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NDDN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la défense nationale


NUMÉRO 065 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 11 février 2013

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Bonjour à tous. Je vous souhaite à tous la bienvenue à la 65e séance du Comité permanent de la défense nationale. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi sur la Défense nationale et d'autres lois en conséquences.
    Durant la première heure de séance, nous recevons M. Michel Drapeau, professeur à l'Université d'Ottawa, ainsi que M. Clayton Ruby, un avocat de Toronto.
    M. Drapeau est né et a grandi à Québec avant de servir sous les drapeaux pendant 34 ans. Il a occupé le poste de directeur du Secrétariat du quartier général de la Défense nationale ainsi que le poste de secrétaire du Conseil des Forces armées. Il a obtenu son diplôme en droit civil en 2009 ainsi qu'en common law en 2000. Il a ensuite travaillé comme greffier à la Cour d'appel fédérale sous la supervision du juge Gilles Létourneau, qui viendra témoigner durant la prochaine heure. M. Drapeau a obtenu son barreau en 2002 et est professeur auxiliaire à l'Université d'Ottawa. Nous sommes ravis qu'il soit des nôtres aujourd'hui.
    Monsieur Drapeau, vous pouvez faire votre déclaration liminaire.
    Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier également les membres du comité de m'avoir fait l'honneur de m'inviter à venir témoigner.
    Au cours de la dernière décennie, j'ai vu notre armée se transformer en une organisation de calibre international dont la performance en Afghanistan lui a valu l'admiration et le respect incontesté de nos alliés et des Canadiens. Selon moi, deux facteurs interreliés expliquent ce bilan: l'exercice d'un leadership inégalé sur le terrain et les efforts inlassables déployés par nos militaires qui sont allés bien au-delà de leur devoir.
    Voilà pourquoi je suis fermement convaincu, qu'au bout du compte, nous devons témoigner à nos soldats une gratitude incommensurable pour avoir fait honneur au drapeau canadien, démontré une solidarité indéfectible envers nos alliés et écarté une menace mondiale qui planait sur la sécurité nationale.
    Les militaires que nous avons déployés en Afghanistan portaient en eux nos droits et nos valeurs. Dans le cadre de leur mission, ils ont mis leur vie en péril pour inculquer au peuple afghan le goût de la démocratie et de la primauté du droit. Malheureusement, beaucoup ne sont pas revenus.
    Je crois que le projet de loi C-15 devrait être, à bien des égards, la reconnaissance et l'incarnation de leur courage, de leur engagement et de leurs sacrifices. Par gratitude envers ces soldats et aussi pour leur rendre justice, le projet de loi C-15 devrait avoir comme objectif premier de protéger leurs droits, et non pas d'alourdir la bureaucratie des avocats et juges militaires. Ce projet de loi devrait être rédigé du point de vue des militaires et de leur hiérarchie, et non pas de celui du personnel juridique militaire qui travaille dans l'enclave sécurisée du quartier général de la Défense nationale.
    J'aimerais exprimer cinq réserves au sujet du projet de loi C-15.
    Tout d'abord, citons le régime des procès sommaires. Même si, en vertu de la loi, ces procès font partie du processus pénal, ils ne sont pas entendus par un juge, mais par un membre de la chaîne de commandement. Quelque 2 000 procès sommaires ont lieu chaque année. Comme le taux de condamnation à l'issue de ces procès est de 97 p. 100, cela signifie qu'un membre des Forces canadiennes sur 30 est condamné, bon an mal an, par un tribunal quasi pénal. Or, le projet de loi C-15 ne tient absolument pas compte de la procédure sommaire.
    La jurisprudence canadienne, elle non plus, n'en tient pas compte. Pourquoi? Parce qu'un accusé dans un procès sommaire n'a pas le droit d'en appeler ni du verdict ni de la peine. Et cela, même si la sentence et la peine sont imposées sans égard aux normes minimales relatives au droit des accusés dans une procédure criminelle, par exemple, le droit à un avocat, la présence de règles de la preuve et le droit d'appel.
    Au Canada, ces droits sont inexistants dans un procès sommaire, même si l'accusé est un ancien combattant décoré. Pourtant, tout Canadien accusé d'une infraction punissable par procédure sommaire au civil, à l'instar du sénateur Patrick Brazeau, jouit de tous ces droits, de même que toute personne qui comparaît devant un tribunal des petites créances ou un tribunal des contraventions routières.
    Il me semble très étrange que ceux et celles qui risquent leur vie pour protéger les droits des Canadiens soient eux-mêmes privés des droits que leur confère la Charte lorsqu'ils font l'objet d'une procédure quasi pénale, avec la possibilité de perdre leur liberté s'ils sont placés en détention dans un baraquement militaire.
    Si la Grande-Bretagne, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Irlande ont jugé bon, il n'y a pas si longtemps, de procéder à une révision en profondeur de leur procédure de procès sommaire, lorsque celle-ci a été jugée non conforme aux droits de la personne universellement reconnus, je pose la question suivante: pourquoi le Canada n'envisage-t-il pas, à tout le moins, de faire la même chose?
    Deuxièmement, j'émets certaines réserves quant au processus de traitement des griefs. Si le projet de loi C-15 est promulgué dans sa forme actuelle, le chef d'état-major de la Défense deviendra presque totalement absent du système de grief. Je pense qu'à titre de plus haut gradé des Forces canadiennes, le chef d'état-major — et non pas le ministre ou l'ombudsman — a l'obligation morale et juridique de s'occuper des militaires, de contribuer personnellement et de connaître les motifs de mécontentement qui incitent un militaire à recourir au processus de traitement des griefs pour obtenir un minimum de justice. Voilà ce qu'on appelle un exercice en leadership, à tout le moins dans les forces armées.
    Le troisième point que je tiens à soulever porte sur les juges militaires. Je suis surpris de la bienveillante attention accordée aux juges militaires dans le projet de loi C-15. Actuellement, les quatre juges militaires traitent au total 65 litiges par année en cour martiale. En 2011-2012, chacun d'entre eux a donc passé environ 4,5 jours par mois au tribunal. Selon mes calculs, il s'agit là de la charge de travail la moins lourde de l'histoire des tribunaux pénaux du Canada. Il est peut-être temps que le vérificateur général se penche sur le régime de justice militaire. Le Canada et l'armée ne peuvent tout simplement pas se permettre autant d'extravagance.

  (1535)  

    Quoiqu'il en soit, on pourrait s'attendre à ce que le gouvernement cherche à réduire le nombre de juges militaires ou à transférer cette fonction à la Cour fédérale du Canada. Au lieu de cela, aux termes du projet de loi C-15, il souhaite nommer un juge militaire en chef adjoint et, pire encore, former un comité des juges militaires de la force de réserve. Les seules personnes susceptibles de bénéficier de cette mesure serait, non pas les militaires en général, mais la petite poignée d'avocats militaires haut gradés qui seraient admissibles à cette fonction.
    Quatrièmement, je tiens à parler de la police militaire. Au cours de la dernière année, j'ai travaillé comme conseiller auprès de M. et Mme Fynes concernant leurs allégations relatives, entre autres, au manque d'indépendance de la police militaire et, en particulier, au Service national des enquêtes.
    Dans le cadre de son enquête, la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire a tenu 62 jours d'audience au cours desquels des preuves troublantes ont été déposées sur cette question précise. Le nouveau paragraphe 18.5(3) proposé dans le projet de loi C-15 aurait pour effet, à mon avis, d'aggraver le problème du manque d'indépendance en conférant au vice-chef d'état-major de la Défense le pouvoir d'établir des lignes directrices ou de donner des instructions à l'égard d'une enquête en particulier.
    N'oubliez pas que le chef d'état-major et le vice-chef d'état-major ont déjà le pouvoir d'ordonner au Service national des enquêtes de mener une enquête sur toute question qui les préoccupe. En toute franchise, compte tenu des structures actuelles de commandement, il serait tout à fait improbable que le Service national des enquêtes ne réponde pas à une telle requête. En outre, le chef d'état-major de la Défense nationale ne semble nullement gêné de commenter publiquement une enquête en cours par le Service national d'enquêtes. Conférer maintenant au vice-chef d'état-major le pouvoir de donner des instructions ou d'établir des lignes directrices à l'égard d'une enquête particulière concernant la police militaire supprimerait toute prétention d'indépendance de la police militaire par rapport à la chaîne de commandement.
    Est-il nécessaire de rappeler que le chef d'état-major de la Défense nationale, le vice-chef d'état-major et, à cet égard, le juge-avocat général sont tous assujettis au Code de discipline militaire? Aucun d'entre eux ne devrait avoir le pouvoir d'ordonner ou d'influencer le déclenchement, la suspension ou la conduite d'une enquête policière, encore moins de donner des instructions ou d'établir des lignes directrices relatives à la conduite d'une enquête.
    Cinquièmement, je tiens à aborder la question de la civilarisation du système de justice militaire. À l'échelle internationale, on se préoccupe de plus en plus de la compatibilité des systèmes de justice militaire avec les normes internationales en matière des droits de la personne. En Europe, la Convention européenne des droits de l'homme a eu une incidence sur le droit militaire national, en particulier au Royaume-Uni, en Allemagne et en France, pour ne nommer que quelques pays. Ces pays en sont arrivés à la conclusion que la présence de juges civils dans des tribunaux militaires renforcerait les principes de la suprématie civile sur la justice militaire et l'impartialité ainsi que l'indépendance de ces tribunaux puisqu'ils n'appartiennent plus à la hiérarchie militaire.
    Est-ce que cela fonctionnerait au Canada? Assurément. Nous n'avons qu'à regarder ce qui est arrivé au sous-lieutenant Delisle vendredi dernier au tribunal d'Halifax. Le juge civil « a bien joué », si vous me permettez l'expression. De plus, le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont allés encore plus loin en « civilarisant » les fonctions de juge-avocat général et de directeur des poursuites militaires et en sortant leurs bureaux du quartier général de l'armée pour les intégrer au service ou au ministère civil pertinent. Nous devrions faire la même chose.
    En terminant, monsieur le président, je tiens à vous dire que c'est un honneur pour moi de participer à votre étude de ce projet de loi. Dans le mémoire que je vous présente respectueusement, à titre d'ancien militaire et aussi de lecteur assidu d'ouvrages de droit militaire, je vous demande instamment de trouver un juste milieu entre les propositions formulées par le parrain du projet de loi et les droits des Canadiens ordinaires en uniforme qui servent notre reine et notre pays.
    Je vous remercie de votre attention et je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

  (1540)  

