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CHPC Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent du patrimoine canadien


NUMÉRO 077 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 16 octobre 2017

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Je déclare la séance ouverte.
    Bienvenue au Comité permanent du patrimoine canadien. Nous étudions les formes de racisme et de discrimination religieuse systémiques, à la suite du renvoi au Comité de la motion M-103. Le Comité a toutefois décidé d'examiner la question plus générale du racisme et de la discrimination religieuse systémiques. Tous les partis ont accepté de procéder ainsi et nos thèmes reflètent cette décision.
     Je souhaite la bienvenue aux témoins qui sont ici aujourd'hui. Nous accueillons Dr Sherif Emil, qui est directeur du service de chirurgie thoracique et pédiatrique générale à l'Hôpital de Montréal pour enfants. Nous entendrons ensuite M. Laurence Worthen, directeur général de la Christian Medical and Dental Society of Canada.
    Nous commençons par Dr Emil.
    Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, membres du personnel et invités du Comité, mesdames et messieurs, merci de m'accorder le privilège de témoigner aujourd'hui.
    Je m'appelle Sherif Emil. Je ne suis ni une personnalité publique, ni un conseiller politique, ni un militant politique. Je ne représente aucun organisme ni aucun mouvement. Je suis simplement ici à titre de citoyen, et je suis véritablement préoccupé. Je suis l'un des plus récents citoyens canadiens, puisque j'ai obtenu le privilège de la citoyenneté canadienne le jour même du 150e anniversaire du Canada, le 1er juillet dernier. Ce jour-là, à Montréal — une journée pluvieuse —, j'ai fait le serment d'observer fidèlement les lois du Canada et de remplir loyalement mes obligations de citoyen canadien. Je considère ma présence ici aujourd'hui comme une façon d'exprimer ma gratitude pour la citoyenneté qui m'a été accordée et de remplir mes obligations à titre de nouveau citoyen.
    Je suis chirurgien pédiatrique à l'Hôpital de Montréal pour enfants. J'interviens auprès de l'une des populations de patients les plus vulnérables, les bébés et les enfants malades ayant besoin d'une chirurgie. Mes patients et leurs parents viennent de toutes les régions du monde et représentent toutes les cultures et toutes les religions. Il en va de même pour mes stagiaires, dont environ le tiers est originaire des pays arabes du golfe Persique, des sociétés musulmanes extrêmement conservatrices. Mon succès en tant que médecin et enseignant découle en grande partie de mon profond respect pour la diversité et mon authentique tolérance à l'égard de points de vue très différents des miens.
    Aujourd'hui, je suis venu présenter mes observations sur la motion M-103 et sur les projets de loi qui pourraient en découler. La motion M-103 invite notamment le gouvernement à « établir une approche pangouvernementale pour la réduction ou l'élimination du racisme et de la discrimination religieuse systémiques, dont l'islamophobie ». Le dernier mot de la phrase, « islamophobie », a fait de cette motion une motion controversée. Malheureusement, une solution de rechange proposée par l'opposition, qui était que le Parlement « condamne toutes les formes de racisme systémique, d'intolérance religieuse et de discrimination à l'égard des musulmans, des juifs, des chrétiens, des sikhs, des hindous et des gens d'autres communautés religieuses », a été rejetée par la majorité, même si les musulmans étaient les premiers sur la liste.
    Permettez-moi d'examiner la notion d'islamophobie. Je vais d'abord citer les propos tenus par le président turc Recep Tayyip Erdogan le dimanche 12 mars: « Ce que nous avons vu ces derniers jours en Allemagne et aux Pays-Bas est le reflet de l'islamophobie. » Ils ont été prononcés dans le cadre d'une série de discours dans lesquels M. Erdogan a également qualifié les gouvernements allemands et néerlandais de « nazis » et de « fascistes ». Il semble que ces gouvernements sont islamophobes parce qu'ils ont refusé d'autoriser des responsables turcs à tenir des rassemblements politiques dans les communautés d'immigrants turcs, rassemblements qui visaient à promouvoir son option pour le référendum d'avril, en Turquie. Il vise à éloigner la Turquie de son passé récent de seule démocratie laïque musulmane — mais qui continuait de nier le génocide arménien — pour en faire un autre État autocratique islamique. Nous savons tous ce qui s'est passé en Turquie depuis que le gouvernement a gagné le référendum.
    Je vous pose la question: souscrivez-vous à la définition d'islamophobie employée par M. Erdogan? Approuvez-vous les actions prises par Al-Azhar — l'autorité de savoir la plus respectée de l'Islam —, qui a accusé Islam Behery, un libre-penseur, auteur et journaliste égyptien d'avoir fait la promotion de l'islamophobie et d'avoir insulté l'islam? M. Behery, un musulman pratiquant, examinait dans le cadre d'une émission de télévision hebdomadaire les racines du fondamentalisme islamique ayant mené à l'émergence des Frères musulmans, du groupe État islamique, d'Al-Qaïda, d'al Shabaab, de Boko Haram et d'autres. Ces mouvements sont fondés sur des sources de doctrine et de jurisprudence islamiques acceptées et reconnues. Son message était simple: pourquoi devrait-on jeter le blâme sur le groupe État islamique pour les crucifixions, les décapitations, l'asservissement des femmes et la destruction de lieux historiques de nature idolâtre, alors que ces pratiques font partie intégrante des textes islamiques?
    En fait, bon nombre de pratiques du groupe État islamique — les décapitations publiques, le meurtre d'homosexuels, la lapidation pour adultère — sont aussi celles du gouvernement de l'Arabie saoudite, à la différence que le gouvernement saoudien a codifié ces pratiques dans un cadre légal et considère comme islamophobe quiconque ose critiquer le pays, comme l'a fait récemment le ministre suédois des Affaires étrangères. Les actions « islamophobes » de M. Behery lui ont valu un an de prison.
    Il n'est pas le seul. Fatima Naood, intellectuelle et féministe musulmane respectée, a été condamnée à la prison pour avoir osé remettre en question une des pratiques de la fête de l'Aïd al-Adha. Ibrahim Eissa, un journaliste musulman égyptien qui a dénoncé la persécution endémique et chronique à l'égard de la minorité chrétienne égyptienne a vu son émission de télévision être annulée; il a été interrogé par un procureur fédéral. Al-Azhar, qui est encore une fois à l'avant-scène de la guerre contre cette prétendue islamophobie, a porté des accusations identiques dans les deux cas.
    La notion d'islamophobie est à l'origine des lois condamnant l'apostasie et le blasphème qui sont omniprésentes dans les pays musulmans, lois fréquemment invoquées pour emprisonner et asservir les minorités et certains musulmans. L'an dernier, en Égypte, quatre jeunes élèves chrétiens de niveau secondaire ont été emprisonnés pour insulte à l'islam et promotion de l'islamophobie. Leur crime était d'avoir réalisé une vidéo dans laquelle ils se moquaient du groupe État islamique.

  (1535)  

    Quelle définition comptez-vous donner au terme « islamophobie »? Quel sort prévoyez-vous pour les personnes accusées d'en faire la promotion? Une partie de mon témoignage deviendra-t-elle un jour illégale au Canada? Je crois comprendre que l'islamophobie est définie de façon plutôt large: tout discours, toute opinion ou tout acte qui favorise une haine irrationnelle à l'égard des musulmans.
    Lorsqu'elle a présenté sa motion, l'honorable Iqra Khalid a décrit son expérience en tant que jeune femme canadienne en ces termes:
Lorsque j'ai déménagé au Canada dans les années 1990 en tant que jeune fille déterminée à faire sa vie ici, il est arrivé que des enfants me bousculent à l'école et me crient à la tête: « Eh, la musulmane, retourne chez toi! » Pourtant, j'étais ici chez moi. Je fais partie des milliers de musulmans à qui on s'en est pris pour cause de haine ou de peur.
    Je compatis avec Mme Khalid. Lorsque j'habitais en Arabie saoudite, je me faisais traiter d'infidèle tous les jours par d'autres enfants et par des adultes parce que j'étais chrétien, et on me faisait me sentir fondamentalement inférieur. Je n'étais pas libre de croire, de déclarer ma foi, et encore moins de pratiquer ma religion. Les membres de ma famille qui sont toujours en Égypte, notre pays natal, se font constamment rappeler qu'ils sont des citoyens de seconde zone. Plus de 100 chrétiens égyptiens, dont de nombreux enfants, ont été assassinés l'an dernier dans une série d'incidents. Leur crime était d'être chrétiens. Lors de l'attentat à la bombe contre la cathédrale copte orthodoxe, en décembre dernier, ma femme a perdu deux petites-cousines, de belles jeunes femmes, toutes deux enfants uniques. Mesdames et messieurs, la religion qui subit la plus grande persécution au monde actuellement est le christianisme, et non l'islam.
    Je comprends la douleur qu'engendrent l'ignorance, la haine, les préjugés, la discrimination et l'intolérance, mais je ne qualifie pas cela de « christianophobie » parce que ce n'en est pas. C'est de l'ignorance, de la haine, des préjugés, de la discrimination et de l'intolérance. En fait, j'assiste régulièrement au dénigrement de ma foi chrétienne lorsque des Québécois utilisent les termes les plus sacrés de la religion chrétienne comme jurons. Il y a quelques années, l'hôpital où je travaille avait installé une affiche « multiculturelle », sur laquelle Pâques était décrite comme une fête païenne.
    L'ignorance et l'insensibilité ne sont pas des phobies. « Phobie » est un terme médical qui sous-entend une peur pathologique ou irrationnelle. À ma connaissance, la seule religion à laquelle on associe ce terme est l'islam. Par conséquent, la véritable signification du terme n'est pas « une haine irrationnelle des musulmans », mais plutôt « une haine irrationnelle de l'islam ».
    La haine est toujours inacceptable. L'incitation à la discrimination ou à la violence contre quelque groupe que ce soit, y compris les Canadiens musulmans, est illégale et devrait toujours l'être. Les Canadiens musulmans apportent à notre société une diversité très positive. Je travaille avec des dizaines d'entre eux, tous les jours. Leurs contributions enrichissent notre société, mais les préoccupations quant à la façon dont l'islam est pratiqué actuellement dans une bonne partie du monde ne sont pas irrationnelles.
    Le jour où Mme Khalid a présenté sa motion, une pétition électronique priant la Chambre des communes de se joindre aux signataires « pour reconnaître que les extrémistes ne représentent pas l’Islam et condamner toutes les formes d’islamophobie » a été déposée.
    Vous avez deux minutes.
    Mesdames et messieurs, nous vivons à une époque où des armées terroristes occupent une bonne partie du territoire de certains pays, commettent des crimes haineux au quotidien, font l'étalage éhonté de leur perversité brute, utilisent les textes et l'histoire islamiques pour faire une propagande unificatrice pour leurs actions et inspirent des disciples dans tous les pays, y compris le Canada. Ignorons ces centaines de milliers d'individus; après tout, ils sont l'extrême, et ils ne représentent pas l'Islam.
    Qu'est-ce qui caractérise la majorité? Dans les courants islamiques majoritaires, l'apostasie est un crime souvent passible de la peine de mort; les minorités — souvent les populations autochtones de ces sociétés — sont privées de l'égalité citoyenne; la dissidence est synonyme de trahison. Un sondage effectué par la firme Pew Research en Égypte, une société islamique modérée, a révélé que 62 % des Égyptiens estiment que la loi devrait suivre à la lettre les préceptes du Coran. Un tiers des Égyptiens sympathisent avec les fondamentalistes islamistes et seulement un tiers croient que les chrétiens devraient être libres d'exercer leurs droits.
    Pour terminer, j'aimerais parler d'un incident encore frais dans votre mémoire. Il y a quatre jours, un jeune prêtre copte a été poignardé et battu à mort, en plein jour, dans une rue achalandée du Caire, sous les regards de la foule. Les chrétiens égyptiens se sont faits à l'idée qu'il est fort probable que l'assaillant, qui a été appréhendé, ne fera jamais face à la justice, comme tous les assaillants précédents. Dans le courant principal de la société islamique, aucun musulman ne sera traduit en justice pour avoir tué un chrétien.

  (1540)  

    Vous avez 30 secondes.
    Mesdames et messieurs, ma journée a commencé à 5 heures du matin. Je devais faire la tournée de mes patients tôt ce matin, ouvrir ma clinique tôt, fermer tôt, puis me dépêcher pour aller prendre le train qui devait m'amener à Ottawa. Bon nombre de mes amis et collègues m'ont déconseillé de venir témoigner. Certains craignent pour ma vie et m'ont rappelé qu'il ne faut qu'un extrémiste mécontent des propos que j'aurai tenus ici, en public, pour me réduire au silence pour de bon. D'autres craignent qu'on me considère comme islamophobe et que cela puisse nuire à ma pratique et à ma réputation de chercheur. Beaucoup m'ont dit: « Évitez de semer la confusion en présentant des faits. Le parti majoritaire sait déjà ce qu'il veut. »
    Docteur Emil, je dois vous interrompre. Pouvez-vous conclure rapidement, en une dernière phrase?
    J'ai choisi de comparaître aujourd'hui parce qu'il est de mon devoir de citoyen de ne pas céder à la peur ou au cynisme. J'ai choisi de venir ici parce que je fais maintenant partie de l'expérience canadienne, l'une des plus grandes réussites de l'histoire de l'humanité, et parce que je veux que mes deux filles — qui sont nées ici — retiennent qu'elles doivent chérir cette expérience et apporter leur contribution pour que le pays demeure tolérant, ouvert et libre, pour qu'il continue de militer pour l'équité et la justice, pas seulement au Canada, mais partout dans le monde.
    Je vous remercie encore une fois de m'avoir donné l'occasion de témoigner.
    Merci, docteur Emil.
    Nous passons maintenant à M. Worthen, de la Christian Medical and Dental Society of Canada, pour 10 minutes.
    Je tiens à remercier le Comité, au nom de la Christian Medical and Dental Society of Canada, de me donner l'occasion de traiter d'une préoccupation extrêmement importante, soit les préjugés, la violence et la discrimination fondés sur la religion.
    CMDS Canada est une coalition de plus de 1 600 médecins et dentistes dont le but est d'intégrer la foi chrétienne dans la pratique professionnelle. La foi chrétienne est une partie intrinsèque de notre identité en tant qu'êtres humains. Notre foi en Dieu ne peut être activée ou désactivée au besoin. La foi est fondamentalement liée à notre identité; elle doit donc, par sa nature même, être intégrée à tous les aspects de notre vie.
    En raison de cet engagement, nous comprenons extrêmement bien les préoccupations de tous les groupes religieux à l'égard des enjeux que sont les préjugés, la discrimination et le manque de la tolérance dans la société canadienne. Nous croyons que le Canada est une société pluraliste dans laquelle tous les Canadiens ont la possibilité d'exercer leur foi, leurs croyances ou leur religion et de participer à divers aspects de la société civile, en fonction de leurs valeurs. Il est intolérable que certains groupes n'aient pas accès, en raison de leurs croyances religieuses, aux mêmes possibilités qui s'offrent au Canadien moyen ou qu'ils fassent l'objet de crimes haineux, de violence, de préjugés ou de discrimination.
    Pendant de nombreuses années, j'ai collaboré avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse à l'élaboration du matériel de formation relatif à la politique sur le respect en milieu de travail, pour la formation destinée aux membres de la fonction publique. Nous avons élaboré des politiques visant à étendre les droits garantis dans la Loi canadienne sur les droits de la personne pour les groupes de personnes ayant des caractéristiques protégées, notamment la race, le sexe, l'orientation sexuelle, la religion, l'âge, etc. Nous avons également étendu cette protection pour inclure le harcèlement et l'intimidation. J'étais fier de travailler à la création d'un milieu de travail où personne ne pourrait faire l'objet d'intimidation ou de harcèlement pour quelque motif que ce soit. Je crois que les Canadiens conviennent qu'il s'agit d'un objectif louable.
    Étant donné cet effort, imaginez le scénario suivant. Imaginez qu'il existe, dans la société canadienne, un groupe de personnes ayant l'une des caractéristiques protégées en vertu d'une loi provinciale sur les droits de la personne ou de la Charte. Imaginez que les membres de ce groupe ne peuvent, dans certaines provinces, exercer leur profession ou s'inscrire dans certains établissements d'enseignement professionnel parce qu'ils présentent une de ces caractéristiques protégées. Imaginez que dans des discussions en classe, la légitimité ou la viabilité de leur vision du monde n'est pas reconnue. Imaginez qu'on les invite à ne pas présenter leur candidature pour des postes en région rurale parce qu'ils ont une caractéristique protégée ou qu'on les informe qu'ils ne peuvent exercer qu'une partie des fonctions de leur profession en raison de leur caractéristique protégée; que les politiques établies par leurs organismes de réglementation indiquent que les gens qui ont fait connaître leurs convictions morales sur le sujet étaient considérés comme des personnes manquant de professionnalisme, des personnes égoïstes et indignes d'exercer la fonction noble associée à cette profession. Les responsables de la réglementation évoquaient ouvertement des anecdotes remontant à des décennies qui découlaient d'hypothétiques discussions qui n'avaient jamais eu lieu. Lorsque les responsables de la réglementation ont commencé à utiliser leur pouvoir pour mettre en oeuvre leurs préjugés, le résultat inévitable était la discrimination.
    Ce scénario n'a rien de fictif. C'est la réalité. Il touche des médecins, des infirmières et d'autres professionnels de la santé au Canada qui ne peuvent, en raison de leurs croyances religieuses, tuer intentionnellement un patient, peu importe l'étape de sa vie. Selon leur conscience et leurs convictions religieuses, un tel acte est indéfendable moralement, et ils ne peuvent jouer un rôle à cet égard. Nous ne pouvons jouer aucun rôle dans des procédures qui sont contraires à notre responsabilité morale envers Dieu et envers d'autres êtres humains. Or, certaines autorités de réglementation provinciales, comme celles de l'Ontario, exigent que les médecins veillent à ce que leurs patients puissent consulter un médecin qui mettra un terme à leur vie ou encore, dans certains cas, qu'ils mettent eux-mêmes fin à la vie de patients en leur prescrivant un médicament mortel.
    Par conséquent, certains étudiants indiquent s'être fait dire, en pleine classe, qu'ils devraient éviter certaines régions géographiques pour exercer leur profession s'ils ont de telles croyances. Des médecins se sont fait conseiller, par des organismes de réglementation, de se réorienter et de suivre une formation dans un groupe restreint de spécialisations, comme la chirurgie plastique, la pathologie ou la médecine sportive. Les candidats à l'admission aux facultés de médecine doivent, dans le cadre du processus d'admission, répondre à des questions qui les désavantagent nettement en raison de ces enjeux éthiques. Des éthiciens médicaux réputés ont recommandé publiquement de rejeter la candidature des étudiants qui ont des objections de conscience.

