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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 032 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 2 novembre 2010

[Enregistrement électronique]

  (1535)  

[Traduction]

    Je veux tous vous souhaiter la bienvenue à la 32e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Nous reprenons notre étude sur les conséquences du référendum au Soudan.
    Aujourd'hui, nous accueillons James Dean. J'aime ce nom, James Dean. C'est un nom fantastique. M. James Dean vient de l'Université Simon Fraser.
    Nous avons également M. Abunafeesa, spécialiste politique principal à la Mission des Nations Unies au Soudan. Soyez également le bienvenu, monsieur.
    Je crois que M. Simmons est dans un avion en provenance de New York. Donc, je pense que nous allons faire la même chose que la dernière fois. Nous allons commencer à entendre nos témoins. Nous vous accorderons tous sept à dix minutes pour votre déclaration préliminaire, puis nous allons poser des questions et faire un tour de table. Je vais vous donner des instructions supplémentaires au sujet du fonctionnement avant de commencer. Ensuite, nous allons faire une place à M. Simmons, quand il arrivera. Il est possible que nous ayons commencé la série de questions et nous verrons à ce moment-là.
    Monsieur Dean, dans votre mémoire, vous avez dit que vous aviez des cartes que vous vouliez que nous distribuions. J'aurais besoin du consentement unanime. Elles ne sont pas en français et en anglais, mais ce sont des cartes du Soudan auxquelles vous voulez vous reporter pendant votre exposé.
    Ai-je le consentement unanime pour distribuer ces cartes aux membres?
    Des voix: D'accord.
    Le président: Très bien. Nous le ferons aussi, si cela vous convient.
    Pourquoi ne pas commencer par vous, monsieur Dean? Soyez le bienvenu. Nous vous laissons faire votre déclaration préliminaire. La parole est à vous, monsieur.
    Je suis un professeur d'économie à la retraite de l'Université Simon Fraser, mais j'ai passé les quatre derniers mois à Djouba, au Sud Soudan, à titre de conseiller principal pour la Banque du Sud Soudan. J'ai travaillé pour Deloitte en vertu d'un contrat avec USAID.
    Notre mandat était d'aider la Banque du Sud Soudan à se séparer de la Banque du Soudan, qui se trouve à Khartoum; elles tiendront un vote sur leur séparation le 9 janvier 2011. La principale préoccupation que nous avions était la création d'une nouvelle devise.
    Nous avons eu notre première réunion au début du mois de juin, à Nairobi, avec six hauts dirigeants de la Banque du Sud Soudan. Nous leur avons dit qu'ils devraient utiliser le dollar américain pour le moment parce que tout le monde l'utilise de toute façon et que l'introduction d'une nouvelle devise serait chaotique. En l'espace d'une demi-heure, ils avaient tout changé et nous avaient dit que c'était totalement inacceptable, qu'ils voulaient leur propre devise, qu'il s'agissait d'un symbole de leur indépendance.
    Établir la crédibilité d'une nouvelle devise était un défi d'ordre financier. Après l'accord de paix global de 2005, par exemple, le gouverneur de la Banque du Sud Soudan — qui est toujours en poste — a permis qu'on photocopie de l'argent pour payer l'armée de libération du Sud Soudan. Naturellement, cet argent manquait de crédibilité.
    Mais je ne vais pas parler des problèmes de création d'une devise aujourd'hui, à moins que vous ne le vouliez. Je vais mettre l'accent sur le rôle du Canada au Soudan, d'après ce que j'en sais.
    Je pense que nous dépensons environ 117 millions de dollars par année au Soudan, principalement pour le Darfour et le Sud Soudan. Proportionnellement, nous dépensons plus que les États-Unis. Je crois que nous sommes le troisième donateur, après l'UE et les États-Unis. Depuis l'exercice financier 2004-2005, nous avons dépensé plus d'un milliard de dollars.
    Environ 100 des 117 millions de dollars sont dépensés par l'ACDI et 17 millions de dollars sont dépensés par le MAECI. À ma connaissance, les projets du MAECI sont en grande partie liés à la sécurité. Nous avons des agents de la GRC qui entraînent la police du Sud Soudan, y compris des femmes, et nous avons environ 50 conseillers militaires. Je ne sais pas avec certitude quel est leur rôle, parce que contrairement aux Américains, nous ne donnons pas de formation pour aider l'armée populaire de libération du Sud à passer d'une milice à une véritable armée. Nous ne faisons pas cela. Mais nous fournissons de l'aide à la sécurité pour la livraison de nourriture, des véhicules pour la mission de l'ONU et beaucoup d'autres choses.
    Les projets de l'ACDI, les 100 millions de dollars, sont axés sur l'aide alimentaire et la sécurité alimentaire — la livraison de nourriture —, sur le bien-être et l'éducation des enfants et des jeunes, ainsi que sur les institutions, la gouvernance et la justice. Nous consacrons aussi de l'argent pour appuyer l'UE dans sa surveillance des référendums du 9 janvier. Il y en a deux, comme vous le savez sans doute: l'un au Sud Soudan, et l'autre à Abyei, qui est un territoire contesté, juste au nord de la frontière. Nous allons également soutenir le Carter Centre dans sa surveillance des élections.
    Comme d'autres donateurs, nous dépensons beaucoup d'argent sur ce qu'on appelle les secours d'urgence à court terme. Il s'agit de livrer de la nourriture et d'aider à éviter les combats presque quotidiens et les atrocités qui se produisent au Darfour et entre les tribus au sud, en particulier entre les deux tribus les plus importantes, soit les Dinkas et les Nuers. Sans parler des combats et de la violence amorcés par les milices civiles, comme la Lord's Resistance Army, qui vient d'Ouganda et qui s'est maintenant installée dans la partie sud-est du Sud Soudan.
    Tant le Nord que le Sud ont recours depuis longtemps à ces milices civiles. Et à cette époque, le Nord et le Sud ont utilisé leur propre cupidité et leurs doléances comme prétexte pour attaquer le territoire en litige, et les milices ont servi d'intermédiaire. Il est probablement vrai que le Nord fait maintenant davantage appel à l'aide des milices que le Sud. Certes, c'est ce que nous ont appris nos amis du Sud. Le Nord utilise les milices pour créer de l'agitation au sud et à Abyei dans le but de retarder ou de discréditer les votes sur l'indépendance prévus pour le 9 janvier 2011.

  (1540)  

    La solution de rechange à l'aide d'urgence est un investissement à long terme dans le développement durable. L'école et la santé sont des candidats évidents. Les enfants sont maintenant de retour à l'école, après 20 ans de guerre civile et de recrutement à titre d'enfants-soldats. Mais au-delà du primaire ou — au mieux — de l'école secondaire, les perspectives en matière d'éducation sont faibles.
    J'ai visité l'Université de Djouba une fois quand j'étais là-bas, et c'est un endroit formidable. Ils ont une merveilleuse faculté des arts, de musique et de théâtre — je suis un musicien et j'ai adoré cela —, mais il n'y a pas de faculté de sciences économiques, de faculté de commerce ni d'école de droit. Djouba est une sorte de cloaque d'eau sale, de moustiques et d'excréments de vache qui favorise la propagation du choléra, de la fièvre jaune, de la méningite et, bien entendu, de la malaria. Tout le monde attrape la malaria.
    Djouba est aussi une sorte de foyer de banditisme et d'assassinats. Maintenant, pour être juste, c'est beaucoup mieux qu'il y a deux ou trois ans. En fait, les gens me disent qu'ils se sentent plus en sécurité dans les rues de Djouba qu'ils ne le sont à Nairobi, que l'on surnomme maintenant « Nairobbery ». Néanmoins, toutes sortes de choses se sont produites. Il y a eu des batailles dans les bars entre des personnes de tribus différentes. Ce qui nous a déplu, c'est que de tous les groupes d'aide étrangers, seuls ceux qui travaillaient pour Deloitte n'ont pas été autorisés à sortir après 22 heures; je pense que c'était parce qu'ils pensaient que nous pourrions les poursuivre. Pendant ce temps, les gens de l'ONU sont à l'extérieur jusqu'à deux heures du matin, se font poignarder, se battent dans les bars, toutes sortes de choses. Notre conseiller en sécurité nous racontait tout cela chaque matin pour nous dissuader de rester à l'extérieur tard la nuit.
    Pour ce qui est de la scolarisation et de l'éducation, la question ne se pose pas, mais il est beaucoup plus difficile de favoriser la croissance économique à long terme sans l'aide étrangère et le pétrole, car le Sud Soudan est presque totalement dépendant de l'aide étrangère et du pétrole. L'aide étrangère s'élève à environ deux milliards de dollars par année, mais cela ne se rend pas dans les poches du citoyen moyen. En fait, cela remplit probablement les poches des experts-conseils et retourne à l'étranger. Le pétrole est pratiquement le seul produit d'exportation. Il y a l'agriculture, mais elle est relativement peu importante. Le pétrole est de loin le produit d'exportation le plus important, et les recettes pétrolières s'élèvent à environ deux milliards de dollars par année.
    Les recettes pétrolières représentent 98 p. 100 des revenus du gouvernement qui ne proviennent pas de l'aide, et environ 30 p. 100 du budget du gouvernement du Sud-Soudan est consacré au matériel militaire — importé, en grande partie —, soit des hélicoptères achetés récemment — quand j'y étais — et de vieux chars d'assaut russes. En bref, une partie de l'argent du pétrole et du gouvernement disparaît dans des poches privées et est généralement déposé à l'étranger, ou du moins de l'autre côté de la frontière, au Kenya.
    En résumé, environ quatre milliards de dollars entrent au Sud Soudan chaque année, dont environ la moitié provient de l'aide étrangère et l'autre du pétrole. À cela s'ajoutent quelques centaines de millions de dollars renvoyés au pays par la diaspora de Soudanais du Sud vivant à l'étranger.
    La population du Sud Soudan est d'un peu plus de huit millions. Donc, si l'on compte seulement les recettes de l'État et qu'on divise les quatre milliards de dollars par huit millions de personnes, on obtient environ 500 $ par an, ce qui est le montant qui devrait aller dans les poches de chaque personne. La production nationale génère très peu de revenus, et une grande partie de la production nationale est constituée de biens. Il s'agit de bétail, de cultures vivrières de subsistance, etc., qui ne sont jamais mis en vente et ne sont donc jamais monétisés. Mais le revenu par habitant au Soudan n'est pas de 500 $ par année, il est de moins de 300 $ par année, soit environ 80 ¢ par jour. Certes, ces quelque 300 $ par année ne comprennent pas les revenus en nature, comme l'aide alimentaire, qui est importante. Néanmoins, 200 millions de dollars ont disparu, et il s'agit en grande partie d'une fuite de capitaux — des personnes riches et puissantes envoient de l'argent à l'étranger — ou d'aide internationale gaspillée.
    Donc, la différence entre ce qui arrive dans la région et qui en ressort, simplement pour le répéter, va aux dépenses militaires, au gaspillage de l'aide internationale et à la corruption. Autrement dit, la plus grande partie de l'argent qui entre au Sud Soudan en ressort par l'intermédiaire des importations militaires, des revenus des experts-conseils, non pas que les experts-conseils soient complètement inutiles — j'en étais un — et la fuite des capitaux.

