Passer au contenu
Début du contenu

CIMM Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration


NUMÉRO 024 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 5 mai 2014

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Français]

    Chers collègues, bienvenue à cette 24e séance du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration.
    Je vous remercie tous d'être ici.

[Traduction]

    Je tiens à remercier nos témoins d'être des nôtres pour la première heure du comité.
    Aujourd'hui, nous recevons l'Inter-Clinic Immigration Working Group. Geraldine Sadoway est avocate-conseil à l'interne et Nicole Veitch est étudiante en droit chargée de dossiers à Parkdale Community Legal Services. Merci d'être avec nous.
    Du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, nous recevons M. Shimon Fogel, qui en est le président-directeur général.
    Nous allons commencer par le Inter-Clinic Immigration Working Group. Vous disposez d'un maximum de huit minutes.
    Bonjour et merci de m'avoir donné l'occasion de m'adresser au comité au sujet des changements proposés à la Loi sur la citoyenneté au Canada. Vous trouverez nos huit recommandations dans notre mémoire, ainsi qu'un résumé à la deuxième page. Nous en avons des exemplaires supplémentaires, au besoin.
    Dans mon exposé oral, je vais me concentrer sur le rallongement du critère de résidence et expliquer en quoi cela ne contribuera pas à renforcer la citoyenneté canadienne. Nicole Veitch vous parlera des obstacles auxquels se heurtent certains réfugiés et immigrants de la catégorie du regroupement familial et qui seront exacerbés si le projet de loi C-24 est adopté.
     Permettez-moi de commencer par un exemple de forte citoyenneté canadienne. Lorsque les représentants de notre clinique juridique communutaire se sont réunis, la première fois, pour parler du projet de loi C-24, une de nos collègues, Rosalinda, nous a dit combien il avait été important pour elle et sa famille de devenir citoyens canadiens. Elle avait 16 ans lorsqu'elle est arrivée au Canada, en 1975, accompagnée de ses parents et de ses six frères et soeurs. Ils venaient du Chili, en passant par l'Argentine, après le coup militaire de Pinochet. Son père avait été arrêté et torturé au Chili. À sa libération, la famille s'était enfuie en Argentine, où tous les membres ont été reconnus comme réfugiés par le HCR de l'ONU, puis acceptés par le Canada pour s'y réétablir.
    Le père de Rosalinda avait auparavant travaillé comme tuyauteur dans une grande usine, au Chili. Il a obtenu un emploi à la fonderie Holmes, à Sarnia, puis à la centrale nucléaire de Bruce. Sa mère, qui n'avait auparavant jamais travaillé en dehors de la maison, a pris un emploi dans une usine de conserves de tomates, à Aylmer. Les parents ont encouragé Rosalinda, ainsi que ses frères et ses soeurs, à apprendre l'anglais et à apprendre tout sur le Canada. En 1978, trois ans après leur arrivée au Canada, le jour même où ils sont devenus admissibles à la citoyenneté, ils ont tous soumis leur dossier de demande. Huit mois plus tard, ils sont devenus citoyens.
    Pour leur cérémonie de citoyenneté, la mère de Rosalinda a fabriqué à toutes ses filles un magnifique tailleur en velours rouge qu'elles ont porté avec un chemisier blanc. Après, le père de Rosalinda portait toujours son épinglette du drapeau canadien lorsqu'il s'habillait pour une occasion spéciale et c'est justement l'objet que vous avez devant vous. Rosalinda nous a confié que son père, qui est décédé l'an dernier, disait toujours qu'on les avait traités avec respect et avec prévenance, à l'ambassade canadienne en Argentine. Après leur arrivée au Canada, il n'ont connu que des gens aimables et bienveillants, tant au sein du gouvernement que de la population canadienne.
    Elle nous a raconté que son père avait retrouvé sa dignité humaine. Il voulait devenir citoyen canadien pour ressentir un véritable sentiment d'appartenance et pour pouvoir participer pleinement à la vie canadienne, notamment en votant. Il a toujours été très fier d'être canadien et il a clairement indiqué à sa famille, durant sa dernière maladie, qu'il voulait être enterré au Canada.
    Au cours des dernières années de sa vie, le père de Rosalinda a travaillé comme bénévole et comme parajuriste, et il faisait de la traduction et de l'interprétation pour les nouveaux réfugiés et immigrants, les aidant à s'établir. Il a inculqué à tous ses enfants un profond sentiment de dévouement et de loyauté envers le Canada.
    Maintenant, je doute qu'il existe un plus grand degré d'amour, un plus grand sens de la loyauté et du dévouement envers le Canada que celui que ressentent les réfugiés qui ont été forcés de fuir leur pays en temps de guerre ou d'oppression politique et qui ont obtenu asile et protection au Canada.
    Si je vous raconte cette anecdote, c'est que le Canada va perdre certains de ses citoyens les plus dévoués et les plus loyaux si les réfugiés qui ont été acceptés ici s'aperçoivent qu'ils ne peuvent pas obtenir la citoyenneté canadienne. Les réfugiés ont besoin de la citoyenneté encore plus que les autres immigrants, car dans la plupart des cas, ils sont juridiquement parlant ou à toutes fins pratiques apatrides.

  (1535)  

    Comme nous l'avons indiqué dans notre mémoire, en vertu de l'article 34 de la Convention relative au statut des réfugiés, le Canada est également tenu de faciliter l'intégration et la naturalisation des réfugiés.
     Avec le projet de loi C-24, le rallongement de la période de résidence à quatre années sur six, sans reconnaître toute période déjà passée au Canada avant l'obtention de la résidence permanente, on ne fait rien pour renforcer la citoyenneté au Canada. En accroissant l'exigence du critère de résidence, on ne fait que retarder l'intégration et la naturalisation d'un grand nombre de réfugiés et d'immigrants et on décourage certaines personnes de demander la citoyenneté.
    Nos recommandations visent ainsi à réduire les obstacles qui pourraient empêcher les réfugiés et autres nouveaux arrivants de devenir citoyens ou qui risqueraient de retarder l'obtention de leur citoyenneté. Nicole va vous parler des obstacles que nous avons observés pour vous aider à comprendre pourquoi nous avons formulé ces recommandations.
    Merci.
    Madame Veitch, vous disposez de deux minutes.
    Je vous remercie de l'occasion que vous m'offrez de prendre la parole, aujourd'hui. En faisant ressortir les obstacles que j'ai observés en tant que chargée de dossiers, j'espère vous montrer en quoi les amendements proposés à la Loi sur la citoyenneté négligent les besoins des résidents permanents souffrant d'un handicap, d'un état psychologique handicapant et de difficultés sociales.
    Le paragraphe 5(3) de la Loi sur la citoyenneté confère au ministre le pouvoir de dispenser une personne des exigences linguistiques et du test de connaissances pour des raisons humanitaires. Bien que cette dispense discrétionnaire soit maintenue dans les amendements proposés, si l'on agrandit les groupes d'âge des personnes devant satisfaire aux exigences, cela entraînera une augmentation du nombre de demandes d'exemption. On peut faire en sorte que le processus soit beaucoup plus accessible. Nous recommandons de faciliter les demandes d'exemption en informant les gens de cette possibilité et en leur venant en aide, le cas échéant.
    J'aimerais également préciser que j'ai constaté qu'il était très difficile d'obtenir suffisamment de preuves médicales pour bénéficier d'une dispense. Pour illustrer mon propos, l'été dernier, j'ai contacté 15 différentes agences, à Toronto, avant de pouvoir en trouver une qui veuille bien essayer d'évaluer mon client qui parlait le tibétain, qui n'avait suivi aucune scolarité et qui avait une difficulté d'apprentissage. Parallèlement, à PCLS, nous rencontrons fréquemment des réfugiés dont les traumatismes nuisent à leur capacité d'apprentissage, notamment le deuil, l'anxiété et les troubles de stress post-traumatique.
    D'un point de vue réaliste, les résidents permanents qui sont confrontés à des obstacles à l'apprentissage et qui disposent d'un réseau de soutien riche et privilégié sont plus susceptibles d'obtenir une exemption. La citoyenneté ne saurait s'acheter. Nous avons besoin de lignes directrices claires pour demander aux juges de la citoyenneté d'être raisonnables par rapport aux preuves qu'ils exigent et de tenir compte des difficultés pour obtenir les documents médicaux confirmant les handicaps.
    J'aimerais également ajouter qu'il est essentiel d'avoir le droit d'appel pour protéger les résidents permanents dont la demande de dispense a été rejetée par un juge de la citoyenneté. Lorsque mon client qui parle tibétain a finalement pu voir un spécialiste pour travailler avec lui, il a obtenu un rapport solide indiquant qu'il ne pourrait jamais apprendre l'anglais, même à un moindre niveau, en raison de son handicap. Malgré cela, lorsqu'il a été à son audience de citoyenneté, avec des lettres d'appui de son employeur, de ses enseignants d'anglais langue seconde, ou ESL, et de son médecin de famille, le juge lui a refusé de recommander une exemption. Cela a eu un effet dévastateur sur lui. Il se sent profondément honteux de ne pas pouvoir apprendre l'anglais malgré les cours d'ESL qu'il a suivis pendant des années, au cours de ses 11 ans passés au Canada. À l'heure actuelle, mon client a le droit d'en appeler de la décision devant la Cour fédérale, au motif selon lequel la preuve médicale n'a pas été considérée.
    Nous vous implorons de ne pas révoquer le droit d'appel des gens dont la demande de citoyenneté a été rejetée. La décision d'accorder une demande d'autorisation de révision judiciaire est discrétionnaire et il s'agit par ailleurs d'un processus dispendieux et inaccessible pour les demandeurs à faible revenu.
    Ces exemples sont uniques, car nos clients ont pu bénéficier des services d'une clinique d'aide juridique, avec des services de traduction et la capacité de leur venir en aide. Toutefois, les membres du comité ne doivent pas oublier que, dans bien des régions du Canada, ces services juridiques ne sont pas offerts. Il existe un grand nombre de résidents permanents, au Canada, qui appartiennent à la catégorie des réfugiés ou du regroupement familial et qui sont confrontés à ces obstacles pour obtenir leur citoyenneté...

  (1540)  

    Merci. Je suis désolée, madame Veitch, mais votre temps est écoulé. Vous aurez, je l'espère, plus de temps pour nous en dire plus durant la période des questions.
    Monsieur Fogel, vous avez maintenant la parole. Vous disposez de huit minutes.
    Allez-y.

[Français]

    C'est un plaisir pour moi de comparaître aujourd'hui au sujet du projet de loi C-24.

[Traduction]

    Permettez-moi de commencer par me faire l'écho du consensus au sujet de la nécessité de mettre à jour la Loi sur la citoyenneté et de remercier le gouvernement d'avoir pris l'initiative à cet égard.

[Français]

    Nous avons bien hâte de voir les immigrants bénéficier des droits et responsabilités de la citoyenneté canadienne rapidement, efficacement et avec une plus grande intégrité, et cela, dans un cadre juridique réformé.

[Traduction]

    La citoyenneté canadienne est l'un des biens les plus précieux et les plus respectés au monde, mais c'est loin d'être uniquement un statut prestigieux. Ici, la citoyenneté est un ensemble équilibré de droits et de responsabilités qui reposent sur un éventail de valeurs fondamentales et visant à garantir la dignité, la liberté et l'égalité pour tous.

[Français]

    L'histoire du Canada est largement une histoire d'immigrants, une réalité que les communautés juives de partout au Canada connaissent bien.

[Traduction]

    En dépit de la sombre période de la politique canadienne qui disait « aucun, c'est encore trop » pour les immigrés et des réfugiés juifs, nous avons pu venir ici, des quatre coins du monde, au cours des 200 et quelques dernières années, et contribuer de manière positive à l'histoire canadienne, à l'instar de nombreux autres groupes avec lesquels nous apprécions l'extraordinaire chance et le privilège que nous avons d'être Canadiens.
    Au Canada, les immigrants sont une source de vitalité culturelle et une force économique. Bon nombre de ceux qui choisissent de venir au Canada adoptent nos valeurs, car ils connaissent la dure réalité de vivre sans ces valeurs.

[Français]

    Les immigrants sont parmi les plus fiers patriotes et bâtisseurs de ce pays. En fait, la modernisation de la Loi sur la citoyenneté profitera à tous.

[Traduction]

    La vaste majorité des citoyens canadiens apprécient le cadeau qu'ils ont reçu, mais il y en a malheureusement qui rejettent nos valeurs fondamentales et qui abusent de la confiance qui sous-tend notre contrat social. Nous saluons les mesures préconisées par le projet de loiC-24visant à promouvoir le rapprochement avec le Canada et l'adhésion aux valeurs canadiennes fondamentales.
    Nous accueillons favorablement l'introduction de critères plus rigoureux en matière de résidence, notamment la présence effective pour obtenir la citoyenneté.

[Français]

    Cela, avec les exigences linguistiques et de savoir, facilitera l'intégration des immigrants et diminuera leur possible marginalisation.

