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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 19 septembre 2000

• 1752

[Traduction]

Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): La séance est ouverte. Je suis heureux de vous revoir tous. J'ai quand même une impression de déjà vu. Je suis certain que les séances du comité vous ont manqué cet été. Je sais que les fonctionnaires du ministère de la Justice avaient hâte que nous reprenions nos travaux.

Premièrement, aux fins du compte rendu, je signale que ce soir, nous poursuivons notre examen du projet de loi C-3, Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence. Nous en sommes à l'étude article par article.

Le greffier me rappelle que lorsque nous avons ajourné nos travaux à notre dernière rencontre, M. Bellehumeur nous entretenait d'une motion. Vous me pardonnerez, monsieur Bellehumeur, si je ne me souviens pas précisément du libellé de la motion, mais je crois que vous avez pu nous l'expliquer en détail. Selon les règles, par conséquent, c'est M. Bellehumeur qui a la parole.

Mais avant de lui céder la parole, je rappelle à tous qu'il y a un ordre de la Chambre nous enjoignant de poursuivre le débat à l'étape de l'étude article par article du projet de loi C-3 pendant encore dix heures, après quoi, comme l'indique le greffier, je serai tenu de mettre les articles aux voix sans autre débat, comme le veut l'ordre de la Chambre en date d'aujourd'hui.

M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Qu'on le veuille ou non, vous serez tenu de le faire.

Le président: C'est ce qu'on entend par «être tenu». Je suis certain que je n'aurai pas vraiment envie de le faire à trois heures du matin.

Sur ce, nous poursuivons. Monsieur, voulez-vous continuer votre explication de la motion? Vous pourriez peut-être nous rappeler son contenu.

[Français]

M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): Monsieur le président, je veux qu'on se comprenne bien dès le départ car je ne veux pas argumenter sur des questions de procédure à 3 heures du matin.

• 1755

J'ai devant moi la motion. De toute façon, j'ai voté contre la motion du gouvernement qui nous amène ici pour l'étude du projet de loi C-3 et nous impose des balises, entre autres qu'il ne soit pas accordé plus de 10 heures pour les délibérations. Je veux qu'on se comprenne, monsieur le président. Est-ce que cela veut dire que, si nous débattons de ma motion pendant 10 heures, le projet de loi sera adopté article par article sans plus amples débats ou amendements?

[Traduction]

Le président: C'est exact. Essentiellement, nous avons amorcé l'examen article par article du projet de loi C-3 au mois de mai dernier. En conséquence, l'ordre de la Chambre signifie que nous pouvons débattre du projet de loi pendant encore dix heures, le débat ayant commencé le printemps dernier et le temps filant depuis.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Êtes-vous conscient qu'on n'a pas encore commencé l'étude article par article? On débat toujours de ma motion.

[Traduction]

Le président: Votre motion fait partie de l'examen article par article du projet de loi C-3; en théorie, nous avons donc déjà commencé le débat. Si vous voulez que je mette la question aux voix et que nous passions à autre chose, je suis sûr que cela en intéresserait certains.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Non, pas du tout. Je veux qu'on se comprenne bien, parce qu'à 3 heures du matin, les idées seront sûrement moins claires qu'elles ne le sont aujourd'hui, si elles peuvent l'être aujourd'hui.

Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Michel Bellehumeur: Non, pas nécessairement, surtout quand je vois les députés du Québec. J'espère qu'à 3 heures du matin, ce sera plus clair que lorsqu'on a adopté la motion de bâillon sur ce projet de loi.

Cela étant dit, monsieur le président...

[Traduction]

Le président: J'ai bien l'impression qu'à trois heures du matin, nous serons moins fatigués que vous.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Probablement, mais cela fait partie des risques du métier et je les assume pleinement.

Monsieur le président, je vais me mettre à l'aise si cela ne vous dérange pas. Effectivement, on débat d'une motion et je vais vous la lire pour que tout le monde puisse être au même niveau.

Avant de commencer, j'aimerais saluer les nouveaux membres du Comité de la justice, qui n'ont pas eu la chance de m'entendre au mois de mai et au mois de juin. Ce n'est que partie remise. Vous avez vraiment la chance, vous, d'entendre de A à Z mon argumentaire. Je suis persuadé qu'à 3 heures du matin, vous serez favorables à ma motion et au point de vue du Québec.

La motion se lit comme suit:

    Que l'examen article par article du projet de loi C-3, intitulé Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence, soit reporté afin de permettre à la ministre de la Justice et procureur générale du Canada de venir témoigner au comité pour expliquer ses nombreux amendements et répondre à nos questions.

Cette motion a encore toute sa raison d'être aujourd'hui puisque, de toute évidence, les députés du gouvernement, les membres du Parti libéral qui viennent du Québec n'ont sûrement pas transmis à la ministre de la Justice le message qu'ils devaient lui transmettre pour lui expliquer qu'elle fait fausse route avec son projet de loi C-3.

La motion qu'on a adoptée aujourd'hui va bâillonner le Québec en quelque sorte. Comme vous le savez, monsieur le président, ce qui n'est peut-être pas le cas de tous les membres du comité, il y a un large consensus au Québec: on ne veut pas que la ministre de la Justice touche quoi que ce soit dans l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants.

La ministre de la Justice—j'ose espérer qu'elle n'est pas fière d'elle-même—a déposé une motion pour bâillonner le Québec et faire adopter à toute vapeur un projet de loi aussi important que celui qu'elle nous propose, comme elle l'a dit elle-même. Lorsque la ministre de la Justice est venue témoigner ici, elle a dit que c'était sans doute le projet de loi le plus important depuis qu'elle était ministre de la Justice.

• 1800

J'ose espérer que les députés qui sont assis en face savent que le projet de loi C-3 comporte plus de 200 articles. On ne saurait dire qu'il s'agit d'amendements à la Loi sur les jeunes contrevenants; on devrait dire que la Loi sur les jeunes contrevenants est abrogée. On introduit dans le système une toute nouvelle façon de faire, à savoir une Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.

Autrement dit, on veut mettre à la poubelle ce qu'on fait grâce à la Loi sur les jeunes contrevenants depuis des années. On veut faire quelque chose de nouveau et de risqué, ce qui fera en sorte que les résultats ne seront pas aussi probants qu'ils le sont aujourd'hui.

De toute évidence, les députés du Québec n'ont pas fait valoir le point de vue des Québécois. Je suis persuadé que les députés du Québec ont reçu le même genre d'appels téléphoniques que moi au cours de l'été. Je suis convaincu qu'ils ont entendu les mêmes représentations de la part de la Coalition pour la justice des mineurs, des centres jeunesse, de l'Institut Philippe-Pinel et de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. J'y reviendrai plus tard. En réponse à une question que je lui ai posée, la ministre a cité un paragraphe d'une lettre qui provenait de je ne sais trop où. Ses affirmations allaient carrément à l'encontre du mémoire que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec avait déposé auprès du comité. On mettra les pendules à l'heure au cours de la soirée.

De toute évidence, les députés du Québec qui ont reçu ces appels téléphoniques—je sais qu'ils ont reçu ces appels parce que des groupes m'ont dit l'avoir fait—n'ont pas fait leur job auprès de leur ministre. De deux choses l'une: soit qu'ils aient fait leur job et qu'ils aient un poids zéro dans ce gouvernement, soit qu'ils ne l'aient pas fait. Dans les deux cas, c'est inquiétant pour le Québec.

Au Québec, on ne veut pas qu'on modifie la Loi sur les jeunes contrevenants. Il y a consensus à cet égard. Je reviendrai à ce consensus au cours de la soirée. La résolution qu'a adoptée l'Assemblée nationale tient toujours. Elle s'ajoute à la voix de tous les intervenants qui, de près ou de loin, appliquent la Loi sur les jeunes contrevenants. Ils s'entendent tous pour dire qu'il ne faut pas toucher à la loi.

La ministre a décidé d'aller à toute vapeur et de faire adopter cette nouvelle loi en vertu de laquelle on traitera les adolescents qui ont commis un délit de la même façon que n'importe quel autre criminel. On accélère le processus et on impose un bâillon au député du Bloc québécois qui défend trop les intérêts du Québec et qui crie peut-être trop fort lorsqu'il réclame ce que le Québec veut qu'on puisse retrouver dans ce projet de loi. On lui impose ce bâillon pour lui fermer la trappe, comme on dit en bon Québécois, tandis que de l'autre côté, monsieur le président, la ministre ne fait rien ou hésite lorsqu'elle entend le Québec réclamer une loi antigang.

Je ne veux pas faire de politique sur des sujets semblables, mais mettez-vous à notre place, nous, les Québécois. On est vraiment mal défendus par ce gouvernement. Encore une fois, où sont les députés du Québec? Je pourrais quasiment vous demander qui ils sont car on ne les entend pas. Moi, j'ai la chance d'être au Parlement et de pouvoir les voir. Je trouve inquiétant que les députés ne se soient pas levés pour dénoncer l'attitude de la ministre de la Justice.

Je regardais aujourd'hui comment cela est situé dans la Chambre des communes. Pierre Pettigrew est un député du Québec, voire même un ministre. Qu'a-t-il dit pour défendre les intérêts du Québec dans ce dossier? A-t-il enjoint sa collègue la ministre de la Justice, qui siège avec lui, de venir répondre aux questions des membres du comité et de leur expliquer de quelle façon les amendements proposés répondent aux revendications du Québec? On ne s'attendrait pas à moins que ça puisqu'il siège à ses côtés au Cabinet.

Mme Robillard est présidente du Conseil du Trésor. Qu'a-t-elle fait? Je me souviens des propos qu'avait tenus Mme Robillard lorsqu'elle était arrivée au Parlement après avoir été élue lors d'une élection partielle. Elle disait que les intérêts du Québec étaient mal défendus par le Bloc québécois, et qu'elle, grande sagesse du Québec, venait défendre les Québécois, qui étaient mal défendus.

• 1805

Qu'a dit Mme Robillard au sujet du projet de loi C-3 alors qu'il y a un consensus ferme au Québec pour dire que l'on ne veut pas de ce projet de loi? Qu'a-t-elle dit, Mme Robillard? Je ne l'ai pas entendue. Sincèrement, les gens de son comté doivent se dire qu'elle n'était pas là. Mais elle y était. Cela fait tellement longtemps qu'on parle du projet de loi C-3 que, si elle avait manqué une journée, elle aurait pu se reprendre. C'est important, ces choses-là.

M. Martin, l'important ministre des Finances, est avant tout un député du Québec. Qu'est-ce qu'il a dit? Quelle est sa position sur le projet de loi C-3? Est-ce qu'il a demandé à la ministre de venir témoigner ici tel que j'en fais la demande dans ma motion? Est-ce qu'il a défendu les intérêts du Québec, M. Martin? Il ne suffit pas toujours de poser des gestes d'éclat et de présenter de beaux budgets. C'est bien beau, mais concrètement, les gens qui appliquent la Loi sur les jeunes contrevenants à tous les jours savent qu'aujourd'hui, la Loi sur les jeunes contrevenants est bien appliquée au Québec. C'est grâce aux intervenants qui ont investi des heures et des années afin d'améliorer leur approche auprès des jeunes contrevenants. Mais voilà qu'il les laisse tomber. Paul Martin laisse carrément tomber ces gens-là.

Pour sa part, M. Chrétien n'est pas le moindre des ministres. Il est le premier ministre du Canada et député du Québec, le petit gars de Shawinigan. Or, il ne s'est pas prononcé bien fort pour dire à la ministre qu'elle faisait fausse route. Il ne s'est pas prononcé bien fort pour dire à la ministre d'aller au comité afin d'essayer d'expliquer ses amendements. Cela n'a pas de bon sens. Au Québec, on ne veut pas de ce projet de loi. De plus, les amendements proposés sont insatisfaisants. Il n'a pas dit à la ministre d'aller en comité afin d'expliquer ce qu'elle veut. Est-on en droit de s'attendre à cela du premier ministre du Canada, qui est aussi un député du Québec? Il me semble que oui.

Martin Cauchon, le ministre du Revenu national, est un jeune député de la nouvelle génération, mais son attitude ressemble pas mal à celle des députés libéraux de la vieille génération qui siègent à la Chambre des communes. Ils ne disent pas grand-chose et ils se laissent manger la laine sur le dos. Quand s'est-il levé pour défendre les intérêts du Québec dans le projet de loi C-3? Jamais. Au contraire, lorsque je pose des questions en Chambre, il trouve le moyen d'en rire. Il trouve ça drôle, comme d'autres députés libéraux, également du Québec. Il trouve drôle que le Québec se mette à sa place, que le Québec se mette un bâillon. Il trouve cela drôle. C'est comique, n'est-ce pas? C'est très, très comique.

Stéphane Dion, le grand chevalier de la Constitution canadienne, où est-il? Où est-il, ce ministre des Affaires intergouvernementales, champion de l'application de la Constitution canadienne et des bonnes idées? Il aurait peut-être dû réfléchir à autre chose qu'à son plan A et à son plan B et regarder le contenu de cette brique qu'est le projet de loi C-3 pour se rendre compte que personne n'en veut au Québec.

Ce n'est pas parce qu'on veut se dire plus fins que les autres. C'est simplement que le Québec, contrairement aux autres provinces, applique la Loi sur les jeunes contrevenants. S'il y a un ministre qui peut savoir cela, c'est bien lui, parce qu'à titre de ministre des Affaires intergouvernementales, il sait que ce sont des choses dont on discute entre les provinces. Eh bien, non! Lui aussi s'est fait élire lors d'une élection partielle, au même moment que Mme Robillard, je pense, et M. Pettigrew. C'étaient les trois chevaliers qui venaient défendre les intérêts du Québec. À mon avis, ils étaient assis sur une vieille picouille et ce dossier ne s'est jamais rendu au Parlement, monsieur le président, puisqu'aucun de ces trois députés ne s'est levé pour défendre les intérêts du Québec.

Maintenant, on se tourne vers les banquettes arrières où se trouvent d'autres députés du Québec, des députés d'arrière-ban libéraux. Ils auraient pu se lever et contester. Il y en a un d'eux qui, lorsqu'il était conservateur, s'était fait la réputation de se prononcer contre son parti. Il s'agit de M. St-Julien, le député d'Abitibi—Baie-James—Nunavik. Il s'était fait cette réputation au cours des deux mandats où il avait siégé à la Chambre à titre de député conservateur, car il était conservateur. Le Parti libéral a autant l'air d'un arc-en-ciel que le Bloc québécois. Il semble y avoir des conservateurs, des libéraux, toutes sortes de monde là-dedans.

• 1810

Pendant qu'il était chez les conservateurs, M. St-Julien s'était fait la réputation d'aller contre son parti. N'est-il pas drôle que dans le cas du projet de loi C-3, il fasse le mouton, la queue entre les deux pattes, et entre dans le rang? Quand avez-vous vu M. St-Julien se lever pour défendre les intérêts du Québec lors de l'étude de C-3? Jamais! Jamais! Je ne sais pas ce que vous dites à vos députés libéraux. Je ne sais pas ce que le premier ministre dit à ses députés, mais il faut presque que je le félicite, monsieur le président. Quand a-t-on demandé...

[Traduction]

Mme Judy Sgro (York-Ouest, Lib.): Monsieur le président, j'invoque le Règlement. Les remarques de mon collègue d'en face m'intéressent beaucoup, mais étant donné que c'est ma première participation aux travaux de ce comité, j'aimerais savoir précisément à quoi il s'oppose. A-t-il l'intention de nous en faire part ce soir?

[Français]

M. Michel Bellehumeur: On a du temps, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: J'ai bien l'impression qu'il nous en touchera quelques mots.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Oui, oui.

[Traduction]

Mme Judy Sgro: J'ignore toutefois combien de temps il aura notre attention. J'aimerais bien pouvoir l'entendre pendant que je suis encore éveillée.

Le président: Monsieur Bellehumeur, je crois qu'elle vous suggère de passer au vif du sujet sans trop tarder.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: On y arrive, monsieur le président. Je vous demande d'être patiente. La justice est un grand puzzle, et on forme chacun un petit puzzle. Je suis en train de mettre les pièces au bon endroit. Quand tout le puzzle sera fait, vous allez comprendre. Je suis sûr et certain que la lumière va se faire. Maintenant, il faut connaître les morceaux du casse-tête, et je suis en train de vous les dire. Vous avez la chance de siéger avec tous ces valeureux députés du Québec, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Je veux que ceux qui vont lire les notes de ce soir, parce que je sais qu'elles seront lues, sachent qui sont les députés du Québec et ce qu'ils ont fait pour défendre les intérêts supérieurs du Québec. Je suis persuadé que vous allez me comprendre. Je vous garantis que, vers minuit, on sera dans le sujet le plus juteux, en quelque sorte, et que la lumière se fera. Faites-moi confiance. Ce n'est pas la première fois que je fais cela. Je me suis pratiqué pendant 17 heures et demie. On continue donc dans cette grande envolée. Soyez sûre et certaine qu'on va y arriver.

[Traduction]

Mme Judy Sgro: À minuit, ma lampe sera éteinte.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Faites-moi confiance, il n'y a pas de problème. Je parlais donc de M. St-Julien.

Il est important de savoir que M. St-Julien, quand il était chez les conservateurs, allait contre son parti quand il s'agissait des intérêts importants du Québec. J'aurais aimé que sa réputation le suive lorsqu'il a traversé la Chambre pour aller du côté des libéraux. J'aurais aimé qu'il se lève et dise que cela n'a pas de bon sens au Québec. Tout à l'heure, madame, je vais vous énumérer tous ceux qui, au Québec, appliquent de près ou de loin la Loi sur les jeunes contrevenants et qui arrivent exactement à la même conclusion que moi: n'y touchez pas, car vous feriez fausse route. M. St-Julien aurait pu utiliser ces éléments pour argumenter et se justifier de voter contre son gouvernement sur un sujet aussi important.

Tout le monde connaît M. Charbonneau, le grand syndicaliste, le grand revendicateur. N'est-il pas drôle qu'il n'ait pas parlé trop fort en faveur des intérêts du Québec? Je n'ai pas beaucoup entendu le député d'Anjou—Rivière-des-Prairies sur un sujet aussi important que la Loi sur les jeunes contrevenants.

Quant au prochain, je suis presque gêné de le nommer parce qu'il était mon bâtonnier lorsque je pratiquais le droit. Il s'agit de M. Paradis. À titre d'ancien bâtonnier du Québec, il n'a pas plaidé grand-chose, et pas bien fort. Ses commettants de Brome—Missisquoi seraient bien déçus de voir qu'un ancien bâtonnier n'a rien trouvé de bon à dire pour convaincre la ministre de la Justice de revenir sur ses pas, pour lui dire qu'elle n'avait pas pris la bonne direction et qu'elle devait modifier de fond en comble son projet de loi, ou encore tout simplement le faire mourir au Feuilleton, comme cela arrive souvent. Pour sa plaidoirie auprès de la ministre, je donnerais à M. Paradis la note de 0. Que vous mettiez cela sur 10 ou sur 100, cela ne fait pas une grande différence.

• 1815

Parlons maintenant de la députée de Laval-Ouest, Mme Folco. Ce n'est pas étonnant qu'elle n'ait rien dit sur un projet de loi comme C-3, parce que je ne saurais dire ce qu'elle a dit sur d'autres projets de loi.

Quant à Mme Bakopanos, la députée d'Ahuntsic, elle a siégé au Comité de la justice. Elle sait fort bien quelle est l'importance de la Loi sur les jeunes contrevenants au Québec, mais elle n'a rien dit. Est-ce pour faire des voyages? Est-ce pour avoir un poste quelconque dans le Parti libéral? Est-ce pour son avancement, pour sa carrière? Je ne le sais pas, mais elle n'a rien dit pour convaincre la ministre, premièrement, de reculer avec son projet de loi C-3 ou, deuxièmement... Ne me regardez pas avec des yeux comme cela. Vous me faites peur, monsieur Myers. Ou bien, monsieur le président...