    Merci, monsieur Drapeau.
    Notre prochain témoin est M. Ruby.
    M. Ruby est diplômé de l'Université de Toronto et de l'Université de Californie à Berkeley et il est avocat associé au cabinet Ruby and Edwardh à Toronto. Le Barreau du Haut-Canada lui a remis un doctorat en droit en 2006.
    Monsieur Ruby, à vous la parole.
    C'est un honneur d'être ici pour vous aider à comprendre le projet de loi à l'étude. J'aimerais présenter deux perspectives en tenant compte de mon travail sur les procès sommaires, puisque c'est la question qui me préoccupe en particulier.
    La première perspective est celle d'un auteur sur la question des peines et celle d'un éternel étudiant en la matière. Le manuel principal dans le domaine est celui que j'ai rédigé; il en est à sa huitième édition, et Dieu sait combien il y en aura encore. Cela semble être sans fin. C'est donc dire que je réfléchis beaucoup à la question de la peine. Il me semble que la décision rendue dans l'arrêt R. c. Gardiner, soit la principale affaire du dernier siècle sur la détermination de la peine à la Cour suprême du Canada, était juste. Les juges avaient cité Sir James Fitzjames Stephen, qui était en passant l'auteur du premier Code criminel du Canada. Stephen avait dit:
La peine est l'essentiel du procès. Elle est au procès ce que la balle est à la poudre.
    À mon avis, c'est tout à fait vrai. Cela montre que c'est une question d'une importance fondamentale. En fait, dans un certain sens, c'est la raison d'être de l'exercice: qu'est-ce qu'une peine et qui punissons-nous en l'imposant? Lorsqu'on utilise le terme « peine », cela signifie que c'est une punition méritée imposée pour atteinte au droit de la population dans le cadre d'une audience juste et publique qui a respecté tous les droits constitutionnels.
    Dans notre démocratie, ces derniers mots, « qui a respecté tous les droits constitutionnels », sont essentiels. C'est ce respect, appliqué dans le droit et la pratique, qui engendre le respect qu'ont les gens pour les peines dans notre système de justice ou dans tout autre système de justice. C'est différent des sanctions liées à l'emploi, des audiences disciplinaires de la GRC, des infractions aux règlements, du renvoi ou de toute autre sanction liée à l'emploi. Ces fonctions n'ont pas le même sens. On entend par là une justice dans l'application des lois. Ce concept sous-entend la primauté du droit, tout comme d'ailleurs notre Constitution, et c'est pourquoi il suppose que nous avons les droits constitutionnels conformément à la loi suprême du Canada. La loi suprême, bien sûr, c'est la Constitution et la Charte des droits et libertés.
    Oui, les procès en cour martiale engendrent un casier judiciaire, tout comme c'est le cas lors de certains procès sommaires. Il n'y a rien d'exceptionnel dans le fait qu'une même infraction produise un résultat différent: dans un cas, on se retrouve avec un casier judiciaire et dans un autre, non. C'est d'ailleurs l'argument que je veux faire valoir, car le procès en cour martiale maintient le sens complet de « peine », comme je vous l'ai expliqué: une audience publique, des droits constitutionnels et le respect de la primauté du droit. Ils signifient tous la même chose. Cependant, si la même infraction est jugée dans le cadre d'un processus qui n'a pas ces qualités, nous ne devrions pas conclure à une peine.
    Si on n'a pas d'avocat, on n'a pas accès à la divulgation des renseignements et on n'a pas droit à un tribunal impartial qui ne connaît pas les témoins ou qui ne soit pas un ami des témoins. C'est une procédure très différente de celle qui donne lieu à une peine.
    L'article 75 proposé dans le projet de loi que vous étudiez est, à mon avis, inadéquat. Parmi les 2 500 procès sommaires, une trentaine donne lieu à une forme quelconque d'emprisonnement. C'est inacceptable, mais il est important de noter que c'est un très petit nombre. Cependant, chaque cas est une violation des droits à la liberté en vertu de l'article 7 de la Charte, et j'estime que cela ne peut être justifié.
    Les membres des forces armées, peu importe l'infraction, ne devraient jamais avoir un casier judiciaire, mais telle est la conséquence: un casier judiciaire est attaché à ces procès sommaires dans certains cas, lorsque l'amende s'élève à plus de 500 $ ou 600 $ ou lorsque des notions de liberté entrent en jeu.

  (1545)  

    Le juge à la retraite Pat LeSage a décrit la situation comme suit: « un résultat exagérément disproportionné ». Il a raison, car en général, un casier judiciaire ne s'efface pas.
    La deuxième perspective que je présente est celle d'un avocat plaidant qui s'occupe de dossiers constitutionnels et d'un rédacteur en chef du Canadian Rights Reporter, un journal qui publie tous les cas constitutionnels importants qui sont jugés devant nos tribunaux.
    Certains disent que lorsqu'on s'engage dans les forces armées, on renonce à ses droits constitutionnels. Cela ne tient pas debout. C'est absurde du point de vue juridique, car la Charte a ses propres dispositions qui excluent certaines lois, et chacune doit être justifiée de façon ciblée et au cas par cas. On ne peut pas prévoir une exemption générale pour les forces armées lorsqu'il s'agit de quelque chose de nature aussi générale. La loi et sa mise en application sont fondées sur les faits; elles ne peuvent s'appuyer sur des concepts généraux comme le besoin de discipline dans les forces armées, car cela touche tous les aspects de la vie des forces armées.
    Je vais vous donner un exemple quant à la façon d'appliquer la Charte de façon ciblée. Il pourrait être acceptable de dire qu'on n'aura pas d'avocat dans le cadre d'un procès sommaire et qu'on n'aura aucun droit à un avocat tel que garanti par la Charte dans tous les autres cas. On limite ce droit à des cas mineurs afin d'avoir l'espoir de le justifier. Le gouvernement peut tenter de procéder ainsi. Cela peut passer. N'empêche que j'ai mes doutes, car tant et aussi longtemps que des personnes peuvent être emprisonnées ou confinées à des casernes, je doute que ce soit satisfaisant.
    Toutefois, supposons que ce soit le cas. On ne peut pas imposer toutes les conséquences d'une condamnation pénale et d'un casier judiciaire, car cela vous suit à tout jamais. En général, les pardons n'existent plus. Ils ont été remplacés par un nouveau libellé. La GRC ne consacre pas de ressources pour qu'on puisse les obtenir, mais c'est tout simplement une haine bureaucratique des pardons. Dans l'ensemble, on ne s'en débarrasse jamais et pourtant, on est passible d'une telle peine pour une infraction vraiment mineure, comme un manquement à la ponctualité au travail à trois reprises. Ce n'est pas ce qu'on entend par infraction criminelle. Tant qu'on n'aura pas amélioré le projet de loi, j'estime qu'il faudra retirer la possibilité d'un casier judiciaire.
    La justification en vertu de la Charte n'est pas une mince affaire. Si une de nos institutions principales ne rédige pas les dispositions afin de s'assurer que la liberté d'une personne qui sert son pays n'est pas retirée de façon inappropriée, ce n'est pas parce qu'elle n'a pas obéi aux ordres ou à toute autre chose; c'est plutôt à cause de notre manquement en tant que législateurs ayant rédigé et approuvé le projet de loi et en tant que citoyens ayant permis une telle situation.
    Merci, monsieur.

  (1550)  

    Merci, monsieur Ruby.
    Nous allons commencer notre premier tour de questions. Chaque député a droit à une intervention de sept minutes.
    Monsieur Allen, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à nos témoins de s'être déplacés.
    Je suis ce qu'on appelle en langage vernaculaire un « profane » parce que je ne suis pas avocat. J'ai déjà été président de jury, mais c'est heureusement la seule expérience que j'ai eue avec le système judiciaire.
    Il est intéressant de vous écouter tous les deux puisque c'est le sujet qui nous intéresse dans une certaine mesure — les procès sommaires et les préoccupations que nous avons à cet égard. Lors du débat en deuxième lecture à la Chambre, il a été dit que ce n'était qu'un petit nombre et je crois, monsieur Ruby, que vous avez dit qu'il y en avait une trentaine.
    J'aimerais que vous nous parliez davantage du procès sommaire.
    Colonel Drapeau, j'aimerais d'abord vous remercier infiniment de votre service. En fait, je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous parlez du service qu'on demande et qu'on reçoit du personnel des forces armées. En tant que législateurs, nous leur demandons certaines choses et ils le font tout simplement. Il me semble qu'on se doit de leur rendre la pareille en rédigeant un bon projet de loi. Puisque nous leur demandons toujours des choses, voici l'occasion, en tant que législateurs, de leur donner quelque chose en retour, au-delà des remerciements pour l'exécution infaillible de leur devoir. Nous savons que, quoi qu'il arrive, ils exécutent toujours leur devoir. Pour paraphraser le slogan de Nike — ce qui est, je crois, très déplacé dans ce contexte —, nos soldats passent toujours à l'action, sans aucune hésitation.
    Laissez-moi revenir au procès sommaire, car je suis curieux de savoir comment cela peut mener à une condamnation assortie d'un casier judiciaire lorsque ce n'est pas le cas pour un civil. En outre, comment peut-on imposer une telle peine à quelqu'un du simple fait qu'il porte un uniforme et qu'il fait partie d'une division quelconque des forces armées. Comment est-ce possible, et comment pouvons-nous arriver à une solution?
    Pouvez-vous m'aider à comprendre comment on peut y arriver? Il me semble qu'on leur doive au moins cela.
    Merci pour la question.
    J'aimerais revenir à ce que vous avez dit au début. Vous avez dit être un profane. Eh bien c'est exactement ce que nous cherchons, des profanes qui s'y intéressent. Pourquoi? Parce que vos fils, vos filles, vos neveux et vos nièces servent dans les forces armées — enfin, symboliquement. Il faut vous intéresser à ce qui se passe dans les forces armées.
    Lorsque de jeunes hommes et de jeunes femmes s'engagent dans les forces armées pour offrir leurs services et, en fin de compte, leur vie, comme M. Ruby l'a dit, ils ne renoncent pas à leurs droits. En fait, en tant qu'ancien officier des forces armées, ce n'est pas ce que je souhaite. Je veux qu'ils incarnent ce qu'il y a de meilleur dans notre pays, nos jeunes. Je veux qu'ils soient au courant de leurs droits et de leurs libertés pour que lorsque je leur remets des armes à feu et les envoie en mission de paix à l'étranger, ils sachent non seulement que leurs droits sont respectés, mais qu'ils représentent également nos droits et libertés. On ne fait pas d'eux de meilleurs soldats en disant: « Laissez de côté vos droits en vertu de la Charte et faites ce qu'on vous dit. Vos droits m'importent peu ».
    Il est très important pour moi qu'ils connaissent et comprennent que le système de justice militaire respecte leurs droits. Pourquoi? Parce qu'ils sont Canadiens, d'abord et avant tout.
    Deuxièmement, pour ce qui est des procès sommaires, la solution est si simple que c'en est ridicule, et M. Ruby y a fait allusion. Tout ce qu'il faut faire, c'est décriminaliser le système des procès sommaires.
    Je ne propose pas du tout qu'on se débarrasse des procès sommaires. Au contraire. Si vous êtes déployé sur un navire ou en Afghanistan et que vous voulez obtenir justice immédiatement, dans un cas de discipline militaire, alors c'est peut-être valable, mais n'allez pas criminaliser le système. N'importez pas le Code criminel dans le Code de service en matière de discipline, comme c'est le cas actuellement. N'allez pas détenir quelqu'un jusqu'à concurrence de 30 jours, le privant de sa liberté. Ce n'est pas nécessaire.
    On pourrait plutôt appliquer un processus disciplinaire. Ainsi, la personne ne se retrouve pas avec un casier judiciaire, et le processus est décriminalisé. Cela pourrait être très simple, et ce serait la fin de l'histoire.
    Si ce n'est pas ce que vous souhaitez, alors prenez une mesure semblable à celle qui a été adoptée au Royaume-Uni, en Australie et en Irlande: créez une cour d'appel en matière de poursuite sommaire où la personne a droit à un avocat, où il y a une transcription et où on applique la règle de preuve. La personne peut interjeter appel d'une décision rendue lors d'un procès sommaire. C'est ce qu'a fait le Royaume-Uni à la suite d'une décision rendue par la Cour européenne des droits de l'homme, car le système au Royaume-Uni, qui était identique au nôtre, n'était pas conforme à la Convention européenne des droits de l'homme.
    Il y a donc deux exemples sur lesquels nous pouvons nous appuyer.

  (1555)  

    Certains pensent que lorsqu'un soldat canadien s'enrôle, il perd ses droits à l'équité procédurale qui prend du temps et qui peut s'avérer difficile ou étrange sur le terrain. C'est fausser la donne. Lorsqu'un soldat canadien va en mission, il porte la Charte en lui, de la même façon qu'il porte le drapeau. La Charte est souple. Si vous êtes en situation de combat et que vous ne pouvez pas avoir un procès en bonne et due forme, il y a lieu de faire des exceptions, mais vous ne pouvez pas créer une règle générale simplement parce que vous êtes dans les forces armées; dans la plupart ou la totalité des cas, les procès sommaires vont donner lieu à des casiers judiciaires qui vont vous suivre pour le restant de vos jours. Ce n'est pas ainsi que fonctionne la Charte.
    Nous aurons de meilleurs soldats si nous leur donnons le respect, sachant qu'ils ont les mêmes droits que tout le monde, adaptés à l'exercice particulier dans lequel ils se sont engagés, au lieu d'appliquer une règle générale qui leur fait renoncer à leurs droits lorsqu'ils s'enrôlent. C'est manquer de respect.
    Il vous reste du temps pour une brève question.
    Je pensais que les invités avaient un peu plus de temps, monsieur le président. Non?
    Colonel Drapeau, vous avez parlé de la sous-utilisation des juges — c'est-à-dire que nous avons des juges militaires qui passent peu de temps dans les tribunaux et qu'il faudrait peut-être que le vérificateur général ou quelqu'un d'autre se penche sur la situation. Ai-je bien saisi?
    Oui. J'estime qu'il est temps que nous ayons une vérification de A à Z. Ce ne sont pas seulement les juges, mais tout le système de justice militaire qui est distinct du système pénal civil. Est-ce qu'il en vaut la peine? Pourquoi y a-t-il cette différence?
    La tendance à l'échelle mondiale est d'arrimer ces tribunaux aux tribunaux civils. Pourquoi avons-nous des juges qui portent l'uniforme et qui ont un grade militaire? Le juge en chef des forces armées a deux grades inférieurs à celui du juge-avocat général. Pourquoi? Pourquoi est-il gradé? Nous faut-il quatre juges pour traiter 65 procès par année? Comme je l'ai dit plus tôt, c'est le volume de travail le plus faible au Canada. Pourquoi n'avons-nous pas des juges civils qui seraient dans une division militaire et feraient partie de la Cour fédérale? Les juges de la Cour fédérale sont tout à fait compétents en ce sens.
    Je vais vous donner un exemple qui s'est produit vendredi dernier à la cour provinciale en Nouvelle-Écosse. Cette province y est arrivée. C'est la même loi, la même jurisprudence, les mêmes principes de détermination de la peine, et il y a un tribunal qui est mobile, qui peut se déplacer, etc.
    Merci. C'est tout le temps dont vous disposez.
    Madame Gallant, vous avez la parole.
    Monsieur Drapeau, vous avez déclaré dans un article récent que vous n'êtes pas contre les procès sommaires, et c'est ce que vous avez dit encore aujourd'hui, mais vous avez des préoccupations relativement à leur validité constitutionnelle.
    En fait vous avez eu l'occasion de faire ces observations au juge en chef LeSage pendant le deuxième examen indépendant du projet de loi C-25 et du projet de loi C-60. Il a rejeté votre point de vue en disant:
... en ce qui concerne la validité constitutionnelle de la procédure, je suis convaincu, tout comme l'était l'ancien juge en chef Dickson, que « la validité constitutionnelle de la procédure pourrait être confirmée par les tribunaux ».
    Compte tenu du fait que deux juges en chef du Canada et que l'ancien juge en chef de la Cour supérieure de l'Ontario ont évalué le processus des procès sommaires et l'ont considéré comme étant constitutionnel et conforme à la Charte des droits et libertés, pouvez-vous expliquer pourquoi le comité ne devrait pas suivre l'opinion de ces juristes canadiens respectés?

