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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 031 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 3 avril 2012

[Enregistrement électronique]

  (1305)  

[Français]

     À l'ordre. Nous sommes le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Aujourd'hui, en ce 3 avril 2012, nous tenons notre 31e séance.

[Traduction]

    Cette séance que nous attendions est exceptionnelle; nous allons entendre en effet une délégation des Philippines, qui représente le réseau Stop the Killings.
    Les quatre personnes qui témoignent aujourd'hui sont: Angelina Bisuña Ipong, Merry Mia-Clamor et Reuel Norman Marigza.
    Je ne sais pas si la quatrième, Shaun Fryday, avec lequel j'ai déjà parlé, fera lui aussi un exposé ou s'il est seulement là pour donner des avis.
    Il fera un exposé, parfait.
    Je tiens tout d'abord à signaler à nos témoins que nous n'avons qu'une heure. On peut quelquefois prolonger cette période au gré du comité, mais nous ne pourrons pas dépasser de beaucoup le délai de 14 heures. Je vous prie d'en tenir compte, car plus longs seront vos exposés, moins de temps il y aura pour les questions et les réponses, qui sont souvent très utiles pour transmettre le message.
    Je vais maintenant demander à Angelina Bisuña-Ipong de commencer son témoignage.
    Merci beaucoup.
    Mesdames et messieurs les membres du Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes, nous sommes heureux d'être ici pour pouvoir vous raconter nos histoires et nos inquiétudes au sujet des Philippines.
    Je m'appelle Angelina Bisuña-Ipong et suis une ancienne détenue politique. Je viens d'une famille d'agriculteurs, j'ai travaillé comme enseignante et, pendant prés de 40 ans, j'ai oeuvré auprès des collectivités rurales et indigènes.
    J'ai été enlevée le 8 mars 2005, la Journée internationale de la femme, et libérée six ans après, le 17 février 2011. Neuf hommes en uniforme et lourdement armés m'ont arrêtée sans mandat en se présentant comme des membres d'un groupe d'enquêtes criminelles et de détention. Ils m'ont bandé les yeux, m'ont obligée à monter dans leur camionnette et m'ont transportée d'un quartier général militaire à un autre. Je n'ai pas pu consulter d'avocat et j'ai été gardée au secret pendant 12 jours.
    Pendant tout ce temps, j'ai été torturée et abusée sexuellement. Ils m'ont frappée à la tête et au corps, m'ont mise à nu et touché les parties génitales après m'avoir attaché les mains derrière le dos. Ils se sont moqués de moi et m'ont sans cesse interrogée. Je les ai suppliés d'arrêter de me soumettre à des outrages qu'ils n'auraient pas voulu voir infliger à leur mère et à leur soeur. J'ai exigé qu'ils me traitent avec respect, mais ils ont continué à se moquer de moi. Après cela, ils m'ont laissée nue et tremblante de froid toute la nuit après avoir réglé la climatisation au maximum.
    En prison, j'ai fait la grève de la faim pendant 12 jours, après quoi ils m'ont transférée dans un centre de détention ordinaire où l'on m'a informée des accusations portées contre moi, à savoir la rébellion. Après plusieurs jours, ils ont ajouté les accusations de double meurtre, de double tentative de meurtre et d'incendie criminel, autant d'accusations qui excluent toute mise en liberté sous caution. J'avais l'impression que tout ce qu'ils voulaient, c'était de me laisser croupir en prison.
    Après 40 ans de service auprès des agriculteurs et des indigènes, j'étais donc considérée comme une criminelle, une terroriste et une ennemie de l'État. Mais je me suis dit que ce n'était pas un crime de servir les pauvres. En prison, j'ai voulu être utile en m'occupant d'un jardin de légumes biologiques, ce qui m'a permis de nouer des liens avec d'autres détenues et de trouver d'autres moyens de subsistance qui nous ont toutes tenues occupées. J'ai ainsi appris que les murs, les grilles et les barbelés d'une prison ne peuvent qu'enfermer nos corps, mais non pas nos esprits, nos pensées et les causes que nous défendons.
    Je ne suis que l'une des 347 prisonniers politiques qui subissent aujourd'hui aux Philippines les pires tortures, qui sont enfermés de façon arbitraire et illégale, et accusés des crimes les plus odieux pour cacher la nature politique de leur arrestation et de leur détention.
    Les poursuites judiciaires avancent à un rythme extrêmement et affreusement long. Les tortures physiques, verbales et psychologiques dans des lieux de détention secrets sont imposées en toute impunité et de façon régulière et systématique pour saper le moral et l'esprit des détenus.
    De 2010 à décembre 2011, des groupes oeuvrant pour les droits de la personne ont documenté 55 cas de torture qui témoignent d'une violation flagrante des lois nationales et internationales en matière de droits humains, dont la Convention des Nations Unies interdisant la torture.
    La présidente Aquino a promis de « résoudre les cas d'exécutions extrajudiciaires et d'autres violations des droits de la personne ». Or, les violations perdurent et le nombre de victimes continue d'augmenter.
    Des 347 prisonniers politiques enfermés dans des prisons à haute sécurité de tout le pays, il y a 28 femmes, dont 10 sont âgées et 41, malades. Quatre-vingt-un d'entre eux ont été arrêtés sous le gouvernement Aquino. Beaucoup ont été arrêtés sans mandat et ont fait l'objet d'accusations à caractère criminel, plutôt que politique. Douze consultants du Front national démocratique qui ont participé aux pourparlers de paix restent en prison, en dépit des obligations que le gouvernement Aquino doit respecter en vertu du droit humanitaire international et des négociations de paix visant à les libérer.
    La persécution et l'intimidation des défenseurs des droits de la personne de la part du gouvernement se poursuivent par les emprisonnements, assassinats et disparitions, mais aussi en ayant recours à la diffamation par médias interposés. Ainsi, sur l'île de Negros, les militaires ont leurs propres programmes de radio qui leur permettent de diffuser des accusations et des menaces contre le personnel de Karapatan, une organisation oeuvrant pour les droits de la personne.
    Le déploiement et l'infiltration de soldats en uniforme et armés dans les centres ruraux et urbains, dont Manille, ont entraîné des violations massives des droits des citoyens ordinaires.

