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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des finances


NUMÉRO 076 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 23 avril 2015

[Enregistrement électronique]

  (0845)  

[Traduction]

    Je déclare la séance ouverte. Il s'agit de la 76e séance du Comité permanent des finances. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons notre étude sur le financement du terrorisme au Canada et à l'étranger.
    Nous sommes heureux d'accueillir quatre témoins ici, à Ottawa. Il nous en manque toujours un. Je pense qu'il a été retardé. Nous avons également un invité du Royaume-Uni.
    Tout d'abord, nous allons entendre Micheal Vonn, directeur des politiques au sein de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique; M. Garry Clement, président et chef de la direction de Clement Advisory Group; Koker Christensen, associé de Fasken Martineau DuMoulin; puis nous attendrons Matthew McGuire, de MNP S.E.N.C.R.L., s.r.l., qui devrait être ici d'une minute à l'autre.
    Enfin, M. Haras Rafiq, de la Quilliam Foundation, témoignera à titre personnel et par vidéoconférence depuis London.
    Bienvenue à tous. Je vous remercie infiniment d'être des nôtres ce matin.
    Chacun d'entre vous disposera de cinq minutes pour faire sa déclaration liminaire, après quoi nous enchaînerons avec une période de questions. C'est l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique qui ouvre le bal.
    L'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique exhorte le comité à entreprendre une étude sur le rôle du Canada dans la lutte contre le financement du terrorisme. Dans ce dossier, nous estimons que le Canada manque de processus de surveillance et d'examen, et il sera d'autant plus important d'y remédier avec l'adoption du projet de loi C-51.
     CANAFE est évidemment un élément clé de la stratégie du Canada lorsqu'il s'agit de dissuader et de détecter le financement des activités terroristes. Les audiences consacrées à l'examen de la politique de la Commission Arar constituent l'analyse la plus exhaustive sur la reddition de comptes en matière de sécurité nationale jamais entreprise par le Canada. Comme vous le savez sans doute, la Commission d'enquête a recommandé la création d'un mécanisme d'examen pour les organismes de sécurité nationale, dont CANAFE. Cependant, rien de tel n'a été créé. Entretemps, les vérifications de CANAFE par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, le CPVP, ont démontré une collecte et une conservation excessives de renseignements personnels. Alors que CANAFE lui-même soutient que l'une de ses principales mesures de protection de la vie privée est son indépendance par rapport aux organismes d'application de la loi, cette indépendance sera purement fictive si le projet de loi C-51 est adopté.
    Comme le commissaire à la protection de la vie privée l'a indiqué dans son témoignage devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, le projet de loi C-51 mettrait l’ensemble des renseignements personnels détenus par tout ministère concernant des Canadiens à la disposition de 17 ministères et organismes fédéraux, dont CANAFE, la GRC, le SCRS, le CSTC et l'ARC. Tous ces 17 ministères seraient en mesure de recevoir des renseignements sur n'importe quel Canadien lors de ses interactions avec le gouvernement sans qu'on ne tienne compte de leur mandat respectif.
    L'adoption de ce projet de loi devrait donner lieu à une série de contestations judiciaires, et la situation étant ce qu'elle est, il serait urgent d'évaluer le mandat et le rôle de CANAFE par rapport aux autres organismes chargés de la sécurité nationale. Chose certaine, cela implique un examen de son efficacité.
    Les rapports de vérification du CPVP font écho à ce qui a été dit dans le rapport du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, paru en 2013, intitulé: « Suivre l’argent à la trace: Le Canada progresse-t-il dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes? Pas vraiment ».
    Il semblerait qu'il y ait un manque d'information pour nous permettre de bien évaluer si le régime canadien atteint ses objectifs. Toutefois, aucune preuve empirique ne nous laisse croire que c'est le cas. Au contraire, le peu de preuves dont nous disposons indique qu'il y a beaucoup moins de financement d'activités terroristes qu'on serait porté à le croire ou que le régime n'est pas très efficace pour détecter ce financement. Cependant, étant donné qu'on ne comprend pas la nécessité ni l'efficacité du régime, notre réaction se traduit par l'utilisation de pouvoirs envahissants; une divulgation plus large de renseignements sensibles et de renseignements personnels hautement préjudiciables; un lourd fardeau administratif imposé au secteur privé; et davantage de ressources pour CANAFE et ses partenaires.
    Pour CANAFE, qui fait partie de notre système de sécurité nationale, le secret est nécessaire jusqu'à un certain point. Mais à l'heure actuelle, ce secret constitue un manquement au chapitre de la reddition de comptes. Aucun organisme d'examen ne peut nous dire si CANAFE fait son travail adéquatement, efficacement et légalement.
    L'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique estime qu'il est grand temps de mener une évaluation sérieuse de la nécessité du régime et des moyens les plus efficaces et responsables de mener cette lutte tout en protégeant le droit à la vie privée.
    Merci beaucoup.

  (0850)  

    Merci beaucoup pour votre exposé.
    Je cède maintenant la parole à Garry Clement.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner à cette audience.
    Je tiens également à vous remercier de m'avoir permis de présenter un document qui est assez volumineux. Évidemment, je ne le passerai pas en revue ce matin, mais je vais tout de même en exposer les grandes lignes, si vous me le permettez. J'aimerais vous parler de ce que je vois du point de vue opérationnel. J'ai travaillé pendant 34 ans comme agent d'application de la loi et pendant plus de sept ans comme consultant dans le domaine de la conformité. Cette expérience m’a donné l’occasion, fort rare, de comprendre deux perspectives très différentes.
    Je pense que nous devons accepter que les terroristes estiment être en guerre et ne respectent aucune règle ni aucun uniforme. Ils se camouflent dans les populations civiles pour déchaîner leur fureur contre des cibles qui ne se doutent de rien ou contre des structures symboliques. La réalité est qu'ils sont partout, et je pense que nous devons l'accepter. L’expansion de notre action militaire en Syrie continuera de nous placer dans la mire des extrémistes et nous devons être plus vigilants que jamais.
    Il est extrêmement difficile de repérer les activités suspectes dans les établissements financiers, surtout s’il s’agit de financement d’activités terroristes. Selon moi, il doit y avoir un effort plus concerté sous la forme d'un partenariat public-privé; la collaboration entre les organismes d’application de la loi et les établissements financiers est indispensable. Je sais qu'il s'agit de renseignements sensibles, mais je crois fortement que nous pourrions désigner un agent de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité dans les banques en lui accordant les autorisations de sécurité nécessaires. Cette personne pourrait agir à titre d'intermédiaire dans les situations d'urgence, entre autres.
    Je peux vous donner un exemple. J'arrive à peine d'une conférence sur les crimes financiers qui s'est tenue à New York. L'une des agentes principales de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité a dit avoir été contactée par le FBI au milieu de la nuit au sujet d'une affaire très grave. Étant donné la relation qui avait été établie, elle s'est rendue à la banque et a pu extraire toutes les données sur les transactions financières suspectes, ce qui s'est avéré très utile pour l'enquête. Lorsqu'il est question de terrorisme, il est essentiel de pouvoir réagir rapidement.
    Je considère que le gouvernement doit se faire plus efficace et plus efficient dans les moyens d’aider les établissements financiers à repérer les activités suspectes. Il doit fournir aux établissements financiers des typologies susceptibles d’être utilisées pour la surveillance des opérations financières afin de détecter ce que nous cherchons tous à réprimer: le financement du terrorisme et du crime organisé.
    Par ailleurs, j'aimerais souligner que les sanctions qui ont été imposées à des pays comme la Syrie étaient fort louables. Je pense que nous sommes tous d'accord là-dessus. Toutefois, lorsque ces sanctions ont été prises, beaucoup de banques canadiennes ont fermé toutes les entreprises de services monétaires faisant affaire avec la Syrie. Malheureusement, ces transferts se font désormais dans le cadre d’une économie clandestine. Ni les organismes d'application de la loi ni les organismes de renseignements... Je peux vous dire qu'au cours des dernières années, j’ai déposé plusieurs rapports de renseignement grâce aux informations fournies par des sources iraniennes proches, et on n'a donné suite à aucun d'entre eux. Je vois encore des annonces de ces services dans les journaux.
    Cette situation me préoccupe énormément, parce qu'elle dure depuis quatre ans. Je ne sais pas à quel point c'est lié au financement du terrorisme. Nous devons reconnaître que nous accueillons de nombreux étudiants syriens tous les ans et qu'ils ont besoin de transférer des fonds entre la Syrie et le Canada. Selon moi, les entreprises de services monétaires devraient faire l'objet d'un examen indépendant — dans mon cas, c'était de façon trimestrielle —; nous saurions ainsi exactement ce qui se passe et qui sont ces gens. Je dirais que c'est beaucoup mieux qu'une économie clandestine.

  (0855)  

    J'aimerais également signaler que pour faire enquête sur les crimes financiers, il faut énormément d’expertise. En ce qui me concerne, j'ai eu de la chance; je suppose que j'étais une anomalie au sein de la GRC, parce que j'ai commencé en 1983 à l'unité des produits de la criminalité et du blanchiment d'argent, qui en était encore à l'état embryonnaire, sous la direction de Rod Stamler. J'ai aidé à mettre le programme sur pied. Je peux vous dire qu'au fil des années, j'ai ressenti beaucoup de frustrations. J'ai fini par diriger le programme, et j'ai vu des experts franchir la porte à cause de notre vieille mentalité selon laquelle nous devions avoir un système fondé sur les grades. Il s'agit d'une philosophie du XVIIIe siècle pour lutter contre un crime du XXIe siècle. Les compétences doivent être une condition absolue. Il faut acquérir cette expertise. Je peux vous dire que lorsque j'ai quitté la GRC, j'avais en moyenne 1,7 an d'expérience.
    Il vous reste une minute.
    Merci beaucoup.
    Je considère que nous devrions également envisager les technologies biométriques. L'identification est une exigence de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, et souvent, cette identification se fait dans le cadre d'une intégration indirecte.
    J'ai également parlé d'un système comme Skype, grâce auquel l’intervieweur pourrait parler directement au client proposé, prendre connaissance visuellement de son passeport puis comparer les photos. Je pense aussi que nous avons besoin de la même aptitude technologique, notamment de la biométrie de reconnaissance faciale, aux bureaux des frontières.
    En terminant, les guichets automatiques privés sont un souci croissant. Je l'ai indiqué à maintes reprises; on semble penser qu'ils ne présentent aucun risque. Je recommande fortement au comité que les guichets automatiques privés soient assujettis au régime.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Christensen, la parole est à vous.
    Je suis un associé du cabinet d'avocats Fasken Martineau. Mon point de vue sur les dispositions législatives relatives au financement des activités terroristes est principalement celui d'un conseiller auprès d'institutions financières et d'autres entités visées. Mes observations d'aujourd'hui ne sont pas formulées au nom d'un client en particulier, mais reflètent plutôt mon expérience dans le domaine.
    Les types de clients que je conseille dans ce contexte sont les banques, les sociétés de fiducie, les compagnies d'assurance-vie, les caisses de crédit et les divers types d'entreprises qui feraient partie de la catégorie des entreprises de services monétaires.
    Les institutions financières avec qui je fais affaire sont surtout préoccupées par le fardeau réglementaire. Cela n'a rien à voir avec le financement du terrorisme; il s'agit d'autres types de règlements et d'exigences en matière de gestion du risque, mais cela s'étend aussi aux exigences relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes.
    Tous les deux ou trois ans, depuis que la loi actuelle a été adoptée, on y a apporté des modifications importantes et on a étendu son application afin de combler les lacunes et de resserrer les exigences. Cela a donné lieu au régime actuel, qui est un régime assez lourd.
    Je pense qu'on s'entend généralement pour dire que le financement des activités terroristes est un enjeu important. Si on veut prendre cette question très au sérieux, il est essentiel que les institutions financières puissent recueillir beaucoup d'information sur leurs clients et surveillent leurs transactions de près, mais il faut garder à l'esprit que toutes ces mesures entraînent des coûts pour les institutions concernées.
    C'est surtout un problème pour les petites institutions. Les grands établissements financiers ont de vastes équipes de spécialistes qui se consacrent à ce domaine. Toutefois, les petites institutions n'ont pas les ressources nécessaires pour faire ce travail et peuvent se retrouver dans une situation difficile; elles sont assujetties aux mêmes exigences que les grandes banques sans toutefois avoir les mêmes ressources.
    La raison en est que, dans une large mesure, la loi est universelle; la même loi s'applique pour tout le monde. Certains de ses principes sont fondés sur le risque, et les attentes des organismes de réglementation, tels que le BSIF, varieront selon la nature de l'institution, mais bon nombre des exigences législatives sont des exigences minimales. Elles doivent être respectées quelque soit la taille de l'institution, et cette situation peut nuire considérablement à la capacité d'une institution de soutenir la concurrence. Je vous recommande donc d'en tenir compte au moment de réviser ces exigences.
    Si vous envisagez de modifier les exigences ou d'en adopter des nouvelles, il sera important de prêter attention à l'impact potentiel de ces exigences sur les pratiques commerciales des établissements financiers. Nous devons veiller à ce que les exigences soient réalistes et qu'elles puissent être mises en pratique, à la lumière des activités actuelles des firmes visées, de sorte que celles-ci n'aient pas à dénaturer leurs modèles d'affaires simplement parce que la loi a été rédigée d'une certaine manière.
    Enfin, une autre chose que je vois régulièrement, ce sont les entreprises qui effectuent des transferts de fonds dans le cadre de leurs modèles qui sont considérées comme des entreprises de services monétaires.
    Il y a beaucoup d'entreprises qui mènent des activités dans le domaine des paiements — un secteur en pleine expansion — qui sont visées ou potentiellement visées par la définition des entreprises de services monétaires, alors qu'elles ne correspondent pas du tout au type traditionnel d'ESM.
    Il faut accorder une attention particulière à ces types d'entreprises pour s'assurer qu'on n'applique pas à ces établissements des exigences qui ne les concerne pas et qu'on maintient un bon équilibre afin de ne pas étouffer l'innovation...

