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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 033 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 7 juillet 2014

[Enregistrement électronique]

  (1300)  

[Traduction]

    Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne en est à sa 33e séance. Le comité a tenu sa 32e séance assez récemment.
    À l'ordre du jour, conformément à l'ordre de renvoi du lundi 16 juin 2014, nous avons le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel pour donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Procureur général du Canada c. Bedford et apportant des modifications à d'autres lois en conséquence.
    Nous avons plusieurs témoins. Bienvenue à tous.
    Je vais présenter les témoins, puis nous allons suivre l'ordre du jour. Chaque organisation n'a que 10 minutes. Ce n'est pas 10 minutes par personne, mais bien par organisation. Et il y aura après la période des questions et réponses.
    Permettez-moi de présenter les témoins.
    L'organisation Walk With Me Canada Victims Services est représentée par M. Hooper, qui en est le président, et par Mme Nagy, intervenante de première ligne pour les soins aux victimes et fondatrice de l'organisation. Nous avons l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, dont les porte-parole sont Émilie Laliberté et Naomi Sayers. Nous avons aussi la Criminal Lawyers' Association, représentée par Leonardo Russumanno, avocat de la défense, et Anne London-Weinstein, directrice du conseil d'administration. À titre personnel, nous entendrons M. Benedet, de l'Université de la Colombie-Britannique, et M. Lowman, par vidéoconférence, de l'École de criminologie de l'Université Simon Fraser.
    Bienvenue à tous. Chaque organisation a 10 minutes.
    Nous écoutons en premier Walk With Me Canada Victims Services.
    Je suis une survivante de la traite de personnes à des fins sexuelles. Je suis intervenante de première ligne pour les soins aux victimes et fondatrice de Walk With Me, une organisation qui est sur le terrain 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 auprès des victimes de l'esclavage sexuel, ici au Canada, et ce, depuis quatre ans. Quatre-vingt-dix pour cent de ces victimes sont des filles de 15 à 21 ans qui ont été victimes de la traite de femmes canadiennes à des fins sexuelles.
     Au départ, ce sont des trafiquants qui m'ont forcée à travailler sur le marché du sexe. J'en suis sortie, mais j'y suis retournée pour quelques mois, car je faisais face à une énorme crise financière. Je savais bien ce que cela représentait, mais j'y suis retournée de mon propre chef, ayant choisi de me prostituer pour gagner ma vie, pour ne pas me retrouver à la rue et pour pouvoir me nourrir.
    Ces jours-ci, nous entendons dans les médias des travailleuses du sexe qui demandent qu’on respecte leur droit de choisir leur travail. Ces femmes ne représentent qu'un faible pourcentage des prostituées. Selon diverses études, les femmes qui se prostituent volontairement après avoir fait un choix éclairé ne représentent qu’entre 1 % et 10 % des femmes qui se prostituent.
    Je me fais la voix des 90 % d'hommes et de femmes qui se prostituent et qui ne sont pas entendus dans ce débat, précisément parce qu’ils sont toujours victimes de la traite et sont encore obligés de s’adonner à ce travail. Je parle au nom des 65 % à 95 % de femmes impliquées dans ce commerce qui ont été victimes d’agressions sexuelles dans leur enfance selon de nombreuses études. J’ai été agressée sexuellement de 12 à 17 ans, ce qui vous expose à subir d’autres agressions plus tard.
    Je parle au nom des 70 % à 95 % de personnes qui ont été agressées physiquement alors qu'elles s'adonnaient au commerce du sexe. La première fois, alors que j’étais victime de la traite à des fins sexuelles, j’étais dans un salon de massage, et trois hommes russes sont entrés dans la pièce. Je n’étais plus alors que de la viande. Ils m’ont mise en morceaux. J’étais couchée sur une table de massage froide, les yeux fermés. Je me demandais si quelqu’un voyait ce qui se passait et viendrait me sauver. J’ai su plus tard seulement que mon supposé garde du corps avait tout regardé par caméra vidéo.
    J’étais à l’intérieur, en sécurité. Ils payaient pour le service, mais personne ne m’avait informée des règles, et je n’avais jamais vécu cela, alors j’ai été violée par trois hommes différents pendant une heure environ.
    Je parle au nom des centaines de jeunes Canadiennes que j’ai rencontrées, auxquelles j’ai parlé et que j’ai aidées à s’en sortir, au cours des quatre dernières années. Elles ont été violées, violentées et exploitées contre leur gré, et certaines continuent de l’être.
    Premièrement, la prostitution n’est pas une profession. C’est de l’oppression. Quatre-vingt-dix pour cent du temps, c’est le seul travail au monde où vous risquez jour après jour de vous faire tuer ou blesser par votre employeur, par un client ou par un proxénète. Les dangers inhérents au travail du sexe sont bien documentés dans la recherche.
    La prostitution fait toujours intervenir une inégalité de pouvoir entre un client qui paie pour satisfaire son plaisir et une personne qui est embauchée pour être un pantin sexuel. Il est rare que la prostitution fasse intervenir deux adultes consentants à un acte sexuel. Par exemple, un mari qui est père de trois enfants risque fort peu de demander à sa femme et à ses enfants la permission d’avoir des relations sexuelles non protégées avec une prostituée. Encore là, aucune loi ne protège la femme et les enfants des répercussions potentielles.
    Je parle au nom de la vaste majorité des travailleurs du sexe pour lesquels le choix n'a pas été libre et pour lesquels c'est en fait une question de droits de la personne: la liberté, l'égalité, la dignité, la sécurité sont des droits qui pour nous sont piétinés quotidiennement.
    Il ne semble pas y avoir de solution parfaite dans ce débat. Il y aura atteinte aux droits de certains au profit des droits d'autres personnes. Parfois c'est un passage législatif obligé. La seule façon d'encourager ces travailleurs à chercher de l'aide est de décriminaliser leur rôle dans la prostitution et de créer un climat de sécurité et d'appui pour qu'ils aient des options viables. Ce projet de loi tente de le faire.
    Ces dispositions législatives auront des répercussions pour deux groupes en particulier. Ceux qui sont en faveur de la prostitution et ont de vastes ressources et peuvent faire passer leur message. Toutefois, il faut aussi entendre l’autre message — celui de ceux et celles qui sont piégés et torturés et qui ont le droit d’être protégés, dans ce pays.

  (1305)  

    Les victimes, hommes et femmes, de ce trafic — ceux et celles qui préféreraient faire un autre travail si c'était un choix viable — n'ont pas le pouvoir de faire entendre leur voix. Il faut que le gouvernement du Canada soit cette voix pour eux, et nous croyons que le projet de loi C-36 protégera les plus vulnérables.
    Merci.
    Monsieur Hooper, avez-vous quelque chose à ajouter?
    Je pense qu'il reste environ trois minutes et demie, alors je vais essayer de faire vite.
    Vous avez tout à fait raison.
    Merci.
    Au nom de Walk With Me Canada, nous appuyons le projet de loi C-36. Nous croyons qu'il est pertinent d'interdire l'achat de services sexuels pour mettre un frein à la traite de personne au Canada. Toutes les recherches que nous avons vues, qu'elles soient anecdotiques ou quantitatives, démontrent que la demande est directement liée à la traite. Nous applaudissons donc les articles qui criminalisent l'achat de services sexuels au Canada, compte tenu de notre travail de première ligne qui touche la traite de personne.
    Mon deuxième point, c'est que nous ne pouvons absolument pas appuyer la criminalisation de la personne qui offre les services sexuels, sauf si cela se produit sur le terrain d'une école ou d'un établissement religieux, de la façon énoncée dans le projet de loi C-36. D'après nous, plus de 70 % des personnes qui utilisent nos services sont aiguillées par la police. S'il n'y a pas de lien de confiance entre la police, la personne qui est victime d'exploitation sexuelle et notre organisation, la stratégie de sortie échouera.
    Il y a un aspect dont le projet de loi ne traite pas, mais qui se trouve dans notre mémoire, et c'est que nous aimerions que le comité se penche sur le recrutement d'enfants. Je vais rapidement vous donner trois chiffres tirés des ouvrages que nous avons trouvés.
    Selon une étude portant sur neuf pays, 47 % des personnes qui font leur entrée dans le monde de la prostitution le font avant d'atteindre 18 ans. Une étude récemment rendue publique par l'Alliance Against Modern Slavery indique qu'au moins 43 % des personnes qui se prostituent commencent à le faire avant 18 ans, et cela inclut les mariages forcés. Le gouvernement du Canada a réalisé, en 2004, une étude qui a révélé que l'âge moyen des personnes qui commencent à se prostituer était de 14 ans.
    Ces études sont faciles d'accès, notamment celle qui a été réalisée par le gouvernement du Canada en 2004.
    Dans notre mémoire, nous donnons d'excellentes raisons pour que le comité envisage un amendement très semblable aux dispositions provinciales visant la protection des enfants, qui sont vulnérables, de sorte qu'ils puissent être arrêtés par les autorités sans pour autant être criminalisés. Nous ne permettons pas aux jeunes de 14 ans de boire et de fumer, dans ce pays, mais apparemment, ils peuvent commencer à se prostituer. Vous ne pouvez pas voter, ni boire. Nous ne voyons pas pourquoi il ne pourrait pas y avoir un amendement qui permettrait l'arrestation de jeunes de moins de 18 ans qui se prostituent en tant qu'enfants ayant besoin de protection.
    La dernière chose — j'ai probablement utilisé tout mon temps —, c'est la question des 20 millions de dollars. Nous voulons encourager le comité à se pencher sérieusement sur l’argent qui est consacré à la stratégie de sortie. Prenons l’exemple de la Suède et de la Norvège, qui sont des modèles légèrement différents. La Norvège n’a pas consacré d’argent à la sortie, alors que la Suède l’a fait. Les résultats des travaux de recherche sont très différents, concernant la stratégie de sortie.
    J’encourage le comité et le gouvernement à se pencher là-dessus avec beaucoup de sérieux. Nous sommes des travailleurs de première ligne, alors j’ai un certain parti pris — je ne suis pas vraiment un travailleur de première ligne, mais je suis le président d’une organisation de première ligne, et j’ai entendu bien des choses différentes à propos de la stratégie de sortie. Il faut une démarche globale qui va de la rééducation à l’encadrement, en passant par le rétablissement. De nombreuses études font le parallèle entre la personne qui se tire d’une situation de traite à des fins sexuelles et l’ancien combattant qui souffre du syndrome de stress post-traumatique.
    D’après notre organisation, il n’y a pas de différence entre la prostitution et la traite de personnes. La demande de services sexuels est directement liée au gain financier des trafiquants de personnes. S’il n’y a pas de demande au pays, d’après nous, la traite diminuera et nous nous retrouverons peut-être à fermer boutique. Si c'était le cas, nous en serions très heureux, monsieur le président.
    Nous avons examiné le projet de loi du point de vue constitutionnel, et nous croyons qu’il est conforme aux exigences de l’article 7.
    Nous avons fait examiner l’article 1, la disposition de dérogation, par des gens de notre organisation, et nous croyons que le projet de loi C-36 est solide. Nous l’appuyons, avec l’amendement visant les enfants.

  (1310)  

    Merci beaucoup. Vous avez utilisé exactement 10 minutes.
    Je vous remercie de vos exposés au nom de Walk With Me Canada Victim Services.
    C'est maintenant le tour des représentants de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe. La parole est à vous.

[Français]

    Je m'appelle Émilie Laliberté et je suis une travailleuse du sexe. Je suis ici à titre de porte-parole francophone de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe.
    Les travailleuses et travailleurs du sexe n'ont pas été placés de manière significative au centre de cette réforme de la loi. Pourtant, cette réforme pourrait mettre en place des lois qui auraient une incidence directe sur nos conditions de travail et nos vies. Lors de la consultation privée que le ministre Peter MacKay a tenue le 3 mars, nous étions seulement trois travailleuses du sexe autour de la table. Le ministre a clairement expliqué qu'il n'avait pas l'intention de consulter les travailleuses et travailleurs du sexe au Canada.
    Le projet de loi C-36 et la terminologie qui est employée, ainsi que les déclarations du ministre MacKay, indiquent clairement que le législateur poursuit avant tout un objectif moral en criminalisant une pratique qu'il juge indigne et exploitant les gens, et ce, même si les adultes qui y participent sont consentants. Plutôt que de s'appuyer sur le vaste ensemble de données probantes ayant démontré le rôle dévastateur de la criminalisation de la prostitution tant au pays qu'ailleurs, le projet de loi C-36 s'appuie sur des fondements idéologiques. Il est aussi fondé sur la victimisation et l'infantilisation de notre communauté, et ne nous reconnaît ni l'autonomie dans des décisions intrinsèquement personnelles, ni la capacité de consentir.
    De cette vision moralisatrice a découlé un projet de loi...

[Traduction]

    Il faudrait que vous ralentissiez un peu votre débit, pour nos interprètes.
    Je suis désolée. Nous n'avons pas beaucoup de temps, alors je vais continuer au même rythme.

  (1315)  

    Je vais vous donner une minute de plus si vous ralentissez un peu. Qu'en pensez-vous?
    Merci.

