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SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 029 
l
2e SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 12 mai 2008

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Je déclare la séance ouverte. C'est la 29e réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Nous poursuivons notre étude de la contrebande du tabac.
    Je souhaite la bienvenue aux témoins qui comparaissent aujourd'hui. Nous avons, de la compagnie Imperial Tobacco Canada Limitée, M. Donald McCarty et M. Benjamin Kemball. Nous vous souhaitons la bienvenue, messieurs, et nous allons vous donner la parole.
    Conformément à notre pratique habituelle, vous aurez dix minutes pour faire une déclaration d'ouverture. Nous entendrons ensuite M. Jerry Montour, qui est président et chef de la direction de Grand River Enterprises, qui fera lui aussi une déclaration. Steve Williams n'est pas ici, mais Chantell Montour comparaît à sa place, je suppose.
    Monsieur, vous-même ou Chantell pourrez faire un exposé d'environ dix minutes, quand nous aurons entendu les gens d'Imperial Tobacco, si cela vous convient à tous.
    Nous aurons ensuite la période de questions et observations.
    Sans plus tarder, lequel de vous, messieurs, voudrait commencer?
    Monsieur Kemball, allez-y.
    Premièrement, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous au nom du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac.
    Au cours des trois dernières années, nous avons attiré l'attention sur la croissance inquiétante du commerce illicite du tabac et sur ses conséquences économiques et sociales catastrophiques. Je suis réconforté par le fait que votre comité a convoqué des audiences sur une affaire aussi grave. Comme il s'agit d'activités illégales, j'ai demandé à Don McCarty, vice-président de la division du droit et avocat général d'Imperial Tobacco Canada, de se joindre à moi.
    Avant d'en arriver aux solutions possibles, je voudrais vous donner un aperçu de ce marché illicite et de ses conséquences. Nous avons distribué un document à lire au préalable, ainsi qu'un CD, qui fournissent des renseignements détaillés tirés de différentes études commandées par Imperial Tobacco Canada, par le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac et aussi par d'autres, comme l'Association canadienne des dépanneurs. Je me ferai un plaisir de répondre à toute question que vous pourriez avoir sur ces études, ou même sur tout autre aspect de cet important sujet.
    Pour gagner du temps, je vais me limiter aux principales conclusions. Premièrement, les produits illicites représentaient 22 p. 100 du marché canadien en 2007, et plus de 30 p. 100 en Ontario et au Québec. Ces données sont tirées de la dernière grande étude effectuée, dont les constatations et la méthodologie ont été examinées et généralement acceptées. Même des groupes du secteur de la santé, par exemple Physicians for a Smoke-Free Canada, reconnaissent que c'est l'étude la plus complète disponible.
    En volume, les produits illicites ont atteint 10 milliards de cigarettes en 2007 et tout indique que la croissance a continué rapidement depuis cette date. Le commerce illicite a maintenant dépassé Rothmans, Benson & Hedges et JTI-MacDonald pour devenir le deuxième fournisseur en importance de produits du tabac en Ontario et au Québec. Il est bien parti pour devenir le principal fournisseur dans l'ensemble du pays, même devant Imperial Tobacco, qui fabrique 14 milliards de cigarettes par année.
    Maintenant, de ces produits illégaux qui représentent 22 p. 100 du marché, 93 p. 100 proviennent des réserves des premières nations. J'ai apporté quelques exemples de ces produits, qui sont en violation d'un grand nombre de lois et de règlements, notamment la Loi sur l'accise, la Loi sur le tabac et la Loi sur l'étiquetage des produits de consommation. Le reste de ces 22 p. 100 est importé en contrebande d'autres pays, et seulement 1 p. 100 est attribuable à la contrefaçon — essentiellement des copies illégales de marques reconnues, habituellement importées en contrebande de pays comme la Chine.
    Même s'il y a encore une proportion appréciable de cigarettes achetées dans des cabanes à cigarettes au bord des routes, la principale méthode d'achat de cigarettes illégales et celle qui connaît la croissance la plus rapide, c'est par des contacts, nommément les réseaux criminels qui distribuent des produits illégaux à l'extérieur des réserves. Dans bien des cas, ces ventes se font directement aux consommateurs, et même directement aux enfants.
    Alors que les cigarettes légales libérées de taxes coûtent entre 65 $ et 85 $ la cartouche, selon la catégorie de prix dans une province donnée, les cigarettes illégales se vendent à des prix aussi bas que 6 $ pour un sac de 200. Autrement dit, on les vend 3 ¢ la cigarette. Une analyse des mégots de cigarettes trouvés à l'extérieur des cours d'école en Ontario et au Québec indique que le taux de pénétration des cigarettes illégales parmi les enfants se situe à 30 p. 100. Dans certaines municipalités, ce taux atteint 50 p. 100 en Ontario et même 70 p. 100 au Québec.
    Le commerce illégal des produits du tabac est généralement considéré comme un crime présentant peu de risques et ne faisant aucune victime, qui nuit seulement aux grandes compagnies de tabac et au gros méchant gouvernement. Il est vrai que les fabricants légaux perdent plusieurs centaines de millions de dollars par année en revenus. Il est également vrai que d'autres partenaires de l'industrie en souffrent, les grossistes, les détaillants qui perdent en moyenne 120 000 $ par année, ou les cultivateurs de tabac en Ontario dont le gagne-pain est menacé. Et les gouvernements au Canada — ou plus précisément les contribuables canadiens — se font frauder au rythme de 1,6 milliard de dollars par année. Mais, comme si tout cela n'était pas suffisant, ce sont les conséquences sociales désastreuses qui exigent une intervention urgente et efficace.

  (1535)  

    Le Canada se targue à juste titre d'avoir l'un des marchés du tabac les plus rigoureusement réglementés et les plus fortement taxés au monde. Ces règlements visent la fabrication, l'étiquetage, la mise à l'essai, le marketing et la vente des produits du tabac.
    Étant donné que nos produits présentent des risques intrinsèques, les grandes compagnies de tabac appuient une réglementation raisonnable et même le recours à la fiscalité pour décourager les enfants de commencer à fumer. Nous demandons seulement que ces lois et règlements soient appliqués uniformément et qu'ils atteignent leur objectif. Malheureusement, ni l'un ni l'autre n'est vrai aujourd'hui.
    Comme vous pouvez le voir en consultant les études, les enfants ont aujourd'hui accès à des cigarettes à un prix dérisoire et les criminels ne demandent pas aux acheteurs de prouver qu'ils ont l'âge voulu. De plus, d'après la GRC et la police provinciale, beaucoup des réseaux qui s'occupent de distribution illégale du tabac vendent aussi de l'alcool, des drogues et des armes à feu, avec tous les risques que cela comporte pour les jeunes Canadiens.
    Plus généralement, tous les Canadiens doivent s'inquiéter de voir se propager une culture où l'on viole la loi impunément.
    Voilà donc la situation. On est passé d'un marché du tabac légal et fortement réglementé à un marché illégal, non réglementé, non taxé. Et nous n'avons pas encore mesuré l'incidence de l'interdiction de l'étalage des produits du tabac, qui entrera en vigueur en Ontario et au Québec à la fin du mois et qui créera un terrain fertile pour le commerce illégal.
    Avant d'en arriver aux solutions potentielles, je tiens à dire clairement que je ne réclame pas une réduction de taxe. S'il est vrai que cette solution a fonctionné dans le passé, je suis conscient des pressions politiques que cela entraînerait. Mais les lois du Canada doivent être appliquées uniformément et efficacement, faute de quoi les gouvernements sont acculés à choisir entre le chaos ou une baisse des taxes.
    J'insiste aussi sur le fait qu'il n'y a pas de solution unique, de « solution miracle » à ce problème. Toute solution durable exigera un ensemble de mesures qui doivent avoir l'appui des dirigeants des premières nations. Je ne peux pas parler au nom des premières nations, mais d'après tous mes contacts et mes renseignements, les premières nations elles-mêmes sont très préoccupées par les conséquences nuisibles du commerce illégal du tabac sur leurs propres communautés. Loin d'en être bénéficiaires, elles sont devenues les victimes de crimes commis à l'extérieur de leurs communautés.
    Je suis heureux de constater que certains dirigeants des premières nations ont choisi d'assister à cette séance et j'espère que leurs voix seront entendues.
    Des mesures efficaces pour s'attaquer au commerce illégal du tabac doivent comprendre une application plus rigoureuse de toutes les lois pertinentes, non seulement les taxes, mais aussi les mesures imposées par la Loi sur le tabac, entre autres. L'application rigoureuse des lois non seulement ferait augmenter le coût et réduirait la demande des produits illégaux, mais cela empêcherait aussi l'effondrement total des politiques visant le contrôle du tabac.
    La semaine dernière, la GRC a annoncé sa stratégie de lutte contre le tabac de contrebande pour 2008; c'était une très bonne nouvelle, mais comme le commissaire adjoint Raf Souccar l'a dit la semaine dernière, l'application des lois à elle seule ne suffira pas.
    Il est impératif de créer un groupe de travail national pour coordonner les stratégies et interventions des divers organes de gouvernement qui peuvent jouer un rôle dans la lutte contre le tabac illégal. Cela comprend l'Agence du revenu du Canada, la GRC, les ministères de la Sécurité publique, des Finances, des Affaires indiennes et du Nord, de l'Agriculture et de la Santé. Un tel groupe de travail devrait consulter les différents intervenants, y compris les compagnies de tabac, pour obtenir les renseignements et recommandations voulus.

  (1540)  

    Certaines mesures autres que l'application de la loi aideraient à s'attaquer au problème. Par exemple, la fourniture de machines et matériaux particuliers associés à la fabrication des produits du tabac devrait être étroitement encadrée et contrôlée. À notre connaissance, plus de 20 licences de fabrication des produits du tabac ont été émises par le gouvernement fédéral ces dernières années et très peu d'inspections ont été faites, ou même aucune. Les compagnies de tabac doivent aussi faire leur part en travaillant de concert avec les fournisseurs de l'industrie pour s'assurer que ceux-ci appliquent une politique consistant à bien connaître leurs clients.
    Enfin, et c'est peut-être le plus important, l'introduction d'une taxe sur le tabac pour les premières nations comparable aux taxes provinciales sur le tabac doit jouer un rôle essentiel. Les revenus tirés d'une telle taxe pourraient servir à financer les programmes de développement dont les premières nations ont tellement besoin. Ce concept s'est révélé efficace dans les territoires des Indiens Seneca aux États-Unis. Il est encourageant d'entendre qu'ici même au Canada, plusieurs dirigeants de premières nations préconisent une mesure semblable comme élément de solution. On trouve des exemples semblables d'autoréglementation très efficace des produits du tabac dans des réserves des premières nations, par exemple la réserve Cowichan à Duncan, en Colombie-Britannique, où la taxe provinciale sur le tabac est perçue et conservée par les premières nations.
    Comme vous l'avez constaté, la situation est désastreuse et échappe déjà à tout contrôle. J'espère que les dirigeants politiques — fédéraux, provinciaux et des premières nations — vont saisir cette occasion de mettre en place des solutions durables à l'avantage de tous les Canadiens. Ma compagnie, de même que l'industrie que je représente, sommes déterminés à apporter notre aide dans toute la mesure du possible.
    Je vous remercie beaucoup de m'avoir écouté.
    Merci beaucoup.
    Nous entendrons maintenant M. Montour. Veuillez nous faire votre exposé, monsieur.
    Je veux moi aussi remercier les membres du comité de nous donner l'occasion de prendre la parole. C'est assez impressionnant pour moi, à titre de fabricant des premières nations, car je sais qu'il n'est jamais arrivé dans l'histoire qu'un fabricant de tabac des premières nations ait son mot à dire dans de telles audiences.
    Nous sommes un fabricant de tabac autorisé au Canada depuis 1997. Nous avons versé environ 500 millions de dollars en revenus fiscaux, et nous n'avons pas encore vu la moindre retombée de cette somme dans les communautés des premières nations. Cela nous rend la tâche d'autant plus difficile, quand notre compagnie essaie d'exercer des pressions auprès des gouvernements des premières nations pour obtenir que ceux-ci participent aux efforts visant à établir des règles égales pour tous, alors qu'actuellement, c'est complètement... Comme mon collègue l'a signalé, nous essayons de vendre un sac de produits du tabac à un prix oscillant entre 28 $ et 35 $, alors qu'il y a des gens qui vendent le même produit à 6 $ la cartouche.
    Vous savez, l'idée de permettre aux premières nations d'imposer elles-mêmes une taxe sur les produits qu'elles vendent n'est pas nouvelle. Je me rappelle, dès la fin des années 80 et le début des années 90, d'avoir proposé la même idée à des gouvernements qui ont précédé celui-ci. Essentiellement, ils n'ont même pas pris le temps de nous écouter. Je me rappelle d'avoir rencontré en tête à tête une personne aussi haut placée que le ministre des Finances de l'époque, je crois que c'était M. Anderson, et de lui avoir dit que pour vraiment convaincre nos gens d'adhérer à de tels programmes, il faudrait qu'ils puissent constater qu'au moins une partie de ces revenus fiscaux aide les gens des premières nations.
    Cela dit, je dois ajouter que le problème fondamental dans l'ensemble de l'industrie à l'heure actuelle, c'est le mot « légal ». La reconnaissance légale est l'élément le plus difficile dans toute cette industrie.
    Notre compagnie a choisi de devenir un fabricant autorisé des produits du tabac. Jusqu'à il y a huit ans, nous étions perçus comme quasiment des héros dans notre communauté. Sous l'égide du gouvernement fédéral, en payant toutes les taxes fédérales applicables, notre compagnie a prospéré. Nous avons également fondé l'un des tout premier organismes caritatifs parmi les premières nations, le Fonds Dreamcatcher. Nous y avons versé plus de 10 millions de dollars. En incluant les retombées, notre compagnie à elle seule a créé plus de 1 000 emplois dans les communautés des premières nations, tout cela en payant les taxes fédérales applicables.
    Je vois que la chef de la réserve d'Akwesasne est ici présente. Je comprends tout à fait que, de son point de vue, cela doit être éprouvant d'être assise ici et d'entendre décrire son peuple comme une bande de criminels. C'est un environnement quasiment sauvage. Dès que quelqu'un dit qu'il y a un problème avec le tabac, on s'écrie: « Ça doit venir d'Akwesasne ». Et voilà le noeud du problème.
    Je n'ai jamais entendu personne dire que nous devrions essayer de découvrir qui fournit les matières premières aux entreprises de ce secteur et obliger ces fournisseurs à rendre des comptes. Je peux vous garantir que les PDG de compagnies cotées en bourse n'aiment pas être traînés devant les tribunaux, et les gens d'ascendance autochtone qui se trouvent dans une situation désespérée sont vulnérables à l'exploitation. Mais j'ignore comment l'on peut fabriquer des produits du tabac à moins de pouvoir obtenir des matières premières.
    Parlons un peu des répercussions sur la santé. Si vous croyez ne serait-ce qu'une seconde que les premières nations ne se soucient pas de leurs propres jeunes, vous devez vraiment...
    Laissez-moi vous exposer l'état d'esprit de nos jeunes gens. Je vais essayer de vous faire comprendre quel est l'état d'esprit d'un adolescent autochtone qui fréquente l'école secondaire: il quitte sa localité en autobus et, arrivé aux limites du territoire, il voit probablement une cinquantaine d'agents de la police provinciale de l'Ontario qui patrouillent à l'extérieur de la réserve à cause de conflits territoriaux non résolus, et il veut croire qu'il se prépare à une vie meilleure, à trouver un emploi. Il retourne donc dans sa communauté. Mais les seules possibilités d'emploi qui s'offrent à lui dans les territoires des premières nations à l'heure actuelle, c'est dans le secteur du tabac.
    Pour ce qui est de la période de transition, tout comme l'agriculteur qui cultive du tabac... Je suis très fier de dire que chez nous, à Grand River Enterprises, tout le tabac utilisé dans nos produits est cultivé au Canada, du moins dans une proportion de 90 p. 100, sans compter que nous payons toutes les taxes fédérales applicables.
    Maintenant, je ne veux pas me présenter à vous et donner l'impression d'être un défenseur du tabac et me faire attaquer par tous les défenseurs de la santé publique et tout le reste. Globalement, nous sommes reconnus comme des pionniers pour ce qui est de faire prendre conscience aux gens des dangers du tabac. Des mises en garde relativement à la santé sont affichées bien en évidence sur nos produits, tout comme sur ceux de nos concurrents. Mais quand on est confronté à une telle situation, c'est décourageant — je veux dire quand des produits de contrefaçon sont vendus ouvertement dans nos propres communautés.