[Traduction]

M. Lynn Myers (Waterloo—Wellington, Lib.): J'invoque le Règlement, monsieur le président. Le député sait très bien qu'il ne doit pas passer de remarque sur les habitudes de voyage de ses collègues. Il prétend être un député de longue date et de bonne réputation; si tel est le cas, il devrait savoir que cela ne se fait pas. Il devrait aborder le sujet qui nous intéresse plutôt que de s'en prendre à la réputation des députés. Il n'aimerait pas qu'on dise cela de lui. Sauf le respect que je lui dois, j'estime qu'il ne devrait pas faire de telles remarques sur ses collègues.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Je poursuis, monsieur le président, en parlant de M. Assad, de Gatineau. Est-ce que M. Assad de Gatineau s'est levé pour défendre les intérêts du Québec lors de l'étude du projet de loi C-3? Malheureusement, je ne l'ai pas vu. Malheureusement, il n'a pas convaincu la ministre de venir témoigner au comité pour expliquer ses nombreux amendements. J'espère que vous le savez.

Le projet de loi compte 200 articles. De mémoire, parce que je ne les ai pas devant moi—j'avais assez d'autres choses à apporter ce soir—, je pense qu'il y a environ 200 amendements. Le loi était mal faite dès le départ, mais malgré ces 200 amendements, la coalition et tous ceux qui appliquent la loi au Québec disent qu'elle vise à côté, que ce n'est pas un bon projet de loi. Cela se comprend. Quand un projet de loi est pourri, même si on en change certains termes, il reste pourri. Il est irrécupérable.

Parlons du député de Verdun—Saint-Henri, M. Lavigne. Avez-vous entendu M. Lavigne... Ton tour s'en vient. Avez-vous entendu M. Lavigne défendre le projet de loi C-3? Moi, je ne l'ai pas entendu.

Le député de Lac-Saint-Louis, ancien ministre à l'Assemblée nationale... Vous avez du gros monde chez vous. Félicitations. M. Lincoln connaît très bien les revendications du Québec et connaît même très bien ceux et celles du Parti libéral qui ont voté une motion à l'unanimité avec les autres députés du Québec pour demander à la ministre de la Justice de surseoir et d'étudier plus adéquatement ce qu'on fait au Québec. On réussit au Québec. Faites donc l'inverse: exportez ce qu'on fait au Québec dans les autres provinces. Ne faites pas l'inverse. M. Lincoln, le député de Lac-Saint-Louis, connaît très bien cela. Qu'est-ce qu'il a fait? Il n'a absolument rien fait.

Le docteur Patry, de Pierrefonds—Dollard, qu'est-ce qu'il a fait lors de l'étude de C-3? Je suis persuadé qu'il a entendu parler comme moi de ce projet de loi au cours de l'été. Je suis persuadé que les gens l'ont appelé pour lui dire: «Écoute, cela n'a pas de bon sens. Convaincs ta ministre de ce qu'elle fait fausse route et demande-lui de changer d'idée.» Mais non. En tout cas, je ne l'ai pas entendu.

Sur les banquettes arrière, il y a deux nouveaux députés qui sont là pour défendre les intérêts suprêmes du Québec. Le député Price, de Compton—Stanstead, et la députée St-Jacques, de Shefford, sont nouvellement arrivés sur les banquettes du Parti libéral. J'aurais aimé qu'ils se lèvent et disent: «Écoutez, on ne partageait pas nécessairement votre opinion quand on était chez les conservateurs et on ne la partage toujours pas. Cela n'a pas de bon sens. Vous faites fausse route.» Mais non. Ils ont fait comme tous les autres.

Mme Jennings, de Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, fait souvent des déclarations en vertu de l'article 31 en Chambre, mais elle n'a jamais fait de déclaration de députée pour dénoncer le projet de loi C-3. Mais non. Elle suit, comme tous les autres députés du Parti libéral.

• 1820

Le dessert, c'est le député qui est en face de moi, Jacques Saada, qui siège au comité. C'est la cerise sur le sundae. Le député siège à ce comité. Il sait fort bien ce que le Québec désire. Je ne lui apprends rien. Je sais même que des gens ont communiqué avec lui. Les gens se disent qu'il est au gouvernement et qu'il va défendre les intérêts du Québec. Ce n'est pas qu'on soit divisés, au Québec, sur cette question. S'il est une question sur laquelle on n'est pas divisés, c'est bien celle de la Loi sur les jeunes contrevenants. Fédéralistes, souverainistes, libéraux, péquistes, adéquistes, bloquistes: tout le monde chante la même chanson. Tout le monde!

J'ai beaucoup d'estime pour M. Saada et je pensais qu'il aurait été capable de convaincre la ministre de venir témoigner ici pour expliquer ses amendements. Je pensais qu'il aurait été à côté de moi pour convaincre la ministre de ce qu'elle fait fausse route. Eh bien, non.

Je devrais aujourd'hui remercier tous ces députés à la veille d'une campagne électorale, car ils démontrent que le Québec n'est pas défendu par les députés des vieux partis et que les seuls qui puissent vraiment défendre les intérêts du Québec et amener le vrai message ici, à la Chambre des communes, ce sont les députés du Bloc québécois. On va s'arranger pour que les gens le sachent. On va leur expliquer cela.

De plus, tout ce beau monde était présent ce soir et a voté en faveur d'un bâillon pour faire taire le Québec. C'est inadmissible! Inadmissible!

Je vais faire un petit historique du projet de loi que nous avons à l'étude aujourd'hui, ainsi que de la motion. Vous vous souvenez fort bien que la ministre a fait une conférence de presse, à un moment donné, pour expliquer qu'elle déposait un nouveau projet de loi qui s'intitulerait «Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents». Je m'en souviens encore parce que j'étais vis-à-vis d'elle à l'édifice où elle avait fait sa conférence de presse. J'avais été fort étonné des commentaires qu'elle faisait. Elle disait qu'elle modifiait la loi pour plusieurs raisons, dont une en particulier: la Loi sur les jeunes contrevenants manquait de clarté. Elle disait que la loi ne déterminait pas le but principal du système. Elle disait que la Loi sur les jeunes contrevenants contenait des principes inconsistants et contradictoires. Elle disait qu'en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, aucun principe précis ne l'accompagnait aux divers stades des procédures judiciaires. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. On ne regardait probablement pas le même projet de loi. Ou encore, c'est possiblement sur la base d'une décision carrément politique que le ministère a tenté de trouver des arguments qui pourraient se joindre à la Loi sur les jeunes contrevenants. Tous ceux qui appliquent la Loi sur les jeunes contrevenants disent que les principes ne sont pas clairs, que le but n'est pas clair. Allons voir la déclaration de principes qu'on trouve à l'article 3 de la Loi sur les jeunes contrevenants. Les principes y sont clairement indiqués. Quand je lis l'article 3, je ne trouve pas que ce n'est pas clair. Voici ce qu'on y dit, monsieur le président:

      3.(1) Les principes suivants sont reconnus et proclamés:

      a) la prévention du crime est essentielle pour protéger la société à long terme et exige que l'on s'attaque aux causes sous-jacentes de la criminalité des adolescents et que l'on élabore un cadre d'action multidisciplinaire permettant à la fois de déterminer quels sont les adolescents et les enfants susceptibles de commettre des actes délictueux et d'agir en conséquence;

• 1825

J'aurais aimé que la ministre soit présente ce soir. Je lui aurais demandé ce qu'elle ne comprend pas dans cela et ce qu'il y manque pour que ce soit plus clair. Je sais que vous, les libéraux, êtes très portés sur la clarté des choses, mais il me semble que l'alinéa 3(1)a) est clair. Je ne pense pas qu'il était de bon aloi de modifier toute cette loi pour cet alinéa.

Regardons l'alinéa a.1). C'est un amendement qu'on a apporté au cours des années. Je vous ferai tout à l'heure un petit historique de la Loi sur les jeunes contrevenants. Je suis sûr que cela va éclairer les députés d'en face.

On dit à l'alinéa 3a.1):

      a.1) les adolescents ne sauraient...

C'est très important. J'aurais aimé que la ministre soit ici ce soir pour que je lui pose cette question.

      a.1) les adolescents ne sauraient, dans tous les cas, être assimilés aux adultes quant à leur degré de responsabilité et aux conséquences de leurs actes; toutefois, les jeunes contrevenants doivent assumer la responsabilité de leurs délits;

Qu'est-ce qui n'est pas clair dans cette disposition? D'ailleurs, monsieur le président, s'il est un article qui a été interprété par les juges, et même les juges de la Cour suprême, c'est bien celui-là. Plusieurs jugements de la Cour suprême l'ont étayé davantage et ont repris intégralement ce principe. On a insisté davantage là-dessus pour dire que les jeunes aux prises avec la criminalité ne pouvaient être assimilés aux adultes quant à leur degré de responsabilité et aux conséquences de leurs actes.

Je suis persuadé que les membres du comité qui sont autour de cette table et même les gens du ministère, le greffier et tous ceux qui travaillent ici ont des enfants ou connaissent des enfants dans leur entourage. On sait fort bien qu'on ne peut pas attribuer à un enfant ou à un adolescent le même degré de responsabilité qu'à un adulte. Qu'est-ce qui n'est pas clair dans cette déclaration de principes et qui justifie que la ministre y mette la hache?

Parlons de l'alinéa 3(1)b):

      b) la société, bien qu'elle doive prendre les mesures raisonnables qui s'imposent pour prévenir la conduite criminelle chez les adolescents, doit pouvoir se protéger contre toute conduite illicite;

Qu'est-ce qui n'est pas clair dans cet alinéa? Pourquoi la ministre a-t-elle senti le besoin d'amender cette loi? Tout ce que je vous lis, on ne le retrouve pas dans la loi ou on ne le retrouve qu'en partie. C'est un tout. Il a fallu aux tribunaux et aux tribunaux supérieurs des années pour faire de la jurisprudence et faire du système des jeunes aux prises avec un problème de criminalité, des jeunes contrevenants, ce qu'il est aujourd'hui. Il a fallu des années pour arriver au traitement qu'on leur applique, à la façon de faire les choses aujourd'hui. Cette déclaration de principes a joué pour beaucoup.

Non, la ministre n'est pas là comme je le lui demandais. Dans ma motion, je lui demandais de venir témoigner au comité pour expliquer en quoi ses nombreux amendements répondent aux revendications du Québec et sont conformes à la position du Québec. Non, la ministre n'est pas là.

Toujours dans la déclaration de principes, qui est le fondement même de la Loi sur les jeunes contrevenants, on dit à l'alinéa 3(1)c):

      c) la situation des jeunes contrevenants...

Cela, c'est très important. Tous ceux qui sont venus témoigner ici l'ont dit.

      c) la situation des jeunes contrevenants requiert surveillance, discipline et encadrement; toutefois, l'état de dépendance où ils se trouvent, leur degré de développement et de maturité leur créent des besoins spéciaux qui exigent conseils et assistance;

• 1830

Voilà encore un point que les tribunaux ont longuement interprété. Ils ont précisé très clairement ce qu'on entendait par «besoins spéciaux», entre autres.

Monsieur le président, tous ceux qui sont venus témoigner ici ont dit que lorsqu'ils avaient lu le projet de loi C-3, ils avaient constaté qu'on n'y parlait nulle part des besoins de l'enfant. C'est pourquoi, dans les nombreux amendements que le gouvernement a déposés, on a saupoudré ici et là, à la façon de la ministre de la Justice, le mot «besoins». Je la félicite d'avoir eu une pensée pour ceux qui réclamaient ce mot, mais ce n'est pas suffisant. Ce n'est pas parce qu'on inclut le mot «besoins» dans un projet de loi qu'on comble automatiquement les exigences, ou encore qu'on a quelque chose de semblable à la Loi sur les jeunes contrevenants.

Je sais que, surtout au ministère, il y a des gens de bonne foi qui ont tenté... Je vois les témoins. Je sais qu'ils ont rencontré des groupes, ainsi que des membres de la coalition. Je sais qu'il y a des gens du Conseil privé et des sénateurs qui ont rencontré des gens pour tenter de les convaincre de ce que le projet de loi C-3 était une bonne loi. Malgré tout ce qu'ils ont fait, malgré tout leur poids, ils n'ont pas réussi à les convaincre de changer leur position d'un iota. Pourquoi? Tout simplement parce que ces gens sont des praticiens, des professionnels, et ont la volonté de bien faire les choses. Ils ont investi pendant des années pour faire en sorte que le système qu'on connaît aujourd'hui au Québec soit appliqué et applicable, avec les outils législatifs que le fédéral leur a donnés. Ils ne voient pas d'un bon oeil qu'on modifie quoi que ce soit et surtout qu'on ne leur donne aucune garantie quant aux résultats. C'est compréhensible, car il est impossible de donner des garanties à cet égard.

Dans la jurisprudence, on a amplement parlé des besoins spéciaux. On a parlé du développement et de la maturité de l'adolescent, du jeune qui a fait un coup. Bien souvent, c'est même un meurtre. Les juges se penchent sur les besoins de l'enfant afin de le réintégrer dans la société. Il faut que ces personnes se réadaptent. Sans la déclaration de principes, sans l'alinéa 3(1)c) de la Loi sur les jeunes contrevenants, aucun juge n'aurait pu faire en sorte que ces jeunes puissent réintégrer la société. Tout cela a été fait grâce à la déclaration de principes, et je le répète encore pour les nouveaux arrivés qui n'ont pas eu le temps de lire la Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents que la ministre nous présente et qu'elle veut nous faire avaler de force ce soir, le projet de loi C-3. Nulle part on n'y parle spécifiquement de l'état de dépendance, du degré de développement ou de maturité des enfants, de leur besoins spéciaux. Ils ont besoin de conseils et d'assistance. Eh bien, non.

Par la suite, qu'est-ce qu'on retrouve dans la déclaration de principes, monsieur le président? J'aurais aimé avoir le temps d'interroger la ministre là-dessus pour qu'elle me précise où, dans le projet de loi C-3 ou dans ses amendements, on retrouve ces éléments. J'aurais aimé qu'elle vienne témoigner devant nous pour expliquer ses nombreux amendements, comme je le lui demande dans la motion dont on débat ce soir.

On indique à l'alinéa 3(1)c.1):

      c.1) la protection de la société, qui est l'un des buts premiers du droit pénal applicable aux jeunes, est mieux servie par la réinsertion sociale du jeune contrevenant, chaque fois que cela est possible, et le meilleur moyen d'y parvenir est de tenir compte des besoins et des circonstances pouvant expliquer son comportement;

• 1835

Ou exactement, dans le projet de loi C-3, trouve-t-on intégralement cela ou quelque chose de semblable? Si cela avait été là-dedans, la ministre n'aurait eu qu'à venir ici pour témoigner à cet effet, mais pas à la sauvette comme elle l'a fait la dernière fois. Je connais des ministres, et on l'a vu ce soir. Celui de l'Environnement s'assoit et ne part plus. On a de la misère à le faire décoller. La dernière fois, la comparution de la ministre de la Justice était calculée à la minute. J'ai voulu qu'elle reste 10 minutes de plus parce qu'on avait même le temps d'aller voter, mais elle n'a pas voulu rester. On est donc obligés de présenter des motions semblables pour avoir au moins un semblant de démocratie ici et pour que les députés aient toute l'information nécessaire lorsqu'ils voteront sur ce projet de loi, afin qu'il ne fassent pas les moutons et ne se lèvent pas quand le premier ministre se lève. Il faut au moins qu'ils sachent de quoi il est question dans ce projet de loi et sur quoi la ministre s'est basée pour faire un projet de loi semblable.

Ce sous-alinéa répond à presque toutes les revendications des députés de la Chambre: la protection de la société. Y-a-t-il un élément plus cher au parti de l'Alliance canadienne? Et c'est tant mieux. Dans la Loi sur les jeunes contrevenants, on fait mention de la protection de la société. Qu'on soit au Québec ou dans l'Ouest canadien, les objectifs sont les mêmes. La protection de la société est importante. Je suis de ceux qui travaillent à la protection de la société. Cependant, pour y arriver, on ne prend pas les mêmes moyens. L'approche que le Québec préconise a également pour objectif la protection de la société. Nous croyons—soit dit en passant, je vous souhaite bon appétit—que la protection de la société est atteinte par l'approche préconisée par le Québec.

Nous croyons qu'en travaillant avec le jeune aux prises avec un problème de criminalité, en investissant, en lui donnant des traitements adéquats, en le faisant suivre par des spécialistes—ils sont nombreux, au Québec, à s'être spécialisés dans ce domaine—, nous réussissons à protéger la société.

[Traduction]

Le président: Pour vous montrer ma bonne volonté, je vous invite à aller prendre de quoi vous sustenter pendant cette épreuve, si vous le souhaitez.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Si vous n'y voyez pas d'objection, puisque je commence à entrer...

[Traduction]

Le président: Nous allons simplement prendre une grande respiration pendant ce temps. Nous ne suspendrons pas nos travaux.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Si vous me le permettez, monsieur le président, je ne mangerai pas tout de suite. Je vous laisserai faire et j'irai un petit peu plus tard, parce que je commence à entrer dans le vif du sujet. Je suis sûr que les gens vont pouvoir digérer ça en même temps. J'aimerais continuer un peu et, vers 19 h 30 ou 20 heures, s'il reste de quoi manger, j'irai. Sinon, j'ai une banane. On dit que c'est aussi bon qu'un steak. Vous n'y voyez pas d'objection?

[Traduction]

Le président: Non, ça ne pose pas de problème.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Je vous remercie de votre compréhension, monsieur le président. Je suis sûr qu'au fond, vous me comprenez et que, si on vous en laissait la liberté, vous seriez d'accord avec moi sur la façon de faire les choses au Québec. Je sais que vous avez examiné tout cela, mais que voulez-vous?

Ah, monsieur Paul DeVillers, soyez le bienvenu.

[Traduction]

M. Paul DeVillers: [Note de la rédaction: Inaudible]

[Français]

M. Michel Bellehumeur: J'allais donc dire qu'on a tous à coeur la protection de la société, qu'on soit du Québec, de l'Ouest, des Maritimes ou du Centre, bien qu'il y ait divergence quant aux moyens auxquels on veut recourir pour y arriver.

• 1840

Le Québec, qui a examiné ce qu'on fait dans l'Ouest canadien et établi des comparaisons avec ce qu'on fait chez nous, n'envie pas ce qu'on fait là-bas au chapitre de l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants. À court terme, la société est peut-être bien protégée lorsqu'on incarcère pendant deux ou trois ans un jeune aux prises avec un problème de criminalité et qu'on ne s'en occupe pas. De plus, cela coûte moins cher quand on agit ainsi. Même si un jeune a commis un meurtre, il va un jour ou l'autre sortir de prison. Prenons l'exemple d'un jeune de 14 ans qui commet un meurtre et qui, après avoir purgé une peine de 25 ans, sort de prison à l'âge de 39 ans. À cet âge, il est encore jeune et il peut encore être assez productif. J'ai 37 ans et je ne suis qu'un peu plus jeune que ce gars de 39 ans. Que pourra-t-il faire après avoir passé 25 ans de sa vie en prison s'il n'a pas reçu de traitements, si aucun spécialiste ne l'a aidé et si personne n'a tenté de trouver une façon de le réintégrer dans la société et de le réadapter? Que pourra-t-il faire si on met en oeuvre ce beau système que vous voulez appliquer au Québec et selon lequel un jeune qui a atteint l'âge de 18 ans et qui doit purger une longue sentence doit être automatiquement transféré dans une prison pour adultes?

