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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 063 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 31 mars 2015

[Enregistrement électronique]

  (1305)  

[Français]

    Je vous souhaite la bienvenue au Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Aujourd'hui, en cette dernière journée du mois de mars, nous tenons notre 63e séance et celle-ci est télévisée.

[Traduction]

     Nous recevons aujourd'hui un témoin en la personne de Justin Laku, conférencier au centre d'études sur la paix et le développement de l'Université de Djouba, au Soudan du Sud.
    Nous traitons aujourd'hui de la situation des droits de la personne au Soudan, même si nous pouvons fort bien élargir la discussion au Soudan du Sud, bien entendu.
    Monsieur Laku, nous vous invitons à commencer votre exposé. Voici comment nous procédons. Nous disposons d'un peu moins d'une heure. Nous encourageons habituellement les gens à parler pendant environ 10 minutes, ce qui permet aux divers intervenants d'utiliser le reste du temps. Ils vous posent alors des questions auxquelles vous répondez. J'ai constaté que cet échange de questions et de réponses constitue souvent la partie la plus productive de la séance. Les questions seront réparties entre les six députés. La longueur de ces tours de questions dépend de celle de votre exposé initial.
    Sur ce, je vous invite à commencer votre témoignage. Merci beaucoup.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur Reid.

[Traduction]

    Bonjour mesdames et messieurs et membres du comité. Je suis enchanté de comparaître aujourd'hui pour vous faire part de certaines expériences vécues au Soudan du Sud dans le cadre de la crise politique récente.
    Sachez tout d'abord que je vous parle de mon expérience personnelle à titre de personne déplacée, réfugiée deux fois au cours de la première guerre civile des années 1970, une fois au Caire et une fois au Canada. J'ai tout vu. J'ai traversé toute l'expérience d'être un réfugié en situation de guerre. Ce que j'ai vécu à titre de réfugié et de personne déplacée m'a incité à devenir un défenseur des droits de la personne et la voix de ceux qui ne peuvent se faire entendre au Soudan du Sud, au Soudan, au Darfour, dans l'État du Nil Bleu et dans les monts Nuba.
    Je traiterai aujourd'hui de l'origine de la situation actuelle au Soudan du Sud, puis je vous parlerai de la situation actuelle au pays et des pourparlers de paix. Je formulerai ensuite quelques recommandations à l'intention du comité sur ce que le Canada peut faire. Je conclurai ensuite mon exposé.
    Pendant plus de 20 ans, les combattants de la liberté du Soudan du Sud ont lutté contre l'injustice, la discrimination, l'inégalité, l'islamisation, l'arabisation et l'esclavage du régime de Khartoum. Ironiquement, les rebelles du Mouvement populaire de libération du Soudan et l'Armée populaire de libération du Soudan, ou MPLS-APLS, qui ont pris le pouvoir au Soudan du Sud en 2005 après la conclusion de l'accord de paix global, n'ont pas mis en oeuvre la réforme politique, la liberté, la justice et la répartition du pouvoir pour lesquels il s'étaient battus pendant 20 ans. Or, la liberté des processus démocratiques s'inscrit dans la mission du MPLS-APLS.
    Le gouvernement de l'APLS refuse ces droits aux habitants du Soudan du Sud, pendant que le régime de Khartoum poursuit le génocide au Darfour, dans les monts de Nuba et dans l'État du Nil Bleu. En bref, le gouvernement de Salva Kiir peut être associé à une ère d'accaparement et de transfert des politiques du régime de Khartoum au Soudan du Sud et à Djouba.
    Voici ce qui s'est passé. En 2013, le conflit a dévasté la vie de la majorité des habitants du Soudan du Sud. Il a fait des dizaines de milliers de morts et laissé le tiers de la population au bord de la famine. Il s'agit d'un conflit violent qui s'est soldé par des tueries, des viols, le recrutement forcé d'enfants, des déplacements de masse et la destruction des moyens d'existence.
    En ce qui concerne les viols, j'aimerais vous lire les propos d'une activiste en matière de droits de la personne du Soudan du Sud.
    Voici ce qu'elle a déclaré:
Le conflit actuel, que même les factions belligérantes qualifient d'insensé, n'épargne pas les femmes ou les filles, qui sont particulièrement ciblées. On réagit aux tueries et aux viols par d'autres tueries et viols. La violence sexuelle atteint une ampleur jamais vue, même selon les normes brutales des guerres précédentes.
    Il s'agit des conflits de 1997 et de 1983.
Il y a des victimes de tous âges, des jeunes filles aux octogénaires. On raconte souvent que les femmes ont le choix entre le viol et la mort. Celles qui refusent d'être violées sont pénétrées avec des bâtons, des fusils et d'autres objets et saignées à mort. Celles qui choisissent le viol sont victimes de viol collectif, si brutal que nombre d'entre elles n'y survivent pas. Les femmes enceintes se font arracher leurs bébés de leurs entrailles.

  (1310)  