[Traduction]

    En outre, cela fera beaucoup pour prévenir l'importation de points de vue antisémites qui, même s'ils sont marginaux au Canada, sont encore endémiques dans certaines régions du monde.
    Nous appuyons également les mesures proposées pour veiller à ce que les demandeurs de citoyenneté canadienne aient réellement l'intention de conserver des liens significatifs avec le Canada, après avoir prêté serment. Les dispositions concernant l'« intention de résider » jouent un rôle important à cet égard et pourraient avoir pour effet de diminuer considérablement le nombre de citoyens de convenance. Il y a le problème des personnes qui profitent de la citoyenneté canadienne, qui tirent parti de la générosité canadienne, mais qui n'ont absolument aucun lien réel avec ce pays, ni ne font rien pour lui. Leur citoyenneté est purement une question de convenance et elles n'ont pas réellement l'intention de résider au Canada.
    Cela étant dit, nous reconnaissons que cette disposition risque de faire l'objet d'abus. Il ne semble pas y avoir de protection qui empêcherait un ministre d'entamer des procédures de révocation contre une personne ayant déclaré son intention de résider au Canada, mais qui serait partie à l'étranger pour étudier, travailler ou s'occuper d'un parent malade. Même s'il est peu probable que le ministre le fasse, cela demeure une possibilité.
    À notre avis, on pourrait résoudre le problème d'abus éventuel en exigeant du ministre qu'il obtienne une déclaration du tribunal dans les cas de fausse déclaration sur l'intention de résider, comme on l'exige dans d'autres cas de fraude. En plus de l'intention de résider, le projet de loi permettra de simplifier le processus de révocation de la citoyenneté de ceux qui ont obtenu leur citoyenneté canadienne en ayant fait de fausses déclarations sur leur participation à des violations des droits de la personne ou des droits internationaux.
    Étant donné qu'il a été très laborieux d'essayer de renvoyer les criminels de guerre nazis du Canada, renvois pour lesquels le Congrès juif canadien, une des organisations qui nous a précédés, s'est battu pendant si longtemps, il s'agit d'une mesure dont la communauté juive se réjouit tout particulièrement. Avec les changements proposés, le Conseil des ministres ne pourra plus renverser la décision du tribunal de renvoyer quelqu'un qui aura menti sur sa participation à de tels actes haineux, ce qui s'est d'ailleurs produit avec les criminels de guerre nazis. Le processus en sera renforcé pour veiller à ce que les criminels en question puissent être renvoyés du Canada dans des délais raisonnables.
    Lors d'une réunion précédente de ce comité, quelqu'un a affirmé que, plutôt que de protéger davantage les Canadiens juifs, comme je l'ai laissé entendre, ce projet de loi allait en fait les rendre particulièrement vulnérables au risque de voir leur citoyenneté révoquée en raison de la Loi sur le retour d'Israël. Cela n'est pas le cas.

  (1545)  

    Aux termes de la Convention de l'ONU de 1954 relative au statut des apatrides, un apatride est toute personne qu'aucun État ne considère comme ressortissant par application de sa législation. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a précisé que la convention ne demandait pas si une personne devait ou pouvait être ressortissante d'un État particulier d'après sa législation, mais plutôt si la personne était ressortissante d'un autre État. Israël ne considère pas les Juifs du Canada comme étant des ressortissants de l'État et visés par la Loi sur le retour; ils ont plutôt le droit de se faire naturaliser et de devenir des citoyens israéliens, par le biais d'un processus d'immigration volontaire assujetti à certaines restrictions.

[Français]

    Pour qu'un Juif canadien soit considéré comme citoyen israélien, il doit d'abord demeurer en Israël et être certifié en tant que nouvel immigrant.

[Traduction]

     La possibilité de devenir citoyen israélien n’équivaut pas à la double nationalité pour les juifs canadiens, selon la Convention de l’ONU sur le statut des apatrides ou selon le projet de loiC-24. Si le ministre demandait la révocation de la citoyenneté d’un Canadien d’origine juive, la personne menacée de révocation n’aurait qu’à prouver qu’elle n’est pas citoyenne d’un autre État – qu’il s’agisse d’Israël, du Royaume-Uni ou d’ailleurs – pour éviter la révocation, en raison des obligations internationales du Canada concernant l’apatridie. La situation est la même pour les juifs et tous les autres citoyens canadiens. Tant que les Canadiens d’origine juive n’ont pas la double citoyenneté et qu’ils ne commettent aucune infraction désignée, le ministre ne pourra pas révoquer leur citoyenneté.
    Le projet de loi prévoit un recours pour révoquer la citoyenneté des Canadiens ayant la double citoyenneté et qui commettent certaines infractions, notamment des actes de trahison ou d’espionnage,ou qui prennent les armes contre les Forces canadiennes. Ces infractions sont essentiellement des actions contre l’institution de la citoyenneté et contre l’État lui-même. La révocation de la citoyenneté est une conséquence raisonnable de ces actions et il est surprenant que le Canada soit une des seules démocraties occidentales qui ne puisse pas révoquer la citoyenneté de ressortissants ayant la double nationalité dans de pareils cas.
    Il existe d’autres crimes politiques qui sont de nature tellement haineuse qu’ils s’attaquent aux valeurs fondamentales sur lesquelles repose la citoyenneté canadienne. Les actes de terrorisme sont un exemple où le retrait de la citoyenneté est une conséquence raisonnable. Nous nous réjouissons de voir cela inscrit dans le cadre du projet de loi.

[Français]

    Bien que nous appuyions le principe de la révocation de la citoyenneté comme conséquence du terrorisme, nous soulignons que cette disposition pourrait être mieux appliquée.

[Traduction]

     Nous prenons au mot leministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et ses collaborateurs lorsqu’ils disent que les Canadiens possédant la double citoyenneté et condamnés à l’étranger pour terrorisme seront assujettis à une évaluation en deux temps pour déterminer si l’infraction de terrorisme commise à l’étranger est équivalente à une infraction de terrorisme aux termes du Code criminel, ici, au Canada, et pour s’assurer que le processus judiciaire de condamnation est juste, transparent et indépendant. Cette évaluation en deux étapes est cruciale et pourtant la seconde ne semble pas être explicitement prévue par le projet de loi, comme exigence préalable à toute révocation.
    Par conséquent, il semble qu’un futur ministre pourrait fort bien renoncer à la seconde étape de ce processus primordial. Cela pourrait avoir comme conséquence imprévue de retirer la citoyenneté à des Canadiens possédant la double nationalité sur la base de fausses accusations, de chefs d’accusation fondés sur des motifs politiques et une procédure judiciaire devant un tribunal fantoche. Ainsi, nous estimons que le projet de loi devrait être modifié pour inscrire explicitement le recours à des normes équivalentes en matière de preuve et à un processus en bonne et due forme, dans le cas de condamnations à l’étranger, pour faire en sorte que le ministre puisse s’en servir comme motifs pour révoquer la citoyenneté des personnes concernées.
    En outre, nous suggérons que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides soient également ajoutés à la liste des motifs de révocation de la citoyenneté. Comme avec le terrorisme, il s’agit de crimes politiques d’une nature tellement haineuse qu’ils s’attaquent aux valeurs fondamentales sur lesquelles la citoyenneté canadienne est basée.

  (1550)  

[Français]

    Le principe qui s'applique au terrorisme s'applique aussi à ces cas.

[Traduction]

    De plus, tout comme un terroriste qui peut se servir de la citoyenneté canadienne pour jouir d’une plus grande mobilité en vue de perpétrer ses attaques et échapper à la justice, on devrait également priver les auteurs de ces crimes de l’utilité de la citoyenneté canadienne. Nous trouvons aberrant que l’on puisse révoquer la citoyenneté aux Canadiens disposant de la double nationalité qui ont menti sur leur participation à des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des génocides, avant de devenir citoyens, mais qu’on ne puisse pas le faire pour les personnes ayant commis ces actes en brandissant le passeport canadien. La communauté juive a trop souvent été victime de tragiques attentats terroristes, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide.

[Français]

    Je vous remercie de l'attention portée à notre perspective sur ces enjeux importants.
    
    Merci beaucoup, monsieur Fogel.
    Nous allons maintenant commencer les tours de questions.
    Monsieur Menegakis, vous avez la parole.

[Traduction]

    Merci, madame la présidente.
    Je tiens à dire un très gros merci à nos témoins qui ont comparu aujourd’hui.
    Monsieur Fogel, je tiens à vous remercier tout particulièrement d’être venu témoigner, en cette journée de l’indépendance du grand État d’Israël. Je suis convaincu que vous avez une journée très chargée, avec vos collègues. Nous sommes tout à fait conscients de l’excellent travail que fait le CCRJI.
    Voici donc mes questions. J’aimerais aborder la question de la révocation, pendant quelques instants. Le projet de loi prévoit la révocation pour les personnes qui ont la double nationalité et qui ont commis un acte de trahison ou de terrorisme contre les Forces armées canadiennes ou contre notre pays, le Canada. Il s’agit de personnes qui ont la double citoyenneté. Elles perdront leur citoyenneté si elles commettent un de ces deux actes.
    Nous avons entendu les détracteurs du projet de loi. En réalité, nous avons entendu le manque de compassion, ici, pour les victimes d'actes de terrorisme, de ceux qui ont parlé de révocation, par rapport à ce projet de loi.
    Nous avons été témoins d'actes de terreur dans d'autres pays qui ont entraîné la mort d'innocents, de mères, de pères, de filles, de fils, d'amis et d'être chers. Nous pensons que le projet de loi envoie un signal fort, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez. À votre avis, quel signal envoie-t-on aux victimes de ces criminels si l'on ne prend pas les actes de ces criminels au sérieux et s'ils continuent de jouir des mêmes droits et du même accès que la vaste majorité des citoyens canadiens qui défendent fièrement les valeurs canadiennes, ainsi que les droits et les responsabilités?
    Tout d'abord, merci pour vos aimables propos.
    Je suis d'accord avec la prémisse de votre commentaire, mais j'aborderais la chose sous un angle quelque peu différent. Au CCRJI, nous travaillons très fort pour voir comment les Canadiens peuvent montrer leur gratitude et leur appréciation pour le merveilleux cadeau qu'est ce pays, dans deux ans, lorsque nous célébrerons notre 150e anniversaire. Parmi les choses qui ressortent, on peut mentionner le fait que d'être Canadien ne s'accompagne pas uniquement des droits dont nous jouissons, mais également des responsabilités qui s'y rattachent.
    Pour moi, la question n'est pas de punir les gens en révoquant leur citoyenneté à la suite de certaines activités ou de certains actes qu'ils ont commis, mais il s'agit plutôt du fait que ces gens-là vont tellement à l'encontre des valeurs canadiennes fondamentales qu'il n'y a aucune justification ni aucune façon de réconcilier la citoyenneté canadienne à ce genre d'activité.
    Pour les personnes qui sont nées au Canada, nous ne disposons pas d'instruments pour montrer à quel point ces actes sont étrangers aux valeurs canadiennes fondamentales, mais pour les personnes ayant la double nationalité, c'est possible. Je crois qu'il est tout à fait raisonnable de dire que ces actes sont diamétralement opposés aux valeurs canadiennes et aux sensibilités canadiennes, à tel point que cela mérite qu'on dise: « Vous ne faites plus partie du Canada. »

  (1555)  

    Merci.
    J'ai grandi à Montréal. J'ai grandi en plein coeur du quartier juif, entre Van Horne et Mountain Sights. Cela vous donne une idée exacte. J'habitais juste au coin, en fait. Ma chambre donnait sur la Jewish People's School. J'avais des amis — et j'ai toujours des amis — qui sont allés à cette école avec moi, à l'école Van Horne et à l'école secondaire Northmount, et dont les parents... La mère de mon meilleur ami de l'époque — que Dieu la bénisse — est toujours en vie. Elle a toujours les numéros tatoués sur sa peau, monsieur Fogel.
    Étant issu d'une famille d'immigrants et ayant grandi dans ce quartier de Montréal, j'ai connu à un très jeune âge les effets du fanatisme et de l'extrémisme et de ceux qui veulent faire du mal — commettre des actes de terreur — à d'autres êtres humains à cause de ce qu'ils sont. J'ai appris les effets que cela avait eu sur des générations et des générations, et pas seulement sur les familles directement touchées, mais également sur le genre humain.
    J'appuie n'importe quel projet de loi qui sert à dissuader ce genre d'activité et à l'éradiquer. En tant que Canadiens, nous ne devrions avoir aucune tolérance pour cela. J'apprécie vos commentaires. Pensez-vous que le fait de retirer la citoyenneté canadienne aux personnes qui ont la double nationalité et qui ont été reconnues coupables de terrorisme ou de haute trahison aura éventuellement un effet dissuasif?
    Un effet dissuasif sur les personnes qui envisageraient de commettre ce genre d'actes...?
    Je crois que si quelqu'un apprécie le cadeau qu'est la citoyenneté canadienne et s'il est conscient du risque de perdre ce cadeau, à la suite de certaines actions, cela pourrait effectivement avoir un genre d'effet dissuasif.
    Je sais qu'il faut éviter de penser exclusivement en termes de droits et que la citoyenneté dans ce pays requiert un engagement envers certaines valeurs et un certain code de conduite. Si quelqu'un déclarait qu'il déteste le Canada, qu'il déteste tout ce que ce pays représente, nous serions surpris qu'il exprime ensuite le désir d'en faire partie. Ces actes reviennent à dire la même chose, car ils sont diamétralement opposés à ce que nous représentons.
    Dans les 30 secondes qui me restent, permettez-moi de dire ce qui suit. L'an dernier, nous avons adopté le projet de loi C-43, la Loi sur le renvoi accéléré des criminels étrangers, et je crois qu'il existe un lien avec ce projet de loi également, car il contient des éléments dissuasifs pour ceux qui obtiennent... nous pouvons clairement révoquer la citoyenneté de ceux qui l'ont obtenue de manière frauduleuse. Les gens doivent s'identifier avant de venir ici, car nous pensons que les Canadiens ont le droit de savoir que leurs voisins, les gens qu'on laisse entrer au Canada, ne vont pas commettre de crime ni poser de danger pour leur famille, leurs enfants, autour de leurs écoles et dans leurs collectivités. J'ai donc apprécié vos commentaires là-dessus également.
    Merci beaucoup.