Je sais que certains membres de ce comité ont visité des prisons. J'invite ceux qui n'ont pas eu l'occasion de le faire à aller visiter ces prisons et à se rendre compte que ce milieu, qu'on appelle l'université du crime, n'est pas un endroit recommandable pour qui que ce soit, y compris une personne de 18 ans. Cela est particulièrement vrai lorsqu'on parle des prisons fédérales, où les détenus purgent des sentences plus longues. Je ne suis pas convaincu que lorsque le jeune sortira de prison après avoir été incarcéré pendant de longues années, on pourra dire qu'on a pris la bonne décision en ne lui offrant pas de traitements et en n'appliquant pas la Loi sur les jeunes contrevenants. Je n'en suis pas sûr.

Chez nous, nous appliquons la loi et nous offrons un suivi et des traitements aux jeunes en vue de leur réinsertion. Notre taux de réussite est très bon, et le taux de récidive très faible. Cela prouve que notre approche fonctionne. Grâce à l'approche que préconise le Québec, la protection de la société est beaucoup mieux assurée à long terme chez nous qu'elle ne l'est dans les provinces de l'Ouest. Pendant des années, ces dernières ont investi dans le béton parce que les règles régissant les programmes fédéraux faisaient en sorte que c'était plus rentable. Ce n'est pas moi qui ai dit cela, mais le ministre de la Justice lorsqu'il est venu témoigner, accompagné de ses fonctionnaires qui veillent aux finances de son ministère, afin de nous présenter ses prévisions budgétaires. Il a avoué qu'il était plus payant pour les provinces d'investir dans le béton que d'investir pour les jeunes et que cela expliquait la différence. C'est pourquoi le fédéral a contracté, comme l'avouait Allan Rock, une dette qui s'élevait, il y a deux ans, à quelque 96 millions de dollars à l'endroit du Québec, où l'on applique la Loi sur les jeunes contrevenants. Je crois qu'il avait fait une telle déclaration dans cette même salle. Les règles régissant ce programme ont fait en sorte que le Québec, qui a appliqué la loi et a davantage axé ses efforts sur la réinsertion sociale et la réadaptation que ne l'ont fait les autres provinces, a été pénalisé. Le fédéral s'est montré plus généreux à l'égard des provinces qui ont construit des prisons que de celle qui a appliqué intégralement la Loi sur les jeunes contrevenants. Il est évident qu'une telle approche ne favorise pas la protection de la société à long terme.

On indique également à l'alinéa l'alinéa 3(1)d):

      d) Il y a lieu, dans le traitement des jeunes contrevenants, d'envisager, s'il est décidé d'agir, la substitution de mesures de rechange aux procédures judiciaires prévues par la présente loi, compte tenu de la protection de la société;

• 1845

Encore une fois, dans cette loi fédérale adoptée par ce Parlement, on a prévu des dispositions en matière de protection de la société. C'est exprimé clairement. Dans le traitement des jeunes contrevenants, si on peut envisager une façon de traiter le jeune afin de protéger davantage la société et surtout de faire en sorte qu'il réintègre cette société, on peut avoir recours à des mesures de rechange aux procédures judiciaires.

Je ne sais pas si j'en aurai le temps au cours de la soirée, mais j'aimerais vous parler des programmes de mesures de rechange au Québec. On n'invente rien. Le ministère de la Justice, avec le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, a adopté un programme de mesures de rechange spécifique pour les jeunes aux prises avec des problèmes de criminalité. J'ose espérer qu'au cours de la soirée, j'aurai le temps de vous parler de ces mesures de rechange, qu'on ne retrouve pas ailleurs au Canada. C'est ce qui est déplorable.

On peut s'interroger sur les véritables objectifs de la ministre. Dans son projet de loi, on parle de mesures extrajudiciaires. Je vais y revenir tout à l'heure. On parle de mesures extrajudiciaires, de mesures de rechange, etc. Quelle garantie la ministre a-t-elle que les autres provinces, qui ne l'ont jamais fait ou qui l'ont peu fait ou mal fait alors que la Loi sur les jeunes contrevenants leur permettait de le faire, le feront mieux en vertu du projet de loi C-3?

La ministre a-t-elle obtenu une assurance quelconque? Qu'elle nous le dise; ça presse. J'aurais aimé qu'elle vienne nous le dire. C'est pour cela que ma motion était importante au mois de juin et qu'elle l'est encore. La ministre pourrait nous faire une surprise et se présenter ici au cours de la soirée. On va être ici jusqu'à 3 heures du matin. Elle pourrait arriver maintenant. J'aurais des questions à lui poser immédiatement. Mais non, elle préfère se cacher et adopter des motions de bâillon.

Soit dit en passant, vous ne le savez peut-être pas, monsieur le président, mais il est assez ironique de constater que le député qui a présenté cette motion, M. Boudria, était un de ceux qui dénonçaient ce genre de motion avec le plus de force quand il était dans l'opposition et que les conservateurs formaient le gouvernement. Il déchirait sa chemise. On lui avait même donné un surnom, que je vais taire ce soir parce que ce n'est pas parlementaire, mais qui lui va à merveille, parce qu'il dénonçait très fort les motions de bâillon comme celles qu'il propose couramment depuis qu'il est le leader du gouvernement à la Chambre.

C'est assez ironique quand on s'arrête à y penser. Faites ce que je dis, pas ce que je fais. À un moment donné, vous allez payer pour cela, c'est sûr.

Passons au paragraphe suivant. Je prends un peu de temps pour la déclaration de principes, mais je serais curieux de savoir si tout le monde dans cette salle la connaît. Si on veut comprendre la Loi sur les jeunes contrevenants, il faut savoir que cette déclaration est le fondement même de ce qu'on fait au Québec. C'est la philosophie qui nous a guidés quand on a fait un rapport. Je vais vous en reparler en long et en large parce qu'il est primordial de le faire avant de prendre une décision.

Si la Loi sur les jeunes contrevenants ne contenait pas cette déclaration de principes, je ne serais sans doute pas en train de plaider afin de vous convaincre de ne pas toucher à la loi, parce qu'elle n'aurait pas répondu aux attentes des Québécois et des Québécoises. Mais cette déclaration de principes, bien appliquée, bien interprétée par les tribunaux, a donné une marge de manoeuvre aux juges et à toutes les personnes qui s'intéressent à la criminalité chez les jeunes. C'est ce qui leur permet d'utiliser tous les outils disponibles, tous les programmes disponibles au Québec pour arriver à leurs fins.

Donc, après les traitements et après avoir envisagé des alternatives comme les mesures de rechange aux procédures judiciaires, on retrouve, à l'alinéa 3(1)e) de la Loi sur les jeunes contrevenants, ce qui suit. C'est très important.

• 1850

À mon avis, il existe dans ce projet de loi C-3 un accroc à une règle importante au chapitre des déclarations que les jeunes peuvent faire. J'y reviendra plus tard, lorsqu'on parlera de l'admissibilité des déclarations des adolescents. Comme je l'indiquais à madame tout à l'heure, vers minuit, on devrait être dans le jus, dans le crunch du sujet. Je serai probablement rendu à cette question à cette heure-là.

On dit donc à l'alinéa 3(1)e):

      e) les adolescents jouissent, à titre propre, de droits et libertés, au nombre desquels figurent ceux qui sont énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés ou dans la Déclaration canadienne des droits, et notamment le droit de se faire entendre au cours du processus conduisant à des décisions qui les touchent et de prendre part à ce processus, ces droits et libertés étant assortis de garanties spéciales;

Dans le projet de loi C-3, on ne retrouve pas de pendant à cet alinéa ou d'énoncé qui soit aussi clair. Dans le mémoire qu'a déposé en décembre 1999 la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, on affirme justement que le projet de loi de la ministre va à l'encontre de certaines conventions de l'ONU. Ce mémoire a été déposé auprès du comité par M. Norman Dauphin, le secrétaire de la commission, qui avait été appuyé par Me Claire Bernard et Me Claude Boies.

Après avoir fait un historique des objectifs et analysé les principes directeurs de l'ancienne loi et de la nouvelle loi, la commission dit dans son mémoire:

    Du reste, en modifiant la philosophie actuelle de la loi, le Canada contreviendrait à des principes reconnus en droit international.

    Le Canada s'est engagé devant la communauté internationale à reconnaître que l'intérêt d'un enfant doit être une considération primordiale de toute décision concernant les enfants, y compris dans les décisions prises par les tribunaux et les autorités administratives, conformément à l'article 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant. Dans le rapport initial qu'il a soumis au Comité des Nations Unies des droits de l'enfant, le Canada référait à l'alinéa 3(1)c) de la Loi sur les jeunes contrevenants, au chapitre des mesures adoptées dans le but de protéger l'intérêt de l'enfant. D'ailleurs, le Comité recommandait que le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant soit mieux reflété dans la législation interne canadienne, lorsqu'il y a lieu.

On s'en vante même à l'ONU, monsieur le président. Il semble que cet alinéa de la Loi sur les jeunes contrevenants soit un objet de fierté pour le Canada à l'ONU lorsqu'on parle des enfants.

Troisièmement, comme on le sait, c'est dans cet alinéa qu'on affirme:

      c) la situation des jeunes contrevenants requiert surveillance, discipline et encadrement; toutefois, l'état de dépendance dans lequel ils se trouvent, leur degré de développement et de maturité leur créent des besoins spéciaux qui exigent conseils et assistance;

Faut-il rappeler que, dans le projet de loi C-3 que nous étudions ce soir, on ne parle pas de cela? J'aurais souhaité que la ministre soit ici présente ce soir, qu'elle soit venue témoigner et répondre à cette question-là. Comment se fait-il que d'un côté vous vantiez les bons coups de la Loi sur les jeunes contrevenants, et plus particulièrement de son alinéa 3(1)c), tandis que de l'autre côté, vous vous proposiez de le supprimer? Je suis à peu près sûr qu'elle avouerait avoir commis une petite erreur et qu'elle dirait qu'elle se propose de la corriger. Elle me dirait qu'elle a en main 200 amendements qui visent à corriger le tir. Mais c'est du saupoudrage, ça. Cela ne correspond pas à l'alinéa 3(1)c).

• 1855

Je suis sûr qu'au ministère, il y a des gens intelligents qui voient cela. Je n'envie pas votre travail, vous, les fonctionnaires, parce que vous êtes obligés de suivre ce que dit la ministre, mais je suis persuadé que vous voyez qu'il y a un écart entre les déclarations qu'on peut faire sur la scène internationale et ce qu'on fait au Canada. Même avec cette déclaration de principes, le comité recommandait que le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant soit mieux reflété dans la loi canadienne. Ce n'est pas tellement le cas.

De toute façon, je reviendrai sur ce mémoire de la commission afin de vraiment remettre les pendules à l'heure, compte tenu de l'intervention de la ministre qui, lors de la période des questions, a cité une lettre de je ne sais trop qui de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Les conclusions sont très claires à ce sujet, et je ne pense pas qu'on ait indiqué souhaiter des modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est tout le contraire. J'y reviendrai un petit peu plus tard.

On continue avec l'alinéa 3(1)f). Comme le législateur ne parle pas pour ne rien dire, tous les éléments de la déclaration de principes sont importants. On peut lire à l'alinéa 3(1)f):

    f) dans le cadre de la présente loi, le droit des adolescents à la liberté ne peut souffrir que d'un minimum d'entraves commandées par la protection de la société, compte tenu des besoins des adolescents et des intérêts de leur famille;

Encore là, je pense qu'on doit se demander en quoi exactement il y a un manque de clarté dans cette approche. Je veux rappeler au président que je me reporte à la conférence de presse de la ministre, alors qu'elle justifiait, ou tentait de justifier, la reprise de l'étude du projet de loi loi C-3. C'est elle qui dit qu'il y a un manque de clarté. En quoi l'alinéa 3(1)f) et les autres manquent-ils de clarté? Je ne pense pas que ce soit le cas.

L'alinéa suivant dit ceci:

      g) les adolescents ont le droit, chaque fois que la présente loi est susceptible de porter atteinte à certains de leurs droits et libertés, d'être informés du contenu de ces droits et libertés.

À ce niveau-là, cependant, compte tenu de la Charte canadienne des droits et libertés, je ne suis pas trop inquiet. Quelle que soit la loi qui va s'appliquer aux jeunes, ce principe s'appliquera à tout le monde.

L'alinéa 3(1)h) se lit comme suit:

      h) les père et mère assument l'entretien et la surveillance de leurs enfants; en conséquence les adolescents ne sauraient être entièrement ou partiellement soustraits à l'autorité parentale que dans les seuls cas où les mesures comportant le maintien de cette autorité sont contre-indiquées.

Encore là, c'est clair. On ne peut nullement justifier une modification à la Loi sur les jeunes contrevenants en disant que cet alinéa n'est pas suffisamment clair.

Donc, au niveau de la clarté, la ministre fait fausse route. Tous les experts du Québec ont dit—et j'en ai même entendu qui venaient de l'extérieur du Québec qui étaient d'accord—qu'au niveau de la clarté, le projet de loi C-3 qu'on a devant nous, la Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence, n'est pas plus clair. On pourrait prétendre que c'est encore pire. Au Québec, on dirait que c'est désastreux. Je vous parlerai tout à l'air de l'os du projet de loi avant de parler de sa chair, de ses articles, de sa composition et de la façon dont on s'y retrouve.

Ce qui est encore plus surprenant dans cette fameuse conférence de presse où la ministre justifiait les modifications proposées à la Loi sur les jeunes contrevenants, c'est qu'elle s'était sans doute dit qu'elle allait tenter de se justifier en invoquant le taux de criminalité élevé chez les jeunes. Mais elle n'avait probablement pas eu le temps de regarder les statistiques qu'elle a remises aux journalistes, parce qu'elle aurait constaté qu'on y confirme que le taux de criminalité chez les adolescents est même à la baisse.

• 1900

Selon moi, on ne modifie une loi que lorsqu'elle ne fonctionne pas, que lorsqu'on constate que ça n'a plus de bon sens et que les jeunes commettent des crimes de plus en plus graves et de plus en plus nombreux. Si on avait constaté qu'on avait dénombré x crimes l'an dernier et qu'il y avait eu une augmentation de 10 p. 100 depuis, je comprendrais que la ministre veuille résoudre ce problème et tenter d'y trouver une solution. Je comprendrais qu'elle veuille modifier la loi. Mais le problème, c'est eux qui le créent. Cela me fait penser au pyromane qui met le feu pour aller l'éteindre. C'est absurde.

La ministre de la Justice est très affairée et elle n'a peut-être pas eu le temps de prendre connaissance des statistiques. Par contre, les fonctionnaires de son ministère qui ont préparé cette belle note savaient ce qu'ils faisaient lorsqu'ils l'ont rédigée. On indique que depuis 1995, le taux d'accusation pour les crimes violents commis par des jeunes a baissé de 3,2 p. 100. Ce ne sont pas de méchants séparatistes qui ont diffusé ces chiffres, mais bien le ministère. On dit même qu'en tout et partout, il y a eu une baisse. Il y a un endroit où l'on a constaté une augmentation, soit dans le cas des délits contre la propriété, contre les biens. Il s'agit d'une tendance qu'on note également chez les adultes, dans la même proportion. Bien qu'on porte une attention spéciale aux crimes violents dans cette loi, les statistiques que le ministère a diffusées démontrent qu'il y a eu une baisse. C'est assez spécial qu'on veuille modifier une loi pour cela.

On nous livre également un peu plus loin des statistiques officielles sur une augmentation possible de la délinquance chez les jeunes. En examinant les statistiques que la ministre nous a données et celles qu'on a compilées au sujet du Québec—au ministère de la Justice, on accumule les statistiques et on détermine s'il y a un problème ou non—, on est en mesure de savoir si la façon dont on applique la Loi sur les jeunes contrevenants est bonne ou pas. On en vient à la conclusion que les statistiques officielles nous mènent à une réponse négative: la délinquance chez les jeunes n'est pas en augmentation au Québec ou ailleurs au Canada. Ce fait est encore plus évident au Québec. Selon Statistique Canada, le taux de criminalité chez les jeunes a baissé de 4 p. 100 en 1998 et on a enregistré une 7e baisse consécutive. Quant aux crimes avec violence chez les jeunes, on constate qu'au cours des trois dernières années, en 1997, 1998 et 1999, il y a eu une baisse d'environ 1 p. 100 par année. Je reconnais que cette baisse de 1 p. 100 est modeste. J'aimerais qu'elle atteigne 100 p. 100 et qu'il n'y ait plus aucun crime avec violence au Québec. On sait cependant que ce n'est pas possible. Il faut toutefois reconnaître qu'il y a une baisse. Il n'existe pas d'augmentation qui puisse justifier quelque modification que ce soit à la Loi sur les jeunes contrevenants.

La question qu'on doit se poser est la suivante: pourquoi la ministre de la Justice tient-elle tellement à modifier la Loi sur les jeunes contrevenants? J'avais trouvé la réponse, laquelle a été confirmée aujourd'hui lorsque j'ai vu arriver le chef de l'Alliance canadienne. C'est carrément le vent de la droite qui motive les actes de la ministre en ce sens. Elle tente de répondre à cette droite qui trouve que la Loi sur les jeunes contrevenants n'est pas une bonne loi.

Ce sont les provinces qui n'appliquent pas ou qui appliquent très mal la Loi sur les jeunes contrevenants qui souhaitent ce changement.

• 1905

C'est donc carrément un enjeu politique et l'objectif essentiel est de nature électorale. Je trouve cela ordinaire, monsieur le président. J'aurais aimé que la ministre soit présente ce soir pour tenter de nous convaincre, nous présenter d'autres statistiques et nous dire que les statistiques que son ministère de la Justice du Canada a données en mars 1999 ne sont pas bonnes. J'aurais aimé que la ministre nous explique son attitude de quelque façon que soit, mais je suis forcé de conclure à ce sujet que la ministre tient mordicus à changer la loi uniquement à des fins électorales. Je répète que je trouve cela très ordinaire de la part de la ministre de la Justice du Canada.

On a entendu plusieurs témoins en comité, qui sont venus nous parler de leur expérience, de la façon dont ils faisaient les choses au Québec, mais aussi à d'autres endroits au Canada. Il y a même des juges qui sont venus témoigner. Monsieur le président, je suis persuadé que vous vous souvenez qu'un des juges avait fait un commentaire ou soulevé une question et que les deux autres avaient confirmé cette chose. Un des juges avait dit: «Si j'étais ministre, je ferais telle chose avant de modifier quoi que ce soit à la loi.» Je voulais gagner du temps en comité pour que la ministre puisse s'interroger comme le juge aurait aimé qu'elle le fasse. Je voulais donner à la ministre du temps pour visiter le Québec et les autres provinces afin de voir comment les choses y fonctionnaient.

Il s'agit du juge Michel Jasmin, qui est juge à la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse. Il a fait un important rapport et connaît très bien le sujet. Il sait de quoi il parle. Vous le verrez lorsque je commencerai à vous faire part de cette étude, qui est primordiale. Il faut l'examiner avant de faire quoi que ce soit dans ce dossier.

Le juge Jasmin a dit ceci lorsqu'il est venu témoigner le 23 mars 2000:

    Vous ne vous attaquez pas au vrai problème à ce moment-là. Si j'étais législateur fédéral, je suspendrais mon projet de loi pour l'instant et je demanderais aux provinces comment elles appliquent la loi actuelle et quelles politiques jeunesse elles ont chez elles.

C'est ce que j'attendais de la ministre de la Justice. C'est ce que je voulais que la ministre fasse avec le temps. Avec ma motion, je lui donnais du temps pour le faire. Cela n'aurait pas été bien compliqué pour elle que d'aller voir chacun des procureurs généraux des provinces et de leur dire: «Écoutez, j'ai un projet de loi sur la justice pénale pour les adolescents, que j'ai déposé. La première lecture a eu lieu le 14 octobre 1999. Je l'ai suspendu parce que je fais le tour du Canada. Avant de faire quoi que ce soit avec le projet de loi C-3, je viens vous voir pour vous demander comment vous appliquez la Loi sur les jeunes contrevenants chez vous et quelle politique jeunesse vous avez chez vous. Que faites-vous des jeunes aux prises avec un problème de criminalité?» Par la suite, la ministre aurait pu conclure que la loi était appliquée, mais qu'elle ne répondait pas aux besoins ou, tout simplement, comme c'est la réalité, que les provinces ne l'appliquaient pas ou l'appliquaient très mal. Elles la connaissent très peu, la Loi sur les jeunes contrevenants.