  (1545)  

    Tout pays qui s'appuie largement sur le pétrole ou l'aide étrangère est soumis à des mesures dissuasives pour trouver d'autres sources de revenus. En outre, la production de pétrole au Soudan atteindra probablement son niveau le plus élevé dans 10 ou 12 ans. Il est donc impératif que le Soudan se dote d'une autre industrie d'exportation. Le secteur le plus prometteur est l'agriculture. Le Soudan n'est pas seulement le plus grand pays d'Afrique, il est l'un des plus fertiles. Le magnifique Nil s'étend de l'Ouganda, au sud, jusqu'à l'Égypte, au nord. Il y a le Nil Bleu. À Djouba, nous étions installés sur les rives du Nil Blanc.
    Traditionnellement, le principal produit agricole est le bétail. Les Soudanais du Sud, en particulier, sont des éleveurs de bétail. Au Soudan, on n'appelle pas cela du bétail. « Bétail » est un terme neutre, mais les Soudanais utilisent le mot « vache », qu'il s'agisse de mâles ou de femelles. Il y avait des troupeaux de vaches juste à côté de notre campement, il y avait un abattoir et on y abattait les bêtes pendant que nous dormions; la puanteur était abominable.
    Ce que je veux dire, c'est qu'une importante industrie agroalimentaire à grande échelle est maintenant en place: on produit du coton, du maïs, de l'huile de palme et même des fleurs. L'industrie est particulièrement bien implantée dans le Nord, mais en réalité, il y a plus de potentiel dans le Sud parce qu'il est plus fertile. L'industrie agroalimentaire, comme le pétrole, est financée et organisée par des entreprises étrangères. Le pétrole est financé en grande partie par les Chinois, mais l'agriculture est subventionnée par les pays du Moyen-Orient et beaucoup d'autres.
    Jusqu'ici, tout va bien, et il n'y a rien de mal — en ma qualité d'économiste, je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit de mal, en principe — avec l'investissement étranger direct. Mais au Soudan, les principes ont été mis à mal par des investisseurs sans scrupules, qui sont aidés et soutenus par les fonctionnaires du gouvernement soudanais, tant au Nord qu'au Sud. Au cours des 12 derniers mois seulement, le ministère de l'Agriculture du Sud Soudan a vendu des milliers d'hectares, des millions d'acres de terres fertiles à des entreprises étrangères. Bon, il n'y a rien de mal à cela non plus, en principe. Ici au Canada, nous vendons nos droits pour le pétrole et la potasse à des étrangers. Mais en pratique, me dit-on, ce qui se passe au Sud Soudan et dans le Nord, c'est que les collectivités, les tribus et les agriculteurs de subsistance ont pour ainsi dire perdu leur droit traditionnel d'occupation des terres. Il n'y a pratiquement pas de lois foncières dans le Nord du Soudan.
    Depuis la pénurie alimentaire de 2007, principalement dans le Nord mais de plus en plus dans le Sud, le gouvernement soudanais a vendu ou loué à long terme — un bail emphytéotique a généralement une durée de 70 ans — des centaines de milliers d'hectares, des millions d'acres de terres agricoles. Le Soudan loue maintenant plus de terres à long terme que tout autre pays en Afrique...

  (1550)  

    Monsieur Dean, je vous demanderais simplement de conclure. Nous allons faire traduire ceci pour vous afin de pouvoir le distribuer aux députés.
    J'ai ici un exemple de main-mise sur des terres, mais permettez-moi simplement de vous lire quelque chose. La vente de ces terres agricoles pourrait bien se solder par une recrudescence des violences intertribales, les agriculteurs évincés qui migrent vers d'autres régions perpétrant des attaques ou faisant l'objet d'attaques aux mains des agriculteurs de ces régions. C'est ce qui est arrivé lorsque des terres ont été louées pour de longues périodes à des Chinois désireux de faire de l'exploitation pétrolière à la fin des années 1990 — les gens de l'endroit ont alors été forcés de quitter leurs terres —, la même chose pourrait se produire avec les terres qui font l'objet de baux à long terme pour l'exploitation agricole et les industries agricoles.
    Je veux simplement conclure en disant que l'ACDI a financé certains travaux des ONG sur le mode de tenure dans le Sud, et je crois que votre comité devrait lui demander son opinion éclairée sur la pertinence et le respect des nouvelles lois applicables au mode de tenure parce que j'ai plusieurs fois entendu dire que la situation n'était pas bonne. L'ACDI doit respecter les décisions souveraines des gouvernements nationaux. Le contrat de l'organisme prévoit que ses représentants ne peuvent pas simplement se présenter au bureau de l'agriculture à Juba et exiger de savoir si l'esprit et la lettre des nouvelles lois sur le mode de tenure sont respectées. Toutefois, je crois comprendre qu'ils ne le sont pas et que le ministère signe des marchés très lucratifs pour lesquels il évince des gens de leurs terres.
    Je crois qu'il y a là un problème auquel on n'a pas porté assez attention. Le problème sévit depuis longtemps et il est complexe, parce que les industries agricoles permettront d'accroître la productivité des terres agricoles et que cela est nécessaire. Toutefois, les récoltes seront destinées à l'exportation et ne serviront pas forcément à nourrir les populations locales.
    Merci.
    Merci, monsieur Dean.
    Nous passons maintenant à M. Abunafeesa.
    À vous la parole, monsieur. Vous avez 10 minutes.
    Merci, monsieur le président pour l'occasion qui m'est ainsi donnée de m'adresser aux membres du comité permanent de la Chambre des communes.
    Je tiens également à remercier Mme Christine Vincent, qui m'a permis d'entrer en contact avec votre distingué comité.
    J'ai le plaisir de vous dire que c'est la deuxième fois que je prends la parole devant un comité permanent ici. Il y a quatre ou cinq ans, j'ai été présenté par l'honorable David Kilgour. C'était avant la guerre en Irak, et je travaillais pour les Nations Unies au Moyen-Orient.
    J'ai donné certaines informations sur moi, mais j'aimerais dire quelque chose. Je viens de prendre ma retraite des Nations Unies. Mon dernier poste était au Soudan. J'ai également travaillé à la division du maintien de la paix des Nations Unies pendant 17 ans. Je suis allé sur le terrain presque partout dans le monde. J'ai travaillé pendant une courte période à New York. Je suis allé au Cambodge en 1991 et en 1992. J'ai ensuite été transféré en Afrique du Sud pour y faire la promotion de la paix et assister, en qualité d'observateur, aux élections de 1994, qui ont été les élections multiethniques et multiraciales les plus équitables. J'étais posté dans la partie nord de l'Afrique du Sud, la région la plus critique et la plus dangereuse.
    À l'époque, j'ai eu le plaisir de connaître le Président de la Chambre, M. Peter Milliken, qui était là-bas, l'ancien secrétaire d'État pour l'Amérique latine et l'Afrique, Christine Stewart, David Kilgour et quelques autres personnes.
    Je suis allé en Afghanistan deux fois. J'ai vu deux ou trois gouvernements tomber dans ce pays. J'ai passé trois ans en Afghanistan et j'y suis retourné pendant un certain temps après le déclenchement de la guerre. Je suis allé en Irak deux fois. J'ai travaillé au programme « Pétrole contre nourriture » pendant trois ans; j'ai ensuite été affecté à la zone verte après la guerre pendant encore trois ans. Je suis aussi allé dans le Nord du Ghana pour y travailler à la résolution du conflit et du problème de la prolifération des armes légères. J'ai également été député au parlement du Soudan pendant un certain temps.
    Toutefois, avant de vous parler du Soudan, j'aimerais dire que l'occultation du monde multilatéral au cours de la période ayant suivi la guerre froide a provoqué de l'insécurité, de l'instabilité, des actes terroristes ainsi que des problèmes financiers et politiques qui ont affecté non seulement les pays en développement mais également les pays avancés.
    Le Soudan est le plus grand pays d'Afrique et le plus riche en ressources. Il a été un pionnier de la démocratie en Afrique. Le Soudan a acquis son indépendance en 1956. Il a connu une première période de démocratie de 1956 à 1958. Un coup d'État militaire a mis fin au régime démocratique, qui a néanmoins été rétabli deux ans plus tard, pour une durée de moins de quatre ans, avant un autre coup d'État qui a laissé les militaires au pouvoir 16 ans. Ont suivi trois années de régime démocratique auxquelles un autre coup d'État militaire a mis fin et qui a permis aux militaires de s'accrocher au pouvoir depuis 21 ans. Cela vous donne une idée de ce qu'a subi le Soudan, avec 40 années de régime militaire et 11 années seulement de démocratie, qui n'ont pas été vécues de façon continue.

  (1555)  

    Jusqu'à la fin des années 1960, le Soudan avait la réputation d'être un pays pacifique qui entretenait de bonnes relations avec ses voisins et avec la communauté internationale. Or, depuis les 40 dernières années, soit depuis 1970, nous éprouvons des problèmes.
    Aujourd'hui, le Soudan est dans une position où il pourrait être le plus grand pays d'Afrique. Toutefois, des guerres incessantes s'y déroulent sans que les Nations Unies n'y prêtent nullement attention — et je dis bien « nullement » — parce que j'ai travaillé aux Nations Unies, que je suis un Canadien d'origine soudanaise et que je sais ce qui s'est passé là-bas. L'ONU n'était tout simplement pas là.
    Toutefois, au cours des 20 dernières années, le régime en place a traité le Sud différemment par rapport aux régimes militaires ou civils précédents. Les guerres entre le Sud et le Nord ont commencé en 1953 et se sont poursuivies jusqu'en 2005, entrecoupées de périodes de négociation et de réconciliation, la plus importante entamée en 1971 a duré 11 ou 12 ans, jusqu'à ce que le régime militaire y mette fin. Les gens sont donc repartis en guerre jusqu'en 1983 et, encore une fois, jusqu'en 2005, lorsque l'Accord de paix global a été conclu.
    Le principal problème éprouvé avec l'Accord de paix global, ou l'APG, comme les gens l'appellent, tient à ce qu'il n'était pas un accord de paix des Nations Unies. Les Nations Unies n'ont joué aucun rôle dans cet accord, qui a été influencé par les États-Unis et certains pays européens.
    Naturellement, les partis politiques du Soudan, et tous les Soudanais, conviennent que les frères du Sud ont le droit d'autodétermination. Toutefois, je crois que la façon dont l'APG a été conclu a aggravé la situation au Soudan.
    Même si le Sud se sépare, il faudra s'occuper des relations entre le Sud et le Nord sans parler, naturellement, de la situation au Soudan. D'autres régions du pays pourraient vouloir faire à leur tour sécession, étant donné la façon dont l'APG, ou le traité de Naivasha, a été conclu.
    Le régime en place au Soudan porte la plus grande partie du blâme pour ce qui est de l'APG, mais je dirai que les États-Unis sont également à blâmer en partie. La communauté internationale, ou les Nations Unies, à proprement parler — au cours de toute la période entourant la guerre froide — favorisait l'unité, tout particulièrement celle des États-nations.
    Les États-nations se composent d'une diversité de cultures, de races, etc. Voilà pourquoi les Nations Unies, en conformité avec la charte qui les régit, doivent maintenir la paix internationale et l'unité des États, et non favoriser leur démembrement. Malheureusement, nous vivons actuellement une époque d'occultation du système multilatéral et nous voyons des États de certaines parties du monde en développement se désintégrer.

