vous, je pense, une bien meilleure députée, parce que vous êtes ouverte à entendre ce que les autres vous ont dit. Cela vous rend plus sensible aux besoins de la population. À ses difficultés avec le gouvernement. Cela vous rend plus consciente de la façon dont vos services dans votre circonscription peuvent lui être utiles, indépendamment de qui a voté pour vous.
    Je pense que c'est ce que les Canadiens veulent. C’est une fiction que leurs votes ne comptent pas, ou que quel que soit le système leurs votes ne compteront pas. Ça peut être le cas avec la RP: si vous portez le niveau à 15 %, vous êtes pratiquement là où nous sommes maintenant. Si vous l’abaissez à 3 %, alors vous courez un risque énorme de voir pulluler toutes sortes de partis régionaux et sectoriels.
    Je ne vois pas qu'il y ait quelque chose de mal dans le fait que vous ayez obtenu 35 %. Cela peut faire vilaine impression, mais en fin de compte, vous êtes une bonne députée, vous allez faire un excellent travail pendant les quatre années de votre mandat, et peut-être que vous serez battue et que ça fera mal et je suis vraiment désolé.
    J'ai eu une ancienne députée qui est venue à ma classe. Je voulais parler de budgets, et elle a passé une heure à raconter qu’elle avait le cœur brisé, que les électeurs l’avaient éconduite en ne votant ni pour son parti ni pour elle. Cela n’avait rien de personnel. Dieu merci, elle a été réélue au Parlement et elle est l'une de vos collègues, dont je tairai le nom.
    Des voix: Oh, oh!
    M. Patrice Dutil: C’est une chose difficile, mais les Canadiens veulent un gouvernement bon et réceptif. Ils connaissent votre nom; ils savent que vous êtes leur député; ils savent que peu importe comment ils ont voté — parce que vous ne savez pas comment ils ont voté —, vous serez à leur service, et je suis sûr que vous l’êtes et je suis sûr que vous l’êtes tous.
    Cela contribue à un bon gouvernement. À la bonne gouvernance. Je pense que notre système l’a démontré par ses résultats. Se hasarder à prendre un autre type de système dans lequel vous avez une flopée de députés au niveau local et personne ne sait vraiment qui est responsable de quoi... Les gens savent exactement: s’ils ont un problème avec le gouvernement, c’est à vous qu’ils demandent des comptes, à vous de le régler pour eux. Vous ferez de votre mieux, et si vous ne pouvez pas, vous pouvez expliquer pourquoi.
    Je vous souhaite beaucoup de chance.

  (1620)  