Également, il ne faut pas juste appliquer une loi comme cela. Comme vous le savez, une loi ne vit pas dans les nuages. Il faut mettre une structure autour de cela, une infrastructure pour recevoir les gens qui sont couverts par cette loi. Cela se fait au niveau politique. Dans le cas des jeunes contrevenants, c'est une politique jeunesse.

• 1910

Que faites-vous une fois que vous avez arrêté un jeune? Où l'amenez-vous? Qu'est-ce que vous lui dites? Qui le traite? Combien faut-il de temps au niveau des tribunaux? Il y a toutes sortes de questions qui se posent. On verra ça au cours de la soirée, lorsqu'on regardera le rapport Jasmin. Au Québec, on s'est arrêté à un moment donné et on s'est demandé, avant d'aller plus loin, s'il y avait moyen d'améliorer l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants. On l'appliquait déjà, mais après la publication du rapport, on a amélioré son rendement et son application. Il faut s'interroger à un moment donné. On peut bien critiquer et réclamer toutes sortes de modifications pour faire mettre ces jeunes en dedans afin qu'on ne les entende pas, mais il faut au moins voir si on a une politique jeunesse, si on est capable de traiter ces jeunes et si on applique correctement la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est ça, la véritable question, monsieur le président.

Je croyais que la ministre comprendrait que la motion que j'ai présentée et même l'autre motion, parce que c'est ma deuxième motion, lui donnaient le temps de faire ou de refaire ses devoirs ses devoirs et d'aller consulter les personnes qu'il y a à consulter, c'est-à-dire ceux qui vivent avec la Loi sur les jeunes contrevenants, ceux qui l'appliquent.

Monsieur le président, je connais assez bien la Loi sur les jeunes contrevenants, ainsi que les gens qui l'appliquent, mais malgré cela, j'ai senti le besoin, au mois de juin, d'aller visiter certains endroits où on traitait les jeunes contrevenants. J'ai senti le besoin d'aller entre autres au Tribunal de la jeunesse à Montréal pour voir de mes yeux comment, entre les quatre murs du Tribunal de la jeunesse, on traitait ces jeunes, par quelle porte ils entraient, quel était le suivi, etc., et j'ai découvert des choses fantastiques. Bien sûr, ce n'est pas un sujet drôle. Quand on voit un jeune de 14 ou même de 12 ans qui a fait des coups et qui se retrouve là, ce n'est pas drôle, mais j'ai encore mieux compris les besoins spéciaux de ces jeunes. J'y suis allé en plein milieu de la semaine. Il était 16 heures et il y avait une dizaine de jeunes hommes et de jeunes filles qui étaient là, dont les procédures avaient eu lieu au cours de la journée. Il y en avait d'autres qui étaient là parce que leurs dossiers étaient inscrits au rôle pour le lendemain. Ils étaient là. Il y en avait qui jouaient au billard, d'autres qui jouaient aux cartes. Il y avait des jeunes filles qui étaient en train de manger. Pour plusieurs, c'était quasiment un chez-eux. C'était à peu près le seul endroit où ils avaient des oreilles attentives qui les écoutaient. Il y en a même qui m'ont dit qu'ils étaient beaucoup mieux là qu'à la maison et que s'ils se retrouvaient là, c'est parce que des choses s'étaient passées à la maison.

La ministre aurait dû visiter ces endroits avant de poursuivre sa démarche. Elle aurait vu comment ça fonctionne au Québec. On lui aurait expliqué également la procédure. On lui aurait dit comment les choses vont vite, parce que la question des délais est très importante. Je le sais car j'ai des enfants. Quand un de mes enfants fait un mauvais coup, si je lui dis deux jours plus tard que ce n'était pas correct, il va se dire que ce n'était pas bien grave parce que papa a attendu deux jours avant de le lui dire. S'il fait un coup et que je lui dis: «Mon chum, viens ici; tu viens de faire ça et ce n'est pas bien, et tu vas aller dans ta chambre tout de suite», il fait le lien de cause à effet. C'est la même chose dans le cas des jeunes contrevenants.

La question des délais et celle du traitement de ces jeunes sont importantes. Dès que le jeune fait un coup ou commet une infraction quelconque, il faut être en mesure de le traiter rapidement. Il faut être en mesure de le prendre en charge et de lui dire: «Eh, chum, tu as fait quelque chose de pas correct.»

• 1915

Durant l'été, j'ai relu de grands passages de cette loi. Nulle part on n'y parle de la notion du temps. Si on avait vraiment voulu améliorer le système, on aurait pu parler de la notion du temps et exiger que les choses se fassent rapidement. C'est un des points qu'on aurait pu améliorer dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous n'affirmons pas que cette loi est la septième merveille du monde et qu'on ne doit pas y toucher. On peut l'améliorer. Pour améliorer la Loi sur les jeunes contrevenants, on pourrait entre autres insister davantage sur la notion du temps. Au Québec, on l'a compris à la suite de l'étude et du rapport Jasmin et on s'organise pour que le jeune soit traité rapidement.

Si la ministre avait visité ce palais de justice, elle aurait pu rencontrer le directeur et ceux qui reçoivent les jeunes, qui s'occupent des salles spéciales pour les jeunes qui arrivent. Elle aurait même pu rencontrer le juge-coordonnateur, le juge Jasmin, qui a ses bureaux là. Cela lui aurait fait plaisir de lui faire faire le tour du propriétaire et de lui expliquer le traitement des dossiers. Il aurait pu lui expliquer combien de temps cela prend, comment ils font pour gagner du temps et ainsi de suite. Je suis persuadé que la ministre aurait vu l'importance de la notion du temps. Surtout, si la ministre avait fait le même exercice dans les provinces de l'Ouest, par exemple, elle aurait pu comparer ce qui se fait au Québec et ce qui se fait dans l'Ouest canadien. Pour une même infraction, elle aurait vu comment on le traite un jeune dans l'Ouest et comment on le traite au Québec. Je suis persuadé que la ministre aurait vu que son projet de loi n'a pas de bon sens. Je suis persuadé qu'elle aurait vu que l'enjeu électoral n'en vaut pas la peine. Je suis persuadé qu'elle aurait fait un virage fantastique et dit finalement: «Je ne continue pas avec mon projet de loi C-3 parce que je suis convaincue que je fais fausse route.»

Monsieur le président, pour faire cela, il aurait fallu que la ministre prenne le temps que je lui offrais par mes motions pour visiter tous ces endroits et surtout pour questionner chaque province sur ses politiques jeunesse, comme le juge le lui demandait:

    ...je demanderais aux provinces comment elles appliquent la loi actuelle et quelles politiques jeunesse elles ont chez elles.

Cela aurait été important, et je faisais cela dans le but de gagner du temps, comme vous l'avez tous compris.

Bien sûr, je veux toujours que la ministre vienne témoigner ici. Il est encore temps. Il reste encore du temps. Vous comprendrez que si, avant de venir témoigner, elle avait fait le tour des provinces pour voir ce qui s'y passait, son témoignage aurait été fort différent.

Je disais tout à l'heure aux collègues du comité que, s'il est au Québec un sujet sur lequel on s'entend à peu près tous, qu'on soit fédéralistes, souverainistes, bloquistes, péquistes, libéraux ou adéquistes, c'est bien celui-là, mais la ministre n'a pas semblé comprendre.

Je vais vous lire une résolution qui a été adoptée le 30 novembre 1999 à l'Assemblée nationale du Québec. C'est une motion sans préavis qui avait été déposée par la ministre de la Justice et le député de Marquette, qui est le critique officiel de l'opposition là-bas. La motion se lit comme suit:

    QUE l'Assemblée nationale demande à la ministre fédérale de la Justice de suspendre le processus d'adoption du Projet de loi C-3 afin de lui permettre de mieux évaluer l'application par les provinces des mesures prévues à la Loi sur les jeunes contrevenants et de s'assurer que le Québec puisse maintenir sa stratégie d'intervention, basée sur les besoins des jeunes et privilégiant la prévention et la réhabilitation.

• 1920

Eux aussi étaient de la même école de pensée que le juge Jasmin. Finalement, on disait: «Écoutez, madame la ministre, vous avez du temps devant vous. Prenez ce temps, ou même suspendez le processus d'adoption du projet de loi C-3 et allez voir les provinces pour tenter d'évaluer la façon dont on applique la Loi sur les jeunes contrevenants à ces endroits. Par la suite, vous pourrez voir si votre projet de loi est correct ou pas.»

Si la ministre était ici ce soir, c'est une des questions que je lui poserais: est-ce que vous avez fait le tour des provinces? Je crois que non, monsieur le président. Lorsqu'on a déposé cette motion à l'Assemblée nationale, la ministre de la Justice, Mme Goupil, a fait un discours. Je suis persuadé que vous connaissez un peu la position que Mme Goupil défendait à l'Assemblée nationale pour appuyer cette motion conjointe du parti au pouvoir et de l'opposition officielle.

Je vais vous lire seulement un paragraphe du discours que la ministre a prononcé le mardi 30 novembre:

    L'expérience, jusqu'à maintenant, nous a démontré que, pour intervenir efficacement auprès des jeunes, il faut pouvoir intervenir rapidement. Il faut aussi pouvoir appliquer la bonne mesure au bon moment. Si le projet de loi fédéral est adopté, il faudra composer avec des délais d'audition importants et, finalement, la perspective d'une procédure complexe de libération conditionnelle. Il faudra aussi intervenir avec un arsenal de mesures qui est adapté non pas aux besoins des jeunes...

Je vous disais tout à l'heure que le temps est important. La ministre de la Justice dit exactement la même chose: il faut intervenir rapidement; il faut appliquer les bonnes mesures au bon moment. Le projet de loi que vous nous soumettez va augmenter les délais. On va traiter les jeunes comme des adultes, multiplier les interventions judiciaires, les comparutions, les auditions, et tout ça aura des répercussions négatives sur les délais. Tout ça ira à l'encontre d'un principe important, soit d'intervenir rapidement.

Que disent les libéraux? M. Ouimet dit:

    Je suis naturellement très heureux du dénouement, que nous puissions présenter ensemble une motion conjointe parce que, effectivement, je partage le point de vue de la ministre de la Justice et d'une vaste coalition qui a été mise sur pied pour contrer le projet de loi C-3 du gouvernement fédéral.

Ce n'est pas un méchant péquiste qui dit cela. C'est M. Ouimet, membre du Parti libéral du Québec et sans doute même membre du Parti libéral du Canada.

On sait que le Parti libéral du Québec est la filière du Parti libéral du Canada. Tout le monde sait ça. C'est drôle que lui n'ait pas eu peur de se lever à l'Assemblée nationale pour dénoncer cela. Il dit partager la position de la ministre de la Justice du Québec et d'une vaste coalition qui a été mise sur pied pour contrer le projet de loi C-3. C'est cette même coalition qui m'appelle et qui appelle les députés libéraux d'en face. Dans mon cas, le message a été compris, comme dans celui de M. Ouimet, mais dans le cas des libéraux d'en face, le message n'a pas été compris. Pourquoi? Je pense avoir répondu à cette question plus tôt en disant qu'on présente ce projet de loi à des fins carrément électoralistes dans le beau et grand pays qu'est le Canada. Ce qui est bon dans l'Ouest n'a jamais été bon pour le Québec. Certaines personnes de l'Ouest disent que ce qui est bon pour le Québec n'a jamais été bon pour l'Ouest. La solution qu'on a proposée et qu'on va sûrement proposer à nouveau aux Québécois serait si simple.

• 1925

Cela dit, M. Ouimet continue. Ce qu'il dit est important parce qu'il présente une position dont on ne peut pas dire qu'elle est partisane. M. Ouimet est un député du Québec, du Parti libéral. Il me semble qu'il aurait pu tenter d'adopter une position ressemblant davantage à celle de ses amis libéraux fédéraux, parce que ce sont eux qui donnent un coup de main lors d'une élection générale au Québec; inversement, ce sont les libéraux du Québec qui donnent un coup de main aux libéraux fédéraux lors de leur élection au fédéral.

Toujours lors du débat qui a eu lieu le mardi 30 novembre, il dit que c'est un projet de loi qui répond peut-être à une attitude de l'Ouest canadien, où on mise beaucoup sur les principes de get together avec les gens qui ont commis certains crimes, alors que nous croyons, au Québec, que ces jeunes peuvent être réhabilités. M. Ouimet dit:

    Le projet de loi C-3 mise vraiment et porte l'accent sur davantage l'infraction commise par le jeune et la punition qu'il mérite, alors que, au Québec, nos stratégies d'intervention qui ont porté fruit... Parce que le Québec a le taux de criminalité le plus bas au Canada et, je pense, en Amérique du Nord.

Il a raison.

    M. le Président, au Québec, nous plaçons l'accent véritablement sur la réhabilitation et sur le besoin que les jeunes peuvent éprouver.

Le projet de loi C-3 se rapproche du système pénal pour adultes et importe trop de ses volets. C'est une des remarques qui ont été dites par le plus grand nombre de témoins qui sont venus ici. On veut mettre dans le système pour jeunes contrevenants ce qui existe dans le système pour adultes. Il faut vivre sur une planète autre que la Terre pour vouloir ça. On sait fort bien que le système pour adultes ne marche pas. Tentons de faire un système différent pour les jeunes contrevenants.

M. Ouimet a vu le jeu des libéraux fédéraux. Il s'est dit que ça ne marchait pas et que l'approche préconisée dans le projet de loi C-3 ressemblait beaucoup trop au système pénal pour adultes. Il s'est dit qu'on tentait de faire en sorte que certains volets du système pénal pour adultes puissent s'appliquer à nos jeunes.

On sait que le Québec utilise beaucoup les mesures de rechanges qui sont prévues dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Malheureusement, on nous dit que d'autres provinces canadiennes ne se sont pas prévalues des dispositions qui existent et qui leur permettraient peut-être de connaître les succès que le Québec connaît en cette matière. En d'autres termes, au Québec, les peines sont imposées. Les jeunes sortent lorsqu'on a la conviction qu'ils sont réhabilités dans la mesure du possible, alors que la philosophie du projet de loi C-3 est tout le contraire.

Monsieur le président, j'ai un allié libéral à l'Assemblée nationale. C'est exactement le même discours que je vous tiens ici depuis plusieurs mois, depuis plusieurs heures. J'aurais aimé que la ministre soit présente ici ce soir pour répondre à mes questions et nous dire en quoi sa loi sur la criminalité chez les jeunes, la Loi concernant le système de justice pénal pour les adolescents, répond aux revendications du Québec en ce domaine et en quoi ses 200 amendements répondent aux inquiétudes des gens du Québec, entre autres à celles de M. Ouimet, un libéral. Il dit, et je cite, monsieur le président, parce qu'il est important qu'on le dise et qu'on le répète:

• 1930

    Le Québec a un système qui a fait l'éloge du monde entier, et la ministre McLellan elle-même disait qu'elle s'inspirait du modèle québécois pour tenter de défendre son projet de loi C-3. Mais, manifestement, M. le Président, si la ministre McLellan pense que l'expérience québécoise en matière de jeunes contrevenants est une expérience concluante, eh bien, je pense qu'elle devrait suspendre son projet de loi C-3 afin de faire la vérification pas juste au Québec, mais à travers le pays pour bien s'assurer comment les autres provinces utilisent les moyens qui sont mis à leur disposition par la Loi sur les jeunes contrevenants.

Une des premières questions que j'aurais posées à la ministre ce soir aurait été celle-ci: avez-vous vérifié ce qui se fait dans les autres provinces? Avez-vous vérifié comment les autres provinces utilisent les moyens qui sont mis à leur disposition par la Loi sur les jeunes contrevenants?

Je disais plus tôt qu'il était important de connaître la déclaration de principes. À l'alinéa 3(1)d) de cette déclaration de principes, on dit qu'on peut «envisager [...] la substitution de mesures de rechange aux procédures judiciaires prévues par la présente loi», comme on l'a vu plus tôt. Dans les autres provinces, quels moyens utilisent-ils? Quels moyens la loi leur permet-elle d'utiliser? Que font-ils pour vraiment atteindre l'objectif de la Loi sur les jeunes contrevenants? Je lui aurais posé cette question et j'aurais aimé qu'elle me réponde. Je sais cependant qu'elle n'a pas fait cette vérification. Je comprends que la ministre ne veuille pas venir témoigner ici. Elle ne saurait pas quoi me répondre. Je comprends très, très bien. Est-ce qu'il y a d'autres députés de l'Assemblée nationale qui ont parlé de ce sujet? Eh bien, oui.

Tous les partis qui étaient présents—et ils étaient tous présents—ont parlé à peu près dans le même sens que M. Ouimet, dont je viens de vous parler. J'ai cité entre autres M. Ouimet, mais j'aurais pu citer d'autres députés. M. Ouimet fait partie de l'opposition officielle à l'Assemblée nationale, et vous savez que ce n'est pas l'amour fou entre l'opposition officielle et le gouvernement, autant ici, à Ottawa, que dans les provinces. Et pourtant, l'opposition officielle à Québec est d'accord avec le gouvernement du Québec, avec le gouvernement de M. Bouchard pour dire au fédéral qu'il fait fausse route et qu'il doit suspendre l'adoption de son projet de loi C-3 et refaire ses devoirs. C'est à peu près le message qu'on lui lançait le 30 novembre 1999. Par la suite, j'ai tenté, par mes motions, de donner du temps à la ministre, ce qu'elle n'a de toute évidence pas saisi.

Je vais avoir l'occasion de vous présenter des cas concrets. Au cours de l'été, je me suis dit que j'allais sûrement recommencer à discuter du projet de loi C-3 à un moment donné et que j'allais vous vous présenter des cas concrets, tous fictifs, pour vous montrer réellement ce qui va arriver. Ce sera intéressant tantôt. Ce que je vous dis actuellement est intéressant, mais c'est de la quincaillerie. Je vais vous parler plus spécifiquement de deux cas fictifs pour vous montrer ce qu'on peut faire en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants et ce qu'on ne pourra plus faire une fois que le projet de loi aura été adopté. Je les ai écrits parce que j'ai pensé à tous les éléments. Je l'ai fait dans un seul et unique but, à savoir que vous compreniez bien les deux exemples. Je vais vous les donner plus tard.

Donc, on vient de voir un des éléments importants de la Loi sur les jeunes contrevenants, la déclaration de principes. On a vu ce que la ministre a dit pour expliquer ses changements à la loi. De toute évidence, elle a échoué à nous démontrer la pertinence des modifications. Au niveau des statistiques, elle a échoué également. Les statistiques disent très clairement que la ministre fait erreur lorsqu'elle veut justifier les modifications par les statistiques. On a la confirmation très claire que la délinquance chez les jeunes n'est pas en augmentation; c'est tout le contraire.

• 1935

L'Assemblée nationale a adopté une résolution unanime demandant à la ministre de suspendre l'adoption du projet de loi C-3. La question qu'on doit se poser est celle-ci: que font les médias et que pensent-ils? Vous savez, les médias sont un peu le reflet de la société dans laquelle on vit. Que disent les médias?

Monsieur le président, j'aurais pu vous apporter une pile importante d'articles de journaux. Je n'en ai apporté que quelques-uns. Ils parlent de la lettre ouverte de Mme McLellan. Mme McLellan, le 25 avril 2000, a senti le besoin de prendre la plume et d'écrire une belle lettre pour tenter de convaincre les gens au Québec que c'était une bonne loi. Le titre de sa lettre est «Projet de loi C-3: plus de moyens pour réhabiliter les jeunes». Cela fait très marketing, mais ce n'est pas plus que ça, monsieur le président.