  (1600)  

    Oui, avec plaisir, madame Gallant.
    J'ai beaucoup de respect pour les deux juristes et j'accorde beaucoup de valeur à leur longue carrière et à leur opinion, mais voilà, il se trouve que j'ai une opinion différente en la matière.
    Mon opinion est surtout fondée sur une grande quantité de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Selon la Convention européenne des droits de l'homme, n'est pas constitutionnel un procès de nature criminelle ou quasi criminelle dans le cadre duquel on peut imposer une peine qui prive quelqu'un de sa liberté, notamment lorsque la personne est jugée par quelqu'un qui n'a pas de formation juridique, lorsqu'elle n'a pas droit à un avocat, lorsqu'elle n'a pas de transcription et lorsqu'elle n'a pas le droit d'interjeter appel. C'est le seul endroit au Canada où cela existe.
    Si le juge en chef à la retraite Lesage arrive à une conclusion différente, je serai aussi respectueux de son opinion qu'il le sera certainement de la mienne.
    À mon avis, ce n'est pas constitutionnel. J'ai beaucoup écrit sur le sujet. J'ai témoigné sous serment que je crois fermement que ce ne l'est pas. Nous sommes en train de flouer nos soldats, et il existe une solution rapide.
    Dans d'autres pays, par exemple la France, on a supprimé les tribunaux militaires en temps de paix, et je pourrais vous donner d'autres exemples. Il en coûterait très peu. Si on fournissait aux soldats des tribunaux qui respectent le strict minimum, cela pourrait accroître le respect pour la primauté du droit et améliorer le respect qu'ont les militaires pour le système de justice militaire. Il faut toutefois un minimum pour rendre un tribunal constitutionnel.
    Voilà, j'ai terminé mon plaidoyer. Je crois que malgré les opinions des juges Lamer et Lesage, ces tribunaux ne sont pas constitutionnels.
    Par votre intermédiaire, monsieur le président, les procès sommaires ont été l'option choisie par la grande majorité des membres des Forces canadiennes qui doivent comparaître devant un tribunal. N'êtes-vous pas d'accord que cela démontre qu'ils ont confiance au système?
    Jamais de la vie. Songeons à la chaîne de commandement qui porte les insignes de grades et qui contrôle leur avenir — leurs promotions, leurs affectations, et tout le reste —, qui leur suggère, sans avocat, que ce serait mieux de passer par voie sommaire et ce, en donnant un petit coup de coude, et vous voulez que je sois d'accord? Il n'en est pas question.
     Si un grand nombre d'entre eux ont choisi le procès sommaire plutôt que la cour martiale, cela démontre peut-être qu'ils ont dû le faire en l'absence d'un conseiller juridique indépendant. Par conséquent — et c'est n'est pas toujours le cas, mais c'est possible —, on a l'impression que ça découle d'une pression exercée par la chaîne de commandement; alors, je ne suis pas d'avis que cela démontre leur choix ou le respect pour le processus.
    Monsieur le président, les procès sommaires se sont révélés justes, efficaces et rapides lorsqu'il s'agit d'aborder des infractions mineures. Le but est de traiter ces infractions rapidement et équitablement pour que le membre puisse reprendre le service le plus rapidement possible afin que la discipline de l'unité soit rapidement rétablie et que le soldat puisse continuer sa mission. Puisqu'il s'agit d'un tribunal moins formel, les peines possibles sont limitées et sont conçues pour maintenir l'efficacité et la discipline militaires, tant au Canada qu'en déploiement à l'étranger.
    À la lumière de ces faits, n'êtes-vous pas d'accord pour dire que les procès sommaires protègent les meilleurs intérêts des membres tout en maintenant la discipline, l'efficacité et le moral?
    Madame Gallant, en parcourant mon texte, vous constaterez que le taux de condamnation pour les procès sommaires est de 97,68 p. 100. Si vous souhaitez que j'arrive à la conclusion que le processus est équitable, alors que le taux de condamnation est de 97,68 p. 100 sans la présence d'un avocat, de règles de preuve, de transcription ou de droit d'interjeter appel, eh bien, nous avons, vous et moi, une définition différente de l'équité.
    Pour être justes envers nos soldats, sans que cela ne nous nuise et ne nuise à la justice militaire, nous devrions leur fournir la panoplie de droits pour qu'ils puissent les exercer et si, au bout du compte, quelqu'un est reconnu coupable, il obtiendra une peine juste.
    Vous dites « infractions mineures ». Lorsque quelqu'un est condamné à 30 jours de détention — et ce n'est pas de tout repos —, ce n'est pas le résultat d'infractions mineures — du moins, ce n'est pas l'avis des officiers qui prononcent la peine.

  (1605)  

    Monsieur Drapeau, vous avez également mentionné les juges militaires dans votre exposé. Vous prônez des juges civils pour remplacer la structure actuelle dans laquelle les juges militaires président les cours martiales.
    Malgré le fait que le juge en chef Dickson n'ait pas fait une telle recommandation, et même si cela n'a pas été adopté au Parlement en 1998 et que ni Lamer ni le juge en chef LeSage n'étaient d'avis que le système actuel exigeait de tels changements, pourquoi êtes-vous en désaccord avec ces deux anciens juges en chef et pourquoi ont-ils tort?
    Tout d'abord, je ne crois pas qu'ils aient tort. J'ai une opinion différente. Je n'estime pas qu'ils ont tort, mais je ne crois pas avoir tort, moi non plus.
    Il y a de bonnes raisons et, en fait, il y a des précédents. Il y a une tendance qui se dessine. J'y ai fait allusion et je vais le répéter. Partout dans le monde, on a tendance à transformer les tribunaux militaires en tribunaux civils. Le Royaume-Uni en est un exemple, mais ce n'est pas le seul endroit. Cela n'existait pas lorsque le juge en chef à la retraite Dickson a rédigé son rapport. J'ignore si le juge en chef à la retraite s'y est penché, mais il y a deux concepts fondamentaux dont on doit tenir compte. Tout d'abord, il faut assurer la suprématie civile et ensuite faire preuve d'indépendance par rapport à la chaîne de commandement militaire, c'est-à-dire avoir un juge civil dans les tribunaux militaires.
    Je ne prône pas la suppression des tribunaux militaires, mais je recommande plutôt qu'on y fasse siéger des juges civils. Il y a des possibilités en ce sens. Cela a été fait au Royaume-Uni, en Australie, en Nouvelle-Zélande; faites la même chose.
    La situation aujourd'hui est bien différente de ce qu'elle était lorsque M. Dickson a rendu son opinion il y a de cela près de deux décennies.
    Puis-je ajouter quelque chose?
    Le temps est écoulé. Il faut continuer.
    Monsieur McKay, vous avez les sept dernières minutes pour ce tour.
    Merci, monsieur le président, et je vous remercie tous deux de vos exposés très bien structurés. Pendant que je vous écoutais, je réfléchissais à la règle d'or de la justice: on devrait prévoir pour nos militaires le même niveau de justice que celui qu'on prévoit pour nous-mêmes.
    Je n'ai jamais assisté à un procès sommaire, mais on me dit qu'un soldat y est amené sous la surveillance de deux personnes, qu'il doit rester debout pendant tout le processus et qu'il n'a accès qu'aux autres membres de la chaîne de commandement. Le soldat n'a pas de véritable avocat, et votre taux de condamnation de 97 ou 98 p. 100 semblerait indiquer qu'on insiste vraiment sur le caractère sommaire de tels procès. C'est un système conçu pour obtenir des condamnations plutôt que de rendre justice aux soldats.
    J'aimerais savoir si cela devrait s'apparenter le plus possible à un tribunal civil — c'est-à-dire, s'il faudrait en faire un système parallèle. S'agissant que les forces armées sont uniques et que la culture militaire est unique, qu'est-ce qui justifie l'absence de droit d'appel, l'absence du droit à un avocat et l'attitude désinvolte à l'égard de la règle de preuve? Vous, monsieur, connaissez le système depuis longtemps, et je trouve votre argument très convaincant.
    Pour répondre brièvement, je vous dirai que cela fonctionne. Quant à moi, j'ai assumé deux commandements et j'ai présidé des procès sommaires. Du point de vue de la chaîne de commandement, du point de vue militaire, c'est le meilleur système qui puisse exister: il n'y a pas de plaidoirie, pas de règle de la preuve, et on n'a pas besoin d'avoir été formé. C'est très efficace — le prévenu se présente et il sort avec une condamnation. C'est tout.
    Mais c'était autrefois. Nous ne sommes pas en guerre actuellement. Nous ne sommes plus dans les années 1900; nous sommes au XXIe siècle. Il y a eu des progrès. À l'époque, nous n'avions pas de Charte. Nous en avons une maintenant. Nos soldats sont mieux instruits, plus sophistiqués et ils exigent d'être traités à l'égal des civils, leurs frères, devant un tribunal civil.

  (1610)  