[Français]

    De cette vision moralisatrice a découlé un projet de loi qui, tel que rédigé, ne répond pas du tout aux préoccupations de la Cour suprême du Canada et à l'esprit de l'arrêt Bedford, qui vise le respect des mesures de sécurité que nous mettons en place et qui sont nécessaires pour protéger nos vies.
    Au contraire, les dispositions proposées font les mêmes torts et sont encore plus répressives car elles visent l'industrie du sexe en entier, nous empêchant ainsi de mettre en place toute pratique sécuritaire et brimant nos droits constitutionnels à l'égalité, à la sécurité, à la vie et à la liberté, ainsi qu'à la liberté d'expression et d'association.
    Le projet de loi C-36 entraînera les mêmes effets néfastes, voire davantage, car il maintient les objectifs de dispositions jugées inconstitutionnelles dans l'arrêt Bedford.
    Voici l'effet qu'aurait le paragraphe 213(1.1) qui est proposé. Alors que l'ancienne loi s'appliquait à tout lieu public, la nouvelle loi ne s'appliquerait qu'à tout lieu public où des jeunes pourraient se trouver. Comme on peut s'attendre à trouver des personnes de moins de 18 ans dans de nombreux endroits publics, la portée de la loi serait encore très large et pourrait aussi inclure plusieurs lieux où les travailleuses et travailleurs du sexe reçoivent leurs clients. M. MacKay a d'ailleurs mentionné que les hôtels figuraient parmi ces lieux. Or ce sont des lieux où travaillent les travailleuses et travailleurs du sexe.
    Cette loi fonctionnera pratiquement de la même manière que l'ancienne loi déclarée inconstitutionnelle en vertu de l'article 7 de la Charte. Elle créera des circonstances dangereuses en ne prenant pas en considération le déplacement des travailleuses du sexe et leur capacité à communiquer dans le but de présélectionner leurs clients pour des raisons de sécurité et d'établir des ententes claires. La nouvelle loi ne respectera pas notre droit constitutionnel à la vie, à la sécurité et à la liberté.
    Passons maintenant à l'article 286.1. Les répercussions de la criminalisation de notre clientèle sur nos vies et notre travail sont déjà connues. En effet, les clients étaient déjà sujets à la criminalisation en vertu des anciens articles 210 et 213. La criminalisation des clients se traduit par une hausse de la violence. Les travailleuses restent plus longtemps sur les coins de rue, acceptant finalement des clients qu'elles auraient autrement refusés et offrant des services qui dépassent parfois leurs limites, le tout à des coûts moindres. Et surtout, elles subissent davantage de violence pouvant aller jusqu'au meurtre. Si ce nouvel article devient loi, les clients ne nous fourniront plus d'information sur leur personne, qui est un élément essentiel pour se protéger des personnes mal intentionnées. Cette approche est en contradiction avec l'arrêt Bedford, car elle criminalise nos relations tant professionnelles que personnelles et elle viole notre droit à la sécurité personnelle.
    L'article 286.2 et le paragraphe 286.3(1) sont, en quelque sorte, une version plus restreinte de l'ancienne infraction consistant à vivre des fruits de la prostitution. La possibilité de travailler ensemble ou d'embaucher des personnes fournissant des services assurant notre sécurité est pourtant un élément clé à cette fin. Cette disposition est très large et porte autant atteinte à notre sécurité que la disposition abrogée par l'arrêt Bedford, puisque les tierces personnes sont nécessaires à notre protection et jouent un rôle important pour ce qui est d'éviter l'isolement.
    L'article 286.4 pourrait s'appliquer aux travailleuses qui travaillent ensemble et font collectivement la publicité de leurs services sexuels. Sans la publicité dans les journaux, en ligne ou dans d'autres médias, nous ne disposons que de très peu de moyens pour travailler de façon sécuritaire dans des lieux privés, en plus d'être davantage isolées. Cet article va donc à l'encontre de l'esprit de l'arrêt Bedford, qui souligne clairement que notre capacité de travailler à l'intérieur dans des lieux privés plus sécuritaires est critique pour minimiser les risques. Les sites hébergeant notre publicité nous fournissent beaucoup d'information, entre autres sur les mauvais clients. En plus, ils nous permettent d'échanger sur les mesures de sécurité, de valider les références de notre clientèle et d'échanger de l'information sur les tierces personnes que nous engageons et les services fournis. En bref, il s'agit là d'informations essentielles et nécessaires à notre sécurité.

[Traduction]

    Je suis Naomi Sayers. Mon groupe est le South Western Ontario Sex Workers, qui est membre de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe. Je suis une autochtone du Nord de l'Ontario et une ancienne travailleuse du sexe. J'ai travaillé aussi bien dans le Nord de l'Ontario que dans la partie sud de la province. Je vais vous expliquer les répercussions négatives du projet de loi C-36 sur les femmes autochtones, et je terminerai par des recommandations.
    Nous précisons dès le début que nous n'appuyons pas le projet de loi C-36 ou le recours à des dispositions criminelles qui ciblent le travail du sexe. Nous proposons plutôt l'adoption d'un processus qui ferait intervenir de façon significative les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe et qui comporterait, en matière de main-d'oeuvre et de réglementation, des interventions accordant la priorité à la sécurité.
    La plus grande injustice sociale, au Canada, est la question des femmes autochtones disparues ou assassinées. D'autres témoins vous diront que les mesures de droit pénal contre les clients et les tiers protégeront les femmes autochtones contre les disparitions et les assassinats. Nous disons le contraire. En plus de ne pas tenir compte du fait que les femmes autochtones disparues ou assassinées ne sont pas toutes des travailleuses du sexe, cet argument défaillant oublie qu'elles subissent une violence institutionnelle et systémique en tant que femmes autochtones, particulièrement à cause de l'État qui rend les travailleurs et travailleuses du sexe vulnérables à la violence comme l'a souligné la juge en chef McLachlin dans sa décision.
    Wally Oppal, dans son rapport d'enquête sur les femmes disparues, reconnaît cela aussi quand il signale que « la marginalisation des femmes est attribuable à la réduction des programmes d'aide sociale, aux effets continus du colonialisme et — je le souligne — à la criminalisation de la prostitution et aux stratégies connexes d'application des lois. »
    La juge en chef réitère les effets néfastes des mesures de droit pénal contre la prostitution quand elle déclare que le droit pénal ne fait pas qu'encadrer la pratique de la prostitution, mais que les interdictions « franchissent un pas supplémentaire déterminant par l'imposition de conditions dangereuses à la pratique de la prostitution ». Cela nous rappelle qu'il faut respecter l'esprit de l'arrêt Bedford et qu'il faut chercher à accorder la priorité à la santé et à la sécurité des personnes qui travaillent dans ce domaine, plutôt que de chercher à éliminer cette industrie.
    La criminalisation des clients, dans le projet de loi C-36, produit des effets dévastateurs sur les femmes autochtones qui dépendent du revenu de la prostitution, particulièrement dans le contexte des logements, des services sociaux et des services d'éducation inadéquats. Les femmes autochtones chercheront des clients dans des endroits plus dangereux, et les clients précipiteront les négociations, ce qui représentera des risques pour les femmes. L'isolement et l'impossibilité d'évaluer préalablement les clients pour assurer leur propre sécurité contribuent à la violence croissante que subissent les travailleurs et travailleuses du sexe. Les femmes autochtones sont déjà ciblées par les agresseurs, comme on le voit depuis plus de 20 ans dans le Downtown Eastside de Vancouver. Comme la juge en chef l'a écrit, « À supposer que l'évaluation préalable ait pu empêcher une seule femme de monter à bord de la voiture de Robert Pickton, la gravité des effets préjudiciables est démontrée. »
    La traite de personnes a aussi été soulevée lors des discussions au sujet du projet de loi. L'exploitation se produit dans le contexte de la traite de personnes, mais le projet de loi C-36 ne fait pas de distinction entre exploitation et prostitution. Il présume que la prostitution, c'est de l'exploitation. La juge en chef a souligné que la portée des lois antérieures était trop grande et que confondre prostitution et traite de personne représentait une injustice pour les victimes d'exploitation.
    La Global Alliance Against Traffic in Women, une organisation qui accorde la priorité aux victimes de la traite de personnes, souligne que les ressources consacrées à la criminalisation des clients ne vont pas à la protection des victimes de la traite qui ont de toute urgence besoin d'aide parce qu'elles servent à une campagne contre la prostitution politiquement contestée et futile. Elle soutient aussi que criminaliser les clients, c'est ignorer les enjeux structurels qui causent le travail forcé, ce qui empêche le gouvernement de s'acquitter de sa responsabilité envers les victimes d'exploitation.
    Par conséquent, nous préconisons le recours au droit pénal actuel, qui s'attaque à l'exploitation, plutôt que le recadrage de la prostitution comme étant de l'exploitation. Je souligne que le projet de loi C-268 apportait au Code criminel d'autres modifications visant à lutter contre la traite d'enfants. Ce projet de loi a reçu la sanction royale le 29 juin 2010. Comme l'affirme la Global Alliance Against Traffic in Women, confondre l'exploitation et la prostitution, c'est ignorer les enjeux structurels qui contribuent au travail forcé et cela détourne des ressources qui pourraient servir aux victimes d'exploitation et qui vont plutôt financer une campagne contre la prostitution hautement politisée et futile.
    Nous soutenons qu'il faut adopter un modèle respectueux des valeurs canadiennes consacrées par la Charte. Nous recommandons l'adoption d'une démarche axée sur les droits, comme le modèle de la Nouvelle-Zélande, pour protéger les groupes les plus vulnérables et marginalisés de la société. En 2003, la prostitution a cessé d'être soumise au droit pénal, en Nouvelle-Zélande. Ce commerce est soumis aux lois sur le travail et aux normes de santé et de sécurité au travail. Les travailleurs et travailleuses du sexe de la Nouvelle-Zélande trouvent plus facile de signaler les incidents violents à la police, et la police prend au sérieux les cas de violence signalés. De plus, depuis 2004, la Nouvelle-Zélande maintient son niveau 1, le niveau supérieur, le plus favorable, concernant la lutte contre la traite de personne, selon le rapport des États-Unis sur la traite des personnes de 2013.
    Nous devrions nous efforcer d'investir dans les ressources, les soutiens sociaux et les organisations dirigées par des travailleurs du sexe et travaillant directement avec les travailleurs du sexe pour assurer leur sécurité. Nous devrions avoir comme objectif de veiller à la sécurité et à la protection de toutes les femmes de l'industrie en misant sur les articles du Code criminel qui existent déjà.

  (1320)  

    Malgré ce que les gens peuvent penser de la prostitution, la réalité est que les gens continueront de travailler dans l'industrie du sexe. Dans le contexte du projet de loi C-36, les travailleurs du sexe seront davantage exposés à la violence. L'arrêt Bedford l'a démontré. Nous espérons que le gouvernement le reconnaîtra et accordera la priorité à la santé et à la sécurité.
    Merci beaucoup aux porte-parole de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe.
    Nous allons maintenant entendre les représentants de la Criminal Lawyers' Association.
    Selon nous, il n'était pas raisonnable de penser qu'un avocat puisse parler pendant seulement cinq minutes...
    Des voix: Oh, oh!
    Mme Anne London-Weinstein:... alors je vais lui céder tout mon temps.
    Merci beaucoup.
    Des voix: Oh, oh!
    Mme Anne London-Weinstein: Mais qui calcule?
    M. Leonardo S. Russomanno: J'aimerais vous remercier, monsieur le président, de nous donner la possibilité de nous exprimer sur cet important projet de loi.
    La Criminal Lawyers' Association s'attarde sur les aspects constitutionnels du projet de loi C-36 et s'interroge à savoir s'il peut résister à une contestation en vertu de l'article 7 ou de l'alinéa 2b) de la Charte concernant la liberté d'expression. À cet égard, nous nous opposons au projet de loi. À notre avis, le projet de loi C-36 est une mauvaise politique et une mauvaise loi. Les témoignages que nous avons entendus et qui ont été acceptés à l'unanimité par la Cour suprême du Canada sont indéniables. Ils n'ont pas changé en ce qui concerne le projet de loi C-36 et ses intentions. Même si les objectifs du projet de loi C-36 sont plus nobles, les mêmes torts demeurent lorsqu'on adopte une approche de criminalisation asymétrique, à mon humble avis.
    Dans nos salles d'audience, les avocats déterminent si les faits sont contestables ou incontestables. Lorsque les faits sont incontestables, on ne peut les ignorer. Je songe notamment aux témoignages qui ont été entendus dans l'affaire Bedford qui ont été adoptés à l'unanimité par la Cour suprême du Canada.
    Il ne fait aucun doute que la criminalisation de l'industrie du sexe cause davantage de torts aux personnes qui s'adonnent à la prostitution. Nous parlons ici des personnes les plus vulnérables de notre société, surtout si elles travaillent dans la rue, et ce projet de loi ne fait absolument rien pour s'attaquer à ce problème.
    Les objectifs énoncés dans le projet de loi C-36 sont très différents de ce qui était en cause dans l'affaire Bedford. Plutôt que de réduire la nuisance causée par la prostitution comme nous l'avons vu dans la loi précédente, on se retrouve avec ces objectifs plus nobles visant à enrayer la prostitution, à dissuader les gens d'entrer dans l'industrie du sexe ou de se protéger eux-mêmes et à encourager les travailleurs du sexe à s'adresser à la police lorsqu'ils sont victimes de violence. Le projet de loi vise avant tout à éradiquer l'industrie du sexe.
    Ce que je ne comprends pas, c'est qu'on essaie de protéger les personnes qui se prostituent en les forçant à travailler dans la clandestinité, dans des ruelles sombres, loin du regard du public. D'autres témoins ont parlé des moyens qu'utilisent les travailleurs et travailleuses du sexe pour se protéger. Par exemple, la communication leur permet de juger les clients potentiels et ainsi d'éviter de se mettre dans des situations dangereuses. Les dispositions du projet de loi C-36, selon moi, ne s'attaquent aucunement aux dangers de la prostitution.
    Nous nous retrouvons maintenant avec les mêmes effets négatifs, mais avec des objectifs plus nobles. Par conséquent, j'ai bien l'impression que cette loi sera contestée en vertu de l'article 7 de la Charte. Comme nous le savons tous, la mesure législative précédente a été contestée au titre de l'article 7 en raison de sa disproportion exagérée et de sa portée excessive. Aux termes de l'article 7, il faut donc se demander si la loi prive une personne de son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité. À mon avis, il n'y a pas de doute que la criminalisation de l'industrie du sexe porte atteinte au droit à la sécurité de la personne.
    Maintenant, il faut déterminer le rapport entre les effets et les objectifs du projet de loi. L'ancienne loi renfermait notamment des dispositions relatives à la communication en public et à la tenue de maisons de débauche visant à réduire la nuisance ou les perturbations dans les quartiers, et le tribunal a conclu plutôt facilement, à mon avis, que lorsqu'on comparait les deux, c'est-à-dire l'objectif de réduire la nuisance et les dangers accrus que courent les travailleurs du sexe, les effets étaient grandement démesurés par rapport aux objectifs législatifs.
    Maintenant, nous avons une série d'objectifs plus nobles, qui sont abordés dans plusieurs études, et dont nous nous sommes beaucoup inspirés dans nos travaux. Les universitaires ont évoqué la décision InSite, concernant les centres d'injection supervisée, en ce qui a trait au principe de justice fondamentale du caractère arbitraire. Par conséquent, une fois qu'on a établi qu'on porte atteinte au droit à la sécurité de la personne, est-ce que cette atteinte est conforme au principe de justice fondamentale? Selon moi, ce projet de loi s'expose à une contestation en vertu de la Charte au motif qu'il est non seulement exagérément disproportionné par rapport à ses objectifs plus nobles, mais il est aussi arbitraire. Autrement dit, son objectif n'est nullement lié à ses effets.