Je ne sais pas si j'ai déjà remercié la ministre, mais je la remercie. J'espère que les gens du ministère vont lui dire que le député de Berthier—Montcalm la remercie parce que cette lettre a été un élément déclencheur au Québec. C'est la goutte qui a fait déborder le vase. Beaucoup de gens ont dit que cette lettre était de l'arrogance à l'état pur, de la désinformation importante. Le titre ne peut être plus trompeur. Ce n'est pas vrai que, grâce à C-3, il y a plus de moyens pour réhabiliter les jeunes. Ce n'est pas vrai. C'est une fausseté. Le titre n'est pas correct. Il est vicieux.

Je vous ai lu tout à l'heure l'article de la déclaration de principes qui nous donne tout ce dont on a besoin pour réhabiliter les jeunes. La déclaration de principes de la Loi sur les jeunes contrevenants ne pourrait être plus claire, et on ne retrouve rien qui y corresponde dans le projet de loi C-3 de la ministre. On dit qu'on a plus de moyens pour réhabiliter les jeunes. C'est un leurre. Il faut que ça se sache.

Heureusement, d'autres personnes ont pris la plume et ont dit à la ministre qu'elle était dans l'erreur. J'aurais aimé qu'elle soit présente ce soir pour lui poser des questions sur cela: en quoi votre projet de loi et vos nombreux amendements, quasiment plus nombreux que les articles de votre propre projet de loi, répondent-ils aux revendications du Québec?

On dit ici:

    Également, le projet de loi C-3 comble un bon nombre de lacunes de la Loi sur les jeunes contrevenants en rendant le système plus juste, plus efficace, offrant plus de protection pour les jeunes.

Est-ce protéger les jeunes que de les envoyer en dedans à l'âge de 14 ans? Bien sûr, on protège les jeunes en leur donnant des sentences de 25 ans comme à des adultes. C'est sûrement ça, la protection. On protège le jeune de lui-même, finalement. On le met entre quatre murs. Ça doit être ça.

Je pense que les gens qui appliquent la Loi sur les jeunes contrevenants et qui connaissent le domaine ne croient pas que c'est le genre de protection qu'on doit donner à un jeune qui a des problèmes de criminalité.

Je vous parlerai tout à l'heure de belles études du ministère de la Santé à Ottawa, qui s'est penché sur la problématique de la justice chez les jeunes pauvres et chez les autochtones. Les gens ne sont peut-être pas très d'accord avec la ministre que cela offre plus de protection pour les jeunes. Et surtout, il est faux que le projet de loi C-3 comblera des lacunes de la Loi sur les jeunes contrevenants et rendra le système plus juste et plus efficace. Tous les experts disent que ce sera un fouillis administratif. Les délais seront plus longs avec le projet de loi C-3. Je ne sais pas sur quelle planète la ministre vit quand elle dit cela. J'aurais aimé qu'elle vienne ici ce soir pour répondre à mes questions. Je lui aurais demandé: sur quelle planète êtes-vous, madame la ministre, pour affirmer des choses semblables?

• 1940

On parle également des grands avantages de ce projet de loi. On dit que «cette procédure va accélérer le processus», ce qui est faux, «et tiendra davantage compte de la présomption d'innocence.» Je ne sais pas à qui s'adressait cette lettre, mais elle ne s'adressait sûrement pas à ceux qui connaissent la loi, à quelqu'un qui a un bac en droit, qui a une licence et qui pratique. La présomption d'innocence, ce n'est pas la ministre qui l'a inventée. Comme dirait un de mes collègues, ce n'est pas la ministre qui a mis les springs après les sauterelles, n'est-ce pas?

    De plus, elle aura les effets suivants:

    -les noms des jeunes ne seront pas publiés et les dossiers demeureront confidentiels, à moins qu'ils ne soient reconnus coupables;

Heureusement... Il y en a qui commencent à être fatigués. C'est une justification de la ministre:

    - les noms des jeunes ne seront pas publiés et les dossiers demeureront confidentiels à moins qu'ils ne soient reconnus coupables;

C'était la moindre des choses que la ministre prévoie de ne pas publier dans les journaux le nom d'un jeune qui est accusé d'une infraction mais qui n'est pas trouvé coupable. Merci, madame la ministre, vous avez trouvé quelque chose de fantastique. Tous les spécialistes qui sont venus ici, même du côté anglophone, même du côté du Canada, de l'Ouest, disent que la question de la publication des noms... Je ne dirai pas le mot que j'allais dire parce que ce n'est pas parlementaire. En tout cas, ce n'est pas bon. Ça stigmatise le jeune. Dans certains cas, cela encourage les jeunes à faire des coups parce que, pour entrer dans certains gangs—on retrouve également le phénomène des gangs chez les adolescents—, il faut que son nom paraisse dans les journaux. Là on leur donne la chance d'avoir leur nom dans les journaux en bas âge s'ils commettent un crime assez violent. Qu'est-ce que cela vaut pour protéger la société? Zéro. C'est encore une chose que l'Ouest canadien avait demandée, et la petite oreille droite de Mme la ministre l'a attrapée au vol.

L'autre chose est importante. Heureusement que le projet de loi C-3 est là:

    - le tribunal devra entendre toute la preuve avant d'imposer une peine d'adulte;

Cette loi nous donne tout un avantage. Cela se fait à l'heure actuelle pour les 16 et 17 ans. Le tribunal entend toute la preuve avant d'imposer une sentence pour adulte. Quel est l'avantage? Le titre de la lettre de la ministre était: «plus de moyens pour réhabiliter les jeunes». Elle ferait peut-être une bonne vendeuse, mais dans le fond, elle vend de l'air présentement.

Elle dit:

    - le droit à l'avocat sera accru.

Je ne sais pas si la ministre a mis les pieds dans un tribunal pour la jeunesse. À l'heure actuelle, le droit à l'avocat est reconnu non seulement par la Loi sur les jeunes contrevenants, mais également par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte de l'ONU. Le droit du jeune à se défendre et à être représenté par un avocat est reconnu presque partout sur la scène internationale.

Qu'est-ce qu'on dit de bon ailleurs dans cette lettre?

• 1945

    - les jeunes bénéficieront du fait que le juge sera un expert dans le domaine de la justice pour les jeunes;

Est-ce qu'elle avait fumé quand elle a écrit cette lettre-là? Ça n'a pas de bon sens.

La Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec est un tribunal spécialisé. Est-ce qu'on aura quelqu'un de plus spécialisé qu'un juge qui a consacré toute sa vie à la jeunesse et à monter un système qui se tient, style Michel Jasmin? Est-ce qu'on aura, avec le projet de loi C-3, un juge plus expert dans le domaine de la justice des jeunes que Michel Jasmin?

Je ne sais pas ce que je dois faire pour vous faire comprendre que ça n'a pas de bon sens. C'est une lettre pour vendre son projet de loi qu'elle a fait paraître dans les journaux. Elle a senti le besoin de répondre aux gens qui contestaient son projet de loi C-3, entre autres au Bloc québécois, à Ottawa. Elle aurait pu écrire des choses... Mais elle n'avait peut-être pas autre chose à dire. Si c'est tout ce qu'elle a à dire, c'est effrayant.

Qu'elle fasse un pas en arrière et qu'elle recommence. Qu'elle recule et qu'elle fasse quelque chose, mais qu'elle n'aille pas de l'avant avec un projet de loi semblable. C'est à se demander si elle sait ce qu'est la Loi sur les jeunes contrevenants et comment elle s'applique. Qu'est-ce qu'elle dit de bon à part cela? Il y a tellement de choses dans cette lettre. Ça n'a pas de bon sens.

    ...le projet de loi C-3 offre un plus grand nombre de moyens efficaces pour réhabiliter nos jeunes.

Qu'est-ce qu'elle veut dire? Dans la déclaration de principes, l'élément le plus important de toute la Loi sur les jeunes contrevenants, on dit très clairement qu'on peut donner des traitements aux jeunes contrevenants et qu'on peut «envisager, s'il est décidé d'agir, la substitution de mesures de rechange aux procédures judiciaires». Au Québec, on a un programme de mesures de rechange autorisé par le ministère de la Justice et celui de la Santé et des Services sociaux. C'est très clair. On indique clairement ce qu'on peut faire à ce niveau.

Ce n'est pas parce qu'il y aura un projet de loi C-3 qu'il y aura plus de mesures de rechange au Québec. On aura les mêmes mesures de rechange. Seulement, elles seront plus difficiles à appliquer. Dans les cas où il ne sera pas nécessaire d'appliquer des mesures de rechange, la Loi C-3 va-t-elle obliger Québec à en appliquer? C'est toute cette liberté d'agir qu'on va perdre.

Quelle garantie avons-nous? La ministre peut écrire:

    ...le projet de loi C-3 offre un plus grand nombre de moyens efficaces pour réhabiliter nos jeunes.

Quelle assurance la ministre a-t-elle que, dans l'Ouest canadien, ils vont avoir des mesures plus efficaces de réhabilitation, eux qui n'ont déjà pas de moyens efficaces de réhabilitation? Quelles sont les chances de succès? C'est zéro. Le passé étant garant de l'avenir, surtout dans le domaine de la justice, c'est zéro. La ministre écrit:

    En d'autres mots, le gouvernement du Canada s'est engagé à élaborer un projet de loi respectueux de l'approche adoptée par le Québec au cours des 15 dernières années.

Chez nous, on dit que ça prend un front de boeuf pour dire ça ou avoir du front tout le tour de la tête. Ce projet de loi C-3 est carrément le contraire de ce que tous les spécialistes disent au Québec. Il fait complètement fi de l'expérience québécoise dans le domaine des jeunes contrevenants, et la ministre trouve le moyen de dire dans une lettre que son projet de loi est «respectueux de l'approche adoptée par le Québec au cours des 15 dernières années». Ça n'a pas de bon sens, monsieur le président.

De plus, comme si cela n'était pas suffisant, elle indique:

    J'ai demandé à plusieurs reprises à ceux qui critiquent le projet de loi de fournir des exemples de pratiques ou de politiques qui ne cadrent pas avec le projet de loi ou qui ne pourront être améliorées. On ne m'a fourni aucun exemple.

• 1950

C'est faux. On a soumis beaucoup d'exemples à la ministre. Ce soir, je vais vous donner d'autres exemples à l'intention de la ministre. J'ose espérer qu'elle lira le compte rendu de la soirée et verra que je lui ai donné d'autres exemples.

En plus, elle dit que le Barreau du Québec est d'accord sur ces modifications. On va le voir tantôt. J'ai ici le mémoire du Barreau du Québec. J'ai même une lettre que j'ai envoyée au bâtonnier, que je pourrai vous lire si vous le voulez, parce que je la trouve très bonne. Comme c'est moi qui l'ai faite, elle est très, très bonne. Je l'ai envoyée au bâtonnier et je n'ai jamais eu de réponse.

Savez-vous pourquoi je n'ai pas eu de réponse? Parce que je prenais les choses que la ministre faisait dire au bâtonnier et que je les comparais à ce qu'il avait dit dans son mémoire. Ça ne concordait pas, parce que la ministre avait parlé à travers son chapeau, encore une fois.

Je disais que je pouvais quasiment remercier la ministre d'avoir publié cette lettre ouverte parce qu'elle avait donné aux gens qui voulaient se prononcer l'occasion de le faire. Elle a motivé certains membres de la coalition, même des gens que je ne connaissais pas à l'époque. Par la suite, j'ai communiqué avec eux parce que ce qu'ils venaient de dire dans leurs lettres était très intéressant. Il y a entre autres Me Binet, de Montréal, que je ne connaissais pas. J'ai lu un jour dans les journaux une lettre ouverte et je me suis empressé de communiquer avec lui, entre autres pour le féliciter de sa compréhension du projet de loi C-3 et lui dire de poursuivre. Si je l'ai fait, c'est grâce à la ministre de la Justice, qui a provoqué ces gens en faisant publier une lettre ouverte dans les journaux. C'était le 24 avril.

Par la suite, dans La Presse du mercredi 26 avril 2000, on a lu un article de M. Philippe J. Laurin, président de l'Association du Jeune Barreau de Montréal. Le titre est assez révélateur: «Jeunes contrevenants: entre l'obstination et le mépris; La ministre McLellan a même réussi à faire l'unanimité à l'Assemblée nationale contre son projet de loi».

Il dit ceci:

    Nous désirons faire suite à l'article paru le 11 avril dernier dans La Presse, intitulé «Jeunes contrevenants: Ottawa s'obstine». À lui seul, le titre de l'article résumait bien l'attitude de la ministre fédérale, Mme Anne McLellan, envers la totalité des intervenants québécois touchés par le projet de loi C-3 concernant le système de justice pénale pour les adolescents.

    Si l'on se fie à la définition du dictionnaire Larousse, une personne obstinée est une personne qui persévère dans ses actions sans vouloir rien entendre. C'est exactement ce que Mme McLellan a choisi de faire!

Tout le monde lui dit qu'elle fait fausse route, mais elle s'est bouché les oreilles bien comme il le faut et elle fonce dans le tas. Elle a choisi de ne pas entendre ce qu'on dit au Québec.

    La différence fondamentale entre la loi actuelle et le projet de loi C-3 réside essentiellement dans l'approche privilégiée. Alors que la loi actuelle est basée sur des valeurs de rééducation et de réadaptation de l'adolescent, situant l'infraction par rapport à l'ensemble du comportement du jeune et des difficultés qu'il peut rencontrer dans sa famille, à l'école ou dans son milieu, la réforme propose plutôt une approche basée sur le degré de gravité de l'infraction et sur la punition et la dissuasion. Cette dernière approche est largement inspirée de la philosophie pénale que l'on retrouve chez les adultes.

• 1955

La ministre n'a trompé personne. Jusqu'à maintenant, plusieurs ont vu son jeu et plusieurs arrivent à la conclusion que son projet de loi C-3 ressemble en tous points au système pour adultes. C'est très clairement exprimé par cet auteur qui est le président de l'Association du Jeune Barreau de Montréal qui, soit dit en passant, est très proche du Barreau du Québec.

Il a parlé un peu plus des infractions en tant que telles. C'est important. D'ailleurs, c'est une question que j'aurais pu poser à la ministre si elle avait été là, si elle avait donné suite à ma motion, très importante, qui lui demandait de reporter l'étude article par article du projet de loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents. Qu'elle vienne témoigner devant le comité pour expliquer ses nombreux amendements et répondre à nos questions.

Elle est assez bien faite, cette motion. C'est clair. Si la ministre était ici ce soir, je pourrais lui poser des questions. M. Laurin aimerait aussi poser des questions à la ministre. À titre de députés, nous sommes en quelque sorte les porte-parole des commettants et commettantes de nos circonscriptions électorales, bien sûr, mais nous sommes également des spécialistes dans un domaine qui n'est pas nécessairement développé dans le comté que l'on représente.

Par exemple, dans mon comté, il y a des maisons de jeunes et un centre jeunesse et il y a des choses qui se passent, mais l'Institut Pinel, les universités, les criminologues ne travaillent pas, ou le font très peu, dans ma circonscription électorale. Toutefois, je suis ici à titre de critique en matière de justice pour le Bloc québécois et je dois être le porte-parole de ces gens. Je me sens en quelque sorte comme M. Laurin. Si la ministre était présente ce soir devant moi, je lui poserais des questions que M. Laurin aimerait lui poser.

M. Laurin dit, et je le cite:

    La ministre fédérale propose donc quatre catégories d'infractions soit l'infraction sans violence, avec violence, grave avec violence ou encore, l'infraction désignée qui entraînera pour les adolescents âgés de 14 à 17 ans au moment de l'infraction une présomption à l'effet qu'ils doivent être assujettis à une peine applicable aux adultes. Parmi les infractions désignées, on retrouve le meurtre, la tentative de meurtre, l'homicide involontaire coupable, l'agression sexuelle grave ainsi qu'une infraction grave avec violence lorsque l'adolescent a déjà été déclaré coupable à deux reprises.

On remarque donc que l'approche privilégiée par la ministre McLellan est beaucoup plus dure et se veut essentiellement punitive, ce qui constitue en soi un changement par rapport à la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est un exemple. La ministre dit qu'on ne lui a pas donné d'exemples concrets; je viens de lui en donner un très clair. C'est beaucoup plus punitif comme approche que ce que permet la Loi sur les jeunes contrevenants. Pourquoi?

Plus tôt, on a vu les statistiques. Mme Judy voulait que je tombe dans le vif du sujet; j'y suis. C'est dommage qu'elle ne soit pas là puisque je lui donne un exemple concret de choses qu'on ne peut pas faire en vertu du projet de loi C-3 que la ministre veut nous faire adopter à toute vapeur par le recours à un bâillon qu'elle nous enfonce le plus creux possible dans la gorge afin qu'il n'en ressorte pas. C'est un exemple.

Je suis certain, madame Bennett, que vous comprenez très bien cet exemple et que vous voyez qu'il y a une différence, car j'ai perçu que vous prêtiez une oreille attentive aux témoignages. Vous êtes préoccupée par cette situation. Je suis persuadé que votre coeur n'y est pas lorsqu'on adopte rapidement un projet de loi semblable, comme on le fait ce soir, surtout avec les objectifs que la ministre lui a donnés.

On dit également:

    Autre nouveauté, le projet de loi fédéral introduit la peine proportionnelle à la gravité de l'infraction et privilégie l'harmonisation des peines dans l'ensemble du Canada.

Il est certain, monsieur le président, qu'on va y revenir au cours de la soirée, lorsque je vais parler de cas pratiques. Mais on y reviendra, surtout lorsque je vais décortiquer le projet de loi C-3. On va faire une autopsie du projet de loi C-3 afin que vous ayez devant vous tous les morceaux du casse-tête dont je parlais plus tôt, et je suis persuadé que vous allez l'adopter avec beaucoup moins d'enthousiasme et d'ardeur.

• 2000

Donc, la ministre ne leurre personne lorsqu'elle parle de flexibilité. On reviendra aussi à la flexibilité. Finalement, je n'aurai probablement pas assez de 10 heures pour parler de tout cela. La flexibilité est aussi un élément extrêmement important. La ministre y a eu recours au début, lorsqu'elle a vendu son projet de loi à l'occasion d'une conférence de presse où elle prétendait que ce projet de loi était le plus flexible qui soit. Un projet de loi plus flexible que celui-là se retrouverait au Cirque du Soleil. Mais elle n'a leurré personne. M. Philippe J. Laurin, président de l'Association du Jeune Barreau de Montréal, l'a dit:

    Autre nouveauté, le projet de loi fédéral introduit la peine proportionnelle à la gravité d'infraction...

C'est extrêmement dangereux pour l'approche québécoise.

    ...et privilégie l'harmonisation des peines dans l'ensemble du Canada. Or, on sait que les peines sont généralement plus sévères ailleurs au Canada qu'au Québec, ce qui aura vraisemblablement pour effet d'augmenter la sévérité des peines au Québec.

C'est un des premiers commentaires que j'avais faits à la sortie de la Chambre des Communes lorsque la ministre avait déposé le projet de loi C-3. Je me souviens d'avoir dit à la journaliste Manon Cornellier, pour ne pas la nommer, que la question de l'harmonisation des peines était épouvantable. À long terme, la jurisprudence va influencer ce qu'on fait au Québec, même au niveau des sentences. La ministre avait dit que je n'y connaissais rien, que ce n'était pas cela et que j'avais mal compris, mal lu le projet de loi, qu'il n'en était aucunement question.

Le président de l'Association du Jeune Barreau de Montréal, qui est un praticien, un professionnel dans le domaine, écrit:

    Or, on sait que les peines sont généralement plus sévères ailleurs au Canada qu'au Québec, ce qui aura vraisemblablement pour effet d'augmenter la sévérité des peines au Québec. Contrairement à ce qui est proposé par la réforme, la loi actuelle favorise plutôt des mesures individualisées selon le comportement et les besoins de l'adolescent, approche qui permet une plus grande flexibilité selon chaque cas, sans compromettre la sécurité de la population.