    Si le projet de loi est adopté sans amendement, et il semble que ce sera le cas, je me dis que le gouvernement se sera préparé à une contestation en vertu de la Charte, menée par nul autre que Clay Ruby, avocat de renom, ou par un autre avocat dès qu'une accusation sera portée.
    Pourquoi ne voudrait-on pas réduire au minimum les risques d'une contestation en vertu de la Charte aboutissant à un gain de cause en s'attelant à ces problèmes de façon générale, surtout en ce qui concerne l'article 18?
    Je pense que, dans l'ensemble, vous avez raison: si l'on supprime le casier judiciaire là où il n'a pas sa place, les chances qu'un juge déclare cela sans effet seront bien moindres. On s'est demandé si le système de justice militaire était constitutionnel. Il l'est, à mon avis, puisque prévoir un système de justice distinct et différent pour les militaires est constitutionnel. Tout le monde s'accorde à le dire.
    Or, personne n'a jamais analysé ces dispositions, une par une, pour en vérifier la validité constitutionnelle. Il est vrai que nous gagnons en rapidité grâce à ce processus. Il fonctionne bien pour les autorités, mais il est vraiment illogique de le qualifier d'équitable. Le juge peut ne pas être impartial. Il peut être ami avec les témoins. Il n'y a pas de transcription, pas de droit d'interjeter appel de la décision ou pas de divulgation du chef d'accusation. Le prévenu est comme un enfant devant le tribunal, du début à la fin. C'est avilissant et injuste. Il ne faut pas hésiter à le reconnaître et à apporter les modifications qui s'imposent.
    La raison pour laquelle il faut contester, c'est l'absence de droit d'appel. Il n'y a pas de transcription. En ce moment, si quelqu'un avait les moyens, du point de vue mental ou financier, de contester cela, ce serait très difficile. Nous avons procédé à 2 000 procès par année sans contestation devant les tribunaux. En l'absence d'un droit d'appel, il n'y a pas de contestation possible.
    Ainsi, si j'étais déclaré coupable et que je retenais les services de M. Ruby, ce serait perdu d'avance, n'est-ce pas?
    Pas forcément, mais il n'y a pas de façon claire de contester. Je pense que vous pourriez réclamer une mesure de redressement déclaratoire si vous avez subi ce genre de procès. Toutefois, cela va vous coûter cher et vous devrez avoir le courage de rester dans les rangs militaires par la suite, ce qui ne sera pas chose facile.
    En effet, retenir Clay Ruby pour intenter une action en justice contre le système ne sera pas chose joyeuse.
    La dernière fois que je me suis occupé d'une affaire de ce genre, c'est quand les forces armées ont exercé de la discrimination contre les gais et les lesbiennes. J'étais avocat dans une affaire qui a abouti à un jugement déclarant que cette pratique devait cesser parce qu'elle violait la Constitution.
    L'ironie est que l'élément déclencheur de ce projet de loi et d'un autre qui lui est associé, le projet de loi C-16, c'est que la Cour suprême a dit: « Votre système qui permet à la chaîne de commandement de superviser les juges n'est pas constitutionnel, si bien que nous allons prononcer un non-lieu dans le cas des accusations légitimes contre Leblanc et ce, parce que votre système n'est pas l'équivalent du système civil. »
    Me reste-t-il du temps?
    Il vous reste une minute.
    Pendant notre discussion des juges et des poursuites dans le système militaire, etc., nous avons beaucoup parlé du fait que le chef d'état-major de la Défense ou le vice-chef d'état-major de la Défense peuvent demander une enquête policière, quel que soit l'incident.
    En l'occurrence, il me semble que si le résultat de l'enquête policière aboutit à des accusations, l'avocat de la défense va commencer avant tout par demander les courriels qui contiennent les consignes concernant cette enquête. Que pensez-vous de cet éventuel accès à des courriels et de son utilisation potentielle par l'avocat de la défense?
    J'en aurais fait la demande, mais je ne connais pas assez bien le système militaire pour m'en servir.
    Je ne m'occupe pas de la défense des prévenus, si bien que je ne peux pas vous répondre. Il existe une police interne, la police militaire, dont la hiérarchie est militaire. Les policiers militaires doivent obéir aux ordres et ils doivent respecter le code de discipline militaire. Il leur est difficile d'être considérés et perçus comme un groupe indépendant. Le chef de la police militaire, un grand prévôt, reçoit la consigne de faire enquête de la part du vice-chef d'état-major de la Défense, qui est hiérarchiquement un cran au-dessous du chef d'état-major de la Défense. Peut-on prétendre que l'enquête se fait de façon indépendante? Qui sait? Il se peut qu'il faille enquêter sur le chef d'état-major de la Défense, car lui aussi est soumis au code de discipline militaire.
    Je trouve que cela n'a pas de bon sens. Je ne saurais pas comment soutenir qu'un tel système est effectivement compatible avec la notion d'indépendance. Ça ne l'est pas.

  (1615)  

    Merci.
    Nous passons maintenant à des interventions de cinq minutes. Encore une fois, je rappelle à tout le monde d'être bref dans les questions comme dans les réponses.
    Monsieur Opitz, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, à tous deux, d'être venus témoigner aujourd'hui.
    Monsieur Ruby, je pense que vous avez comparu devant le Comité de l'immigration, il n'y a pas très longtemps. D'accord.
    Monsieur Ruby, la version modifiée de l'article 75 du projet de loi C-15 qui sera proposée va signifier que 94 p. 100 des infractions instruites par un procès sommaire ne généreront pas de casier judiciaire au sens défini dans la Loi sur le casier judiciaire. Convenez-vous qu'il s'agit là d'une évolution positive?
    Ce n'est positif que si le casier judiciaire est exclus dans tous les cas, sans quoi cela devient arbitraire, déraisonnable. On pourra se demander pourquoi une personne encourt un casier judiciaire pour un retard, alors qu'une autre n'en aurait pas.
    Si l'on veut apporter une amélioration à la loi, il ne faut pas que ce soit arbitraire. Cet aspect est protégé par la Constitution.
    Un retard ne va pas entraîner un casier judiciaire — et j'ai consulté le Code criminel il n'y a pas longtemps —, mais on trouve huit infractions au Code criminel qui peuvent faire l'objet d'un procès sommaire. Par exemple, une agression. Convenez-vous que ce genre d'infraction devrait entraîner un casier judiciaire?
    Non. Si vous envisagez un casier judiciaire dont les conséquences suivraient une personne toute sa vie, sans possibilité de réhabilitation au sens courant du terme — ce que le gouvernement a empiré plutôt qu'amélioré — et si c'est la conséquence que vous recherchez, il faudra alors prévoir des protections quant à la procédure. À défaut de quoi, il n'y a pas conformité à l'égard de la Constitution, à mon avis, et ce doit être généralisé, au lieu d'être laissé à la discrétion de l'officier qui prononce la peine.
    Reconnaissez-vous que la Charte des droits et libertés prévoit un système de justice militaire distinct?
    Oui. Je le reconnais. Je pense que c'est ce dont les juges parlaient quand ils ont dit que c'était tout à fait constitutionnel. Vous pouvez prévoir un système de justice distinct, mais il faut en analyser les composantes pour en vérifier la conformité du point de vue de la Charte et ce, au cas par cas. Une exemption générale, cela n'existe pas. Ce n'est pas le propre du fonctionnement de notre Constitution.
    Saviez-vous, monsieur, qu'on ne peut pas prononcer de peines d'emprisonnement sans que l'accusé n'exerce son choix de recourir à une cour martiale? C'est prévu à l'article 108.17 des Ordonnances et règlements royaux, si je ne m'abuse.
    C'est vrai, mais il y a des études qui ont porté sur les entrevues de départ menées auprès de soldats ayant subi des procès sommaires. On en a parlé en comité lors de la dernière séance. Le résultat de ces études démontre que, relativement à ces droits — à savoir exercer son choix, demander des conseils militaires ou des conseils juridiques civils —, les personnes ayant subi ce genre de procès n'avaient aucun souvenir de la chose ou qu'il s'agissait de très mauvais soldats parce qu'ils ne pouvaient pas se souvenir d'une chose aussi cruciale ou encore, qu'on ne leur avait pas offert ce choix. Je dirais que c'est un peu des deux.
    C'est inadéquat. C'est inacceptable.
    Sur quoi vous appuyez-vous particulièrement pour prétendre que le système de justice militaire n'est pas constitutionnel? Existe-t-il de la jurisprudence à cet égard?
    Non car, comme nous l'avons dit, personne n'a l'occasion de le contester. La Constitution exige que l'on examine tous ces aspects un par un. À mon humble avis, attacher un casier judiciaire à certaines personnes qui font l'objet d'instances en procès sommaire n'est pas constitutionnel. Je n'en doute pas vraiment.
    Le juge Lesage, qui comprend la Constitution et qui accepte que le caractère général de la constitutionnalité de notre justice pénale est différent dans le cas des militaires, a qualifié ce genre de conséquences comme étant totalement disproportionnées par rapport à l'infraction. Tout avocat vous dira que cela signifie que le critère constitutionnel n'a pas été respecté, à savoir qu'il faut démontrer que c'est justifiable.
    Toutefois, le juge en chef Dickson, appuyé par le juge en chef Lesage, a affirmé que la validité constitutionnelle des instances d'un procès sommaire pourrait être confirmée par les tribunaux, en cas de contestation.
    Je constate que vous n'êtes pas d'accord, mais pouvez-vous préciser quels sont les éléments de leur analyse qui provoque votre désaccord?
    Volontiers.
    S'agissant d'une possibilité d'emprisonnement — sans compter d'autres conséquences graves —, il faut assurer une équité accrue, si bien qu'on exclut la possibilité d'une telle sanction ou encore on applique les mêmes normes qui s'appliquent à vous et moi lors d'un procès ordinaire.
    Je le répète; s'il s'agit d'un théâtre de guerre, on peut prévoir des exceptions. On pourrait légiférer à cet égard. De façon générale, on ne peut pas priver quelqu'un de liberté, à moins que les procédures soient resserrées du point de vue de l'équité contrairement à ce qui est prévu ici, car on risque alors des erreurs judiciaires dans tous les sens. Deuxièmement, à supposer que je fasse erreur à cet égard, on ne peut pas imposer un casier judiciaire à vie à quelqu'un qui ne bénéficie pas de ce genre de protection.

  (1620)  

    Merci.
    Votre temps est écoulé.

[Français]

    Madame Moore, vous disposez de cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    La santé mentale et la situation sociale sont des choses que le système de justice doit pouvoir considérer. On sait que des membres des forces armées qui souffrent de problèmes de santé mentale, pour diverses raisons, sont plus susceptibles de faire face à la justice militaire.
    Dans une enquête américaine récente menée auprès de 90 000 soldats, on voit que ceux à qui on a diagnostiqué un SSPT en revenant de mission courent 11 fois plus le risque de devoir faire face à la justice militaire que ceux qui reviennent de mission sans souffrir de trouble de santé mentale.
    Parlons un peu des procès sommaires. Lorsqu'on subit un procès sommaire, la personne qui détermine la peine tient compte des facteurs sociaux, de la situation familiale et de diverses situations. Lorsqu'on va consulter une infirmière, un adjoint médical ou une travailleuse sociale, cette personne est tenue à la confidentialité médicale. On est donc sûr que notre condition médicale ne sera pas révélée.
    Si on subit un procès sommaire, on peut se trouver devant le commandant, et peut-être qu'on ne voudrait pas lui parler de ses problèmes de santé mentale, parce que c'est confidentiel. Par conséquent, on peut vivre un conflit et se demander si, afin d'avoir une peine juste, on dévoile sa condition médicale ou sa situation sociale à une personne à qui on ne voulait pas révéler cela. Si on garde cela pour soi, on risque d'avoir une peine plus sévère.
    Le fait qu'une personne doive subir un procès sommaire devant quelqu'un qui va continuer à la suivre ne risque-t-il pas de créer un problème de confidentialité médicale?
    Vous venez de mettre le doigt sur le bobo. Une personne qui souffre d'un problème mental ou médical, ou les deux, n'est probablement pas en bonne position physique et mentale pour se défendre elle-même. Pourtant, c'est ce qu'on lui demande, en vertu des règles actuelles.
     Non seulement elle n'a pas droit à un avocat ou à une forme de représentation, mais elle ne connaît pas nécessairement les règles de procédure. Il n'y en a pas vraiment. Même si elle voulait utiliser sa condition médicale comme élément de plaidoirie devant le commandant qui est juge dans cette circonstance, elle serait bien mal placée pour essayer de présenter cela.
    Le commandant qui juge doit-il considérer sa condition médicale lorsqu'il détermine sa peine? Il n'y a pas de principe à cet égard, car il n'y a pas vraiment de règles de procédure. Cela va dépendre des circonstances et de l'humeur du président du tribunal. Ça va dépendre du témoin qui est debout à l'attention, alors que quelqu'un l'escorte. Va-t-il se mettre à table et dévoiler sa condition médicale?
    Ce n'est pas un procès avec des règles normales. Les règles normales auxquelles vous faites allusion ne sont pas présentes dans ces circonstances.
    Le projet de loi C-15 contient-il des dispositions qui prévoient que l'on va tenir compte de la santé mentale? Des dispositions relatives à la santé ont-elles été ajoutées?
    Je n'en connais aucune.
    C'est bien.
    Revenons sur ce dont Mme Gallant a parlé précédemment. Est-il possible de maintenir l'efficacité des procès sommaires, de rendre un jugement rapidement tout en résolvant la situation et que ça n'aboutisse pas à des dossiers criminels par la suite?
    Est-il possible de maintenir cette efficacité sans imposer des dossiers criminels aux gens?

  (1625)  

    La réponse est oui. Pensons à l'exemple de l'Angleterre. Lorsqu'on y a établi un tribunal d'appel pour les procès par voie sommaire, le nombre de ceux-ci a diminué considérablement. En effet, souvent, les décisions portées en appel étaient invalidées.
     Un bon chef militaire n'a pas seulement besoin d'un marteau disciplinaire pour faire régner la discipline. Il peut le faire par son leadership et par plusieurs autres moyens. A-t-il besoin de cet outil pour imposer une discipline immédiate et, surtout, celle qui mène à une détention, par exemple? Est-ce nécessaire? Je pense que plusieurs autres pays ont dit que non.
    En France et en Belgique, par exemple, il n'y a pas de tribunaux militaires en temps de paix. L'armée française est-elle, de ce fait, moins disciplinée qu'auparavant? Je ne le crois pas. Je pense que des chefs militaires se servent des procès par voie sommaire parce que c'est un outil drôlement efficace pour la chaîne de commandement. Il n'y a absolument aucun appel et aucune remise en question. On impose sa volonté, point, qu'elle soit juste ou non.
     Toutefois, il y a d'autres façons de faire les choses. Nous sommes rendus au point où vous, les législateurs, devez vous pencher là-dessus pour trouver une meilleure façon, plus juste et plus équitable, et qui respecte mieux les droits de la personne.