  (1310)  

    Qualifiées d'« action civique » et de « programmes de paix et de développement », ces opérations militaires font partie du programme de lutte anti-insurrectionnelle du gouvernement Aquino, que l'on appelle Operation Plan Bayanihan. De même, l'utilisation de groupes paramilitaires pour assurer la sécurité et la protection des sociétés minières et agro-industrielles a entraîné des déplacements importants et a aggravé la situation des droits de la personne dans les collectivités.
    La ratification des conventions internationales sur les droits de la personne par le gouvernement des Philippines et l'adoption de mesures législatives ne sont pas suffisantes pour garantir le respect des droits des citoyens philippins. Nous demandons instamment au Sous-comité des droits internationaux de la personne de faire part de nos inquiétudes au gouvernement canadien, afin qu'elles soient à la base des recommandations de la mission canadienne dans le cadre de l'Examen périodique universel.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous allons donner la parole à notre prochain témoin, Mme Clamor.
    Honorables membres du Sous-comité des droits de la personne de la Chambre des communes du Canada, je suis la Dre Mia-Clamor. Je suis médecin et coordonnatrice du Conseil de santé et de développement, une organisation de travailleurs en santé communautaire au service des collectivités pauvres et isolées. Nos services sont essentiels, car le gouvernement ne dispense pas de services de santé de base aux collectivités.
    Malheureusement, les travailleurs en santé communautaire figurent parmi les groupes ciblés par les forces armées dans le cadre de leur campagne de diffamation. Il y a cinq ans, le rapporteur spécial de l'ONU, Philip Alston, a établi que de nombreux groupes, dont des défenseurs et des avocats des droits de la personne, des travailleurs appartenant à un ordre religieux, des femmes, des autochtones, des agriculteurs et des étudiants, sont considérés comme des ennemis de l'État et qu'ils sont par le fait même la cible d'homicides extrajudiciaires, d'enlèvements et d'emprisonnement.
    La situation des droits de la personne aux Philippines reste difficile, malgré la promesse électorale faite par notre nouveau président Aquino de mettre fin aux homicides extrajudiciaires et aux violations des droits de la personne. En fait, au cours des 18 derniers mois, sous l'administration Aquino, 68 victimes d'homicides extrajudiciaires, plus de 55 cas de torture et neuf victimes de disparitions forcées ont déjà été répertoriés par les groupes de défense des droits de la personne.
    Dans le cadre du programme anti-insurrectionnel du gouvernement, maintenant appelé Operation Plan Bayanihan, des collectivités entières sont militarisées; les gens sont menacés, intimidés, arrêtés de façon arbitraire et déplacés. Même les enfants et les jeunes sont victimes d'intimidation de la part d'observateurs militaires postés dans les salles de classe. Sur le plan du droit à la santé, cette situation ne favorise pas un environnement sûr pour les enfants dans le cadre du développement de collectivités dignes et saines.
    J'ai été victime de la violence commise dans le cadre du programme de lutte anti-insurrectionnelle du gouvernement et de la campagne virulente de diffamation. Le 6 février 2010, je suivais, avec des collègues, une formation médicale dans la région rurale de Morong. Mes 43 collègues et moi avons été arrêtés par les forces de sécurité de l'État, qui se sont servies d'un faux mandat. On nous a faussement qualifiés de membres du mouvement rebelle, on nous a bandé les yeux et menottés, on nous a tenus captifs sans contact avec l'extérieur, et on nous a refusé l'accès à un avocat.
    Les forces armées ont déposé contre nous de fausses accusations de possession illégale d'armes à feu et d'explosifs pour justifier notre arrestation et notre détention sans possibilité de caution. Durant presque trois mois, nous avons été détenus dans un camp militaire, où nous avons été soumis à des interrogatoires répétés, sans la présence d'un avocat, à diverses formes de coercition, d'intimidation et d'humiliation, ainsi qu'à la torture psychologique. Le centre de détention était humide, surpeuplé, mal ventilé et infesté de rats. Deux de mes collègues, Carina Oliveros et Mercy Castro, ont donné naissance à un enfant durant leur détention.
    Des membres de notre famille ont aussi été victimes de menaces et d'intimidation. On les a empêchés de venir nous visiter, et ceux qui y ont été autorisés ont été interrogés et ont subi l'indignité d'une fouille à nu.
    Le 10 décembre, lors de la Journée des droits de l'homme, à la suite de fortes pressions exercées par des groupes locaux et internationaux de défense des droits de la personne, y compris des organisations canadiennes, le président des Philippines a ordonné au ministère de la Justice de retirer les accusations portées contre nous. Le fait que nous soyons libres aujourd'hui démontre bien l'importance des pressions internationales en ce qui a trait à la promotion de la justice et des droits de la personne aux Philippines, pour veiller à ce que l'on donne suite aux engagements pris dans le cadre des traités sur les droits de la personne.
    Avec cinq de mes collègues qui ont subi cette dure épreuve, j'ai déposé des accusations contre l'ancienne présidente Gloria Macapagal-Arroyo et des dirigeants de son administration pour torture et violation de nos droits constitutionnels et prévus par la loi, ainsi qu'arrestation et détention illégales. Nous intentons cette poursuite non seulement pour établir la responsabilité de ces personnes dans ces crimes, mais également pour affirmer que nous ne pouvons et ne pourrons tolérer davantage le climat actuel d'impunité.
    Mes collègues et moi sommes ici pour exhorter le sous-comité à demander au gouvernement canadien de se prononcer clairement contre la violence et les abus commis à l'encontre de citoyens innocents. Le Canada a un rôle à jouer pour mettre fin aux violations des droits de la personne aux Philippines, compte tenu des relations bilatérales solides qu'il entretient avec le pays et des investissements importants qu'il y effectue.

  (1315)  