    Ce conflit a un effet considérable sur l'environnement; il provoque la rupture du tissu social de la culture du Soudan du Sud, cause des traumatismes psychosociologiques découlant de la violence sexuelle infligée aux femmes et favorise l'exploitation des enfants. Il a rouvert les blessures subies en 1991, à l'époque du schisme entre Riek Machar, John Garang et Salva Kiir Mayardit. Nous avons assisté à des tueries similaires en 1991.
     C'est le même scénario qui se répète depuis 2013. La crise politique ne découle pas d'un coup d'État, comme l'affirme le gouvernement, mais d'un malentendu entre les officiers dinkas et nuers de la garde présidentielle. Dans le cadre de ce conflit, trois nouveaux rebelles se sont manifestés dans l'État d'Équatoria, lequel est actuellement aux mains du major-général Martin Kenyi, du major Losuba Lodoru et du capitaine Robert Kenyi.
    Monsieur le président, j'ai, pour étayer mes propos, certains renseignements que je vous remettrais avec plaisir.
    Merci. C'est ce que j'allais vous demander de faire également. Ces renseignements nous seront fort utiles.
    M. Justin Laku: Oui.
    Le président: Merci.
    Le conflit a plongé le pays dans une crise économique; à ce jour, les recettes pétrolières du pays ont baissé de près de 50 %.
    La crise politique actuelle découle de divers problèmes, le premier étant que 80 % de la population du Soudan du Sud ne peut ni lire ni écrire. Environ 75 % des policiers, des personnes qui travaillent dans les établissements carcéraux — disons de l'ensemble des organismes de sécurité — sont illettrés.
    Le deuxième est la tribalisation au sein des ministères. La plupart des ministres sont issus de la tribu Dinka, la même que le président, Salva Kiir. Le ministre de la Défense est un Dinka. Son chef d'état-major est un Dinka. Le ministre de l'Intérieur est un Dinka. Le directeur des services de police est un Dinka. Le ministre des Prisons est un Dinka. Le directeur de la CID, la division des enquêtes criminelles, est un Dinka. Le ministre de la Sécurité nationale est un Dinka. Le ministre des Finances est un Dinka. La liste est longue, ce qui indique que le gouvernement du Soudan du Sud n'est pas inclusif. Il est dirigé par une seule tribu et le pouvoir a été centralisé dans une seule région.
    Le troisième est le problème de l'appropriation de terres, que l'on observe surtout dans l'État d'Équatoria et qui est devenu un phénomène dans l'ensemble de l'Afrique et non seulement au Soudan du Sud. C'est devenu un problème. L'appropriation de terres est principalement le fait de commandants Dinka qui ont légitimé leur pouvoir au sein de la police, des prisons ou de l'armée et qui s'approprient les terres de personnes innocentes.
    Comme vous le savez, la plupart des habitants du Soudan du Sud dépendent de l'agriculture. Par conséquent, l'appropriation de leurs terres menace leur survie et entraîne une augmentation de la famine et du nombre de personnes déplacées au sein de la société.
    Il y a de la discrimination, qui vise principalement les personnes de la fonction publique, des services de police et des prisons qui ne sont pas des Dinkas. En ce moment même, il y a des disparitions et l'insécurité règne au Soudan du Sud.
    Un journaliste de la télévision sud-soudanaise a été arrêté la semaine dernière. Nous ne connaissons toujours pas le sort qui lui a été réservé. Il a été arrêté simplement pour avoir interviewé un homme et lui avoir posé une question sur le chef de son personnel. De telles choses — la détention de personnes — se produisent quotidiennement, notamment à Juba.
    N'importe quel officier subalterne de la tribu de Kiir peut obtenir plus de pouvoirs que des officiers plus hauts gradés issus d'autres tribus en raison du lien direct qui existe avec le commandant en chef. Étant donné qu'ils sont les seuls à avoir ce lien tribal, ces officiers peuvent établir leur autorité sans que ce soit contesté.
    Détournement des recettes pétrolières, mauvaise gestion des ressources, corruption: des fonds de l'État se comptant en milliards ont disparu dans les poches de quelque 75 ministres. La plupart de ces ministres ont des comptes à l'étranger au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. Certains ont acheté des maisons au Colorado et même ici, à Ottawa. Une bonne partie des fonds de l'APLS se retrouve aux mains de ceux qu'on appelle les « jeunes hommes perdus », des officiers de la tribu de Kiir, dont beaucoup sont revenus des États-Unis, de l'Australie et du Canada pour occuper des postes d'officiers militaires supérieurs au quartier général de l'APLS, à Juba.
    Le Soudan du Sud n'a jamais adopté un système fédéral. Cette idée est préconisée depuis la conférence de Juba, en 1947. La liberté de la presse est réduite systématiquement; la censure est pratiquée au quotidien. Les journaux font l'objet de perquisitions tous les jours. Avant 2013, 65 % du personnel militaire des forces de sécurité était issu de la tribu des Nuers. Dans sa transition d'un État à parti unique à un État multipartite, le Soudan du Sud présente un déficit démocratique. La fonction publique du Soudan du Sud est caractérisée par un manque de transparence, de crédibilité, de responsabilisation, d'équité, d'efficience et d'efficacité.

  (1315)  

    Il y a aussi le tribalisme. Comme vous le savez, le Parlement du Soudan du Sud compte 335 députés, dont 275 sont élus par la population et 68 sont nommés par le président. Les 68 députés qui ont été nommés ont modifié l'équilibre du pouvoir au sein de la Chambre. Comme vous le savez aussi, sur le plan constitutionnel, ils ne sont pas élus, mais comme ils peuvent maintenant adopter des lois, cela devient inconstitutionnel.
    La nomination de personnes au gouvernement se fait principalement par l'intermédiaire du bureau du président en fonction de liens tribaux. Le recrutement des militaires est fondé sur les liens tribaux, ce qui entraîne une résurgence des conflits intertribaux. La plupart des commandants qui étaient auparavant des rebelles ont été intégrés au gouvernement, mais demeurent loyaux à leur commandant et non à son chef d'état-major ni au ministre de la Défense du Soudan du Sud.
    En ce qui concerne la discipline et la capacité, l'APLS ne respecte pas les droits de la personne et les libertés civiles et ne défend pas la constitution. Il est urgent de transformer l'Armée populaire de libération du peuple soudanais, anciennement un mouvement rebelle, en force militaire civile, disciplinée et efficace sous contrôle civil. En raison de leurs origines et de leur manque d'instruction, les guérilleros devenus officiers supérieurs au sein du Mouvement/Armée de libération du peuple soudanais n'ont pas la compétence et la crédibilité nécessaires pour lutter contre le gouvernement, que l'on accuse de corruption généralisée.
    La corruption a nui aux projets de mise en valeur et au développement économique du Soudan du Sud. La corruption a mené au pillage des ressources. Les responsables gouvernementaux jouissent de l'impunité par rapport à un déficit de 4,5 milliards de dollars, une somme qui, comme je l'ai indiqué, se trouve dans des comptes à l'étranger au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. Le manque de leadership est généralisé dans l'ensemble de la fonction publique et tous les fonctionnaires, les politiciens et les ministres. Il s'étend dans l'ensemble de la société civile du Soudan du Sud, peu exposée aux pratiques en matière de gouvernance démocratique.
    On observe une absence de gouvernance et un manque de respect à l'égard de la primauté du droit, ce qui entraîne une crise de légitimité. À cela s'ajoute l'absence de services gouvernementaux liés à l'approvisionnement en eau, l'enlèvement des déchets, l'électricité, etc. La société civile du Soudan du Sud est principalement composée de femmes peu scolarisées dont le poids politique est limité. Le taux de chômage chez les jeunes est très élevé, et le système d'éducation présente d'importantes lacunes.
    Les jeunes et les diplômés universitaires qui manquent de connaissances des valeurs démocratiques retournent dans des collectivités où règnent les conflits intertribaux et où la possibilité de trouver un emploi valable est nulle. Pour les commandants, cette situation représente une occasion de le recruter en leur promettant de leur donner le grade de major ou de capitaine; c'est un des aspects. Comme vous le savez, les femmes, les enfants et les jeunes représentent 65 % de la population du Soudan du Sud.
    L'autre problème est la constitution du pays. L'article 101 de la constitution du Soudan du Sud accorde au président le pouvoir ultime de dissoudre le Parlement et de démettre les gouverneurs et les ministres de leurs fonctions; il a carte blanche. C'est là une partie du problème auquel le Soudan du Sud est confronté.
    On observe actuellement au Soudan du Sud des cas de violations des droits de la personne et de disparition des opposants au régime. Cela a lieu à Nimule, à la frontière du Soudan du Sud et de l'Ouganda, à Yei, près de la frontière du Soudan du Sud et du Congo, ainsi qu'à Juba et dans d'autres régions du pays, en particulier à Bentiu, Malakal et Bor. Les meurtres et la destruction se poursuivent. Les parties en cause dans le conflit poursuivent les combats et ne démontrent aucun intérêt pour la paix.

