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NDVA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS

COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 1er juin 2000

• 0905

[Traduction]

Le président (M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants. Notre témoin aujourd'hui est le brigadier-général Jerry Pitzul. Il est juge-avocat général des Forces canadiennes.

Avant de donner la parole à nos témoins, au nom de tous ceux qui ont participé au voyage récent de notre comité au Kosovo, en Macédoine, à Aviano et à Londres en Angleterre, je voudrais remercier le greffier, tous les attachés de recherche et les interprètes de même que tous les membres du personnel qui nous ont accompagnés lors de ce voyage très intéressant. Je pense que le tout a été très bien organisé.

Un grand merci à tous.

Cela a été très instructif. Nous avons eu une expérience regrettable à Londres en Angleterre avec certains membres du personnel des Affaires étrangères, ce que le président de votre comité a porté à l'attention du ministre hier. Ce dernier n'était pas trop heureux lorsqu'il a appris ce qui s'était passé, donc nous attendons d'autres développements, mais autrement ce voyage a été très positif et très intéressant.

Par ailleurs, je voudrais remercier tous les membres du comité qui y ont participé. Je pense que nous avons atteint les objectifs que nous nous étions fixés et que ce voyage a été très utile.

La semaine prochaine, je ne serai pas ici, puisque le ministre m'a demandé de le représenter à la plage Juno à l'occasion de l'inauguration d'un monument commémoratif de nos troupes à la plage Juno qui se fait attendre depuis longtemps. M. Pratt, le vice- président, présidera sans doute les deux séances.

Comme vous le savez, nous devons terminer l'étude sur les approvisionnements la semaine prochaine. Il ne nous reste que quelques articles sur les retombées industrielles et régionales, et cette séance est prévue pour mardi, de sorte que j'espère que vous pourrez terminer le tout en mon absence mardi. Je parlerai à M. Pratt. Je n'ai pas d'inconvénient à ce que vous alliez de l'avant et que le rapport soit déposé à la Chambre. Si la Chambre ajourne pour l'été plus tôt que prévu, je voudrais m'assurer que ce rapport est déposé à la Chambre.

Une autre chose avant de commencer la séance d'aujourd'hui, c'est que nous devons réfléchir à ce que nous voulons dire au sujet de la défense nationale antimissiles—notre comité doit avoir une discussion là-dessus. Voulons-nous présenter un rapport intérimaire à la Chambre et aux ministres responsables au sujet des audiences que nous avons tenues jusqu'à présent, avant l'ajournement d'été? Je vous demanderais d'y réfléchir. Nous pourrons en discuter non pas la semaine prochaine, mais la semaine suivante.

Cela étant dit, j'aimerais maintenant donner la parole à nos témoins.

Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d'être ici aujourd'hui, monsieur. C'est avec plaisir que nous allons vous écouter.

Le brigadier-général Jerry S.T. Pitzul (juge-avocat général, ministère de la Défense nationale): Bonjour, monsieur le président.

Avant de commencer, je voudrais vous présenter le Lieutenant- colonel Ken Watkin de mon bureau qui est ici pour me fournir tout document dont je pourrais avoir besoin pour appuyer mon témoignage.

[Français]

Bonjour, mesdames et messieurs.

[Traduction]

J'ai préparé une déclaration, monsieur le président, et je suis prêt à vous la lire à ce moment-ci.

Monsieur le président et membres du comité, je tiens à profiter de l'occasion pour vous remercier de m'avoir demandé de vous présenter un exposé sur les activités de la Direction générale des services juridiques militaires du Canada et de représenter le groupe de Canadiens très dévoués qui portent l'uniforme et qui fournissent des avis juridiques au gouvernement du Canada, au ministère de la Défense nationale et aux Forces canadiennes.

Je reconnais que ma présence ici aujourd'hui est liée en partie à l'exposé que vous a présenté l'ombudsman, le 9 mai dernier, mais je crois qu'il est important que je vous donne un aperçu de l'organisation et des activités du cabinet du juge-avocat général. Ainsi, vous pourrez remettre en contexte les remarques formulées par l'ombudsman.

[Français]

Je sais que vous avez reçu des exemplaires du premier rapport annuel du juge-avocat général à l'intention du ministère de la Défense nationale ainsi que des documents sur le droit opérationnel et le système de justice militaire qui ont été rédigés par mon cabinet. Le dépôt de ce rapport s'inscrit dans un nouveau cadre mis en place par le Parlement pour accentuer la reddition de comptes et la transparence au sein du système de justice militaire.

• 0910

Comme en témoigne le rapport annuel, des changements spectaculaires et sans précédent ont été apportés au cours de la dernière année. En décembre 1998, le projet de loi C-25, qui contenait des modifications à la Loi sur la défense nationale, a reçu la sanction royale. La majorité de ces modifications et des règlements qui en découlent avaient trait à la justice militaire et sont entrés en vigueur le 1er septembre 1999.

[Traduction]

La réforme du système de justice militaire découle d'un processus sans précédent d'études, de consultations et d'enquêtes qui a inclus des examens menés par des comités de la Chambre et du Sénat, y compris bien sûr votre propre comité. Les réformes visaient à moderniser le Code de discipline militaire et à favoriser la reddition de comptes, l'équité, l'intégrité et la transparence dans le cadre du système de justice militaire.

Les changements ont donné lieu à une structure qui est plus conforme à la procédure et aux normes juridiques civiles du Canada tout en conservant les exigences militaires qui justifient le maintien d'un système de justice militaire distinct. Je vais discuter plus loin de certaines de ces réformes innovatrices. Toutefois, je serais négligent de ne pas vous informer des travaux d'envergure actuellement exécutés par des avocats militaires dans l'autre domaine confié au juge-avocat général, c'est-à-dire la formulation d'avis sur le droit militaire.

Au cours de la dernière année, des avocats ont fourni des avis sur des questions liées à l'établissement des objectifs lors de la campagne aérienne menée au Kosovo. Des avocats ont également été déployés auprès des contingents des Forces canadiennes en Bosnie, au Kosovo et au Timor oriental et fait partie de l'équipe d'intervention en cas de catastrophe envoyée en Turquie. Ici même, 42 officiers déployés à l'échelle du Canada étaient de service ou de garde au Jour de l'an, dans le cadre de l'opération ABACUS.

D'autres avocats ont contribué à des procès tenus devant la Cour internationale de justice, à diverses enquêtes indépendantes portant sur des opérations menées par les Nations Unies dans l'ex- Yougoslavie et au Rwanda, ainsi qu'à des procès du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Un officier canadien fait partie de l'équipe du gouvernement du Canada qui a joué un rôle central pour favoriser la mise sur pied de la Cour pénale internationale.

Comme vous vous en souvenez, à la suite de l'opération menée en Somalie, un certain nombre de rapports présentés au gouvernement recommandaient l'amélioration de la formation en matière de droit militaire et de justice militaire. Comme on le lui a demandé, le cabinet du juge-avocat général a entrepris un ambitieux programme visant à élaborer et à fournir de la formation dans ces domaines essentiels. Du 1er septembre 1999 au 31 mars 2000, des avocats ont donné de la formation relative aux officiers présidant des procès sommaires à 2 097 officiers et 309 militaires du rang, y compris plus de 60 officiers généraux. La formation a été répartie sur plus de 120 séances de formation de deux jours chacune.

De plus, des trousses de formation sur la justice militaire ont été mises au point et distribuées à toutes les unités des Forces canadiennes. Cette trousse comprenait entre autres de l'information sur les droits et les obligations des membres des Forces canadiennes.

Au cours des deux dernières années, dans le cadre d'une initiative mise en oeuvre à l'échelle des Forces canadiennes, des avocats ont donné à tous les membres des Forces canadiennes la possibilité d'assister à des exposés sur les agressions et le harcèlement sexuel et les inconduites à caractère sexuel, dans le but de les sensibiliser à ces actes insidieux et de les aviser de leurs droits.

Durant les deux dernières semaines, il a été question des avocats militaires en tant que groupe, à la fois devant ce comité et dans les médias. Parfois, des termes comme abus, réponses évasives et obstructions ont été employés injustement pour parler des avocats militaires.

En tant que juge-avocat général, je ne suis pas tout simplement chargé de contribuer au bien-être des membres des Forces canadiennes. Quand j'ai décidé de revêtir l'uniforme et de quitter la vie civile, j'ai assumé la responsabilité directe du bien-être du personnel sous mon commandement. C'est pour cette raison que je vais maintenant prendre quelques minutes pour donner un aperçu des compétences et de l'expérience des hommes et des femmes qui servent au sein de la Direction générale des services juridiques militaires. Ainsi, vous pourrez apprécier pleinement le dévouement, l'engagement et les capacités de ces avocats. Cela va également me permettre de donner l'heure juste au sujet de certaines questions.

Les travaux d'envergure dont je vous ai donné une idée ont été exécutés par 93 officiers de la force régulière et 37 officiers de la réserve. Ces avocats, hommes et femmes, font partie des deux groupes linguistiques et viennent de toutes les provinces du Canada. Ils bénéficient du soutien administratif d'un petit groupe de militaires et de 67 civils qui travaillent pour le ministère de la Défense nationale.

[Français]

Le groupe le plus nombreux d'avocats de la force régulière est à Ottawa et sept bureaux régionaux sont situés à l'échelle du Canada et en Allemagne. En ce moment, des avocats militaires sont déployés dans le cadre d'opérations en Macédoine et au Kosovo, en Italie et à deux endroits en Bosnie. Treize avocats militaires sont également affectés auprès du Bureau du conseiller juridique du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes, c'est-à-dire l'unité juridique du ministère de la Justice qui fournit des services à la Défense nationale.

• 0915

Ce nouveau bureau exerce ses activités en collaboration avec le juge avocat-général dans le but d'offrir des services de grande qualité relativement à toutes les questions juridiques qui concernent la défense.

[Traduction]

Contrairement à ce qu'a affirmé l'ombudsman lors de sa présentation devant le CPDNAC le mois dernier, les avocats militaires doivent être des membres en règle d'un barreau provincial et se conformer aux normes, aux pratiques et au code d'éthique de leur ordre professionnel. Parmi les 93 avocats de la force régulière, 22 sont titulaires d'une maîtrise en droit. Ils s'agit de l'exigence de base à laquelle doivent répondre des avocats pour enseigner dans une école de droit canadienne. Sept autres officiers détiennent des diplômes d'études supérieures dans d'autres disciplines.

Des avocats militaires ont publié des articles savants dans diverses revues spécialisées et militaires. La Cour suprême du Canada a récemment cité favorablement un article rédigé par l'un de nos officiers au sujet d'une affaire sur les droits de la personne qui a créé un précédent. En outre, des avocats des Forces canadiennes sont souvent appelés à donner, à l'échelle mondiale, de la formation sur le droit des conflits armés et le droit humanitaire international.

Comme les autres membres des Forces canadiennes, les membres de la Direction générale des services juridiques militaires doivent servir loin de leur foyer et de leur famille pendant de longues périodes. Ils pratiquent le droit non seulement dans le confort relatif d'un immeuble situé à Ottawa, mais également à l'arrière de transport de troupes blindées, dans l'aire de trafic des aérodromes et dans la salle des opérations de navires de guerre. Depuis la guerre du Golfe, 47 avocats ont été déployés dans le cadre d'opérations, et un bon nombre de ceux-ci comptent plus d'un déploiement à leur actif.

Étant donné le dévouement des militaires et les sacrifices consentis par eux-mêmes et leur famille, il est extrêmement malheureux de voir qu'ils sont perçus comme un groupe qui ne répond pas tout à fait à ses obligations professionnelles et militaires.

Permettez-moi maintenant d'aborder la question de la collaboration avec le bureau de l'ombudsman. Lors de sa comparution en mai devant le CPDNAC, l'ombudsman a affirmé que le service juridique du MDN et des FC était le seul élément avec lequel il éprouvait des difficultés. Il a également affirmé que la Direction générale des services juridiques constituait la plus importante «poche de résistance». Je ne vois pas du tout les choses du même oeil. J'ai déclaré à diverses reprises que j'appuyais pleinement la création du bureau de l'ombudsman.

Il s'agit d'un des mécanismes établis dans le cadre des réformes qui ont fait suite à la mission en Somalie. La mise sur pied du bureau de l'ombudsman, ainsi que l'apport de changements au système de justice militaire, l'établissement d'autorités indépendantes comme le Directeur des poursuites militaires et le Directeur du Service d'avocats de la défense, et la création du Comité des griefs des FC et de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire, constituent un ensemble de mesures de protection qui se complètent et qui permettent de veiller à ce que les membres des FC et les employés du MDN soient traités de façon juste et équitable.

Il faut souligner qu'au ministère de la Défense nationale et dans les Forces canadiennes, les services juridiques ne sont pas fournis exclusivement par des avocats militaires. Les directives touchant le bureau de l'ombudsman ou toute réglementation future devraient s'appliquer à tous les avocats qui fournissent des avis au ministère et aux FC, dans la mesure où ces directives régissent l'accès de l'ombudsman aux travaux de l'avocat ou aux documents découlant des rapports entre l'avocat et le client. C'est donc dire que cette question ne touche pas seulement le cabinet du juge- avocat général et les avocats militaires. Nous suivons les mêmes règles que les autres avocats du gouvernement.