C'est assez clair, monsieur le président. C'est assez clair. La lecture de cet article aurait dû suffire à faire réfléchir un peu la ministre. Je comprends que dans l'Ouest canadien, on se moque de l'harmonisation des peines, parce que l'harmonisation ne se fera pas par le bas, mais par le haut. Il faut aller dans les palais de justice pour voir qu'on ne demande jamais la plus petite sentence. On demande toujours la plus grosse sentence.

Je cite encore cet article très intéressant:

    Finalement, le projet de loi C-3, en permettant que soit dévoilée l'identité des jeunes contrevenants dans certaines situations, met à l'écart une règle maintenant internationalement reconnue qui interdit toute diffusion de l'identité des adolescents, peu importe le crime commis. Encore une fois, cette règle contrevient à une valeur fondamentale du système pénal québécois, soit la protection de l'identité des adolescents afin de faciliter leur réinsertion.

C'est un autre exemple que la ministre dit ne pas avoir eu. C'est un autre exemple de ce qui se fait en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants et qui ne pourra plus se faire en vertu du projet de loi C-3. C'est un autre exemple qui démontre, hors de tout doute, que le projet de loi C-3 est mauvais. Ce n'est pas un bon projet de loi. Il va à l'encontre de ce qui se fait au Québec, et même à l'encontre de certaines conventions internationales. Le Canada est le plus beau pays du monde. Pour qui, se demande-t-on, lorsqu'on examine en détail certains projets de lois?

• 2005

Il continue en disant:

    La question que nous devons maintenant nous poser est la suivante: pourquoi une telle réforme devait-elle être entreprise?

Si la ministre de la Justice et procureur général du Canada avait été présente ce soir, conformément à ma motion, et qu'elle était venue témoigner devant le comité afin d'expliquer ses nombreux amendements et répondre à nos questions, je lui aurais posé cette question.

Compte tenu de tout ce qu'on a dit ce soir—et ce n'est qu'une infime partie de ce qui se sera dit à la fin de la soirée—, pourquoi une telle réforme doit-elle être entreprise? Il répond à la question parce qu'il n'a pas le loisir, tout comme moi ce soir d'ailleurs, d'avoir la ministre devant lui pour lui poser au moins quelques questions. Il n'a pas l'avantage de lui poser des questions en Chambre. Il dit:

    Nous sommes incapables de trouver quelque explication rationnelle qui pourrait justifier un changement de cap aussi radical dans le fonctionnement de la justice pénale pour les adolescents. En effet, le système actuel fonctionne très bien. Si on se fie aux études sur la question, c'est au Québec que l'on retrouve le taux de délinquance juvénile et le taux de judiciarisation des adolescents le plus faible dans tout le Canada. L'approche québécoise, qui privilégie depuis 20 ans la prévention de la criminalité des jeunes, a donc fait ses preuves, comme en témoigne également le taux élevé de réinsertion sociale chez les jeunes contrevenants.

Il y en a, des exemples. Que la ministre ne vienne pas nous dire qu'on ne lui a pas donné d'exemples prouvant que son projet de loi ne répond pas aux attentes des Québécois et va même à l'encontre de ce qui se fait au Québec. Qu'elle ne vienne pas nous dire qu'on ne lui a pas donné des exemples démontrant qu'il est faux de prétendre, comme elle l'a fait, que ce projet de loi est respectueux de l'approche adoptée au Québec au cours des 15 dernières années. Il faut avoir du culot pour dire cela dans une lettre ouverte, alors que c'est le contraire. Tout le monde le dit.

    Depuis le dépôt du projet de loi C-3, à l'automne 1999, une vive opposition s'est manifestée au Québec. La ministre McLellan a même réussi à faire l'unanimité à l'Assemblée nationale puisque celle-ci a adopté, en décembre dernier, une motion unanime demandant au gouvernement fédéral de suspendre son projet de loi de réforme, jugeant celle-ci aux antipodes des valeurs de réhabilitation et de prévention privilégiées au Québec.

    Cette rare unanimité à dénoncer un projet de loi fédéral s'est également manifestée auprès des multiples intervenants sociaux, éducateurs, professeurs et policiers. Le Barreau du Québec a également exprimé, à la fin février, son opposition au projet de loi. Le juge en chef adjoint du Tribunal de la jeunesse du Québec, l'honorable Michel Jasmin, ainsi que la Coalition québécoise pour la justice des mineurs ont également critiqué sévèrement ce projet de loi.

Ils l'ont fait pour toutes les raisons mentionnées jusqu'ici. Or, la ministre écrit dans une lettre que son projet de loi est respectueux de l'approche adoptée par le Québec au cours des 15 dernières années. Qui lui a conseillé d'écrire des aberrations semblables? Elle est la ministre de la Justice du Canada. Que je sache, le Québec fait encore partie du Canada et Mme McLellan est donc encore notre ministre. Elle devrait savoir ce qui se passe au Québec. De toute évidence, si elle a écrit quelque chose de semblable, c'est qu'elle ignore ce qui se fait au Québec.

Il continue en énumérant plusieurs personnes qui se sont prononcées ouvertement contre le projet de loi au Québec et il finit en parlant de la pratique en général. Encore là, j'aurais aimé posé certaines questions à la ministre à ce sujet.

• 2010

Il dit:

    L'approche retenue par le projet de loi C-3 n'est aucunement justifiée. Pourquoi démolir l'équilibre que le Québec a réussi à établir entre la sécurité de la population et l'encadrement des jeunes délinquants? Il est primordial de conserver la marge de manoeuvre nécessaire pour remettre les jeunes dans le droit chemin, lorsqu'il est encore possible de le faire, plutôt que de les laisser sombrer dans la culture criminelle.

Cela rejoint ce que je disais plus tôt. Avec le projet de loi de la ministre, un jeune de 14 ans qui commet un acte pour lequel il pourrait être puni comme un adulte s'il était trouvé coupable et qui reçoit une sentence pour adulte, par exemple une sentence d'emprisonnement de 15 ans, sortira de prison à l'âge de 29 ans. Je généralise, naturellement, parce qu'il y a toute la question de la libération conditionnelle et ainsi de suite. C'est très complexe, mais j'essaie, pour le commun des mortels, d'expliquer ça sommairement. On pourra entrer dans les détails tout à l'heure si vous le voulez.

Par exemple, l'individu qui est emprisonné pendant 15 ans sort de prison à l'âge de 29 ans. Qu'est-ce que ce jeune homme aura eu pour se réhabiliter? Est-ce que la province, avec le beau projet de loi qu'on a devant nous, va vouloir investir pour un jeune de 14 ans, sachant qu'il sortira de l'encadrement pour les jeunes contrevenants à l'âge de 18 ans et ira finir son temps, comme on dit dans le jargon judiciaire, dans une prison pour adultes?

Autrement dit, le jeune ferait quatre ans dans le système pour adolescents et purgerait les 11 dernières années qu'il lui resterait à l'université du crime, où il acquerrait ce que Me Laurin appelle «la culture criminelle».

Croyez-vous sincèrement qu'une province va investir de l'argent pour un individu pendant quatre ans, sachant qu'il va faire 11 ans dans un pénitencier et qu'on va faire toutes sortes de choses pour lui laver le cerveau afin qu'il ait la culture criminelle à sa sortie, à l'âge de 29 ans?

C'est une question que j'aurais posée à la ministre si elle était venue témoigner. Croyez-vous qu'on aide le public et qu'on augmente la sécurité de la société quand on fait sortir de prison un homme de 29 ans après qu'il ait passé 11 ans dans un pénitencier pour adultes et quatre ans dans un système dans lequel je ne sais trop ce qu'on a fait? De toute évidence, la province n'investirait pas pour ce jeune, alors qu'aujourd'hui, avec le système de la Loi sur les jeunes contrevenants, la province peut investir pour un individu parce qu'on sait que le jeune fera tout son temps dans le système pour adolescents. Si on sait qu'il sortira un jour ou l'autre du système pour adolescents, je ne sais pas sûr que la province investira de l'argent. Ce dont je suis sûr, cependant, c'est que les provinces qui ne font rien à l'heure actuelle en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants n'en feront pas plus avec le nouveau projet de loi. On leur offre même une occasion en or de ne rien faire. La ministre va saccager 15, 20 ou 30 ans d'expérience au Québec pour satisfaire des provinces qui, de toute façon, ne feront rien.

• 2015

C'est un autre exemple que la ministre dit ne pas avoir eu. Pourtant, ce n'est pas la première fois que je le lui donne. Encore une fois, je ne sais pas où elle avait la tête lorsqu'elle a écrit cette lettre.

Plus tôt, je vous ai dit que j'avais connu un avocat par l'intermédiaire d'une lettre ouverte et ce, grâce à la lettre que la ministre a fait publier dans La Presse le 25 avril. Eh bien, le 28 avril, dans Le Devoir, j'ai connu M. René Binet, qui est président de l'Association des avocats et avocates en droit de la jeunesse de Montréal. Le titre de son article est assez révélateur, merci encore une fois: «Quand le voisin nous dit comment élever nos enfants...» C'est en quelque sorte ce que la ministre nous dit dans le projet de loi C-3. Elle nous dit comment nous, Québécois et Québécoises, allons élever nos enfants. Étant donné qu'on réussit mieux au Québec avec nos enfants que dans les autres provinces, il faut éviter cela et, pour ce faire, on va niveler par le bas. Au lieu de tenter de niveler par le haut, on va niveler par le bas. C'est pas mal moins difficile. On va niveler par le bas. De cette façon, la barre sera moins haute; peut-être que les provinces respecteront au moins cette loi-là.

Nous, les Québécois et les Québécoises, devons prendre acte du fait que la ministre veut nous indiquer comment nous devons élever nos enfants. Ça, on ne l'accepte pas. On ne l'a jamais accepté et on ne l'acceptera jamais. Et qu'est-ce que Me Binet nous dit dans cette lettre ouverte où il aborde le dossier des jeunes contrevenants un peu différemment? Récemment, il a écrit une autre lettre qui a paru dans Le Devoir ou dans La Presse, je pense, dans laquelle il faisait un lien entre la pauvreté et la situation des jeunes. C'est un lien qu'on doit faire et que même le gouvernement fédéral fait dans certains documents que je vais pouvoir utiliser un peu plus tard au cours de la soirée. Il l'a fait un peu plus, mais il se basait surtout sur le projet de loi C-3. Il nous dit:

    Nous prenons position contre le projet de loi C-3. Nous considérons que le projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne contient pas la souplesse que nous retrouvons dans l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants.

La ministre nous parle de flexibilité. Ici, il y a un praticien qui se prononce. J'ai parlé une fois à M. Binet. J'ouvre une parenthèse parce que c'est important. Il est un spécialiste des jeunes contrevenants. Il me disait en toute confidentialité, mais il m'a permis de le répéter, que si jamais le projet de loi de loi C-3 était adopté, très honnêtement, il n'aurait pas envie de recommencer à apprendre la nouvelle loi et il ferait autre chose. Il va tenter de faire autre chose parce qu'il ne se voit pas appliquer une nouvelle loi. Surtout, il me disait qu'il faisait cela parce qu'il voulait aider les jeunes. Pour ce faire, il a un outil qui s'appelle la Loi sur les jeunes contrevenants, qui lui donne la possibilité d'aider ces jeunes-là. Sa conclusion était que le projet de loi C-3 n'avait pas cet objectif. Pour lui, faire des cas en parlant de la gravité de l'infraction pour donner des sentences, car c'est ainsi qu'est rédigé le projet de loi, ne l'intéresse pas. Vous comprendrez qu'il prend position au nom de l'Association des avocats et avocates en droit de la jeunesse de Montréal après avoir tenu une assemblée à cet effet et décidé qu'il prenait position contre le projet de loi:

    Nous considérons que le projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne contient pas la souplesse que nous retrouvons dans l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants.

    L'expertise québécoise est le fruit d'une longue tradition qui a su s'adapter aux divers changements qu'a connus notre société. Cette expertise s'analyse dans un contexte plus vaste car elle inclut celle développée en matière de protection de la jeunesse.

• 2020

    En 1995, un groupe de travail québécois s'était donné comme mission d'approfondir une réflexion concernant l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants. Cette réflexion qui se retrouve dans le rapport Jasmin est à notre avis supérieure à celle proposée dans le projet de loi C-3.

On aura sûrement l'occasion de discuter aujourd'hui du rapport Jasmin. C'est une mine d'or. Encore cet été, je lisais le rapport Jasmin en fonction de la loi que la ministre avait déposée et je me demandais si j'avais fait une erreur quant à l'approche. Comment se fait-il que la ministre n'ait pas pris acte de ce rapport, qui est bien fait? Comment se fait-il que la ministre ne comprenne pas? Comment se fait-il que la ministre ait le culot de dire que son projet de loi C-3 est respectueux de l'approche adoptée par le Québec au cours des 15 dernières années? Je vois une différence énorme entre son projet de loi C-3 et le rapport Jasmin et je me demande si je regarde ça d'un mauvais oeil. Est-ce que je n'analyse pas bien le dossier? Quel est le problème? Est-ce moi qui ne comprends pas ou qui vois une différence alors qu'il n'y en a pas, ou si c'est la ministre qui ne comprend pas?

Il est impossible que tout le Québec se soit trompé. Il est impossible que tous les spécialistes dans le domaine disent que la ministre fait fausse route et que ça soit la ministre qui détienne la vérité. Il est impossible que les centaines d'intervenants spécialisés dans le domaine de la justice pour adolescents fassent erreur, parce qu'il n'y a pas de note discordante dans leur approche. Tous les intervenants sont d'avis que le projet de loi de la ministre n'est pas conforme à l'approche québécoise. Même, tous les intervenants jugent dangereuse pour l'avenir des jeunes du Québec l'approche du gouvernement fédéral.

Monsieur le président, il devient de plus en plus difficile de se concentrer parce qu'il y a de plus en plus de discussion autour de la table. J'aimerais que les gens m'écoutent. S'ils ont des réunions à faire, qu'ils aillent les faire ailleurs. Je suis ici pour faire un travail. Je suis au Comité de la justice et des droits de la personne. Le projet de loi C-3 est très important, et j'ai un message à livrer, mais le gouvernement libéral veut me bâillonner. J'aimerais que les gens d'en face m'écoutent. S'ils veulent régler des cas ou des dossiers, qu'ils aillent le faire ailleurs. J'aimerais que vous disiez aux gens de se taire un peu.

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)): M. Bellehumeur nous dit que les discussions qui se tiennent en petits groupes autour de la table le distraient et vous demande de tenir vos petites réunions ailleurs.

Mme Judy Sgro: Sommes-nous censés écouter? Je suis désolée, mais il y a environ deux heures que j'ai cessé d'écouter.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Je vous transmets simplement le message de M. Bellehumeur; j'estime qu'il mérite un peu de courtoisie.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Merci beaucoup, monsieur le président. J'apprécie votre collaboration.

[Traduction]

Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): [Note de la rédaction: Inaudible]... nous avons quand même l'impression d'être des otages.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Je vais continuer, monsieur le président, en tentant de garder mon calme parce que je pense qu'il ne vaut pas la peine de s'énerver.

Je disais donc que M. René Binet, président de l'Association des avocats et avocates en droit de la jeunesse de Montréal et spécialiste auprès des jeunes contrevenants, dit dans une lettre ouverte... Les députés d'en face auraient tout intérêt à écouter, parce qu'ils n'ont sûrement pas lu sa lettre.

• 2025

M. Binet dit, et c'est un spécialiste qui parle:

    Un adolescent est une personne unique qui est en processus de formation, qui présente des besoins spéciaux qui le distinguent de l'adulte. Il faut analyser l'infraction reprochée à un adolescent dans un contexte multidisciplinaire. Il est déplorable de promouvoir une loi qui change cette approche en diminuant la distinction entre le système pénal adulte et celui appliqué aux adolescents, qui ramène de 16 à 14 ans l'âge présumé de renvoi aux tribunaux adultes.

    Deux notions colonisent le débat dans l'univers du droit pénal: celle de la violence et celle de la sécurité. Il y a une obsession d'éradication pénale de toute forme de violence et d'insécurité. Le projet de loi C-3 tombe dans ce piège.

    En matière de sentence, il faut avoir garde de privilégier le principe de l'exemplarité et de la stigmatisation d'un adolescent au détriment des besoins de réhabilitation et, par conséquent, de la protection du public.

Voilà un autre spécialiste qui informe la ministre, parce que la lettre est adressée à la ministre fédérale de la Justice. Il lui dit que l'approche qu'elle privilégie est celle de l'exemplarité et de la stigmatisation d'un adolescent, ce qui jouera naturellement au détriment des besoins de réhabilitation du jeune, mais surtout de la protection du public.

Il est étrange que la ministre justifie l'abrogation de la Loi sur les jeunes contrevenants en disant que c'est pour la sécurité du public, alors qu'un spécialiste dans le domaine, qui applique au quotidien la Loi sur les jeunes contrevenants, qui connaît ses tenants et aboutissants, qui connaît toute la force et aussi la faiblesse de la Loi sur les jeunes contrevenants, arrive à la conclusion que c'est justement en abrogeant la Loi sur les jeunes contrevenants, comme la ministre veut le faire, qu'on compromettra la sécurité du public. Il continue en disant:

    D'autre part, ce projet de loi oppose victime et accusé comme si on devait faire un choix entre les deux.

C'est quelque chose de nouveau. Est-ce qu'on a à choisir entre la victime et l'accusé? Je pense que non. Je pense que nous n'avons pas à privilégier l'une ou l'autre de ces notions, monsieur le président. Donc, M. Binet, le spécialiste, dit:

    D'une part, ce projet de loi oppose victime et accusé comme si on devait faire un choix entre les deux. Cette perception manichéenne entretient un préjugé et provoque un faux débat. Le processus pénal doit prendre en considération un ensemble de facteurs qui comprennent la victime et l'accusé et n'a pas à sacrifier un adolescent pour satisfaire une certaine perception populaire de la sécurité.

• 2030

Me Binet, qui est un spécialiste en la matière, le dit. Mais je vous dirai également que même les juges, lorsqu'ils sont venus témoigner, ont dit quelque chose de semblable. Il y a même un juge de l'Ouest canadien, si je ne m'abuse, le juge Herbert Allard, juge en chef à la retraite du Tribunal pour la jeunesse de Calgary, qui est venu dire à juste titre, lors de son témoignage sur le projet de loi C-3:

    Le débat qui s'est engagé au Canada sur ces questions a été mené par des personnes qui ne disposent pas de l'information voulue. Ainsi, pourquoi voudrions-nous reproduire le système pour adultes? Tout le monde s'entend pour dire qu'il est un échec.

Cependant, il y a de la mauvaise information: mauvaise information, mauvaise perception. Un juge n'a pas à choisir entre l'accusé et la victime. Un bon système en est un qui tient compte de l'intérêt des deux. Je parle de l'intérêt de l'accusé dans le sens de la réhabilitation et de la réinsertion sociale. L'intérêt du jeune dans le dossier de la Loi sur les jeunes contrevenants, comme on l'a vu plus tôt, c'est lorsqu'on parle, dans la déclaration de principes de l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants, des besoins spéciaux du jeune aux prises avec des problèmes de criminalité, compte tenu de son degré de développement et de maturité.

Ça, c'est prendre certains avantages de la loi pour favoriser l'accusé, mais pas au détriment de la victime.

Ça me fait rire lorsque j'entends des gens de l'Ouest canadien parler du droit de la victime alors que la province a tout entre les mains pour faire quelque chose pour les victimes, comme on l'a fait au Québec en vertu de la Loi sur l'aide et l'indemnisation des victimes d'actes criminels. On n'a pas attendu que le grand frère fédéral nous fasse un chèque pour faire quelque chose pour les victimes. On l'a fait. On a une loi qui fonctionne bien et qui s'appelle la Loi sur l'aide et l'indemnisation des victimes d'actes criminels.