  (1320)  

    La semaine dernière, le Parlement du Soudan du Sud a prolongé de trois ans le mandat du président, soit jusqu'au 9 juillet 2018. En même temps, le Parlement a aussi prolongé son propre mandat de trois ans, sans toutefois prolonger de trois ans le mandat des parlements des États; cela ne vise que le Parlement national.
    En ce qui concerne les pourparlers de paix actuelle, simplement pour vous tenir au courant, j'étais à Addis-Abeba l'an dernier, et j'y suis resté jusqu'à tout récemment. J'ai passé près d'un an dans la région située entre le Soudan du Sud et Addis-Abeba. J'aimerais vous présenter quelques observations sur ce qui s'est produit à Addis-Abeba.
    Les pourparlers de paix d'Addis-Abeba ont été un échec total parce que les deux parties refusaient d'accepter la transformation du gouvernement en régime multipartite. Du point de vue de la société civile, les pourparlers de paix visent à assurer la participation des groupes d'armée semi-autonomes et autonomes qui mènent des activités au Soudan du Sud de façon à ce qu'ils soient parties aux accords de sécurité de même qu'au régime de gouvernance du Soudan du Sud.
    En ce qui concerne la corruption, les notions de reddition de comptes et de réconciliation ainsi que le processus de guérison doivent être implantés au Soudan du Sud. La paix au Soudan du Sud est intimement liée aux efforts de réconciliation et de guérison, et ceux qui ont commis des atrocités et des violations des droits de la personne doivent être tenus responsables. Si on veut interrompre le cycle récurrent de la violence, il faut s'attaquer à la culture d'impunité qui règne au pays et qui a entraîné ces atrocités.
    Tout accord de paix ne devrait comporter aucune mesure d'amnistie pour les responsables de crimes graves et devrait inclure une exigence selon laquelle le Soudan du Sud devrait s'engager publiquement à tenir, durant la période de transition, un processus d'enquête et de poursuite équitable et crédible sur les crimes graves qui ont été commis pendant le conflit actuel. Le gouvernement du Soudan du Sud devrait demander l'aide internationale des Nations unies et de l'Union africaine pour la mise en place d'un mécanisme de poursuites pour les crimes les plus graves commis pendant le conflit actuel.
    Tout accord de paix devrait aussi exiger que le Soudan du Sud mette en place, pendant la période de transition, un organisme national chargé de la promotion de la vérité, de la réconciliation et de la guérison. Tout mécanisme qui serait ainsi établi devrait être accessible à l'ensemble de la population, être culturellement... et être pris en charge et dirigé par les collectivités locales.
    Le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine devrait publier le rapport de la Commission d'enquête de l'Union africaine sur le Soudan du Sud le plus tôt possible. Le rapport devrait aussi servir de fondement pour l'imposition de sanctions individuelles ciblées comme le gel des avoirs et les interdictions de voyage, conformément à la résolution de l'IGAD de novembre 2014.
    L'autre problème auquel nous sommes confrontés est la famine. Comme je l'ai indiqué, l'appropriation de terres, les déplacements et les réfugiés sont à l'origine d'une crise humanitaire, en particulier dans la région de Malakal et dans la région frontalière avec l'Éthiopie. La communauté internationale devrait appuyer la mission de maintien de la paix de l'ONU au Soudan du Sud et à Abyei de façon à redéfinir ses objectifs et sa structure et à faire de la protection des civils une priorité.
    La communauté internationale ne devrait pas pour autant oublier le Darfour, la région des monts Nuba et la région du Nil Bleu. En ce moment même, le gouvernement du Soudan mène également des activités de génocide dans les régions du Darfour et des monts Nuba parce que les gens sont concentrés sur le Soudan du Sud.

  (1325)  