  (1325)  

    L'objectif de la sécurité publique, l'objectif visant à encourager les travailleurs et travailleuses du sexe à signaler à la police les actes de violence dont ils sont victimes, ne sera aucunement atteint. Il est évident que si on interdit à ces personnes de communiquer — c'est le principal mécanisme qu'elles utilisent pour se protéger —, lorsqu'il s'agit de personnes plus vulnérables, qui travaillent dans la rue, on accroît les dangers auxquels elles s'exposent. À mon avis, les tribunaux pourraient déterminer que c'est arbitraire.
    C'est une question qu'a abordée un universitaire dans un article paru récemment dans le Globe and Mail. Kyle Kirkup, qui est avocat et aussi candidat au doctorat à l'Université de Toronto, a écrit: « Vous avez un problème social complexe? Il y a une prison pour ça. » C'est l'impression que donne ce projet de loi. Le système de justice pénale est un outil très élémentaire et il n'est simplement pas en mesure de lutter contre ce problème social particulièrement complexe.
    Le projet de loi pourrait également être contesté en vertu de l'alinéa 2b) de la Charte en ce qui a trait à la liberté d'expression. Cette question a fait l'objet d'une contestation dans les années 1990. La Cour suprême, dans l'arrêt Bedford, a indiqué qu'il était possible que des décisions rendues par ce tribunal soient révisées à la lumière de nouveaux faits et arguments.
    Dans le cas d'une contestation au titre de l'alinéa 2b) de la Charte, il faut s'interroger sur la valeur fondamentale du moyen d'expression. Dans le cas qui nous occupe, la communication en public vise à protéger les travailleurs et travailleuses du sexe. Ce n'est pas simplement un discours commercial. Encore une fois, les preuves sont très claires. La communication est nécessaire à leur protection. Selon moi, ce projet de loi porte atteinte aux valeurs fondamentales sous-jacentes à la liberté d'expression à laquelle nous devrions tous avoir droit.
    Il faut également se demander si le projet de loi résisterait à une contestation en vertu de l'article 1 de la Charte. À mon avis, il ne survivrait pas au motif que son objectif est exagérément disproportionné par rapport aux dangers auxquels s'exposent les travailleurs du sexe.
    De quelle façon le projet de loi C-36 protège-t-il les personnes les plus vulnérables de la société? D'aucune façon. À mon avis, il ne fait qu'aggraver les risques que courent les travailleurs et travailleuses du sexe.
    Quelles sont les preuves? Tout prouve que le projet de loi contribue à accroître les torts. Je pense qu'une société a le devoir de protéger les personnes les plus vulnérables. Le projet de loi C-36 est un échec monumental à cet égard.
    Merci.

  (1330)  

    Merci, monsieur Russomanno, de la Criminal Lawyers' Association.
    Notre prochain témoin est Mme Benedet, qui est ici à titre personnel, mais qui est aussi professeure à l'Université de la Colombie-Britannique.
    Je suis ici aujourd'hui non seulement à titre de professeure de droit, mais aussi d'avocate. J'ai passé les deux dernières décennies à mener des recherches, à enseigner et à promouvoir l'égalité entre les sexes dans le droit canadien, en m'intéressant particulièrement à la violence sexuelle faite aux femmes et aux filles, y compris à la prostitution.
    Comme le président l'a mentionné, j'enseigne le droit à l'Université de la Colombie-Britannique, je suis membre des Barreaux de l'Ontario et de la Colombie-Britannique et j'offre bénévolement des services juridiques à des groupes de femmes. J'ai représenté une coalition nationale de sept groupes de femmes devant la Cour d'appel de l'Ontario et la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bedford.
    Je suis ici pour témoigner en faveur des dispositions du projet de loi C-36 qui criminalisent l'achat de services sexuels et l'avantage matériel tiré du proxénétisme et de la publicité.
    Toutefois, je suis contre la disposition qui criminalise les personnes qui communiquent, en vue de vendre des services sexuels, dans des endroits où on peut s'attendre à ce que s'y trouvent des jeunes. J'ai lu très attentivement les dispositions du projet de loi C-36 et, en général, je dirais que le projet de loi représente et reflète un changement fondamental et très positif dans notre façon de voir la prostitution, c'est-à-dire qu'on ne considère plus la prostitution comme un simple problème moral ou une nuisance, mais plutôt comme une inégalité entre les sexes et une forme de violence et d'exploitation envers les femmes et les jeunes filles.
    Je pense que le gouvernement a eu raison de reconnaître que l'industrie de la prostitution mondiale n'est pas qu'une série d'échanges contractuels entre des parties égales, mais plutôt une industrie rentable qui profite de l'asservissement sexuel des plus vulnérables, c'est-à-dire des femmes et des enfants.
    Malheureusement, ce projet de loi continue de criminaliser les personnes qui se livrent à la prostitution dans la rue qui sont, dans une proportion démesurée, des Autochtones, et je dirais que cette disposition va à l'encontre des autres objectifs du projet de loi.
    Parlons maintenant de l'article 286.1 qu'on propose ici, qui criminalise l'achat de services sexuels. Je tiens à préciser que, du point de vue constitutionnel, lorsqu'on parle du droit à la sécurité de la personne, la personne qui est visée par cette disposition est le client, et la criminalisation ne compromet pas sa sécurité. C'est plutôt lui qui présente un danger pour les femmes.
    Je pense que l'un des éléments importants de cette disposition est le fait qu'elle soit regroupée avec les infractions contre la personne dans le Code criminel, ce qui indique clairement que l'achat de services sexuels constitue une infraction criminelle et une forme d'exploitation et de violence. Je crois que cela renforce sa constitutionnalité. Ce n'était pas le cas dans la version précédente du code où les interdictions étaient partielles et fondées sur des lieux et des facteurs de nuisance.
    L'argument que j'entends le plus souvent chez les personnes qui s'opposent à cette position est le fait que la criminalisation est inconstitutionnelle parce qu'elle favorise la prostitution clandestine. Je pense qu'il est ironique de dire que les hommes doivent avoir le droit d'acheter des femmes afin de les protéger contre ces mêmes hommes.
    À cet égard, il est important de savoir que la prostitution est davantage dans la clandestinité lorsqu'elle est entièrement décriminalisée. Quand à l'approche de la Nouvelle-Zélande qu'on ne cesse de vanter, lorsqu'un bordel compte moins de cinq femmes, il n'a pas besoin de certificat et exerce ses activités de façon invisible, en dehors de la portée de la loi et à l'abri d'autres interventions. Autrement dit, tout se fait en catimini.
    Deuxièmement, la prostitution visible n'est pas nécessairement sécuritaire ou saine et ne favorise pas davantage l'égalité entre les sexes. Les maisons closes du Nevada ou les méga bordels d'Allemagne en sont deux bons exemples.
    Mais ce qui est le plus important, c'est que cet argument est malhonnête. Il s'agit de la même vieille revendication à propos du choix, qui ignore complètement l'inégalité entre les sexes, mais qui se prétend maintenant un argument concernant la sécurité. Je suis consciente que je suis un peu dure dans ma déclaration, mais pour vous expliquer mon point de vue, permettez-moi de vous parler de la prostitution juvénile et de l'infraction criminelle que constitue le fait de communiquer en public afin d'obtenir les services sexuels d'une personne âgée de moins de 18 ans. Cette infraction figure à l'article 212.4 du Code criminel. On n'a pas contesté cette disposition dans l'arrêt Bedford. Elle continuera d'exister dans le nouveau projet de loi, au paragraphe 286.1(2), si je ne me trompe pas.
    Il est interdit d'acheter les services sexuels d'une personne mineure, y compris de communiquer à cette fin.

  (1335)  

    Personne ne semble contester l'existence de cette disposition ni remettre en question sa constitutionnalité. Elle criminalise exactement le même comportement que l'on retrouve dans l'article 286.1, dans les mêmes termes, et je suis convaincue que personne ne demandera au comité d'abroger cette disposition parce qu'elle met la vie de nos enfants en danger en poussant la prostitution juvénile dans la clandestinité. Personne ne dira qu'il faudrait reconnaître que la prostitution des jeunes est inévitable et que nous devrions décriminaliser les personnes qui les achètent parce que cela les protégera. Ils seront visibles. Ils peuvent communiquer. Nous pouvons les rejoindre.
    Personne ne dira qu'en vertu de l'article 7 de la Charte, les hommes doivent pouvoir acheter des enfants à des fins sexuelles, et on ne doit pas se contenter de dire que les adultes ne sont pas des enfants. Nous estimons que les jeunes n'ont pas la capacité de consentir, compte tenu de leur âge, mais la réalité est que dans la prostitution juvénile, il y a beaucoup d'autres inégalités en cause, notamment le genre, les effets du colonialisme, la pauvreté et la toxicomanie.
    Lorsque le facteur d'âge n'est plus présent, certaines personnes refusent de voir qu'il y a d'autres inégalités dans la prostitution, même si la travailleuse du sexe, qui est maintenant adulte, a commencé à se prostituer durant l'enfance. Le fait que les femmes qui se prostituent sont extrêmement pauvres, que beaucoup d'entre elles sont racialisées, victimes de la traite de personnes afin de répondre à la demande, sont aux prises avec des problèmes de toxicomanie, sont atteintes de déficience intellectuelle ou vivent avec les séquelles d'un placement en foyer d'accueil, toutes ces inégalités ne comptent pas lorsque la femme est âgée de plus de 18 ans et est prête à prendre l'argent.
    Pourtant, la Cour suprême du Canada a indiqué clairement, dans l'arrêt Bedford, que bon nombre de ces prostituées ne sont pas dans le milieu par choix, et que nos lois et nos politiques devraient cibler ces femmes.
    Nous ne disons pas que la loi pénale qui interdit aux gens d'obtenir les services sexuels d'un mineur est inutile et devrait être abrogée parce qu'elle n'a pas permis d'éliminer la prostitution juvénile. Nous comprenons, tout comme pour les lois sur les agressions sexuelles et la violence conjugale, que la loi pénale a un but particulier: dénoncer. Il s'agit d'un objectif réel et très important, mais ce n'est pas le seul facteur dont il faut tenir compte lorsqu'on veut traiter un problème social aussi complexe. On n'arrivera jamais à régler ce problème si on décriminalise et normalise la prostitution, et on peut le voir dans les pays qui ont fait l'expérience de cette approche.
    La dernière chose que j'aimerais dire à propos de l'analyse que nous avons entendue aujourd'hui c'est que, oui, on doit penser à l'article 7 de la Charte, mais on ne doit pas non plus négliger l'article 15, la disposition sur les droits à l'égalité, qui a été exclue de l'analyse dans l'affaire Bedford. Nous avons désormais un projet de loi qui indique clairement dans ses objectifs que l'égalité des femmes et des jeunes filles est un facteur important lorsqu'il s'agit de prostitution. À mon avis, cela signifie que le droit à l'égalité prévu à l'article 15 de la Charte ne peut plus être ignoré dans l'analyse constitutionnelle.
    Je vais maintenant conclure en parlant brièvement du paragraphe 213(1.1), qui porte sur la vente de services sexuels dans des endroits où il serait raisonnable de s'attendre à ce que s'y trouvent des jeunes de moins de 18 ans. Je pense que cette disposition est peu judicieuse. Je ne crois pas qu'on devrait établir une distinction en fonction des lieux si on reconnaît que l'acte d'acheter des femmes constitue un acte d'exploitation. On ne ferait que punir les femmes qui ont été exploitées dans les mauvais endroits. Cela nous ramène à une approche fondée sur la nuisance. Il ne s'agit pas vraiment de protéger les enfants parce qu'on ne criminalise pas les femmes qui se prostituent devant des enfants dans un lieu privé, seulement dans un lieu public.
    Je comprends la préoccupation à propos de la prostitution dans les rues résidentielles et la façon d'y remédier en l'absence de cette disposition, mais de toute évidence, la police peut intervenir parce qu'elle a désormais une disposition qui criminalise l'achat de services sexuels. Elle peut donc utiliser cette disposition pour cibler les clients. C'est ainsi qu'on peut s'attaquer à la prostitution dans la rue. C'est ce qu'on aurait dû faire dans le cas de Pickton, un client connu que la police a simplement refusé d'arrêter, peu importe l'endroit où il recueillait les femmes: dans la rue, dans les centres de jour et dans les bars du quartier Downtown Eastside. Le problème, ce n'est pas simplement d'envoyer les femmes ailleurs; c'est plutôt le refus de s'ingérer dans l'achat de services sexuels.
    La disposition doit être repensée et, au bout du compte, si on l'élimine, cela renforcera la constitutionnalité du projet de loi.