[Français]

    Merci, monsieur Menegakis.
    Monsieur Sandhu, vous avez la parole.

[Traduction]

    Merci, madame la présidente.
    Je tiens à remercier les témoins pour leur présence, cet après-midi.
     Madame Sadoway, j'ai une question à vous poser. Nous avons soulevé nos inquiétudes, à la Chambre et en comité, au sujet de la nécessité de consulter les Canadiens sur les changements proposés au projet de loiC-24. Le dernier grand changement apporté à cette loi remonte à 1977. Le gouvernement de l'époque avait publié un livre blanc et il y avait eu de vastes consultations à travers le pays, on avait organisé des forums et sondé les Canadiens aux quatre coins du pays.
    Le fait d'augmenter l'exigence pour la résidence n'est pas nécessairement une mauvaise chose, mais cela dépend des changements supplémentaires qui sont apportés. J'ai plusieurs questions à vous poser.
    Premièrement, pourquoi devrait-on s'inquiéter, au comité et en tant que Canadiens, de l'augmentation du critère de résidence qui est actuellement proposée dans le projet de loiC-24?

  (1600)  

    Permettez-moi de vous répondre en me servant de l'exemple d'une de mes collègues et de sa famille, car pour les réfugiés notamment, la période pendant laquelle ils sont privés de leur dignité humaine est vraiment cruciale. Si l'on ne facilite pas leur intégration et leur naturalisation, cela nuit au Canada et cela va également à l'encontre de nos obligations en vertu de la convention sur les réfugiés. Dans le cas de la famille en question, la période a été très courte.
    Mais malheureusement, nous voyons que la période de traitement de la citoyenneté, à elle seule, peut prendre de deux à trois ans. Si vous y ajoutez encore du temps pour le traitement de la demande de réfugié, par exemple, ou pour tout autre programme d'immigration (dont le nombre a beaucoup augmenté)... et je ne parle pas du temps passé légalement au Canada avant de devenir résident permanent! Il s'agit de la méthode que l'on semble privilégier pour admettre des immigrants, à savoir en passant par les programmes d'immigration qui sont quasiment des programmes à deux étapes ou probatoires. Nous ne reconnaissons aucunement la contribution de ces gens au Canada. Ils veulent être ici. Ils sont ici et ils travaillent, ils payent leurs impôts, mais ils ne peuvent pas voter. Les réfugiés ne peuvent même pas obtenir un passeport.
    La question est donc particulièrement importante pour les réfugiés. On peut dire que certains des gens les plus talentueux viennent au Canada par le biais de programmes pour étudiants étrangers et ensuite par le biais de la catégorie de l'expérience canadienne. Une autre de mes collègues est dans cette situation. Elle est au Canada depuis sept ans. Elle vient tout juste de devenir admissible et a obtenu sa résidence permanente, mais cela pourrait maintenant prendre jusqu'à quatre ans avant qu'elle ne puisse présenter une demande de citoyenneté. En vertu de la loi actuelle, elle pourra le faire dans deux ans. Il s'agit là d'un déficit démocratique.
    Votre organisation travaille auprès d'un grand nombre de groupes ethniques et culturels issus de divers milieux économiques. Pensez-vous que l'augmentation du critère de résidence proposée par le projet de loiC-24aura la même incidence sur toutes les demandes de citoyenneté?
    Non, car il n'y a pas que la question de temps qui nous préoccupe. Nous nous inquiétons également du fait que l'on ne réussisse pas à traiter des éventuelles exemptions, notamment en élargissant le groupe de demandeurs qui doivent prouver leur maîtrise de la langue et réussir le test de connaissances sur le Canada.
    Cela ne va pas poser de problème pour certaines personnes. Elles seront en mesure de le faire. Toutefois, il y en a d'autres qui ont été grandement défavorisées, et je pense notamment aux réfugiés, et qui vont en souffrir, car elles ne vont pas pouvoir bénéficier d'une dispense. Cela nous inquiète. Il y a la prolongation de la période, puis l'exigence du test, au départ, ce qui est déjà une réalité... Il faut réussir le test.
    Notre client dont Nicole a parlé ne serait même pas en mesure de faire accepter sa demande, dans le système actuel. Dans l'ancien système, il aurait pu y arriver. Nous plaidons actuellement devant la Cour fédérale pour obtenir une exemption.
    La période va s'avérer excessive et cela constitue un déficit démocratique pour le Canada.

  (1605)  

    Dans votre mémoire écrit, vous avez déclaré que ces amendements créaient une citoyenneté à deux vitesses. Pourriez-vous nous expliquer ce que cela signifie?
    À mon avis, c'est exactement le cas des personnes qui possèdent la double nationalité et des citoyens naturalisés qui seront confrontés à une citoyenneté à deux vitesses.
    C'est bien beau de dire que nous voulons que les citoyens — les personnes qui font une demande de citoyenneté — résident au Canada, mais ce n'est pas juste de les traiter différemment des autres citoyens canadiens qui sont nés ici. La réalité, c'est que si un citoyen canadien décide de se marier à l'étranger, d'élever une famille à l'étranger et éventuellement de revenir au pays pour y passer sa retraite, cela ne pose aucun problème. On ne lui enlève pas sa citoyenneté. En revanche, s'il s'agit d'un citoyen naturalisé, on dit désormais que s'il décide de ne pas résider ici tout le temps...il suffit d'une demande sur papier que le représentant du ministre peut présenter, dans laquelle il dit que vous n'aviez pas l'intention de résider au Canada et que vous avez menti sur vos intentions, lorsque vous avez obtenu votre citoyenneté canadienne.
    Dans la vie, la situation des gens change. On peut avoir une offre d'emploi à l'étranger. Pourquoi devrait-on traiter les citoyens naturalisés différemment des Canadiens nés ici, pour ce qui est de la possibilité d'accepter une offre de travail à l'étranger?
    Le problème est le même pour la révocation de la citoyenneté. Il s'agit d'une punition. Il s'agit très clairement d'une punition. Nous avons d'autres moyens de punir les gens. Plus besoin de les bannir, même si un de nos pères fondateurs a été banni par la Reine Victoria pour trahison.
    Merci, madame Sadoway. Je suis désolée de devoir vous interrompre.
    Monsieur McCallum, la parole est à vous.
    J'aimerais remercier tous nos témoins pour leur présence.
    Je suis certainement d'accord avec une grande partie -- pas tout, mais une grande partie -- des propos de M. Fogel, notamment en ce qui concerne nos pauvres valeurs canadiennes. Par votre entremise, madame la présidente, je dirais également aux conservateurs que je n'ai pas plus de patience ni de tolérance qu'eux pour les terroristes ou ceux qui commettent des crimes haineux.
    Mais en même temps, en tant que Canadien, je m'inquiète également du droit à un processus en bonne et due forme, de l'équité et du respect de la Charte des droits et libertés. Quant à savoir si nous sommes d'accord ou pas sur le fait que les vrais terroristes devraient être expulsés, c'est une autre question que je préfère mettre de côté.
    Ma question porte davantage sur le processus qui permet de décider si quelqu'un est un véritable terroriste ou un véritable criminel et si cette personne a droit à une application en bonne et due forme de la loi, en toute justice. Permettez-moi de vous lire ce qu'une avocate du nom de Robin Seligman nous a dit, mercredi dernier. Je la cite:
...si vous recevez une contravention de stationnement à Toronto ou sans doute n'importe où au Canada, vous aurez davantage droit à un procès équitable et un droit d'appel qu'en vertu de [cette] Loi sur la citoyenneté.... Votre contravention de stationnement vous donne droit à un procès équitable. La Loi sur la citoyenneté proposée ne vous y donne pas droit. C'est au ministre qu'il revient de décider si vous y aurez droit ou non. Cela peut prendre une dimension très politique et il faudrait certainement enlever ce genre de décisions au ministre.
    Bien que nous nous entendions sur le fait que les terroristes sont des êtres horribles, je ne veux pas que quelqu'un soit traité comme un terroriste s'il n'en est pas un.
    Est-ce que vous vous inquiétez de l'absence d'un processus d'application de la loi en bonne et due forme et juste?
    Vous soulevez un point capital. Ma réponse, en bref, est oui, je partage votre préoccupation.
    Je songe à diverses situations, surtout à des cas où un individu accusé d'avoir perpétré ou participé à un acte terroriste à l'étranger est reconnu coupable par un tribunal de là-bas et que la condamnation prononcée contre lui ne cadre pas avec nos normes et ce, de deux façons possibles: soit sur le plan de la preuve présentée, soit que notre Code criminel ne prévoit pas de chef d'accusation équivalent à l'acte reproché.
    Voilà pourquoi nous disons que ce projet de loi devrait codifier de manière explicite ce que, je pense, le ministre et certains de ses fonctionnaires ont indiqué être le cas sans toutefois aborder le sujet clairement, à savoir: avant d'envisager la révocation, le Canada ou tout autre gouvernement doit s'assurer que ces deux éléments sont rassemblés, il doit s'assurer que les principes fondamentaux qui s'appliqueraient chez nous, au Canada, ont été respectés.

  (1610)  

    Permettez-moi maintenant d'aborder le problème de l'inversion du fardeau de la preuve. Une fois de plus, je laisserai de côté la question de déterminer s'il devrait ou non être possible d'expulser des personnes qui jouissent de la double citoyenneté. Nous ne sommes peut-être pas d'accord là-dessus.
    Ce qui me préoccupe ici, c'est le processus. Le projet de loi prévoit que c'est à l'individu qu'il incombe de prouver l'absence de double citoyenneté. Or, selon le pays d'origine et le type de preuve dont l'individu dispose, cette tâche peut s'avérer très ardue. Même si l'information est véridique, la personne pourrait très bien ne pas être en mesure de fournir des preuves.
    N'est-il pas normal qu'en droit, le fardeau de la preuve incombe à la poursuite? Puisque le gouvernement a accès à davantage de ressources, n'est-ce pas lui qui devrait avoir la charge de démontrer la double citoyenneté d'une personne, plutôt que l'inverse?
    Ce que vous dites est tout à fait logique et reflète bien le processus en place depuis de nombreuses années au Canada. Par expérience, je peux vous affirmer que les différents gouvernements qui ont entrepris des efforts pour établir le statut de présumés criminels de guerre nazis, ici au Canada ont eu à présenter des tonnes d'informations — qu'ils étaient parfois incapables de produire et, par conséquent, dans l'impossibilité d'engager des procédures — pour établir que ces individus n'étaient pas des apatrides et qu'ils détenaient la nationalité d'un autre pays.
    Il m'est difficile d'envisager des circonstances dans lesquelles un gouvernement ou un ministre prendrait des mesures en l'absence de documentation claire, que le ministre aurait en sa possession et qui démontrerait que l'individu visé est effectivement citoyen d'un autre pays.
    Merci.
    Monsieur Leung, vous avez la parole.
    Merci, madame la présidente.
    J'aimerais revenir à M. Fogel sur un ou deux points.
    Tout d'abord, je souhaite rappeler que nous avons discuté de la révocation de la citoyenneté et je tiens à souligner que cette mesure vise des individus reconnus coupables et non, tout simplement, des accusés. Je crois que cela est très clair aux yeux du ministre. J'espère que cette interprétation est également claire dans la loi.
    Monsieur Fogel, j'aimerais que vous élaboriez sur une autre question, celle-là plus théorique sans doute, et je veux parler de l'intention de résider. Dans votre témoignage, vous avez parlé d'attachement au Canada, vous avez expliqué pourquoi la question de l'attachement était si importante.
    Permettez-moi de vous citer un exemple. Des membres de ma famille sont venus au Canada, y ont étudié et acquis la citoyenneté. Puis ils ont dû partir travailler à l'étranger, mais en bout de ligne, ils ont fini par travailler pour des sociétés canadiennes établies là-bas, apportant ainsi une contribution nette au Canada. Maintenant, je dirais 20 ans plus tard, ils ont pleins droits de citoyenneté. Ils n'ont jamais commis d'acte illégal. Ils ont certainement contribué à bâtir ce pays et à accroître son rayonnement international en finance et en commerce.
    Ce sont des citoyens canadiens de bonne foi. Ils ont apporté leur contribution au Canada. Leur intention de résider n'est pas vraiment un problème car ils ont toujours un attachement au Canada. Comme l'a mentionné Mme Sadoway, le hasard a fait qu'ils ont épousé une personne de l'étranger.
    Mais les grandes questions sont ailleurs. Je crois que l'intention de résider vise strictement les personnes qui souhaitent utiliser le passeport canadien en tant que document de complaisance pour commettre des crimes odieux ou des actes terroristes au Canada. Nous sommes tellement généreux et tellement attentionnés à cet égard! Par conséquent, je ne crois pas que dans des cas semblables, il y ait lieu d'imposer une limitation dans le temps. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
    Une fois de plus, je suis d'accord avec votre observation. Ce serait s'aventurer sur une pente glissante que de commencer à rattacher la motivation et l'intention aux actes des personnes. Je pense que nous tous ici présents pouvons imaginer une série de scénarios dans lesquels une personne doit, en toute légitimité, partir vivre à l'étranger, que ce soit pour s'occuper d'un parent âgé, d'un membre de la famille malade, pour le travail, les études ou toute autre raison.
    Je ne crois pas que cette clause ait pour but d'exercer une contrainte de ce genre sur les allées et venues des personnes et sur le choix du pays où elles vivent.
    Lorsque vous avez fait allusion aux passeports de complaisance ou à la citoyenneté de complaisance, je pense que votre principal point de mire était l'authenticité de la motivation à l'égard de notre pays. J'ai en mémoire quelques scénarios qui illustrent cet aspect et pour lesquels il n'aurait pas été incongru de notre part de contester l'intention de la personne à respecter son engagement envers le Canada.