  (1600)  

    Le Soudan, qui est un pays d'Afrique, est le seul à connaître une sécession.
    L'Érythrée s'est séparée, en fait elle est devenue un pays indépendant de l'Éthiopie parce qu'elle ne faisait pas partie de l'Éthiopie. les Érythréens sont un peuple différent.
    La situation du Soudan comporte donc des implications ou des ramifications possibles pour l'Afrique, tout particulièrement pour les pays voisins, comme le Congo, l'Ouganda, le Kenya et même l'Éthiopie — qui compte aussi des minorités — ainsi que le Tchad, où les Arabes et d'autres peuples connaissent d'autres problèmes.
    Ainsi donc, pendant que plusieurs parties du monde sont au troisième millénaire et commencent à se regrouper et à s'unir, le Soudan, ou l'Afrique, ou plutôt les plus grands pays d'Afrique commencent à se morceler.
    Je sais que 10 minutes, ce n'est pas assez. Vous pourriez tous parler au moins une heure, mais je dois vous demander de conclure.
    D'accord.
    Il y a diverses questions à régler pour l'après-référendum. Les gens parlent de guerre. Les frontières constituent également l'un des problèmes, les dettes, les Soudanais du Sud qui habitent dans le Nord et les Soudanais du Nord qui habitent dans le Sud; de plus, Abyei est un point chaud.
    Naturellement, le problème de la nationalité se pose. Y aura-t-il double nationalité ou non? Certaines questions nécessitent d'être débattues. Il y a aussi la question de la frontière, comme je l'ai dit.
    Il s'agit de questions importantes. Il faudra également régler le problème des dettes du Soudan. Les parties peuvent trouver un terrain d'entente à ce sujet ou entrer en opposition l'une contre l'autre. Il faut discuter de ces questions.
    Je vais toutefois m'arrêter ici. Je suis prêt à répondre aux questions.

  (1605)  

    D'accord. J'espère que nous en apprendrons plus encore lorsque nous en serons arrivés aux questions et réponses. Merci beaucoup.
    Nous accueillons maintenant M. Simmons. Je crois comprendre que vous êtes venu en auto de Burlington, au Vermont, pour être avec nous. Je vous en remercie. Vous travaillez pour FAR Sudan. Je ne connais pas vraiment cette organisation, alors vous pourriez peut-être nous en parler un peu. Vous disposez de 10 minutes; lorsque vous arriverez vers la fin, je vous demanderai de conclure. Nous passerons ensuite aux questions des membres.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je vous prie d'excuser mon retard. Pour venir ici en partant de Khartoum, j'ai dû prendre un vol pour Burlington avec une escale à New York et conduire ensuite jusqu'ici. Me voilà donc directement de Khartoum, via New York et Burlington.
    Je dois d'abord vous dire quelque chose au sujet de l'organisation que je dirige, appelée FAR, dont le siège est à Toronto. Il s'agit d'une organisation canadienne. Je suis également vice-président du forum des ONGI où je représente 72 ONG internationales présentes dans le Nord du Soudan. Au cours des quatre dernières années, j'ai été soit président, soit vice-président du forum, et je peux donc vous parler également de la situation sous l'angle de cette organisation. Avant de travailler pour FAR, j'ai participé au processus de paix à Naivasha et ensuite à Abuja et à Asmara, à l'est du Soudan.
    Voilà donc en bref mes antécédents.
    C'est bien agréable de pouvoir revenir au Canada. Je vous remercie beaucoup de m'en avoir donné l'occasion.
    Comme j'avais commencé à le dire, je viens d'un pays, le Soudan, où la situation est assez inquiétante pour le moment. Il y règne beaucoup d'incertitude sur l'avenir, et les gens sont très nerveux. Des informations contradictoires circulent sur ce que seront dans l'avenir la citoyenneté, les mouvements de populations, etc. Les gens subissent beaucoup d'intimidation exercée pour influencer le vote au référendum. Des gens se font battre s'ils sont suspectés de vouloir voter pour l'unité — ce sont les Soudanais du Sud qui vivent dans le Nord. Des groupes d'Arabes ont également été expulsés du Haut-Nil dans le Sud, et de plus en plus de Soudanais du Sud qui s'étaient établis dans le Nord reviennent dans leur région d'origine.
    Mon organisme gère le quai de Kosti, sur le Nil Blanc, par où passent, dans des barges, toutes les personnes déplacées qui se rendent dans la partie centrale ou dans la partie méridionale du Sud du Soudan. De 800 qu'il était la semaine dernière, le nombre de ces personnes est passé à 6 000 cette semaine. Nous observons donc une augmentation spectaculaire de gens qui prennent la direction du Sud. Ces mouvements précèdent la période d'inscription qui commence, comme vous le savez, dans deux semaines seulement.
    Les chiffres font toujours problème au Soudan. Dans les exposés qui vous ont déjà été présentés, on vous a fait part de chiffres divergents concernant le nombre de citoyens au Soudan, ces chiffres variant de 8,2 millions à 16 millions. Pour s'inscrire au vote, les gens doivent retracer leur ascendance dans une tribu du Sud. Ils doivent habituellement remonter à quatre générations au plus. Je n'ose pas penser aux origines des Canadiens s'ils pouvaient revendiquer leur nationalité en remontant à quatre générations. Il y a de toute évidence un problème dans la définition de ce qu'est un vrai Soudanais du Sud, et des conséquences s'ensuivent pour le vote.
    Auparavant, le gouvernement a essayé, d'une certaine façon, de minimiser l'importance de la population des Soudanais du Sud vivant dans le Nord, parce qu'il croyait qu'il était dans son avantage d'agir ainsi. Maintenant, le gouvernement tente de gonfler rapidement le nombre de ces personnes. Nous sommes passés d'une estimation de un demi-million de Soudanais du Sud vivant dans le Nord à une estimation allant de 1,5 à 2,7 millions de personnes. C'est une augmentation très considérable. Par ailleurs, même si on ajoutait au chiffre de 10,5 millions d'habitants du Sud, accepté à la Cour permanente d'arbitrage, le chiffre maximal de 2,7 millions donné par certaines sources, et si on présumait une évolution démographique normale pour un pays en développement — à savoir que la moitié de la population a moins de 18 ans et n'est donc pas en âge de voter —, et même si tout le monde dans le Nord compris dans le chiffre maximal votait pour l'unité, il faudrait qu'une personne sur huit dans le Sud vote pour l'unité pour que l'unité l'emporte. Nous pouvons donc nous attendre à ce que le Sud fasse sécession.
    Nous, les ONG, sommes touchés de deux façons, et c'est ce dont je vais vous parler, étant donné le temps limité dont je dispose. Il y a d'abord la question de la planification des mesures d'urgence — comment planifier le repositionnement des ressources, comment prévoir les mouvements de populations et comment répondre à ces besoins — en particulier la Mission des Nations Unies au Soudan. On demande à l'ONU de fournir davantage de troupes à la frontière et de prêter son soutien pour le référendum. Comment les gens de l'ONU pourront-ils arriver, avec leurs ressources limitées, à fournir des troupes pour les bureaux de vote tout en protégeant la frontière, là où se trouvent les champs pétrolifères qui seront probablement le théâtre de conflits? Voilà qui sera un défi considérable.
    L'autre problème, naturellement, tient à l'accès des organismes humanitaires aux lieux.

  (1610)  

    À l'heure actuelle, le gouvernement du Nord bombarde encore le Darfour. Ces bombardements n'ont aucun motif militaire; ils n'ont pour objet que de terroriser les populations. J'hésite à parler ainsi dans une tribune publique, mais il est très clair, pour moi, que le gouvernement du Soudan poursuit une double stratégie. Il veut, d'une part, affamer des populations qu'il croit favorables aux groupes rebelles en empêchant des organismes humanitaires d'y avoir accès, privant ainsi ces populations de nourriture, d'eau et de services de base. La situation est un peu meilleure cette année parce que la saison des pluies qui vient juste de finir a été bonne. Le gouvernement tente également d'instrumentaliser les projets de reprise ou de redressement. Des responsables gouvernementaux se rendent dans une région donnée pour dire aux gens que s'ils cessent d'abriter des rebelles, ils vont leur faire construire une école. Ils nous approchent ensuite, nous, les ONG, et nous demandent d'aller construire cette école en nous disant qu'ils l'ont promise. Nous refusons, car nous ne pouvons tout simplement pas faire cela. Nous servirions alors d'instrument politique pour le gouvernement en place, mais on nous reproche ensuite l'absence de service.
    Nous nous trouvons dans une position très difficile, sur le plan politique, alors que nous étions appelés à répondre aux besoins, on cherche maintenant à nous utiliser comme instrument politique, et c'est une situation que nous prenons grand soin d'éviter lorsque nous le pouvons.
    La raison pour laquelle je vous parle de ce problème — en prévision tout particulièrement du référendum — est qu'il est bien possible que le gouvernement du Nord refuse aux travailleurs humanitaires l'accès aux régions qui, selon lui, ne l'appuient pas entièrement et que le gouvernement du Sud, qui a reproduit beaucoup d'erreurs de son vis-à-vis du Nord, voudra, j'en ai bien peur, en faire autant, victime d'une espèce de syndrome de Stockholm. Tout le royaume des Shilluk, dans le Haut-Nil pourrait ainsi être inaccessible — je ne vais me perdre en détails géographiques parce que je ne sais si vous connaissez très bien le pays. Des régions du pays où les populations ne sont pas nécessairement considérées comme totalement favorables au gouvernement du Nord, ou à celui du Sud, pourraient être interdites d'accès et privées de services.
    Je vais peut-être m'arrêter là, parce que vous avez maintenant une assez bonne idée de la situation et que je ne veux pas dépasser le temps qui m'est alloué. Je donnerai les précisions dont vous avez besoin lorsque je répondrai à vos questions.
    Merci, monsieur Simmons.
    Nous allons entamer un premier tour de sept minutes, questions et réponses comprises, et nous poursuivrons jusqu'à 17 h 30 avec des questions et réponses de cinq minutes, en alternant les partis.
    Je vais commencer par le vice-président du comité, le Dr Patry. La parole est à vous.

  (1615)  

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.