[Traduction]

    Monsieur Chisu, c'est vous qui allez poser la dernière série de questions.
    Merci beaucoup monsieur le président. Merci aussi au colonel Drapeau et à vous, monsieur Ruby, d'être venus témoigner.
    Ma question s'adresse au colonel Drapeau.
    Vous avez mentionné ou affirmé que le président d'un procès sommaire n'avait pas besoin d'être formé. J'ai servi dans les forces militaires et je sais que j'ai bel et bien dû suivre ce cours. Saviez-vous que cette formation est exigée désormais?
    Oui. Je suis au courant, monsieur. Tout officier appelé à présider un procès sommaire doit désormais suivre une formation, mais cela ne les transforme pas en avocat et ne fait pas en sorte qu'ils sont versés dans le droit.
    Eh bien, ils ne sont pas avocats mais la notion de procès sommaire vise à simplifier les choses pour ceux qui ne sont pas défendus, n'est-ce pas? C'est la nature d'un procès sommaire. Ce n'est pas n'importe qui qui peut s'improviser avocat ou ingénieur, n'est-ce pas?
    Monsieur Ruby, je voudrais vous poser une question. Je sais que vous avez une vaste expérience du système judiciaire civil et que vous êtes en fait une autorité. Merci beaucoup d'être venu témoigner.
    Pouvez-vous nous dire d'où vient votre intérêt à l'égard du système de justice militaire au Canada et nous parler de vos expériences passées à cet égard? Pouvez-vous nous parler de votre expérience dans le domaine du droit militaire, notamment le nombre de cours martiales où vous avez comparu et combien de militaires vous avez conseillés lors de cours martiales ou de procès sommaires?
    Quand vous signez... par exemple, il existe une limite d'âge dans notre armée. Quant à moi, je serais demeuré dans les rangs mais on ne me l'a pas permis. Est-ce la Charte des droits et libertés qui permet une exception dans le cas des forces armées.
    J'attends votre réponse.
    Si par votre question, vous voulez laisser entendre que j'ai peu de rapport avec les militaires, vous avez tout à fait raison. Vous avez raison d'avoir eu cette intuition.
    Je me suis occupé d'une affaire visant à interdire aux Forces armées d'exercer de la discrimination pour motif d'orientation sexuelle. J'en suis fier. J'ai défendu un prévenu en cour martiale d'appel, et il était l'accusé principal sanctionné par l'enquête sur la Somalie. À part cela, je me suis occupé d'affaires mineures.
    Cela dit, vous êtes en présence d'une personne qui a une vaste expérience et vous allez entendre le témoignage de mon collègue et ami, Gilles Létourneau, qui a une vaste expérience, en tant que juge, de questions militaires et civiles. Alors, son témoignage vous sera d'une aide précieuse.
    Je ne pourrais pas vous apporter ce genre d'aide, mais j'espère que mes propos concernant la nature de la détermination de la peine et les dispositions de la Constitution vous auront été utiles.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Drapeau, vous avez parlé des modifications apportées au système de procès sommaires au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande dont vous qualifiez les processus judiciaires des plus équitables. Il est vrai que des comparaisons peuvent être utiles et on peut les appliquer à d'autres pays — les pays membres de l'OTAN et d'autres —, mais il est important de se dire que chaque pays a une tradition et une structure juridique qui lui sont propres. Par exemple, la Grande-Bretagne est sous l'égide de la Cour européenne des droits de l'homme, alors que l'Australie est liée par sa constitution.
    Toutefois, à l'occasion d'un examen indépendant, le juge en chef LeSage de la Cour supérieure de l'Ontario a décrété que le système de procès sommaires était vital pour maintenir la discipline à l'échelle de l'unité et par conséquent, essentiel dans les questions de vie ou de mort courantes dans les activités militaires. À propos de vos inquiétudes concernant la constitutionnalité de tels procès, il affirme que ce système est constitutionnel.
    Étant donné que l'ex-juge en chef Dickson, l'ex-juge en chef Lamer de la Cour suprême du Canada et l'ex-juge en chef LeSage ont tous appuyé le système de procès sommaires qui existe actuellement en le qualifiant de constitutionnel, pourquoi envisager des modifications qui s'inspirent des exigences constitutionnelles propres à d'autres pays? Je comprends le souhait ici, mais...

  (1630)  

    C'est très simple. Vous êtes en présence de deux experts dans deux domaines différents qui vous disent qu'il faut que ce système soit modifié, qu'il faut qu'on s'en occupe et qu'il faut être conforme et plus à l'écoute de la Charte elle-même.
    Vous avez parlé de tradition. Nos procès sommaires sont la copie conforme du droit militaire britannique dont il s'inspire, lequel a été adopté en Australie et en Nouvelle-Zélande. La Cour européenne a décrété qu'il fallait le modifier, et le Royaume-Uni a obtempéré. Lors de ce processus, on a non seulement modifié les procès sommaires mais aussi le système de justice militaire en remettant à des civils le bureau du juge-avocat général et on s'est assuré que ce serait désormais des membres chevronnés de la magistrature qui occuperaient les fonctions de juge-avocat général. Tous les juges siégeant à des cours martiales au Royaume-Uni sont désormais des civils.
    Je pense donc qu'on peut s'inspirer de ce qui s'est fait dans notre mère patrie. La tradition qu'elle nous avait transmise a été modifiée récemment. Je ne demande pas qu'on adopte la même chose mais qu'on se penche sur ce qui s'y fait, qu'on soit à l'écoute et qu'on détermine pourquoi nous ne pourrions pas l'adopter. Il y a peut-être une bonne raison de ne pas l'imiter, mais pour ma part, je ne la vois pas.
    Merci. Le temps réservé à nos témoins est écoulé.
    Je tiens à remercier M. Drapeau et M. Ruby de nous avoir fait part de leurs lumières à l'occasion de l'étude du projet de loi C-15.
    Je vais vous demander de vous retirer afin que les témoins suivants puissent prendre place.
    La séance est suspendue.

  (1630)  


  (1635)  

    Reprenons nos travaux.
    Nous allons poursuivre notre étude du projet de loi C-15.
    Nous accueillons maintenant M. Glenn Stannard, qui est le président de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire.
    M. le juge Gilles Létourneau, qui a pris sa retraite récemment, comparaît à titre personnel.
    Je vous souhaite bienvenue à tous les deux.
    M. Stannard a fait une longue et fructueuse carrière dans le service de police de Windsor, où il est resté 37 ans, dont neuf en tant que chef. Il a été nommé à la commission en 2007 et en est devenu le président en 2009.
    Monsieur Stannard, je vous invite à faire vos remarques liminaires.
    Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité.
    Je tiens à vous remercier de nous avoir invités à témoigner dans le cadre de l’examen du projet de loi C-15.
    Je suis accompagné aujourd’hui par Mme Julianne Dunbar, avocate générale et directrice des opérations, qui oeuvre au sein de la commission depuis peu après sa création.
    Je ne vais pas vous ennuyer avec les questions liées à notre mandat. Plusieurs d'entre vous le connaissent déjà, et vous pouvez aussi consulter notre mémoire. Je vous dirais simplement que le mandat de la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire est d’examiner et d’instruire les plaintes relatives au comportement des membres de la police militaire et les allégations d’ingérence dans les enquêtes de la police militaire.
    C’est une question en particulier qui nous amène ici aujourd’hui: le projet d'autoriser le VCEMD à donner des directives dans le cadre des enquêtes de la police militaire, en particulier, le paragraphe 18.5(3) proposé dans l'article 4. La disposition vise à créer un nouveau paragraphe dans la LDN qui autoriserait expressément le vice-chef d’état-major de la Défense à donner des instructions au grand prévôt des Forces canadiennes — chef de la police militaire des Forces canadiennes — dans le cadre de certaines enquêtes.
    La commission ne remet pas en cause le rôle de direction générale du VCEMD à l’égard du GPFC, tel qu'il est indiqué au paragraphe 18.5(1), ni son pouvoir de lui donner des instructions générales quant à l’exercice de ses fonctions, comme prévu au paragraphe 18.5(2) proposé. Ces dispositions ne font que codifier les rapports qui existent entre l’un et l’autre tels qu’ils sont prévus dans le cadre de reddition des comptes de 1998.
    Cela dit, le paragraphe 18.5(3) proposé représente un changement important par rapport à la situation actuelle et va à contre-courant du cadre de reddition des comptes actuel. Ce cadre du 2 mars 1998 confère au VCEMD le pouvoir de,
     pour vous donner quelques citations,
« donner des ordres et une orientation générale au GPFC afin que les services de police soient fournis avec professionnalisme et efficacité. »
    Il prévoyait expressément que
le VCEMD ne doit pas donner de directives au GPFC en ce qui a trait aux décisions opérationnelles de la police militaire qui se rapportent à des enquêtes.
    Il indique aussi que
ç
le ne doit pas participer directement aux enquêtes individuelles en cours, mais il recevra de l’information du GPFC de façon à pouvoir prendre les décisions de gestion qui s’imposent.
    Et finalement,
le GPFC est tenu d’informer le VCEMD sur les questions nouvelles et urgentes pour lesquelles des décisions de gestion doivent être prises.
    Pourquoi donc ce renversement de situation?
    Le cadre de reddition des comptes a été réexaminé et entériné par le Groupe d’examen des services de la police militaire en 1998. Ce cadre a été élaboré l’année où le Parlement a apporté des modifications à la LDN en vertu du projet de loi C-25 à la suite des incidents troublants survenus au cours du déploiement des Forces canadiennes en Somalie, au début des années 1990. La nouvelle partie IV de la LDN prévoyait également un système de règlement des plaintes permettant d'examiner les plaintes pour ingérence.
    D’autres témoins vous ont déjà indiqué que des changements ont été apportés à la structure de commandement dans le but de favoriser l’indépendance et l’intégrité de la police militaire: depuis le 1er avril 2011, tous les membres de la police militaire — à l'exception de ceux qui sont déployés dans le cadre d’opérations militaires — relèvent du GPFC.
    Le projet de conférer au VCEMD le pouvoir énoncé au paragraphe 18.5(3) ne cadre donc pas avec les mesures prises depuis 15 ou 20 ans pour reconnaître et soutenir l’indépendance de la police militaire au sein des FC, notamment lorsqu’elles procèdent à des enquêtes.
    Dans la décision qu’elle a rendue en 1999 dans l’affaire R. c. Campbell, la Cour suprême du Canada a confirmé que les policiers qui font enquête sur des infractions ne sont redevables qu’envers la loi et n’agissent pas au nom du gouvernement en général.
    Le mémoire qui vous a été remis comprend une opinion indépendante commandée par la CPPM, formulée par le professeur Kent Roach, de la faculté de droit de l’Université de Toronto. Celui-ci est d’avis que cette disposition « va à l’encontre des concepts fondamentaux de l’indépendance de la police » et que l’autorisation de s’ingérer dans certaines enquêtes de la police militaire pourrait bien aller à l’encontre de la Constitution et plus précisément du principe constitutionnel non écrit de la primauté du droit.