  (1545)  

    Imaginez que ce scénario se réalise et qu'il mène à l'exclusion de tout groupe de personnes ayant l'une des caractéristiques protégées. Imaginez que les gens soient pénalisés à cause de leur couleur ou de leur orientation sexuelle, de leur sexe ou de leur groupe racial. Les forces puissantes de notre société — le gouvernement, les médias, les universités — ne le toléreraient pas. Pourquoi est-ce toléré quand cette discrimination est dirigée contre des croyants? Pourquoi cette grave attaque contre nos valeurs constitutionnelles est-elle acceptée?
    Je dirais que c'est parce que le Canada se trouve à la croisée des chemins. Nous devons convenir de ce que cela signifie pour nous d'avoir un État laïc. Tout le monde estime que la neutralité de l'État est une bonne chose, mais l'État ne doit jamais se trouver dans une position où il montre une préférence pour une religion ou une croyance au détriment d'une autre. C'est ce qui assure la prospérité d'une société pluraliste.
    Cependant, en même temps, il se passe quelque chose de plus insidieux. Des gens subissent de la discrimination. Ils sont obligés de faire des choses qui vont à l'encontre de leurs convictions religieuses, des convictions qui ne leur permettent pas de participer à certaines procédures qui vont causer la mort de leurs patients. Exiger d'une personne qu'elle le fasse, même contre sa propre conscience, c'est mettre en place et favoriser la laïcité ou l'athéisme, qui est en soi une croyance identifiable. Il y a violation de la neutralité de l'État, quand un État laïc décide d'imposer la laïcité aux gens qui ont des convictions religieuses établies censées être protégées par les lois sur les droits de la personne et par la Charte.
    Ces préoccupations touchent un plus vaste éventail de religions, et non seulement les chrétiens. Les juifs orthodoxes, les musulmans, les sikhs et les hindous qui sont des professionnels de la santé — des médecins et des infirmières ou infirmiers, entre autres — sont aussi menacés, tout comme de nombreux autres professionnels qui sont des humanistes laïcs ou des athées et qui estiment qu'il n'est pas dans l'intérêt supérieur de leur patient de le tuer. Selon un argument fondé sur le multiculturalisme, il serait préférable en fait de donner plus d'attention ou de soutien à la liberté de conscience et de religion, car de nombreux nouveaux immigrants arrivent au Canada avec des croyances religieuses qui peuvent enrichir notre mosaïque culturelle.
    Lors des audiences du comité sénatorial de la justice portant sur le projet de loi visant à légaliser l'euthanasie au Canada, trois grands groupes religieux se sont épaulés dans la défense du droit à la liberté de conscience des professionnels de la santé. Ils avaient manifestement des objectifs communs, car de nombreux groupes religieux au Canada sentent qu'ils doivent lutter pour les droits de la personne et contre une laïcité radicale qui supprimerait toute référence à Dieu, et même à toute valeur transcendante, de tous les aspects de la vie publique au Canada.
    Les laïcistes qui adhèrent à ce point de vue ne reconnaissent pas qu'ils imposent leurs valeurs aux autres. Parce qu'ils ont la ferme conviction d'avoir raison, ils se sentent justifiés d'utiliser les outils de l'État pour forcer d'autres personnes à se joindre à eux, sous peine de perdre leur moyen de subsistance. C'est l'essence même de l'intimidation.
    Arracher ainsi à l'humain ses valeurs fondamentales ne peut qu'appauvrir la mosaïque canadienne...

  (1550)  

    Il vous reste deux minutes.
    ... et mener au bout du compte au totalitarisme. Au XXe siècle, les gouvernements qui auraient cherché à imposer la laïcité comptent parmi les pires coupables de violation des droits de la personne.
    La solution à ce problème se fonde sur le leadership dans notre pays. Posséder l'une des caractéristiques protégées, comme les croyances religieuses, ne devrait pas restreindre l'accès au pouvoir, dans ce pays. Cela ne devrait avoir aucune incidence sur le droit d'un député ayant les qualifications requises de siéger à la Chambre des communes pour un parti politique, ou en fait, de présider un comité de la Chambre des communes. Ce n'est pas un enjeu politique qui permet de recueillir des votes. C'est une chose que chaque député et chaque gouvernement devrait considérer comme sacrée et qu'il ne faut pas altérer par opportunisme politique.
    Trois organisations médicales et cinq médecins ont poursuivi l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario afin de demander à la cour de mettre fin à cette discrimination active et virulente fondée sur les croyances religieuses et à cette violation de la liberté de conscience.
    Ce n'était pas la bonne voie à suivre.
    Premièrement, c'est coûteux. Nous avons déboursé près de 350 000 $ jusqu'à maintenant pour obtenir le respect de nos droits en vertu de la Charte. Deuxièmement, il est difficile pour une organisation sans but lucratif de faire le poids devant les ressources de l'Ordre et du gouvernement de l'Ontario, qui a agi comme intervenant. Enfin, les dommages ont déjà été faits. Plusieurs centaines de médecins de l'Ontario savent maintenant que leur organisme de réglementation et leur gouvernement ne respectent pas leurs croyances religieuses profondes, et les membres du personnel de l'Ordre estiment que ces médecins ne devraient pas pouvoir pratiquer la médecine.
    Même si la décision nous donne raison, comment pouvons-nous espérer surmonter les préjugés qui empoisonnent déjà le système de soins de santé ontarien?
    Il vous reste 30 secondes.
    Nous avons pris quelque chose de magnifique — la croyance en Dieu et un respect profond pour la dignité de la personne humaine dans les soins de santé —, et nous en avons fait l'objet d'une enquête disciplinaire menée par l'organisme de réglementation.
    Monsieur Worthen, vous n'avez plus que 10 secondes, alors je vais vous demander de conclure.
    Merci.
    L'intolérance religieuse est un réel problème dans la société canadienne, et elle revêt des formes très diverses. Nous pressons le Comité de se prononcer avec fermeté d'une manière qui va améliorer la situation du Canada en tant que société véritablement pluraliste dans laquelle les personnes de toutes croyances religieuses se sentent en sécurité de pratiquer leur religion dans le respect de leur dieu et en toute conscience.
    Merci, madame la présidente.
    Merci.
    Nous passons maintenant à la deuxième partie de l'exercice, soit les questions. Au premier tour, les députés vont poser des questions, et le total du temps requis pour les questions et les réponses de chacun ne doit pas dépasser sept minutes. Vous avez sept minutes pour les questions et les réponses, alors je vais demander à chacun d'être aussi précis et concis que possible.
    Nous commençons par Julie Dzerowicz, chez les libéraux.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je tiens à commencer par remercier chaudement nos deux invités d'aujourd'hui. J'ai trouvé vos deux exposés très convaincants. Je vous remercie en particulier d'être venus jusqu'ici. Je sais qu'il vous a fallu beaucoup de temps. Je tiens aussi à vous féliciter d'être devenus des Canadiens. Nous vous accueillons chaleureusement. Nous sommes ravis que vous fassiez partie de notre famille canadienne.
    Monsieur Emil, je sais que vous êtes devenu un Canadien très récemment, mais étiez-vous au Canada depuis un certain temps avant cela?
    Je vais simplement poser quelques brèves questions, puis je vais passer à mes questions plus importantes.
    Oui. Je vis au Canada depuis 16 ans au total — quatre années comme étudiant, deux années et demie comme stagiaire, et neuf ans comme médecin.
    Croyez-vous qu'il y avait de la discrimination systémique fondée sur la race ou la religion pendant vos 16 années au Canada?
    S'il y avait eu de la discrimination systémique fondée sur la race ou la religion, je ne serais probablement pas un chirurgien en pédiatrie aujourd'hui, car mon nom — Sherif — est un nom moyen-oriental. Avec un tel nom, je pouvais aussi bien être musulman que chrétien. Au cours de ma formation et au moment de ma sélection, personne ne m'a demandé qui j'étais ou interrogé sur mes croyances, alors non, je ne crois pas qu'il y ait de discrimination ou de racisme systémique.
    Je crois que la discrimination et le racisme existent. C'est le cas dans de nombreuses circonstances, et dans de nombreuses situations, ce qui est vraiment malheureux, mais je ne crois pas que ce soit systémique.
    J'ai vécu dans des sociétés où il y avait du racisme et de la discrimination systémique. Croyez-moi, je sais ce que c'est, mais ce n'est pas le cas ici.
    Donc, vous ne croyez pas que nous devons...?
    Le Comité a la responsabilité, dans le cadre de son mandat, de se pencher sur une approche pangouvernementale à la discrimination et au racisme systémique au Canada. C'est ce que nous recherchons comme recommandations.
    Cependant, vous ne croyez pas que cela existe, alors il est difficile pour moi de vous demander des recommandations. Je vais me tourner vers M. Worthen, à moins que vous pensiez avoir des recommandations à faire concernant une approche pangouvernementale visant à enrayer la discrimination religieuse et raciale au Canada.

  (1555)  

    Permettez-moi de dire une seule chose. Toutes les lois que j'ai mentionnées dans mon exposé visent en fait à protéger une population des insultes, de la discrimination ou de ce que vous voulez appeler cela. Non, je ne pense pas qu'il incombe au gouvernement de nous dire... La discrimination et le racisme sont un côté répugnant de la nature humaine. Peu importe ce que le gouvernement fait, on ne pourra pas s'en débarrasser complètement.
    Ce qu'il peut faire, c'est punir les personnes qui en blessent d'autres de quelque manière que ce soit, et je crois que ces lois existent déjà. Si nous nous mettons à adopter des lois qui rendent certaines choses illégales, certains propos illégaux parce que cela entre maintenant dans la définition d'une discrimination systémique, nous nous engageons sur une très mauvaise voie.
    Merci beaucoup, monsieur Emil.
    Monsieur Worthen, je vais me tourner vers vous, car cela capte énormément notre attention. Nous sommes à mi-chemin dans les témoignages et nous entendons beaucoup de formidables témoins comme vous. Encore là, nous sommes à la recherche d'une approche pangouvernementale au racisme et à la discrimination systémiques à l'échelle du pays.
    Vous avez beaucoup parlé de ce que je perçois comme de la discrimination contre les chrétiens du pays. Je vous saurais gré de nous présenter des recommandations sur la façon dont nous pourrions réduire la discrimination systémique, que ce soit envers les chrétiens ou les personnes pratiquant d'autres religions au pays. Si vous pouviez être précis, je vous en saurais gré.
    Comme je l'ai dit, j'ai eu le privilège de travailler avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse concernant la création d'un milieu de travail respectueux, alors j'ai fait du travail sur les questions du racisme et de la discrimination. Je pense que nous avons au gouvernement un paradigme relatif à notre façon de traiter la discrimination contre d'autres caractéristiques protégées, comme l'orientation sexuelle, la couleur et le sexe. Nous avons un paradigme et un système. Nous devons simplement amener les gens à réfléchir à la liberté religieuse et utiliser le même modèle, le même paradigme, que nous utilisons dans ces cas.
    C'est ce que je trouve frustrant. J'ai été dans le système et je sais ce que vous faites pour enrayer le racisme et ce que vous essayez de faire pour enrayer la discrimination, et maintenant, je vois que c'est imposé au Canada à l'encontre des gens de foi. Je trouve cela troublant. Nous devons ajouter les gens de foi à la liste. Même s'ils sont là légalement, on se sent peu concernés par eux.
    D'accord. Je comprends.
    Je vais mentionner certaines des idées qui sont ressorties, et j'aimerais entendre vos observations à savoir si vous pensez qu'elles sont bonnes ou pas.
    On a suggéré un plan d'action national. On a aussi suggéré une composante éducative à l'échelle du pays. Cela pourrait se situer à tous les niveaux d'éducation, et il s'agirait d'un contre-discours par rapport à ce qui existe en ce moment. Cela pourrait englober diverses histoires touchant la façon dont nous devrions parler des diverses religions, des diverses cultures, de la diversité et de la force de ce pays.
    Que pensez-vous de ces idées?
    Je pense que ce sont d'excellentes idées, mais je pense qu'il faut que cela parte d'en haut. Je ne veux pas que mon exposé...
    Vous avez deux minutes.
    ... soit perçu comme étant politique, car ce n'est pas mon but. J'ai constaté cela dans tous les partis.
    Je crois que le Parlement doit en arriver au point où vous reconnaissez que les députés ne devraient pas avoir à laisser leur religion à l'entrée pour pouvoir siéger au Parlement. Je suis désolé, mais il faut que cela parte d'en haut. Il faut que cela parte du premier ministre, pour qu'il se crée une culture selon laquelle il est correct d'être un fervent chrétien ou un fervent musulman, d'être contre l'avortement, d'être contre l'euthanasie; vous pouvez quand même être membre de votre parti. Vous ne devriez pas être exclu de...
    Il ne me reste que 50 secondes, alors je dirai que cela a été exprimé très clairement, et je vous remercie de l'avoir réitéré.
    J'ai une autre question. D'après vous, quel rôle les groupes communautaires peuvent-ils jouer dans un plan national contre le racisme et la discrimination systémiques? De quelle façon croyez-vous que les gouvernements peuvent faire intervenir les groupes communautaires?
    C'est une excellente question.
    Vous avez 30 secondes.
    J'ai travaillé pendant 12 ans dans le secteur à but non lucratif. Je pense que le gouvernement peut contribuer en rassemblant les divers groupes communautaires et agences et en les aidant à discuter et à établir des réseaux. Je pense qu'ensemble, ils peuvent exercer une influence positive énorme sur la culture.
    Très bien, monsieur Worthen. Merci beaucoup.
    Merci, madame Dzerowicz.
    C'est maintenant au tour de David Anderson, du côté des conservateurs.
    Merci, madame la présidente.
    Merci à nos témoins de leur présence.
    Monsieur Worthen, j'aimerais poursuivre là-dessus pendant un petit moment. Quelques autres témoins ont dit que la clé est de rassembler les collectivités; ce n'est pas l'adoption d'un énorme plan par le gouvernement, ou le montant d'argent qu'on y consacre. Que pensez-vous de cet aspect? Est-il important de rassembler les gens? Est-il important que nous consacrions plutôt des sommes énormes puisées dans les poches des contribuables à cet effort?

