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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 8 février 2000

• 1110

[Traduction]

Le président (l'hon. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): La séance est ouverte.

J'aimerais d'abord vous dire que je suis heureux de vous revoir; je vous souhaite un bon millénaire et une vie tout aussi longue.

Nous accueillons aujourd'hui trois témoins qui nous présenteront leurs points de vue respectifs sur le projet de loi C-3, Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.

La Sparrow Lake Alliance est l'un des trois groupes de témoins que nous entendrons aujourd'hui. Je demanderai dans un instant aux membres de cette délégation de bien vouloir se présenter. Les représentants de l'Université de Toronto et de l'Université de Montréal feront une présentation conjointe. Enfin, nous entendrons les représentants du Ridge Meadows Youth Conference Committee.

J'accorde d'abord 10 minutes à la Sparrow Lake Alliance. Nous poursuivrons ensuite notre ordre du jour. Je souhaite la bienvenue au Dr Paul Steinhauer et au Dr Simon Davidson. Veuillez commencer.

Dr Paul D. Steinhauer (président, comité directeur, Sparrow Lake Alliance): Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs.

Je m'appelle Paul Steinhauer. Je suis professeur émérite de psychiatrie et de santé publique à l'Université de Toronto et professeur-résident au Centre for Health Promotion de l'Université de Toronto. Je témoigne cependant aujourd'hui devant le comité à titre de président du comité directeur de la Sparrow Lake Alliance.

Mes filles et moi-même avons été victimes de crime à plusieurs reprises. Bien que je sois psychiatre, je ne pense pas qu'on puisse dire que j'ai le coeur sur la main. Je veux que le crime cesse autant que n'importe qui d'autre dans cette salle.

Mes 38 années d'expérience comme psychiatre pour enfants, et en particulier le travail que j'ai fait pour le Conseil national de prévention du crime—j'ai conçu le modèle de prévention de la délinquance de cet organisme—m'ont enseigné qu'il est beaucoup plus efficace et moins coûteux de prévenir le crime, c'est-à-dire d'intervenir auprès des enfants, que d'attendre de devoir contenir les activités criminelles de ces mêmes enfants devenus adultes.

Je compte parmi mes mentors Doug McNally, qui a été chef des forces policières d'Edmonton de 1990 à 1995. M. McNally, qui a été policier pendant 28 ans, était membre du Conseil national de prévention du crime. Il m'a fait remarquer que plus de 50 p. 100 des jeunes qui ont un jour ou l'autre des démêlés avec la justice ne récidivent jamais. Un petit nombre de jeunes commettent une deuxième, une troisième ou même une quatrième infraction, mais seulement entre 5 à 7 p. 100 des jeunes contrevenants ayant commis une première infraction finissent par devenir des criminels endurcis.

Si nous voulons mettre fin à la criminalité chez les jeunes, nous devrions nous fixer les deux principaux objectifs suivants: premièrement, empêcher que les enfants et les adolescents deviennent de jeunes contrevenants, mais on semble faire exactement le contraire dans de nombreuses provinces. Je vous parlerai plus longuement de ce sujet pendant la période des questions si cela vous intéresse. Notre deuxième objectif devrait être d'empêcher que les jeunes et les adolescents qui commettent à l'occasion des crimes mineurs finissent par faire partie des 5 à 7 p. 100 d'entre eux qui deviennent des criminels endurcis. Autrement dit, il convient de trouver des moyens de favoriser la réadaptation et la réintégration familiale et sociale des jeunes contrevenants de manière à réduire le risque de récidive.

Voilà exactement l'objectif que se fixe la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Je suis convaincu qu'elle vise essentiellement à aider les jeunes. Je me réjouis que la loi propose des mesures de rechange et qu'elle limite le placement sous garde des délinquants non violents.

• 1115

Force est de reconnaître que le libellé de la loi et les intentions qui y sont exprimées sont parfois contradictoires. Le libellé de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents donne à entendre que la loi vise la réadaptation et la réintégration des jeunes, mais certaines de ses recommandations ainsi que le fait que son objectif principal est de protéger la société signifient nécessairement qu'on reléguera au second plan les tentatives de réadaptation et de réintégration sociale des jeunes qui seraient basées sur la reconnaissance de leur immaturité et de leur besoin de protection.

Lorsqu'on a affaire à des jeunes qui ne sont pas des récidivistes, on choisit l'une ou l'autre des deux options suivantes: soit on s'efforce de les réadapter, soit on essaie de les punir. On ne peut cependant faire les deux choses puisqu'elles sont incompatibles. Nos recherches révèlent que plus un jeune contrevenant estime que la peine qui lui a été imposée vise à le punir au lieu de l'aider et de favoriser sa réadaptation, plus il aura tendance à adopter une attitude plus agressive et plus rebelle et à récidiver. Si votre objectif est de faire en sorte que la criminalité chez les jeunes diminue, vous ne pouvez pas vous permettre de punir les jeunes en les traitant comme s'ils étaient des adultes. Si vous le faites, vous les inciterez à récidiver.

Il y a cependant une autre raison de traiter les enfants comme des enfants plutôt que comme des adultes. La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents montre clairement que le gouvernement n'a pas encore décidé de quelle façon il allait traiter les enfants du pays. Le gouvernement se présente parfois comme un chef de file dans le domaine de la protection des enfants et agit comme si les enfants, en raison de leur immaturité, méritaient la protection de l'État. Il a été l'un des promoteurs de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant dont il est maintenant signataire. Il a créé un conseil national de prévention du crime dont le rôle est d'empêcher les enfants de devenir des criminels. Il a mis sur pied des programmes en vue de protéger les enfants qui sont témoins de crimes et des lois pour protéger les enfants contre le tabagisme, l'alcoolisme et l'exploitation sexuelle. Il compte adopter un programme national pour les enfants. Il me semble cependant illogique que le gouvernement songe à mettre en oeuvre ce genre de programmes alors qu'il ne tient pas compte de l'immaturité et du besoin de protection de certains des enfants les plus immatures et les plus vulnérables en les traitant comme des adultes.

J'aimerais vous parler brièvement des dispositions du projet de loi portant sur l'identification des jeunes contrevenants, la diffusion de cette information et la stigmatisation qui en résulte. Nous ne pouvons pas continuer de prétendre que nous voulons prévenir le crime et aider les enfants, les familles et les collectivités si nous prenons des mesures qui feront en sorte qu'il sera plus difficile aux familles et aux collectivités d'accorder le soutien nécessaire aux enfants.

Dans les années 80, je me suis élevé à deux reprises contre l'idée d'identifier les jeunes contrevenants parce que cette mesure ne peut que les stigmatiser davantage, qu'elle risque d'aliéner la famille qui sera alors moins portée à aider le jeune à se réadapter et qu'elle stigmatiserait aussi injustement les frères et les soeurs du jeune contrevenant. Si l'on permet que l'information se rapportant à un jeune contrevenant soit de plus en plus largement diffusée, comme le propose le projet de loi, la stigmatisation qui en découlera signifiera qu'il faudra étudier chaque cas individuellement, ce qui sera très coûteux et ce qui nuira également aux efforts en vue de réintégrer les jeunes dans leur collectivité. De nombreux jeunes et leur famille n'ont pas les ressources voulues pour protéger leur vie privée, en particulier compte tenu du fait que les services d'aide juridique sont de plus en plus réduits.

Tant la Chambre des communes que le Sénat ont exprimé de vives réserves en 1994-1995 lorsque l'on a proposé dans le projet de loi C-37 d'augmenter le nombre de personnes à qui les renseignements pouvaient être communiqués. La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne tient pas compte du fait que le droit de communiquer les renseignements sur les jeunes contrevenants a été considérablement élargi par le projet de loi C-37.

De nombreux témoins se sont à l'époque opposés à l'élargissement de la communication des renseignements. Le Sénat a demandé, ce à quoi Allan Rock, alors ministre de la Justice, a acquiescé, qu'on surveille soigneusement l'usage qui était fait de cette information. L'a-t-on fait? Y a-t-il des cas où le droit de communiquer de l'information s'est révélé insuffisant? Les délibérations du Sénat du 20 juin 1995 montrent que certains sénateurs s'inquiétaient de l'affaiblissement des mesures de protection visant les jeunes et se posaient des questions au sujet de la façon dont les tribunaux et les écoles utiliseraient ces renseignements supplémentaires.

• 1120

À moins que des faits n'établissent clairement que l'information qui est à l'heure actuelle communiquée est insuffisante, pourquoi aller encore plus loin en ce sens et compromettre la réinsertion sociale des jeunes?

Dr Simon Davidson (membre correspondant, comité directeur, Sparrow Lake Alliance): Je m'appelle Simon Davidson. Je suis chef du personnel à l'Hôpital pour enfants de l'est de l'Ontario. Je suis professeur associé de psychiatrie et de pédiatrie à l'Université d'Ottawa et président de l'Académie canadienne de pédopsychiatrie. Je comparais devant le comité à titre de membre correspondant de la Sparrow Lake Alliance. L'Académie canadienne de pédopsychiatrie appuie sans réserve le mémoire que nous vous présentons.

Nous sommes très heureux que l'âge de la responsabilité criminelle n'ait pas été abaissé en deçà de 12 ans.

Pour ce qui est du renvoi présomptif prévu à 14 ans, cela signifie qu'on va renvoyer les jeunes devant des tribunaux pour adultes et leur imposer des peines pour adultes. Lorsqu'ils ont examiné le projet de loi C-37 en 1994-1995, la Chambre des communes et le Sénat ont exprimé de vives réserves au sujet du renvoi présomptif. La majorité des témoins qui ont été entendus, y compris de nombreux juges, s'y sont opposés, craignant que cette mesure constitue un abus des droits des jeunes. Nous pressons les membres du comité d'examiner les modifications proposées dans le projet de loi C-37. Ces modifications vont bien au-delà de ce qui est prévu dans la Loi sur les jeunes contrevenants.

La façon de s'attaquer au problème de la criminalité chez les jeunes n'est pas d'adopter des règlements plus rigoureux, mais de montrer à la police, aux procureurs de la Couronne et aux juges comment bien utiliser les règlements actuels.

Les jeunes qui sont incarcérés dans des prisons pour adultes sont particulièrement vulnérables parce qu'ils côtoient des prisonniers plus âgés et des gardes adultes. Les adultes et les jeunes dans les prisons ne s'entendent pas non plus. La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents permet aussi de placer des adolescents dans des prisons pour adultes. Cela expose les adolescents à des risques. Les jeunes et les détenus qui sont faibles sont ceux qui sont les plus vulnérables dans les prisons pour adultes.

Les documents que nous vous avons remis présentent des preuves empiriques montrant que les jeunes comprennent moins bien que les adultes ce que signifie le fait de donner un témoignage et quelles sont les conséquences de renoncer à leur droit au silence, qu'ils sont plus susceptibles de faire des déclarations si l'on exerce des pressions sur eux et de ne pas comprendre qu'ils font une déclaration.

Permettez-moi de revenir aux options en matière de traitement. Si l'on augmente les services d'aide psychiatrique et d'aide sociale destinés aux enfants, de nombreux enfants et jeunes n'auront pas de démêlés avec la justice. Le véritable problème qui se pose est que les ressources en matière de traitement sont insuffisantes. Tant que cela sera le cas, il ne servira à rien de discuter de la façon d'accroître l'accès des jeunes au traitement. Cette situation défavorise aussi la réadaptation des jeunes.

Les jeunes qui commencent un traitement ne devraient pas devoir l'interrompre lorsqu'ils finissent de purger leur peine. Il faut que le système de justice et les services psychiatriques et d'aide sociale destinés aux enfants soient mieux intégrés. On devrait donner aux jeunes le choix de participer à un traitement, mais on devrait aussi les encourager à le faire. Nous devrions nous assurer de leur offrir les meilleurs traitements possible, des traitements qui visent des objectifs bien précis.

Les parents ont un rôle très important à jouer dans la prévention de la criminalité chez les jeunes. Les parents doivent appuyer leurs enfants. Il n'existe cependant pas suffisamment d'aide pour les parents eux-mêmes. Les gouvernements doivent examiner leurs politiques à cet égard. Lorsque des parents ont l'impression que leurs enfants se dirigent vers le crime, ils ne peuvent pas compter sur les ressources et les services voulus. Les autorités scolaires peuvent vouloir aider un enfant, mais ont-elles les ressources voulues pour étudier ses besoins et pour lui offrir le traitement nécessaire? Il faut pouvoir compter sur le soutien des parents. Les services d'aide à l'enfance, les services de pédopsychiatrie ainsi que le système scolaire doivent établir un partenariat étroit pour venir en aide aux enfants.

Quant aux décisions qui doivent être prises en ce qui touche l'incarcération des jeunes, on lit à la page 8 de notre mémoire que le gouvernement fédéral refile aux tribunaux et aux provinces ses responsabilités dans ce domaine. Le troisième paragraphe fait allusion à un conflit d'intérêts qui peut nuire aux enfants. Au quatrième paragraphe, nous signalons le fait que la situation n'est pas la même d'une province à l'autre.

• 1125

Nous comprenons que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents vise à réduire le recours à l'incarcération. Comme MM. McNally et Steinhauer l'ont fait remarquer plus tôt, on ne devrait réserver l'incarcération qu'aux jeunes contrevenants ayant commis des crimes graves. Le libellé de la loi est suffisamment imprécis pour qu'il compromette l'atteinte de ces objectifs louables.

Nous avons également des réserves au sujet du principe de la réinsertion. Comme je viens de le faire remarquer, il est absolument nécessaire que les services d'aide à l'enfance, les services de pédopsychiatrie ainsi que le système de justice soient mieux intégrés.

Je vous remercie.

Le président: Je vous remercie.

Je demande aux témoins de bien vouloir respecter le temps qui leur a été imparti. Je vais faire preuve de souplesse. Nous voulons évidemment entendre votre point de vue, mais nous aimerions aussi engager un dialogue avec vous.

J'accorde maintenant la parole à M. Anthony Doob Doob du Centre de criminologie à l'Université de Toronto et à M. Jean-Paul Brodeur de l'École de criminologie de l'Université de Montréal.

[Français]

M. Jean-Paul Brodeur (professeur, École de criminologie, Université de Montréal): Merci, monsieur le président, membres du comité, mesdames et messieurs. Le président nous a déjà présentés, mon collègue Anthony Doob de l'Université de Toronto et moi-même, alors je ne vais pas refaire les présentations. Je veux simplement mentionner que le professeur Doob était l'un des commissaires de la Commission canadienne sur la détermination de la peine, la Canadian Sentencing Commission, et que j'étais moi-même le directeur de la recherche de cette commission. Depuis, nous travaillons ensemble de façon régulière.

La deuxième chose que j'aimerais vous dire, c'est que nous avons un mémoire. Nous l'avons rédigé ensemble et, comme je travaille assez facilement dans les deux langues officielles mais que le professeur Doob est plus à l'aise en anglais, nous n'avons que la version anglaise, laquelle nous n'avons pas eu le temps de traduire. Si vous le voulez, on peut le faire circuler. On a des tableaux ici et si vous souhaitez en prendre une copie, servez-vous.

M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): Est-ce qu'il va être déposé?

M. Jean-Paul Brodeur: Oui, il sera déposé éventuellement.

Pendant que le texte circule, un mot rapidement pour donner l'esprit de nos remarques. Au sujet de l'apparence de justice, nous sommes d'accord sur un vieux principe selon lequel non seulement la justice doit être faite, mais il doit aussi paraître que la justice est faite. La justice doit être vue, et nous sommes d'accord sur ce principe-là à une restriction près. La restriction est la suivante: nous ne pensons pas que l'on doive légiférer seulement pour redresser les apparences.

Dans le cas du projet de loi dont il est ici question, nous pensons que le législateur a su éviter les excès. Mais puisqu'on parle beaucoup de la perte de confiance du public dans la justice, notre position à cet effet est la suivante: s'il y a une crise de confiance parce que le public est mal informé, dans ce cas, on doit faire une campagne d'information ou d'éducation. S'il y a une crise de confiance parce que le système ne fonctionne pas véritablement, alors on le change. Mais je pense qu'il serait immoral et à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés que d'utiliser un surcroît de punitions envers des jeunes pour rétablir les apparences et manipuler des perceptions qui ne sont pas justes.

Je passe maintenant la parole au professeur Doob.

[Traduction]

M. Anthony N. Doob (professeur, Faculté de psychologie, Centre de criminologie, Université de Toronto): Nous allons vous parler essentiellement de deux questions: les mesures extrajudiciaires et le prononcé de la peine.

Pour ce qui est des mesures extrajudiciaires, il importe que nous nous rappelions qu'il nous faut un mécanisme efficace pour régler le cas des jeunes qui commettent des infractions mineures. La disposition sur les mesures extrajudiciaires constitue un bon point de départ. Une part du problème que connaît à l'heure actuelle le système de justice pour les jeunes est qu'on renvoie devant les tribunaux pour adolescents de nombreux cas qui pourraient être plus efficacement traités à l'extérieur de celui-ci. Un jeune sur vingt au pays se retrouve devant un tribunal pour adolescents, c'est beaucoup trop.

• 1130

Si ces cas justifiaient qu'il soit soumis à un tribunal pour adolescents—je vous renvoie à cet égard au tableau 2 dans le mémoire qui vous sera envoyé sous peu dans les deux langues officielles—, nous nous en réjouirons, mais ce n'est pas le cas. On peut ne pas s'entendre sur ce que constitue une infraction mineure, mais il demeure qu'entre 40 et 75 p. 100 des infractions qui sont renvoyées devant un tribunal pour adolescents sont des infractions mineures.

Nous ne soutenons pas qu'il serait possible d'éviter d'envoyer tous ces cas devant les tribunaux, mais nous sommes d'avis qu'il conviendrait de faire en sorte que seules les infractions graves soient soumises aux tribunaux. Nous vous demandons d'y songer à deux fois avant d'approuver quoi que ce soit qui affaiblirait la disposition portant sur les mesures extrajudiciaires. Le bon fonctionnement de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents repose sur ces mesures.

Deuxièmement, afin de faire en sorte qu'on étudie sérieusement les mesures extrajudiciaires, nous recommandons de permettre au juge de demander qu'un cas fasse l'objet de mesures extrajudiciaires lorsqu'il pense que ce cas n'aurait pas dû être renvoyé devant un tribunal.

Jean-Paul.

[Français]

M. Jean-Paul Brodeur: Je vais parler rapidement d'éléments relatifs à l'incarcération. Nous vous avons remis différents tableaux, dont un premier qui vous indique qu'il y a de grandes variations d'une province à l'autre au Canada quant à l'utilisation de l'incarcération. Les données qu'on y retrouve nous portent à croire que les juges exercent leur discrétion, et je crois qu'ils ont raison de le faire.

La deuxième chose qu'on remarque lorsqu'on étudie ces tableaux, c'est que de 50 à 75 p. 100 de l'incarcération fait suite à des infractions relativement mineures à l'égard de biens, dont par exemple des vols de moins de 5 000 $ ou la possession de biens volés.

La troisième chose qu'on y relève, c'est qu'on accorde au dossier criminel de l'enfant un rôle important et qu'on impose parfois aux jeunes un surcroît de punitions tout simplement parce qu'ils ont accumulé un certain nombre d'infractions mineures.

À la lumière de ces considérations, nous avons formulé quelques recommandations, dont la première s'inscrit tout à fait dans le même ordre d'idées que le projet de loi, à savoir que le législateur devrait renoncer à introduire la notion de dissuasion comme étant l'un des buts dont on tient compte lors de la détermination de la peine. Nous sommes tout à fait d'accord sur cet énoncé parce qu'à toutes fins utiles, la sévérité de la peine n'a pas de pouvoir dissuasif. Nous vous prions de résister à toute tentative visant à réintroduire la notion de dissuasion, ce qui aurait pour effet de rendre la loi encore plus punitive.

À titre de deuxième recommandation, nous proposons que lorsqu'un juge condamne un jeune à purger une peine d'incarcération, il soit tenu d'identifier lequel des motifs énoncés à l'article 38 du projet de loi a motivé sa décision.

À l'alinéa 38(1)d), on stipule que certaines circonstances pourraient justifier une peine comportant le placement sous garde. Nous aimerions suggérer des modifications à cet alinéa afin d'éviter qu'on évoque ces dispositions pour justifier l'emprisonnement d'un jeune afin de corriger, par exemple, des problèmes psychologiques. Nous croyons qu'il ne faut en aucun temps confondre une sentence de garde ou une sentence d'incarcération avec un séjour à l'hôpital ou à l'école.

Nous vous présentons notre dernière recommandation à titre d'annexe à notre mémoire. Nous vous recommandons de modifier l'ordre des dispositions de l'article 37, où l'on traite de l'objectif et des principes de la détermination de la peine, afin de faire en sorte que la proportionnalité ne soit pas interprétée comme étant une exigence de donner une punition minimale. On risque d'interpréter la proportionnalité comme étant l'exigence de donner au moins cette sentence ou de l'interpréter comme étant l'exigence de donner tout au plus cette sentence.

• 1135

Nous croyons que ni l'une ni l'autre de ces interprétations ne devrait être enchâssée dans la loi et que les juges devraient conserver leur pouvoir de discrétion. Nous vous soumettrons un nouvel agencement des dispositions de cet article pour parvenir à ce but.

Je cède maintenant la parole à mon collègue Doob pour qu'il termine notre présentation.

[Traduction]

M. Anthony Doob: Comme vous le savez, la loi proposée prévoit une nouvelle forme d'ordonnance de détention qu'on appelle une ordonnance de garde et de surveillance. La loi reconnaît ainsi que toute personne qui fait l'objet d'une telle ordonnance se réintégrera éventuellement à la collectivité. Lorsque nous allons jusqu'à incarcérer un adolescent, nous devons à cet adolescent ainsi qu'à nous-mêmes de veiller sur lui et de le soutenir.

Les données qui figurent au tableau 6 de notre mémoire montrent cependant qu'un grand nombre d'adolescents réintègrent la collectivité sans surveillance et sans soutien. Aucune probation n'est prévue. On peut se demander si ces cas sont très fréquents, mais ce que nous savons, c'est que tant les adolescents qui purgent de longues peines que ceux qui purgent de courtes peines réintègrent la collectivité sans surveillance et sans soutien. C'est ce que montre les données du tableau 7.

Il conviendrait tant du point de vue correctionnel que du point de vue de l'aide à accorder aux adolescents qu'on puisse offrir une surveillance et un soutien adéquats aux adolescents qui se réintègrent à la société après avoir purgé leur peine. C'est d'ailleurs l'objectif que vise l'ordonnance de garde et de surveillance. La population est tout à fait favorable à ce qu'on accorde la surveillance et le soutien nécessaires aux adolescents. Elle comprend qu'on ne peut pas simplement s'attendre à ce que la réinsertion se passe bien sans cela. Une surveillance et un soutien adéquats cadrent donc avec les attentes de la population et de bonnes pratiques correctionnelles.

Cela laisse entendre qu'il faut se prémunir contre les obstacles à ce genre de soutien faisant partie de l'ordonnance de réinsertion sociale. Un de ces obstacles figure au projet de loi: la surveillance prévue par la peine peut être supprimée. L'adolescent peut être placé sous garde jusqu'à l'expiration de l'ordonnance de garde et de surveillance. Nous craignons que le projet de loi n'encourage ce genre de mesure.

Par conséquent, nous recommandons qu'un adolescent ne puisse être maintenu sous garde que si le tribunal est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il est probable que l'adolescent commette une infraction causant la mort d'autrui ou des lésions corporelles graves à autrui, ce qui est déjà prévu, mais aussi que le tribunal soit convaincu que cela réduise le risque à long terme que représente l'adolescent. Il est facile d'imaginer que si quelqu'un constitue un risque, le fait de le garder en prison un ou deux mois de plus réduira le risque pendant cette période. Toutefois, ce qui est crucial, c'est la réduction du risque à long terme. Nous recommandons que les autorités carcérales qui demandent le maintien en incarcération d'un adolescent soient tenues de présenter au tribunal un plan et qu'elles soient tenues de faire en sorte que ce plan est mis en oeuvre. Nous faisons donc cette recommandation en deux volets pour que les buts visés soient véritablement atteints.

Nous aimerions faire une autre remarque. Comme les témoins précédents, nous sommes contre l'idée de permettre la publication du nom d'un adolescent, comme le fait ce projet de loi. Par contre, si vous tenez à le faire, vous devrez combler une lacune du projet de loi: les dispositions qui permettent la publication du nom de l'adolescent dans le cadre de la peine devraient ne s'appliquer qu'à la fin de la période d'appel. Si un adolescent a le malheur de voir son nom publié dans le cadre de la peine qui lui est imposée, cela ne devrait certainement pas être permis avant que l'adolescent n'ait eu la possibilité d'interjeter appel.

Enfin, nous tenons à dire que nous sommes en profond désaccord avec certains aspects du projet de loi, mais les dispositions portant sur deux éléments clés dont nous avons traité aujourd'hui, les mesures extrajudiciaires et la détermination de la peine pour les adolescents, constituent une amélioration considérable par rapport à la loi actuelle. Dans leur orientation d'ensemble, ces articles ne sont ni trop dures, ni trop indulgents. Plutôt, ils devraient nous aider à trouver une façon plus intelligente de traiter les adolescents qui ont commis des crimes.

• 1140

Nous avons suggéré des façons d'améliorer ces aspects importants du projet de loi, mais qu'il soit bien clair que nous sommes d'accord dans l'ensemble avec ces deux parties du projet de loi.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup.

Notre dernier témoin, mais certainement pas le moindre, est Mme Lola Chapman du Comité de la justice pour les jeunes Ridge Meadows.

Mme Lola Chapman (coordonnatrice, Comité Ridge Meadows de la justice pour les adolescents): Bonjour. Je suis heureuse de prendre la parole en dernier car je sais maintenant que mes remarques sont tout à fait conformes à ce que ce que ces messieurs ont dit.

Je suis la coordonnatrice d'un programme, à Maple Ridge, qui s'appelle l'Association pour la défense et la justice des jeunes de Ridge Meadows. Il relève des mesures extrajudiciaires décrites dans la loi.

On nous dit que le crime au Canada est à la baisse, et c'est certainement vrai, mais les statistiques nous montrent que la délinquance juvénile est à la hausse. Nous sommes fermement convaincus que la prévention est le meilleur outil de lutte contre cela. Nous devons intervenir très tôt et agir. N'est-ce pas préférable à attendre que ces personnes soient devenues des criminels endurcis pour traiter avec elles?

Je cite l'alinéa 3(1)a) du projet de loi C-3.

    (a) le système de justice pénale pour adolescents a pour but premier de protéger le public par les moyens suivants:

      la prévention du crime par la suppression des causes sous-jacentes à la criminalité chez les adolescents, la prise de mesures leur offrant des perspectives positives et la réadaptation et la réinsertion sociale de ceux-ci.

Voilà précisément ce que fait notre association. En fait, vous avez presque décrit mot pour mot notre mandat. Nous créons un groupe consultatif pour les adolescents. Ce programme découle d'un programme de surveillance des tribunaux qui a été mis sur pied en mai 1990. Nous avons tenu notre première rencontre avec un adolescent le 14 septembre 1994. Notre mandat est d'intervenir après la première infraction, d'amener le délinquant à assumer la responsabilité de ses actes, de faire participer la victime et de réinsérer l'adolescent dans la société tout en ménageant son estime de soi.

Je vais vous décrire brièvement comment cela fonctionne; le mémoire vous donne plus de détails.

Les délinquants nous sont renvoyés par les avocats de la Couronne ou directement par la GRC. Lorsque je reçois un dossier, je communique avec les parents et l'adolescent, et ce, dans les trois jours ouvrables suivants. Je leur décris le programme et je les invite à faire partie d'un groupe consultatif. Je leur dis que c'est tout à fait volontaire, qu'ils ont le droit de se faire accompagner d'un avocat, qu'ils n'auront qu'une chance de dire oui et que nous n'avons pas à prouver la culpabilité ou l'innocence de l'accusé mais que l'adolescent doit donc reconnaître avoir commis le crime. S'il affirme être innocent, c'est très bien, c'est un juge qui tranchera.

Nous incluons la victime et l'invitons à participer aux réunions du groupe. Nous n'insistons toutefois pas. Si la victime n'est pas intéressée à participer, nous l'invitons à écrire une lettre ou une déclaration qui sera lue aux membres du groupe. Certaines de ces déclarations ont été très efficaces.

Nous nous assoyons autour d'une table et nous posons de nombreuses questions, pas seulement sur l'incident, mais aussi sur ce qui se passe dans la vie de l'adolescent et de ses parents, afin de pouvoir prendre des décisions éclairées. Une fois que les membres du groupe ont suffisamment d'information, ils invitent l'adolescent et ses parents à quitter la pièce pendant qu'ils tiennent leur discussion et déterminent quelle sera la conséquence. Ils tentent d'être justes. Ils tentent de faire correspondre la conséquence à la gravité de l'incident, mais ils offrent en même temps une porte de sortie. Ils demandent un dédommagement si c'est indiqué. Si l'adolescent a cassé une vitre, il devrait la réparer. Nous avons ainsi recueilli plus de 6 000 $ en petites sommes.

Puis, nous faisons revenir l'adolescent et ses parents et nous leur faisons part de notre décision, qui ne peut faire l'objet de négociation, comme cela avait été entendu au départ. À ce moment, l'adolescent peut rejeter la décision du comité. Si tel est le cas, le dossier est tout simplement renvoyé à l'avocat de la Couronne ou à la GRC. S'il accepte la décision, lui et ses parents doivent signer une entente. Ce faisant, l'adolescent s'engage à respecter les conditions et les parents donnent leur sceau d'approbation.

• 1145

Puis—et c'est l'un des aspects les plus importants de notre travail—on choisit un mentor, qui travaillera individuellement avec l'adolescent pendant toute la durée de la sanction extrajudiciaire. Nous faisons cela depuis cinq ans et demi, et nous avons constaté que c'est ça qui fait toute la différence. C'est cette relation individuelle avec le mentor qui est là parce qu'il le veut bien, parce qu'il a le bien-être de l'adolescent à coeur, et qui fait l'impossible pour l'aider, qui entraîne les changements d'attitude que nous constatons chez les adolescents qui nous sont renvoyés après un premier délit.

Nous avons entendu plus de 650 adolescents qui avaient commis des infractions allant de larcins jusqu'à la fraude, en passant par les voies de fait et la contrefaçon. Notre taux de succès mesuré en fonction du nombre d'adolescents qui ne récidivent pas pendant l'année suivant l'expiration de la peine extrajudiciaire est de 92 à 94 p. 100. Autant des procureurs de la Couronne que des avocats de la défense nous ont dit que les adolescents retirent beaucoup plus de leur participation à un groupe consultatif que d'un procès.

À l'époque où le programme a été lancé, en moyenne de 45 à 60 jeunes comparaissaient devant le tribunal pour adolescents le jour où il siégeait. Aujourd'hui, ce nombre n'est plus que de 15 à 20. Un jour, il n'y en a que sept.

Les sous-alinéas 3(1)d)(ii) et (iii) du projet de loi C-3 disent aussi que «les victimes doivent être traitées avec courtoisie et compassion». Qu'elles «peuvent aussi être informées» et «avoir l'occasion de participer». Nous faisons tout cela, mais cela m'amène à l'article 4. J'en lirai un extrait car je voudrais vous en toucher quelques mots. L'article dit ceci:

    4. c) Il est présumé que la prise de mesures extrajudiciaires suffit pour faire répondre les adolescents de leurs actes délictueux dans le cas où ceux-ci ont commis des infractions sans violence et n'ont jamais été déclarés coupables d'une infraction auparavant;

Nous sommes convaincus que certaines voies de fait, même les voies de fait à main armée, peuvent faire l'objet de mesures extrajudiciaires si le délinquant n'en est qu'à sa première infraction. L'objectif principal est de l'empêcher de récidiver et de se retrouver devant le tribunal, ce que les tribunaux n'ont pas réussi à faire, sauf tout le respect que nous leur devons.

L'alinéa 4d) dit:

    d) il convient de recourir aux mesures extrajudiciaires lorsqu'elles suffisent pour faire répondre les adolescents de leurs actes délictueux et, dans le cas où la prise de celles-ci est compatible avec les principes énoncés au présent article, la présente loi n'a pas pour effet d'empêcher qu'on y ait recours à l'égard d'adolescents qui en ont déjà fait l'objet ou qui ont déjà été déclarés coupables d'une infraction.

Si l'on lit cette disposition parallèlement au paragraphe 6(1), cela signifie qu'un policier pourrait donner un simple avertissement aussi souvent qu'il le souhaite. En raison de leur charge de travail et du manque de personnel, les policiers pourraient être tentés de le faire de plus en plus souvent. Nous en avons parlé avec plusieurs policiers de la base. Voici comment ils voient le processus: pour une première infraction, un avertissement, aucune conséquence, aucune participation de la victime. Deuxième infraction, avertissement ou mise en garde, le suspect est fiché au SRRJ, aucune autre conséquence, aucune participation de la victime.

Vous seriez étonnés par la rapidité avec laquelle les adolescents s'informent de ce genre de choses. Lorsque nous modifions notre politique, les jeunes, dans la rue, le savent dans les deux semaines suivantes.

Pour les infractions subséquentes: le policier donne un avertissement ou sort le dossier du SRRJ qu'il devra toutefois lire en entier pour savoir si l'adolescent a fait l'objet d'autres mesures extrajudiciaires. De plus, ce dossier est entièrement local. Il ne comprend aucune information sur les mesures extrajudiciaires dont aurait pu faire l'objet l'adolescent à Richmond, à Williams Lake ou à Ottawa.

Par ailleurs, la police ne peut entrer au dossier la mention «sanctions extrajudiciaires»; seule la Couronne peut le faire par l'entremise de la section de l'informatique, à Ottawa. Lorsque la Couronne décide qu'un adolescent fera l'objet de mesures extrajudiciaires, elle envoie à la police un formulaire d'une page. Alors, la police peut indiquer au SRRJ que des mesures extrajudiciaires ont été prises.

• 1150

On peut en conclure qu'un jeune contrevenant pourrait faire l'objet de nombreux avertissements avant que la Couronne apprenne qu'il a fait l'objet de mesures extrajudiciaires. Les adolescents se disent alors que leur conduite délictueuse n'a aucune conséquence. De plus, ce modèle ne prévoit aucune participation de la victime. Pourtant, nous disons dans ce projet de loi que la victime a le droit d'être entendue et incluse.

Notre programme comporte un autre aspect, et c'est peut-être le plus important. Un délit mineur n'est souvent que la pointe de l'iceberg et cache une foule de problèmes personnels ou familiaux; nous l'avons vu à maintes reprises. Nous collaborons avec d'autres prestataires de services communautaires lorsque c'est le cas. Nous suivons presque à la lettre les sous-alinéas 3(1)a)(i), (ii) et (iii), en fait, l'article 3 en entier.

Je pourrais vous donner bien des exemples, mais je me contenterai d'un ou deux.

Combien de temps me reste-t-il?

Le président: Très peu.

Mme Lola Chapman: D'accord. Il ne me reste que deux ou trois choses à vous dire.

Je vais d'abord vous parler d'une adolescente qui a été renvoyée à notre groupe de consultation pour avoir volé des produits de beauté d'une valeur de moins de 10 $ d'un magasin de notre localité. Elle est venue avec sa mère qui était parent unique. Notre groupe sait maintenant très bien comment poser les bonnes questions. Sa mère nous a dit: «Ce n'était peut-être qu'un appel au secours. Elle avait de l'argent.»

Le groupe l'a donc interrogé sur ce qu'avait dit sa mère. Après un long silence, elle a reconnu qu'elle avait perdu le goût de vivre. Je lui ai alors demandé si elle avait tenté de se faire du mal. Elle a répondu: «Oui, j'ai tenté de me noyer, mais je ne suis pas parvenue à rester sous l'eau assez longtemps.». Vous vous imaginez ce que nous avons ressenti.

Nous leur avons demandé de quitter la pièce pendant notre discussion. Nous nous sommes dit qu'elle n'avait pas besoin de sanctions, qu'elle avait plutôt besoin d'aide. Nous lui avons trouvé un mentor parmi nos bénévoles, quelqu'un qui avait été formé à la prévention du suicide. Nous avons pu lui trouver un conseiller en moins de trois jours, car nous avons un bon réseau et il nous a suffi de passer un coup de fil.

Le printemps dernier, je suis allée à un des magasins de mon quartier; cette jeune fille y travaillait. Elle m'a aidée, pleine d'enthousiasme. Elle m'a dit: «Je suis ravie de vous voir. J'ai obtenu mon diplôme, j'ai un emploi et, regardez, je vais me marier.»

C'est mon premier exemple. Ai-je assez de temps pour vous en donner un autre?

Le président: Bien sûr.

Mme Lola Chapman: Je voudrais aussi vous parler d'un garçon qui a volé un steak d'une valeur de 5,49 $. Lorsque nous nous sommes finalement retrouvés en groupe consultatif, nous avons appris que ce garçon vivait avec sa grand-mère, que ses deux parents avaient été tués dans un accident de la route deux ans plus tôt, qu'il avait eu deux grandes opérations au coeur dans l'année qui avait précédé, qu'il avait des troubles d'apprentissage et qu'il avait été renvoyé de l'école. Il avait volé le steak pour l'échanger contre de la marijuana pour pouvoir se faire des amis dans la rue.

Sa grand-mère, qui n'avait qu'une petite pension, avait fait des économies pour lui acheter un ordinateur. Elle avait étudié les troubles d'apprentissage et elle tentait d'assurer son instruction à la maison. Il avait un frère aîné qui venait de se marier et qui vivait sur une ferme dans la région.

Le lendemain de la première visite du mentor chez cet adolescent et sa grand-mère, celle-ci m'a appelée pour me demander où j'avais trouvé cet homme. Je dois reconnaître que je me suis inquiétée. Je lui ai demandé quel était le problème et elle m'a répondu: «Il n'y a aucun problème. Seulement, cet homme est le sosie du père de Jake.»

Cet homme a passé des heures et des heures avec Jake et sa grand-mère. Il a fait en sorte que Jake puisse passer le week-end à la ferme, chez son frère; il adorait aller à la ferme. Nous l'avons aussi inscrit à un programme de counselling pour les personnes endeuillées à l'un des hôpitaux locaux. Je pourrais continuer ainsi, mais je me contenterai de vous dire que cet adolescent est en classe régulière à l'école et qu'il va très bien.

• 1155

Pour ces raisons, nous estimons important d'intervenir après la première infraction, et non pas une fois que le crime est devenu une habitude. Nous devons réinsérer ces adolescents dans la société le plus tôt possible. Nous devons leur faire comprendre que la collectivité tient à eux et que ce n'est pas sans raison qu'ils doivent participer à toutes ces activités. Nous devons aussi leur montrer que le bénévolat, aider les autres, est une source véritable de joie.

Qu'on puisse les avertir ou les mettre en garde à maintes reprises n'est pas dans leur intérêt. Peut-être qu'à la partie 6, vous pourriez dire que, là où il y a un programme de mesures de rechange ou de justice réparatrice, le délinquant primaire sera renvoyé à ce programme. En l'absence d'un tel programme, la police pourrait donner un avertissement ou une mise en garde. Cela serait particulièrement indiqué dans les cas de vols de moins de 5 000 $.

Nous devons donner l'occasion aux membres de notre collectivité de venir en aide à nos jeunes en difficulté de manière à ce que ces derniers deviennent des éléments utiles de la société au lieu de poser problème. Je vous prie de nous aider en formulant des lois et des politiques qui nous seront utiles à nous et à d'autres collectivités.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Je cède maintenant la parole à l'opposition officielle pour sept minutes.

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier tous les membres du groupe d'experts de s'être rendus ici et de dialoguer avec nous ce matin. C'est le début d'une semaine fort intéressante.

J'ai une question à poser à Mme Chapman. Le programme dont vous nous parlez nécessite évidemment un financement quelconque. Pourriez-vous nous parler de cet aspect et nous dire quels sont les coûts de fonctionnement du programme.

Mme Lola Chapman: Je dois dire que, au cours des deux premières années, notre existence a été assez précaire. J'ai consacré beaucoup de temps au financement. Cependant, j'ai fini par faire une proposition au bureau provincial du procureur général et à nos deux conseils municipaux en les invitant à nous financer à titre de partenaires. C'est ce qu'ils font à l'heure actuelle.

Nous consacrons de 25 000 $ à 30 000 $ par année au programme et cela comprend tout, même les salaires.

M. Chuck Cadman: Combien d'employés rémunérés avez-vous? Je suppose qu'il y a des employés rémunérés. Combien de personnes sont rémunérées et combien y a-t-il de bénévoles?

Mme Lola Chapman: Je suis la seule employée rémunérée. Voulez- vous que je vous dise quel est mon salaire? Vous seriez surpris. Nous avons 22 bénévoles.

M. Chuck Cadman: Y a-t-il de la formation à donner aux bénévoles?

Mme Lola Chapman: Oui.

M. Chuck Cadman: De quelle nature?

Mme Lola Chapman: Au début, les services de libération conditionnelle assuraient notre formation. Ils nous servent également d'ange-gardien. La première année, les responsables étaient satisfaits de notre travail et ont décidé de nous confier la formation, tout en se réservant un rôle d'observateur. Je dois dire que nous avons progressé en cours de route. Nous ne connaissions rien du sujet au départ. Nous avons donc laissé tomber certains éléments pour en ajouter d'autres.

Nous avons réécrit notre manuel de formation à deux reprises. Il est maintenant assez complet et englobe certains aspects comme la prévention du suicide, l'hyperactivité avec déficit de l'attention, la comorbidité, et même la gestion financière. En effet, les jeunes que nous recevons gèrent généralement très mal leur argent.

M. Chuck Cadman: D'après vous, le fait que les jeunes sont renvoyés d'une juridiction à l'autre et réussissent parfois à passer entre les mailles du filet constitue-t-il un problème pour vous? Vous nous avez parlé d'un taux de réussite de 92 à 94 p. 100. Le fait de soumettre les jeunes à un certain nombre de mesures extrajudiciaires avant que leur cas ne soit réglé par les tribunaux a-t-il une incidence sur vos résultats ou vos observations?

Mme Lola Chapman: Tout à fait. Je réunis des données statistiques deux fois par année, à savoir à la fin de juin et à la fin de décembre. L'an dernier, dans notre secteur, étant donné que la GRC manquait tellement de personnel—il leur manque au moins 16 personnes à l'heure actuelle—, on a décidé de prendre de telles mesures. Les services policiers ne m'ont transmis aucun dossier du tout à partir du mois d'août. Notre taux de réussite à baissé de 10 p. 100.

• 1200

M. Chuck Cadman: Ainsi, vous êtes d'avis que le libellé de la loi pourrait avoir des répercussions néfastes.

Mme Lola Chapman: Tout à fait, et ce pour deux raisons. D'une part, les adolescents se passent le mot et, d'autre part, nous ne recevons pas le jeune dès le moment où il commet pour la première fois une infraction mineure et où une personne qui se soucie de lui peut lui venir en aide. C'est à cet égard que nous avons constaté des changements.

M. Chuck Cadman: Je vais maintenant poser des questions du même genre à d'autres membres du groupe de témoins. Dans quels cas estimez-vous que des mesures extrajudiciaires sont opportunes? Devrions-nous les limiter à la première infraction et à une infraction non violente, qui reste d'ailleurs à définir? En effet, c'est un point qui reste à déterminer.

M. Anthony Doob: Je serais certainement réticent à en limiter l'application. Le critère déterminant, me semble-t-il, est celui qui est contenu à l'alinéa 4d), et je cite: «Il convient de recourir aux mesures extrajudiciaires lorsqu'elles suffisent pour faire répondre les adolescents de leurs actes délictueux» et ainsi de suite. Voilà le critère que nous devrions utiliser, selon moi. Si une première infraction mineure ne correspond pas à ce critère, ce que j'imagine difficilement par ailleurs, eh bien soit. Par contre, si une deuxième ou une troisième infraction correspond au critère, à savoir que le jeune peut être tenu responsable de ses actes, alors il n'est pas particulièrement opportun, selon moi, de le traîner devant un tribunal. Il y a beaucoup de possibilités, soit dans le cadre du groupe consultatif, selon la description qui vient d'être faite, soit dans un autre cadre, sur le plan du service communautaire, etc., pour faire en sorte que le jeune réponde de ses actes. C'est ce que nous faisons d'ailleurs dans la vie de tous les jours. Nous n'accordons pas une seule chance à nos enfants pour ensuite passer nécessairement à un autre palier institutionnel.

M. Chuck Cadman: Les représentants de la Sparrow Lake Alliance ont-ils quelque chose à ajouter?

M. Paul Steinhauer: Non. Je ne saurais dire mieux que M. Doob.

M. Chuck Cadman: Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Bellehumeur.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Mes premiers mots seront pour vous remercier de vos mémoires et présentations. Je pense qu'ils nous seront utiles.

J'ai un petit commentaire à adresser à Mme Chapman. Je vous félicite et vous encourage à poursuivre dans cette voie. Je pense que vous nous faites la preuve qu'il n'est pas nécessaire de modifier la loi pour obtenir des résultats probants. On n'a pas à attendre des modifications quelconques; on se prend en main. J'espère que le travail que vous faites éclairera les membres du Comité de la justice.

J'ai une question à poser à M. Brodeur. Comme je suis un député québécois, je vais commencer par mes compatriotes. Dès le début, vous avez fait une remarque très importante qui nous a mis dans le contexte de votre mémoire ainsi que dans le contexte de certains arguments qui sont avancés au Québec depuis le début. Vous avez dit qu'il ne fallait pas changer quelque chose simplement pour tenter de changer une perception. Il faut qu'il y ait justice, mais il faut également qu'il y ait apparence de justice.

Puisque j'ai travaillé avec beaucoup d'organismes québécois qui s'intéressent aux jeunes contrevenants, ma question sera très directe. Vous et le professeur Doob avez dit dans votre mémoire beaucoup de choses au sujet de la prévention, des mesures extrajudiciaires et de la réinsertion du jeune. Monsieur Brodeur, croyez-vous que la Loi sur les jeunes contrevenants telle que nous la connaissons aujourd'hui aurait pu permettre d'atteindre tous ces objectifs si on l'avait appliquée correctement et, surtout, si on avait investi tout l'argent nécessaire à son application?

M. Jean-Paul Brodeur: Monsieur Bellehumeur, je ne vais pas tenter d'éviter votre question, mais j'aimerais d'abord dire la chose suivante. En termes juridiques, la question que vous posez est très hypothétique: si on avait laissé la loi telle qu'elle était auparavant, est-ce qu'on n'aurait pas pu atteindre ces objectifs?

• 1205

Peut-être aurait-on pu les atteindre, mais le but de mon intervention est de nous situer par rapport à ce nouveau projet de loi. Bien des choses auraient pu arriver, mais on a ce nouveau projet de loi, et je tente de me situer par rapport à ce nouveau projet de loi, dont je remarque une chose. Quand vous comparez les deux lois, vous vous rendez compte qu'elles comportent des dispositions différentes. Par exemple, on a abaissé l'âge où quelqu'un peut être poursuivi en tant qu'adulte. Dans la loi antérieure, il y avait environ 60 articles, alors que dans ce projet de loi, il y en a 160. Je pense qu'il y a là une tentative de rendre plus rigoureuse l'application de la loi. On a balisé les choses, mais également, et c'est ce qui me frappe beaucoup quand je lis ce projet de loi, on a attribué un rôle très, très considérable aux tribunaux de la jeunesse qui vont assurer son application. Il est actuellement très difficile de prévoir dans quel sens tout cela va aller, parce que cela dépendra énormément de l'application qui sera faite de la loi.

Je vois que vous n'êtes pas tout à fait satisfait de cette réponse, mais il m'est difficile de répondre à une question très hypothétique.

M. Michel Bellehumeur: Vous tenez pour acquis que le projet de loi sera adopté. Ma question était celle-ci: avec l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants, peut-on atteindre les objectifs qui sont énoncés dans le préambule du projet de loi qu'on étudie, à savoir la sécurité de la société, une bonne réinsertion des jeunes et la prévention? Mme Chapman fait des choses extraordinaires avec la loi actuelle. Il y a donc des outils dans cette loi.

Ma question est fort simple, monsieur Brodeur. Finalement, est-il véritablement nécessaire de modifier de fond en comble la Loi sur les jeunes contrevenants et d'établir un nouveau vocabulaire? Je suis sûr et certain que vous avez remarqué le vocabulaire du projet de loi. On parle de justice criminelle, de justice pénale, etc. On parle d'infliger des peines. On parle d'harmoniser des peines. On parle de beaucoup de choses. Est-ce que la situation exigeait qu'on modifie de fond en comble cette loi, qu'on abroge la Loi sur les jeunes contrevenants et qu'on fasse une nouvelle loi, ou s'il était possible d'atteindre les mêmes objectifs en investissant davantage ou en faisant ailleurs ce qu'on fait au Québec?

Je suis sûr que je ne vous apprends rien en vous disant qu'au Québec, on a une approche très différente de celle d'autres provinces, bien que d'autres provinces commencent tranquillement à voir et à apprécier ce qui se fait au Québec. Il semble y avoir une éducation qui se fait en ce sens-là, et ce qu'elles font ressemble de plus en plus à ce qui se fait au Québec.

Donc, était-il nécessaire de modifier de fond en comble la Loi sur les jeunes contrevenants telle que nous la connaissions?

M. Jean-Paul Brodeur: Je vais répondre à votre question. Bien que j'aie dit qu'il ne fallait pas faire une loi simplement pour corriger des perceptions qui pouvaient être fausses, je ne voulais certainement pas signifier que cette loi avait été rédigée essentiellement pour rétablir l'équilibre du côté des perceptions. Il y avait un certain nombre de trous dans la loi antécédente, par exemple au niveau d'un rationnel de proportionnalité ou au niveau des raisons pour lesquelles on pouvait envoyer quelqu'un en prison.

Lorsque j'ai dit qu'on n'utilisait pas la surpunition des gens pour rétablir les perceptions publiques, je voulais dire que le législateur devait résister à ce que je perçois être des représentations de plus en plus pressantes afin qu'on ait quelque chose de beaucoup plus punitif que cela. C'est ce que je voulais dire.

Vous me demandez s'il valait la peine de modifier la loi de fond en comble. Je vous réponds oui, monsieur.

M. Michel Bellehumeur: Très bien.

Le président: Merci, monsieur Bellehumeur.

[Traduction]

C'est maintenant le tour de M. MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président. Tout comme mes collègues et le président, je tiens moi aussi à vous dire que nous apprécions beaucoup vos exposés. Je tiens tout particulièrement à dire à Mme Chapman que les efforts exemplaires qu'elle déploie dans son milieu et son engagement à l'égard des jeunes sont reconnus par tous les membres de notre comité.

• 1210

J'aimerais poursuivre la discussion là où l'a laissée mon collègue du Bloc. Il est certainement encourageant de l'entendre dire qu'on peut apprendre beaucoup de l'expérience du Québec et, bien évidemment, les échanges d'information se font dans les deux sens. Il y a certainement beaucoup à apprendre, en effet, des expériences de chacune des provinces en matière de justice pour les adolescents.

Permettez-moi tout d'abord de dire que le projet de loi semble comporter une ambiguïté. Il s'agit presque d'un animal hybride. Bon nombre de ceux qui ont eu la parole semblent nous dire que l'approche qui est celle de cette nouvelle mesure législative est la bonne: on y établit une distinction entre infractions violentes et non violentes. On met davantage l'accent sur l'intervention précoce. Vous avez tous souligné à quel point il était important d'intervenir le plus tôt possible, d'intégrer le jeune à risque au système et de définir les causes profondes... Souvent elles ont rapport à la pauvreté, à l'influence parentale et peut-être à l'influence des plus vieux. Il me semble que la mesure législative englobe ces divers aspects.

Cela dit, j'aimerais savoir pourquoi il ne conviendrait pas d'abaisser l'âge de la responsabilité, l'âge à partir duquel la présente mesure s'applique. Ainsi, le projet de loi comporterait un mécanisme déclencheur qui ferait en sorte que le processus serait amorcé plus tôt.

Si j'ai cru bon d'aborder cet aspect—et il y a un rapprochement à faire avec ce qu'a dit mon collègue du Parti réformiste—, c'est que j'ai eu l'occasion de travailler au sein du système de l'aide à l'enfance et de constater qu'il est, de toute évidence, en voie d'effritement. Ceux qui en font partie m'ont répété à maintes reprises que les ressources dont ils disposent ne sont pas suffisantes. Ils manquent de conseillers. Ils n'ont pas les moyens nécessaires pour s'occuper des dossiers, même pour ce qui est des renvois que font les tribunaux dans le cadre du système actuel, et encore moins pour ce qui est des contrevenants qui n'ont pas l'âge de la responsabilité pénale et dont les dossiers sont censés être déjudiciarisés. J'aimerais que chacun d'entre vous nous fasse ses commentaires à ce sujet.

D'une façon très succincte, ma proposition consisterait à recommander qu'il existe une disposition de transfert semblable à celles qui font en sorte que certains jeunes sont traités devant les tribunaux comme s'ils étaient des adultes. Ainsi, une telle disposition intégrerait au système ceux qui ne le sont pas à l'heure actuelle. En établissant la limite à 10 ou 11 ans, nous pourrions ainsi faire en sorte qu'un procureur de la Couronne ou un agent de police présente des éléments de preuve selon lesquels la présente mesure législative entrerait en vigueur. Ainsi, le processus serait amorcé, le jeune serait intégré au système. Il pourrait ainsi bénéficier du traitement et des services pertinents à sa situation.

Vous pourriez peut-être commencer, docteur Steinhauer.

M. Paul Steinhauer: Tout d'abord, vous avez tout à fait raison de dire que le système d'aide à l'enfance aussi bien que le système de santé mentale sont en graves difficultés dans bon nombre de nos provinces étant donné qu'ils font l'objet de compressions financières depuis fort longtemps et qu'ils ne sont pas du tout en mesure de répondre aux besoins. Il me semble toutefois que le fait de criminaliser le plus jeunes risque de créer un précédent qui n'est pas du tout souhaitable. Il me semble beaucoup plus sensé de faire les investissements qui permettront d'offrir les services qui sont nécessaires.

Dans certaines provinces, on a réduit l'aide sociale. À Toronto, 37 p. 100 des enfants vivent sous le seuil de la pauvreté. Or, le taux de délinquance est trois fois et demie plus élevé chez les enfants pauvres. Le soutien au logement subventionné est insuffisant depuis un bon moment déjà, de sorte que les familles pauvres sont obligées dans bien des cas de déménager sans cesse. Chaque fois, les enfants doivent changer d'école. Cela nuit à leur capacité d'apprendre et nous savons que les enfants qui ont du retard à l'école risquent nettement plus d'être des contrevenants. Nous savons que 70 p. 100 des plus jeunes n'ont pas accès à des activités récréatives surveillées, et que de telles activités sont un gage de développement sain et d'atténuation des symptômes chez les enfants qui ont déjà des problèmes de comportement.

De plus, les parents sont moins en mesure de bien jouer leur rôle, à cause de toutes les difficultés additionnelles qui les accablent. De tels parents ne seront pas en mesure de se concentrer aussi bien. Ainsi dans les familles pauvres, on constatera davantage de conflits, de déséquilibres et de situations dysfonctionnelles. En plus de tout cela, on comprime les services sociaux, et je pense tout particulièrement ici aux services d'éducation correctifs qui font en sorte que certains enfants réussissent au lieu de tirer de l'arrière et finir rapidement par abandonner et quitter l'école. Ajoutons à cela les compressions dans les services de santé mentale, et pourquoi ne pas mettre la cerise sur le gâteau en appliquant à l'école une politique de tolérance zéro, de sorte que certains jeunes seront exclus de l'école à cause d'infractions relativement mineures, sans avoir à assumer leurs responsabilités, et condamnés à l'oisiveté pour de longues périodes... Il se peut que certaines de nos provinces méritent de se faire reprocher d'avoir négligé leurs enfants ou de les avoir maltraités et d'avoir accablé un grand nombre d'enfants d'un casier.

• 1215

Si au moins nous étions en mesure d'accorder le soutien voulu aux familles dans cette ère de mondialisation... Dans 70 p. 100 des cas, les deux parents doivent travailler, sinon la famille est en deçà du seuil de la pauvreté. Si l'un des parents restait à la maison, le nombre d'enfants pauvres triplerait du jour au lendemain, selon les chiffres de Statistique Canada. Notre pays n'est plus du tout celui où j'ai grandi durant les années 30 et 40. Nous n'aurions pas accepté que des gens soient abandonnés de la sorte par la collectivité et par la société. C'est plutôt à cela qu'il faut travailler—et non pas à criminaliser les plus jeunes.

M. Peter MacKay: J'aimerais qu'on me permette d'intervenir.

Le président: Je m'excuse, monsieur MacKay, mais j'ai interrompu M. Bellehumeur et je tiens à traiter tout le monde de la même façon.

Il nous reste 30 secondes. Quelqu'un souhaite-t-il en profiter?

Dr Simon Davidson: Oui. Je crois comprendre l'esprit de votre question, mais j'estime que vous cherchez à utiliser le système judiciaire pour surmonter certaines des insuffisances du système d'aide à l'enfance et du système de santé mentale visant les enfants...

M. Paul Steinhauer: Ainsi que le système d'éducation.

Dr Simon Davidson: ... et le système d'éducation, en effet—au risque d'accroître la criminalisation des enfants.

M. Peter MacKay: Toutefois, pour reprendre l'expression du Dr Steinhauer, ne sommes-nous pas en train d'adopter un régime de tolérance zéro pour ceux dont l'âge est inférieur à celui de la responsabilité pénale tel qu'il est établi à l'heure actuelle? Ne sommes-nous pas en train de les laisser pour compte? Si nous constatons que les services de santé mentale ne fonctionnent pas, il faut bien quelque chose. Voilà où je veux en venir.

Dr Simon Davidson: Tout à fait. C'est pourquoi votre question est bien sentie.

Le président: Merci beaucoup. Dans les réponses aux questions qui vous seront posées, vous pourrez peut-être faire valoir d'autres arguments.

Je vais maintenant laisser la parole à M. Saada.

[Français]

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Je vais avoir une question pour M. Brodeur et une autre pour le Dr Steinhauer, mais je voudrais commencer par faire une introduction pour Mme Chapman.

[Traduction]

Je vous remercie, madame Chapman, de votre témoignage. Vous amenez le débat au degré d'humanité dont nous avons besoin.

Puis-je vous demander une faveur? Pourriez-vous dire à cette dame qui va se marier bientôt qu'elle a également influé sur les délibérations de notre comité?

Mme Lola Chapman: Je le ferai, merci.

[Français]

M. Jacques Saada: Monsieur Brodeur, j'ai écouté votre intervention avec beaucoup d'attention. J'ai aussi écouté avec beaucoup d'attention la réponse que vous avez faite aux questions qui ont été posées par mon collègue Bellehumeur. Vous répondez peut-être à ma question dans votre mémoire, que je n'ai pas encore eu le temps de lire.

L'article 3 fait de la protection du public l'objectif à atteindre, et tout ce qui concerne la prévention et toutes les mesures énoncées sont en quelque sorte des instruments pour atteindre cet objectif. Êtes-vous d'accord sur cette façon de poser des problèmes dans la loi?

M. Jean-Paul Brodeur: Lorsque j'étais directeur de la recherche à la Commission canadienne sur la détermination de la peine, j'ai personnellement écrit un long chapitre du rapport, dans lequel je disais que la protection de la société était un argumentaire éminemment critiquable. Il y a quelque chose de frauduleux dans ce rationnel de protection de la société, parce que si on protège la société en infligeant une sanction pénale à quelqu'un, c'est que, par définition, il y a eu faillite de protection auparavant. Vous comprenez ce que je veux dire? On parle d'une protection de la société au second tour, en quelque sorte.

• 1220

J'ajouterai à cela deux choses. La protection de la société devient un rationnel dont le potentiel répressif est extrêmement puissant lorsqu'on tente de régler le problème que je viens de soulever, à savoir que s'il y a sanction pénale, c'est qu'il y a eu faillite de protection auparavant, en ajoutant la dissuasion à la protection de la société. La dissuasion est quelque chose qui a trait au futur. Donc, quand on ajoute la dissuasion à la protection de la société, on peut avoir un argumentaire répressif au niveau de la détermination de la peine. Je remarque que dans ce projet de loi, on a résisté à l'introduction de la dissuasion.

En deuxième lieu, monsieur Saada, j'aimerais vous dire, non pas que j'ai beaucoup évolué, car je continue de penser que le rationnel de protection de la société fait des promesses qu'on ne peut pas vraiment tenir, mais que, néanmoins, je me suis reporté à la tradition canadienne d'interprétation du rationnel de la protection de la société, qu'on trouve également chez les Britanniques ou les Français, par exemple. Dans les années 1960, le comité Ouimet disait que la seule raison valable pour punir quelqu'un était la protection la société. Il y a là un rationnel d'ultime recours. Si on le fait, cela devrait être pour ça, sans plus. Vous avez là une interprétation d'ultime recours, une interprétation négative un peu rituelle du rationnel de protection de la société.

Je crois qu'il y a un peu et peut-être même beaucoup de cela là-dedans. On verra bien comment les magistrats vont l'appliquer. La pire application serait, bien sûr, un accroissement de l'incarcération, toujours en alléguant la protection de la société. Selon ce que j'ai vu, ce n'est pas ce qui s'est passé au Canada depuis que j'ai travaillé dans ce domaine. Vous voyez qu'en dépit de ces critiques, j'ai fait ma réponse.

[Traduction]

M. Jacques Saada: Ma prochaine question s'adresse au Dr Steinhauer.

Il y a quelques mois, je me suis rendu à Paris pour participer à une conférence dont le sujet était la criminalité chez les enfants. L'un des juges du groupe d'experts a mentionné l'importance de trouver un juste milieu entre les sanctions et la réadaptation. J'ai cru saisir ce qu'il disait et j'aimais le fond de sa pensée. Mais vous avez dit, au début de votre témoignage, que le châtiment et la réadaptation sont incompatibles.

M. Paul Steinhauer: C'est exact.

M. Jacques Saada: Pourriez-vous m'aider à comprendre ce que vous entendez par là?

M. Paul Steinhauer: Ce qui est sain, pour un enfant, c'est de l'amener à accepter la responsabilité de ses actes. Plus la réaction à un acte est punitive, plus l'enfant estime que cette réaction est sadique et non méritée.

À l'origine, cette déclaration visait les parents. Plus un enfant estime que le parent le corrige pour le punir plutôt que pour l'aider, plus il est probable que cet enfant ressentira de la colère, se rebellera et récidivera. Si la société inflige des sanctions purement punitives, l'enfant ne pourra en aucun cas estimer que ces sanctions sont pour son bien.

M. Jacques Saada: Je comprends. Pour continuer dans la logique de votre propos, cela signifie-t-il que vous avez des réserves à propos de la division du processus en fonction de la violence des crimes?

M. Paul Steinhauer: Non. Je me range plutôt à l'avis de mes collègues, c'est-à-dire qu'à un moment donné, on n'a plus le choix de mettre l'enfant sous garde parce qu'il est assez violent pour représenter une menace pour le reste de la société.

Dans une tel cas, il faudrait s'assurer de mettre en place un programme de correction du comportement plutôt que de se limiter à l'entreposage des enfants, comme cela se fait déjà souvent à l'heure actuelle dans bon nombre de provinces canadiennes.

• 1225

En revanche, si un enfant commet un délit non violent et qu'il est possible au départ de traiter cet enfant dans le régime, comme le proposait Mme Chapman... Il faut éviter dans toute la mesure du possible de placer les enfants sous garde. En plaçant sous garde un enfant plein de colère et de rébellion, on l'intègre à un groupe composé de jeunes en révolte, ce qui nuira à sa réadaptation.

M. Jacques Saada: Merci de votre réponse. Si j'ai posé cette question, c'est pour mieux comprendre ce que vous disiez. Nous préconisons des principes assez semblables.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur McNally, trois minutes.

M. Grant McNally (Dewdney—Alouette, Réf.): Merci, monsieur le président.

Merci de vos témoignages.

Merci plus particulièrement à Mme Chapman, qui a fait de l'excellent travail dans ma circonscription. C'est pour cette raison que je suis venu ici aujourd'hui, pour faire savoir aux gens qu'elle fait un travail très efficace dans nos collectivités de Maple Ridge et de Pitt Meadows, qui comptent environ 75 000 âmes. J'estime que c'est cette solution que nous devrions examiner.

Parfois dans les débats théoriques, nous passons à côté de l'essentiel: un programme de ce genre donne aux enfants l'occasion d'accepter la responsabilité de leurs actes et d'en subir les conséquences. Comme l'a fait remarquer Mme Chapman, on leur donne très tôt de l'aide, et c'est ce que mon collègue du Parti conservateur veut faire comprendre, je crois, c'est-à-dire que dans toute mesure législative, il faut un mécanisme pour déclencher des mesures d'aide destinées à ces enfants.

J'aimerais savoir si Mme Chapman connaît des enfants qui ne sont pas visés par la Loi sur les jeunes contrevenants, qui ont moins de 12 ans et à qui il serait profitable de participer plus jeune au programme de déjudiciarisation.

Mme Lola Chapman: Oui. Nous avons travaillé avec deux ou trois jeunes de moins de 12 ans.

Dans le premier cas, c'était à la demande des parents. Deux garçons de 10 ans avaient été pris en train de voler de l'argent à leur famille, jusqu'à plus de 500 $. Les parents estimaient que ce qu'ils pouvaient faire n'était pas suffisant, ils m'ont téléphoné et m'ont demandé ce que je pourrais faire. Je leur ai dit qu'ils pouvaient présenter une demande écrite en vue de tenir une réunion de famille avec ces enfants, leurs parents et leurs frères et soeurs.

Cela a très bien marché. À la fin de la réunion, un petit de cinq ans a même déclaré qu'il croyait avoir fait quelque chose de mal qui avait incité son frère à agir ainsi. À la fin de la réunion, chaque garçon s'est isolé avec sa famille pour décider des mesures à prendre. Ils sont revenus ensuite après avoir dressé une liste de certaines conséquences sur lesquelles ils s'étaient entendus. Les listes étaient assez semblables. Le plus intéressant, c'est qu'un père a lu la liste des mesures que son fils avait acceptées et que la famille avait inscrit directement au contrat qu'en échange, elle essaierait de redevenir aussi unie qu'avant que le problème se soit produit.

La deuxième fois, il s'agissait de deux garçons qui avaient cassé des fenêtres à l'école. Dans ce cas également, c'était à la demande des parents. Cela a également très bien marché.

En cinq ans, ce sont les deux seuls cas d'enfants de moins de 12 ans que nous ayons traités. Le besoin existe, mais le problème, c'est que dans le cas d'enfants qui en ont vraiment besoin, les parents ne présenteront pas de demande.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur McKay.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Je vais être bref, puisque je n'ai que trois minutes.

Ma question s'adresse à M. Doob. À la page 4 de votre mémoire, vous dites au sujet de l'article 4:

    Nous recommandons par conséquent que les juges soient chargés de commenter le dossier et de le renvoyer pour étude [...]

Je suppose par conséquent que l'affaire a été présentée au juge, que celui-ci a décidé qu'il ne s'agissait pas d'une affaire criminelle et qu'il fait des recommandations pour que soient prises des «mesures extrajudiciaires». Le juge a bien rendu une décision, n'est-ce pas? Vous ai-je bien compris?

• 1230

M. Anthony Doob: Voici ce qui m'inquiète: Supposons qu'il s'agisse en apparence d'une affaire bénigne, qu'il vaudrait mieux traiter au moyen du genre de programme qu'a décrit Mme Chapman. Le juge examine le dossier et demande aux personnes chargées d'amener l'affaire devant le tribunal de voir s'il n'existe pas d'autre moyen que le système judiciaire pour régler le problème. S'il n'existe pas d'autre moyen, le dossier reviendra évidemment devant le tribunal et c'est à ce moment que le juge aura l'occasion de voir à ce que cet article de la loi soit appliqué. Autrement, on pourrait y passer outre sans que cela entraîne de conséquences.

M. John McKay: Ce que je veux savoir, en fait, c'est si le juge pourrait, s'il constate qu'il n'y a pas eu d'acte criminel, renvoyer le dossier pour que soient prises des mesures extrajudiciaires.

M. Anthony Doob: Ce que je préconise, c'est qu'il soit en mesure de le faire. Le juge devrait pouvoir décider qu'une affaire exige un examen plus approfondi. Si le dossier revient devant le tribunal, après un tel examen, le juge devrait alors entendre l'affaire.

M. John McKay: Cela dépasse donc les fonctions judiciaires du juge. Le juge décide qu'il ne s'agit pas d'un acte criminel, mais il recommande...

M. Anthony Doob: Ce que nous proposons, c'est que le juge veille à ce que la partie 1 de la loi soit appliquée.

M. John McKay: Combien de temps me reste-t-il?

Le président: Une minute.

M. John McKay: Passons au tableau 4. Nous entendons de nombreux témoignages sur les différences entre le régime qui existe au Québec et celui qui existe dans le reste du Canada. Si je regarde votre tableau, je constate une différence claire entre le traitement réservé au Québec aux affaires relativement bénignes. Mais dans le cas de délits plus graves—vols, dommages à la propriété, introduction par effraction—, il semble qu'on soit plus prompt au Québec à imposer des peines d'incarcération. Ma conclusion est-elle exacte?

M. Anthony Doob: Non, pas vraiment. Ce que le tableau révèle, c'est que du nombre relativement faible de peines d'emprisonnement imposées au Québec, une plus grande proportion visent des délits plus graves. En effet, dans des provinces comme l'Ontario—où l'on impose davantage de peines d'emprisonnement à l'égard d'infractions mineures—, on impose un faible nombre de peines d'incarcération à l'égard de délits graves. Au Québec, en revanche, seuls les délits les plus graves donnent lieu...

M. John McKay: Cela signifie que le régime absorbe moins de délinquants.

M. Anthony Doob: C'est exact. Dans les cas de délits graves, on impose des peines d'incarcération, comme c'est également le cas en Ontario.

M. John McKay: La proportion est-elle semblable à celle des autres provinces?

M. Jean-Paul Brodeur: Oui, mais je tiens à répéter ce qui suit.

En fait, il existe deux façons d'être clément au Québec. La première est de ne pas avoir recours aux tribunaux. Si l'on décide d'envoyer l'affaire devant le tribunal—probablement dans les cas les plus graves, comme les introductions par effraction, par exemple—, les peines peuvent être lourdes ou légères. Auparavant, ces affaires se trouvaient exclues car même dans les cas d'entrée avec effraction, on n'avait pas recours aux tribunaux. C'est différent selon que l'on a 22 p. 100 de 770 cas ou 15 p. 100 d'incarcérations pour introduction par effraction sur 3 800. Vous comprenez?

M. John McKay: Oui.

M. Jean-Paul Brodeur: Voilà ce qui en est.

Le président: Merci.

M. Anthony Doob: Permettez-moi de vous expliquer ce qui en est, même si nous ne voulions pas trop nous attacher aux chiffres. Au Québec, on impose davantage les peines d'emprisonnement dans le cas des délits plus graves. Dans les cas d'introduction par effraction, par exemple, on impose une peine d'incarcération dans 43 p. 100 des cas en Ontario et dans 34 p. 100 des cas au Québec. Cela ne se trouve pas dans les tableaux de notre mémoire, ce sont des données sur les peines.

Les données sur les peines montrent la différence dans l'utilisation d'une ressource limitée. Ce tableau montre en fait que l'on gaspille davantage cette ressource en Ontario qu'au Québec, mais que d'une façon générale, nous gaspillons au Canada une ressource rare et très coûteuse, c'est-à-dire l'incarcération.

Le président: Merci beaucoup, monsieur McKay.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Monsieur Brodeur, dans la réponse que vous avez donnée à M. Saada au sujet de la dissuasion, vous avez dit qu'on avait résisté à cela. Voulez-vous dire que le projet de loi que nous étudions, soit la Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, est moins répressif que ne l'est l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants?

• 1235

M. Jean-Paul Brodeur: Monsieur, j'ai dit qu'il était actuellement extrêmement difficile de répondre à cette question. Le fond de ma position à cet égard est que c'est une loi qui a complexifié et rendu beaucoup plus importante la tâche de la magistrature. Une fois que les juges auront utilisé cette loi, on verra bien ce que cela va donner.

Bien sûr, il y a des choses dont on peut très évidemment dire qu'elles sont plus répressives. Par exemple, quand on abaisse de 16 à 14 ans l'âge auquel quelqu'un peut se faire imposer des mesures pour adultes, c'est évidemment plus répressif. Par ailleurs, il y a tout un ensemble de mesures qui, selon moi, sont un peu plus libérales.

Deuxièmement, dans notre mémoire, le professeur Doob et moi avons parlé de deux choses particulières. Cela ne veut pas dire que nous sommes tout à fait d'accord sur tout le reste. Je vais vous parler de quelque chose qui me gêne assez dans cette question de l'imposition de mesures d'adultes à des jeunes. Il y a quelque chose que je trouve un peu étonnant. Je me réfère au paragraphe 72(2). Si, lors d'une audition, le jeune veut être traité comme un enfant, il doit se plaindre et demander qu'on ne le traite pas comme un adulte. On dit:

    (2) Il incombe au demandeur de démontrer que les conditions énoncées au paragraphe (1) sont remplies.

Devant cela, j'ai une difficulté qui est d'ordre un peu logique. Dans ce cas-là, on demande à l'enfant de faire la preuve qu'il n'est pas un adulte. Je trouve ça idiot... Pardonnez-moi. Je trouve ça difficile parce qu'en fait, c'est lui qui est l'enfant. Pourquoi devrait-il faire la preuve qu'il est précisément ce qu'il est? Je pense que c'est plutôt à celui qui le prend pour un adulte de faire la preuve ou de démontrer qu'il n'est pas ce qu'il paraît être.

Le professeur Doob et moi avons, bien sûr, des réserves sur certaines parties de ce projet de loi. Nous avons même fait d'autres suggestions. Comme vous l'avez vu, nous en avons d'autres,

[Traduction]

mais ne nous lancez pas

[Français]

sur les statistiques, car nous pourrions être intarissables. Donc, on a parlé d'un certain nombre de choses et on a de grandes réserves quant à certaines autres choses.

Néanmoins, je persiste à penser que le fait de présenter une nouvelle loi a évité que l'on ne modifie petit à petit l'ancienne loi dans un sens toujours plus répressif. C'est pour cela que je vous ai donné la réponse que vous ai donnée, à savoir qu'étant donné l'énorme pression qui est en train de se construire, il valait mieux faire un nouveau départ, ce qui pouvait bloquer cette montée du ressentiment au Canada. On s'est dit qu'on allait présenter une nouvelle loi et qu'on allait ainsi éviter que l'ancienne loi ne soit grignotée petit à petit, ce qui aurait pu donner des résultats encore plus catastrophiques qu'un nouveau départ. C'est ma position.

M. Michel Bellehumeur: C'est ce qu'on faisait depuis 1991, parce qu'on a souvent modifié la Loi sur les jeunes contrevenants.

M. Jean-Paul Brodeur: Oui, absolument, mais peut-être pas toujours dans le bon sens.

M. Michel Bellehumeur: Actuellement, on la modifie encore une fois, sans même avoir de statistiques sur les dernières modifications. Entre autres, on n'a pas vraiment de statistiques sur les dernières modifications qu'on a vécues en 1994-1995 et on ne peut donc pas juger si ces modifications étaient bonnes ou non, mais on modifie quand même encore une fois la loi.

M. Jean-Paul Brodeur: Je suis d'accord. Ils semble que nos positions se rapprochent au lieu de s'éloigner. Vous reconnaissez qu'on grignotait en quelque sorte l'ancienne loi. Peut-être est-il préférable de présenter un nouvel ensemble de dispositions et de dire qu'il s'agit d'un nouveau départ. Vous tous qui êtes des grignoteurs autour de cette table, je vous dis d'essayer de diminuer votre appétit et de nous donner la chance de recommencer avec ce projet de loi.

M. Michel Bellehumeur: Je termine sur cela, monsieur le président. Il y a une seule chose sur laquelle nous ne sommes pas d'accord; c'est que je pense qu'on aurait pu réinvestir dans l'application de l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants et obtenir de meilleurs résultats ailleurs au Canada. Tout le monde autour de cette table est d'accord pour dire qu'au Québec, on a de meilleurs résultats qu'ailleurs. C'est peut-être parce qu'on y applique la loi alors qu'on ne l'applique pas ailleurs. Au Québec, on a peut-être une approche sociale différente de celle qu'on retrouve dans le reste du Canada.

• 1240

M. Jean-Paul Brodeur: C'est vrai, monsieur Bellehumeur, bien qu'il faille aussi souligner que le Québec a procédé à la réforme de la justice des jeunes avant que le gouvernement fédéral ne l'ait fait.

M. Michel Bellehumeur: C'est exact.

M. Jean-Paul Brodeur: On a créé un corps de juges qui est un corps d'élite. Au Québec, il y a une grande fierté et le sentiment qu'on a une expertise. Bien que cette différence demeure très difficile à expliquer, je crois que le fait que le Québec se soit approprié la justice des jeunes un peu plus tôt est un élément qu'on peut évoquer.

Le président: Merci, ce fut très intéressant.

[Traduction]

Monsieur Maloney.

M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Les statistiques de Mme Chapman portent sur les jeunes de 10 et 11 ans. Deux cas sur 650, dans une période de cinq ans, ce n'est peut-être pas beaucoup, mais vous laissez entrevoir qu'il y en a d'autres dont les besoins sont encore plus grands, c'est-à-dire ceux dont les parents ne présentent pas de demande. J'aimerais que MM. Doob et Brodeur commentent les observations de M. McKay. Devrait-on prévoir une période de transition pour inclure les jeunes de 10 et 11 ans dans le régime? Sinon, pourquoi pas?

M. Anthony Doob: Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de modifier l'âge minimum. Il m'apparaît clairement qu'en modifiant l'âge minimum pour obtenir les services, on risque de créer un problème. Ce problème, c'est que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et la Loi sur les jeunes contrevenants visent toutes deux à faire assumer aux jeunes la responsabilité de leurs actes criminels. On y met l'accent sur le droit pénal et sur l'acte criminel. Le libellé de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents met l'accent sur la responsabilité du jeune et sur le caractère proportionnel des sanctions par rapport aux actes criminels.

Le problème, c'est que nous disons d'une part que nos régimes de programmes sociaux sont corrompus mais que nous demandons d'autre part aux mêmes provinces qui administrent les politiques de ces programmes et des programmes d'aide aux enfants d'offrir par miracle ces services sous un nom différent... J'ai du mal à croire que l'on puisse réaliser des progrès sous le régime d'une loi du domaine pénal alors que nous ne sommes pas prêts à agir sous le régime des lois d'aide à l'enfance.

En outre, il me semble que si le public appuie l'idée d'une criminalisation pour les jeunes de 10 à 11 ans, c'est parce qu'on ne cherche pas enfin de solutions de rechange. Lorsqu'on demande aux gens s'il vaut mieux traiter ces affaires sous le régime du droit pénal ou sous le régime de l'aide sociale à l'enfance et qu'on leur présente les possibilités, les gens préfèrent en grande majorité que les problèmes, même ceux de violence, soient traités sous le régime de l'aide sociale à l'enfance. Et ils ont raison à mon avis, car ils estiment que ce sont de jeunes enfants qui ont désespérément besoin d'aide, de soins et de conseils, et qu'il vaut mieux procéder de cette façon.

Réfléchissez à ce que cela signifie. Selon que l'on aura recours au régime d'aide sociale à l'enfance ou à celui du droit pénal, dans ces affaires mettant en cause de très jeunes enfants, comment pourrait-on parler de proportionnalité et de responsabilité par rapport aux actes quand dans les faits, il faut attendre que l'enfant soit condamné au-delà de tout doute d'avoir commis un acte criminel avant que l'on veuille offrir les services? Il me semble que nous devrions offrir les services aux enfants qui en ont besoin sans avoir à devoir les reconnaître coupables d'un acte criminel. Si les enfants ont besoin de services, nous devrions les leur offrir.

Je suis entièrement d'accord avec Paul Steinhauer lorsqu'il dit que notre problème, c'est qu'il n'existe pas ici de bonnes politiques pour les jeunes, quel que soit leur âge, surtout pour les très jeunes. Si nous voulons lutter contre le crime et prévenir les actes criminels, c'est de ce côté qu'il faudrait se tourner. Il faudrait adopter de bonnes politiques plutôt que de prétendre que nous pourrons changer le monde grâce au droit pénal.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Cadman.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président. J'ai une brève question pour le Dr Steinhauer ou le Dr Davidson.

Dans votre mémoire, vous dites que les parents devraient participer davantage au système. Nous convenons tous que ce serait une bonne chose. Mais plus loin, à la même page, vous dites que les parents ne devraient peut-être pas être tenus responsables s'ils sont incapables de surveiller leurs enfants lorsque ceux-ci sont en liberté sous réserve de certains engagements.

Je suis sûr que vous avez lu la loi et que vous avez vu la disposition où on parle d'omettre sciemment de se conformer à un engagement. Je me demandais simplement pourquoi cela vous pose problème. Cette disposition est prévue à l'heure actuelle dans la Loi sur les jeunes contrevenants, donc tout ce que nous faisons dans ce projet de loi c'est en fait d'élargir l'option. Je me demande simplement pourquoi vous êtes de cet avis, parce que nous parlons d'omettre sciemment de se conformer et pas simplement d'un parent qui est négligent.

• 1245

M. Paul Steinhauer: Je pense que ce qui se passe malheureusement dans le cas du système actuel, c'est que très souvent les parents sont coupés de la vie de l'enfant une fois que l'enfant est mis sous garde. Je pense que notre objectif—et Mme Chapman en a donné un excellent exemple—c'est que la famille participe à toutes les étapes et soit encouragée à faire un travail efficace et reçoive le type d'aide dont elle a besoin pour le faire. Je crois qu'il est bon de faire participer les familles de cette façon-là.

Je crois que l'observation que vous êtes en train de faire à propos de notre mémoire écrit, c'est que nous sommes préoccupés par la tendance, de la part de certaines provinces, de considérer qu'il faut faire payer les parents, ou que si un enfant est libéré et confié à la responsabilité des parents et qu'il contrevient aux conditions de sa libération conditionnelle, alors il faudra en tenir les parents responsables. Ce qui nous préoccupe, c'est que si la participation des parents équivaut à une mesure punitive pour les parents, surtout à un moment où les parents ont perdu le contrôle ou ont de la difficulté à contrôler un jeune, les rendre financièrement responsables risque de miner encore davantage la relation entre les parents et l'enfant. Cela peut inciter de nombreux parents frustrés à abandonner et peut les dissuader d'essayer d'aider leur jeune lorsqu'il traverse une période difficile.

M. Chuck Cadman: J'aimerais simplement ajouter que ce dont nous parlons, du moins dans ce projet de loi, et ce à quoi vous faites allusion, je crois, c'est la disposition qui tient en fait les parents criminellement responsables lorsque l'on omet sciemment de se conformer à une ordonnance signée du tribunal. Autrement dit, pourquoi un parent qui a perdu le contrôle, ou qui a l'impression d'avoir perdu le contrôle, comparaîtrait-il devant un juge et lui dirait-il, très bien, je vais reprendre la garde de cette personne, et je vous garantis qu'elle se présentera devant le tribunal et qu'elle respectera toutes les conditions que vous lui imposerez? Puis le parent s'en va et oublie tout simplement. Il s'agit d'un défaut délibéré de se conformer à un engagement signé pris devant le tribunal, et nous considérons qu'il faudrait prévoir une forme quelconque de sanction.

Dr Simon Davidson: Ou le parent s'en va et essaie de remplir ses obligations, mais comme la situation est déjà incontrôlable, elle le devient d'autant plus.

M. Chuck Cadman: Une fois encore, l'adverbe «sciemment» est important ici.

M. Paul Steinhauer: Je pense aussi qu'il peut y avoir de nombreux parents qui à l'époque, avec les meilleures intentions du monde, pourraient promettre qu'ils feront ce qu'ils peuvent pour aider à contrôler cet enfant et l'aider à s'en tirer, mais qui après une certaine période, lorsqu'il devient apparent que ce n'est pas le cas, deviennent tellement découragés qu'ils risquent de complètement abandonner.

M. Chuck Cadman: Mais n'ont-ils pas l'obligation de téléphoner à l'agent de probation ou au tribunal pour leur indiquer que l'enfant n'est plus contrôlable, qu'il ne respecte pas les conditions imposées, et leur demander de le reprendre, plutôt que de faire comme si de rien n'était? C'est la question que je vous pose.

M. Paul Steinhauer: Je dois dire que si j'étais un peu plus sûr que la solution ne consisterait pas à remettre simplement l'enfant sous garde parce qu'il a violé les conditions de sa libération, mais plutôt de travailler avec l'enfant et la famille pour leur offrir un soutien efficace afin d'aider l'enfant... Je pense que ce serait une mesure beaucoup plus sensée à prendre. Malheureusement, ce qui se passe très souvent, c'est que les parents téléphonent effectivement lorsqu'ils ont des problèmes qui sont souvent des problèmes concernant la relation parent-enfant—par exemple, imposer une heure de rentrée à l'enfant—et si l'enfant comparaît à nouveau devant le tribunal, on le met alors sous garde, ce qui à mon avis n'est utile pour personne.

M. Chuck Cadman: Il ne s'agit pas de libération conditionnelle. Il s'agit de mise en liberté avant le procès; il s'agit de mise en liberté sous caution.

Le président: Je tiens à ce que chacun ait son tour.

Madame Carroll.

Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Je vous remercie tous d'être venus. Votre témoignage nous sera extrêmement utile. Connaissant votre expérience et votre professionnalisme, j'apprécie d'autant plus la générosité avec laquelle vous nous avez donné votre temps et je vous en remercie.

Vous avez souligné le dilemme auquel nous, législateurs fédéraux, sommes confrontés s'agissant du Code criminel car nous devons tâcher, je dirais, de redresser les situations qu'il ne nous appartient pas vraiment de redresser. En effet, parce que les paliers de gouvernement auxquels ces responsabilités incombent se sont retirés, nous laissons notre législation lancer un défi à la société alors que ce ne devrait pas être le cas et que ce ne devrait pas être fait à notre niveau. Il ne s'agit en effet pas ici de se dérober, mais prenons le cas de la province d'Ontario—et pour ma part je représente Barrie—Simcoe—Bradford—où le système de protection pour la jeunesse... Il s'agit plutôt des diverses mesures prévues à l'endroit des enfants, comme l'aide à l'enfance... Prenons le cas du comté de Simcoe qui, hormis deux autres comtés, est celui qui est le moins financé en Ontario. Il est tout à fait renversant de constater à quel point le système est désaxé. Ainsi, monsieur Doob, je voudrais que vous me disiez quelles sont les mesures que nous pourrions prendre pour réagir adéquatement à l'excellente analyse que vous nous avez exposée.

• 1250

M. Anthony Doob: Je comprends votre inquiétude, mais vous faites bien d'adopter des lois telles qu'il est plus difficile pour l'Ontario de gaspiller des ressources importantes en enfermant des jeunes gens qui ne devraient pas l'être. Selon moi, c'est une des réalisations de ce projet de loi. Quelle que soit la façon de calculer, un très grand nombre de jeunes, et j'entends par là des milliers, sont placés sous garde et il en coûte de 150 à 250 $ pour chacun d'eux par jour. C'est là une énorme somme d'argent qui n'est pas utilisée efficacement. Si nous pouvons effectivement réduire ce coût...

La difficulté vient du fait qu'il ne vous incombe pas manifestement d'exiger qu'on opère un changement positif et que l'argent soit désormais dépensé de façon plus rationnelle. Cependant, je reviens aux mesures de déjudiciarisation qui, si elles étaient encouragées, sur le plan législatif et grâce à des accords de partage des coûts, permettraient au gouvernement fédéral de garantir un traitement plus positif des jeunes qui ne se limiterait pas à les enfermer pendant 30, 60 ou 90 jours.

Mme Aileen Carroll: Merci.

Le président: Merci.

Monsieur Brodeur.

M. Jean-Paul Brodeur: Puis-je répondre également?

[Français]

Mme Aileen Carroll: Si vous le voulez, monsieur.

[Traduction]

M. Jean-Paul Brodeur: Le premier élément pourrait être un peu exagéré. Sur le plan historique, les lois de protection de l'enfance ont été instaurées au départ en Angleterre et concernaient la SPCA. Il existait essentiellement des établissements de protection des animaux qui ont petit à petit commencé à accueillir des enfants.

L'idée ici n'est pas de récupérer les abris destinés aux animaux pour y mettre des enfants. Il s'agit d'une position de principe reconnaissant l'urgence de la situation et l'impossibilité de refuser qui que ce soit. Au départ, il faut que le régime soit orienté vers la personne. Selon moi, c'est une question de principe.

En outre, d'après moi, les excès de répression les plus déplorables et les désastres les plus graves en matière pénale se sont produits quand nous avons confondu le droit pénal qui est essentiellement un système fondé sur la coercition et le système hospitalier, les asiles d'aliénés, les écoles ou toute autre forme d'installation prodiguant des soins.

Pour répondre à votre question, je pense qu'il faut dire haut et clair que ce n'est pas là notre fonction et que nous ne sommes pas en mesure de nous occuper de cet aspect-là. Dans certains cas, des gens dévoués font des merveilles, voire des miracles, mais il est impossible d'institutionnaliser les miracles. Si vous voulez un système pour prodiguer des soins, injectez l'argent ailleurs.