  (0900)  

    Merci pour votre exposé.
    Monsieur McGuire, je vous souhaite la bienvenue. Vous disposez de cinq minutes pour faire votre déclaration. Un autre témoin fera ensuite son exposé, après quoi nous enchaînerons avec une période de questions.
    Je m'appelle Matthew McGuire. Je suis le dirigeant national de la lutte contre le blanchiment d'argent de MNP. MNP se classe cinquième parmi les plus importantes firmes comptables au Canada. Mon travail consiste à élaborer des cadres de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent axés sur les risques à l'intention des institutions financières et d'autres entités déclarantes partout au pays. Grâce au gouvernement, j'ai pu aider les gouvernements du Panama et de Trinité-et-Tobago à développer leurs capacités.
    Je suis ravi d'avoir l'occasion de m'exprimer sur les menaces, les préjudices et les contre-mesures liés au financement du terrorisme. J'aimerais aborder deux thèmes: premièrement, le cadre actuel et la façon dont on peut l'améliorer en ce qui a trait aux entités déclarantes et à leurs responsabilités; et deuxièmement, la profession comptable dans le contexte du terrorisme.
    La lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme est véritablement une lutte contre la criminalité, et les législateurs de partout dans le monde estiment que la meilleure façon d'y mettre fin est d'encourager les criminels à abandonner leurs pratiques en leur retirant les incitatifs financiers et en faisant en sorte qu'il soit trop dangereux pour eux de mener leurs activités.
    Dans cette optique, les pays ont adopté des mesures telles que l'établissement d'unités du renseignement financier et la création d'une capacité d'application de la loi dédiée à cette lutte. Ils ont également mandaté les entités déclarantes. Ils ont demandé à ces entités, comme les banques, de maintenir leur propre environnement hostile. Étant donné que les blanchisseurs d'argent et les financiers du terrorisme se réfugient dans des transactions anonymes, opaques et complexes, les environnements dans lesquels ils sont tenus de révéler leur identité, où leurs transactions laissent des traces et où ils font l'objet d'enquêtes leur sont hostiles.
    Évidemment, les normes internationales ont été renforcées à la suite des événements qui ont secoué le monde et qui ont mis en évidence la gravité des menaces terroristes. Les mesures de lutte contre le financement d’activités terroristes visent principalement à rehausser la sécurité publique en privant les terroristes des moyens de financer leurs visées répréhensibles. Au lieu de diminuer les incitatifs financiers, ces mesures sont destinées à priver les terroristes des moyens financiers de poursuivre leurs activités. De plus, elles nous permettent d'obtenir des renseignements sur les réseaux, les méthodes et les moyens des terroristes.
    Les entités déclarantes mandatées, celles a qui on a confié des responsabilités et qui doivent créer un environnement hostile, assument trois responsabilités clés: vérifier les noms; évaluer et gérer le risque de financement du terrorisme; et signaler les opérations douteuses et geler les actifs des terroristes.
    Certaines entités doivent vérifier, de façon continue, le nom de leurs clients, en vertu de la Loi sur les Nations Unies et du Code criminel. C'est sans contredit l'outil le plus important dont elles disposent, mais cet outil n'est pas à point et ne s'est pas révélé très efficace jusqu'à maintenant. Les listes qu'elles utilisent ne sont pas assez détaillées et renferment peu de détails sur les associés ou sont désuètes, et les directives laissent gravement à désirer.
    Tout cela fait défaut parce que la loi est ambiguë, et il n'y a pas de directive exhaustive pour guider les entités sur la fréquence des vérifications. On n'indique pas les domaines qu'il faudrait vérifier, ni les algorithmes qui pourraient être utilisés ou encore les façons adéquates de résoudre des faux positifs. Par conséquent, les entités déclarantes prennent des mesures incohérentes et inégales et, comme Garry l'a indiqué, rien n'oblige certaines entités déclarantes, telles que les entreprises de services monétaires, à titre d'intermédiaires financiers, à exercer une surveillance continue de leurs transactions financières.
    J'ai été heureux de constater que les sanctions économiques faisaient partie du plus récent budget. Toutefois, je recommanderais que ces fonds soient affectés à l'amélioration de la qualité des données disponibles.
    Pour ce qui est de l'évaluation et de la gestion du risque, les entités déclarantes sont tenues, de façon universelle, d'évaluer et de gérer les risques de financement du terrorisme. Pour ce faire, elles doivent bien comprendre les menaces auxquelles elles sont exposées et la gravité de ces menaces. Selon notre expérience, ces entités n'évaluent pas et ne gèrent pas sérieusement le risque de financement des activités terroristes. Au mieux, le sujet est traité de manière superficielle. Les examens réglementaires n'accordent pas plus d'attention à ces lacunes.
    La compréhension de ces menaces vient de l'expérience et du transfert des connaissances. Évidemment, les entités déclarantes ont très peu d'expérience dans le domaine et, par conséquent, elles dépendent du transfert des connaissances. Le Groupe d'action financière nous demande, en tant que pays, de fournir une évaluation des menaces en vue d'éclairer notre évaluation des risques ainsi que les outils que nous concevons. Sans cette information, il est pratiquement impossible de concevoir les outils dont nous avons besoin pour mener cette lutte.
    Comme je l'ai dit, le terrorisme et le financement des activités terroristes ne datent pas d'hier. Le transfert des connaissances doit se poursuivre sans relâche.
    J'aimerais également revenir sur les propos qu'a tenus le professeur Bill Tupman lors de sa comparution devant le comité, le 31 mars dernier. Il a indiqué que les comptables jouaient un rôle clé dans les opérations de lutte contre le financement du terrorisme. Je conviens que n'importe quelle organisation pourrait bénéficier des compétences en comptabilité, mais il faut avant tout s'attaquer aux mauvais éléments.
    En terminant, je rappelle que le terrorisme n'est pas un phénomène nouveau. On n'a qu'à penser aux attentats de Belfast, d'Oklahoma City et d'Air India. Ce phénomène ne peut donc pas justifier la maturité de notre régime de contre-mesures. Pour que la contribution des entités déclarantes soit significative à long terme, elles doivent bénéficier de connaissances approfondies et de renseignements sur les menaces qui pèsent sur nous; de directives exhaustives pour être en mesure de cerner les risques, de détecter les personnes, les transactions et les actifs suspects; et du partage des renseignements.

  (0905)  

    Nous passons maintenant à M. Rafiq.
    Bonjour, monsieur le président. Bonjour aussi aux autres témoins et à toutes les personnes présentes.
    Je m'appelle Haras Rafiq, et je suis directeur général de la Quilliam Foundation, l'un des principaux groupes de réflexion du monde sur la lutte contre l'extrémisme et le terrorisme. Aujourd'hui, je tiens à présenter des témoignages, des recherches universitaires, des recherches fondées sur des éléments probants ainsi que des recherches et des analyses fondées sur l'observation qui démontrent pourquoi cette étude sur les répercussions du financement du terrorisme n'est pas seulement importante, mais vitale et cruciale.
    Nous comptons au sein de notre organisme des gens qui ont des dizaines d'années d'expérience de l'autre côté, car ils ont été djihadistes et terroristes dans le passé, ont purgé leur peine d'emprisonnement et en sont maintenant venus à réfuter l'idéologie et les principes religieux qui les ont incités à se lancer dans de telles activités. Nous avons le point de vue d'islamistes et de terroristes sur les activités et les méthodes de ces terroristes. C'est ce dont j'aimerais vous parler aujourd'hui.
    L'autre aspect de mon expérience dont je souhaite vous parler aujourd'hui, c'est qu'après les attentats terroristes du 7 juillet, j'ai siégé au groupe de travail du gouvernement du Royaume-Uni qui a élaboré la stratégie de prévention de l'extrémisme violent — qui est maintenant notre ancienne stratégie de lutte contre la radicalisation, l'extrémisme et le terrorisme —, stratégie qui a été adoptée, en Amérique du Nord, par les États-Unis et le Canada. Quant à savoir si elle sera efficace, c'est une autre question.
    Je tiens à parler de deux principaux aspects. Il y a d'abord les motivations personnelles et l'importance du financement à cet égard; le deuxième est la radicalisation stratégique et, encore une fois, l'importance du financement qui y est associé. Si nous portons uniquement notre attention sur le financement du terrorisme et que nous ignorons le financement consacré au recrutement et aux motivations qui incitent les gens à devenir des terroristes ou à appuyer les terroristes, nous ne ferons qu'une partie du travail. J'exhorte le comité à élargir la portée de l'étude qu'il entreprend.
    En ce qui concerne les motivations personnelles, elles sont parfois liées au mécontentement, qui peut être partiel, authentique ou perçu. Il faut étudier le cas de ces personnes selon le point de vue des recruteurs extrémistes par rapport aux idéologies islamistes sur lesquelles leur action est fondée. Cela comprend des groupes comme les Frères musulmans, qui mènent maintenant un djihad actif dans des endroits comme l'Égypte, et d'autres qui ont des activités à grande échelle au Canada, en Amérique du Nord et partout dans le monde avec l'appui de nombreuses personnes qui ne les considèrent pas comme des organisations terroristes. En fin de compte, ces organisations offrent des solutions aux gens et les incitent à devenir des terroristes en les amenant à croire en cette vision d'un utopique califat islamiste et aux arguments religieux sous-jacents. Ce n'est qu'en examinant l'ensemble du processus et la façon dont le financement est utilisé pour accompagner les gens dans ce processus fondé sur le mécontentement et les amener à un changement idéologique que nous pourrons réellement lutter contre le financement du terrorisme et en comprendre les répercussions au Canada et ailleurs dans le monde.
    J'aimerais aussi aborder la question de la radicalisation stratégique. Pour favoriser les changements dans l'ensemble de la société — on parle dans ce cas des musulmans en Occident —, les gens qui ont une orientation islamiste doivent enseigner aux jeunes que leurs parents pratiquaient une version de l'Islam qui n'est plus considérée comme légitime, que la société ne veut pas d'eux et qu'ils doivent par conséquent trouver leur place dans une autre société et modifier leurs pratiques. Pour ce faire, ils emploient les mêmes méthodes qui ont favorisé l'expansion du fascisme ou du communisme. Ils créent au sein de divers secteurs de la société un certain nombre d'organisations: des organismes consacrés à l'éducation, des services de pastorale, etc. Ensuite, par l'accroissement de leur capacité et l'éducation, ils persuadent les jeunes de se joindre à eux ou au groupe. Puis, manifestement, ils cultivent le sentiment de mécontentement.
    Des documents de source ouverte provenant de diverses agences de renseignements de partout dans le monde indiquent que certains pays ont, jusqu'à maintenant, dépensé des centaines de milliards de dollars pour favoriser cette radicalisation stratégique qui mène, en fin de compte, au terrorisme. Or, tout cela nécessite du financement. Il y a donc des ONG, des organismes caritatifs et une multitude d'autres organisations qui financent ces activités par l'intermédiaire de sociétés fictives. Pour identifier ces organisations, nous examinons notamment la liste des directeurs et des fiduciaires, et nous cherchons à connaître leurs valeurs idéologiques. Quels sont leurs objectifs? À mon avis, vous ne pourrez être efficaces que si cet aspect fait partie de votre étude.

  (0910)  

    En terminant, j'aimerais dire que c'est quelque chose qui devrait être fait plus fréquemment, pas seulement au Canada, mais aussi partout dans le monde. Il y a très peu de travail et de recherches sur les organisations extrémistes islamistes qui en viendront à financer le terrorisme. Nous savons qu'il y a des cas au Canada. Nous savons qu'il y a des cas en Amérique du Nord et en Grande-Bretagne, mais en tant que gouvernements, nous tardons toujours [Note de la rédaction: difficultés techniques] et j'exhorte le comité à entreprendre cette étude, cette recherche, avec célérité. Si la Quilliam Foundation ou moi-même — à titre personnel — pouvons vous aider ou jouer un rôle quelconque à cet égard, nous le ferons avec plaisir.
    Merci beaucoup de votre exposé.
    Chers collègues, nous avons le temps pour des séries de questions à sept minutes.

[Français]

     Nous allons commencer avec M. Dionne Labelle.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie le témoins d'être ici parmi nous aujourd'hui.
    Ma première question s'adresse à M. Rafiq.
    Je trouve votre entrée en matière très pertinente. Vous dites que si le comité s'occupe uniquement du financement et qu'il ne s'occupe pas des motivations qui mènent au financement du terrorisme, on n'aborde que la moitié du problème. En ce sens, je partage vos inquiétudes. Par les temps qui courent, on met beaucoup l'accent sur la lutte contre le terrorisme en utilisant la collecte de renseignements et des moyens de répression, mais on ne s'occupe pas beaucoup de la « déradicalisation » et on ne s'attaque pas aux motivations qui poussent les gens à se radicaliser. Quelles mesures pourraient être suggérées pour travailler à cet égard? Comment le Canada pourrait-il bien travailler sur ce terrain?