  (1600)  

    Eh bien, nous essayons d'influencer une culture, ce qui n'est jamais facile. Ce n'est pas un programme simple; il faut changer l'état d'esprit des gens. Au risque de vous agacer, je vais répéter qu'il faut que cela parte d'en haut.
    Avons-nous besoin de mesures législatives pour protéger la liberté de conscience dans les assemblées législatives de partout au pays?
    Je crois que oui. Le Manitoba a déjà proposé des mesures législatives, mais je crois qu'il faut que... À la façon dont nos politiciens se comportent partout au Canada, respectent-ils la religion? C'est ma question. Si je dis que ma relation avec Dieu va être gravement touchée si je suis forcé de faire quelque chose contre ma volonté et qu'un politicien me dit que je dois le faire de toute façon, nous avons un sérieux problème au pays. De très nombreux politiciens, membres de ces partis, m'ont dit cela.
    C'est ici qu'il faut commencer. Ici, à la Chambre des communes. Allez-vous respecter la relation que les gens entretiennent avec leur dieu quand vous allez voter au Parlement? Il faut que cela commence ici.
    Cependant, je crois aussi que le gouvernement a un rôle à jouer pour ce qui est de rassembler les gens en vue d'une conversation nationale. Je suis tout à fait d'accord avec cela, et comme je l'ai dit précédemment, après avoir travaillé pendant 12 ans avec des organisations sans but lucratif, je sais qu'elles peuvent exercer une force incroyable entraînant le changement social.
    Vous représentez une association de professionnels chrétiens des secteurs de la médecine et de la dentisterie. Est-ce que cette discrimination est uniquement dirigée contre les chrétiens? Est-ce plus une question de foi, ou une question de christianisme?
    Non. Je pense que la discrimination est généralisée, et les juifs orthodoxes la subissent aussi, par exemple. C'est ironique, car il y a 50 ans, les juifs n'étaient pas admis dans certaines professions au Canada. Maintenant, nous courons le risque de les exclure de certains aspects des soins médicaux. Les médecins musulmans nous ont indiqué être extrêmement préoccupés quand nous les avons rencontrés à ce sujet. Les médecins, infirmiers et infirmières et autres professionnels de la santé sikhs, bouddhistes et d'autres religions sont très préoccupés par la crise de conscience au Canada.
    Avez-vous des recommandations particulières? Si vous n'en avez pas aujourd'hui, pouvez-vous nous en faire parvenir ultérieurement? Avez-vous des recommandations ou des suggestions particulières que le Comité ou le gouvernement pourraient envisager de mettre en oeuvre afin de faire face à ces enjeux?
    Oui. Je pourrais rédiger quelque chose et vous le transmettre. Est-ce que cela vous serait utile?
    Ce serait bien. Nous acceptons les observations écrites. Nous avons parlé à d'autres témoins des recommandations. Nous en avons reçu plusieurs, mais nous aimerions avoir vos recommandations précises sur la façon d'aborder les droits associés à la liberté de conscience qui protègent tous les croyants.
    Veuillez s'il vous plaît les transmettre au greffier.
    Docteur Emil, je crois que la définition d'islamophobie à laquelle vous avez fait référence vise une peur irrationnelle de l'islam, mais plus tôt, vous avez parlé des lois codifiées saoudienne et pakistanaise et du fait que toute forme d'opposition à celles-ci est perçue à titre d'islamophobie.
    Pouvons-nous avoir une définition qui diffère de celle des autres régions du monde et nous attendre à ce que ce mot soit utilisé à sa juste valeur? Le Comité a huit ou neuf définitions de l'islamophobie pour le moment. Pouvez-vous nous parler un peu de cela?
    Les députés de l'autre côté de la table semblent avoir l'impression que cette définition de l'islamophobie est très différente de celle utilisée ailleurs dans le monde. Est-ce qu'on peut faire cela ou est-ce qu'on doit plutôt s'entendre sur ce mot pour l'utiliser de manière appropriée?
    Monsieur je vais être très direct. Il faut retirer ce mot de notre vocabulaire. Il ne s'applique à aucune autre religion. Pourquoi l'utiliser pour l'islam?
    On peut penser à l'Église catholique et aux scandales d'agressions sexuelles. Même si moins de un dixième de un pour cent des prêtres ont commis des actes de maltraitance, imaginons ce qui se passerait si l'on disait que cela n'avait rien à voir avec l'Église catholique et qu'il s'agissait seulement d'un petit groupe de délinquants. Ce que nous avons fait, plutôt, c'est d'examiner la culture de l'église, et nous l'avons tenue responsable. Nous avons examiné le processus et nous avons tenu l'Église catholique responsable de cette maltraitance.
    Nous n'avons pas fait de même pour l'islam. On regarde ces groupes déviants et l'on dit qu'ils sont l'exception, que l'islam est tolérant. Comment est-il tolérant? J'aimerais le savoir, parce que j'ai habité dans plusieurs pays musulmans et j'y ai voyagé, mais je n'ai pas encore trouvé une société islamique qui respecte ses minorités, qui permet la liberté et le changement de croyance ou qui confère des droits égaux non pas à ceux qui immigrent sur son territoire, mais bien aux populations autochtones de ce territoire.

  (1605)  

    Il vous reste deux minutes.
    L'extrémisme émane de la culture dominante. Le mot « islamophobie » est utilisé chaque fois qu'on critique cette culture dominante, les principes de base de la pratique de l'islam dans ce que vous appelez les nations modérées. Il faut retirer ce mot de notre vocabulaire. Parlons plutôt de la haine des musulmans. Elle existe. Parlons de la discrimination contre les musulmans. Elle existe, tout comme elle existe pour bon nombre d'autres confessions. Parlons de cela, mais cessons d'utiliser le mot « islamophobie » et laissons tomber toutes ses définitions.
    Pouvez-vous nous orienter quant à la façon dont le Comité pourrait aborder la question de la haine des musulmans et d'autres confessions? Quelles recommandations pourrions-nous faire pour aborder la question au pays?
    Je crois que les propositions du député sont excellentes. Je crois que ce n'est pas une façon de légiférer. J'ai vécu dans des sociétés où le gouvernement tentait de légiférer contre certaines choses, qu'elles soient horribles ou positives. Cela ne fonctionne pas. On ne peut pas légiférer contre le racisme. On peut légiférer contre les conséquences du racisme, mais pas contre le racisme en soi. C'est une pensée horrible qu'il faut aborder par l'entremise des groupes confessionnels, des groupes communautaires et des groupes de défense. Voilà comment on cible le problème.
    L'adoption d'une loi par le gouvernement n'éliminera pas le racisme.
    Merci.
    Je crois qu'il me reste moins d'une minute.
    Il vous reste 30 secondes.
    Je cède la parole au prochain intervenant.
    D'accord. Merci.
    La parole est maintenant à Jenny Kwan, pour les néo-démocrates.
    Merci beaucoup, madame la présidente, et merci à nos deux témoins de leur exposé.
    Je comprends qu'on a beaucoup discuté de la définition de l'islamophobie et de l'utilisation — ou non — de ce mot. Je veux tout simplement dire que lors d'une réunion précédente, on a défini l'islamophobie comme étant simplement de la haine ou de la discrimination anti-musulmane.
    Nous savons tous que l'antisémitisme est quelque chose comme de la haine ou de la discrimination anti-juive. Nous savons aussi que l'homophobie a trait à la haine ou à la discrimination contre les homosexuels ou les personnes LGBTQ. Il est donc logique d'étendre cette forme de pensée à l'islamophobie. C'est selon cette prémisse que j'utilise ce mot dans ce contexte, parce qu'à mon avis, cette définition est assez simple et peut être utilisée à titre de définition pratique.
    J'aimerais demander au Dr Emil s'il juge cette définition acceptable ou non aux fins des travaux du Comité.
    Non. Cette définition est incorrecte. La phobie, c'est la peur. Il faut utiliser les mots de façon responsable. La phobie, c'est la peur.
    Si vous avez peur de descendre les escaliers, je vais appeler cela une phobie. Je ne dirai pas que vous avez une haine des escaliers. Donc non, madame, cette définition n'est pas correcte et malheureusement, ce n'est pas seulement la définition en soi, mais aussi la façon de l'utiliser qui cloche.
    Je vous ai donné de vrais exemples de gens qui ont été emprisonnés à cause de la façon dont on se sert de la définition de ce terme. Comment puis-je être certain que ce que je vous ai dit aujourd'hui ne sera pas considéré comme étant de l'islamophobie en fonction de cette définition et qu'on ne décidera pas que j'ai dit quelque chose d'illégal en vertu de la loi canadienne dans deux ans ou dans cinq ans? Comment est-ce que je peux en être certain? Et comment puis-je être certain que personne n'interprétera ce que j'ai dit comme étant une pensée anti-islamique en fonction de cette définition?
    C'est parce que dans la société canadienne, il y a le droit criminel qui traite des crimes haineux. C'est la définition qu'utilise le Canada pour déterminer s'il y a violation d'une loi en particulier; il faut donc placer la définition dans ce contexte. Je ferais donc valoir qu'on intenterait des poursuites en fonction de la définition juridique d'un crime haineux.
    Les musulmans ne sont-ils pas actuellement protégés contre les crimes haineux?
    Tout le monde doit être protégé contre...
    Pourquoi avons-nous besoin d'une catégorie distincte pour l'islamophobie si ces gens sont déjà protégés contre les crimes haineux, comme les gens de toutes les autres confessions?
    La motion mettait en évidence l'islamophobie simplement parce qu'il y avait une hausse des crimes haineux contre les gens de cette confession. Voilà pourquoi ce mot s'y retrouvait, à mon avis, bien que la motion en soi n'exclue pas les autres formes de discrimination, même qu'elle précise avec force qu'elles sont toutes incluses.
    Je suppose qu'on peut débattre longtemps de la définition, mais je n'ai presque plus de temps, et je voulais aborder un autre volet de la discrimination systémique. Merci, docteur Emil; je suis heureuse d'entendre que vous n'avez pas été victime de discrimination systémique.
    D'autres personnes en sont toutefois victimes; vous dites que les lois ne peuvent régler cela, mais qu'en est-il de l'éducation? Est-ce que l'éducation serait un élément important auquel devrait prendre part le gouvernement pour veiller à ce que les gens comprennent les différences et les similitudes entre les diverses races et religions?

  (1610)  

    Oui, à 100 %, mais le diable est dans les détails.
    Au Québec, nous avons une loi sur le multiculturalisme qui demande à toutes les écoles d'enseigner aux élèves que toutes les religions sont acceptables et que ce qu'on apprend à la maison n'est pas plus spécial que ce qu'on apprend à l'école. C'est ainsi qu'on fonctionne au Québec. L'école secondaire Loyola s'est battue contre cela, parce qu'elle voulait enseigner la foi chrétienne. C'est son droit. C'est aussi le droit des parents d'enseigner leurs croyances à leurs enfants. Oui, je suis d'accord, l'éducation est une très bonne façon de le faire, mais tout est dans la manière.
    Lorsque l'État dicte aux enfants ce qu'ils doivent apprendre et leur dit d'ignorer ce que leur enseignent leurs parents, c'est non: l'État est allé trop loin.
    Je parle d'éducation dans le sens de... Nous savons que la haine est un comportement acquis. Nous savons aussi que la discrimination est un comportement acquis. C'est ce que je comprends d'après ma propre expérience. Ce qu'il faut faire, c'est sensibiliser tout le monde, les enfants comme les adultes, à l'égard des autres cultures et des différences. Parfois, cet enseignement n'est pas présenté de manière adéquate, même par les adultes, dans le système d'éducation.
    Diriez-vous qu'il est important, donc, que le gouvernement adopte une approche pour veiller à former et à éduquer même les adultes à ce sujet, de sorte qu'ils puissent transmettre cette information sur la sensibilité culturelle?
    Je ne suis pas en désaccord avec cette idée et je l'appuierais, mais on ne parle pas seulement du Canada. On parle du Canada sur la scène internationale et des valeurs qu'il défend à travers le monde. Le Canada est très silencieux à l'égard du sort des sociétés islamiques. Il ne défend pas le droit des minorités. Il ne défend pas le droit à l'égalité citoyenne. Il ne défend pas ses valeurs et ne les met pas de l'avant. Il s'excuse même de ces valeurs, et ce n'est pas correct.
    Il vous reste une minute, madame Kwan.
    Merci beaucoup.
    Est-ce que je peux vous donner un exemple, pour ne pas parler seulement en généralités?
    Je suis désolée, mais il nous reste moins d'une minute.
    Je voulais donner la chance à M. Worthen de nous parler des recommandations.
    Est-ce que vous appuieriez le gouvernement s'il adoptait une approche en matière d'éducation et de formation sur la sensibilité culturelle et les différences entre les diverses confessions, afin de veiller à ce qu'on ne tombe pas dans l'enseignement de la haine et de la discrimination, que ce soit de façon volontaire ou non?
    Oui, mais selon une condition. On ne peut pas le faire de manière à promouvoir la laïcité ni d'un point de vue laïc. Ce serait ma seule condition, parce que ce qui se passe à l'heure actuelle — et ce que j'ai tenté d'expliquer dans mes commentaires —, c'est que la laïcité est perçue à titre d'espace objectif, alors que ce n'est pas le cas. La laïcité est une religion en soi; il faut donc faire preuve de sensibilité de façon générale.
    Je suis désolée, monsieur Worthen, mais les sept minutes sont écoulées.
    Nous allons maintenant passer à M. Breton, du Parti libéral. Vous disposez de sept minutes, monsieur.

[Français]

     Merci, madame la présidente. Je vous informe que je vais partager mon temps de parole avec M. Arif Virani.
    Je remercie tous les témoins d'être ici pour participer à notre importante étude.
     Je vais poursuivre dans la même veine que Mme Kwan et je parlerai de l'éducation.
    Au cours des dernières semaines, des conférenciers nous ont dit que, à certains égards, le manque d'éducation entraînait beaucoup de désinformation dans les milieux de travail, à l'école et un peu partout, ce qui contribuait à alimenter un climat de haine et de peur.
    On a beaucoup parlé du rôle possible du gouvernement. Certains sont d'accord sur ce rôle alors que d'autres ne le sont pas.
    Quel pourrait être le rôle des chefs de communauté ou des chefs religieux pour contrer la désinformation un peu partout dans notre milieu?
    Docteur Emil, vous pouvez répondre en premier.