    Des troupes étrangères sont présentes au pays. Pour que la paix puisse être établie au Soudan du Sud, les troupes étrangères de l'Ouganda doivent être retirées ou doivent sortir du pays le plus tôt possible. La présence de troupes étrangères au Soudan du Sud est l'un des obstacles à la paix et nuit au processus de paix.
    En ce qui concerne le régime de gouvernance, il a été proposé de doter le Soudan du Sud d'un régime fédéral, et le Canada pourrait aider à la planification à cet égard.
    Pour ce qui est des accords en matière de sécurité, les deux parties ont convenu d'avoir deux armées pendant les trois ans du gouvernement de transition, dont une serait sous le commandement de M. Riek Machar et l'autre, sous le commandement du gouvernement du Soudan du Sud. Par la suite, les deux armées seraient fusionnées.
    Actuellement, les besoins de la commission de cessez-le-feu de l'Union africaine dans les zones de conflit à Bor et dans la région du Haut-Nil sont liés au soutien logistique, au transport, aux communications et à l'aide humanitaire. L'Union africaine et les forces de maintien de la paix des Nations unies devraient intervenir si les parties au conflit violent l'accord de cessez-le-feu.
    Quant à la diaspora sud-soudanaise, le gouvernement canadien devrait tirer parti de l'exode des cerveaux et le transformer en gain de cerveaux. La diaspora sud-soudanaise au Canada devrait pouvoir participer aux pourparlers de paix qui ont lieu actuellement à Addis-Abeba. Le Canada a appuyé deux missions sur les élections en Ukraine, missions qui ont été dirigées par la sénatrice Andreychuk, de la diaspora ukrainienne. Pourquoi ne pas faire de même avec la diaspora sud-soudanaise?
    Si ce conflit perdure, le Soudan du Sud risque de devenir une autre Somalie, rongée par la guerre civile et les conflits tribaux, ce qui nuirait à la paix et la sécurité dans la région et dans le monde.
    Que peut faire le Canada? D'abord, il doit adopter une politique étrangère efficace à l'égard de l'Afrique. Le Canada devrait examiner et revoir ses relations avec les pays africains.
    Il faut un respect mutuel. Il faut éliminer la politique de rejet des demandes de visas des chefs d'État. Le traitement négatif réservé aux représentants africains par le gouvernement canadien a nui aux entreprises canadiennes présentes au Soudan du Sud. Vous trouverez, dans certains documents que je vous ai fournis, l'exemple du vice-président actuel, qui a demandé un visa pour venir au Canada. La demande a été rejetée sans raison. Par conséquent, il devient difficile pour le Canada d'avoir une influence en tant que puissance moyenne, d'essayer d'exercer des pressions ou d'intervenir. Ce sera très difficile.
    Avant de venir ici, j'ai communiqué avec diverses ambassades. Un ambassadeur m'a indiqué que le Canada ne faisait pas preuve de respect mutuel à l'égard de son pays, de respect à l'égard d'un partenaire. Les demandes de rencontre avec les gens des Affaires étrangères ont toutes été rejetées. Lorsque les représentants présentent des demandes de visas, elles sont toujours rejetées. Il est par conséquent beaucoup plus difficile pour le Canada de jouer un rôle d'intermédiaire pour aider à exercer des pressions sur l'Union africaine ou sur le gouvernement ougandais pour qu'il retire ses troupes du Soudan du Sud. Tout cela doit être revu, et j'espère que le comité fera cette recommandation.
    La Direction des programmes panafricains du ministère des Affaires étrangères, dirigée par Mme Patricia devrait faire appel à des Soudanais du Sud pour aider à la conception des programmes et à la mise en oeuvre de projets pour le Soudan du Sud, et aussi pour offrir des conseils non partisans au ministère.
    Nous avons maintenant une initiative intitulée Seed for Democracy for South Sudan, qui a été créée par la diaspora. Nous espérons que le gouvernement canadien pourra l'appuyer. L'initiative vise à renseigner les Soudanais du Sud sur les principes démocratiques applicables à la fonction publique, aux écoles, aux militaires, aux services de police, à la société civile et aux femmes pour qu'ils en comprennent la signification. Cela aidera à la transition pacifique entre les gouvernements successifs du Soudan du Sud.

  (1330)  

    Malheureusement, les objectifs et les missions de l'Association parlementaire Canada-Afrique sont limités. Je propose que l'association en élargisse la portée pour y inclure la formation des députés et de leurs homologues au Soudan du Sud sur des questions comme la gouvernance, la réglementation, les projets de loi et la législation. Cette formation pourrait être offerte durant l'été lorsque le Parlement du Canada ne siège pas. J'en avais fait la recommandation à l'Association parlementaire Canada-Afrique en 2010, mais on ne l'avait pas pris au sérieux. Vous trouverez une copie de la proposition dans le document d'information que je vous ai remis. Bref, j'en ai déjà fait la demande. J'ai proposé à l'Association parlementaire Canada-Afrique d'établir un partenariat avec le Parlement du Soudan du Sud pour instaurer un respect mutuel et favoriser un échange d'information.
    Par ailleurs, le rapport de la Commission d'enquête de l'Union africaine doit être rendu public. Il faut geler les comptes bancaires canadiens des représentants gouvernementaux du Soudan du Sud. Le Canada peut aider à renvoyer la question du conflit du Soudan du Sud au Conseil de sécurité des Nations unies pour faire imposer d'autres sanctions aux hauts fonctionnaires du gouvernement, notamment à Riek Machar et aux commandants. Le Canada peut aider à exercer des pressions sur le gouvernement ougandais afin qu'il retire ses troupes du Soudan du Sud pour donner une chance à la paix. Le Canada peut également appuyer la diaspora sud-soudanaise par sa participation à la prochaine série des pourparlers de paix à Addis-Abeba. Le Canada peut nommer un envoyé spécial pour la paix qui serait chargé de surveiller la situation au Soudan du Sud afin que ce pays ne devienne pas une autre Somalie.
    Sachez qu'à l'heure actuelle, on trouve un certain nombre de Somaliens au Soudan du Sud. À la suite de l'incident survenu au Kenya l'année dernière, les fonds ont été transférés du Canada et des États-Unis jusqu'au Kenya, en passant par le Soudan du Sud.
    En conclusion, le Soudan du Sud a réussi à échapper au régime oppressif à Khartoum, régime qui mène des activités de génocide au Darfour, dans les monts Nuba et dans l'État du Nil Bleu, mais le pays fait maintenant face à un nouveau régime répressif à Djouba. Les Sud-Soudanais se sont battus contre un ennemi commun: Khartoum. Toutefois, les combattants de la liberté du MPLS au Soudan du Sud sont maintenant aux prises avec un autre ennemi commun au Soudan du Sud. Le nouvel ennemi commun, sous le commandement de Salva Kiir, est pire — plus répressif — que l'ancien ennemi commun, Khartoum. Le blâme de la crise politique au Soudan du Sud doit être partagé entre le gouvernement du Soudan du Sud, le Canada et la communauté internationale.
    En effet, le Canada et la communauté internationale ont tiré une leçon des conflits au Kosovo, en Irak, au Zimbabwe et en Somalie. L'Association parlementaire Canada-Afrique a-t-elle suivi le conseil des Amis du Soudan au sujet de la proposition concernant le Soudan? La réponse est non. Une leçon à tirer de la crise politique du Soudan du Sud, c'est qu'un État en sérieuse difficulté représente une menace pour la paix et la sécurité mondiales. On se retrouve avec des réfugiés, des personnes déplacées à l'intérieur du pays et des gens forcés de migrer vers l'Ouest. Pour garantir le succès du Soudan du Sud, le Canada doit prêter attention à ses engagements en Afrique et en prendre de nouveaux.
    Le Canada devrait écouter les conseils de la diaspora, mais cela ne suffit pas; il faut aussi collaborer en tant qu'intervenant pour créer un avenir meilleur au Soudan du Sud. Il n'est pas trop tard: le Canada peut intervenir et prendre des mesures concrètes pour aider au processus de paix en Éthiopie. Le Canada peut aider le Soudan du Sud à adopter un processus démocratique, un système fédéral, axé sur la responsabilisation, la transparence et le respect des droits de la personne, et même à favoriser la participation politique grâce à un système multipartite propice à des élections équitables et à une fonction publique caractérisée par l'efficience, l'efficacité et l'équité. Le gouvernement de l'APLS et l'opposition, soit le MPLS, n'ont pas réussi à signer une entente et à respecter la date limite des pourparlers de paix à Addis-Abeba parce que la communauté internationale n'a pas eu la volonté de les amener à le faire.
    Merci.