[Traduction]

    Premièrement, je vous remercie de convenir que cette étude pourrait n'être qu'une étude partielle — certains aspects ne seront pas étudiés — et je vous suis très reconnaissant de votre appui à l'adoption d'une approche plus globale à cet égard.
    De nombreuses études et de nombreux éléments peuvent être pris en compte. Nous avons préparé d'excellents rapports sur des organisations de façade et sur la façon dont s'y prennent des groupes comme les Frères islamiques pour créer des sociétés fictives, des organismes fictifs, à des fins d'activités criminelles. Nous savons qu'il y a eu de telles activités au Canada. Un homme que je respecte et que je tiens en très haute estime, M. Tom Quiggin, a présenté un excellent rapport sur des organisations mêlées, au Canada, à la corruption, au trafic de stupéfiants, aux enlèvements, à la manipulation des personnes, à la fraude et à l'évasion fiscale, des organisations qui, une fois qu'elles ont connu du succès, intègrent d'autres organisations.
    Toutefois, pour déterminer quelles sont ces organisations, je conviens qu'il faut tenir compte des processus de radicalisation plutôt que de se pencher nécessairement sur la déradicalisation. Je préférerais que le comité envisage d'intervenir auprès des gens avant qu'ils ne soient radicalisés, avant qu'ils deviennent des sympathisants, avant qu'ils appuient le terrorisme. Si nous voulons réellement combattre et prévenir l'extrémisme violent, nous devons d'abord combattre les idées sous-jacentes.

  (0915)  

[Français]

    Présentement, dans l'esprit du gouvernement et du projet de loi qu'on nous présente, on donnerait ce mandat aux corps policiers. Pensez-vous qu'ils sont les mieux placés pour éviter la radicalisation des jeunes?

[Traduction]

    Une des pires choses que pourrait faire le gouvernement canadien serait de reproduire les erreurs que nous avons faites au Royaume-Uni, soit, dans un premier temps, d'examiner le problème uniquement selon une optique axée sur la criminalité et la loi. En procédant ainsi, le gouvernement a tenté d'éliminer ces problèmes en légiférant. Certaines choses nécessitent des mesures législatives. Certaines choses nécessitent des projets de loi, et d'autres exigent des mesures concrètes de la part des gouvernements. Une des plus graves erreurs commises par notre gouvernement au Royaume-Uni a été de ne pas reconnaître que les services de police et les organismes gouvernementaux ne sont pas les mieux placés pour mener la bataille des idées.
    [Note de la rédaction: difficultés techniques] que les forces policières, les organismes gouvernementaux et les projets de loi ne sont pas les meilleurs instruments pour prévenir la radicalisation de nos jeunes. La meilleure façon d'y arriver — et les finances ont peut-être un rôle clé à jouer à cet égard —, c'est de contrer le recrutement des jeunes de la société civile à des fins terroristes par des radicaux et des extrémistes, en plus de promouvoir, appuyer et favoriser l'intervention de la société civile. C'est quelque chose qui doit venir de la société, mais le gouvernement doit l'habiliter et l'appuyer.

[Français]

     Merci, monsieur Rafiq.
    Madame Vonn, je vais vous poser quelques questions.
     Dans votre présentation, vous avez fait état des inquiétudes du commissaire à la protection de la vie privée au sujet de la circulation d'immenses sources de données, du peu d'encadrement qu'il y a à cet égard ainsi que du manque d'indépendance du CANAFE.
    Que suggérez-vous concernant la reddition de comptes pour s'assurer que toutes ces informations seront utilisées à bon escient? Avez-vous une proposition à faire à ce sujet?

[Traduction]

    Je proposerais deux ou trois choses. Premièrement, je ferai écho aux propos de mes collègues sur les orientations aux organismes. Il y a une surabondance de déclarations des transactions douteuses qui découle en partie — comme l'ont indiqué les représentants des institutions financières devant d'autres comités — de l'absence de lignes directrices et des conséquences auxquelles s'exposent les entités déclarantes si quelque chose leur échappe.
    La déclaration excessive est totalement prévisible, étant donné les poursuites criminelles auxquelles les entités sont exposées en cas de défaillance. Il n'existe aucune ligne directrice dans laquelle on définit la déclaration efficace. Par conséquent, cela donne lieu à la déclaration excessive de transactions douteuses, ce qui n'est d'aucune utilité sur le plan de la sécurité, car nous obtenons des renseignements dont nous n'avons pas besoin. Toutefois, les renseignements saisis dans le système n'en sont pas retirés. Le CANAFE les conserve et, en fait, il est plus économique de procéder ainsi que de charger une personne de les retirer.
    Ce sont là des exemples de pratiques mises en place par le CPVP simplement parce qu'il est moins coûteux de conserver les données que de supprimer celles qui sont inutiles. Avoir des lignes directrices permettrait de régler ce genre de problèmes.
    En ce qui concerne la surveillance, nous avons entendu parler de divers modèles.

[Français]

    Concernant la reddition de comptes, avez-vous une proposition claire à faire qui fera en sorte que ces données seront bien encadrées? Avez-vous un modèle à suggérer?

  (0920)  

[Traduction]

    Certainement; par rapport aux examens, nous préconisons le modèle Arar. Quant à la surveillance, nous aimerions que l'élaboration de politiques fondées sur des faits corresponde à ce que nous appelons une reddition de comptes adéquate.
    Je suis désolée; cela répond-il à votre question?

[Français]

    Je vais y réfléchir.
    Les gens à la GRC qui s'occupent de la lutte contre le blanchiment d'argent ne sont là que pendant un an et demi. Vous trouvez qu'il y a une perte d'expertise. Comment se fait-il que ces gens quittent aussi rapidement? Est-ce la culture...

[Traduction]

    Nous avons environ 10 secondes, monsieur Clément, si vous voulez répondre brièvement. Je suis certain que nous y reviendrons plus tard.
    Très brièvement, je dirais que nous exerçons une surveillance constante de l'expertise. D'abord, pour être embauché, un enquêteur doit avoir les compétences requises. Nous avons vérifié, et l'expérience des enquêteurs varie. La moyenne canadienne est de 3,8 ans et peut être aussi peu élevée que 1,2 an.
    Monsieur Saxton.
    Merci aux témoins d'être venus aujourd'hui. Ma première question est pour Mme Vonn.
    Madame Vonn, dans votre exposé, vous nous avez invités à entreprendre une étude sur le financement du terrorisme. N'est-ce pas ce que nous faisons actuellement?
    Je croyais qu'il s'agissait d'un débat sur une motion visant à déterminer si le comité doit entreprendre une étude.
    Non; il s'agit d'une étude sur le financement du terrorisme.
    Je vois. Dans ce cas, je suppose qu'entendre des témoins constitue une première étape importante. Des gens ont déjà témoigné à divers comités dans le passé, mais ce que nous recommandons, c'est d'obtenir des témoignages qui permettraient au comité d'avoir une idée de l'efficacité du CANAFE.
    D'autres comités qui se sont penchés sur la question — je pense en particulier au rapport du comité sénatorial publié en 2013 — ont indiqué qu'il y a un manque flagrant de renseignements à cet égard. Donc, l'obtention de renseignements serait une étape importante pour ce comité, et d'autres, dans la détermination de ce que le CANAFE devrait faire par rapport à son mandat et ses ressources.
    Vous avez mentionné que l'obtention de données est une tâche trop coûteuse ou trop lourde, mais vous convenez sans doute que la responsabilité du gouvernement est de protéger ses citoyens.
    Évidemment. Par conséquent, nous devons nous assurer d'obtenir les informations requises. La collecte excessive de renseignements est constamment soulevée dans les vérifications du CPVP.
    Donc, la collecte de renseignements ne vous pose pas problème. Vous estimez simplement que trop de renseignements sont recueillis.
    C'est ce que démontrent les vérifications jusqu'à maintenant.
    Merci beaucoup.
    Ma prochaine question s'adresse à M. Rafiq.
    Monsieur Rafiq, quelles sont les nouvelles méthodes employées par les terroristes pour recruter les jeunes?
    Habituellement, nous examinons le djihad en Afghanistan. Nous avons constaté que les participants à ce djihad avaient entre 25 et 35 ans. Nous avons maintenant observé qu'en Occident — on parle de l'Amérique du Nord, de l'Europe et de l'Australie —, la tranche d'âge touchée est maintenant celle des 14 à 25 ans et qu'environ 10 % des personnes qui se rendent en Irak et en Syrie sont des femmes. Il y a déjà là une différence, et je pourrais vous en donner les raisons. Parmi les principaux mécanismes de recrutement qu'on voit actuellement, il y a Internet, les médias sociaux et la radicalisation en ligne. Je commencerais toutefois par cette mise en garde: on ne devient pas terroriste en naviguant sur Internet pour s'acheter un sac à main ou une paire de chaussures. Ce qui se produit, c'est qu'une personne doit être à la recherche d'informations précises, et ce qu'elle trouve est généralement un recruteur charismatique. C'est parfois le contraire, et le recruteur entraîne alors la personne dans ces activités.
    Je pense qu'Internet, les médias sociaux, les téléphones intelligents, les comptes Twitter, Google, Facebook, etc., constituent un nouveau phénomène dans le domaine du recrutement, et je pense que nous sommes tous encore en mode rattrapage.
    Ces recruteurs charismatiques sont-ils dans d'autres pays ou au Canada?
    Les deux, c'est certain. Nous vivons à l'ère de la mondialisation. Jusqu'à ce qu'il soit fermé, l'un des comptes les plus efficaces sur le plan du recrutement sur les médias sociaux était un compte Twitter au nom de « Shami Witness ». À l'origine, personne ne connaissait l'identité du détenteur du compte, mais il a été arrêté il y a quelques mois. L'homme en question ne faisait même pas partie d'Al-Qaïda, de l'EIIL ou d'un groupe du genre. C'était un voyageur qui habitait en Inde et qui recrutait des gens en Amérique du Nord, au Royaume-Uni, en Europe et partout dans le monde et qui leur donnait les moyens d'agir. Il y a aussi dans notre société des gens qui mènent ce genre d'activités, en ligne ou non, mais il doit y avoir un contact direct quelconque, et cela se fait habituellement avec des gens qui vivent parmi nous.

  (0925)  

    Ma prochaine question s'adresse à M. Clement.
    Monsieur Clement, à quelle fréquence l'interruption du flux de capitaux aux terroristes aboutit à des condamnations?
    C'est une très bonne question. Un certain nombre d'études ont été menées, point que le Groupe d'action financière a souligné, je crois. Le secteur particulier dans lequel nous avons été tout à fait inadéquats — et je crois que la vérification de novembre du groupe le montrera une fois de plus — est en ce qui concerne l'application des sanctions contre les crimes financiers. Je pense qu'un certain nombre de facteurs y ont mené, mais si l'on prend les questions de l'application et des poursuites, je crois qu'il est important pour le comité de savoir qu'il existe une affaire intéressante, si vous avez le temps de la consulter, soit l'affaire Chun et Lech, qui s'est déroulée à Montréal. J'y ai témoigné à titre d'expert, à compter de 1993. Cette affaire s'est soldée par une condamnation seulement le mois dernier. Il ne s'agissait pas de terrorisme, mais d'une opération importante de crime organisé impliquant des centaines de millions de dollars d'argent blanchi et retourné au Cambodge. Il a fallu 12 ans pour mener à bien le processus. Pensez aux ressources qui sont mises à contribution dans un cas pareil. Je peux vous dire que la plupart des enquêteurs originaux ont été mutés à de nombreuses reprises pour qu'on puisse passer à travers. C'est le type de choses qui, selon moi, occasionne des problèmes dans notre système.
    Que recommanderiez-vous pour accélérer les choses?
    Je crois que la première chose que nous ayons à faire est de nous assurer d'avoir des procureurs chevronnés dans le secteur de l'application de la loi. Cette expertise facilitera le traitement de ces questions, car elle fera en sorte que les documents soient préparés et présentés par des professionnels, et les procureurs savent comment naviguer le système. Le processus est compliqué. Je ne pense pas que cela se produise aujourd'hui. En fait, je sais que ce n'est pas le cas. J'ai travaillé pour un avocat de la défense très réputé et j'ai jeté un coup d'oeil à des affidavits déposés par des agents de la GRC à titre d'experts, et je peux vous dire que cela me chagrine, car je suis un ancien membre de la GRC et fier de l'être, et je pense qu'il s'agit de travail bâclé. Nous devons faire appel à des personnes d'expérience et, sans elles, nous continuerons simplement sur la même voie. Il s'agit de financement complexe fondé sur le commerce. Il faut plus de deux mois pour connaître tous les facteurs qui interviennent.
    Qu'en est-il des lois en tant que telles, des outils que nos organismes d'application de la loi...
    Je vais utiliser une analogie que j'ai utilisée à un moment donné avec l'ancien commissaire Zaccardelli. Lorsque j'étais toujours membre de la GRC, nous revenions souvent au Parlement, comme vous le savez, pour demander des ressources supplémentaires. Je lui ai demandé si nous avions besoin d'un surcroît de ressources ou si nous étions en mode de formation constant. Je travaillais pour un monsieur du nom de Rod Stamler qui, lorsque nous avons lancé le Programme des produits de la criminalité bien avant d'avoir la loi que nous avons aujourd'hui, a dit que nous devrions mettre à l'essai la loi que nous avions, la soumettre aux tribunaux, reprendre certaines pratiques propres à la common law et demander à certains juges de se prononcer sur la mesure législative pour en connaître les lacunes.
    Je crois que cela fait partie du problème que nous avons aujourd'hui. Combien d'affaires avons-nous mises au banc d'essai?
    C'est là que résident les lacunes.
    Merci, monsieur Saxton.