  (1340)  

    Je vais m'arrêter ici.
    Merci beaucoup, madame. Vous avez respecté votre temps de parole de 10 minutes.
    Notre dernier témoin se joindra à nous par vidéoconférence, depuis Burnaby, en Colombie-Britannique. Il s'agit de M. Lowman, professeur à l'École de criminologie de l'Université Simon Fraser.
    Est-ce que vous m'entendez, monsieur?
    Oui.
    La parole est à vous.
    Merci beaucoup.
    En plus de mon témoignage d'aujourd'hui, je vous ai remis un mémoire écrit qui est beaucoup plus détaillé. Je vais vous exposer les grandes lignes de ce mémoire tout en ajoutant des détails supplémentaires.
    Je vais tout d'abord me présenter. Depuis 1977, j'ai travaillé à divers projets de recherche sur la prostitution, principalement en Colombie-Britannique. J'ai réalisé neuf études différentes pour le ministère de la Justice du Canada, et j'ai siégé au conseil d'un organisme, PACE, qui appuie les travailleurs et travailleuses du sexe du Downtown Eastside.
    Si je m'adresse aux Canadiens et, en particulier, aux législateurs à propos de la prostitution, c'est avant tout parce que je souhaite que les politiques et les lois soient fondées sur des données fiables et exactes. J'ai entendu aujourd'hui toutes sortes d'affirmations tirées d'études, dont aucune ne résisterait à un examen approfondi.
    De toute évidence, la recherche ne peut pas régler tous les problèmes dont il est question ici, alors je vais aussi y aller de mon propre jugement de valeur à l'égard de la prostitution. À mon avis, l'État ne devrait pas interdire une activité sexuelle entre adultes consentants, surtout dans le cas où la vie des travailleuses du sexe est en danger. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui affirment que 90 % des personnes qui se prostituent ne le font pas par choix, même si bon nombre d'entre elles font face à des contraintes. On retrouve aussi la prostitution opportuniste et l'esclavage sexuel. La loi devrait criminaliser l'esclavage sexuel dans toutes les circonstances.
    Cependant, comme dans bien des domaines, les travailleurs et travailleuses du sexe font le choix de se prostituer dans des situations qu'ils ou elles ne choisissent pas, c'est-à-dire l'économie politique capitaliste, le colonialisme, les structures de pouvoir liées au genre, le racisme, et j'en passe. La grande majorité de la population fait ces choix dans des situations qu'elle ne choisit pas, mais on ne considère pas la loi pénale comme la solution à ces inégalités.
    Permettez-moi de vous parler brièvement des arguments sur lesquels les prohibitionnistes fondent leur position. On a encore affirmé aujourd'hui que l'âge moyen d'entrée dans la prostitution était de 14 ans. Dans mon mémoire, j'analyse les études qui ont été réalisées et j'ai même passé en revue les études déposées en preuve dans l'affaire Bedford c. Canada. Cette affirmation est ridicule. Il n'y a qu'une seule étude qui l'appuie. Il s'agit d'une étude qui repose sur un échantillon d'enfants et qui exclut délibérément les adultes. D'après les autres études qui se penchent à la fois sur les adultes et les jeunes, l'âge moyen serait de 18 ans ou plus.
    Dans leur discours, les prohibitionnistes généralisent certaines études pour qu'elles soient représentatives de la prostitution en général. On cite souvent l'étude de Melissa Farley, tout comme le Point tournant de Joy Smith. On y examine 100 travailleurs et travailleuses du sexe canadiens ainsi que leur profil.
    Les prostituées du quartier Downtown Eastside ne reflètent pas le milieu de la prostitution. Les études révèlent que la plupart des femmes ne sont pas des victimes de la traite de personnes. Évidemment, ces femmes ont toutes vécu des expériences différentes, dont certaines étaient vraiment terribles. Cependant, si on veut parler de la nature de la prostitution, on doit comprendre qu'il y a différents types de prostitution.
    J'aimerais également mentionner que les travaux de recherche de Farley, qui sont souvent cités par les prohibitionnistes, ont également été pris en considération dans l'affaire Bedford. La juge Himel a conclu que la cause qu'elle défend semble avoir influencé son opinion et fausser ses travaux de recherche. Je crois que cela mérite d'être répété.
    J'aimerais approfondir un peu plus la logique prohibitionniste. Les prohibitionnistes soutiennent que la prostitution est causée par la demande. Par conséquent, cibler la demande est le meilleur moyen de mettre fin à la prostitution. Ils n'ont pas suivi le cours d'économie 101 pour affirmer cela. Cet argument ne tient pas compte de l'interaction de la demande et de l'offre. Nous vivons dans une culture qui marchandise constamment la sexualité. En quelques clics seulement, les gens ont accès à des images sexuelles explicites, et notre culture crée la demande de services sexuels. Par conséquent, elle crée le capital sexuel sur lequel repose l'offre. Les structures liées à la race, à la classe sociale et au genre font en sorte que le capital sexuel est le seul capital dont disposent certaines de ces personnes.
    Faisons un peu d'économie et examinons l'approche du Canada visant à interdire la prostitution. Dans l'une des premières études sur les acheteurs de services sexuels au Canada, à la question sur ce qui les a d'abord incités à acheter de tels services, 41 % des répondants ont déclaré que c'était la disponibilité ou la présence des prostituées.

  (1345)  

    Même si la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation interdit à des tierces parties de tirer profit de la prostitution, sa disposition interdisant la publicité n'empêche pas une personne d'annoncer ses propres services sexuels. Les partisans de l'interdiction de la demande des services sexuels affirment que l'État ne doit pas tenir les prostituées responsables de ce qu'elles font. Il faudrait plutôt criminaliser les acheteurs, non pas les vendeurs, parce que ces derniers sont les victimes des premiers. Cependant, les prohibitionnistes ont beau refuser de croire que les travailleuses du sexe se prostituent par choix, nous sommes nombreux à penser que la plupart d'entre elles ne se considèrent pas comme des victimes, bien que certaines le sont réellement. Elles se prostituent de leur propre chef en tirant avantage de leur capital sexuel. Elles ne souhaitent pas se sortir du milieu de la prostitution à moins de le faire selon leurs propres conditions. Par conséquent, elles continueront d'annoncer leurs services sexuels et de les vendre aux clients qui répondent à leur annonce, et ce, en toute légalité en vertu du nouveau régime. Cependant, la personne qui mord à l'hameçon pourrait être accusée d'une infraction criminelle. L'interdiction de la demande de services sexuels constitue une provocation destinée à piéger les clients.
    L'interdiction asymétrique fera l'objet d'une contestation au titre de l'article 15 de la Charte parce qu'elle criminalise les acheteurs, qui sont principalement des hommes, et non pas les vendeurs, dont la grande majorité sont des femmes. Soit dit en passant, dans sa contestation, la société Pivot allait invoquer l'article 15.
    Qu'en est-il de l'offre? La demande est une condition nécessaire à la prostitution, mais pas une condition suffisante. En ciblant la demande, l'État ne s'attaque pas aux facteurs à l'origine de l'offre; nous ne faisons que blâmer les hommes. Par conséquent, le colonialisme, la pauvreté, la toxicomanie, le chômage, les structures d'emploi liées au genre, les débouchés économiques et la culture qui crée un capital sexuel resteront tels quels.
    Pour les personnes qui comptent sur leur capital sexuel pour subsister, l'interdiction de la demande des services sexuels ne fera qu'exacerber leurs problèmes, étant donné que les modèles d'application de la loi ne changeront pas. Lorsque la disposition portant sur la communication a été adoptée en 1985, jusqu'à ce qu'elle soit invalidée, 93 % de toutes les accusations pour prostitution concernaient la prostitution de rue. Deux principaux facteurs ont mené à ce modèle d'application de la loi.
    Tout d'abord, cela reflète les plaintes associées à la prostitution que reçoit la police. La plupart d'entre elles concernent la prostitution dans les rues. En effet, dans tous les sondages d'opinion publique qui ont été menés, il est ressorti un consensus clair selon lequel — et évidemment, les avis des Canadiens sont très partagés quant au statut légal de la prostitution — les prostituées ne devraient pas se trouver dans la rue. Selon un sondage mené par le groupe Angus Reid en juin dernier, qui révèle également que la majorité des Canadiens ne sont pas en faveur du projet de loi C-36, 89 % des Canadiens ont affirmé que la prostitution ne devrait pas se pratiquer dans la rue.
    Deuxièmement, il est très difficile de porter des accusations dans les cas de proxénétisme, de tenue de maisons de débauche et du fait de vivre des produits de la prostitution. Ce sont une perte de temps. Il est difficile d'obtenir des preuves et de condamner des gens, d'autant plus que les travailleurs et travailleuses du sexe n'ont aucun intérêt à témoigner contre les gens avec qui ils travaillent. L'application des lois contre la prostitution hors rue par la police à Vancouver et à Toronto dans les années 1970 a ramené cette activité dans la rue et dans les quartiers résidentiels, et la police en est aujourd'hui très consciente.
    L'interdiction asymétrique conduirait-elle à des modèles d'application de la loi différents? Probablement pas. En Suède, dans l'une des premières expériences d'interdiction asymétrique, la majorité des mesures d'application de la loi interdisant l'achat de services sexuels visaient la prostitution de rue. Au Canada, comment les policiers pourraient-ils poursuivre les clients hors rue? Vont-ils mettre sur pied de fausses agences d'escortes? Des salons de massage? Vont-ils piéger les gens?
    On se trouve devant un noeud gordien législatif. Je m'oppose également à la disposition qui criminalise les travailleurs du sexe « dans un endroit public ou situé à la vue du public s’il est raisonnable de s’attendre à ce que s’y trouvent... des personnes âgées de moins de dix-huit ans ». On nous a dit que la façon de régler le problème de la prostitution de rue était de poursuivre les clients, et on a mentionné le nom de M. Pickton.

  (1350)  

    Dans les années 1990, la police de Vancouver a délibérément établi un quartier de prostitution dans un secteur industriel. Elle avait instauré une politique. On a même émis un communiqué de presse à cet effet, et je peux vous en donner une copie, si vous le voulez. Le but n'était pas de déposer des accusations contre les femmes, mais plutôt de cibler les hommes qui se prévalaient des services sexuels. Ce secteur précis, le quartier de prostitution — visé par cette disposition en particulier — est devenu un lieu de massacres. C'est là où M. Pickton a trouvé la plupart de ses victimes. C'est le succès qu'a obtenu ce type de régime législatif lorsqu'on l'a mis à l'essai à Vancouver, tout comme dans les années 1990.
    Monsieur, il vous reste moins d'une minute.
    J'ai deux recommandations.
    Tout d'abord, le gouvernement prétend que ce projet de loi résisterait à une contestation constitutionnelle. C'est le même gouvernement qui a affirmé que les lois contestées dans l'arrêt Bedford étaient valides sur le plan constitutionnel. Le gouvernement s'est trompé complètement. Il est important que le gouvernement demande l'avis de la Cour suprême quant à l'intégrité constitutionnelle de ce projet de loi.
    Ensuite, si vous voulez contrôler des choses comme la prostitution de rue — et le gouvernement se trouve dans une impasse puisque le public appuie fermement le contrôle de la prostitution de rue —, si vous avez un système de règlements, de règlements de zonage, vous n'avez pas besoin de la loi pénale.
    L'une des choses que vous comprendriez si vous aviez étudié l'application de la loi dans le domaine de la prostitution à Vancouver au cours des 30 dernières années, c'est que la police peut déplacer les travailleurs du sexe comme bon lui semble, à une condition. Elle ne dit pas aux gens où ils ne peuvent pas travailler, mais plutôt où ils peuvent travailler. Lorsqu'elle leur dit où ils peuvent travailler, elle peut les déplacer du jour au lendemain.
    Merci beaucoup de votre attention. La décriminalisation est la voie à suivre.
    Merci, monsieur.
    Nous allons maintenant enchaîner avec la période de questions. Je demanderais aux membres du comité de préciser d'abord à qui ils adressent leurs questions afin que les témoins puissent se préparer à répondre.
    Notre premier intervenante est Mme Boivin, du Nouveau Parti démocratique.
    J'ai si peu de temps et tellement de questions. C'est incroyable.
    Je parle vite, mais jamais aussi vite qu'Émilie Laliberté. C'est le summum de la vitesse.

  (1355)  

[Français]

    Émilie, je vais commencer par vous parce que, depuis que le début de ce débat, nous n'avons pas beaucoup entendu la voix des travailleurs et travailleuses du sexe. Je vais vous donner l'occasion de parler de certains éléments que vous n'avez probablement pas eu la chance d'aborder. Je vais vous donner deux minutes pour répondre.
    En quoi ce projet de loi va-t-il rendre vos activités plus dangereuses? J'aimerais que vous l'expliquiez au comité et que vous réagissiez à certains propos tenus par l'avocate de l'Université de la Colombie-Britannique. Je ne me souviens pas de son nom, je m'en excuse.
    C'est Mme Benedet.
    Elle a dit que vous étiez toutes violentées et que vous n'étiez pas traitées également, contrairement à ce que stipule l'article 15 de la Charte.
     Premièrement, Mme Benedet ne fait pas la distinction entre les personnes victimes de trafic et les adultes consentants au sein de l'industrie du sexe. Comme ma collègue Naomi Sayers l'a très bien expliqué, les personnes qui ne veulent pas faire ce travail, et qui sont forcées de le faire, sont exploitées. Il ne s'agit pas de travail du sexe. Il existe plusieurs articles dans le Code criminel pour légiférer en la matière. Il y a des articles sur le gangstérisme, la traite humaine, le trafic, la violence conjugale, l'extorsion. Bref, il y a assez dispositions dans le Code criminel pour lutter contre ces violences, qui sont déplorables. À mes yeux, le projet de loi dont il est question est exactement comme les lois qui ont été jugées inconstitutionnelles précédemment et va même plus loin.
    Je vous remercie d'ailleurs de me permettre de répondre à ce que Mme Benedet a dit. Elle disait que la police va désormais pouvoir s'en prendre aux clients sur la rue.
    Je suis porte-parole de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe et j'ai aussi été agente de liaison, donc intervenante de rue auprès des personnes qui travaillent sur la rue. Je suis une travailleuse du sexe. J'ai côtoyé des milliers de personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe à Montréal. Je constate que, lorsque la police arrête massivement des clients sur la rue dans l'arrondissement Hochelaga-Maisonneuve, cela se traduit par davantage de violence pour les travailleuses du sexe qui sont sur la rue.
     Ce n'est pas vrai qu'il s'agit d'un nouvel outil. Des dispositions existaient déjà en vertu de l'article 213. Les clients étaient arrêtés sur la rue pour avoir sollicité quelqu'un dans le but d'acheter des services sexuels. Les femmes, les hommes et les personnes transgenres qui sont sur la rue se retrouvaient à devoir aller dans des coins sombres, à rester plus longtemps sur les coins de rue, à ne pas avoir la capacité de communiquer dans le but d'établir une entente, à sauter dans la voiture très rapidement parce que les clients aussi craignaient de se faire arrêter par la police et à s'exposer à des risques et à des violences. Cela a été documenté par l'organisme Stella, à Montréal, au moyen de la liste des mauvais clients. Cela a été documenté par l'organisme Power, qui rejoint les travailleuses du sexe dans la région d'Ottawa-Gatineau. Cela a également été documenté à Vancouver dans deux rapports qui viennent d'être publiés, alors que les policiers de la ville ont décidé de changer leur tactique en 2013 et de viser les clients. Cette réalité a été documentée auprès des travailleuses du sexe de 2013 à 2014 et se traduit par davantage de violence.
    On entend souvent le secrétaire parlementaire nous dire, ou dire aux différents témoins ou à divers groupes, que rien ne pourra vous interdire de faire ça en sécurité chez vous. Que répondez-vous à ce genre d'interventions?
    S'il y a des enfants à côté de chez nous, vais-je pouvoir recevoir mes clients, avec le risque que l'enfant sorte sur son balcon? Je m'excuse, mais on trouve cela ridicule. C'est n'importe quoi. Une personne de moins de 18 ans peut se trouver n'importe où. M. MacKay l'a démontré en affirmant ce matin que les enfants pouvaient même sortir des hôtels. C'est essayer de criminaliser à nouveau le fait de se trouver dans une maison de débauche et le fait de travailler à l'intérieur, en plus de criminaliser le fait de travailler sur la rue.
    Dans la situation où vous êtes assise tranquillement chez vous et que vous faites de la publicité légale — on ne sait pas exactement ce que c'est, mais les cours nous le diront, comme le ministre nous l'a signalé ce matin —, où est le client? Puisque le projet de loi ne prévoit aucune exception concernant l'achat de tels services, si un client se présente en réponse à une annonce, n'y a-t-il pas là une possibilité d'incitation, comme l'exprime le professeur Lowman dans son mémoire? Qu'en pensez-vous? Le projet de loi est peut-être une grosse forme d'incitation à commettre un délit, dans le sens où le client qui répondrait à la publicité légale et qui se rendrait chez vous serait attendu et embarqué par la police, parce qu'il aurait commis une infraction.
    Est-ce qu'il n'y a pas ici une forme de...