On a fait cela parce qu'on a le pouvoir de le faire en vertu de la Constitution. Donc, d'un côté, on applique très bien la Loi sur les jeunes contrevenants: on parle des besoins spéciaux du jeune et on réinvestit dans les besoins du jeune en matière de réinsertion et de réintégration sociale. D'un autre côté, on ne néglige pas pour autant la victime. Donc, dans le système en vigueur au Québec, on n'a pas besoin de faire le choix entre la victime et l'accusé. Autrement, je serais le premier à dénoncer le fait qu'on privilégie l'accusé au détriment de la victime. Ça ne serait pas un bon système. Je ne serais pas ici pour le défendre. Mais la Loi sur les jeunes contrevenants est une bonne loi, bien équilibrée, et on met les droits de la victime et les droits de l'accusé dans un même objectif, celui de la protection du public. Me Binet, un avocat spécialiste dans le domaine, l'a dit également.

J'aurais aimé que la ministre soit ici ce soir pour que je puisse lui poser ces questions afin d'entendre ce qu'elle a à dire. J'aurais aimé cela. Cependant, elle n'est pas là. J'ose espérer, encore une fois, qu'elle prendra au moins le temps de lire mon intervention parce que je lui ai donné jusqu'ici au moins quatre ou cinq exemples de choses qu'on ne peut pas faire en vertu de son nouveau projet de loi et qu'on peut faire avec l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants. C'est dommage qu'elle ne soit pas là. J'espère qu'elle va lire mon intervention. Je suis très déçu.

Me Binet continue, et il vaut la peine de s'arrêter sur ce qu'il dit:

    D'autre part, un autre faux débat est celui qui met l'accent sur l'identification du délit comme élément central devant influencer les décisions prises à l'encontre d'un jeune contrevenant, à savoir les crimes impliquant de la violence. Notre expérience basée sur le traitement de plusieurs milliers de dossiers...

C'est un praticien qui parle. Ce n'est pas un fonctionnaire qui n'a jamais mis les pieds dans un palais de justice et qui conseille la ministre qui parle. Ce praticien a traité des milliers de dossiers.

    ...nous permet d'affirmer que ces crimes commis par nos clients correspondent à des gestes qui doivent être situés dans la perspective dynamique intégrant des notions de développement, d'évolution et de degré de maturité, telles que reconnues par la Cour suprême par l'arrêt J.J.M.

• 2035

Vous comprendrez que dans les décisions de la Cour suprême du Canada qui touchent les jeunes contrevenants, tout comme dans les décisions des autres tribunaux, on ne met pas les noms. On met tout simplement les initiales des gens pour protéger la confidentialité. Cependant, avec la belle nouveauté que la ministre veut intégrer dans un tel projet de loi, on pourra stigmatiser les jeunes, les marquer au fer rouge, publier leurs noms dans les journaux. C'est une règle qui va changer également dans le futur. Quand il s'agira de jeunes de 14 ans et qu'ils seront traités comme des adultes, on pourra probablement utiliser leurs noms même dans les décisions jurisprudentielles. Pour l'instant, ce n'est pas le cas, Dieu merci.

Il continue en disant:

    Nous affirmons que la plupart des gestes reprochés aux adolescents sont moins violents que ceux observables dans le sport professionnel et autres événements médiatisés. Pourtant, dans le cas de ces sports (hockey, etc.), nous constatons que la société tolère une situation qui entretient une confusion au sujet de la violence.

C'est vrai. Si la ministre veut faire quelque chose, elle doit examiner le problème dans son ensemble. Le problème de la criminalité chez les jeunes est extrêmement complexe. On ne peut penser qu'une modification législative va permettre d'obtenir des résultats rapidement et que le problème sera réglé. La criminalité chez les jeunes est extrêmement complexe. Il faut entendre les criminologues, les psychologues, les psychiatres et autres, comme on l'a fait en comité, pour voir que ce n'est pas en claquant les droits qu'on règle ce problème.

Si la ministre veut faire quelque chose, elle doit commencer à la base et investir pour les jeunes alors qu'ils sont encore au berceau ou presque. Il y a de l'argent dont on ne sait que faire au fédéral. Il faudrait transférer davantage de cet argent aux provinces pour que celles-ci, conformément à leurs champs de compétence, investissent dans des programmes, entre autres pour les familles pauvres, les familles monoparentales ou les familles types d'où on sait que la criminalité, un jour ou l'autre, surgira. C'est ce que fait le Québec. J'y reviendrai plus loin parce qu'il y a des choses extrêmement importantes qui se font à Québec. Encore une fois, on n'a pas attendu le chèque du fédéral pour mettre de l'avant certaines choses et réussir ce que nous réussissons à l'heure actuelle.

Me Binet a raison de dire qu'il y a beaucoup de violence dans ce qu'on voit à la télévision. Encore une fois, le Bloc québécois est très avant-gardiste. On fait beaucoup de droit préventif puisqu'on a même déposé récemment un projet de loi pour contrer la violence à la télévision. C'est le député de Rosemont, Bernard Bigras, qui a déposé ce projet de loi. Il faut commencer quelque part, et c'est peut-être un endroit où on doit commencer.

Les télédiffuseurs doivent respecter le code qu'ils se sont eux-mêmes donné et qui, à l'heure actuelle, est bafoué et non respecté. Qu'on mette simplement tout cela dans une mesure législative prévoyant des sanctions monétaires, car c'est la seule façon de leur faire comprendre qu'ils doivent respecter leur propre code et ne pas diffuser des émissions comportant des scènes de violence à toute heure du jour, surtout pas aux heures de grande écoute, alors qu'il y a des jeunes et des adolescents qui regardent ces émissions.

On peut commencer par cela. On peut avoir des programmes de prévention, faire du droit préventif comme certaines provinces le font, dont le Québec. Il y a des choses à faire, mais ce n'est pas en adoptant un projet de loi comme celui que la ministre nous a présenté, la Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence, qu'on va régler le problème de la criminalité chez les jeunes. Comme tous les spécialistes le disent au Québec et même dans certaines autres provinces, cela ne va rien régler. Au contraire, cela rendra le système encore plus complexe, ce qui n'est pas bon.

Il dit, en terminant: «Enfin, on ne peut passer sous silence la complexité de cette loi...» C'est la raison pour laquelle vous me permettrez d'insister encore une fois sur les raisons ayant motivé la ministre à abroger la Loi sur les jeunes contrevenants.

• 2040

Elle dit que la Loi sur les jeunes contrevenants manque de clarté et que les principes qu'on y énonce sont imprécis, incohérents et contradictoires. Il faudrait peut-être se pencher sur la lettre qu'a rédigée un des spécialistes qui mettent en application la Loi sur les jeunes contrevenants à tous les jours. On connaît les heures de travail de ces hommes. On sait que les avocats qui pratiquent le droit auprès des jeunes contrevenants ne font pas du 9 à 5. Tout avocat qui est spécialisé et qui aime ce qu'il fait investit de nombreuses heures dans son travail. Ce n'est pas en faisant ce travail qu'on devient riche. Il faut quasiment que ces avocats aient une vocation, ce qui est le cas de tous ceux que j'ai rencontrés; ils ont la vocation. Ils connaissent tous bien cette loi parce qu'ils la vivent au quotidien. Ce n'est pas ce que la ministre vit, j'en suis sûr et certain. Je suis persuadé qu'elle n'a jamais mis les pieds dans un tribunal de la jeunesse au Québec.

Ce spécialiste nous disait qu'on ne pouvait passer sous silence la complexité de cette loi dont l'application se traduira par des coûts supplémentaires pour le justiciable, mais pas juste pour lui. La ministre a reconnu qu'on devra prévoir quelque 430 millions de dollars supplémentaires pour l'application de cette nouvelle loi. On sait à quel point les estimations que fait le fédéral sont justes. On n'a qu'à se rappeler les coûts liés à l'application de la Loi sur les armes à feu, qui se sont avérés environ cinq fois supérieurs à ceux qu'on avait prévus. On doit donc prévoir des coûts occasionnels pour ceux qui vont appliquer cette loi, ainsi que des coûts additionnels pour les provinces. On sait que le fédéral n'est pas un payeux-payeux. De plus, il y a deux ans, on estimait que la facture que devait régler le fédéral au Québec s'élevait à quelque 96 millions de dollars. Le ministre de la Justice de l'époque, Allan Rock, avait reconnu cette obligation du fédéral à l'égard du Québec, où l'on applique cette loi. Vous comprendrez que j'ai des doutes quant au montant réel qu'il devra débourser, ainsi que sur le montant du chèque qu'il remettra au Québec pour l'application de cette nouvelle loi.

L'argent des contribuables devrait être investi dans les institutions qui sont le fondement de notre société, à savoir la famille, les écoles et les organismes communautaires et de loisirs. Me Binet est un spécialiste qui connaît très bien la Loi sur les jeunes contrevenants et qui a pris le temps d'étudier correctement le projet de loi de la ministre. Son approche et sa vision sont peut-être différentes de celles qu'on a entendues jusqu'à maintenant. Il estime que la famille, l'école, les organismes communautaires et les loisirs sont en interaction et qu'il faut privilégier des investissements dans ces domaines afin de sortir de leur milieu des jeunes qui vivent dans une famille qui éprouve de graves difficultés ou qui font partie d'un gang peu recommandable. Ce n'est pas fou. Si la ministre de la Justice voulait faire quelque chose pour améliorer le système, elle ajouterait quelque chose plutôt que de soustraire ce qui fonctionne, comme elle le fait présentement. Vous comprenez sans doute que Me Binet ne saurait être d'accord avec la ministre. Son approche est en contradiction sur toute la ligne avec ce qu'elle préconise.

Me Binet dit:

    Le projet de loi C-3 ne s'inscrit pas dans le désir d'instaurer une écologie sociale. La pollution dans laquelle vivent nos adolescents est constituée de pauvreté, de décrochage, de chômage, de racisme, de suicide et d'exclusion. On voit que Me Binet sait de quoi il parle et qu'il ne travaille sûrement pas quelque part à Westmount.

Une voix: C'est près de chez nous

M. Michel Bellehumeur: Me Binet connaît la problématique du jeune contrevenant puisqu'il a étudié cette situation. On reconnaît tous que la pauvreté, le décrochage, le chômage, le racisme, le suicide, l'exclusion et la violence au quotidien dont sont témoins ces jeunes-là lorsqu'ils regardent la télévision sont des facteurs qui mènent à la délinquance. Si la ministre avait été sérieuse et avait voulu améliorer leur sort, elle se serait penchée sur ces aspects. Elle aurait cherché à savoir de quelle façon elle pouvait aider les provinces à améliorer la vie de ces jeunes.

• 2045

Je reviendrai tout à l'heure sur un rapport du ministère fédéral qui fait presque une équation entre la pauvreté et la criminalité. Plus les gens sont pauvres ou vivent dans une situation de pauvreté, plus il y a de violence et moins ils ont de chances de s'en sortir.

Je veux mettre un bémol tout de suite. Je ne dis pas que pauvreté rime automatiquement avec délinquance, ou que la richesse exclut la délinquance. Je connais des familles très aisées où des jeunes ont connu des problèmes de criminalité. Ce n'est pas automatique. Ce que je veux dire, c'est que lorsqu'un jeune vit dans une famille qui a les moyens de payer un bon avocat, de payer de bons spécialistes et de le faire traiter, il a plus de facilité à s'en sortir lorsqu'il tombe. Je ne dis pas cela de façon péjorative. Il peut s'en sortir plus facilement parce qu'il a les moyens de se payer des outils pour y parvenir. Et cela, bien souvent, se produit avant même que ce jeune ait un dossier judiciaire. Avant d'avoir un dossier, le jeune a fait des coups moins importants et lorsque les parents s'occupent immédiatement de leur enfant, habituellement, ce dernier ne recommence pas. Mais si le jeune vit dans un état de grande pauvreté ou s'il vit dans une famille où il y a de la violence, où le père bat la mère, comme on en voit à l'occasion, c'est évident qu'il aura plus de difficulté à s'en sortir.

Donc, après avoir énuméré tous les éléments qui peuvent influencer le jeune, il dit:

    Ils doivent composer avec la faiblesse de leurs institutions, de moins en moins capables de faire face à leurs responsabilités et de protéger les plus vulnérables d'entre eux de la sacro-sainte loi du marché.

    Mais ce qui ressort davantage de votre persistance à nous imposer votre façon de voir les choses au delà de votre projet de loi C-3, c'est votre incapacité de composer avec la mentalité québécoise d'intervention auprès des adolescents.

C'est vrai. Il faut lire le projet de loi C-3 pour constater que la ministre ne connaît absolument rien de la mentalité québécoise d'intervention auprès des jeunes aux prises avec des difficultés. La ministre ne comprend pas ce que sont des mesures de rechange, parce que si elle comprenait, elle n'aurait pas déposé un projet de loi semblable. Elle serait allée voir les provinces pour leur demander si elles ont des mesures de rechange. La Loi sur les jeunes contrevenants précise, à l'alinéa 3(1)d), après avoir parlé de la protection de la société, qu'il y a lieu d'envisager, si le juge en convient, de substituer des mesures de rechange aux procédures judiciaires. Ça ne prenait pas le projet de loi C-3 pour y penser. À voir la façon dont elle présente cela dans son projet de loi, avec les mesures extrajudiciaires, je ne pense pas qu'elle comprenne ce que cela veut dire. De toute évidence, elle ne le comprend pas avec une mentalité québécoise.

Me Binet dit:

    Cette mentalité vous a été expliquée par le gouvernement du Québec, le ministère de la Justice, le Barreau du Québec, la Coalition québécoise pour la justice des mineurs, etc.

    La violence, c'est contraindre quelqu'un par la force. Votre attitude est de nous imposer, par la force, une loi qui touche la jeunesse québécoise, et ce, malgré nos démarches. Un autre rendez-vous manqué.

Maintenant que le gouvernement a adopté une motion d'exception pour faire adopter le projet de loi C-3 et bâillonner l'opposition, on constate que Me Binet tombait dans le mille. Cet article a été publié le 28 avril 2000. À ce moment-là, il ne pensait jamais que le gouvernement aurait le culot d'adopter une telle motion pour faire taire le Québec sur un projet de loi semblable.

• 2050

Le 28 avril, Me Binet a écrit:

    La violence, c'est contraindre quelqu'un par la force. Votre attitude est de nous imposer, par la force, une loi qui touche la jeunesse québécoise, et ce, malgré nos démarches. Un autre rendez-vous manqué.

Il est tombé dans le mille plusieurs mois à l'avance.

    Ce coup de force de votre gouvernement nous semble motivé par le lobbying de groupe de pression véhiculant des valeurs très différentes des nôtres.

    Ce qui nous amène à conclure que nous nous faisons dicter, voire imposer par des voisins une façon d'élever nos enfants. Des voisins insensibles à notre réalité, à nos valeurs et à nos traditions.

Ce n'est pas un méchant député séparatiste siégeant à Ottawa qui a écrit cela, mais un praticien, un avocat qui a pris le temps de prendre sa plume et d'écrire à la ministre pour lui dire qu'elle faisait fausse route et surtout pour lui dire que son attitude était de nous dire comment élever nos enfants. Ça, on ne l'accepte pas.

Il y a une autre lettre ouverte qui découle de celle, pleine de faussetés, que la ministre avait décidé de faire parvenir aux médias le 25 avril 2000. Encore une fois, je dois presque remercier la ministre pour cette lettre parce qu'elle a incité plusieurs personnes que je ne connaissais pas à se prononcer, ce qui a fait durcir, finalement, le noyau autour de la Coalition pour la justice des mineurs.

J'ai ici un article de Michel Venne du journal Le Devoir, daté le 2 mai 2000. Avec un titre semblable, il s'adresse quasiment aux députés libéraux: «C-3 ou la perte d'influence du Québec».

Michel Venne nous dit:

    Même modifié par 162 amendements, le projet de loi C-3 sur le système de justice pénale pour les adolescents reste inapproprié, mauvais pour les jeunes et menaçant pour l'approche québécoise.

Ce doit être un autre méchant séparatiste. Finalement, il y en a tellement au Québec que je me demande comment il se fait qu'on n'ait pas gagné le référendum la dernière fois.

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Ça s'en vient. Ça s'en vient.

M. Michel Bellehumeur: M. Venne est un journaliste, et je ne pense pas que la presse soit toujours favorable au point de vue que défend le Bloc québécois. Or, ce journaliste dit très clairement qu'après que la ministre ait entendu tous les témoins et qu'elle ait vu qu'elle avait omis des choses importantes, elle a tenté de corriger le tir. Pour ce projet de loi, qui compte environ 200 articles, elle a déposé une série d'amendements. Michel Venne parle de 162 amendements, mais je dirais qu'il y en a près de 200, car il y a une série d'amendements qui sont de nature technique et dont il n'a peut-être pas tenu compte.

Donc, la ministre aurait dû se poser des questions. Elle a apporté environ 200 amendements à un projet de loi qui contient autant d'articles. Quand on veut sauver un projet de loi boiteux, cela ne fait jamais une très bonne loi.

M. Daniel Turp: Il était mal rédigé en tout cas.

M. Michel Bellehumeur: Il était très mal rédigé et inquiétant pour les praticiens. Il est normal que ce soit ceux qui appliquent actuellement la loi qui s'inquiètent le plus. Il est normal que les inquiétudes viennent du Québec. Elles ne peuvent pas venir d'ailleurs, puisqu'ailleurs on n'applique pratiquement pas la Loi sur les jeunes contrevenants. Donc, il est normal que ça vienne du Québec.

Il y a un journaliste, Michel Venne, qui dit que le projet de loi C-3, même avec les amendements, reste inapproprié pour le Québec. Il est mauvais pour les jeunes et très menaçant pour notre façon de faire ici, au Québec.

La ministre aurait pu au moins entendre ce que M. Venne a à dire là-dessus. En matière d'écoute, la ministre se mérite un zéro. Elle n'écoute pas.

• 2055

    Ce projet de loi est unanimement décrié au Québec et les assouplissements proposés par la ministre de la Justice, Anne McLellan ne changent rien à l'affaire.

J'aurais aimé très sincèrement que la ministre appuie ma motion et accepte mon invitation. J'aurais alors pu lui poser des questions dans le style des interrogations que Michel Venne soulève dans son article qui a paru dans Le Devoir du mardi 2 mai 2000. J'aurais aimé, mais la ministre n'est malheureusement pas là, monsieur le président. Je ne peux donc pas lui poser ces questions. M. Venne disait:

    Ce projet de loi est unanimement décrié au Québec et les assouplissements proposés par la ministre de la Justice, Anne McLellan ne changent rien à l'affaire. Cela ne change rien parce que le vice structurel du projet de loi demeure en étendant aux enfants de 14 et 15 ans reconnus coupables d'un crime violent la présomption d'une sentence pour adulte. Cette présomption n'existe présentement que pour les 16 ans et plus.

Je dois vous avouer très honnêtement que j'éprouvais des réticences face au fait qu'on traitait comme des adultes les 16 ans et 17 ans qui commettent des crimes violents. À 16 ans, on n'est pas un adulte; à 16 ans, on n'a pas l'expérience de vie d'un adulte; à 16 ans, on a des besoins spéciaux, qui sont énoncés dans la Loi sur les jeunes contrevenants.

J'étais à la Chambre des communes lorsqu'on a modifié ces articles en vue d'inclure les 16 et 17 ans. À l'époque, je m'y étais opposé, tout comme l'avaient fait plusieurs autres personnes au Québec. Le ministre de l'époque avait au moins accordé aux procureurs de la Couronne la possibilité de recourir à un mécanisme selon qu'ils jugeaient que le jeune contrevenant devait ou ne devait pas être jugé comme un adulte. Il s'agit ici de toute la procédure de renvoi. J'ai en main des statistiques relatives aux renvois invoqués au Québec. Je ne sais pas si on aura le temps d'en discuter ce soir, mais je puis vous dire que ces statistiques démontrent que c'est au Québec que ces renvois ont été les moins nombreux.