[Français]

     Monsieur Dubourg, vous avez la parole. Vous disposez de sept minutes.
    Bonjour et merci, monsieur le président.
    Je salue également mes collègues qui se trouvent autour de la table ainsi que les témoins qui comparaissent devant nous.
    Je voudrais adresser ma première question à Mme Vonn, qui a parlé du CANAFE et du fait qu'il devrait y avoir selon elle de la surveillance.
    Selon vous, le CANAFE a-t-il trop de pouvoirs? Vous avez utilisé le mot « overcollecting ». Pouvez-vous nous dire dans quelles situations il pourrait selon vous y avoir une atteinte à la liberté des individus?

[Traduction]

    Certainement. Je prends ces renseignements du Commissariat à la protection de la vie privée, qui a procédé à la vérification des activités du CANAFE et s'est dit très préoccupé de la cueillette et de la conservation d'un trop grand nombre de données non pertinentes qui sont néanmoins hautement préjudiciables. N'oubliez pas qu'il s'agit de personnes qui ont été désignées comme suspectes, comme des blanchisseurs d'argent ou des financiers à la solde du terrorisme, et qui sont maintenant consignées dans les bases de données du CANAFE dont le contenu est de plus en plus communiqué.
    Il est très difficile de déterminer comment cela influe sur les particuliers parce que, aussitôt qu'il est question de privilège fondé sur la sécurité nationale, auquel vous vous heurtez quand vous essayez de déterminer où vont les renseignements erronés qui vous sont préjudiciables, vous êtes confronté à une série de boîtes noires.
    Alors là où je veux en venir est que nous devons faire scrupuleusement attention à la façon dont nous déterminons et signalons que certaines personnes sont à risque, et nous devons ensuite faire scrupuleusement attention à qui nous communiquons ces renseignements car, bien sûr, le cas de la personne à qui l'on a porté préjudice a été évoqué dans je ne sais plus combien de commissions. Nous mentionnons M. Arar pour dire que ces pratiques doivent être supervisées de la façon la plus rigoureuse qui soit pour faire en sorte que la sécurité des Canadiens ne soit pas mise en péril.

  (0930)  

[Français]

    Merci.
     Je présume, madame Vonn, que vous avez pris connaissance du projet de loi C-51 et du fait que cet échange d'informations va être encore plus important, ne serait-ce qu'avec l'Agence du revenu du Canada.
    Le fait qu'un plus grand nombre d'organismes vont maintenant pouvoir échanger des renseignements vous inquiète-t-il?

[Traduction]

    Il est clair que nous nous faisons l'écho des préoccupations du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada ainsi que de celles d'un certain nombre d'organismes. Nous avons nos propres préoccupations. On croit généralement que le seul fait de communiquer des renseignements devrait être une panacée. C'est vraiment très problématique, non seulement du point de vue de la sûreté de Canadiens innocents, mais aussi au plan de la sécurité. Il n'est pas plus facile de trouver une aiguille dans une botte de foin si l'on rajoute du foin. Nous n'avons pas besoin d'un surcroît de renseignements, mais bien de renseignements importants et précis; il est donc essentiel de les filtrer.
    Le projet de loi C-51 est problématique pour bien des raisons, y compris parce que nos collègues du Royaume-Uni ont dit que l'engagement civique et social est primordial pour éviter d'accroître le recrutement. Cela dit, lorsque certaines dispositions du projet de loi C-51 disent que le fait de prévenir la glorification du terrorisme en général empêchera la mobilisation efficace des personnes prédisposées — comme nombre de spécialistes de la sécurité l'ont affirmé —, nous devons nous assurer que nous gérons les conséquences involontaires de notre loi bien intentionnée, et je conseille vivement au comité de le faire.
    Merci beaucoup.

[Français]

    Ma prochaine question s'adresse à M. Clement.
     On parle d'échange d'informations. Toutefois, dans le contexte de mondialisation que nous connaissons maintenant, comment peut-on faire la distinction entre les transactions d'affaires réelles et les activités de blanchiment d'argent?

[Traduction]

    Premièrement, c'est une question à laquelle il est difficile de répondre. En réalité, je pense que plus vous acquérez d'expérience, mieux vous arrivez à faire la distinction. Comme mon collègue Matt l'a mentionné, nous passons en revue un grand nombre de ces examens indépendants. J'ai procédé à pareils examens et je pense que, dans chaque cas sans exception, j'ai recommandé que l'on présente d'autres rapports sur les opérations douteuses. C'est simplement parce que je fais ce travail depuis 1983.
    Certaines activités suspectes ressortent clairement quand on les examine. Je crois que le meilleur exemple que je puisse donner est que si j'achète quelque chose ou que j'envoie de l'argent à mes parents — ce qui arrive souvent —, ces transactions deviennent très faciles à reconnaître. Cependant, si je suis un particulier et que j'envoie de l'argent d'ici et que cinq autres personnes à la même adresse envoient de l'argent dans le même pays, c'est louche. C'est le type d'activité dont vous devez tenir compte.
    Croyez-vous qu'une entreprise comme Western Union effectue ce type de transactions?
    Je dirais que c'est clair que Western Union le fait. Vous devez comprendre que cette entreprise fonctionne avec un système d'agents. Le niveau de compréhension et d'expertise de ces agents varie de nul à très élevé. Je me préoccupe surtout de ceux qui ont peu ou pas de connaissances et qui pourraient très bien être impliqués dans le type d'activités que nous essayons de prévenir.

[Français]

     Monsieur Dubourg, il vous reste une minute.
    D'accord.

[Traduction]

    M. McGuire aimerait répondre à la question.
    Monsieur McGuire.

  (0935)  

    En ce qui concerne Western Union, j'aimerais ajouter qu'une bonne moitié des 80 000 déclarations d'opérations douteuses signalées au Canada chaque année proviennent de cette entreprise. La valeur moyenne de ces transactions s'élève à 300 $.
    Je ne crois pas beaucoup à l'argument selon lequel le financement du terrorisme est de faible valeur et que, par conséquent, il nous est impossible de nous en protéger. Les actes individuels sont très peu coûteux — l'attentat à la bombe de Madrid a coûté 10 000 $ —, mais lorsque vous parlez du financement du terrorisme et de sa signification, vous parlez du maintien de toute une organisation, de la radicalisation et du besoin de gérer des quasi gouvernements.
    Une question à laquelle il est encore plus difficile de répondre que celle de savoir quelle est la différence entre une transaction d'affaires et une activité de blanchiment d'argent est celle de savoir en quoi consiste une transaction relative au financement du terrorisme, car nous ne savons pas, en gros, qu'il s'agit de ce type de financement avant qu'il ne serve.
    Merci.

[Français]

    Merci, monsieur Dubourg.

[Traduction]

    La parole est maintenant à M. Cannan pour sept minutes.
    Merci à la dame et aux messieurs d'être venus ce matin.
    C'est une question très complexe et une étude pour laquelle nous essayons d'entendre les témoignages de divers experts du monde entier. Je remercie aussi les participants du Royaume-Uni qui se sont joints à nous ce matin.
    Ma première question s'adresse à M. Clement. Je veux enchaîner sur le commentaire de M. Dubourg concernant les guichets automatiques privés à étiquette blanche. Certaines banques importantes ont aussi des guichets comme ceux-là. Vous préoccupez-vous davantage des guichets privés indépendants que de ceux des cinq grandes banques en tant que telles?
    Oui, monsieur, tout à fait.
     Chaque fois que ce point est soulevé, on fait toujours valoir que ces questions n'ont jamais donné lieu à bien des poursuites. Cela étant dit, dans certaines poursuites, ils ont été directement liés aux Hells Angels. Pour avoir travaillé dans le dossier du crime organisé à la grandeur du Canada, je peux vous dire que si vous allez dans n'importe quel hôtel au pays, vous trouverez un guichet automatique privé à étiquette blanche. Oui, il est possible de retracer la transaction à un moment donné. Ce qui me préoccupe, c'est que personne ne sait d'où proviennent ces espèces. Elles ne viennent pas d'un camion de la Brink's, comme on s'y attendrait, mais bien d'un bar. Je peux vous dire que toute boîte ou club de danseuses qui appartient aux Hells Angels a un guichet privé à étiquette blanche. C'est un excellent instrument pour blanchir de l'argent.
    Existe-t-il un lien entre le crime organisé et le terrorisme?
    Je ne crois pas que nous ayons eu de cas à ce jour au Canada; mon collègue du Royaume-Uni pourra peut-être vous en dire davantage. Il existe de la documentation ou des preuves qui laissent entendre que les membres du crime organisé collaborent avec des groupes terroristes, mais je crois que nous devons faire preuve d'une grande prudence.
    Monsieur Rafiq, au Royaume-Uni, avez-vous des commentaires?
    Si l'on prend la façon dont les entités terroristes opèrent et génèrent des revenus, on remarque que, par le passé, une bonne partie de leur financement provenait de certains pays au Moyen-Orient, de riches particuliers, de donateurs, etc. Nombre de ces pays ont arrêté de verser du financement, non pas parce qu'ils ont eu un genre de révélation spirituelle, mais parce que les personnes à qui ils versaient du financement mettent maintenant en péril la position qu'ils occupent dans leur propre pays.
    Au cours des cinq ou six dernières années ou plus, nombre de ces entités terroristes ont eu à générer leur propre financement. Prenons, par exemple, une organisation comme l'EIIL. Bien qu'elle ne soit pas au Canada, ce sont des tactiques qu'on utilise, et elles ont des conséquences au Canada et dans le monde entier. Leur principale source de revenus découle actuellement de la vente de pétrole sur le marché noir, mais aussi de la vente d'antiquités, du trafic de drogue, du racket, d'enlèvements et de toutes les autres activités dans lesquelles nous les savons impliqués. Afin de s'y adonner, ils doivent travailler en partenariat avec un certain nombre de personnes impliquées dans le crime organisé.
    Il existe de nombreux liens, surtout dans le commerce de la drogue. Nous sommes convaincus que les entités terroristes sont sérieusement impliquées dans le commerce de la drogue et qu'elles utilisent les anciens corridors de contrebande à des endroits comme l'Amérique du Sud. D'autres groupes en Occident — au Royaume-Uni, en Europe, etc. — s'adonnent maintenant aussi à ces types d'activités; dans certains cas, on a constaté que des groupes et des organisations appuyaient les activités terroristes en collaborant avec les acteurs du crime organisé.

  (0940)  

    Alors il n'y a pas de fumée sans qu'il y ait de feu en cours de route.
    Monsieur McGuire, si je me fie à votre expérience et au document d'information que vous nous avez fourni, je crois comprendre que les organismes de bienfaisance ont aussi participé au financement de certains de ces groupes terroristes.
    Avez-vous des exemples de Canadiens dont on aurait déterminé qu'ils ont financé des opérations terroristes?
    Je ne vous donnerai pas d'exemples précis. Je dirai cependant que c'est si courant que l'Agence du revenu du Canada a créé une Direction des organismes de bienfaisance qu'elle a chargée expressément de la question du financement du terrorisme. Elle enquête sur les directeurs de chaque organisme de bienfaisance au pays et les compare aux listes de surveillance et aux listes de personnes mal intentionnées. C'est une méthode généralement connue.
    C'est en partie à cause de la difficulté pour toute institution, y compris les entités déclarantes, d'évaluer ce qui est normal pour un organisme de bienfaisance. Les dons varient et peuvent être en espèces. Il est très difficile dans ce contexte de déterminer la base de référence et de distinguer le bon financement du mauvais.
    Vous avez mentionné dans votre préambule que vous étiez favorable au budget et qu'il contient des mécanismes et mesures d'application supplémentaires pour l'ARC.
    De votre point de vue, y a-t-il un organisme responsable? Est-il coordonné? A-t-il besoin d'être amélioré? Diriez-vous que l'ARC s'en est tirée jusqu'à présent?
    En ce qui concerne le financement du terrorisme, je pense qu'ils ont fait des contributions considérables.
    En outre, nous avons constaté une hausse de la coordination au fil du temps. En fonction des rapports, l'ARC et le CANAFE mènent des enquêtes en temps réel dans les cas d'évasion fiscale. Je ne suis pas très chaud à l'idée que l'ARC ait sa propre unité de renseignement financier. Je pense qu'une entité comme celle-là devrait être centralisée au CANAFE.
    Monsieur Cannan, M. Rafiq aurait aussi quelque chose à dire à ce sujet.
    Allez-y, je vous prie.
    Je voulais citer l'ancien dirigeant de MI6, Richard Dearlove, qui a décrit des groupes comme les Frères musulmans comme étant, au fond, des organisations terroristes. Il est clair qu'un nombre important d'organismes de bienfaisance britanniques se retrouvent du côté sombre du réseau mondial des Frères musulmans. Même s'ils ne sont pas directement impliqués dans le financement d'actes terroristes, ils représentent une partie importante de l'idéologie à laquelle souscrivent les groupes terroristes parallèles.
    Merci d'avoir ajouté ces détails.
    J'ai une autre question brève.
    Monsieur Christensen, vous avez parlé de certaines des préoccupations de vos clients pour ce qui est de trouver un équilibre concernant la réglementation.
    M. Clement et d'autres nous ont dit que nous devions accroître la coordination et, dans certains cas, la réglementation. En fonction de ce que vous avez entendu aujourd'hui, comment pouvons-nous trouver un juste milieu?
    M. Christensen vous donnera une réponse brève pour l'instant, mais nous y reviendrons probablement plus tard.
    Je pense que cette question a deux aspects.
    En règle générale, je pense que le premier aspect est de faire en sorte que tout nouveau règlement soit proportionnel en termes de coûts et d'avantages. Je pense que le second aspect n'est pas tant de savoir s'il y a de la réglementation supplémentaire, mais plutôt de connaître la nature de cette réglementation. Autrement dit, il faut pouvoir demander aux institutions de faire le nécessaire pour atteindre les objectifs visés de façon à peu déroger de leurs objectifs opérationnels.
    D'accord. Merci.
    Merci, monsieur Cannan.