    La diffamation, l'arrestation arbitraire et la détention de personnes tout à fait innocentes comme moi doivent cesser. Le Canada doit s'assurer que les Philippines respectent leurs engagements en matière de droits de la personne, car cela garantira également que les activités commerciales et les investissements du Canada, y compris l'exploitation minière, n'aggravent pas la situation des droits de la personne dans les collectivités.
    Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé aujourd'hui.
    Je vous remercie également.
    Notre troisième témoin est Reuel Norman Marigza. Vous avez la parole.
    Honorables membres du Sous-comité des droits de la personne de la Chambre des communes du Canada, je vous remercie de nous donner l'occasion de vous faire part de la situation des droits de la personne aux Philippines.
    À titre de secrétaire général de l'Église unie du Christ aux Philippines, qui compte plus de 2 800 églises locales, ainsi que de vice-président du Conseil national des Églises aux Philippines, c'est pour moi un honneur de m'adresser à vous aujourd'hui et de demander votre appui afin de mettre fin au climat d'impunité qui règne aux Philippines.
    Rabenio Sungit, un membre de l’Église unie, a été exécuté sommairement le 5 septembre 2011. Il figure parmi les 68 personnes qui ont été victimes d’une exécution extrajudiciaire depuis l’arrivée au pouvoir du président Aquino. Le fait qu’encore actuellement, presque une personne par semaine, en moyenne, est victime d’une exécution extrajudiciaire nous fait perdre toute illusion que la situation des droits de la personne aux Philippines a été rectifiée sous le nouveau gouvernement Aquino.
     Sous l’ancien régime de la présidente Macapagal-Arroyo, plus de 1 000 exécutions extrajudiciaires ont été enregistrées par le groupe de défense des droits de la personne Karapatan, ou l’Alliance pour la promotion des droits du peuple.
     Selon un rapport d’Al Parreño, un avocat de la Fondation pour l’Asie qui s'est penché sur 364 cas d’exécutions extrajudiciaires commises depuis 2001, seulement 1,37 p. 100 de ces exécutions avaient été résolues en date du 21 août 2011.
     Ces exécutions sont commises de manière stratégique au nom de la sécurité nationale. Souvent, les poursuites ne progressent pas parce que les témoins sont trop intimidés ou terrorisés pour dénoncer ou témoigner. Malgré les recommandations formulées à maintes reprises par divers organismes des Nations Unies, le gouvernement n’a pas instauré de mécanisme de protection des témoins.
     Les organismes internationaux financés par les gouvernements, dont celui du Canada, forment les militaires, les policiers et les magistrats pour qu’ils fassent la promotion des droits de la personne. Malheureusement, cette formation sert uniquement de façade aux forces militaires et policières, qui prétendent maintenant être les défenseurs nationaux des droits de la personne.
     Les forces de sécurité de l’État participent à des soi-disant partenariats civils-militaires et à des efforts de paix communautaire dans le cadre du programme de lutte anti-insurrectionnelle du gouvernement, Operation Plan Bayanihan. Les opérations militaires sont particulièrement intenses dans les régions où il y a des investissements étrangers, notamment les projets miniers et agro-industriels canadiens.
     Étant donné que des collectivités entières sont militarisées, les civils font l’objet d’intimidation, de harcèlement, d’arrestations arbitraires et de mitraillage au sol. Au nom de la sécurité nationale, les responsables des violations des droits de la personne sont presque considérés comme intouchables par le système judiciaire.
     Même les chrétiens et les églises sont ciblés, car ils mettent en pratique ce que leur dicte leur foi, c’est-à-dire aimer leurs prochains. Des pasteurs et des dirigeants de l’Église unie ont été abattus — devant leur maison, dans leurs marchés, en marchant dans la rue ou en conduisant leur voiture — par des agents de l’État. Tout indique que ces agents sont formés et dirigés par l’État.
     Imaginez les sentiments de perte, d’horreur et de peur qui ont envahi nos villes, villages et collectivités. Imaginez la frustration que l’on ressent de n'avoir ni recours ni justice, lorsque tout le monde sait — une vérité qu’il est risqué de révéler — qui est responsable des exécutions, tentatives d’assassinats, disparitions, enlèvements et tortures.
     L’Église unie du Christ aux Philippines a eu recours à une mesure historique en intentant une poursuite au civil contre l’ancienne présidente Gloria Macapagal-Arroyo, pour sa responsabilité relativement aux violations des droits de la personne. Cela a été fait sans l’appui du gouvernement.

  (1320)  

    En juin 2011, avec les familles de cinq victimes d’exécutions extrajudiciaires et une victime ayant survécu à un enlèvement, à la torture et à la détention illégale, nous avons intenté une poursuite judiciaire. Cette poursuite cite 28 cas de membres de l’EUCP, de dirigeants laïcs et de ministres du culte qui ont été victimes d’homicide, d’enlèvement extrajudiciaire et de torture, d’une disparition forcée et d’une supposée exécution, ou qui ont survécu à des tentatives d’assassinat.
     Le fait que l’Église unie du Christ aux Philippines et d’autres Églises soient considérées comme des ennemies de l’État ainsi que le climat d’impunité que l’on a favorisé lorsqu’Arroyo était au pouvoir ont fait en sorte que les violations des droits de la personne se sont multipliées. La poursuite judiciaire intentée par l’Église unie du Christ aux Philippines a amené l’ancienne présidente à rendre des comptes pour toutes les vies qui ont été perdues et détruites. À titre de présidents et de commandants en chef des forces armées des Philippines, l’ancienne présidente Arroyo et l’actuel président Aquino sont responsables des actes posés par les forces armées.
     Cette poursuite judiciaire constitue une mesure concrète pour obtenir réparation et mettre fin au cycle continuel des exécutions extrajudiciaires aux Philippines. Notre foi nous pousse à continuer de soutenir les victimes de violations des droits de la personne en luttant pour obtenir justice. Nous ne sommes pas les seuls à déployer des efforts pour que les auteurs de ces crimes contre l’humanité répondent de leurs actes. Des centaines de familles de victimes de violations des droits de la personne sont déterminées à obtenir justice et à mettre fin à l’impunité. Nous vous demandons de nous appuyer afin de faire cesser l’impunité aux Philippines.
     Étant donné que le Canada maintient de bonnes relations avec les Philippines et qu’il a un intérêt pour ce pays, le gouvernement canadien a un rôle à jouer pour veiller à ce que les Philippines respectent leurs obligations en matière de droits de la personne. L’examen périodique universel des Philippines par les Nations Unies, en juin 2012, fournira l’occasion au gouvernement canadien d’exercer des pressions afin que les Philippines mettent fin aux exécutions extrajudiciaires et aux autres violations des droits de la personne. L’autre solution serait de le faire dans le cadre des relations diplomatiques bilatérales avec ce pays.
     Par l’entremise du sous-comité, nous demandons au gouvernement canadien d’appuyer la recommandation des Églises et organismes des Philippines pour l’examen périodique universel, et nous demandons au gouvernement philippin d’accorder immédiatement une amnistie générale, absolue et inconditionnelle à tous les prisonniers politiques; de réformer le système de justice pénale; de mettre fin au climat d’impunité omniprésent en créant des lois spéciales, des procédures, des recours et des tribunaux qui jugeront efficacement les cas d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et d’autres violations des droits de la personne perpétrées par les forces de l’État; et d’exhorter le gouvernement à poursuivre les pourparlers de paix avec le Front démocratique national des Philippines et le Front Moro islamique de libération.
     Le sous-comité pourrait également envisager d’envoyer une délégation parlementaire aux Philippines afin qu’elle mène une enquête sur le ciblage et les attaques perpétrées contre les Églises et les religieux.
     Je vous remercie d’avoir consacré du temps à Philippine Ecumenical Voice et à UPR Watch. Nous espérons qu’ensemble, nous pourrons faire cesser les violations des droits de la personne aux Philippines.
     Que Dieu nous bénisse tous et toutes.