  (1615)  

[Traduction]

    Je crois que le dialogue est le point de départ et le point d'arrivée. Il faut se parler. Il faut un dialogue.
    Encore une fois, le contexte du dialogue est très important. Je peux vous dire en toute honnêteté pourquoi ma communauté ne s'engage pas activement dans un dialogue avec d'autres groupes de la même nation, les groupes musulmans. C'est parce qu'il y a un très grand sentiment de déni par rapport à ce qui se passe dans leur propre communauté. De nombreux groupes musulmans formés d'expatriés égyptiens ne reconnaissent pas qu'il y a de la discrimination en Égypte. Ils n'admettent pas que les chrétiens sont rejetés.
    Parmi la population d'expatriés égyptiens du Canada, 70 % sont des chrétiens et 30 % sont des musulmans, tandis qu'en Égypte, les proportions sont pratiquement inversées: 90 % des Égyptiens sont musulmans. Pourquoi les chrétiens quittent-ils le Moyen-Orient? Est-ce que c'est parce qu'ils n'aiment pas la terre qui les a vus naître? Il est très difficile de parler à des groupes qui ne reconnaissent pas les souffrances que vous avez vécues.
    Le dialogue est important, mais il faut qu'il soit franc et honnête. Il faut qu'on puisse se parler honnêtement de nos souffrances. Bien sûr, la plupart des musulmans n'ont pas participé à des événements ni tué qui que ce soit. Nous le savons tous. La plupart d'entre eux sont d'excellents citoyens qui veulent avoir une belle vie au Canada. Il est toutefois important d'être engagé et d'être honnête au sujet des sociétés d'où l'on vient. Lorsqu'on rencontre d'autres groupes religieux, il est important d'être capable de les écouter et de ne pas se mettre immédiatement en position de défense. Malheureusement, c'est souvent ce qui se passe dans le cadre des dialogues interreligieux.
    L'université al-Azhar, que j'ai citée à plusieurs reprises, est très engagée à cet égard. Elle participe volontiers au dialogue avec le pape et d'autres, pourvu que l'islamophobie soit la première question de la liste.

[Français]

    Je vous remercie de votre témoignage, docteur Emil.
    Monsieur Worthen, voulez-vous ajouter quelque chose au sujet de la désinformation?

[Traduction]

    Vous m'excuserez de ne pas pouvoir vous répondre dans votre langue maternelle.
    Je reviens à la même chose. Je crois qu'on a grand besoin d'améliorer et d'accroître le dialogue, et qu'on a aussi besoin de ce que j'appellerais un pluralisme sincère: un pluralisme qui n'a pas peur des différences, mais qui sait les exprimer, les développer et les comprendre.
    Je crois que c'est de cela qu'on a besoin et je crois que le Canada pourrait être un leader mondial à cet égard. Je vous mets toutefois de nouveau en garde, parce que la promotion de la laïcité dont je suis témoin au gouvernement m'inquiète beaucoup. Il sera difficile de réunir les chrétiens et les autres groupes religieux autour de la table avec le gouvernement et il sera difficile pour eux de faire confiance au gouvernement si celui-ci prend des mesures discriminatoires contre certaines personnes en raison de leurs croyances religieuses.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur Worthen.
    Monsieur le président, je vais céder le reste de mon temps de parole à M. Virani.

[Traduction]

    Merci.
    J'ai deux observations et ensuite trois questions. Elles sont surtout pour vous, Dr Emil.
    Je n'aime pas votre catégorisation de l'objectif de la motion. La motion concerne expressément le Canada, et je pense que c'est important d'établir les bases pour cela au Canada et de donner une orientation à ce que nous essayons de faire pour lutter contre le racisme et la discrimination religieuse au pays. Je crois que c'est très important.
    Deuxièmement, à propos de la terminologie, nous avons mené des discussions approfondies à ce sujet, notamment sur l'emploi du mot « islamophobie », mais je vous fais également remarquer...
    Vous avez deux minutes.
    ... que les termes évoluent. À titre d'exemple, le terme « homophobie » serait mal défini comme une peur des homosexuels. On comprend bien qu'il est question de discrimination contre les homosexuels, la communauté LGBTQ2 en général.
    Troisièmement, vous avez dit que vous ne croyez essentiellement pas que le racisme systémique existe au pays. Je vous dirais tout simplement que nous avons entendu de nombreux témoins, y compris des Autochtones et des Canadiens noirs, qui ont dit avoir catégoriquement l'impression de se heurter à cela. Il est important de ne pas formuler ici des observations qui se fondent uniquement sur une expérience personnelle ou une anecdote; il faut regarder la situation dans son ensemble. On peut donner comme exemple de discrimination systémique le système des pensionnats autochtones et la surreprésentation des Autochtones et des noirs dans le système de justice pénale.
    Vous avez affirmé que le gouvernement est « impuissant » parce que vous croyez qu'il existe déjà des lois, plus particulièrement des lois sur les discours haineux et la promotion de la haine. Des témoins nous ont parlé et continueront de nous parler de la façon de perfectionner la législation, par exemple en encourageant le signalement des crimes haineux et les poursuites pour ce genre de crimes. Des témoins aborderont la question.
    Ce que vous avez dit plus tard, ou dans une réponse à d'autres questions, c'est que les groupes religieux, les groupes communautaires et les groupes de défense pourraient aborder une partie des sujets que nous venons tout juste d'aborder.
    Je veux vous poser la question, car je ne pense pas que nous ressentons le même découragement: le gouvernement peut-il faire preuve de leadership dans ce dossier et amorcer les échanges entre les groupes religieux, les groupes communautaires et les groupes de défense, au moyen de mécanismes de financement ou en faisant preuve d'une autre forme de leadership?
    Enfin, monsieur, vous avez dénoncé le terme « islamophobie » qui est employé dans cette motion...

  (1620)  

    Madame la présidente, j'invoque le Règlement. Vous êtes très douée pour faire remarquer aux témoins qu'ils parlent trop longtemps. Par contre, lorsque M. Virani prend tout le temps à la disposition du témoin, vous ne l'interrompez pas pour permettre au témoin de répondre à ses questions, dans lesquelles on lui a entre autres reproché son témoignage.
    Pourriez-vous dire au témoin et à M. Virani combien de temps il reste?
    Monsieur Virani a été avisé qu'il lui restait une minute. Il lui reste maintenant 45 secondes.
    J'observe les échanges et je vais m'en occuper. M. Virani peut poser les questions qu'ils souhaitent poser de la façon qui lui convient. Il ne revient pas à la présidence de dire quelles questions il faut poser ou ne pas poser; il lui revient juste de faire respecter le temps de parole.
    Merci d'avoir fourni ces éclaircissements.
    Merci, madame la présidente.
    Que pensez-vous des motions qui énumèrent les communautés ciblées? Nous avons eu beaucoup de motions du genre au Canada. Cela ne se limite pas à celle sur l'islamophobie. Nous en avons eu une sur l'antisémitisme en 2016, une concernant la communauté yézidie en 2016 et une autre qui portait sur votre communauté, les coptes. Nous avons nommé des communautés lorsqu'elles sont essentiellement victimes d'actes haineux.
    Je suis désolée, monsieur Virani. Votre temps est écoulé. Merci.
    En tant que présidente, je suis censée m'assurer du déroulement ponctuel des séances afin que les intervenants n'attendent pas indûment la deuxième heure. Nous ne pourrons pas prendre cinq minutes pour poser des questions au deuxième tour, et je propose donc trois minutes. Il est possible que la séance dure trois minutes de plus, mais cela permettra aux membres du deuxième groupe d'avoir le temps de parole qui leur revient.
    Nous allons commencer par M. Reid, qui aura trois minutes.
    Madame la présidente, j'ai demandé avec insistance que les questions du prochain tour ne durent pas trois minutes, mais vous m'avez délibérément ignoré. Je suis très contrarié par la façon dont vous avez géré la question.
    En passant, est-ce Dr Sherif ou Dr Emil?
    Je m'appelle Sherif Emil. Vous pouvez tout simplement m'appeler Sherif, ou Dr Emil, ou comme vous voulez. Emil est mon nom de famille.
    Merci beaucoup.
    Vous n'avez pas eu l'occasion de répondre aux questions. Je veux vous poser celle qui est évidente. Vous avez affirmé ne jamais avoir subi de discrimination systémique. Je suppose que vous ne parliez tout simplement pas de la situation des Canadiens autochtones dans le système de justice, par exemple, ou des Canadiens noirs; vous parliez précisément de vous-même en tant que personne d'origine moyen-orientale qui est parfois perçue à tort comme étant musulmane.
    Ai-je raison?
    Je ne crois pas que la discrimination religieuse systémique existe au Canada. C'est tout ce que je voulais dire.
    Je ne crois pas qu'il y ait de discrimination religieuse systémique. Comme je l'ai dit, j'ai vécu dans ce genre de contexte. J'ai habité de nombreuses années au Canada, et la majorité de ma vie adulte aux États-Unis, et je ne crois pas qu'il y ait de discrimination religieuse systémique dans le sens où des personnes sont privées de possibilités uniquement à cause de leur religion.
    Je veux ajouter autre chose à propos de l'islamophobie et de ce que vous avez dit, à savoir que cela concerne le Canada. Non, cela ne concerne pas le Canada, car le terme « islamophobie » est employé partout dans le monde. Dans les sociétés islamiques, il sert expressément à persécuter les autres. Par conséquent, lorsque nous décidons de prendre part à la chasse aux sorcières que nous appelons l'« islamophobie » et que nous décidons de la façon de punir les personnes concernées, nous nous joignions à un groupe de pays fort déplorables.
    Monsieur, l'islamophobie n'est pas un problème propre au Canada; c'est un phénomène mondial. J'aimerais que le Canada reste à l'écart.
    J'ai très peu de temps pour vous demander de répondre à la prochaine question. Il y a eu une terrible tuerie à Québec au mois de janvier, et il s'agissait évidemment de la pire sorte d'acte haineux imaginable qui peut être commis contre des musulmans, qui ont été tués uniquement parce qu'ils sont musulmans.
    Je veux donc poser la question suivante. Vous semblerait-il raisonnable que notre comité indique dans son rapport que le gouvernement devrait condamner toutes les formes de violence, de racisme systémique, d'intolérance et de discrimination contre les musulmans? Est-ce que cette recommandation vous semblerait raisonnable?
    Tout à fait. Ce sont des actes méprisables qui devraient être dénoncés de la manière la plus convaincante qui soit, et ils devraient également être punis, pas seulement dénoncés.
    Je veux alors vous demander, pour voir si nous pouvons résoudre l'impossible...
    Vous avez 30 secondes.
    Je vais y revenir au prochain tour pour vous permettre de répondre. La question est simple: si nous utilisons cette définition pour dire que c'est le seul sens du terme « islamophobie » qui est reconnu dans les mesures du gouvernement et du Parlement, le problème de la définition du terme serait-il résolu selon vous?
    Non, car l'islamophobie engage les gens sur une pente glissante. Elle est souvent bien ciblée au départ, mais elle s'engage ensuite dans une autre voie, comme on l'observe dans un pays après l'autre où des gens sont d'abord persécutés et emprisonnés au moyen d'une définition étroite, qui devient ensuite très large. Ce mot ne devrait pas faire partie du vocabulaire. Il n'y a pas d'équivalent pour une autre religion, et je ne pense pas qu'il soit nécessaire pour l'Islam.

  (1625)  

    Merci, monsieur Emil. Je crois que votre temps est écoulé. Vous pourrez peut-être revenir à cette question, comme l'a dit M. Reid.
    Le prochain intervenant est Mme Anju Dhillon, du Parti libéral. Vous avez trois minutes.
    Mes questions seront pour M. Worthen.
    Comment décririez-vous la situation en matière de racisme systémique et de discrimination religieuse au Canada?
    Je viens de Nouvelle-Écosse, où le racisme remonte malheureusement a très longtemps. Je suis troublé au plus haut point quand je vois les choses qui se produisent régulièrement. Je pense que c'est terrible. Je crois que nous avons encore un problème de racisme et je suis préoccupé par toute manifestation de violence ou toute discrimination contre des gens à cause de leurs croyances religieuses.
    L'objectif de mon exposé d'aujourd'hui était de demander au Comité d'examiner les préoccupations des professionnels de la santé qui subissent de la discrimination à cause de leurs croyances religieuses, parce que les responsables de la réglementation les forcent à accomplir certains actes. Je crois que c'est très grave, car des médecins ont dû passer d'une province à l'autre ou prendre leur retraite. C'est un grave problème. Chaque fois qu'un gouvernement ou une société décide d'imposer une mentalité laïque, la diversité sociale en souffre immédiatement, ainsi que le pluralisme et la beauté selon moi.
    D'après vous, que devrait faire le gouvernement fédéral pour lutter contre ce genre de racisme systémique ou religieux?
    Je crois qu'il faut toujours tenir compte des responsabilités des gens devant Dieu, peu importe comment ils le perçoivent, et qu'il devrait y avoir une loi pancanadienne pour protéger la liberté de conscience afin que les gens ne soient pas forcés ou contraints de faire certaines choses contre leur gré.
    Quel genre de loi aimeriez-vous voir exactement?
    J'aimerais voir une loi qui protégerait les travailleurs de la santé en veillant à ce qu'ils ne soient pas forcés d'accomplir des actes qui vont à l'encontre de leur conscience
    Bien, parfait. C'est tout pour moi. Merci.
    Merci, madame Dhillon.
    Nous allons maintenant revenir à M. Reid, du Parti conservateur. Vous avez trois minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Dr Emil, je vais dire ce qui me préoccuperait si le Comité recommandait de condamner l'islamophobie sans la définir. En France, un pays très civilisé, un illustre historien français, Georges Bensoussan, d'origine juive nord-africaine, a été récemment accusé de crime haineux pour avoir cité un autre écrivain ou cinéaste français, également d'origine nord-africaine, qui a dit que « dans les familles arabes, en France [et ailleurs], et tout le monde le sait, mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère. »
    C'est peut-être faux, mais je ne suis pas certain qu'il s'agit de propos haineux. Il a été accusé de crime haineux, pour ensuite être acquitté, mais l'acquittement est maintenant porté en appel par l'organisme-cadre pour lutter contre l'islamophobie en France. Ce que je crains, c'est que ce soit là le danger de ne pas définir le terme, et c'est la raison pour laquelle j'ai posé plus tôt une question sur la définition qui met uniquement l'accent sur la violence, la discrimination et le racisme contre les musulmans.
    En recourant à ce genre de définition et en précisant que nous ne retenons aucune autre définition de l'islamophobie, qu'il n'y a que celle que je viens de décrire qui porte uniquement sur la violence et la discrimination, n'aurions-nous pas ainsi une définition juridique utile pour le Canada?
    Oui, je trouve cela acceptable. S'il est nécessaire d'employer le terme, c'est une façon raisonnable de le définir.
    Bien, je vous en suis très reconnaissant.
    Combien de temps me reste-t-il? Ai-je une minute?
    Vous avez une minute et 40 secondes.