  (1400)  

    De sollicitation de la part de la police?
    Mme Françoise Boivin: Oui, quasiment.
    Mme Émilie Laliberté: En fait, je me demande quel message on veut envoyer aux Canadiens et aux Canadiennes. Veut-on, en priorité, employer tout le budget de la moralité, le budget de la police et tout le budget pour la protection des citoyens et citoyennes pour poster des agents d'infiltration dans des chambres d'hôtel afin d'arrêter des clients, ou veut-on donner la priorité à la lutte contre les violences commises et à l'application des articles du Code criminel qui existent déjà pour lutter contre l'exploitation?
    Merci.
    Ma dernière question, puisqu'il m'en reste une, s'adresse à M. Russomanno.

[Traduction]

    Je suis désolée si j'ai mal prononcé votre nom.
    Je pense que vous avez posé une question, et je vais vous renvoyer la question en espérant que vous pourrez y répondre. Comment définissez-vous les services sexuels dans le projet de loi C-36? Est-ce que c'est clair pour vous, parce que pour moi, en tant qu'avocate, ce n'est pas clair du tout. Il n'y a pas de véritable définition. Est-ce que cela engloberait par exemple les danses-contacts? De quoi traite-on exactement dans le projet de loi C-36? Si ce n'est pas établi clairement, n'y a-t-il pas un risque que les avocats de la défense s'en servent devant les tribunaux?
    Pour répondre brièvement, je crois que cela engloberait les danses-contacts. À mon sens, c'est un service sexuel. En guise de préambule, lorsqu'on laisse au tribunal le soin d'interpréter la loi, sachez qu'il y a un coût qui y est associé lorsqu'on arrête des gens. C'est une chose.
    En ce qui a trait aux services sexuels, le seul point de référence que j'ai relativement à notre loi sur l'infraction d'agression sexuelle, c'est que la nature sexuelle de l'attouchement, par exemple, est subjective dans l'esprit de la victime. C'est donc un point de référence potentiel. Est-ce que c'est la personne qui fournit le service sexuel qui décidera si c'est de nature sexuelle ou non? Je ne suis pas sûr. Cela me semble vague, et cela pourrait même aller plus loin que la danse-contact. Je ne suis pas convaincu. Par exemple, si un mannequin en sous-vêtements se fait prendre en photos, est-ce un service sexuel? Peu importe qu'il s'agisse d'un service sexuel ou non, ce sera aux tribunaux d'en décider. N'empêche qu'il y a un coût qui s'y rattache.
    Merci pour ces questions et ces réponses.
    Notre prochain intervenant est M. Dechert, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président, et merci à tous nos témoins d'être ici aujourd'hui. Je pense que vous avez donné au comité des renseignements fort utiles, particulièrement celles qui ont pratiqué ce métier par le passé.
    On a beaucoup parlé de l'âge à partir duquel les femmes et les hommes commencent à se prostituer. Madame Nagy, dans votre déclaration, si je ne me trompe pas, vous avez indiqué que bon nombre entraient dans le milieu de la prostitution entre 12 et 17 ans. Madame Benedet, vous avez affirmé que beaucoup ont commencé à pratiquer ce métier avant l'âge de 18 ans. M. Lowman ne partage toutefois pas cet avis.
    Madame Sayers, à quel âge avez-vous commencé à vous prostituer?
    J'avais 18 ans et j'allais à l'école secondaire.
    Vous étiez encore au secondaire.
    Madame Laliberté?
    J'avais 19 ans.
    Vous aviez 19 ans.
    Madame Nagy?
    Je n'avais pas encore 20 ans lorsque j'ai été victime de la traite de personnes, mais la majorité des victimes avec qui nous travaillons sont âgées de 16 ans, et je ne l'invente pas.
    D'accord.
    Madame Sayers, vous côtoyez les femmes autochtones de ce milieu. Savez-vous si certaines ont moins de 18 ans?
    Nous collaborons avec Safe Space, un organisme établi à London, dans le sud-ouest de l'Ontario, qui vient directement en aide aux travailleurs et travailleuses du sexe dans la rue. Cet organisme leur offre un endroit sécuritaire où aller. À ma connaissance, ce ne sont pas principalement des Autochtones qui se prostituent à London, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas. Je parle par expérience... C'est très difficile pour moi de répondre à cette question.

  (1405)  

    Avez-vous déjà rencontré des travailleurs et travailleuses du sexe âgés de moins de 18 ans?
    On peut dire ce qu'on veut sur une annonce.
    Mais avez-vous déjà rencontré des gens dans le milieu qui ont moins de 18 ans?
    Je ne pose pas vraiment la question...
    D'accord. Vous ne le savez pas, mais est-ce possible?
    La plupart des gens que j'ai rencontrés étaient âgés de 18 ans.
    D'accord.
    Mme Benedet a formulé un argument qui, à mon avis, est intéressant. Madame Sayers, étant donné que vous travaillez avec des personnes de cette industrie, êtes-vous d'accord avec les dispositions du Code criminel qui criminalisent la vente de services sexuels par des personnes de moins de 18 ans?
    Le Code criminel contient des dispositions qui n'ont pas été invalidées par la Cour suprême dans la décision Bedford et selon lesquelles toute personne âgée de moins de 18 ans qui fournit des services sexuels ou qui communique dans le but de vendre des services sexuels commet une infraction criminelle au Canada. Toute personne qui induit ou encourage ou emploie une personne âgée de moins de 18 ans commet également un acte criminel. Êtes-vous d'accord avec ces dispositions?
    J'aimerais citer la décision de la juge Himel dans laquelle elle a énoncé que même s'il s'agit de problèmes importants, la prostitution infantile et la traite de personnes ne sont pas des éléments essentiels pour l'analyse de la contestation fondée sur la Charte en fonction des femmes qui ont présenté cette contestation.
    D'accord. Vous ne dites donc pas si vous êtes d'accord ou non avec...
    Je dis que je suis d'accord avec l'analyse de la juge Himel selon laquelle il s'agit de deux questions distinctes.
    D'accord.
    Madame Nagy, qu'en pensez-vous? Êtes-vous d'accord avec...

[Français]

    En quoi votre question est-elle pertinente relativement au projet de loi C-36?

[Traduction]

    Oui. Et bien, je demande ce que... Ma question...
    Je vous pose seulement une question.
    Êtes-vous d'accord avec les dispositions actuelles du Code criminel qui criminalisent certains aspects de la prostitution de mineurs?

[Français]

    Je vais appuyer les dires de Mme Sayers.
    La réforme de la loi et le jugement de l'arrêt Bedford ne portaient pas sur la prostitution juvénile. Vous tentez donc de vous éloigner du débat et du projet de loi C-36.

[Traduction]

    D'accord. J'accepte cela comme étant une absence de réponse.
    Madame Nagy, avez-vous un avis à cet égard?
    Nous sommes d'accord, mais nous irions plus loin en affirmant qu'au lieu de criminaliser ces actes, nous préférerions qu'on arrête l'enfant âgé de moins de 18 ans qui a besoin de protection.
    D'accord.
    L'argument de Mme Benedet, c'était que personne n'affirme que les dispositions du Code criminel qui sont toujours en vigueur et qui criminalisent certains aspects de la prostitution de mineurs rendent les choses plus dangereuses pour les prostitués âgés de moins de 18 ans et qu'elles devraient donc également être invalidées.
    Est-ce correct?
    Pas vraiment, et c'est pourquoi, si vous me le permettez, j'aimerais apporter des éclaircissements.
    Je me concentre sur le paragraphe 212(4) selon lequel l'achat de services d'une personne âgée de moins de 18 ans représente une infraction. Je dis que personne ne soutient qu'il vaudrait mieux abroger cette disposition, car elle pousse la prostitution infantile dans la clandestinité.
    D'accord.
    Je ne me concentre donc pas sur l'enfant qui vend son corps, et qui ne commet donc aucune infraction criminelle, mais sur la personne qui achète des services de prostitution de mineurs.
    Monsieur Russomanno, êtes-vous d'accord avec l'argument de Mme Benedet concernant l'achat de services sexuels d'une personne âgée de moins de 18 ans?
    Si vous me le permettez, j'aimerais répondre à cette question au nom de la Criminal Lawyers' Association.
    Si je comprends bien le point de vue de Mme Benedet, une personne qui travaille dans l'industrie du sexe se trouve toujours, essentiellement, dans une situation d'inégalité lorsqu'elle mène ses activités. Je comprends l'argument, mais je ne suis pas certaine qu'il s'agit d'une hypothèse sur laquelle nous pouvons compter dans toutes les circonstances lorsqu'il s'agit de femmes adultes.
    Manifestement, les Canadiens qui vivent dans une société libre et démocratique et qui partagent nos valeurs n'approuveront pas qu'on force des enfants à se soumettre à des actes sexuels et à se prostituer. Mais ce qu'il s'agit de déterminer, lorsque nous tentons de nous attaquer aux inégalités liées aux enfants ou lorsque nous essayons de régler certains des problèmes sociaux avec lesquels nous sommes aux prises dans ce cas-ci, c'est si le droit criminel est l'outil le plus efficace et le plus précis à notre disposition. À mon avis, il s'agit d'un outil pas du tout approprié pour corriger les inégalités ou pour s'attaquer au problème de la prostitution infantile.

  (1410)  

    Vous avez parlé de choix, et j'aimerais donc poser quelques questions à nos témoins à ce sujet.
    Madame Nagy, êtes-vous d'avis que la majorité des femmes dans cette industrie ont choisi librement d'y travailler?
    La bonne façon de répondre, c'est que la majorité des femmes que nous avons rencontrées — c'est-à-dire environ 300 femmes au cours des quatre dernières années — ont été forcées de se livrer à la prostitution.
    Nous ne nions pas que certaines femmes se sont jointes à cette industrie de leur propre chef, comme je l'ai fait lorsque j'ai eu besoin d'argent pour acheter de la nourriture et lorsque je suis presque devenue sans abri.
    Lorsqu'on a besoin d'argent pour acheter de la nourriture ou pour payer un logement, est-on libre de choisir?
    Non, absolument pas.
    Madame Sayers, vous avez mentionné que de nombreuses femmes autochtones comptent sur l'industrie du sexe pour gagner l'argent dont elles ont besoin pour survivre. Sont-elles libres de choisir? Choisissent-elles librement cette activité, ou si elles étaient libres de faire autre chose, le feraient-elles?
    Travailleriez-vous sans être payé?
    Non, bien sûr que non...
    Vous avez votre réponse.
    ...mais j'ai choisi le moyen de gagner ma vie parmi plusieurs possibilités.
    Si c'est leur seule façon de survivre, sont-elles vraiment libres de choisir? C'est ma question.
    « Choix » et  « libre » sont des mots chargés de valeurs. Lorsqu'on affirme qu'une personne a le choix, c'est qu'on est privilégié. Nous ne demandons pas aux autres travailleurs s'ils ont choisi librement leur emploi et nous ne devrions pas poser la question aux travailleurs de l'industrie du sexe.
    Le prochain intervenant est M. Casey, du Parti libéral.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Lowman, j'aimerais tout d'abord vous remercier de votre défense énergique de la prise de décision fondée sur des données probantes et de votre critique des recherches de Mme Farley.
    Votre commentaire sur la contestation juridique fondée sur l'article 15 de la Charte présentée par Pivot a soulevé mon intérêt. Je suis conscient que cette contestation est dans une impasse, et étant donné les faits récents, je pense qu'on est en droit de se demander si elle ira de l'avant.
    Pouvez-vous expliquer cette contestation au comité et nous donner votre avis sur une future contestation fondée sur l'article 15?
    J'aimerais faire valoir deux points différents. La contestation présentée par Pivot et fondée sur l'article 15 soulignait la façon dont le service de protection potentiel de la police ne s'étend pas aux femmes qui travaillent dans l'industrie du sexe, et qu'elles ne bénéficient donc pas d'un traitement égal aux termes de la Charte.
    Je crois qu'un argument fondé sur l'article 15, mais d'un type différent, sera probablement soulevé contre le projet de loi, car on dit essentiellement qu'une partie de la transaction — une transaction dont les parties sont consentantes au sens juridique — n'a aucune responsabilité, alors que l'autre partie est complètement responsable.
    Donc, à priori, étant donné que de nombreuses femmes du milieu de la prostitution ne sont pas d'accord avec l'analyse du choix effectuée par les prohibitionnistes — oui, le choix est restreint, mais c'est aussi vrai pour la plupart des travailleurs manuels ou des travailleurs dans le domaine des services, et pour les travailleurs agricoles, les travailleurs saisonniers, etc. —, on fera valoir l'argument que si la police met sur pied un faux service d'escorte pour inciter les acheteurs à communiquer avec eux et à acheter leurs services — en n'oubliant pas que la publicité concernant ce service, s'il s'agit d'une personne qui le fait pour elle-même, ne sera pas visée par la loi interdisant la publicité —, on se retrouve essentiellement dans une situation de piège, car on pourrait attirer une personne qui n'a jamais acheté de services sexuels auparavant.
    Comme je l'ai dit, l'offre et la demande interagissent. Lorsque nous étudions les clients et que nous leur demandons pourquoi ils achètent des services sexuels, 41 % d'entre eux parlent de la visibilité et de l'offre. Si vous avez un système institutionnalisé qui ne fait rien au sujet de l'offre, il me semble qu'on est en présence d'un piège institutionnalisé.