[Traduction]

    Merci beaucoup à nos témoins d'être là aujourd'hui.
    J'ai une question pour M. Dean et M. Simmons. Si le Sud-Soudan vote en faveur de l'indépendance en janvier prochain sans que le référendum soit tenu, en même temps, dans la région d'Abyei, croyez-vous que le gouvernement de Khartoum permettra, peu de temps après, la tenue d'un référendum dans cette région?
    Ma deuxième question est la suivante : si le Sud vote toujours en faveur de l'indépendance, quelles seront les répercussions possibles concernant de grands mouvements de populations en provenance du Sud et des pays voisins après le référendum?
    Merci.
    Je vais vous parler un peu de la région d'Abyei, et je céderai ensuite la parole à Mark et à Elsadig.
    Je crois que la communauté internationale, à commencer par les États-Unis, va tout faire pour que le référendum ait lieu, avec inscription au vote ou non. On s'obstine encore à Addis-Abeba sur l'inscription des gens parce que la démarcation des frontières de la région n'a pas encore été entièrement faite. Les limites territoriales sont claires, mais la démarcation physique réelle... C'est un sujet d'argumentation stupide.
    Le Nord aura pour stratégie de compter à l'intérieur de ses frontières — quel est le nom encore de la tribu de cette région? — la tribu des Misseriyas, composée d'éleveurs de bétail nomades. Le Nord amènera le plus grand nombre possible de ces nomades dans la région d'Abyei pour influencer le vote. Selon les propos entendus à Juba, on ne veut pas renoncer au référendum, seulement parce que celui d'Abyei pourrait être retardé. J'ai personnellement l'impression qu'il ne le sera pas, mais qu'il ne sera pas reconnu par le Nord. Les parties se querelleront furieusement pour déterminer qui a droit au pétrole qui, comme vous le savez, se trouve dans la région d'Abyei.
    Quelle était l'autre question encore?
    Elle porte sur les mouvements de populations.
    Je crois que Mark connaît mieux la question que moi. On craint, à Juba, que les marchands arabes soient expulsés ou connaissent un sort pire encore. Ils constituent un maillon important de l'économie à Juba. Ce sont de bons marchands, mais ils ne sont pas citoyens soudanais. Lorsque j'étais là-bas, on interceptait les gens dans leurs véhicules, etc, pour vérifier leur inscription. On nous a dit que des individus pouvaient même faire du porte à porte dans notre camp pour vérifier qui nous étions, mais cela n'est pas arrivé.
    Les habitants du Nord d'origine arabe qui vivent et travaillent, souvent de façon très productive, dans le Sud pourraient être expulsés. L'autre possibilité serait la migration d'un demi-million à un million et demi de gens à Juba, selon ce que Mark nous a dit. On estime que la population de cette ville est passée de 125 000 personnes il y a cinq ou six ans à plus d'un million aujourd'hui. La ville est remarquablement stable, compte tenu du nombre de travailleurs étrangers qui y habitent. Toutefois, si sa population devait s'accroître encore d'un autre demi-million au cours des six prochains mois, il pourrait y avoir de gros problèmes — sans parler des camps de réfugiés.
    Mark pourrait peut-être vous en dire plus à ce sujet.
    Merci.
    En ce qui concerne les mouvements de populations, il ne faut pas oublier que les Sud-Soudanais qui vivent dans le Nord ne seront pas forcément les bienvenus lorsqu'ils retourneront dans le Sud. Beaucoup d'entre eux sont considérés comme des ennemis politiques parce qu'ils ne sont pas restés dans le Sud. Le même problème se pose toujours pour les réfugiés — et la même chose est arrivée en Afghanistan —, ils inspirent de la méfiance lorsqu'ils reviennent chez eux parce qu'ils ne sont pas restés se battre pour l'indépendance, si vous voulez.
    Pour ce qui est des chiffres, environ un demi-million de gens probablement partiraient d'eux-mêmes et un autre million seraient probablement expulsés si le gouvernement du Nord estimait qu'ils ne sont pas les bienvenus dans le Sud. On ne sait pas trop où ils iraient. Je crois qu'on craint beaucoup que ces gens se retrouvent dans un no man's land le long de la frontière, parce qu'ils ne seraient pas nécessairement les bienvenus dans leurs communautés d'accueil ni les bienvenus dans le Nord. Or, les champs de pétrole se trouvent à la frontière. Beaucoup de terres sont actuellement délimitées en prévision d'une exploitation pétrolière et ne sont donc pas disponibles pour ces gens.
    Il y a également trois grandes régions à l'Ouest d'Abyei, près de la région de Heglig-Bentiu et du Haut-Nil, où se trouvent de longues bandes de terre qui servent de frontières entre des groupes de nomades et le fleuve. Si ces frontières sont fermées ou si elles sont le théâtre de combats, comme nous nous y attendons, deux à trois millions de nomades se trouveront peut-être dans l'impossibilité d'amener leurs troupeaux ou leurs chameaux au fleuve pour les faire boire.
    Voilà un problème qui surgira un peu plus tard parce que les mouvements de populations ne commenceront pas normalement avant février ou mars. Ce ne seront donc pas des mouvements de populations liés nécessairement au référendum, mais plutôt des mouvements provoqués par des escarmouches possibles aux frontières. On peut donc s'attendre à des mouvements de populations mettant en cause entre un demi-million et peut-être trois millions et trois millions et demi de personnes.

  (1620)  

    Merci.
    Pour ce qui est du référendum, je crois que le Sud déclarera son indépendance, référendum ou non. C'est une question intéressante pour vous, étant donné l'histoire du Canada.
    La situation pour Abyei dépendra réellement de la façon dont les ressources pétrolières seront réparties et du statut des Misseriyas. Si les Misseriyas sont autorisés à voter et si les réserves de pétrole peuvent être partagées, ils pourront s'arranger. Si tel n'est pas le cas, un conflit risque de survenir, semblable à celui du Cachemire, mais à une plus petite échelle, étant donné que la population est peu élevée. On parle d'une population d'environ 35 000 personnes, et non de trois millions, mais le nombre est quand même assez important.
    Monsieur Pearson.
    Je vous remercie beaucoup de vos observations, monsieur.
    Ce qui m'inquiète, au sujet du Soudan, c'est que, pendant la guerre, les gens faisaient confiance à l'Armée populaire de libération du Soudan et à d'autres pour veiller sur eux. Bien que l'aide étrangère ne parvenait pas réellement aux régions frontalières, les populations de ces régions étaient en guerre, et les gens s'attendaient à cela.
    Une fois la paix conclue, avec l'APG, les populations des régions frontalières s'attendaient à recevoir une bonne partie de l'aide financière consentie par l'Occident. Or, la chose ne s'est pas vraiment produite, alors qu'une bonne partie de la guerre s'était déroulée dans ces régions, que les champs de pétrole s'y trouvent et que c'est de là que provenaient beaucoup de gens du Darfour. Juba, par contre, sous l'influence des leaders du Sud, essayait d'amener le Canada et d'autres pays à investir dans les environs, à construire des bandes d'atterrissage, etc. Il me semble que l'Occident s'est laissé séduire et que c'est ainsi Juba est devenue cette grande ville.
    Je suis content que vous relanciez l'ACDI au sujet des fermes, mais il me semble que les fonds de développement ne sont pas acheminés aux endroits les plus toxiques. Je suis allé dans ces régions et j'ai rencontré les gens. Ils se plaignent encore aujourd'hui que Juba pourra construire une nouvelle université ou quelque chose d'autre, mais qu'eux, ils ne peuvent même pas obtenir une école secondaire.
    Notre comité doit déterminer ce que nous ferons après le référendum, s'il a lieu, et comment nous répartirons notre aide financière. Pouvez-vous nous parler de cela?
    Je ne suis pas très bien renseigné pour cela, parce que nous n'étions pas autorisés à quitter Juba pour des raisons de sécurité. Toutefois, beaucoup d'autres travailleurs humanitaires de Juba se rendaient là-bas tout le temps. C'était la saison des pluies et il était très difficile de se rendre dans ces régions, comme vous le savez bien. Il faut donc trouver des gens désireux et capables de fournir des services dans ces régions. Parfois, même les champs d'atterrissage sont bloqués.
    Je ne suis pas certain si c'est la raison réelle pour laquelle nous, ainsi que d'autres donataires, ne nous sommes pas rendus dans cette région pour offrir des services. Est-ce simplement à cause de la force de persuasion des très charmants président et vice-président du Sud-Soudan — particulièrement le vice-président — qui a drainé l'argent à Juba ou est-ce à cause d'un stratagème plus malicieux? Je ne sais pas.
    Le savez-vous, vous?
    Soyez bref, et ensuite nous y reviendrons.
    Je crois que c'est simplement parce que le Sud copie le Nord, et que le Nord est fortement centralisé; le Sud a donc appris à gouverner de cette façon. Il répète la même erreur.
    Mon ONG est présente dans deux de ces régions frontalières, le Haut-Nil et Warrap. Nous avons un accès acceptable à ces régions, à la condition de travailler avec toutes les collectivités, ce que nous faisons. Nous recevons pas mal d'aide financière de l'ACDI et de la Commission européenne pour fournir des denrées alimentaires, des services de sécurité et de l'aide. Toutefois, énormément de jeunes déjà déplacés ou qui le seront sont très difficiles à joindre. Voilà le vrai problème dans ces régions frontalières — ces groupes de jeunes hommes armés qui n'ont rien d'autre à faire que de se battre.
    J'étais en route vers l'un de nos sites dans le Haut-Nil il y a environ un mois. J'ai été tiré en dehors de mon véhicule, battu et menacé à la pointe du fusil. Des soldats de l'Armée populaire de libération du Soudan ont cassé mes lunettes parce qu'ils disaient que j'avais éclaboussé leur véhicule sur la route. Lorsqu'on circule sur une route boueuse en pleine tempête de pluie, c'est le genre de chose qui peut arriver. On constate un niveau très élevé d'agressivité chez ces jeunes qui n'ont pas été encadrés ni formés pour devenir une force policière ou qui n'ont rien d'autre pour survivre. Voilà l'un des plus gros problèmes dans ces régions.

  (1625)  

    L'Armée de résistance du Seigneur s'est retranchée dans le sud-est du Soudan. Pendant ce temps, la Banque mondiale, pour de très bonnes raisons, essaie d'établir et de régulariser l'agriculture dans cette région. Presque en vain, parce que les viols et les choses indicibles commises par l'Armée de résistance du Seigneur ont déplacé, depuis janvier, 20 000 personnes. Aujourd'hui encore, des centaines de villages sont en train d'être déplacés. Voilà donc un exemple frappant de la difficulté, parfois, d'aider les régions rurales et de favoriser leur développement.
    Nous devons vous faire intervenir ici. Donc, allez-y. Ensuite nous passerons au prochain intervenant.
    Merci.
    Je pense que Djouba ou le Sud, actuellement, même après la sécession annoncée, se trouvent dans une situation identique à celle du régime Karzaï à Kaboul, dont l'autorité s'arrête aux portes de sa capitale. Actuellement, à l'extérieur de Djouba, compte tenu des différences qui, d'une manière ou d'une autre, se dissimulent dans un accord entre les diverses factions politiques du Sud... À l'extérieur de Djouba, la loi et l'ordre, il ne faudrait pas... y compter, je crois.
    En ce qui concerne Abyei, il y a beaucoup de pourparlers entre le Mouvement populaire de libération du Soudan ou MPLS, le gouvernement et les États-Unis, en vue d'une sorte d'entente dans le Sud. En même temps, le gouvernement ne comptera plus officiellement parmi les pays où l'on se sert d'enfants-soldats — ce qui s'est pratiqué dans ce pays, qui, cependant, aux yeux des États-Unis, reste mêlé au terrorisme et à ce genre de choses.
    À Abyei, le référendum pourrait ne pas avoir lieu, parce qu'il n'y a pas que des Misseriya qui y vivent. Des membres d'autres tribus du Darfour y transitent avec leur bétail. Donc Abyei est une plaque tournante de problèmes, non seulement pour ses habitants, mais aussi pour d'autres tribus présentes.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Dorion.

[Français]

    Merci, monsieur le président. Messieurs, je vous remercie de nous faire part de votre expertise.
    On n'a pas beaucoup parlé du comportement concret des dirigeants du Nord dans le conflit actuel, et plus particulièrement à la veille de la préparation de ce référendum. Tiennent-ils des propos incendiaires ou essaient-ils de convaincre les gens du Sud par des méthodes d'achat des votes? On a fait allusion à cela lorsque l'on a parlé des ONG qui permettent au gouvernement d'acheter, en quelque sorte, l'adhésion de certains villages.
    J'ai aussi une autre question, qui porte sur la façon dont les gens parviennent à devenir électeurs dans ce référendum, qui aura lieu dans le Sud. Je crois avoir compris que même les gens qui vivent dans le Nord, mais qui sont originaires du Sud, peuvent aller au Sud, à condition de faire la preuve qu'ils appartiennent à des tribus du Sud depuis quatre générations. Comment peuvent-ils fournir une telle preuve dans un pays où, j'imagine, il y a très peu de registres d'état civil? Comment cela fonctionne-t-il?
    J'ai posé deux questions. Je les répète, car je ne suis pas certain que la traduction a fonctionné. Que font concrètement les dirigeants du Nord, s'efforcent-ils de gagner l'appui des gens du Sud ou, au contraire, les intimident-ils? Dans un pays où il n'y a pas de registre de l'état civil, comment fait-on pour prouver que l'on appartient à telle ou telle région depuis quatre générations?