  (1630)  

    Bien.
    Vous n'avez pas eu l'occasion de répondre, madame Kwan. Vous vouliez donner un exemple pour montrer de quelle façon le Canada ne défend pas les valeurs nationales qu'il prétend être les siennes. Pouvez-vous prendre le reste de mon temps pour donner cet exemple?
    Merci d'y revenir. Je vais donner un exemple simple. J'ai regardé le discours de victoire du premier ministre, et il a dit ce qui suit:
Il y a mille histoires que je pourrais vous raconter à propos de cette campagne remarquable, mais il y en a une sur laquelle je veux attirer votre attention. La semaine dernière, j'ai rencontré une jeune mère à St. Catharines, en Ontario. Elle était musulmane et portait un hidjab. Elle s'est fait un chemin dans la foule et m'a tendu son bébé. Elle m'a dit qu'elle voterait pour nous parce qu'elle veut être certaine que sa petite fille aura le droit de faire ses propres choix dans la vie et parce que notre gouvernement protégera ces droits.
    Je félicite le premier ministre de défendre les femmes qui veulent porter le hidjab. Au Canada et dans toute autre démocratie occidentale, les femmes qui le souhaitent devraient toutes pouvoir le porter, mais que dire des centaines de milliers de femmes et de jeunes femmes qui n'ont pas le choix et sont forcées de porter le hidjab ou le niqab? Le premier ministre ne devrait-il pas les défendre sur la scène mondiale? Il dit qu'il est féministe. Quelle est sa position à cet égard?
    Dans de nombreux pays, des femmes se sont faites brûler le visage parce qu'elles ne portaient pas le niqab. Ici, au Canada, des filles de 6 ans sont forcées de porter le hidjab. Quelle est la position du premier ministre là-dessus? Que fait le Parti libéral? Le Parti libéral peut-il commencer à être libéral, car ces femmes ont besoin de soutien...
    Merci, monsieur Emil. Votre temps est écoulé.
    J'aimerais passer à M. Vandal, du Parti libéral. Vous avez trois minutes, s'il vous plaît.
    Merci, madame la présidente.
    Tout d'abord, je veux situer un peu le contexte de tout cela. Je veux lire un passage de la motion. Je crois que c'est vous, monsieur Emil, qui avez dit que cela ne concernait pas le Canada, mais le monde entier. Voici le texte dont nous sommes saisis aujourd'hui.

Que [...] le gouvernement devrait [...] reconnaître qu'il faille endiguer le climat de haine et de peur [et] établir une approche pangouvernementale pour la réduction ou l’élimination du racisme et de la discrimination religieuse systémiques [...] au Canada [...]
    Nous avons tous été élus par les Canadiens d'un bout à l'autre du pays, chacun de nous, et bien que je comprends que nous vivons dans un monde complexe et cruel, nous mettons l'accent sur ce que nous pouvons faire pour notre pays en tant que dirigeants au Parlement.
    Je crois que je vous ai peut-être mal compris. Avez-vous dit que le Canada ne défend pas les droits des minorités au pays?
    Oui, monsieur. J'ai dit qu'on ne défend pas activement les droits des minorités, en effet.
    Je suis abasourdi par cette affirmation. Pouvez-vous la décortiquer un peu plus?
    Bien sûr, tout à fait. Je viens tout juste de vous lire de quelle façon la société égyptienne fonctionne. Je n'ai pas entendu le Canada critiquer la manière dont la société égyptienne en général...
    Une critique de la société égyptienne?
    Il en va de même pour toute société musulmane, y compris le Pakistan et l'Indonésie, qui vient de déposer une motion relative au blasphème contre le seul gouverneur chrétien ayant réussi à être élu là-bas.
    Quelle a été la position du gouvernement canadien dans tous ces cas?
    Avec tout le respect que je vous dois, docteur Emil, je suis persuadé que vous avez entendu parler de la Charte des droits et libertés, n'est-ce pas?
    Oui, bien sûr.
    Chaque Canadien a des libertés fondamentales, qu'il s'agisse de la liberté de conscience, de religion, de pensée, de croyance, d'expression, de presse et de culte. Les Canadiens peuvent vénérer le dieu qu'ils veulent, sans égard à leur origine ethnique ou appartenance à une communauté autochtone. Chaque Canadien qui vit ici jouit des mêmes droits.
    Vous abordez une tout autre question. J'ai demandé quelle est la position du Canada. Vous m'avez dit que vous ne défendez pas les droits des minorités dans le monde, puis je vous ai demandé un exemple…
    D'abord, je n'ai jamais prononcé ces mots.
    Silence, s'il vous plaît.
    Je vais vous laisser plus de temps, mais il vous reste 30 secondes, monsieur Vandal.
    Monsieur Emil, si vous souhaitez dire quelque chose, assurez-vous de permettre à M. Vandal d'interagir avec vous.
    Mes excuses.
    Merci.
    Madame la présidente, je suis stupéfait qu'un témoin puisse se présenter ici et dire que le Canada ne défend pas les droits des minorités. Je suis fondamentalement en désaccord. Je trouve que c'est franchement insultant, et je pense qu'aucun élu à la table n'est d'accord.
    Je vais m'arrêter ici.
    Merci beaucoup.
    Puisqu'il reste trois secondes, je vais dire que le temps est écoulé. La prochaine intervenante est Mme Kwan, qui a trois minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je vais poursuivre sur le sujet que j'ai exploré. J'espère que mon intervention sera axée sur les solutions et les recommandations que le Comité devrait selon moi envisager.
    Nous avons parlé de la question de l'éducation et de la formation. Je pense que nous avons établi que c'est un domaine important dans lequel nous devons nous lancer.
    Au Canada, nous avions également un programme canadien, à savoir un plan d'action national visant à lutter contre le racisme. Il était en place, mais il est en quelque sorte devenu caduc. Lors d'une discussion précédente avec d'autres témoins, j'ai posé une question pour vérifier si nous devions rétablir un tel plan d'action national sur le racisme, puis le relier aussi à la motion dont nous sommes saisis sur la discrimination religieuse. J'aimerais vérifier ce que les témoins pensent de cette recommandation précise.

  (1635)  

    Pour ma part, je pense que c'est très important. Je suis d'avis que la tolérance religieuse au pays est menacée. Le groupe que nous représentons en est fort préoccupé, au point où les médecins craignent de ne pas pouvoir prendre soin des patients. Il faut combattre la discrimination religieuse de façon générale au pays.
    Merci.
    Docteur Emil, voulez-vous répondre?
    Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Je suis d'accord avec ce qui a été dit.
    Me reste-t-il quelques minutes?
    Vous avez environ une minute et demie.
    Toujours sur le même sujet, lorsqu'un plan d'action national est élaboré, il faut y allouer des ressources gouvernementales. Sinon, le plan ne serait pas assez solide pour appuyer le travail des ONG auprès des gouvernements provinciaux et territoriaux, entre autres, entourant la création et la mise en oeuvre du plan.
    Seriez-vous également d'accord pour demander au gouvernement fédéral de fournir l'argent nécessaire à la mise en œuvre d'un tel plan?
    Il est évidemment facile pour moi de recommander au gouvernement fédéral de dépenser des fonds, mais je vous mettrais en garde de laisser les autorités religieuses discuter et vous conseiller à ce sujet, car je trouve dangereux qu'un gouvernement impose des valeurs ou la laïcité à d'autres.
    Je pense que les gens vont vous fournir l'expertise dont vous avez besoin. Je suis moi-même diacre d'une église catholique. Les gens vous fourniront cette expertise, mais il faut respecter convenablement leurs motivations et points de vue.
    Merci, monsieur Whorthen. Je pense que le temps est écoulé.
    Je remercie infiniment les témoins.
    Monsieur Whorthen, je compte sur vous pour envoyer vos recommandations au greffier, comme un des membres du Comité vous l'a demandé tout à l'heure.
    Si possible, j'aimerais également discuter de la question de la liberté de conscience. J'ai participé à la rédaction du Code de déontologie de l'Association médicale canadienne, qui dit qu'aucun médecin ne peut être contraint à travailler en dehors de sa liberté de conscience.
    J'aimerais savoir comment et où cela se produit, car c'est contraire à la Charte, qui garantit la liberté de conscience. Il serait intéressant que vous puissiez nous donner des exemples, car nous n'en avons jamais entendu parler. Il serait bon de savoir que cela existe.
    Merci infiniment. J'aimerais suspendre la séance quelques minutes pendant que nous accueillons…
    J'ai une petite remarque, madame la présidente.
    Allez-y.
    Par courtoisie, je pense que nous devrions inviter tous les témoins qui se présentent ici, y compris le Dr Emil, à nous soumettre leurs recommandations. Je ne me suis pas rendu compte sur le moment que nous ne l'avions pas fait pour tout le monde. En tant que groupe, je pense que nous devrions toujours inviter l'ensemble de nos témoins à nous soumettre leurs recommandations, afin de nous aider.
    Merci, monsieur Reid.
    Je pense qu'il va de soi que lorsque des témoins sont convoqués à témoigner, nous nous attendons à ce qu'ils nous soumettent par le fait même des recommandations.
    Merci.

  (1635)  


  (1645)  

    Reprenons.
    Conformément à l'article 108(2) du Règlement, le Comité étudie les formes de racisme et de discrimination religieuse systémique.
    Nous accueillons maintenant trois témoins. Chacun prononcera un exposé de 10 minutes. Nous recevons l'auteure et chroniqueuse Farzana Hassan; le chercheur principal de Cardus, Andrew P.W. Bennett; ainsi que M. Doobay, qui représente Vedas Cultural Sabha.
    Nous allons d'abord écouter Farzana Hassan, qui a 10 minutes. Je vais vous aviser deux minutes avant la fin pour que vous puissiez conclure, sans quoi je devrai vous interrompre.
    Allez-y, madame Hassan.
    Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie.
    Je suis ravie d'avoir l'occasion d'exprimer certaines de mes réserves à propos de la motion M-103, à savoir la motion anti-islamophobie proposée par la députée libérale Iqra Khalid.
     Tout d'abord, j'aimerais préciser que je suis une femme musulmane qui continue de s'identifier comme telle. J'ai des enfants, des petits-enfants et d'autres proches qui vivent au Canada et qui s'identifient eux aussi comme des musulmans, dont certains le font par des symboles visibles. Les événements des deux dernières décennies ont semé le doute à propos de la communauté musulmane dans son ensemble, et ont fait naître un certain sentiment antimusulman. Nous avons aussi été témoins du meurtre de six hommes musulmans dans une mosquée de Québec. C'était terriblement tragique.
    Ce serait un objectif légitime de se pencher sur les causes de la haine et du ressentiment à l'égard des musulmans. De nombreux Canadiens d'allégeance libérale et conservatrice n'auraient aucune objection à le faire. Or, même si je trouve que le sentiment antimusulman est palpable dans certaines situations, je m'oppose tant au principe qu'au libellé de la motion M-103.
    Je suis originaire d'un pays où le blasphème est considéré comme un crime contre l'État. Le terme « islamophobie » pose un problème unique compte tenu de la façon dont il est perçu dans les nations islamiques de même que chez la majorité des musulmans, dont certains adoptent une interprétation très obscurantiste de l'islam. En fait, cette interprétation ne permet aucune critique des préceptes et pratiques islamiques. Voilà qui peut englober toute critique de l'islam, de la culture et des pratiques islamiques, de même que des musulmans.
    Je suis d'avis qu'aucune idéologie ne doit être considérée comme étant aussi intouchable. Dans le monde occidental, nous sommes autorisés à défier le christianisme, qui est la religion dominante, de même que d'autres systèmes de croyances ou traditions, cultures et pratiques religieuses.
    J'espérais qu'un plus grand nombre de musulmans modérés remettraient en question certaines des pratiques de l'orthodoxie islamique. Le grand public y aurait perçu une volonté de se dissocier de pratiques comme la polygamie, le djihad et la violence. J'aurais voulu que les musulmans s'opposent aux actes de terrorisme contre les non-musulmans avec autant de conviction qu'ils le font lorsque des musulmans sont tués à la suite de ce qu'on considère comme une agression perpétrée par un non-musulman, et qu'ils travaillent fort pour adopter les valeurs canadiennes de pluralisme et de tolérance.
    Le Comité a pour mandat de chercher les raisons qui expliquent la montée du sentiment antimusulman. Personnellement, je trouve que les causes sont simples comme bonjour: les musulmans sont de plus en plus soupçonnés puisque le discours musulman est laissé entre les mains de fondamentalistes qui exigent des accommodements excessifs pour leur foi. Par exemple, certains demandent des cérémonies de prières le vendredi pendant les heures de classe, qui ont la réputation de perturber les écoles, et d'autres demandent des choses qui ressemblent à des lois contre le blasphème.
    Le discours musulman est laissé à ceux qui adhèrent à l'islam politique. C'est seulement en raison de ce groupe d'individus, et non pas de la majorité des musulmanes, qui souhaitent simplement vivre leur vie dans la paix et l'harmonie, que l'ensemble des musulmans sont perçus négativement. La majorité des musulmans modérés n'ont pas eu suffisamment de visibilité pour se dissocier de ce genre de demandes.
    À l'heure actuelle, je suis d'avis que les musulmans sont surtout pris en grippe en raison de ce que revendique la motion M-103. En fait, la haine que nombre d'entre eux subissent résulte directement de cette demande particulière. Je considère qu'il s'agit davantage d'une réaction défavorable que d'une bigoterie bien établie. Je trouve que les raisons qui expliquent le sentiment antimusulman sont très évidentes.
    Par contre, je m'inquiète principalement de l'utilisation du mot « islamophobie ».
    À ce sujet, je ne comprends pas pourquoi la Chambre ne choisit pas un terme plus précis pour lutter contre le sentiment antimusulman. Or, le terme « islamophobie » est souvent faussement associé au terme « antisémitisme ». La députée Khaled a elle aussi fait allusion à un parallélisme entre les deux, alors qu'ils sont fort différents.
    Qu'est-ce qui a incité la Chambre à opter pour un terme qui comporte clairement des connotations islamistes, qui est désagréablement vague et qui affaiblit en fait son objectif déclaré?
    Dans un dictionnaire usuel, l'antisémitisme signifie une attitude d'hostilité ou de préjugés envers le peuple juif.
    En revanche, l'islamophobie englobe également les critiques à l'égard de la religion islamique. Dans un dictionnaire usuel, le terme est défini comme une aversion ou une crainte profonde de l'islam, surtout en tant que force politique, ou bien comme une attitude d'hostilité ou de préjugés envers les musulmans.

  (1650)  

    Mesdames et messieurs, je n'ai aucune objection à ce qu'on se penche sur les causes de la bigoterie antimusulmane, mais j'ai de sérieuses craintes quant à l'inclusion du mot « islamophobie » dans le libellé de la motion. Permettez-moi de résumer les raisons pour lesquelles des forces que je considère comme obscurantistes s'attardent au mot.
    Dans le cadre des visées islamistes au Canada, il est courant d'inclure une critique de l'islam et des pratiques islamiques en occident, plutôt que de simplement attribuer les causes du sentiment antimusulman qui règne à la bigoterie antimusulmane. Or, l'utilisation du mot « islamophobie » suit une tendance dangereuse, compte tenu de la connotation que revêt le terme dans les pays islamiques et dans certains cercles musulmans en occident.
    Nous entendons souvent les partisans de la motion M-103 affirmer que celle-ci n'est pas contraignante et n'empêche aucune personne de rejeter ce à quoi elle s'objecte, y compris certaines pratiques orthodoxes et fondamentalistes de l'islam. Pourtant, l'imprécision du mot « islamophobie » semble tout englober. Il compromet la liberté de critique et de remise en question d'une personne: sans définition claire entourant l'application de la motion, une personne ne voudra pas en vérifier les limites. En résumé, le libellé de la motion M-103 en fait davantage un outil politique, selon moi.
    Je suis une musulmane, mais je suis également une fière Canadienne qui ne voudrait surtout pas que les valeurs profondes du Canada, comme la liberté d'expression, soient le moindrement menacées ainsi. À mon avis, il s'agit là de l'effet de la motion M-103, même si certains prétendent le contraire et disent qu'elle n'est pas contraignante. Oserais-je dire que demander d'appuyer une telle motion est antipatriotique, puisqu'elle porte un jugement injustifié et sévère sur les lois et la société canadienne? Il est malheureux que la députée Khalid ait été victime de racisme à l'école, mais c'est ce même pays qui lui a donné la chance d'être députée, aux côtés d'autres musulmans.
    Aucun système ni idéologie ne doit être irréprochable. C'est seulement en se questionnant que nous pouvons réparer les injustices du passé et progresser vers un monde meilleur. L'idéologie de l'islam politique ne devrait pas être inviolable non plus, mais si le terme « islamophobie » n'est pas retiré de la motion, celle-ci pourrait compromettre toute critique à l'égard des pratiques islamiques orthodoxes, malgré ce que la députée Khalid peut affirmer.
    Dans le contexte de la motion M-103, le mot demeure mal défini, et je recommande à la Chambre de l'éliminer. J'ai aussi l'impression que personne n'a le droit de me dire ce que je devrais dire ou penser à propos de l'Islam. Je pense que l'histoire a toujours privilégié les personnes qui dénoncent plutôt que les lâches.
    Merci beaucoup.