[Français]

     Monsieur Côté, vous avez avez la parole. Vous disposez de sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous nos témoins d'être ici parmi nous aujourd'hui.
    Monsieur Clement, je vais commencer par vous.
    Vous n'êtes pas le seul à dénoncer les problèmes qui minent la GRC. Le commissaire adjoint, M. Mike Cabana, a justement déclaré il y a quelques jours au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense que le déplacement de 600 policiers affectés à la lutte contre le crime organisé vers la lutte contre le terrorisme était un grave problème. Cela révélait surtout les très graves problèmes internes de la GRC.
    Voulez-vous faire des commentaires sur le constat qu'a fait M. Cabana, qui est un haut responsable à la GRC?

[Traduction]

    Je suis tout à fait d'accord avec les propos du commissaire adjoint. Mike et moi avons déjà travaillé ensemble, et je le connais très bien. Je sais que nous en avions discuté à l'époque.
    Je pense qu'une partie du problème vient du fait que nous aurions dû voir venir ce contrecoup du terrorisme. Avec un peu de prévoyance et de planification stratégique, nous n'aurions peut-être pas été coincés comme nous le sommes.
    J'étais l'agent supérieur de la commission d'enquête sur l'affaire Arar, et ce transfert de ressources m'inquiète beaucoup puisque nous nous retrouverons dans la même situation que celle qui avait été commentée par le juge O'Connor. Où sont les compétences à l'égard de ce genre de problèmes? Elles ne s'apprennent pas du jour au lendemain. C'est préoccupant.
    Pour ce qui est de consacrer plus de ressources au terrorisme, je dirais encore une fois que c'est formidable en théorie. Où irons-nous chercher ces ressources? Il faudrait peut-être une action plus concertée et des partenariats public-privé afin de mettre en place plus de ressources. Les policiers ne peuvent pas être formés du jour au lendemain.
    J'ai une dernière remarque. J'ai connu le régime de fonds réservés dans le cadre de l'initiative intégrée de contrôle des produits de la criminalité. Je pense que l'utilité de cette initiative, pour vous et pour les contribuables, c'est que nous devions chaque année rendre des comptes au Parlement. Nous devions démontrer l'efficacité de nos procédures. Ce programme a pris fin, et nous recommençons à nous poser des questions sur le développement des compétences.
    Pour vous aider à bien comprendre pourquoi je trouve que les grades nous nuisent autant, sachez que pour obtenir une augmentation de salaire, il faut recevoir une promotion. Ce qui finit par arriver, c'est que nous investissons des sommes considérables pour acquérir une expertise. Si un poste se libère dans une autre division et qu'un agent a plus que les compétences nécessaires pour faire le travail, il va l'accepter. Nous ne pouvons pas le lui reprocher puisque c'est notre seule chance d'avancer. J'ai réalisé une étude sous les ordres de Phil Murray, et je crois que le salaire doit être accordé en fonction des compétences dans le secteur de la criminalité en col blanc.

  (0945)  

[Français]

     Monsieur Rafiq, vous nous avez interpellés sur le fait de ne pas répéter les mêmes erreurs qui ont été faites au Royaume-Uni.
    À l'heure actuelle, le Canada fait face à un grave problème. Tous les aspects de la recherche fondamentale sont abandonnés, entre autres la recherche en sciences humaines. J'ai sous les yeux un article du Globe and Mail concernant la Colombie-Britannique au sujet d'un groupe qui se consacre à l'étude du terrorisme, de la sécurité et de la société et qui mène des recherches sur la radicalisation. Il y est précisé qu'on avait réduit les fonds fédéraux qui lui étaient accordés. C'est un exemple parmi d'autres.
    Avez-vous eu ce problème au Royaume-Uni? A-t-il été corrigé? Comment l'État a-t-il pu corriger ce genre d'erreurs? Comment a-t-on pu faire face à cette carence au chapitre de la recherche?

[Traduction]

    Si vous examinez la façon dont le gouvernement du Royaume-Uni s'est attaqué au problème, vous constaterez qu'il a commis quelques erreurs. Après les attentats de 2005 à Londres, nous avons adopté une stratégie visant la prévention de l'extrémisme violent.
    Les gouvernements de l'époque avaient décidé qu'ils allaient d'abord réunir 80 à 90 millions de livres sterling pour la région, puis distribuer l'argent aux conseils et gouvernements locaux pour inciter les gens à travailler à l'échelle locale, et pour permettre à un certain nombre d'organisations de mener des recherches locales et nationales.
    En 2010, lors de la formation du dernier gouvernement de coalition, cette stratégie a été revue, et son objectif est passé de la prévention de l'extrémisme violent à une simple prévention. Il s'agissait d'adopter une approche globale et holistique quant à la façon dont nous abordons le problème. Il ne suffit pas de déradicaliser les éléments violents, puisque la tâche est alors bien plus difficile; il faut plutôt essayer d'empêcher les gens de se radicaliser.
    En 2010 et en 2011, à la suite d'une crise économique mondiale, le gouvernement de coalition britannique a malheureusement décidé de couper considérablement le financement qui devait être accordé au secteur, qui est passé de 80 à 90 millions de livres sterling par année à 1,7 million l'année dernière. C'était une diminution marquée, et bien des organisations ont été victime des compressions.
    De nombreuses organisations avaient désespérément besoin d'argent et cherchaient d'autres façons de survivre. Certaines d'entre elles se sont adressées à des pays du Moyen-Orient; elles ont toutefois fini par adhérer à leur philosophie et sont devenues une partie du problème plutôt que de la solution.
    Une des choses que nous avons constatées récemment, depuis la montée du groupe terroriste État islamique en Irak et au Levant, et depuis que des combattants étrangers vont rejoindre les rangs du groupe et d'Al-Qaïda en Irak et en Syrie, c'est que les citoyens recommencent à croire que les gouvernements doivent en faire plus. Juste avant la dissolution du Parlement, notre secrétaire de l'Intérieur nous a ordonné d'augmenter le financement et le nombre de fonctionnaires affectés aux efforts de prévention.
    Le gouvernement fait donc encore une erreur. Il tente encore d'augmenter la taille de l'appareil bureaucratique et de tout garder à l'interne plutôt que de faire appel à la communauté. C'est une grave erreur.

  (0950)  

    Monsieur Van Kesteren, c'est à votre tour.
    Je vous remercie tous d'être ici.
    J'ai manqué la semaine précédant la relâche, mais je tiens à dire qu'à mes yeux, c'est la discussion la plus fascinante que nous ayons eue à ce jour, parce que nous entrons vraiment dans le vif du sujet. J'ignore par où commencer.
    Monsieur Rafiq, je pense que votre évaluation était juste à la fin de votre intervention. Lorsque des fonds sont alloués pour régler un problème, le danger est bien sûr d'alourdir la bureaucratie. Plutôt que de nous attaquer au problème, nous nous retrouvons alors avec une structure qui demande maintenant à être alimentée, ce qui n'est certainement pas utile.
    Je n'ai pas assez de temps, et je pense qu'il faudrait des heures pour faire le tour de la question. Il serait tout de même intéressant de savoir comment nous devrions procéder, selon vous. Je ne veux pas vous couper, mais vous diriez probablement que vous n'avez pas eu le temps de prouver que ce serait la bonne chose à faire. Comment les choses se sont-elles passées pour vous?
    Le problème, c'est que nous vivons dans une société libre où, comme vous et d'autres députés l'avez si bien dit, ces gens peuvent tout simplement errer parmi nous. C'est tellement difficile. Nous ne vivons pas dans une société comme la Chine, où les individus sont attrapés, subissent un procès rapide puis joignent le peloton d'exécution le samedi. Nous sommes une société libre, et ces valeurs nous tiennent à coeur.
    Je pense que vous l'avez dit aussi, madame Vonn.
    Je vais en arriver à ma question, mais je dois simplement ajouter une chose. Puisque j'ai travaillé au sein de notre comité et du Comité de l'éthique, je sais que les organismes d'application de la loi nous disent souvent qu'ils ont besoin d'outils.
    Monsieur Clement, j'ai des fils au sein des forces de l'ordre, et nous entendons constamment parler du manque d'outils. Or, les outils demandés sont justement ceux que nous allons offrir grâce au projet de loi C-51.
    En revanche, il y a des groupes de défense des libertés civiques qui affirment que nous allons porter atteinte aux droits des citoyens. C'est un véritable problème, et je pense que nous le reconnaissons.
    J'aimerais très rapidement vous dire une chose à propos des agents de police, et vous êtes au courant. Les simples agents de police, qui comptent pour la majorité de l'effectif, ne sont pas en mesure de faire ce travail parce qu'ils ne sont pas formés, et parce que la lourdeur de la réglementation et de la surveillance les empêche de travailler. C'est donc un véritable problème, auquel il n'est pas simple de remédier.
    J'ai une dernière remarque, après quoi je poserai ma question. Nous savons que ces groupes s'installent dans certains secteurs. C'est ce que j'ai entendu de la part de la police aussi. Ils ciblent les environs des prisons et vivent dans ces secteurs. Même si nous déployons des efforts pour sensibiliser la population et les jeunes, ces groupes savent qui cibler.
    Je pense que la question a déjà été posée, et j'invite tous les témoins à intervenir. Comment pouvons-nous trouver le juste équilibre entre ce que les groupes de défense des libertés civiques demandent et les organismes d'application de la loi, qui insistent pour obtenir ces outils depuis des années?
    Vous pouvez commencer, monsieur Clement.
    J'aborde la question après avoir vécu deux commissions d'enquête. C'était formidable, car à ce moment-là, tout le monde jouait le gérant d'estrade. C'est un luxe auquel nous avions droit à l'époque. Mais j'ai évidemment eu des années pour réfléchir à la question.
    J'ai bien examiné l'enjeu, et je pense que c'est ce dont les agents de police d'aujourd'hui ont besoin. Le fait est que si j'ai le choix entre peut-être commettre une erreur, peut-être ne pas être absolument certain à propos d'un individu, et devoir justifier le lendemain pourquoi je ne suis pas intervenu après qu'un certain nombre de personnes aient perdu la vie, je vais choisir... Je regrette si mon geste offusque l'individu, mais il est question de vies humaines.
    Il n'y aura jamais d'information infaillible. Le plus triste, c'est que je peux vous dire que lorsque la nouvelle commission d'enquête rendra ses conclusions, le comité sera agréablement surpris puisque nous serons désormais en mesure d'utiliser l'information que les autorités américaines nous ont interdite dans l'affaire Arar.

  (0955)  