  (1545)  

    Rien ne permet de réfuter les énoncés qu'on nous a demandé d'afficher sur nos paquets. Il n'existe aucune preuve nous permettant de dire que le tabagisme n'est pas mauvais pour les poumons ou pour la santé. Nous n'avons donc aucune preuve médicale nous permettant d'affirmer le contraire et nous avons la responsabilité d'inscrire ces avertissements en matière de santé sur nos paquets. Notre compagnie est un fabricant des premières nations et nous avons pris sur nous de respecter toutes ces lignes directrices, avec pour résultat que nos produits doivent rivaliser avec des produits de contrefaçon vendus dans les mêmes paquets.
    Je voudrais profiter de cette tribune publique pour avertir toutes les communautés des premières nations que de permettre à des éléments du crime organisé de s'implanter dans les territoires des premières nations, c'est comme de laisser des loups entrer dans la bergerie.
    Il semble y avoir une certaine confusion quant à savoir qui peut taxer le produit, et nous sommes tous en attente. En entrant dans la salle tout à l'heure, j'ai rencontré l'ancien chef d'Akwesasne, le chef Mitchell. Quand lui et moi avons été les pionniers de ce débat, nous étions beaucoup plus jeunes. Il n'y a jamais eu aucun changement dans toute cette question des compétences, à savoir qui est autorisé à taxer ces produits. Nous n'avons toujours aucun éclaircissement 20 ans plus tard. S'il faut d'abord, avant de faire quoi que ce soit, tirer au clair qui a compétence sur les territoires, je crains vraiment qu'il ne se fera absolument rien.
    À titre de PDG de cette entreprise, je suis très préoccupé par le fait que nos produits sont étalés de façon flagrante dans les territoires des premières nations. D'après la GRC, il y a quelque 140 membres du crime organisé qui travaillent avec des représentants des premières nations dans le secteur du tabac. Je parle seulement à titre personnel. Je ne suis pas chef héréditaire; je ne suis pas actuellement chef élu d'un territoire des premières nations. Mais je ne veux pas, à chaque fois qu'un comité discute de nos gens, qu'on ait la perception qu'ils accueillent à bras ouverts le crime organisé et favorisent de telles activités dans leurs réserves.
    Vous entendrez un autre homme qui est chef d'une réserve et qui paye lui aussi toutes les taxes fédérales applicables. Je ne suis pas ici pour argumenter dans l'affaire des compétences fiscales. Je suis ici pour vous faire prendre conscience que l'on ne peut pas fabriquer de produits du tabac sans avoir accès aux matières premières. C'est seulement récemment que, Dieu merci, vous êtes intervenus au gouvernement pour empêcher les dirigeants de ces opérations clandestines de mettre la main sur les machines-outils spécialisées dans le secteur du tabac. Je vous en félicite. C'était une excellence initiative. Prenez maintenant toutes les autres mesures nécessaires au moins pour garantir qu'il y ait une transparence totale dans l'ensemble du secteur.
    Nous pourrons discuter plus tard de la question de savoir qui a compétence en matière de taxes, mais chacun sait à quel point c'est difficile d'extirper le crime organisé d'une communauté une fois qu'il s'y est incrusté. Je suis très inquiet.
    Nous sommes des hommes d'affaires des premières nations et au cours des huit premières années après avoir obtenu la licence, nous avons payé scrupuleusement toutes les taxes fédérales applicables et dès que nous avons été en mesure d'obtenir un rendement de notre investissement, nous avons réinvesti notre argent dans les communautés des premières nations. Vous avez vu construire des stades pour jouer à la crosse, la piste de course Ohsweken, des stations-service, des compagnies de technologie, et beaucoup d'autres retombées et compagnies satellites qui appartenaient aux administrateurs ou travailleurs de ces compagnies respectueuses des lois.
    J'ai assisté à une lente diminution de tout cela. Je pense que la diminution est due au fait que souvent, ces activités sont menées par des gens qui n'ont pas à coeur les intérêts des premières nations. L'argent quitte le pays et est investi à l'étranger où des gens participent à ces activités. Je suis sûr que vous pouvez compter sur de très bons services de police qui pourront vous aider à identifier les responsables.
    C'est très difficile de parler devant un comité quand on ne peut pas s'empêcher de se dire: « Fais attention de ne pas trahir ton peuple. Assure-toi de donner à ton peuple la possibilité de profiter lui aussi de cette source de revenu. C'est la seule source de revenu de ton peuple. » Mais par ailleurs, à titre d'homme d'affaires des premières nations, n'ai-je pas droit à l'égalité des chances? N'ai-je pas le droit de jouer le jeu selon les mêmes règles que tous les autres?
    Vous parlez de compétence provinciale. Je peux seulement parler en mon nom personnel; je n'ai pas le privilège de pouvoir parler au nom de tous les autres fabricants de tabac de la réserve. Mais je peux vous dire que notre compagnie est le principal fabricant de tabac respectueux des lois situé dans un territoire des premières nations, et nous ne voulons pas voir nos produits de fabrication autochtone vendus dans des magasins de détail en dehors de la réserve.

  (1550)  

    Nous n'avons jamais obtenu la permission des autorités provinciales de vendre nos produits du tabac en Ontario, et c'est une affaire qui sera tranchée par les tribunaux un jour ou l'autre. Je ne veux pas que des gens prennent des produits destinés aux Autochtones pour les vendre dans n'importe quel dépanneur. Mais vous savez, si vous renforcez vos lois, cela n'arrivera pas.
    Je sais qu'aux États-Unis d'Amérique, si l'on se fait prendre pour la deuxième ou la troisième fois à vendre des cigarettes non estampillées, les conséquences punitives sont considérables, généralement une incarcération de longue durée. Vous ne pouvez donc pas mettre en place un environnement indulgent et dire: « Eh bien, nous défendons les droits des premières nations. »
    Les détaillants des premières nations qui sont vraiment engagés envers l'édification de leurs propres communautés vendent leurs produits seulement dans les territoires des premières nations. Ils ne choisissent pas d'aller vendre leurs produits dans l'ensemble de la société.
    J'ai déjà touché un mot de la situation des jeunes qui grandissent chez nous. N'ont-ils pas le droit de travailler dans une usine? Tant que le secteur du tabac est légal et reconnu, je pense qu'ils ont le droit d'y travailler. Voulez-vous qu'ils travaillent dans une usine avec des armes à feu à portée de main parce qu'ils ont peur des agressions? Ils ont désespérément besoin de ces emplois et doivent donc se résigner à travailler dans un tel environnement. Est-ce vraiment ce que vous voulez pour les jeunes?
    S'il y a une chose dans laquelle les gens des premières nations croient, c'est la famille. Nous avons la croissance démographique la plus rapide au Canada aujourd'hui. Vous devez donner des possibilités à nos jeunes aussi. Si vous pouvez m'aider à empêcher les fabricants de ces produits du tabac d'avoir accès aux matières premières et à favoriser les fabricants respectueux des lois, nous ferons vraiment du Canada un meilleur endroit.
    Je vous remercie beaucoup pour votre temps.

  (1555)  