  (1655)  

    Merci.
    Nous allons maintenant écouter M. Bennett, chercheur principal chez Cardus, qui a 10 minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente, de votre invitation à venir exprimer mon point de vue sur la question dont est saisi votre comité, c'est-à-dire les formes systémiques de racisme et de discrimination religieuse.
    Pour mes opinions, je suis redevable à mon travail de chercheur principal à Cardus, groupe confessionnel canadien de réflexion, où j'étudie les questions de liberté religieuse et de foi publique. Je le suis aussi à mes travaux approfondis auprès de différentes communautés confessionnelles, ici et à l'étranger, réalisés en ma qualité d'ambassadeur du Canada pour la liberté de religion, de 2013 à 2016. Enfin, je le suis à ma foi catholique.
    Permettez-moi d'offrir six sujets préliminaires de réflexion sur ce sujet, comme points de départ de mes observations sur la nécessité de promouvoir au Canada un pluralisme sincère et véritable, respectueux des différences.
    D'abord, la diversité canadienne saute aux yeux. Diversité ethnique, religieuse, idéologique, socioéconomique, et ainsi de suite. Il faut s'en réjouir.
    Ensuite, dans notre communauté nationale, en luttant pour une vie commune, nous nous y prenons souvent mal et nous érigeons entre nous des barrières qui figent l'engagement et le dialogue mutuels.
    Ensuite, le racisme et la discrimination religieuse existent au Canada. Elles y ont toujours existé et elles y existeront toujours. Aujourd'hui, musulmans, chrétiens, juifs et autres y subissent diverses discriminations pour ce qu'ils sont ou ce qu'ils portent, pour leurs croyances ou leurs valeurs, qui, dans tous les cas, peuvent contredire le credo des élites laïques de notre pays.
    En ce qui concerne l'islamophobie, voilà un terme très vague. Je dirais que ce n'est pas le meilleur à insérer dans la motion, à moins de bien le définir et d'en limiter le sens.
    Clarifions la question à traiter, comme beaucoup d'autres témoins l'ont dit. Nous devons nous attaquer à la haine des musulmans qui existe dans notre pays. Cette haine se nourrit de trois maux précis — l'ignorance, l'indifférence et la peur — auxquels nous devons nous attaquer dans nos propres communautés. Ces maux mêmes se manifestent dans la haine des juifs, des catholiques, des LGBTA, des personnes qui s'opposent au mariage entre personnes du même sexe, des Autochtones, des pro-vie et ainsi de suite. Nous devons combattre toutes ces haines et discriminations dans nos communautés, et redécouvrir la dignité dont chacun de nous est revêtu, en réapprenant à nous parler et à nous respecter ainsi qu'à nous faire les champions des différences. Le gouvernement peut faciliter cette évolution en encourageant l'expression publique de sa foi religieuse et des différentes croyances, pour ranimer le véritable dialogue.
    En ce qui concerne le sujet de discussion, le rôle du gouvernement du Canada est de faire respecter la Constitution et de garantir les libertés dont jouissent les citoyens. Ces libertés ne sont pas un don du gouvernement. Nous, les citoyens, nous en jouissons en notre qualité d'êtres humains. En faisant respecter les libertés comme celles de religion, de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression ainsi que d'association, le gouvernement et les tribunaux devraient en avoir une compréhension très large et leur laisser libre cours, sauf quand les limites qu'on entend leur imposer peuvent être justifiées de façon évidente dans une société libre et démocratique.
    C'est une société qui doit se fonder sur le respect des différences, même quand les croyances sont si différentes qu'elles semblent contraires au récit à la mode du jour. Je dirais de même que le Parlement devrait veiller à ne pas être trop prescriptif, ni limiter excessivement les libertés, tant dans les institutions de l'État que dans la société en général.
    Enfin, respecter et promouvoir la différence consiste à promouvoir un pluralisme sincère et véritable, qui autorise les désaccords — même profonds. Dans nos désaccords, nous devons toujours faire preuve de beaucoup de charité, reconnaître la dignité humaine inhérente dont nous sommes tous revêtus.
    Permettez-moi de m'étendre un peu sur ce pluralisme sincère et véritable.
    Une vie civique commune sans débat ni rencontre entre nous, ce n'est absolument pas une vie civique. Trop souvent, ces temps-ci, dans notre pays, il nous répugne soit d'engager la discussion avec nos concitoyens ou nous l'engageons sur un ton d'affrontement, souvent à la faveur de l'anonymat perçu de ce que je qualifierais comme le monde profondément déconnecté des médias sociaux. Ce comportement est emblématique d'une vie de plus en plus sans dénominateur commun, qui n'est pas soutenable.

  (1700)  

    Comme l'affirme Aristote, dans son Éthique à Nicomaque, la poursuite du bien commun se fonde sur l'épanouissement humain. Cette compréhension de ce qui se trouve au coeur de nos vies sociale, économique et politique a été affirmée par de nombreux auteurs depuis Aristote, notamment par saint Thomas d'Aquin, qui fait partie de ma propre tradition catholique. Je dirais que le bien commun de l'épanouissement humain doit se situer au coeur même de notre compréhension de la notion de pluralisme.
    De plus, et c'est peut-être le plus important, la promotion de l'épanouissement humain et l'engagement connexe à l'égard du pluralisme doivent s'enraciner profondément dans la promotion de la dignité humaine au-dessus de toute autre chose dans notre vie commune. Je dis « au-dessus de toute autre chose », parce que cette dignité nous vient de Dieu.
    Dans cette promotion de la dignité humaine, nous ne devons pas seulement reconnaître mais, également, respecter nos croyances et opinions différentes sur ce qui est des plus importants dans la vie humaine. Souvent, leurs différences sont profondes et peuvent nous mettre mal à l'aise ou, parfois, susciter notre colère. Tant que nos propos et nos actions sont charitables et respectent autrui et sa dignité humaine inhérente, nous pouvons accepter les désaccords, où nous pouvons même rencontrer l'autre.
    En ma qualité de chrétien catholique, ma compréhension de la dignité de la personne humaine s'enracine dans ma croyance que nous sommes tous fabriqués à l'image et à la ressemblance de Dieu. Je crois que cette réalité a été rendue présente parmi nous quand Dieu s'est incarné dans la personne de Jésus-Christ, entièrement humain et divin, sans mélange ni confusion de ses deux natures et de ses deux volontés, un dans la Sainte-Trinité, un Dieu en trois personnes. Il est le sauveur et le rédempteur du monde.
    Beaucoup d'entre vous rejettent cette opinion et affirment une croyance radicalement différente de la mienne. De même, je rejetterais ce en quoi beaucoup d'entre vous croient. Pourtant, nous nous coudoyons dans cet endroit appelé Canada, notre pays. Notre vie commune s'enrichit de nos différences et des objectifs que nous partageons pour ce pays et, plaise à Dieu, pour chacun d'entre nous.
    Pour conclure, il faut, pour promouvoir un pluralisme véritable et sincère, un changement de culture dans notre pays à tous les niveaux, du Parlement jusqu'aux collectivités locales et vice versa, pour permettre à tous les citoyens de vivre publiquement, conformément à leur foi et à leurs croyances, y compris dans leurs professions, nos universités et nos écoles, dans nos institutions culturelles, dans nos législatures et dans nos fonctions publiques.
     Je recommande vivement aux honorables membres du Comité de l'affirmer au Parlement et dans leurs délibérations sur cette motion. Nous devons faire avancer notre foi publique. Cette foi publique peut se fonder sur des différences, sur la liberté d'affirmer: « Je ne crois pas que Mahomet soit le prophète », celle, pour un musulman, d'affirmer: « Je ne crois pas que Jésus est le fils de Dieu ». Voilà des différences que nous devons autoriser dans notre société, dans un esprit de charité et d'ouverture. C'est ce sur quoi une société libre et démocratique se fonde.
    Merci, madame la présidente.
    Merci beaucoup, monsieur Bennett.
    Je dois féliciter votre groupe de témoins. Vous avez tous pris bien moins de huit minutes. C'est fabuleux.
    Monsieur Doobay, vous êtes le suivant. Vous disposez de dix minutes.
    Je peux prendre les quatre minutes.
    Des voix: Oh, oh!
    Dr Budhendranauth Doobay: Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de bien vouloir entendre mes opinions en ma qualité d'hindou.
    La discrimination raciale et l'intolérance religieuse sont inhérentes à tous les êtres humains. Nous sommes tous coupables de discrimination. Si nous estimons que le fait de nous réunir ici et de prétendre que nous allons résoudre ce problème... Nous sommes tous coupables. Ce que j'essaie de dire, c'est que nous devons essayer de voir comment nous pouvons le mieux collaborer ensemble pour nous comprendre, percevoir les bonnes valeurs de chacun de nous et constater qu'il n'existe qu'un seul ordre. Je ne l'appelle pas Dieu; c'est un ordre. Il existe, dans l'univers, un ordre qui fait que le soleil se lève à l'est et se couche à l'ouest. On peut l'appeler de diverses façons. Si nous voyons cet ordre, si nous le comprenons, nous vivrons heureux. Si nous continuons de dire que notre religion est meilleure que la vôtre... Toutes les guerres ont été causées par la religion.
    Dans le contexte d'aujourd'hui, le monde, comme je l'ai dit, n'est pas un endroit parfait. On ne devrait pas décourager l'idéal de la poursuite de la perfection, mais, pour des motifs pratiques et connaissant le comportement humain, cette poursuite doit rester du domaine de l'idéalisme. Par conséquent, un argument important de mon exposé est qu'il ne faut pas oublier que le Canada est rendu très loin dans la reconnaissance de la diversité ethnique et religieuse et dans la poursuite de la tolérance systémique et individuelle de ces diversités.
    Le fait de ne pas reconnaître ouvertement les progrès réalisés dans ce contexte et d'insister exagérément ou de vouloir aller trop vite pour amplifier ces progrès risque d'avoir un effet boomerang et d'entraîner un ressac aux effets délétères. Déjà, on peut percevoir les signes de ce ressac chez nos voisins du Sud et chez nos amis d'Europe. Il y aura toujours des franges qui, faute de la sensibilité voulue, ignoreront les progrès emblématiques du Canada dans la tolérance ethnique et religieuse et qui, faute d'apprécier leur chance de se trouver au Canada, amplifieront à outrance les incidents imaginaires ou minimes d'intolérance, comme s'ils étaient encore dans les pays qu'ils ont fuis. C'est très important.
    On ne peut pas précipiter les changements d'attitude et de comportement. Ces changements sont plus susceptibles de survenir par l'éducation, la discussion et la persuasion que par des moyens législatifs ou systémiques qui heurtent les autres croyances de front ou de manière agressive.
    Si vous veniez à notre temple, vous verriez que nous essayons de faire participer la communauté. Nous avons le mur de la paix. Sur l'image montrée, à part les horreurs de la partie supérieure, vous verriez, dans le bas, M. Mandela. Je ne m'étendrai pas sur Aung San Suu Kyi. Nous avons Jésus-Christ et le symbole bouddhique de l'om. Dans le bas, complètement, nous avons l'Islam, le judaïsme et ainsi de suite.
    Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il y a une place où nous disons que toutes les religions sont bonnes. Si vous êtes musulman, soyez-en un bon. Même chose si vous êtes chrétien. Suivez vos règles de vie. À cette fin, nous devrions mobiliser la communauté. Je suis membre et représentant du gouvernement du Canada auprès du Centre mondial du pluralisme, dont le président est Son Altesse l'Agha Khan. C'est l'un des principes sur lesquels nous collaborons. La plupart d'entre vous le savent en raison du magnifique musée qui a été construit ici et de celui de Toronto, exactement dédié à la même chose.
    À mon arrivée au Canada, on m'a offert un poste de chirurgien vasculaire à l'Université de Toronto. Je suis allé voir le chef du département, qui était aussi professeur. Il m'a demandé si j'avais fait ma résidence au Canada. J'ai répondu que j'avais été formé en Angleterre et que j'avais étudié en Jamaïque. C'était il y a 30 ou 40 ans; je ne me vieillis pas.

  (1705)  

    Il m'a répondu: « Vous savez quoi? Cet emploi est réservé à nos étudiants ». J'ai accepté cette réponse. On m'a conseillé de la contester. J'ai refusé. Je suis allé ensuite à McMaster. J'y suis devenu professeur de chirurgie cardiovasculaire et je n'y ai souffert d'aucune discrimination.
    Si vous pouvez bien faire votre travail, si vous ne craignez personne et que vous puissiez projeter convenablement votre image... Je ne dis pas qu'il n'y a pas de discrimination. Je ne veux pas exprimer ici un point de vue trop racial, mais si un policier arrête une jolie blonde souriante, fort probable qu'il ne lui donnera pas de contravention. Nous le verrons tous, mais nous fermerons les yeux. S'il arrête un Noir, on sait qu'il lui donnera la contravention. Il pourrait même le traîner au poste. Nous le voyons tous, mais les politiciens que nous sommes devront faire leur devoir. Ces discriminations existent. Pas seulement l'islamophobie; il y a beaucoup de phobies. La phobie des Noirs, des Autochtones — tous souffrent du même mal, et c'est parce que nous ne nous adressons pas aux communautés.
    Nous avons, quant à nous, décidé d'aménager un jardin de paix.
    Dans ce jardin, nous avons élevé la statue du Mahatma Gandhi. Voyez-vous ce monument? Nous l'avons élevé aux soldats canadiens tombés au combat. Nous invitons toute la population de Richmond Hill et des environs pour lui montrer notre ethnicité et notre culture. Nous avons la statue de Gandhi, la plus grande de cet homme au Canada et nous disons à nos concitoyens que c'est la voie de la paix. Je pense que c'est la façon d'essayer de faire comprendre ce que notre...
    Madame la présidente, vous devrez m'accorder plus de temps, parce que ça ne fonctionne pas.
    De toute façon, nous avons un parc de la paix et, dans ce parc, nous invitons les gens à venir voir en quoi la paix consiste. Nous les invitons à y venir, à s'instruire sur la paix et la méditation.
    Les principes de base de l'hindouisme, dont je suis un adepte, est qu'on voit Dieu dans tous les êtres, pas seulement humains, et c'est la raison pour laquelle les hindouistes sont généralement végétariens. Pouvez-vous imaginer tous les adversaires de la chasse des tigres? Ils sont tous végétariens. Quant à vous, si vous êtes chrétien, soyez-en un bon. Je ne crois pas qu'aucune religion, comme l'islam, ne fasse la promotion de la violence ou de l'intolérance. Par conséquent, si tous, nous suivons sérieusement notre religion et de notre culture, nous ne devrions exercer aucune discrimination en pensée ou en action.
    Madame la présidente, pour conclure, je voudrais dire que même si j'ai souffert de discrimination au début, je ne constate, actuellement, aucune discrimination contre moi ou l'hindouisme au Canada. Il n'existe aucune phobie contre les hindous. Pouvez-vous le croire? Quand il est question de religion, on parle de la chrétienté, du judaïsme, dont le nombre d'adeptes est le millième de celui des hindous, ou de l'islam, dont les adeptes sont nombreux, mais personne ne parle de l'hindouisme. Entendez-vous dire que des hindous s'y opposent? Nous disons: « Eh bien, laissons faire. S'ils ne veulent pas parler des hindous, ainsi soit-il. Ça ne nous dérange pas ». Nous faisons du prosélytisme. Nous ouvrons notre enseignement à tous. À cette fin, le 4 novembre, nous célébrons une journée de l'hindouisme pour faire le faire connaître. Nous invitons la communauté et les députés fédéraux.
    Il y a une chose: nos politiciens ne devraient pas se plier aux exigences des sectes pour obtenir des votes. Je pense qu'un témoin en a parlé. Cette pratique cause beaucoup d'intolérance pour les gens d'ici. Si nos politiciens peuvent travailler convenablement et comprendre qu'ils suscitent ainsi l'intolérance d'autres groupes religieux... C'est très grave.
    Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vais conclure. Je vous remercie de votre invitation.