Le président: Nous avons le temps d'entendre deux autres personnes, M. Bellehumeur et M. McKay de nouveau. Je pense que M. Steinhauer veut aussi prendre la parole.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Je l'ai lu en diagonale, mais dites-moi, les remarques que vous avez faites, entre autres sur le paragraphe 72(2) du projet de loi, sont-elles dans le mémoire?

M. Jean-Paul Brodeur: Là-dedans, on s'est limités aux questions d'incarcération et aux questions de mesures extrajudiciaires. On n'a pas traité de cette question des...

M. Michel Bellehumeur: D'accord. Y a-t-il d'autres points comme celui des enfants ou comme le paragraphe 72(2) qui suscitent des interrogations?

M. Jean-Paul Brodeur: J'en ai au moins un autre qui ne figure pas dans le mémoire. Il s'agit d'une clarification du principe de la proportionnalité qui, je pense, scandalise parfois un certain nombre de personnes au Québec. Je pense qu'il faudrait réagencer l'article 37. Cela n'y est pas encore et ce sera en quelque sorte un addenda dans lequel je pourrais peut-être, si vous le voulez, inclure cette chose.

M. Michel Bellehumeur: Parlez-vous de l'alinéa 37(2)b) qui porte sur l'harmonisation des peines?

• 1255

M. Jean-Paul Brodeur: Aux alinéas 37(2)c) et 37(2)d), on lit:

      c) la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité de l'adolescent à l'égard de l'infraction;

      d) sous réserve de l'alinéa c), la peine doit:

        (i) être la moins contraignante possible pour atteindre l'objectif mentionné au paragraphe (1),

C'est comme si on disait à l'alinéa 37(2)c) qu'il faut imposer une sanction proportionnelle, c'est-à-dire suffisamment punitive, puis par la suite, lorsqu'on parle de la peine la moins contraignante possible, qui est le principe de désescalade, qu'on peut bien choisir la sanction la moins contraignante possible, mais sous réserve du principe énoncé à l'alinéa 37(2)c), soit le principe de la proportionnalité.

On risque de donner une interprétation punitive à la notion de proportionnalité. La proportionnalité sous-entend qu'on impose une peine proportionnelle et qu'une fois que cette dernière a été établie, on peut se diriger vers la mesure la moins restrictive.

En changeant l'ordre des dispositions, on pourrait peut-être dissiper ce qui m'apparaît être une illusion et corriger une lacune dans le projet de loi.

M. Michel Bellehumeur: Au paragraphe 37(1), on parle d'infliger des sanctions justes. Ces dispositions ont quand même une incidence sur l'alinéa 37(2)c).

M. Jean-Paul Brodeur: Mais on ne saurait se substituer au tribunal.

M. Michel Bellehumeur: Mais on peut orienter le tribunal au moyen, par exemple, de la loi.

M. Jean-Paul Brodeur: Oui, on peut l'orienter.

J'ai consacré beaucoup de mon temps à argumenter en ce sens. La justice n'est jamais équivalente à la punition. Il y a eu ce mouvement qu'on a appelé le mouvement

[Traduction]

Just Desserts.

[Français]

Lorsqu'on parle de la proportionnalité de la justice, on pense toujours qu'il s'agit de l'exercice d'une rétribution. Il y a d'autres formes de justice, comme la justice restauratrice ou réintégratrice. Infliger une sanction, ce n'est pas nécessairement exclure quelqu'un. Il peut s'agir de faire subir à un contrevenant certaines autres conséquences, après quoi on tente de le réintégrer. Lorsque je vois le mot «juste» dans une loi, je ne le fais pas toujours correspondre au mot «punitif», bien que ce soit une connotation que certaines gens lui donnent parfois.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur McKay, allez-y. J'ai promis à M. Steinhauer de lui permettre de prendre la parole, puis nous lèverons la séance.

M. John McKay: À certains égards, le contraste entre l'approche du Québec et celle du reste du Canada constitue une étude de cas révélatrice. On serait porté à croire qu'au-delà de 18 ans, le taux de criminalité au Québec par rapport à celui du reste du Canada accuserait des différences appréciables. Je me demande si vous pouvez constater à cet égard que grâce au traitement relativement différent réservé aux jeunes du Québec, le taux de criminalité chez les adultes y évolue différemment.

M. Jean-Paul Brodeur: Autrement dit, vous voudriez savoir si les statistiques révèlent que la criminalité chez les adultes au Québec se ressent du traitement plus indulgent qu'on y réserve aux jeunes. Autrement dit, cela pourrait avoir des effets positifs dans la population adulte de sorte que le taux de délinquance des adultes serait inférieur. Il faudrait que...

M. John McKay: Je ne dirais pas «indulgent», mais néanmoins vous avez compris ma question.

M. Jean-Paul Brodeur: Mais c'est exactement ce que vous voulez savoir. D'emblée, je ne peux pas vous donner de réponse tout de suite. Il me faudrait étudier les statistiques.

Avez-vous autre chose dans votre tête de statisticien?

M. Anthony Doob: En analysant les taux de criminalité d'ensemble au Québec, on constate qu'ils sont inférieurs par rapport à ceux de l'Ontario, par exemple je soupçonne que cela s'explique moins en raison du système de justice réservé aux jeunes qu'en raison d'une orientation plus positive à l'égard des enfants dans l'ensemble. Tout le monde cherche du côté du système de justice pour les jeunes pour trouver des façons d'expliquer la différence. Je pense que ce système y est pour quelque chose mais je serais porté à croire que cela révèle une approche plus conviviale à l'égard des enfants dans la province.

Le président: Vous êtes tellement intéressants que cela devient un cauchemar pour le président. Brûlez-vous encore d'impatience?

Monsieur Saada, pour une dernière question, et ensuite je promets...

• 1300

M. Jacques Saada: [Note de la rédaction: Inaudible]... ces chiffres.

[Français]

Ai-je raison de dire que, de façon générale, toutes les études qu'on a pu voir confirment que plus les délinquants, jeunes ou adultes, sont incarcérés, plus les risques de criminalité de récidive sont élevés? Autrement dit, est-ce que l'augmentation de la durée de la mise sous garde augmente les risques de criminalité ultérieure?

M. Jean-Paul Brodeur: Je vais d'abord vous dire une chose. Dans le domaine de la justice pénale, il y a actuellement un mouvement qui dit très exactement cela. Plus on est punitif et plus on incarcère, plus les taux de criminalité seront élevés. Beaucoup de gens le disent et ont des statistiques pour appuyer cette affirmation, mais il ne faut pas surévaluer la connaissance du monde de la justice que nous possédons en criminologie. Quelqu'un pourrait produire d'autres statistiques qui diraient, par exemple, que si on incarcère très souvent quelqu'un pour de courtes périodes, à mesure qu'il va vieillir, sa santé va se dégrader et il commettra moins de crimes. Vers l'âge de 44 ou 45 ans, ces gens commettent moins de crimes parce que c'est fatigant d'être un délinquant, dans une certaine mesure. On a donc les deux côtés de la médaille.

Pour ma part, je suis plutôt pour le premier versant, mais il est très difficile de répondre sans équivoque, sans ambiguïté et avec une certitude absolue à des questions d'ordre statistique dans le domaine de la délinquance.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup.

Mon ami M. Alcock me rappelle qu'il y a pire que d'interrompre les gens; c'est de les laisser continuer. Nous allons terminer avec M. Steinhauer.

M. Paul Steinhauer: Madame Carroll, je voudrais ajouter quelque chose au sujet de ce que vous avez dit. Une des grandes difficultés qui se posent vient du fait que nous sommes à une époque où les problèmes des familles sont bien plus lourds que dans les années 60 quand j'élevais mes enfants, et comme les problèmes de la société sont bien plus graves, nous ne pouvons pas offrir les le soutien nécessaire aux familles qui ont du mal à élever correctement leurs enfants. Cela est dû en partie à des ressources insuffisantes. Dans notre pays, nous n'avons pas considéré comme étant important d'aider les parents à élever leurs enfants comme c'est le cas dans la plupart des pays d'Europe de l'Ouest et certainement en Scandinavie.

En outre, et cela est un facteur en partie, les ressources sont insuffisantes. Prenez un secteur comme la santé mentale par exemple et vous constaterez qu'on y utilisera intensément les ressources pour s'en tenir à un mandat spécifique, à savoir la santé mentale. Et il n'y aura pas de consultations avec les écoles ou avec l'aide à l'enfance. L'aide à l'enfance s'en tiendra à son propre mandat. Il n'y aura pas de mesures de protection dans les écoles, on ne s'occupera que des problèmes d'éducation. Les problèmes de comportement seront ignorés et le cas échéant, la solution sera d'exclure les enfants.

J'ai pu constater cela de façon magistrale. Pendant trois semaines, j'ai eu l'occasion de rencontrer plus de 60 groupes, représentant quelque 4 000 travailleurs dans toutes ces professions en Alberta, afin d'envisager à quoi ressemblerait un éventuel système intégré. Les représentants de chacun des groupes m'ont dit qu'au milieu des années 90, quand on a fait des compressions dans tous les services offerts aux enfants, chaque groupe s'est retranché derrière son propre mandat et a procédé à des exclusions. Puisque ce sont les enfants les plus difficiles qui ont des démêlés avec la justice, et qui souffrent de difficultés qui les amènent à être vus par deux ou trois systèmes différents, on ne s'étonnera donc pas que des systèmes déjà lourdement sollicités soient portés à les exclure faute de ressources.

Ainsi, il faut à tout prix organiser un système intégré des ressources destinées à l'appui du développement de l'enfant, et je me ferai un plaisir de m'entretenir avec vous sur la façon dont cela pourrait être réalisé.

Prenez par exemple la situation en Ontario. Au début des années 90, un travailleur de l'aide à l'enfance disposait en moyenne de 15 minutes par semaine par famille, et cela quand il n'avait pas été saisi d'une nouvelle allégation d'abus sexuels, ce qui représentait en moyenne de 14 à 16 heures d'enquête sur une période de deux semaines, l'urgence exigeant que tout le reste soit mis en veilleuse. Dans ces conditions, il est impossible de faire son travail.

J'espère que les membres du comité pourront transmettre un message aux provinces qui réclament à cor et à cri que l'on judiciarise plus d'enfants. Il faudrait amener ces provinces à analyser les circonstances susceptibles de pousser les enfants à la criminalité afin que les autorités puissent faire quelque chose à cet égard.

• 1305

Le président: Merci beaucoup. Je pense qu'il est évident...

Mme Aileen Carroll: Monsieur le président, je voudrais dire une chose très brièvement—et je sais que nous sommes en train d'enfreindre toutes les règles—mais je vous serais reconnaissante d'avoir la patience de m'écouter pour que nous puissions faire porter la réponse à ma question au compte rendu.

Je suis la vice-présidente du Comité Canada-Europe et je suis allée récemment à Strasbourg. Moi aussi j'ai été consternée de constater l'écart entre notre pays et les pays d'Europe occidentale sur le plan de l'appui aux familles et j'ai été renversée de constater à quel point nous ne nous soucions pas des enfants. Je vous remercie donc de vos propos.

Le président: Merci beaucoup. Il semble que la combinaison des témoins ait été fortuite au cours de cette discussion...

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Monsieur le président, j'aimerais faire deux observations. Cette séance a débuté à 11 heures et nous avons consacré à peine deux heures à la comparution de cinq témoins. Nous devrions prévoir une période d'au mois trois heures lorsque comparaissent cinq ou six témoins. Bien que nous, les députés de l'opposition, ayons des choses à faire en vue de la période des questions à la Chambre, je suis resté ici pour entendre nos témoins.

L'ordre du jour de la séance prévue à 15 h 30 indique que nous entendrons six témoins. J'ose espérer que nous disposerons alors d'au moins trois heures et qu'à l'avenir, les séances prévues le matin débuteront avant 11 heures, sans quoi nous ne pourrons entendre que deux témoins ou deux groupes. On demande à des témoins de se déplacer des témoins et on ne dispose pas d'assez de temps pour leur poser des questions. Cela n'a pas de bon sens. J'aurais aimé poser de nombreuses questions à nos derniers témoins.

J'aimerais également soulever le fait que je siège au Comité de la justice depuis 1993 et que je sais qu'il faut parfois beaucoup de temps pour obtenir la version française des documents. Puisque nous étudions un dossier extrêmement important et qu'on y a beaucoup investi depuis plusieurs années, j'ose espérer qu'on fera preuve de diligence et que tous les mémoires qui doivent être traduits, que ce soit en anglais ou en français, le seront rapidement afin que tous les membres du comité disposent des mêmes outils en même temps et qu'on puisse agir de la façon la plus équitable possible.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup. Je l'ai déjà dit, je pense que nous avons réuni ici un bon groupe d'experts ayant un bon bagage et nous vous remercions de votre aide.

Avant de partir, je tiens à dire aux membres du comité qu'il y a quelques annulations pour cet après-midi. Le problème qui a été décrit sera en partie réglé. Toutefois, nous pourrons en profiter—rassurez-vous je ne vais pas vous inviter à revenir—pour discuter de certaines questions de régie interne.

M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.): Voulez-vous que nous en parlions maintenant?

Le président: Non.

Merci. La séance est levée.