    Le projet de loi C-51 va-t-il vous permettre de faire tout cela?
    Oui, absolument.
    Nous avons entendu le témoignage de policiers. Nous allons demander d'entendre les groupes qui militent pour les libertés civiles, puis j'aimerais qu'on nous parle des aspects sociaux de la question. Quelle est la solution? Peut-être pourrions-nous prendre une minute pour en discuter.
    Veuillez prendre chacun une minute de plus.
    Je suis désolée de répéter toujours la même rengaine, mais plus il y a de pouvoirs extraordinaires, plus la loi qui les encadre doit être précise et plus nous avons besoin de mécanismes de surveillance et d'examen efficaces. Nous attendons un processus d'examen intégré depuis la commission sur l'affaire Arar. On intègre les mandats de divers organismes pour la surveillance de la sécurité nationale, mais il n'y a toujours pas de mécanismes intégrés de surveillance et d'examen pour assurer la reddition de comptes. Ces mécanismes sont pourtant essentiels.
    Le projet de loi-C-51 est le bon outil. Il nous faut des mécanismes de surveillance.
    Je suis désolée, mais nous ne trouvons pas que le projet de loi C-51 est le bon outil. Je tiens à exprimer clairement notre point de vue.
    Monsieur Rafiq, allez-y.
    C'est très clair pour moi. Si quelqu'un s'apprête à contrevenir à la loi, si quelqu'un se prépare à contrevenir à la loi et à commettre un crime, ce n'est plus une question de prévention, mais de protection. Ce devrait être du ressort de la police. La police devrait intervenir pour protéger nos collectivités, et quand quelqu'un commet un crime, poursuivre les criminels pour qu'ils soient tenus d'assumer leurs responsabilités.
    Pour ce qui est de la prévention, il nous faut des programmes efficaces de déradicalisation des sympathisants. Il y en a au Royaume-Uni. Pour les cas qui ne justifient pas qu'on aille jusqu'à la déradicalisation, il nous faut des outils de réhabilitation. Il peut s'agir simplement de jeunes de neuf ans qui regardent des vidéo et qui se trouvent très « cool ». Il faut simplement leur apprendre un peu la pensée critique et intervenir de manière efficace.
    Il y a ensuite l'aspect plus général, qui est sociétal. Cette réflexion ne doit pas venir du tout de la police. Ce que nous devons faire comme société pour faire de l'islamisme... Le président Obama a prononcé un discours que j'ai trouvé [Note de la rédaction: inaudible], mais il a raté la cible. Il a affirmé qu'il y avait une idéologie extrémiste, mais il n'a pas nommé cette idéologie. Donc que s'est-il passé? Il y a des gens, à l'extrême droite comme à l'extrême gauche en passant par tous les autres extrêmes, qui ont commencé à nommer cette idéologie, et certaines personnes se sont mises à croire que le problème venait de l'islam en tant que tel.
    Il faut affirmer très clairement ce que nous n'acceptons pas comme société. Nous n'acceptons pas les idéologies totalitaires ou fascistes, et nous savons quoi faire pour les contrer. L'islamisme doit simplement devenir aussi impopulaire que le fascisme et le communisme l'ont déjà été. Il faut éduquer la société civile, dans les écoles comme partout ailleurs, et lui donner les moyens de s'approprier cette bataille.
    Je m'excuse, vous n'avez plus de temps, monsieur Van Kesteren. Vous pourrez essayer d'y revenir.
    Monsieur Cullen, c'est votre tour.
    Monsieur Rafiq, dans votre témoignage, vous avez affirmé que bien que les choses évoluent, il y a encore des pays, des États souverains, qui dépensent de l'argent en radicalisation, n'est-ce pas?
    Tout à fait, il y a encore des pays qui appuient les organisations extrémistes et terroristes dans le monde.
    Soyons plus précis. Quels sont les principaux pays qui le font en ce moment? Qui dépense le plus à ce chapitre? Qui s'implique le plus? Pouvez-vous nous en donner une courte liste, parce que je suppose qu'elle peut être longue.
    Mon domaine de spécialité est la radicalisation islamiste et le terrorisme islamiste. On trouverait sûrement au sommet de la liste le Qatar. Soit directement (pas autant qu'avant, en raison des pressions exercées par les partenaires de la coalition et particulièrement les États-Unis), soit par l'intermédiaire de certaines personnes, le Qatar finance encore à la fois des groupes terroristes actifs, comme celui qu'on trouve au Mali, et des organisations islamistes comme celles qu'on trouve au Canada, dans le reste de l'Amérique du Nord et au Royaume-Uni. Le Qatar serait vraiment en tête de liste.
    Plutôt que de nous donner une longue explication sur chaque pays, vous pourriez peut-être nous en nommer quelques autres. Je pense à l'Iran, à l'Arabie saoudite...

  (1000)  

    Il y a l'Iran et il y a certaines personnes en Arabie saoudite qui les financent. Il y a aussi des personnes qui les financent au Koweït et principalement dans les pays du Moyen-Orient. Je dirais qu'il y a deux pays qui sont moins pires que les autres, soit les Émirats arabes unis et peut-être, d'une certaine façon, la Jordanie. En fait, la Jordanie est moins pire qu'elle ne l'était, mais je dirais que tous les autres pays jouent certainement un rôle dans l'équation.
    Comme nous l'avons dit bien souvent des deux côtés de la Chambre, la situation est très complexe. Nous travaillons en partenariat avec certains des pays que vous avez nommés dans d'autres domaines. En faisons-nous assez avec des pays comme le Koweït et l'Arabie saoudite, à qui nous venons de vendre de l'armement du Canada? Nous utilisons souvent le Koweït pour faire l'essai de nos avions. Exerçons-nous suffisamment de pressions sur ces pays, que nous appelons nos alliés, mais qui appuient les terroristes contre qui nous nous battons en même temps?
    Non, je pense que non. Je pense que nous devons intensifier nos pressions. Je pense que nous devons utiliser tous les outils à notre disposition pour qu'ils cessent d'appuyer directement ou indirectement les organisations islamistes ou terroristes dans le monde.
    Bon nombre de ces pays participent à des guerres par factions interposées. Au Moyen-Orient, depuis plusieurs années, il y a une guerre sectaire qui perdure, dans laquelle divers pays appuient leur version ou leur secte, ce qui a des répercussions sur tout le reste du monde. La véritable bataille est celle pour l'âme même de l'islam au Moyen-Orient.
    Madame Vonn, je m'excuse d'avoir manqué votre témoignage officiel.
    Nous nous posons des questions et nous sommes inquiets, parce qu'on nous présente le projet de loi C-51 comme une option, mais que le filet de sécurité qu'on nous propose est bien trop grand. En gros, il ne sert à rien d'ajouter de la paille dans la botte de foin pour trouver l'aiguille. J'aimerais également entendre le point de vue de M. Clement à ce sujet.
    Monsieur Christensen, nous avons entendu des représentants de certaines institutions financières qui recueillent des métadonnées qui ne produisent pas nécessairement toujours le résultat escompté, c'est-à-dire une sécurité accrue, surtout lorsqu'elles conservent ces données et qu'elles n'en font pas de nettoyage. On commence à cumuler des renseignements sur de plus en plus de gens sans pour autant accroître la sécurité des Canadiens.
    L'une de nos grandes préoccupations est la définition du terrorisme. Si on l'élargit et si le but ultime est de rendre la société plus sûre, comment cette définition entre-t-elle en ligne de compte et que va-t-on évoquer ensuite pour nous protéger du terrorisme, si l'on commence à considérer comme une activité terroriste tout ce qui peut aller à l'encontre d'une politique gouvernementale ou nourrir quelque chose qui s'oppose au sentiment canadien?
    La définition de la sécurité du Canada qu'on trouve dans la Loi sur la communication d'information qu'édicte le projet de loi C-51 est sans précédent.
    Pourquoi?
    Elle est sans précédent parce qu'on y parle d'atteinte à la sécurité du Canada plutôt que de menace à la sécurité du Canada. Il y a des juristes qui se demandent ce que cela pourrait vouloir dire et jusqu'où cela pourrait aller, puisqu'il y a un vaste éventail d'activités parfaitement légales qui pourraient être considérées comme portant atteinte à la sécurité du Canada, comme l'ont expliqué les témoins sur le projet de loi C-51.
    Ce qui m’inquiète, à la lumière des commentaires sur les actes terroristes, la prévention du terrorisme et le financement du terrorisme, c’est qu’un des éléments du projet de loi C-51 porte sur les intérêts économiques de l’État. Des questions ont été posées à ce sujet au gouvernement, alors je crois qu’il m’est permis d’en parler, mais le président pourra en juger autrement.
    L’affaire d’Air India puis l’affaire Arar ont démontré que nous étions incapables de bien définir qui cibler dans nos enquêtes ce qui a eu pour résultat que des gens ont été en mesure de financer les activités concernées. Parfois, comme l’a souligné M. McGuire, il suffit d’une très petite somme d’argent. Donc, la précision est essentielle.
    Monsieur Clement, est-il juste de dire qu’une certaine surveillance est nécessaire, comme faire rapport au Parlement, ce qui ne se fait plus, comme vous l’avez souligné, et que nous devrions définir avec précision quels éléments nous tentons de comprendre?
    Je peux seulement vous parler de mon point de vue. À mon avis, la reddition de comptes à ce chapitre n’est pas un problème, et je parle par expérience ayant fait l’objet de deux enquêtes. Je n’ai eu aucune objection à justifier certaines actions et à les expliquer à un organe pertinent. Je crois que c’est approprié.
    Selon moi, le projet de loi C-51 a été présenté en raison de la situation que nous vivons aujourd’hui. Est-il essentiel? J’aimerais pouvoir vous dire, comme vous tous, j’en suis convaincu, que la situation n’est pas vraiment ce que l’on croit. Je crois fermement qu’il y aura d’autres incidents comme ceux survenus sur la Colline parlementaire. Évitons de prendre des décisions qui nous obligeront à expliquer au public pourquoi nous avons pris des raccourcis avec ce projet de loi.

  (1005)  

    Très brièvement, monsieur McGuire, vous dites que les banques devraient maintenir un environnement hostile. Que voulez-vous dire par là? Je n’ai pas bien saisi.
    Très brièvement, s’il vous plaît, monsieur McGuire.
    Il faut maintenir un environnement hostile à l’égard du blanchiment d’argent et de ceux qui financent le terrorisme. Il faut savoir exactement qui sont ces individus, car ils aiment se cacher dans les coins sombres. Aussi, et pour les mêmes raisons, les banques doivent continuer de vérifier de près les transactions. Les auteurs de blanchiment d’argent aiment conserver l’anonymat; ils n’aiment pas laisser des traces que les autorités pourraient suivre.
    Monsieur Adler, vous avez la parole.
    J’aimerais d’abord préciser que j’ai beaucoup de sujets à aborder. Je vous saurais gré d’être précis dans vos réponses.
    D’abord, madame Vonn, ai-je le droit de me radicaliser?
    Honnêtement, je ne comprends pas votre question. Au Canada, nous avons la liberté de parole et de conscience, comme l’a défini la Cour suprême du Canada. Ce sont des droits que vous avez.
    Vous savez ce qu’est la radicalisation. Ai-je le droit de me radicaliser?
    Vous jouissez du droit de la liberté de parole et de conscience…
    M. Mark Adler: Oui ou non, s’il vous plaît.
    Mme Michael Vonn: …comme l’a défini la Cour suprême.
    M. Mark Adler: Oui ou non, s’il vous plaît.
    Mme Michael Vonn: Non, je ne répondrai pas à cette question…
    M. Mark Adler: Je m’en doutais bien.
    Mme Michael Vonn: …parce que je ne la comprends pas.
    J’essaie de vous expliquer ce que je comprends de votre question.
    Non, je vais vous expliquer ma question. J’aimerais simplement que vous y répondiez.
    Non. Je dois d’abord comprendre la question avant d’y répondre.
    Ai-je le droit d’adopter des croyances qui pourraient nuire à la sécurité du pays?
    Vous avez le droit d’avoir les croyances que vous voulez. Si elles sont contraires à la loi, vous serez en contravention de la loi.
    Ai-je le droit d’adopter de telles croyances, oui ou non?
    Encore une fois, je suis désolée, mais votre question ne fait aucun sens.
    Je me doutais bien que vous ne la comprendriez pas.
    [Note de la rédaction : Inaudible] …avec respect.
    Avec respect. C’est ce que j’ai fait.
    Le président: Oui, avec respect.
    M. Mark Adler: Absolument; avec respect.
    Monsieur Clement, plusieurs organisations au Canada, dont l'IRFAN et l’Association musulmane du Canada, ont perdu leur financement et leur statut d’organisation caritative. En réalité, l’important, et c’est ce dont il est question ici, c’est de savoir d’où vient l’argent. C’est vraiment l’élément clé dans ce dossier.
    Ce n’est rien de nouveau. Nous avons vu la même chose à d’autres époques. En 1929, pour régler la situation à Chicago, avec Al Capone et compagnie, le président Hoover n’a pas communiqué avec le directeur du FBI; il a contacté le directeur du Trésor pour venir à bout du crime organisé à Chicago. Pour y arriver, ils ont mis sur pied une équipe connue sous le nom des « Incorruptibles ».
    Avons-nous besoin d’une équipe semblable pour suivre la piste de l’argent?
    Selon moi, le modèle de l’unité mixte des produits de la criminalité, qui réunissait toutes les ressources fédérales ainsi que des services policiers partenaires externes et dont la mise sur pied a d’abord été approuvée par le Parlement, était un modèle extrêmement efficace. Je crois qu’il pourrait apporter de la crédibilité aux activités que nous menons aujourd’hui. Il permet de réunir diverses compétences, et c’est nécessaire.
    Vous dites que la GRC est continuellement en mode formation. Nous devons prendre nos distances d’un groupe qui est toujours en formation. Ce qu’il nous faut, ce sont des professionnels qui peuvent traiter ces dossiers sur une base régulière, non?
    Prenons le modèle du FBI. Il s’agit d’une ressource fédérale. L’organisation ne tente pas de plaire à tout le monde. Son mandat est très précis: lutter contre la criminalité en col blanc. Elle dispose de spécialistes de la cybercriminalité et du financement du terrorisme. C’est l’orientation que doit prendre la GRC.
    Je sais que ça ne concerne pas le comité, mais j’ai dit récemment au sénateur Lang que le moment est peut-être venu de revoir le rôle de la GRC. Je recommande fortement au gouvernement — et ça me blesse de dire cela, car j’ai commencé ma carrière en uniforme — de concentrer les efforts de la GRC là où ils sont vraiment requis.
    Une grande partie du problème, c’est que la GRC est le service de police de plusieurs provinces. Quel est le pourcentage, à cet égard? C’est par simple curiosité.
    On pourra me corriger si j’ai tort, mais je crois que c’est environ 70 %, car elle sert des municipalités, des villes et des provinces.