  (1630)  

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Pour répondre à la première question sur les Soudanais qui essaient d'intimider ou de convaincre les gens du Sud qui se trouvent dans le Nord, j'aimerais dire quelque chose de très important. L'accord de paix a été conclu par le régime au pouvoir au Soudan et non par le peuple soudanais. Les Soudanais n'ont pas été consultés. Leur position est aujourd'hui ambigüe. Ils n'ont pas voix au chapitre parce qu'ils n'ont pas de liberté d'expression ni rien d'autre. Les principaux partis politiques qui, bien sûr, ont la faveur de la majorité des Soudanais n'ont pas participé aux négociations ni à la signature ni à la mise en oeuvre de l'accord de paix global.
    À moins que le gouvernement ne suscite de problèmes avec les gens du Sud qui se trouvent dans le Nord, les Soudanais du Nord, en général, ne nuiront pas à la tenue d'un référendum dans le Nord. De fait, je doute énormément qu'il y ait un référendum dans le Nord, à Khartoum et ailleurs, parce que la plupart des gens du Sud qui se trouvent dans le Nord, se trouvent à Khartoum. Ce que je comprends, c'est que le mouvement auquel Monsieur a fait allusion était en fait issu du gouvernement du Soudan du Sud, qui voulait ramener ces personnes dans le Sud afin d'augmenter le taux de participation au scrutin et d'atteindre le taux de 60 p. 100 des voteurs inscrits.
    Quant aux Soudanais du Nord, en général je ne crois pas qu'ils entraveront le référendum, parce que, à cet égard, ils ne sont tout simplement pas là.
    J'espère que j'ai bien répondu à cette question.
    En réponse à l'autre question, sur les gens du Sud qui se trouvent dans le Nord, je dois préciser qu'ils sont un demi-million à un million et que, probablement, le Sud ne dit rien à 70 p. 100 d'entre eux. Une proportion notable de personnes de 40 à 50 ans qui vivent dans le Nord y sont nées. Leurs rapports avec le Sud sont nuls. Du point de vue culturel et même linguistique, elles se sont arabisées d'une manière ou d'une autre, bien qu'elles pratiquent une religion différente. D'après moi, le gouvernement du Sud les incite à revenir, mais on craint que, par l'intimidation, le gouvernement du Nord, au cas où un référendum se tiendrait dans le Nord, les amène à ne pas participer à la consultation.
    D'après moi, ayant vécu avec ces gens et les connaissant, ils sont nombreux à avoir coupé les liens avec le Sud. Ils n'y ont ni père ni mère ni maison ni aucun endroit où aller. C'est la raison pour laquelle, peut-être, Monsieur a dit qu'ils pouvaient se trouver pris dans la région frontalière, parce qu'ils ne possèdent aucune terre.
    Voilà ma courte réponse à la question. Je ne sais pas si j'ai été suffisamment clair.

  (1635)  

[Français]

    Comment ces gens font-ils pour démontrer qu'ils appartiennent depuis quatre générations à une tribu du Sud? Comment s'attend-on à ce qu'ils fassent une telle démonstration?

[Traduction]

    Je suis désolé. Pouvez-vous répéter la question?

[Français]

    Comment peut-on s'attendre à ce que ces personnes fassent la démonstration qu'ils appartiennent depuis quatre générations à une tribu du Sud, alors qu'il n'y a pas d'état civil — j'imagine —, qu'il n'y a pas de documents d'archives, etc.? De quelle façon établit-on cette preuve?

[Traduction]

    Absolument, c'est un problème majeur.
    En effet, il importe de savoir que sur deux personnes qui se trouvent dans le Sud, l'une d'elle, très probablement, est ougandaise. Mais elle pourrait passer pour un Nuer, un Dinka ou un Shilluk, etc. C'est donc un problème grave, en fait, parce qu'il n'existe aucune façon d'identifier avec exactitude les habitants du sud, particulièrement à la frontière des pays comme le Soudan, l'Ouganda, le Kenya et le Congo. Ces frontières ne sont pas surveillées. On y circule à peu près sans entrave, dans les deux sens. Cette circulation est également un problème.
    Je suis donc d'accord avec vous que l'on aura un problème avec ces gens, à moins que le gouvernement du Sud ne convienne, uniquement pour des motifs politiques, que ces personnes sont des habitants du Sud.
    Monsieur Simmons, pouvez-vous répondre rapidement à la question?
    Oui, j'ai un bref commentaire à faire sur la question des registres de l'état civil.
    Pardonnez-moi de répondre dans ma langue.

[Français]

    J'aurais dû répondre en français, mais c'est plus facile en anglais.

[Traduction]

    Normalement, la vérification de l'origine de l'individu ou du ménage relève des chefs de la communauté.
    Politiquement, le gouvernement du Nord souhaite inscrire autant de personnes que possible dans cette région, ce qui faussera le taux de participation visé de 60 p. 100 et, par voie de conséquence, la majorité des votes exprimés. Dans le Nord, donc, on incite les gens à demander leur citoyenneté dans le Sud, pour y avoir le droit de vote, ce qui augmentera le nombre de voteurs inscrits et réduira, en conséquence, le pourcentage de ceux qui pourraient être plus susceptibles de voter pour l'indépendance.
    Est—ce que cela semble logique?

[Français]

    Ai-je encore un peu de temps?

[Traduction]

    Madame Deschamps, une petite question.
    Non, monsieur Abunafeesa d'abord.
    Je serai bref.
    Soyons honnêtes, le gouvernement du Soudan ne tient pas vraiment à l'unité. Je le dis sans ambages. La séparation du Sud ne l'inquiète pas; c'est pourquoi il s'est abstenu de harceler les gens pour qu'ils votent pour l'unité ou quelque chose du genre.
    D'accord.
    Madame Deschamps.

[Français]

    Je vous remercie. J'aimerais parler de deux petites choses, très rapidement, si le temps dont on dispose me permet d'y revenir plus tard.
    Juste à la fin de votre exposé, monsieur Dean, vous avez mentionné une chose qui m'agace un peu. Cela porte sur les ONG qui sont présentes sur le territoire et qui travaillent dans le domaine de la propriété foncière.
    Pouvez-vous me dire en quoi consiste leur travail? Bien entendu, je fais référence à votre inquiétude par rapport au fait qu'elles respectent l'esprit de la loi. À cet égard, on devrait peut-être s'interroger.
    Je fais un lien aussi avec ce que vous avez dit, monsieur Simmons. Vous dites que de plus en plus d'habitants du Sud, qui étaient dans le Nord, reviennent dans le Nord. Si le fait que, dans le Sud du pays, on vend beaucoup à des investisseurs étrangers, des milliers et des milliers d'hectares, où vont aller ces gens? Pour l'instant ce sont mes questions.

  (1640)  

[Traduction]

    Eh bien, grâce aux donateurs étrangers et aux ONG, il existe un droit foncier dans le Sud du Soudan. Une organisation, appelée Pact a travaillé, peut-être pas à corriger les infractions, mais certainement à observer le degré de respect de l'esprit de la loi en matière de régime foncier. Dans le Sud, la situation est plus reluisante que dans le Nord. Si j'ai bien compris, on autorise souvent les peuples indigènes à rester sur leurs terres après l'arrivée des sociétés d'agrinégoce, mais ils perdent leurs principales richesses naturelles, c'est-à-dire leurs terrains boisés, leurs plaines et leurs communes pastorales.
    À la différence du Nord, le gouvernement du Soudan du Sud, est en mesure de promulguer ses propres lois agraires et il ne s'en est pas privé, dans une certaine mesure, en vertu de l'Accord de paix global. Mais j'entends dire par mes amis et je lis dans les rapports d'organisations telles que Pact, qui est un ONG partiellement financé par l'ACDI — et c'est unanime — que personne ne connaît l'identité des sociétés d'agrinégoce qui viennent d'acheter toutes ces terres. Toutes les personnes interrogées répondent différemment. Il y a donc une opacité complète dans le Sud comme dans le Nord. On soupçonne donc que le ministre de l'Agriculture s'enrichit et que, délibérément, quelqu'un ignore l'esprit, au moins, du droit foncier qui est de respecter le mode de vie traditionnel des peuples indigènes.
    C'est une question de gros sous. Et comme je l'ai dit, cela pose un dilemme, parce que l'agrinégoce sera productif. D'autre part, cela représente en grande partie de l'argent destiné à sortir du pays. Les petites gens devraient en profiter, mais pas nécessairement. Or, la famine et la pénurie de nourriture règnent sur une vaste échelle et coexistent avec de grandes entreprises de l'agroalimentaire qui envoient l'argent vers des pays en grande partie désertiques, en Arabie saoudite, etc. Pas seulement ce pays. Les États-Unis aussi, je pense, je le sais, et le Canada probablement. On parle d'énormément d'argent à faire, de risque élevé, dans l'agriculture pratiquée dans l'un des pays les plus fertiles... et certainement le plus étendu d'Afrique. Vous voyez ce que les Égyptiens ont fait dans la vallée du Nil. Les Soudanais n'en ont jamais profité.
    Voilà le dilemme. Devons-nous confier cela à des sous-entrepreneurs étrangers tenus en laisse? Que faire?
    Merci.
    La parole est maintenant à M. Goldring. Je vous en prie.
    Merci, monsieur le président.
    Je ne sais pas vraiment à qui poser la question, mais, M. Abunafeesa, peut-être pouvez-vous m'aider. J'aimerais que vous m'éclairiez sur un point abordé plus tôt.
    D'après mes notes, le référendum ne concerne que 80 p. 100 du tracé de la frontière. On nous a distribué une petite carte qui montrait dans le détail les limites traditionnelles entre le Nord et le Sud, limites établies il y a bon nombre d'années. Peut-être pouvez-vous m'éclairer sur le tracé, fixé ou non, de la frontière, notamment dans la région où l'on trouve du pétrole. Je crois qu'elle recèle de vieux champs de pétrole et des champs neufs, la capacité des vieux pouvant être gravement limitée d'ici peu. Peut-être pouvez-vous m'aider à comprendre si ces champs peuvent constituer des zones frontalières après une victoire référendaire. Tous ces champs ont-ils été bien cartographiés pour prévenir toute discussion ou confusion sur l'éventuel tracé de la frontière?
    Merci.
    La question précise des frontières reste obscure. Elle concerne la région d' Abyei et d'autres frontières. À ce que je sache, on a remis à plus tard la résolution de ce problème. Bien sûr, le tribunal d'arbitrage a une opinion à cet égard. Une commission était censée s'occuper de la démarcation de la frontière, mais elle a été réduite à l'impuissance, faute d'équipement ou de ressources et à cause de l'insécurité.
    D'après ce que j'ai compris, il y aurait, sur la question de la démarcation de la frontière, un accord tacite entre le gouvernement et le Mouvement populaire de libération du Soudan pour remettre à plus tard cette opération et le choix des méthodes. Le référendum à Abyei ne se limite pas à cette ville, mais elle englobe aussi les régions rurales où pourraient se trouver des champs ou des zones pétrolifères, et cetera. On ne s'entend pas, en quelque sorte, sur leurs limites.