  (1325)  

    Merci.
    Notre dernier témoin est Shaun Fryday. Vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité.
     Je m’appelle Shaun Fryday et je suis le ministre du culte de l’Église unie Beaconsfield à Montréal, une congrégation faisant partie de l’Église unie du Canada.
     Au début de janvier dernier, j’ai dirigé une délégation de 14 membres provenant de partout au pays — de cinq régions différentes —, principalement des membres de l’Église unie du Canada, afin d’examiner les conséquences de l’exploitation minière canadienne sur la vie du peuple autochtone de la région de la Cordillère. Dans le cadre de notre étude, nous avons rencontré plusieurs gouverneurs, maires, conseillers municipaux, membres des forces armées des Philippines, représentants de syndicats locaux, dirigeants communautaires, organismes de femmes, aînés autochtones et dirigeants de mouvements populaires.
     Nous nous sommes particulièrement intéressés à la province d’Abra, l’une des cinq provinces de la région de la Cordillère. Quatre-vingt-cinq pour cent des terres de la province d’Abra font maintenant l’objet de demandes d’autorisation d’exploration de la part de sept sociétés minières canadiennes.
     La Loi sur les mines, adoptée en 1995, a attiré des investisseurs miniers transnationaux, ce qui n’a rien d’étonnant. Elle autorise la propriété exclusive par des intérêts étrangers de projets miniers. Elle permet aux entreprises étrangères d’obtenir d’immenses zones en concession, sur terre et en mer. Elle permet le rapatriement complet des profits, accorde des congés fiscaux de cinq ans — ils ont plus tard été portés à huit ans —, la jouissance de droits de servitude, des concessions minières pour 25 ans qui peuvent se prolonger pour 25 années supplémentaires, et permet que les pertes puissent être reportées et déduites sur l’impôt sur le revenu — entre autres. Au bout du compte, l’industrie minière aux Philippines représente 1 p. 100 du PIB.
     Pour les collectivités autochtones touchées que nous avons rencontrées et avec lesquelles nous sommes restés durant trois jours, à l’intérieur des terres, il y a une résistance généralisée pour toute forme d’exploitation minière à grande échelle. J’ai apporté une copie de la pétition de la municipalité de Tubo, du capitaine du barangay, signée par 90 p. 100 des habitants. Cette pétition réclame un arrêt complet de toute exploration minière par les deux sociétés minières canadiennes, CANEX et ADANACEX, qui font actuellement de l’exploration dans la région.
     Parallèlement à l’exploration et au développement minier, il y a des vecteurs dont mes collègues ont parlé: la diffamation des personnes et des organisations, l’augmentation des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées, la capture de prisonniers politiques, et la culture de l’impunité. Permettez-moi de dire deux mots à ce sujet. À l'heure actuelle, l’ancienne présidente est aussi détenue dans un établissement de santé jusqu’à son procès pour diverses accusations. De plus, on tient actuellement au Sénat des audiences relativement à la destitution du juge en chef de la Cour suprême des Philippines, qui a été nommé à ce poste de façon inconstitutionnelle par cette même présidente.
     Au coeur de la société philippine, il demeure une culture de l’impunité injustifiée qui démontre un réel mépris pour la vie humaine. Si les personnes vulnérables ne peuvent avoir recours à des juges impartiaux, qui ne peuvent obtenir des renseignements exacts de la part de témoins crédibles, alors la société est en péril, l’anarchie règne, la corruption se développe, les seigneurs de guerre prospèrent, et la population en paie le prix et en souffre.
    Il faut aussi tenir compte de la militarisation des collectivités, particulièrement dans les régions où il y a de vastes populations autochtones, en raison de la richesse naturelle de la terre. Les militaires s’en vont dans une région et s’y installent temporairement dans les écoles, qui sont souvent les seuls bâtiments publics. Ils agressent les femmes et les enfants et commettent notamment des crimes sexuels contre les femmes. En ce qui concerne Tubo, là où je suis resté trois jours avec d’autres membres de notre délégation, ils ont piétiné des cultures entières de riz, ce qui prive les villages de leur principale source de nourriture.
     De plus, dans le cadre d’une nouvelle initiative troublante amorcée en octobre 2011, le président Aquino a autorisé le déploiement d’un groupe de paramilitaires, connu sous le nom de Special Civilian Armed Forces Geographical Unit Active Auxiliary, ou SCAA. Aux Philippines, ils sont appelés familièrement des fiers-à-bras, et la combinaison de fiers-à-bras, d’or et d’armes sème le chaos.
     On a déposé une requête devant le congrès des Philippines afin qu’une enquête soit menée sur les violations des droits de la personne commises par un paramilitaire embauché par la société minière canadienne TVRID, filiale de TVI Pacific, une société minière canadienne cotée en bourse, dont le siège social est situé à Calgary, en Alberta.

  (1330)  

    Il est extrêmement troublant de constater que les sociétés minières peuvent désormais embaucher ces milices privées, des individus armés et entraînés par les forces armées des Philippines, et qui ne sont aucunement tenus de répondre de leurs actes. Selon le député Tinio, qui a demandé au Congrès d'ouvrir l'enquête, les membres des forces paramilitaires embauchés par TVI ont violé les droits de la personne en préparant le terrain à l'exploitation d'une mine aurifère à ciel ouvert. Ils ont notamment détruit des maisons, des terres qui assuraient la subsistance des habitants et du matériel artisanal d'exploitation des mines; ils ont mené des perquisitions et des arrestations illégales, ont installé des postes de contrôle, ont imposé un blocus pour empêcher le ravitaillement des collectivités isolées et ont détourné le seul cours d'eau de la montagne, la principale source d'approvisionnement des habitants. Cette situation s'est reproduite aux quatre coins des Philippines. Les armées privées condamnent à la misère et à la souffrance extrême les groupes vulnérables comme les ouvriers, les agriculteurs et le peuple autochtone.
    Pour terminer, monsieur le président, le people autochtone a résisté pendant des siècles aux incursions sur leurs terres ancestrales. Or, utiliser les services d'armées professionnelles, de forces paramilitaires et de brutes pour faire valoir les intérêts d'une société est une sorte d'indifférence cruelle, qui est en soi un acte tellement immoral et insouciant de la vie d'autrui qu'il devrait être répréhensible et porter la même responsabilité criminelle en vertu de la loi qu'un crime commis délibérément. La population canadienne insouciante et mal informée ainsi que le gouvernement canadien qui refuse délibérément de voir ces graves injustices fondamentales tolèrent ces gestes sans les dénoncer.
    Nous avons trois demandes et recommandations fort simples.
    En ce qui concerne la diffamation, nous demandons au gouvernement canadien de prier le gouvernement des Philippines de retirer des listes de surveillance et de combat le Conseil national des Églises des Philippines, l'Église unie du Christ aux Philippines, l'Alliance du Peuple de la Cordillère et le Conseil oecuménique régional, car leurs membres sont victimes de torture, d'exécutions sommaires, de disparitions forcées et d'autres violations.
    En deuxième lieu, nous demandons au gouvernement canadien d'aider et de financer les ONG et les regroupements progressistes, qui consignent et décrivent les violations des droits de la personne. En outre, toutes les sociétés, et plus particulièrement les sociétés minières canadiennes ayant recours à des forces paramilitaires qui violent les droits de la personne d'une façon ou d'une autre aux Philippines, devraient s'exposer à des sanctions pécuniaires ou être privées de services consulaires, entre autres.
    Puisque j'ai moi-même visité les Philippines à trois reprises au cours des deux dernières années, dont une fois à titre d'observateur international des élections, je recommande fortement au sous-comité de mener sa propre enquête et de se rendre sur place afin d'apprendre ce qui s'y passe de première bouche.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie.