  (1415)  

    Madame Benedet, nous avons entendu M. Lowman parler de la pertinence d'un renvoi à la Cour suprême du Canada en ce qui concerne la constitutionnalité du projet de loi. Ce matin, le ministre nous a dit très clairement que cela ne se produira pas. Je ne sais pas si vous avez entendu son témoignage.
    Avez-vous un avis à cet égard?
    Cela dépend de la façon dont on comprend le dossier de preuve lié à ce type de cas. Il dira qu'il s'agit simplement de renvoyer cette question à la Cour suprême du Canada pour qu'elle nous dise si le projet de loi est constitutionnel ou non. Le dossier de preuve qui a été constitué pour la contestation précédente concernait surtout les modes d'application et de mise en oeuvre sur une très longue période. L'idée selon laquelle nous pouvons simplement prendre ce dossier de preuve et le réutiliser pour un nouveau projet de loi me semble étrange dans le cadre d'une contestation qui semble s'enraciner profondément dans la façon dont le projet de loi est mis en oeuvre et ses répercussions. J'aurais plutôt cru qu'il faudrait beaucoup de temps pour recueillir les preuves suffisantes, et qu'il ne s'agirait pas simplement de se fier à la police qui affirme qu'elle le fait déjà, et qu'elle peut nous décrire les répercussions engendrées.
    Je peux comprendre l'argument selon lequel on vient tout juste de rendre une décision sur la constitutionnalité, dans un sens, du projet de loi, et qu'on présente le nouveau projet de loi en souhaitant éviter de cheminer par toutes les instances judiciaires et l'envoyer directement devant la Cour suprême du Canada. Mais dans ce cas, je me demande comment on constituera un dossier de preuve qui se fonde sur la mise en oeuvre et l'application réelles du projet de loi.
    Je ne sais pas si je peux parler de l'argument sur la situation de piège. J'ai lu la jurisprudence concernant cette situation. J'enseigne le droit criminel, et je peux vous dire que les règles s'appliquant aux pièges ne sont pas aussi générales que semble le laisser entendre M. Lowman. La police ne peut pas mettre sur pied des activités d'infiltration à sa guise, qu'il s'agisse de drogue ou de prostitution. En ce moment, on fait exactement le type de chose que nous décrivons pour la prostitution de mineurs et les policiers doivent suivre des règles claires concernant le moment où ils peuvent mettre sur pied une fausse activité d'infiltration et le moment où elle devient un piège. Ce n'est pas comme si c'était une nouvelle notion ou comme s'il n'y avait pas déjà une jurisprudence à cet égard.
    La même chose s'applique aux services sexuels. En effet, la loi vise la prostitution de mineurs. Lorsqu'un doute est soulevé, on peut trouver un ensemble de cas dans lesquels on a déjà interprété la question.
    Je trouve très étrange qu'on affirme qu'étant donné que la plupart des acheteurs — ou même tous les acheteurs — sont des hommes, et que la plupart des prostituées sont des femmes, c'est de la discrimination fondée sur le sexe de poursuivre les acheteurs en justice. Nous ne le faisons pas pour les cas d'agressions sexuelles, où plus de 90 % des accusés sont des hommes.
    La nature sexospécifique de l'industrie est ce qui la rend si discriminatoire contre les femmes. Je trouve très étrange et contraire aux principes de l'égalité matérielle de renverser la situation et d'affirmer que si les hommes sont ciblés pour leurs actes de discrimination fondés sur le sexe, ils deviennent victimes d'une forme de discrimination à rebours. Je ne crois pas que cette version de l'article 15 de la Charte soit celle utilisée dans les cas de harcèlement sexuel en milieu de travail, d'agression sexuelle et dans une série d'actes sexospécifiques liés à la discrimination sexuelle.
    Merci.
    Monsieur Russomanno, j'aimerais vous poser une question pratique. Si un renvoi à la Cour suprême ne se produit pas, comme l'a laissé entendre M. Lowman — et le ministre a exprimé très clairement que cela ne se produira pas et Mme Benedet a mentionné qu'il pourrait exister d'autres bonnes raisons à cet égard —, à quoi pouvons-nous nous attendre à moyen terme? Je vais vous demander de présumer deux choses. J'aimerais que vous présumiez que lorsque le ministre affirme qu'il est ouvert aux amendements, il ne l'est pas, et que le projet de loi sera adopté dans sa forme actuelle. Je m'attends à ce qu'on présente une contestation à l'étape suivante. Expliquez-nous ce qui se produira à ce moment-là.
    Le litige Bedford a débuté en 2007 et a été invalidé en 2014. Si l'on se fonde sur ces prémisses, à quoi pouvons-nous nous attendre, au Canada, en ce qui concerne les contestations juridiques et le temps qu'il faudra pour résoudre ces questions?
    Dans l'affaire Bedford, comme nous le savons, un énorme dossier de preuve avait été constitué par M. Alan Young et d'autres personnes. On peut présumer que cela serait contesté très peu de temps après l'adoption du projet de loi. L'une des premières accusations portées, je présume, mènerait à cette contestation, et elle se fondrait sur ce dossier de preuve. En ce qui concerne la décision Bedford et son énorme dossier de preuve, je ne crois pas que nous pourrions recueillir la même quantité de preuves, si je peux m'exprimer ainsi, que dans ce cas-là, et qu'il ne fait aucun doute qu'on ferait référence à d'autres compétences qui utilisent des modèles similaires à celui qu'on propose dans ce cas-ci. Je ne crois pas qu'il existe exactement la même chose, et je présume qu'on pourrait dire que c'est particulier au Canada.
    Le modèle criminel asymétrique, comme nous le savons, a été utilisé en Suède et dans d'autres pays. On peut présumer que ces pays auraient également des preuves et un argument sur la façon de transférer leurs interprétations de ces preuves dans notre système typiquement canadien.

  (1420)  

    D'accord. Merci.
    Merci, monsieur Casey. Nous vous remercions de vos questions.
    J'aimerais également remercier les témoins de leurs réponses.
    La prochaine intervenante est Mme Smith, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais poser deux questions: l'une à Mme Benedet et l'autre à Mme Nagy.
    Madame Benedet, pourriez-vous formuler d'autres commentaires au sujet de la constitutionnalité de l'infraction asymétrique dans le projet de loi C-36, c'est-à-dire l'achat de services sexuels, comparativement à la décriminalisation — en grande partie — de la victime? Pouvez-vous formuler des commentaires sur la constitutionnalité de ces éléments et la comparer à certains autres éléments qu'on retrouve actuellement dans le Code criminel?
    Si je comprends bien la question, il faut se rappeler que la plupart des dispositions contestées dans l'affaire Bedford s'appliquent à la fois aux acheteurs et aux vendeurs, si je peux le dire ainsi. Mettons de côté la disposition sur le proxénétisme, car je pense qu'il faut l'analyser de façon un peu différente. J'ai entre autres dit en cour qu'il faut examiner le cas des vendeurs et le cas des acheteurs séparément concernant les effets de cette disposition, mais la cour n'a pas privilégié cette avenue. Bien sûr, ce sont trois femmes prostituées ou anciennement prostituées qui ont interjeté appel et qui voulaient dorénavant exploiter des entreprises et tirer profit de la prostitution des autres. Elles mettaient l'accent sur la liberté et la sécurité des personnes.
    Si nous analysons la situation autrement et qu'une infraction distincte criminalise et permet d'accuser l'acheteur, ce sont les droits constitutionnels de ce dernier qui sont maintenant remis en cause. Une femme pourrait protester que la criminalisation de l'acheteur viole les droits des prostituées. Cependant, une telle contestation s'éloigne de l'affaire Bedford, car la sécurité de l'acheteur n'est pas menacée. La liberté de l'acheteur criminalisé est restreinte comme dans toutes les dispositions du Code criminel, mais il s'agit d'une question de moindre importance que la sécurité de la personne. Il faut faire l'équilibre entre cette liberté et des objectifs bien plus clairs et bien meilleurs.
    La Cour suprême a notamment rejeté l'argument des procureurs de l'Ontario, selon lequel il faut mettre de l'avant la dignité et l'égalité dans l'objet des anciennes dispositions. La cour a affirmé qu'il s'agit du point de vue opposé et que l'analyse aurait été différente, si cet objet était déjà mentionné. Je pense que cette position est très influente et qu'elle transparaît dans la décision de la Cour d'appel de l'Ontario.
    Selon moi, c'est le genre de facteurs qui change l'analyse. Si nous maintenons la disposition qui criminalise les prostituées dans la rue où des jeunes peuvent se trouver, je crains que ce soit plus difficile de faire valoir que les acheteurs exploitent et discriminent les prostituées. Nous nous concentrons sur le responsable de la discrimination et de l'exploitation.
    Je ne pense pas qu'il est nécessaire de prouver que toutes les prostituées sont victimes de toutes les inégalités possibles et qu'elles ont commencé jeunes. C'est une tâche impossible et inutile, au bout du compte. Il convient de savoir comment le code aide les prostituées et pourquoi ce sont en grande majorité des femmes de minorités visibles, des Autochtones et des femmes qui étaient prises en charge par l'État et qui ont été agressées sexuellement. Il ne faut pas nécessairement que toutes les prostituées se retrouvent dans cette catégorie pour qu'un tel facteur soit considéré comme important dans l'analyse constitutionnelle.
    Madame Nagy, on nous a beaucoup répété qu'il importe de décriminaliser tous les aspects de la prostitution pour que les femmes soient en sécurité.
    J'aimerais entendre votre commentaire là-dessus et sur ce qui s'est produit en Nouvelle-Zélande, lorsque la prostitution a été légalisée. Il faut étudier cet exemple, n'est-ce pas? Pouvez-vous commenter la question?

  (1425)  

    Je signale tout d'abord qu'en écoutant la discussion, mon attention se porte sur les arguments avancés. Je ne crois pas qu'il s'agit d'un débat sur les prochaines dispositions qui seront adoptées, mais plutôt sur la direction qu'entend prendre la société canadienne. On cherche à savoir si une mère va accepter que sa fille veuille se prostituer, lorsqu'elle sera grande.
    Les termes comme travailleurs du sexe me préoccupent beaucoup, car il ne s'agit pas de travail. Selon moi, la personne qui se fait battre, se fait frapper au visage et se fait plaquer au sol avec un pistolet sur la tempe, de sorte qu'elle doit se réfugier à la salle de bain et verrouiller la porte en espérant qu'on vienne la sauver, n'est pas en train de travailler. Des femmes se sont fait disloquer la mâchoire. Ce que vous et moi faisons aujourd'hui, voilà ce que j'appelle du travail. Mais si chaque jour on risque d'être exploité et battu, nous ne devrions pas appeler cela du travail. Il faudrait peut-être employer des termes différents durant nos prochaines discussions, parce que c'est très offensant.
    Pour répondre à votre question sur la décriminalisation, madame Smith, je travaille en première ligne avec la police au quotidien. Nous voyons des victimes de traite et, bien sûr, des femmes qui se prostituent de leur propre gré, mais elles ont bien plus que 20 ou 25 ans. Ces dernières assument leur choix, mais il a été fait dans des circonstances très pénibles. Elles étaient déjà des victimes.
    Je pense qu'en tant que société, nous devons choisir la direction que nous voulons prendre et indiquer ce que nous souhaitons pour la prochaine génération. Il faut établir ce qui est juste selon les jeunes: vendre leur corps ou aller à l'université et au collège.
    Il y a aussi un autre débat. Mme Sayers a dit qu'elle n'a jamais rencontré une prostituée de moins de 18 ans. Pourtant, l'étude sur la prostitution de la société John Howard indique qu'on commence à se prostituer en moyenne entre 14 et 16 ans, comme vous l'avez dit, madame Nagy. Selon le Journal of Interpersonal Violence, 89 % des prostituées commencent avant 16 ans. Selon l'ouvrage An International Handbook on Trends, Problems, and Policies, les jeunes qui se prostituent au Canada commencent entre 13 et 19 ans.
    Je sais que le professeur Lowman et d'autres ont donné un point de vue différent, mais 52 % des prostituées ont commencé avant 16 ans, d'après une étude canadienne pour enrayer la violence contre les femmes. De multiples recherches valident vos propos et les miens.
    Cela dit, nous parlons d'un tournant. Je pense que vous avez été très éloquente...
    Madame Smith, veuillez poser une question tout de suite si vous voulez obtenir une réponse, sinon votre temps sera écoulé.
    Madame Benedet, pouvez-vous nous parler de recherches qui portent là-dessus? Vous avez réalisé bien des études sur l'âge où les jeunes commencent à se prostituer.
    Environ 24 femmes ont témoigné dans l'affaire Bedford, à la demande du gouvernement et de la poursuite. Les deux parties avaient le choix d'appeler qui elles voulaient à la barre. C'était une sélection très intéressante de prostituées.
    Parmi ces 24 femmes, bon nombre ont commencé à se prostituer à 18 ans ou avant, dont les trois demanderesses elles-mêmes qui ont commencé à 15, 16 et 18 ans. Ce sont les femmes qui ont été choisies pour être entendues dans cette affaire.
    Il y en avait d'autres. Je pense que la plus âgée dans le groupe des 24 femmes avait 27 ans. Ses quatre enfants étaient à la charge des services de protection de la jeunesse, car son conjoint l'avait rendue dépendante à la drogue avant de l'amener à se prostituer.
    C'est clair que ces prostituées ont commencé à des âges différents, mais bon nombre d'entre elles étaient adolescentes et avaient des perspectives d'avenir très limitées. Ces femmes fuient souvent des situations d'abus subis à la maison ou dans le cadre des services publics.
    Je pense que le professeur Lowman a dit vrai. Un certain nombre d'études selon lesquelles la prostitution commence très jeune portent sur des prostituées qui font la rue. Au Canada, bien plus d'études concernent la prostitution de rue que celle qui s'inscrit dans d'autres contextes.

  (1430)  

    Merci beaucoup de ces questions et réponses.
    Nous passons à Mme Péclet, du NPD.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le Président.
    Je remercie également tous les témoins d'être présents parmi nous aujourd'hui. Nous avons une discussion extrêmement intéressante.
    Tous les avocats présents dans la salle savent que les avis juridiques diffèrent d'un avocat à l'autre. C'est important de noter que le but de la discussion n'est pas de savoir quel avocat a raison, mais bien de déterminer quel est le meilleur projet de loi pour tous les Canadiens et les Canadiennes qui sont touchés par ce problème.
    La décision de la Cour suprême du Canada est extrêmement importante, tout comme la règle de droit. Cependant, on doit aussi se concentrer sur la sécurité, la santé et la vie de toutes les femmes et de tous les hommes, car ce problème ne touche pas uniquement les femmes.
    Voilà. Je voulais commencer par cela.