  (1645)  

    Est-ce que nous ne devrions pas en avoir un aperçu? S'il la question doit faire l'objet de discussions, il me semble que le problème ne se résume pas simplement à délimiter une frontière et des terrains; il s'agit plutôt d'esquisser l'économie du pays en devenir. C'est sérieux.
    J'ai de la difficulté à comprendre comment on pourrait régler cela ultérieurement. Je serais plutôt d'avis que c'est un problème auquel on devrait réfléchir et qu'on devrait régler maintenant, avant de pénétrer sur le terrain encore plus inconnu des conséquences éventuelles.
    Absolument. Outre l'aspect économique touchant ces régions, j'entends parler d'intrigues politiques entre le gouvernement et le Mouvement populaire de libération du Soudan, et je sais qu'il y en a concernant les concessions à faire, notamment à l'égard du gouvernement et des États-Unis. Les États-Unis servent d'intermédiaire entre les deux partenaires, si vous voulez.
    La question de l'importance économique de cette région et de la démarcation des frontières reste probablement soumise aux manoeuvres politiques, si vous voulez. C'est ce que je comprends, à la lumière de ce qui se passe dans la région.
    Il me semble que c'est indissociable d'un certain type de discussions préliminaires sur la répartition de la dette nationale.
    Il y a une autre question que l'on a effleurée. Beaucoup d'aide est injectée dans la région et dans le pays. Quel est le lien avec l'approvisionnement alimentaire et les pénuries de nourriture? Existe-t-il de telles pénuries? Y a-t-il des restrictions alimentaires dans diverses parties du pays? Est-ce une réalité maintenant?
    Si oui, les vastes terres qui, semble-t-il, ont été attribuées à des entrepreneurs étrangers pour les besoins de l'exportation également ajoutent au problème. Est-ce que cela ne sera pas une source de difficultés? Manifestement, si les terres sont disponibles pour un produit alimentaire, les campagnards auraient tendance à penser qu'étant citoyens du pays, on devrait les nourrir en premier lieu.
    Est-ce que ces contrats qui visent de vastes terres et qui sont, dans vos termes, des contrats politiques, constitueraient un contentieux grave avec un gouvernement futur, qui pourrait même chercher à annuler leurs effets grâce à une forme de nationalisation des terres et de l'approvisionnement alimentaire des habitants? Est-ce que cela pourrait être un problème dans l'avenir?
    En fait, cela représente peu de chose. En ce qui concerne la pénurie de nourriture, des Soudanais en souffrent, et des terres sont vendues pour des raisons économiques pour le gouvernement. Dans le Nord, également, la vie est très difficile, malgré le fait que le pays soit agricole. À Khartoum, les terres sont plus chères qu'à New York. Pour acheter un terrain pour la construction d'une maison à Khartoum, il faut dépenser davantage qu'à New York. Non, je n'exagère pas. Vous pouvez vous informer. Voilà le premier facteur.
    Ensuite, le gouvernement a vendu d'immenses terres à des étrangers dans des régions agricoles, dans la région du Golfe, plus précisément. Classées comme agricoles, ces terres sont devenues une réserve pour la production de pétrole et d'autres biens d'exportation. On trouve maintenant au Soudan six sucreries, mais ce sucre est plus cher que le sucre importé. Le sucre importé y est moins cher que le sucre produit localement, qui, de bonne qualité, est exporté. On importe du sucre de qualité inférieure et, même s'il est importé, il est moins cher.
    Dans les régions pauvres, comme le Sud, il existe assurément un problème local de pénurie et d'autres problèmes alimentaires.

  (1650)  

    Merci.
    Veuillez répondre très brièvement. Ensuite, nous reviendrons de ce côté pour les questions.
    D'accord.
    J'ai quelque chose à ajouter aux propos de M. Elsadig, particulièrement en ce qui concerne le Kordofan méridional et l'Est du Soudan.
    Dans le Kordofan méridional, un sondage récent que nous avons fait dans 1 000 villages nous a révélé qu'environ un tiers d'entre eux n'avaient pas suffisamment de nourriture pour un repas par jour. Dans l'Est, la moitié des villages est dans cette situation. Donc, dans ces régions, l'insécurité alimentaire est grande.
    Comme, dans le Kordofan méridional, aucun cours d'eau n'est permanent, on dépend beaucoup des pluies saisonnières, ce qui rend problématique la sécurité alimentaire.
    Le Soudan connaît une longue période de faim, habituellement à partir de janvier. Cela dépend des pluies. L'année prochaine, leur saison arrivera un peu plus tard, peut-être en février ou mars, et elle durera jusqu'en juillet, quand rien ne croît vraiment. Il est très difficile de nourrir les gens, notamment au cours de cette période.
    C'est un facteur qui a son importance, à la lumière du référendum et de ce qui surviendra ensuite.
    Merci, monsieur Goldring.
    Nous allons revenir à M. Dewar. Vous disposez de sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à nos invités, particulièrement à M. Simmons, qui a travaillé fort pour se joindre à nous aujourd'hui. Je suis heureux de vous voir.
    J'ai appris aujourd'hui que le représentant du Sud-Soudan avait démissionné de la commission pour le référendum. Il demandait essentiellement que le référendum soit reporté. Nous avons discuté du processus d'Abyei, qui a dérapé avant même de commencer en ce qui a trait aux délais. La Maison-Blanche a d'ailleurs tenté d'accélérer les choses de ce côté.
    La plupart des gens présument néanmoins que le référendum aura bel et bien lieu. Il est inquiétant de voir que le commissaire a donné sa démission. C'était hier, je crois. Si le référendum n'a pas lieu à cause d'un manque de préparation ou parce que certains tentent de l'empêcher, j'ai peur qu'un nouveau conflit éclate, honnêtement.
    Je vais m'adresser d'abord à M. Simmons. Que pensez-vous du référendum en tant que tel? Croyez-vous que le Canada peut intervenir ou est-ce préférable de leur laisser cela entre les mains? Compte tenu de la démission d'hier, comment percevez-vous ce qui se passe avec le référendum?
    Ce que je comprends, c'est qu'on ne tolère pas ceux qui sont prêts à faire valoir leur opinion. Tout de suite après l'annonce de cette démission hier matin, le gouvernement du Sud-Soudan a adopté une loi détaillant les dates de la période d'inscription et de la période référendaire, et ce sont des prévisions extrêmement optimistes.
    Dans le Sud, on compte entre 8 et 16 millions d'habitants. C'est déjà problématique; j'estime que la population est de quelque 10,5 à 12 millions d'habitants. Le Soudan s'étend sur une superficie équivalente aux territoires du Québec et de l'Ontario réunis. Le Sud-Soudan, l'équivalent de l'Ontario en fait de superficie, possède probablement une centaine de kilomètres de routes pavées. Comment peut-on s'attendre à faire l'inscription des électeurs là-bas, de même qu'au Canada, en Éthiopie, aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Nord-Soudan, en six jours seulement? Même si la période d'inscription a maintenant été prolongée à 17 jours, est-ce bien réaliste de penser tenir un référendum en 6 jours, du 9 au 15 janvier?
    Mes collègues en ont parlé un peu plus tôt, mais ce qui pose notamment problème selon moi, c'est que le Parti du congrès national, dans le Nord, et le SPLM en font très peu pour réellement représenter la population. Le SPLM n'a à ce jour pris aucune mesure pour éduquer les électeurs, informer le public ou gérer les attentes.
    Quand on pose la question aux gens dans la rue, on comprend que pour eux le 10 janvier 2011 représente la fin de l'occupation arabe. La population a des attentes énormes et espère un changement radical, sans pour autant être capable d'expliquer ce que cela changerait concrètement. Parce qu'il n'y a eu aucune gestion des attentes, et parce que le SPLM reconnaît qu'il aura davantage de comptes à rendre à la population s'il devient indépendant du Nord — ils n'auront plus cet ennemi commun pour les unir de cette façon —, il aura plus de responsabilités envers les citoyens, particulièrement aux frontières du pays. Ce n'est qu'en obligeant la tenue du référendum à la date prévue qu'il peut y arriver.

  (1655)  

    Pour ce qui est d'Abyei, et vous en avez glissé un mot, ce que je comprends vu d'ici, c'est qu'on est en négociation pour faire lever les sanctions imposées par les États-Unis, pour que le Sud garantisse un partage des revenus et pour qu'on donne accès aux pâturages aux tribus nomades; je pense qu'il s'agit de la tribu des Misseriya. J'imagine qu'il ne reste qu'elle.
    Si cela fonctionne, tant mieux, ce sera une entente négociée. Je lève mon chapeau à Mbeki pour avoir entrepris cette tâche, mais je ne suis pas certain que c'est ce que je voudrais. Encore une fois, si on parvient à une telle entente, est-ce que le Canada peut faire quelque chose, ou doit-on laisser...? Ce que je viens de décrire semble être une option envisagée, mais est-ce bien réaliste?
    Je dois dire que nous aimerions que le Canada soit un peu plus présent que son voisin du Sud, ou que son voisin du Sud le soit un peu moins parfois, parce que son intervention n'est pas toujours très utile. Je serais porté à croire que le Canada, vu son histoire et sa situation particulière, a beaucoup à offrir au peuple soudanais. Je crois qu'on peut beaucoup apprendre de la façon dont d'autres États fonctionnent en fédération et en confédération, mais peut-être qu'il est déjà trop tard pour cela.
    Pour ce qui est d'Abyei, il faudra voir à quel point le peuple Misseriya pourrait se sentir trahi par le gouvernement. Des groupes de Misseriya se sont joints au Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM), par exemple, pour lutter contre les Riziegat, qui sont davantage pro-gouvernement, alors il y a beaucoup de tension là-bas. Il n'est pas évident que les Misseriya auront vraiment le sentiment que le gouvernement du Nord pourra les représenter adéquatement.
    Quant au rôle du Canada, il est difficile de déterminer quelle est la meilleure façon d'encourager les gens à prendre les bonnes décisions. Aucune de ces mesures n'est vraiment difficile à appliquer si la volonté politique y est.
    Oui, et je crois que nous avons déjà attesté notre présence en ce qui a trait aux négociations nord-sud. Il est vrai que l'APG bénéficie d'un peu moins d'attention ces derniers temps, mais le Canada a son rôle à jouer à cet égard.
    Nous aimerions en fait avoir des recommandations précises. Nous ne vous demandons pas de nous les donner aujourd'hui. Prenez le temps d'y penser, puis faites-les parvenir au comité, s'il vous plaît. Nous allons présenter un rapport et des recommandations au gouvernement, alors je vous prie de garder cela en tête.
    Je crois que M. Dean veut parler, alors je vais lui céder la parole.