  (1615)  

    Pourriez-vous nous donner quelques exemples?
    Je vous en citerai quelques-uns. Combien de temps me reste-t-il?
    Vous avez amplement de temps, vous avez trois minutes.
    En 2006, le conflit israélo-libanais s'est transformé en guerre chaude et 15 000 ressortissants canadiens qui avaient été naturalisés canadiens — des gens nés ailleurs mais qui avaient acquis la citoyenneté canadienne — ont été évacués hors du Liban, à un coût de près de 100 millions de dollars. Il s'agissait de citoyens canadiens. Le gouvernement, qui estimait à juste titre avoir la responsabilité d'offrir refuge et protection à ces personnes, a procédé aux évacuations par avion, une opération extrêmement complexe.
    Trois mois plus tard, plus de la moitié d'entre eux étaient retournés au Liban. La question qui se pose est la suivante: quel lien ces personnes entretiennent-elles avec le Canada, outre celui d'y trouver un lieu sûr où se réfugier lorsqu'ils ne se sentent pas en sécurité dans leur pays?
    Il existe des exemples encore plus flagrants, comme ce pays — j'ai oublié lequel pour le moment, mais je trouverai l'information quelque part dans mes notes — où un individu associé à un régime despotique pendant les événements du printemps arabe avait par la suite été reconnu coupable de crimes contre l'humanité. Cet individu avait déjà obtenu le statut de résident permanent au Canada pour lui et sa famille, même s'il ne vivait pas ici.
    Afin d'échapper à la justice au Moyen-Orient, il est venu trouver refuge au Canada — non pas parce qu'il avait l'intention de s'y établir avec sa famille — mais plutôt comme un moyen de contourner l'obligation de répondre des crimes dont il était accusé.
    Dans des cas semblables, j'ai du mal à concevoir le bien-fondé du maintien de ce genre de protection.
    Je suis entièrement d'accord avec vous pour dire qu'il est difficile de prendre une décision quand il s'agit d'évaluer l'intention, en particulier dans des cas de citoyenneté de complaisance, de mariage de convenance ou encore de naissance de convenance: on vient ici pour accoucher puis on repart.
    Je vous remercie de vos observations.
    Vous avez également abordé la question de l'attachement au Canada. À quel type d'attachement faites-vous allusion et quelle raison vous a amené à faire ce commentaire?
    Vous avez 30 secondes pour répondre.
    Je suis Canadien de première génération. Mes parents sont des survivants de l'Holocauste, arrivés ici après la guerre.
    Je n'aurais pas besoin de 30 secondes pour démontrer ce que signifie l'attachement au Canada si vous connaissiez mes parents et pouviez constater leur fierté d'être venus s'installer ici, leur gratitude envers ce pays qui leur a donné la chance de se refaire une vie.
    Éprouver de l'attachement, ça veut dire se sentir responsable de contribuer à la croissance de ce pays, de lui ajouter de la valeur et de l'enrichir avec ce que vous apportez à la table. Ces choses-là ne se font pas à distance. La seule façon d'y parvenir est d'accepter de se salir les mains, d'affronter les hivers et, pour certains d'entre nous, les moustiques en été.

[Français]

    Merci, messieurs Leung et Fogel.
    Monsieur Toone, vous avez la parole pour cinq minutes.
    Merci, madame la présidente.

[Traduction]

    Encore une fois, je remercie tout le monde pour sa présence ici aujourd'hui. La discussion a été très intéressante.
    J'aimerais souligner le caractère inhabituel de nos audiences d'aujourd'hui. Nous sommes réunis en comité pour débattre de ces questions avant que ce projet de loi n'ait été présenté à la Chambre pour vote à la deuxième lecture, ce qui signifie qu'en fait, nous sommes en train de tenir une audience préliminaire. Selon moi, le fait que le gouvernement nous demande de nous pencher sur ces questions en dit long sur leur complexité. C'est une situation très rare. Je tiens à vous réitérer ma connaissance pour votre participation à ce processus inhabituel.
    J'aimerais exprimer certaines préoccupations concernant le projet de loi. L'une de ces préoccupations découle des interventions de M. Leung. Quand vient le temps d'évaluer la qualité du demandeur de citoyenneté, l'un des éléments consiste à déterminer si ce dernier a déjà été reconnu coupable d'un crime. Mais c'est un terrain glissant car, comme nous l'avons mentionné — je crois, monsieur Fogel, que c'est vous qui avez soulevé ce point —, certains crimes perpétrés à l'étranger sont jugés selon des critères différents des nôtres. Des personnes aboutissent en prison pour avoir participé à des protestations politiques tout à fait légitimes, mais dans des pays où de telles activités sont définies comme étant illégales et interdites.
    J'étais encore très jeune la première fois qu'il m'a été donné de comprendre ça. C'était pendant le Printemps de Prague. Mes parents avaient accueilli un ressortissant tchèque venu au Canada comme réfugié. Pour la première fois de ma vie, je me suis rendu compte qu'il existait des pays où les gens ont la vie autrement plus difficile que la nôtre.
    Je voudrais qu'on fasse preuve de prudence et qu'on soit conscient des discriminations dont sont victimes certains demandeurs de la citoyenneté canadienne en raison de lois étrangères. Madame Sadoway, vous avez aussi effleuré la question de la discrimination attribuable aux lois de certains pays en matière de nationalité. Pourriez nous en dire un peu là-dessus?

  (1620)  

    Nous n'avons aucun contrôle sur les lois qui régissent la nationalité dans d'autres pays. Elles varient énormément d'un pays à un autre. Si quelqu'un pouvait avoir la double citoyenneté et que dans un autre pays — comme c'est arrivé au Canada: des personnes sont devenues apatrides à la suite de l'adoption d'une loi dans un autre pays. Ça a été le cas d'environ 100 000 femmes dont la citoyenneté était rattachée à celle de leur mari. En 1927, si ma mémoire est bonne, plusieurs de ces femmes qui vivaient au Canada avec leur mari américain sont devenues apatrides à la suite de l'adoption de la Cable Act aux États-Unis.
    Nous n'avons aucun contrôle sur ces lois. Retirer la citoyenneté en se disant que la personne a la possibilité d'en acquérir une autre est, selon moi, très dangereux et peut mener au statut d'apatride.
    Cette question est d'autant plus intéressante du fait que c'est au demandeur qu'il incombe de prouver qu'il ne possède pas de double citoyenneté. Et ce qui se produit souvent, même au Canada, c'est que certaines personnes ne connaissent pas toutes les règles et toutes les lois que nous adoptons ici au Parlement, par exemple.
    Nous savons qu'en raison des lois en place dans le pays de naissance de leurs parents, certaines personnes ont une double citoyenneté et ne le savent même pas. Elles sont nées au Canada et n'ont aucune idée de leur situation.
    Tout à fait. J'ai aussi traité beaucoup de cas où il faut déterminer en vertu de quelle loi une personne est mariée du point de vue du droit international. C'est un cas classique. Par quelle loi est visée un individu qui est en mer et qui se marie? La plupart du temps, lui-même n'en a pas la moindre idée. Il n'a pas fait d'études universitaires pour répondre à cette question. À mon avis, le fardeau de la preuve est un problème fondamental dans ce genre de situation.
    Pour ce qui est des exigences en matière de résidence, le même problème se pose, nous l'avons constaté. L'Agence du revenu du Canada, par exemple, possède d'énormes quantités de documents sur la façon de définir la résidence. Quant à l'agence du revenu des États-Unis, je pense qu'elle a renoncé à essayer de la définir. Les Américains ont maintenant décidé qu'ils allaient taxer tout le monde, indépendamment du lieu où ils se trouvent et indépendamment du fait qu'ils aient l'intention de revenir au pays ou pas.
    Il me reste 20 secondes.
    Il est évident que la question de l'intention pose un problème. Très brièvement: pouvez-vous la résumer en 15 secondes?
    Je crois, en effet, qu'il est absolument impossible de déterminer l'intention. Nous l'avons constaté même lorsqu'il s'agit seulement d'établir ou de prolonger la résidence permanente. Certaines personnes doivent quitter le Canada pour de très bonnes raisons — prendre soin d'un proche ou à la suite d'un accident arrivé là-bas.
    Donc, oui, c'est une question très difficile.

  (1625)  

[Français]

    Monsieur Daniel, vous avez la parole.

[Traduction]

    Merci, madame la présidente, et merci aux témoins d'être venus. Comme la plupart des témoins ici présents, je suis moi aussi un immigrant de première génération. Nous connaissons l'importance d'être Canadiens et sommes conscients du privilège que représente le fait de le devenir.
    J'aimerais poser une question à M. Fogel à propos de certaines observations qu'il a faites.
    La semaine dernière, un témoin nous a informés, à tort, qu'en raison de la loi sur le retour en Israël, les juifs pouvaient voir leur citoyenneté révoquée. Vous en avez déjà parlé, mais pourriez-vous nous donner plus de détails afin d'être sûrs d'avoir bien compris.
    En quelques mots, la loi sur le retour était une loi fondamentale votée lors de la création de l'État, en 1948. C'était un moyen de tenir compte de ce que les juifs venaient de vivre en Europe. On y codifiait les catégories de personnes qui, du fait d'être juives, se verraient octroyer automatiquement la citoyenneté si elles en faisaient la demande. Pour ce faire, on a utilisé les mêmes critères, mais à l'inverse, que ceux utilisés par les nazis pour identifier qui est juif à des fins de sélection pour ce qui allait devenir l'Holocauste.
    Cependant, cette loi constitue un droit et non une obligation. Par exemple, je suis un juif né au Canada, à Montréal. Je suis allé très souvent en Israël. J'utilise un passeport canadien parce que je suis né au Canada. Je n'ai pas de passeport israélien. Je ne suis pas citoyen d'Israël parce je n'en ai pas fait la demande. Par conséquent, en tant que juif et citoyen canadien, il n'existe aucune circonstance dans laquelle je pourrais voir ma citoyenneté révoquée en raison du fait que je suis citoyen d'un autre pays, que ce soit Israël ou un autre.
    Nous avons constamment discuté du fait que la citoyenneté canadienne n'est pas à vendre et nous voulons, par cette mesure législative, renforcer la valeur de la citoyenneté canadienne.
    En adoptant cette loi, quel message enverrions-nous à ceux qui cherchent à abuser de la citoyenneté canadienne et s'en servir simplement dans le but d'obtenir un passeport canadien et commettre des actes de terrorisme?
    J'espère, madame la présidente, que je ne m'éloigne pas trop du sujet en vous disant que notre communauté est aux prises avec de nombreuses questions controversées, dont l'actuel conflit arabo-israélien n'est pas le moindre. L'une de nos préoccupations à cet égard —et ceci n'est aucunement une affirmation générale à propos d'un groupe particulier — est la tendance à importer au Canada certaines attitudes et orientations venues d'ailleurs plutôt que de permettre aux valeurs canadiennes de s'imposer comme un ensemble de critères précis qui façonnent l'attitude des personnes.
    Quand on parle de valeurs canadiennes dans le contexte des néo-Canadiens, je pense que ce que nous essayons de dire, c'est qu'il s'agit d'un ensemble de valeurs qui nous définissent en tant que Canadiens et que ce sont celles auxquelles nous souhaitons voir les néo-Canadiens adhérer. Si nous laissons s'y mêler des attitudes et des allégeances à des valeurs qui vont à l'encontre des idéaux canadiens, quel message transmettons-nous sur la valeur de la réalité canadienne?
    Il est de plus en plus important que ceux qui envisagent d'immigrer au Canada ou d'obtenir la citoyenneté canadienne comprennent qu'il existe un contrat social dans ce pays. Et que contrat social signifie adhésion à tout ce qui fait que nous sommes Canadiens. Il ne s'agit pas seulement de valeurs exclusivement canadiennes — d'autres pays partagent ces mêmes valeurs — mais de valeurs qui définissent ce que nous sommes en tant que nation et qui nous sommes en tant que peuple.