  (1335)  

    Merci.
    En pratique, j'ai recommandé un exposé de 10 minutes. Vous avez pris un peu plus de 30 minutes. Cela signifie que chaque intervenant aura droit à une question, pour un total de quatre minutes par intervention. Il y aura donc une question, suivie d'une réponse. Vu le peu de temps qu'il nous reste, je risque de devoir vous interrompre et de vous demander de conclure.
    Monsieur Sweet.
    Ma première question a pour but de confirmer un point. Avez-vous bien dit que les deux partis en désaccord à Addis-Abeba ont refusé l'idée d'un parlement multipartite?
    Non. Je parle de la situation actuelle. Le Soudan du Sud est doté d'un système multipartite sur papier, mais pas en pratique. Les pourparlers de paix...
    Ils ont été rompus parce que...
    Ils ont été rompus, car il n'y a pas eu d'entente sur les trois options.
    La première option consistait à inviter Salva Kiir à accepter la nomination de Riek Machar à la vice-présidence, mais le gouvernement s'y est opposé.
    La deuxième option, qui a été proposée par les médiateurs, c'est-à-dire l'IGAD, voulait que Riek Machar soit réintégré au poste de premier ministre et que les deux vice-présidents soient nommés par le président. L'opposition n'était pas d'accord.
    La troisième option concernait la sécurité. Il y a deux forces de sécurité, la première étant l'armée sous le commandement de Riek Machar. Celui-ci aurait le contrôle de son armée pendant trois ans, et le gouvernement du Soudan du Sud aurait sa propre armée pour la même durée. Toutefois, le gouvernement du Soudan du Sud a refusé; Riek Machar devrait être aux commandes de son armée pour une période de seulement deux mois.
    Ensuite, il y a la question du système fédéral. Le gouvernement était d'accord, mais il reste à discuter des détails.

  (1340)  