  (1710)  

    Je crois que nous devrions laisser les gens comprendre leur religion. Nous ne pouvons pas venir d'un pays différent et tenter de faire appliquer toutes nos règles ici. Lorsque nous venons au Canada, nous devons vivre comme les Canadiens. Je ne dis pas que nous ne devrions pas connaître notre culture. Manifestement, nous devrions connaître notre culture. Nous devons la connaître et nous devons connaître notre religion, mais nous sommes au Canada. Il faut donc respecter les règles canadiennes, observer les lois canadiennes et rassembler les gens. En rassemblant les gens, en ayant davantage de services oecuméniques, en ayant des services qui rassemblent tous les groupes religieux — c'est ce que nous faisons dans notre temple —, nous aidons à renforcer les liens entre ces gens.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup, monsieur Doobay.
    Madame Dabrusin, vous avez la parole.

  (1715)  

    Merci. J'aimerais remercier tous les témoins d'être ici aujourd'hui pour présenter leurs idées. Je trouve que la discussion est très intéressante.
    Ma première question s'adresse à M. Bennett. Je constate que vous abordez la question par l'entremise de vos fonctions de chercheur principal et de votre expérience au Bureau de la liberté de religion. Dans le cadre de notre étude, nous tentons de formuler des recommandations concrètes. Vous avez mentionné qu'il faut établir un pluralisme sincère et véritable, et cela m'intéresse. Vous avez dit que les médias sociaux n'aident pas et qu'ils ne font pas partie de la réponse, mais vous avez également parlé de la nécessité de comprendre le pluralisme.
    J'aimerais vous fournir un peu de contexte. On nous a présenté le plan stratégique de l'Ontario contre le racisme et nous avons vu quelques recommandations des Nations unies sur le même thème. À votre avis, comment ces deux dossiers sont-ils liés au sujet de votre discussion — c'est-à-dire la nécessité d'établir un pluralisme sincère et véritable? Comment intégrerait-on cette notion à un plan stratégique contre le racisme ou à un plan d'action national contre le racisme et la discrimination?
    Je ne connais pas les deux documents que vous avez mentionnés. Toutefois, en général, lorsqu'il s'agit de la notion d'un pluralisme sincère et véritable, je dirais que pendant longtemps, dans notre pays, nous avons confiné l'expression des croyances religieuses à la sphère privée et que cela a engendré une amnésie qui nous a fait oublier que les gens religieux vivent intégralement leur religion. En effet, ils ne peuvent pas faire la distinction entre la sphère publique et la sphère privée. Lorsqu'on confine les croyances religieuses à la sphère privée, certaines personnes profondément religieuses ont l'impression qu'elles ne sont pas des citoyennes à part entière; il faut donc corriger le tir.
    Nous devons créer un pluralisme dans lequel les gens religieux peuvent vivre leurs croyances en public. Cela signifie qu'il y aura des tensions et certains accrochages, car les gens ne s'entendront pas toujours, mais nous devons, dans une certaine mesure, faciliter ce désaccord. Toutefois, si des gens font ouvertement la promotion de la violence contre d'autres personnes, c'est inacceptable, mais nous devons veiller à assurer la présence d'un discours solide à tous les échelons de notre société.
    Je regarde justement les recommandations des Nations unies. L'une de ces recommandations propose que le Canada élabore et mette en oeuvre un nouveau plan d'action national contre le racisme. Je sais que vous ne parlez pas seulement de racisme lorsque vous parlez de pluralisme. Si vous envisagiez de formuler une recommandation que nous pourrions présenter au gouvernement, à votre avis, quel rôle le gouvernement joue-t-il dans cette notion d'un pluralisme sincère et véritable?
    Je crois que le gouvernement peut agir à titre de facilitateur. Je suis toujours un peu sceptique lorsque le gouvernement souhaite lancer un plan d'action national et légiférer à outrance. C'est une notion qui est intégrée dans notre société. Le gouvernement peut jouer un rôle en facilitant le dialogue, en rassemblant les communautés et en étant davantage à l'écoute pour amplifier la voix de ces communautés.
    Dieu merci, nous vivons dans un État laïc. Je ne voudrais pas que le Canada s'associe avec une communauté religieuse en particulier. Toutefois, nous ne vivons pas dans une société laïque. En effet, notre société est un riche amalgame de différentes traditions religieuses et de différents systèmes de croyances. Si nous souhaitons favoriser le développement et la croissance du Canada et promouvoir le bien commun, ces voix doivent être entendues. Je crois que le gouvernement peut jouer un rôle pour rassembler les communautés, surtout dans un climat d'ignorance, d'indifférence et de peur, afin de permettre aux membres de ces communautés de se parler entre eux et d'établir un dialogue honnête et ouvert.
    D'accord.
    J'aimerais vous retenir pendant quelques secondes. M. Doobay a parlé d'organiser une journée hindoue et d'inviter tout le monde. Cela fait-il partie de ce dont vous parliez, c'est-à-dire que nous encouragerions davantage la sensibilisation à l'égard des différentes religions? Cela fait-il partie des recommandations que vous envisageriez de formuler?
    Encore une fois, je ne crois pas que le gouvernement devrait jouer ce rôle. Je crois que le gouvernement devrait permettre aux communautés de fonctionner à un échelon local, mais aussi, comme l'a dit l'un des témoins précédents, au sein des gouvernements — et c'est votre champ d'action —, afin de permettre aux personnes qui ont des croyances religieuses de s'exprimer. De cette façon, elles n'auraient pas nécessairement à laisser leurs croyances chez elles lorsqu'elles vont travailler dans la fonction publique ou au Parlement.
    Je crois que nous devons parler plus honnêtement du fait que des gens profondément religieux travaillent dans un grand nombre de différents milieux dans notre pays.
    Merci.
    Julie, il vous reste une minute et demie.

  (1720)  

    Oh, merci.
    En fait, non, il vous reste deux minutes.
    C'est mieux.
    Madame Hassan, vous avez dit qu'il y a de la discrimination. J'aimerais connaître vos suggestions à cet égard. Que devrions-nous garder à l'esprit lorsque nous formulons nos recommandations? Quelles recommandations concrètes aimeriez-vous nous voir présenter pour tenter de contrer la discrimination, et en particulier la discrimination systémique?
    Tout d'abord, je ne crois pas qu'il y ait une énorme discrimination systémique dans notre pays. En effet, des musulmans occupent des emplois liés à la sécurité et travaillent dans les aéroports...
    Désolée, mais si vous me permettez de préciser ma question, je parlais de tous les groupes religieux.
    Mme Farzana Hassan: Je vois.
    Mme Julie Dabrusin: Vous pouvez répondre qu'à votre avis, il n'y a pas de discrimination systémique. Je ne voulais pas laisser entendre que cela devait être la réponse.
    Comme je l'ai dit, je n'ai pas de problème à examiner les causes de la soi-disant haine ou intolérance manifestée à l'égard des musulmans. J'ai plutôt un problème avec le mot « islamophobie », que je...
    D'accord. J'avais compris cela. Vous avez clairement fait valoir ce point. J'essaie seulement de faire valoir que s'il y a de la discrimination systémique, nous sommes ici pour tenter de formuler des recommandations sur la façon de la contrer.
    J'aimerais vous donner un exemple. On nous a notamment demandé d'examiner la question des crimes haineux en recueillant des données sur ces crimes et en examinant la façon dont nous recueillons ces données. À votre avis, cela pourrait-il être utile?
    Oui. Absolument. Je pense...
    Je suis désolée, madame Hassan. Je déteste vous interrompre, mais le temps est écoulé. Nous n'avons pas beaucoup de temps et nous devons donner sept minutes à chaque intervenant pour poser des questions. Vous trouverez peut-être une façon d'ajouter ce renseignement en répondant à une autre question.
    La parole est maintenant à Scott Reid, du Parti conservateur. Il a sept minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    J'aimerais d'abord m'adresser à M. Bennett, et je poserai ensuite une question à Mme Hassan.
    Monsieur Bennett, vous avez mentionné que certaines personnes avaient de profondes croyances religieuses qu'elles ne pouvaient pas laisser chez elles. J'aimerais ajouter que presque tous les Canadiens ont des croyances profondément enracinées. Certaines de ces personnes sont athées. Des gens qui se qualifient eux-mêmes d'agnostiques entretiennent en fait une série de croyances fondamentales bien enracinées.
    Je vois que vous hochez la tête, ce qui me laisse croire que vous êtes d'accord.
    Le point que je tente de faire valoir — et c'est mon message —, c'est que je pense que nous avons tous des croyances. Certains d'entre nous sont chrétiens, d'autres musulmans, d'autres athées, etc. Les problèmes surgissent lorsque le gouvernement commence à privilégier une catégorie de croyances au détriment d'autres et qu'il décide qu'on doit laisser ses croyances chez soi si on a un certain type de croyances et pas un autre. Je ne parle pas des gens qui font la promotion de la violence — certaines personnes soutiennent qu'il s'agit d'un type de croyances profondes —, mais je parle d'opinions parfaitement légales qui peuvent nuire à la personne qui les défend.
    C'est seulement le message que je tente de faire passer. Je suis désolé, je devrais vous donner la chance de répondre, mais je tiens vraiment à poser une question à Mme Hassan.
    Comme vous l'avez entendu plus tôt, des gens soutiennent que la motion M-103 n'a aucun pouvoir législatif. C'est une motion, et c'est vrai. Toutefois, cette motion nous demande d'écrire un rapport au gouvernement pour le conseiller — nous sommes censés mener une étude sur la question — sur l'élaboration d'une approche pangouvernementale visant à éliminer ou à réduire le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l'islamophobie. Cela signifie que nous pourrions envisager de proposer et de recommander l'adoption d'une mesure législative.
    La nature du libellé ne permet pas vraiment aux membres du Comité de décider de mettre de côté le mot « islamophobie » et de privilégier le dossier sur lequel j'aurais préféré que nous nous concentrions, c'est-à-dire l'élaboration d'une approche visant à réduire ou à éliminer toutes les formes de violence, le racisme systémique, l'intolérance religieuse et la discrimination à l'égard des musulmans — et par la même occasion, à l'égard des hindous, des chrétiens, des juifs, des athées, etc. Étant donné que nous nous retrouverons presque certainement dans une situation dans laquelle la majorité des membres de notre comité insisteront pour inclure le mot « islamophobie », serait-il acceptable de définir « islamophobie » comme je viens de le faire, c'est-à-dire par l'entremise de la violence ou du racisme systémique, de l'intolérance religieuse ou de la discrimination à l'égard des musulmans? S'agirait-il d'une façon de contourner le problème, en quelque sorte?
    Je ne crois pas du tout que ce serait une solution adéquate, car ce n'est pas la façon dont ce mot est compris dans la communauté en général. Le Parlement utiliserait cette définition, mais comme vous l'avez dit, elle n'a aucune force exécutoire et elle n'est présentement contenue dans aucune mesure législative. En raison de la façon dont de nombreuses communautés islamiques et d'autres comprennent ce mot à l'échelle mondiale, il poserait toujours un problème. Nous le comprenons certainement de cette façon ici, mais dans d'autres pays, il pourrait entraîner une perception très négative qui pourrait avoir des répercussions tout aussi négatives.

  (1725)  

    Je veux m'assurer de bien comprendre ce que vous avez dit, car il se peut que j'aie mal compris vos paroles. Il semble que vous dites que si nous adoptons cette motion et que si le gouvernement adopte une mesure législative qui condamne l'islamophobie, même si nous avons une définition comme celle que je viens d'utiliser — personnellement, je suis tout à fait à l'aise avec cette définition —, d'autres pays — et je présume que vous parlez de pays musulmans — affirmeront que cela signifie que notre pays a approuvé certaines de leurs pratiques liées à des restrictions sur... Est-ce bien ce que vous voulez dire?
    C'est aussi ce que je veux dire, mais je dis également que dans certains segments de la communauté islamique d'ici, si une personne remettait en question certaines pratiques musulmanes, ces segments de la communauté pourraient utiliser ce type de mesure contre la personne qui tente de remettre en question des pratiques et des préceptes musulmans. Personne ne prendra le temps de vérifier la définition de cette notion ou la façon dont vous l'avez décrite ou définie, et il y aura donc une zone grise à l'extérieur de la Chambre des communes ou du Parlement qui donnera du fil à retordre aux gens concernés.
    Je ne sais pas si vous étiez présente lorsque nous avons entendu le premier groupe de témoins.
    Je n'étais pas présente.
    D'accord. J'ai dit que l'un des risques qui me préoccupent, c'est que nous soyons confrontées à une situation parallèle à celle qui s'est produite en France lorsque l'historien Georges Bensoussan a été accusé de crime haineux pour avoir dit — et il a utilisé un langage immodéré — qu'en France, l'antisémitisme, on le tète avec le lait de sa mère dans la communauté musulmane. Il a donc été accusé d'avoir commis un crime haineux pour avoir dit cela. Il a été acquitté. Il fait maintenant face à de nouvelles accusations dans un processus d'appel.
    Par conséquent, les gens qui souhaitent exprimer des préoccupations liées à l'antisémitisme au sein de la communauté musulmane...
    Il vous reste deux minutes.
    ... ont maintenant peur de s'exprimer. Le risque que nous tentions de contenir un type de discours haineux en réduisant trop vigoureusement un autre type au silence est un risque que je garde à l'esprit.
    Cela deviendra-t-il un risque si nous ne faisons pas attention?
    C'est un risque, car bien des gens ne sauront pas cela, ne liront pas les documents et n'utiliseront pas ces ressources. Il y aura toujours le risque que des gens ne sachent pas exactement ce qu'est l'islamophobie. Ce terme demeurera vague dans certaines communautés, et cela continue de me préoccuper.
    D'accord.
    Vous avez utilisé une expression que je n'avais jamais entendue auparavant. En effet, vous avez parlé d'orthodoxie musulmane, une expression que vous utilisez pour désigner essentiellement, je crois, une institution cléricale. Est-ce exact?
    Oui.
    C'est une expression qui se distingue d'autres expressions que nous avons utilisées pour parler de croyances liées à une doctrine. Vous faites en fait référence à une hiérarchie qui, à votre avis...
    Je dirais que cela fait référence aux personnes qui adhèrent à une compréhension plus fondamentaliste de l'Islam.
    D'accord.
    J'ai exprimé ma préoccupation au sujet de ce qui arrive aux personnes qui ne sont pas musulmanes, mais permettez-moi de reformuler ma question. Cela représente-t-il également un risque pour les réformistes au sein de la communauté musulmane?
    Absolument. Une personne comme moi est extrêmement vulnérable. Si une telle mesure était adoptée, je serais extrêmement vulnérable.
    Il ne s'agit pas seulement d'actions en justice, mais également de censure sociale et d'autres types de mesures que la motion permettra de mettre en oeuvre. C'est également ce qui m'inquiète. Ce ne sont pas seulement les considérations juridiques.
    Combien de temps me reste-il?
    Il vous reste 25 secondes.
    D'accord.
    Dans ce cas, monsieur Bennett, vous avez 30 secondes pour répondre à ma déclaration précédente.
    Certainement.
    J'aimerais seulement préciser qu'en ce qui concerne le pluralisme, si l'on souhaite établir un pluralisme véritable, il faut permettre à toutes les croyances et à toutes les expressions de croyances d'exister. On ne peut pas dire qu'il s'agit de pluralisme si on oblige les gens à adhérer à certaines croyances et qu'on les frappe d'anathème s'ils refusent. En effet, dans ce cas, ce n'est plus du pluralisme, mais une autocratie.
    Merci.
    La parole est maintenant à Jenny Kwan, du NPD.
    Elle a sept minutes.
    Merci beaucoup, madame la présidente. Je tiens également à remercier tous les témoins de leurs exposés.
    J'aimerais me concentrer sur un point en particulier. Monsieur Bennett, je crois que vous avez dit qu'il y a du racisme et de la discrimination religieuse au Canada. En gros, vous avez dit que ces choses avaient toujours existé et malheureusement, je soupçonne qu'elles existeront toujours. C'est l'angle sous lequel j'aborde la motion, et je crois que c'est l'esprit dans lequel elle a été proposée.
    On parle beaucoup des différentes définitions. Je ne m'engagerai pas dans ce débat, car nous pourrions y passer la journée.
    J'aimerais cependant aborder les mesures qui peuvent être prises pour régler ce problème et reconnaître l'existence de la discrimination. La discrimination religieuse et le racisme ont toujours existé et ils existeront toujours, mais dans la mesure dans laquelle nous pouvons contribuer à minimiser le racisme et la discrimination religieuse, quelles mesures le gouvernement pourrait-il prendre? Des personnes ont suggéré d'adopter une stratégie nationale contre le racisme. D'autres ont suggéré d'inclure, au sein de cette stratégie, un volet parallèle sur la discrimination religieuse. J'aimerais avoir votre avis sur les mesures que notre comité devrait recommander au gouvernement pour traiter cet enjeu particulier.