  (1630)  

[Français]

    Malheureusement, c'est tout le temps dont nous disposions.
    Je remercie encore une fois les trois témoins d'être venus devant le comité pour poursuivre l'étude du projet de loi C-24.
    Je vais maintenant suspendre la séance du comité et demander à nos prochains témoins de s'approcher de la table.

  (1630)  


  (1635)  

    Nous reprenons nos travaux pour la deuxième heure de la 24e séance du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration.
    Nous recevons aujourd'hui trois témoins. Seulement deux sont présents dans la salle. Le troisième témoin se joindra à nous par vidéoconférence dans quelques minutes, aussitôt qu'on aura réglé le petit décalage attribuable à la technologie.
    En attendant, nous allons commencer par les déclarations d'ouverture des deux témoins qui sont avec nous aujourd'hui.

[Traduction]

    Nous recevons Mme Sheryl Saperia, directrice canadienne des politiques pour le Canada, de la Foundation for Defense of Democracies. Bienvenue.
    Nous accueillons également Mme Maureen Basnicki, fondatrice et directrice exécutive de l'Alliance of Canadian Terror Victims Foundation, et cofondatrice de la Coalition canadienne contre la terreur. Bienvenue.
    Madame Sheryl Saperia, vous avez la parole pour nous présenter votre exposé de huit minutes.
    Bon après-midi et merci de m'avoir invitée ici aujourd'hui.
    Je veux souligner l'apport de mon ami Danny Eisen, de la Coalition canadienne contre la terreur, qui a formulé un grand nombre des idées que j'aborderai aujourd'hui. Je tenais simplement à mentionner son nom.
     Mes observations porteront essentiellement sur les dispositions du projet de loiC-24 relatives à la révocation de la citoyenneté pour cause de trahison, de terrorisme et de conflit armé contre le Canada. Comme je l'ai signalé dans un témoignage précédent, appuie ces dispositions sur le plan théorique. Elles constituent une mise à jour du contrat social qui a toujours existé entre le Canada et ses citoyens. De façon générale, ce contrat commun à toutes les démocraties libérales désigne la compréhension que les citoyens consentent à respecter en s'acquittant de certaines obligations envers l'État, en échange d'autres privilèges. Le projet de loi C-24 laisse entendre que la citoyenneté canadienne, qu'elle soit acquise à la naissance ou octroyée par naturalisation, repose sur un engagement fondamental envers l'État: celui de s'abstenir de commettre une infraction considérée comme allant à l'encontre des intérêts du Canada en matière de sécurité nationale.
    Tout acte de trahison et tout conflit armé contre le Canada visent clairement à porter atteinte au pays en tant qu'entité nationale et que collectivité politique. Il est donc tout à fait pertinent que la conséquence de tels crimes soit la perte de la citoyenneté du pays auquel le contrevenant a cherché à porter préjudice.
    Qu'en est-il du terrorisme? On pourrait invoquer l'argument convaincant que le terrorisme, en tant que crime unique — ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les tribunaux du Canada qui qualifient le terrorisme de crime unique — est tellement contraire aux valeurs canadiennes que celui qui choisit de recourir à une telle violence fait carrément preuve d'allégeance contraire aux intérêts de l'État.
    Quoi qu'il en soit, je recommanderais personnellement que le projet de loi énonce l'existence d'une relation plus étroite entre le crime et la conséquence associée à la perte de la citoyenneté. Plus précisément, je propose que toute infraction terroriste perpétrée au Canada ou contre une cible canadienne à l'étranger, ou toute association avec une entité inscrite sur la liste, suffise pour déclencher la révocation de la citoyenneté. Ces entités inscrites que le Canada a désignées publiquement comme des organisations terroristes sont devenues les ennemies publiques de l'État. Collaborer avec une entité inscrite pour commettre un acte terroriste, c'est prêter allégeance à des forces qui s'emploient à porter préjudice au Canada.
    Le projet de loi prévoit que la révocation peut découler non seulement d'une condamnation pour terrorisme national avec une sentence de cinq ans ou plus, mais aussi d'une condamnation à l'étranger. Lorsque cette condamnation est prononcée dans un pays dont les valeurs et les normes juridiques sont semblables aux nôtres, cela a du sens. Mais qu'en est-il d'un pays doté d'un système juridique auquel nous ne faisons pas confiance?
     Si j'en juge d'après l'audience de la séance de la semaine dernière, le ministre Alexander entend user de sa discrétion ministérielle pour recourir à un processus en deux étapes. La première étape consisterait à examiner la nature de l'infraction commise à l'étranger et à déterminer si cette infraction a son équivalent parmi les actes terroristes prévus au Code criminel canadien. Cela est énoncé dans la législation. Mais la seconde étape de l'examen, qui a été décrite comme une étude de l'équité du processus ayant mené à la condamnation, n'est mentionnée nulle part dans le projet de loi. Je recommande un amendement à cet égard.
     Une solution serait que l'analyse bipartite du ministre, qui a été décrite par son entourage la semaine dernière, soit codifiée dans la loi — autrement dit, qu'elle soit explicite — pour que, au moment de trancher dans un dossier de révocation de citoyenneté pour terrorisme, on puisse à la fois tenir compte de la nature de l'acte et de l'équité de la condamnation. Par ailleurs, lorsque la décision de révocation découle d'une condamnation prononcée à l'étranger, on pourrait recourir à un processus de recommandation ministérielle et d'approbation du tribunal afin de déterminer si la condamnation à l'étranger était motivée par des considérations politiques ou si le juge qui a prononcé la condamnation était vraiment indépendant.
    Le fait est qu'une mesure aussi sévère que la révocation de la citoyenneté doit être soigneusement énoncée afin d'en assurer la conformité aux lois et aux valeurs du Canada et, bien entendu, à nos obligations internationales. En ce sens, je reconnais que le projet de loi respecte les exigences de la Convention sur la réduction des cas d'apatridie. Le projet de loi C-24 prévoit que si une personne n'a que la citoyenneté canadienne, elle ne peut voir cette citoyenneté révoquée, indépendamment du crime, parce que personne ne peut être apatride.
    Cependant, cela ouvre la porte à un nouvel argument, à savoir que le projet de loi crée injustement deux catégories de citoyens: ceux possédant deux ou plusieurs nationalités, et qui risquent de se voir retirer de leur citoyenneté canadienne, et ceux n'ayant que la citoyenneté canadienne, et qui peuvent être punis de diverses manières, mais ne peuvent pas perdre leur citoyenneté.

  (1640)  

    En ce qui a trait aux personnes dont le statut de double citoyenneté est un choix, souvent pour des motifs de liens personnels ou pour profiter des avantages des deux citoyennetés, l'argument ne tient pas la route. La double citoyenneté ne leur a pas été imposée. Ces personnes ne font pas l'objet de discriminations en raison d'une quelconque condition inhérente. C'est un choix, de la même façon qu'elles peuvent choisir de renoncer à l'autre citoyenneté, de n'être que citoyen Canadien et ainsi, ne pas être assujetties aux dispositions de l'autre pays.
    Mais qu'en est-il des pays qui interdisent la renonciation à la citoyenneté? Dans le cas d'un gouvernement qui hésite à maintenir le statut juridique d'une citoyenneté à laquelle une personne a, en vain, tenté de renoncer, on pourrait envisager la solution qui suit.
    Lorsque l'auteur d'un acte de terrorisme, de trahison ou de conflit armé possède également la citoyenneté d'un pays qui interdit la renonciation, le ministre pourrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour évaluer l'ampleur de ce que j'ai appelé la « relation active » à cette citoyenneté. Par exemple: la personne en question entretient-elle des liens étroits avec l'autre pays concerné? A-t-elle invoqué un des droits dérivant de cette citoyenneté? A-t-elle voyagé avec le passeport de ce pays ou exercé une fonction officielle réservée à ses seuls citoyens? Plus la relation à la citoyenneté est active, moins la prétention selon laquelle cette citoyenneté a été imposée est crédible.
    Il faut souligner que même si la révocation de la citoyenneté est un outil à considérer dans les cas de personnes reconnues coupables de crimes graves contre le Canada, il importe avant tout que des mesures préventives ou correctives soient prises afin de prévenir toute situation susceptible de mener à la révocation. Les programmes de lutte contre la radicalisation sont essentiels, et je suis ravie d'apprendre que le gouvernement fédéral est sur le point d'annoncer la mise en place d'une tel programme.
    Des contrôles de sortie plus stricts sont également une option. L'an dernier, je crois, Ray Boisvert, ancien directeur adjoint du renseignement au SCRS, a suggéré qu'il devrait y avoir
un moyen facile de déclencher le refus d'un passeport — ou la confiscation du passeport d'un citoyen — s'il existe suffisamment d'information pour démontrer que la personne est devenue fortement radicalisée, qu'elle a proféré des menaces ou a agi de façon à mettre la vie ou le bien-être des autres en danger.
    Cette mesure pourrait s'appliquer aussi bien aux personnes à citoyenneté unique que double. Contrairement à la révocation, qui est une mesure réactive, la confiscation du passeport pourrait être un moyen efficace de dissuader les Canadiens de se livrer à des activités terroristes ou de participer à un conflit armé à l'étranger. Le système de gestion des cas de voyageurs à risque élevé, récemment déployé par la GRC et dont l'objectif est d'« empêcher de jeunes radicaux de partir vers des zones de conflit comme la Syrie, la Somalie et l'Afrique du Nord », semble recourir à un mécanisme semblable.
     Les organismes occidentaux chargés de la sécurité craignent que leurs citoyens se rendent dans ces pays pour participer au djihad et acquérir les compétences et les mobiles qui les pousseront à perpétrer des actes similaires dans leur propre pays. Au moins une étude a démontré que les groupes terroristes formés à l'étranger sont de loin plus meurtriers, plus dangereux et plus sophistiqués que ne le sont les cellules terroristes intérieures. Si les dispositions du projet de loi C-24 relatives à la révocation de la citoyenneté aident à empêcher l'importation ou l'exportation de bains de sang, elles méritent toute l'attention parlementaire nécessaire.
    J'ai un dernier commentaire à faire. Si ce projet de loi est adopté, il devrait peut-être s'accompagner d'une modification du processus de demande de passeport canadien. Toute personne âge de 16 ans et plus devrait être tenue de reconnaître par écrit les conditions liées à la citoyenneté. Le document en question préciserait au demandeur que tout acte de trahison, de terrorisme ou tout conflit armé est susceptible d'entraîner la révocation de la citoyenneté. Essentiellement, il s'agit d'un contrat: à défaut d'en respecter les conditions, des pénalités s'appliquent.
    Merci.

  (1645)  

[Français]

    Le troisième témoin s'est joint à nous par vidéoconférence à partir de Toronto. Il s'agit de Mme Audrey Macklin, membre du conseil de direction de l'Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés. Elle est également professeure et titulaire de la Chaire en droits de la personne à la Faculté de droit de l'Université de Toronto.

[Traduction]

    Je vous souhaite la bienvenue, madame Macklin. Avant de vous céder la parole, nous entendrons Mme Basnicki pour huit minutes.
    Merci de l'invitation à fournir mon apport aux délibérations. Je m'adresse à vous en tant que veuve canadienne du 11 septembre et en tant que fondatrice de l'Alliance of Canadian Terror Victims.
    Depuis les attentats du 11 septembre à New York, j'ai mené des campagnes de sensibilisation à la détresse des familles canadiennes qui perdent des êtres chers lors d'actes terroristes commis au Canada et ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, je tiens particulièrement à aborder la question de la révocation de la citoyenneté canadienne aux individus reconnus coupables de terrorisme, à la lumière de ce je considère constituer un ensemble de valeurs profondément canadiennes. En tant que nation, le Canada s'est taillé une réputation internationale de défenseur des droits de la personne et de la démocratie. Le Canada promeut et protège une forme de société qui permet à ses citoyens de vivre une vie productive et enrichissante.
    Le Canada, selon moi, est un brillant exemple de tout ce que le monde occidental a d'admirable. Notre pays accueille de nombreux immigrants venus des quatre coins du monde à la recherche d'une vie meilleure. En contrepartie, le Canada leur demande de vivre dans le respect d'un ensemble minimal de normes. Notre politique d'appui au multiculturalisme permet aux immigrants de vivre en toute liberté le mode de vie qui était le leur avant leur arrivée. La majorité d'entre eux s'adaptent et deviennent des éléments productifs de la société canadienne en acceptant, dans leurs actes sinon dans leur esprit, les valeurs canadiennes.
    Les actes terroristes se situent à l'extrême opposé de ces valeurs. En faisant d'innocentes victimes, les terroristes dénigrent et violent chaque principe des valeurs qui caractérisent l'identité canadienne. Or, si le Canada permet à un individu reconnu coupable de terrorisme de conserver sa citoyenneté, il admet que l'acte terroriste fait partie du tissu social canadien. Dans la mesure où la citoyenneté canadienne est un privilège, celle-ci devrait pouvoir être révoquée si son détenteur démontre, par la perpétration d'actes terroristes, qu'il n'a aucunement l'intention de respecter les normes minimales que le Canada s'attend à voir respecter. Le Canada doit affirmer clairement qu'il ne tolérera aucune activité terroriste de la part de quiconque.
    La révocation de la citoyenneté est une façon claire et directe d'affirmer qu'en raison de vos actions, vous êtes déchu de votre citoyenneté canadienne. En fait, le Canada doit déclarer haut et fort que quiconque viole les valeurs canadiennes en accomplissant des actes terroristes se verra retirer le privilège d'être Canadien. La mise en place d'une politique de tolérance zéro à l'égard du maintien et de la protection des valeurs qui nous sont chères est la seule façon, pour le Canada, de demeurer une figure phare, un point de repère pour le monde entier. Permettre à des citoyens reconnus coupables d'actes terroristes de rester au Canada est, à mon avis, la pire des lâchetés en même temps qu'un affront envers tous les Canadiens qui respectent la loi.
    Encore une fois, je vous remercie de m'avoir invitée à présenter mon point de vue.
    Merci, madame Basnicki, pour vos exposés.
    Nous allons maintenant entendre Mme Macklin. Vous avez huit minutes.