  (1010)  

    D’accord. Merci.
    Monsieur McGuire, sur le plan international, avons-nous besoin d’une…? Vous avez fait référence au témoignage qu’a livré M. Tupman au comité il y a quelques semaines. Il a également parlé du métier de comptable. Devrions-nous mandater les comptables…?
    Heureusement, c’est déjà fait. Ce que je veux dire, c’est que les comptables canadiens professionnels accrédités sont couverts. Ceux qui disposent d’une certification d’un autre pays, qui ne sont pas des professionnels accrédités, ne sont pas visés par la législation canadienne, pas plus que les aides-comptables.
    À mon avis, la portée de la loi n’est pas suffisante, mais les comptables professionnels sont visés par la législation.
    Je pense au crime organisé ancien genre qu'on voit toujours dans les films, où tout le monde est assis autour d'une grande table. Deux ou trois de ces personnes sont des comptables.
    Des voix: Oh, oh!
    M. Mark Adler: On nous a aussi dit qu'il y avait trop de rapports à produire, alors on se retrouve avec beaucoup de faux positifs. Devrait-on produire autant de rapports? On a entendu que plus il y a de bottes de foin, moins on a de chance de trouver l'aiguille; je n'en suis pas convaincu.
    Est-il préférable de produire trop de rapports que pas assez?
    Je ne vais pas me lancer dans des principes de liberté civile, car je ne suis qu'un simple petit comptable.
    À mon avis, il est préférable d'avoir trop d'information que pas assez quand il est question du financement du terrorisme. Je pense qu'il faudrait d'abord déterminer le ratio de faux positifs. Si on reçoit 1 000 signalements et qu'un seul est crédible, dans cette proportion, il faudrait peut-être consacrer trop d'heures de travail et transférer une trop grande quantité d'information pour que cela en vaille la peine. Si le ratio est de 10 pour 1, cela me semble raisonnable.
    Monsieur Clement, on a parlé de la différence entre la protection et la prévention. Sur quoi devrait-on mettre l'accent, selon vous?
    J'espère qu'on pourrait trouver un équilibre entre les deux, mais il faut d'abord et avant tout veiller à la protection. Je suis d'accord avec notre collègue du Royaume-Uni pour dire qu'il nous faut une stratégie multidimensionnelle. Nous devons nous asseoir et en définir les paramètres.
    Je crois que vous avez dit tout à l'heure que nous ne luttions plus contre des armées en uniforme.
    C'est exact.
    Une seule personne peut faire bien des ravages.
    Merci, monsieur Adler.
    Avant de céder la parole à Mme Crockatt, je vous signale que nous aurons du temps pour quatre interventions de cinq minutes après Mme Crockatt; ce sera donc une intervention pour le NPD, une pour le Parti libéral et deux pour le Parti conservateur.
    Madame Crockatt, vous avez sept minutes. Je vous en prie.
    Merci aux témoins d'être ici. Nous entendons des commentaires fascinants, et j'apprécie votre expérience.
    J'aimerais parler du crime organisé un moment.
    Quelqu'un nous a dit — je crois que c'était vous, monsieur Clement — que ces organisations peuvent d'abord s'adonner à des activités frauduleuses, faire des enlèvements et faire le trafic de drogues. Avez-vous dit qu'elles tombaient ensuite dans le terrorisme? Si c'est le cas, qu'est-ce qui les pousse à franchir ce pas?
    Non, je me suis peut-être mal exprimé. Ce n'est pas qu'elles tombent ensuite dans le terrorisme, mais il faut examiner les organisations terroristes pour les raisons énumérées par notre collègue du Royaume-Uni. Ces organisations doivent se tourner vers le monde criminel pour avoir du financement. Elles tirent profit de ce qu'on a toujours considéré comme le milieu du crime organisé.
    D'accord.
    Je siège au comité en remplacement d'un collègue, alors je n'ai pas tout suivi, mais j'ai couvert beaucoup de ces histoires à titre de journaliste. S'il y a des entreprises que vous n'hésitez pas à nommer, comme Western Union, n'avons-nous pas les outils nécessaires pour mettre fin à ces activités illégales?
    Il ne faudrait pas me citer hors contexte. J'ai mentionné Western Union au passage. L'entreprise, la plus grande entreprise de services monétaires au monde, est une victime dans tout cela.
    Qu'en est-il des guichets automatiques privés?
    Nous pouvons effectivement contrôler les guichets automatiques privés. Comme notre monde ne connaît plus de frontières, les flux monétaires sont là pour rester. Je suis d'accord avec mon collègue M. McGuire. Il est nécessaire de recueillir ces données. Je peux vous donner une brève analogie. Le dirigeant de Western Union et l'agent principal chargé de la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité ont parlé d'utiliser les métadonnées. Aujourd'hui, les façons de manipuler les métadonnées dépassent, et de loin, mes connaissances. On était aux prises avec un problème de traite des femmes, et il y avait aussi du financement terroriste mêlé à tout cela. Cela s'appelait la campagne du ruban bleu. Des spécialistes des métadonnées ont pu s'introduire dans leur système. Comme vous pouvez l'imaginer, l'entreprise compte un million de transactions par semaine ou sur quelques jours; j'oublie le nombre exact. Pensez à ce que cela suppose pour le contenu des métadonnées. Ils ont été en mesure de manipuler les métadonnées et de mettre un frein à une organisation qui s'adonnait à la traite des femmes. En analysant les tendances, ils ont réussi à cibler certains montants d'argent, et c'était parfois aussi peu que 10 $. Cela paraît anodin, mais c'est ce qu'on peut faire avec les métadonnées.
    À quel point cette information est-elle utile? De nos jours, avec ce que les métadonnées nous permettent de faire, son utilité est phénoménale.

  (1015)  

    Monsieur Rafiq, merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui.
    On entend souvent dans les médias, notamment de la part de la gauche libérale, que les déclarations comme celles que nous avons entendues aujourd'hui visent à faire peur, et que ce n'est peut-être pas vrai que des jeunes gens se radicalisent ou s'en vont outre-mer pour décapiter leurs victimes. Vous êtes là pour sonner l'alarme, car selon vous, nous devrions prendre cette menace plus au sérieux, surtout en ce qui concerne les jeunes.
    J'aimerais savoir ce que vous faites pour contrer cette campagne, si je puis dire, qui tente de minimiser la menace et qui véhicule le message que nous allons trop loin.
    Premièrement, la menace est réelle. Nous avons une équipe qui surveille et suit ces personnes en Irak et en Syrie, et nous aidons diverses organisations à l'échelle mondiale. Je peux vous affirmer qu'il y a des enfants de 9, 12, 14 et 16 ans qui décapitent des gens ou qui les tuent d'une balle entre les deux yeux. C'est la réalité. Il y a bel et bien de la radicalisation qui se fait.
    Gilles, le directeur de la division antiterrorisme de l'Union européenne, indique maintenant qu'entre 3 000 et 4 000 Européens sont partis. Au Royaume-Uni, ce serait plus de 600. D'autres disent — mais pas moi — qu'ils seraient un millier. En fait, tous les chiffres avancés sont des estimations prudentes. La réalité est que nous ne savons pas vraiment combien de personnes sont parties là-bas, mais il y en a plus que ce que l'on dit. C'est la première des choses.
    Deuxièmement, les gens semblent associer l'idéologie politique de l'islamisme et la religion de l'islam. Ce sont deux choses différentes, tout comme une personne sociale n'est pas nécessairement socialiste. Être de nature sociale, c'est une question d'interaction avec les gens, tandis que le socialisme est une doctrine de gauche. L'islam est une religion pratiquée de différentes façons par près de deux milliards de personnes dans le monde. L'islamisme est une doctrine politique, et ses adeptes souhaitent imposer une version bien particulière, leur version, de la sharia au reste du monde.
    Un des principaux idéologues derrière cette doctrine s'appelait Sayyid Qutb. Il s'est essentiellement approprié des idéologies d'extrême droite en provenance d'Europe. Au lieu d'observer ces règles au nom de l'État ou de la collectivité, ils le font au nom de Dieu. Il a introduit le facteur Dieu dans des idéologies contre lesquelles nous nous sommes battus lors des guerres mondiales et de la guerre froide.
    Le problème est que beaucoup de gens et d'organisations peuvent se sentir interpellés par ces valeurs. Nous devons nous assurer de mettre au jour cette idéologie-là. Je vous prie d'excuser ma franchise, mais si quelqu'un se promenait dans les rues aujourd'hui en uniforme nazi, nous saurions tous comment réagir. Malheureusement, la grande partie des gens ne savent pas comment réagir face à l'idéologie fasciste qu'est l'islamisme, la confondant avec la religion musulmane. Nous sommes en partie à blâmer, nous et le reste du monde, car nous avons peur de dénoncer ce qu'elle représente vraiment.

  (1020)  

    Je suis désolé, mais votre temps est écoulé.
    La parole est d'abord à M. Cullen.
    Je n'ai que quelques questions.
    Monsieur Rafiq, on me rappelle l'attentat à la bombe d'Oklahoma City, dont il a été question, et l'idéologie chrétienne radicale qu'on a invoquée pour justifier certaines attaques contre des innocents. On distingue à la fois un dénominateur commun et une différence entre les notions dont nous parlons: l'extrémisme de certains groupes et la justification du terrorisme par la religion. J'ai aussi des souvenirs. J'ai travaillé pendant un certain temps en Sierra Leone sur le recrutement d'enfants, de 8 à 10 ans, pour la commission d'actes incroyablement violents. L'islamisation n'était pas en cause. C'était une tentative pour s'emparer du pouvoir, et on y est parvenu grâce à la vente de diamants en Amérique du Nord. Ce n'était pas différent de la vente actuelle de pétrole par l'État islamique.
    On distingue donc des points communs et des tendances. Nous avons vu ce scénario avant, peut-être pas sur YouTube et pas avec l'extrémiste que l'État islamique propage et utilise pour attirer divers groupes dans son conflit, mais il y a des constantes. Le crime organisé recrute dans les bandes de la banlieue de Toronto, où j'ai grandi, des jeunes de 8 à 10 ans et il les radicalise, mais ce n'est pas le terme que nous avons utilisé, n'est-ce pas?
    Non, pas du tout.
    En quoi était-ce différent de ce que nous voyons aujourd'hui, monsieur Clement?
    Eh bien, je pense que c'est un point de vue pertinent. La cellule familiale, comme vous le savez très bien, a explosé, dans la plupart des cas, et ces jeunes cherchent à la retrouver, et c'est ce qui permet la constitution d'un gang. Dans ce cas, je suis d'accord avec notre collègue du Royaume-Uni, cela se situe dans cette sphère. C'est ce que nous voyons. Mais, aujourd'hui, cela va beaucoup plus loin que tous les excès jamais commis par ces bandes.
    Cela, donc, s'inspire d'un modèle éprouvé en Afrique occidentale, en Afrique subsaharienne et en Extrême-Orient. Ce modèle a été utilisé dans les gangs et les centres urbains d'Amérique du Nord et pour le narcotrafic. Quelques facteurs sont toujours présents. Le premier est l'identité causale; le deuxième, l'argent, beaucoup d'argent, en petits montants, grâce au narcotrafic, à la prostitution, à ce genre d'activités.
    Quelles leçons en tirer, puisque le phénomène a atteint une échelle ou un niveau de généralisation et une violence inédits? J'ai travaillé en Sierra Leone. Il m'est très difficile, personnellement, d'affirmer que c'est incroyablement nouveau, parce que la violence dont j'ai été le témoin dépassait l'entendement. Pendant des années, pourtant, nous avons acheté les diamants qui provenaient de ces endroits. Il a été très difficile d'amener les pays occidentaux à constater que, par nos activités bancaires, nos ventes et nos achats, nous contribuions quelque peu au phénomène.
    Monsieur Rafiq, mes propos vont-ils plus loin qu'essayer de comprendre ce problème? Comment le neutraliser?
    Je m'arrête ici, pour céder la parole à mon collègue Labelle.
    Non, vous avez correctement reconnu les tendances et les points communs. Vous avez raison: ce n'est pas un phénomène nouveau.
    L'une des principales différences pour nous, maintenant, que nous vivions au Royaume-Uni, au Canada et ailleurs en Occident, c'est l'impact et l'effet directs que nous subissons. C'est probablement l'une des principales raisons pour lesquelles nous en discutons maintenant. C'est devant notre porte, chez nos jeunes. Certains de nos concitoyens et des nôtres sont maintenant directement mêlées aux activités terroristes dirigées contre nous.

[Français]

    Dans le budget soumis hier, il y avait 432 millions de dollars pour la lutte antiterroriste mais pas un sou pour l'intervention non policière.
    Je reviens à vous, M. Rafiq. Je pense qu'on fait fausse route. À Montréal, récemment, il y a eu sept jeunes qui sont partis vers la Syrie. Ce sont des jeunes qui avaient fréquenté des imams autoproclamés.
    Ne devrions-nous pas travailler avec les milieux musulmans modérés pour essayer d'attirer ces jeunes vers différents programmes, financer des projets d'intégration au travail ou avoir des solutions pour ces jeunes?