    Merci.
    Monsieur Russell, avez-vous quelque chose à ajouter?
    Avec tout le respect que je dois à l'organisme Représentation équitable au Canada, cette expression « Que chaque vote compte » n'est pas un bon slogan. On vient de vous expliquer qu'il peut se retourner contre vous. Chaque vote est compté, et dans un système de représentation proportionnelle, de nombreux votes ne sont pas comptés, en un sens. Une partie d'entre eux n'est pas représentée. Il faut établir des seuils.
    Alors je ne prétendrais pas que dans un système de représentation proportionnelle, chaque vote comptera. Je ne pense pas que ce soit un bon slogan.
    Il vous reste très peu de temps, madame Romanado. Vous avez le temps de faire une observation de 20 secondes, si vous le voulez, mais je ne pense pas que vous aurez le temps de recevoir une réponse.
    Je voulais juste dire, dans le cas d'une coalition ou de gouvernements minoritaires, pensez-vous qu'il soit possible qu'un esprit de collaboration contribue à atténuer un peu le cynisme?
    Je crois que nous devrions passer la parole au prochain député. Afin de terminer plus ou moins à l'heure — nous avons déjà dépassé le temps alloué —, nous permettez-vous de laisser cette question en suspens pour le moment?
    Bien sûr.
    Merci. Vous avez ouvert une nouvelle voie avec votre question sur l'expression « Que chaque vote compte ». Nous n'avions pas vraiment discuté de cela.
    Monsieur Kenney.
    Merci, monsieur le président.
    Ma première question a trait au processus, et ma deuxième au contenu.
    Au sujet du processus, monsieur Dutil, vous avez parlé de celui qu'ont adopté trois gouvernements provinciaux ainsi que de l'engagement qu'avait pris un ancien gouvernement du Nouveau-Brunswick de tenir un référendum. La Colombie-Britannique et l'Ontario avaient décidé de tenir des assemblées des citoyens qui étudieraient cette question, puis qui élaboreraient une question que l'on poserait aux électeurs; je crois que cette approche s'inspire de celle de la Nouvelle-Zélande.
    Dans le cas qui nous préoccupe, nous avons éliminé l'étape de l'assemblée des citoyens. Maintenant nous chargeons des politiciens de discuter de la manière d'élire des politiciens. Le gouvernement cherche à éliminer la deuxième étape, c'est-à-dire le référendum qui garantirait la légitimité démocratique, ou la légitimité politique, des résultats.
    Ma question s'adresse à nos deux témoins. Ne pensez-vous pas que nous devrions au moins conserver l'une de ces deux étapes intermédiaires? Ne pensez-vous pas que de nombreux Canadiens, quelles que soient leurs opinions en matière de réforme électorale, trouveraient que de laisser les politiciens décider...
    Écoutez, reconnaissons-le, dans ce contexte, comme l'a dit M. Russell, vu l'influence qu'a le Cabinet du premier ministre, la décision définitive que prendra le Cabinet représentera les préférences du premier ministre. Ne serait-il pas préférable, pour assurer la légitimité démocratique, de tenir soit une assemblée des citoyens, soit un référendum, ou les deux?
    D'où naît le cynisme? Du fait que les politiciens protègent uniquement leurs propres intérêts. Voilà la réponse. Les gens développent une attitude de cynisme envers leurs politiciens en voyant qu'ils ne défendent qu'eux-mêmes et leurs propres intérêts ainsi que leurs intérêts collectifs. Il faut tenir un référendum. Que vous chargiez un comité ou une sorte de collège électoral ou autre de le faire, il faut que le peuple prenne la décision définitive. Si vous tenez à éliminer le cynisme, vous devez démontrer que les élus ne cherchent pas uniquement à se protéger. Vous devez ouvrir le système de façon à ce que les Canadiens puissent exprimer leurs opinions sur cette question. À mon avis, voilà ce que vous devez faire.
    Je me dois de présenter l'idée sur laquelle je mène actuellement de la recherche et selon laquelle le Cabinet du premier ministre a acquis plus d'influence sous M. Trudeau. Je rédige un ouvrage, qui paraîtra l'année prochaine, dans lequel je démontre très clairement que cela remonte à l'époque de John A. Macdonald, en 1867. Le pays s'est modernisé, mais dès le début, les premiers ministres de notre pays ont joui d'une forte influence. Tout le monde le sait. Cette situation s'est modernisée, c'est sûr. John A. Macdonald a utilisé cette influence à sa façon, Laurier l'a fait différemment, Borden et Mackenzie King l'ont fait chacun à sa manière. Je ne vous apprends rien là-dessus.
    Le Parlement ne changera pas cela. Il y a peut-être d'autres moyens de restreindre le Cabinet du premier ministre. À mon avis, les Australiens vous enseignent une vraiment bonne leçon; quand on a des ministres solides, des députés solides capables de vaincre le premier ministre...
    Merci. J'ai encore ma seconde question à poser.
    Pour répondre à votre question sur le référendum, j'espère que cette proposition ne vient pas du premier ministre. J'espère que cela fera l'objet d'une forte recommandation de ce comité avec un soutien solide de tous les partis. Le peuple canadien vous le demande; il ne veut pas simplement ce que Justin Trudeau préfère. Les Canadiens veulent ce que votre comité préfère. Vous êtes dans l'obligation de leur présenter des conclusions bien réfléchies sur lesquelles vous aurez atteint un consensus. Ils ne veulent pas un système électoral qui ne favorise qu'un ou deux partis. Ils veulent un système qui les favorisera eux. Je ne soulignerai jamais assez cela. Vous pourrez alors tenir un référendum décent, mais ne manquez pas d'examiner les règles sur les référendums.