Lors de la comparution de mai, l'ombudsman a indiqué que les avocats militaires l'empêchaient de remplir son mandat et il a mentionné deux cas en particulier. Par ailleurs, dans les reportages qui ont fait suite à l'audience du CPDNAC, les médias ont indiqué que 10 p. 100 des quelque 1 500 cas traités par l'ombudsman concernaient la justice militaire. Sur le site Web de l'ombudsman, «148 plaintes» figurent sous la rubrique «justice militaire». Les reportages en question et l'attention accordée à deux cas ont peut-être donné l'impression que les avocats refusaient en général qu'on ait accès à eux en invoquant le privilège du secret professionnel de l'avocat.

Cela n'est vraiment pas le cas. Selon des estimations, mes officiers ont eu à huit reprises des contacts d'importance avec des enquêteurs du bureau de l'ombudsman depuis l'établissement de ce bureau. Les contacts auxquels je fais référence ne visaient pas à obtenir des numéros de téléphone ou à organiser des réunions. Dans cinq cas, les renseignements fournis aux enquêteurs semblent avoir été suffisants, puisque d'autres communications avec le bureau de l'ombudsman ne se sont pas avérés nécessaires et que celui-ci n'a pas formulé de remarque.

Le sixième cas, dont il a été question en mai, avait trait à une demande de renseignements sur l'état des dossiers concernant les médailles décernées pour le service en Somalie. Ce cas a été réglé lorsque les renseignements demandés ont été fournis. En fait, mon cabinet avait déjà commencé à répondre à la demande de l'ombudsman au moment de son dernier témoignage devant votre comité.

• 0920

Pour ce qui est de la septième affaire, la plainte Smith, je peux affirmer que l'avocat à Halifax s'est entretenu avec l'enquêteur du bureau de l'ombudsman et lui a confirmé le conseil qui avait été donné à l'officier des affaires publiques, compte tenu du fait que, du point de vue de l'avocat militaire, il y avait eu renonciation au privilège du secret professionnel. L'avocat n'a pas divulgué les renseignements supplémentaires demandés par l'enquêteur parce que ces renseignements étaient soit privilégiés, soit débordaient nettement le cadre du mandat du bureau de l'ombudsman.

Comme vous le savez peut-être, le secret professionnel de l'avocat protège les communications entre un conseiller juridique et son client. Ce privilège s'applique dans deux domaines: d'une part à la consultation juridique, autrement dit à toutes les communications verbales, ou écrites, de nature confidentielle entre un conseiller juridique et un client venu le consulter en sa qualité de professionnel; il s'applique d'autre part au contentieux, c'est-à-dire qu'il protège le travail accompli par un avocat pour se préparer à une poursuite engagée ou envisagée.

Le privilège du secret professionnel de l'avocat a longtemps été reconnu et protégé par les tribunaux canadiens, y compris la Cour suprême du Canada. Cette protection repose sur la nécessité fondamentale d'une liberté d'expression totale entre le client et son avocat, essentielle à la prestation de conseils juridiques judicieux et à l'efficacité du système juridique. Toute personne qui a déjà vécu un procès connaît bien la valeur d'une telle liberté d'expression.

[Français]

Comme vous le savez, le gouvernement du Canada se trouve régulièrement impliqué dans des poursuites à titre de défenseur et de plaignant. Il doit donc faire appel aux services professionnels appropriés d'un conseiller juridique. À moins que le client ne renonce au privilège du secret professionnel ou que la loi n'exige la divulgation des renseignements par une ordonnance de la cour, par exemple, le conseiller juridique a l'obligation juridique et morale de refuser de divulguer tout renseignement privilégié.

[Traduction]

Le refus de divulguer des renseignements dans l'affaire Smith ne témoigne pas d'une poche de résistance; il était plutôt le résultat d'un jugement posé par des professionnels qui ont déterminé que le secret professionnel devait être préservé. Cette décision a été prise par deux avocats qui comptent ensemble plus de 50 années d'expérience au Barreau. De plus, un de ces avocats est un ancien juge.

Pour s'assurer que la décision d'accorder le privilège du secret professionnel a été prise conformément à la pratique générale au gouvernement, l'affaire a été soumise à un tiers pour obtenir une opinion indépendante avant de donner une réponse finale au bureau de l'ombudsman. Les avocats militaires ont agi de façon responsable et professionnelle.

Je comprends que l'ombudsman n'est pas d'accord avec la décision du gouvernement de faire appliquer le privilège du secret professionnel dans cette affaire. Cependant je ne peux rien faire de plus que résumer les mesures qui ont été prises par mon cabinet pour s'assurer de coopérer autant que la loi le permettait.

L'ombudsman a déclaré qu'il respecterait le secret professionnel de l'avocat et, ce faisant, il reconnaît en fait que ses enquêteurs n'auront pas toujours accès à tous les renseignements disponibles. Dans l'affaire Smith, l'accès limité aux renseignements accordés à l'enquêteur n'a pas, de toute évidence, nui à l'élaboration de son rapport et à la présentation de recommandations. Mes avocats apportent leur entière collaboration, dans la mesure où leurs obligations juridiques et professionnelles le leur permettent, et ils continueront de le faire.

La huitième affaire commentée par l'ombudsman dans son rapport du 16 décembre 1999 concerne une enquête menée par un enquêteur au sujet d'un présumé retard dans un certain procès sommaire. Comme je l'expliquerai dans quelques instants, le mandat de l'ombudsman n'englobe pas l'examen des tribunaux militaires, et certainement pas les procès individuels intentés dans le système juridique. L'avocat militaire a répondu à l'enquêteur en lui signalant les dispositions pertinentes des directives ministérielles.

J'ajouterai également que les directives ministérielles autorisent l'ombudsman à signaler des plaintes au sujet d'abus ou de retards liés à l'administration du Code de discipline militaire—mon secteur de responsabilité selon la loi—à une autorité appropriée, y compris au JAG.

Or, le bureau de l'ombudsman n'a soumis à mon cabinet aucune affaire concernant des cas présumés d'abus ou de retards. Je ne peux pas expliquer l'écart évident entre les chiffres fournis par l'ombudsman, qui signale 148 dossiers portant sur des affaires liées à la justice militaire, et le nombre de communications qu'il y a effectivement eues entre son bureau et mon cabinet. Il est difficile de cerner avec précision ce qui constitue une plainte dans les statistiques de l'ombudsman ou la façon dont ce dernier définit les affaires «liées à la justice militaire». Toutefois, je peux vous affirmer que 140 de ces plaintes n'ont jamais été soumises à mon cabinet dans le but d'obtenir des renseignements privilégiés. Comme le montrent les faits que je vous ai présentés, mon cabinet et mes avocats ne font pas obstacle à l'exercice du mandat de l'ombudsman.

[Français]

En ce qui a trait aux communications avec le Bureau de l'ombudsman, une séance d'information a été donnée notamment par l'ombudsman au personnel militaire et civil du cabinet du juge-avocat général le 25 avril, à Ottawa, peu après la comparution de l'ombudsman devant ce comité. D'autres séances d'information avaient été données précédemment à l'ombudsman et à son personnel par le directeur des poursuites militaires et par le directeur juridique de la justice militaire. À l'occasion, des demandes de renseignements présentées à mon cabinet par des militaires ont été transmises au Bureau de l'ombudsman.

• 0925

Je tiens à insister encore une fois sur le fait que le Bureau de l'ombudsman accomplit un travail important dans le cadre de son mandat, qui consiste à jouer le rôle d'observateur objectif et de médiateur, en plus d'être une source d'information et d'offrir des ressources en matière de consultation et d'éducation.

[Traduction]

Il importe que je précise le rôle du juge-avocat général et le statut des avocats militaires. Comme je l'ai indiqué, je suis responsable vis-à-vis de la Loi sur la défense nationale de la surintendance de l'administration de la justice militaire dans les Forces canadiennes.

Le système de justice militaire est un système de justice reconnu dans la Constitution qui est parallèle au système de justice pénale civil, mais qui est indépendant. Le rôle du JAG a été confirmé dans les récentes modifications apportées à la Loi, fondées dans une grande mesure sur deux rapports exhaustifs élaborés par un groupe consultatif spécial présidé par feu l'honorable juge en chef Brian Dickson. Ces rapports examinent les responsabilités du cabinet du juge-avocat général et aussi le rôle du ministre de la Défense nationale.

Le ministre de la Défense nationale occupe une position unique du fait qu'il est responsable non seulement du ministère et des Forces canadiennes, mais aussi d'un système juridique distinct. Tout comme le procureur général, le ministre doit rendre compte au Parlement de l'administration de ce système juridique. Cependant, comme l'a reconnu le juge en chef Dickson, les fonctions remplies par le ministre sont soumises aux restrictions prescrites par la loi canadienne.

Grâce à l'évolution de la loi et de la jurisprudence, les tribunaux militaires ont pu acquérir une plus grande indépendance envers le pouvoir exécutif et la chaîne de commandement. Il fallait que le système de justice militaire soit et semble être indépendant afin de correspondre aux valeurs du système de justice civil et d'éviter les conflits entre les fonctions de gestion et les fonctions liées à la justice assumées par le ministre.

Par conséquent, le rôle du juge-avocat général qui a été recommandé et inscrit dans la loi, ainsi que la nomination d'un procureur indépendant pour les cours martiales et du directeur des services d'avocats de la Défense, visaient à dissocier le ministre de la Défense nationale des activités quotidiennes liées au système de justice militaire et du processus de prise de décisions juridiques et quasi juridiques.

Le directeur des poursuites militaires, qui joue un rôle indépendant quasi judiciaire, et le directeur des services d'avocats de la Défense, doivent tous deux me rendre des comptes, mais ils sont protégés par des mesures législatives qui garantissent leur indépendance.

Je suis directement responsable, dans le plein sens du mot et aux yeux de la loi, devant le ministre de la Défense nationale.

Comme je l'ai déjà mentionné, je rends compte au Parlement par l'intermédiaire du ministre, au moyen du rapport annuel que vous avez devant vous.

Des commentaires ont été formulés également au sujet des avocats, laissant entendre que ces derniers cherchent à être traités de façon différente des autres employés du ministère et des autres membres des FC. En fait, le seul traitement particulier que demandent les avocats est celui qui est nécessaire pour remplir le rôle et les responsabilités de mon cabinet.

Il faut même éviter que certaines interventions du groupe de la direction soient perçues comme une ingérence inappropriée dans l'administration de la justice. Par exemple, le deuxième rapport Dickson indique qu'il faut faire preuve de prudence

    [...] lorsqu'une déclaration est faite ou qu'une mesure est prise par le ministre dans des cas précis d'infraction au Code de discipline militaire, car toute déclaration ou mesure pourrait entraîner le rejet des accusations et ce, même si le ministre ne fait pas partie, à proprement parler, de la chaîne de commandement.

En effet, la doctrine relative à l'influence inappropriée du commandement s'applique même au ministre.

À cet égard, je signale que même si l'ombudsman est indépendant de la chaîne de commandement des FC et de la direction du MDN, il n'est pas indépendant du ministre. L'ombudsman travaille au nom du ministre et fait partie de groupe de la direction du gouvernement. Par conséquent, il n'a pas plus de pouvoir que le ministre de s'immiscer dans les affaires du système de justice militaire et il risque, en intervenant, de nuire aux poursuites judiciaires.

[Français]

Le rapport de décembre de l'ombudsman demande l'autorisation de surveiller les activités de la justice militaire, dont la conduite des fonctionnaires de la cour et des participants aux procès, l'efficacité des niveaux militaires, le pouvoir discrétionnaire de poursuivre et l'exercice du pouvoir discrétionnaire de mettre en accusation.

Les modifications à la Loi sur la défense nationale, promulguées il y a à peine neuf mois environ après un examen exhaustif, ne prévoyaient pas la définition d'un tel rôle pour l'ombudsman institutionnel. De toute évidence, un examen approfondi doit être entrepris pour éviter de futures contestations constitutionnelles et judiciaires.

• 0930

[Traduction]

De plus, le rapport demande que le droit de porter plainte soit étendu à d'autres catégories de personnes; il voudrait que les avocats qui conseillent le ministère et les FC soient soumis à une surveillance, et il cherche à restreindre la liberté de parole des membres du personnel qui pourraient vouloir faire une déclaration publique sur une affaire qui fait l'objet d'une enquête de l'ombudsman.

Dans ses propositions, l'ombudsman réclame des pouvoirs plus vastes que ceux de tout autre ombudsman au Canada. Ces propositions soulèvent des questions d'ordre juridique et politique qui touchent l'ensemble du gouvernement. Le ministre a établi un mécanisme pour examiner les questions que soulève le rapport du mois de décembre.

[Français]

Enfin, j'aimerais aborder la question de l'obligation de rendre compte et de la surveillance de la conduite des avocats militaires. Je vais diviser cette question en trois éléments distincts: ma propre obligation de rendre compte en tant que juge-avocat général à l'égard de l'administration du système de justice militaire, l'obligation de rendre compte des avocats à l'égard de leur conduite professionnelle et, enfin, l'action des avocats en tant que leaders et superviseurs au sein du ministère et des Forces canadiennes.