  (1640)  

    En tant que président de la commission, ancien membre de services policiers avec 38 ans d’expérience et 14 ans en tant que chef et chef adjoint d’une organisation, je comprends bien qu’il y a des différences importantes entre le maintien de l’ordre dans la société civile et le maintien de l’ordre dans l’armée. Cependant, le pouvoir proposé dans le nouveau paragraphe touche précisément et exclusivement au coeur des fonctions de la police militaire: les enquêtes sur les infractions.
    Le double rôle des policiers militaires dans les Forces canadiennes — où ils sont à la fois policiers et soldats — ne diminue pas, aux yeux de la commission, l’applicabilité du principe juridique de l’indépendance de la police militaire dans le cadre de ses enquêtes. Sinon, pourquoi, en 1998, le Parlement aurait-il instauré un mécanisme de règlement des plaintes pour ingérence dans le cadre des modifications apportées à la LDN qui ont également donné naissance à la commission?
    Le rapport de 2003 portant sur le premier examen quinquennal indépendant des modifications apportées à la LDN en 1998 — effectué par l’ancien juge en chef Lamer — serait à la base de plusieurs des modifications proposées dans le projet de loi C-15. Il faut cependant rappeler que ce rapport ne contenait aucune recommandation visant à conférer ce genre de pouvoir au VCEMD. Au contraire, le seul souci du juge Lamer à l’égard du cadre de reddition des comptes de 1998 concernait le fait que son statut non législatif ne garantissait pas suffisamment l’indépendance du GPFC.
    Selon la commission, le cadre de reddition des comptes ne pose aucun problème qui justifie sa révocation à l'heure actuelle. Quant au paragraphe 18.5(3), il va à l’encontre des mesures prises depuis des années pour renforcer la confiance de la population dans l’indépendance de la police militaire.
    Si l’on traduit la situation dans la vie civile — je sais qu'il y a là des différences dont on pourrait discuter durant la période des questions — le VCEMD pourrait être considéré comme analogue à une commission de service de police: les deux s’occupent de questions générales en matière de maintien de l’ordre, ainsi que des questions budgétaires et administratives.
    Il y a plusieurs exemples au Canada de lois provinciales qui interdisent que la commission s'ingère dans les enquêtes policières. Ce n'est pas nouveau. J'ai dû composer avec cela au cours des 14 dernières années. Les membres de la commission, les maires, les hauts fonctionnaires et moi ne pouvons pas imaginer une situation où, si vous étiez des hauts fonctionnaires, vous voudriez diriger les enquêtes de police dans vos collectivités.
    Il existe de nombreux précédents. Il y en a au niveau provincial, au niveau fédéral à la GRC, et au niveau international en Nouvelle-Zélande, mais concentrons-nous sur les exemples canadiens.
    Une loi provinciale en Ontario, par exemple, prévoit toutes les étapes pour toutes les questions dont la commission — ici, le VCEMD — peut être saisie. La seule chose qu'elle ne peut faire est de donner des directives au chef de police au sujet d'enquêtes policières ou d'opérations quotidiennes du corps de police.
    Sachant que la police a absolument besoin de travailler en toute indépendance et sans entrave, pour quelle raison le paragraphe 18.5(3) est-il inclus et imposé au VCEMD? Comment adopter une telle disposition et continuer de dire que le GPFC est indépendant?
    La commission recommande de supprimer le paragraphe 18.5(3), qui, selon elle, représente un recul.
    Enfin — et je ne m'attarderai pas là-dessus puisque nous l'avons inclus dans le mémoire, à la page 4 — nous signalons une erreur dans la version française de la loi. Comme vous le savez, le projet de loi C-15 contient de nombreuses corrections pour aligner plus précisément la version française sur la version anglaise. Une erreur a cependant été oubliée à l'alinéa 250.42c) qui doit être... C'est une simple question administrative.
    C'était mes commentaires. Je serai heureux de répondre à vos questions.

  (1645)  

    Merci, monsieur Stannard.
    Je rappelle aux membres du comité que le mémoire auquel le président de la commission fait référence vous a été distribué le 16 janvier, donc vous l'avez. Je crois qu'il a été distribué en format électronique, donc si vous ne l'avez pas dans vos classeurs, vous le trouverez sans doute parmi vos courriels.
    Là-dessus, nous passons au prochain témoin, l'honorable Gilles Létourneau, diplômé de l'Université Laval et de la London School of Economics and Political Science à Londres en Angleterre. Il a travaillé à la Cour provinciale du Québec et a passé cinq ans comme vice-président de la Commission de réforme du droit du Canada. Il a été nommé conseiller de la Reine en 1991.
    Il est l'auteur ou le coauteur de quelque 80 textes, rapports et articles associés à la loi, la législation, l'administration de la justice, et la réforme. Il a été nommé juge de la Cour fédérale du Canada, Division des appels, membre d'office de la Division de première instance, et juge de la Cour d'appel de la cour martiale du Canada en 1992. En 1995, il est devenu président de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie. Depuis 2003, en vertu de la Loi sur le service administratif des tribunaux judiciaires, il travaille comme juge de la Cour d'appel fédérale.
    Monsieur le juge, vous avez la parole pendant 10 minutes.
    Merci, monsieur le président et membres du comité. C'est pour moi un honneur de partager ma connaissance de la justice militaire canadienne avec le comité dans le contexte de votre étude du projet de loi C-15.
    Je commencerais par noter, monsieur le président, que j'ai déjà fourni au greffier du comité cinq copies d'un livre bilingue que j'ai récemment rédigé, portant sur la justice militaire au Canada. Le livre s'intitule Initiation à la justice militaire: un tour d'horizon du système de justice pénale militaire et de son évolution au Canada. Je vais me référer au contenu de ce livre de temps à autre pour compléter mes remarques d'aujourd'hui.
    C'est avec grand intérêt que j'ai suivi les discussions du comité au sujet du projet de loi C-15. Tout en reconnaissant certaines améliorations qu'apporte le projet de loi et des propositions visant à modifier ce projet de loi, je dois déplorer le manque d'examen approfondi de la Loi sur la défense nationale, qui en mon opinion avisée, mène à une vision à court terme, voire étriquée, du système pénal militaire canadien.
    Le premier point de mon exposé porte donc sur la nécessité d’effectuer une étude exhaustive fondamentale de la Loi sur la défense nationale, mais indépendamment du ministère de la Défense nationale, pour que le Parlement reçoive une proposition législative qui ne fasse pas que répondre aux souhaits des chefs militaires, mais aussi, et surtout, aux attentes de notre société civile. En effet, celle-ci exige que nos soldats en uniforme jouissent des mêmes droits que ceux que garantit le système pénal civil au Canada et d’autres systèmes militaires à l’étranger. À l'heure actuelle, ce n'est pas le cas.
    Vu le peu de temps dont je dispose, je ne pourrai que vous donner un aperçu de quelques problèmes. Plus précisément, en adoptant chaque fois un regard pratique et constitutionnel, je voudrais souligner les lacunes que comporte l’approche décousue empruntée jusqu’à maintenant dans le cadre de la réforme du système de justice militaire. J’illustrerai à l’aide de quelques exemples ce que je qualifie de lacunes structurelles, qui mettent en lumière la résistance de l’armée canadienne à apporter des changements importants et concrets qui auraient réellement pour effet de renforcer le système de justice militaire du Canada.
    Permettez-moi de commencer en vous racontant la lutte prolongée pour assurer la constitutionnalité de la cour martiale, à titre d'exemple. En 1990, la Cour d'appel de la cour martiale du Canada — que j'appellerai dorénavant la CACM — a conclu que la cour martiale permanente était inconstitutionnelle. En 1992, tout en reconnaissant la constitutionnalité de tribunaux militaires distincts, la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Généreux, a déclaré que la cour martiale générale était également inconstitutionnelle. Vu qu'absolument rien n'a été fait pour corriger ce problème en modifiant la Loi sur la défense nationale, personne ne devrait s'étonner que six ans plus tard, en 1998, dans l'affaire Lauzon, une cour d'appel martiale unanime ait conclu que la cour martiale permanente était inconstitutionnelle.
    Après l’affaire Lauzon, la jurisprudence relativement à l’indépendance des cours en général a continué à progresser. L’inamovibilité des juges militaires est devenue, tout comme l’autonomie administrative et la sécurité financière, une composante de l’indépendance judiciaire. Toutefois, cette évolution jurisprudentielle semble n’avoir jamais atteint l’armée canadienne, car rien n’a été fait en vue d’une révision du statut des cours martiales à l’égard de cette inamovibilité. Si bien qu’en 2007, dans une remarque incidente unanime et affirmée dans l'arrêt Dunphy, la CACM a présenté un certain nombre d’observations sur le caractère renouvelable des mandats des juges militaires. Cette remise en cause s’est produite dans l’affaire Leblanc, lors d’une décision rendue le 2 juin 2011. Cette décision a mené à l'adoption du projet de loi C-16 l'an dernier.
    Rétrospectivement, il est intéressant de constater qu’en dépit du jugement de la Cour suprême concernant l’indépendance des juges provinciaux, malgré l’excellente remarque incidente du juge Hugessen de la CACM dans l’affaire Dunphy, et malgré les décisions rendues par les cours martiales quant à l’inconstitutionnalité du caractère renouvelable des mandats des juges militaires, le procureur militaire s’est acharné à s’opposer à une déclaration d’inconstitutionnalité, telle que le demandait l’appelant dans l’affaire Leblanc. Au contraire, parlant au nom de la Couronne, il a soutenu que l’inamovibilité des juges militaires, sous réserve d’une révocation pour motif valable, bien que désirable, ne constituait pas une exigence constitutionnelle.

  (1650)  

    Cependant, il ne faut pas oublier que les juges militaires bénéficiaient de pouvoirs inégalés et ne s'occupaient que des crimes les plus graves. Pensez-y: ils étaient, par exemple, les seuls juges au Canada, dont le mandat était renouvelable, qui pouvaient condamner quelqu'un à la peine de mort jusqu'en 1998.
    Ils étaient aussi les seuls juges amovibles qui étaient appelés à juger les crimes les plus graves de notre droit pénal ou à présider des cours martiales générales.
    En outre, ils ont aussi jugé des cas de meurtres et d'homicides commis à l'extérieur du Canada. Il y a notamment l'affaire Deneault de 1994, pour un meurtre commis en Allemagne, l'affaire Brown, en 1995, pour homicide et torture en Somalie; et, plus récemment, l'affaire Semrau, pour meurtre au deuxième degré et tentative de meurtre en Afghanistan.
    En bref, en raison d'un immobilisme législatif et d'une résistance des militaires aux changements exigés par la Charte, il a fallu 20 ans de recours juridiques en cour d'appel civile pour obtenir — mais pas entièrement, comme nous allons le voir — l'indépendance judiciaire des cours martiales et de leurs procureurs.
    Laissez-moi vous donner un autre exemple. Contrairement au Code criminel, la Loi sur la défense nationale donne le droit, à la poursuite plutôt qu'à l'accusé, de choisir le type de procès. En 2008, dans l'affaire Trépanier, la CACM a déterminé que cette disposition était non constitutionnelle. Une fois encore, malgré un arrêt de la Cour suprême du Canada selon lequel le choix du mode de procès est un avantage tactique qui appartient à l'accusé dans le cadre de son droit de présenter une défense pleine et entière en vertu de la Charte et selon les graves préoccupations de la CACM concernant la constitutionnalité de la disposition dans l'affaire Nystrom en 2005, environ trois ans avant l'affaire Trépanier, le Service des poursuites militaires, une fois encore, n'a témoigné aucune volonté de conférer cet avantage pourtant prévu par la Charte à un soldat confronté à une procédure pénale. Il a défendu vigoureusement l'affaire Trépanier et le tribunal a dû intervenir pour garantir qu'un accusé militaire jouisse des mêmes droits que dans le cadre du système pénal civil.
    Forts de ces explications, permettez-moi de porter à votre attention les préoccupations que j'ai concernant certaines dispositions du projet de loi C-15 en ce qui a trait à leur constitutionnalité ou au traitement inégal et injustifié qu'elles valent à un membre des forces armées accusé d'une infraction d'ordre militaire aux termes du Code criminel.
    Je vais commencer par le procès sommaire. Je ne répéterai pas ici ce que les deux témoins précédents ont indiqué. J'appuie leurs témoignages et je partage leurs craintes. Je pense que le système n'est pas constitutionnel et que celui-ci est encore en place uniquement parce qu'il n'y aucun moyen de le contester autrement que par un jugement de constatation en cour fédérale, aux dépens du soldat, et qui prévoit deux possibilités d'appel.
    Il a été mentionné que les Britanniques ont changé leur système. Je ne répéterai pas qu'il existe un droit à être représenté par un avocat, etc., mais en règle générale, l'emprisonnement ou la détention militaire ne peuvent être imposés lorsque l'auteur de l'infraction n'est pas légalement représenté en cour d'appel dans un procès sommaire ou en cour martiale. Il ne peut y avoir d'emprisonnement ou de détention si l'auteur de l'infraction n'est pas représenté par un avocat.
    M. Drapeau a fait référence au fait que des changements ont eu lieu en Irlande, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en France, en Belgique, en Autriche, en République tchèque, en Allemagne, en Lituanie ainsi qu'aux Pays-Bas, et malgré le fait que les exigences d'indépendance, d'objectivité, d'équité et de justice sont les mêmes au Canada et en Angleterre — et en fait, elles sont plus contraignantes ici, car au Canada, elles sont enchâssées dans la Constitution — nos soldats se voient encore refuser un traitement équitable lors d'un procès sommaire. Je serai ravi de répondre à vos questions là-dessus.
    Aux termes du projet de loi C-15, c'est le chef d'état-major de la Défense qui nomme le grand prévôt et le démet de ses fonctions. Cependant, par exemple, à la lecture des articles 56 et 58 de la Loi sur la police du Québec, on constate que le directeur général de la Sûreté du Québec n'est pas nommé par le ministre de la Sécurité publique, qui est responsable de la police, mais par le gouvernement. Le directeur peut être démis de ses fonctions uniquement sur recommandation du ministre de la Sécurité publique après enquête.