  (1335)  

    Merci.
    Je viens de vérifier l'heure, et chaque intervenant devra se limiter à quatre minutes pour les questions et les réponses afin que les six membres du comité puissent avoir la parole. Naturellement, nous procédons ainsi parce que les exposés étaient un peu plus longs qu'à l'habitude.
    Nous allons commencer avec M. Sweet.
    Je crois que je vais commencer par un sujet que vous avez abordé hier soir.
    Monseigneur Marigza, vous avez dit que des pasteurs ont été abattus sur les marches de leur église. Pouvez-vous nous dire quelles raisons les porte-parole du gouvernement ont invoquées pour expliquer ces événements? S'agit-il d'une sorte de persécution fondée sur les croyances religieuses? Quelque 80 p. 100 de la population du pays est chrétienne, surtout catholique. Le gouvernement prétexte-t-il que l'Église aide et encourage certains de ces personnages infâmes?
    Monsieur le président, l'Église unie du Christ aux Philippines figure sur une liste des forces armées qui montre du doigt ceux qui remettent en question les politiques gouvernementales. Elle se compose de deux publications, soit la présentation PowerPoint Connaître l'ennemi, dont les forces armées se sont servies dans leur campagne contre-insurrectionnelle, et La Trinité de la guerre, un livre des forces armées philippiennes qui désigne l'Église unie, le Conseil national des églises et la United Methodist Church, entre autres, comme étant des ennemis de l'État. Nous sommes donc des cibles faciles puisque nous sommes considérés comme des ennemis de l'État à tendance communiste.
    Monseigneur, suffit-il de dénoncer le gouvernement pour figurer sur la liste?
    C'est justement lié à ma prochaine question. Vous avez parlé du manque de leadership du président ayant trait aux exécutions sommaires. Que se passe-t-il à la Chambre des représentants et au Sénat? Parle-t-on publiquement de la situation? Les parlementaires encouragent-ils les initiatives populaires de mobilisation? Lorsque les 98 millions d'habitants sont témoins de ces événements, essaient-ils véritablement d'endiguer la violence dans leurs rues et d'empêcher le gouvernement de continuer?
    Quelques parlementaires progressistes du Congrès ont tenté de faire bouger les choses, mais cette mince minorité ne suffit pas à modifier le programme de la majorité, comme nous le souhaiterions.
    Nous les appelons les parlementaires de la rue ou le mouvement de la rue, et ils représentent des organisations protestataires. Or, le gouvernement fait souvent la sourde oreille à ces protestations, monsieur.
    Merci.
    Madame Bisuña-Ipong, deux de vos amis ont dit avoir engagé des poursuites afin d'obtenir une certaine compensation pour le traitement qu'ils ont subi. Avez-vous essayé d'intenter un recours civil à la suite de votre emprisonnement? Vous avez été séquestrée cinq ans. Avez-vous envisagé une action en justice afin d'obtenir une certaine réparation?
    Mon avocat m'a demandé si je voulais intenter des poursuites judiciaires. Je lui ai répondu que j'ai passé six ans en prison, et qu'il m'a fallu beaucoup de temps avant d'obtenir justice. Je ne pense pas que la cour pourrait rétablir la justice tellement la procédure est longue dans une situation comme la nôtre. Je l'ai donc avisé que je n'intenterais pas d'action en justice. Je préfère en parler et raconter ce qui se passe, car beaucoup d'autres vivent une situation semblable. Or, ceux qui parlent de leur histoire aux tribunaux n'obtiennent pas justice.

  (1340)  