  (1700)  

    Il est en quelque sorte question d'un rôle spécifique pour le Canada, indépendant des États-Unis.
    J'ai été surpris de vous entendre parler du rôle des États-Unis. Les États-Unis ont joué un rôle clé dans l'établissement de l'APG, et vous avez dit que ce n'était pas une bonne chose, qu'il aurait fallu privilégier une approche multilatérale. Vous avez laissé entendre que ce n'était pas nécessairement dans l'intérêt de l'Afrique qu'un important pays africain se sépare. Nous avons d'ailleurs entendu Mbeki dire qu'il souhaitait l'unité de son pays, car la plupart des pays d'Afrique — pas tous, mais la plupart — ne veulent pas établir un tel précédent.
    Dites-vous que l'intervention des États-Unis a été contre-productive, eux qui ont encouragé activement la séparation? La sous-question à poser ici, c'est de savoir si vous croyez que l'indépendance du Sud va s'avérer dysfonctionnelle.
    Il pose la question à votre place.
    Est-ce que ce sera dysfonctionnel...?
    Voilà que ce sont nos témoins qui posent les questions maintenant.
    Est-ce que la séparation du Sud et du Nord sera dysfonctionnelle à long terme pour le Soudan, et particulièrement pour le Sud? Mais aussi, est-ce que cela pourrait nuire à l'ensemble de l'Afrique? Est-ce que les États-Unis se sont trompés en encourageant à la séparation? Si c'est le cas, est-ce que le Canada devrait s'en mêler et appuyer l'unité?
    Merci. C'est une question importante.
    Tout d'abord, dans l'esprit de la plupart des Soudanais, les politiques internationales des États-Unis engendrent souvent, ou assez souvent, le chaos. Mon travail aux Nations Unies et sur le terrain m'a permis de voir que certaines des politiques des États-Unis, même si l'intention était bonne, ont été mal appliquées et mal exécutées. Pour ce qui est de l'APG en tant que tel, si vous le lisez attentivement, vous constaterez que la sécession a été conclue en ce jour de 2005.
    Quand nos frères du Sud ont signé l'APG, ils se préparaient déjà à faire la sécession. L'hymne national du Sud est prêt et on le connaît. Personne ne peut aller dans le Sud et prétendre qu'on appuie l'unité là-bas. La population du Nord le sait, et le gouvernement le sait. À mon avis, les États-Unis visaient la sécession. Cela me paraissait évident d'après les différentes manoeuvres, l'APG, etc.
    Bien sûr, la population du Sud a droit de sécession. Mais si la sécession est planifiée dans un forum international de façon à… Si on avait fait preuve de transparence, si les choses avaient été menées sous l'égide d'une administration nationale quelconque, cela pourrait être toléré. Je pense cependant que la façon dont les États-Unis ont participé à l'élaboration et à la mise en oeuvre de l'APG, même si le gouvernement du Nord a effectivement très mal géré les politiques de mise en oeuvre...
    Je me dois d'ajouter ceci. J'ai été très surpris d'apprendre que le Canada avait perdu le siège qu'il convoitait au Conseil de sécurité. C'est un désastre, car en tant que membre des Nations Unies à part entière, je connais très bien le rôle que s'est donné le Canada. Le Canada est un pays qui préconise le rétablissement de la paix, le maintien de la paix, le développement économique et le respect des droits de la personne, et il n'y a aucune raison pour que le Canada perde ce siège maintenant, sinon que des choses ont mal tourné dans ce dossier.
    J'estime donc qu'il est trop tard maintenant pour intervenir. Laissez aller les choses, parce que le Sud va faire l'indépendance. Il faut lâcher prise. Le Canada pourra plus tard jouer un rôle pour faciliter les relations entre les deux États. Je crois qu'il sera très important que quelque chose soit fait à ce niveau.

  (1705)  

    J'ai une question à poser rapidement à la Mission des Nations Unies au Soudan.
    Ce qui est préoccupant, c'est que le Nord s'y oppose. Le Sud réclame la protection de la frontière. Y a-t-il une solution? Je cherche une réponse brève. Le Sud s'est dit prêt à accueillir plus de Casques bleus. Mais le Nord ne veut pas. Y a-t-il un moyen de résoudre cette impasse?
    Je vous prie de répondre brièvement à la question.
    Je pense qu'il faudrait que la communauté internationale exerce des pressions en ce sens. Le gouvernement soudanais est faible, en passant; il n'est pas très fort. Je le connais très bien, et c'est un gouvernement faible. Je pense qu'il doit y avoir des pressions de la part de la communauté internationale, particulièrement si les Nations Unies vont aux premières lignes en ce qui concerne le maintien de la paix. C'est leur rôle. Il faut que ce soit présenté par les Nations Unies, pas par les États-Unis. Je crois que le Canada peut contribuer à mettre les Nations Unies à l'avant-plan, et le gouvernement du Soudan ne serait peut-être pas en position à ce moment-là de rejeter la proposition. Selon la charte, les Nations Unies sont davantage appelées à intervenir de façon directe lorsque une situation risque de menacer la paix dans ce secteur.
    Ce serait donc votre recommandation. Très bien.
    Ce serait ma recommandation, oui.
    Merci, j'en prends bonne note.
    Merci.
    Monsieur Van Kesteren.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Dean, ma collègue qui vient de partir m'a demandé de vous dire qu'elle aussi est économiste et musicienne, vous avez donc beaucoup de choses en commun.
    J'ai quelques questions à vous poser, mais j'hésite à me lancer dans l'arène. Vous avez eu une discussion intéressante tous les deux, et je partage votre point de vue. Je suis toutefois un peu réticent à en parler. Je me contenterai peut-être simplement de dire qu'on a beau critiquer les États-Unis, ce qui a comblé le vide n'est pas mieux, et même, si on pense aux implications futures, bien pire. J'en tremble quand je pense à ce qui se passe aux champs de pétrole, à la façon dont on les exploite, et à comment et à qui on vend les terres.
    Quant à savoir pourquoi nous devrions intervenir, je ne vois pas autre chose que des raisons humanitaires. On en vient par contre à se demander, comme pays, s'il y a vraiment une solution. J'espère sincèrement qu'il y en a une, mais la situation nous apparaît de plus en plus comme un véritable bourbier.
    Cela dit, j'ai quelques questions à vous poser. Peut-être que l'un d'entre vous voudra formuler des commentaires à ce sujet. J'ai cru qu'il fallait que je me vide le coeur, parce qu'honnêtement, plus j'en entends parler, plus je suis découragé.
    Monsieur Dean, comment établit-on la valeur de la monnaie? J'imagine que c'est le commerce mondial qui décide de sa valeur. Et voici les questions de ma collègue: Est-ce que les deux gouvernements sont prêts à partager la dette? Réclament-ils un allégement de la dette? Quelles mesures le gouvernement entend-il mettre en oeuvre en vue de la gouvernance? J'imagine qu'elle voulait parler du gouvernement du Sud-Soudan.
    Donc, premièrement, comment établit-on la valeur de la monnaie?
    Nous avons conçu un modèle pour établir la valeur de la monnaie, mais il ne pourra pas être mis en oeuvre légalement avant mai 2011. La Banque du Sud-Soudan semble préconiser l'idée qu'il faut imprimer et faire circuler la monnaie immédiatement, car il règne une peur paranoïaque selon laquelle le Sud va cesser d'accepter l'ancienne monnaie, ou pire encore, qu'il va remettre en circulation l'ancien dinar soudanais, la monnaie employée jusqu'en 2007. Des rumeurs courent que l'ancienne monnaie n'a jamais été incinérée, et qu'elle est plutôt conservée dans des voûtes à Khartoum. Je crois que c'est un peu tiré par les cheveux, mais il est fort possible qu'on n'accepte plus de paiements du Sud en livres soudanaises.
    Pour établir une nouvelle unité monétaire convertible en devises étrangères, les gens doivent croire qu'elle peut être convertie sur demande en devises étrangères, c'est-à-dire, dans les faits, en dollars américains. Quand je suis arrivé au Soudan, la Banque du Sud-Soudan avait des dépôts effectués dans des banques étrangères, surtout au Kenya, de l'ordre de 500 millions. La banque a maintenant 400 millions, parce qu'on a découvert au début juillet que le Nord avait commencé à nous payer pour le pétrole du Sud. Khartoum versait à la Banque du Sud-Soudan 100 millions d'euros par mois, mais en juillet, nous avons plutôt reçu pour 100 millions d'euros en devise faible, soit la livre soudanaise, qui n'est pas acceptée à l'étranger. Nous avons essentiellement perdu 100 millions avant que cela ne soit réglé.
    Quoi qu'il en soit, la question de la monnaie est loin d'être réglée.
    Quelle était la deuxième question?

  (1710)  

    Est-ce qu'on est prêts à partager la dette?
    Oui. La dette a été contractée par Khartoum, et depuis 30 ans, très peu de versements ont été faits pour la rembourser. Avec les intérêts qui se sont accumulés, c'est donc une somme faramineuse que doit le Soudan. C'est l'un des rares pays dans le monde à avoir une dette en souffrance depuis aussi longtemps envers le FMI.
    Mais le Soudan a aussi contracté deux autres dettes de nature différente dernièrement. La première est envers la Chine, qui a foré des puits et construit des pipelines, et des paiements sont versés régulièrement pour rembourser cette dette; sinon, les Chinois arrêteront de travailler. Le Soudan verse assidûment des paiements à la Chine et au Moyen-Orient, notamment à l'Arabie saoudite. Il accuse toutefois des retards importants pour le reste.
    Honnêtement, je suis tout à fait pour l'allégement de la dette, même pour les gouvernements malveillants comme celui de Khartoum. J'imagine qu'une des mesures d'incitation prises par la Maison-Blanche en ce moment est de dire qu'elle va donner son appui dans le cadre du Club de Paris et d'autres négociations pour faire alléger la dette. Ce serait mal indiqué de s'attendre à ce que le Sud contribue à rembourser cette dette.
    Alors vous vous attendez à ce que les États-Unis effacent peut-être la dette.
    Je pense que les États-Unis vont vouloir user de leur influence pour effacer cette dette, s'il s'agit d'une dette bilatérale du Club de Paris et que Khartoum est prêt à coopérer. Il a laissé entendre que les États-Unis ne pourraient pas... même s'ils ont parfois manqué leur coup, n'importe quel pays aurait pu faire la même chose. Je ne suis pas aussi convaincu que M. Abunafeesa que les États-Unis ont fait dérailler les choses.
    Est-ce qu'on prend des mesures pour se préparer à la gouvernance?
    Oui, absolument. J'ai participé à un projet financé par Deloitte et USAID, appelé « Structures institutionnelles fondamentales au Sud-Soudan ». Nous avons principalement axé nos efforts sur la prestation de conseils. Nous n'étions que trois représentants de la Banque du Sud-Soudan, mais beaucoup d'intervenants des autres ministères y étaient aussi, notamment du ministère des finances. Je crois donc que les États-Unis ont compris, avec raison, qu'il était important d'établir cette capacité institutionnelle. Une équipe a même travaillé avec le président et le vice-président pour les aider à communiquer efficacement à la télévision.
    C'est tout le temps que nous avons. La parole est maintenant à M. Pearson, qui sera suivi de M. Lunney.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Simmons, je crois que vous êtes très bien placé pour répondre à quelques-unes de mes questions.
    Il est frustrant pour moi de voir qu'on soit aussi fasciné par l'aspect géopolitique de la région et par ce qui va se passer. Tout cela est très important; je suis conscient que le Canada pourrait avoir son rôle à jouer dans cette situation.
    Je sais que durant les années où le conflit faisait rage, pendant les temps très difficiles, si l'APG a fonctionné (et j'ai pris part aux trois tours de négociations), c'est entre autres parce que la société civile avait déjà commencé à travailler, même si les belligérants du Nord et du Sud n'étaient pas encore rendus là. Des accords de paix régionaux ont été conclus dans les différentes régions frontalières. Des marchés ont été établis par des collaborations arabes et dinka, ou arabes et nuer, ou encore dinka et nuer, car c'était avantageux pour les deux parties.
    Des témoins ont dit au comité que des groupes de femmes du Nord-Soudan étaient en contact avec des femmes du Sud-Soudan, et qu'elles tentaient de rétablir la paix. Je sais que Mme Deschamps s'intéresse beaucoup à cette initiative. Ces femmes se sentent maintenant isolées. Plus la date du référendum approche, et le Soudan votera probablement en faveur de la sécession, plus ces gens se sentent seuls.
    Voici donc ma question. L'ACDI et le ministère des Affaires étrangères, par exemple, finissent par investir dans des endroits comme Juba, alors que ces régions ont déjà trouvé un terrain d'entente malgré leurs différences. Est-ce sage, pour un pays comme le nôtre, d'essayer d'investir des deux côtés de la frontière dans ces régions, en trouvant des groupes comme le vôtre qui travaillent dans les régions du Nil et ailleurs, plutôt que de concentrer nos efforts sur Juba? Ne devrions-nous pas faire preuve de plus de créativité en finançant des groupes qui ont d'abord investi leurs propres ressources pour rétablir la paix, bien avant que les deux principaux joueurs ne le fassent? Ne pourrions-nous pas financer ces groupes (des ONG comme le vôtre, et d'autres) plus que nous ne le faisons actuellement, pour aider à atteindre certains objectifs, notamment en ce qui a trait aux groupes de femmes?