    Merci.
    Vous avez encore du temps.
    Très bien.
    Nous avons reçu M. Odwar. Je lui ai posé une question sur la décision de l'Union africaine de ne pas publier le rapport de la commission. Vous avez mentionné que ce rapport entraînerait probablement des sanctions, etc., à l'égard de certaines personnes. M. Odwar a répondu que sans la publication du rapport, aucune réconciliation valable ne pourra être amorcée.
    J'aimerais simplement connaître votre opinion. Pourquoi l'Union africaine empêche-t-elle la publication de ce rapport?
    Mon opinion... Tout d'abord, permettez-moi de vous définir l'Union africaine. En somme, c'est un club de dictateurs africains qui siègent ensemble chaque année et qui protègent leur intérêt mutuel aux dépens des citoyens de l'Afrique. Par conséquent, ne vous attendez à rien de la part de l'Union africaine.
    Quant à savoir pourquoi l'Union africaine a pris une telle décision, il faut dire que nous espérions que les pourparlers de paix aboutiraient à une entente, mais l'Union africaine a affirmé que le rapport finirait par gâcher le processus de paix. Voilà pourquoi elle a décidé de ne pas le publier, ce qui était une erreur. Si le rapport avait été rendu public, cela aurait forcé les deux parties à signer.
     J'étais à Djouba. Je sais exactement ce que contient le rapport. C'est un rapport détaillé. On y trouve toute l'information nécessaire: qui a participé, qui a tué qui, combien de personnes ont été tuées et comment, le nom des victimes, les lieux où elles ont été enterrées, et tout le reste. La recommandation est très ferme; il est donc important, sur le plan de la responsabilisation, que ce rapport soit rendu public. Ceux qui ont commis ces crimes doivent être tenus responsables et traduits en justice pour qu'une telle situation ne se reproduise pas, ne serait-ce qu'au cours des trois prochaines années ou presque. Merci.
    Monsieur Marston, à vous la parole.
    Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier notre invité de son témoignage très détaillé et bien étoffé. En l'écoutant, je me suis dit que ce genre de témoignage mérite d'être entendu directement au comité principal.
    Notre mandat particulier porte sur les droits de la personne, ce qui m'amène à un point que vous avez fait valoir. Au tout début, vous avez parlé du recrutement d'enfants et vous avez dit qu'on trouve des enfants soldats au Soudan, au Darfour et dans l'État du Nil Bleu. Y a-t-il des enfants soldats dans le conflit au Soudan du Sud? Et qui les recrutent: les forces appuyées par le gouvernement, les groupes rebelles ou encore, l'ensemble des parties?
    Par ailleurs, on a laissé entendre qu'il se peut que des fillettes soient également utilisées comme enfants soldats.
     Les programmes actuels de démobilisation, de désarmement et de réinsertion des enfants soldats au Soudan et au Soudan du Sud sont-ils adéquats?
    Pourriez-vous répéter la deuxième question, s'il vous plaît?
    La deuxième question était la plus courte. Les filles sont-elles recrutées autant que les garçons?
    D'accord.
    Les démobilisations qui ont eu lieu de 2005 à 2013 ou 2014 n'ont pas donné de résultats positifs, et c'est l'une des raisons pour lesquelles des enfants sont actuellement recrutés comme soldats dans les deux camps: le gouvernement et... mais c'est surtout du côté du gouvernement.
    D'ailleurs, quand je parle de gouvernement, il faut comprendre qu'au Soudan du Sud, certains groupes rebelles ont été intégrés, mais ils maintiennent quand même leurs commandements. Ils n'ont jamais eu de loyauté envers le ministre de la Défense. Ils recrutent également des enfants parce qu'ils veulent grossir leurs rangs. Cela dit, on peut soutenir que le gouvernement joue un rôle important dans le recrutement des enfants, parce qu'il a enrôlé d'anciens commandants rebelles qui ne lui ont jamais été entièrement fidèles. C'est le premier point.
    En ce qui concerne les filles, seule une poignée d'entre elles sont recrutées. Le cas échéant, c'est uniquement à des fins sexuelles.
    Sachez qu'au Soudan du Sud, nous entreprenons également des initiatives de démobilisation.
    J'ai d'ailleurs effectué une recherche à ce sujet en 2012. Nous avons repéré 25 enfants dans les rues de Djouba, et ils viennent toujours d'États en conflit. Le gouvernement a décidé de les renvoyer dans leur État d'origine. Ils sont revenus et, chaque fois, nous leur avons demandé: « Que voulez-vous faire? Pourquoi êtes-vous ici? » Ils ont répondu qu'ils voulaient aller à l'école. Ensuite, quand on leur demande pourquoi ils veulent aller à l'école, ils affirment que leurs parents sont décédés et qu'ils vivent chez des proches, n'ayant pas les moyens d'acheter de quoi manger et de quoi se vêtir, ni de payer leurs frais de scolarité.
    La plupart d'entre eux travaillent comme cireurs de chaussures dans les rues de Djouba. Nous leur demandons comment ils vivent au jour le jour. Ils disent qu'ils vivent avec leurs parents et qu'ils remettent l'argent qu'ils ont gagné à leur mère pour qu'elle puisse nourrir la famille.
    Voilà certains des récits. Il n'y a pas de régime d'aide sociale au Soudan du Sud pour répondre aux besoins des enfants et pour prendre soin d'eux.
    À cet égard, une des recommandations serait peut-être de mettre sur pied un programme de l'ACDI. Ainsi, le Canada pourrait concevoir un projet dans le cadre de l'ACDI pour payer les frais de scolarité de ces enfants. Nous pourrions leur créer des refuges qui seraient supervisés par des travailleurs sociaux. Nous pourrions prévoir des fonds destinés à financer leurs frais de scolarité, leurs uniformes et leurs fournitures scolaires. Cela pourrait les empêcher de se joindre aux rebelles, parce qu'ils n'ont pas d'autre solution. Lorsqu'un commandant recrute un enfant, il lui promet, par exemple, de le nommer officier. L'enfant n'a pas d'autre choix.
    Merci.

  (1345)  

    Merci.
    Monsieur Wallace.
    C'est M. Sweet qui interviendra à ma place.
    Monsieur Laku, j'ai d'autres questions, mais je me dois de vous poser d'abord celle-ci.
    Vous avez employé des mots très forts au sujet de l'Union africaine, et je ne vais pas les contester, mais voici ce qui m'inquiète. Si vous avez ce sentiment à l'égard de l'Union africaine, pourquoi donnez-vous de la crédibilité au rapport de cette commission et pourquoi tenez-vous à ce qu'il soit rendu public?
    Je crois qu'il faut répondre à cette question.
    C'est simple: la commission ne fait pas partie de l'Union africaine.
    Un des membres de la commission était mon professeur de droit international à l'Université d'Ottawa; d'ailleurs, il était aussi le juge en chef au tribunal des génocides du Rwanda. L'ancien président du Nigeria, Obasanjo, ne siégeait pas à l'Union africaine. La commission est indépendante.
    Ensuite, il y a le professeur Mahmood Mamdani, de l'Université Columbia, qui est un expert indépendant, ainsi qu'une dame du Sénégal. Bref, la commission est indépendante, d'où sa crédibilité.
    Bien.
    Donc, la commission était entièrement autonome. Elle a produit un rapport. Comment le rapport s'est-il retrouvé entre les mains de l'Union africaine, qui en empêche sa publication?
    C'est parce que l'Union africaine a un département de la sécurité et de la paix, lequel a reçu une recommandation de l'Autorité autogouvernementale pour le développement, ou IGAD. Il s'agit de l'équipe de médiation du Soudan, de l'Éthiopie, de l'Érythrée, du Kenya et de Djibouti. Ce sont là les cinq membres de médiation entre le gouvernement du Soudan du Sud et les rebelles. L'IGAD nous a recommandé d'avoir un bilan de ce qui s'est passé au Soudan du Sud avant d'aller de l'avant. Sans ces constats, il serait difficile pour nous d'amorcer le processus de résolution des conflits et de guérison.
    C'est pourquoi la recommandation de l'IGAD a été transmise à l'Union africaine, laquelle a ensuite établi cet organisme indépendant pour faire enquête sur les crimes qui ont été commis ou sur ce qui s'est passé au Soudan du Sud. Les membres de la commission étaient à Djouba pendant six mois. Le rapport a été bien documenté. Ils ont visité la plupart des lieux, rencontré tous les témoins, puis formulé des recommandations. Ils ont présenté leur rapport à l'Union africaine le mois dernier.
    L'Union africaine était censée rendre publiques les conclusions du rapport pour que nous sachions avec certitude qui est responsable, c'est-à-dire qui a fait quoi et quand, et quelles sont les prochaines étapes à suivre. Durant cette période, nous avons assisté à une réunion. L'Union africaine devait publier le rapport. Malheureusement, elle nous a dit que non, elle n'allait pas le rendre public, car cela gâcherait le processus de paix.