  (1730)  

    Le Comité doit d'abord et avant tout réaffirmer l'importance des libertés fondamentales protégées par l'article 2 de la Charte. Nous avons une Charte des droits et libertés, et nous devons agir en conséquence. Comme je l'indiquais, c'est une responsabilité qui incombe au gouvernement.
    Par ailleurs, dans le contexte des cadres législatifs et réglementaires relevant du gouvernement, il peut y avoir diverses situations dans lesquelles se manifeste la haine à l'encontre des musulmans ou d'autres groupes. Ainsi, comme l'indiquait M. Worthen, un témoin précédent, on observe une discrimination croissante à l'endroit des médecins et des autres travailleurs de la santé qui ont des opinions particulières au sujet de l'euthanasie ou d'autres enjeux. En pareil cas, les lois régissant les droits de la personne doivent pouvoir mieux protéger ceux qui diffèrent ainsi d'opinion en raison de leur conscience morale ou de croyances religieuses bien ancrées de telle sorte qu'ils ne soient pas victimes de discrimination pour cette raison et ne risquent pas de perdre leur emploi dans un hôpital financé par l'État ou ailleurs. Il y a certaines actions qui sont du ressort du gouvernement si l'on veut mieux protéger la liberté de conscience, d'expression, de religion ou de croyance.
    Encore là, le gouvernement devrait assumer un rôle de coordination générale pour faciliter les relations entre les différentes communautés.
    Concernant ce dernier point, je suis également d'avis que le gouvernement devrait contribuer à faciliter le travail des organisations non gouvernementales et des groupes communautaires qui doivent souvent composer avec des ressources insuffisantes. Il importe par ailleurs d'offrir la formation nécessaire aux employés des différentes entités gouvernementales.
    Si nous voulons appuyer ces efforts de formation et de sensibilisation aux différences culturelles et religieuses, le gouvernement ne devrait-il pas mettre en oeuvre une stratégie nationale prévoyant des ressources suffisantes à cette fin, ou est-il préférable de laisser chaque communauté se débrouiller par elle-même?
    Cela pourrait s'inscrire dans une stratégie nationale, mais il faut se rappeler que toute forme de coordination gouvernementale doit s'exercer dans le contexte de la démocratie représentative qui caractérise le Canada. Vous êtes concernés au premier chef, à titre de députés, car vous avez des intérêts politiques, comme le Dr Doobay l'a mentionné. Lorsqu'il s'agit de permettre une meilleure collaboration entre les différentes communautés, notamment dans le cadre du rôle joué par les ONG, on a toujours tendance à favoriser celles parmi ces organisations qui partagent les visées politiques du parti concerné, qu'il s'agisse des conservateurs, des libéraux ou des néo-démocrates.
    Si l'on prévoit mobiliser ainsi les ONG et les groupes communautaires pour débattre de ces enjeux, il ne faudra pas perdre de vue les allégeances politiques de chacun, si je puis m'exprimer ainsi. Il faudrait toujours viser une mobilisation aussi large que possible en incluant ces groupes qui ne partagent pas nécessairement notre idéologie. Il faut sans cesse chercher à obtenir la contribution des ONG dont les points de vue peuvent diverger totalement de ceux qui ont cours au sein de la société.
    D'accord.
    J'aimerais aborder un autre aspect, celui des conséquences de la discrimination systémique. Si certains prétendent que ces conséquences sont minimes, d'autres font valoir que les impacts sont considérables, particulièrement du point de vue financier et économique pour les groupes communautaires.
    Il vous reste deux minutes.
    Les chiffres à notre disposition confirment qu'il y a effectivement des répercussions sur la situation économique des gens victimes de discrimination systémique. Pouvez-vous nous dire si vous jugez cela problématique et, le cas échéant, nous indiquer quelles mesures devraient être prises?
    Je ne crois pas que ce soit un problème systémique. Comme le disait Mme Hassan, de nombreux membres de différentes communautés victimes de discrimination se tirent très bien d'affaire — et M. Doobay s'est cité lui-même en exemple — au sein de la société canadienne en parvenant à s'épanouir pleinement sur le plan économique, social, culturel ou politique, par exemple. Je crains fort que l'on cherche trop à axer le débat sur une généralisation de la discrimination systémique. Il faut examiner les choses dans une perspective historique. Tout au long de notre histoire, il y a eu des communautés victimes de discrimination. Certaines ont été plus touchées que d'autres.

  (1735)  

    Peut-être puis-je me permettre de vous interrompre ici. Prenons l'exemple de la communauté autochtone. J'ose espérer que nous conviendrons tous que c'est un cas flagrant de communauté victime d'une discrimination systémique qui lui a nui considérablement du point de vue socioéconomique, notamment. La situation n'exigerait-elle pas une approche stratégique, et celle-ci ne devrait-elle pas s'appliquer également aux autres communautés ethniques?
    Il faut faire bien attention de ne pas considérer les Premières Nations comme une communauté ethnique. Elles occupent une place particulière...
    Je suis désolée, mais j'ai parlé des autres communautés ethniques. Je n'ai jamais dit que la communauté des Premières Nations était une communauté ethnique.
    Il y a certaines stratégies qui conviennent dans des situations particulières. Pour faciliter les liens entre différentes communautés touchées par la discrimination, il faut d'abord traiter les cas particuliers. On doit ensuite s'efforcer d'adopter une approche d'ensemble visant à favoriser les relations entre les communautés de telle sorte que chacune puisse tirer des enseignements de l'expérience des autres. S'il est impossible pour les gens de s'exprimer ou d'exposer leurs croyances en faisant valoir les raisons qui les motivent, il devient difficile de mobiliser tout le monde et de lutter contre la discrimination.
    J'ai bien peur que nous ayons dépassé légèrement les sept minutes prévues. Il nous reste un dernier intervenant, soit Dan Vandal du côté des libéraux. Cela mettra fin à notre premier tour où chacun avait droit à sept minutes. Il n'y aura pas de second tour.
    Je vais partager mon temps avec Julie Dzerowicz. Sans plus tarder, je vais poser directement ma question à M. Doobay.
    Il y a quelques semaines, on nous a clairement démontré que les crimes haineux étaient en hausse au sein de différentes communautés, y compris chez les Autochtones, les gens de race noire, les juifs et les musulmans. Pour la communauté musulmane, la hausse était de 61 % en une année à peine. À mes yeux, c'est extrêmement troublant. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, monsieur Doobay. Qu'est-ce que notre gouvernement peut faire pour inverser cette tendance?
    Merci.
    Le gouvernement ne devrait pas être le seul à assumer cette responsabilité. Comme je l'ai mentionné, les communautés ont aussi un rôle à jouer. Elles doivent éviter de se ghettoïser en s'efforçant plutôt d'intégrer les gens qui les entourent.
    Nous sommes encore de nouveaux arrivants, contrairement aux communautés qui sont au pays depuis cinq générations peut-être. Lorsque nous arrivons ici à titre de Néo-Canadiens, nous voulons que les gens comprennent qui nous sommes et qu'ils sachent bien que nous sommes venus au Canada pour pouvoir travailler en paix et en harmonie. Pour ce faire, il faut interpeller les gens qui nous entourent — voisins, citoyens, maire, échevins, député — et leur faire savoir qui nous sommes. Lorsque nous évitons ainsi de nous ghettoïser nous-mêmes en permettant plutôt à nos concitoyens de mieux nous connaître, tous se rendent compte rapidement que nous sommes des êtres humains comme les autres. Nous mangeons les mêmes choses, portons les mêmes vêtements et visons les mêmes objectifs. Nos croyances sont peut-être différentes, mais c'est à peu près tout ce qui nous distingue. C'est en nous isolant que nous incitons les autres à nous prendre en grippe.
    On se demande ce que le gouvernement peut faire. Dans sa grande sagesse, il peut favoriser cette forme de communion de gens de croyances différentes en faisant bien comprendre à chacun qu'il ne peut pas transposer ici les façons de faire et les conflits de son pays d'origine, quel qu'il soit.
    Nous devons prendre conscience du choix que nous avons fait en venant au Canada. Pourquoi sommes-nous ici? Parce que nous aspirions à une meilleure qualité de vie. Nous devons par conséquent remercier le gouvernement, travailler avec lui et conjuguer nos efforts. J'ai notamment mentionné à ce titre les projets de l'Aga Khan. Il y a certaines personnes qui parviennent à rallier tout le monde. Nous ne pouvons pas demander au gouvernement de tout faire à notre place.
    Les guerres religieuses sont les pires qui soient. Je ne crois pas rien vous apprendre en disant cela. Vous n'acquiescez pas nécessairement, mais les pires guerres sont effectivement celles causées par la religion. Je veux dire encore une fois que si l'on se plie aux exigences de communautés principalement hindoues ou musulmanes, par exemple, on s'expose à bien des difficultés. Les différentes communautés doivent travailler de concert, et le gouvernement devrait chercher des moyens de leur faciliter les choses. C'est mon point de vue.

  (1740)  

    Merci Dan.
    Julie, il vous reste trois minutes.
    Merci beaucoup.
    Je vais adresser mes questions d'abord à M. Bennett, puis à M. Doobay.
    Je vais poursuivre un peu dans le sens de l'intervention de ma collègue, Mme Kwan. Je conviens avec elle que le racisme et la discrimination systémiques sévissent depuis trop longtemps déjà au Canada. À ce sujet, je suis entièrement d'accord avec une chose qui a été notée dès le départ: nous avons tous nos préjugés.
    D'autres témoins nous en ont parlé avant vous. Si je ne m'abuse, c'est le cas notamment d'un dirigeant de la communauté noire au sein de l'appareil judiciaire. Il a indiqué qu'il fallait en tenir compte au moment de l'élaboration d'un plan d'action s'inscrivant dans une approche pangouvernementale pour réduire ou éliminer le racisme et la discrimination religieuse qui ont atteint des proportions systémiques.
    Dans cette optique, j'aimerais savoir ce que nous pourrions faire de plus pour élaborer une approche semblable en tenant compte des préjugés de chacun.
    Je dirais très brièvement que le gouvernement peut prêcher par l'exemple. Aussi bien les parlementaires que les dirigeants de la fonction publique doivent reconnaître que les points de vue divergents sont tout à fait acceptables. Chacun a droit à son opinion.
    À titre d'exemple, Cardus, le groupe de réflexion au sein duquel je travaille, peut être généralement considéré comme une organisation de confession chrétienne. Nous sommes trois catholiques et plusieurs de nos collègues sont des protestants de l'église réformée ou des calvinistes, si vous préférez. En tant que catholique, je trouve la théologie calviniste plutôt farfelue et je pense qu'ils ont tort sur certains points, mais je reconnais que cela n'affecte en rien leur dignité humaine. Nous avons une excellente relation de travail avec eux dans nos efforts conjoints pour améliorer le sort de notre pays, tout comme le font les députés. Dans notre contexte de travail particulier, nous pouvons nous coaliser, exprimer notre désaccord et trouver une façon de travailler tous ensemble.
    Il me semble fréquent que des gens au sein de notre Parlement, de notre gouvernement ou de notre fonction publique aient l'impression de ne pas pouvoir exprimer leur désaccord ou d'être obligés d'adhérer à un certain point de vue pour se sentir acceptés au sein de la société. Ce n'est pas une bonne chose. Il faut que les différentes opinions puissent s'exprimer. Après tout, le Parlement ne porterait pas bien son nom si les gens n'étaient pas libres de parler. C'est une situation que l'on peut observer partout au pays.
    Quelque chose à ajouter, monsieur Doobay?
    Je suis d'accord avec mon ami ici présent, mais je crois que nous devons commencer à la maison avec nos enfants. Bien des choses originent de l'éducation que nos enfants reçoivent à la maison, même si certains croient que tout peut être réglé au Parlement. Il faut que les gens comprennent qu'il y a certaines choses que nous ne pouvons pas enseigner à nos enfants si nous ne voulons pas qu'ils grandissent dans la haine.
    Cela nous ramène encore au phénomène de la ghettoïsation dans le cadre duquel nous enseignons à nos enfants à haïr les autres et à pratiquer la discrimination à leur endroit. Comme vous l'avez dit, nous avons tous nos préjugés. Chacun a ses propres préjugés, y compris Dieu. Nous devons transmettre les bonnes valeurs à nos enfants à la maison. Ce n'est pas chose facile. On peut toujours se dire qu'on va leur faire comprendre d'être comme ceci ou comme cela, mais c'est impossible. Comme vous le savez, ces préjugés sont bien ancrés. Ils s'implantent chez les enfants qui grandissent avec par la suite.
    Nous devons nous efforcer de sensibiliser les gens, de les mobiliser, de communiquer avec eux et de les intégrer, plutôt que de nous isoler. C'est en intégrant les gens que nous pourrons leur faire comprendre qui nous sommes. C'est la seule solution. Le gouvernement ne peut régler cela à lui seul.
    Merci, docteur Doobay, monsieur Bennett et madame Hassan d'être venus aujourd'hui partager avec nous vos idées et vos réflexions. Cela vient s'ajouter aux différents éléments qui nous guideront dans la formulation de nos recommandations. Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré, et je serais maintenant disposée...
    Monsieur Reid?
    J'aurais un dernier commentaire avant que nous soyons saisis de la motion d'ajournement que je vais m'empresser de présenter dans un instant.
    Je voulais simplement vous remercier de nous avoir permis de dépasser un peu le temps prévu de telle sorte que nous puissions entendre ce que nos témoins avaient à nous dire. Je vous en suis très reconnaissant, et je présume que c'est la même chose pour mes collègues.

  (1745)  

    Merci.
    M. Scott Reid: Je propose maintenant l'ajournement.
    La présidente: La séance est levée.
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