    Il n'y a donc aucune distinction entre les tribunaux correctionnels et les tribunaux civils; ils fonctionnent tous de la même façon.
    Veuillez m'excuser, mais l'ensemble du système juridique des Philippines est tellement lent que je ne crois pas pouvoir en obtenir justice.
    Vous avez mentionné d'autres éléments. Avez-vous l'impression que les tribunaux aussi sont corrompus dans une grande mesure?
    C'est ce que nous croyons tous les deux. Nous pensons qu'il est préférable de ne pas intenter d'action en justice, car le processus serait très long et exigerait de grands efforts de ma part sans pour autant me permettre d'obtenir justice.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Marston, vous pouvez y aller.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Clamor — j'espère que je prononce bien votre nom —, croyez-vous que votre arrestation et votre détention sont directement liées à la croissance des activités de l'industrie extractive et des sociétés minières dans votre secteur?
    Oui. Le lien n'est peut-être pas tout à fait direct, car nous fournissons des services de santé aux collectivités éloignées qui ne sont pas desservies par le gouvernement. Nous informons aussi la population sur ses droits...
    À ce propos, il semble que votre organisme figure sur une liste; vous êtes pointés du doigt dès que vous commencez à parler de droits de la personne et à informer la population à ce sujet. Ce qui m'inquiète, c'est la croissance de l'industrie extractive et le fait, d'après les témoignages, que sept sociétés canadiennes auront accès à 85 p. 100 des terres émergées; cela signifie que le problème nous touche de très près et relève de nos responsabilités.
    J'aimerais aller un peu plus loin. Une tendance semble se dessiner: les organisations font d'abord l'objet de diffamation, ses membres sont séquestrés, puis elles deviennent des « ennemies de l'État ». Et si toutes ces mesures ne suffisent pas à la remettre dans le droit chemin, la mort s'ensuit.
    J'aimerais adresser ma deuxième question au secrétaire général. Nous avons appris l'assassinat récent de Jimmy Liguyon. Je ne vous ai peut-être pas entendu, mais il semble que vous ne nous avez pas demandé de commenter l'événement ou d'ouvrir une enquête dans votre exposé.
    Oui, monsieur; c'est pour cette raison que nous avons prié le sous-comité de songer à envoyer une délégation et de constater lui-même ce qui se passe là-bas.
    Puisque Jimmy Liguyon s'opposait... cet homme possédait un territoire ancestral. On le poussait à signer une pétition qui permettrait aux sociétés minières de venir exploiter ses terres. Puisqu'il a résisté, 15 paramilitaires ont fait irruption chez lui et l'ont tué par balle. Le tueur a été identifié, mais il est encore libre comme l'air.
    Dans le cadre d'un certain nombre d'études différentes, nous avons entendu parler de sociétés minières qui ont recours aux services de paramilitaires pour assurer la sécurité. Or, des sociétés minières canadiennes ont maintenant recours à cette pratique, et c'est inquiétant.
    Qui aimeriez-vous que nous rencontrions aux Philippines pour nous avoir demandé de nous rendre sur place à la fin de votre exposé? S'agit-il des Églises qui figurent sur la liste de diffamation, ou aviez-vous autre chose en tête?
    Vous pourriez rencontrer le Conseil national des Églises aux Philippines, qui regroupe 10 Églises chrétiennes. Il existe aux Philippines des organisations multisectorielles qui défendent les droits de la personne avec lesquelles nous travaillons tous les deux. Nous pourrions certainement organiser la visite.

  (1345)  

    Soyez très bref.
    Non, je vais m'arrêter ici pour laisser un peu de temps aux autres. S'il reste une minute à la fin, vous pourrez revenir à moi, monsieur le président.
    D'accord.
    Dans ce cas, je vais laisser la parole à M. Hiebert.
    Je vous remercie tous de votre témoignage; je vous en suis véritablement reconnaissant.
    Nos documents de référence indiquent que la Cour suprême a adopté des mesures législatives ces dernières années pour résoudre le problème. Il s'agit de la règle du droit d'amparo et de la règle du bref d'habeas data qui, à ma connaissance, visent à défendre les droits de la personne.
    Connaissez-vous bien ces dispositions législatives?
    Ont-elles eu des répercussions sur le respect des droits de la personne aux Philippines?
    Malheureusement, ces règles sont reléguées aux oubliettes dans une large mesure. Par exemple, un bref d'habeas data a été demandé pour les 43 victimes de Morong, dont Merry Clamor faisait partie, mais rien n'a été fait.
    Dans le cas des disparitions, comme celle de Jonas Burgos qui a été enlevé par des militaires, les forces armées n'ont pas fait parvenir les renseignements exigés aux tribunaux. Nous ne pouvions même pas visiter les camps militaires.
    Lorsque vous intentez ces actions en justice contre le gouvernement, quel processus suivez-vous pour rétablir une forme de justice?
    Au fond, ce sont des affaires au civil, mais aux Philippines, nous devons même fournir un cautionnement pour intenter de telles actions en justice. Il s'agit d'initiatives privées, comme les procédures judiciaires que nous avons engagées pour les 43 victimes de Morong. Ce sont des affaires au civil. Nous n'obtenons aucune aide des procureurs du gouvernement et sommes laissés à nous-mêmes.
    Le gouvernement a-t-il admis son rôle dans les exécutions sommaires, ou bien est-ce simplement la croyance populaire qui veut que le gouvernement soit derrière ces activités?
    Dans le cadre de ses enquêtes, le rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a établi un lien entre le gouvernement — l'armée, plus particulièrement — et les exécutions sommaires.
    Il a démontré que des éléments et des unités militaires sont responsables des exécutions. Ces groupes ont commis les violations conformément à leur plan opérationnel anti-insurrectionnel, qui cible les organisations et les groupes tenant des propos contre le gouvernement.
    D'ailleurs, le nouveau président avait rencontré des représentants de l'Union européenne, des ambassadeurs et des consuls avant qu'il n'occupe le fauteuil le 1er juillet. Il avait promis de garder l'oeil sur les exécutions sommaires et de traduire les responsables en justice. Près de deux années se sont écoulées sans que rien ne soit fait à cet égard.
    De quel niveau de la chaîne de commandement l'ordre provient-il? S'agit-il des instances supérieures ou de certains militaires qui agissent de leur propre chef?
    Si les forces armées des Philippines peuvent utiliser publiquement et à grande échelle des livres ou des présentations PowerPoint comme le guide Connaître l'ennemi, la directive doit venir d'un niveau très élevé.
    Vous avez déjà dit ne voir aucune différence entre la situation actuelle sous la présidence d'Aquino et celle qui prévalait sous l'ancienne présidence. Au fond, rien n'a changé.
    C'est exact.
    Connaissez-vous bien le programme de lutte anti-insurrectionnelle Oplan Bayanihan?
    A-t-il permis de changer quoi que ce soit?
    Non. Il a seulement orné la situation d'une façade plus démocratique. Il a introduit de nombreuses ramifications gouvernementales, mais les statistiques n'ont pas changé. Ce programme n'a pas permis de réduire le nombre de violations des droits de la personne.
    Nous allons maintenant écouter M. Cotler.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à exprimer ma gratitude à nos témoins. Il se trouve que beaucoup d'électeurs de ma circonscription de Mont-Royal sont d'origine philippine et que je m'occupe beaucoup de ces questions avec eux.
    Vous avez tous parlé de ce que l'on peut appeler une culture de l'impunité aux Philippines, surtout en ce qui a trait aux exécutions extrajudiciaires, à la torture et aux disparitions forcées.
    En 2007, la Cour suprême des Philippines a instauré des procédures concernant le bref d'amparo et le bref d'habeas data. Ces procédures ne semblent pas avoir été efficaces, même si elles permettent aux personnes qui ont été victimes de ces violations de se prévaloir d'un recours judiciaire.
    Comment peut-on améliorer l'efficacité des tribunaux? Est-il possible que les tribunaux ne soient pas tout à fait indépendants? Vous avez aussi mentionné que le juge en chef de la Cour suprême fait actuellement l'objet de procédures de destitution. Ma question porte sur l'indépendance du système judiciaire. Les tribunaux peuvent-ils faire en sorte d'obliger les auteurs de ces violations à répondre de leurs actes?