  (1350)  

    Enfin, certains membres de la commission indépendante ont-ils parlé de ce rapport?
    Ils ne peuvent pas en parler pour des raisons d'éthique. Quand on signe une entente, on ne peut pas en parler pendant des semaines, voire des années. Mais nous savons ce qui se passe. Il y a un rapport qui a fait l'objet d'une fuite, et je peux vous faire part de certains renseignements, si vous le voulez.
    D'accord, donc cette information ne se trouve pas dans la liasse que vous nous avez remise.
    Ce n'est pas là-dedans, mais si vous le souhaitez, je peux vous transmettre le rapport ayant fait l'objet d'une fuite.
    Merci, monsieur Laku.
    Si vous voulez faire parvenir d'autres documents sur cette question au sous-comité, vous pourrez les envoyer au greffier après la séance. Il s'assurera de les faire distribuer à tout le monde.
    Monsieur Cotler, vous avez la parole.
    Je tiens à vous remercier, Justin, d'être des nôtres aujourd'hui. Vous avez été, pendant toutes ces années, la voix de ceux qui n'en ont pas.
    Certains d'entre nous ont participé, à l'époque, aux efforts pour obtenir l'indépendance du Soudan du Sud, chose qui s'est réalisée il y a environ quatre ans; pourtant, vous nous avez brossé aujourd'hui un portrait très troublant de tribalisation, de corruption, d'analphabétisme, de répression et d'impunité. À vous entendre décrire la situation au Soudan du Sud, je ressens non seulement une profonde déception, mais aussi une immense tristesse.
    Il y a un lien avec la situation actuelle au Kordofan du Sud, dans l'État du Nil Bleu, au Darfour et au Soudan lui-même, où des élections présidentielles seront tenues en avril. Pouvons-nous résoudre les problèmes au Soudan du Sud et, en même temps, gérer les conflits connexes qui sévissent dans l'État du Nil Bleu, au Kordofan du Sud, au Darfour, à Khartoum, etc.? Ces conflits semblent se recouper. Y a-t-il lieu d'adopter une approche globale pour les régler tous à la fois, ou devons-nous procéder un par un?
     Je crois, monsieur Cotler, que vous savez très bien que l'accord de paix global n'était pas exhaustif. Il ne l'était pas puisqu'il ne réglait pas les problèmes au Soudan du Sud, mais en créait d'autres pour le Soudan.
    Premièrement, lorsque John Garang est mort, de nombreux officiers des collines Nuba, du Nil Bleu et des collines Angasina se sont battus dans le sud avec l’Armée populaire de libération du Soudan, et ce, pendant de nombreuses années. John Garang est mort et le Soudan du Sud est devenu indépendant. Ce qui s'est alors produit, c'est que ces soldats qui se battaient avec l’Armée populaire de libération du Soudan et qui étaient dans le maquis depuis plus de 20 ans ont été laissés à la merci du gouvernement de Khartoum. En effet, aucun mécanisme n'a été prévu dans l'Accord de paix global à l'égard du sort qui allait être réservé aux combattants des collines Nuba, du Nil Bleu et des collines Angasina si le Soudan du Sud accédait à l'indépendance. Qu'allait-il leur arriver? Cette question n'a pas été soulevée et la communauté internationale est passée à côté. C'était l'une des faiblesses de l'Accord global de paix.
    Deuxièmement, l'Accord global de paix était aussi insuffisant. En 2010, j'étais aux États-Unis avec l'ambassadeur Lyman, qui était aussi l'envoyé spécial de ce pays pour la paix. Je lui ai dit que nous ne devions pas limiter nos efforts au référendum, mais travailler également à la mise en place d'un mécanisme pour encadrer comment le Soudan du Sud allait se gouverner une fois l'indépendance acquise. C'était une question très importante. Le Soudan du Sud compte 66 tribus. Sans mécanisme pour baliser le partage du pouvoir — un système de gouvernance —, nous allions être forcés de retourner à la ligne de départ.
    Ils ont rétorqué qu'ils n'en voulaient pas et que l'indépendance était ce qui comptait. Ils avaient l'intention de régler ces questions une fois l'indépendance acquise. L'an dernier, j'étais à nouveau avec l'ambassadeur Lyman, au même endroit, à Washington, et je lui ai demandé ce que nous avait donné cette approche. C'était le hic. L'Accord global de paix n'était ni inclusif ni exhaustif. Maintenant, Khartoum se sert de cette faiblesse de l'accord pour punir les combattants des collines Nuba qui se sont battus aux côtés de l’Armée populaire de libération du Soudan. Le gouvernement de Khartoum leur dit qu'ils ont permis au Soudan du Sud de se séparer, qu'ils ont appuyé cette séparation et qu'ils doivent maintenant payer.
    La même chose se produit avec les combattants du Nil Bleu et des collines Angasina. Ils doivent maintenant payer pour leur participation à la séparation du Soudan du Sud, mais le gouvernement du Soudan du Sud ne peut pas les appuyer. Le gouvernement du Soudan du Sud ne peut appuyer ses propres citoyens du Soudan du Sud.

  (1355)  