[Français]

    Je vous remercie de m'avoir invitée à me joindre à vous aujourd'hui par vidéoconférence.
     Je vais faire ma présentation en anglais.

[Traduction]

    J'accepterai les questions aussi bien en anglais qu'en français et je serai heureuse de répondre aux questions du comité.
    Je me contenterai d'aborder les dispositions relatives à la révocation et je me concentrerai plus précisément sur la légalité de ces dispositions.
    J'aimerais d'abord clarifier les dispositions concernant la révocation pour fraude, fausse représentation ou dissimulation de faits importants.
    Vous avez entendu le témoignage du ministre selon lequel l'inclusion d'une condition obligeant un demandeur à signifier son intention de résider au Canada une fois sa citoyenneté obtenue est une disposition qui ne serait pas applicable après l'obtention de la citoyenneté. Peut-être est-ce une façon, pour le ministre, d'exprimer son désir ou son intention d'utiliser la loi proposée, mais j'aimerais préciser que ce n'est pas ainsi que la loi actuellement proposée est rédigée.
     Le projet de loi C-24 se penche sur les conditions existantes pour l'obtention de la citoyenneté par naturalisation à savoir: résider au Canada depuis un certain temps, passer des tests de langue et de connaissances sur le Canada et avoir, dans l'ensemble, un dossier sans tache. La façon dont cela fonctionne, c'est que si ces conditions ne sont pas respectées ou si un demandeur dissimule des faits, fait de la fausse représentation ou commet une fraude en lien avec l'une de ces conditions, la citoyenneté ainsi obtenue peut lui être révoquée après coup.
    À ces conditions, la loi proposée ajoute une exigence voulant que le demandeur affirme son intention de résider au Canada après avoir été naturalisé. La structure de cette disposition est telle que si le ministre considère qu'une personne a commis une fraude, une fausse représentation ou une dissimulation de faits dans son intention de résider au Canada une fois sa citoyenneté obtenue, le ministre pourrait, en principe, en demander la révocation pour un de ces motifs. Que le ministre choisisse ou non d'appliquer cette mesure, cela relève de sa discrétion, mais j'aimerais insister sur le fait que la loi, telle qu'elle est proposée actuellement, confère au ministre le pouvoir de demander l'annulation de la citoyenneté de toute personne qui, de l'avis du ministre, n'a pas exprimé en toute honnêteté son intention de résider au Canada une fois sa citoyenneté obtenue. Voilà donc un premier éclaircissement en ce qui concerne la législation et la légalité.
    J'aimerais aussi me pencher sur la constitutionnalité des dispositions relatives à la révocation. Je vais commencer non pas avec la révocation fondée sur la fraude ou la fausse représentation, mais bien sur les dispositions abordées par nos deux témoins précédents: la révocation pour inconduite de la part d'un citoyen. En d'autres mots, le recours à la révocation de la citoyenneté en guise de punition.
    Il est important de comprendre que la jurisprudence canadienne traite de la constitutionnalité de certaines formes de sanctions en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Le dossier le plus pertinent pour ce qui nous intéresse aujourd'hui est le cas Sauvé. Dans l'affaire Sauvé, une loi refusait le droit de vote aux détenus qui purgeaient une peine de plus de deux ans dans une prison canadienne. Les détenus se voyaient donc refuser un droit prévu par la Constitution et garanti par l'article 2 de la Charte: celui de voter pendant qu'ils étaient en prison.
    Cette loi a été invalidée par la Cour suprême du Canada parce qu'elle violait les dispositions de l'article 2 de la Charte d'une manière qui ne pouvait se justifier au sens de l'article premier de la Charte. J'aimerais mentionner deux parties de ce jugement qui s'avèrent particulièrement pertinentes dans l'examen de la révocation de la citoyenneté au titre de punition.
    Peut-on dépouiller quelqu'un de sa citoyenneté dans le but de le punir pour ce que nous appelons des crimes contre la citoyenneté? Permettez-moi d'attirer votre attention sur les propos tenus par la Cour suprême du Canada et qui rejoignent directement ce qu'ont exprimé les orateurs précédents quant à la notion de contrat social, cette idée voulant qu'il existe un contrat social en vertu duquel certains types de crimes sont formellement condamnés et que la personne qui en commet, parce qu'elle est réputée avoir violé cette condition du contrat, est passible de révocation de citoyenneté.

  (1650)  

    Au sujet de cette approche, voici ce que la Cour suprême du Canada a affirmé:
Le contrat social engage le citoyen à respecter les lois issues du processus démocratique. Mais il ne s’ensuit pas qu’un défaut à cet égard annule l’appartenance permanente du citoyen à la cité. D’ailleurs, le recours à l’emprisonnement pour une période déterminée plutôt qu’à l’exil définitif est le signe de notre acceptation de l’appartenance permanente à l’ordre social.
    En d'autres mots, la Cour suprême du Canada a fait savoir noir sur blanc que le fait de punir une personne en la privant de ses droits constitutionnels et en l'excluant du contrat social n'est pas conforme à la Constitution. Retirer à quelqu'un son droit de vote aux seules fins de lui infliger un châtiment n'est pas constitutionnel. Ce droit est garanti par la Charte. Il semble évident que la privation des droits constitutionnels, car c'est bien de cela qu'il s'agit quand on parle de révocation de la citoyenneté et d'expulsion hors du Canada, est aussi un acte anticonstitutionnel.
    Il me semble que la lecture du cas Sauvé apporte une réponse relativement complète à la question de la constitutionnalité du bannissement comme forme de châtiment valide en vertu de la Charte des droits et libertés.
    Il est clair qu'en poussant plus loin et en examinant d'autres aspects de la ratification de la citoyenneté prévus dans la Charte, on trouvera d'autres éléments qui, à premier abord, semblent inconstitutionnels. Par exemple, l'article 11 de la Charte stipule que lorsqu'un individu doit répondre de ses actes par une conséquence pénale — dans le cas qui nous occupe, le châtiment par dénaturalisation —, il est autorisé à exercer certains droits procéduraux.
     Selon l'article 11 de la Charte, ces droits comprennent la présomption d'innocence. Or, dans la loi actuelle, la présomption d'innocence est violée de la façon suivante. Si le ministre croit qu'un individu détient une double citoyenneté — et, de ce fait, ce dernier risque d'être dénaturalisé en se voyant retirer sa citoyenneté —, c'est à lui que le ministre impose de démontrer qu'il est, ou n'est pas, également citoyen d'un autre pays. Autrement dit, la seule façon pour ce citoyen d'empêcher qu'on lui retire sa citoyenneté canadienne est de prouver hors de tout doute qu'il ne possède pas d'autre nationalité. Le renversement du fardeau de la preuve constitue une violation de l'article 11 de la Charte et a été reconnu inconstitutionnel. Le projet de loi C-24 inclut une clause d'inversion du fardeau de la preuve.
     La Charte stipule qu'avant qu'un accusé soit reconnu coupable d'un crime et condamné à une peine, sa culpabilité doit être établie hors de tout doute raisonnable. Or, le projet de loi C-24 ne prévoit pas de norme en matière de preuve de la culpabilité hors de tout doute raisonnable.
     Selon notre Charte, la cause de tout individu devant faire l'objet d'une sanction doit être entendue dans le cadre d'un procès ouvert et équitable, devant un tribunal indépendant et impartial. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration n'est pas un tribunal indépendant et impartial. C'est un ministre du gouvernement, pas un juge.

  (1655)  

    Madame Macklin, vous avez 30 secondes pour conclure, s'il vous plaît.
    Je constate une double violation de l'article 15 de la Charte. D'abord, cette loi établit une discrimination au détriment des citoyens naturalisés par rapport à ceux qui acquièrent la citoyenneté par la naissance. Elle est également discriminatoire en d'autres façons envers les citoyens qui ont une double citoyenneté comparativement à ceux que j'appellerai les citoyens à citoyenneté unique. À mon avis, ni l'une ni l'autre de ces formes de discrimination ne résisterait à un examen constitutionnel, pas plus qu'elle ne serait justifiable vertu de l'article 1.
    Merci.

[Français]

    Merci beaucoup, madame Macklin.
    Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité.
    Monsieur Shory, vous avez la parole pour sept minutes.

[Traduction]

    Merci, madame la présidente.
     Je remercie les témoins d'être venus exprimer leur points de vue devant le comité. Votre contribution nous aidera certainement dans notre étude du C-24.
    Je commencerai par Mme Basnicki.
    Madame Basnicki, je sais que vous avez été touchée personnellement par le terrorisme et que vous en avez vécu toute l'horreur. Je peux vous assurer que personne parmi nous tous ici présents ne peut comprendre autant que vous ce qu'est le terrorisme et les conséquences qu'il peut avoir sur une vie. C'est très clair dans mon esprit.
     Je parlerai également du volet du projet de loi C-24 qui porte sur la révocation de la citoyenneté. Quand on parle de révocation, on pense à ce groupe d'individus reconnus coupables de terrorisme, qui ont commis des actes odieux contre l'humanité. Pour ma part, quand on parle de passeports canadiens, quand on parle de citoyenneté canadienne, je dis toujours la même chose: je suis une immigrante.
    C'est seulement en 1989 que j'a immigré au Canada. Je me suis toujours dit que celui qui a la chance de pouvoir venir vivre au Canada a frappé le gros lot. C'est ce que je pense. Et je crois qu'il faut tout faire pour protéger ces valeurs.
    Tout le monde sait que le passeport canadien est très respecté partout dans le monde. Lorsque, avant d'atterrir quelque part, je remplis la déclaration de débarquement, et qu'à la question sur la citoyenneté j'inscris « canadienne », je me rappelle le jour où j'ai parlé aux agents de l'ASFC pour la première fois. C'est un jour que je n'oublierai jamais. Ce pays a toute ma reconnaissance, et je remercie Dieu aussi.
    Quand on parle du Canada, on parle d'un pays qui a la réputation d'être sécuritaire, d'une nation qui respecte les lois. Mais de plus en plus de passeports canadiens sont utilisés pour « voler sous le radar » et commettre des actes terroristes à l'étranger.
    Que pensez-vous du projet de loi C-24 et de ce qu'il propose pour lutter contre ce phénomène et contre des individus de cette espèce?