  (1625)  

    Dans le passé, je pensais que n'importe quel système électoral serait meilleur que le scrutin uninominal. Je n'ai jamais exprimé mon point de vue à ce propos, mais je dois dire que je considère ce processus avec un certain cynisme, parce que le parti au pouvoir a déclaré sans se cacher qu'il préfère un type de scrutin, le vote transférable. Nous rejetons l'idée de l'assemblée des citoyens et nous rejetons la tenue d'un référendum.
    Si nous tenons à ce que chaque vote compte, nous n'atteindrons pas cet objectif avec un système de vote unique transférable, parce qu'on estime qu'avec ce système, le Parti libéral aurait gagné 66 % des sièges lors de la dernière élection, au lieu des 54 % qu'il a gagnés en réalité.
    Que pensez-vous du système de vote unique transférable dans des circonscriptions uninominales, puisque le vote de deuxième tour semble favoriser un parti centriste?
    Êtes-vous sûr de parler du système de vote transférable? Ce n'est pas un système uninominal. Vous parlez du vote alternatif, ou préférentiel. Ce n'est pas la même chose. Ce vote n'a rien à voir avec les systèmes de vote transférable.
    Le système de vote alternatif ne finit-il pas par produire moins de votes qu'un statu quo?
    Une réponse brève, s'il vous plaît, nous avons dépassé le temps alloué.
    C'est possible. Il est aussi possible que certains candidats reçoivent plus de votes que d'autres. Si vous votez pour un des candidats qui se trouvent en deuxième ou en troisième position, votre vote sera compté, mais si vous votez pour un candidat qui se trouve plus bas selon les calculs, vous pourrez voter deux fois: votre premier et votre second vote seront tous deux comptés.
    Merci.
    Monsieur DeCourcey.
    Merci, monsieur le président.
    Je voudrais quelques éclaircissements, puis je voudrais établir un lien entre la notion de causalité et de coïncidence et l'influence qu'a notre système électoral sur l'image du Parlement.
    Tous les autres témoins que nous avons entendus nous ont dit d'une manière ou d'une autre que notre système électoral actuel fait partie de facteurs d'une culture politique générale qui englobent le fonctionnement du Parlement, certaines politiques dont se prévalent les députés au Parlement ainsi que plusieurs autres caractéristiques à partir desquelles les Canadiens se font une image du Parlement. Trouvez-vous que notre système électoral fait partie des facteurs qui influent sur le Parlement que nous avons?
    Tout à fait. Ce système est central, et il constitue assurément l'un de ces facteurs. Mais si vous voulez la représentation, je crois qu'il faut regarder plus en profondeur. Si vous voulez la représentation, il faut que votre parti vérifie s'il présente un nombre suffisant de candidates et si vous avez assez de candidats qui représentent notre pays.
    Le Parlement actuel a fait d'immenses progrès. Il représente mieux que jamais la population canadienne. Je suis tout à fait d'accord avec vous, nous n'avons pas assez de femmes. La situation est bien meilleure au niveau provincial, mais pas tant au niveau municipal. Je crois que cela dépend de la culture générale de chaque parti. Il faut pousser dans ce sens.
    En ce qui concerne la représentation, si vous présentez une liste contenant un bon nombre de candidates, vous avez un type de système différent. Vous pouvez suivre ce système avec une longue liste de candidats masculins. C'est un choix que vous faites dans votre rôle de politiciens; c'est vraiment un choix politique. Lorsqu'on parle de sagesse politique... les gens trouvent cela un peu idéaliste. Personnellement, j'y crois; c'est ce que vous représentez pour moi.
    Monsieur Russell, pensez-vous aussi que le système constitue un facteur parmi tant d'autres?
    Avec la représentation proportionnelle mixte, il est évidemment plus facile pour bien des femmes d'assumer des responsabilités domestiques, d'avoir leur nom sur une liste au lieu d'aller péniblement frapper aux portes, comme vous devez tous le faire pour vous faire élire dans une circonscription. Vous l'avez tous fait. Dans le cas du système à vote transférable, si vous avez, disons, cinq sièges pour une circonscription urbaine comme Toronto ou Montréal, les grands partis choisissent cinq candidats pour chacun de ces sièges. Les femmes auront ainsi plus de chance, parce que tous les partis voudront probablement que le nom des candidates figure avec évidence sur leur liste. On constate aussi cela dans le système de vote transférable de la Finlande et d'autres pays. Donc ce n'est pas une coïncidence. Ces systèmes semblent favoriser un plus grand nombre de candidates, même pour les partis qui font tous les efforts possibles pour faire élire plus de candidates.