[Traduction]

    Soyez très attentifs, s'il vous plaît. J'ai beaucoup de questions et très peu de temps.
    Ma première question s'adresse à Mme Nagy, qui représente Walk With Me Canada Victim Services. Je tiens simplement à dire que votre témoignage m'a beaucoup touchée. Merci beaucoup d'être venue raconter votre histoire personnelle. Je pense que personne, homme ou femme, ne devrait être battu et agressé sexuellement. Je pense que tout le monde ici est d'accord que les personnes que vous aidez se trouvent dans une situation très fâcheuse et qu'il s'agit d'un crime. Ce que vous avez décrit dans votre témoignage est déjà prévu dans le Code criminel, qui interdit de consentir à se faire battre ou agresser sexuellement. Je pense qu'il importe de souligner clairement qu'il n'est pas permis de consentir à subir de tels actes. Même si on a consenti à d'autres gestes au départ, on ne peut pas accepter de se faire agresser sexuellement. Je pense que le Code criminel le précise et que c'est important de le faire remarquer.
    Je veux simplement vous poser des questions sur toutes les femmes ou sur tous les hommes que vous aidez et qui sont particulièrement vulnérables. Le gouvernement propose d'investir 20 millions de dollars sur 5 ans pour tout le Canada, les 10 provinces et les 3 territoires. Comme vous l'avez mentionné dans votre témoignage, des gens se retrouvent dans des situations très vulnérables. Pensez-vous que ce montant est suffisant, en ce qui a trait à l'égalité? Ne pensez-vous pas que le problème principal ne concerne pas forcément la prostitution, mais les conditions de vie, comme la pauvreté ou le passé des prostituées? Pensez-vous que les 20 millions de dollars sur cinq ans proposés par le gouvernement pour tout le Canada sont suffisants?
    Merci beaucoup de vos premiers commentaires et de l'excellente question.
    Je veux dire brièvement que le Code criminel contient déjà des dispositions sur les agressions sexuelles et les agressions, mais elles n'empêchent pas les gens et les proxénètes de battre les femmes.
    Concernant les 20 millions de dollars, vous savez peut-être que, selon une étude, 300 000 jeunes femmes de 16 à 21 ans sont victimes de traite dans l'industrie du sexe aux États-Unis et doivent bien sûr se prostituer. Le gouvernement américain a accordé 10 millions de dollars pour combattre ce fléau. Concernant le gouvernement du Canada et la traite de personnes, il faut savoir que lorsque j'ai été victime de traite il y a 10 ans, aucune disposition ne portait là-dessus. Vous avez réalisé un travail fantastique et créé bon nombre de dispositions visant à nous protéger.
    Quelques années plus tard, vous avez annoncé 20 millions de dollars. L'an dernier, vous avez annoncé 25 millions de dollars pour lutter contre ce problème. Ces deux dernières années, le gouvernement du Canada a donc promis plus d'argent que les États-Unis pour les victimes de traite et d'exploitation sexuelle.

  (1435)  

    Nous parlons de traite et non de prostitution, mais je comprends.
    Ma deuxième question s'adresse aux représentants de la Criminal Lawyers' Association. C'est important, parce que je n'ai pas encore eu le temps de poser des questions aux fonctionnaires. Quelle est la définition de la publicité? Dans l'article sur l'immunité, il est question de publicité pour ses propres services. La sollicitation est-elle incluse? Comment interprétez-vous cet article et l'immunité en général? L'immunité s'applique-t-elle à l'article 213 sur la communication et la sollicitation? Quelle est la différence entre les deux?
    Je vais répondre à votre question brièvement, mais j'aimerais aborder quelques instants ce qu'a dit Mme Benedet.
    Concernant l'objet du projet de loi qui présente des aspects louables, je pense qu'il importe de souligner que la criminalisation de l'acheteur n'élimine pas la possibilité de criminaliser le vendeur. Des gens vont encore invoquer l'article 7 sur la liberté et la sécurité des personnes. La contestation reste possible. Ces arguments n'ont pas encore été rejetés, même si nous criminalisons maintenant l'achat plutôt que la vente elle-même.
    Par exemple, deux prostituées qui travaillent ensemble et qui ont moins de 18 ans sont en infraction. Nous avons parlé du nombre de jeunes qui se prostituent. Nous criminalisons ces deux personnes, qui vont se retrouver avec un casier judiciaire et qui auront beaucoup plus de mal à sortir de l'industrie du sexe.
    Je mentionne simplement que nous n'allons pas éliminer cet argument, qui fait appel à l'article 7.
    Selon mes recherches non exhaustives sur la publication et la communication, un certain nombre de publicitaires pourraient être visés en raison de l'étendue de ces dispositions. Ils pourraient être concernés, parce qu'ils fournissent des services de publicité. D'après ce que je comprends du projet de loi, on peut faire de la publicité, mais de façon privée. Je ne suis pas sûre à quel point il serait utile pour un travailleur du sexe de faire de la publicité en privé. La capacité réduite de mener des contrôles constitue aussi une préoccupation en matière de sécurité pour les travailleurs.
    Merci beaucoup des questions et réponses.
    Nous passons à M. Goguen, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à tous les témoins de leurs témoignages aujourd'hui, qui couvrent un large éventail de questions.
    Si vous permettez, je vais surtout m'adresser à Mme Nagy.
    C'est intéressant de constater qu'au début de votre témoignage, vous vous décrivez comme une survivante, ce que vous êtes sans aucun doute. Selon le vieil adage, ce qui ne tue pas rend plus fort. C'est clair que vous avez renforcé votre organisation, Walk With Me, et que vous méritez des félicitations pour tout le travail que vous avez effectué. Je suis certain que vous allez continuer dans cette voie.
    Nous parlerons des 20 millions de dollars plus tard.
    J'attends votre signal.
    Comme on pouvait s'y attendre, il a été question de la charte. Le projet de loi C-36 vise bien sûr à protéger les victimes de la prostitution, de la violence et de l'exploitation, comme vous.
    Il y a un certain temps, M. Russomanno a affirmé que selon lui, le projet de loi C-36 contrevenait au paragraphe 2b) sur la liberté d'expression et à l'article 7 sur la vie, la liberté et la sécurité de la personne.
    Si je me souviens bien, vous avez dit avoir été violée par trois Russes. Supposons que des policiers aient défoncé la porte et vous aient sauvée. Votre liberté d'expression serait-elle enfreinte? C'est impossible que vous ayez agi librement.
    Je ne comprends pas la question. C'est simplement un problème de formulation. L'anglais est ma langue seconde. Je suis désolée.
    D'accord.
    Vous ne pouviez pas vous exprimer librement en étant violée par trois hommes.
    Vous voulez savoir si j'étais en mesure de dire que c'était un viol?
    Non. Si vous aviez été sauvée, vous n'auriez pas estimé que vos droits étaient violés.
    Vous ne comprenez pas. D'accord.
    Je suis désolée.
    Une voix: [Note de la rédaction: inaudible]
    Mme Timea E. Nagy: Ma réponse est non.
    C'est bien ce que je croyais. Excellent.
    D'accord, j'ai une autre question.
    L'article 7 de la Charte garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Lorsqu'on vous force à commettre des actes sexuels, vous n'agissez pas librement. Il va de soi que l'on contrevient ainsi à votre droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de votre personne.
    Ce n'est pas quelque chose que vous faites de votre plein gré, n'est-ce pas?

  (1440)  

    Absolument pas.
    Alors, si les autorités interviennent en vous indiquant qu'on veut vous aider à vous affranchir de ce commerce sexuel auquel vous ne participez pas librement, allez-vous vous y opposer? Serez-vous en colère contre les autorités? Allez-vous refuser l'aide qu'on vous offre alors même que l'on a porté atteinte à votre droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de votre personne?
    Non, je ne vais pas m'y opposer.
    En fait, c'est exactement ce que nous faisons jour après jour, de concert avec les forces de l'ordre. Nous ne ciblons pas les prostituées et il n'y a pas de descentes policières comme d'autres l'ont laissé entendre dans les médias. Soit dit en passant, il n'était question que de cela dans les médias au cours des trois premières semaines. On n'a jamais pu entendre le revers de la médaille. Je voulais seulement le souligner.
    Il n'y a donc pas de descentes de police. Lorsque nous entrons dans une chambre avec les policiers, c'est pour parler aux filles, et je vous prie de croire qu'elles n'hésitent pas à nous appeler à l'aide lorsqu'elles se rendent compte quelques semaines plus tard qu'elles sont effectivement victimes de trafic. Il arrive qu'elles nous supplient de les sortir de là parce qu'elles ont été kidnappées et sont séquestrées dans leur chambre d'hôtel.
    Votre organisme accomplit donc un travail formidable en sortant les filles de cette situation où elles ne se trouvent pas de leur plein gré pour leur permettre de vivre librement.
    C'est bien ce que vous faites, n'est-ce pas?
    C'est bien cela.
    On a parlé des 20 millions de dollars que versera le gouvernement fédéral pour financer le travail de différentes organisations. Je ne sais pas exactement qui profitera de ce financement, mais je présume que ce sera des organismes comme le vôtre.
    Pourriez-vous nous donner des exemples de programmes que vous pourriez mettre en place si vous bénéficiiez d'un financement semblable? Que pourriez-vous faire de plus pour affranchir ces filles?
    Je ne crois pas que cela devrait se limiter aux programmes comme le nôtre. Je pense que des programmes importants sont offerts également de l'autre côté de l'équation. Des femmes peuvent commencer à se prostituer d'une manière ou d'une autre, et j'estime qu'il y a un moment dans leur vie où elles décident de passer à autre chose, mais il n'est pas facile de quitter cette industrie. Je pense donc que les fonds ne devraient pas aller uniquement à des organismes comme le nôtre, mais aussi à ceux qui ont su acquérir une compréhension approfondie de cette problématique au fil des 10 ou 20 dernières années. Ces gens-là peuvent aider les filles qui souhaitent quitter l'industrie pour leurs propres raisons, et non parce que le gouvernement leur dit de le faire.
    Il y a actuellement des programmes accessibles partout au Canada par l'entremise de différents organismes, et pas seulement de Walk With Me. Comme je l'indiquais, il y a aussi des agences de l'autre côté de l'équation qui offrent du counselling d'emploi et de la thérapie. Lorsque vous vous affranchissez de ce milieu par vos propres moyens ou en obtenant de l'aide, vous avez besoin de beaucoup de thérapie.
    Parmi les services que nous offrons, il y a des refuges d'urgence où l'on peut être hébergé pendant un maximum de trois jours. À la sortie, il devrait y avoir un centre d'évaluation, comme cela se fait déjà aux États-Unis. Comme la prostitution est illégale chez nos voisins du Sud, plutôt que d'imposer une peine d'incarcération, le juge demande aux personnes trouvées coupables de séjourner pendant une période maximale de trois mois dans un centre de traitement et d'évaluation où l'on cherche à déterminer comment la personne est entrée dans l'industrie et comment on peut l'aider à s'en sortir.
    Une loi semblable vient tout juste d'être proposée. C'est ce qu'on appelle un programme de déjudiciarisation dans la région de Los Angeles. Après une période d'évaluation de trois mois qui permet à la personne de relaxer, manger, dormir et prendre une pause de la société, on passe à un programme de réadaptation pouvant durer une année complète que l'on peut fort bien assimiler à une cure de désintoxication. C'est un mode de vie addictif et toute l'aide possible est la bienvenue.
    Tous ces programmes peuvent aider la prostituée à se refaire une santé et à réintégrer la société en tant que membre à part entière capable d'y contribuer et de payer ses impôts.
    Merci.
    Nous passons maintenant à M. Scott du Nouveau Parti démocratique.
    Merci, monsieur le président.
    J'aurais quelques questions concernant la publicité.
    D'après ce que nous avons pu lire et les témoignages que nous avons entendus, il est assez clair qu'une personne qui souhaite annoncer ses services sexuels devra le faire par ses propres moyens, car un tiers qui y contribuerait s'exposerait à la criminalisation. J'ai du mal à voir comment une telle forme de publicité pourrait être efficace.
    Je crains notamment la disparition de ces mécanismes promotionnels qui permettent à une personne de travailler à partir de son domicile ou d'un emplacement fixe, car les restrictions quant aux modalités, aux véhicules publicitaires et à l'implication de tiers pour faire la promotion de cette forme de prostitution feront en sorte qu'il deviendra impossible de filtrer les clients lorsqu'on reçoit leur appel téléphonique ou lorsqu'on les aperçoit lors de leur arrivée au lieu de rencontre. Je ne peux pas vraiment en être sûr, mais j'ai l'impression que les travailleuses et travailleurs du sexe pourraient ainsi être obligés de s'en remettre à nouveau au racolage dans la rue.
    Monsieur Russomanno, vous avez parlé tout à l'heure de la liberté d'expression à des fins de protection et du fait que les travailleuses du sexe communiquent avec leurs clients pour effectuer un filtrage préliminaire. Vous avez précisé que cette liberté d'expression allait être brimée par cette nouvelle disposition, dont Mme Benedet a également traité, qui empêche de telles communications dans tout endroit où il est raisonnable de s'attendre à ce que des personnes âgées de moins de 18 ans se trouvent à proximité.
    Croyez-vous que les dispositions touchant la publicité peuvent également avoir une incidence sur cette liberté d'expression à des fins de protection?
    Madame Benedet, craignez-vous une intensification des facteurs de risque en raison de l'interdiction pour un tiers de participer à toute forme de publicité au titre de ces activités? Vous avez parlé de l'interdiction de communication dans les endroits où l'on peut s'attendre à ce que des mineurs soient présents, mais vous ne vous êtes pas attardée sur le sujet.
    J'aimerais également savoir ce que les membres de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe pensent des dispositions touchant la publicité.