  (1655)  

    Ce processus offre non seulement une meilleure garantie d'indépendance au titulaire du poste, mais il accroît aussi auprès de la population en général et des personnes soumises aux pouvoirs policiers la perception de réelle indépendance ainsi que leur confiance envers l'administration de la justice.
    Selon l'article 6...
    Pouvez-vous conclure? Votre temps est écoulé et je vous inviterais donc à conclure.
    Vous voulez une conclusion?
    Le président: Oui, s'il vous plaît.
    M. Gilles Létourneau: D'accord.
    À présent, au Canada, un soldat ne jouit pas des mêmes droits qu'un citoyen canadien. Pourquoi? En le poursuivant devant une cour martiale, le système de justice militaire le prive de son droit essentiel et précieux à un procès devant jury. Lorsqu'il comparaît à un procès sommaire, il perd le droit à un avocat ainsi que le droit de révisions en appel du verdict ou de la peine infligée.
    À titre de membre de la société canadienne, une société qui a à cœur la promotion de l’égalité de tous devant la loi, je désire réitérer certaines des propositions énoncées dans le livre que je vous ai présenté aujourd’hui. D’abord et avant tout, je prie le comité d’étudier les tendances internationales en matière de civilarisation des tribunaux militaires dans le but de promouvoir l’égalité de tous devant la loi, égalité qui ne peut être réalisée que par une révision structurelle et organisationnelle fondamentale de la LDF pour en accroître l’accès, la consultation et la lisibilité ainsi qu’en améliorer la structure, la forme et l’organisation interne; sur le plan du fond, la correction des lacunes de la Loi sur la Défense nationale, causées par une reprise imparfaite des dispositions du Code criminel; la prise en considération de la Charte et des besoins militaires, la révision des dispositions qui s’attirent des critiques sur le plan constitutionnel.
    En tant que société, nous avons oublié, et cela a de grandes conséquences sur les membres des forces armées, qu'un soldat est d'abord et avant tout un citoyen canadien, un citoyen canadien en uniforme. C'est aussi le cas d'un agent de police; il s'agit d'un citoyen canadien en uniforme, mais qui n'est pas privé de ses droits à un procès devant jury. Est-ce ce que l'on veut dire par « égalité de tous devant la loi »? Le soldat, qui risque sa vie pour nous, n'a-t-il pas le droit de jouir au moins des mêmes droits et de la même égalité devant la loi que ses concitoyens dans le cadre de procédures pénales? Je fais la distinction entre « procédures disciplinaires » et « procédures pénales ».
    Merci, monsieur le président.

  (1700)  

    Merci.
    Afin de gagner du temps, sachant qu'il ne nous reste qu'environ 20 ou 25 minutes, nous allons avoir des questions de cinq minutes.
    Commençons par M. Allen.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à nos deux témoins.
    Monsieur Létourneau, mes amis de l'autre côté ont fait référence aux juges LeSage et Lamer concernant la question de constitutionnalité de leur point de vue. Je ne remets pas en question le fait qu'ils aient dit ce qui a été dit — je pense que je l'ai même lu —, mais étaient-ils véritablement en position d'autorité? Il s'agit d'éminents juristes, cela ne fait aucun doute, mais prenaient-ils des décisions à l'étape du procès, ou s'agit-il simplement de leur opinion?
    Ma deuxième question est la suivante: la Cour suprême nous a-t-elle véritablement donné son opinion sur la constitutionnalité de ce que l'on peut qualifier de « procès sommaire »?
    Il faut garder à l'esprit que les opinions des juges en chef Dickson et Lamer remontent à un certain nombre d'années. Depuis, le droit a considérablement évolué à la Cour suprême du Canada, où l'on a renforcé l'indépendance des tribunaux et la nécessité de justice dans les poursuites. Nous ne pouvons être gouvernés indéfiniment par des évaluations passées du droit tel qu'il était à l'époque; il nous faut examiner le droit tel qu'il est à l'heure actuelle. Comme je l'ai dit — et je sais que je me répète — la Charte a énormément évolué du point de vue de sa portée et de la protection qu'elle offre à l'accusé.
    J'étais un ami très proche du juge en chef Lamer, mais je ne suis pas certain qu'il aurait les mêmes opinions aujourd'hui s'il examinait le droit tel qu'il a évolué à la suite de son apport et d'autres par la suite.
    Je comprends cela.
    Monsieur Stannard, pour ce qui est de l'indépendance de la police, je pense que nous voyons cela comme une nécessité absolue, du moins du côté civil. Je n'ai jamais été dans les forces, mais du côté civil, lorsque quelqu'un est accusé et qu'un ensemble de preuves proviennent d'un service de police — et je fais maintenant appel à vos dizaines d'années d'expérience dans un service de police civil, au poste de chef de police ainsi qu'à votre connaissance de la CPPM — êtes-vous d'avis que l'indépendance du corps de police doit être primordiale et qu'il ne doit pas seulement donner une impression d'indépendance mais qu'il doit aussi être effectivement indépendant si l'on veut que les justiciables aient le sentiment d'être jugés « en toute justice »?
    Selon le vieil adage, il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu'il y ait apparence de justice, et pour ce qui est des services de police, tout l'aspect du maintien de l'indépendance des enquêtes policières est primordial. Il n'est pas là question de la gestion des services de police ou du nombre d'agents de police ou de la façon dont ils sont déployés ou d'autres aspects, mais des activités quotidiennes et des enquêtes.
    Que l'enquête policière soit effectuée par des agents de police — ou dans ce cas, des agents du SNE — ou des enquêteurs de police, ces renseignements sont recueillis, et si des accusations sont portées, ces renseignements passent sous le contrôle de l'avocat de la Couronne, son assistant, ou quiconque s'occupe de l'affaire. À ce moment, ils sont responsables de la transmission des accusations, il est donc fondamental que la police reste indépendante.
    Cela signifie-t-il qu'il n'y a aucun dialogue avec votre supérieur, dans ce cas le VCEMD, ou, dans le cas de ma vie antérieure, le maire ou un membre du conseil d'administration ou un autre? Il faut les tenir au courant de ce qui se passe afin qu'ils soient au fait de l'aspect public des choses, mais vous ne recevez pas d'instructions d'eux sur la façon dont vous allez mener votre enquête. C'est absolument hors de question; ils n'ont pas à s'en mêler. Et non seulement cela, mais ils n'ont pas à s'ingérer dans l'organisation. Cela est la responsabilité du chef de police.
    Dans ce cas, le GPFC assume la responsabilité ultime des enquêtes effectuées par les membres de son organisation, au pays comme à l'international, ce qui est une toute autre histoire. Les enquêtes relèvent de sa responsabilité.

  (1705)  

    Merci.
    Monsieur Norlock, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président, et par votre intermédiaire, à nos témoins qui ont accepté de comparaître aujourd'hui.
    Mes questions s'adressent au juge Létourneau.
    Je sais que vous connaissez de près le système de justice militaire depuis bon nombre d'années et que vous avez fait un grand nombre d'observations publiques en ce qui a trait aux possibilités de réforme.
    J'aimerais faire un préambule à mes questions, qui sont au nombre de deux.
    Le projet de loi dont est actuellement saisi le comité propose différents changements destinés à améliorer ce cycle d'examen et de réforme; plus spécifiquement, le projet de loi C-15 propose de mettre en oeuvre les recommandations du rapport Lamer visant à enchâsser dans la Loi sur la défense nationale les dispositions concernant l'examen indépendant.
     Le projet de loi C-15 propose aussi de dépasser les limites des mécanismes d'examen prévus par le projet de loi C-25 en permettant de réaliser un examen plus ciblé et plus approfondi; en permettant à un examen donné de s'intéresser précisément à des questions thématiques comme les griefs en matière de justice militaire, le grand prévôt des Forces canadiennes et la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire; et en faisant passer de cinq ans (ce qui est actuellement le cas) à sept ans la fréquence des examens. Ceci permettra de s'assurer davantage qu'un examen soit effectué après une période suffisante pour permettre de dresser un bilan fidèle qui pourra servir de base aux évaluations du fonctionnement des dispositions.
    Mes questions sont les suivantes: tout d'abord, pensez-vous que cette méthode itérative soit une façon prudente d'aborder la réforme de la justice militaire? Deuxièmement, pensez-vous que la mise en oeuvre des recommandations du rapport Lamer pour ce qui est de renforcer la Loi sur la défense nationale et d'y enchâsser l'examen indépendant du système de justice militaire soit une bonne idée?
    Merci.
    Je suis prêt à reconnaître que le projet de loi propose des réformes importantes, que j'accepte. Pour vous démontrer à quel point il est parfois difficile de comprendre pourquoi on s'en tient à cela, par exemple, si l'on prend un tribunal civil, le juge qui fait comparaître l'auteur d'une infraction peut décider de suspendre une peine pendant deux ans et de permettre une surveillance de son comportement. Si, au bout des deux ans, la personne s'est bien comportée, il peut déclarer une absolution inconditionnelle ou conditionnelle, ce qui signifie qu'il n'y aura pas de casier judiciaire.
    Cela n'existe pas chez les militaires. On peut suspendre l'exécution de la peine, mais la peine est imposée. Ce dont je parle là est la suspension de l'imposition de la peine à surveiller.
    Sauf omission de ma part car je siégeais toujours au tribunal, je constate qu'il y a un mécanisme d'absolution inconditionnelle prévu par le projet de loi C-15, mais il n'y a rien au sujet des absolutions conditionnelles. Une absolution conditionnelle permet d'atteindre le même résultat, sauf que l'on garde une épée de Damoclès au-dessus de la tête: si la personne se comporte bien, on efface tout, mais s'il y a un écart de comportement, on impose la peine.
    Pourquoi s'en tient-on à cela? Je ne sais pas. Si l'on examine le projet de loi dans son ensemble, il y a un certain nombre de dispositions comme celle-ci.
    Je vais vous donner un autre exemple. Il y a une disposition qui traite du pouvoir d'arrestation. Si vous consultez le projet de loi, vous pourrez constater que la police jouit d'un pouvoir d'arrestation, mais qu'elle a un devoir de ne pas arrêter quelqu'un s'il s'agit d'une infraction mineure et si vous connaissez l'identité de la personne et qu'il est peu probable que l'infraction se poursuive, etc. Cela est emprunté du Code criminel, cela ne fait aucun doute, sauf que l'on n'a pas repris le code dans son intégralité.
    Si vous consultez les articles 495 et 496 du code, vous constaterez que ce devoir de ne pas arrêter s'applique aux infractions mineures et aux infractions hybrides. Qu'est-ce qu'une infraction hybride? Une infraction hybride, comme une agression sexuelle, est une infraction qui peut faire l'objet d'une poursuite par procédure sommaire — il y a des procès sommaires devant les tribunaux civils — ou à titre d'acte criminel. Si la personne est arrêtée pour agression sexuelle, étant donné qu'il s'agit d'une infraction hybride, il existe un devoir de ne pas arrêter si les conditions prévues par le code ne sont pas remplies. Ce que l'on importe ici est un devoir de la part de l'agent de police militaire qui est moins contraignant que ce que l'on a dans la police civile. Je ne suis pas certain que ce soit constitutionnel et je vais vous dire pourquoi.
    Dans l'affaire Gauthier de 1998, la Cour d'appel de la cour martiale était confrontée à un abus du pouvoir d'arrestation détenu par la police. La Cour d'appel de la cour martiale a déterminé à l'unanimité que les garanties trouvées dans le Code criminel avaient été importées par la Charte dans la Loi sur la défense nationale et que l'arrestation était illégale car il y avait un devoir de ne pas arrêter.
    Dans l'affaire Du-Lude six ou sept ans plus tard, la Cour d'appel fédérale a octroyé 10 000 $ à un soldat qui avait été arrêté illégalement alors que, suite à la décision de la Cour d'appel de la cour martiale dans l'affaire Gauthier, il y avait un devoir de ne pas arrêter en raison de la violation de ses droits constitutionnels.
    Cependant, nous avons ici une disposition qui donne aux soldats moins de droit que les affaires Gauthier et Du-Lude.
    Je vous prie de m'excuser pour la longueur de ma réponse.