  (1630)  

    Monsieur Russell, me permettez-vous d'approfondir un peu cette question, parce que j'ai entendu d'autres témoins et d'autres députés parler de la liste d'un scrutin plurinominal dressée à partir des candidats qui ont aussi fait campagne et frappé aux portes, ce qui ajouterait de la légitimité au processus.
    Êtes-vous d'accord avec cela, ou êtes-vous d'accord avec l'idée de simplement présenter son nom sur une liste pour recevoir...
    Savez-vous quoi? Vous devriez examiner certaines de ces listes.
    Ne me croyez pas sur parole, regardez les listes de certains partis allemands ou néo-zélandais. Vous y verrez des candidats extraordinaires. Ils y inscrivent des vedettes — des gens exceptionnels — de grands artistes, des hommes d'affaires, même des athlètes. Les circonscriptions ne sont pas uniquement géographiques. Regardez les Autochtones. Ils constituent eux-mêmes une circonscription. L'avantage des listes, c'est qu'elles vous permettent d'étendre votre représentation au Parlement. Ce n'est pas uniquement une question de géographie.
    Mais examinez un peu ces listes. Ne vous contentez pas d'en garder une idée vague. Les recherchistes de la Bibliothèque du Parlement pourront vous en montrer des exemples.
    Permettez-moi d'ajouter une chose. Je vous exhorte à examiner le Sénat.
    Pourquoi ne pas vous servir du Sénat pour compenser les lacunes de la Chambre des communes? Pourquoi ne pas inclure un plus grand nombre de femmes au Sénat qui imposeraient au premier ministre...
    Vous avez déjà fait cette observation, elle est excellente.
    Monsieur Blaikie.
    Je ne pense pas que de présenter des recommandations sur le Sénat fasse partie du mandat de ce comité sur la réforme démocratique.
    Ce serait une raison de ne pas le faire.
    Le Sénat est une des chambres du Parlement.
    Nous suggérons que la sagesse politique permettrait d'amener un plus grand nombre de femmes dans l'arène politique. Malgré le lien évident que j'y vois, cela ne sous-entend pas de causalité ou de coïncidence entre les systèmes de représentation proportionnelle et la participation des femmes en politique. Mais ensuite nous commençons à parler du système de représentation proportionnelle qui générerait une multitude de petits partis et qui par là même deviendrait inapplicable.
    Je ne vois plus le bien-fondé de la sagesse politique. S'il représente un moyen efficace d'amener plus de femmes en politique, je ne vois pas pourquoi, si nous sommes en mesure d'appliquer cette même sagesse politique avec le système majoritaire uninominal, nous ne pourrions pas appliquer cette même bonne volonté et cette sagesse politique à l'établissement d'un système politique moins régional dans le cadre d'un scrutin de représentation proportionnelle.
    J'ai eu beaucoup de peine à comprendre vos concepts qui visent, d'un côté, à faire participer un plus grand nombre de femmes en politique. Nous n'avons pas besoin d'établir un système particulier ou de fixer des règles pour y parvenir. Nous atteindrons cet objectif parce que nous sommes des politiciens extraordinaires qui aiment leur pays et qui tiennent à atteindre cet objectif important. Toutefois, dans le cadre d'un système de représentation proportionnelle, cette sagesse et cette bonne volonté politiques s'évanouiraient. Nous retomberions dans la politicaillerie régionale mesquine.
    J'ai bien de la peine à relier votre optimisme sur nos capacités de politiciens à votre pessimisme sur le système de représentation proportionnelle.
    Merci d'avoir posé cette question.
    À mon avis, dans le système actuel qui vous permet d'être élu même si la majorité des gens ont voté contre vous, vous êtes obligé de travailler très fort et de prêter attention à ce que pensent les gens afin d'accomplir votre travail le mieux possible, sachant que la plupart des gens ont voté contre vous.
    Le système de représentation proportionnelle est fondamentalement différent. Les partis se forment autour de points de vue beaucoup plus précis. Ceci n'est pas une simple hypothèse. Si vous examinez tous les gouvernements qui appliquent la représentation proportionnelle, vous vous en apercevrez. Regardez les Pays-Bas, la Belgique, l'Espagne, la Grèce. Dans tous les pays qui ont la représentation proportionnelle, les partis sont rattachés à...