  (1350)  

    Ce serait vraiment une bonne chose si les tribunaux fonctionnaient bien, mais aux Philippines, ce n'est pas le cas actuellement. Cela prend tellement de temps. Lorsqu'on cherche à obtenir justice des tribunaux, c'est un processus de longue haleine.
    Quant à savoir s'ils sont indépendants, c'est une bonne question, car dans bien des cas, on n'obtient pas justice. Tout est très long. En même temps, seuls ceux qui ont les moyens financiers et qui détiennent le pouvoir reçoivent satisfaction. Mais ce n'est pas la justice. En fait, aux Philippines, la justice s'achète. C'est ce qui s'est produit dans de nombreux cas. Nous tentons en vain de faire changer les choses. Combien d'années nous faudra-t-il? C'est pourquoi j'ai dit que justice différée est justice refusée.
    Nous sommes très tristes de cette situation. Beaucoup reste à faire en ce qui concerne les tribunaux philippins. Ils doivent être remis en question; il faut faire en sorte qu'ils fassent leur travail. Ils doivent répondre aux besoins des gens, surtout des personnes pauvres, qui ne peuvent obtenir justice parce qu'elles n'en ont pas les moyens. Nous devons prendre en main les tribunaux pour ces personnes.
    Je me demande si l'utilisation de mécanismes des Nations Unies pourrait être utile — par exemple, si le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires se rendait aux Philippines. Je crois qu'on en a fait la demande, mais le gouvernement n'a pas encore répondu.
    Un mécanisme de l'ONU aiderait-il à protéger... ou même une enquête du Conseil des droits de l'homme au sujet de la perpétration de ces violations et de la culture de l'impunité?
    Les Nations Unies peuvent beaucoup aider, comme l'a fait le rapporteur sur les exécutions extrajudiciaires, Philip Alston. Mais dans bien des cas, actuellement, les observateurs ne sont pas même autorisés à se rendre aux Philippines pour voir ce qui s'y passe vraiment. Nous en avons fait la demande au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies.
    Aviez-vous quelque chose à ajouter, madame Clamor? Je crois que vous alliez dire quelque chose.
    Mme Merry Mia-Clamor: [Note de la rédaction: inaudible]
    L'hon. Irwin Cotler: Très bien.
    C'est au tour de Mme Grewal.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie tous pour le temps que vous nous consacrez et pour vos exposés.
    J'ai deux questions. Je serai aussi brève que possible, car je n'ai pas beaucoup de temps.
    La déclaration de l'ONU sur les disparitions forcées définit la notion de disparition forcée comme étant toutes les situations dans lesquelles des personnes sont arrêtées ou détenues, et même enlevées contre leur volonté, et privées de leur liberté et de divers droits par plusieurs organes du gouvernement. Ces situations, ainsi que les nombreuses exécutions extrajudiciaires, semblent vivement et continuellement préoccuper le président et la communauté internationale.
    Selon vous, pourquoi ces tortures et disparitions extrajudiciaires sont-elles un problème si répandu dans le pays? À votre avis, quels groupes sont principalement responsables de ces crimes? Croyez-vous que ces crimes sont davantage perpétrés par les forces de sécurité du pays, des entités privées ou des groupes non étatiques? Quels sont les groupes et les personnes les plus ciblés pour ces disparitions forcées et ces meurtres?

  (1355)  

    En fait, toutes les violations des droits de la personne et les exécutions extrajudiciaires dont nous vous avons parlé ici sont commises par des acteurs étatiques. Nous avons présenté beaucoup de documents dans lesquels nous indiquions que les responsables sont les acteurs étatiques.
    Le problème, c'est qu'il y a beaucoup de crimes, mais qu'on ne trouve pas les criminels. Il existe un climat d'impunité. Personne n'est tenu responsable de ces actes et personne n'est poursuivi. Personne ne répond des crimes qui ont été commis, pas même ceux qui ont déjà été ciblés.
    Par exemple, il y a un général au pays qui est considéré comme un boucher; partout où il est allé, il y a eu des bains de sang. Les tribunaux ont jugé qu'il devait être arrêté, mais où est-il? Il a tenté de fuir le pays, mais il a été arrêté par le service d'immigration. Le jour où il devait se présenter en cour, il est demeuré introuvable. À ce jour, il est toujours en cavale.
    Nous estimons qu'il doit y avoir une volonté politique pour faire en sorte que ces gens répondent de leurs crimes, mais il n'y en a pas. Ce n'est pas ce que nous voulons. Il existera toujours un climat d'impunité si le gouvernement n'a pas la volonté politique d'obtenir justice pour les victimes.
    Je crois que la société minière canadienne TVI, comme vous le disiez dans votre exposé, exerce ses activités à Mindanao, aux Philippines, et que divers activistes et groupes de défense des droits de la personne ont critiqué ses activités. Des témoins se sont également dits très préoccupés par les effets politiques, environnementaux et sociaux des projets de cette société, par leurs conséquences sur les droits territoriaux autochtones, ainsi que par l'utilisation de forces de sécurité militarisées. Il semble que cela ait entraîné une militarisation accrue de la région et contribué aux violations des droits de la personne.
    À votre avis, les sociétés minières canadiennes sont-elles responsables de ces conséquences négatives sur les droits de la personne aux Philippines, par leurs diverses opérations et activités?
    Elles ne sont peut-être pas directement responsables des ordres donnés. Elles embauchent les paramilitaires entraînés par nos forces armées, nos forces de sécurité, que l'on appelle maintenant Défense Force aux Philippines. Habituellement, ce sont elles qui sont liées aux violations des droits de la personne, en particulier contre le peuple autochtone.
    Selon moi, il y a un lien plus direct. Je dirais que oui, elles sont responsables. Elles ne vivent pas en vase clos. Si elles embauchent des hommes armés, qui est responsable de leurs actes? On ne peut invoquer un précédent historique comme la justification de Sherman pour avoir brûlé Atlanta, ou quelque chose du genre. On est manifestement mêlé à cela.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Péclet.

[Français]

    Tout d'abord, j'aimerais savoir si le Comité international de la Croix-Rouge a pleinement accès aux lieux de détention — qu'ils soient officiels ou non — utilisés par le gouvernement.
    Pouvez-vous commenter à ce sujet? Savez-vous si le Comité international de la Croix-Rouge a accès aux lieux contrôlés par les groupes armés gouvernementaux et non gouvernementaux?