    Merci beaucoup. Nous vous remercions tous les deux pour vos exposés.
    Maintenant, la pratique habituelle à notre comité est de permettre aux députés de poser des questions. Le premier sur ma liste est M. Cullen.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur McCarty et monsieur Kemball, monsieur Montour et madame Montour.
    J'ignore si vous êtes au courant, mais la GRC vient tout juste d'annoncer sa stratégie de lutte contre le tabac de contrebande. J'ignore si vous avez eu la chance d'en prendre connaissance. On y précise notamment que la plus grande partie des produits du tabac de contrebande saisis par la GRC provient des fabricants illégaux situés du côté américain du territoire d'Akwesasne.
    Monsieur Montour, vous avez dit que les États-Unis prennent des mesures assez sévères contre les compagnies ou organisations qui n'estampillent pas leur tabac. Les Américains ne semblent pas aussi disposés, si je comprends bien, à prendre des mesures contre les contrebandiers de cigarettes qui vendent ces produits au Canada.
    Comment contrer cela? Avons-nous de meilleures méthodes pour les intercepter? Le problème est en partie géographique en ce sens qu'ils peuvent passer des États-Unis au Canada en traversant le territoire des premières nations. Comment empêcher ces produits d'être déversés chez nous en provenance des États-Unis?
    Premièrement, je ne suis pas nécessairement d'accord avec les statistiques selon lesquelles la totalité des produits viennent de ce point d'origine précis. Par ailleurs, je crois que la meilleure façon d'attirer l'attention du gouvernement des États-Unis, c'est d'avoir un manque total de transparence. Autrement dit, s'il y a une possibilité, surtout après le 11 septembre, de faire circuler des milliards de dollars dans le système monétaire sans laisser de trace, ils sont toujours intéressés.
    Les fabricants qui choisissent d'expédier des produits de cette manière disent que ce produit est destiné à l'exportation et qu'il n'intéresse donc pas le gouvernement américain. Cet argument n'est peut-être pas dénué de fondement.
    Mais le fait que ces activités ne soient pas transparentes et qu'il n'y ait pas moyen de suivre l'argent à la trace est à mon avis une très bonne manière d'aborder la question.
    Il n'y a pas très longtemps, nous avons eu un problème au Canada quand d'énormes quantités de tabac étaient exportées aux États-Unis pour revenir ensuite au Canada. Je pense que ce problème est réglé techniquement, car les taxes sont maintenant perçues à la sortie de l'usine.
    Je reviens à la question que vous avez soulevée, au sujet des matières premières et de l'équipement. Les fabricants qui sont actuellement autorisés et qui respectent les lois au Canada, et ceux qui ne les respectent pas possèdent probablement l'équipement voulu pour fabriquer ces produits.
    Quand nous avons rencontré les fonctionnaires l'autre jour, je les ai interrogés au sujet du papier et des filtres. Les fonctionnaires semblaient hésiter à aborder la question. Ils ont dit que les filtres se présentent sous forme d'énormes plaques et peuvent servir à bien d'autres usages. Mais il me semble qu'il est possible de contrôler l'entrée de nouvelles machines et l'entrée du papier et des filtres, car je crois qu'il y a un très petit nombre de fournisseurs et c'est ce à quoi vous avez fait allusion. Serait-ce faisable?
    Absolument. Je suis gêné de dire que je n'ai pas remis ce document à tous les participants à la réunion, parce que je ne l'ai pas fait en français et en anglais. C'était un manque de considération de ma part, en me présentant à cette réunion. Avant la fin de la semaine, je vous en remettrai des copies dans les deux langues.
    La seule raison pour laquelle je n'ai pas remis ce document qui vous permettrait de comprendre exactement et intégralement mon point de vue sur tout cela, c'est que je l'avais en anglais seulement. Je pense que c'eut été un manque de respect pour la population du Québec et les gens qui choisissent de parler français à cette réunion. C'est pourquoi je ne l'ai pas distribué.
    J'ai exposé tout cela et je promets de vous le faire parvenir avant la fin de la semaine.
    Merci. Et on y aborde cette question très précise de savoir comment le gouvernement fédéral pourrait bloquer l'accès à ces matières premières?
    Je pense que Benjamin tient tout autant que moi à vous aider à identifier... la principale source de matières premières, si cela vous intéresse.
    Avant de faire cela, j'ai une question pour M. Kemball. Peut-être pourriez-vous nous en dire plus long là-dessus.
    Quand nous avons reçu devant le comité les fonctionnaires de Finances Canada, ils semblaient hésiter à préciser l'ampleur de la contrebande de tabac. Je pense que vous avez chiffré les taxes à 1,6 milliard de dollars par année. Je suis certain que le ministère des Finances a également ce chiffre.
    Maintenant, vous avez évoqué la possibilité d'établir une taxe sur le tabac pour les premières nations. On a fait cela aux États-Unis. Mais si le crime organisé est présent dans les réserves des premières nations, comme M. Montour l'a dit, de même que la GRC, ce n'est sûrement pas seulement une question de compétence ou de savoir s'il y a une taxe ou à quel niveau elle s'applique. Quand on est confronté au crime organisé, ces criminels savent qu'ils peuvent faire beaucoup d'argent en ne payant pas de taxes.
    Premièrement, le fait de permettre aux premières nations de contrôler cette taxe pose des questions juridiques et constitutionnelles, mais serait-ce vraiment une solution au problème? Si le crime organisé est en cause, tout ce qu'il veut, c'est la marge de profit, n'est-ce pas?

  (1600)  

    Oui, c'est vrai. Le fabricant de cigarettes du côté canadien d'une réserve, ou dans n'importe quelle réserve au Canada devrait payer une taxe d'accise fédérale. La taxe d'accise fédérale devrait s'appliquer à ce produit.
    Il est clair que ce n'est pas ce qui se passe quand on vend le produit 6 $. La taxe fédérale à elle seule, sans compter la taxe provinciale sur le tabac et toutes les autres, qui devrait s'appliquer à l'extérieur de la réserve, est très supérieure à 6 $. Il y a donc un problème de mise en application de la Loi sur l'accise. Pourtant, que je sache, cette loi devrait s'appliquer à toute activité de fabrication, pourvu qu'elle respecte la réglementation fédérale et les lois applicables dans les réserves du côté canadien; cependant, l'activité criminelle survient quand ces cigarettes sont vendues à des Indiens non inscrits ou bien emportés à l'extérieur de la réserve pour être revendues. C'est à ce moment-là que des actes criminels sont commis.
    Je pense que la GRC pourra vous donner plus de détails sur la nature des réseaux criminels qui fonctionnent à l'extérieur des réserves, mais c'est là que sont commis la plupart des gestes illégaux. Il y a d'autres lois qu'il faut faire respecter concernant la fabrication: par exemple, les avertissements en matière de santé, l'utilisation de papier à faible propension à l'inflammation, qui est également régi par des lois et règlements canadiens. Tout cela doit être respecté. Mais je suis entièrement d'accord avec vous pour dire qu'il existe un besoin. S'il doit y avoir une autre taxe quelconque s'ajoutant à la taxe d'accise fédérale, il faut une entente pour la mise en vigueur de l'accise fédérale aussi bien que de la taxe des premières nations.
    Je ne vois pas qui serait perdant à la suite de l'introduction d'une telle mesure. Vous réduiriez l'ampleur du commerce illégal et le montant des pertes de revenus pour les gouvernements fédéral et provinciaux, et en plus de tout cela, vous pourriez percevoir des fonds très utiles pour des programmes de développement dont on a un très grand besoin dans les réserves des premières nations.
    Je poursuis dans la même veine. Vous dites que le crime organisé intervient surtout quand les cigarettes quittent les réserves, mais s'il y a des gens qui font la contrebande de drogues, d'armes à feu, d'immigrants illégaux, de tabac, depuis le territoire américain ou canadien, le crime organisé est mêlé à tout cela, n'est-ce pas? Ces gens-là ne vont pas dire tout simplement: « Bon, nous avons une nouvelle taxe. On a établi un tout nouveau régime fiscal. Les premières nations auront un peu plus d'argent. Les gouvernements ont bien travaillé. Nous pouvons mettre la clé dans la porte et rentrer à la maison. » Ils ne vont pas faire cela, n'est-ce pas?
    Non, ils ne le feront pas, surtout qu'ils violent déjà tellement de lois aujourd'hui. Mais c'est justement ce que je voulais dire quand je parlais de l'engagement politique nécessaire. Si nous voulons appliquer une taxe sur le tabac pour les premières nations, qui résoudra beaucoup de problèmes, cela exige un leadership politique, à la fois dans les premières nations, au gouvernement fédéral et aussi dans les gouvernements provinciaux, pour s'assurer que l'on prenne l'engagement d'aller jusqu'au bout.
    Votre temps est écoulé. Nous vous redonnerons la parole.
    Nous passons maintenant au Bloc québécois.
    Monsieur Ménard, avez-vous une question ou une observation?

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Montour...

[Traduction]

    Je suis gêné de dire, monsieur, que je ne parle pas français.
    Non, ça va.
    Est-ce que vous avez tous vos écouteurs pour entendre la traduction?

  (1605)  

[Français]

    Je sais combien il est difficile d'apprendre une autre langue.
    D'après ce que je comprends, vous n'êtes pas d'accord avec la GRC et les compagnies de tabac pour ce qui est de la proportion des cigarettes vendues illégalement au Canada provenant des réserves indiennes.

[Traduction]

    Je suis désolé. Je me suis peut-être mal exprimé. Je dirais seulement que je ne peux pas être d'accord avec cela. Je n'ai pas accès aux études autant qu'eux, mais c'est assurément un problème.

[Français]

    Oui, mais j'ai cru comprendre que dans le rapport que vous allez nous soumettre, vous faites votre propre évaluation de la proportion des cigarettes vendues illégalement qui passe par les réserves indiennes.

[Traduction]

    Oui.

[Français]

    Vous allez le faire, n'est-ce pas?

[Traduction]

    Oui.

[Français]

    Alors, quelle est cette proportion, selon vous?

[Traduction]

    Je dois dire que cela touche directement nos activités, étant donné que nous sommes un fabricant de tabac respectueux des lois dans les réserves. À l'heure actuelle, notre chiffre d'affaires a baissé de presque 56 p. 100. Je n'ai pas accès à l'étude sur la situation hors réserve, mais pour ce qui est des gens qui s'efforcent de continuer à respecter les lois dans la réserve, notre chiffre d'affaires a baissé de 56 p. 100. Par conséquent, il semble que le respect de ces normes ait des conséquences beaucoup plus lourdes pour nous que pour d'autres fabricants.

[Français]

    Je vais lire votre rapport, et nous verrons.
    C'est dommage, mais quand on nous soumet des chiffres de ce genre, on ne nous dit pas comment on en est arrivé à une telle évaluation. C'est pourquoi je vais vous demander, quand vous nous aurez soumis un chiffre, de nous expliquer comment vous avez obtenu ce résultat.

[Traduction]

    Oui, monsieur.

[Français]

    Je vais maintenant passer à un autre sujet.
    Je crois qu'au Québec, au milieu des années 1990, on s'est entendu avec certains membres des réserves indiennes pour que les Autochtones paient la taxe sur les cigarettes achetées, mais que le revenu généré par cette taxe soit remis aux bandes.
    Êtes-vous au courant de cela?

[Traduction]

    Non, je ne peux pas me prononcer là-dessus, parce que nous ne fabriquons pas dans la province de Québec. Je ne suis donc pas du tout au courant de cet arrangement.

[Français]

    Considérez-vous comme une bonne solution le fait que les Autochtones paient les taxes à l'achat, mais qu'ils soient remboursés par la réserve une fois établi le montant de leurs achats à des fins de consommation personnelle?

[Traduction]

    Je ne voulais pas interrompre mon collègue, mais je veux seulement vous dire que du point de vue de notre compagnie, nous avons payé les taxes fédérales applicables, ce qui préoccupe toutes les personnes présentes dans cette pièce — à hauteur de presque 500 millions de dollars, et nous n'avons pas vu le moindre avantage direct de ces 500 millions, du point de vue des premières nations.
    Donc, pour ce qui est de toute entente qui intervient, premièrement, je ne suis pas habilité à en négocier une parce que je ne suis pas un chef, mais je pense qu'il doit y avoir un engagement ferme pour que, si jamais une entente est conclue, celle-ci soit vraiment avantageuse pour les premières nations, parce que vous ne voulez pas que l'on devienne tout simplement des percepteurs d'impôt, l'affaire ne comportant par ailleurs que des inconvénients.

  (1610)  

[Français]

    On a peu de temps; je vais donc être obligé de passer à autre chose.
    Monsieur Kemball, depuis combien de temps travaillez-vous à la compagnie Imperial Tobacco Canada Limitée?
    J'y travaille depuis 2005, donc depuis trois ans.
    Vous n'étiez pas lié à Imperial Tobacco Canada Limitée pendant les années 1990?
    Non, je travaillais dans diverses régions du monde.
    Maintenant que vous connaissez bien Imperial Tobacco, pouvez-nous nous expliquer comment cette compagnie a pu accepter d'augmenter considérablement aux États-Unis ses ventes de cigarettes destinées au marché canadien?

[Traduction]

    Je ne peux pas vraiment me prononcer là-dessus. Je travaille pour le groupe British American Tobacco depuis plus de 25 ans, mais seulement depuis trois ans au Canada. Je sais cependant que pendant de nombreuses années, notre compagnie a travaillé en étroite collaboration avec les organismes fédéraux et provinciaux d'application des lois, y compris la GRC, dans tout le dossier de la contrebande.

[Français]

    La vente par des compagnies canadiennes, dont la vôtre, de cigarettes destinées au marché canadien a considérablement augmenté aux États-Unis. Savez-vous que la seule explication à avoir été envisagée était que ces cigarettes étaient ramenées au Canada?
    Si pouviez répondre à ma question, je l'apprécierais beaucoup.
    Comme M. Kemball, je n'étais pas à Imperial Tobacco au cours de ces années-là. J'ai commencé à y travailler en 1998. Quoi qu'il en soit, la période dont vous parlez n'a rien à voir avec la situation actuelle. Comme vous le savez, nous collaborons depuis 10 ans à l'enquête que mène la GRC sur cette situation. J'imagine qu'elle va aboutir un jour. D'une façon ou d'une autre, comparer cette situation à celle d'aujourd'hui équivaut à comparer des pommes à des oranges. Ce sont deux choses bien différentes. Ni M. Kemball ni moi-même ne sommes en mesure de commenter la stratégie appliquée pendant ces années-là.
    C'est en tenant compte des événements passés qu'on s'assure de ne pas les voir se reproduire. C'est cette assurance que j'aurais voulu obtenir de vous, mais si vous refusez de comprendre que des représentants de compagnies de cette envergure refusent de reconnaître que leurs produits font l'objet de commerce illégal et n'interviennent pas... Vous pensez que la sanction imposée est ce qui me préoccupe. Or, ce n'est pas le cas. La prévention pour l'avenir est ce qui m'importe. J'ai toujours pensé qu'une compagnie de la taille d'Imperial Tobacco n'accepterait jamais d'encourager un commerce illégal de cette envergure.
    Nous n'encourageons aucun commerce illégal en ce moment. Si vous demandez à la GRC, à l'Agence du revenu du Canada et aux agences provinciales chargées du contrôle du tabac quelle est l'attitude d'Imperial Tobacco face à ce problème, elles vont vous dire que nous collaborons pleinement à la lutte contre le tabac illégal dans ce pays.

[Traduction]

    Merci. Je vous ai accordé quelques minutes supplémentaires à cause des difficultés causées par les microphones.
    Nous passons maintenant à Mme Priddy, du NPD.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai une question en deux volets pour M. Kemball et aussi une question pour M. Montour.
    Je sais que vous travaillez de concert avec l'Office de commercialisation des producteurs du tabac jaune de l'Ontario pour essayer de contrer ou de contrôler l'offre de feuilles de tabac — en passant, la situation empire — et je me demande si vous pourriez nous dire si vous allez continuer de travailler avec eux dans ce dossier de la vente de tabac américain à des usines non autorisées du côté américain de la frontière, vente qui échappe maintenant à tout contrôle, et en quoi consisteront vos efforts déployés conjointement avec cette organisation.
    J'ai une deuxième question qui découle de la première. Étant donné que beaucoup de vos compagnies soeurs au sein de British American Tobacco achètent depuis longtemps d'importantes quantités de tabac en feuilles aux États-Unis, du tabac cultivé par des agriculteurs de Caroline du Nord et d'autres États limitrophes, est-ce que vous-même et votre compagnie — je veux seulement que ce soit dit publiquement — aiderez les autorités américaines et canadiennes à bloquer cet approvisionnement de tabac de contrebande à la source? Et vous engagerez-vous à prêter votre concours et à faire profiter ces autorités de votre compétence et de vos vastes connaissances des affaires, dans un effort conjoint pour enrayer l'afflux de tabac en feuille et de tabac à cigarettes provenant du sud des États-Unis vers les compagnies de tabac non autorisées ici au Canada?

  (1615)  

    Je vais répondre en premier à la deuxième question portant sur la collaboration internationale. Ma compagnie — et je suis sûr que je peux parler au nom des autres membres du CCFPT — est résolument déterminée à collaborer et à s'attaquer au problème du commerce illégal. C'est la raison de notre présence ici aujourd'hui. Nous avons réuni de l'information. Nous avons effectué des études, à un coût considérable, pour jeter un peu de lumière sur les problèmes. Comme je l'ai dit dans mon exposé, nous sommes également déterminés à aider à trouver des solutions à ce problème, y compris des solutions qui pourraient contribuer à s'attaquer au problème conjointement avec d'autres pays.
    Au sujet de l'offre de tabac aux fabricants illégaux, il n'y a pas de solution facile à ce problème. Le tabac est cultivé partout dans le monde. Il y a un marché mondial des produits du tabac. Il y a des négociants de tabac brut et de tabac en feuilles et ils échappent au contrôle direct des fabricants de tabac comme nous.
    Cela dit, qu'il s'agisse de fournitures ou de feuilles de tabac, dans la mesure du possible, nous insistons pour que nos fournisseurs appliquent leurs propres politiques consistant à bien connaître leurs clients, pour que ceux auprès de qui nous pouvons exercer une influence n'approvisionnent pas le commerce illégal.
    Je sais que certains produits viennent de Chine. Je sais que l'on cultive le tabac dans beaucoup de pays du monde. Mais dans la mesure du possible, allez-vous mettre tout en oeuvre pour être un partenaire des efforts déployés pour enrayer ce commerce?
    Absolument. Nous y sommes résolument engagés.
    Monsieur Montour, je me demande si je pourrais vous poser une question.
    Vous avez dit tout à l'heure, et je comprends et partage votre point de vue, que vous apposez des étiquettes de mise en garde sur vos paquets, comme le font les compagnies, et que vous n'êtes pas venu ici pour dire si c'est bon ou mauvais, ou bien si le tabac est bon pour nous ou mauvais pour nous ou quoi que ce soit. Moi non plus, soit dit en passant. Je voudrais que personne ne fume, mais ce n'est pas mon travail ici au comité; ma tâche est de voir à ce qu'il y ait des règles du jeu égales pour tous.
    Nous avons donc des machines à produire des cigarettes, et ces gens-là n'ont pas de permis et sont donc clairement dans l'illégalité. Si nous pouvions retirer cet élément du tableau, dans quelle mesure l'élimination des machines permettrait-elle de régler le cas du reste du produit, je veux dire les filtres, le papier, etc.? Aurions-nous encore un problème assez important à affronter, relativement à tout ce qui entre dans la composition d'une cigarette, autre que le tabac?
    Premièrement, permettez que je vous fasse part de quelques éléments stratégiques en réponse à votre première question.
    Je pense qu'il y a une autre stratégie forte à laquelle l'industrie dans son ensemble pourrait contribuer. Si vous voulez vraiment bloquer la quantité de matières premières dans le secteur du tabac, les grandes compagnies de tabac, y compris nous-mêmes, pourraient s'engager à acheter plus de tabac cultivé au Canada, au lieu de s'en procurer ailleurs à meilleur marché. Si nous achetions tous du tabac cultivé au Canada et permettions aux cultivateurs de participer à un programme d'abandon graduel de cette culture à long terme, même s'il fallait pour cela payer plus cher pour chaque cartouche, cela aiderait les cultivateurs canadiens de tabac. Je crois personnellement que c'est de cette source que vient environ 80 p. 100 du tabac de contrebande. On ne peut pas demander à des gens qui produisent 70 millions de livres d'abandonner tout à coup cette culture simplement parce que le tabac coûte moins cher au Brésil ou ailleurs. Nous, fabricants canadiens de produits du tabac, avons la responsabilité de les aider dans leur programme d'abandon graduel, si nous voulons vraiment nous attaquer au problème.
    Deuxièmement, personne au monde ne pourra jamais vous dire que... J'ai mis cela par écrit, mais je vais vous montrer une photo pour illustrer mon propos. Comme vous pouvez le voir, le papier à cigarette est clairement défini et ne peut servir qu'à un seul usage. Le papier à embout, cette sorte de liège brun à l'extrémité de la cigarette, ne peut clairement servir qu'à un seul usage. Le boudin de filasse, à ma connaissance, ne peut servir... S'il peut servir à d'autres fins, alors qu'on en identifie les usages et qu'on les restreigne.
    Je m'en tiens résolument à la position qui était la mienne au moment où je suis entré dans la salle, à savoir que si l'on peut contrôler les matières premières, on contrôle du même coup les activités, parce que quiconque le fait légalement n'a pas peur de la transparence.

  (1620)  

    Merci.
    Monsieur Kemball — ce n'est pas une question, et je vous remercie, monsieur le président, de m'accorder du temps — je pense que vous avez mentionné le traité fiscal Duncan. Nous avons mentionné la semaine dernière qu'il y a 19 traités fiscaux en existence et qui fonctionnent assez bien — quoique ce soit sur la côte Ouest, où il y a peut-être moins de problèmes. Ces traités sont vraiment couronnés de succès et, à certains égards, le résultat est celui que M. Montour évoquait, c'est-à-dire que la taxe est prélevée et que l'argent ainsi perçu est réinjecté dans le développement communautaire et dans des programmes qui font une différence dans la vie des premières nations, ce qui est logique.
    Merci.
    Nous devrons nous arrêter là.
    Quelqu'un a-t-il une brève observation? Il ne reste plus de temps, mais allez-y.
    En réponse à la première question, au sujet du tabac, la plus grande partie du tabac que nous utilisons est cultivée au Canada. Nous nous sommes également engagés à travailler avec les agriculteurs pour essayer de trouver des solutions à leurs problèmes.
    Leur problème est surtout dû au fait que chaque année, 8 p. 100 du marché, dans les principaux marchés de l'Ontario et du Québec, passent aux produits illégaux. La consommation totale de tabac est en baisse, de même que dans le reste du Canada, au rythme d'environ 2 p. 100 à 3 p. 100 par année — cette baisse est maintenant continue depuis des décennies — mais en Ontario et au Québec, nous avons vu des baisses pouvant atteindre 11 p. 100 chaque année. La différence est que les consommateurs se tournent vers les produits illégaux au rythme de 8 p. 100 par année.
    Cela figure-t-il dans votre mémoire?
    Oui.
    Merci.
    Nous allons maintenant passer aux ministériels.
    Monsieur Montour, en fait, vous pouvez me remettre ce rapport aujourd'hui, si vous le souhaitez, et je peux le faire traduire. Vous vous y êtes reporté deux ou trois fois et je pense que vous l'avez sous la main. Ce n'est pas un problème. Vous pouvez nous remettre ce rapport, cela vous fera économiser le coût de la traduction...
    Je vais le faire, monsieur le président, mais en présentant mes plus plates excuses aux membres du Bloc, pour ne pas avoir respecté leur...
    Merci.
    Poursuivons. Nous passons aux ministériels.
    Monsieur MacKenzie, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins d'être venus aujourd'hui.
    C'est une question extrêmement importante, quoique dans le passé, certains ont eu tendance à en diminuer l'importance. Je voudrais tout d'abord déclarer que je ne perçois pas du tout la communauté autochtone comme le grand méchant dans toute cette affaire. Ce que nous entendons aujourd'hui, c'est que les Autochtones ont peut-être été utilisés par le crime organisé. Les Américains disent que des organisations terroristes s'en servent pour financer leurs activités de terrorisme; je ne crois pas que nous en ayons des preuves, mais les Américains le disent. Toute cette affaire tient en partie, évidemment, au fait qu'on a laissé durer de telles activités, et je ne voudrais pas que les gens des premières nations puissent croire ne serait-ce qu'une seconde que nous ciblons exclusivement les premières nations.
    Monsieur Montour, je pense qu'à titre de fabricant des premières nations, vous avez déjà touché le noeud du problème, à savoir qu'il n'y a pas beaucoup d'ingrédients des cigarettes... Dans ce sac qui a fait le tour de la table, quelle proportion des ingrédients viennent d'une communauté des premières nations?

  (1625)  

    Zéro. Nous ne fabriquons pas de boudin de filasse, nous ne fabriquons pas de papier à embout, nous ne fabriquons pas de papier à cigarette. Je ne sais pas trop quelle quantité de tabac est cultivée dans nos communautés, mais elle est très minime — et c'est un droit inhérent et je ne pense pas que l'on puisse invoquer la Charte pour nous interdire d'en cultiver parce que nous l'utilisons à des fins cérémoniales depuis des années — mais cela représente une quantité minuscule en comparaison de ce dont on parle aujourd'hui.
    Les matières premières nécessaires pour prospérer dans cette industrie qui est un fléau pour nous tous viennent de l'extérieur de la réserve.
    Dans ce cas, comment les premières nations qui fabriquent des cigarettes se les procurent-elles?
    À l'heure actuelle, il n'y a aucune restriction. Autrement dit, n'importe qui peut commander du boudin de filasse, du papier à embout, du papier à cigarette, enfin toutes les matières premières nécessaires. N'importe quel citoyen canadien, autochtone ou non, n'aurait aucun problème à commander ces matières premières.
    Et s'ils commandaient du tabac?
    Pour le tabac, il y a des restrictions. On est censé avoir un permis de fabricant canadien de produits du tabac pour se procurer du tabac dans la réserve.
    Mais le tabac brut n'est-il pas contrôlé par l'Office de commercialisation des producteurs de tabac jaune? En fait, ma question est la suivante: puis-je aller voir un agriculteur et lui commander 50 000 livres de tabac en feuilles?
    Pas légalement, monsieur, non.
    Alors comment le tabac passe-t-il du producteur, qu'il soit cultivé au Canada, aux États-Unis ou en Chine, jusqu'aux premières nations? Si c'est là que la fabrication légale a lieu, comment le tabac est-il acheminé dans les réserves?
    À une époque différente, disons il y a environ sept ans, quand les producteurs de tabac dans leur ensemble ne se sentaient pas tellement abandonnés, cette activité n'avait pas l'ampleur qu'elle a aujourd'hui.
    Mais à l'heure actuelle, comme vous le savez, les producteurs se sont adressés au ministère de l'Agriculture pour demander un quelconque programme graduel de biomasse, parce qu'ils sont dans la misère. Beaucoup de ces agriculteurs sont vraiment dans une situation désespérée actuellement. Leur opinion est que les grandes entreprises les ont laissé tomber pour acheter leurs produits au Brésil et dans d'autres pays.
    J'ai déjà suggéré au ministre il y a longtemps de prescrire la quantité de tabac faisant partie d'un produit fabriqué ou vendu au Canada. Je sais qu'on va invoquer des arguments relatifs au commerce mondial, mais je pense que nous avons aussi l'obligation de protéger les producteurs canadiens de tabac. Je ne pense pas que nous devrions les abandonner.
    À l'heure actuelle, ils sont d'autant plus à risque d'être victimes du crime organisé qu'ils sont dans la misère.
    Bon, voilà donc pour cet aspect, mais il faut voir ensuite ce qui se passe après la fabrication du produit. Monsieur Kemball, je pense que vous avez dit qu'un pourcentage élevé du tabac illégal est ensuite vendu par l'intermédiaire de contacts. Qui sont ces contacts? Est-ce un réseau organisé? Je sais que ce ne sont certainement pas les dépanneurs, qui ont des commerces légitimes au Canada, mais qui donc vend ces produits? On a parlé de crime organisé; est-ce vendu par le crime organisé, qui en récolte les profits?
    Nous avons obtenu des données au moyen d'une enquête comportant des rencontres en tête à tête avec des consommateurs qui montraient à l'enquêteur ce qu'ils fumaient à ce moment-là; c'est ainsi que nous avons obtenu le chiffre total de 22 p. 100 pour l'ensemble du Canada. Ce sont des fumeurs qui avaient réellement avec eux des produits illicites.
    La plupart des répondants disent qu'ils achètent leurs cigarettes en passant par des contacts, des amis ou des membres de leur parenté qui leur livrent le produit. Ces gens-là n'achètent pas leurs cigarettes dans un dépanneur et ne vont pas non plus dans les réserves pour les acheter.
    Cela veut dire qu'il y a un réseau. On entend toutes sortes d'anecdotes, du genre que les gens laissent 10 $ dans leur boîte aux lettres et quand ils reviennent le soir, ils y trouvent leur paquet de 200 cigarettes. Dans certains quartiers de Montréal et même ailleurs au Québec, les gens trouvent une carte glissée sous leur porte disant: « Bois de foyer, tant de la corde; cigarettes: 6 $, 8 $, 10 $ ». Il existe donc un réseau. Quant à savoir dans quelle mesure c'est le fait du crime organisé ou de gangs, ou bien d'entrepreneurs qui se lancent dans ce marché illégal, nous ne le savons pas. Dans un cas comme dans l'autre, c'est une mauvaise nouvelle.
    Peu importe qu'il s'agisse de nouveaux criminels qui arrivent sur le marché et créent des réseaux de distribution, ou bien du crime organisé traditionnel et bien connu; que ce soit l'un ou l'autre, c'est une mauvaise nouvelle.

  (1630)  

    Il me semble que l'une des préoccupations que nous devons avoir — je veux dire toute la société — est qu'il y a là beaucoup d'argent comptant qui circule sans laisser de trace, et c'est certainement à ce niveau qu'intervient l'activité criminelle. De plus, s'il existe un réseau distribuant des cigarettes illégales, il me semble qu'il est tout naturel que ce réseau écoule aussi des drogues illicites, des armes à feu et même des êtres humains, et c'est à ce moment-là que la guerre éclate entre les gangs.
    N'est-ce pas là une grave inquiétude — peut-être M. Montour est-il le mieux placé pour répondre à cette question — qui pèse sur l'avenir des communautés des premières nations?
    C'est absolument vrai. Et en bout de ligne, si l'on n'a pas le droit de mener des activités dans un environnement légal, inévitablement, on en vient à travailler avec des gens situés de plus en plus bas dans l'échelle. En tant qu'homme d'affaires des premières nations, j'ai une responsabilité envers tous les gens qui travaillent actuellement dans le secteur et ceux qui envisagent de s'y lancer; je dois faire en sorte que tout soit le plus transparent possible et tout ce qui s'est fait de bon dans notre secteur doit être au grand jour, et tout ce qui est mauvais doit être dévoilé.
    En fin de compte, je dirais que ce ne serait jamais avantageux pour les premières nations si toutes les activités n'étaient pas totalement transparentes. Si quelqu'un ne peut pas vendre son produit, prendre l'argent et le placer à la banque et s'en servir ensuite pour acheter des produits comme n'importe quel autre consommateur, alors il m'est absolument impossible d'approuver cette activité, parce que cela donne l'impression que les gens de mon peuple sont des criminels.
    Avant de commencer notre deuxième tour, monsieur Montour, je ne suis peut-être pas vite, mais je n'ai pas compris votre réponse à la question de M. MacKenzie sur la manière dont le tabac parvient dans les réserves. Pourriez-vous me donner des précisions?
    Il est très important d'en prendre bonne note, parce que je me sens très fortement engagé envers les producteurs canadiens de tabac. Comme vous le savez, notre usine se trouve en plein coeur de la région de Delhi-Simcoe et j'en vois donc les répercussions directement. Ce qui s'est passé, c'est que tous les cultivateurs s'attendaient à une sorte de rachat du gouvernement, ce qui n'aurait peut-être pas été la solution, et je respecte les souhaits de votre gouvernement...
    Je respecte votre gouvernement pour sa transparence totale. Quand ils sont venus voir le ministre de l'Agriculture pour lui demander s'il allait racheter toutes leurs exploitations agricoles, il a dit non et il a tué le projet dans l'oeuf. Mais les grandes entreprises s'en servent comme d'un atout pour barguigner avec eux et les obligent quasiment à vendre leur tabac à un prix dérisoire, ce qui nuit aux agriculteurs.
    Par conséquent, ces derniers autorisent ces expéditions de tabac, même si elles sont réputés illégales, parce qu'ils sont désespérés, monsieur. Ils arrivent donc au milieu de la nuit avec des camions de 24 pieds de long, ils vendent leur produit contre argent comptant et s'en retournent chez eux, comme le feraient des revendeurs de marijuana ou d'autres produits illégaux.
    Pourrions-nous ajouter quelque chose, monsieur le président?
    Je pense que la GRC pourra corroborer ce renseignement. De loin, la très grande majorité du tabac brut utilisé pour fabriquer des cigarettes illégales provient des États-Unis. Une partie vient de la Caroline du Nord et le reste vient d'ailleurs dans le monde. Nous avons aussi entendu dire qu'il y a des ventes de tabac qui se déroulent dans les granges, pour ainsi dire, et qui contournent le système des enchères, mais de loin, la grande majorité vient des États-Unis.
    Quand on examine la quantité de cigarettes illégales qui sont vendues — 10 milliards de cigarettes —, c'est l'équivalent de 1 000 conteneurs de 40 pieds ou énormes camions semi-remorques articulés; c'est donc une énorme quantité. La quantité de tabac nécessaire pour les fabriquer est à peu près de la même ampleur, parce que le tabac est évidemment le principal ingrédient d'une cigarette. Ce tabac est donc en grande partie importé des États-Unis par camion, en quantités gigantesques.
    Je pense que cela pose un défi additionnel si l'on veut enrayer cet approvisionnement en matières premières. Pour les réserves qui chevauchent la frontière canado-américaine, c'est bien beau de renforcer la surveillance du côté canadien, mais à moins qu'on puisse garantir qu'une surveillance aussi étroite est exercée du côté américain de la frontière pour l'entrée de fournitures, de machines et de tabac, il y a un très grand risque que les efforts visant à enrayer cet afflux tournent à vide.

  (1635)  

    Je ne veux pas vous interrompre pour poser d'autres questions, mais est-ce que l'un ou l'autre de vous, messieurs, a des preuves de ce que vous avancez ici?
    J'ai des preuves de ce que j'avance. La police provinciale de l'Ontario a intercepté dans la région de Delhi une cargaison de 48 000 livres de tabac brut en feuilles, ici même au Canada.
    Nous avons toujours considéré qu'Akwesasne était le coeur du problème de la contrebande, peut-être en partie à cause de la manière dont l'affaire prend des proportions. Peut-être que nous sommes tous en train de surveiller la même maison, alors que cinq maisons plus loin, les contrebandiers s'en donnent à coeur joie.
    Si l'on n'offre pas aux producteurs canadiens de tabac une chance équitable de vendre leur tabac, et si le gouvernement ne s'assure pas que le produit consommé au Canada provienne au moins de notre propre pays, alors nous laissons tomber les producteurs canadiens de tabac. Je ne vais pas changer d'avis là-dessus.
    Très bien.
    Monsieur McCarty, vous semblez vouloir intervenir.
    Vous êtes plusieurs à avoir en main la Stratégie de lutte contre la contrebande de tabac de la GRC et dans ce document, on indique justement que la GRC est convaincue qu'une grande partie du tabac expédié dans la réserve d'Akwesasne, du côté américain, provient de sources situées aux États-Unis.
    Très bien. Nous amorçons le tour suivant et le prochain sur la liste est M. St. Amand, qui a cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'ai plusieurs brèves questions.
    Premièrement, je m'adresse à vous, monsieur Kemball. Je crois savoir que la compagnie Imperial utilise maintenant beaucoup moins de tabac canadien que ce n'était le cas ces dernières années. Est-ce vrai ou faux? Une brève réponse.
    Premièrement, nous avons toujours une proportion de feuilles de tabac non canadiennes...
    Je le sais, mais la proportion de tabac non canadien augmente constamment. C'est ce que je crois savoir.
    La majorité sont des feuilles canadiennes et nous continuerons de nous en servir comme principale source.
    Désolé, mais vous n'avez pas vraiment répondu. La proportion de tabac non canadien augmente.
    Elle a augmenté au fil des années.
    Bon, disons que ça va.
    Monsieur Kemball, vous avez dit que le contribuable perd 1,6 milliard de dollars en recettes fiscales et je ne doute pas que ce soit exact. Est-ce la taxe fédérale seulement, ou le total des taxes?
    C'est le total; les taxes fédérales et provinciales.
    C'est le total, bien.
    Est-ce dans l'ensemble du Canada ou bien seulement pour l'Ontario et le Québec?
    L'ensemble du Canada. Évidemment, la majorité est en Ontario et au Québec.
    Et vous avez diligemment identifié les différentes composantes de cette épineuse question: la problématique sociale, etc. Vous reconnaissez que les propriétaires légitimes de petits dépanneurs, principalement, comme l'a dit M. MacKenzie, perdent une grande part de leur marge bénéficiaire à cause de la prolifération de la vente illégale de cigarettes. Cela n'est pas contesté.
    Absolument. Ils perdent, d'après notre estimation, 120 000 $ de chiffre d'affaires chaque année à cause du commerce illicite — évidemment, en Ontario et au Québec, pour ceux qui ont des commerces dans ces provinces.
    Je m'adresse maintenant à vous, monsieur Montour.
    La compagnie Grand River Enterprises de M. Montour se trouve dans ma circonscription de Brant et je connais donc bien M. Montour et je connais particulièrement bien le Fonds Dreamcatcher, qui réinjecte, de manière concrète, deux millions de dollars par année dans la communauté.
    Monsieur Montour, vous fabriquez des cigarettes — légitimement — depuis 1997?
    Oui.
    Combien d'autres fabricants de cigarettes se trouvent sur le territoire des Six Nations de Grand River?
    Je pense qu'il aurait été préférable de poser cette question à la GRC, parce qu'elle connaît mieux les activités qui se déroulent dans notre territoire. Il m'est difficile de répondre; je ne veux pas dire publiquement que telle ou telle entreprise est légale ou illégale, parce qu'il y a beaucoup de questions de souveraineté qui se posent dans tout le dossier de la fabrication du tabac.
    Je peux vous dire, monsieur St. Amand, que nous, en tant que fabricants, avons versé plus de 500 millions de dollars en taxes depuis que nous avons obtenu notre licence. C'est pourquoi on m'a octroyé le privilège extraordinaire de siéger à cette table et c'est pourquoi notre compagnie s'est engagée à résoudre ces problèmes. Cela vient en aide à tout le monde.
    Et la vente ou la fabrication de cigarettes illégales sur le territoire des Six Nations et dans la région pose un problème depuis un certain temps?

  (1640)  

    Nous nous plaignons publiquement aux diverses agences gouvernementales, à tous les niveaux, depuis huit ans.
    Les Six Nations ont un service de police. Dans quelle mesure, le cas échéant, la police locale a-t-elle été en mesure d'enrayer cette activité illégale?
    C'est une très bonne question et je suis content que vous l'ayez posée.
    Le service de police des Six Nations ne s'est jamais enrôlé pour être la police du fisc. À chaque fois que l'on est en présence des autres activités qu'on a mentionnées à cette réunion d'aujourd'hui, la police intervient fermement... Je sais aussi que c'est la position du service de police d'Akwesasne. Dans toute situation mettant en cause des drogues, des fusils, d'autres formes d'extorsion, des activités criminelles, la police contribue à l'enquête. Mais venir à votre comité et vous laisser croire que tous les Autochtones dans les territoires des premières nations sont disposés à accepter l'illégalité, ce serait donner une très mauvaise perception de notre peuple. Nos gens sont tout à fait intéressés à contrer les éléments criminels dans nos communautés. Nous avons seulement quelques problèmes de fiscalité.
    Je pense qu'il me reste seulement une minute.
    Supposons que demain, l'un de vous soit nommé ministre de la Sécurité publique. Vous êtes confronté à un problème épineux: un approvisionnement illégal, un marché qui échappe à tout contrôle, des fabricants non autorisés, des problèmes sociaux qui s'aggravent. Quelle mesure immédiate pourriez-vous prendre pour contrer ce problème?
    Je pense qu'il faut absolument se tourner vers les matières premières qui servent à fabriquer ces produits du tabac et laisser tous les fabricants qui participent d'une manière ou d'une autre mener leurs activités dans la plus parfaite transparence.
    Je dirais que la priorité serait de convoquer un groupe de travail national, étant donné le grand nombre de secteurs qui sont touchés par le commerce illégal et les diverses mesures d'application de la loi qui doivent être prises, aux niveaux provincial et fédéral. Je pense que la nomination d'un fonctionnaire de haut niveau à la tête d'un groupe de travail qui rassemblerait l'ensemble des forces gouvernementales pour s'attaquer à ce problème, serait un assez bon point de départ.
    Merci.
    Nous passons maintenant au Bloc québécois.
    Madame Thi Lac, vous avez la parole.

[Français]

    Bonjour et merci d'être là ce matin pour témoigner devant nous.
     Je remercie également M. Montour d'avoir fait preuve de sensibilité face au fait qu'on n'a pas pu nous remettre les documents en français. Je suis tout de même contente qu'on puisse avoir les documents, qui seront traduits et qui nous seront remis.
    Dans le graphique de la page 4 du document qui nous a été remis par Imperial Tobacco, on constate une légère décroissance du nombre de fumeurs. Ma génération a connu énormément de campagnes de sensibilisation contre le tabagisme. Il fallait avoir 18 ans pour acheter des cigarettes. Je suis de cette génération qui a appris qu'on ne pouvait pas acheter de produits du tabac avant d'avoir atteint l'âge de la majorité. Cependant, ce qui est paradoxal, c'est que depuis 1976, on note une légère décroissance du nombre de fumeurs d'âge adulte, mais que les jeunes... Je ne crois pas que les statistiques montrent que les jeunes fument moins, bien que ma génération et celles qui ont suivi aient connu les grandes campagnes de sensibilisation. Les jeunes sont probablement très ciblés par les produits illicites, puisqu'il ne leur est pas possible d'aller en acheter dans les points de vente, étant donné qu'ils n'ont pas l'âge réglementaire pour se procurer légalement ces produits. Je suis très sensibilisée au fait qu'en faisant une lutte sévère contre les produits de contrebande, on va aussi aider à sensibiliser les jeunes et peut-être même empêcher que certains d'entre eux deviennent adeptes du tabagisme.
     Ma première question fera suite à ce que disait M. St. Amand.
    Monsieur Montour, vous avez parlé de produits bruts, mais je voudrais que vous m'expliquiez davantage ce que vous entendiez par « produits bruts » dans votre recommandation pour contrer la contrebande du tabac.

  (1645)  

[Traduction]

    Comme nous l'avons signalé dans notre exposé, il y a les matières premières: le boudin de filasse, qui sert à faire le filtre, le papier à cigarette; tout cela sert à faire des produits du tabac. Bien des gens diront que ces produits ont de multiples usages; pas à ma connaissance. Je persiste à croire que nous pouvons définir les usages auxquels ces produits peuvent servir. Je pense que le filtre fabriqué avec du boudin de filasse, le papier à cigarette, le papier à embout qui entoure le filtre sont de très bons points de départ.
    Quant au tabac lui-même, plus nous précisons les activités qui entourent l'utilisation du tabac dans ces usines, plus cela contribuera à contrer le problème.
    De plus, la bandelette d'ouverture qui sert à cacheter le produit est spécifique; elle est fabriquée exprès pour le tabac.
    Cela fait partie de ma conviction et de la stratégie qui peut être mise en oeuvre immédiatement. Si nous commençons à essayer de négocier, allons-nous négocier des traités fiscaux avec différentes premières nations, et allons-nous... Cela pourrait prendre énormément de temps.
    Je suis d'accord avec vous: s'il y a quelqu'un qui est stigmatisé par l'industrie du tabac, par le fait que le tabac tombe entre les mains des jeunes, on dirait que, pour une raison ou une autre, on blâme toujours les premières nations. Dès que l'on pourra comprendre que c'est un problème qui touche l'ensemble de l'industrie — pas seulement les détaillants des premières nations —, on sera mieux en mesure d'enrayer le problème et d'empêcher le produit de tomber entre les mains des jeunes.

[Français]

    D'accord.

[Traduction]

    En réponse à la question sur le tabagisme chez les jeunes, nous n'avons pas de renseignements sur les jeunes provenant de nos études de marché. Nous ne suivons pas cela, mais le gouvernement a des statistiques. Le gouvernement fédéral fait une enquête.
    La proportion de la population adulte qui fume baisse continuellement depuis les années 1970. La baisse annuelle est de l'ordre de 2 p. 100 ou 3 p. 100.
    On observe la même tendance dans les chiffres du gouvernement pour les jeunes. Cependant, je suis entièrement d'accord avec les préoccupations que vous soulevez. Quand les jeunes ont accès aux produits du tabac à l'extérieur du réseau normal de vente au détail, où les détaillants eux-mêmes ont leurs propres programmes et veillent à ce que leurs employés ne vendent pas de cigarettes aux enfants, il existe effectivement un risque, étant donné qu'évidemment les réseaux qui distribuent des produits du tabac illégaux ne s'occupent pas de demander une preuve d'âge. Et nous savons avec certitude que les intervenants du marché illégal contournent les contrôles qui empêchent les enfants d'avoir accès aux produits du tabac.
    Merci beaucoup.
    Nous revenons maintenant aux ministériels. Monsieur Norlock, vous avez la parole.
    Ma question s'adresse à vous, monsieur Montour.
    Mais avant de la poser, je veux revenir à la question des matières premières. Fondamentalement, tout ce qui entre dans la fabrication des cigarettes — le filtre, le papier, tout le reste — est destiné expressément à l'industrie du tabac. Tout cela n'est pas utilisé à d'autres fins, y compris les filtres, à votre connaissance. Peut-on affirmer cela de façon catégorique, d'après vous, ou bien est-ce relatif?
    C'est certainement le cas des produits conçus à cette fin. On pourrait dire: « Oui, mais le papier sert à écrire et à tout le reste », mais pas le papier à cigarette.
    Il s'agit ici de papier à cigarette, qui est fabriqué expressément pour ce produit. Les gens ne se servent pas de papier à cigarette pour écrire, n'est-ce pas?
    Je crois que ce papier sert uniquement à la fabrication de cigarettes.
    Bien.
    Et qu'en est-il des tubes? J'ai constaté qu'on peut en acheter. Sont-ils destinés expressément à cette fin?
    Oui, on peut acheter des tubes, mais quand il y aura une forme quelconque de réglementation gouvernementale, il y aura transparence; vous pourrez savoir combien de papier les fabricants utilisent pour fabriquer ces tubes.
    Les fabricants de cigarettes font-ils leurs propres tubes? En fabriquez-vous vous-même?
    Non, monsieur, nous ne fabriquons pas de tubes.
    Et chez Imperial?
    Nous ne fabriquons pas de tubes. Nous en vendons pour d'autres qui les fabriquent, mais les tubes ne sont pas utilisés dans la fabrication des cigarettes. Ils sont utilisés par les consommateurs qui achètent du tabac à cigarettes en vrac et qui font leurs propres cigarettes. Dans les usines, les cigarettes sont fabriquées directement à partir du filtre, du tabac, du papier à cigarettes et de l'embout recouvert de liège, qui sert à tenir le tout ensemble.
    Merci.
    Monsieur Montour, la GRC estime qu'il y a un certain nombre d'adolescents, surtout dans les communautés autochtones, qui se font exploiter par le crime organisé pour faire la contrebande du tabac et que cette activité pave peut-être la voie à la participation de ces adolescents à d'autres activités criminelles.
    Avez-vous vu des indices de cette criminalité des adolescents dans les réserves, d'après votre expérience personnelle, et cela a-t-il augmenté proportionnellement au commerce de contrebande?

  (1650)  

    Je pense qu'il est préférable de s'en remettre à la GRC qui peut commenter dans ses propres rapports, parce que je ne voudrais certainement pas contredire une organisation gouvernementale que je trouve très efficace.
    Je ne vous demande pas de la contredire, je vous demande seulement votre point de vue personnel, d'après ce que vous avez vu dans les rapports de la GRC et de vos propres yeux.
    Je crois que si nous ne faisons pas quelque chose pour introduire un peu plus de transparence dans l'ensemble de l'industrie, monsieur le député, nos enfants vont se retrouver très embrouillés. Ils ne sauront plus exactement ce qui est légal, ce qui est illégal et comment ils doivent se comporter dans la vie.
    Si vous venez visiter des réserves, par exemple celle des Six Nations, vous verrez que cela ressemble actuellement à une zone de guerre. Cela ne ressemble vraiment pas au Canada dans lequel nous voulons tous que grandissent nos enfants et ceux des premières nations. Ce n'est pas un environnement normal dans lequel un enfant devrait grandir et s'ils doivent aller travailler dans une usine de tabac non réglementée, comment savoir s'il y a là des armes à feu et autres activités illégales? Personne n'est en mesure de répondre à cela.
    Je ne suis pas le bienvenu dans ces usines, évidemment, parce qu'il est très clair que nos compagnies payent des taxes fédérales. Je ne pourrais pas me prononcer sur ce qui se passe dans les autres usines.
    Êtes-vous au courant d'une stratégie quelconque qui serait actuellement en place dans les réserves pour combattre ce fléau? Y a-t-il un mouvement dans les premières nations?
    L'une des raisons qui empêchent les premières nations de s'attaquer à ce problème, c'est qu'il semble y avoir un problème de contrôle, du point de vue du gouvernement provincial, à savoir qui a compétence sur la réserve. Du point de vue du gouvernement provincial, celui-ci affirme avoir compétence sur la réserve. Mais quand il s'agit des revendications territoriales, il pense que c'est plutôt la tâche du gouvernement fédéral et il place celui-ci en avant. C'est pourquoi je compte sur le gouvernement fédéral pour aider les gens qui veulent de la transparence dans cette industrie, pour nous aider à survivre dans ce secteur d'activité.
    J'ai fait tout ce que vous nous demandez de faire, dans ma compagnie, et maintenant je veux que vous m'aidiez, à titre de fabricant. Je veux que vous aidiez notre peuple.
    Je comprends cela.
    Le vendredi 9 mai, The Hamilton Spectator a publié un article signé Leroy Hill, secrétaire du gouvernement traditionnel des Six Nations, dans lequel on disait que les premières nations élaborent leur propre législation pour s'attaquer au problème du tabac. Avez-vous entendu parler de ces lois qu'on envisage d'adopter — comment on va les faire appliquer ou qui va s'en charger?
    Je sais qu'elles ne sont pas en vigueur actuellement, et ce serait donc irresponsable de ma part de commenter. C'est un travail évolutif, il faut d'abord établir la loi.
    Merci.
    Monsieur Easter.
    Merci, monsieur le président. Merci, messieurs, d'être venus.
    J'ai eu plusieurs rencontres avec des producteurs de tabac en Ontario. Vous avez absolument raison de dire qu'ils sont frustrés et déçus. Ils croient vraiment que le gouvernement a pris l'engagement de mettre en oeuvre une stratégie de sortie et que le gouvernement a violé cet engagement. Ils estiment que l'actuel ministre de l'Immigration a pris envers eux un engagement qui n'a pas été tenu. Ils sont donc d'avis que le gouvernement a laissé tomber les producteurs de tabac.
    Tout cela a-t-il quelque chose à voir avec eux?
    Oui, il y a un rapport. M. Montour a dit tout à l'heure qu'il croit qu'une grande partie du tabac illégal vient du Canada. M. Kemball a dit qu'il vient en grande partie des États-Unis.
    Mais quoi qu'il en soit, monsieur MacKenzie, le gouvernement a trahi sa parole. C'est ce que le secteur du tabac vous dit, et c'est ce qui a été rapporté dans les journaux.
    Peu importe d'où vient ce tabac illégal, il faut qu'il soit chargé à bord d'un camion et apporté jusqu'aux usines de production illégale. Pourquoi, à votre avis, n'a-t-on pas arrêté ces camions sur les routes?

  (1655)  

    Premièrement, je ne suis pas ici pour appuyer une agence gouvernementale quelconque. Je respecte le gouvernement actuel qui donne des réponses transparentes. J'ai eu une rencontre avec le ministre de l'Agriculture et il n'y est pas allé par quatre chemins. Non, le gouvernement ne va pas racheter les exploitations des producteurs canadiens de tabac. L'industrie et nous tous dans cette salle devons trouver le moyen d'aider le producteur canadien de tabac et la première tâche est de s'occuper des ventes légitimes.
    Le tabac est cultivé dans une vaste région. Quand les services de police manquent d'effectifs, quand ils doivent courir à gauche et à droite pour s'occuper d'une foule d'autres activités, quand vous leur demandez de savoir ce que contient chaque camion qui roule dans une région rurale, vous demandez l'impossible. Nous devons trouver une solution raisonnable que nous pourrons convaincre les agriculteurs d'accepter. L'agriculteur cultive le produit. S'il a confiance qu'il existe une stratégie de sortie — que ce soit un paiement de quelques cents la cartouche ou quoi que ce soit qui permette une période de transition — je ne crois pas qu'il sera enclin à se mêler d'activités illégales. C'est seulement mon point de vue.
    Je ne suis pas en désaccord avec vous là-dessus. Je dis qu'il faut qu'il y ait une stratégie de sortie du côté canadien. Cela n'empêchera pas le produit illégal d'entrer en provenance des États-Unis. Mais il est certain que l'application de la loi est une partie du problème.
    Je suis un ancien solliciteur général. Je crois que l'on sait assez bien où se trouve ce produit sur les routes et je ne comprends pas pourquoi on n'arrête pas ces camions ni pourquoi il n'y a pas d'arrangements avec les États-Unis de manière à empêcher le produit d'arriver jusqu'aux usines. On ne parle pas ici de quantités négligeables, mais d'énormes quantités qu'il faut transporter à destination et en provenance des usines de production. Si les services d'application de la loi faisaient leur travail, ce commerce serait bloqué à la source et pendant le transport.
    Ce serait tout à fait irresponsable de ma part de venir critiquer ici personnellement les services d'application de la loi. Je pense qu'ils ont déjà une tâche accablante. Je pense qu'ils prennent très au sérieux le secteur du tabac. Peut-être qu'ils manquent d'effectifs; je ne sais pas. Je ne peux pas répondre au nom des services de police.
    Ce que je sais, c'est qu'à chaque fois que nous avons demandé une rencontre, nous avons eu beaucoup moins de misère à obtenir une rencontre avec les services de police qu'avec les organismes gouvernementaux, je vous le dis en toute franchise.
    Pour ce qui est du produit lui-même, le produit qu'on a fait circuler autour de la table est-il illégal?
    Puis-je répondre à cela, monsieur le président?
    Oui, allez-y.
    Cela fait un certain temps que je veux intervenir. J'attendais qu'on pose la bonne question: pourquoi ce produit est-il illégal?
    Premièrement, il est vendu à 6 $. Il est fabriqué dans une usine qui n'a probablement pas de permis, ce qui est une infraction. Après avoir été fabriqué dans cette usine, il a traversé la frontière en contrebande. Encore une autre infraction à la loi. Ensuite, la taxe d'accise n'a pas été payée; une autre loi violée. La taxe provinciale sur le tabac n'a pas été perçue quand le produit a été vendu à l'extérieur de la réserve. C'est encore une autre loi violée — et l'on ne parle même pas de la TPS et de la taxe de vente.
    Ensuite, qu'arrive-t-il? Le produit est vendu au consommateur. Y a-t-il un avertissement de santé? Non. Énumère-t-on les ingrédients sur le paquet? Non. Le papier est-il à faible propension d'inflammation? Non, il ne l'est pas.
    Il y a au moins une douzaine d'infractions en matière de santé relativement à ce sac de cigarettes. Et puis il y a aussi la Loi sur l'emballage et l'étiquetage des produits de consommation, que le Bureau de la concurrence doit appliquer.
    Qu'est-ce qu'il y a là-dedans? Je l'ignore.
    Si c'était de la bière — si quelqu'un vous vendait de la bière dans des bouteilles en plastique transparent, sans aucune indication, est-ce que vous la boiriez? Non. Mais tout le monde fume ce truc-là.
    Le nom du fabricant n'est pas indiqué. C'est encore une autre infraction. Le Bureau de la concurrence est censé faire appliquer cela. On n'indique pas les ingrédients. On ne dit pas d'où ça vient.
    Santé Canada a recensé une douzaine, au moins une douzaine d'infractions aux règlements sur la santé et à la Loi sur le tabac. Toutes ces lois et règlements sont systématiquement violés. Rien de tout cela n'est appliqué.
    Voilà pourquoi ce produit est illégal. Il est illégal pour d'innombrables raisons.
    Oui, et je vous remercie pour cette réponse...
    Il faut conclure cet échange.
    Très bien.
    Ce n'est donc pas seulement une question d'application de la loi. Il y a aussi les autorités frontalières, les autorités de la santé, les responsables de la vente au détail. Dans ce cas, pourquoi, d'après vous...?
    Si nous savons que c'est fabriqué illégalement, je n'arrive pas à comprendre pourquoi on n'en intercepte pas davantage.
    C'est la parabole de la main gauche qui ne sait pas ce que fait la main droite — c'est pourquoi, quand on propose de créer un groupe de travail gouvernemental, avec à sa tête un fonctionnaire de haut rang chargé de rassembler tous les intervenants de l'application de la loi, des gouvernements fédéral et provinciaux, nous pensons que c'est un pas dans la bonne direction.

  (1700)  

    Merci.
    Personne de ce côté-ci?
    Monsieur Cullen, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Kemball, vous avez mentionné le chiffre de 1,6 milliard de dollars en pertes de revenus. C'est au niveau provincial, mais avez-vous une idée de l'ampleur de la composante fédérale de ce montant, à peu près?
    Je pense que c'est à peu près un tiers, étant donné qu'en Ontario et au Québec, les taxes provinciales sur le tabac sont plus élevées, à peu près le double de la taxe d'accise fédérale.
    Monsieur Montour, j'aime bien votre idée d'essayer de suivre à la trace les matières premières, mais je vais me faire l'avocat du diable pour un instant.
    Mes collègues ont demandé où les fabricants illégaux se procurent leur tabac. Eh bien, ils l'achètent dans des transactions sur le marché noir. Il me semble avoir entendu quelqu'un dire qu'au Canada, on peut seulement acheter du tabac en feuilles si l'on est un fabricant enregistré. Donc, s'ils ne sont pas des fabricants enregistrés, ils achètent leur tabac sur le marché noir. Vous pouvez me contredire si je me trompe.
    Si l'on contrôle les matières premières, comme vous le proposez — je pense que c'est une idée qu'il vaut la peine d'examiner —, ce marché entrera-t-il lui aussi dans la clandestinité? Cela comprendrait le papier, les filtres. Si quelqu'un suit tout cela à la trace et dit: « Attention, vous vendez à quelqu'un qui fabrique illégalement des cigarettes », est-ce que tout le reste deviendrait également clandestin?
    Je ne peux pas vraiment répondre à votre question. Je peux seulement vous dire ceci: si tous demandent la transparence, et si ces produits sont vendus par des compagnies cotées en bourse, alors celles-ci ont l'obligation, aux termes de la Loi sur les produits de la criminalité, d'être totalement transparentes.
    Donc, si elles camouflent des transactions quelconques et si vous prouvez qu'elles fournissent en douce cette industrie, des accusations peuvent être portées. Vous pouvez les poursuivre.
    Je ne sais pas lequel de vous trois, monsieur Kemball, monsieur Montour ou monsieur McCarty, serait le mieux placé pour répondre à ma prochaine question.
    Disons que quelqu'un achète des cigarettes dans un réseau quelconque et fait du porte à porte pour les vendre dans un quartier résidentiel. Premièrement, est-ce une infraction au Code criminel? Et la personne qui en achète enfreint-elle la loi?
    C'est donc une question en deux volets.
    Eh bien, la distribution du produit reviendrait à se rendre complice de la perpétration d'une foule d'infractions que j'ai énumérées tout à l'heure. Je ne crois pas que ce soit vraiment une infraction d'en acheter illégalement, mais je me trompe peut-être.
    J'ai une dernière question.
    Quand on parle de tout cela — et je sais ce que vous voulez dire, monsieur Kemball, quand vous parlez d'essayer de rassembler tout un éventail d'intervenants, et il en est d'ailleurs fait mention dans le rapport de la GRC — voyons les choses en face, en fin de compte, que ce soit aux États-Unis ou au Canada, il y a toute une gamme d'activités illégales qui se déroulent dans les réserves des premières nations, à moins que j'aie mal interprété les données que j'ai vues. Et avec le respect que je vous dois, je ne dis pas que cela se passe entièrement dans les réserves des premières nations, mais c'est en grande partie le cas.
    Nous hésitons à aller faire respecter la loi dans les réserves, que ce soit aux États-Unis ou au Canada. Mais si les gens violent la loi en vigueur dans un pays — et je ne peux pas parler des États-Unis — et si nous laissons faire tout cela sans appliquer nos propres lois, n'avons-nous pas une responsabilité? Je comprends le besoin d'examiner tout cela globalement, et peut-être de se pencher sur les taxes et les suggestions que M. Montour a faites, mais n'avons-nous pas la responsabilité de faire appliquer nos propres lois? Si c'est dans les réserves qu'elles sont violées, peu importe.
    Absolument, je suis entièrement d'accord. C'est pourquoi à la dernière page du mémoire, quand on arrive aux solutions potentielles, d'abord et avant tout, il s'agit de faire appliquer la loi. Et pas seulement la loi touchant les taxes sur le tabac, mais toutes les autres lois auxquelles M. McCarty a fait allusion. Ne nous leurrons pas: si la loi était appliquée efficacement partout, ce problème serait loin d'avoir l'ampleur qu'il a aujourd'hui. De plus, la politique de contrôle du tabac que le Canada a mise en place au fil de plusieurs décennies ne serait pas menacée d'échec.
    Vous savez, ça fait dix ans qu'on ferme les yeux sur le problème. Alors d'appeler la GRC, de lui demander de sonner la charge et d'envahir les réserves, ce n'est peut-être pas la meilleure solution dans le climat actuel. Étant donné le climat politique, alors qu'il y a des conflits territoriaux et tout ce qui se passe en Ontario e au Québec... Si l'on avait voulu adopter cette approche, il aurait fallu que les gouvernements précédents le fassent il y a dix ans, il y a longtemps. Mais maintenant que nous sommes pris avec ce gâchis qu'il faut nettoyer, c'est très simple: si l'on peut au moins commencer par une stratégie et obtenir un certain succès, ce sera du moins un premier pas.
    Mais je sais que les premières nations dans leur ensemble posent la question: quand était-ce la dernière fois qu'une personne non autochtone participant à cette activité a été poursuivie devant les tribunaux? Si vous adoptez des lois interdisant d'importer du boudin de filasse dans les réserves, et si vous retracez l'origine du produit et que vous poursuivez le PDG de la compagnie Eastman Kodak, et si un autre Indien est envoyé en prison, ce ne serait rien du tout.
    Savez-vous combien d'Indiens sont en prison à l'heure actuelle? Eh bien, je vous le garantis, il n'y a pas un seul PDG non autochtone en prison. Si vous commencez à les obliger à rendre compte de leurs activités, croyez-moi, cela va cesser. J'en suis certain.

  (1705)  

    Merci.
    J'ai deux autres personnes sur ma liste.
    Monsieur St. Amand, vous demandez la parole depuis un certain temps, et ensuite M. Hanger.
    M. Cullen a déjà posé la question, mais si M. Montour veut y répondre, il peut le faire. Est-ce illégal d'acheter un produit qui viole une douzaine de lois?
    Je conclus de votre réponse, monsieur McCarty, que l'acheteur qui est complice de cette transaction frauduleuse, pour ainsi dire, ne fait rien de mal en achetant une cigarette au dixième du prix qu'il paierait au dépanneur.
    Je n'ai jamais vraiment examiné cette question. Je crois que ce n'est pas illégal comme tel pour quelqu'un d'acheter une cigarette qui viole par exemple la Loi sur le tabac. Je peux me tromper là-dessus. Chose certaine, si quelqu'un en achète en quantités énormes et les revend à ses copains, c'est une autre histoire, parce qu'il se rend alors complice d'un réseau de distribution illégale. Quant à savoir si c'est illégal pour quelqu'un d'acheter des cigarettes pour son usage personnel, si quelqu'un va en acheter 200 dans un kiosque à cigarettes à Kahnawake, je suis un peu gêné de dire que je n'en suis pas très certain.
    Pour venir en aide à mon collègue là-dessus, en fin de compte, ce n'est peut-être pas illégal de les acheter, mais c'est certainement illégal de se les procurer. En bout de ligne, si vous êtes en possession de ce produit, vous êtes en possession de quelque chose d'illégal. C'est à prendre en considération, peu importe que la personne soit en possession d'une seule cigarette ou de 50.
    Je suis offusqué quand on nomme une réserve en particulier, que ce soit Kahnawake, ou Wahta ou les Six Nations ou Akwesasne, parce que l'idée n'est pas de venir ici... Parce que je suis des premières nations, j'ai l'obligation de défendre mon peuple. Il y a beaucoup d'Autochtones respectueux des lois qui veulent le succès de cette industrie, et il y a beaucoup de gens qui sont ici pour contribuer de manière positive. Je ne crois pas que ce soit juste de s'en prendre à une région en particulier.
    Et vous autres devriez être d'accord avec cela, puisque vous êtes au Québec.
    Merci.
    J'ai maintenant trois personnes sur ma liste: M. Hanger, M. Ménard et Mme Priddy.
    Monsieur Hanger.
    Merci, monsieur le président. Je vous remercie de me donner l'occasion de poser des questions aux témoins.
    Je suis heureux que M. Montour soit venu témoigner. C'est intéressant. J'ai été invité à me rendre dans votre région plusieurs fois, par des amis qui habitent là-bas. Le problème tient en partie à l'accroissement des activités de contrebande et de distribution dans la région.
    J'ai été très étonné de vous entendre prononcer les mots « comme une zone de guerre » pour décrire la réserve. Je suppose que c'est ce que vous vouliez dire quand vous avez utilisé l'expression « zone de guerre ». Vous êtes manifestement inquiet au sujet de ce qui se passe ou de ce qui pourrait se passer à l'avenir. J'ignore ce que vous vouliez dire par là, mais je voudrais des précisions.
    En fait, j'ai moi-même acheté des cigarettes de contrebande pendant que j'étais là-bas et j'ai été très étonné qu'on puisse en acheter un paquet pour 6 $ ou 8 $. Mais ce qui m'a étonné encore plus, c'est la quantité de cigarettes de contrebande vendues à Calgary. Des camionneurs viennent ramasser des cigarettes ici à 6 $, les transportent à l'autre bout du pays et les revendent 40 $ à Calgary. Je comprends donc qu'il y a là énormément d'argent à faire et qu'aucune taxe n'est payée sur tout cela.
    J'ai aussi été surpris par le grand nombre de ces cabanes à cigarettes dont M. McCarty a parlé, dans ce secteur que j'ai eu la chance, je dis bien la chance de visiter, parce que je ne crois pas que quiconque puisse vraiment comprendre ce qui se passe avant d'aller voir de ses propres yeux. Il y en a quelque chose comme 200 juste à l'extérieur de la réserve. C'est un marché de grande envergure.
    Cela m'inquiète, à titre de député au Parlement et à titre d'ancien agent de police. Je dois dire que, moi aussi, je voudrais que la loi soit appliquée également. Vous, en tant qu'homme d'affaires, vous aimeriez que la loi soit appliquée. Cela voudrait dire que tout le monde est traité de la même manière. Ce que je conclus de votre témoignage, c'est que ce n'est pas tout le monde qui est traité de la même manière. Et cela ne s'applique pas seulement à la contrebande; cela devrait probablement s'appliquer à tous les aspects de la loi, afin de créer un environnement sûr.
    Monsieur Montour, vous êtes inquiet pour l'avenir de votre réserve, de votre peuple, et je dois supposer que cette inquiétude ne vise pas seulement votre réserve et votre peuple. Votre préoccupation englobe votre entreprise et probablement toute la communauté qui vous entoure, car nous ne vivons pas en vase clos.
    Je suis curieux de savoir comment vous percevez l'avenir des jeunes de votre communauté, quand vous les voyez se mêler à ces affaires de contrebande; prenons par exemple les jeunes des Six Nations — je ne veux pas singulariser les Six Nations, mais c'est le seul endroit où j'ai vu de mes propres yeux ces activités. Que pourrions-nous faire ensemble pour nous débarrasser du problème?