  (1635)  

    Oui, les partis sont régionaux.
    Évidemment que le système majoritaire uninominal comprend des partis régionaux. Nous avions le Parti réformiste, qui était très évidemment régional...
    C'est vrai.
    C'est pourquoi il a dû s'engager... vous savez, la droite a dû se rassembler. Vous avez le Bloc québécois qui est régional.
    Il n'est donc pas juste de dire qu'en adoptant un système de représentation proportionnelle, nous créerions des partis régionaux au Canada.
    C'est justement ce que je disais. Ils n'existent plus.
    Euh... je suis assis à côté d'un député du Bloc québécois, donc ce parti existe encore!
    Il n'est pour ainsi dire plus là.
    Je vous dirais aussi que certains membres du Parti réformiste...
    Excusez-moi, monsieur Blaikie, j'ai beaucoup de plaisir à vous écouter tous deux, mais pourriez-vous rester dans le sujet?
    Continuez.
    Qui avait la parole? M. Dutil?

[Français]

     Excusez-moi.

[Traduction]

    Je ne fais que souligner la réalité.
    Dans le cadre d'un système de représentation proportionnelle, on voit très évidemment un plus grand nombre de candidats qui représentent des intérêts particuliers. Ils ne se préoccupent pas vraiment des intérêts d'autrui parce qu'ils savent qu'ils obtiendront un certain pourcentage des suffrages; donc s'ils se concentrent sur cet objectif, leur vote se renforcera.
    Le système majoritaire uninominal a le grand avantage de ne pas encourager ce type de comportement. Il vous encourage à ouvrir...
    Je me permettrai d'intervenir à ce sujet pour vous dire que cela se passe bel et bien dans un contexte de représentation proportionnelle, mais il est important de... disons que nous avons entendu décrire différents types de systèmes proportionnels que nous pourrions adopter. Par exemple, un système de représentation proportionnelle mixte comprendrait des circonscriptions uninominales.
    Ce n'est pas le cas d'un système de représentation proportionnelle à vote transférable, mais l'idée selon laquelle en adoptant un type de système proportionnel on n'aura plus de députés locaux obligés d'assumer cette même responsabilité ou qui seront même élus par une majorité dans leur circonscription n'exclut pas l'idée d'avoir un parlement équilibré dans lequel les points de vue des Canadiens seront représentés adéquatement et proportionnellement. L'un n'exclut pas l'autre.
    Alors quand nous parlons de système proportionnel, ce comité doit, en partie, déterminer dans quelle mesure on pourra assurer ce type de système. Je suis sûr qu'à titre d'expert dans votre profession et dans votre domaine de recherche, vous savez qu'il est impossible d'assurer ce type de système. Je ne comprends pas...
    Bonne chance si vous essayez de faire comprendre cela au peuple canadien.
    Je trouve cet argument trop général.
    Je ne pense pas que l'idée d'établir deux classes de députés sera acceptée dans notre culture politique. Nous aurions une classe de députés qui répondent aux besoins des électeurs et une autre classe de députés dont les noms figureraient continuellement à la liste. Je crois que les Canadiens tiennent à ce que leurs députés assument leurs responsabilités envers eux. Lorsqu'il est temps d'éliminer un parti, lorsqu'il est temps de renverser un gouvernement, les Canadiens savent exactement sur quel bouton appuyer, et ils le font.
    Mais pour une représentation démographique...
    Le président: Cette discussion est très intéressante, monsieur Blaikie...
    M. Daniel Blaikie: ... vous aimez l'idée d'utiliser les sénateurs, qui n'ont de comptes à rendre à personne.
    ... et je suis sûr que M. Deltell saura lancer pour nous une très bonne conversation.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Oui, je suis très heureux d'être ici.
    Je peux vous assurer que le Bloc québécois est toujours ici. Je vous l'assure.
    Il est vrai que nous sommes issus de racines différentes. Je suis très fier de montrer au Comité la carte de membre du Parti progressiste-conservateur du Canada que j'ai eue en 1981, alors que j'avais 17 ans. Je suis très fier de mes racines.
    Je suis aussi très fier d'être conservateur, tout comme vous l'êtes de votre adhésion au NPD, ou au Parti vert, ou au Bloc québécois ou au Parti libéral.
    Monsieur Russell, vous avez dit que vous espérez que notre comité présentera une recommandation et que le gouvernement la suivra. C'est ce que vous avez dit. Je suis désolé pour vous, cher ami, mais cela n'arrivera pas, parce qu'il y a quelques semaines, exactement ici dans cette salle, la ministre — elle était assise dans la chaise que vous occupez — a affirmé qu'elle ne serait pas liée à la décision de ce comité.
    Oh. Je ne savais pas cela.
    La décision ultime viendra d'un seul gars, le premier ministre, qui contrôle le Cabinet et qui contrôle la majorité à la Chambre. Ne pensez-vous pas qu'il sera nécessaire de tenir un référendum pour que le peuple décide au lieu que cette décision soit prise par un seul type?
    Oui, il devient même plus crucial de tenir un référendum, s'il en est ainsi.
    Je vais relire ce qu'a dit la ministre Monsef. Je vais regarder cela pour vérifier si son affirmation est aussi claire que vous le suggérez. Si tel est le cas, j'en serai profondément déçu.
    J'ai un avion à prendre pour embarquer à temps dans un navire. Je ne veux pas vous manquer de respect, mais il faut que je m'en aille. Pardonnez-moi de partir avant la fin.