  (1700)  

    J'aimerais remonter au monde de l'avant 11 septembre. Jamais je n'aurais pu imaginer que mon mari serait tué par des terroristes. Avant tous ces événements, je travaillais comme agente de bord à Air Canada. Tout au long de ma carrière — qui a duré plus de 30 ans —, chaque fois que je me trouvais à l'étranger et que je voyais la feuille d'érable sur la queue de l'avion, je me disais : « Je rentre chez moi ». J'observais les nombreux immigrants qui allaient atterrir à Toronto pour la première fois. Pour moi, ce n'était qu'une observation, mais pour la majorité d'entre eux, c'était une véritable bénédiction, un cadeau du ciel. C'était comme toucher la Terre promise.
    Malheureusement, j'ai été témoin de situations moins réjouissantes. Certains passagers, une minorité heureusement, étudiaient déjà de quelle façon ils allaient s'y prendre pour jeter leur passeport dans les toilettes et bénéficier des avantages de la citoyenneté canadienne, assurer leurs droits d'accès aux services en anglais, obtenir leur carte de la RAMO — je vis en Ontario — et ainsi de suite. Dieu merci, c'était une minorité.
    Disons que selon moi, c'est cette minorité qui est visée par ce projet de loi. Pas les immigrants qui participent à la société canadienne mais bien, comme nous l'avons dit, les «Canadiens de complaisance ».
     J'entends le mot « punition ». Je ne pense pas qu'il s'agisse de punition. J'y vois plutôt un témoignage de nos valeurs canadiennes. Quel message envoyons-nous au monde entier si nous disons qu'une personne reconnue coupable de terrorisme — je dis bien reconnue coupable, lors d'un procès équitable... Nous croyons à la primauté du droit. Je ne suis pas avocate, mais j'aimerais avoir des garanties que les coupables reçoivent une juste condamnation.
    Quel message envoyons-nous au monde entier si nous disons « Bienvenue au Canada » à un individu reconnu coupable de terrorisme dans un autre pays? Je ne comprends pas. De mon point de vue, ça n'a rien de bon.
    Je suis d'accord.
    Vous avez mentionné les immigrants. Comme je l'ai dit plus tôt, je suis un immigrant. Les immigrants ont énormément contribué à ce pays. Je dis toujours que le Canada est construit par les immigrants. Certains sont venus voici des millénaires. D'autres il y a peut-être 500 ans, et ils continueront de venir. Mais vous avez raison de dire que nous parlons de cette petite proportion de gens qui apprécient d'avoir le droit d'être Canadien mais qui ne se sentent pas responsables vis à vis de la citoyenneté canadienne. C'est la clé et c'est très important de comprendre cela. Dernièrement nous voyons des articles comme celui du Globe and Mail datant de février dernier affirmant que le SCRS traquait 130 Canadiens qui sont partis à l'étranger pour participer à des activités extrémistes avec des groupes terroristes connus. Ce n'est pas comme si ils étaient là-bas par hasard. Ils savent ce qu'ils font.
     À votre avis, assistons-nous au début d'une érosion de la valeur et du prestige du passeport canadien et de la citoyenneté canadienne? Pensez-vous que le projet de loi C-24 soit sur la bonne voie pour maintenir la réputation du Canada sur la scène mondiale, mais aussi pour protéger la sécurité de nos citoyens?
    Personnellement, je vois les choses en tant que victime du terrorisme et oui, le terrorisme est un problème mondial. Même si le Canada a eu la chance de ne pas voir beaucoup de ses ressortissants tués par des terroristes, il y en a quand même eu, lors du 11 septembre, lors de l'attentat contre Air India, et lors de bien d'autres actes de terrorisme. On ne peut pas l'oublier. Il y a des Canadiens qui choisissent de s'engager dans des activités terroristes. Alors si ce projet de loi ou toute législation du même type peut prévenir cela et aider le Canada à affirmer son intolérance envers les crimes les plus odieux — pas que je veuille établir une hiérarchie mais ils prennent pour cible des civils innocents — si cela peut être utile alors je crois que c'est une bonne chose.

  (1705)  

    Merci, madame Basnicki.
    Monsieur Sandhu, vous avez la parole.
    Bonjour à nouveau, et merci à tous les témoins d'être parmi nous cet après-midi.
    Ma première question s'adresse à Mme Macklin.
    Madame Macklin, vous avez mis en lumière un certain nombre de cas dans lesquels ce projet de loi C-24 n'est pas conforme à la Charte des droits et libertés. Vous avez évoqué l'article 15 de la Charte. Y a t-il un article en particulier de ce projet de loi dont vous n'avez pas eu l'occasion de parler? Voulez-vous prendre quelques minutes pour le faire?
    Merci.
    Je crois que j'ai fait état de la plupart des dispositions constitutionnelles affectées. Je ne vais en ajouter que deux ou trois. La première c'est l'article 12 de la Charte qui interdit les peines et les traitements cruels et inusités. Maintenant, suite à une série de cas constitutionnels qui ont connu leur apogée avec le cas Afroyim v. Rusk, les États-Unis on rendu anticonstitutionnel le fait de dépouiller un citoyen de États-Unis de sa nationalité. Dans certains de ces cas, il se sont appuyés sur l'équivalent américain de l'interdiction des peines et traitements cruels et inusités pour le faire. Voilà une disposition, encore une fois, voilà un aspect des violations à la Charte.
    Il y a aussi l'interdiction des peines rétroactives. Nous considérons qu'il est injuste de punir quelqu'un pour un acte qui n'était pas interdit avant l'adoption de la loi. Donc dans ce cas, le projet de loi C-24 imposerait des peines rétroactives pour des gens qui sont reconnus coupables des actes criminels énumérés avant que l'article 24 ne prenne effet. Cela violerait donc également l'interdiction des peines rétroactives figurant dans la Charte.
    En plus de cela, l'article 11 de la Charte garantit également le droit à ne pas être puni deux fois pour la même infraction, donc dans la liste des actes criminels énumérés, vous avez des condamnations pour terrorisme, trahison, etc., et des peines qui sont infligées dans un tribunal par un juge indépendant, comme par exemple empoisonnement, et puis se rajoute à cela, le pouvoir discrétionnaire du ministre qui peut ajouter une autre peine, en l'occurrence la révocation de la citoyenneté et en fin de compte l'expulsion.
    Voilà donc encore des violations de la Charte qui sont imposées par les dispositions de ce projet de loi.
    Madame Macklin, nous avons entendu lors de ce comité que prévoir une révocation pour les citoyens ayant une double citoyenneté aurait pour effet de créer deux catégories de citoyens: ceux qui n'ont qu'une nationalité, qu'on ne peut révoquer, et les autres. Pourriez-vous nous dire à quel article de la Charte cela fait appel?
    Les dispositions du projet de loi C-24 qui permettent la révocation pour ce que j'appellerais en gros les crimes contre la citoyenneté, les crimes commis en tant que citoyen — le terrorisme, la trahison, etc. — ne sont applicables qu'à l'encontre des gens qui ont une double citoyenneté, parce que révoquer la citoyenneté de gens n'ayant qu'une citoyenneté unique créerait des apatrides.
    Ce que cela implique, bien sûr, c'est que les gens ayant une double citoyenneté sont potentiellement passibles d'un type de peine qui ne peut pas atteindre les gens ayant une citoyenneté unique. Pourtant, par ailleurs, on pourrait s'attendre à ce qu'ils soient dans la même situation. Par exemple, il n'y a aucune raison de penser qu'une infraction commise par une personne ayant une double citoyenneté soit plus grave, plus sérieuse ou plus sévère, en tant que telle, qu'une infraction commise par quelqu'un qui est uniquement citoyen canadien, pourtant ils sont passibles de peines différentes. C'est ce type d'inégalité qui se heurte à l'article 15 de la Charte et qui serait très difficile à justifier au titre de l'article premier.
    Après tout, quelques soient les objectifs que l'on souhaite atteindre par la révocation de la citoyenneté, on ne peut apparemment pas l'infliger aux gens qui ont une citoyenneté unique. Donc en clair, il est certainement possible d'atteindre ces objectifs en infligeant d'autres peines. Nous avons de nombreuses manières de punir les gens qui sont coupables de trahison, de terrorisme et d'autres crimes. Nous avons un système de justice criminelle opérant. Il n'y a pas de raisons de croire qu'il est inadapté pour s'occuper de gens qui commettent ces crimes, qui se trouvent par ailleurs avoir une double citoyenneté.

  (1710)  

    Madame Macklin, je ne suis pas juriste mais nous parlons souvent de procédure équitable. Est-ce que refuser une procédure équitable à des citoyens qui encourent la révocation constitue une violation d'un des articles de la Charte?
    J'ai étudié une partie des considérations concernant la procédure équitable. C'est comme pour la présomption d'innocence, qui est violée ici; la nécessité d'un niveau élevé de preuve allant au-delà du doute raisonnable; un procès public et juste devant un tribunal impartial; le droit à ne pas être puni deux fois pour la même infraction. Laissez-moi y ajouter un dernier élément.
    Quand je dis le droit à — un procès public et juste —, ce qui se passe avec ce statut ne ressemble en rien à un procès public et juste dans la mesure où tout le processus se fait par écrit sauf si le ministre en décide autrement. Donc un individu se verra notifier que le ministre a l'intention de révoquer sa citoyenneté et il sera invité à soumettre des remarques par écrit, après quoi le ministre rendra une décision motivée par écrit. Cette décision ne sera pas discutable sauf si un tribunal accorde ce qui s'appelle une autorisation de demande de contrôle judiciaire. Dans bien des cas, le système judiciaire ne joue aucun rôle, et dans d'autres cas, un rôle très limité, que je peux décrire si vous le souhaitez.
    Allez-y, je vous en prie.
    C'est uniquement dans les cas où une personne est passible de révocation pour fausse déclaration ou pour fraude en lien avec des actes commis avant l'acquisition de la citoyenneté, et liés au terrorisme et à la sécurité nationale, qu'un tribunal sera consulté pour déclarer que la personne a effectivement perpétré ces actes. Ce n'est pas un procès. C'est simplement que la cour sera appelée pour déclarer que ces actes ont eu lieu.
    De même, lorsque le motif de la révocation est d'avoir servi dans une armée qui est engagée dans un conflit contre le Canada — si c'est ça le motif — là encore un juge sera consulté pour faire une déclaration disant que la personne a servi dans une force ennemie. Mais là non plus ce n'est pas un procès.
    Permettez-moi d'également ajouter quelque chose sur le dernier motif. Le projet de loi C-24, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et d'autres lois en conséquence donne le pouvoir au ministre...

[Français]

    Je suis désolée de devoir vous interrompre, madame Macklin, mais le temps de parole de M. Sandhu est écoulé.
    Je cède maintenant la parole à M. McKay.

[Traduction]

    Habituellement je ne siège pas à ce comité, mais je m'y retrouve parachuté de temps en temps.
    Ce qui me frappe, d'après mon expérience précédente et celle d'aujourd'hui, c'est que les bons faits on tendance à produire de mauvaises lois. Les gens semblent penser qu'ils savent ce qu'est un terroriste condamné, pourtant lorsque vous les confrontez à certains faits qui se trouvent hors de leur zone de confort, alors ils sont un peu moins sûrs d'eux.
    Par exemple, ce week-end, le Globe and Mail parlait du Rwanda. Le président du Rwanda est en train de traquer systématiquement les coupables — d'activités terroristes — au Rwanda et qui ont fui, certains sont en Afrique du Sud, mais d'autres sont ici au Canada.
    Considérez-vous que ces gens, qui sont au Canada, qui ont été déclarés coupables — d'infraction terroriste — sont susceptibles de perdre leur citoyenneté?
    Votre question m'est-elle adressée?
    À l'un d'entre vous...
    Concernant une personne coupable de terrorisme — avez-vous dit accusée ou coupable?
    Non, ils sont coupables. S'ils retournent au Rwanda, ils sont cuits.
    D'accord. Il y a deux problèmes qui doivent être mesurés. L'un est pris en compte dans le projet de loi et l'autre, à mon avis, devrait l'être aussi. Le premier, qui figure dans la législation, c'est que l'infraction terroriste dont ils ont été déclarés coupables dans un autre pays doit également constituer une infraction terroriste au Canada. S'il n'existe pas d'équivalent au Canada, le problème est réglé.
    Eh bien partons du principe qu'il s'agit d'infractions équivalentes, car c'est ce que dit en réalité le projet de loi. S'ils sont reconnus coupables, l'interdiction prononcée contre des citoyens canadiens inclue des personnes qui sont inculpées à l'étranger d'une infraction équivalente à celle qui existe au Canada.
    Exactement. Mais ce dont je veux parler, c'est d'un pays dans lequel l'accusation de terrorisme est purement politique. Il nous faudrait évaluer...
    Comment savons-nous que c'est purement politique?
    Je vais vous donner un autre exemple; une liste de 16 personnes a été établie cette semaine par le président du Sri Lanka, je ne sais pas à quelle étape de leur citoyenneté ils sont parvenus ici, mais en ce qui concerne le gouvernement du Sri Lanka, ce sont des « terroristes  ».

  (1715)  