  (1400)  

[Traduction]

    La Croix-Rouge des Philippines ne s'occupe pas très activement de questions comme celles-ci, mais je sais pertinemment que dans le cas des Morong 43, par exemple, même notre Commission des droits de l'homme ne pouvait pas accéder à la ville militaire. Le commissaire en chef de la Commission des droits de l'homme des Philippines n'a pas été autorisé à entrer dans les installations de détention. Imaginez. C'était excessif.
    En plus, la Croix-Rouge internationale ne peut pas vraiment visiter les camps militaires et les autres institutions de détention, mais le problème, dans ce pays, c'est qu'il existe des refuges, des lieux non reconnus, dont les forces de sécurité se servent pour garder les détenus, et dont le CICR et même les institutions gouvernementales ne connaissent pas l'existence.
    Dans mon cas, j'ai été transférée d'un camp à l'autre, mais il ne s'agissait pas de centres de détention officiellement reconnus. On nous y a torturés. Nous n'avions aucun contact avec l'extérieur. Aucun de mes visiteurs n'a pu me voir. Pourquoi ne nous a-t-on pas emmenés tout de suite au centre de détention ordinaire? Mais c'est là où l'on inflige toutes ces tortures et où se produisent toutes les violations des droits de la personne.

[Français]

    On a aussi parlé des lois adoptées par l'État, dont une contre la torture. Savez-vous si cela a réussi à prévenir certains agissements? Le gouvernement prétend-il être lié à cette loi?

[Traduction]

    Nous avons adopté une loi contre la torture en 2009, mais on nous a arrêtés et torturés en 2010. Même la mise en oeuvre de la loi est insatisfaisante. Ceux qui devraient respecter la loi et la faire appliquer sont ceux qui commettent ces actes.
    Mesdames et messieurs, vous serez peut-être intéressé de savoir que le Canada a indiqué que les forces de sécurité doivent recevoir une formation sur les droits de la personne et la responsabilité de rétablir les droits de la personne. Mais dans les conclusions d'Amnistie Internationale... il y a une citation dans le manuel qui dit:
Pour surmonter la dure épreuve que constitue l'enquête lorsqu'ils sont impliqués dans un cas de violation des droits de la personne, il est impératif que les soldats connaissent les normes relatives aux droits de la personne.
    On ne leur dit pas de ne pas commettre de violations des droits de la personne, mais on veut qu'ils en connaissent les normes, afin qu'ils sachent quoi faire lorsqu'ils feront l'objet d'une enquête.
    C'est maintenant au tour de M. Marston. Ensuite, M. Sweet prendra brièvement la parole, et cela mettra fin aux questions.
    Monsieur Marston.
     Ce n'est pas une question, mais une très brève observation.
    Le comité se trouve en quelque sorte à un moment décisif. Nous avons la possibilité de visiter cette collectivité, de visiter les Philippines. En nous rendant voir les gens, les églises, et les personnes placées sur la liste de diffamation, nous aurons une meilleure idée de la situation et nous pourrons faire savoir au gouvernement actuel que nous le surveillons.
    Nous savons qu'il faudra des générations pour mettre un frein à l'impunité, mais l'une des choses que notre comité pourrait faire... Et il est important pour nous d'en tenir compte. Souvent, on nous demande de faire enquête et d'intervenir, mais c'est d'une manière simple, je crois. Les Philippines sont un allié de l'Occident, et ce, depuis la Seconde Guerre mondiale. Sur certaines questions, il serait possible d'exercer des pressions subtiles, et nous devrions envisager de le faire.
    Merci, monsieur le président.

  (1405)  

    Merci, monsieur Marston.
    Monsieur Sweet, la parole est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai une dernière question à poser afin que nous ayons suffisamment d'informations. Monseigneur vient de mentionner qu'il estime que les formations qui ont eu lieu — ou du moins les directives qui ont été données aux forces de sécurité — servaient en fait à les protéger des poursuites dont elles pourraient faire l'objet si elles sont impliquées dans des violations des droits de la personne.
    Je voulais vous demander ceci, mais c'est presque une question de pure forme, à ce moment-ci. Vous dites qu'après l'examen périodique universel, où l'on a formulé une recommandation afin que les forces de sécurité soient formées en matière de droits de la personne et qu'elles agissent de façon à respecter les droits de la personne de chaque citoyen, elles ont utilisé cette directive pour se protéger au lieu de former les gens? Essentiellement, cela n'a fait que les aider à continuer de commettre des infractions. Est-ce bien ce que vous dites?
    Oui, c'est cela, malheureusement.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Sweet.
    Je tiens également à remercier nos témoins d'aujourd'hui. Nous vous sommes très reconnaissants d'être venus d'aussi loin. Votre dévouement est incontestable, et nous sommes heureux que vous ayez pu nous fournir toutes ces informations sur ce sujet très important.
    Cela met fin à nos questions. Mais je crois que M. Cotler a une motion à présenter sur un sujet différent, n'est-ce pas?
    Oui, monsieur le président. Cela fait un moment que nous avons en main cette motion. Permettez-moi de vous la résumer.
    Elle porte sur deux motions qui ont été adoptées à l'unanimité par le sous-comité le 8 décembre 2011 sur la question de la Corée du Nord. La première concerne le traitement brutal et inhumain de la population de la Corée du Nord. La seconde concerne le sort réservé à Mme Shin et à ses deux filles en Corée du Nord. Essentiellement, le motionnaire demande que ces motions soient présentées au Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, recommandant qu'il en fasse rapport à la Chambre et qu'il demande une réponse globale du gouvernement, conformément à l'article 109 du Règlement.
    Il ne faut pas que ces choses restent en suspens, car depuis que nous avons adopté ces motions, le 11 décembre, la situation en Corée du Nord s'est aggravée dans son ensemble. Puisque nous avons pris une importante mesure en adoptant ces résolutions, nous devrions maintenant les renvoyer au Comité des affaires étrangères, afin qu'il puisse en faire rapport à la Chambre et demander une réponse du gouvernement.
    Très bien. Très brièvement, alors, il s'agit d'une motion concernant la présentation de deux motions déjà adoptées.
    Y a-t-il des observations à ce sujet?
    Monsieur le président, la seule chose dont j'aimerais informer M. Cotler, c'est que j'appuie à 110 p. 100 cette motion.
    Très bien. Ne commençons pas une guerre de surenchères ici.
    Nous accepterons...
    Une voix: Cent-vingt...
    Le président: C'est bien ce que je craignais.
    D'accord, cela veut dire qu'elle est adoptée.
    (La motion est adoptée.)
    Le président: Et cela veut dire que la séance est levée.
    Encore une fois, je remercie beaucoup nos témoins. Votre témoignage nous a été très utile. Nous vous en sommes reconnaissants.
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