  (1640)  

    Nous comprenons. Nous vous remercions beaucoup d'être venu témoigner aujourd'hui.
    Parfait. Merci beaucoup.
    Nous avons presque fini, et M. Dutil répondra aux dernières questions. Merci beaucoup d'être venu, monsieur Russell.
    Je suis heureux d'avoir dit cela avant que M. Russell s'en aille. Je suis très surpris de voir que la chef du Parti vert est avec lui. Très surpris.

[Français]

    Monsieur Dutil, j'aimerais parler avec vous de l'importance de consulter les citoyens.
    Le gouvernement actuel nous invite à tenir des assemblées de cuisine pour consulter les citoyens. Selon vous, de telles assemblées sont-elles une bonne façon de savoir ce que les citoyens pensent, comparativement à un référendum où l'on peut consulter tous les Canadiens?
    La réponse est non, parce que ce n'est pas représentatif. Les gens qui se présenteront à ces assemblées seront typiquement favorables au changement. Ceux qui sont satisfaits du système — et c'est la grande majorité — ne se déplaceront pas pour participer à ce genre d'exercice, ou du moins ils seront rares.
    Pour obtenir la confirmation des citoyens que c'est quelque chose qu'ils désirent vraiment, il faut une consultation référendaire. Quant à moi, c'est incontournable.
    Que pensez-vous de ceux qui disent qu'on ne tiendra pas de référendum, étant donné qu'on risque de perdre?
     C'est à eux de défendre, dans un contexte référendaire, leur paroisse, leur position, et de prouver aux Canadiens que le système qu'ils prônent est meilleur que celui que nous avons depuis 225 ans. C'est à eux de nous convaincre, de convaincre les Canadiens. Je leur souhaite bonne chance.
    La situation référendaire doit être juste et doit permettre aux gens de faire un choix, comme cela s'est fait en Nouvelle-Zélande, en Australie et en Grande-Bretagne. Il faut que les citoyens aient la possibilité de dire qu'ils sont favorables au système actuel. La question doit être absolument claire et doit permettre aux Canadiens de choisir le statu quo.
    Si ces conditions étaient réunies, je pense qu'on pourrait tenir un bon référendum dont le résultat serait respecté.
    Il reste environ 40 secondes.
    Je veux revenir sur un point que j'ai soulevé à quelques reprises.
    Les citoyens en général ne m'ont pas parlé de cela lors de la dernière campagne électorale, ils ne m'en parlent pas depuis le début du mandat et ils ne m'en parlent pas du tout depuis que le Comité siège. La seule fois où les gens m'en parlent, c'est lorsque je leur dis que je vais à Ottawa une semaine en juillet pour parler de réforme électorale. Ils me disent: « Quoi? » Je leur dis de quoi il s'agit et ils répondent: « Ah bon. »
    À part les activistes politiques, qui ont bien sûr leur place dans notre démocratie, cela ne préoccupe pas les citoyens. La moindre des choses serait de tenir un référendum, si un changement majeur devait avoir lieu.
    D'accord.
    Nous allons terminer par Mme Sahota.