    Je m'excuse, votre temps est...
    Oui, d'accord.
    Nous avons un peu dépassé la limite avec celle-là.
    Monsieur Sopuck.
    Je vais le prendre.
    Merci, monsieur le président. Avant la question de M. Cotler et la réponse très poussée qui lui a été donnée, j'allais dire que les origines de ce conflit remontent à 1955. Il y a beaucoup d'intervenants; des États individuels et divers gouvernements.
    Il serait utile que nos chercheurs nous donnent un aperçu graphique de la situation actuelle sur le terrain. Je crois que la question de M. Cotler a mis en lumière les multiples enjeux auxquels le Soudan est confronté.
    Vous voulez une carte?
    Oui. Je voudrais aussi que l'on nous aiguille sur une partie de l'étymologie de ces conflits et que l'on nous dise vers quoi il faudrait se tourner pour résoudre certains de ces problèmes.
    J'allais demander autre chose, mais j'ai presque peur de le demander. Ce nouveau projet de barrage sur le Nil risque-t-il de compliquer les choses encore plus pour les Sud-Soudanais, attendu qu'il a été mis au point avec l'aide de Khartoum, de l'Égypte et de l'Éthiopie? En fait, c'était l'Éthiopie et Khartoum; l'Égypte y était farouchement opposée. Le barrage va-t-il compliquer les choses encore plus?
     Oui. J'ai étudié en Égypte. L'Égypte s'opposait à la séparation du Soudan du Sud pour de nombreuses raisons ayant trait au Nil. Il y a près de trois mois, l'Égypte a donné 25 millions de dollars en aide humanitaire au Soudan du Sud. En échange, l'Égypte peut envoyer des chercheurs et des scientifiques dans l'État sud-soudanais du Bahr el Ghazal occidental, qui reçoit une partie du Nil en provenance du Bahr al-Arab; une autre partie vient de la rivière Sobat, qui se trouve dans la région de la Baro et de la Malakal, puis il y a l'affluent principal, qui vient de l'Ouganda.
    Les recherches viseraient à veiller à ce qu'il n'y ait pas de pertes d'eau dans le Soudan du Sud. L'eau devrait se rendre directement en Égypte.
    De son côté, l'Éthiopie a dit qu'elle avait connu la famine en 1985 parce qu'elle ne pouvait pas utiliser l'eau qu'elle avait pour l'agriculture, ce qui a eu de très graves conséquences. L'Éthiopie affirme qu'elle doit construire des barrages aux fins d'irrigation agricole. L'Égypte s'y oppose, mais l'Éthiopie affirme que le projet de barrage va se poursuivre.
    Il est très probable qu'il y ait un conflit ou une guerre dans cette région.
    Merci.
    Merci.
    Monsieur Benskin.
    En disant ce qui suit, je fais simplement écho aux raisonnements de mes deux collègues. Nous sommes en face d'une montagne de problèmes. Il est très difficile de savoir par où commencer.
    Je suis allé au Soudan du Sud en janvier 2012, soit environ six mois après la déclaration de l'indépendance. À l'instar de mon collègue, M. Cotler, j'ai quitté le pays avec l'espoir et la conviction que quelque chose de fort pouvait y être construit. C'est tout à fait navrant de voir ce qui arrive.
    Lorsque j'étais sur place, j'ai visité un centre d'entraînement pour la police, à Juba — je crois que cela rejoint le sujet des enfants-soldats —, et j'ai remarqué que les cadets étaient très jeunes. Il y avait là des soldats qui étaient en transition ou qui étaient formés pour devenir des policiers. J'ai demandé si ces jeunes hommes fraîchement sortis de guerre recevaient une formation de transition pour assumer le maintien de la paix dans un contexte civil. Je voulais savoir s'il y avait une forme de thérapie, un programme de transition à leur disposition pour les aider à faire la conversion mentale nécessaire, attendu que le travail de soldat est très différent de celui d'agent de la paix. Aujourd'hui, nous apprenons que le recrutement d'enfants-soldats a repris. Je suis inquiet. Je suis préoccupé par ce que cette génération va amener au pays et à la communauté. Ces enfants sont élevés comme tueurs — faute d'un meilleur terme — plutôt que comme simples enfants, étudiants et éléments productifs de la communauté.
    Dans votre exposé, je crois que vous avez dit que 90 % des soldats...

  (1400)  

    C'est 75 %.
    Pardon, que 75 % des soldats et des policiers sont illettrés. Voilà une donnée qui est très problématique à plus d'un égard. Je me demandais si vous pouviez nous en dire plus long à ce sujet.
    J'étais là quand vous avez visité Juba et j'ai assisté à la réception à l'hôtel. Il y a une génération de Soudanais qui n'a pas été éduquée. Cela s'est passé entre 1983 et 2005 et, avant cela, entre 1955 et 1973. Par éducation, j'entends la capacité de lire et d'écrire correctement.
    Le système d'éducation est en panne.
    Premièrement, il y a des enjeux conflictuels. Lorsque j'étais là-bas, l'éducation au Soudan du Sud se faisait en anglais. En 1983, avec l'islamisation et l'instauration du droit musulman au Soudan, le programme au complet est passé de l'anglais à l'arabe. L'arabe est devenu la langue de communication. L'islam est devenu la religion d'État. Les choses se sont empirées en 1990 lorsque la Fraternité islamique a pris le relais. Nous nous retrouvons maintenant avec une génération complète sans éducation.
    Ceux qui sont au Soudan ont un peu d'éducation, mais en arabe. Ceux qui restent dans la savane n'en ont aucune. Nous avons des ministres... par exemple, le chef de la défense du Soudan du Sud ne peut ni lire ni écrire, et ce, peu importe la langue. Il est ici question du chef d'état-major de l'armée, et pas de soldats.
    Deuxièmement, il y a un problème de salaire. Le salaire d'un soldat est de 300 livres sud-soudanaises, ce qui est moins que... Il faut diviser par 7,1, ce qui donne moins de 50 $. Ils ne peuvent rien faire avec cette somme. Les soldats se servent donc de leurs armes pour terroriser les gens la nuit et leur extorquer de l'argent, ce qui fait maintenant partie de la corruption. Si vous êtes agent de la circulation, la situation est encore meilleure. Vous pouvez donner une contravention à n'importe qui, et si le conducteur est un étranger, c'est encore mieux puisqu'il ne parlera pas arabe.
    Au lendemain de la déclaration de l'indépendance du Soudan du Sud, l'arabe a été supprimé de la constitution. La langue de communication — la lingua franca — est l'anglais. Or, il y a encore 85 % de l'effectif de l’A/MPLS — ce sont ceux qui sont venus de la savane — qui ne peut ni lire ni écrire l'anglais. Ceux qui vivaient à Khartoum ne parlent que l'anglais. Alors, il y a une grande confusion.
    Maintenant, que faut-il faire? Je crois que nous devons investir dans l'éducation, parce que c'est la façon d'assurer un avenir meilleur. Cela prendra beaucoup de temps, et les politiciens voudront des résultats plus rapides, mais quand il est question de développement, il vaut mieux investir dans l'éducation de ces enfants, car ce sont des enfants sans foyer. Ces soldats dont vous parlez sont le futur du Soudan du Sud, pour peu que l'on investisse en eux.

  (1405)  

    Merci beaucoup, monsieur Benskin.
    Je remercie aussi chaleureusement notre témoin, M. Laku. Merci d'être venu témoigner. M. Cotler nous avait vanté votre crédibilité à l'égard de cette question. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de comparaître devant ce sous-comité.
    Merci.
    La séance est levée.
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