    Bien. Encore une fois, si l'on se réfère à l'acte lui-même, l'infraction dont ils sont reconnus coupables dans l'autre pays doit également constituer une infraction au Canada. C'est le premier point. Le deuxième point, que le ministre entend considérer comme étant à sa discrétion, mais qui doit je pense être explicite dans le projet de loi, c'est l'équité de la condamnation. Est-ce purement politique dans l'autre pays? S'agit-il simplement d'utiliser le terrorisme comme prétexte pour traquer les ennemis, parce que c'est courant dans certains pays...
    Mais c'est un critère très subjectif.
    Aujourd'hui nous sommes tous d'accord pour dire que le Sri Lanka est un État voyou. Nous ne sommes pas forcément d'accord pour dire que le Rwanda est un État voyou et par conséquent... En fait, jusqu'à une date récente, le Rwanda était en quelque sorte le chouchou des occidentaux parce qu'il s'est, en partie, remis du génocide. Remis, mettez cela entre de grands guillemets. Vos critères sont donc très vagues.
    Il me semble qu'il y a des critères existants que nous pourrions utiliser afin de déterminer si une culpabilité a été établie de manière équitable, pour savoir si le pays fait cela traditionnellement et si, dans le cas précis, la condamnation a été établie de manière équitable.
    Je crois que c'est une pente très dangereuse.
    Permettez-moi de passer à Mme Macklin. J'apprécie votre réponse, mais cela m'intéresse d'avoir le point de vue de Mme Macklin sur les questions que je viens de poser et puis peut-être que je devrais... Je suis sans doute mal conseillé, mais ...
    Le président: Vous avez 30 secondes.
    L'hon. John Mckay: Ah, bon, d'accord.
    Répondez simplement aux questions auxquelles ils viennent de répondre alors.
    Laissez-moi simplement souligner qu'il y a un journaliste canadien qui est également citoyen égyptien et qui est jugé pour terrorisme en Égypte en ce moment même. S'il est condamné, alors en principe, il sera sous le coup de cet acte et sera passible de révocation de sa citoyenneté au Canada à cause d'une condamnation pour terrorisme en Égypte.
    Un des aspects de cet acte qui me semble important c'est que si nous pouvons révoquer la citoyenneté canadienne à cause d'une condamnation pour terrorisme dans un autre pays... Il me semble que c'est parce que le terrorisme est considéré comme étant un problème mondial, mais dans ce cas, pourquoi pensons-nous que la révocation de la citoyenneté canadienne, qui aura pour conséquence de transférer le problème posé par une personne, vers un autre pays, constitue la solution appropriée?
    En réalité, cela signifie que le Canada révoque la citoyenneté de quelqu'un et l'envoie dans un autre pays. Quelqu'un a demandé tout à l'heure ce que le reste du monde allait penser du Canada. Que pensera le reste du monde si le Canada, qui dispose d'un système judiciaire capable de poursuivre, de condamner et de punir les gens, choisit pourtant d'expulser quelqu'un qui est considéré comme étant un terroriste par une cour de justice, et d'en faire le problème d'un autre pays?
    Monsieur Opitz, la parole est à vous.
    Merci, madame la présidente.
    Je crois que les gens continueraient de penser le Canada pour ce qu'il est déjà, un paradis sur terre.
    Madame Basnicki, merci beaucoup d'être parmi nous. De toute évidence vous incarnez la douleur et la tragédie de cet acte abominable du 11 septembre, et néanmoins vous vous êtes appliquée à aider les canadiens de nombreuses manières, et à vrai dire les gens dans le monde entier aussi, à comprendre ce qui s'est passé et à être vigilant pour ne pas que cela se reproduise. C'est clairement une des raisons pour lesquelles vous êtes ici, en train de parler devant un comité parlementaire, et j'approuve cela.
    Madame Saperia, j'aime votre idée d'un avenant au formulaire de demande de passeport. Je trouve que c'est extrêmement pertinent, et je pense que nous allons y revenir.
    Mes parents sont arrivés ici voici presque 70 ans, et ils ont eu beaucoup de difficultés à devenir des citoyens Canadiens. Ils avaient des contrats de deux ans. Ils ont du travailler dur. Ils ont élevé une famille, et je vais vous dire, 70 ans plus tard alors qu'ils ont dans les 90 ans, ils agitent le drapeau canadien aussi haut et aussi fièrement que n'importe qui d'autre.
    Alors nous travaillons là-dessus, et nous ne demandons pas grand-chose aux gens qui viennent dans ce pays. Nous leur demandons d'obéir à la loi et cela inclue le terrorisme. Nous leur demandons de respecter leurs concitoyens, et de laisser les vieux préjudices et les anciennes pratiques dans leur ancien pays. Et de payer leurs impôts.
    Je ne vois rien de cruel ou d'inusité dans le fait de se débarrasser de terroristes et de traîtres à mon pays. Surtout en tant qu'ancien soldat, je serais vraiment bouleversé si quelqu'un ayant commis un acte terroriste contre moi sur le champ d'opération conservait la nationalité canadienne.
    Je vais vous donner quelques exemples de pays dans lesquels ils révoquent la nationalité avec raison. En Grande-Bretagne, la citoyenneté est révoquée si c'est jugé nécessaire à l'intérêt public, et il y en a eu plusieurs exemples. En Suisse, la citoyenneté peut être révoquée si une action porte un préjudice sérieux aux intérêts nationaux du pays. L'Australie le fait aussi, et aux États-Unis, la révocation peut-être prononcée pour haute trahison ou pour appartenance à une force armée en guerre contre les État-Unis. Ce sont toutes de bonnes raisons et de bons exemples de ces pays.
    Madame Basnicki, je vais commencer par vous. Dans l'actuelle Loi sur la citoyenneté ceux qui sont condamnés ou inculpés pour un acte criminel au Canada se voient empêchés d'obtenir la citoyenneté. La première partie de ma question est: pensez-vous que cela aille assez loin?

  (1720)  

    Encore une fois, de mon point de vue, il n'y pas de limite à ce que nous pouvons faire. Si nous pouvons empêcher que d'autres Canadiens soient assassinés par des terroristes, alors faisons-le. Lorsque vous évoquez d'autres pays, je crois que nous avons du rattrapage à faire au Canada.
    Je compte sur nos législateurs. Je compte sur nos juristes. Il y en a beaucoup ici. Je crois au règne de la loi, et j'en appelle à mes compatriotes. En tant que pays nous avons été relativement chanceux, si vous voulez, mais la menace du terrorisme n'a pas diminué depuis que mon mari a été assassiné le 11 septembre. Elle a augmenté.
    On a évoqué tout à l'heure ces 130 individus qui sont connus du SCRS et qui ont quitté le Canada pour suivre un entraînement de terroristes. Vous imaginez le nombre de ceux que l'on ne connaît pas? Sans vouloir être alarmiste, et je ne veux pas convoyer la peur, c'est un problème pour lequel, si nous pouvons utiliser tous les outils dont nous disposons pour prévenir de telles atrocités, alors je serais heureuse que le Canada adopte une attitude positive.
    Je suis d'accord. Pour en revenir à ce que disait Mme Saperia sur le fait d'éduquer les jeunes qui pourraient être sujets à la radicalisation, je le fais moi-même avec différents groupes. J'ai eu beaucoup de réussites en essayant de diriger certains de ces jeunes vers de meilleurs objectifs.
    Avant 1976 la citoyenneté canadienne pouvait être révoquée pour haute trahison, mais le gouvernement libéral de l'époque a décidé que cela n'était plus un motif pour révoquer la citoyenneté, même si presque tous les pays pairs pensaient autrement, et ont pour beaucoup d'entre eux ajouté des motifs pour ce genre de révocation ou de renonciation.
    De plus il est légal de révoquer la citoyenneté de quelqu'un l'ayant obtenue de façon frauduleuse, et il existait clairement, et il existe toujours, les motifs légaux et constitutionnels pour révoquer la citoyenneté.
    Êtes-vous d'accord pour dire que cela sera toujours le cas avec ce projet de loi et avec les amendements proposés?
    Madame Saperia, qu'en pensez-vous?
    Je n'ai aucun problème avec la révocation de la citoyenneté pour quelqu'un qui est condamné pour trahison. Je ne crois pas que cela outrepasse le fait d'accorder à la personne un procès équitable au Canada pour déterminer si elle a commis un crime, une fois que cela a été établi je ne crois pas que cela pose un problème de révoquer sa citoyenneté. Je pense qu'elle a rompu ces attaches, et que la perte de citoyenneté en est la conséquence naturelle.
    Je voudrais très rapidement dire par rapport à l'interprétation de la loi que fait Mme Macklin, que j'ai moi aussi une formation de juriste et que je suis en désaccord avec certaines de ses interprétations juridiques, mais je me rends compte qu'il n'y a pas assez de temps...
    Désolé d'être brusque, mais je crois qu'il me reste une minute.
    Nous savons qu'un citoyen canadien peut se voir retirer sa citoyenneté s'il l'a obtenue frauduleusement. La plupart de nos pays pairs ont la capacité de révoquer la citoyenneté pour différents motifs, comme nous l'avons dit: trahison, terrorisme, et d'autres choses. Pourtant, certains critiques du projet de loi clament que la citoyenneté canadienne est un droit inaliénable.
    Madame Basnicki, qu'en dites-vous?

  (1725)  

    Je suis une citoyenne canadienne, et je crois qu'il nous faut trouver un équilibre entre les droits de ceux qui ont été victimes de tels actes et les droits de ceux qui font du mal aux Canadiens.
    Monsieur Toone, vous avez la parole.
    Merci.
    Encore une fois, merci à tous d'être venus. Ça a été une session instructive.
    Madame Macklin, je vous suis très reconnaissant d'avoir participé au pied levé, tout comme moi-même, et je crois comme M. McKay. Nous sommes suspendus à nos parachutes en essayant de comprendre ce que nous entendons ici.
    Je voudrais commencer par souligner que mes ancêtres sont venus au Canada il y a fort longtemps et qu'ils étaient des huguenots. Selon les valeurs de l'époque, ils étaient des criminels. Ils étaient des traîtres. Ils étaient passibles des pires châtiments de l'époque, de brûler sur le bûcher. Même en ce temps-là le Canada était plutôt accueillant, et ils sont venus ici, se sont installés et sont devenus de bons et honnêtes citoyens. Mais selon les lois de l'époque, c'étaient des traîtres et des criminels.
    Je suppose que les choses se sont améliorées depuis, mais je voudrais souligner qu'il y a eu des gens dans ce pays qui ont été déclarés traîtres, tel Louis Riel, et que nous avons par la suite décidé de pardonner. Je ne crois pas qu'il soit toujours possible de tracer une limite objective dans ce domaine.
    Je vous rappelle que juste avant la Seconde Guerre mondiale, le Canada a refusé d'accueillir les réfugiés juifs qui fuyaient l'Allemagne. Nous n'en voulions pas ici. Le ministre était d'accord avec cela; notre gouvernement était d'accord avec cela. Les choses évoluent avec le temps. Qu'est-ce qui est conforme aux moeurs? Qu'est-ce qui est acceptable et qu'est-ce qui ne l'est pas?
    Venons-en à ce qui se passe aujourd'hui, et je ne veux pas répéter ce qu'a dit M. McKay tout à l'heure et qui était en plein dans le mille. Parlons d'un Canadien qui est détenu en Égypte, et dont, je crois, Mme Macklin a rapidement parlé. Tous ces gens sont considérés comme étant des traîtres. Tous ces gens ont commis des crimes odieux selon les critères en vigueur là où ils se trouvent. Je crois que nous nous engageons sur une pente qui pourrait être dangereuse, surtout que ce projet de loi semble permettre de sérieux manquements à une procédure équitable.
    Madame Macklin, vous avez évoqué l'article 11 de la Charte. Il nous faut des tribunaux indépendants et impartiaux pour examiner cela, pourtant selon les conditions du statut qui nous est proposé nous allons avoir le pouvoir discrétionnaire du ministre et l'autorisation de contrôle judiciaire sera le seul recours possible à une tierce partie pour quiconque se verra refuser la citoyenneté. Quelles sont les conditions du contrôle judiciaire? Qu'est-ce que cela veut dire, le contrôle judiciaire? Quelle est la probabilité qu'une cour accepte d'entendre un contrôle judiciaire?
    Madame Macklin, pouvez-vous m'expliquer ce qu'est le contrôle judiciaire, et si c'est un recours suffisant en cas de révocation de la citoyenneté?
    Le contrôle judiciaire est une forme de surveillance exercée par un tribunal sur un décideur administratif. Il diffère de l'appel ou de l'exercice de l'autorité judiciaire au cours d'un procès. Son champ d'action est limité. Souvent, selon la dernière jurisprudence de la Cour suprême du Canada, elle a pour but uniquement d'interférer avec des décisions prises par des décideurs administratifs si elles sont déraisonnables, ce qui n'est pas la même chose que de se demander si la décision est correcte ou incorrecte.
    Il y a quelque chose d'unique dans la Loi sur l'immigration au Canada. Dans tous les autres secteurs de la loi, on peut demander le contrôle judiciaire, on peut aller au tribunal et demander à ce qu'il supervise la décision du décideur administratif. Dans la Loi sur l'immigration, il faut obtenir l'accord du tribunal —c'est à dire l'autorisation de la cour —pour demander le contrôle judiciaire. C'est probablement le seul secteur de la loi au Canada où il faut faire cela.
    Donc un tribunal n'exercera même pas son autorité de surveillance sans d'abord décider si le cas mérite d'être entendu. C'est ce que propose ce projet de loi au sujet de la révocation de la citoyenneté. Il faut d'abord demander à la cour si elle accepte d'examiner le cas, et ensuite seulement si elle en donne la permission, il y aura une possibilité pour la cour de mettre le cas de côté en usant de son autorité de surveillance.
    Je vous interromps un instant.
    Il ne nous reste que 30 secondes, s'il y avait un ou deux éléments que vous voudriez voir modifiés dans ce projet de loi, quels seraient-ils?

  (1730)  

    Je retirerai la révocation de la citoyenneté. C'est anticonstitutionnel. Les autres pays ne le font pas. Je ne sais pas à quoi se référait M. Opitz. Notez qu'à la suite du 11 septembre, pas un seul citoyen américain n'a perdu sa citoyenneté. L' Australie, comme je l'ai lu, ne permet pas la révocation de la citoyenneté de la manière dont l'a décrit M. Opitz. En fait seul le Royaume-Uni fait partie des quelques cas isolés qui le font. Alors ce n'est pas comme s'il y avait une tendance mondiale contre laquelle nous imposons maintenant une nouvelle loi.
    Alors supprimez la révocation de la citoyenneté. Je crois que notre système de justice criminelle est parfaitement adaptée au traitement des crimes, des infractions, et il le fait très bien.
    Deuxièmement, je supprimerais la disposition de — l'intention de résider —comme étant une condition à l'acquisition de la citoyenneté par naturalisation.

[Français]

    Je veux remercier encore une fois les trois témoins d'avoir pris le temps de participer à l'étude concernant l'objet du projet de loi C-24.
    Je remercie également tous les membres du comité de leur collaboration.
    La séance est levée.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU