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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mercredi 27 février 2002




¿ 0900
V         La présidente (Mme Jean Augustine, Etobicoke--Lakeshore, Lib.))
V         M. John Hoddinott (professeur d'économie, Université Dalhousie)

¿ 0905
V         

¿ 0910
V         

¿ 0915
V         

¿ 0920
V         La présidente
V         M. Rocheleau
V         M. John Hoddinott

¿ 0925
V         

¿ 0930
V         La présidente
V         Mme Carroll

¿ 0935
V         M. John Hoddinott
V         Mme Carroll
V         M. John Hoddinott
V         Mme Carroll

¿ 0940
V         M. John Hoddinott
V         Mme Carroll
V         La présidente
V         M. Rocheleau
V         M. John Hoddinott
V         

¿ 0945
V         

¿ 0950
V         La présidente
V         M. John Hoddinott
V         

¿ 0955
V         

À 1000
V         La présidente
V         Mme Carroll
V         M. John Hoddinott
V         Mme Carroll
V         La présidente
V         M. John Hoddinott
V         La présidente
V         M. Sean Cooper (directeur exécutif régional, Chambre de commerce des provinces atlantiques)

À 1005
V         La présidente
V         M. Rocheleau
V         M. Sean Cooper

À 1010
V         M. Rocheleau
V         M. Sean Cooper
V         La présidente
V         M. George Baker (Gander--Grand Falls, Lib.)

À 1015
V         La présidente
V         M. Sean Cooper
V         La présidente
V         Mme Carroll
V         

À 1020
V         M. Sean Cooper

À 1025
V         La présidente
V         M. Rocheleau
V         M. Sean Cooper
V         La présidente
V         M. Sean Cooper

À 1030
V         

À 1035
V         La présidente
V         M. Sean Cooper
V         La présidente
V         M. Sean Cooper
V         La présidente
V         M. Sean Cooper
V         La présidente

Á 1120
V         La présidente
V          Mme Elizabeth Beale (présidente et directrice générale, Conseil économique des provinces de l'Atlantique)
V         

Á 1125
V         

Á 1130
V         

Á 1135
V         

Á 1140
V         La présidente
V         M. Rocheleau
V         Mme Elizabeth Beale
V         

Á 1145
V         La présidente
V         M. Baker
V         Mme Elizabeth Beale
V         M. Baker
V         

Á 1150
V         Mme Elizabeth Beale
V         La présidente
V         Mme Elizabeth Beale
V         

Á 1155
V         La présidente
V         M. Baker
V         Mme Elizabeth Beale
V         M. Baker
V         La présidente
V         Mme Carroll

 1200
V         Mme Elizabeth Beale
V         Mme Aileen Carroll
V         La présidente
V         Mme Elizabeth Beale
V         

 1205
V         La présidente
V         Mme Elizabeth Beale
V         La présidente
V         Mme Elizabeth Beale
V         La présidente
V         Mme Elizabeth Beale
V         La présidente
V         La présidente

· 1335
V         M. Frank Harvey (directeur, Centre des études de politiques étrangères, Département de sciences politiques, Université Dalhousie)
V         

· 1340
V         

· 1345
V         

· 1350
V         La présidente
V         M. Rocheleau
V         M. Frank Harvey
V         M. Rocheleau
V         M. Frank Harvey

· 1355
V         La présidente
V         Mme Carroll
V         M. Frank Harvey
V         Mme Carroll
V         Mme Carroll

¸ 1400
V         M. Frank Harvey
V         Mme Carroll
V         M. Frank Harvey
V         Mme Aileen Carroll
V          M. Frank Harvey
V         

¸ 1405
V         Mme Carroll
V         M. Frank Harvey
V         Mme Carroll
V          M. Frank Harvey
V         

¸ 1410
V         Mme Carroll
V         M. Frank Harvey
V         La présidente
V         M. Frank Harvey
V         La présidente
V         M. Frank Harvey
V         
V         La présidente
V         M. Frank Harvey
V         La présidente
V         Mme Carroll
V         M. Frank Harvey

¸ 1415
V         La présidente

¸ 1420
V         M. Frank Harvey
V         La présidente
V         M. Frank Harvey
V         La présidente
V         M. Mark Butler (coordonnateur des questions marines, Ecology Action Centre)
V         La présidente
V         M. Mark Butler
V         

¸ 1425
V         

¸ 1430
V         

¸ 1435
V         La présidente
V         Mme Jan Slakov (présidente, Enviro-Clare)
V         

¸ 1440
V         

¸ 1445
V         La présidente
V         M. Rocheleau
V         Mme Jan Slakov
V         

¸ 1450
V         M. Mark Butler
V         M. Rocheleau
V         M. Rocheleau

¸ 1455
V         Mme Jan Slakov
V         M. Mark Butler
V         Mme Jan Slakov
V         

¹ 1500
V         La présidente
V         M. Baker
V         

¹ 1505
V         La présidente
V         M. Mark Butler
V         M. Baker
V         

¹ 1510
V         M. Mark Butler
V         M. Baker
V         M. Mark Butler
V         

¹ 1515
V         M. Baker
V         M. Mark Butler
V         M. Baker
V         M. Mark Butler
V         M. Baker
V         La présidente
V         Mme Carroll
V         M. Mark Butler
V         

¹ 1520
V         Mme Carroll
V         M. Mark Butler
V         La présidente

¹ 1525
V         Mme Jan Slakov
V         La présidente
V         Mme Jan Slakov
V         La présidente
V         Mme Jan Slavok
V         La présidente
V         M. Mark Butler
V         La présidente

¹ 1530
V         M. Mark Butler
V         La présidente










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 061 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 27 février 2002

[Enregistrement électronique]

¿  +(0900)  

[Traduction]

+

    La présidente (Mme Jean Augustine, Etobicoke--Lakeshore, Lib.)): Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous tenons des audiences publiques pour l'étude de l'intégration nord-américaine et le rôle du Canada face aux nouveaux défis que pose la sécurité et pour l'étude du programme du Sommet du G-8 de 2002.

    Je veux souhaiter la bienvenue au professeur John Hoddinott pour la réunion d'aujourd'hui. Nous accueillerons également d'autres témoins dans le cadre de l'étude que fait notre comité de deux questions très importantes pour nous, à savoir le rôle du Canada dans le monde et en Amérique du Nord. Les membres du comité sont impatients d'entendre le point de vue de leurs concitoyens sur les enjeux clés de notre politique étrangère concernant le G-8 dans le contexte nord-américain.

    Le Canada étant le président du G-8 cette année, il sera l'hôte du sommet qui aura lieu en juin en Alberta. Les principales priorités de ce sommet ont été définies et elles concernent l'amélioration de la situation économique mondiale, la construction d'un nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique et la poursuite de la lutte internationale contre le terrorisme. Le Canada, pour sa part, accorde une priorité toute particulière à son plan d'action pour l'Afrique. Le gouvernement a demandé au comité de lui faire des recommandations et de lui présenter un rapport d'ici la fin avril.

    À cette fin, entendre les Canadiens sur ces questions est essentiel. Cette semaine, alors qu'un groupe de députés se trouve au Québec, l'autre groupe tient des audiences publiques dans la région du Canada atlantique. Au début du mois d'avril, les membres du comité se rendront dans l'ouest du Canada et en Ontario pour boucler ces audiences. Pour des raisons de temps et de budget, nous profitons également de l'occasion pour entendre les Canadiens sur la manière dont ils aimeraient voir évoluer nos relations nord-américaines. Tous les aspects des liens canado-américains, canado-mexicains, continentaux et trilatéraux sont ouverts à la discussion dans le cadre d'une étude à plus long terme que nous déposerons à la fin de cette année. C'est le début du dialogue. Des renseignements complémentaires concernant ces deux études se trouvent sur le site Web du comité. Nous invitons les Canadiens à consulter ce site. Je tiens à signaler que vous pouvez communiquer avec nous ou présenter des mémoires d'ici la fin avril dans le cadre de l'étude relative au G-8 et d'ici la fin juin dans le cadre de l'étude de l'intégration nord-américaine.

    Les députés présents pour la réunion de ce matin sont: M. Yves Rocheleau, député bloquiste de Trois-Rivières et, chez les libéraux, Mme Aileen Carroll, députée de Barry--Simcoe--Bradford et secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères, ainsi que George Baker, député de Terre-Neuve. Nous souhaitons la bienvenue à tous, ainsi qu'à vous, monsieur Hoddinott. Veuillez présenter votre exposé, après quoi nous vous poserons des questions. Merci.

+-

    M. John Hoddinott (professeur d'économie, Université Dalhousie): Merci beaucoup, madame la présidente. Je suis très heureux d'avoir été invité à comparaître devant le comité ce matin. Je vous présente mes excuses car je vais m'exprimer en anglais; même si je parle français, mes compétences dans cette langue ne sont pas suffisantes pour ce genre d'exposé.

    Je suis professeur d'économie à l'Université Dalhousie, où j'ai été nommé récemment, après avoir passé les 15 années précédentes en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en Afrique. Au cours des 10 minutes à ma disposition ce matin, je voudrais aborder quatre points qui, je l'espère, serviront de catalyseurs à la discussion qui s'ensuivra.

    Le premier point concerne le bilan de la croissance et du développement humain en Afrique subsaharienne. Dans l'opinion publique, dans les médias et tout particulièrement dans la documentation que vous avez fournie dans le cadre des travaux de votre comité, on a le sentiment que l'Afrique est un continent en pleine crise, marquée par des échecs répétés généralisés dans le domaine de la croissance, de la sécurité et du développement humain. Nul ne peut nier l'existence de ces échecs, mais il importe également de ne pas oublier que ce continent a connu d'importants succès. Au cours des 35 dernières années, le pays dont l'économie a connu la croissance la plus rapide au monde est un pays d'Afrique, le Botswana.

    Dans le domaine de la santé publique, non seulement la variole a été éradiquée en Afrique, comme partout ailleurs dans le monde, mais en outre la fréquence de la polio, de la draconculose et de l'onchocercose est aujourd'hui minime par rapport à ce qu'elle était il y a 20 ans. Avant le déclenchement de l'épidémie de VIH-sida, l'Afrique avait connu, sur une période de 20 ans, un accroissement de l'espérance de vie qui avait pris presqu'un siècle pour se réaliser au Canada. Même si le VIH et le sida posent une menace énorme pour le bien-être et la subsistance de nombreux Africains, une action publique concertée peut être bénéfique. En Ouganda, par exemple, les taux d'infection chez les adultes ont diminué de 19 p. 100 à à peine plus de 8 p. 100 en cinq ans.

    En outre, les pays qui ont mis en place une réforme soutenue sur le plan économique et institutionnel ont enregistré d'énormes améliorations de leur niveau de vie. Depuis le début des années 1990, le taux de pauvreté monétaire a chuté de plus de 20 p. 100 dans des pays aussi variés que le Ghana, les régions rurales d'Éthiopie, la Mauritanie et l'Ouganda.

¿  +-(0905)  

+-

     Dans l'établissement d'un nouveau partenariat pour l'Afrique, il importe de tenir compte non seulement des nombreux échecs mais aussi des succès. C'est important si nous voulons nous assurer que nous comprenons bien l'histoire de ce continent. C'est important parce que cela nous permet de faire fond sur les succès, c'est-à-dire de nous appuyer sur ce qui fonctionne, mais de façon plus fondamentale. Lorsque nous, Canadiens, discutons des enjeux en Afrique, notre discours repose sur le postulat que ce n'est pas par pitié que nous offrons aide ou assistance à l'Afrique. Pourtant, nous disons vouloir construire un nouveau partenariat avec les Africains. Or, il est tout simplement illogique de présumer que l'on puisse travailler en partenariat avec quelqu'un dont on a pitié. Il faudrait d'après moi mieux interpréter les événements passés, bien comprendre qu'il y a eu à la fois des succès et des échecs, car c'est indispensable si nous souhaitons vraiment construire un partenariat et non une relation fondée sur la pitié ou la simple charité.

    Cela dit, la question de savoir si l'engagement avec l'Afrique produira des résultats suscite des préoccupations bien normales. On risque de se heurter à d'énormes problèmes. Les échecs du passé sont nombreux, faciles à énumérer, surtout en ce qui a trait à l'acheminement de l'aide. Il serait très tentant d'affirmer que des initiatives comme le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NPDA), le fonds pour l'Afrique, sont simplement voués à l'échec. C'est faux.

    Au niveau des pays, certains travaux d'importance cruciale montraient qu'il existe diverses associations vigoureuses entre des pays aux institutions fortes, aux politiques économiques stables et logiques et en période de croissance. En Afrique, l'aide joue un rôle important pour accroître la crédibilité des initiatives entreprises à l'échelle nationale en vue d'améliorer politiques et institutions. En outre, accroissement de la richesse signifie amélioration de la santé. En général, les pays dont les taux de croissance sont bons enregistrent également des améliorations sur le plan de la santé et de l'éducation. En d'autres termes, à la question de savoir si l'engagement avec l'Afrique produira des résultats, je répondrai que c'est possible, si on prend les mesures qui s'imposent. Cela peut avoir une incidence positive non seulement sur la croissance, mais aussi sur le développement humain, notamment dans le domaine de la santé et de l'éducation.

    Dans les notes que vous m'avez remises, se trouve une impressionnante série de questions précises devant diriger le débat public. J'ai jugé bon de vous donner mon avis sur certaines de ces questions.

    L'une des questions est la suivante. Quels devraient être les principaux objectifs du plan d'action du G-8 relativement au partenariat pour l'Afrique? Dans la documentation qui m'a été fournie—et je crois que vous l'avez également reçue—la liste des objectifs est énorme. À mon avis, on pourrait tout simplement regrouper ces objectifs sous deux thèmes principaux. D'une part, réduire de moitié le nombre de gens qui vivent dans la pauvreté d'ici à 2015 et, d'autre part, apporter des améliorations sensibles dans le domaine de la santé.

    En mettant l'accent sur la lutte contre la pauvreté, on réalisera bon nombre des objectifs de ce partenariat, à mon avis. Si nous continuons à nous concentrer sur la pauvreté, nous adopterons en outre une position compatible avec les engagements que nous avons pris dans d'autres tribunes économiques par le passé, et notamment ceux que nous avons pris dans le cadre du Comité d'aide au développement de l'OCDE. Si nous voulons atteindre ces objectifs de réduction de la pauvreté, il nous faut réunir certains éléments.

    Tout d'abord, il faut mettre en place un mécanisme pour faciliter une croissance économique plus rapide. Celle-ci, en retour, dépend d'autres facteurs, notamment de meilleures institutions, comme la capacité du secteur public, une infrastructure pour la réalisation des contrats, une politique macroéconomique adaptée et stable, des améliorations de l'infrastructure physique et un investissement renouvelé dans l'agriculture.

    Dans toutes les régions du monde, à l'exception de l'Afrique, les 30 dernières années ont été marquées par des accroissements de productivité et de rendement dans le domaine agricole. La majorité des pauvres habitent dans les régions rurales et dépendent de l'agriculture, de sorte que les investissements dans ces régions pourraient véritablement contribuer à améliorer le niveau de vie. Les rendements agricoles n'ont toutefois pas augmenté en Afrique. En fait, ils ont même diminué au fil des ans. La réaction du gouvernement canadien, et même de nombreux autres gouvernements de l'hémisphère occidental, face à ces baisses de rendement, a consisté à tourner le dos et à réduire en fait l'aide à l'agriculture de l'Afrique.

    Outre l'attention toute particulière accordée à la pauvreté, le deuxième objectif devrait être l'amélioration de la santé, c'est-à-dire la diminution de la malnutrition et de la morbidité, ainsi que des taux de mortalité infantile, post-infantile et maternelle. Ces progrès sont non seulement souhaitables parce que la santé représente un objectif de développement important en soi, mais aussi parce que les gens en meilleure santé sont plus productifs du point de vue économique et que grâce à la technologie, ces progrès sont réalisables à court terme et à moindre frais.

¿  +-(0910)  

+-

     Il est possible d'atteindre ces objectifs s'il existe un véritable partenariat entre les pays d'Afrique et du monde occidental. Les pays d'Afrique doivent mettre en oeuvre et respecter leurs engagements aux termes du NPDA. Les pays industrialisés peuvent faire leur part en augmentant de façon adéquate le montant de l'aide et en diminuant les entraves au commerce. Il serait utile, lors du Sommet du G-8, de rappeler à nos collègues européens que les subventions agricoles accordées dans les pays riches coûtent aux pays en développement un milliard de dollars par jour en manque à gagner sur le plan des échanges commerciaux. Pour replacer ce chiffre dans une plus juste perspective, cela représente six fois le montant de l'aide que nous accordons à ces pays. Si nous nous préoccupions véritablement du bien-être des pays en développement et recherchions la façon la plus rentable d'améliorer leur niveau de vie, il ne serait pas nécessaire d'accroître l'aide extérieure; il suffirait de réduire les entraves au commerce.

    Même si venir en aide à ces pays peut avoir des conséquences importantes, il importe de faire preuve de beaucoup de circonspection. Après avoir travaillé et vécu dans certains pays d'Afrique, je pense que votre comité devrait comprendre que bon nombre de gouvernements africains ne sont pas vraiment déterminés à réduire la pauvreté et je ne vois pas pourquoi nous devrions offrir une aide financière à ces pays. Il y en a d'autres qui se sont non seulement engagés à réduire la pauvreté mais qui joignent le geste à la parole. À mon avis, c'est dans ces pays que l'accroissement de l'aide financière, plutôt qu'une autre forme d'aide, sera susceptible d'avoir le plus d'effet.

    Si nous voulons vraiment que ce soit un partenariat, il importe de bien comprendre que nous, en tant que partenaire, avons également des obligations. Par exemple, il serait anormal d'offrir à ces pays une sorte de partenariat puis de leur tourner le dos dès que la question de l'objectif financier se posera. En outre, il serait très souhaitable que ces stratégies, le cas échéant, soient coordonnées entre les pays du G-8.

    La dernière remarque que j'aimerais faire porte sur la pérennité du rôle du Canada relativement au plan d'action pour l'Afrique. J'ai été frappé par les propos du premier ministre au Forum économique mondial. Il a dit qu'il considérait le rôle du Canada dans le plan d'action de l'Afrique comme une source de fierté nationale, un vote de confiance de la communauté internationale et une reconnaissance de notre crédibilité sur la scène mondiale. Sauf le respect dû au premier ministre, je dirais que nous nous berçons d'illusions pour ce qui est de la crédibilité. À l'heure actuelle, nous venons au 17e rang sur 24 pour ce qui est de l'APD, c'est-à-dire le pourcentage de notre PIB que nous consacrons à l'aide à l'étranger.

    Pour vous citer un deuxième exemple, imaginez une réunion entre les ministres de la coopération internationale de Grande-Bretagne, des Pays-Bas et du Canada. La ministre britannique détient ce portefeuille depuis cinq ans. Elle a été le porte-parole de l'opposition, dans le même domaine, pendant cinq ans également. Sous sa direction, le budget consacré par la Grande-Bretagne à l'aide extérieure a augmenté de 50 p. 100 au cours des quatre dernières années. Quant aux Pays-Bas, ils viennent en tête de tous les pays du monde pour ce qui est de l'aide extérieure par rapport au PIB. Le ministre des Pays-Bas est un universitaire éminent qui s'est occupé de dossiers touchant le développement pendant plus de 20 ans avant d'entrer en politique. Nous ne savons même pas qui sera le représentant canadien ni s'il sera le même la fois d'ensuite. Je connais très bien, et vous sans doute encore mieux, les nombreuses raisons à l'origine des remaniements ministériels, mais après avoir eu 27 ministres différents en 25 ans, il est impossible de croire que nous puissions être le moindrement pris au sérieux lors de ce genre de sommet.

    Enfin, il convient de signaler que nous n'influons guère, du point de vue intellectuel, sur les discussions au sujet des économies africaines. Hier, sauf erreur, le comité a entendu le témoignage de M. McAllister, un de mes collègues professeurs à Dalhousie, et lors d'une série de réunions antérieures, vous avez entendu M. Helleiner, professeur à l'Université de Toronto. Vous avez peut-être remarqué que ces deux messieurs ont plus de 65 ans. Je ne dis pas cela pour faire de la discrimination en raison de l'âge, mais il convient de signaler que j'ai été nommé dernièrement à Dalhousie. Sauf erreur, je suis la première personne à être nommée au département d'économie d'une université canadienne, au cours des 12 dernières années, et à avoir travaillé en Afrique.

¿  +-(0915)  

+-

     Pour vous donner un deuxième exemple, la Banque mondiale rédige chaque année un rapport sur l'un des enjeux du développement. Tous les 10 ans, elle en publie un sur la pauvreté dans le monde. Il s'agit en fait du plan directeur de la Banque mondiale sur les mesures à prendre pour réduire la pauvreté au cours des 10 prochaines années. Pour préparer ce rapport, la Banque mondiale rassemble une équipe de 120 économistes environ qui sont censés être les plus compétents du monde en matière de pauvreté et des problèmes qui l'accompagnent. L'équipe chargée du dernier rapport, qui a été publié en 2000-2001, comptait un seul Canadien parmi ces 120 économistes.

    Je pourrais dire que c'est grave parce que je suis moi-même universitaire et que, bien entendu, les universitaires souhaitent toujours avoir plus de moyens, mais ce n'est pas pour cette raison que je soulève la question. C'est parce qu'il est tout à fait possible que, au prochain sommet du G-8, on produise un extraordinaire plan d'action pour l'Afrique sous les ausices du Canada, un document fantastique, des sourires tous azimuts et d'excellentes séances de photos, mais j'espère que vous, en étudiant ces questions, voulez aller plus loin que cela et être d'une certaine façon des chefs de file dans ce dossier des plus important. Comme vous le savez sans doute, le leadership, c'est plus que des belles paroles. Il faut un véritable engagement et des ressources concrètes. L'Afrique est un continent confronté à des problèmes très réels. C'est aussi un continent qui a connu des succès très réels et, si nous le voulons, nous pouvons jouer un rôle très important et utile.

    Merci beaucoup.

¿  +-(0920)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup, monsieur. Votre exposé nous a non seulement donné matière à réflexion, mais il nous incite également à réfléchir à la tâche qui nous attend. C'est dans cet esprit que nous allons commencer notre discussion avec vous.

    La parole est à Yves Rocheleau.

[Français]

+-

    M. Yves Rocheleau (Trois-Rivières, BQ): Merci, madame la présidente. Merci, monsieur Hoddinott de votre très bon exposé.

    J'ai deux questions. La première porte sur le sida, un sujet dont vous avez traité au début. Que pensez-vous du comportement des compagnies pharmaceutiques devant cette problématique, cette pandémie que l'on constate en Afrique? Considérez-vous que les compagnies pharmaceutiques se comportent de façon emphatique et responsable devant ce problème?

    Je passe à ma deuxième question. Vous faites état du fait que ça va prendre des montants considérables pour venir en aide de façon significative à l'Afrique. Si on se fie à vos propos, afin d'aider de façon significative, cela va coûter un milliard de dollars par jour aux pays riches simplement en matière d'agriculture. Seulement en agriculture, on voit les montants astronomiques qui sont en cause.

    Si on agit de façon traditionnelle, ce sont les payeurs de taxes du Canada, du Québec, des États-Unis, de la France, de l'Angleterre, de la Norvège, entre autres, qui vont payer cela, à moins qu'on ne trouve d'autres moyens de le faire. Vous savez sans doute qu'un des autres moyens proposés, c'est la taxe Tobin qui ferait payer les riches, qui ferait payer ceux qui font de la spéculation. J'aimerais savoir ce que vous pensez de la possibilité d'instaurer éventuellement une taxe Tobin ou son équivalent, qui serait gérée possiblement par les Nations Unies ou par un organisme semblable, un organisme supranational?

[Traduction]

+-

    M. John Hoddinott: Merci beaucoup pour ces deux excellentes questions, auxquelles je répondrai dans l'ordre.

    Si j'ai bien compris, la première porte sur l'approvisionnement de l'Afrique en médicaments contre le VIH et le sida. Votre question peut avoir une portée étroite ou large; je m'explique. Dans un sens étroit, elle se rapporte principalement au prix abordable que devraient avoir ces médicaments et, plus de d peut-être particulièrement, à la possibilité pour des pays de produire des versions génériques de ces médicaments brevetés, qui pourront alors être produits et vendus à un bien moindre coût. L'Afrique du Sud est un chef de file en la matière, et a récemment réglé hors cour un litige avec diverses multinationales pharmaceutiques.

    Personnellement, au sujet de la question que vous avez soulevée, j'estime que c'est une priorité de santé publique que de permettre aux Africains de se procurer ces médicaments à faible prix. Il faut admettre que si notre objectif général est d'améliorer l'état de santé, ce n'est peut-être pas ainsi qu'il faut mieux procéder en priorité. Pour parler franchement, si l'objectif est de sauver ou d'améliorer le nombre maximum de vies humaines, d'autres interventions possibles nous en donneraient plus pour notre argent.

    Mais il y a aussi l'aspect plus large de votre question, sur la mise au point de médicaments et de vaccins qui sont si importants en Afrique. On en a un très bon exemple dans un éventuel vaccin contre le paludisme. Je présume que le comité sait que le paludisme touche entre 300 et 500 millions de personnes par an, dans le monde en développement. Environ 90 p. 100 de ces personnes vivent en Afrique, et deux millions en meurent chaque année. Je crois que savoir que, techniquement, il est possible de produire un vaccin antipaludique, mais que cela coûterait très cher, soit environ un milliard de dollars.

    Imaginons qu'on offre aux sociétés pharmaceutiques la possibilité de produire ce vaccin, dans les conditions suivantes. Elles mettent au point le vaccin et dès qu'elles ont assumé tous les coûts de développement, qui sont très élevés, nous abaisserons arbitrairement le prix que nous payons pour les vaccins, éliminant tout profit pour les entreprises. Si vous êtes à la tête d'une société pharmaceutique, seriez-vous prêt à consacrer un milliard de dollars à des recherches qui pourraient ne produire aucun résultat et pour lesquelles vous n'obtiendriez aucun rendement sur l'investissement?

    Pour revenir à la question plus large que vous avez posée, en pensant à la mise au point d'autres médicaments et vaccins pour l'Afrique, il faut réfléchir soigneusement à l'aspect incitatif des structures qui l'encadreront. Voici une démarche plus souhaitable. On pourrait garantir aux sociétés pharmaceutiques que nous leur achèterons un certain nombre de doses, à un certain prix, pendant un certain nombre d'années. C'est le prix qu'elles recevraient; elles auraient en quelque sorte un marché garanti. Autrement dit, nous les encouragerions à produire des médicaments, plutôt que de perpétuer une relation de confrontation.

    Le paludisme est un bon point de départ pour traiter de votre deuxième question, sur le financement de ces interventions. Une petite précision: je crois que vous avez mal compris, au sujet de l'agriculture. Le chiffre que j'ai donné correspondait au coût des subventions actuelles en agriculture, dans les pays riches, à cause des marchés perdus dans les pays en développement. Ces aides coûtent cher. Les Canadiens, comme les habitants des autres pays industrialisés, voient les pressions légitimes exercées sur les dépenses publiques. D'où viendra cet argent? Pourquoi ne pas jongler avec les chiffres de ce Fonds africain de 500 millions de dollars, dont on verra peut-être la couleur un jour? Cela représente environ la moitié des coûts de mise au point d'un vaccin contre le paludisme. Je ne dis pas que c'est ce qu'il faut faire mais en agissant ainsi on pourrait encourager nos autres partenaires à fournir l'autre moitié, et sauver ainsi deux millions de vie par année.

¿  +-(0925)  

+-

     On se demande ce que peut représenter 500 millions de dollars. Il y a environ 16 millions de travailleurs canadiens, c'est donc 30 $ par travailleur canadien adulte. Une tasse de café coûte environ 1 $, chez Tim Horton. Voici l'offre qu'on pourrait faire aux Canadiens, et qu'il faudrait faire de manière explicite, sans cacher les coûts: d'ici la fin de 2002, sacrifiez un café de chez Tim Horton, chaque semaine. Prenez cet engagement, et nous vous promettons d'investir ces fonds dans le financement de la mise au point d'un vaccin contre le paludisme. Si ça marche, et on n'en sait rien encore, on pourrait sauver deux millions de vies par an.

    Je ne suis pas un politicien, ce n'est pas à moi de parler des choix à faire, mais je dirais que pour certains objectifs qu'on veut se fixer, en réalité, les coûts ne sont pas si élevés qu'ils peuvent sembler, de prime abord.

    Vous avez parlé en particulier de la taxe Tobin. Je présume que nombre d'entre vous savent de quoi il s'agit. Pour les autres: la taxe Tobin est une taxe sur les opérations de change, qui serait perçue par les Nations Unies et servirait, on l'espère, au développement. Je vous avoue mon scepticisme quant à faisabilité de la mise en oeuvre d'une telle taxe, même si j'en vois les aspects positifs intrinsèques. À mon avis, ceux qui travaillent dans le domaine des marchés financiers sont bien plus rusés que nous et pourraient très facilement contourner ces taxes. Si on ne peut pas résoudre le problème de mise en oeuvre de la taxe, en rendant impossible toute évasion fiscale à grande échelle, je ne crois pas que cette taxe soit chose faisable.

    Merci beaucoup.

¿  +-(0930)  

+-

    La présidente: Merci.

    Madame Carroll, vous avez la parole.

+-

    Mme Aileen Carroll (Barrie--Simcoe--Bradford, Lib.): C'était là un excellent exposé et je suis tout à fait ravie que même si vous avez choisi la vie universitaire, plutôt que la vie politique, vous traitez tout de même de ces questions. Cette réflexion est précieuse. Nous vous avons écouté attentivement, de même que les propos de vos deux collègues de Dalhousie. Vous me rappelez l'importance de la participation des universitaires à nos délibérations, en raison de votre point de départ différent du nôtre. Nous avons besoin de vous, des deux côtés, nous avons besoin du courage de déclarations comme celles que vous avez faites et nous vous en remercions.

    Il y a tant de questions à vous poser. Heureusement, vos propos sont très clairs et ils nous serons utiles. Votre argument au sujet des subventions européennes à l'agriculture nous a déjà été présenté. Il est très important qu'on en reparle, particulièrement dans ce contexte. J'admire votre courage de déclarer que quand il n'y a pas d'engagement à réduire la pauvreté, la barre est plus haute avant que l'aide financière soit offerte. Je crois que cela cadre bien avec les témoignages de Mme MacLean et de M. John Harker, hier, qui ont aussi fait des recommandations au sujet d'autres voies possibles, comme vous le savez sans doute. La formulation était peut-être un peu différente, mais ils ont parlé de la façon dont on peut contribuer à la gouvernance, notamment en tant que parlementaires. C'est une première étape préalable. Je crois vraiment que ce que vous avez dit est très important.

    Je constate que vous avez travaillé beaucoup en Afrique, au Mali et en Côte d'Ivoire. Le président du Mali m'a fait très bonne impression. M. Hoddinott, je crois qu'il a une bonne compréhension du développement. Étant donné le développement du Mali, dont vous connaissez très bien le niveau, la contribution de M. Konare est très importante. Je pense que les points de vue que vous présentez sont conformes à certaines de ses démarches. Il est certainement lucide.

    Je m'arrête ici, pour écouter votre point de vue, et je poserai d'autres questions plus tard.

¿  +-(0935)  

+-

    M. John Hoddinott: Je vais parler de l'aide canadienne au Mali. Comme vous l'avez fait remarquer, j'ai vécu au Mali pendant deux mois.

+-

    Mme Aileen Carroll: Près de Tombouctou?

+-

    M. John Hoddinott: Près de Tombouctou, qui existe vraiment. En effet, sur une note personnelle, je dirais que c'est à Tombouctou que j'ai vécu l'une des expériences les plus bizarres de ma vie. J'étais assis dans la grand-place de la ville à regarder un petit poste de télévision avec une quarantaine de personnes. Nous regardions une émission sur les bûcherons dans le nord du Québec. Pour moi, Tombouctou paraissait exotique; pour eux les bûcherons du Québec l'étaient tout autant.

    Le Mali est un pays pauvre, l'un des plus pauvres au monde. Il a été extrêmement mal dirigé, tant sur le plan politique qu'économique. Le pays a été indépendant jusqu'au début des années 90. Il est étonnant de constater que l'on peut prendre l'un des pays les plus pauvres au monde et l'appauvrir encore, par des méthodes politiques et économiques ineptes. C'est ce que les gouvernements successifs du Mali ont pourtant fait. Il est presque impossible d'exagérer la pauvreté de ce pays. Dans la région où je vivais et travaillais, les deux tiers de la population subsistaient avec un revenu quotidien de moins de 1,50 $ en devise canadienne. Le taux de malnutrition oscillait entre les 50 et 60 %. Le téléphone le plus proche était à quatre heures de là. C'est un pays d'une pauvreté exceptionnelle.

    Toutefois, et par chance, il est dirigé par un très habile président, un homme qui a ramené la paix après une très vilaine guerre civile. Il a tenté de procéder à de véritables réformes économiques et politiques. Voilà l'aspect positif, et il est vrai que le PIB par habitant du Mali a augmenté, que la pauvreté a été réduite et qu'il y a eu un certain développement humain. Pourtant, il est terriblement risqué de fonder tous ses espoirs sur un homme exceptionnel. Ce n'est pas une stratégie viable, parce que cette personne pourrait être victime d'un accident de voiture et disparaître du jour au lendemain. Il est très important d'aider les habitants du pays, mais, dans un certain sens, il est tout aussi important, sinon plus, d'appuyer le développement des infrastructures qui les sous-tendent. L'infrastructure est en partie matérielle; il s'agit, entre autres, de construire des routes, de réparer les ponts, et ainsi de suite. L'aide compte aussi par rapport aux institutions et à la gouvernance.

    Je vais vous citer un exemple dont nous pouvons tous être un peu fiers: dans le cadre de l'aide canadienne, le Haut-commissariat du Canada au Mali a défrayé des affiches qui expliquent aux électeurs le processus électoral, le fonctionnement du scrutin secret. En gros, il s'agissait d'une série de photos, puisque quelque 60 % de la population est analphabète. À l'approche des élections, on a affiché ces photos qui illustraient comment obtenir son bulletin, comment le remplir en secret et comment l'insérer soi-même dans l'urne. Les affiches illustraient également le mécanisme du dépouillement. Les coûts de production et de distribution de ces affiches ont probablement été minimes. Voilà une façon simple et très utile d'améliorer la gouvernance démocratique.

    La leçon à en tirer, je crois, c'est que le Mali, du moins à un niveau, est un bon exemple de pays où nous pouvons faire un travail utile. Il ne sera jamais parfait. Il y a de la corruption, sans aucun doute. La corruption existe dans beaucoup de pays. Étant donné que les conditions sont favorables, il nous faut trouver les moyens de renforcer ce pays de sorte qu'il ne soit plus dépendant d'un seul homme. Comme je l'ai dit, il nous faut concentrer nos efforts sur les institutions, l'infrastructure, ou encore les moyens d'aider la mise sur pied de celle-ci.

+-

    Mme Aileen Carroll: Croyez-vous que le président Konare n'ait pu ou qu'il n'ait souhaité faire des jugements de valeur, qu'il n'a pas mis en place une infrastructure politique apte à survivre à son départ? L'État est-il soutenu exclusivement par lui et non par les ministres de son cabinet?

¿  +-(0940)  

+-

    M. John Hoddinott: Je ne suis sans doute pas bien placé pour me prononcer définitivement, mais je crois qu'il y a une meilleure façon d'envisager la question: il faut considérer qu'il y a certains pays, dont le Mali, qui connaissent de réels problèmes de développement. Au Canada, la stratégie consiste à s'arrêter aux pays qui, dans un certain sens, ont fait le premier pas et ont pris des mesures concrètes, et à collaborer avec eux au cours des 10 ou 15 prochaines années. Nous savons que certains de ces pays ne régleront pas leurs problèmes, c'est tout simplement la réalité. Mais si nous sommes prêts à fixer des objectifs à long terme, certains de ces efforts seront couronnés de succès. Je crois que c'est peut-être là la façon que vous devriez envisager ces questions. C'est du moins mon opinion.

+-

    Mme Aileen Carroll: Je crois que vous parlez de partenariats. Vous souhaitez que nos partenaires africains soient de la trempe du président Konare.

    Je me souviens d'un séjour dans un village au Mali, et nous entendions le ronronnement d'un petit moteur. Il faut être Néo-Écossais, comme je le suis, pour reconnaître là le son d'un modem à dispositif de rupture, un engin incroyable et remarquablement durable. C'en était bien un. À l'intérieur de la hutte, une femme broyait du maïs avec un moteur de ce genre. À Chester, il y a une fonderie où on les fabriquait, et peut-être devrions-nous la rouvrir. Mieux encore, comme l'a suggéré Diane Marleau, nous devrions envoyer des gens construire une fonderie là-bas, pour que les Maliens puissent fabriquer eux-mêmes les appareils. Nous avons observé tout le processus, que vous connaissez beaucoup mieux que nous. Ce n'était que la simple division des tâches. Les habitants des villages voisins apportaient le maïs, et elle le moulait. Il y a des retombées énormes de cette activité, ce qui prouve que ce village connaissait un développement que d'autres ne connaissaient pas.

    Il nous a tous regardés et a dit: «Ici, c'est le développement.» Il ne s'agit pas des énormes projets d'immobilisation que nous croyions pouvoir réaliser avec ces fleuves, par exemple, mais c'est ce type d'aide à laquelle participent les Canadiens. Comme je l'ai dit, il s'agit d'un moteur à dispositif de rupture canadien. Mais nous sommes loin d'en faire assez, comme vous le disiez. J'ai l'impression que, si nous réussissions à nous assurer la collaboration de gens comme lui, nous pourrions réaliser beaucoup de bonnes choses.

+-

    La présidente: Monsieur Rocheleau, avez-vous une autre question?

[Français]

+-

    M. Yves Rocheleau: Concernant la taxe Tobin, vous comprendrez que je ne suis pas satisfait de la réponse, parce que d'après moi, il faut faire preuve d'imagination. Si la question est si grave que cela, il faut, dans un premier temps, y faire face et, dans un deuxième temps, faire preuve d'imagination en termes de financement. Dire que ça va être le contribuable canadien, québécois, français, norvégien, comme je le disais plus tôt, qui va banalement aider au développement de l'Afrique, c'est trop facile. Il existe un certain danger toutefois. Il est possible que les populations disent qu'il faille développer l'Afrique, qu'il faille l'aider, mais qu'elles nous disent aussi de faire preuve d'imagination, de prendre nos responsabilités et d'aller voir ceux qui, notamment, ont bénéficié de l'exploitation de l'Afrique.

    Je pense, par exemple, à la compagnie Nestlé qui oeuvre dans le domaine du café et du cacao. Pourquoi cette compagnie ne serait-elle pas mise à contribution comme la compagnie Chevron et la compagnie Shell qui est omniprésente sur la Côte d'Ivoire, notamment? Pourquoi ces compagnies, que l'on connaît sans doute—il ne s'agit pas de faire d'études très exhaustives—et qui ont exploité le diamant ailleurs ne seraient-elles pas systématiquement mises à contribution afin de redonner à l'Afrique et aux Africains ce qu'elles leur ont pris? Il me semble que c'est plus plausible de faire cela que de demander à la population de Toronto, de Vancouver, de Montréal, de Los Angeles et de New York de faire un effort pour aider les Africains. C'est trop facile quand on sait que tout le monde prétend être pris au cou en termes de capacité de payer, en termes d'impôts.

[Traduction]

+-

    M. John Hoddinott: C'est une bonne idée de commencer par trouver un terrain d'entente. Vous avez tout à fait raison de dire qu'il nous faut faire preuve d'imagination. Dans un certain sens, il n'est peut-être pas judicieux de dépenser plus d'argent en Afrique, en partie parce que cela provoque des réactions chez les gens, que ce soit à Trois-Rivières, à Montréal ou à Toronto, qui soutiennent avoir déjà donné l'année précédente, et voilà que vous en redemandez. À long terme, demander constamment aux contribuables canadiens de renflouer d'autres pays ne sera ni efficace, ni approprié. Je suis donc d'accord avec vous.

+-

     Par contre, ce qui en découle—c'est peut-être là quelque chose que le comité voudra étudier de plus près—, c'est que lorsque l'on discute de questions comme l'utilisation appropriée des ressources financières, peut-être devrions-nous parler non pas de partenariat mais plutôt de marchés entre particuliers ou entre pays. Par exemple, nous pouvons conclure des pactes sociaux avec le gouvernement du Mali en vertu desquels nous fournissons de l'aide, et cette aide est mise à profit pour atteindre des objectifs réels.

    Je ne dis pas tant que les Canadiens sont mécontents de leurs charges fiscales—vous savez sans doute tous beaucoup mieux que moi—mais plutôt que les contribuables ne savent pas toujours précisément où vont leurs impôts. Donc créer un lien entre cette aide et des résultats concrets pourrait répondre à cette préoccupation qui est tout à fait légitime.

    Quant au rôle des multinationales, et plus précisément les sociétés minières en Afrique, il est tout à fait juste de dire que, ce que font—et ce que faisaient—bon nombre de ces entreprises, c'est d'extraire les ressources naturelles, qu'ils transforment ensuite ailleurs, réalisant, dans certains cas, des bénéfices énormes—pas toujours, mais dans certains cas. L'une des raisons qui explique ce phénomène ce sont les barrières tarifaires dans les pays développés. Les produits de base non transformés font l'objet de droits de douane très faibles lorsqu'ils sont importés dans les pays développés, mais ils sont beaucoup plus élevés sur les produits transformés ou semi-transformés. J'approuve votre description de certaines de ces multinationales, mais il faut reconnaître que les pays occidentaux créent les conditions qui engendrent cette situation.

    Si l'on considère les capitaux et les épargnes générés en Afrique depuis 1970 par des Africains, par opposition aux épargnes et aux capitaux des multinationales—ainsi, si on regarde la richesse accumulée au cours des 30 dernières années par des Africains—, on estime que quelque 40 p. 100 de cette richesse se trouve outre-mer. Autrement dit—et n'oubliez pas, ces calculs sont très imprécis—, même la richesse générée par les Africains a tendance à être exportée outre-mer. Ce n'est pas parce que l'esprit d'entreprise fait défaut, ni parce qu'il y a peu de possibilités d'affaires rentables en Afrique, car il y en a de toutes sortes. Mais, jusqu'à très récemment, le continent africain représentait un environnement d'affaires risqué.

    Au Canada, nous faisons tout un cas de la bureaucratie. Il y en a qui disent que l'appareil gouvernemental est trop développé, d'autres, qu'il ne l'est pas assez. Dans beaucoup de pays africains, le problème qui se pose n'est pas l'absence de règlements, mais le fait que ces derniers ne soient pas codifiés. Cela peut vous paraître absurde, mais pouvez-vous imaginer que le gouvernement canadien puisse fonctionner en édictant des lois et règlements sans que ces textes ne soient publiés matériellement, et sans que personne ne sache où ils se trouvent? Pouvez-vous imaginer être un entrepreneur dans un milieu semblable, lorsque vous ne savez même pas quel formulaire remplir lorsque vous voulez exporter un produit?

¿  +-(0945)  

+-

     J'ai digressé, mais je reviens aux questions que vous avez soulevées. Certes, il y a des préoccupations tout à fait légitimes concernant le comportement de certaines multinationales, dont des entreprises canadiennes, ayant des activités en Afrique. Toutefois, je crois que nous ne devrions pas nous attarder exclusivement là-dessus, non pas que je souhaite en diminuer l'importance. Je préconise plutôt des mesures permettant de créer un milieu favorable à l'investissement et à la croissance, qui soit positif plutôt que purement compétitif. Voilà l'approche générale qui pourrait bien donner les meilleurs résultats au plan de la croissance et du développement humain.

¿  +-(0950)  

+-

    La présidente: Merci.

    J'ai quelques questions à poser et quelques remarques à faire, et vous souhaiterez peut-être répondre à mes remarques.

    Je m'étonne que vous n'ayez présenté que deux objectifs principaux, à savoir la réduction de moitié de la pauvreté de 50 p. 100 et une meilleure réalisation des objectifs sanitaires. Au chapitre de la pauvreté, je présume que vous classez sous cette rubrique toutes les questions de résolution de conflits et de gouvernance, et que vous avez jugé qu'il n'était pas nécessaire de mentionner expressément la gouvernance, la reddition de compte, les conflits, le maintien de la paix, etc. Ces éléments me semblent essentiels si l'on veut réduire la pauvreté.

    Deuxièmement, d'autres nous ont dit que nous devions centrer nos efforts sur les pays qui vont bien. Vous en avez énumérés plusieurs dans votre mémoire. Devrions-nous faire une distinction entre les pays, c'est-à-dire choisir ceux qui progressent bien dans l'espoir qu'ils aient un effet d'entraînement sur les autres si nous leur permettons de progresser? J'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet.

    Vous avez aussi parlé des objectifs techniquement réalisables dans le domaine de la santé, et je me demande si cela comprenait les installations sanitaires, l'eau salubre et tous les autres types de progrès sanitaires concrets.

    Enfin, le Canada fait preuve d'un certain leadership au chapitre de l'allégement de la dette, nous avons pris certaines initiatives dans ce domaine. Croyez-vous que nous pouvons en faire plus, et que proposez-vous, le cas échéant?

+-

    M. John Hoddinott: Je vais répondre à vos questions plus ou moins dans l'ordre où vous me les avez posées, et si j'en oublie une, il faut me le signaler.

    J'ai réfléchi soigneusement à ce que devraient être les objectifs principaux, et j'ai arrêté mon choix sur ces deux objectifs parce qu'ils sont interreliés. Je me trompe peut-être largement, mais je crois que l'un d'eux relève d'une notion de relations publiques. Si le premier ministre ou les leaders du G-8 affirmaient avoir de graves préoccupations au sujet de l'Afrique et qu'ils énuméraient 50 problèmes africains et 60 objectifs à atteindre, est-ce que je les prendrais au sérieux en tant que simple citoyen? Je réponds catégoriquement non. Cela me paraîtrait comme une liste de voeux pieux beaucoup trop longue. L'intérêt de mettre en exergue ces objectifs précis, c'est que cela permet à tous de cristalliser des objectifs précis à atteindre, sans préciser les mécanismes à utiliser. Dans certains pays, il sera peut-être souhaitable d'avoir recours aux mécanismes de résolution des conflits. Dans d'autres pays, ce n'est peut-être pas une priorité.

    Je crains que les économistes n'utilisent largement l'expression «institutions» pour décrire la notion à laquelle vous pensez. Ainsi, d'un côté, il y a des avantages à se fixer quelques objectifs très clairs et à permettre la souplesse dans la poursuite de ces objectifs, plutôt que de dresser une liste exhaustive. Il est utile de rappeler aussi que bon nombre des autres objectifs énumérés dans la description du NPDA sont probablement réalisables—non pas réalisés—, en particulier si l'on centre les efforts sur la réduction de la pauvreté.

    Un excellent exemple: l'un des objectifs présentés est la réduction des différences entre les sexes dans les niveaux de fréquentation scolaire. Non pas à l'école primaire, mais à l'école secondaire, où les jeunes Africaines accusent un retard sur les garçons. L'hypothèse qui se dégage des travaux des comités de recherche qui se penchent sur la question veut que la différence soit liée au revenu. À mesure que les revenus progressent dans les foyers africains démunis, on note une augmentation beaucoup plus rapide des niveaux de fréquentation chez les jeunes filles que chez les garçons. Dans les foyers les plus démunis, aux moyens très limités, les ressources sont-elles consacrées au garçon plutôt qu'à la fille? Mais dans les marges, si des ressources additionnelles sont disponibles, elles servent à maintenir les filles à l'école.

+-

     Ainsi, quand on fait de la réduction de la pauvreté l'objectif déterminant, les autres objectifs que vous avez énumérés en découlent naturellement.

    Votre deuxième question concernait l'idée de faire un choix entre les pays. Il y a deux choses que j'aimerais dire à ce sujet. Premièrement, il ne s'agit pas d'écarter tous les autres pays à part les 10 pays africains qui ont été retenus, de réserver l'aide publique à ces 10 pays, sans en donner aux autres, mais bien de réfléchir au type d'aide qui convient dans les circonstances. Prenons, par exemple, le Zimbabwe, que je connais assez bien; si nous donnons une importante aide financière à ce pays, l'argent se retrouvera dans le compte de banque du président. Dans un pays comme celui-là, il ne sert à rien de donner de l'argent, d'offrir une aide financière à ce moment-ci. S'agissant de gouvernance, il serait très utile comme première étape d'encourager la tenue d'élections libres et justes dans ce pays.

    Nous pourrions donc—et nous pourrions même l'inclure dans l'accord de partenariat—dire aux pays qui joignent le geste à la parole, qui prennent des mesures en conformité avec les objectifs que nous avons fixés, que nous sommes prêts, pour notre part, à investir dans leur mieux-être en leur donnant des ressources humaines et financières. Nous ne refuserions pas pour autant toute aide aux pays qui ne sont pas prêts à prendre un engagement en ce sens, mais l'aide pourrait être beaucoup moins importante, notre effort pourrait être moins intense, nous pourrions essayer de favoriser la mise en place d'éléments précurseurs des fondements à partir desquels on pourrait à l'avenir réduire la pauvreté. C'est là l'élément le plus important de mon propos.

    Soit dit entre parenthèses, et j'imagine que beaucoup d'entre vous le savent déjà, je crois que le Canada accorde de l'aide à plus de pays que n'importe quel autre pays du monde. Je crois qu'à l'heure actuelle nous donnons de l'aide à environ 125 pays. Nos moyens sont donc beaucoup trop dispersés. Il convient par ailleurs de souligner que cette observation n'a rien de nouveau. Si vous remontez 15, 20 ou 25 ans en arrière, vous constaterez qu'il y a des gens comme moi qui sont venus témoigner devant des gens comme vous pour dire exactement ce que je viens de vous dire. Vous trouverez peut-être que je n'y vais pas de main morte, mais au lieu de dénoncer cette situation et de recommander que notre aide soit moins dispersée, le plus utile serait finalement d'essayer de savoir pourquoi il en est ainsi année après année.

    D'après les rapports assez limités que j'ai avec les responsables de l'aide publique canadienne à l'étranger, je dirais que la dynamique est la suivante. Tous nos hauts-commissaires doivent avoir—je n'appellerais pas cela une caisse noire—mais une caisse discrétionnaire. Dans chaque pays, il y a des causes valables. Tous les hauts-commissaires se sentent en quelque sorte l'obligation d'appuyer ces bonnes oeuvres. La troupe de danse féminine locale veut présenter un spectacle: le haut-commissariat du Canada va-t-il la parrainer? Tous les hauts-commissaires, tous les ambassadeurs, ont intérêt à avoir des fonds discrétionnaires, s'ils ne veulent pas avoir l'air complètement ridicules. Au lieu donc de dénoncer le fait que notre aide soit si dispersée, pourquoi ne pas simplement reconnaître de façon explicite que, partout, il nous faut pouvoir faire des gestes. Il faudrait donner à chaque haut-commissaire ou à chaque ambassadeur une caisse discrétionnaire dont il pourrait se servir pour appuyer les activités de ce genre, qui méritent d'être appuyées et qui pourraient faciliter la mise en place d'une foule d'objectifs confinant à la politique étrangère canadienne. Ces fonds seraient distincts de ceux que nous réservons à l'aide publique ou à l'aide au développement.

¿  +-(0955)  

+-

     Au sujet de la santé et de l'hygiène, comme je ne veux pas prendre trop de votre temps encore, je dirai simplement que vos suppositions sont tout à fait justes. Dans des domaines comme la santé de l'enfant, que je connais peut-être mieux que d'autres, il y a beaucoup d'inventions ou d'appareils qui pourraient améliorer la situation et qui n'exigent pas une technologie de pointe. Ainsi, les affections diarrhéiques non seulement tuent des milliers d'enfants africains, mais sont une des principales causes de la malnutrition. D'après ce que nous en savons, il semble que les adultes qui ont connu la malnutrition quand ils étaient enfants en portent les séquelles. Les enfants qui ont souffert de malnutrition avant l'âge de trois ans réussissent moins bien à l'école, ont des notes plus faibles et finissent par être moins grands. L'effet sur la taille est en fait important parce que les femmes plus courtes, notamment, ont des enfants qui ont un poids plus faible à la naissance et sont plus souvent victimes de mortalité maternelle. La malnutrition pendant l'enfance a donc des effets intergénérationnels. Ainsi, il y a des interventions peu coûteuses qui peuvent être faites dans le domaine de la santé de l'enfant, comme celles visant à combattre les affections diarrhéiques, qui donnent des résultats effectifs.

    En ce qui a trait à l'allégement de la dette, vous avez absolument raison de dire qu'un certain nombre de pays sont aux prises avec une énorme dette extérieure qui nuit de façon considérable à leurs efforts de développement. Le fait de radier simplement la dette sans chercher à s'attaquer aux problèmes qui sont à l'origine de cette dette ne constitue pas une stratégie durable pour le développement à long terme. Temps et effort sont nécessaires pour mettre en place des stratégies durables, et je peux vous donner rapidement un exemple pour illustrer mon propos.

    Le Malawi, un petit pays d'Afrique orientale, est un des pays les plus pauvres du monde et est admissible à l'allégement de sa dette en vertu de l'initiative PPTE. Il y a des pays très pauvres qui ont une infrastructure institutionnelle très insuffisante. En vertu de l'initiative PPTE, le Malawi est censé produire un plan d'action crédible en vue de réduire la pauvreté. Il semble raisonnable d'exiger un plan comme celui-là des pays dont nous voulons alléger la dette. Nous voulons qu'ils prennent l'engagement de réduire la pauvreté. Le Malawi a toutefois un problème: il voudrait qu'on allège sa dette, mais il n'a pas les moyens de mettre en place un plan de réduction de la pauvreté dans un délai acceptable. Par ailleurs, des pays comme le Canada pressent la Banque mondiale d'accélérer l'allégement de la dette du Malawi. Que faire alors quand on est la Banque mondiale? On demande à certaines personnes—et j'étais de ce nombre: accepteriez-vous, avec quelques-uns de vos collègues, d'aller passer quelques semaines au Malawi pour y élaborer un plan de réduction de la pauvreté que le gouvernement n'aura ensuite qu'à signer et présenter à la Banque mondiale? La Banque mondiale peut alors dire au gouvernement du Canada et à d'autres pays que le Malawi a effectivement un plan d'action. La Banque mondiale dit: très bien, nous allons mettre en place les mécanismes d'allégement de la dette. La Banque mondiale est contente, le gouvernement du Canada est content, et on a un plan de réduction de la pauvreté. Ce plan a-t-il vraiment un sens? Pas du tout.

    Il ne faut pas conclure pour autant que l'allégement de la dette ne vaut rien comme idée. On peut même présenter des arguments pour montrer qu'il peut avoir des effets très favorables sur le développement. Il est toutefois un peu naïf d'y voir une panacée et, par un effet assez pervers, les efforts pour tenter d'accélérer l'allégement de la dette peuvent avoir des conséquences qui n'avaient pas été prévues et qui font en sorte de nuire à la durabilité de l'effort à long terme d'allégement de la dette.

À  +-(1000)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup, monsieur le professeur.

+-

    Mme Aileen Carroll: Puisque vous parlez d'allégement de la dette, quand vous dites que les pays qui ont besoin d'aide financière devraient avoir une feuille de route crédible pour ce qui est de la gouvernance, des libertés civiles et de la réduction de la pauvreté, considérez-vous l'allégement de la dette comme une forme d'aide financière?

+-

    M. John Hoddinott: Non, je considère qu'il s'agit d'une forme d'aide distincte.

+-

    Mme Aileen Carroll: Ah oui? C'est important de le souligner. Merci.

+-

    La présidente: Nous vous remercions beaucoup du temps que vous avez passé avec nous. J'espère que vous allez continuer à nous aider dans nos travaux. N'oubliez pas que notre rapport doit être rédigé d'ici la fin avril, alors si vous avez quelque chose à ajouter, n'hésitez pas à communiquer avec le comité.

+-

    M. John Hoddinott: Merci beaucoup de m'avoir invité.

+-

    La présidente: Merci, monsieur le professeur.

    Le groupe suivant est la Chambre de commerce des provinces de l'Atlantique, qui est représentée par M. Sean Cooper. Bonjour, monsieur Cooper. Nous vous souhaitons la bienvenue. Vous disposez d'une dizaine de minutes pour nous présenter votre exposé, après quoi les membres du comité auront des questions à vous poser.

+-

    M. Sean Cooper (directeur exécutif régional, Chambre de commerce des provinces atlantiques): Merci beaucoup de me donner l'occasion de discuter avec vous ce matin de ce sujet d'une importance capitale. Comme vous pourrez le constater d'après le texte de mon mémoire, il y a plusieurs enjeux d'une importance très grande pour les chambres du commerce du Canada atlantique. Je vais aborder ce matin quelques-uns de ces enjeux, et je m'attarderai à une question en particulier.

    L'élimination des obstacles au commerce est depuis longtemps un objectif de la Chambre de commerce des provinces de l'Atlantique, et l'intégration économique de l'économie nord-américaine constitue un pas important dans la résolution des problèmes qui se posent à cet égard. La Chambre de commerce des provinces de l'Atlantique fait depuis trois ans la promotion de l'idée d'un couloir commercial auprès de ses membres et des divers paliers de gouvernement. C'est une idée à laquelle souscrivent beaucoup de régions du Canada, et bon nombre de nos prises de position s'expliquent par le fait que nous envisageons l'Amérique du Nord comme formant une communauté économique unique.

    Comme nous le disons dans notre mémoire, nous estimons que le moment est venu pour que les gouvernements de part et d'autre de la frontière passent à l'action en vue de mettre en oeuvre le plan d'action en 30 points contenus dans la déclaration concernant la frontière efficace. Les gouvernements doivent faire en sorte que l'administration de la frontière suive le courant de l'évolution économique. Or, l'administration de la frontière n'a pas suivi l'évolution économique depuis la conclusion de l'ALÉ.

    Pour ce qui est des enjeux commerciaux, il est essentiel que nous réalisions des progrès en ce qui concerne les recours commerciaux. Il s'agit là d'un dossier clé de l'ALENA qui reste en suspens.

    En ce qui concerne le transport, le gouvernement du Canada devrait élargir l'accord «ciel ouvert». Les autres recommandations sur le transport se trouvent dans le rapport de la Chambre de commerce du Canada intitulé Le Canada en marche. Les décideurs des diverses régions du pays se penchent actuellement sur ce rapport qui a été publié en 2001. Nous devons d'ailleurs nous rencontrer la semaine prochaine pour mettre à jour cette politique.

    J'aimerais maintenant passer à un enjeu que nous considérons comme très important pour le Canada atlantique, le protocole de Kyoto. Je crois que tous les Canadiens souhaitent que l'on réduise les émissions de gaz à effet de serre dans le monde, mais il faut prendre garde que le rythme auquel cette réduction est effectuée tienne compte du caractère intégré de l'économie nord-américaine. Le fait que l'administration Bush refuse de ratifier ce protocole devrait être une sonnette d'alarme pour votre comité. Si nous sommes contraints d'abaisser nos émissions aux niveaux fixés dans l'accord alors que notre principal partenaire commercial ne l'est pas, la capacité des entreprises canadiennes de demeurer compétitives sur les marchés mondiaux pourrait être gravement compromise. En vertu de l'engagement qu'ils ont pris en signant la convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique, les Américains réduiront leurs émissions et collaboreront avec les autres pays du monde, mais ils le feront selon leur échéancier à eux. Il est bon de fixer des niveaux cibles pour la réduction des gaz à effet de serre dans le monde, mais tous les acteurs doivent faire leur part pour atteindre ces niveaux cibles, et les conséquences économiques de cette réduction devraient être partagées à l'échelle du continent.

    Dans notre coin du pays, nous nous inquiétons beaucoup de l'incapacité des négociateurs canadiens d'obtenir des crédits pour les émissions provenant d'exportations énergétiques. Pareille formule pourrait avoir un effet considérable sur l'exploitation future des richesses naturelles qui se trouvent au large des côtes des provinces de l'Atlantique. Sauf erreur, si nous produisons dans nos centrales au gaz naturel de l'électricité qui est ensuite vendue aux États-Unis et qui permet de remplacer l'électricité qui y aurait été produite dans des centrales au charbon et au pétrole, nous ne recevons pas de crédit pour la réduction des gaz à effet de serre ainsi obtenue. Le Canada atlantique se trouverait encore une fois à envoyer ses matières premières à d'autres pays pour qu'ils en fassent des produits commercialisables.

    Comme nous l'expliquons dans notre mémoire, nous sommes d'avis qu'une union douanière entre le Canada et les États-Unis favoriserait le mieux-être économique de nos deux pays. Je tiens à bien insister sur le fait que la création d'une union douanière n'entraînerait pas nécessairement la création d'un marché unique.

    Je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de vous présenter le mémoire que nous avons rédigé à votre intention et de venir nous entretenir avec vous aujourd'hui. Le milieu des affaires suit de très près ce que fait le gouvernement pour éviter d'être dépassé par la réalité de l'intégration économique, et nous sommes prêts à vous fournir toute l'aide dont vous pourriez avoir besoin.

    Merci beaucoup.

À  +-(1005)  

+-

    La présidente: Merci, monsieur Cooper. Merci de nous avoir rapidement résumé votre document que nous avons tous eu l'occasion de lire.

    Yves Rocheleau.

[Français]

+-

    M. Yves Rocheleau: Merci, madame la présidente. Merci, monsieur Cooper de votre témoignage. J'ai deux points à soulever.

    Vous avez parlé du protocole de Kyoto. Vous avez dit que les États-Unis ne semblent pas vouloir le signer et que, si les États-Unis ne le signent pas, ce serait trop pénalisant pour le Canada de le signer de son côté. Que faites-vous, comme représentant d'une association fort crédible, d'une part, et à titre de citoyen, d'autre part, du problème environnemental que ça touche? On parle quand même de la couche d'ozone et d'une pollution qui ne fait que s'accroître à cause des produits chimiques. Vous savez cela autant que moi. Comment traitez-vous la question? Ce n'est pas parce que les États-Unis ne signent pas que ça règle le problème, loin de là. D'ailleurs, il faudrait peut-être les interpeller un peu plus qu'on ne le fait. C'est ma première question.

    Je passe à ma deuxième question. Vous avez parlé d'union douanière. Tant qu'à y être, dans le même processus, dans le même cheminement intellectuel, comment réagissez-vous à une hypothèse qui veut qu'un jour le Canada, compte tenu notamment de la faiblesse du dollar canadien, doive songer de façon très sérieuse à une monnaie commune, à une monnaie à tout le moins Canada--États-Unis ou peut-être même Canada--États-Unis--Mexique?

[Traduction]

+-

    M. Sean Cooper: Nous estimons qu'il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre partout dans le monde. Nous sommes préoccupés par ces réductions ici dans le Canada atlantique. Si nous imposons la limite prévue par le Protocole de Kyoto, qui demande une réduction de 271 mégatonnes des émissions de gaz à effet de serre des activités normales en 2010 pour revenir aux niveaux de 1990, la mise en place de ces mesures d'efficacité et le coût d'achat de ces crédits sur les marchés mondiaux vont pénaliser nos entreprises, car nous sommes intégrés avec les États-Unis qui n'ont pas à effectuer cette réduction. Les États-Unis échangent actuellement des émissions de dioxyde d'azote et d'anhydryde sulfureux. Ils ont adopté certaines mesures pour échanger des émissions de gaz à effet de serre. Je pense que ce sont les niveaux qui nous préoccupent plus que toute autre chose. Il faut en être parfaitement conscients et veiller à ce que cela ne nous nuise pas à court terme.

    Nous savons bien qu'il faut réduire les gaz à effet de serre, et nous ne sommes pas contre, comprenez-moi bien, mais nous voulons aussi que le Canada atlantique puisse développer ses ressources naturelles au large, notre pétrole marin à Terre-Neuve, notre gaz naturel au large de la Nouvelle-Écosse et les gigantesques réserves au large du Labrador. Comme je vous l'ai dit, si nous utilisons le gaz naturel du Labrador pour produire de l'électricité, nous allons créer encore plus de gaz à effet de serre. Si nous vendons cette électricité aux États-Unis et que cela compense les émissions d'une centrale au charbon, nous n'obtiendrons pas de crédit pour la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre s'ils ne signent pas le protocole. Nous devrions donc les encourager à le faire. S'ils ne le signent pas, nous devrions très sérieusement examiner la possibilité d'une solution nord-américaine au problème de la réduction de nos gaz en consultation avec les Américains.

    Pour ce qui est de la dollarisation, je me suis délibérément abstenu d'en parler car nous n'avons pas encore adopté de position ferme sur cette question dans les provinces de l'Atlantique. Nous sommes une organisation bénévole et notre conseil d'administration n'a pas encore décidé d'une position officielle sur cette question. Toutefois, le mouvement des chambres de commerce a pris diverses positions un peu partout dans le pays. Je crois que la Chambre de commerce du Canada va vous parler de cette question ultérieurement.

À  +-(1010)  

[Français]

+-

    M. Yves Rocheleau: Est-ce que vous pensez que le gouvernement canadien devrait former un comité d'experts ou, comme le Bloc québécois l'a proposé, un institut monétaire pour étudier la question en profondeur avant de s'embarquer là-dedans afin que, si l'on s'y embarque, on sache dans quoi on s'embarque?

[Traduction]

+-

    M. Sean Cooper: Nous devons bien savoir où nous mettons les pieds. C'est évidemment vous qui allez décider de la façon de procéder, mais il faut que nous examinions la situation pour savoir quelles seront les retombées sur notre compétitivité mondiale. Nous tenons aussi à préserver notre identité et nous sommes reconnus comme des partenaires de l'économie mondiale. Je pense donc que nous devons effectivement examiner la question. Il faut l'étudier en profondeur pour bien comprendre les ramifications de la dollarisation. On peut procéder de toutes sortes de façons différentes et nous devons veiller à choisir la bonne. Là encore, la Chambre de commerce du Canada a certains points de vue sur cette question et va en discuter au cours des deux prochains mois, je crois. Il y a quelques réunions de politique qui sont prévues à ce sujet, et je pense donc que vous en entendrez parler à ce moment-là.

+-

    La présidente: Monsieur Baker.

+-

    M. George Baker (Gander--Grand Falls, Lib.): Madame la présidente, je voulais simplement dire que cet exposé de la Chambre de commerce des provinces atlantiques que nous a présenté son directeur exécutif était excellent. Il contient des quantités d'informations très intéressantes. Je précise que le directeur exécutif a lui-même fait un travail excellent dans le passé auprès des chambres de commerce de Terre-Neuve et du Labrador ainsi que des Maritimes. Il s'exprime maintenant au nom des quatre provinces atlantiques.

    Je souhaitais simplement lui demander de nous développer la position de la Chambre sur ce qu'ils appellent une union douanière. Je sais que cette notion est expliquée de façon assez détaillée dans le mémoire, mais peut-être le témoin pourrait-il développer ce propos pour les personnes qui écoutent ces délibérations ou qui vont en lire le compte rendu.

À  +-(1015)  

+-

    La présidente: Merci.

    Monsieur Cooper, j'apprécie le compliment que vient de vous faire le député de Terre-Neuve.

+-

    M. Sean Cooper: Je remercie le député pour ses compliments; j'ai effectivement toujours une propriété dans sa circonscription.

    L'idée de base d'une union douanière serait d'encourager une meilleure circulation des biens en réduisant les nécessités d'inspection douanière à la frontière canado-américaine. Cela permettrait de réduire ou même de supprimer la paperasserie, l'incertitude et les coûts liés aux règles d'origine. On atténuerait considérablement les fardeaux administratifs, et ce n'est pas rien. D'après une étude, les coûts liés au régime des règles d'origine pourraient représenter jusqu'à 2 ou 3 p. 100 du PIB des pays de l'ALENA. Sachant que plus de 85 p. 100 des biens et services du Canada sont exportés aux États-Unis, les économies potentielles sont considérables.

    Quand nous avons commencé à parler d'une union douanière, nous souhaitions essentiellement avoir un périmètre de dédouanement, même avant le 11 septembre. Nous souhaitions avoir une zone douanière commune pour toute l'Amérique du Nord. Cela devait permettre au Canada atlantique de devenir encore plus une porte d'accès pour les biens et services en provenance du marché européen et du reste du monde, grâce aux ports de Halifax, de Saint John et de St. John's. Cela devait aussi nous donner une plus grande liberté dans les airs, car l'union douanière aurait évidemment entraîné un politique de ciel ouvert, que nous demandions, et cela nous aurait permis d'être plus concurrentiels face aux autres compagnies aériennes de ce continent et d'avoir des transporteurs régionaux qui auraient desservi la partie nord-est du continent, y compris la Nouvelle-Angleterre et le Canada atlantique.

    L'union douanière que nous envisageons s'inspire étroitement de l'Union européenne. Nous savons que les Européens n'ont pas réglé tous leurs problèmes, mais c'est l'objectif que nous nous fixons, une véritable union douanière du Canada et des États-Unis, et même de toute l'Amérique du Nord si possible.

+-

    La présidente: Madame Carroll.

+-

    Mme Aileen Carroll: Je crois qu'il nous appartient à tous de bien réfléchir à la question avant de risquer de nous retrouver confrontés à des titres de journal comme celui-ci, qui ne vient pas de la chambre de commerce, qui parle de 450 000 emplois perdus. Ce qui me dérange dans ce genre de rapport, c'est qu'à mon avis les Manufacturiers et exportateurs du Canada, contrairement à notre gouvernement, ne tiennent pas compte de l'autre côté de la médaille. Qu'est-ce que cela va coûter si nous ne le faisons pas? J'aimerais que la chambre se penche sur ce problème.

+-

     J'ajoute qu'il faut intégrer au problème les questions de santé. Il ne s'agit pas de simplement regarder un tableau ou de se concentrer sur une question. Il faut élargir la vision et je crois que le gouvernement, la Chambre et même M. Klein doivent tenir compte des autres dimensions pour déterminer les coûts réels. J'aimerais avoir votre opinion à ce sujet.

    Ma deuxième question concerne l'union douanière. Je pense qu'il faut bien comprendre ce que signifie cette recommandation. En plus des autres éléments, c'est une intégration complète de nos politiques commerciales. Cela voudrait dire que le Canada ne pourrait plus agir unilatéralement sur une question commerciale une fois que l'union serait entrée en vigueur. Du moment que c'est bien ce qu'on propose et qu'on y a bien réfléchi, c'est parfait et il faut faire cette suggestion, mais je me dis parfois, comme dans le cas de Kyoto, qu'on n'a peut-être pas envisagé la totalité des ingrédients.

    Avant de terminer, j'aimerais mentionner Palmer, qui dirige les négociations sur Kyoto pour les Américains, et qui l'a fait auparavant pour Rio. Quand M. Bush a annoncé brutalement que les États-Unis n'allaient pas ratifier le Protocole de Kyoto—c'était avant que nous allions à Bonn l'été dernier—il a eu une excellente entrevue à Radio-Canada et il a soutenu que l'administration Bush ne tenait pas compte du coût de ce refus, ne tenait pas compte de ce que cela aurait comme répercussions sur ses projets de mettre en place un régime de soins de santé indispensable aux États-Unis puisqu'ils n'ont pas encore de politique de soins de santé. C'est quelque chose qui représente un coût énorme aux États-Unis, mais l'administration Bush n'a pas examiné les autres aspects de la question.

    Je vous invite donc à nous donner vos commentaires sur Kyoto et sur l'idée d'une union douanière.

À  +-(1020)  

+-

    M. Sean Cooper: Pour ce qui est de Kyoto, nous ne clamons que nous allons perdre 450 000 emplois et nous ne publions pas des titres alarmistes dans les journaux. Ce qui nous inquiète, c'est le court terme. Nous savons bien qu'il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Il faut se pencher sur ce problème, mais nous ne pouvons pas nous contenter de dire que le Canada peut forcer les États-Unis à signer le protocole. Les États-Unis sont des pollueurs de premier plan. Nous pouvons faire beaucoup de choses dans le contexte de cette économie intégrée, comme je l'ai dit, en réduisant la pollution, en produisant de l'électricité à partir de centrales hydro-électriques, d'éoliennes ou de gaz naturel, ce qui permettrait de réduire considérablement la pollution aux États-Unis, mais à notre connaissance, nous n'avons pas pu négocier l'octroi de crédits au Canada en échange de cette réduction. Si les Américains ne ratifient pas l'accord de Kyoto, nous avons un gros problème avec cet échange d'émissions. On tomberait alors dans un débat sur les molécules par opposition aux électrons. Nous enverrions notre gaz naturel aux États-Unis pour leur permettre de s'en servir pour faire de l'électricité et réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Dans ce cas, nous envoyons nos matières premières aux États-Unis mais nous n'obtenons aucun crédit en échange.

    Si l'on plafonne les émissions, nous ne pourrons pas créer de nouvelles industries. Ici, dans le Canada atlantique, une fois qu'on aura plafonné les émissions, si le plafond est de 571 mégatonnes, nous voulons savoir quelle garantie nous allons conserver et comment on va répartir cette restriction sur l'ensemble du pays. Le premier ministre a dit que c'est le Canada tout entier qui assumerait le fardeau de l'accord de Kyoto. C'est parfait si l'on parle d'un pays qui est développé d'un bout à l'autre, mais ici au Canada atlantique, nous avons beaucoup de choses qui sont sur le point de décoller. Nous sommes prêts à foncer dans la croissance et le développement, et nous ne voulons pas qu'on nous barre la route. Le coût des émissions qu'il faudra acheter pour implanter une fonderie à Terre-Neuve ou une aluminerie en Nouvelle-Écosse, ou pour fabriquer de l'électricité à partir de gaz naturel risque d'être prohibitif et d'empêcher la réalisation de ces projets. Voilà ce que nous craignons.

    Nous devons donc examiner la question de la négociation des crédits pour être sûrs d'avoir un moyen raisonnable de continuer à développer notre économie. Nous ne voulons pas être paralysés. C'est ce que nous disons à propos de Kyoto. Il ne s'agit pas de dire qu'il faut augmenter nos émissions. Nous ne parlons pas d'accroître la totalité de nos émissions, nous voulons au contraire qu'on les réduise dans l'ensemble du monde et nous estimons qu'il faut voir l'ensemble du tableau et non pas imposer à quelques-uns d'entre nous seulement le fardeau de la réduction totale des émissions.

À  +-(1025)  

+-

    La présidente: Merci.

    Monsieur Rocheleau.

[Français]

+-

    M. Yves Rocheleau: J'ai une question d'information suite à celle de mon collègue M. Baker.

    Vous parlez d'union douanière. Supposons que le Canada et les États-Unis soient actuellement en situation d'entente quant à une union douanière, qu'arriverait-il, par exemple, du conflit sur le bois d'oeuvre? Est-ce que ça voudrait dire qu'il n'y aurait pas de conflit sur le bois d'oeuvre? En prenant ce cas pratique en exemple, quelles seraient les implications d'une union douanière?

[Traduction]

+-

    M. Sean Cooper: Est-ce qu'il y aurait un conflit? J'espère que non. Comme je le dis dans mon exposé, il faudrait négocier la suppression des lois et pratiques antidumping des États-Unis. Vu le rôle central de ces instruments dans la politique commerciale des Américains et la façon dont ils se sont battus pour préserver ces instruments dans les négociations commerciales, il est difficile d'imaginer qu'ils seraient prêts à renoncer totalement à leur droit d'imposer des droits compensateurs, même dans le contexte d'une union douanière, mais c'est quelque chose qu'il faudrait négocier avec eux.

    Il faudrait que le Canada et les États-Unis trouvent une position de compromis sur l'ensemble des négociations commerciales ou tout au moins qu'ils réduisent considérablement leurs différends. L'union douanière nous permettrait certainement d'approfondir notre intégration économique, mais elle n'entraînerait pas nécessairement un marché unique. Dans un avenir prévisible, les denrées feraient toujours l'objet de taxes différentes, se négocieraient avec des devises différentes et seraient visées par des réglementations intérieures différentes. Nous ne disons pas que nous allons renoncer complètement à notre réglementation. Un tarif douanier externe ne représente qu'un élément de l'entreprise globale d'intégration, qui est quelque chose de beaucoup plus vaste que cela.

    Certains ont suggéré de commencer par des secteurs précis pour voir ce que l'on pouvait faire. Le secteur de l'acier serait un bon exemple. C'est un secteur dans lequel il y a déjà beaucoup de chevauchements entre les pays au niveau de la propriété, de l'origine des matières premières et même de la représentation syndicale. Ce secteur pourrait être un excellent test pour permettre au Canada et aux États-Unis non seulement d'améliorer l'efficacité actuelle de ce secteur, mais aussi d'évaluer les répercussions réelles qu'aurait un tarif douanier externe commun. Nous suggérons donc de faire les choses progressivement et de voir comment cela fonctionnerait dans un secteur donné, pour pouvoir éliminer progressivement les problèmes posés par une union douanière.

+-

    La présidente: Comme vous le savez, monsieur Cooper, quand on parle d'union douanière, c'est-à-dire d'harmonisation des politiques commerciales du Canada avec celles des États-Unis, les Canadiens veulent savoir quel avantage cela présente pour nous. En même temps, je souhaite vous féliciter pour la conclusion de votre document, car je crois que la plupart des Canadiens sont d'accord avec votre dernier paragraphe, dans lequel vous dites:

Les Canadiens ne veulent pas devenir totalement intégrés aux États-Unis et ne veulent pas devenir des Américains, mais ils veulent tirer tous les avantages économiques d'un partenariat économique avec les Américains.

    Je crois que la plupart des Canadiens seront d'accord avec cette affirmation.

    J'aimerais passer à la question des transports, car nous avons entendu hier matin un exposé très solide du Atlantic Institute of Market Studies, dans lequel il a été question des couloirs de transport. J'aimerais savoir si votre chambre a réfléchi à la question de l'infrastructure des transports, si elle pense qu'il faudrait que les transports soient privés, publics, relèvent du gouvernement fédéral ou des provinces, qu'on travaille avec les États-Unis à mettre en place un couloir reliant le Canada atlantique et le Maine, etc. Pouvez-vous nous en parler? Je ne sais pas si vous avez connaissance des travaux que le Atlantic Institute for Market Studies a réalisés dans ce domaine.

+-

    M. Sean Cooper: Je connais certains travaux que l'institut a réalisés dans ce domaine, et je suis tout à fait à l'aise pour vous parler du corridor commercial de la côte Atlantique. C'est à notre initiative en fait qu'a été lancée l'idée du corridor commercial de la côte Atlantique. On parle généralement aussi de la route Transcanadienne et de la I-95 qui irait de St. John's, Terre-Neuve, jusqu'à Key West, en Floride. Le financement du segment américain de ce corridor pose de grands problèmes. Dans la première série de discussions du TEA-21, il ne figurait pas parmi les grands corridors. La Nouvelle-Angleterre a été complètement oubliée de la carte. Nous en faisons la promotion auprès de nos homologues de la Nouvelle-Angleterre. J'ai fait des exposés au gouverneur de la Nouvelle-Angleterre et aux premiers ministres de l'est du Canada à cet égard aussi.

    Le financement des infrastructures provient du contribuable, c'est nous qui allons payer pour nos routes. Nous ne nous préoccupons pas vraiment de savoir qui ouvrira le corridor, ce qui nous préoccupe, c'est d'avoir les meilleurs outils pour que nos gens, nos produits et nos services trouvent les débouchés voulus, et nous tenons à ce que cela soit clair. Nous avons besoin des infrastructures. On procède en ce moment à de grandes améliorations dans le système routier du Nouveau-Brunswick. Il y a encore des améliorations à apporter dans le vieux corridor commercial, qui s'étend essentiellement jusqu'au Québec. Mais il est essentiel de régler la question des infrastructures.

    Pour ce qui est des postes frontaliers, avec la nouvelle autoroute divisée qui va jusqu'à la région de Woodstock-Holden, la circulation a augmenté à ce poste frontalier, parce qu'il est plus rapide de passer par cette route, au lieu d'emprunter la route de St. Stephen-Calais, et on n'est plus obligé de prendre l'autoroute 9. Il y a un mouvement dans le Maine qui vise à ouvrir une autoroute est-ouest qui traverserait le Maine, le New Hampshire, le Vermont et l'État de New York. Ce mouvement a reçu un certain soutien dans ces États. Nous devons continuer d'encourager ce mouvement.

    Pour ce qui des chambres de commerce des provinces atlantiques, nous sommes en train de créer une banque de données sur les localités le long de ce corridor pour encourager le jumelage de ces localités et des milieux d'affaires, et ce, afin de promouvoir l'idée du corridor, de telle sorte que les gens qui vivent le long de ce corridor prennent connaissance de cette initiative et embarquent dans ce projet afin d'augmenter le tourisme dans notre région.

    C'est un circuit étonnant, qui ne fait que 50 milles de large, mais on trouve dans toute cette région près de 89 millions de personnes, c'est donc un marché énorme pour nous. C'est aussi notre marché traditionnel. Voilà pourquoi nous cherchons toujours à faire éliminer les obstacles qui bloquent les échanges commerciaux et le mouvement des personnes, des produits et des services. Les postes frontaliers constituent l'un de ces obstacles, et voilà pourquoi nous croyons qu'une union douanière serait très importante pour nous. Le plus vite nos produits, personnes et services parviennent à ce marché, le mieux c'est. C'est toujours cela qui fait augmenter la productivité de notre pays. Cela suscite toute une série de discussions auxquelles nous participons et qui portent entre autres sur les règlements régissant le camionnage, le système ferroviaire de cette région et les règlements qui ralentissent le mouvement de nos marchandises jusqu'en Nouvelle-Angleterre. Nous considérons également que l'infrastructure de la technologie de l'information est un élément très important de ce corridor et qu'il faut y avoir des bandes larges réservées, pour que nous puissions faire circuler nos données et pour que nos entreprises qui fabriquent des logiciels puissent continuer d'écouler leurs produits dans ce corridor, étant donné que la plupart de nos grands débouchés s'étendent jusqu'à Washington, la Caroline et Atlanta.

    Donc oui, nous connaissons très bien l'idée de ce corridor commercial. Nous avons créé une coalition d'organisations dans le Canada atlantique et en Nouvelle-Angleterre. Nous avons réuni les manufacturiers, l'industrie touristique, l'industrie de la technologie de l'information, des associations de camionnage, des associations portuaires et d'autres qui font partie de notre coalition pour la promotion de ce corridor commercial. Nous continuerons d'y travailler.

À  +-(1030)  

+-

     Nous avons certaines craintes relativement à certains éléments concernant la création de ce couloir commercial dans notre pays. On a annoncé des développements dans la région de Plattsburgh, dans l'État de New York, et au poste frontalier de Champlain non loin de là. Grâce à la Chambre de commerce du Québec et à la Chambre de commerce de Plattsburgh, New York, on est allé de l'avant. Ce que nous craignons, nous ici dans l'est, c'est que le gouvernement fédéral fasse passer ce couloir commercial du Québec à l'État de New York qui deviendrait ainsi le couloir de l'est. Encore là, on se trouverait à exclure la Nouvelle Angleterre et le Canada atlantique, et nous voulons donc nous assurer que la transcanadienne de Saint John jusqu'à la frontière du Nouveau-Brunswick, et de là jusqu'au Maine, jusqu'à New York, demeure une priorité essentielle dans le développement de ce couloir commercial dans notre pays.

À  +-(1035)  

+-

    La présidente: Puis-je vous demander de commenter une phrase de votre texte, sous la rubrique «Questions frontalières», où vous dites: «La stratégie canadienne de gestion frontalière n'est pas encore clairement définie.» Pouvez-vous nous dire comment on pourrait la clarifier, si l'on tient compte de la déclaration sur la frontière intelligente et du plan d'action que nous avons signé avec les États-Unis? Est-ce que cela va améliorer la situation?

+-

    M. Sean Cooper: Les recommandations que l'on retrouve dans la déclaration sur la frontière intelligente et le plan d'action sont très bonnes. On va ainsi essayer d'actualiser les choses, de répondre à nos besoins. Mais la vision de la gestion frontalière, à notre avis, demeure mal définie.

+-

    La présidente: Pourriez-vous nous dire ce qui est flou au juste?

+-

    M. Sean Cooper: Si je pouvais vous dire ce qui est flou au juste, ce ne serait plus flou du tout.

    Nous voulons qu'on nous garantisse une gestion frontalière très claire et bien identifiée. Les plans d'action existent, nous voulons qu'ils soient mis en place, nous voulons qu'on aille de l'avant. Ces textes sont très bien, mais nous voulons de l'action, nous voulons que le gouvernement accélère les choses ici. Ce sont de bons plans d'action, alors mettez-les en oeuvre. C'est ce que le milieu d'affaires voudrait, et ce que devrait faire le gouvernement.

+-

    La présidente: Merci beaucoup, monsieur Cooper. Merci pour ce texte et merci de nous avoir communiqué des idées qui, je le crois, retiendront notre attention lorsque nous parcourrons le pays et parlerons à des Canadiens et à des gens d'affaires comme vous-même. Merci du fond du coeur.

+-

    M. Sean Cooper: Merci beaucoup.

+-

    La présidente: Nous allons faire une pause. Nos prochains témoins seront ici à 11 h 15.

À  +-(1035)  


Á  +-(1117)  

Á  +-(1120)  

+-

    La présidente: Nous reprenons nos audiences avec Elizabeth Beale, présidente et directrice générale du Conseil économique des provinces de l'Atlantique. Bienvenue, et merci pour les textes que vous nous avez envoyés et les documents que vous avez donnés à notre personnel. Nous vous écoutons.

+-

     Mme Elizabeth Beale (présidente et directrice générale, Conseil économique des provinces de l'Atlantique): Mesdames et messieurs, je vous remercie de nous avoir invités à témoigner devant vous aujourd'hui. Je vais faire mon exposé entièrement en anglais; je m'en excuse au député du Bloc. Toute notre documentation sur cette question est en anglais seulement, mais je crois qu'elle sera en partie traduite.

    Je vais vous parler aujourd'hui essentiellement du travail que nous avons fait sur l'accord de libre-échange et des répercussions de l'ALENA et de l'ALE sur les provinces de l'Atlantique. C'est une question qui intéresse depuis longtemps l'organisation que je dirige. Nous avons fait dans les années 80 une étude sur certains aspects de la mise en oeuvre de l'ALE et cela a aidé les compagnies et les provinces de l'Atlantique à identifier les questions jugées importantes au moment d'aborder l'ALENA. Nous avons effectué au cours des trois dernières années une étude sur l'environnement poste-ALENA et ALE et sur les répercussions de ces accords sur le Canada atlantique. J'ai apporté des exemplaires de cette publication. On y examine toute une gamme de questions concernant le commerce, la diversification du commerce, la nouvelle économie, certains secteurs des technologies des communications, l'agriculture. Nous avons essayé de choisir des domaines clé pour les provinces de l'Atlantique et nous avons pu compter sur tout un éventail de chercheurs, en plus de nos permanents. Nous allons maintenant travailler à une nouvelle étude dans le domaine de l'investissement étranger direct, et nous prévoyons faire beaucoup de travail sur ce dossier au cours des prochaines années.

    Notre organisation est un groupe de recherche et d'affaires publiques. Nous sommes bien appuyés par un éventail diversifié d'intervenants des gouvernements provinciaux et de certains ministères fédéraux, mais surtout du milieu des affaires du Canada atlantique. Nous abordons donc notre mandat non seulement en tant qu'économistes, et bien sûr, les membres de notre personnel sont des économistes, mais aussi en comptant sur la participation très active des représentants de l'industrie que nous consultons sur toutes ces questions. Je pense que c'est un élément important qui contribue à orienter nos recherches dans ce domaine. Nous comptons donc sur ces intervenants de l'industrie non seulement pour les consulter, mais aussi pour mettre de l'avant les dossiers d'affaires publiques que nous jugeons importants au nom de la région. Pour ceux d'entre vous que cela intéresserait, j'ai apporté un exemplaire de notre rapport annuel, dans lequel on trouve une liste de tous nos membres et une description de nos activités.

+-

     À titre d'exemple, j'ai présenté certaines de ces données en août, au Connecticut, lors d'une réunion des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers ministres des provinces de l'Atlantique. Il y a une autre conférence intitulée «NAFTA on the Ground» qui se tiendra au mois de mai à Saint John au Nouveau-Brunswick. Je serai la conférencière principale lors de cet événement. J'essaie de vous donner un aperçu de ce que nous faisons dans ce domaine très important, le point de mire de nos efforts, et nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires industriels.

    Je vais donc aujourd'hui vous donner un aperçu des sujets que j'ai abordés dans le chapitre à la fin de la publication que vous avez, car cela réunit toutes les questions qui intéressent le Canada atlantique. À vrai dire, je ne sais pas si c'est ce qui vous intéresse, mais j'ai pensé qu'il serait peut-être utile de vous donner un peu l'historique de la chose. Je vous en prie, n'hésitez pas à m'interrompre si je m'éloigne du sujet ou si ce n'est pas pertinent à votre avis.

    En général, la région de l'Atlantique s'est bien adaptée à une économie nord-américaine plus intégrée. Nos exportations de marchandises, par exemple, ont connu une croissance très rapide, faisant passer notre part du PIB de 23 p. 100 en 1989 à environ 32 p. 100 dix ans plus tard. Il faut le noter, car c'est là un résultat beaucoup plus positif que ce qui avait été anticipé avant l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange et parce que cet accord a évidemment entraîné l'élimination de droits de douane qui gênaient le flot des marchandises dans la région, tout particulièrement les exportations, mais plus important encore, cela a entraîné des mesures concrètes d'élimination des barrières non tarifaires.

    Certaines des plus grandes entreprises de la région ont réagi particulièrement bien aux débouchés qu'offrait une économie mondiale plus compétitive, et dans ces secteurs, nous constatons des gains de productivité très importants, justement le genre de changement que nous aimerions retrouver dans des ententes internationales plus ouvertes. C'est d'ailleurs ce qui se produit pour certaines de nos plus grandes industries de transformation alimentaire qui connaissent des hausses de production et où la productivité augmente. Nous constatons la même chose dans plusieurs entreprises de transformation du bois. C'est le cas tout particulièrement pour les trois provinces maritimes. Il y a des différences—nous pourrons les aborder à la fin—dans le profil commercial des quatre provinces. Je n'en parlerai pas maintenant, mais n'hésitez pas à m'interroger à ce sujet si cela vous intéresse.

    J'utilise souvent l'exemple de ce qui est arrivé à l'économie de l'Île-du-Prince-Édouard au cours de cette période, car j'estime que c'est là une bonne étude de cas pour expliquer comment le changement peut se produire dans un climat commercial plus ouvert. Essentiellement, l'Île-du-Prince-Édouard est un fournisseur de produits sans grande valeur ajoutée dans l'économie canadienne depuis de nombreuses années, en fait pendant une grande partie de son histoire, mais dans le cadre l'Accord de libre-échange, c'est la province qui a connu le changement le plus rapide. Suite à l'entrée en vigueur de l'ALE, entre 1990 et 1999, les exportations de la province ont plus que doublé et alors qu'auparavant on se concentrait sur certains produits du secteur des ressources, on a beaucoup ajouté à la valeur de ces produits, surtout dans le cas de la transformation alimentaire. De plus, nous avons vu de nouvelles industries s'implanter, notamment dans le secteur de l'aérospatiale. En fait, les industries aérospatiales sont souvent maintenant les principaux exportateurs dans un trimestre pour l'Île-du-Prince-Édouard, ce qui n'est pas ce à quoi on songe lorsqu'on pense à l'Île-du-Prince-Édouard. Je pense donc que c'est un très bon secteur où il peut se produire des changements très positifs.

    Évidemment, ce changement est également survenu suite à l'amélioration des transports à l'île-du-Prince-Édouard. Toutefois, c'est révélateur d'une bonne direction et les gains sur les marchés internationaux ne se sont pas limités exclusivement aux secteurs de fabrication de produits. De nouveaux exportateurs commencent à venir de secteurs tels que les technologies de l'information, la biotechnologie, la géomatique, et de façon générale des secteurs fondés sur le savoir. Toutefois, nombre de ces entreprises sont très petites à l'échelle internationale, ce qui est vrai partout dans la région, même ici, à Halifax.

Á  +-(1125)  

+-

     Il est important de signaler qu'il s'agit là d'un changement remarquable, étant donné les chocs qui ont secoué l'économie de cette région durant les années 90. Par exemple, avec toute la restructuration industrielle qui a lieu dans les pêches, il s'est écoulé quatre années entre 1995 et 1998 au cours desquelles les exportations du Canada atlantique ont été plus ou moins stagnantes. Dans certaines provinces, elles ont même baissé. Dans le cas de Terre-Neuve, il y a eu une contraction de la croissance qui a duré près de dix ans, jusqu'à la fin des années 90, alors que le secteur énergétique a commencé à émerger. Par conséquent, cette période n'a pas été robuste pour le Canada atlantique, mais en dépit de tout cela, nous avons quand même assisté à une période de ce que j'appellerais un changement très productif dans certains secteurs.

    Mais je pense que tout cela fait ressortir certains problèmes qui se posent dans le Canada atlantique. Les produits et services à fort rendement représentent encore une très petite proportion des exportations totales. Le rythme de croissance est inférieur à la performance canadienne, même si nous avons vu un changement positif, bien que je doive vous avertir que les données des deux dernières années sont faussées par l'explosion des exportations du secteur énergétique de Terre-Neuve et Labrador, et aussi de Nouvelle-Écosse dans le secteur du gaz. Si l'on examine les données globales sur le commerce, on ne s'aperçoit pas des changements qui sont en train de se produire.

    Je pense qu'il y a aussi des problèmes du côté de la productivité de la main-d'oeuvre dans certains secteurs. J'ai mentionné que dans certains de nos principaux secteurs d'exportation, nous avons assisté à un changement positif et à une forte croissance de la productivité, mais ce n'est pas vrai dans tous les secteurs. Cela reflète vraiment le fait que la productivité a augmenté de façon générale au Canada, essentiellement en raison du commerce intérieur dans chaque secteur, autrement dit, les échanges entre des sociétés intégrées verticalement, donc un commerce qui est fondé sur la spécialisation des produits et les économies d'échelle. À vrai dire, le Canada atlantique compte tout simplement très peu de secteurs où il y a des possibilités qu'un tel phénomène se produise. Par exemple, si vous examinez le secteur de la fabrication au Québec et en Ontario et l'intégration des compagnies de part et d'autre de la frontière, vous auriez de la misère à trouver des secteurs comparables dans le Canada atlantique. Cela a retardé le processus d'ajustement positif, par rapport à l'ensemble du tableau canadien.

    Il y a encore d'autres facteurs que je veux souligner et qui demeurent tout à fait problématiques, et nul doute que vous en entendrez parler de la part d'autres intervenants au cours de vos audiences. Il s'agit des coûts attribuables à la distance et au transport. Nous aimons tous prétendre, en tant qu'économistes, que la distance n'a pas vraiment d'importance, mais c'est quand même important pour certains produits qui viennent de notre région. Nous avons une foule de problèmes de transport. Bien sûr, depuis septembre dernier, le problème du transport aérien est devenu prioritaire. Il ne l'était pas quand j'ai écrit ce texte il y a quelques mois, mais c'est assurément un grand problème aujourd'hui. En fait, nous envisageons justement d'effectuer une nouvelle étude sur le transport et je pense que ce projet est dicté par de très vives inquiétudes dans l'ensemble de la région relativement à la perte de service et à la difficulté que nous avons maintenant de maintenir l'infrastructure de ce service dans l'ensemble de la région. En termes simples, parce que la population est peu nombreuse et est éparpillée sur un très grand territoire ici dans l'Atlantique, il y a beaucoup moins de possibilités, par exemple pour ce qui est de l'émergence de nouvelles entreprises de transport aérien, à la fois pour les marchandises et les voyageurs.

Á  +-(1130)  

+-

     Je signale que l'absence de diversité dans la structure industrielle de la région est un problème clé auquel il faut s'attaquer dans toute stratégie commerciale. Vous devriez peut-être jeter un coup d'oeil à la stratégie économique du Nouveau-Brunswick, qui vient d'être publiée. Je ne sais si vous entendrez des témoins qui vous en parlerons au cours de vos audiences, mais le Nouveau-Brunswick vient de présenter il y a deux semaines une nouvelle stratégie économique dans laquelle on se fixe spécifiquement comme objectif la diversification du commerce. Le Nouveau-Brunswick est encore le principal pôle industriel de la région, et cette province a tendance à avoir la politique la plus progressiste dans ce dossier.

    La plupart des gains enregistrés au chapitre des exportations sont attribuables aux principaux exportateurs de la région, et ces grands exportateurs ont donc beaucoup de succès. Le véritable problème se pose au niveau des PME de l'Atlantique. En particulier, nous avons constaté qu'une forte proportion des nouveaux petits exportateurs échouaient complètement et n'arrivaient plus à exporter dès la deuxième ou troisième année. Si l'on examine le profil des petits exportateurs, on voit que leur succès pour ce qui est de surmonter les obstacles est très limité dans le Canada atlantique. Il y a une foule de raisons complexes qui expliquent cette situation, mais je pense que cela revient à ce que je disais au sujet de la structure industrielle, l'absence d'échanges à l'intérieur des entreprises, l'absence d'un noyau d'entreprises qui serviraient de facilitateur et qui seraient capables d'investir dans de nouvelles entreprises et de servir de base pour aider les petites entreprises à trouver des débouchés internationaux. Les petites entreprises par chez nous sont souvent laissées à elles-mêmes et doivent se débrouiller par leurs propres moyens pour exploiter de nouveaux marchés ou de nouveaux produits. C'est très difficile pour ces entreprises de maintenir leurs activités de façon continue.

    À l'heure actuelle, il y a un certain nombre de ministères gouvernementaux qui offrent un soutien aux petits exportateurs, y compris la Société pour l'expansion des exportations et l'Agence de promotion économique du Canada atlantique, qui s'efforcent toutes les deux de relever ce défi. Ce n'est donc pas nouveau et il est certain qu'on en est conscient, mais je pense que la véritable question, c'est de savoir si les intervenants sont disposés à appuyer ces petites compagnies de façon continue pendant un certain nombre d'années. D'habitude, l'aide n'est accordée qu'une fois, de façon ponctuelle, sans qu'il y ait de suivi les années suivantes. C'est ainsi qu'il devient difficile pour ces petites compagnies de réussir.

    Les provinces et le gouvernement fédéral renforcent aussi la promotion commerciale pour aider les petites entreprises à rejoindre les marchés. Nous avons vu beaucoup de bonnes choses découlant de nouvelles missions commerciales dans certaines régions des États-Unis, les quatre premiers ministres provinciaux étant accompagnés de divers ministres fédéraux, pour aider à mener à bien cette entreprise. Mais là encore, c'est le suivi qui est la clé, c'est l'engagement de soutenir l'effort à long terme qui nous permettra d'abattre ces obstacles. L'élan initial peut-être important, mais c'est l'appui soutenu qui compte.

    Je pense qu'il y a vraiment des interrogations dans la région—et cela va bien au-delà de la simple stratégie commerciale pour s'appliquer à l'ensemble des stratégies de développement économique—quant à savoir si nous avons besoin d'un effort beaucoup plus concerté pour aider les compagnies de chez nous à surmonter certains obstacles. Je n'aborderai pas cette question ici, mais on réfléchit beaucoup en ce moment à la question et l'on pense que le gouvernement fédéral, en particulier, doit réexaminer ses stratégies de développement économique pour le Canada atlantique s'il veut vraiment sortir du cercle vicieux et relancer l'économie de notre région.

    Je pourrais vous signaler un certain nombre de secteurs et je vais vous parler spécifiquement, par exemple, des changements qui se produisent actuellement dans l'économie de la région dans le secteur du pétrole et du gaz. Il y a beaucoup d'investissements dans l'économie de la région, mais c'est encore une industrie naissante, on en est encore à faire du développement à la pièce, un projet à l a fois. Enfin, il y a un grand débat dans l'industrie elle-même quant à savoir si l'on peut vraiment dire qu'il s'agit d'un secteur industriel ici dans le Canada atlantique. En particulier, certaines compagnies ont de vives inquiétudes quant aux obstacles qui existent entre les provinces de l'Atlantique qui limitent les possibilités de bâtir cette industrie à l'échelle régionale. Je mentionne ce point dans le contexte de l'importance de l'entente sur le commerce intérieur et des efforts continus pour éliminer les obstacles entre les quatre provinces. Les navires de ravitaillement n'arrivent pas à obtenir l'autorisation de travailler à la fois à Terre-Neuve et Labrador et en Nouvelle-Écosse. Des travailleurs qualifiés n'obtiennent pas l'autorisation de travailler de part et d'autre des frontières. Je suis certaine que vous avez beaucoup entendu parler des progrès que nous avons accomplis du côté international et de l'absence de progrès sur le plan intérieur. Je pourrais vous inonder d'exemples, mais je suis certaine que vous en avez déjà beaucoup entendu parler. C'est vraiment frustrant ici dans l'Atlantique, car nous sommes de petites provinces. C'est vraiment absurde de constater à quel point ces contraintes et empêchements existent encore.

Á  +-(1135)  

+-

     J'encourage les négociateurs canadiens à s'intéresser de près aux dossiers du Canada atlantique sur le front des différends commerciaux. On a vraiment le sentiment par ici que nous sommes laissés pour compte, que nos intérêts sont trop limités pour vraiment influer sur l'économie nationale et que, par conséquent, nous ne sommes pas représentés comme il faut. C'était certainement vrai dans le différend sur le bois d'oeuvre, quoi que je pense que les efforts concertés de lobbying dans ce dossier ont contribué à la défense de nos intérêts. Je pense que cela fait vraiment ressortir l'importance d'une approche intégrée dans l'ensemble de la région à la fois par les premiers ministres provinciaux et par les autres intervenants qui travaillent à ces dossiers, pour faire en sorte que les intérêts du Canada atlantique soient solidement défendus dans le contexte des grands dossiers commerciaux nationaux.

    Je pense que cela résume les principaux points que je voulais aborder. J'espère vous avoir donné une vue d'ensemble de nos atouts et des changements positifs qui se sont produits, mais j'ai aussi essayé de cerner certains défis que nous devons relever si nous voulons progresser dans notre région.

Á  +-(1140)  

+-

    La présidente: Nous passons maintenant aux questions. Nous allons commencer par M. Rocheleau.

[Français]

+-

    M. Yves Rocheleau: Merci, madame la présidente. Merci, madame Beale, de votre témoignage.

    Vous avez beaucoup parlé de ce qui préoccupe à l'interne le Conseil économique des provinces de l'Atlantique. J'aimerais savoir si vous avez une réflexion ou des opinions à partager sur des questions qui nous touchent de plus près comme, par exemple, l'intégration nord-américaine, la gestion des frontières, l'existence de mesures protectionnistes provenant de nos amis américains, les voies de transport nord-sud--une question qui préoccupe beaucoup un groupe très impressionnant, le groupe AIMS que nous avons rencontré hier--et, enfin, la possibilité d'une éventuelle union douanière entre le Canada et les États-Unis. Donc, j'aimerais vous entendre sur ces quatre points: la gestion des frontières, les mesures protectionnistes, le transport vers le sud et l'union douanière.

[Traduction]

+-

    Mme Elizabeth Beale: Je pense que vous avez entendu Sean Cooper qui vous a parlé du corridor commercial. Je siège au conseil présidé par Sean et je connais donc très bien les dossiers que nous étudions dans cette organisation. Je pense qu'il y a là une foule d'excellentes occasions de résoudre un certain nombre de questions sur ce front. L'une des raisons pour lesquelles je n'en ai pas parlé aujourd'hui, c'est que je savais qu'il vous ferait un exposé là-dessus.

    Nous avons fait des sondages officieux auprès des compagnies membres de l'ensemble de la région au sujet de certaines questions frontalières précises qui se posent à l'heure actuelle. Nous avons constaté que les problèmes sont très spécifiques pour chacun des secteurs industriels. Par exemple, les agriculteurs ont été durement touchés par les restrictions imposées sur le passage des denrées agricoles de part et d'autre de la frontière et l'ajout d'inspections, souvent arbitraires, lorsque l'expéditeur se présente à la frontière. Je pense que ce sont là des problèmes spécifiques qui touchent un certain nombre de secteurs clé et qu'il y a de bons mécanismes permettant de résoudre certains de ces différends. Ce n'est pas parfait, mais il y a des mécanismes en place.

+-

     Les provinces et la Nouvelle Angleterre, sous la bannière des gouverneurs de la Nouvelle Angleterre et des premiers ministres des provinces de l'Est, ont mis sur pied un comité de globalisation du commerce. J'ignore si vous connaissez le mandat de cette initiative, mais ils s'en sont servis comme d'un outil pour examiner certaines questions frontalières. L'écho que j'en ai eu, car je suis associée à ce groupe, c'est qu'il y a eu relativement peu de problèmes frontaliers qui se sont posés au Canada atlantique, même depuis le 11 septembre.

    Il y a bien un domaine dans lequel j'ai entendu beaucoup de plaintes, nommément les déplacements des gens d'affaires dans l'ensemble de la région au cours des derniers mois. Je ne sais pas trop si vous avez entendu des participants autour de la table vous en parler précisément, mais je ne pourrais pas vraiment vous en dire plus long là-dessus, n'ayant entendu que des témoignages anecdotiques sur cette question. Nous n'avons pas vraiment fait d'analyse en profondeur pour vérifier dans quelle mesure cela nuit aux affaires à l'heure actuelle.

Á  +-(1145)  

+-

    La présidente: Merci.

    M. Baker, le député de Terre-Neuve.

+-

    M. George Baker: Merci, madame la présidente. Nous avons vraiment beaucoup aimé cette présentation. Je suis certain que les gens qui nous écoutent aujourd'hui à Ottawa, car cette séance est diffusée en direct par l'entremise de la Chambre des communes, suivent également cela avec intérêt, de même que le livre intitulé Atlantic Canada's International Trade in the Post-FTA Era. J'ai remarqué que vous êtes l'auteur du chapitre 10. Avez-vous participé à la rédaction d'autres parties de cet ouvrage?

+-

    Mme Elizabeth Beale: L'ouvrage est publié sous ma direction et j'ai donc joué un rôle très actif dans l'établissement des paramètres précis de chacune des études.

+-

    M. George Baker: Je voudrais vous demander votre opinion, non pas spécifiquement sur l'exposé que vous venez de faire, parce qu'il en sera question de toute manière, mais sur une intéressante discussion que le comité a eue au sujet des questions internationales dans le domaine économique, une discussion que nous avons eue au sujet de Terre-Neuve et plus précisément sur la terminologie utilisée internationalement par les économistes qui évaluent la performance de l'économie, plus précisément le PIB, la formule qui est utilisée, les termes dont les économistes se servent dans les études et que nous utiliserons à notre tour pour rédiger notre rapport. Parfois, la terminologie que nous utilisons pour décrire la santé d'une économie ne reflète pas nécessairement la santé des gens qui font partie de cette économie et la contribution, disons, de l'économie globale d'une région qui est considérée particulièrement pauvre. Je vais vous donner un exemple et vous demander de me dire votre opinion sur la question en tant qu'économiste.

    Terre-Neuve et Labrador est relativement pauvre dans le cadre canadien, et le phénomène d'émigration se poursuit aujourd'hui. Le sujet de votre livre, c'est les exportations. Or si vous examinez les exportations de Terre-Neuve et du Labrador, vous avez un milliard de dollars d'électricité produite dans le cours supérieur du Churchill et vendue aux États-Unis. Vous avez ensuite un milliard de dollars par année d'exportations du secteur de la pêche. Il y a encore un milliard de dollars par année dans le secteur des pâtes et papiers—il y a trois usines et elles exportent toutes vers l'Europe. Ajoutons à cela la raffinerie de pétrole dont les exportations s'en vont je ne sais trop où. Ajoutons encore à cela la production de pétrole extracôtier. On aboutit à un chiffre d'environ 5 ou 6 milliards de dollars par année en exportations. Il y a seulement un demi-million de personnes. Si l'on divise un demi-million par 5 milliards, on arrive à un chiffre de 10 000 $ pour chaque homme, femme et enfant de Terre-Neuve et Labrador. La moyenne canadienne au chapitre des exportations est d'environ 3 800 $ par habitant.

+-

     Si l'on faisait le même exercice pour toute la région de l'Atlantique, peut-être que l'on obtiendrait le même résultat, mais Terre-Neuve et Labrador contribue, si l'on tient compte de l'importance des exportations, trois fois plus à l'économie du Canada que la moyenne canadienne par habitant. Ainsi, la région la plus pauvre est parfois celle qui a la plus grande valeur. Êtes-vous d'accord avec cela? Croyez-vous que nous pourrions avoir une économie saine sans exportation, par exemple? Est-ce le facteur déterminant de la santé d'une économie? Est-ce le facteur qui détermine si l'on peut imprimer de l'argent?

    C'est une question de portée générale que je vous pose, parce que cela me ramène aux jeunes gens qui ont comparu devant nous à St. John's. Ils disaient que le PIB est une très mauvaise mesure, parce qu'il est possible d'avoir beaucoup de pauvreté tout en ayant un PIB élevé. Pourquoi donc utiliser cette mesure et pourquoi nous en servons-nous au comité? Il n'y a pas de doute là-dessus, nous allons nous en servir dans notre rapport. Je voudrais vous demander votre opinion là-dessus.

Á  +-(1150)  

+-

    Mme Elizabeth Beale: C'est une question immense, monsieur Baker.

+-

    La présidente: Cette question le tracasse depuis deux ou trois jours, et je vous demande donc de bien vouloir l'aider à y voir clair.

+-

    Mme Elizabeth Beale: Je pense que vous posez une très bonne question, parce que vous demandez ce que nous en retirons. Voici les données et voici ce qui se passe. Quels sont les avantages pour nous? Voilà la question que nous devrions poser à propos de tout ce que nous faisons. Je préfère adopter des mesures que je peux quantifier. Par conséquent, je suis très à l'aise d'utiliser les manières dont nous mesurons la production de l'économie, même si je reconnais qu'il y a une foule d'éléments qui sont très imparfaits dans ce calcul. Je pense que c'est l'éventail des indicateurs qu'il faut utiliser pour obtenir un tableau complet de ce qui se passe.

    Je ne dirai pas que Terre-Neuve et Labrador constitue un cas spécial, mais il se situe à l'une des extrémités du spectre, en ce sens qu'il y a seulement une poignée de produits qui représentent l'ensemble des exportations de Terre-Neuve et Labrador. Je suis certaine que vous avez eu la chance de consulter les données. Il y a les produits de la forêt, du minerai de fer, d'autres minéraux, et maintenant, bien sûr, le pétrole brut et les produits pétroliers raffinés qui sont exportés par la province. Nous avons un groupe très actif de membres et d'autres intervenants à St. John's et ailleurs dans l'île de Terre-Neuve et cette question suscite actuellement beaucoup de préoccupations. Nous avons actuellement une contraction rapide de beaucoup de secteurs industriels, un changement rapide dans la pêche, par exemple, secteur dans lequel, même si la production a rattrapé le fléchissement dû à la fermeture de la pêche à la morue, nous n'avons pas encore récupéré et ne récupérerons jamais tous les emplois qui étaient associés à ce sous-secteur. Nous avons maintenant une nouvelle industrie qui est apparue, mais elle est encore vacillante et survit d'un projet à l'autre. À cause des cours actuels du pétrole, il y a un peu d'incertitude et chacun se demande où l'on s'en va dans ce secteur et qu'est-ce que la province et la population de Terre-Neuve en retirent exactement. Il y a beaucoup de questions tout à fait légitimes qui doivent être examinées, à mon avis. Quelle que soit notre stratégie commerciale ou notre stratégie des exportations pour ces secteurs, nous devrions toujours nous demander comment nous en bénéficions en tant que Canadiens ou Terre-Neuviens.

+-

     Si l'on essaie de visualiser où devraient se situer les développements énergétiques à Terre-Neuve et Labrador, tout reste à faire et les investissements arrivent par à-coups, et ensuite c'est le calme plat pendant un certain temps. Ce n'est pas une courbe continue, comme ce pourrait l'être dans d'autres secteurs beaucoup plus diversifiés, mais il y aura une période au cours de laquelle les redevances vont augmenter en flèche dans cette province et vont changer en profondeur la nature de cette économie. On ne verra jamais le jour où le secteur énergétique créera beaucoup d'emplois dans cette province.

    Si nous réussissons à faire démarrer le projet de Voisey's Bay, par exemple, ce secteur offre de meilleures perspectives d'emploi. Mais nous devrions garder à l'esprit que nous avons affaire à un tout petit nombre de grands projets industriels offrant chacun des possibilités très limitées en termes d'emploi. Les véritables gains au chapitre de l'emploi dans l'économie canadienne se produisent maintenant dans d'autres secteurs que l'on pourrait regrouper, faute d'un meilleur terme, sous l'étiquette de nouvelle économie, c'est-à-dire les services aux entreprises, l'industrie du savoir. Le taux de croissance de ces secteurs est beaucoup moins spectaculaire ici dans le Canada atlantique. C'est particulièrement vrai à Terre-Neuve et Labrador. Il n'est pas facile d'encourager des entreprises à aller s'installer dans de petites localités, et tous les gouvernements provinciaux se débattent avec ce problème.

    Ce n'est pas vraiment une bonne réponse que je vous donne, monsieur Baker, mais je trouve que c'est un élément positif que vous posiez la question de savoir ce que nous retirons de la politique commerciale. Il s'agit de savoir qui bénéficie des initiatives que nous prenons. Nous ne devrions pas tenir compte seulement des exportations, nous ne devrions pas avoir une fixation exclusive sur le PIB comme mesure du potentiel.

Á  +-(1155)  

+-

    La présidente: M. Baker.

+-

    M. George Baker: Seriez-vous donc d'accord pour dire que, lorsque l'on examine la performance économique des régions, des pays, des provinces ou des États, il y a un bon PIB, ou qu'il y a un mauvais PIB, qu'il peut y avoir un PIB qui débouchera sur la catastrophe économique, même s'il est en hausse?

+-

    Mme Elizabeth Beale: Je dirais que ce qui compte, c'est la façon dont on interprète les données. Je tiendrais compte non seulement du PIB et de la production, mais aussi des gains de productivité et en particulier, de ce que nous appelons la productivité totale des facteurs, qui ne reflète pas seulement la productivité de la main-d'oeuvre, parce que la productivité de la main-d'oeuvre augmente très rapidement à Terre-Neuve en ce moment, simplement à cause du fait qu'il y a une production importante et un petit nombre d'employés. Je tiendrais compte des gains de productivité et je m'attarderais en particulier aux gains réalisés au chapitre de l'emploi dans les nouveaux secteurs de l'économie, comme mesure véritable de l'évolution et de l'avenir du Canada atlantique. Je pense que ce sera une importante question de politique pour le gouvernement fédéral en ce qui a trait à la région de l'Atlantique. Nous avons connu une croissance raisonnablement bonne en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve, et celle-ci masque certaines difficultés sous-jacentes. En particulier pour ce qui est de la stratégie de l'innovation, le gouvernement fédéral doit accorder beaucoup plus d'attention à ce qui se passe dans certaines régions du pays qui ne relèvent pas aussi bien que d'autres les défis actuels.

+-

    M. George Baker: Je dirai simplement en conclusion, madame la présidente, que j'écoute cette dame depuis plusieurs années et que j'admire beaucoup le travail qu'elle fait et ses commentaires sur les différents sujets que nous avons eus à aborder au cours des années dans la région de l'Atlantique.

    Merci.

+-

    La présidente: Madame Beale, vous voudrez peut-être ajouter ce commentaire de l'honorable George Baker à votre curriculum vitae.

    Nous passons maintenant à Mme Carroll.

+-

    Mme Aileen Carroll: J'ai en effet trouvé cet échange et cet exposé très intéressants. J'espère ne pas me tromper en concluant à voir seulement le nom de Atlantic Provinces Economic Council et le document que vous nous avez remis que les provinces de l'Atlantique opèrent maintenant davantage comme une unité économique intégrée que par le passé. Je suis certaine que je ne vous apprends rien mais peut-être que tous mes collègues ne sont pas aussi au fait de cette réalité, c'est-à-dire qu'il nous est arrivé de souffrir du fait que les provinces se concurrençaient l'une l'autre pour essayer d'offrir le plus d'avantages possible aux entreprises et se retrouvaient ainsi souvent perdantes. Donc, bien que vous ayez souligné, et à juste titre, que nous semblions faire davantage sur la scène internationale que sur la scène nationale, du fait des barrières commerciales interprovinciales, j'espère que maintenant, dans la région de l'Atlantique, il y a moins de concurrence interne. Est-ce que je me trompe?

  +-(1200)  

+-

    Mme Elizabeth Beale: Je ne suis pas sûre de pouvoir entièrement confirmer cela. Nous sommes un groupe basé dans la région de l'Atlantique. Nous ne recevons aucun soutien direct du gouvernement pour nos activités, nous sommes totalement indépendants. Néanmoins, nous travaillons beaucoup avec les provinces. Je remarque certains éléments positifs. Je crois que ces initiatives interprovinciales, régionales, par exemple, l'initiative entre les gouverneurs et les premiers ministres provinciaux, sont de bons moyens d'essayer de coopérer davantage. Je sais que beaucoup de ces actions sont surtout une question de forme mais cela n'empêche que cela offre un forum pour essayer de faire davantage coopérer des instances concurrentes. On peut donc constater un certain progrès à cet égard.

    Toutefois, la façon dont on envisage actuellement les relations fédérales-provinciales est très polarisée, tout comme elle l'est entre les différents groupes de provinces. Pour ce qui est du développement de l'énergie, qui est important dans la région de l'Atlantique, les démarches sont actuellement improductives. Ce n'est pas simplement un avis personnel mais celui de nombre de nos membres. Il semble que le gouvernement fédéral et les provinces ne réussissent pas à coordonner une stratégie régionalisée alors que nous traversons la plus forte période d'investissement pour l'avenir de cette région. On ne peut par exemple envisager d'initiatives coordonnées sur des questions de prestations et de réglementation et cela empêche les entreprises d'avancer. Je ne veux pas dire qu'il faille éliminer toute déréglementation, comme d'autres le préconiseraient, je dis simplement qu'il n'existe pas de mécanismes qui nous permettent d'agir pour le bien commun de la région de l'Atlantique. Il y a des jours où je suis assez positive quant à l'orientation que l'on prend, à d'autres moments, toutefois, je suis totalement découragée devant l'absence de coopération entre les quatre provinces.

+-

    Mme Aileen Carroll: Merci.

+-

    La présidente: Pour poursuivre là-dessus, les accords de l'ALENA, etc., tiennent-ils suffisamment compte de la région et des préoccupations régionales? Qu'est-ce que vous voudriez nous suggérer dans le contexte de cette étude des préoccupations régionales et des problèmes liés à l'ALENA?

+-

    Mme Elizabeth Beale: Là encore, je n'ai rien de particulièrement concret à vous proposer, sinon une opinion qui m'a été offerte. J'estime, en général, que les provinces n'ont pas consacré suffisamment de ressources à la discussion de sujets précis. Le processus est devenu, comme vous le savez, très complexe. Cela nécessite une grande spécialisation. Pour les provinces moins importantes, il est difficile d'entreprendre le niveau d'analyse nécessaire pour exposer les problèmes comme ils devraient l'être. Je dirai donc que sur le plan des principes d'action, y a un vide pour le moment à ce sujet.

+-

     Je sais qu'ainsi un certain nombre de PME s'en ressentent. Elles n'ont tout simplement pas les ressources voulues pour exposer les problèmes dont elles voudraient que l'on traite dans le contexte de l'ALENA. J'essaie de penser à un bon exemple mais c'est certainement ce qui est ressorti des discussions concernant les restrictions sur les exportations de pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard. Je ne sais pas si quiconque est intervenu à ce sujet en particulier. Il y a probablement des gens qui seraient mieux qualifiés que moi pour répondre à cette question.

  +-(1205)  

+-

    La présidente: Si vous pensez à un exemple, vous pourrez nous le communiquer, parce que nous aimerions que l'on discute de ces questions au sommet du G-8 de la fin de juin.

+-

    Mme Elizabeth Beale: Existe-t-il un mécanisme pour que les provinces puissent participer à cette discussion?

+-

    La présidente: Oui. Je crois que les invitations ont été envoyées.

+-

    Mme Elizabeth Beale: Avez-vous reçu le point de vue des provinces à ce sujet?

+-

    La présidente: Nous avons entendu deux députés provinciaux à Terre-Neuve. Ce n'est pas la province ni la position provinciale mais les provinces connaissent le processus et nous espérons qu'elles nous feront part de leurs points de vue.

+-

    Mme Elizabeth Beale: Je vais essayer de me renseigner et voir si je puis vous envoyer quelque chose.

+-

    La présidente: Merci beaucoup d'être venue et merci de votre exposé.

    Nous allons lever la séance et reprendre à 13 h 30 alors que nous entendrons M. Frank Harvey. Merci.

  +-(1205)  


·  +-(1330)  

+-

    La présidente: Nous commençons la séance de l'après-midi. Merci d'être venus.

    Notre premier témoin est M. Frank Harvey du Centre d'études de politiques étrangères de l'Université Dalhousie. Il est directeur de ce centre et professeur de sciences politiques et de relations internationales. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages et vous avez sous les yeux une liste de certains des titres dont il est auteur ou auxquels il a participé avec quelqu'un de grande renommée.

    Bienvenue au comité. Vous pouvez commencer. Vous avez environ 10 minutes pour votre exposé puis nous passerons à une période de questions.

·  +-(1335)  

+-

    M. Frank Harvey (directeur, Centre des études de politiques étrangères, Département de sciences politiques, Université Dalhousie): Merci beaucoup. Je tiens à remercier les membres du comité de m'avoir invité à leur faire part de certaines de mes réflexions sur les relations Canada-États-Unis et sur la politique de sécurité et de défense du Canada.

    Je signale dans mes notes que 10 minutes ne me donnent pas grand temps pour couvrir ce qui est probablement une série de questions très complexes, mais je ferai de mon mieux. J'indique aussi que j'ai eu l'occasion de déjeuner hier avec Aileen Carroll et que nous avons eu un échange très utile. J'essaierai donc de ne pas revenir sur les mêmes choses. Je vais aborder un certain nombre d'autres tangentes.

    Je vais vous indiquer d'abord ce dont je ne vous parlerai pas aujourd'hui et vous expliquer pourquoi. Je ne vous parlerai pas de ce que j'ai fait au cours de la dernière année à propos de la raison pour laquelle à mon avis le Canada devrait se donner un nouveau Livre blanc sur la défense et la politique étrangère. J'ai passé pratiquement toute l'année dernière à travailler à cela avec des collègues des Universités de Calgary et du Manitoba et j'ai un rapport ici à ce sujet que je puis vous remettre si vous voulez y jeter un coup d'oeil. J'ai également écrit un certain nombre d'articles sur la question d'une défense antimissile nationale et j'essaierai ainsi de ne pas m'attarder trop longtemps sur le sujet.

+-

     Je préfère plutôt consacrer mes 10 minutes à l'évaluation des solutions de remplacement canadiennes à ce que je considère comme deux péchés américains: le péché de la défense antimissile balistique comme option stratégique pour les États-Unis et le péché de l'unilatéralisme américain. J'aimerais évaluer les solutions canadiennes de remplacement à ces deux péchés, quitte à dire carrément que lorsqu'on considère la valeur de ces solutions canadiennes face à la défense antimissile et à l'unilatéralisme américain, ces solutions peuvent paraître séduisantes en surface, mais quand on va au fond des choses, on constate qu'elles ne sont pas particulièrement utiles.

    Commençons par le péché américain numéro un, c'est-à-dire la défense antimissile, et voyons ce qu'on propose au Canada comme meilleure solution à la prolifération et au contrôle des armements. Parmi ces solutions figurent l'engagement constructif, les sanctions économiques, la transparence, la vérification, la surveillance, le contrôle des importations et des exportations, pour ne citer que quelques éléments. C'est là l'essentiel des arguments du mouvement en faveur du contrôle des armements et du désarmement. C'est de cela qu'il est question. Ce sont les solutions qu'on avance pour arrêter la prolifération des armes nucléaires. Quant à moi, je considère que si on peut y voir en surface des mesures de remplacement utiles, en réalité, ce ne sont pas du tout des mesures de remplacement, et elles se sont avérées beaucoup moins efficaces que ne le prétendent leurs partisans.

    Considérons un instant le total des budgets investis par le Canada, les États-Unis, les pays d'Europe—en fait par tous les États de la planète—dans des programmes axés sur la transparence, la vérification, la surveillance, le contrôle des importations et des exportations, etc. Demandons-nous quels résultats nous avons obtenus. Avons-nous réussi à arrêter la prolifération des armes de destruction massive?

    Les faits sont sans équivoque. Même l'approche la plus optimiste du problème de prolifération fait apparaître que les résultats ne sont guère encourageants, comme en témoignent les récents échecs de l'inspection, de la surveillance et de la vérification en Iraq, en Corée du Nord, en Inde et au Pakistan, ces deux pays ayant récemment accédé au club des nations nucléaires. Qu'est-ce qui prouve qu'en investissant encore 20, 30, 40 ou 50 milliards de dollars dans ces programmes, on va en assurer le succès?

    Je considère que ce comité a notamment pour responsabilité de se poser précisément ces questions. Qu'est-ce qui prouve que ces programmes marchent? Est-ce qu'ils ont davantage de chance de succès qu'une formule apparemment moins populaire au plan politique comme la défense antimissile, qui constitue une véritable solution de remplacement? Quelle est la probabilité des chances que des investissements supplémentaires fassent aboutir ces programmes? Est-elle de 20 p. 100, de 30 p. 100 ou de 50 p. 100?

    On me dira: «Vous pouvez poser ces questions, Frank, mais personne ne peut être assez précis quant à la probabilité de succès de ces programmes.» Or, c'est précisément ce qu'on exige des partisans de la défense antimissile. On leur impose d'indiquer précisément les chances de succès du programme, mais les partisans de la transparence et des solutions canadiennes de remplacement n'ont pas, quant à eux, le fardeau de prouver qu'ils ont raison, et je pense qu'ils devraient l'avoir.

    Les détracteurs du point de vue que je viens d'exposer me diront: «Frank, vous êtes à côté du sujet. Il y a bien d'autres problèmes de sécurité.» On cite alors généralement le terrorisme, le trafic de drogue, la détérioration de l'environnement, la faim dans le monde, les maladies, le sida, les conflits entre États, les réfugiés et la prolifération des armes chimiques et biologiques. Voilà les problèmes sur lesquels il faudrait mettre l'accent. C'est en tout cas ce que l'on pense couramment au Canada. Ce sont là les véritables questions de sécurité; ce n'est pas la défense antimissile.

    Mais il faut reprendre la même interrogation: quelles solutions avons-nous pour faire face à ces menaces? Combien coûtent-elles? Qu'est-ce qui prouve que nous obtenons un rendement approprié au niveau de la sécurité dans chacun de ces domaines, et que représente ce rendement par rapport à celui de la défense antimissile?

·  +-(1340)  

+-

     Songez à tout l'argent que le Canada, les États-Unis et l'Europe ont consacré à la lutte contre le terrorisme, à la lutte antidrogue, à l'atténuation de la faim dans le monde, à l'éradication des maladies et à la réparation des dommages causés à l'environnement. Songez aux investissements consentis dans ces domaines au cours des 10 dernières années et demandez-vous s'ils ont été rentables. Malgré les milliards de dollars qui ont été consacrés à ces questions liées à la sécurité, la situation dans tous ces domaines s'est détériorée plutôt que de s'améliorer au cours de cette période. Il faut comparer ces sommes aux sommes investies dans la défense antimissile balistique et au taux de rendement sur le dollar investi dans le domaine de la sécurité. Voilà ce sur quoi devraient porter les preuves recueillies.

    Je ne soutiens évidemment pas que nous devons cesser d'investir dans la lutte contre le terrorisme, dans la lutte antidrogue, dans la réparation des dommages environnementaux et dans l'atténuation de la faim dans le monde. Ce sont des priorités dans le domaine de la sécurité que le Canada s'est fixées. Je ne soutiens pas qu'il faut réduire les investissements dans ces domaines. Je suis cependant d'avis que les solutions à ces problèmes sont très complexes et même plus complexes que les problèmes technologiques que pose la défense antimissile. Il est plus difficile de régler ces problèmes que de construire un missile. Pourquoi? Parce que les missiles contrairement aux gens n'ont pas de volonté politique. Pour que ces solutions donnent de bons résultats, nous devons convaincre les populations des pays visés de prendre les mesures qui s'imposent et d'utiliser cet argent à bon escient pour éliminer les menaces à la sécurité. Il s'agit d'un défi difficile à relever et je ne trouve pas qu'on nous propose des solutions concrètes à ces problèmes.

    Cela m'amène à vous parler du péché numéro 2, soit celui de l'unilatéralisme américain. La preuve de cet unilatéralisme est assez claire. Plus les Américains craignent la prolifération du terrorisme, plus ils consacreront d'efforts, d'argent, de temps et d'énergie à accroître leur autonomie et à réduire leur dépendance à l'égard d'organismes multilatéraux. Le lien entre ces deux facteurs est assez évident. Qu'il suffise de penser aux mesures qui ont été prises et à l'argent qui a été investi: les dépenses du département américain de la défense sont passées à 390 milliards de dollars, une augmentation de 48 milliards de dollars, soit l'augmentation la plus importante depuis la guerre de Corée. Le département a investi 20 milliards de dollars de plus dans le domaine du renseignement, ce qui porte le budget total du renseignement à 40 milliards de dollars. On a accru aussi le budget pour ce qui est de la sécurité aux frontières de 11 milliards de dollars, et celui de la défense intérieure de 39 milliards de dollars. Je pourrais poursuivre cette liste. En outre, les Américains ont commencé à reprendre le contrôle de secteurs non traditionnellement liés à la sécurité comme les transports, le financement mondial et les lois sur l'immigration et les réfugiés. L'objectif que visent les États-Unis est de devenir plus autonomes et indépendants pour ne plus compter que sur leurs propres investissements pour assurer leur sécurité.

    Les détracteurs des États-Unis au Canada soutiendront que cette approche est absurde en cette ère de mondialisation. Un pays ne peut pas assurer sa sécurité de façon indépendante. Il lui faut l'appui des organismes multilatéraux. Les détracteurs de l'unilatéralisme américain au Canada font remarquer qu'avant le 11 septembre, les Américains pouvaient mettre en oeuvre une politique unilatérale, mais depuis le 11 septembre, les Américains ont eu besoin du Conseil de sécurité des Nations Unies pour légitimiser leurs efforts. Pourquoi? Parce que seules les Nations Unies peuvent assurer la légitimité de la lutte antiterrorisme à l'échelle internationale.

    Je suis cependant d'avis que ceux qui soutiennent cette thèse ne comprennent pas ce qui s'est passé depuis le 11 septembre. Les 3 000 personnes qui sont mortes au cours de l'attaque du 11 septembre ont légitimé les mesures prises par les Américains. Les Nations Unies avaient davantage besoin des Américains que l'inverse sur le plan de la légitimité. Le Canada avait davantage besoin des Américains que l'inverse à cet égard également. Tous les pays se sont empressés d'appuyer la lutte au terrorisme menée par les États-Unis parce qu'il s'agissait de la réaction légitime. C'était ce qu'il convenait de faire.

·  +-(1345)  

+-

     Certains soutiendront que tout cela est mauvais pour le Canada parce que nous devrons renoncer à une partie de notre souveraineté. Nous ne serons plus en mesure d'exprimer nos préférences en matière de politique étrangère. Je terminerai cependant en disant que cet argument serait beaucoup plus convaincant si l'on pouvait nous donner des exemples de la façon dont la politique étrangère canadienne diffère de la politique étrangère américaine.

    Enfin, il y a plutôt convergence que divergence entre nos politiques. Prenons l'exemple de la guerre du Golfe, de la Bosnie, du Kosovo, du Rwanda, des prisonniers de guerre en Afghanistan et de la lutte contre le terrorisme. Les valeurs, les priorités, les préférences et les intérêts du Canada sont presque identiques à ceux des États-Unis.

    Cet état de faits pertube beaucoup de Canadiens, mais ceux qui pensent qu'il y a plutôt convergence que divergence de nos politiques étrangères et ceux qui sont contents du fait que ce soit le cas défendent cet argument pour des raisons logiques, éthiques et morales.

    Je n'en dirai pas plus.

·  +-(1350)  

+-

    La présidente: Je vous remercie beaucoup.

    Le représentant du Bloc Québécois, M. Yves Rocheleau, posera la première question.

[Français]

+-

    M. Yves Rocheleau: Merci, madame la présidente, et merci à vous, monsieur Harvey, de votre témoignage.

    Si je comprends bien le sens de votre exposé, de votre point de vue, c'est que vous souhaiteriez que le Canada et les autres pays occidentaux se montent plus indépendants, qu'ils prennent davantage leurs distances par rapport aux États-Unis qu'ils ne le font actuellement. Est-ce bien là l'esprit de vos propos?

[Traduction]

+-

    M. Frank Harvey: C'est une excellente question.

    Si je devais résumer ma position, je dirais que la majorité des gens au Canada pensent que notre politique étrangère et notre politique en matière de sécurité doivent se distinguer de celle des États-Unis. Je pense que ce serait une erreur parce que les valeurs sur lesquelles reposent la politique étrangère et la politique en matière de sécurité du Canada sont les mêmes que celles sur lesquelles reposent les politiques semblables aux États-Unis. Les guerres auxquelles les États-Unis ont participé récemment ont été livrées pour des raisons que la plupart des Canadiens jugent entièrement acceptables, morales, justifiables et éthiques.

    La protection de notre souveraineté doit reposer sur les valeurs et les intérêts qui nous sont chers. Cela signifie parfois que nous devons appuyer les États-Unis.

    Voilà comment j'expliquerais la situation.

[Français]

+-

    M. Yves Rocheleau: Je suis content que vous ayez apporté cette précision. Cependant, est-ce que les pays occidentaux ont le choix, compte tenu de la puissance américaine, tant sur le plein militaire que politique et diplomatique, et quand le président américain dit que ceux qui ne sont pas pour eux sont contre eux? Quelle marge de manoeuvre réelle ont-ils? Et en quoi, quand le président américain ose s'exprimer comme cela, respecte-t-il la souveraineté des autres pays?

    À moins que ce soit là un élément déterminant dans l'évolution néfaste de la mondialisation et que nous vivions plutôt l'américanisation de la planète. Peut-être ben Laden a-t-il simplement donné un coup de pouce aux Américains, leur permettant de justifier des actions qui les rendront de plus en plus dominants, dans n'importe quel domaine d'ailleurs, faisant même vaciller l'Europe, qui est obligée de composer, malgré tous ses divers traits culturels, et de se donner un gouvernement supranational avec toute l'incohérence et les difficultés que cela sous-tend.

    Donc, à mon avis, les Américains, qui le faisaient déjà, se sentent maintenant légitimés de subjuguer le reste de l'univers.

[Traduction]

+-

    M. Frank Harvey: Je crois que vous avez absolument raison. Dans la mesure où l'unilatéralisme américain se manifestait déjà avant 11 septembre, je pense qu'on peut dire que les États-Unis sont maintenant beaucoup plus déterminés à poursuivre cette politique. Vous avez raison lorsque vous dites que les États-Unis ont clairement indiqué qu'ils considéreraient que les pays qui n'appuient pas leurs politiques et leurs initiatives souscrivent alors à des politiques et à des préférences qui sont contraires à leurs intérêts de sécurité. Voilà le problème qui se pose. C'est le message que les États-Unis ont transmis au reste du monde.

    Quant il s'agit d'évaluer ce qui est dans l'intérêt du Canada, nous devrions nous reporter à ces questions et non pas à la demande qui a été faite par les États-Unis que nous leur emboîtions le pas. Nous devrions examiner chaque question au cas par cas et nous demander ce qui est dans l'intérêt du Canada. Si nous le faisions, le débat ne porterait plus sur notre souveraineté et sur l'arrogance des États-Unis, mais plutôt sur les valeurs et les intérêts que nous partageons avec ce pays.

    Or, on met maintenant l'accent sur ce qui nous distingue des Américains. Les Européens le font et les Canadiens le font également. Tout le monde cherche à prendre du recul par rapport aux États-Unis parce que personne ne veut qu'un vide du pouvoir se crée. On oublie cependant d'évaluer les questions en elles-mêmes. L'initiative de défense antimissile balistique est-elle dans l'intérêt du Canada? La décision à cet égard doit être prise en se reportant aux preuves et à la politique du Canada à cet égard. Le fait de participer à la lutte contre le terrorisme est-il dans l'intérêt du Canada? Il faut aussi évaluer cette question en se reportant aux mêmes paramètres. Est-il dans l'intérêt du Canada qu'on déclare la guerre à l'Iraq? Il faut aussi évaluer cette question et prendre une décision en fonction des intérêts du Canada. Ne refusez pas de prendre une décision parce que cela nous rapprochera des États-Unis. Décidez si un rapprochement avec les États-Unis est dans l'intérêt du Canada. Voilà, à mon avis, l'approche qu'on devrait adopter.

    Je ne pense pas que l'on prenne très souvent les décisions à Ottawa de cette façon et cela crée un problème parce que ce qui mine le plus la souveraineté de notre pays, c'est de prendre des décisions pour les mauvaises raisons.

·  +-(1355)  

+-

    La présidente: Je vous remercie.

    Mme Carroll.

+-

    Mme Aileen Carroll: Tout d'abord, monsieur Harvey, seriez-vous d'accord pour dire que le 11 septembre représentait un échec de la part des services de renseignement américains? N'oublions pas qu'ils disposent-- disposaient--d'un budget trois fois supérieur à celui de notre programme de défense. Diriez-vous que les services de renseignement américains ont échoué dans leur mission? Ont-ils de bonnes raisons de tirer des conclusions différentes?

+-

    M. Frank Harvey: Je répondrai sans hésiter qu'effectivement les services de renseignement américains ont échoué dans leur mission. Si vous prenez leur budget, il y a lieu de se demander à quoi cet argent a servi. Mais j'ai longuement réfléchi à la question et, plus j'y pense, plus je dois conclure qu'un individu déterminé à lancer ce genre d'attaque catastrophique pourra le faire. Même si vous doublez, triplez ou même quadruplez votre budget, il y aura toujours des failles dans le système.

    Si vous voulez évaluer les dépenses des services de renseignement, il faut savoir combien de gens ont été arrêtés et identifiés et comparer ce chiffre avec le nombre de terroristes qui sont passés à travers les mailles du filet. Le problème c'est qu'en cas d'attaques comme à New York et à Washington, le public a l'impression d'un échec total. Est-ce une façon équitable d'évaluer le travail des services de renseignement? Je ne crois pas. Si vous quadruplez votre budget et que quelqu'un fait exploser un avion contre un immeuble, on conclura que tout cet argent a été gaspillé.

+-

    Mme Aileen Carroll: Je suis d'accord avec vous pour dire que ce n'est pas une conclusion équitable, mais j'essaye de... Tout d'abord, je voulais seulement savoir ce que vous en pensiez, mais je voulais aussi faire le lien entre le programme de défense et le fait que malgré les grands moyens dont disposent les services de renseignement américains, surtout lorsqu'ils sont alliés aux services de renseignement britanniques, malgré tout l'argent qui est consacré, des individus déterminés arrivent quand même à trouver la faille.

+-

     Si vous prenez le bouclier antimissile avec toutes les dépenses que cela représente... Nous ne savons pas vraiment combien cela coûtera, mais il s'agit d'une somme considérable. D'après ce que j'ai lu, nous n'avons pas non plus la preuve que ce sera efficace. Je ne peux pas être d'accord avec vous quand vous dites, si j'ai bien compris, que peu importe si cela ne fonctionne pas étant donné que rien n'est vraiment efficace.

    Si nous dépensons tout cet argent sans être plus avancés, nous n'aurons pas fait beaucoup de progrès, n'est-ce pas?

¸  +-(1400)  

+-

    M. Frank Harvey: Ce n'est pas ce que je dirais s'il s'agit de comparer les dépenses consacrées aux services de renseignement plutôt qu'à un bouclier antimissile.

+-

    Mme Aileen Carroll: Nous pourrions peut-être laisser les services de renseignement de côté pour l'instant pour revenir à ce que vous avez dit quant aux mesures auxquelles nous avons consacrées de l'argent—vous avez énuméré le terrorisme, le trafic de stupéfiants, l'environnement et toutes ces questions—dans le contexte de la sécurité. Vous faites valoir, à juste titre, que nous n'avons pas amélioré la situation.

    Dites-vous que si nous avons dépensé autant pour toutes ces initiatives sans être plus avancés, nous n'avons rien à perdre en consacrant beaucoup d'argent à un système national de défense antimissile? Nous n'avons peut-être pas encore de preuve de son efficacité, mais il servira de dissuasion, n'est-ce pas? Vous dites qu'il faut choisir la voie de la dissuasion, mais sans savoir si sera plus efficace.

    À quel moment fait-on le lien entre l'investissement et les chances de succès?

+-

    M. Frank Harvey: En fait, c'est exactement ce que j'exige dans un grand nombre de mes publications. Si vous voulez présenter un argument, défendez-le de façon logique et rationnelle, avec preuves à l'appui.

    Je dirais que les preuves présentées jusqu'ici en faveur d'un système national de défense antimissile sont beaucoup plus concluantes si on se fie aux essais. Il faut comparer le rendement sur cet investissement avec le rendement sur l'argent investi dans les services de renseignements, la lutte contre le terrorisme, ainsi de suite.

    Je vais vous expliquer pourquoi. Si vous prenez les essais du système national de défense antimissile, dans le pire des cas, le taux de succès est de 3 sur 5. Compte tenu de la difficulté d'atteindre un missile dans les airs, si cet investissement s'est traduit par un taux de succès de 66 p. 100, je vous demande quel peut être le taux de succès applicable à la lutte contre le trafic de drogues? Commencez par me donner un chiffre, et nous évaluerons ensuite les programmes.

    L'investissement dans un système national de défense antimissile vous donne un taux de succès d'environ 66 p. 100. C'est sur cette base qu'il faudrait, selon moi, évaluer les diverses solutions.

+-

    Mme Aileen Carroll: Me permettez-vous de continuer, madame la présidente? C'est vous la patronne.

    Restons sur le même sujet, mais abordons-le dans une optique différente. Je crois que nous en avons parlé un peu hier, mais il serait bon d'y revenir cet après-midi,

    Vous avez parlé d'une dissuasion effective. Nous avons discuté du Livre blanc sur la défense et sur la politique étrangère. Nous nous sommes demandés, je crois, comment nous devrions dépenser notre budget de défense pour dissuader le nouveau genre d'ennemis. Je veux parler des terroristes en veilleuse, des fanatiques qui, même si le taux d'échec est du tiers comme vous l'avez dit, monsieur Harvey, causeront ce genre de dommage. Je voudrais savoir de combien de bombardiers furtifs nous avons besoin pour protéger efficacement notre société contre ce type de terrorisme?

    J'aimerais donc qu'on en discute. Ce n'est plus la Seconde Guerre mondiale. Ce n'est plus une guerre classique. Le Vietnam a été un fiasco parce que nous n'avons pas su nous adapter assez rapidement et quand je dis «nous» je veux parler des Américains. Allons-nous agir différemment et quelles preuves avons-nous qu'un bouclier antimissile va dissuader un nouveau genre d'ennemis? S'il est vrai que 66 p. 100 des missiles lancés contre nous peuvent être annihilés, est-ce vraiment là que se trouve l'ennemi?

+-

     M. Frank Harvey: J'aurais du mal à trouver un membre de la classe politique qui ne verrait pas là une menace légitime. Les armes de destruction massive prolifèrent. Pour démontrer qu'un bouclier antimissile serait un gros gaspillage d'argent, il faudrait faire la preuve que cette prolifération n'existe pas.

+-

     Je dois toutefois vous dire qu'environ 80 p. 100 des groupes d'analystes américains, européens et asiatiques qui se sont penchés sur la question vous diront qu'ils ont la preuve irréfutable de cette prolifération. Il s'agit donc de se demander comment faire face à ce problème? Plusieurs solutions ont été adoptées dès le départ, mais si vous examinez le graphique, aucune d'elle n'a pu arrêter la prolifération des armes. Il y a également des solutions supplémentaires, comme le bouclier antimissile, et qui ont donné des résultats, dans une certaine mesure.

    Je ne suggère pas de rejeter quelque solution que ce soit. S'il y a un problème de prolifération, comme c'est le cas, comment y remédier de la façon la plus complète possible? Le système national de défense antimissile ne peut pas être exclu des options à envisager. Ce serait pure folie et extrêmement dangereux. C'est précisément pour cette raison que la Chine et la Russie ne s'opposent pas, sur ce point, aux Américains. Aux États-Unis, aucun président, aucune administration ou aucun parti politique ne pourrait accéder au pouvoir en invoquant cet argument, et à juste titre.

¸  +-(1405)  

+-

    Mme Aileen Carroll: Mon argument ne porte pas sur la prolifération des armes de destruction massive. Je suis d'accord avec vous et j'accepte les données empiriques que nous avons sous les yeux.

    Je dis tout simplement—et je m'informe auprès de vous pour tirer parti de votre vaste expérience— que je ne pense pas que le bouclier de défense sera la seule flèche dans votre carquois, si votre intention est de dissuader les terroristes fanatiques. L'économie américaine est peut-être un carquois sans fond, mais le carquois de l'économie canadienne a des limites.

    Avant de perdre votre oreille—et je vous en pris revenez là-dessus—je vais vous poser une autre question. Je tiens à entendre votre réponse. Est-ce que le succès de la coalition en Afghanistan, auquel s'ajoute l'unilatéralisme accru dont vous avez parlé—mène à la désintégration de l'OTAN en tant que l'une des tribunes multilatérales que vous envisagiez?

+-

    M. Frank Harvey: Je vais répondre à votre première question et ensuite à celle que vous avez posée sur l'OTAN.

    À propos de votre première question, le bouclier de défense antimissile ne devrait pas être le seul carquois dans l'arsenal des États-Unis, des Européens, des Canadiens ou de toute autre alliance—autrement dit la seule approche pour contrer la prolifération. Vous avez tout à fait raison. Mais on aurait tort d'exclure le bouclier d'emblée parce qu'il ne suffit pas à contrer le terrorisme. On peut engager des dépenses pour contrer le terrorisme, pour la non prolifération, pour le désarmement et pour une gamme d'autres choses, mais on ne peut pas exclure le système de défense antimissile comme option.

    À propos de l'OTAN, je pense qu'il est trop tôt pour se prononcer, mais il y a des indications de la diminution de son importance en tant qu'alliance, en tant que pierre angulaire de la sécurité américaine. Il y a deux raisons qui expliquent cela.

    Tout d'abord, je pense que l'OTAN perd de son importance parce que cette alliance n'est pas particulièrement utile pour parer aux menaces à la sécurité auxquelles les Américains font face actuellement. Les alliances dont les Américains ont besoin sont des alliances au Moyen-Orient et avec des pays comme l'Inde et le Pakistan, et jusqu'à un certain point, la Chine et l'Afghanistan.

    Les menaces à la sécurité qui se posent actuellement ne sont pas des guerres conventionnelles, ne proviennent pas des Russes en Europe. C'est le terrorisme. Il s'agit donc de défendre le territoire, et il faut faire appel à des spécialistes du renseignement alliés à des pays comme le Pakistan et l'Inde pour analyser l'information afin d'enrayer le danger futur.

    À propose de l'OTAN, l'autre problème tient à son expansion. On peut dire, du point de vue des Américains, que l'alliance est désormais diluée sur le plan de la logique militaire et sécuritaire. D'autres vous diront que l'alliance se consolide car de plus en plus d'États y adhèrent, et plus il y aura d'États membres de l'alliance, profitant des avantages économiques qu'elle prodigue, plus la stabilité régnera. C'est l'argument qui justifie l'expansion. Mais il arrive un moment où l'expansion atteint un tel niveau que le rendement sur les investissements consentis par les États-Unis et la perte du pouvoir décisionnel au sein de l'alliance, créent une situation qui pousse les Américains à se retirer, malgré l'investissement consenti, et cela explique pourquoi l'OTAN n'a pas joué de rôle dans cet effort.

+-

    Mme Aileen Carroll: Est-ce que le Canada a besoin d'une organisation recueillant des renseignements de sécurité à l'étranger?

+-

     M. Frank Harvey: Cela ne ferait pas de tort.

+-

     C'est un peu comme les dépenses en matière de défense. Je ne suis pas convaincu que des investissements suffisants sur le plan du renseignement de sécurité produiraient un meilleur rendement global en la matière, du point de vue du Canada. Bien entendu, les Américains investissent des milliards dans le renseignement de sécurité, et je soupçonne que les renseignements obtenus constitueraient le seul élément dans le choix des solutions face au terrorisme. Les Canadiens ne peuvent pas toutefois leur emboîter le pas, et notre agence de renseignement de sécurité a une bonne réputation.

¸  +-(1410)  

+-

    Mme Aileen Carroll: [Note de la rédaction: Inaudible] ...quand nous payons notre quote-part de la facture. Ce ne sera pas... [Note de la rédaction: Inaudible]

+-

    M. Frank Harvey: Je pense que vous avez tout à fait raison.

+-

    La présidente: Je me suis montrée plus que généreuse et je voudrais à mon tour poser une question à M. Harvey. Comme nous écoutons le point de vue de gens aussi expérimentés que vous, parfois nous devons faire le tri dans ce que nous entendons.

    Reid Morden, l'ancien dirigeant du SCRS, a témoigné devant le comité, le 31 janvier et il a dit:

À mon avis, si nous avons tiré une leçon de cette guerre contre le terrorisme, c'est bien qu'une politique étrangère couronnée de succès ne peut plus se fonder uniquement sur des alliances stratégiques avec des pays qui depuis toujours partagent les mêmes idées. En fait, la plus grande force des nations vient de leur capacité de se fixer des objectifs communs qu'elles essaient d'atteindre ensemble en s'appuyant sur la détermination et la puissance de la communauté internationale.

    Étant donné la discussion que nous avons en ce moment, que pensez-vous de ces propos?

+-

    M. Frank Harvey: Il y a deux réponses à cela. Tout d'abord, risquons-nous que cela se produise quand on connaît la façon dont des États comme les États-Unis et le Canada procèdent pour former des alliances? Deuxièmement, si nous choisissons cette voie, allons-nous obligatoirement résoudre les problèmes?

    Je réponds à la première question:Je ne pense pas que ce sera la voie choisie par la plupart des États, même si elle est prometteuse. Ça ne risque pas de se produire car les États ne vont certainement pas compter sur les autres, s'agissant de leur sécurité, surtout si, comme les Américains, ils ont les moyens de veiller à leur propre sécurité.

    Plus la frayeur augmentera à cause de la prolifération du terrorisme—et c'est presque inévitable—plus les États deviendront introvertis et miseront sur eux-mêmes pour assurer leur sécurité en renforçant les frontières et en intensifiant le renseignement de sécurité. Les États ne vont pas se tourner vers des organisations multilatérales mondiales.

    Deuxièmement, je ne suis pas sûr que si l'on se tourne vers des organisations multilatérales globales, on pourra nécessairement résoudre nombre de ces problèmes, parce que les États ont tendance à être indépendants. On constate qu'ils louangent le multilatéralisme, la globalisation et les alliances pour la lutte contre le terrorisme, mais les États ont tendance à ne pas appuyer ces organisations mêmes qu'ils considèrent comme idéales. Les Nations Unies en sont un exemple flagrant et l'OTAN est le dernier exemple en date. Les deux organisations ont été écartées de la lutte contre le terrorisme, et on a préféré une approche unilatérale et autonome.

+-

    La présidente: Je pense qu'il est important que vous nous parliez du système de défense intégré nord-américain, du NORAD, ou... Où cela se situe-t-il du moins dans votre discussion?

+-

    M. Frank Harvey: Pour la communauté de défense, cela revêt certes une haute priorité, certainement au ministère de la Défense nationale, et c'est une priorité parce que le Canada a peu de choix, pour ce qui est de ses dépenses et de son approche en matière de défense.

    Denis Stairs et Dan Middlemiss à notre centre travaillent énormément sur l'interopérabilité. L'interopérabilité, l'intégration, c'est la nouvelle donne, et il est peu probable que nous puissions changer cela. Est-ce pour le mieux ou pour le pire?

+-

     Je vous répondrai encore une fois en parlant des enjeux. Il y a toute une gamme d'enjeux qui nous rapprochent des Américains qui font face aux mêmes problèmes, et cela est avantageux pour le Canada. C'est constructif. Nos dépenses en matière de défense sont très rentables parce qu'il y a intégration et interopérabilité avec les Américains. Nous n'avons pas le luxe de changer cela, et je ne pense pas que nous devrions le faire.

+-

    La présidente: Je pense que la plupart d'entre nous ont lu le Globe and Mail d'aujourd'hui. Je parlais avec un des attachés de recherchedes dangers de la militarisation de l'espace. Je suis sûre que vous avez vu l'article paru ce matin. Quelle est votre première réaction?

+-

    M. Frank Harvey: Je me suis beaucoup intéressé à la question du bouclier antimissile et aux dépenses américaines en matière de défense. Jim Ferguson, de l'Université du Manitoba, est l'expert canadien en résidence sur la militarisation de l'espace. Je pense que vous allez là-bas bientôt, n'est-ce pas?

    La présidente: Oui.

    M. Frank Harvey: Nous avons déjà commencé la militarisation de l'espace. Presque toutes les composantes placées dans l'espace nous aident à effectuer des paiements avec nos cartes de crédit. Elles nous aident à tirer de l'argent des guichets automatiques bancaires placés à l'angle de la rue Robie et du chemin Spring Garden. Tout cela est intégré au même système pour le bonheur et le confort de tous. Ces composantes peuvent être utilisées pour mettre en place dans l'espace des armes plus sophistiquées. C'est inévitable et très probable.

    La question que je me pose quand je prends conscience que c'est inévitable est celle de savoir si c'est une chose qui doit m'inquiéter ou si je peux moins m'en soucier.

    Étant donné que la capacité à cet égard est l'apanage des États-Unis, et étant donné que l'usage qu'ils ont fait de cette capacité récemment correspond entièrement à mes valeurs et à mes intérêts, la militarisation de l'espace m'inquiète moins. Selon la personne à qui vous vous adresserez, vous constaterez qu'il y a des gens plus ou moins nerveux, et que cela dépend de leur opinion en ce qui concerne la politique étrangère et les perspectives d'unilatéralisme.

+-

    La présidente: Madame Carroll.

+-

    Mme Aileen Carroll: J'ai une dernière question. C'est la dernière parce que nous manquons de temps. Quand je réfléchirai à cette question ce soir, et que nous serons tous à différents endroits, j'en aurais au moins 10 autres.

    Si l'on admet d'emblée que nous pourrions passer beaucoup de temps à discuter de ce qui constitue la souveraineté, mes idées se raprochent probablement plus des vôtres que ce n'est le cas de certains de mes collègues sur ce qui garantit notre souveraineté. Je veux dire qu'il y a un certain degré d'intégration qui protège tout de même notre souveraineté.

    Pour les besoins de la discussion, disons que nous parvenons à un point où la politique étrangère américaine diverge de la nôtre. Disons que nous ne sommes pas d'accord et que nous voulons prendre une orientation qui déplaît aux Américains. Tenons pour acquis, pour les besoins de la discussion, que nous n'avons toujours pas de politique étrangère commune. Étant donné l'interopérabilité et tout le chemin que nous avons parcouru, ou que nous pourrions parcourir, comment pourrions-nous nous dissocier de leur politique pour chercher à atteindre des objectifs différents?

+-

    M. Frank Harvey: Ce sont deux très bonnes questions, et deux aspects très intéressants du problème de la souveraineté qui se présentent lorsqu'on parle d'intégration canado-américaine. Qu'allons-nous faire dans des situations où nous ne voulons pas êtrere impliqués? Que faisons-nous dans les situations où nous voudrions être mêlés mais pas eux?

    Permettez-moi de commencer par la seconde question. Que faisons-nous dans les situations où nous voudrions être impliqués mais où les Américains sont réticents?

    C'est notre problème et non le leur. Si nous n'avons pas le luxe d'intervenir seuls lorsqu'ils s'y refusent, c'est précisément parce que nous n'avons pas consacré à la défense les crédits qu'il fallait et parce que nous n'avons pas pris d'engagement en matière d'intervention humanitaire et de maintien de la paix comme nous aurions dû le faire. Nos babines ne suivent pas nos bottines.

    En réponse à la première question, la situation m'inquiète un peu moins précisément à cause de ce qui se passe losque les Américains pprennent des initiatives en matière de politique étrangère. Certains ont critiqué la guerre du Golfe, l'intervention américaine en Bosnie, au Kosovo et en Afghanistan. Certains ont aussi critiqué l'intervention américaine en Iraq. Je ne suis pas du nombre. Les situations où les Américains veulent intervenir et nous pas m'inquiètent moins. Je ne pense pas que ce soit aussi probable que certains critiques le supposent. Je ne crois pas que les Américains interviendront dans une région quelconque si nous nous y opposons fermement.

¸  +-(1415)  

+-

    La présidente: Nous n'avons pas d'exemples de cela?

¸  +-(1420)  

+-

    M. Frank Harvey: À part le cas évident du Vietnam, je ne me rappelle pas d'exemples où des formes d'intervention évidentes ont été condamnées explicitement par des Canadiens parce qu'ils les jugeaient inacceptables. En fait, c'est le contraire qui s'est produit récemment.

    Nous aurions préféré que les Américains interviennent dans certaines régions où ils ont refusé d'aller et où nous ne pouvions aller, comme au Rwanda. Le problème, ce n'est pas que les Américains vont se montrer trop agressifs, hypervigilants et qu'ils vont se con duire comme une hyperpuissance. Je crains au contraire qu'ils ne se replient sur eux-mêmes et refusent de s'acquitter d'une responsibilité qui, d'après moi, leur incombe, comme au Rwanda. C'est cela qui m'inquiète.

+-

    La présidente: Merci beaucoup, monsieur Harvey. J'ai la certitude que si vous et nous en avions le temps, nous pourrions continuer de discuter longtemps, presque comme à un match de soccer où la balle va d'un camp à l'autre. Donc merci beaucoup.

+-

    M. Frank Harvey: Je vous en prie.

+-

    La présidente: Nous allons maintenant entendre nos prochains témoins. Du Centre Action Écologie, nous avons M. Mark Butler, coordonnateur des questions marines. Et d'Enviro-Clare, nous avons son président, Jan Slakov.

    Nous vous remercions d'avoir accepté de faire votre exposé ensemble, nous pourrons donc vous poser des questions à l'un ou à l'autre après.

    Voulez-vous commencer, monsieur Butler?

[Français]

+-

    M. Mark Butler (coordonnateur des questions marines, Ecology Action Centre): Merci de nous avoir donné l'occasion de nous présenter ici aujourd'hui. C'est tout pour le moment; je ne vais pas parler en français.

[Traduction]

    Si vous avez décidé de nous entendre en dernier, c'était probablement parce que vous vouliez conserver le meilleur pour la fin.

    Auriez-vous l'obligeance de nous limiter à 10 minutes, pour que nous ayons le temps de répondre à vos questions. C'est probablement le moment le plus profitable d'un tel échange.

    Combien de temps avons-nous, à peu près?

+-

    La présidente: Vous aurez 10 minutes, et Mme Slakov aura 10 minutes aussi. Nous ferons ensuite le tour de la table pour les questions. Vous êtes nos derniers témoins de la journée et notre avion ne part qu'un peu plus tard, nous pouvons donc continuer jusqu'au moment de partir. Vous disposez d'une heure.

+-

    M. Mark Butler: Je vais faire un bref exposé, en m'attardant brièvement sur quelques questions précises, puis je vous remettrai des documents qui renferment plus de détails sur ces questions. Si vous avez des questions portant en particulier sur les pêches, l'exploitation pétrolière et gazière ou les bio-invasions, nous pourrons y répondre à la période des questions.

    J'imagine que l'exposé de Jan et le mien différeront quelque peu de celui de Frank Harvey.

+-

     Le tissu écologique et social de notre pays et de notre continent se détériore par la recherche incessante de la croissance économique, et j'entends par là l'augmentation du PIB. À long terme, c'est manifestement un objectif auto-destructeur. Nous avons porté remède à certaines des agressions les plus visibles contre l'environnement, par exemple les cheminées industrielles polluantes, mais nous n'avons pas su résoudre certains problèmes environnementaux à caractère plus systémique et social, par exemple, le changement climatique, l'invasion d'espèces étrangères et la surconsommation.

    Comme le fait remarquer la Commission nord-américaine de coopération environnementale dans son dernier rapport, les améliorations apportées à la protection environnementale sont neutralisées par ces grandes tendances systémiques ou sociales. J'imagine que vous êtes au courant de ce rapport qui vient d'être publié en janvier dernier par la CCE. Elle fait remarquer que, dans l'ensemble, le malaise écologique ne fait que croître. S'il y a une chose sur laquelle M. Harvey et nous sommes d'accord, c'est que nous n'avons pas réussi à résoudre les problèmes écologiques qui assaillent notre planète.

    Je me demande combien de gens voient l'érosion graduelle et l'homogénéisation des systèmes naturels. Par «voir», je veux dire remarquer. Il n'y a peut-être pas assez de gens qui sont sensibles à l'écologie. L'Institut de prospective mondiale a déterminé à l'issue d'un sondage—qui concerne strictement les États-Unis—que l'Américain moyen peut reconnaître plus 1 000 logos d'entreprise mais moins de 10 espèces végétales ou animales indigènes.

    Tout comme le mécanicien est plus à même de reconnaître les signes démontrant qu'une voiture commence à avoir des ratés, ou le médecin qui s'aperçoit que l'état de santé d'une personne commence à flancher, l'écologiste voit mieux qu'un autre les manifestations d'un écosystème en danger. La terre, l'eau et l'atmosphère sont en danger. C'est ce que croient ceux qui connaissent le mieux nos écosystèmes, à savoir les spécialistes des sciences naturelles. Je mentionne les spécialistes des sciences naturelles, mais je pourrais aussi ajouter tous ceux qui tirent leur gagne-pain de la terre, qu'il s'agissent de travailleurs forestiers ou de pêcheurs, qui constatent les mêmes tendances.

    Par notre recherche incessante de la croissance économique et nos échanges commerciaux croissants, nous compromettons la sécurité de la planète et celle de tous les êtres humains et organismes qui y vivent. La dégradation environnementale met en péril des écosystèmes entiers, des régions entières, et dans certains cas, des pays entiers, et bien sûr, la planète toute entière.

    Si cette tendance se maintient, les conséquences des attaques terroristes seront minimes en comparaison des coûts économiques et du nombre de morts résultant de la dégradation environnementale. Quels seraient les effets d'une sécheresse et d'une vague de chaleur prolongée sur le Moyen-Orient, l'Europe ou l'Amérique du Nord? Qu'arriverait-il si le choléra s'introduisait dans les Grands Lacs au même moment? Des dizaines de milliers de personnes pourraient mourir de telles catastrophes. Souvent, c'est la forêt qui est la plus vulnérable.

    Nous avons eu le loisir d'écouter l'exposé de Frank Harvey. Étant donné que certaines de ces questions sont plus vastes et plus difficiles, je me demande si cela signifie que nous ne devons rien faire. C'est comme si votre maison brûlait mais que vous décidiez de bâtir une niche pour la remplacer.

    En deuxième lieu, j'aimerais parler des investissements. Je ne crois pas que, dans l'ensemble, nous ayons investi les sommes d'argent qu'il fallait. Il ne s'agit pas seulement d'argent mais d'effort et, comme il l'a dit, de volonté politique lorsqu'il s'agit de problèmes environnementaux.

    Chaque fois que nous fait les investissements nécessaires, nous avons vu des résultats. Nous avons investi pour nettoyer certaines industries polluantes, pour purifier l'eau dans certains cas, et nous en avons vu les résultats. Mais les problèmes avec lesquels nous sommes aux prises aujourd'hui sont plus vastes... Rien que le fait par exemple que nous sommes trop nombreux sur cette planète et que nous consommons trop. Ce sont là des questions beaucoup plus vastes, mais si nous n'y trouvons pas remède, les boucliers antimissile les plus pointus ne nous serviront guère si, derrière ce système de défense, l'écosystème et la société s'effondrent.

    J'aimerais maintenant faire une observation qui n'a absolument rien à voir avec mon exposé. J'ai la conviction que les États-Unis ne pourront jamais se défendre, sur le plan militaire, contre le genre de menaces qui est apparu l'an dernier. Les États-Unis sont omniprésents dans le monde. Il suffira simplement que quelques familles ou une installation américaine au Sénégal, en Colombie ou aux Philippines soit attaquée, que des gens soient pris en otages, les États-Unis devront trouver des remèdes à ces problèmes, pas seulement sur le plan militaire mais sur d'autres plans aussi. Si nous voulons jouir d'une sécurité à long terme sur notre planète, les Américains devront respecter des idéaux comme la justice, l'égalité économique et bien d'autres.

¸  +-(1425)  

+-

     Au sujet des pêches, je crois devoir signaler une tendance qui est apparue dans notre région du monde, à savoir la privatisation des quotas de pêche. Je sais que c'est là une question très pointue. Monsieur Baker est au courant de cette tendance, où l 'on prend un quota général que l'on répartit en suite entre des particuliers ou des entreprises, ce qui veut dire alors que ces particuliers ou entreprises possèdent des quotas qu'ils peuvent acheter et vendre comme au jeu de Monopoly. Ce qu'on a vu émerger avec le temps, c'est une concentration de propriété des quotas. Actuellement dans une flottille de pêche ici, la flottille à engin mobile pour les bateaux de 45 à 65 pieds, trois entreprises possèdent presque tous les quotas: les quotas pour la morue, l'aiglefin, la goberge et d'autres.

    Qu'est-ce que cela a à voir avec votre mandat? Eh bien, on risque de voir émerger un jour un système mondial d'échange des quotas de poisson: ainsi, une entreprise d'Islande pourrait acheter 10 000 tonnes de sébaste à des entreprises canadiennes, et en échange, elle lui vendrait 3 000 tonnes de son quota de sébaste, et tant qu'à y être, pourquoi ne pas faire faire le travail par un chalutier lithuanien ou russe, dont les coûts de main-d'oeuvre sont beaucoup plus moindres?

    Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais nous déployons beaucoup d'efforts à éloigner les flottilles étrangères de nos eaux. La plus récente en date était la flottille de palan grillé japonais à la recherche de thon rouge. À l'heure où nous avons réussi à établir notre souveraineté dans ce domaine, je crains que nous perdions cette souveraineté avec la privatisation des quotas de pêche, l'achat et la vente de quotas de pêche. Les pêcheurs, et aussi je crois le grand pub lic, s'y opposent vivement. Cette pratique comporte de graves conséquences sur le plan de la conservation, et pas seulement sur le plan social.

    Le comité sénatorial a rédigé en 1998 un excellent rapport sur la privatisation. C'est un domaine que connaît très bien le sénateur Gérald Comeau. Vous devriez prendre connaissance de ce texte.

    Cette tendance qui est déjà apparue au Canada est un problème intérieur, mais en vertu de l'Accord commercial multilatéral, il se peut que les poissons de nos eaux passent sous contrôle étranger.

    En deuxième lieu, parlons de pétrole et de gaz. Vous savez sûrement qu'il y a beaucoup d'activités d'exploration pétrolière et gazière au large des côtes du Canada atlantique. Je vous ai remis une carte qui le montre.

    Nous sommes très préoccupés par le fait que ces permis sont délivrés sans la moindre consultation publique ou examen environnemental. C'est contraire à la manière dont le Royaume-Uni et la Norvège procèdent. Évidemment, nous voudrions que cela change.

    Dans le contexte du mandat de votre comité concernant le commerce international, on se demande aussi si, une fois qu'on aura construit un pipeline vers les États-Unis et qu'on aura commencé à exporter notre gaz naturel, cela ne nous imposera pas certaines obligations en vertu de l'ALENA. Vous en savez davantage à ce sujet que moi, mais encore là, c'est une question grave.

    La Norvège a adopté une approche très différente en matière d'exploitation pétrolière et gazière. Elle a procédé lentement. Elle a en fait créé une entreprise pétrolière d'État. Préalablement à la délivrance de permis, on consulte l'industrie de la pêche ainsi que les milieux environnemental et scientifique. On y trouve aussi d'autres modèles .

    Enfin, un problème dont il est fait état dans le rapport de la CCE mais qui n'a pas retenu l'attention voulue, c'est toute la question de la bio-invasion,soit l'introduction d'espèces étrangères dans un autre écosystème. L'étourneau en est un bon exemple, ou le moineau domestique. Un grand nombre de mauvaises herbes qu'on voit aujourd'hui dans nos jardins proviennent en fait d'Europe. Ces invasions ont été identifiées. La CCE dit qu'il s'agit là d'une des plus grandes menaces à la biodiversité.

    On dira que l'étourneau n'est peut-être pas le plus beau de tous les oiseaux, mais qu'importe. Ici, dans le port de Halifax, le dendroctone de l'épinette a fait de tels ravages qu'il a fallu abattre la forêt de Port Pleasant Park pour endiguer la propagation de cet insecte, qui pourrait mettre en péril toute l'industrie forestière du Canada atlantique et peut-être même de l'Amérique du nord.

    Avec les températures qui s'élèvent, il se pourrait qu'un navire entre dans les Grands lacs et y déleste ses eaux de ballast, lesquelles pourraient contenir des germes de choléra qui pourraient alors s'introduire dans l'eau potable d'une grande ville américaine ou canadienne, déclenchant ainsi une épidémie de choléra.

¸  +-(1430)  

+-

     De graves problèmes se posent au niveau de la santé et de l'économie. Il sera difficile de régler ces problèmes, disons-le. On a beau se péter les bretelles en parlant de l'augmentation des échanges internationaux et du fait que nous exportons des homards en Australie et que nous importons de l'agneau de ce pays, mais nous nous interrogeons sur la valeur de ces échanges. Ce n'est pas facile. Et plus les pays vont commercer, plus il y aura ce genre d'invasion et on assistera à une plus grande dégradation,-- une homogénéisation--des écosystèmes partout dans le monde.

¸  +-(1435)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup.

    Madame Slakov maintenant.

[Français]

+-

    Mme Jan Slakov (présidente, Enviro-Clare): J'aimerais faire une partie de ma présentation en français parce que le droit de le faire et la promotion de la diversité en général sont d'une grande importance pour moi.

    Je suis sûre que certaines choses que j'ai à dire aujourd'hui ne cadreront pas avec la ligne de pensée exprimée dans le document de discussion pour ces consultations, ni avec les présuppositions qu'il y a derrière l'ordre du jour du Sommet du G-8.

    C'est sûr que mon point de vue est ancré dans mes expériences de vie et dans mes valeurs fondamentales. Mes expériences sont nécessairement uniques, mais je pense que je partage mes valeurs avec la plupart de ceux ou même tous ceux qui sont ici aujourd'hui. S'il existe un véritable espoir que l'humanité puisse s'organiser pour empêcher qu'on détruise la terre et l'avenir de nos enfants, je pense que ce sera surtout parce qu'il existe des valeurs qui nous sont communes à tous. Mais il n'est pas toujours facile de voir ce que nous avons en commun.

    J'aimerais donc demander que chacun d'entre nous réfléchisse aux raisons pour lesquelles nous sommes ici aujourd'hui et en prenne note. Je ne veux pas parler des raisons superficielles comme «c'est à mon tour» ou «je suis membre du comité», mais plutôt des raisons pour lesquelles vous vous êtes impliqués dans la vie politique en premier lieu, ou pour lesquelles je fais l'effort de faire une présentation à ce comité ou de venir écouter des présentations.

    Sûrement, comme beaucoup d'autres personnes ici, je suis impliquée dans la vie politique parce que je vois des problèmes qui nécessitent des actions décisives et urgentes. Par exemple, nous savons que nous ne pouvons pas continuer à détruire la terre, qui est l'ultime source de notre bien-être, mais au lieu de freiner notre consommation de ressources naturelles, nous consommons toujours davantage, ce qui n'est pas du tout nécessaire ou inévitable.

    Je n'ai vu aucune mention du changement climatique dans les documents gouvernementaux qui servent de base de discussion pour ces consultations. Or, le changement climatique nous pose un problème de sécurité aussi urgent et aussi catastrophique que le terrorisme. Nous, en Amérique du Nord, avons une responsabilité cruciale dans ce dossier.

    Je sais aussi que l'écart entre les riches et les pauvres va en s'accroissant, même si la richesse est devenue si excessive que c'en est ahurissant. Selon le Comité pour la justice sociale, les pdg des 100 sociétés canadiennes les plus importantes reçoivent en moyenne des salaires et autres bénéfices de plus de 2 millions de dollars, ce qui est 90 fois plus que le salaire moyen des travailleurs canadiens, c'est-à-dire 30 000 $, selon les chiffres de 1995. Entre-temps, dans les pays industrialisés, nous ne comptons que 20 p. 100 de la population mondiale, mais nous consommons 80 p. 100 des ressources.

    Une autre raison de mon engagement politique est que je ne veux pas faire ce que beaucoup d'Allemands ont fait pendant le IIIe Reich et continuer ma vie comme si de rien n'était. Mon père est juif, et j'ai appris très jeune ce qu'était l'Holocauste. Je me suis longtemps demandé comment les Allemands avaient pu participer à cela ou, du moins, ne rien faire pour l'arrêter. J'ai vu que nous faisions tous cela.

    Nous faisons ce que notre gouvernement nous demande de faire, même s'il se peut que nous sachions très bien que cela nous mène à quelque chose d'épouvantable, parce que nous avons appris à faire comme les autres, à obéir et à remettre à plus tard nos idéaux puisque nous nous disons qu'ils sont trop difficiles à réaliser pour le moment.

[Traduction]

+-

     Comme nous manquons de temps, je vais vous donner lecture de mes recommandations afin que celles-ci figurent au moins dans le procès-verbal. Tout d'abord, la démocratie n'est pas quelque chose qu'on a; c'est quelque chose qu'on fait. Donc, ma première recommandation à toutes les personnes ici présentes consiste à nous demander ce que nous pouvons faire pour protéger ce que nous avons de plus précieux, non pas notre mode de vie, comme le disait Dick Cheney, qui nous conduit à un gaspillage épouvantable, mais bien nos valeurs les plus profondes, comme la démocratie, la tolérance, la non-violence et la primauté du droit.

    Au lieu de voir comment il pourrait promouvoir la croissance économique, le sommet du G-8 doit se demander comment bâtir une économie qui serait écologiquement viable tout en encourageant la justice économique au lieu de creuser les écarts.

    Le gouvernement canadien et la population canadienne, ainsi que nos voisins américains, doivent s'employer à démilitariser notre société et à renforcer la démocratie.

    Nous devons en finir avec cette guerre de terreur et renforcer, au lieu d'empiéter sur nos droits et libertés fondamentaux. Nous devons admettre que ces droits et libertés s'accompagnent de responsabilités.

    Renforcer la démocratie suppose aussi un régime électoral où le pouvoir et l 'argent auront moins d'influence; par exemple, adopter le genre de restrictions sur le montant d'argent qu'on peut dépenser, comme celles qui sont maintenant en vigueur au Québec.

    J'aimerais énumérer certaines personnes et organisations que le comité devrait consulter à mon avis. À la lecture de la documentation du comité, il me semble que jusqu'à présent, vous vous êtes donnés beaucoup de mal pour consulter des professeurs de sciences politiques, des ambassadeurs et des ministres. Mais aucune des personnes nommées dans le document de discussion n'ont ce que je j'appellerais une bonne base militante. Voici ma liste, vous pouvez en prendre connaissance. Et je vous ferai remarquer que cette liste n'est que préliminaire. Chacune des personnes qui y figurent pourrait sûrement vous faire des suggestions essentielles. Vous remarquerez, j'espère, que ma liste est très inclusive. Elle inclus des personnes qui ne sont pas de race blanche, dont la langue première n'est pas l'anglais et qui ne sont pas du sexe masculin.

    Combien de temps me reste-t-il pour mon exposé?

    La présidente: Il vous reste encore cinq minutes.

    Mme Jan Slakov: Le passage que j'aimerais lire se trouve à la page 3. J'aimerais passer à la question du Canada et du défi nord-américain dans le contexte du nouvel environnement de sécurité.

    Je note cette remarque-ci dans le document de discussion de M.Wesley Wark, qui dit que peu importe les raisons pour lesquelles le renseignement de sécurité a échoué le 11 septembre, c'était une question explosive sur le plan politique. Je suis d'accord avec ça. Alors pourquoi envisager de consacrer davantage d'argent au systèmes mêmes qui ont failli à la tâche, comme la défense et le renseignement de sécurité?

    Les membres de mon groupe, Enviro-Clare, on été comme tout le monde saisi d'horreur par l'attaque du 11 septembre. Quelques-uns d'entre eux ont jugé qu'il était essentiel de réagir le plus utilement possible, et même avec l' expérience considérable que je possède à titre de militante pour la paix et d'être convaincu du pouvoir de la non-violence ou de l'amour, j'ai beaucoup appris d'eux. Ils m'ont montré à quel point il importe de bâtir une collectivité, qui en soi est d'ailleurs notre meilleur moyen de défense ou de sécurité dans des moments pareils. Ils m'ont aidé à comprendre qu'au coeur même du traumatisme du 11 septembre, il y avait des raisons d'espérer. La façon dont les Néo-écossais ont ouvert leurs coeurs et leurs foyers aux passagers détournés a tout simplement époustouflé certains d'entre eux. Ces passagers venaient du monde entier, c'était des gens de toutes les croyances et de toutes les couleurs, et je pense qu'on peut dire qu'on leur a donné à tous le sentiment qu'ils étaient chez eux ici.

    Permettez-moi de vous lire ce qu'a écrit le fils de l'un de ces passagers. Je cite:

Mon père était sur le vol de la Singapore Airlines en provenance de Frankfurt, Allemagne, et devait atterrir à l'aéroport JFK de New York vers les 10 h 30, le 11 septembre. Son avion a été détourné vers l'aéroport de Halifax, où il a passé le reste de la semaine (jusqu'à vendredi).

C'est un homme enclin au cynisme (il s'appelle Oscar Kress) et il se méfie quelque peu de la nature humaine (certains diraient qu'il est «réaliste»), et pas le genre exubérant. Il est rentré tard dans la soirée du vendredi et il ne parlait que de ces gens si bons et si généreux qu'il en était bouleversé. Nos embrassades ont été brèves parce qu'il brûlait de nous dire (à nous, sa famille) à quel point les gens de Halifax avaient été merveilleux. Il a même dit qu'il valait la peine de vivre cette épreuve parce qu'il avait vu ainsi un aspect des gens qu'il n'avait jamais vu auparavant (ou du moins, pas depuis 40 ans.)

Donc, à nos frères et soeurs du Canada, et tout particulièrement aux gens de Halifax, merci du fond du coeur. C'est une véritable bénédiction de vous avoir pour voisins.

¸  +-(1440)  

+-

     Ces mêmes membres d'Enviro-Clare ont également attiré mon attention sur un récit selon lequel Jean Chrétien serait sorti d'une réunion avec le président Bush en disant qu'il fallait se méfier de nos voisins, parce qu'on n'est jamais sûr qu'il n' y avait pas de terroristes parmi eux. Mes amis étaient indignés. Ils ont expliqué que c'était exactement le contraire de ce qu'il faut faire. C'est seulement dans les dictatures qu'on encourage les gens à espionner leur voisin et à se méfier les uns des autres.

    Ils ont fait remarquer que si les présumés pirates avaient en effet vécu aux États-Unis pendant plusieurs années, tout en nourrissant une haine profonde pour ce pays, c'etait un véritable éloge pour les États-Unis. Pendant tout ce temps, personne n'a cherché à toucher le coeur de ces hommes et ne les à aider à trouver l'amour et l'humanité que chacun de nous a en soi.

    Frank Harvey parlait de rentabiliser notre investissement, et il disait qu'après avoir dépensé tant d'argent à régler ces problèmes que sont le terrorisme, l'environnement et la faim, nous n'avons toujours pas les résultats que nous recherchons. Le genre de chose que devons vraiment faire pour régler ces problèmes ne coûtent pas nécessairement de l'argent. Ce sont des choses comme celles que je viens de mentionner, comme aider des personnes qui sont égarées et bâtir des collectivités.

    Je vous donne un seul exemple, dans le domaine de la santé maintenant, le gouvernement provincial ferme des hôpitaux parce qu'il manque de fonds, et les collectivités locales quémandent plus d'argent au gouvernement, elles demandent qu'on les épargne, et ainsi de suite. Les collectivités locales doivent alors assumer le contrôle de leurs propres hôpitaux, prendre leur financement en main et en assumer la responsabilité. C'est ce que je veux dire lorsque je dis que nos libertés et droits doivent être protégés, mais que ces droits et libertés s'accompagnent aussi de responsabilités.

    Je vais m'arrêter ici pour que nous ayons tout le temps voulu pour les questions, j'espère.

¸  +-(1445)  

+-

    La présidente: Merci beaucoup pour cet exposé et cette liste. J'ai la certitude que les attachés de recherche l'ajouteront à la documentation que nous sommes en train de réunir.

    Nous allons commencer avec Yves Rocheleau.

[Français]

+-

    M. Yves Rocheleau: Merci, madame la présidente.

    Merci à vous deux de vos témoignages très courageux, qui diffèrent assez catégoriquement de ceux des témoins précédents. Merci à vous, notamment, madame Slakov, pour vos mots en français et vos bons mots quant à la loi électorale québécoise, qui est effectivement l'une des plus avancées en Amérique du Nord et peut-être même en Occident. Elle prévoit que seuls ceux qui ont le droit de vote peuvent contribuer au financement des partis politiques.

    J'ai une question qui ne vous surprendra certainement pas. On parle d'intégration nord-américaine, notamment du Canada avec les États-Unis. Ma question s'adresse à vous deux. Selon vous, comment le gouvernement canadien devrait-il se comporter face au traité de Kyoto et face à l'attitude américaine dans le dossier de Kyoto?

+-

    Mme Jan Slakov: Une partie de ma présentation que je n'ai pas eu le temps de lire a justement trait à cette question du changement climatique. Je pense que notre rôle, comme Canadiens, est de voir que nous occupons une place précieuse, non pas face au gouvernement des États-Unis, mais surtout face aux gens des États-Unis. Nous sommes des voisins, nous sommes des amis et nous devons nous éduquer et les éduquer en même temps.

    Quelqu'un en Suisse m'a envoyé des chiffres qu'on devrait vraiment utiliser pour choquer les gens afin qu'ils voient à quel point il est important de respecter au moins l'accord de Kyoto et même d'aller plus loin.

    En 1990, un comité des Nations Unies a dit qu'il fallait réduire de 60 p. 100 nos émissions de gaz à effet de serre.

+-

     Cependant, de 1990 à 1999, aux États-Unis, les émissions ont augmenté de 21 p. 100 et la distance franchie par les véhicules a grimpé de 13 p. 100. Cela veut dire que l'efficacité de la consommation de pétrole a chuté pendant ce temps, alors qu'on devait réduire les émissions de gaz d'échappement.

    Mon ami en Suisse a dit que c'était surtout à cause des véhicules loisir travail, les VLT et tout cela. Il y en a beaucoup maintenant. Je viens d'entendre dire à la radio que ces véhicules sont mêmes dangereux, du point de vue de la sécurité, parce que le vent peut les faire chavirer.

    On nous dit que notre économie est comme cela parce que les consommateurs veulent tel ou tel véhicule, mais combien de consommateurs veulent un véhicule dangereux qui consomme beaucoup d'essence? Nous avons la responsabilité de changer notre système économique. C'est pour cela que je veux que le G-8 aborde non pas la question de la croissance de la consommation, mais plutôt celle de savoir comment on peut avoir une économie raisonnable et écologiquement durable.

¸  +-(1450)  

+-

    M. Mark Butler: J'applaudis le gouvernement du Québec de parler contre les autres premiers ministres et contre M. Klein. J'applaudis aussi le gouvernement fédéral for sticking to its course en ce qui concerne Kyoto. Je demanderais à M. Klein de quels coûts il parle quand il parle des coûts économiques.

    L'autre jour, à la radio, j'ai entendu M. Klein dire que cela coûterait trop cher, mais j'ai ensuite entendu des agriculteurs de l'Alberta ou de la Saskatchewan parler de dommages de 5 milliards de dollars attribuables aux sécheresses en Alberta.

[Traduction]

    Ici, en Nouvelle-Écosse et dans le Canada atlantique, nous mettons tous nos oeufs dans le panier du pétrole et du gaz. Mais il est évident que l'avenir n'est pas là. Nous commençons à nous tourner vers l'énergie éolienne. Mais pour ces initiatives pointues, où achetons-nous notre technologie? Nous l'achetons au Danemark. L'Europe est bien en avance sur nous. Elle produit la technologie que nous allons acheter demain.

    C'est très triste, ça manque d'imagination, c'est myope. Soyons créatifs. Les propos comme ceux que tient M. Klein sont presque criminels, à mon avis. Il omet de prendre en compte le coût global du changement climatique et de profiter des occasions qui s'offrent.

[Français]

+-

    M. Yves Rocheleau: J'aimerais aborder un autre point avec vous. Vous parlez des pêches dans votre exposé. J'ai eu la chance, il y a quelques années, d'accompagner le Comité des pêches dans le Nord, au Labrador, à Frobisher Bay, à Iqaluit et un peu plus au nord. Je ne connais pas beaucoup de choses à la pêche. Je viens d'un comté québécois situé près du Saint-Laurent, mais il ne s'y fait pas une pêche d'aussi grande envergure que celle qui se fait dans cette région-là. Ce que j'ai retenu, notamment, c'est l'existence de filets d'une grandeur épouvantable qui draguent le fond, qui ramassent tout sur leur passage et qu'on se permet même d'échapper.

    On constate, au fil des décennies, qu'il n'y a plus de poisson. Entre-temps, les Esquimaux, les Inuits pêchent encore du poisson, mais ce poisson a été contaminé au mercure par la DEW Line, semble-t-il. Les Américains auraient laissé des barils de BPC sur la glace.

    Ma question est de savoir si, dans les Maritimes, où la pêche a été et est probablement encore d'une importance économique majeure, il y a une réflexion qui se fait à cet égard. Est-ce qu'il y a des travaux qui se font quant à la façon de pêcher? Est-ce qu'on parle d'exemples à ne pas suivre? Cette façon de pêcher n'a pas été seulement celle des gens du Nord canadien et des Maritimes. Cela s'est fait partout sur la planète, par des gens de toutes sortes de pays, qu'il s'agisse des Espagnols, des Japonais, des Canadiens ou des Américains. Est-ce qu'il y a une réflexion qui se fait sur la façon de faire ou de ne pas faire pour protéger l'humanité?

+-

     Le poisson est quand même important. Je suppose que si on continue à le pêcher de cette façon, le poisson va s'éliminer complètement et on va se demander ce qui s'est passé un bon jour.

¸  +-(1455)  

+-

    Mme Jan Slakov: J'aimerais dire d'abord que Mark est la personne à qui poser cette question parce que, justement, le Ecology Action Centre et un autre groupe vont en cour contre le ministère des Pêches et des Océans parce que ce dernier a permis la destruction de l'habitat des poissons par la manière de faire la pêche.

    M. Mark Butler: Oui, j'ai une...

    Mme Jan Slakov: Est-ce que vous en avez une copie en français?

+-

    M. Mark Butler: Malheureusement pas, mais il s'agit des chalutiers.

[Traduction]

    Oui, en réponse à sa question. Au Canada, nous n'avons pas recours aux tribunaux de la même façon qu'aux États-Unis, mais il est vrai que dans ces dossiers, il y a eu de nombreuses poursuites judiciaires aux États-Unis.

    Nous avons décidé de nous adresser au tribunal après avoir vu que la preuve scientifique ne semblait pas ébranler le ministère, et que les observations qu'avaient faites les pêcheurs pendant des annéesn'avaient pas plus d'influence sur lui.

    Nous pouvons gérer nos pêches comme il faut. Il y a des méthodes qui vont fonctionner pour le poisson et pour les pêcheurs, mais nous n'en tenons pas compte. Nous avons dépensé des sommes faramineuses. S'il y a un moment où nous avons dépensé des sommes extraordinaires—et M. Baker ne sera peut-être pas tout à fait d'accord avec moi—c'est après l'effondrement des pêches. Et en fait, nous n'avons pas dépensé cet argent pour restaurer les pêches, par exemple.

    Ce n'est pas que nous avons trop de pêcheurs, ce qui ne va pas, c'est le type de technologie et le type de gestion. Nous pourrions bien faire les choses. Ce ne sera pas facile, mais nous avons tout le savoir qu'il faut au Canada atlantique pour bien faire les choses. Mais nous refusons de voir les choses en face et de régler les problèmes que pose la technologie des engins de pêche parce que le système est trop gros et trop puissant. Ou alors nous refusons de nous demander si les quotas servent vraiment à quelque chose.

    Nous savons que là où vit Jan, non loin de Yarmouth, et là où j'étais, à Digby et Cornwallis il y a quelques semaines de cela pour parler aux pêcheurs, ceux-ci disent qu'à cause du système QIT qu'on a ici, dans une seule expédition de pêche, ils sont obligés de rejeter entre 50 000 et 100 000 livres de poisson à l'eau, à cause de la manière dont le système est organisé.

    Nous savons tous que ça va mal, mais personne ne connaît l'issue à cette impasse.

+-

    Mme Jan Slakov: À ce propos, pourquoi aurions-nous des véhicules que les consommateurs n'auraient pas demandé aux sociétés de les fabriquer à leur intention? Il en va de même pour la pêche: pourquoi avons-nous du matériel de pêche—bateaux, technologie—auquel certains pays cherchent par tous les moyens à interdire l'accès? En Inde, on a même fait la grève pour empêcher les chalutiers de pêcher au large des côtes là-bas.

    Pourquoi avons-nous des chalutiers qui pêchent ici? Pourquoi avons-nous ici ce dont Mark parlait tout à l'heure, c'est-à-dire la privatisation de la pêche, les CIT? Je pense que c'est à cause de la façon dont notre économie est structurée.

    J'ai constaté que, dans un des mémoires que vous avez reçus, M. Michael Bradfield expliquait que nous avons accordé aux sociétés des droits au même titre que les droits qui sont accordés aux particuliers, alors qu'il nous faut commencer, en tant que gouvernements, à leur serrer la bride et à reprendre le contrôle de notre économie.

+-

     Je tiens à vous dire qu'il y a longtemps de cela, sans doute en 1990 ou 1991, notre députée à South West Nova était Coline Campbell, une libérale. On songeait à l'époque à instaurer les CIT, et d'après ce que j'avais lu, je pensais que ces contingents représentaient un danger. Je lui ai donc demandé ce que nous pouvions faire. Elle m'a répondu: «Nous ne pouvons pas grand-chose, Jan. Chaque fois que je retourne à Ottawa, je retrouve dans l'avion des lobbyistes qui sont à la solde des grandes sociétés, alors que personne n'est là pour représenter les pêcheurs côtiers.»

    C'est pourquoi je vous ai remis cette liste de personnes que vous devriez consulter. Je crains que le comité ne se donne beaucoup de mal pour obtenir l'avis des experts traditionnels qui ne représentent pas vraiment la population. C'est comme ça partout dans notre économie. Il nous faut essentiellement devenir plus démocratiques.

¹  +-(1500)  

+-

    La présidente: Merci.

    Monsieur Baker.

+-

    M. George Baker: Merci, madame la présidente.

    Avant-hier, nous étions à Terre-Neuve où nous avons entendu un spécialiste des Affaires africaines qui était accompagné de deux personnes—après lui, nous avons entendu un groupe de jeunes. A l'issue de la séance, les deux personnes qui l'accompagnaient sont venues me parler.

    Je me suis donc entretenu avec eux, et j'ai eu droit à tout un chapitre. Ils tenaient à me faire savoir qu'après l'effondrement de notre pêche, comme vous dites, tous les chalutiers de 170 pieds avaient été vendus à des pays de la côte Ouest de l'Afrique. Certains de ces pays sont maintenant persuadés que leur pêche a été détruite par ces chalutiers qui représentaient une capacité excédentaire pour la pêche canadienne.

    Le fait est, bien sûr, que les chalutiers ont quitté le Canada à cause de l'effondrement de notre pêche et qu'ils ont été exportés à des pays pauvres du monde, où les sociétés... Ces chalutiers étaient la propriété de la National Sea Products et de la Fisheries Products International.

    Nous avons actuellement du mal à faire reconnaître nos droits sur le plateau continental au large de la côte Est, de la côte Nord et de la côte Ouest du Canada. Comme vous le savez, le Canada est le seul pays côtier du monde qui n'ait pas encore ratifié le Traité sur le droit de la mer.

    On m'a aussi sensibilisé à une autre question avant-hier, dans le hall d'entrée du Fairmont Newfoundland. On m'a dit: écoutez, nous avons un gros problème, et cela devrait préoccuper le comité des affaires étrangères. Ce n'est pas seulement que les pays africains assistent à la destruction de leur ressource en raison de la pêche qui est faite par ces chalutiers canadiens qui ont été vendus aux entreprises qui pêchent au large de leurs côtes. Nous devons aussi nous préoccuper du plateau continental au large du Canada, où 17 pays—comme Mark le sait bien—ont des bateaux qui participent à cette flottille internationale mobile—le Japon, l'Islande et les autres importantes flottilles qui font du chalutage.

    On pratique aussi le chalutage au large des côtes du Nunavut, où l'honorable député du Bloc s'est rendu. Naturellement, la population locale est très bouleversée parce que les contingents en question sont monopolisés par ces gros navires.

    Le problème qui se pose au Canada, c'est bien sûr que beaucoup de ces contingents sont vendus en mer. Il y a eu tout ce tollé à la Chambre des communes l'an dernier au sujet d'un contingent appartenant à des pêcheurs de l'île-du-Prince-Édouard. Ce ne sont pas eux qui pêchent le poisson qu'ils sont autorisés à capturer, mais bien des pêcheurs étrangers à qui ils vendent leur contingent en mer en échange d'espèces sonnantes et trébuchantes.

    Les Inuits vendent aussi leur contingent en mer en échange d'argent comptant. Les organisations inuit reçoivent l'argent, mais le poisson est en fait capturé par des pêcheurs islandais et lithuaniens, comme le disait Mark il y a quelques minutes.

+-

     Nous en parlions justement avec la présidente du comité ce matin. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il faudrait discuter de la possibilité de créer un sous-comité spécial pour examiner la situation du Canada par rapport à d'autres pays du monde et déterminer pourquoi nous n'avons pas ratifié le Traité sur le droit de la mer. Le sous-comité pourrait peut-être explorer l'idée d'étendre la limite de nos eaux territoriales de manière à englober le plateau continental, et ce, par le biais du droit de la mer, et de protéger le fond marin contre le chalutage.

    La présidente du comité et moi en parlions justement ce matin. Ce serait peut-être bien, si nous pouvions compter sur les membres de l'opposition, que le sous-comité tienne des audiences à Ottawa et sur la côte Est avec le Service hydrographique du Canada, qui fait ce travail de cartographie.

    Cela m'amène à la question que je veux poser à Mark.

    Votre organisation a fait le premier pas pour ce qui est de joindre le geste à la parole et de lancer une poursuite devant les tribunaux relativement au chalutage. Votre poursuite est liée au chalutage qui se pratique au large de la côte ici, sur le banc George. Ce sont surtout des chalutiers américains qui pêchent là-bas, mais nous en avons aussi, notamment des chalutiers qui pêchent le pétoncle. Bien qu'ils ne soient pas de la taille des navires étrangers de 350 pieds que nous voyons au large des côtes de Terre-Neuve, il n'en reste pas moins qu'ils sont en train de détruire le fond marin.

    J'aimerais que vous fassiez un peu le point pour les membres du comité, pour les gens à Ottawa qui nous écoutent peut-être, et pour les représentants des Affaires extérieures qui vont lire la transcription de nos délibérations. Pourquoi votre organisation a-t-elle intenté cette poursuite en justice? Avez-vous des appuis? Avez-vous des appuis dans les milieux de pêche? Ces appuis sont-ils tangibles, en ce sens que des pêcheurs sont venus vous dire qu'ils appuient cette poursuite que vous avez intentée?

¹  +-(1505)  

+-

    La présidente: Monsieur Butler.

+-

    M. Mark Butler: En prévision de notre poursuite, nous avons sollicité l'appui des scientifiques. Six d'entre eux ont déposé des affidavits pour nous appuyer. Trois sont du Canada, deux des États-Unis et l'autre est de la Norvège. Toujours dans le cadre de nos travaux préparatifs, nous avons envoyé 150 documents à nos amis du MPO. Une centaine de ces documents sont des documents scientifiques qui montrent les effets nuisibles.

    La loi stipule qu'il est interdit de détruire les habitats du poisson. C'est ce que dit la Loi sur les pêches. Par habitat du poisson, on entend tout ce que le poisson utilise. Quand on voit certains des engins qui raclent le fond marin, il est très évident qu'il y a des répercussions néfastes sur l'habitat du poisson.

    Nous ne disons pas qu'il faut interdire complètement le chalutage. Nous disons simplement qu'il faut l'envisager de façon un peu plus intelligente. Je vous invite à réfléchir à ces propos d'un scientifique américain: «Je ne dis pas qu'il faut interdire le chalutage partout. Je dis simplement qu'il ne faut pas le pratiquer partout.» Examinons ce dossier. Voyons combien il nous coûte, au Canada et à la population canadienne.

    Pour ce qui est de l'appui des groupes de pêche, quand nous avons tenu notre conférence de presse, nous étions accompagnés d'un pêcheur de la Southwest Nova Fixed Gear Association, Bill Williams.

    Je me suis rendu à Digby. J'y ai présenté un exposé à l'association des pêcheurs côtiers de la baie de Fundy. Les pêcheurs m'ont donné plus de détails au sujet du chalutage. Ils étaient encore plus furieux que moi. Ils m'ont donné plus de détails au sujet des engins et de la façon dont ils fonctionnent.

    Je dois aller faire un exposé devant l'association des pêcheurs côtiers du comté de Guysborough. J'ai rencontré le dirigeant de cette association à une réception vendredi dernier. Il m'a dit: «Nous suivons ce que vous faites, vous savez. Bravo. Nous n'allons pas nous avancer jusque là, mais bravo. Nous suivons ce que vous faites.»

    Dans tout ce que nous faisons, nous avons à coeur aussi bien l'environnement que les gens. Il y a des moyens. La définition qu'on trouve du mot «efficience» dans les dictionnaires est révélatrice: «arriver à un résultat avec le moins de gaspillage possible». Or, le chalutage est une forme de pêche qui entraîne beaucoup de gaspillage, tant pour les gens que pour l'environnement. La pêche à la ligne et à l'hameçon calé est une façon très agréable de prendre du poisson de bonne qualité.

    Parmi nos membres, nous avons un petit collectif d'achat de produits de la mer. Nous essayons de nous approvisionner en poisson qui a été pêché de façon écologique et durable. Vous n'avez jamais goûté d'aiglefin plus savoureux que celui que nous avons acheté comme ça. C'est du poisson qui est pêché à la ligne et à l'hameçon. Nous ne sommes pas contre la pêche, nous voulons simplement qu'elle soit bien faite.

    Cela répond-il à votre question?

+-

    M. George Baker: Oui.

+-

     Le plus étonnant dans tout cela, c'est que tous les pêcheurs du monde, du moins à ma connaissance, s'entendent pour dire qu'il faut mettre fin à la destruction du fond marin et s'opposent catégoriquement aux technologies dont se servent ces flottilles internationales. Tous les scientifiques s'entendent aussi pour dire que la situation que connaissent certains pays de l'Afrique côtière conduira certainement à la destruction de l'avenir de la Côte africaine. Deux de ces pays ont décrété une zone territoriale de 200 milles et considéreront comme un acte de guerre l'arrivée de quelque chalutier que ce soit à l'intérieur de cette zone, ce que je trouve très encourageant.

    En ce qui concerne la structure de votre organisation, êtes-vous affiliés avec une association de pêcheurs qui joue un rôle actif dans la poursuite que vous avez intentée, ou est-ce là une initiative de votre organisation ici à Halifax?

¹  +-(1510)  

+-

    M. Mark Butler: C'est une initiative de notre organisation. Nous travaillons en étroite collaboration avec des associations de pêche. J'ai moi-même travaillé pendant un certain comme homme de pont sur un bateau de pêche. Nous comptons beaucoup de pêcheurs parmi nos membres, mais nous n'avons pas de lien officiel avec un groupe en particulier. Je tiens toutefois à préciser que, dans nos efforts pour comprendre l'océan et la situation actuelle, nous nous inspirons autant de ce que les pêcheurs savent au sujet des océans que de ce que savent les scientifiques.

+-

    M. George Baker: J'ai une autre question à vous poser. Vous avez parlé du Japon, de la pêche au thon, etc. Il est intéressant de voir toutes ces manifestations qui ont lieu au Japon. Les gens manifestent contre la destruction des stocks de thon au Japon. On les voit qui sont furieux contre les entreprises japonaises, et pourtant ces entreprises viennent pêcher chez vous.

    Ils viennent chez vous parce qu'ils ont un contingent de 105 tonnes métriques. Alors que la flottille de la Nouvelle-Écosse a un contingent de 35 tonnes pour l'année, celle du Japon a droit à 105 tonnes métriques. C'est vraiment extraordinaire. Je n'ai jamais compris, puisque je ne suis pas du coin, et peut-être que vous pourriez m'éclairer à ce sujet... Savez-vous où se trouve la boîte à merlu argenté? Vous savez de quoi je parle? C'est à 80 milles de la côte ici.

    Je n'ai jamais compris pourquoi les Néo-Écossais ont accepté qu'on détruise une ressource qui se trouve à 80 milles de leur côte alors que nous avons une zone territoriale de 200 milles au Canada, et ce, en accord avec d'autres. Même s'il s'agit de navires cubains, je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas de tollé—ou peut-être y en a-t-il—de la part des pêcheurs de la côte néo-écossaise à ce sujet.

+-

    M. Mark Butler: Je crois savoir—j'en parlais justement avec quelqu'un hier, qui me disait que, dans une certaine zone, le taux des prises accessoires est très élevé—que la pêche se canadianise, comme on dit ici.

    C'est là une tendance qui a l'appui de l'industrie canadienne de la pêche et qui a aussi notre appui. Je crois savoir que, l'an dernier, nous avons en fait dit aux Japonais qu'ils ne pouvaient pas pêcher le plein montant de leur contingent de la CICTA dans les eaux canadiennes. La CICTA est cet organisme international semblable à l'OPANO qui réglemente les gros poissons pélagiques, thon, espadon, voilier, pélerin, de l'Atlantique-Nord, tous ces magnifiques poissons très bons à manger et très beaux à voir que l'on trouve là. Il est tellement désolant d'entendre parler des abus et de la surpêche de ces poissons par les Européens, par les navires japonais, etc. On se dit que, si seulement un pays, comme les États-Unis, investissait une minuscule partie de ce qu'il consacre à la lutte au terrorisme pour corriger cette situation, nous pourrions beaucoup faire sur ce front. Le présent gouvernement ne semble pas lui non plus se soucier de choses comme... Les Terre-Neuviens sont très frustrés il me semble.

+-

     Au-delà de la frontière des 200 milles, il n'y a plus de règles. On ne se préoccupe plus du tout d'écologie. Il est extrêmement frustrant de penser qu'à l'extérieur de cette limite de 200 milles il y a des bateaux où l'on enlève illégalement les ailerons des requins, où l'on attrape et tue les tortues, ou qu'on égorge au moyen d'un hameçon dans la gorge. Tout cela se fait au-delà de la limite des 200 milles. Le droit de la mer serait-il utile? J'ignore si la ratification du traité sur le droit de la mer nous permettrait de résoudre ou non nos problèmes.

¹  +-(1515)  

+-

    M. George Baker: Notre comité a discuté, dans le cadre de son mandat, le processus de ratification du droit de la mer avec d'autres nations. Il faudrait bien sûr négocier avec certaines des nations qui envisagent actuellement la chose. Quelque 12 pays envisagent d'étendre leur compétence au fond marin, c'est-à-dire le sol et le sous-sol. S'ils contrôlent le sol et le sous-sol marins, ils pourront faire autant de chalutage qu'ils veulent.

+-

    M. Mark Butler: Existe-t-il des dispositions à ce sujet dans la Loi sur les océans?

+-

    M. George Baker: Cela se trouve dans la convention sur le droit de la mer, et cela relève de la commission des limites du plateau continental. Vingt et un pays participent actuellement à cette commission. Le Canada ne peut pas en faire partie puisqu'il n'a pas ratifié la convention sur le droit de la mer.

    La France a étendu sa compétence autour des îles qu'elles possèdent dans le Pacifique. L'Uruguay est en train d'en faire autant, avec l'aide du Service hydrographique du Canada, à Halifax. Le service s'occupe de la cartographie de ce projet.

    Mais vous avez tout à fait raison—et c'est une question qui préoccupe les témoins que nous avons entendus à St. John's, Terre-Neuve, surtout ceux qui appartiennent à un organisme d'affaires africaines—de dire que nous devons examiner l'exportation de ce type de technologie dans le monde. C'est une technologie très destructive et nous l'avons appris à nos dépens.

    Il est dommage que nous n'ayons pas eu un organisme comme le vôtre plus tôt, quand on a créé les problèmes, et que nous n'ayons pas eu recours aux tribunaux comme vous l'avez fait. Nous vous en félicitons.

+-

    M. Mark Butler: Nous avons eu un problème semblable au début des années 90. CARE Canada s'apprêtait à amener des vaisseaux de pêche canadiens en Afrique pour un transfert de technologie. L'ACDI finançait en partie ce projet, et un certain nombre de groupes de pêcheurs et d'écologistes se sont plaints. L'ACDI a retiré son aide financière et le projet est resté en plan.

    La Loi sur les océans mentionne, je crois, l'extension de la souveraineté sur le fond marin au-delà de la limite des 200 milles. Il y a deux ans, nous avons tenu le premier symposium international sur les coraux pélagiques. Un grand nombre de scientifiques européens y ont participé. Les Européens consacrent entre autres des sommes importantes à des recherches scientifiques à l'extérieur de la limite des 200 milles. C'est en partie une question de science, mais aussi une question de politique.

+-

    M. George Baker: C'est fascinant, car nous disions ce matin qu'un sous-comité du comité des affaires étrangères pourrait examiner les mesures que ces autres pays ont prêts à prendre pour protéger les fonds marins. Si le gouvernement du Canada acceptait une recommandation d'un sous-comité de notre comité, notre contribution pourrait être bien plus importante que nous pourrions même l'imaginer. Si vous pouviez contrôler le sol et le sous-sol de votre plateau continental, alors...

+-

    La présidente: Nous y reviendrons, monsieur Baker.

    Madame Carroll.

+-

    Mme Aileen Carroll: Monsieur Butler, vous avez parlé de canadianisation des pêches. La viabilité s'en trouve-t-elle accrue? Cette canadianisation permet-elle d'accorder plus d'importance à la viabilité comparativement à ce qui se fait à l'étranger...

+-

    M. Mark Butler: Dans la plupart des cas, ce que font les Canadiens est bien. Pour ce qui est de savoir si je préfère un chalutier canadien à un chalutier lituanien, s'il vaut mieux que l'espadon soit pêché par un palangrier canadien plutôt que par un palangrier japonais? Je préfère que ce soit des vaisseaux canadiens. Il y aurait davantage de surveillance.

    Mais un chalutier est un chalutier. Un capitaine consciencieux peut limiter au minimum les dégâts, et même si Jésus lui-même tenait la barre, cette technologie nuirait néanmoins au fond marin. C'est inévitable.

+-

     Nous devons trouver des solutions. Nous ne pouvons pas empêcher quelqu'un de vendre son chalutier à une entreprise quelconque en Angola alors que notre gouvernement lui-même fait encore... La pêche à la ligne à la main est encore économiquement viable. Il suffit de quatre hameçons pour pêcher 1 000 livres de poissons par jour. À 60 cents la livre, cela représente 600 $. Si l'on défalque les dépenses, il reste environ 400 $, ce qui est un bon salaire. Mais le MPO ne reconnaîtra pas que c'est une façon plus écologique de pêcher que de placer des portes d'environ 1 000 livres de chaque côté du filet et de traîner cela sur le fonds marin jour et nuit.

¹  +-(1520)  

+-

    Mme Aileen Carroll: Je suis heureuse que vous parliez d'amélioration.

    Malheureusement, je dois terminer mes questions sur une note déprimante.

    C'est ici que je suis née et que j'ai été élevée. Dans les années 50, quand j'étais à l'école primaire, je me souviens d'avoir vu mon père et ma parenté pleurer autour de la table.

    Si vous voulez compter combien d'années plus tard...? Pouvez-vous me dire s'il y a un lien proportionnel direct, que nous avons remporté autant de succès? Combien de temps devons-nous écouter? Combien de temps devons-nous parler?

    J'ai écouté avec un intérêt un reportage de la radio anglaise de Radio-Canada au sujet d'un important symposium à Boston. Encore une fois, je ne peux me fier qu'à ma mémoire. Vous en savez davantage que moi à ce sujet, j'en suis sûre.

    J'ai eu l'impression que les présentateurs et les scientifiques étaient hautement experts en ce qui a trait à nos océans et à l'avenir de ces océans. Ils ont fait valoir qu'on ne peut pas analyser de façon isolée les pêches de la Nouvelle-Angleterre ou la gestion des pêches des provinces de l'Atlantique. Il faut prendre du recul et tenir compte de toute l'écologie mondiale de la pêche. Cette réduction constante de l'habitat du poisson, qu'elle soit directement due aux techniques de pêche dont on nous a beaucoup parlé... Et j'ai appris beaucoup en vous écoutant, c'est un souvenir d'enfance. En plus des dégâts causés par ce genre de technique, on disait que les poissons n'ont plus nulle part où aller. Il n'existe plus de fonds assez profonds où les poissons puissent aller comme ils le faisaient, apparemment, dans les zones où ils allaient frayer, se reproduire, et où ils étaient pêchés.

    Nous avons tous été secoués par l'effondrement de la pêche à la morue, mais leurs propos donnaient l'impression qu'il y aura de plus en plus d'effondrement de ce genre, que ce soit sur les côtes d'un pays d'Afrique ou sur les côtes d'ici, puisqu'il existe une interconnexion intégrale de tous les habitats dans l'écologie mondiale.

    Loin de moi l'idée de prétendre être une experte dans votre domaine, mais j'aimerais bien savoir ce que vous en pensez.

+-

    M. Mark Butler: Vous avez raison, c'est effectivement ce que nous devons faire. Ces scientifiques tiennent des propos fort alarmants, peut-être plus alarmants encore que les miens.

    Mais permettez-moi d'ajouter une observation. Bon nombre de ces organismes de conservation préconisent la création de zones de protection marine dans lesquelles il est interdit de pêcher, d'exploiter le pétrole et le gaz naturel, de même que le sable et le gravier. Les ZPM ont un rôle à jouer, mais nos préoccupations sont un peu différentes puisqu'on s'apprête à fermer une ou deux zones très connues, entre autres le passage de l'île de Sable. Il sera peut-être interdit de pratiquer tous les types de pêche dans ces zones, sans distinction entre les différents types de pêche. Et le message politique sera «voyez, nous avons sauvé les baleines et les coraux; le reste du Canada n'a pas à s'inquiéter, nous avons agi», alors que rien ne sera fait pour régler les problèmes fondamentaux des 80 à 90 p. 100 d'océan qui reste, entre autres ce problème des engins de pêche.

    Si nous disions qu'il est interdit de pêcher la morue, l'aiglefin et la goberge au moyen de filets traînants mais qu'on peut pêcher ces poissons à la ligne, nous pourrions créer toutes sortes de zones de protection marine non officielles. Il ne serait pas nécessaire d'établir des limites autour de ces zones. Ou si nous interdisions l'utilisation des engins de cuivre brut, une sorte d'engin de dragage qui peut être utilisé dans les fonds cahoteux, comme on l'a fait sur la côte du Cap-Breton, dans le golfe du Saint-Laurent... J'ai parlé à des pêcheurs de cette région. En effet, ils ont refusé d'utiliser des engins de cuivre brut et ils ont créé, de façon non officielle, toutes sortes de zones protégées.

    Nous ne voulons pas que cette partie de l'équation soit oubliée. C'est bien de créer des parcs marins, mais il faut s'assurer également de régler les problèmes fondamentaux du secteur de la pêche.

+-

    La présidente: Madame Slakov.

¹  +-(1525)  

+-

    Mme Jan Slakov: Avant que les gens partent prendre leur avion, je tiens à vous encourager à lire tout mon texte. Je n'ai pas eu le temps de le lire en entier.

    J'en ai envoyé une ébauche par courrier électronique à des gens de tout le pays, puisque j'anime un groupe de personnes qui s'intéressent à certaines questions de paix et de justice. J'en ai également envoyé aux membres de mon groupe local, Enviro-Clare. C'était très intéressant, car j'ai reçu deux avis contraires au sujet de ma façon de traiter cette question. Après avoir entendu Frank Harvey parler de la façon dont il faut régler la menace terroriste, je tiens à dire—car j'estime qu'il est nécessaire de le dire—qu'il existe de nombreuses preuves de ce que des échelons très élevés de l'administration américaine avaient été informés à l'avance des attaques qui ont été perpétrées le 11 septembre. On en a même entendu parler sur le canal Vision TV. Un ami m'a également récemment envoyé un article du Vancouver Sun qui contient également des allégations à ce sujet.

    Certaines personnes...

+-

    La présidente: Je suis heureuse que vous parliez d'allégation, car il circule toutes sortes de rumeurs.

+-

    Mme Jan Slakov: C'est vrai.

    Le problème que les gens remarquent le plus touche la réglementation du contrôle de la circulation aérienne. D'après ces règlements, si un avion s'écarte du trajet prévu pendant plus de cinq minutes, on considère qu'il a été détourné et les forces aériennes doivent l'intercepter. Il n'est pas nécessaire pour cela que le président donne son autorisation. Il semble toutefois qu'aucun de ces avions n'a été intercepté. Il y a également bon nombre d'autres éléments troublants dans ce dossier. C'est très important de le dire car il ne faut pas supposer que cette menace terroriste vient de gens très différents ou très éloignés de nous.

    Nous devons nous occuper d'examiner la façon dont toute notre économie est structurée et fait en sorte que le gouvernement américain est entre les mains de gens de très faible moralité. On a pu d'ailleurs le constater lors du scandale Enron.

+-

    La présidente: Merci. Nous lirons avec beaucoup d'attention le mémoire que vous nous avez présenté.

    Vous nous avez également remis une liste de gens, dont nous avons essayé de contacter certains. La filiale néo-écossaise du Centre canadien de politiques alternatives figure sur votre liste. J'ai remarqué que la liste contient également le nom de quelqu'un que je connais très bien, Bruna Nota. Nous allons accorder beaucoup d'attention à votre liste.

+-

    Mme Jan Slavok: Merci.

+-

    La présidente: Mes souvenirs ne remontent pas aussi loin que ceux de Mme Carroll, jusqu'aux années 50, mais je me souviens que nous avions tous applaudi en 1995 la création d'un comité trilatéral auquel participaient le Mexique, les États-Unis et le Canada. Ce comité s'occupait de gestion des écosystèmes, etc. Savez-vous comment il fonctionne? Nous allons rencontrer ce groupe lorsque nous nous rendrons à Montréal.

+-

    M. Mark Butler: Vous posez la question?

+-

    La présidente: Je dis simplement que j'espère que les membres de ce comité nous parleront de son fonctionnement et feront le point sur les travaux du comité.

¹  -(1530)  

+-

    M. Mark Butler: Très bien. Je ne pourrais pas vraiment me prononcer sur ce sujet. Nous sommes heureux que ce comité existe. Il essaie de documenter les tendances environnementales en Amérique du Nord. Mais cela entraîne, à mon avis, des critiques sur la façon de penser et sur le manque de pouvoir réel... Il y a néanmoins des aspects positifs. Le rapport du comité signale toutefois que la qualité générale de l'environnement va dans ce sens et non dans l'autre.

    Le comité possède un mécanisme pour recevoir des plaintes. Il semble que la plupart de ces plaintes soient rejetées, mais certaines d'entre elles ont été récemment acceptées, et c'est très bien.

-

    La présidente: Cela fait également partie de notre examen et du travail que vous faites.

    M. Mark Butler: Très bien.

    La présidente: Merci beaucoup d'être venu nous rencontrer.

    M. Mark Butler: Merci de m'avoir écouté.

    La présidente: Et merci d'avoir attendu.

    La séance est levée.