  (1710)  

    Premièrement, je vous remercie beaucoup, ainsi que tous les membres du comité, de nous avoir permis de venir vous parler de ces questions.
    Pour répondre à votre question sur ma perception de la situation de nos jeunes, pas seulement dans les Six Nations, mais dans beaucoup de territoires des premières nations partout en Ontario et au Québec, je vois de la confusion. Je vois des querelles de compétence constantes et des conflits territoriaux.
    Je vais vous en donner un exemple. Premièrement, il se trouve que je suis membre de Wahta Mohawk, dans le nord de l'Ontario, et j'en suis fier. Je mène mes affaires dans la réserve des Six Nations. Les adolescents fréquentent des écoles secondaires. Nous n'avons pas d'école secondaire. Nous en avions une dans une réserve qui était bilingue, mais les jeunes y étaient amenés par camion. Les jeunes des premières nations ne sont pas vraiment reçus à bras ouverts quand on est en plein milieu d'un conflit territorial. Il y a beaucoup de gens qui répandent la peur et qui leur disent ce qui va leur arriver. Ils s'efforcent d'améliorer leur sort et leur situation financière. Si les seuls outils qu'on a pour faire de l'argent sont perçus comme illégaux, essentiellement, cela ne laisse pas beaucoup de marge de manoeuvre, n'est-ce pas? C'est pourquoi je m'efforce de m'attaquer au coeur du problème.
    Vous nous demandez quelle est notre solution. Je crois vraiment, du fond du coeur, que la toute première étape, c'est justement ce qui se passe ici dans cette salle. La deuxième étape serait de s'occuper des matières premières, pour que nous ayons tous un chiffre véridique et transparent avec lequel travailler. Ensuite, on pourra se pencher sur le partage des revenus entre les communautés des premières nations. Qui est habilité à taxer le produit? Comment quelqu'un peut choisir de payer la taxe dans sa propre communauté, comment créer cette possibilité. Cette option a été examinée il y a 23 ans. Je me rappelle d'être venu dans ce même immeuble. Tous les membres des premières nations de ma communauté me disaient: « Ne me trahis pas, ou alors tu fais mieux de ne pas revenir ». Je suis allé voir le ministre des Finances et lui ai demandé si nous pourrions travailler à une sorte de partage des revenus. Je me rappelle du nom de M. Anderson, aussi vrai que je regarde ce microphone. Je lui ai dit: « Y a-t-il une manière quelconque de s'arranger pour que ce soit avantageux pour notre peuple? » Essentiellement, il m'a envoyé promener.
    Et nous voici 23 ans plus tard obligés de nous attaquer à ces mêmes problèmes. Je sais que tout le monde ne sera peut-être pas d'accord avec moi au sujet des matières premières, mais voyons les choses en face: je travaille dans ce secteur, je suis un fabricant autochtone et j'ai donc une assez bonne idée de ce qui permettra à mon avis de mettre de l'ordre dans cette situation.
    Vous êtes un fabricant licencié.
    Je suis assurément un fabricant licencié.
    Il y en a beaucoup qui ne le sont pas.
    Voici la question que je pose: n'est-il pas dans votre intérêt de voir à ce que ceux-là sortent du secteur?
    Si je réponds du point de vue des premières nations, cela n'avantage pas l'ensemble de la communauté. La licence ne me sert pas bien si elle n'aide pas l'ensemble de mon peuple. Oui, je pourrais perdre tout ce que je possède pour avoir dit cela, mais vous savez quoi? Je préférerais être fauché. En bout de ligne, il faut que cela avantage tout le monde. Il n'y a pas de doute là-dessus. J'ai versé 500 millions de dollars pour cela. À l'heure actuelle, tout ce que je demande, c'est que les règles soient les mêmes pour tous. Les règles du jeu doivent être les mêmes.

  (1715)  

    Merci.
    Nous reviendrons tout à l'heure aux ministériels.
    Monsieur Ménard, vous avez fait savoir que vous avez une autre question.

[Français]

    Je voudrais poser une question avant que vous partiez.
    Nous avons entendu parler d'une technologie consistant à munir chaque cigarette d'un dispositif informatique — en fait, je ne sais pas vraiment comment ça fonctionne — et permettant de déterminer si la cigarette a été fabriquée par des gens détenant un permis.
    Quand j'étais jeune, il y avait un timbre que l'on coupait avec l'ongle; il y a ensuite eu ce petit papier qu'on enlevait, et il pourrait y avoir maintenant un système de détection informatique.
    Avez-vous entendu parler de cette technologie?

[Traduction]

    Je pense que M. Ménard fait allusion à la proposition de l'ARC d'introduire un timbre comportant un hologramme et un code qui serait apposé sur tous les paquets de cigarettes, à partir de 2010. C'est une idée intéressante. Cela vise en fait à s'attaquer au problème de la contrefaçon, c'est-à-dire des produits d'imitation importés surtout de pays comme la Chine.
    Je pense toutefois que pour enrayer le problème du commerce illicite au Canada aujourd'hui, c'est passablement non pertinent quand 97 p. 100 des produits violent tellement de lois différentes, que ce soit l'absence d'avertissement de santé ou le non-paiement des taxes. Les fabricants de ces produits ne vont pas apposer des hologrammes ou des timbres fiscaux de l'ARC sur leurs paquets.

[Français]

    C'est justement le but. Quand ils iraient dans un dépanneur où on vend des cigarettes illégales, en passant un lecteur, les inspecteurs pourraient les reconnaître très rapidement. Je ne crois pas qu'il s'agissait d'hologrammes, mais de signes informatiques qui pouvaient être reconnus par un lecteur.
    Cela permettrait aux inspecteurs de constater rapidement qu'il y a effectivement des produits contrefaits sur lesquels les taxes n'ont pas été payées. C'est de cette technologie que je parle. En avez-vous entendu parler?
    Au fond, je veux savoir si vous avez fait une estimation des coûts. De plus, seriez-vous prêts à assumer ces coûts?

[Traduction]

    Oui, il y a possibilité d'utiliser des outils comme les timbres fiscaux pour ce qu'on appelle la technologie de localisation. Il faut un codage qui pourrait être appliqué sur le timbre fiscal et permettrait d'identifier quel fabricant a produit un paquet de cigarettes, à quelle date et à quel endroit.
    De telles options peuvent présenter un certain intérêt pour enrayer le commerce illégal du tabac, mais je répète que si les fabricants de ces produits n'appliquent aucune loi en vigueur aujourd'hui, ils ne vont certainement pas appliquer une technologie de localisation à leurs produits, au contraire.

[Français]

    Ce qui m'intéresse, c'est que cela réglerait plus facilement le problème de ceux qui placent leurs cigarettes contrefaites dans des paquets semblables à ceux qui sont vendus sur le marché.
    Si vous me le permettez, cette technologie pourrait être utile dans les cas de contrefaçon. La contrefaçon, c'est prendre un paquet de Player's, le copier parfaitement en Chine et le rapporter ici. Ce serait utile dans ces cas-là. Cependant, selon nos estimations, la contrefaçon représente seulement 1 ou 2 p. 100 du problème.
    Si la contrefaçon représentait 90 p. 100 du problème, je serais bien d'accord avec vous, et nous pourrions utiliser une technologie très sophistiquée. Mais comme M. Kemball le dit, si le fabricant de ce produit ne respecte pas une vingtaine de lois différentes, il n'ajoutera pas une technologie sophistiquée sur ses produits.
    On n'a pas besoin d'une technologie sophistiquée pour reconnaître un tel produit dans un dépanneur. Il est illégal; aucune expertise n'est nécessaire pour le dire.

  (1720)  

[Traduction]

    En réponse à l'honorable député, le processus consistant à apposer un timbre est appliqué dans environ 87 p. 100 des pays du monde, et c'est donc une bonne suggestion et cela pourrait s'intégrer à une stratégie d'ensemble. J'ai demandé à mes collègues et je sais que cela se fait dans le monde entier...

[Français]

    Êtes-vous prêts à assumer les coûts pour installer ce système et l'utiliser? Je comprends la réponse d'Imperial Tobacco, qui dit que cela n'en vaut pas la peine. Mais pour vous, cela en veut-il la peine?

[Traduction]

    Si cela s'inscrit dans une stratégie d'ensemble, oui, absolument, parce que nous percevrions alors la taxe dès le départ.

[Français]

    La possession simple d'un produit illégal est effectivement illégale. Je viens de vérifier la loi. C'est bien ce que je croyais.
    Je n'ai pas bien compris votre question.
    Ce n'était pas une question. Vous me demandiez tout à l'heure si la simple possession de cigarettes...
    La possession aux fins de distribution serait illégale, mais si quelqu'un en achète pour les fumer lui-même, je ne crois pas que ce soit illégal.
    Oui, c'est illégal. Je viens de le vérifier.

[Traduction]

    Madame Priddy, aviez-vous une question?
    Oui, merci.
    Je me rends compte que vous pourrez peut-être répondre seulement en vous fondant sur ce que vous avez observé et non pas sur des statistiques, mais quand on dit que les jeunes sont attirés vers la contrebande de tabac, je sais que partout au Canada, le taux de tabagisme parmi les jeunes est en baisse dans beaucoup de provinces. C'est plus le cas des jeunes hommes que des jeunes femmes et une foule d'autres facteurs entrent en jeu. Mais nous avons entendu dire que les gens qui font venir du tabac de contrebande des États-Unis utilisent peut-être les itinéraires ainsi créés pour d'autres types d'activités illégales, pour importer des drogues, des armes ou quoi que ce soit.
    Je sais encore une fois que c'est purement anecdotique, mais je me demande si vous constatez que des jeunes autochtones qui font la contrebande du tabac se font également attirer à différents niveaux, se font prendre dans l'engrenage, pour ainsi dire, ayant non seulement accès au tabac de contrebande, mais devenant parties prenantes de l'appareil criminel.
    Il y a une chose qui m'inquiète beaucoup, en tant qu'Autochtone, à savoir que c'est dans les territoires des premières nations que l'on trouve les taux de croissance les plus rapides du tabagisme parmi les mineurs — et dans toute l'Amérique du Nord, pas seulement au Canada. Même nos propres leaders devraient décourager cela, en fin de compte; c'est un point de départ.
    Je ne veux pas croire que tous les problèmes de contrebande dans ce secteur sont attribuables aux réserves qui chevauchent la frontière canado-américaine. Ce n'est qu'un petit aspect du problème auquel nous sommes confrontés. Mais je ne crois pas qu'il y ait une seule personne des premières nations responsable habitant l'île Turtle qui ne voudrait pas s'attaquer au problème du tabagisme chez les mineurs, surtout parmi les adolescents de notre propre peuple, mais aussi parmi les autres, les non-Autochtones. C'est tout simplement un problème auquel il faut s'attaquer.
    Je ne vais pas fermer les yeux...
    Que ce soit des jeunes autochtones ou non autochtones, est-ce que vous constatez que des jeunes se font prendre dans le cycle de criminalité plus sophistiqué de la contrebande du tabac, et ne se contentent pas de simplement se mettre à fumer?
    Les jeunes adolescents autochtones ont besoin d'emplois, comme tout le monde, et ils vont chercher ces emplois là où ils se trouvent.
    Merci.
    Ils sont humains.
    Merci, Jerry. Ça va.
    Avez-vous fini?
    Oui, merci.
    Y a-t-il d'autres questions? Est-ce que quelqu'un d'autre a une question à poser?
    Dans ce cas, je tiens à remercier nos témoins d'être venus devant le comité. La discussion a été très intéressante. Vous nous avez donné beaucoup d'informations valables et je suis certain que ce sera très important pour l'élaboration d'un rapport.
    La séance est levée.