[Traduction]

Le terme «obligation de rendre compte», tel que défini dans le rapport de la Commission d'enquête sur la Somalie, désigne un mécanisme qui permet de vérifier si les normes d'action sont respectées. Les personnes soumises à cette obligation peuvent faire l'objet d'une enquête, être interrogées, et finalement, être félicitées ou punies. Contrairement à ce qui a été dit, il existe déjà de puissants mécanismes de surveillance civile des avocats militaires et du système de justice militaire.

Comme je l'ai indiqué, je suis responsable devant le ministre, et, par son intermédiaire, devant le Parlement. De plus, le ministre est désormais tenu de procéder tous les cinq ans à un examen indépendant des amendements à la Loi sur la défense nationale, et de présenter un rapport sur cet examen aux deux chambres du Parlement. La Cour d'appel de la cour martiale (entièrement composée de juges civils), la Cour fédérale du Canada et la Cour suprême du Canada continuent d'exercer une surveillance civile directe du système de justice militaire et de la conduite des avocats.

Les barreaux provinciaux, qui régissent ma conduite professionnelle et celle de tous les avocats qui conseillent le ministère et les FC, sont complètement indépendants, et ils ont le pouvoir d'examiner les plaintes d'inconduite et de faire enquête. Ils sont également autorisés à prendre les mesures appropriées à l'égard des plaintes justifiées.

De plus, en cas de faute professionnelle, leur conduite est examinée par des membres avertis de leur profession selon des normes précises qui régissent la pratique juridique. Les organismes de réglementation provinciaux ont justement été établis pour jouer ce rôle, et ils garantissent un traitement équitable.

Comme l'a expliqué le professeur Paciocco lors de la dernière audience du CPDNAC, le bureau de l'ombudsman n'a pas pour rôle d'exercer ce type de surveillance. Il n'a aucun pouvoir de sanction, et il ne peut faire que des recommandations. De plus, étant donné que l'ombudsman n'a pas à être un avocat, il n'y a aucune garantie qu'il possède la compétence requise pour réglementer la conduite professionnelle des avocats.

Il ne faut pas oublier que ce ne sont pas seulement les droits du plaignant qui sont en cause, mais aussi la réputation, la carrière et les droits de l'avocat.

Enfin, lorsqu'il procède à un examen, le bureau de l'ombudsman n'est pas assujetti à des règles aussi sévères que les barreaux provinciaux.

Il semble que l'affirmation selon laquelle les avocats sont dans une «zone d'immunité» soit fondée sur une interprétation erronée des dispositions qui limitent l'examen du «travail» des avocats. Dans un sondage qu'effectue actuellement l'ombudsman, il y a une question qui demande aux membres des FC si le bureau de l'ombudsman devrait pouvoir enquêter sur les avocats du MDN et des FC. Dans cette question, il est dit que le bureau de l'ombudsman ne peut pas enquêter sur les avocats du MDN en leur capacité de [et je cite] «superviseurs d'employés faisant partie de leur personnel qui seraient susceptibles de déposer une plainte contre leur superviseur».

Cela n'a jamais été ma position. À mon avis, il est souhaitable qu'il y ait un médiateur indépendant et objectif pour régler les conflits en milieu de travail. Et en effet, le mode alternatif de règlement des conflits, dirigé par M. Peter Stern, est de plus en plus populaire et accepté au sein du ministère et des FC.

En résumé, je voudrais réitérer mon appui aux organisations comme le bureau de l'ombudsman, qui ont pour mandat d'assurer le bien-être de nos militaires, hommes et femmes, et des employés civils du ministère qui les soutiennent. Le cabinet du juge-avocat général à la même tâche à coeur ainsi que l'avancement des intérêts de la justice militaire ici comme ailleurs que ce soit en représentant énergiquement en tant qu'avocat de la défense les intérêts d'un militaire accusé, en représentant l'intérêt public comme procureur de la poursuite ou en contribuant comme conseiller juridique à la création de politiques publiques équitables.

Tous les intervenants doivent chercher sans cesse à renforcer leur coopération et à mieux comprendre les tâches qui leur sont confiées. C'est ce que nous essayons de faire, en conformité avec nos obligations professionnelles.

Merci, monsieur le président, de m'avoir accordé plus de temps que prévu.

Le président: Merci, général.

• 0935

Certains d'entre nous qui étaient à Skopje ont eu l'occasion de rencontrer un membre de votre personnel. J'oublie son nom pour l'instant, mais j'ai trouvé que c'était quelqu'un de très intéressant, de très serviable. Je tenais à vous le dire.

Avant d'entamer la période de questions, je tiens à préciser qu'en tant que comité nous accordons une très grande importance au travail que vous effectuez, naturellement, ainsi qu'au travail de l'ombudsman, à qui nous avons manifesté notre appui à plusieurs reprises aujourd'hui. Il semble peut-être un peu étonnant pour nous et préoccupant aussi qu'il y ait apparemment une contradiction dans les faits, ou tout au moins dans la perception. Nous allons passer aux questions et voir si nous pouvons éclaircir la situation, si vous pouvez nous aider un peu. Il est très important pour nous que de part et d'autre on travaille de façon complémentaire.

C'est malheureux, mais je ne vois aucun représentant de l'Alliance canadienne.

[Français]

Monsieur Mercier, vous avez sept minutes.

M. Paul Mercier (Terrebonne—Blainville, BQ): Monsieur le président, vous trouverez peut-être que ma question est irrecevable. Si elle l'est, vous me le direz.

Ma question est la suivante. Vous avez évoqué la mission en Somalie à laquelle l'armée canadienne a participé. Au cours de cette mission, on a reproché à des soldats canadiens d'avoir commis des brutalités à l'endroit de Somaliens. Il est tout à fait normal que ces soldats aient été poursuivis, car il est évident que ces soldats ne devaient pas brutaliser les Somaliens qui venaient tenter de piller le camp. J'ai déjà posé cette question ici et je n'ai pas eu de réponse. Que doit faire le soldat dans un cas pareil? En d'autres mots, quand nous participons à une mission de paix dans un pays qui n'a pratiquement pas de système judiciaire, que doivent faire nos soldats face à des actes répréhensibles posés par des gens du pays qui, par exemple, nuisent à la mission?

Je suis très sensibilisé à la chose pour avoir assisté à une mission de l'ONU de 1961 à 1963 dans un pays qui s'appelait alors le Katanga et qui est maintenant le Congo. C'est une question que je me pose. Quand un soldat voit, par exemple, que des gens tentent de piller le camp qu'il est chargé de protéger, il ne doit pas brutaliser le type qui essaie de piller, mais qu'est-ce qu'il doit faire? S'il le repousse en lui disant de s'en aller, il va revenir demain. Qu'est-ce qu'il doit faire?

[Traduction]

Le président: Je pense que le juge-avocat général est ici pour parler de son rapport et de son rôle. Je pense que la question traite d'une réaction hypothétique de nos troupes.

Je pense que c'est aller au-delà du but de la comparution, mais je vais vous laisser le soin de décider si vous voulez répondre quand même.

Bgén Jerry Pitzul: Monsieur le président, c'est une bonne question.

Cela préoccuperait tout membre des Forces. Quand on est témoin d'un délit, je pense qu'on a le devoir en tant que citoyen de faire état de ce délit, que ce soit au Canada ou à l'étranger. Personne ne doit être brutalisé à aucun moment, qu'on soit Canadien ou citoyen d'un autre pays, il me semble. C'est ce que je soutiens. C'est un droit fondamental—à moins qu'on soit dans une situation de combat et qu'on essaie de remplir une mission dans un cadre de guerre.

J'étais le juge d'instruction dans l'affaire Elvin Kyle Brown et dans deux autres affaires. J'ai entendu les témoignages directement. C'était déchirant à entendre. Je pense que le devoir d'un soldat est de rapporter un crime en utilisant les mécanismes qui sont à sa disposition. C'est, si vous voulez, son devoir et son obligation. On peut faire appel à la chaîne de commandement, faire appel aux véhicules établis même à l'extérieur de cette chaîne de commandement, mais un crime doit être rapporté et on doit s'en occuper.

Vous savez, au Canada, nous avons la bonne fortune de disposer d'un bon nombre de mécanismes pour surveiller, si l'on peut dire, les délits que pourraient commettre des fonctionnaires. Nous avons les tribunaux, les comités du Parlement, les vérificateurs généraux, la Commission canadienne des droits de la personne, les commissaires à l'information, les commissaires à l'accès, les conseils de règlement des griefs et la Commission des plaintes relatives à la police militaire. Les officiers qui travaillent à mon bureau ne travaillent pas pour la chaîne de commandement. Ils relèvent de moi, par l'intermédiaire du ministre. Quand c'est possible, des aumôniers sont disponibles. L'ombudsman est disponible. Il y a une foule de moyens, si vous voulez. Le délit peut faire l'objet d'un rapport et être révélé.

• 0940

C'est ce que je dirais en tant que citoyen de ce pays et non pas nécessairement en tant que juge-avocat général.

[Français]

Je peux répéter ma réponse en français si vous le désirez. Je m'excuse. Je répondais au président.

[Traduction]

Le président: Nous avons des services d'interprétation.

[Français]

Bgén Jerry Pitzul: Merci.

Le président: Monsieur Mercier, avez-vous d'autres questions?

M. Paul Mercier: Quand une armée occupe un autre pays, elle s'attribue des pouvoirs judiciaires. Elle s'attribue le pouvoir de poursuivre les gens du pays qui commettent des actions contre ses soldats, mais quand nous allons en Somalie ou ailleurs, nous ne pouvons pas le faire. Nous ne nous donnons pas ces pouvoirs judiciaires à l'encontre des gens du pays qui poseraient éventuellement des actes hostiles à l'égard de nos troupes. Nous ne nous donnons pas ce pouvoir.

Nos soldats n'ont rien. Ils n'ont pas la possibilité de référer les gens du pays qui commettraient des actes répréhensibles contre eux à une autorité judiciaire quelconque. En d'autres mots, est-ce que ces missions ne devraient pas s'attribuer des pouvoirs judiciaires et pénaux comme une armée en campagne s'en attribue généralement quand elle occupe un autre pays?

Bgén Jerry Pitzul: Jusqu'à maintenant, l'ONU et l'OTAN, les organismes au sein desquels on travaille quand on va en mission à l'extérieur du pays, n'ont pas accordé ce pouvoir. Je pense qu'en ce moment, ce droit n'est pas reconnu en droit international. On n'est pas autorisés à juger des citoyens d'un autre pays pour des actes commis contre nos forces armées.

Vous vous souviendrez qu'en Somalie, il y avait très peu d'infrastructures. Donc, à qui réfère-t-on les citoyens somaliens afin qu'ils soient jugés pour de présumées infractions à l'endroit de nos forces armées?

M. Paul Mercier: C'est ma question.

Bgén Jerry Pitzul: C'est une très bonne question, mais je n'ai pas de réponse directe à vous donner. Cela fait partie d'un débat plus large, d'un débat intellectuel, académique, politique et juridique. Sur quoi s'appuie-t-on pour permettre à une force armée de juger des citoyens d'un autre pays? C'est très complexe et je ne suis pas en mesure de donner aujourd'hui une réponse à votre question en peu de temps.

M. Paul Mercier: Merci.

Le président: Merci, monsieur Mercier.

[Traduction]

Monsieur Bertrand, avez-vous levé la main plus tôt?

[Français]

M. Robert Bertrand (Pontiac—Gatineau—Labelle, Lib.): Non.

[Traduction]

Le président: D'accord. Je n'en étais pas certain.

Monsieur Proud.

M. George Proud (Hillsborough, Lib.): Merci, monsieur le président, soyez le bienvenu, général.

Il y a quelques instants à peine je disais au président, pendant que vous témoigniez, que nous devrions peut-être vous faire témoigner tous les deux, vous et l'ombudsman, et voir ce qu'il en ressortira.

De toute façon, vous dites que lors de son témoignage devant notre comité... que ce qu'il a dit ne correspond pas tout à fait à la réalité. Étant donné la divergence d'opinions qui existe entre vous et l'ombudsman...

Je vais vous poser deux questions. Tout d'abord, que faut-il faire pour résoudre le problème, à votre avis? Vous avez dit également dans votre allocution qu'il y a certains renseignements—et je suppose que c'est vrai—auxquels il n'a pas accès. Pourriez-vous nous dire de façon générale de quel genre d'information il s'agit et pourquoi il lui est impossible d'y avoir accès.

Bgén Jerry Pitzul: Pour répondre à votre question, je ne comprends vraiment pas ce qui est à l'origine du malaise que l'ombudsman semble éprouver à l'égard des avocats militaires. Je vous ai décrit les huit cas dont il a été saisi, dont six n'ont entraîné aucun commentaire de sa part ou la communication des renseignements. Les deux autres cas ont été réglés de façon tout à fait satisfaisante, à mon avis.

• 0945

Je ne suis pas au courant des 140 autres cas dont il parle sur son site Web où il se plaint de certains problèmes liés à la justice militaire. Mon cabinet n'a été saisi d'aucun de ces dossiers.

Si je puis répondre à votre question de cette façon, il semble y avoir trois éléments en cause: premièrement, le rapport avocat- client, deuxièmement, le mandat, et, troisièmement, la collaboration avec notre cabinet. En ce qui concerne le rapport confidentiel entre l'avocat et son client, nous respectons les mêmes règles que les autres avocats du gouvernement. Nous ne jouissons d'aucun privilège particulier. Ce n'est pas nous mais bien le client qui jouit de ce privilège; le client est en l'occurrence le gouvernement du Canada.