  (1715)  

    Merci beaucoup.
    Absolument, je suis d'accord avec vous. Notre plus grande priorité est probablement l'intégration continue des collectivités frontalières, et le Canada peut contribuer à ces efforts. Les plus grandes éruptions de violence auront lieu le long de la frontière, entre autres parce qu'il n'y a pas de démarcation, mais aussi à cause du pétrole et des intérêts politiques. Mais c'est le rôle que l'on peut se donner, c'est-à-dire de veiller à ce que ces collectivités travaillent ensemble.
    Ce n'est qu'en négociant avec les dirigeants locaux de ces collectivités que les tribus arabes chassées du Haut-Nil pourront quitter le nord pour revenir s'installer dans la région. Très peu d'efforts et d'argent sont investis au niveau des dirigeants locaux; ce sont pourtant eux qui ont le pouvoir de résoudre les choses sur le terrain. Les élites politiques de Khartoum et de Juba ne sont pas assez près du peuple pour être capables de négocier à ce niveau en son nom. C'est exactement la même chose qui s'est produite au Darfour. Plus on facilite la médiation village à village et les échanges commerciaux, bref quelque chose qui leur donne une raison de ne pas s'entre-tuer, plus la situation s'améliore. À mon avis, c'est vraiment à ce niveau que nous pouvons changer les choses.
    Quelqu'un d'autre aimerait formuler des commentaires à ce sujet?
    Puis-je dire quelque chose au sujet de l'intervention des Américains? J'aimerais apporter quelques précisions, très rapidement.
    Allez-y.
    L'intervention du sénateur Danforth s'est avérée très utile au début. Je pense que tout a commencé avec le Machakos en 2003. Il n'y a pas eu de gestion des attentes. Dès qu'on a convenu que le Sud-Soudan avait le droit de décider de sa propre destinée, on a marqué le début de l'indépendance.
    Le sénateur Danforth et le président Carter ont joué un rôle très important au fil des ans, selon moi. Je pense que la difficulté réside dans la situation des « enfants perdus ». Ces gens ont un pouvoir de persuasion... En fait, le terme est peut-être trop fort, mais il est facile d'avoir de la sympathie pour eux, peu importe les origines qui nous interpellent ou la catégorie qu'on peut de façon simpliste leur attribuer, qu'on parle des marginalisés, des Noirs ou des chrétiens. On touche des cordes sensibles. Les attentes n'ont donc pas du tout été gérées dans le Sud pour cette raison.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Lunney.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Désolé de mon retard, mais je n'ai malheureusement pas pu faire autrement.
    Je regrette d'avoir manqué la première partie de votre présentation, et j'espère que ma question ne sera pas redondante.
    Même si je me suis joint à la discussion un peu tard, je reconnais l'expertise des gens à cette table, et je crois que vous avez brossé un tableau très intéressant de la situation, qui peut paraître plutôt embêtante pour nous qui tentons de nous faire une idée des réalités de la vie au Soudan.
    Je me demande comment ce référendum peut avoir lieu si nous ne savons pas combien de personnes sont en cause, si l'inscription n'est pas terminée et que rien n'a été fait pour informer la population. On a très bien résumé les défis que cela représente il y a quelques minutes.
    Je crois que vous vous entendez pour dire que le Sud va inévitablement voter pour l'indépendance; les attentes sont hautes, et on croit que peu importe l'issue du référendum... Ce qui me préoccupe, c'est que si on ne peut pas donner de légitimité au processus référendaire, comment pourra-t-on éviter l'éclatement d'un nouveau conflit si les résultats du référendum, un processus douteux dans ce cas-ci, ne sont pas acceptés?
    On semble proposer que le Canada aura un rôle à jouer auprès des deux parties après le référendum, peu importe ce qui se passera, pour les aider à gérer les réalités auxquelles sont confrontés deux États voisins. Le Canada pourrait agir comme un mentor pour faciliter l'établissement des relations entre les deux États et renforcer leurs capacités, pour les aider à vivre en harmonie.
    Est-ce que cela résume bien les attentes que vous avez? C'est-à-dire que vu les problèmes insurmontables qui entourent la tenue d'un référendum légitime, le processus pourrait donner naissance à une toute nouvelle réalité, et nous devons voir au-delà de cela pour déterminer quelles devraient être les prochaines étapes?

  (1720)  

    C'est en effet ce que je crois.
    Je crois qu'il faut accepter que l'indépendance est en quelque sorte inévitable. De toute façon, le Sud a déjà son indépendance d'une certaine façon, alors dans les faits, les choses ne changeront pas beaucoup, sauf dans l'esprit des gens. C'est beaucoup une question de sentiment.
    Quand nous avons demandé aux personnes originaires du Sud si elles souhaitaient quitter le Nord pour retourner dans leur région d'origine, 86 p. 100 nous ont répondu que c'est évidemment ce qu'elles voudraient (et cela représente 22 500 personnes et familles), mais seulement 15 p. 100 d'entre elles nous ont dit qu'elles en avaient les moyens. Il y a toujours ce genre de réactions émotives, mais la réalité finit parfois par nous rattraper. Les émotions sont à fleur de peau à l'aube de ce référendum. On entend beaucoup de messages contradictoires, on envoie toutes sortes de signaux.
    Quand l'indépendance sera officielle, je crois que tant que le Nord pourra accéder aux champs de pétrole et que le Sud considérera en tirer un juste prix, et si des dispositions sont prises en matière de citoyenneté et de nationalité, les deux États vont probablement trouver le moyen de s'entendre. Mais pour le moment, il n'est pas encore clair comment les deux vont cohabiter après le référendum, et vous avez raison à ce sujet, c'est là-dessus que les efforts devront se concentrer.
    Quelqu'un d'autre veut intervenir?
    Oui, merci.
    Le Canada aura effectivement un rôle à jouer, mais après la déclaration de l'indépendance.
    En passant, beaucoup de Soudanais du Sud ont fait leurs études au Soudan, et ils se comptent par milliers. Ils parlent en effet très bien la langue arabe. À les voir et à les entendre, on pourrait croire qu'ils viennent du Nord, parce qu'ils comprennent bien la culture; il y a des liens entre ces personnes et celles qui ont grandi et fait leurs études dans le Nord. Elles ont beaucoup en commun de par leur expérience, et la guerre n'y a rien changé.
    Pour ce qui est des relations futures entre les deux États, il est possible d'intervenir positivement, non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan du développement. Il importe surtout de veiller à la stabilité du Sud avant de voir à celle du Nord. On dénote certaines tensions dans le Sud, quoiqu'on semble avoir trouvé un terrain d'entente à la conférence de Juba. Lam Akol, à la tête du conflit avec Salva Kiir, s'est présenté à la conférence, et on a émis un communiqué disant que les deux hommes en sont venus à un consensus à l'égard du gouvernement, entre autres.
    Il faut donc consolider les assises du Sud, au niveau local, en raison des conflits tribaux et de la rivalité entre les trois principales tribus: les Dinka, les Nuer et les Shilluk. Elles ont toutes leurs propres aspirations. Même les tribus minoritaires craignent la domination des Dinka. La tribu des Dinka et la plus riche et la plus nombreuse. Ce sont aussi des guerriers. Les tribus minoritaires du Sud craignent donc cette domination. Des pays dignes de confiance ont ainsi un certain rôle à jouer pour rétablir la paix et faciliter le développement.
    La démocratie est importante dans la partie nord du Soudan. Si un pays ou la communauté internationale intervient pour installer la démocratie dans les deux États, et assurer la paix et la stabilité, je crois que l'on peut entrevoir positivement l'avenir des deux États, car les ressources nécessaires sont là. Ce qui fait défaut, en fait ce que l'on craint, c'est l'instabilité entre les deux.
    Vu les liens qui unissent le Nord et le Sud depuis des centaines d'années, mis à part les mauvais traitements, des événements qui seront consignés dans les dossiers historiques, il pourrait aussi être bénéfique d'accorder une double citoyenneté à la population des deux pays. C'est une chose que l'on pourrait envisager si tout se passe bien.
    Je pense qu'il y a une façon de faire les choses. Le Canada pourrait très bien intervenir dans les discussions, mais il doit pour cela envoyer les personnes compétentes pour le faire. C'est une autre chose. Les instruments ont plus de poids que les objectifs et les idées.

  (1725)  

    Monsieur Simmons, un dernier commentaire.
    Je tiens à parler du Kordofan du Sud et du Nil Bleu, des régions transitionnelles, car nous avons à peine effleuré le sujet aujourd'hui.
    Je crois que cela rejoint également ce que vous disiez à propos de l'intégration, car dans ces régions, des populations qui appuient politiquement le Sud sont situées géographiquement à l'intérieur du Nord-Soudan. Il faut les intégrer. Les élections présidentielles n'ont pas encore eu lieu au Kordofan du Sud, ni au Nil Bleu. Il faudra, avant janvier, tenir des élections présidentielles, une consultation populaire, des inscriptions au référendum, et un référendum. C'est un échéancier on ne peut plus improbable.
    Il faudra avoir les yeux rivés sur cette région, car le potentiel de violence y est très élevé. Toutefois, le potentiel d'intégration est tout aussi important, car les collectivités du Nil Bleu profitent déjà d'une certaine stabilité. Alors, si on peut prendre exemple sur elles pour avoir une idée de la façon dont le Sud et le Nord pourront coopérer après le référendum, j'estime que cela pourrait être très positif.
    Je prends quelques secondes pour remercier nos témoins. Je crois que nous aurions pu discuter pendant deux ou trois heures avec chacun d'entre vous.
    Merci de vous être pliés à nos contraintes de temps. Vous nous avez livré d'excellents témoignages, et je pense que c'est une discussion très fertile que nous avons eue aujourd'hui.
    Merci beaucoup.
    Sur ce, la séance est levée.
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