  (1025)  

[Traduction]

    Si je me fie à ce que vous venez tout juste de dire, vous avez commis l'une des erreurs les plus graves que nous ayons commises au cours des cinq dernières années, alors que notre gouvernement, au Royaume-Uni, a négligé de s'occuper de l'extrémisme non violent. Je pense que c'est l'une des principales causes de nos problèmes actuels. Si nous nous concentrons seulement sur la pointe, celle qui bascule dans la violence ou qui l'appuie ou qui y souscrit, nous ne faisons que favoriser sa croissance continue. En négligeant l'autre partie, nous la laissons diminuer de plus en plus.
    Vous avez demandé si nous devons travailler avec les musulmans modérés. Il le faut. Mais, mieux encore, les musulmans modérés et les non-musulmans doivent collaborer à la résolution de ce problème, parce qu'en en faisant un problème uniquement musulman, nous amplifions la polarisation. Mobilisons contre lui toute la société. Les musulmans modérés peuvent beaucoup, il sont peut être la seule solution pour certains problèmes, mais la société, de concert, peut faire beaucoup.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    À titre de président, je m'accorde les prochaines questions.
    J'en ai un certain nombre. J'essaierai de me limiter à quelques domaines, d'abord au CANAFE, puis à la GRC.
    Je dois avouer qu'après nos deux premières séances, avec les ministères, le CANAFE et la GRC, je me suis interrogé sur la raison d'être de cette étude, puisque tout allait comme sur des roulettes. Mais chaque témoin qui a suivi, peu importe son point de vue, nous a nettement affirmé que, dans beaucoup de domaines, c'est cahin-caha et que nous avions beaucoup de pain sur la planche.
    D'abord, au sujet du CANAFE, vous avez dit, madame Vonn, qu'aucun organe d'examen spécialement affecté à cette organisation ne pouvait nous dire si elle fonctionnait bien, dans le respect de la loi, en obtenant de bons résultats. Vous avez nettement énoncé votre opinion sur la nature de l'examen nécessaire.
    Peut-être alors vais-je poser la question à MM. Clement et McGuire.
    Quelle est votre opinion sur la possibilité, pour le Parlement, de dire si le CANAFE fonctionne bien, efficacement et dans le respect de la loi?
    Monsieur McGuire.
    L'organisme est soumis à l'examen quinquennal obligatoire du Sénat. Le résultat du dernier rapport publié est que nous ne savons pas. Le CANAFE ou aucun des organes qui l'entourent n'a fourni assez de renseignements pour qu'on détermine qu'ils faisaient efficacement leur travail.
    Donc, comment faire pour le savoir?
    Je dirais, moi aussi, qu'il faudrait un contrôle civil plus poussé.
    Monsieur Clement.
    Nous devons comprendre que, à l'origine, le CANAFE était une organisation qui manquait d'expérience et possédait des connaissances très limitées. La qualité des dossiers qu'il a communiqués s'est améliorée. Cependant, quand nous quantifions son efficacité — et cela, je l'ai souvent dit —, nous avons construit une Rolls-Royce, mais qui a besoin d'un moteur pour rouler, c'est-à-dire l'application de la loi et l'enclenchement de poursuites. Le pays devrait-il s'évaluer d'après le nombre de poursuites intentées ou d'après les 1 000 cas communiqués par le CANAFE, auxquels personne ne s'est intéressé? D'après moi, le fossé entre les deux est énorme.
    Je suis donc d'accord. Il faut un contrôle, mais vraiment, au gouvernement, nous devons changer la proposition de valeur et l'étalon de mesure. Comme j'ai dit, je suis sûr que lorsque le GAFI examinera nos opérations en novembre, il insistera encore avec vigueur sur l'application de la loi.
    Permettez-moi alors de passer à ce sujet, parce que, en ce qui concerne la GRC, vous avez parlé d'acquisition de l'expertise, de rémunération fondée sur les compétences et d'une police nationale. Si j'ai bien compris, vous seriez d'accord avec les témoins qui sont passés devant le comité et qui ont dit que le gouvernement devrait envisager de détacher la GRC des fonctions de police communautaire ou provinciale pour en faire simplement une police nationale spécialisée dans des domaines comme la criminalité économique. Est-ce exact?
    C'est exact.
    Nous vivons aujourd'hui dans un monde complexe, où sévissent la cybercriminalité et le terrorisme. Nous devons changer nos méthodes. Il me faut vraiment me ranger derrière l'opinion de Jeffrey Robinson, qui a dit que nous combattons la criminalité du XXIe siècle par une doctrine héritée du XVIIIe siècle.
    Ce n'est pas de la désinvolture de ma part. Je suis très fier d'avoir fait partie de cette organisation. Si c'était à recommencer, je n'hésiterais pas. Mais aujourd'hui, la réalité est que cette organisation, et je vois les choses de l'extérieur depuis maintenant sept ans, la GRC, ne peut pas continuer d'assurer tous les services à tous. C'est impossible, on ne peut plus ajouter de pain sur la planche, faute de place.

  (1030)  

    Quand quelqu'un acquiert des compétences dans le domaine qui est le vôtre, on l'envoie souvent ailleurs, en Alberta, par exemple, dans une communauté où il fait un travail absolument différent de celui qu'il faisait avant.
    Oui. Je peux vous donner un exemple. J'ai consacré à un agent près de 25 000 $, pour sa formation à l'étranger, pour l'acquisition de compétences, pour le faire qualifier comme expert assermenté près les tribunaux. Dès après sa première cause, on l'a promu commandant d'un détachement et transféré.
    Comme je l'ai dit dans mon mémoire, si l'un de vous, par malheur, devait subir une opération du cerveau, à cause d'une tumeur, s'adresserait-il à un généraliste?
    Il ne me reste plus beaucoup de temps, sauf pour une dernière question.
    Vous avez préconisé des partenariats public-privé, ce qui, dans ce domaine, semblera étrange à certains. Pouvez-vous vous expliquer rapidement?
    Au début de l'Initiative intégrée de contrôle des produits de la criminalité, nous avons commencé par mettre des comptables sous contrat. Nous avons fait appel à l'aide de ces spécialistes, qui possédaient les qualités que nous recherchions. Dans ces affaires, en raison de leur complexité — et je continue aujourd'hui encore à participer à des enquêtes sur la criminalité économique — je compte sur des conseillers juridiques et sur des comptables. Pourquoi ne faisons-nous pas de même pour l'application des lois. On ne peut pas embaucher ou former quelqu'un... alors qu'il est possible de trouver et de s'adjoindre immédiatement quelqu'un qui possède des compétences en comptabilité à titre de valeur ajoutée. Si nous sommes constamment en mode de formation, c'est parce que nous essayons d'acquérir nous-mêmes ces capacités.
    D'accord. Je vous en suis très reconnaissant.

[Français]

     Monsieur Dubourg, la parole est à vous. Vous disposez de cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur McGuire, ma question s'adresse à vous.
    Ces derniers temps, on assiste à une sorte de chasse aux sorcières auprès des organismes de bienfaisance par l'Agence du revenu du Canada. Selon les notes d'information de la Bibliothèque du Parlement, en 2013-2014, l'ARC a révoqué l'enregistrement de 1 612 organismes de bienfaisance.
    Dans l'une de vos interventions, vous avez parlé de l'équipe de l'ARC chargée des vérifications. Ces actions ont-elles été entreprises dans le contexte du terrorisme, ou est-ce simplement parce que ces organisations de bienfaisance menaient des activités politiques allant à l'encontre des façons de faire du gouvernement, par exemple?

[Traduction]

    Eh bien, j'estime effectivement que la direction chargée de la lutte contre le financement des activités terroristes de la division des organismes de bienfaisance a hérité d'une mission utile, dont elle s'est très bien acquittée. Elle a contribué à des études internationales sur la question.
    Quant à savoir si tous les organismes de bienfaisance — je crois que vous avez dit 1 600 — avaient des liens avec le terrorisme, je ne saurais dire.

[Français]

     Vous admettez qu'il est possible que des organismes de charité transfèrent des sommes à des organisations terroristes.

[Traduction]

    Sans hésiter, je dirais que oui.

[Français]

    Merci.
    Monsieur le président, j'aimerais revenir à Mme Vonn.
    Madame Vonn, tout comme nous, vous croyez que la vie privée des Canadiens est extrêmement importante. C'est clair et on connaît bien votre position par rapport au projet de loi C-51. J'aimerais savoir si vous verriez d'un bon oeil que des parlementaires puissent superviser le Service canadien du renseignement de sécurité et d'autres organismes qui sont visés par ledit projet de loi, dont le CANAFE, par exemple?

[Traduction]

    Oui, absolument.
    Nous sommes très partisans de l'examen et de la surveillance. Nous les préconisons sans cesse. Nous appuyons les recommandations de la commission d'enquête Arar. Nous sommes déçus que ces recommandations soient restées lettre morte dans le projet de loi C-51. Le moment aurait été bien choisi, puisque nous élargissons les pouvoirs. Nous disons aussi que la supervision ne suffira pas à elle seule à remédier aux carences de la loi, mais, bien sûr, nous l'appuyons.

  (1035)  

[Français]

    D'accord, merci.
    Monsieur Clement, avez-vous la même opinion sur cette question?

[Traduction]

    Comme j'ai dit, je ne trouve rien à redire à la supervision. Je crois qu'elle est généralement utile, tant que nous ne créons pas de bureaucratie. Assurons-nous de rendre le processus efficace et efficient. Je pense que les motifs pour la supervision sont excellents.
    Nous vivons dans une ère nouvelle, marquée par une criminalité ou un terrorisme qu'aucun de nous n'a jamais voulu affronter. Je pense donc que le moment est bien choisi.
    Merci.
    Monsieur Van Kesteren, allez-y, vous êtes le dernier intervenant.
    Je cherchais l'occasion de peut-être apporter une conclusion à certaines de mes réflexions.
    Monsieur Rafiq, je vous suis reconnaissant de vos propos. On a commencé par dire que ce n'est pas un phénomène inhabituel, qu'il transcende la société à différents titres. Permettez-moi d'être d'un avis différent. Je le dis parce que si nous mettons en place des mesures de déradicalisation... Je pense que nous devrions tous nous accorder à dire que nous devons nous protéger contre cette radicalisation actuelle de l'Islam. Je proposerais que nous adoptions des mesures pour le faire, en espérant que vous fassiez de même en Grande-Bretagne.
    Nous n'offrons pas d'emplois. C'est une erreur. Nous préparons la voie à la prospérité économique, pour que les gens puissent trouver des emplois gratifiants. Nous offrons une bonne éducation.
    Je suis moi-même libertaire. Mme Vonn pourra être heureuse de l'entendre. Je dirais que le gouvernement présente un excellent bilan. Cependant, je perçois un danger dans vos propositions, celles d'officialiser certaines formes de pensée. Alors, avec Mme Vonn je dirai: « C'est ce que vous croyez? ».
    J'ai un côté agriculteur. J'aime faire les choses de manière naturelle, et peut-être que le gouvernement, à un certain moment, contestera ces croyances. Je pense qu'il nous faut vraiment focaliser notre attention sur un certain domaine.
    Pouvez-vous réagir à cela, succinctement? Après, je questionnerai M. Clement sur le financement des activités terroristes.
    Il y a deux choses dans ce que vous dites. D'abord, permettez-moi de dissiper certaines faussetés. Au Royaume-Uni, 47 % des personnes condamnées pour terrorisme islamiste avaient fait des études universitaires et six d'entre elles étaient présidents de sociétés islamiques universitaires du Royaume-Uni. Près de 49 % des personnes condamnées pour ce même motif au Royaume-Uni étaient employés de bureau et intégrées dans la société. Elles avaient de bons emplois et une bonne instruction. Cela n'empêche pas la radicalisation. Les agents de la radicalisation trouveront toujours d'autres motifs et d'autres problèmes pour faire des convertis.
    Mon autre observation concerne une certaine mentalité et la déradicalisation. Je m'attendrais qu'une démocratie libérale et laïque s'offusque du fait que certains, dans un État islamique ou même au Canada ou ailleurs, estiment que les apostats de l'islam méritent la mort et qu'elle veuille les déradicaliser. Que cette démocratie, ici ou à l'étranger, essaie vraiment d'y réagir. De plus, on devrait rééduquer ceux qui croient qu'on peut faire du mal à autrui. Je m'attendrais que ces personnes obtiennent l'aide dont elles ont besoin, du point de vue idéologique, pour revenir dans une sorte de normalité et je croirais qu'elles l'obtiendraient.
    Merci. Nous n'avons plus beaucoup de temps. Il nous en faudrait un peu plus.
    Monsieur Clement, entre les bandes de motards dont vous avez parlé et les terroristes, existe-t-il une forme de collusion? Est-ce que là aussi le premier motif est simplement l'argent? Nous parlons de montants très élevés.
    Comme je ne travaille pas dans ce monde, actuellement, et que je ne possède pas de renseignements de haut niveau, je peux seulement dire que le narcotrafic va bien. L'héroïne afghane circule sans entraves ici. Quelqu'un est derrière cela et, dans beaucoup de nos communautés, comme vous le savez bien, des groupes criminalisés comme les Hells Angels exercent beaucoup de contrôle.

  (1040)  

    J'aimerais m'étendre sur le sujet, mais le temps va bientôt manquer.
    Au nom de tout le comité, je tiens à remercier tous les témoins pour une discussion remarquable qui a eu lieu ici, à Ottawa, et au Royaume-Uni.
    Merci beaucoup d'avoir été en contact avec nous depuis Londres, monsieur Rafiq. Je l'apprécie beaucoup. Si vous avez d'autres renseignements à communiquer au comité, n'hésitez pas. Nous veillerons à les transmettre à ses membres.
    Chers collègues, très rapidement, avant de lever la séance, puis-je demander à quelqu'un de proposer le budget dont vous avez tous pris connaissance?
    Je le propose.
    La motion est déposée: tous ceux qui sont en faveur?
    (La motion est adoptée.)
    Je remarque que le coût d'une vidéoconférence est à peu près le même que celui de faire venir ici quelqu'un de Winnipeg. Est-ce vraiment si cher?
    Voulez-vous dire une vidéoconférence avec l'étranger?
    Oui. Est-ce à cause des services de téléconférence?
    C'est pour l'ensemble des services concernant les vidéoconférences, à ce que je sache.
    Et c'est 1 200 $ chaque fois? Ça semble énorme.
    Ces 1 200 $ sont le prix unitaire.
    D'accord. Merci.
    Chers collègues, je vous remercie.
    La séance est levée.
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