  (1710)  

    Pas de problème. Je sais qu'il faut parfois un peu plus de temps pour expliquer les choses. Merci.
    Monsieur McKay, vous avez la parole pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux deux témoins de leurs exposés.
    Je considère tout à fait valable votre argument selon lequel un soldat est avant tout un Canadien, avec tous les droits et les avantages qu'il en découle. Nous ne devons nous attendre à rien de moins pour ce qui est de leurs droits devant la loi.
    Les membres du gouvernement semblent accorder beaucoup d'importance au rapport du juge Lamer. Vous avez fait remarquer qu'il s'agissait d'un rapport qui commence à dater et qu'il est fort probable que le juge Lamer ait une opinion différente de certains aspects de cette loi.
    Ma première question s'adresse à M. Stannard. Vous avez dit que le rapport Lamer ne contenait aucune recommandation précise. Pouvez-vous être plus précis? Cela a-t-il trait au paragraphe 18.5(3) proposé, autour duquel semblent s'articuler principalement vos observations?
    Le juge Lamer a recommandé que la Loi sur la défense nationale soit modifiée pour définir le rôle du grand prévôt des Forces canadiennes et établir le cadre législatif gouvernant les liens entre le grand prévôt des Forces canadiennes et la police militaire, y compris le Service national des enquêtes. Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, sa seule préoccupation quant au cadre de responsabilisation de 1998 est que son statut non législatif offre une protection insuffisante des services de police du GPFC.
    Dois-je comprendre que selon vous le gouvernement a essentiellement déformé les opinions du juge Lamer, dans le sens où le statut de 1998 ne permettait à personne, y compris au VCEMD, d'avoir la capacité de diriger une enquête, et que selon l'article 18.3 proposé une enquête peut être menée? Dois-je comprendre...
    C'est exact, oui. Le cadre de responsabilisation de 1998 était très précis. Il s'agit d'un document d'une page qui établit ce que j'ai indiqué dans ma déclaration. Ce n'est pas un document complexe.
    Donc, au lieu de...
    Cela ne permet pas à cette personne de donner des instructions.
    Vous dites que si on pouvait incorporer ce document dans le projet de loi C-15, on n'aurait pas à s'inquiéter de l'article 18.
    Si ce document devait être incorporé comme cela a fonctionné au cours des 15 à 20 dernières années, ou depuis 1998, cet article n'existerait même pas, tout simplement. On a fait une modification.

  (1715)  

    Donc, lorsque les membres du gouvernement se fondent largement, comme cela semble être le cas, sur le rapport du juge Lamer, ils se fondent en fait sur une fiction ou une interprétation erronée de ce que le juge a dit.
    Eh bien, vous pouvez employer le terme « fiction », mais ce que je dirais, c'est que ce document, tel qu'il est rédigé, s'il était incorporé au projet de loi aujourd'hui, ne permettrait pas au VCEMD de faire ce qui est proposé, tel que cela est interprété.
    Ma deuxième question s'adresse au juge Létourneau. J'espère pouvoir obtenir une copie de votre livre, cela m'intéresse particulièrement.
    Vous avez cité une série d'affaires en 1992, 1998 et 2007 dans lesquelles les militaires se sont heurtés au système de justice civile, et dans chacune de ces affaires, le système de justice civile a, directement ou par le biais d'une remarque incidente, proposé des changements au système de justice militaire, mais au cours des 20 dernières années, à l'exception peut-être de l'affaire Leblanc, il n'y a eu pratiquement aucun changement. C'est comme si le système de justice militaire vivait dans un univers parallèle, à l'abri des interprétations actuelles de la Charte.
    Est-il juste de dire cela?
    Les seuls changements législatifs en termes de la constitutionnalité des tribunaux, par exemple, sont survenus suite à des décisions judiciaires. Même si, tel que mentionné tantôt, nous avons exprimé de sérieux doutes quant à la constitutionnalité de ces dispositions, rien n'a été fait. Même lorsqu'ils ont comparu, ils ont lutté contre cela; ils ont prétendu que c'était constitutionnel, et pourtant si l'on relie les décisions, les juges d'appel étaient unanimes en déclarant que c'était inconstitutionnel.
    Il y a eu un peu de rafistolage par-ci et par-là, mais les enjeux fondamentaux du système n'ont jamais été véritablement abordés.
    Il existe cet examen indépendant, mais que s'y passera-t-il? J'ai travaillé à la Commission de réforme du droit, et je connais le fonctionnement de la réforme du droit. Nous embauchons quelqu'un qui n'a aucun personnel et aucune connaissance du droit militaire, et lui se tournera vers l'armée en leur demandant « Que voulez-vous que je fasse? » D'après vous, qu'arrivera-t-il? C'est ce qui se passe maintenant, comme nous pouvons tous le voir.
    Si vous me permettez de rajouter quelque chose, je dirais simplement que lorsque je suis arrivé à la Commission de réforme du droit, j'avais été exposé au système de justice militaire, et je voulais le réformer à ce moment-là. Cependant, vous vous souviendrez que le gouvernement conservateur était au pouvoir, et qu'il s'était entendu avec les provinces pour rénover le Code criminel. Tout le personnel et le budget entier de la Commission de réforme du droit ont été consacrés à cette réforme du Code criminel, alors l'autre enjeu a été mis en veilleuse, et puis éventuellement j'ai quitté et la commission a été démantelée, et ainsi de suite. Il n'y a jamais eu de réforme fondamentale.
    Je continue à perdre mon temps à essayer de trouver des choses dans la loi. Elle est très éparpillée. C'est bien difficile à suivre. Par exemple, une des dispositions stipule qu'une seule peine « doit » être imposée. Cela crée certaines difficultés dans le contexte d'appel. J'ai essayé de repérer la disposition; cela m'a pris une demi-heure. Je sais qu'elle existe, mais où est-elle?
    C'est tout mêlé; c'est très éparpillé.
    Merci.
    Votre temps s'est écoulé.
    Monsieur Strahl, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Ma question s'adresse à M. Stannard.
    D'après les questions que nous avons entendues jusqu'ici et d'après votre témoignage, nous sommes d'accord que l'ingérence civile dans le cadre d'une enquête policière ne serait pas tolérée, mais je pense que vous seriez d'accord avec moi que la police militaire est une force policière unique dans le sens qu'elle doit jouer un rôle non seulement policier mais aussi militaire. Le vice-chef d'état-major de la Défense a abordé les préoccupations relatives à la clause particulière dont nous discutons lors d'une discussion du comité qui s'est déroulée le 2 mars 2011. Il a dit, et je le cite:
    
À cet égard, les impératifs concernant la conduite d'une enquête, les attentes des Canadiens et, peut-être même, les responsabilités du grand prévôt peuvent entrer en conflit avec certaines des autres priorités que le gouvernement du Canada a fixées pour sa force combattante. Un exemple serait la réalisation d'une enquête médico-légale sur un théâtre de combat. Il va sans dire que cela aurait pour effet d'envoyer un grand nombre de policiers militaires dans une zone de tirs réels et de les exposer à un danger, mais il pourrait y avoir un désir d'envoyer un grand nombre de policiers militaires dans une région qui deviendra rapidement une zone de tirs réels, et il pourrait y avoir une exigence pour équilibrer un peu ces éléments. Je ne peux pas vraiment voir beaucoup de circonstances dans lesquelles je pourrais recourir à cette disposition.
    C'est évident que ce pouvoir est exceptionnel et qu'il s'agit d'un pouvoir, compte tenu de l'exemple fourni par le VCEMD, qui me semble nécessaire.
    N'êtes-vous pas d'accord que ce pouvoir peut être justifié, compte tenu les sauvegardes qui y sont intégrées, et vu la transparence des directives reçues par le grand prévôt de la chaîne de commandement militaire, qui peuvent être publiées? Pourquoi cela poserait-il un problème, compte tenu de ces sauvegardes et la transparence?

  (1720)  

    Je suis d'accord avec vous qu'il y aura des circonstances spéciales, surtout sur le théâtre d'opérations, qu'il s'agisse d'envoyer la police militaire, un agent du SNE, pour aller sur le terrain afin d'entreprendre l'enquête d'un tué au combat. Il y aura sans aucun doute des circonstances. Pour vous dire franchement, le VCEMD n'est pas à la veille de donner des directives à la police militaire ni au SNE. Ils sont experts dans leur domaine, et devraient savoir s'il est sécuritaire d'y aller ou non.
    Mais toute cette question est relative... Vous dites que c'est « exceptionnel »; mais ce n'est pas ce qui est écrit ici. Il s'agit d'une déclaration très générale qui constate que: « Le vice-chef d'état-major de la Défense peut aussi, par écrit, établir des lignes directrices ou donner des instructions à l'égard d'une enquête en particulier ». On ne mentionne pas une « enquête exceptionnelle ». On n'y voit rien au sujet de « en situation de combat », et on ne mentionne pas « sur le théâtre d'opérations ». Qui va interpréter cela? S'agira-t-il d'une interprétation par le VCEMD? Il pourrait y avoir une interprétation un jour par un VCEMD, une interprétation différente un autre jour, et encore une autre interprétation de la directive provenant du GPFC.
    J'ignore si le GPFC compte comparaître pendant cette audience, mais en tant qu'ancien chef de police, je ne voudrais pas être lié par une déclaration générale stipulant que mon supérieur peut me dire quoi faire lors d'une enquête « en particulier ». Cela n'a aucun sens.
    Le GPFC a déjà comparu pendant la même séance du 2 mars 2011, et voici ce qu'il a dit:
    
Je pense que si nous prenions simplement le projet de loi tel qu'il est rédigé, sans les mesures de protection qui sont présentes, j'aurais beaucoup plus d'inquiétude, mais à cause des dispositions qui existent sur la transparence — le processus de plainte pour ingérence en vertu de la partie IV de la LDN —, ces mesures de protection rendent la chose beaucoup plus solide. Cela me permet de m'assurer qu'il y a une approche, s'il devait y avoir un conflit.
    Il ne semble pas partager vos préoccupations. Pourquoi pas à votre avis? Pourquoi cette personne ne partage-t-elle pas vos préoccupations, alors que c'est elle qui en serait touchée le plus, à travers l'ingérence qui en théorie pourrait s'appliquer à sa position?
    Lorsque nous parlons aux agents de la police militaire à travers le pays, la discussion portant sur les plaintes pour ingérence s'avère très intéressante. D'abord, nous n'en recevons pas beaucoup. Certains sont d'avis que c'est parce que la chaîne de commandement de la police militaire ressemble plutôt au système quasi judiciaire de la police. C'est un peu plus robuste, mais ça se ressemble beaucoup dans le domaine policier.
    Sans vouloir manquer de respect au GPFC, je vois bien que la disposition y est, mais cela n'empêchera pas un VCEMD de donner des directives lors d'une enquête en particulier. Cela pose un problème. Cela signifie renoncer à une indépendance qui existe depuis 15 ou 20 ans, ou même depuis plus longtemps que cela.
    Certes, ces dispositions existent, et l'article 18.5 proposé stipule qu'il peut émettre seulement des directives et des lignes directrices qui sont publiques. Cela ne signifie pas qu'il peut empêcher le VCEMD de donner des directives; il est indiqué tout simplement qu'elles seront publiées, non pas qu'elles seront empêchées. Il serait par la suite obligé de suivre ces directives. Il n'est même pas obligé de les rendre publiques, aux termes du paragraphe 18.5(5) proposé, si, d'après lui, ce n'est pas dans l'intérêt de l'administration de la justice.
    Le libellé est vraiment dangereux. Il faut le modifier. Soit l'abroger soit le modifier de façon à rajouter une disposition visant cette circonstance exceptionnelle qui ne pourra pas être mal interprétée en tant qu'enquête « en particulier ». Je ne m'oppose pas à la circonstance exceptionnelle. Il peut toujours y avoir quelque chose de spécial.
    Mais la façon dont c'est rédigé, le GPFC n'aura pas l'indépendance qu'on aurait cru souhaitable pour une organisation policière.

  (1725)  

    Merci.
    Malheureusement tout le temps s'est écoulé pour cette partie de notre séance.
    Je tiens à remercier nos deux témoins d'avoir comparu cet après-midi et de nous avoir fourni leurs commentaires.
    À 17 h 20 nous devons discuter des travaux du comité. Nous allons suspendre la séance afin de permettre aux gens de quitter la salle et que nous puissions discuter des travaux futurs du comité.
    Encore une fois, je vous remercie de votre contribution.
    Quiconque n'est pas associé à un député doit quitter la salle aussi rapidement que possible pour que nous puissions continuer notre rencontre à huis clos.
    La séance est suspendue.
    [ La séance se poursuit à huis clos.]
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