  (1445)  

    D'accord, nous allons commencer avec M. Russomanno.
    Je vais laisser Mme London-Weinstein vous répondre.
    Il faut notamment se demander ce qu'on entend exactement par lieu public et si l'Internet pourrait être inclus dans cette définition d'un endroit où les jeunes sont susceptibles de se trouver. Les communications en ligne sont du domaine public et s'inscrivent dans un univers aussi vaste que difficile à contrôler. On pourrait sans doute soutenir que l'Internet fait partie des endroits où l'on peut s'attendre à trouver des jeunes et devrait donc être exclu comme véhicule publicitaire.
    D'après ce que j'ai pu lire, les formes de publicité désormais autorisées ne seront pas d'une grande utilité, car le projet de loi impose des restrictions importantes à ce chapitre. Je vais laisser aux autres témoins le soin de vous parler de sécurité, mais on peut notamment craindre que ces restrictions touchant la publicité se traduisent par une incapacité de filtrer, ce qui nous amène directement à nous interroger sur le droit à la sécurité de sa personne en vertu de l'article 7.
    D'accord. Madame Benedet.
    Je ne vois pas très bien comment on peut assimiler ces publicités à une forme de liberté d'expression à des fins de protection, surtout quand on pense aux profits que génère la publication de ces annonces. Il y a des publicités semblables dans le Georgia Straight, le journal local distribué gratuitement à Vancouver. L'estimation la plus fidèle dont je dispose remonte à quelques années. Quelqu'un a tenté de calculer les revenus tirés de ces publicités, et cela se chiffrait à au moins 50 000 $ par semaine.
    Certaines publicités sombrent carrément dans le racisme en répartissant les femmes selon leur origine ethnique et en leur attribuant différents degrés de servilité en fonction de leur race. Il y a des annonces qui réduisent les femmes à certaines parties de leur corps, plutôt que de les présenter comme des êtres humains à part entière. Je constate une culture de la publicité qui, bien honnêtement, est dégradante pour l'ensemble des femmes canadiennes, mais demeure extrêmement rentable pour les groupes concernés. Je ne m'attendais pas à voir une disposition touchant la publicité dans ce projet de loi, mais c'est vraiment un important pas en avant dans les efforts pour mettre un frein à ce genre d'exploitation.
    Même dans les pays où la prostitution a été décriminalisée, il y a souvent des restrictions importantes en matière de publicité. En Nouvelle-Zélande, on n'autorise pas la diffusion de publicité sur les services sexuels à la télévision, à la radio et, si je ne m'abuse, sur les tableaux d'affichage. La publicité imprimée est autorisée et ce sont les tenanciers de bordel qui s'en chargent. Il y a même des coupons-rabais que les clients peuvent utiliser. Je ne vois pas ce qu'il y a de protecteur dans cette forme d'expression et en quoi la publicité peut faire quelque différence que ce soit lorsque vous vous retrouvez seule avec un gars dans votre appartement, peu importe ce que vous aviez négocié au départ.
    Je suis entièrement favorable à cette disposition imposant une interdiction en matière de publicité aux annonceurs qui en tirent des bénéfices tout en exemptant clairement les prostituées de manière à ne pas les criminaliser de façon détournée. J'aime bien la structure de cette disposition qui se distingue nettement à mon avis de celle touchant la communication qui a pour effet de criminaliser toutes les femmes se livrant à la prostitution de rue dans des zones résidentielles, ce qui représente vraiment à mes yeux un pas en arrière.

  (1450)  

[Français]

    Madame Sayers va répondre en premier. Je vais répondre à cette question par la suite.

[Traduction]

    Pour ce qui est de la publicité par des tiers, il arrive que des travailleuses du sexe utilisent un site en ligne et cet article y fait spécifiquement référence. Parfois, les modérateurs et les propriétaires de ces sites offrent aux travailleuses du sexe un accès exclusif à la liste précieuse des clients non recommandables. En criminalisant ces actions, on éliminerait cette possibilité d'accès à un outil qui peut être extrêmement précieux pour assurer la sécurité des travailleuses.

[Français]

    Dans l'annonce que je publie, je ne me réduis pas à un objet ou à des parties de mon corps. J'y explique un peu ma personnalité. J'y mentionne surtout les services que je veux offrir et les prix que je demande pour ces services. Je mentionne aussi les services que je ne veux pas offrir.
    Le fait de mettre en avant ma publicité me permet déjà de faire une négociation préalable relative à mon offre de services. Si je n'ai plus le droit de mettre mon annonce en ligne et de réseauter avec mes collègues qui mettent également leur annonce en ligne, je ne pourrai pas non plus vérifier les références de mes clients et je ne pourrai plus travailler à l'intérieur. Il va falloir que j'aille sur la rue pour trouver mes clients. Il va falloir que je me tourne vers des réseaux de trafiquants pour avoir des clients.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    C'est précisément ce que je voulais dire en parlant de protection. Merci.
    Merci pour ces questions et réponses.
    Je pense que nous allons terminer avec M. Dechert du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    Je crois, madame Laliberté, que ce que vous venez de décrire correspond exactement à ce que le projet de loi C-36 vous permettrait de faire. C'est assurément ce que je comprends.
    Ce n'est pas le cas, car le projet de loi C-36 entraînerait la fermeture de tous les sites Web où je peux faire la promotion de mes services.
    Non, pas si vous payez pour ces services en fonction des conditions en vigueur sur le marché.
    Mme Émilie Laliberté: Vous dites?
    M. Bob Dechert: Pas si vous payez pour la publicité selon les conditions normales du marché. Autrement dit, si on ne vous exploite pas, vous pouvez le faire. Vous pouvez créer votre propre site Web.
    Vous me considérez comme une personne exploitée de toute manière.
    Non. Je dis simplement que si vous vous en chargez vous-même, si vous payez quelqu'un pour vous créer un site Web en lui indiquant les services que vous offrez, je ne pense pas que vous serez criminalisée. Cette forme de publicité serait autorisée.
    L'avenir nous le dira.
    Nous verrons bien.
    Permettez-moi de passer à un autre sujet. Plusieurs de nos témoins ont parlé de la Nouvelle-Zélande, monsieur le président, et certains ont soutenu que c'était peut-être le modèle à suivre. Je pense que c'est ce que nous ont dit les représentants de la Criminal Lawyers' Association. Je crois que M. Lowman l'a indiqué également. Les représentants de l'alliance ont aussi déclaré quelque chose dans ce sens-là.
    Madame Benedet, vous avez cité l'exemple de la Nouvelle-Zélande. J'aimerais que vous nous indiquiez quelle était la situation avant l'adoption des nouvelles lois comparativement à ce qui se passe actuellement au chapitre de la prostitution de rue et de la participation des femmes autochtones. Pouvez-vous nous dire comment vous percevez l'expérience néo-zélandaise?
    Il y a d'abord un aspect à prendre en compte lorsqu'on veut établir des comparaisons avec la Nouvelle-Zélande. J'estime utile de considérer ce qui se fait ailleurs, et j'ai moi-même demandé à ce que le Canada puisse s'inspirer de l'expérience suédoise, mais il faut tenir compte du fait que la Nouvelle-Zélande est un très petit pays qui est isolé géographiquement. Son voisin le plus rapproché, l'Australie, a pour ainsi dire légalisé la prostitution. De par notre proximité avec les États-Unis, notre situation est différente, et nous devons nous montrer prudents avant d'établir des parallèles quant aux avantages et inconvénients de différentes méthodes.
    À la lumière des résultats de recherche provenant du gouvernement néo-zélandais et du collectif des travailleurs du sexe de ce pays, en quelque sorte le groupe le mieux établi à appuyer le modèle néo-zélandais, il ressort généralement que le nombre de cas de violence signalés n'a pas changé. Ils sont moins fréquents à l'intérieur que dans la rue, mais n'ont pas fluctué depuis l'adoption de la loi. La situation est demeurée inchangée.
    Dans des villes comme Christchurch, le nombre de femmes qui se prostituent dans la rue n'a pas changé depuis l'adoption de la loi, et les Autochtones comptent pour une proportion démesurée de ces femmes.
    Une chose a toutefois changé, et les groupes favorables à ce projet de loi l'ont constaté également. On note en effet une augmentation considérable du nombre d'étrangères, et de Chinoises notamment, qui se livrent à la prostitution en Nouvelle-Zélande. D'après ce que je puis comprendre, elles compteraient maintenant pour environ le tiers des travailleuses de l'industrie alors même qu'elles ne sont pas légalement autorisées à se prostituer du fait qu'elles ne sont pas citoyennes du pays. La loi néo-zélandaise exige en effet que l'on détienne la citoyenneté pour pouvoir se livrer à la prostitution.

  (1455)  

    Dans l'arrêt Bedford, la Cour suprême nous a dit que la prostitution de rue est la forme de prostitution la plus dangereuse qui soit. Êtes-vous d'accord?
    Je pense qu'il faut être prudents dans nos conclusions, car plusieurs prostituées ont été assassinées au cours des dernières années à Vancouver alors qu'elles travaillaient à domicile ou dans des maisons de passe.
    C'est dangereux dans bien des endroits, mais...
    Quand à l'ampleur du risque encouru, le fait est que si l'on prend ces femmes qui sont dans la rue pour les faire travailler à l'intérieur... Ce n'est pas l'emplacement lui-même qui est dangereux, ce sont les hommes qui peuvent s'en prendre à ces femmes.
    En fin de compte, ce sont les femmes se situant au bas de la hiérarchie sociale qui doivent dans tous les pays du monde subir les formes les plus brutales et les plus dégradantes de la prostitution, que ce soit à l'intérieur ou dans la rue.
    Pouvez-vous nous parler de l'ethnicité des personnes qui forment le plus gros des effectifs de la prostitution de rue en Nouvelle-Zélande? Avez-vous des données à ce sujet?
    Oui. Bon nombre des études réalisées dans différentes villes canadiennes révèlent que le nombre de femmes autochtones parmi les prostituées de rue est nettement démesuré par rapport à leur représentation au sein de la population. C'est assurément ce que nous pouvons constater à Vancouver. C'est aussi le cas à Winnipeg. Je sais qu'Andrew Swan, le procureur général du Manitoba, n'a pas manqué de souligner cette particularité.
    Il n'y a aucun doute dans mon esprit: les femmes autochtones sont surreprésentées dans les rues des villes canadiennes.
    Est-ce la même chose en Nouvelle-Zélande?
    Oui, c'est le cas aussi pour la Nouvelle-Zélande.
    J'aimerais connaître le point de vue de Mme Sayers à ce sujet.
    Madame Sayers, vous avez dit travailler avec les femmes autochtones au Canada. Que savez-vous de la situation en Nouvelle-Zélande? Quelles femmes retrouve-t-on principalement dans la rue? S'agit-il des Autochtones? Est-ce que l'adoption d'un nouveau modèle a réduit le nombre de ces femmes?
    En 2007, un sondage a été effectué auprès de plus de 700 prostituées maories. Elles ont indiqué qu'elles ne vivaient plus sous la menace de la violence en soulignant qu'elles étaient plus à l'aise de signaler les comportements violents, non seulement de la part des clients, mais aussi de la population en général. Il faut se rappeler que la violence est présente sous différentes formes et ne vient pas seulement des clients. Comme je l'indiquais dans mon exposé, il y a aussi de la violence institutionnelle et systémique.
    Diriez-vous que le nombre de femmes autochtones dans les rues des villes de la Nouvelle-Zélande est le même qu'avant les changements apportés aux lois du pays?
    Il n'a pas changé, mais ce n'est pas...
    Non, j'ai déjà entendu les autres arguments, mais je voulais seulement préciser ce point.
    Mais les femmes sont plus à l'aise de signaler les cas de violence, ce qui est primordial.
    J'aimerais connaître le point de vue de M. Lowman à ce sujet. Il a indiqué qu'il préconisait la légalisation complète pour le Canada. Il a aussi parlé de restrictions de zonage en soulignant que l'activité ne devient pas nécessairement plus sûre du seul fait qu'une ville décide de l'endroit où elle se tiendra. J'aimerais qu'il nous dise quel emplacement serait selon lui le plus sûr pour la prostitution de rue. Quels règlements municipaux devrions-nous adopter pour assurer une plus grande sécurité aux personnes qui se livrent à la prostitution de rue? Pouvez-vous nous parler de ce qui a été fait en Nouvelle-Zélande à ce chapitre?
    Monsieur Lowman, c'est vous qui allez conclure.
    Je veux d'abord préciser que nous semblons tous être à la recherche d'une panacée alors qu'il n'en existe pas. C'est une situation très complexe. J'aimerais que l'on mette fin à la prostitution dans la rue, mais il me suffit de parler aux prostituées du Downtown Eastside pour comprendre qu'elles n'ont nulle part où aller. Ce sont des sans-abri. Leur implication dans la prostitution est loin d'être le seul problème.
    À Vancouver, nous avons noté au fil des ans que les initiatives policières visant à contrer la prostitution dans certains quartiers résidentiels ne font que déplacer le problème. Mais il n'est pas rare que ce déplacement ne se fasse pas intentionnellement. Dans certains cas, la police dit aux prostituées de ne plus travailler dans tel secteur, mais plutôt dans celui-là, et les femmes se déplacent. Si je parle de réglementation municipale, c'est qu'il pourrait être possible d'établir certaines zones où différentes formes d'activités commerciales réglementées pourraient avoir cours, ce qui pourrait s'appliquer aux autres endroits où on se livre à la prostitution. Peu importe le type de réglementation qui pourrait être établi en ce sens, il faut d'abord et avant tout s'assurer de consulter les personnes qui seront visées par cette réglementation, à savoir les travailleurs et les travailleuses du sexe, ceux-là même dont on ne demande jamais l'avis quant aux règlements qui leur apparaissent appropriés.
    C'est la raison pour laquelle je ne me présente pas avec un plan d'action précis. Il faut d'abord s'asseoir avec les gens qui seront visés par ces mesures pour voir ce qui apparaît logique à leurs yeux, car sinon rien de tout cela ne fonctionnera.

  (1500)  

    Pourriez-vous parler brièvement de la Nouvelle-Zélande après quoi nous devrons conclure.
    Vous m'entendez, monsieur Lowman?
    Que pensez-vous de l'expérience néo-zélandaise quant à la réglementation touchant les endroits où la prostitution de rue peut être autorisée?
    Je ne connais pas tous les détails concernant les lois régissant la prostitution de rue. Nous savons toutefois qu'elle existe toujours. On n'a pas trouvé de panacée, mais j'estime que la documentation disponible peut nous en apprendre beaucoup plus sur l'expérience de la Nouvelle-Zélande que ce que nous avons pu entendre aujourd'hui.
    D'accord. Merci beaucoup.
    Merci à tous nos témoins de leur participation à notre séance.
    Notre comité va tenir des réunions — et nous en avons une autre tout à l'heure — jusqu'à jeudi à 17 h 30. Nous déciderons alors de la suite des événements. Toutes nos séances sont télévisées et les gens peuvent venir y assister.
    Un grand merci pour vos témoignages.
    La prochaine réunion débutera à 15 h 30. La séance est levée.
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