Si l'ombudsman devait avoir accès au secret professionnel de l'avocat dans les dossiers qui sont confiés à des avocats militaires, alors là la question est beaucoup plus vaste. C'est également le conseiller juridique du ministère de la Justice, n'importe quel avocat qui travaille pour le gouvernement et fournit des conseils à ce dernier. La question est sérieuse. Elle n'est pas facile à résoudre. Il faut procéder à l'examen que le ministre vient d'entreprendre.

Il en va de même pour les autres questions liées à son mandat. J'examine le rapport de décembre et l'ombudsman demande à examiner le pouvoir discrétionnaire de porter des accusations dont jouissent la police et les autorités militaires; il veut aussi examiner l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la poursuite, le comportement des juges militaires et des tribunaux militaires, la conduite des avocats de la défense. Ce sont des questions qui concernent l'ensemble de la société, et pas simplement le gouvernement.

La Cour suprême du Canada a dit à maintes reprises que l'exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuivre est un pouvoir décisionnaire quasi judiciaire dans lequel l'exécutif ne doit en aucun cas s'ingérer. Il y a aussi la protection du secret professionnel de l'avocat, dont j'ai déjà parlé.

L'examen du comportement des juges militaires est une question d'une vaste portée. Elle concerne directement leur indépendance et toucherait les magistrats, à mon avis, de l'ensemble du système judiciaire et pas seulement du système de justice militaire.

Pour la question de l'examen du comportement des avocats de la défense, je pense qu'il n'y a pas plus sacro-saint dans notre système juridique que le rapport existant entre l'avocat de la défense et l'accusé. Que cet avocat de la défense porte un uniforme ou non, il n'en est pas moins un avocat de la défense chargé de défendre les droits d'un accusé devant un tribunal.

Voilà donc pour les questions générales. Ces questions ne concernent pas les avocats militaires.

Quant à la collaboration existant entre nos deux bureaux, ce sont là les contacts que nous avons eus. Il n'y a rien d'autre.

Reste donc la question du mandat et de la collaboration. Les questions relatives au mandat échappent à notre champ de compétence. Quant aux questions de collaboration, je vous en ai déjà parlé.

C'est un peu comme si j'étais confronté à un argument léonin et j'essaie de comprendre la position de l'ombudsman.

M. George Proud: Vous avez raison de parler d'un argument léonin, car il est un fait—et vous le savez aussi bien que moi—que le grand public voit d'un mauvais oeil votre bureau et sans doute tout le système de justice militaire. Quel que soit le cas porté à l'attention du public, et quoi qu'ait dit l'ombudsman, je sais de quel côté la population va pencher. C'est à cela que je voudrais remédier. J'aimerais qu'on fasse quelque chose pour y remédier. Vous dites que les avocats s'enferment dans des tours d'ivoire et ne parlent à personne, et c'est fondamentalement ce que le grand public considère comme étant la vérité.

Ce que je souhaite en tant que membre de ce comité, à cause du respect que j'ai pour les Forces canadiennes et de mon désir que justice soit faite, c'est que la situation puisse être réglée à l'avantage de tous les membres des Forces canadiennes, dans l'intérêt, non pas seulement des avocats militaires ou de l'ombudsman, mais des gens que vous avez pour mandat de servir.

Bgén Jerry Pitzul: Monsieur, je suis entièrement de votre avis.

M. George Proud: Merci.

Le président: Merci, monsieur Proud. Je crois que nous sommes tous de cet avis.

Nous allons maintenant passer à M. Earle.

M. Gordon Earle (Halifax-Ouest, NPD): Merci, monsieur le président. J'ai des observations et des réflexions à faire sur le rôle de l'ombudsman et le lien entre son rôle et celui du juge- avocat général, mais je les ferai un peu plus tard. Pour l'instant, je veux profiter de votre présence ici pour aborder avec vous certaines questions plus précises.

Quand on parle de justice—et je vois que vous parlez d'appels dans votre rapport... Je ne vous demande pas de renseignements protégés par le secret professionnel de l'avocat, mais j'aimerais savoir quelle est la question de principe sur laquelle on se fonderait pour interjeter appel de la décision rendue en faveur de l'ex-sergent Mike Kipling, car il semble que le gouvernement ait décidé d'en appeler de cette décision. La recommandation d'en appeler de la décision serait-elle venue de votre bureau ou plutôt—vous avez indiqué tout à l'heure qu'il arrive que le ministère fasse appel à des avocats externes—d'avocats externes?

• 0950

Bgén Jerry Pitzul: La cause du sergent Kipling est devant les tribunaux, vous comprendrez que je suis soumis à certaines restrictions quant à ce que je peux en dire. Dans la mesure toutefois où votre question concerne la procédure, elle est acceptable et je crois pouvoir y répondre.

Aux termes de la loi, le ministre peut demander au directeur des poursuites militaires d'interjeter appel en son nom. Ainsi, la décision de déposer un avis d'appel a été prise par la directrice des poursuites militaires.

Pour cela, deux critères doivent être satisfaits: l'appel doit avoir des chances raisonnables de réussir et il doit être dans l'intérêt public.

L'avis d'appel a été déposé auprès des tribunaux. Plusieurs motifs y sont invoqués. Ces motifs sont du domaine public; j'espère donc pouvoir vous les présenter de façon exacte—je ne les ai pas appris par coeur, mais je peux vous en parler. Il y a le fait que le juge de première instance ait mal compris les éléments de preuve qui lui ont été soumis. Il y a aussi le défaut, du point de vue de la poursuite, de tenir compte de toutes les preuves pertinentes qui lui avaient été soumises. Enfin, il y a l'omission présumée du juge de première instance de tenir compte des droits garantis à l'inculpé par l'article 7 de la Charte et de leur pertinence dans l'affaire en cause ainsi que le fait qu'il n'y ait pas eu d'analyse au titre de l'article 1 de la Charte relativement à la cause.

Par ailleurs, il me semble que les Canadiens sont en droit de s'attendre à ce qu'il y ait une certaine certitude dans la loi relativement au déploiement de membres des Forces canadiennes pour des opérations militaires. Je crois qu'il s'agit d'un autre motif qui est invoqué dans l'avis d'appel. Il y a donc, d'une part, le déroulement du procès en première instance et, d'autre part, la certitude qu'on doit pouvoir trouver dans la loi.

M. Gordon Earle: Vous ai-je bien compris? C'est bien le directeur des poursuites militaires qui prend cette décision? Suit- il en cela la recommandation du ministre, ou est-ce simplement qu'il relève du ministre?

Bgén Jerry Pitzul: Non, la directrice des poursuites militaires tient les consultations qu'elle juge bon de tenir pour en arriver à sa décision, après quoi elle informe le ministre de sa décision.

M. Gordon Earle: Je vous remercie.

Ma deuxième question—encore là, je ne vous demande pas du tout de nous faire part d'informations confidentielles—concerne l'affaire Matt Stopford. L'affaire a été rapportée tout récemment par les médias, et il semble qu'il y aurait des indications selon lesquelles on aurait mis des substances dans des boissons qui lui étaient destinées, etc. À ce qu'il paraît, les forces armées n'auraient aucun recours, si ce n'est peut-être un recours administratif. Il semble que le passage du temps ait éliminé toute possibilité de recours juridique; le délai de prescription serait expiré. Est-il vrai qu'il n'y a plus de recours juridique, au civil ou ailleurs, pour cette personne?

Ensuite, j'aimerais savoir si votre bureau a un rôle quelconque à jouer pour ce qui est de recommander un recours administratif?

Bgén Jerry Pitzul: Monsieur Earle, je ne suis vraiment pas en mesure de vous dire quels seraient les conseils juridiques que je donnerais à M. Stopford. De la façon dont votre question était formulée, vous demandiez quel recours il aurait. Je ne suis pas en mesure de vous donner de tels conseils juridiques.

Je crois savoir, d'après ce que rapportent les médias, qu'il consulte un avocat.

M. Gordon Earle: Très bien.

Bgén Jerry Pitzul: C'est vraiment au Service national des enquêtes qu'il appartient de dévoiler la conclusion à laquelle il est arrivé relativement à l'affaire Stopford d'après les conseils qu'il a reçus, conseils qui lui ont été prodigués par les avocats externes auxquels il fait appel dans des cas comme celui-là. D'après ce qu'on en dit, il y aurait un délai de prescription. La loi prévoyait un délai de prescription de trois ans avant qu'elle ne soit modifiée. Les modifications qui ont été apportées à la loi avaient notamment ceci de bon qu'elles ont éliminé le délai de prescription. Il n'y a plus de délai de prescription. J'ose espérer qu'il n'y aura plus jamais de cas semblable dans les Forces canadiennes, mais si jamais il y en avait, il n'y aurait pas de délai de prescription pour empêcher de prendre des mesures, ou il n'y aurait pas de délai de prescription qui empêcherait en tout cas la prise de mesures aux termes du Code de discipline militaire.

M. Gordon Earle: Je voudrais maintenant que nous parlions du rôle de l'ombudsman. Ayant moi-même été ombudsman pendant 22 ans, je peux comprendre très bien ce qui semble être le problème. Vous avez mis dans le mille quand vous avez parlé du mandat de l'ombudsman. L'ombudsman des forces armées est en fait nommé par l'exécutif. Il relève du ministre, si bien que sa situation est très différente de l'ombudsman qui est nommé en vertu d'une loi ou qui est nommé par une assemblée législative et qui pourrait avoir des comptes à rendre au Parlement.

• 0955

Pour ma part, j'avais des comptes à rendre à l'assemblée législative qui m'avait nommé, et nous n'avons pas connu de problème semblable avec le ministère du Procureur général de la province où je travaillais pour deux raisons. D'abord, c'est parce que nous travaillions en collaboration. Nous essayions tous de résoudre les problèmes et nous avions donc établi un bon système de communication. Deuxièmement, pour ce qui est du procureur général de la province et de la loi, notre autorité s'étendait à quiconque relevait, directement ou indirectement, de la Couronne pour l'accomplissement de son mandat—et les avocats relevaient de la Couronne.

Dans l'exercice de nos fonctions, nous pouvions donc examiner le travail et les pratiques des avocats, pour déterminer les conséquences qui pourraient en découler dans un cas en particulier. Nous prenions toujours garde cependant de chercher à substituer notre avis à l'avis juridique des avocats.

Nous examinions les questions de procédure et d'administration et les autres éléments qui pourraient influer sur le motif de la plainte. J'estime que c'est sans doute ce que voudrait pouvoir faire l'ombudsman des forces armées; il voudrait pouvoir faire de même quand il enquête sur un plainte pour qu'il ne se retrouve pas dans l'impasse si, tout d'un coup, la question est confiée à un avocat qui peut invoquer le secret professionnel pour échapper à l'enquête.

Nous n'avons donc pas eu de problème de ce genre parce que nous travaillions en collaboration et que nous voulions tous régler les problèmes. Les avocats considéraient le rôle de l'ombudsman comme celui d'un facilitateur, plutôt que celui d'une personne qui voudrait contester leur code déontologique.

Pour résoudre les difficultés qui caractérisent les relations entre l'ombudsman et votre bureau, il faudrait que le mandat de l'ombudsman soit précisé ou peut-être qu'on mette davantage l'accent sur la coopération, en améliorant la communication, pour que chaque partie sache exactement jusqu'où l'autre peut aller et qu'elles puissent compenser leurs limites respectives afin que les enquêtes puissent être faites de manière objective et efficace et qu'elles ne laissent aucun doute dans l'esprit des personnes en cause.

Bgén Jerry Pitzul: Monsieur Earle, je suis d'accord avec vous et c'est, je crois, l'examen qui a été entrepris pour voir si nous pouvons atteindre cet objectif.

Mais vous conviendrez... parce que j'ai travaillé dans le même champ de compétence, sous le régime des mêmes règles que l'ombudsman, et cela a bien marché. Il n'y a pas eu de problème. Mais quand il s'agit d'examiner la conduite des juges ou de devoir, par une loi, examiner l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, il s'agit d'une question très étendue qui nécessite un examen approfondi. Je suis toutefois entièrement d'accord avec vous.

Le président: Merci, monsieur Earle.

Madame Wayne, s'il vous plaît.

Mme Elsie Wayne (Saint John, PC): Merci beaucoup.

Brigadier-général, j'ai été très impressionnée par le témoignage de l'ombudsman qui a comparu devant nous. La grande question, pour moi, était de savoir pourquoi il avait reçu 148 plaintes dont seulement 8, d'après ce que vous nous dites, vous ont été transmises. Cela me donne l'impression que les militaires pensaient n'avoir aucun recours. Ce n'est pas normal que l'ombudsman reçoive 148 plaintes et que ces 148 personnes ne se soient pas senties en mesure de se prévaloir du régime qui existe déjà.

Vous pouvez peut-être nous expliquer pourquoi, monsieur. Pourquoi le personnel militaire a-t-il estimé qu'il ne pouvait pas se prévaloir du système qui existe et ne pensait pas que vous pourriez les écouter?

Pour ma part, dans mon bureau de circonscription—et le camp de Gagetown est tout près de chez moi—des femmes sont venues me signaler un cas d'agression sexuelle. Elles m'ont dit que personne ne voulait les écouter et les aider. Cela m'a fendu le coeur.

Quand je suis arrivée à Ottawa, j'ai été très contente de voir que l'ombudsman était là, qu'il écoutait toutes les plaintes qui lui étaient présentées et qu'il essayait d'aider les plaignants.

Vous pouvez peut-être nous expliquer pourquoi 148 personnes ont jugé qu'il valait mieux présenter leur plainte à l'ombudsman et pourquoi ces personnes pensaient que personne d'autre ne pouvait s'en occuper.

Bgén Jerry Pitzul: Tout d'abord, pour répondre à votre question, notre système—le vôtre et le mien—appartient à toutes les personnes présentes dans cette salle. Ce n'est pas mon système à moi, c'est notre système à tous. Je ne sais pas sur quoi portent ces 148 plaintes. Je ne sais pas si les plaignants s'étaient déjà adressé ailleurs et n'avaient pas été satisfaits des réponses qu'ils avaient reçues. Je ne sais pas s'il s'agit de plaintes qui relèvent du droit militaire.

• 1000

Je n'en sais rien. Il est très difficile de répondre à votre question sur ces 140 plaintes et de déterminer s'il s'agit de plaintes en matière de droit militaire ou d'expliquer pourquoi ces plaintes ont été présentées à l'ombudsman. Cela ne signifie pas qu'elles n'ont pas été présentées ailleurs. Je suis content que l'ombudsman puisse recevoir les plaintes. Je suis content que nous puissions les recevoir également.

Il m'est très difficile de répondre à votre question, si ce n'est pour dire que ces 140 plaintes ne nous ont pas été présentées—ou peut-être qu'elles l'ont été et que je ne suis pas au courant, non plus que de quelle façon elles ont pu l'être. S'agit-il d'affaires qui ont été examinées et dont les résultats n'ont pas satisfait les plaignants? S'agit-il de griefs? S'agit-il de plaintes relevant de la police militaire? Je ne sais pas sur quoi portent ces plaintes.

Mme Elsie Wayne: Vous avez dit il y a un instant que vous n'avez pas fourni l'avis juridique dans le cadre de l'enquête nationale au sujet de l'officier Stopford. Êtes-vous d'accord avec l'opinion juridique que les enquêteurs ont reçue? Je comprends que vous n'êtes peut-être pas au courant de tout cela à l'heure actuelle. Avez-vous fait enquête dans cette affaire ou en ferez-vous une, compte tenu de la situation?

Bgén Jerry Pitzul: Le Service national des enquêtes a fondé son enquête sur les conseils qu'il a reçus. Le bureau du directeur des poursuites militaires participe à cette affaire en fournissant des conseils. Je ne m'occupe pas des cas particuliers. Cela relève du directeur des poursuites militaires. Le ministre a annoncé à la Chambre qu'il examine le rapport avec le chef d'état-major de la Défense et que tous deux annonceront prochainement un plan d'action.

Mme Elsie Wayne: Vous et moi savons qu'il y a sept ans, lorsque ces événements se sont déroulés, lorsque le café de l'adjudant Stopford et du caporal-chef Nickson a été empoisonné, il y a eu des aveux qui ont fait ressortir clairement qu'il y avait complot et des problèmes dans la chaîne de commandement. Rien n'a été fait malgré les aveux. Je n'arrive pas à voir comment, dans le système en place aujourd'hui... tout cela crée une très mauvaise impression.

J'aimerais vous demander, monsieur, si vous appuyez une enquête publique dans cette affaire et si non, pourquoi?

Bgén Jerry Pitzul: Je dois vous dire que je parle ici clairement au nom du ministre. Le ministre a déclaré à la Chambre ce qu'il a l'intention de faire et comme vous, je dois attendre et voir ce que le ministre et le chef d'état-major de la Défense annonceront quant à l'approche qu'ils adopteront vis-à-vis des résultats de l'enquête.

Le président: Avez-vous d'autres questions, madame Wayne?

Mme Elsie Wayne: Je suppose qu'il ne peut répondre à la question à cause de ses supérieurs, mais j'aimerais savoir s'il pense que le moment est bien choisi pour une enquête publique. Je pense que cela tirerait les choses au clair pour tous, y compris les forces armées, y compris nous autour de cette table et tout le monde, car pour l'instant, cela se passe loin de l'arène politique. Voilà pourquoi j'aurais aimé obtenir l'opinion du témoin.

Bgén Jerry Pitzul: Vous comprenez que c'est au ministre à prendre cette décision.

Le président: Merci. Vous avez répondu à la question et je vous en remercie.

Nous passons maintenant au deuxième tour et je vais donner une première occasion à M. Goldring s'il souhaite interroger le témoin. Nous commençons maintenant le deuxième tour.

Monsieur Goldring.

M. Peter Goldring (Edmonton-Est, Alliance canadienne): Oui, j'aimerais poser des questions et je m'excuse d'avoir raté la première partie de cette réunion. J'ai des préoccupations et si je comprends bien, Elsie les a exprimées.

J'aimerais savoir s'il ne serait pas possible de publier une déclaration claire sur l'affaire Matt Stopford afin de tirer les choses au clair.

• 1005

Le rapport publié dans l'affaire Matt Stopford et le fait qu'on y trouve des critiques sur l'ensemble des forces armées semblent avoir créé de graves préoccupations. Je me demandais s'il est de votre ressort d'apporter des précisions à ce sujet, de donner les détails à l'intention de Matt Stopford sur le présumé empoisonnement et dans l'affirmative, ne conviendrait-il pas de prendre l'affaire en charge de façon à ce qu'il puisse commencer immédiatement des poursuites? Il n'y a peut-être pas de dispositions prévues au Code criminel, mais il pourrait s'adresser à un tribunal civil. Est-ce possible? Est-ce que cela entre dans vos attributions?

Bgén Jerry Pitzul: C'est au ministère de la Justice qu'il revient de donner des avis relativement à des affaires civiles. Les services juridiques sont assurés par du personnel sur place au ministère de la Défense nationale. C'est à eux que nous nous adressons en ce qui concerne des questions de responsabilité civile.

M. Peter Goldring: Cette affaire dépasse largement la simple production d'un rapport puisqu'elle semble avoir une incidence sur toutes les Forces armées canadiennes, à un point tel qu'on a laissé entendre dans les journaux que les militaires avaient peur de prendre un café. Ne faudrait-il pas agir immédiatement et fermement afin d'éclaircir la situation et de préserver le respect et l'honneur de nos Forces armées canadiennes? Que pouvons-nous faire?

Le président: M. Bertrand veut invoquer le Règlement.

M. Robert Bertrand: J'essaierai peut-être de répondre à la question de M. Goldring. Je sais que le chef d'état-major de la Défense fera une annonce aujourd'hui autour de midi concernant l'incident Matt Stopford. Je crois que lors de cette conférence de presse il répondra à de nombreuses questions qui ont été soulevées ce matin.

Le président: Merci pour cet éclaircissement.

Monsieur Goldring.

M. Peter Goldring: Est-ce qu'il appartient à votre ministère de réagir à ce genre de situation? Cela est-il de votre ressort? Quel est votre rôle?

Bgén Jerry Pitzul: Le ministre et le chef d'état-major de la Défense parleront de la réponse au rapport. Le ministère de la Justice et certains membres de mon personnel auraient fourni des conseils si on le leur avait demandé. Je suis conseiller, mais il ne m'appartient pas de réagir à ce genre de situation. C'est donc au ministre et au chef d'état-major de la Défense qu'incombe cette responsabilité.

M. Peter Goldring: Je vois.

J'ai une autre question à laquelle vous pouvez peut-être répondre. Certains ont laissé entendre qu'il existe un problème comportemental à l'égard des femmes dans les Forces canadiennes. C'est un problème qu'on a déjà signalé auparavant. Qu'est-ce qu'on entend au juste par «des changements sociaux de fond en comble au sein des Forces canadiennes» et «volonté de mettre fin aux problèmes systémiques auxquels font face les femmes»? Qu'est-ce qu'on entend au juste par ce genre de déclarations et qu'a-t-on l'intention de faire?

Bgén Jerry Pitzul: Qui a fait ces déclarations?

M. Peter Goldring: Elles auraient été faites par le juge-avocat général...

Une voix: Par l'ombudsman.

M. Peter Goldring: Pardon, par l'ombudsman. Qu'est-ce qu'on entend au juste par cela?

Bgén Jerry Pitzul: Monsieur, l'ombudsman est le seul qui pourrait vous dire ce qu'il entendait par là. Je ne vois pas comment je suis censé savoir quelles étaient ses intentions.

M. Peter Goldring: Très bien. Pour revenir à la question des accusations ou de la possibilité d'entamer une poursuite en vertu de la loi pour troubles à l'ordre et à la discipline, chefs d'accusation qu'on a envisagé de faire peser sur les auteurs de l'empoisonnement, ou de l'introduction de substances nocives dans la nourriture et les boissons, y a-t-il des raisons précises pour lesquelles on n'a pas envisagé d'autres chefs d'accusation? À titre d'exemple, je pourrais vous citer l'article 130 que j'ai sous les yeux et qui se rapporte à l'infraction d'entrave à la justice. L'article 130 porte également sur les voies de fait. Ne pouvait-on envisager d'autres chefs d'accusation? La complicité en vue de commettre un acte criminel n'aurait-elle pas pu être invoquée en vertu de l'article 130? Pourquoi n'a-t-on pas envisagé cela? Pourquoi s'être contenté d'invoquer l'article 129? Pourquoi pas d'autres chefs d'accusation...

• 1010

En d'autres mots, pourquoi avoir choisi de faire peser un chef d'accusation qui pourrait... Si les militaires en question avaient effectivement introduit des substances novices, pourquoi ne pas avoir choisi un chef d'accusation qui se rapporte à une tentative de... Après tout, ils ont tous avoué leur crime. Pourquoi n'a-t-on pas cherché dans le Code de discipline militaire des chefs d'accusation qui reflètent mieux la nature de l'infraction?

Bgén Jerry Pitzul: Il y a peut-être quelque chose qui m'échappe. Le Service national des enquêtes a fait son enquête, a reçu des conseils et a, je suppose, probablement envisagé toutes les options possibles. Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question. Je n'ai pas mené l'enquête. Je n'ai pas fourni ce conseil non plus. Les chefs d'accusation qu'ils ont envisagés...

Je puis vous dire que dans chaque enquête, on envisage tous les chefs d'accusation se rapportant à une infraction en particulier. Cela dit, je ne suis pas en mesure de vous dire si le Service national des enquêtes s'est penché sur une infraction en particulier ou non, et le cas échéant, quel a été le résultat. Je crois qu'il faudrait poser la question aux personnes compétentes, c'est-à-dire les autorités qui ont porté les accusations.

Le président: Je vous remercie, monsieur Goldring.

Monsieur Bertrand, vous êtes le prochain sur ma liste. Avez-vous d'autres questions?

M. Robert Bertrand: Oui, j'aurais quelques questions, monsieur le président.

Monsieur le brigadier-général, si un membre des Forces canadiennes est reconnu coupable et qu'il veut interjeter appel—je sais que vous avez mentionné deux ou trois organismes auxquels il peut recourir; pourriez-vous me rappeler quels sont ces organismes?

Bgén Jerry Pitzul: Vous voulez savoir quelles sont les options d'une personne qui a été reconnue coupable par une cour martiale si la poursuite décidait de faire appel?

M. Robert Bertrand: Oui.

Bgén Jerry Pitzul: Quand la poursuite, du côté de la Défense nationale, décide d'interjeter appel contre une décision de la cour martiale, l'accusé peut recevoir des conseils juridiques de la façon suivante: il peut demander un avocat de la défense militaire qui sera mis à sa disposition sans frais; il peut demander des fonds pour rémunérer son propre avocat de la défense qui le représentera lors de l'appel ou il peut faire une demande aux tribunaux pour qu'il nomme un avocat aux frais de l'État. Voilà les options dont dispose une personne qui, après avoir été déclarée coupable par une cour martiale, fait l'objet d'un appel de la part de la poursuite. Cette personne peut obtenir de l'aide, si vous voulez, pour présenter ses arguments devant la Cour d'appel de la cour martiale.

M. Robert Bertrand: Nous en entendons plus souvent parler aux tribunaux civils, car ce genre de chose est assez fréquente, mais cela se produit-il souvent dans le système de justice militaire?

Bgén Jerry Pitzul: Si vous examinez le rapport annuel, vous constaterez qu'il y a eu cinq appels, sauf erreur, interjetés devant la Cour d'appel de la cour martiale. Dans tous les cas où la poursuite interjette appel, l'accusé a ces diverses options à sa disposition. Il ne s'agit pas d'un cas unique. C'est dans tous les cas où c'est la poursuite qui interjette appel.

M. Robert Bertrand: Pour en revenir à l'affaire Stopford, nous avons lu dans les journaux qu'aucune accusation n'a été portée en raison de la loi de prescription de trois ans. Je sais que des modifications ont été apportées à la Loi sur la Défense nationale—en 1988, si je ne m'abuse—de sorte que dorénavant, ces problèmes ne seront pas traités de la même façon. Est-ce exact?

Bgén Jerry Pitzul: C'est exact, monsieur. La période de prescription a été levée et il n'y a donc plus de limite relativement aux infractions commises par des personnes assujetties au Code de discipline militaire, y compris les membres des Forces canadiennes.

M. Robert Bertrand: Très bien.

Le président: Madame Longfield, il reste deux minutes à M. Bertrand. Je pourrai vous redonner la parole, si vous le désirez, mais souhaitez-vous utiliser ces deux minutes?

Mme Judi Longfield (Whitby—Ajax, Lib.): Je préfère que vous me donniez la parole plus tard.

Le président: Très bien. Vous pouvez commencer par ces deux minutes et poursuivre ensuite.

Mme Judi Longfield: Très bien.

Vous avez parlé d'un programme substitutif de règlement des différends en disant que le résultat était satisfaisant à ce chapitre. Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet de ce programme, je vous prie?

Bgén Jerry Pitzul: Quelques mots seulement, puisque c'est M. Peter Stern... Il y a un directeur général du mode substitutif de règlement des différends. Il a un bureau. En fait, c'est plus qu'un bureau. Il a un bureau, un personnel et un programme mis en «uvre au sein des Forces canadiennes. Les gens, tant les surveillants que les employés, qui ont des problèmes de communication—ou même les directeurs qui ont ce genre de problème—peuvent s'adresser à lui pour lui exposer le problème et dire qu'ils aimeraient participer à un mode substitutif de règlement des différends. Ils peuvent demander de l'aide.

• 1015

Ce bureau a pour rôle d'expliquer à tous les membres des Forces qui demandent de l'aide ce qu'il faut faire pour déterminer un objectif satisfaisant pour les deux parties; en d'autres termes, il leur explique que le problème doit être résolu et quelles sont les mesures à prendre à cette fin, qu'il s'agisse de discuter chacun de son côté puis de se réunir et de discuter d'un point à la fois, ou d'un ensemble de questions, etc. Ce processus me paraît fascinant et d'après ce que je sais, il donne d'excellents résultats.

Nous avons eu deux occasions de l'utiliser dans notre bureau et les résultats ont été extrêmement positifs, tant pour la direction que pour les employés en cause. Je ne peux rien dire de plus compte tenu de mon expérience personnelle de ce processus, qui est très efficace.

Mme Judi Longfield: Depuis quand ce programme est-il en vigueur?

Bgén Jerry Pitzul: Je suis de retour au ministère depuis le début de l'été 1998 et le programme a été mis en «uvre peu de temps après, je dirais dans les six mois, mais je peux me tromper.

Mme Judi Longfield: Avez-vous une idée du nombre de cas qui ont été réglés de cette façon?

Bgén Jerry Pitzul: Non. Il faudra poser la question au directeur général. Je pense toutefois que le nombre de cas augmente car il semble très occupé et il est plus difficile de communiquer avec lui lorsqu'on a un problème.

Le président: Merci. Je reviendrai...

Bgén Jerry Pitzul: Puis-je ajouter un mot au sujet de la loi de prescription?

Le président: Bien sûr.

Bgén Jerry Pitzul: La loi a été modifiée de façon à supprimer la période de prescription de trois ans, mais la loi prévoit également que s'il y a une période de prescription prévue dans une autre loi... Il faut comprendre que la Loi sur la Défense nationale englobe toutes les infractions visées par le Code criminel, de sorte que s'il y a une infraction punissable par procédure sommaire à laquelle s'applique une période de prescription déjà prévue dans le Code criminel, la Loi sur la Défense nationale doit respecter cette prescription.

Le président: Merci.

[Français]

Monsieur Mercier, vous n'avez pas de questions?

[Traduction]

Nous revenons maintenant à Mme Longfield.

Mme Judi Longfield: La direction du contentieux militaire renvoie-t-elle des gens au programme de M. Stern?

Bgén Jerry Pitzul: Tous les membres des Forces canadiennes et tous les employés du ministère ont accès à ce programme.

Mme Judi Longfield: Je sais qu'il est difficile de répondre pour le ministère de quelqu'un d'autre, mais ce processus est-il également ouvert à l'ombudsman? À votre connaissance, y a-t-il eu collaboration entre les deux?

Bgén Jerry Pitzul: Je crois que oui. D'après mes renseignements... Écoutez, son programme est à la disposition de tous les fonctionnaires du ministère et des membres des Forces canadiennes. C'est pourquoi je ne vois pas pourquoi l'ombudsman, s'il le souhaite, ne pourrait pas collaborer avec cette direction générale. C'est une hypothèse, mais je pense qu'il le ferait.

Mme Judi Longfield: Très bien.

Ma dernière question, et il va être très difficile d'y répondre: comment pouvons-nous, selon vous, atténuer les tensions évidentes—qui frisent parfois l'animosité—existant entre la direction du contentieux et le bureau de l'ombudsman? Si vous pouviez mettre en vigueur trois mesures qui permettent d'atteindre ce but, quelles seraient-elles?

Bgén Jerry Pitzul: Il y a la question de la définition du mandat. D'après les quelques contacts que nous avons avec eux, je ne pense pas que cela pose de problème. Nous sommes là pour collaborer avec tous les...

Écoutez, il y a un certain nombre d'instances, et nous ne collaborons pas uniquement avec l'ombudsman. Nous travaillons également de concert avec le Comité de révision des griefs des Forces canadiennes, la Commission des plaintes relatives à la police militaire, la Commission canadienne des droits de la personne, le vérificateur général, le commissaire à la protection de la vie privée, et le commissaire à l'accès à l'information—dans mon secteur, nous n'avons pas de rapports avec ces deux derniers car c'est le ministère de la Justice qui traite avec eux, mais nous travaillons avec tous ces organes de surveillance, si je peux les appeler ainsi, de même qu'avec les tribunaux. Il existe une collaboration, dans la mesure du possible, entre conseillers juridiques.

Nous avons des obligations professionnelles aux termes de la loi, et je suppose que c'est la question du mandat que le ministre a été appelé à examiner par rapport à tous les problèmes dont j'ai parlé, qui concernent non seulement les avocats militaires mais aussi tous les avocats du gouvernement.

Mme Judi Longfield: Est-ce que cela n'est pas aussi tout simplement lié aux attentes des personnes qui vont voir l'ombudsman, et qui pensent pour une raison ou une autre avoir épuisé toutes les autres possibilités juridiques, et qui considèrent l'ombudsman comme une solution miracle susceptible de résoudre d'un seul coup tous les problèmes en suspens?

• 1020

Bgén Jerry Pitzul: Je ne peux pas parler pour l'ombudsman ou son bureau, mais chaque fois que nous créons un bureau, chaque fois que nous apportons des modifications comme la réforme du système de justice militaire, nous créons des attentes. Mme Wayne a déjà parlé du comportement décrit lors de l'enquête du SNE que, elle et moi, trouvons absolument inadmissible. Toutefois, il y a les réformes, il y a les institutions en place et nous devons les laisser faire leur travail. C'est mon point de vue.

Je sais que chaque fois que nous comparaissons devant un comité pour lui dire que nous avons crée tel ou tel instrument miracle qui va nous permettre de régler tous nos problèmes, nous donnons des espoirs. Mais ce n'est pas ainsi que cela se passe: nous devons travailler avec ces instruments et faire en sorte qu'ils deviennent productifs.

Les amendements à la Loi sur la défense nationale remontent à six ou huit mois dans le cas des réformes. Vous allez lire le rapport annuel. C'est la première fois au Canada que nous décrivons comment fonctionne notre système. Il faut du temps pour réformer tout le système afin que tout fonctionne bien. Je sais qu'il y en a qui aimeraient que les choses se fassent plus vite, mais il faut du temps. Je dirais donc qu'il est tout à fait normal que les gens soient dans l'expectative.

Le vice-président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): Vous n'avez pas d'autres questions, madame Longfield?

Monsieur Earle, c'est à vous.

M. Gordon Earle: Merci, monsieur le président.

Le vice-président (M. David Pratt): Vous avez cinq minutes.

M. Gordon Earle: C'est bon, je vous remercie.

Il y a presque un an de cela, je me suis entretenu avec un membres des forces armées. Nous discutions lui et moi à bâtons rompus, sans formalisme lors d'une réception, et il m'a signalé deux secteurs de préoccupation: le système de santé d'une part et le système judiciaire militaire, la cour martiale, d'autre part.

Il estimait essentiellement que dès lors qu'on entre dans les forces armées, on perd tous les droits qu'on a normalement lorsqu'on est citoyen canadien, et il n'a pas mâché ses mots à propos du système judiciaire. Il m'a dit que la procédure en cour martiale faisait ressembler celle-ci à un tribunal fantoche. Il m'a dit qu'il n'était pas le seul à penser cela, et que cette opinion était largement partagée par la troupe et par les gradés, en ce sens que dès lors qu'un militaire se trouve dans une situation difficile, il est jugé par des gens qui appartiennent à la chaîne de commandement.

J'ai remarqué que, dans votre rapport, vous mentionnez rapidement les catégories de cour martiale en disant essentiellement qu'il y en a quatre. Vous pourriez peut-être être un peu plus précis en nous indiquant par exemple les différents types de cour martiale. Je constate que vous parlez également de certaines réformes à apporter au système de cour martiale dans les forces armées afin précisément d'apporter une solution à ce genre de problème, et j'entends par là le fait que mon interlocuteur jugeait que c'était un système de second ordre. Vous pourriez peut-être vous étendre un peu sur ces quelques éléments.

Bgén Jerry Pitzul: Je voudrais pour commencer, monsieur Earle, vous signaler une excellente petite brochure que nous avons publiée au début du printemps sous le titre Le Code de discipline militaire et moi. Cette brochure décrit en quelque sorte le droit à ces obligations en vertu du Code de discipline militaire et donne quelques explications. Nous en avons tiré un nombre suffisant pour tous les membres des forces armées et nous l'avons fait distribuer. Il y a également le rapport annuel qui décrit le système dans son intégralité.

Il s'agit en l'occurrence d'un système à deux paliers. Il y a le palier des cours martiales et le palier sommaire. Le palier sommaire est destiné à régler les cas mineurs de transgression de la discipline militaire. Les cours martiales par contre ont pour but de juger les affaires plus criminelles. Nous avons une magistrature indépendante, un service de poursuite indépendant et un service de défense qui l'est également.

Les changements apportés devaient précisément affirmer ces rôles en les rendant indépendants. S'agissant du processus sommaire, nous avons rétréci le champ de compétence afin que ce processus ne soit pas nécessairement utilisé pour tous les types de délits. Seul un tout petit nombre de délits et d'infractions peuvent être jugés dans le cadre du système sommaire. Nous avons également réduit les pouvoirs en matière de peine. Si l'intéressé estime que le système sommaire ne le satisfait pas, il peut désormais demander à passer en cour martiale. Si vous avez jamais assisté à une cour martiale ou si vous avez eu un avocat qui a eu à plaider devant une cour martiale, vous aurez une optique très différente de celle que votre entretien isolé aurait pu vous révéler.

C'est donc un effort qui a été fait. Ce que je veux dire par là, c'est qu'aucun accusé n'affectionne particulièrement le système devant lequel il doit comparaître. Il faut donc essayer de convaincre énormément de gens qui n'ont pas vu comment le système fonctionne, qui n'ont pas constaté les résultats du système, que ce dernier est juste et équitable. Mais moi qui ai été procureur, qui ai été avocat de la défense et qui ai été juge, je puis vous dire que c'est un système auquel je ferais entièrement confiance. Pour moi, c'est cela la preuve. Est-ce que ma conduite à moi pourrait être jugée en toute équité par ce système?

• 1025

M. Gordon Earle: Pour en revenir à la question de la charge de protecteur du citoyen, avez-vous déjà rencontré l'ombudsman en tête-à-tête pour discuter avec lui de vos rôles respectifs et des possibilités qu'il y aurait d'améliorer la coopération entre les deux bureaux?

Bgén Jerry Pitzul: Le 25 avril, très peu de temps donc avant qu'il viennent témoigner devant vous, je l'ai invité à déjeuner. Il s'est fait accompagner par un de ses collaborateurs et il a fait un exposé. Il avait réuni tous les avocats qui étaient disponibles à Ottawa ainsi que les membres du personnel civil de notre bureau. Nous nous sommes donc tous réunis et nous l'avons entendu nous expliquer le mode de fonctionnement de son bureau. Il nous a fait le survol de son système de gestion de dossiers, un système qui pourrait probablement être modifié pour pouvoir être utilisé ailleurs, ce qui nous intéressait donc au premier chef. Nous lui avons demandé sans ambages s'il y avait des problèmes, et il nous a répondu que non.

Par contre, lorsque nous avons entendu son témoignage devant vous le 9 mai, je dois vous avouer que j'ai été fort surpris.

M. Gordon Earle: Je sais ce qui, pour moi, donne de bons résultats pour une fonction d'ombudsman. Si j'avais des problèmes avec un ministère, j'irais en parler personnellement au ministre, face à face... sans me fier au genre d'exposé officiel dont vous venez de nous parler, mais je pensais plutôt en vous posant ma question à vos rapports avec l'ombudsman. Avez-vous essayé de vous rencontrer en privé, rien que vous et lui, pour avoir une bonne discussion bien franche à propos de ce que vous pourriez faire pour améliorer la communication? L'avez-vous fait?

Bgén Jerry Pitzul: Jusqu'à présent, cela s'est fait au niveau du ministre. Toutes les réunions ont eu lieu en présence de tiers. Lorsque vous me demandez si nous nous sommes vus en privé, je dois vous répondre non. Avons-nous eu des entretiens? Oui, mais toujours en présence de tiers.

Le président: Merci, monsieur Earle.

C'est mon nom qui est le suivant sur la liste, à moins que d'autres collègues de notre côté veuillent intervenir.

Fort bien. Je ne quitterai pas le fauteuil de président sauf si le comité le demande. J'ai moi une simple demande d'éclaircissement, qui découle un peu de la dernière question posée par M. Earle et aussi de ce qu'a dit mon collègue M. Proud.

Ce qui me préoccupe, c'est qu'au moment même où nous constatons un revirement d'opinion majeur de la part de la population à l'endroit des forces armées, et un revirement dans la bonne direction, comme nous le signalent les sondages, vous le savez sans doute, il y a des cas regrettables comme celui-là qui sont venus retenir l'attention des médias.

Général, vous le savez sans doute, notre comité fonctionne presque sans aucun parti pris politique dans l'intérêt des forces armées du Canada. Je suis donc vraiment inquiet de constater qu'alors même que la population semble changer d'attitude pour le mieux, ce qui est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles nous parvenons à obtenir davantage de crédits pour la défense, il nous en faut encore plus—nous commençons à avoir vent de certains cas comme celui-là.

C'est un long préambule pour une question, et je partage le sentiment de M. Proud qui fait état du malaise, voire de la méfiance, qui règne dans la population à propos de tout ce qui se passe dans les forces armées, de la façon dont on en traite, de la façon dont on poursuit les infractions et de la façon dont la justice y est rendue.

Pour revenir donc à ce que M. Proud faisait valoir, je suis complètement interloqué d'entendre un fonctionnaire nous dire que 148 dossiers lui ont causé problème et de vous entendre dire, vous, qu'il n'y en a eu que huit dont six ont été réglés.

Si l'ombudsman et vous ne vous êtes pas rencontrés seul à seul pour discuter de cette divergence de vues, comment pouvez-vous nous promettre de le faire très prochainement? Pouvons-nous vous demander de prendre l'initiative et d'aller lui parler de cette différence d'opinion, en tête-à-tête, puis de venir faire rapport au comité dans les meilleurs délais? Est-ce une demande raisonnable?

Bgén Jerry Pitzul: Je pourrais en saisir le ministre, parce qu'il a lancé son propre examen, je pourrais assurément l'en saisir et prendre mes ordres de lui.

Le président: C'est donc cela que vous devez faire? Vous devez en saisir le ministre. Fort bien. Je n'ai aucune objection à ce que le ministre intervienne, parce que je sais à quel point il vous appuie ainsi que l'ombudsman.

C'est ce que nous vous prions donc de faire. Il s'agit en effet d'une grosse différence que nous ne comprenons pas et nous aimerions avoir des éclaircissements.

Bgén Jerry Pitzul: Monsieur le président, je ne comprends pas moi-même.

Le président: D'accord, essayons donc de savoir ce qu'il en est vraiment.

Je vous remercie.

C'est maintenant le tour de Mme Wayne.

Mme Elsie Wayne: Comme notre président vient de le dire, notre comité fonctionne, dirais-je, sans a priori politiques. Nous ne travaillons pas ici à partir de positions politiques lorsque nous traitons des forces armées.

Mais lorsque j'entends votre réponse, monsieur, suite à ce que le président vient de dire... vous devez en saisir le ministre? C'est vous qui représentez les forces armées. Nous sommes les politiciens et je pense, bon sang, que vous devez prendre des décisions, monsieur. C'est ce que vous faites. C'est ce que vous devez faire.

• 1030

J'ai énormément de respect pour ces deux beaux jeunes gens qui sont assis à vos côtés. Je ne veux pas que l'image de nos forces armées soit ternie, pas plus d'ailleurs que mes collègues, mais il est certain que ces deux cas, Stopford et Nickson, ont été préjudiciables. Cela ne fait aucun doute. Beaucoup plus préjudiciables que tout ce que nous avons connu jusqu'à présent.

Comme vous le disait notre président, nous essayons tous autant que nous sommes de renverser la vapeur parce que nous savons que nos soldats ne peuvent pas venir défiler ici avec des pancartes comme tous les autres groupes peuvent le faire, et que, bon sang, ils ne peuvent pas venir manifester sur la colline. C'est nous qui devons être leurs porte—parole, et c'est ce que nous essayons de faire. Nous le faisons sans parti pris politique.

Je persiste à dire que dans ce cas-ci, il aurait dû y avoir une enquête publique, et j'aimerais vous l'entendre dire. Cela vous sauverait la mise, cela sauverait la mise de tout le monde... et il n'y aurait plus aucune connotation politique dans tout cela.

Je ne comprends pas pourquoi vous ne pouvez pas me dire si c'est votre avis ou non. Vous devez commencer par en saisir le ministre avant de pouvoir dire quoi que ce soit.

Je ne vais pas aller clamer que le brigadier-général est venu nous dire oui, je pense que c'est cela qu'il faut faire. Je pense simplement qu'il est temps de prendre position et d'évacuer la foutue politique de tout ce dossier des forces armées.

J'aimerais donc savoir si, à votre avis, il devrait oui ou non y avoir une enquête publique dans ce dossier.

Le président: Il faut que vous précisiez la nature de vos rapports avec le ministre.

Bgén Jerry Pitzul: C'est la loi qui définit mes rapports avec le ministre. Je suis son conseiller juridique pour tout ce qui concerne le droit militaire. Décider s'il doit ou non y avoir une enquête publique ou décider de quelle manière le gouvernement doit répondre aux résultats d'une enquête, c'est la prérogative du ministre.

Je porte cet uniforme, de sorte qu'en séparant certains éléments des forces armées d'autres éléments des forces armées... dans mon cas, je porte toujours l'uniforme. Si, par conséquent, quelque chose vient ternir les forces armées, le ministère, le gouvernement, le pays, c'est mon problème.

Nos responsabilités sont définies par la loi. Le ministre, tout comme le CÉMD, est responsable du dossier en question; c'est à eux qu'il incombe de décider de quelle façon le gouvernement va réagir aux résultats de l'enquête. C'est cela mon devoir.

Le président: Madame Wayne, je ne me souviens pas si vous étiez là lorsque le secrétaire parlementaire a signalé que, vers midi aujourd'hui, le ministre et le CÉMD vont faire une annonce concernant l'affaire Stopford et la façon dont le gouvernement va procéder.

Tout en partageant le sentiment de ma collègue, je pense que nous pouvons tous dire ici que nous sommes entièrement favorables à ce que, comme cela se passe dans toutes les autres démocraties aussi, le contrôle des forces armées appartienne en fin de compte aux élus, en l'occurrence le ministre de la Défense nationale et ses collègues. En dernière analyse donc, c'est le ministre auquel nous devons poser ces questions.

Mme Elsie Wayne: Pour moi, il n'y a aucun doute. Comme vous le savez, j'ai déjà interpellé le ministre hier et je ne manquerai pas de recommencer.

Je voulais demander au brigadier-général s'il est d'accord en principe pour dire que c'est ce que le ministre devrait faire.

Le président: Qui se risquerait à dire que la question comme la réponse risquent de compromettre une carrière?

Des voix: Oh, oh!

Bgén Jerry Pitzul: Monsieur O'Brien, j'aimerais répondre en ces termes: la question de risquer ma carrière, pour moi, ne se pose même pas. J'ai été juge, j'ai agi avec indépendance et impartialité, et j'ai agi de cette façon en tant que directeur de la division des procureurs de la Couronne de la Nouvelle-Écosse.

Je vous dirai sous serment que, professionnellement, j'ai l'obligation de conseiller le ministre, de ne pas me prononcer publiquement, et c'est cela que je vais faire. Cela fait partie du système auquel nous appartenons tous. Monsieur le président, cela n'a rien à voir avec ma carrière. En fait de carrière, c'est ce que je viens de vous dire et rien d'autre.

Le président: Je vous remercie pour cette réponse. Nous comprenons fort bien, mais il y a néanmoins des membres du comité qui savent pertinemment bien que dans certains cas, cela compromettrait une carrière.

Voilà donc qui termine le deuxième tour de questions. Il nous reste encore un peu de temps, et je crois que deux membres voudraient encore poser des questions, de sorte que nous allons entamer le troisième tour, en commençant par M. Goldring.

M. Peter Goldring: Général, je constate que le rapport déclare que l'ombudsman est la créature du ministre, qu'il est un représentant de celui-ci.

Lorsque j'étais dernièrement en Hollande, j'ai cru comprendre que dans ce pays, l'ombudsman était un officier de carrière et qu'il en était également de même dans d'autres pays.

• 1035

Je voudrais donc vous demander, j'imagine, si ce ne serait pas une façon tout à fait normale ou plus appropriée de faire en sorte que l'ombudsman qui représente les forces armées soit issu de celle-ci? L'ombudsman serait un officier d'état-major qui aurait le respect des troupes, qui serait proche de la réalité opérationnelle et qui saurait donc à quoi ressemble la vie dans les forces armées.

Par ailleurs, si le rapport d'enquête avait été examiné par le bureau de l'ombudsman, ce dernier aurait pu faire des suggestions sur la façon de le rédiger afin qu'il ne jette pas inutilement le discrédit sur les forces armées. En d'autres termes, un membre des forces armées aurait pu comprendre que le rapport aurait un impact sur tous les militaires, partout au Canada, et donc qu'il était inutile de le formuler de cette façon. Ne serait-il pas préférable d'avoir un haut gradé, respecté par tous, pour occuper cette charge d'ombudsman dans les forces armées?

Le président: Brigadier-général, vous donnez beaucoup plus de latitude à ceux qui vous interrogent que je ne le ferais moi si j'étais à votre place. Il s'agit manifestement de questions à caractère politique, mais si vous voulez y répondre, je ne vous en empêche pas.

Bgén Jerry Pitzul: Je préconise un système de justice militaire à la fois ouvert et transparent. Vous l'aurez peut-être remarqué, je n'esquive jamais les questions.

Le président: C'est tout à votre honneur.

Bgén Jerry Pitzul: Je pense que chaque pays quel qu'il soit doit réfléchir à la façon dont il contrôle ses forces armées comme il le juge bon, dans un cadre sociétal et, du moins il faut l'espérer, dans son cadre démocratique propre, selon le cas.

Je ne connais pas ce système dont vous parlez qui possède un ombudsman militaire. Peut-être cette solution fonctionne-t-elle dans le contexte propre à ce pays-là.

S'agissant du rapport dont vous parlez, j'imagine que c'est le rapport du Service national des enquêtes qui a été déposé hier. Il s'agit d'un rapport de la police militaire et je ne suis pas certain que vous vouliez vraiment qu'un rapport de ce genre puisse ainsi être soumis à une autorité différente. J'ai donc un peu de mal à comprendre votre question. C'est la police qui décide comment et de quelle façon elle rend publics certains renseignements.

M. Peter Goldring: C'était davantage avec l'intention que vous puissiez vous-même publier un rapport. Si un rapport est écrit de telle façon qu'on ne puisse... ou alors de rendre le rapport plus clair. Si nos militaires, qui sont fiers de l'être, lisent eux-mêmes ce rapport et se sentent interpellés par ce qu'il contient, je suis convaincu qu'ils aimeraient que le rapport soit beaucoup plus détaillé afin qu'il s'adresse clairement aux coupables plutôt que de porter préjudice à toutes les forces armées. Je suis convaincu que ce genre de choses aurait été relevé.

Bgén Jerry Pitzul: Je pense que votre question devrait être posée à ceux qui ont publié le rapport. Je ne suis pas en mesure... Comprenez-moi bien, je ne contrôle pas la police. Je n'ai aucun rôle à cet égard, si ce n'est en ce qui concerne l'incidence de la police sur notre système judiciaire.

M. Peter Goldring: Je vous repose donc ma première question. Pourquoi l'ombudsman ne fait-il pas partie des forces armées alors même qu'il représente les militaires?

Bgén Jerry Pitzul: C'est le choix qui a été fait par le gouvernement, monsieur, et je n'ai aucun...

M. Peter Goldring: Pensez-vous qu'il soit logique que ce soit un militaire qui représente les militaires?

Bgén Jerry Pitzul: Je pense que la description prescrit ce qu'un ombudsman doit avoir comme caractéristiques et comme mandat, celui d'un médiateur ou d'un observateur neutre, d'un rapporteur... pour le règlement des différends au palier le plus bas possible, je pense que cela décrit bien ce qu'un ombudsman doit être dans les forces armées. Que ces personnes soient ou non en uniforme, il ne m'appartient pas d'en juger. Il faudrait que j'y réfléchisse. Je n'y ai pas vraiment réfléchi. J'imagine que ce serait une possibilité.

[Français]

Le président: Monsieur Bertrand, s'il vous plaît.

M. Robert Bertrand: Général, j'aimerais vous lire une partie du témoignage de l'ombudsman lorsqu'il a comparu devant nous au mois de mai et par la suite entendre vos commentaires. Il disait:

    En vertu de la Loi sur la défense nationale, la surveillance de la justice militaire incombe au juge-avocat général. Il s'agit là d'un important rôle statutaire qui ne doit pas être compromis. Cela dit, rien ne justifie que ce rôle serve à faire en sorte que les personnes qui exercent la fonction de conseiller juridique puissent échapper à l'examen de l'ombudsman ou se défiler du devoir de coopérer avec ce dernier dans la conduite de ses enquêtes.

• 1040

M. Goldring nous a parlé tout à l'heure des ombudsmans dans différents autres pays. Savez-vous si dans d'autres pays, les ombudsmans ont un second droit de regard? Je n'ai pas bien compris si vous faisiez allusion à des décisions relatives à la justice militaire.

Bgén Jerry Pitzul: Selon les renseignements dont je dispose, aucun autre pays ne leur confère un tel droit. Vous pourriez peut-être poser cette question à l'ombudsman lui-même, mais à ce que je sache, nos alliés ne permettent pas une telle chose. Il y aurait évidemment une ingérence au sein du système de justice et il faudrait définir les paramètres d'une telle intervention.

Nous avons créé un système dans le cadre duquel les juges sont indépendants. Ils font partie d'une unité distincte au sein des forces et leur salaire provient d'une autre source. Ils ne font partie de la chaîne de commandement. Ils sont nommés par le Cabinet, qui leur confie un mandat d'une durée déterminée qui peut être renouvelé. Nous sommes donc devenus des juges indépendants.

Nous nous sommes inspirés de modèles adoptés en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Angleterre et en Nouvelle-Écosse, et avons créé un système où le procureur en chef agit de façon indépendante face au système, quoiqu'il y soit redevable. Une décision que rend le procureur en chef ne peut être renversée que par le juge-avocat général ou le ministre, qui consignera par écrit et publiera la nouvelle décision. Il y a donc transparence dans le système. Si le juge-avocat général ou le ministre n'est pas prêt à prendre de telles mesures, la décision rendue par le procureur en chef, le directeur des poursuites militaires, sera maintenue.

Nous pouvons donner des instructions générales aux avocats de la défense et les conseiller en matière de politique et du nombre de personnes que leur cabinet devrait compter, mais nous n'avons aucunement le droit de nous ingérer dans le cheminement d'une cause individuelle.

Neuf des dix provinces canadiennes respectent des dispositions semblables au sujet des ombudsmans.

[Traduction]

En Ontario, la loi dit ceci:

    14.(4) La présente loi ne donne aucunement à l'ombudsman le pouvoir de faire enquête sur une décision, recommandation, action ou omission,

    b) de quiconque agissant en tant que conseiller juridique ou avocat de la Couronne dans le cadre d'une procédure judiciaire.

Pour ce qui est du système judiciaire, la loi dit ceci:

    13. La présente Loi ne s'applique pas,

    a) aux juges ou aux fonctions d'une cour ou d'un tribunal;

[Français]

Ces dispositions s'appliquent à des ombudsmans de l'État et non pas à des ombudsmans au sein d'une organisation. Il va sans dire que si nous indiquions que l'ombudsman a le droit de s'y ingérer, il y aurait matière à contestation judiciaire.

M. Robert Bertrand: Merci. C'est à cela que je voulais en venir, général. Je comprends ce que l'ombudsman veut faire. Si j'étais à sa place, je dirais probablement la même chose. Comme vous l'avez très bien mentionné, des problèmes se poseraient si on rendait une décision à laquelle s'opposerait l'ombudsman et il existerait un danger qu'il vienne s'ingérer dans le système judiciaire militaire.

Bgén Jerry Pitzul: N'oublions cependant pas qu'un individu devrait pouvoir exercer sa discrétion sans que soit exercée une influence indue. On pourrait dire que le rôle de l'ombudsman se limite à formuler des recommandations et qu'il n'a pas le droit de prendre quelque décision. Je vous rappelle que ma présence ici aujourd'hui fait suite à la comparution de l'ombudsman. Je crois que son pouvoir ne se limite pas à la formulation de recommandations, qu'il est beaucoup plus étendu.

M. Robert Bertrand: Merci beaucoup, général.

Le président: Monsieur Mercier, avez-vous une question?

[Traduction]

M. Paul Mercier: Pas encore.

Le président: Monsieur Earle.

M. Gordon Earle: Merci, monsieur le président.

Pour commencer, je voudrais répondre très brièvement à ce qu'a dit mon collègue M. Goldring au sujet de la question de savoir si l'ombudsman devrait ou non être militaire. Je dirais personnellement qu'en ce qui me concerne, le plus important pour un ombudsman est son mandat ainsi que la chaîne de responsabilité dont il fait partie. Je l'ai déjà dit, le gouvernement fédéral a besoin, à mon avis, d'un système fédéral de protecteurs du citoyen qui seraient responsables devant le Parlement. L'ombudsman militaire pourrait en faire partie, tout comme tous les autres protecteurs du citoyen qui existent dans le cadre du gouvernement fédéral.

L'élément le plus important est donc le mandat. Que l'ombudsman en question soit ou non un militaire est une considération secondaire. Le facteur le plus crucial est l'intégrité de la personne, peu importe qu'elle soit ou non en uniforme.

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Cela étant dit, il faut toujours être prudent lorsqu'on nomme quelqu'un issu du milieu dans lequel il doit faire enquête, étant donné que la perception est aussi importante que la réalité. C'est toute cette notion qui veut que non seulement justice doit être faite, elle doit également donner l'impression d'être faite. Non seulement l'ombudsman doit être juste, il faut également qu'il donne l'impression de l'être.

Le public ferait moins confiance à un militaire qui serait appelé à faire enquête dans le domaine militaire, peu importe l'intégrité de la personne en question, peu importe également qu'il fasse bien son travail. La personne en question se trouve donc ainsi défavorisée d'entrée de jeu.

Un bon exemple de cela nous est donné par la province de Terre-Neuve. Le protecteur du citoyen, qui a été nommé pour rendre compte devant l'Assemblée législative de Terre-Neuve, était un ancien personnage politique, un ancien député. Il faut que le protecteur du citoyen soit perçu comme apolitique, impartial et objectif. Ainsi, après avoir assumé sa charge pendant plusieurs années, le gouvernement ayant changé, la charge a été abolie même si elle avait produit de bons résultats et si le titulaire avait tout fait pour perdre toute affiliation politique, même s'il avait fait un excellent travail. Étant issu d'un parti politique différent, le gouvernement s'est débarrassé de l'ombudsman. Il considérait en effet que celui-ci était sous influence politique. Mais au lieu de le remplacer par quelqu'un d'autre, le gouvernement a simplement aboli sa charge.

Voilà le danger qu'on court lorsqu'on nomme un militaire pour faire enquête dans le domaine militaire.

Ma question suivante portera sur un sujet différent. Vous avez mentionné dans votre exposé que le service du contentieux militaire était intervenu lors du conflit au Kosovo. Quelles sont les questions dont votre service s'est fait saisir pendant ce conflit? Je sais qu'ici même, au Parlement, nous nous sommes interrogés sur la légalité même de l'opération, en nous demandant si elle avait bien reçu la sanction des Nations Unies, etc. Après coup, il avait même été question que le Canada pût être accusé de crimes de guerre étant donné que nos avions avaient procédé à des bombardements.

De quels genres de dossiers votre service a-t-il dû s'occuper au Kosovo? Ici encore, je ne vous demande pas une liste d'information sur vos clients, mais en règle générale, sur quoi avez-vous été appelé à fournir des conseils?

Bgén Jerry Pitzul: Il y a évidemment les poursuites concernant les raids aériens sur le Kosovo dans lesquelles le gouvernement est impliqué, de sorte que ce que je puis vous dire ici est assez limité. Mais le genre de choses dans lesquelles les avocats des forces armées interviennent dans le cas des opérations militaires régies par certaines règles d'engagement... Je m'occupe de l'application d'un accord sur le statut des forces d'intervention. Je m'occupe des achats, des contrats et des baux sur place et je conseille le haut commandement dans le cas des dossiers disciplinaires qui intéressent l'unité en déploiement. Les avocats des forces armées sont donc affairés à fournir une foule de conseils juridiques dans le cadre des opérations.

Avec le temps, les demandes de services juridiques vont en se multipliant. Ainsi, en Bosnie, un avocat de la Défense nationale a participé à la négociation du bail du terrain sur lequel le camp a été installé. Il a fallu apparemment négocier avec plusieurs parties. Selon l'origine ethnique et la culture des collectivités dans lesquelles les Forces canadiennes sont appelées à intervenir, certains milieux préfèrent négocier par tierce partie interposée plutôt que d'avoir à négocier face à face. On utilise souvent des avocats pour le faire. Nous avons également à nous occuper de questions relevant de l'application du droit en période de conflit armé, du droit international, des conventions de La Haye, et ainsi de suite.

M. Gordon Earle: Ces avocats sont donc en poste sur place.

Bgén Jerry Pitzul: En effet. Leur chaîne de commandement, si vous me permettez l'expression, est celle du juge-avocat général, de sorte que ces avocats communiquent directement avec Ottawa sans passer par la chaîne de commandement militaire locale. Ils font fonction de conseillers auprès de la chaîne de commandement militaire.

M. Gordon Earle: Je vous remercie.

Le président: Votre dernière question, madame Wayne.

Mme Elsie Wayne: Je voudrais vous poser une question, monsieur, qui n'a rien à voir avec l'affaire Stopford et Nickson. Puisque vous avez été à la fois avocat et juge, ne convenez-vous pas qu'en principe, une enquête publique est un moyen utile à utiliser lorsqu'on veut procéder à une enquête équitable et approfondie?

Bgén Jerry Pitzul: De la même façon qu'un tribunal, qu'un tribunal administratif ou que tout autre parmi les nombreux moyens qu'un organisme enquêteur peut utiliser. Une enquête publique est un de ces moyens, et le seul moyen qui semble avoir été écarté est le recours au droit pénal ou au droit disciplinaire dans cette affaire en particulier. Tous les autres outils que permet le droit sont toujours apparemment utilisables.

Le président: Je vous remercie.

Mme Elsie Wayne: Je pense qu'il devrait plutôt se lancer en politique.

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J'aurais une dernière petite question.

Le président: Je vous en prie.

Mme Elsie Wayne: Si j'étais dans vos souliers, monsieur, le fait que 148 personnes se sont adressées à l'ombudsman me préoccuperait beaucoup. Je me poserais des questions à ce sujet et je conduirais une enquête approfondie pour découvrir ce qui cloche dans le système dont vous parlez, à tel point que ces gens ont préféré ne pas l'utiliser.

Bgén Jerry Pitzul: Si des gens se sont adressés à l'ombudsman, cela ne signifie peut-être pas nécessairement qu'il y ait quelque chose qui cloche, tant et aussi longtemps qu'ils peuvent avoir recours à l'ombudsman et obtenir satisfaction. Le seul fait de s'adresser à l'ombudsman n'est pas nécessairement le signe que le système ne fonctionne pas. L'ombudsman est là pour aider les gars. Il est également là pour moi.

Si j'ai le sentiment que quelqu'un me fait la sourde oreille—que les gens de la paie ne veulent pas me donner ma solde pour une raison ou une autre et que je ne parvienne pas du tout à obtenir gain de cause—moi aussi je pourrais m'adresser à l'ombudsman. Celui-ci me dirait peut-être que c'est que je ne me suis pas adressé au bon service et que je devrais plutôt téléphoner à un autre numéro. Voilà ce à quoi peut fort bien servir cette formule.

Mme Elsie Wayne: Je peux fort bien le comprendre.

Bgén Jerry Pitzul: Mais je ne vais pas me lancer dans une enquête sur l'ombudsman.

Mme Elsie Wayne: Non.

Bgén Jerry Pitzul: Je n'ai pas ce mandat. Nous n'avons pas d'enquêteur. Nous avons des avocats. Je comprends ce que vous dites.

Mme Elsie Wayne: Si vous aviez entendu ce que ces femmes m'ont dit, ces femmes qui avaient été agressées sexuellement, à Montréal, et qui pleuraient en me racontant cela, je peux vous dire... Personne ne voulait les aider. Personne ne voulait les écouter. Je ne pouvais croire que cela s'était produit au sein de nos forces armées. Il n'y avait personne à qui elles puissent s'adresser.

C'est une grave lacune de notre système qu'il faut absolument combler. Je vous le dis sincèrement. Je vous le dis sans broncher, parce que j'estime qu'il faut faire en sorte que ces injustices ne se reproduisent pas. Il faut faire quelque chose.

Bgén Jerry Pitzul: Je vous remercie de votre question, et je veux que vous sachiez que je suis d'accord avec vous. Il faut que les militaires s'estimant lésés puissent présenter leurs doléances à quelqu'un. Rien ne justifie l'absence de recours en cas de plainte, surtout dans le cas de gestes insidieux comme celui-là. Vous avez tout à fait raison.

Le président: Merci, madame Wayne.

Merci beaucoup, messieurs. Nous vous savons gré d'être venus ce matin pour nous expliquer votre rôle. Nous avons eu une discussion importante sur la relation qui existe entre votre bureau et celui de l'ombudsman. Nous attendrons avec impatience les autres précisions que vous pourrez nous fournir à cet égard.

Merci beaucoup. Merci d'être venus. La séance est levée.