[Traduction]

    Merci.
    Je ne savais pas que j'aurais cette occasion. J'avais formulé ma question de manière à la lier au travail de M. Russell, mais vous pourriez quand même me donner votre opinion, monsieur Dutil. Je voulais qu'il me parle un peu de la Commission Jenkins et du processus qu'elle a adopté. La connaissez-vous un peu? Sinon, je formulerai ma question différemment.
    La Jenkins?
    La commission du Royaume-Uni. Je sais que M. Russell avait étudié un peu cela. Cette commission a aussi examiné le processus de réforme électorale. Pourriez-vous nous parler de ses conclusions? Ses membres avaient beaucoup discuté du scrutin alternatif plus. Nous n'en avons pas beaucoup parlé; nous avons examiné le vote unique transférable.
    Malheureusement, je n'ai pas suivi les conclusions de cette commission de très près. J'ai suivi le référendum qui a été tenu après cela, car je le trouvais très important. À mon avis, les Britanniques ont bien fait les choses. Ils ont créé un comité, ils ont présenté la question au peuple et ils ont obtenu un le résultat.
    Me permettez-vous de répondre à la question posée à M. Russell? Je n'ai pas eu l'occasion de m'exprimer.
    Bien sûr!
    Vous avez demandé — ou peut-être était-ce la personne à côté de vous — ce que nous pourrions faire pour mieux relier les députés à leurs électeurs.

  (1645)  

    C'était ma question.
    Je connais deux initiatives pour les avoir dirigées moi-même. La première était le programme Du Parlement au campus de l'Association canadienne des ex-parlementaires. Malheureusement, ce programme a été éliminé il y a quelques années à cause d'un manque de fonds, mais je l'ai dirigé pendant trois ans; j'étais responsable d'amener d'anciens députés du Parlement dans les universités pour qu'ils décrivent aux étudiants la vie de député. Nous visions à expliquer aux gens le rôle des députés locaux et ce qu'ils font. Nous cherchions à encourager les jeunes à se lancer en politique. C'était l'une de ces initiatives.
    L'autre, comme je l'ai dit plus tôt, est un programme mené à l'Université Ryerson dans le cadre duquel nous plaçons des étudiants dans les bureaux de députés au Parlement; ils obtiennent un crédit pour ce stage. Ils travaillent avec leur député pendant une journée par semaine pendant 10 semaines. C'est le seul programme de ce genre au Canada. Pour faire connaître le rôle important que vous assumez, il faut parfois s'adresser aux gens individuellement. Mais ces étudiants sont fantastiques, et ce programme motive les gens d'une façon extraordinaire.
    S'il me reste une seconde, je voudrais mentionner une troisième initiative, le programme Samara Canada dont nous avons parlé un peu plus tôt. Cet organisme mène un projet pilote qui réunit de nouveaux arrivants au Canada pour leur expliquer notre système politique. Nous savons qu'une fois qu'ils obtiennent leur citoyenneté, les immigrants ne participent pas beaucoup aux élections. S'il disposait du financement nécessaire, cet excellent projet se poursuivrait pour aider les nouveaux citoyens canadiens à mieux connaître notre système. Il y a beaucoup d'initiatives que nous pourrions lancer, sans changer le système, pour mieux éduquer les Canadiens sur la vie politique du pays et sur ses institutions politiques.
    Ce sont d'excellents moyens de mobiliser notre population. J'ai participé à des programmes de ce genre dans des écoles secondaires et dans des universités. D'autres témoins nous ont dit qu'ils enseignaient ces choses dans les écoles, et M. Russell a aussi parlé de ces programmes visant des enfants très jeunes afin que dès leur jeune âge ils apprennent à participer aux élections pendant le reste de leur vie.
    C'est absolument crucial. M. Russell affirme que l'Ontario est l'une des rares provinces qui aient inclus des cours civiques dans son programme du secondaire. L'Ontario est l'une de quatre provinces seulement où l'on enseigne l'histoire à l'école secondaire. Nous avons beaucoup à faire pour faire connaître à la population les institutions qui nous gouvernent, et je trouve qu'il est crucial que nous répondions à ces besoins. Évidemment que ce serait difficile à faire au niveau fédéral, mais vous pourriez aussi recommander que l'on aborde ces problèmes.
    Vous avez tout à fait raison. Merci.
    Je vous remercie pour votre témoignage aujourd'hui. Il nous a bien éclairés.

[Français]

     Effectivement.
    Messieurs, merci beaucoup d'avoir été des nôtres aujourd'hui. Cela a été un vif débat et nous avons beaucoup appris de la discussion.
    Je rappelle aux membres du Comité que nous allons nous réunir ce soir à 19 heures dans la salle C-110 de l'édifice situé au 1, rue Wellington. Nous allons entendre, par vidéoconférence, des représentants de commissions électorales de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie.
    Merci beaucoup de votre collaboration. Nous nous revoyons tout à l'heure.
    La séance est levée.
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