Lorsqu'on se penche sur la jurisprudence et qu'on examine la façon dont les tribunaux québécois et ceux des autres provinces ont interprété ces dispositions, on constate que le Québec s'en sort relativement bien. Notre façon de faire est générale et s'appuie sur la déclaration de principes qu'on retrouve dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous avons recours à une série d'éléments qui font en sorte qu'on est capables de s'en sortir.

On propose d'abaisser l'âge à 14 ou 15 ans et d'appliquer des automatismes, comme les appellent les spécialistes qui oeuvrent dans ce milieu. Plusieurs se demandent en quoi consistent ces automatismes. Il s'agit justement de la présomption que tout enfant de 14 ou 15 ans qui est reconnu coupable d'un crime violent mérite une sentence pour adulte. Ces automatismes sont dangereux. À l'heure actuelle, en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, on peut faire du cas par cas; on peut étudier un cas, examiner le jeune et déterminer les besoins spéciaux qui lui sont propres. Nous ne sommes pas tenus d'invoquer une série de critères, parmi lesquels figure la gravité de l'infraction, et d'harmoniser les peines avec celles qu'on a imposées à d'autres personnes qui ont commis des crimes semblables. On reviendra à la façon dont cela est défini dans le projet de loi C-3. C'est très dangereux, et c'est ce que Michel Venne dit, finalement.

• 2100

Il poursuit l'article en disant:

    Nous le répétons pour la énième fois: traiter un enfant qui commet un crime de la même manière qu'un affreux malfrat incurable, c'est promettre à ce jeune une carrière criminelle longue durée.

Je dirais même, compte tenu de ce qui s'est passé cette semaine, que ce n'est pas vrai que les jeunes sont traités de la même façon que la mafia ou les groupes criminalisés. Je dois dire que la ministre frappe davantage les jeunes contrevenants que les criminels et les groupes criminalisés. C'est plus facile pour elle, et peut-être moins dangereux, de faire de la petite politique sur le dos des jeunes contrevenants que de prendre des engagements fermes afin de lutter efficacement contre le crime organisé.

Nous, les députés du Bloc québécois, avons voulu tenir un débat sur le crime organisé afin qu'on puisse mettre des dents à la supposée loi antigang—parce que dans les faits, une telle loi n'existe pas—et mettre aux voix une motion en vue de forcer le gouvernement à faire quelque chose dans ce dossier, mais on a constaté que la ministre a hésité. Ni la ministre ni le gouvernement n'ont voulu qu'on adopte cette motion. La journée même de la tenue de ce débat, la ministre a eu le culot de déposer un avis de motion en vue d'imposer un bâillon pour mettre fin à l'étude du projet de loi. On a voulu passer le bulldozer sur tous ceux qui s'opposent au projet de loi C-3 et faire en sorte que le gouvernement puisse l'adopter rapidement.

Les Québécois ont compris très facilement qu'ils ne pouvaient pas compter sur le gouvernement libéral, un gouvernement fédéraliste, et surtout pas sur les députés de ce gouvernement du Québec pour les défendre à Ottawa. Ils ont au moins compris cela.

M. Venne rejoignait un peu les dires de Me Binet lorsqu'il écrivait:

    Le problème fondamental de ce projet de loi, c'est qu'il prévoit que les sentences imposées à ces enfants soient proportionnelles à la gravité de l'infraction, comme on le fait dans les procès pour adultes, sans tenir compte, comme cela est possible dans le cadre actuel, de la situation du jeune, de ses difficultés économiques et sociales, de son comportement général.

Vous pouvez dire à la ministre que nous venons de lui donner un autre exemple. Elle a eu le culot de dire qu'on ne lui avait jamais donné d'exemples de pratiques ou de politiques qui ne cadrent pas avec le projet de loi et qui ne pourront pas être améliorées, ou d'exemples de choses qui sont possibles en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants et qui ne le seront plus si on adopte ce projet de loi loi sur la justice pénale pour les adolescents.

Michel Venne vient de lui donner un autre exemple au niveau de la proportionnalité et de la gravité de l'infraction. On veut traiter le jeune comme un adulte sans tenir compte, comme c'est possible à l'heure actuelle en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, de sa situation, de ses besoins particuliers et de ses difficultés aux plans économique, familial et social. C'en est un exemple.

Il continue en disant:

    D'aucuns se félicitent que le projet de loi contienne d'autres éléments qui favorisent les mesures extrajudiciaires et la prévention. Nous nous en félicitons également.

Comme je l'indiquais tout à l'heure, la Loi sur les jeunes contrevenants nous permet d'invoquer des mesures extrajudiciaires à l'intention de ces jeunes. On n'a pas besoin d'une nouvelle loi pour ce faire puisqu'on a tout ce qu'il faut à l'heure actuelle pour intervenir correctement auprès du jeune, pour identifier ses besoins et pour tenter de le mettre sur le droit chemin afin qu'il puisse devenir un citoyen ordinaire. Je pourrai peut-être revenir à cette question un peu plus tard.

Il y a peut-être des gens qui trouvent que je suis un petit peu trop passionné face à cette loi et que j'y mets un petit peu trop d'ardeur. Je vais vous dire que je le fais simplement parce que je crois vraiment à ce que je dis, parce que je crois vraiment à l'approche du Québec. Je ne me péterais pas des heures comme je le fais actuellement si je n'y croyais pas.

• 2105

Lorsque j'ai travaillé au dossier avec des spécialistes, j'ai rencontré des gens qui étaient passés à travers des choses épouvantables. J'ai rencontré quelqu'un qui est aujourd'hui un adulte. Il travaille; il est boucher dans un supermarché. Cet homme a tué son père et sa mère lorsqu'il avait 14 ans. On a échangé avec lui, avec un peu de recul, parce que cette chose s'est passée il y a 20 ou 25 ans. Ce jeune avait vécu l'enfer dans une famille pauvre. Il avait vécu l'abus sexuel. Son père battait sa mère. Il était dans un milieu de violence et, un jour, il a craqué. Paf! C'est un peu comme ce qu'on a vu dans les journaux récemment: un jeune qui était tellement émotif qu'il n'était même pas capable de subir son procès. Il avait probablement le même âge, soit 14 ou 15 ans.

Ce jeune a été pris en charge par l'Institut Pinel. On a investi pour lui. On lui a affecté des spécialistes. On a travaillé avec lui, etc. À ce moment-là, ce jeune, qui avait 14 ans, a suivi des traitements. Il a été suivi pendant plusieurs années par la suite, de telle sorte qu'il est aujourd'hui un citoyen anonyme. Il a deux enfants. Il a un job. Il paye ses taxes. Il n'est plus aux crochets de la société. Il s'en est sorti et, grâce aux règles de la confidentialité des dossiers, sa femme ne connaît même pas son passé. J'aurais aimé qu'il vienne témoigner, mais c'est à cause de cela qu'il n'a pas pu venir.

Très sincèrement, ce que la société québécoise a fait pour cet individu a coûté beaucoup moins cher à long terme que si on l'avait mis en dedans pour 25 ans et que, par la suite, il était sorti de l'université du crime et avait continué dans le domaine, dans la culture criminelle, comme le disait un auteur.

Quand je vois que le système marche et que les spécialistes qui appliquent au quotidien cette loi ont réussi ce qu'ils ont réussi avec cet individu, je me dis qu'il est impossible que quelqu'un, quelque part, juste pour le plaisir de gagner quelques votes, mette en danger cette réussite, carrément pour des raisons électoralistes. Il n'y a aucune autre justification à cela. Ce projet de loi a pris racine à Ottawa. C'est pour des motifs semblables que je dépense de l'énergie pour cela.

Je suis sûr et certain qu'il y en a certains qui me trouvent bien fatiguant. Je suis sûr et certain qu'au ministère, on ne trouve pas drôle de passer des veillées ici, mais j'ai donné beaucoup de mon temps. J'ai tendu la main plus d'une fois à la ministre pour la mettre dans le droit chemin et lui indiquer qu'elle faisait fausse route.

Comme tout le monde l'avait deviné, mes motions et mon travail dans ce dossier avaient pour but de gagner du temps, afin que la ministre réponde à certaines questions que des juges, entre autres, lui ont posées. Notamment, est-ce qu'elle a fait le tour des provinces pour connaître la politique jeunesse des provinces?

On a une politique jeunesse au Québec, et j'y reviendrai probablement au cours de la soirée en vous parlant du rapport Jasmin. Je ne suis pas sûr que beaucoup de provinces aient pris le temps de faire une analyse et d'étudier la situation des jeunes contrevenants chez elles pour faire des revendications par la suite. C'est beaucoup plus facile. On dit dans les petits journaux jaunes en gros titre: «Un jeune de 14 ans a tué son père et sa mère». Les enquêteurs sont entrés dans la maison. Il y avait du sang partout. On a trouvé l'arme du crime. On a fait une analyse d'ADN, etc. On entre dans les détails sordides. Il est bien plus facile de dire que la Loi sur les jeunes contrevenants ne répond pas aux besoins. C'est effrayant: un jeune de 14 ans vient de tuer son père et sa mère. C'est vrai que c'est grave. C'est vrai que c'est effrayant. C'est vrai que ça ne devrait jamais exister. Je ne peux pas penser...

• 2110

Pour ma part, j'ai la chance inouïe de vivre dans une famille où on est très proches et où on a été bien éduqués, bien élevés. On m'a inculqué des valeurs que j'ai encore et que j'essaie de transmettre à mes enfants, mais ce n'est pas tout le monde qui a eu ces valeurs. Ce n'est pas tout le monde qui a eu cette chance. J'aimerais bien connaître le passé de ce jeune de 14 ans dont on parle dans les journaux à l'heure actuelle.

Je vais vous donner des exemples fictifs de choses semblables, inspirés de ce que j'ai connu en faisant le tour de ce dossier et en rencontrant des gens. Vous allez voir qu'il y a des choses qui ne sont pas comiques. Je suis persuadé que la ministre n'a pas pris conscience de ces éléments. Elle va au plus simple: elle modifie la loi et ça se termine là. Mais ce ne sont pas les solutions simplistes qui vont régler un problème aussi complexe; elles ne peuvent qu'augmenter la méconnaissance et les erreurs.

Qu'est-ce qui va arriver? C'est une question que j'aurais aimé poser à la ministre. Si la ministre avait accepté mon invitation de venir témoigner en comité, comme je le lui demandais dans ma motion, je lui aurais demandé: madame la ministre, si votre projet de loi C-3 ne marche pas, si les provinces qui n'appliquaient pas de mesures de rechange n'appliquent toujours pas de mesures de rechange après l'adoption de C-3, qu'est-ce qu'on va faire? Va-t-on durcir de nouveau la loi? Qu'est-ce qui arriver, par exemple, s'il y a des provinces qui ne mettent pas en branle des programmes de mesures de rechange, comme le Québec l'a fait avec le ministère de la Santé et des Services sociaux? Qu'est-ce qui arrivera dans ces provinces? Par exemple, qu'est-ce qui arrivera en Colombie-Britannique, où il y a le plus haut taux de criminalité chez les jeunes à l'heure actuelle, où on bat tous les records avec les triades chinoises et ainsi de suite? C'est épouvantable. Qu'est-ce qui arrivera si, dans cinq ans, on se rend compte que la Loi sur la justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence est un échec? Pour résoudre le problème, est-ce qu'on va abaisser l'âge d'application de la loi de 12 à 10 ans, comme on le veut présentement? J'ai entendu l'Alliance canadienne dire qu'elle souhaiterait que cet âge soit abaissé à 10 ans. Par la suite, pour les crimes violents, est-ce qu'on va abaisser l'âge de 14 à 12 ans? Il faut se poser cette question.

Depuis son entrée en vigueur en 1984, cette loi a connu beaucoup de modifications, mais jamais pour hausser l'âge. On a toujours abaissé l'âge et durci la loi. Avec le projet de loi C-3, c'est le summum. C'est ce qu'on pouvait faire de plus dur à l'égard des jeunes contrevenants.

Mais que va-t-il arriver si ça ne fonctionne pas? Qu'est-ce qui va arriver si c'est un échec dans l'Ouest canadien et si on ne l'applique pas dans les Maritimes?

On peut bien parler de mesures extrajudiciaires, mais il s'agit de l'administration de la justice et ce sont les provinces qui vont l'appliquer. Si le chèque se fait attendre ou n'est pas proportionnel aux coûts dans chacune des provinces, qu'est-ce que les provinces vont faire? On coupe les dépenses dans les hôpitaux. On va sûrement couper les dépenses dans les programmes de mesures de rechange.

Il y aura probablement des bien-pensants de notre société qui voudront privilégier et protéger les droits constitutionnels des Hell's Angels, mais qui décideront qu'il serait favorable pour la société d'abaisser l'âge jusqu'à 10 ans, et pourquoi pas jusqu'à cinq ans, tant qu'à y être. Ce sont peut-être des propos démagogiques, mais pas tant que ça.

• 2115

Regardez l'histoire de la Loi sur les jeunes contrevenants. Je vais vous la refaire, parce que je pense que vous l'avez oubliée. On va sûrement avoir l'occasion, d'ici la fin de la soirée, de refaire l'historique de la Loi sur les jeunes contrevenants. Je sais que vous mourez d'envie que je le fasse, mais je ne le ferai pas tout de suite. Je vais attendre un peu.

Michel Venne, dans son article très bien réfléchi... C'est très rare que je vante les journalistes, mais Michel Venne a probablement fait une analyse approfondie avant de faire un article semblable. Il poursuit en disant, et je le cite:

    Certains groupes voudraient qu'Ottawa aille plus loin en ce sens et force les provinces à adopter une approche semblable à celle du Québec, fondée sur la réhabilitation et la prévention, qui a fait ses preuves parce que c'est au Québec que les taux de délinquance juvénile et de judiciarisation des adolescents sont les plus bas en Amérique.

    Or, ce qu'il faut demander au fédéral,...

Je l'aurais demandé ce soir si la ministre avait été là. C'était l'objectif de ma motion. Il est encore temps. Il est 21 h 15. On en a encore pour au moins six heures. La ministre pourrait venir. Il est encore temps.

M. Daniel Turp: Elle écoute peut-être à la télévision.

M. Michel Bellehumeur: Non, ce n'est pas télévisé.

M. Daniel Turp: À la radio.

M. Michel Bellehumeur:

    Or, ce qu'il faut demander au fédéral, ce n'est pas qu'il impose des choses aux provinces mais qu'il agisse correctement dans son propre champ de compétence en renonçant à abaisser de 16 à 14 ans l'âge à partir duquel s'applique la présomption d'une sentence pour adulte.

Il est encore temps. Pour les députés libéraux d'en face, il est encore temps de dire à la ministre: «Ça n'a pas de bon sens. J'ai entendu Bellehumeur hier. Ça n'a pas de bon sens. On ne peut pas abaisser l'âge car tout le monde est contre. Je n'avais pas vu tel article. Je n'avais pas vu l'article de Binet. Je n'avais pas vu l'article de Venne.» On peut en nommer plusieurs: ceux de l'Association du Barreau de Montréal, de l'Association du Barreau de Québec, de l'Association des avocats et avocates en droit de la jeunesse de Montréal. «Je ne savais pas cela. Ça n'a pas de bon sens.» Il est encore temps.

Je cite encore M. Michel Venne, le journaliste:

    Si la ministre refuse de modifier le projet de loi, Québec demande l'ajout d'un article qui précise que la nouvelle loi ne s'applique pas sur son territoire. Cette approche serait un pis-aller et nous ne sommes toujours pas résolus à l'appuyer. Nous gardons espoir que les dispositions contestables du projet de loi seront retirées.

On peut garder espoir. On peut garder espoir, mais avec le gouvernement fédéral qu'on a, l'espoir se résume bien souvent à rien, à zéro. Malheureusement, c'est ce qui est arrivé dans le cas de la Loi sur les jeunes contrevenants. La ministre a fait la sourde oreille, n'a rien modifié de substantiel et n'a surtout pas fait ce que Michel Venne disait: modifier son propre projet de loi de manière à ne pas abaisser de 16 à 14 ans l'âge pour traiter ces jeunes comme des adultes. La ministre ne l'a pas fait.

Étant donné que la ministre n'a rien changé, je ne sais pas si Michel Venne serait aujourd'hui d'accord pour qu'on ait un article de la loi permettant que le Québec se retire de l'application de C-3 et continue d'appliquer la Loi sur les jeunes contrevenants telle que nous la connaissons aujourd'hui. Je ne le sais pas parce qu'à l'époque, c'était hypothétique. Aujourd'hui, c'est la réalité. La ministre n'a rien changé. Elle ne veut rien savoir. Elle a utilisé l'armement lourd, le bâillon pour faire adopter ce projet de loi. Je ne sais pas si Michel Venne serait aujourd'hui d'accord avec nous si on déposait un amendement semblable.

• 2120

Comme la Loi sur les jeunes contrevenants est bonne pour le Québec, elle est bonne pour tout le monde, pour toutes les autres provinces.

Je serais même très généreux dans l'amendement que je pourrais présenter un jour, si c'était nécessaire. Cet amendement serait à peu près le suivant: toute province désirant se retirer ou se soustraire à l'application du projet de loi C-3 pourrait le faire et pourrait continuer à appliquer la Loi sur les jeunes contrevenants. Ce serait une espèce d'opting out. Ce serait de la flexibilité, de la vraie flexibilité et non pas la petite flexibilité inexistante de la ministre.

J'aurai l'occasion de revenir à la flexibilité. J'ai des exemples concrets à donner. On va examiner un à un les endroits où la ministre dit qu'il y a de la flexibilité et je vais vous démontrer que c'est un leurre. Il n'y a pas de flexibilité dans ce projet de loi.

Je continue:

    Si le projet de loi est adopté tel quel, nous aurons toutefois la preuve de deux phénomènes: d'une part, la montée des idéologies de droite au Canada et que veut exploiter la nouvelle Alliance réformiste-conservatrice canadienne, d'autre part, la perte d'influence du Québec sur les politiques pancanadiennes.

Je disais plus tôt que cet article s'adressait, entre autres, aux députés libéraux d'en face, qui vont faire le tour du Québec prochainement dans le cadre d'une campagne électorale et qui vont dire aux gens de voter du bon bord, de voter pour des députés qui vont former le gouvernement afin que le Québec soit bien défendu à Ottawa. On pourra au moins en donner un exemple très concret et très récent: celui de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Tous les députés du Québec sont restés assis. Ils n'ont rien dit. Ils ont laissé passer le bulldozer sur la voie du Québec pour adopter ce projet de loi. Il y en a même qui ont le culot d'en rire, monsieur le président. Ce n'est pas drôle. Ce n'est pas drôle de vouloir passer outre à des revendications du Québec aussi importantes que celles-là.

Bien sûr, quand on est de l'Ontario, on doit se réjouir de la perte d'influence du Québec sur les politiques à Ottawa. C'est évident. Madame Bennett, si j'étais à votre place, je serais crampé. J'apprécierais beaucoup cette perte d'influence. Mais comme Québécois, je peux vous dire que je ne trouve rien de drôle à cela.

Heureusement, une autre fois, que le Bloc québécois est là et qu'on a su défendre les vrais intérêts du Québec. On saura le dire et il y a sûrement des gens au Québec qui sauront sortir pour répéter que la seule façon d'être défendus à Ottawa, c'est d'envoyer des gens qui ont à coeur de défendre leurs intérêts. Il ne s'agit pas de défendre les intérêts de Jean Chrétien dans les comtés, ni les intérêts et la vision de Mme McLellan. Je pense que les députés, dont M. Saada, sont assez intelligents pour comprendre ce que je veux dire.

Ensuite, le 9 mai 2000, M. Franco Nuovo écrit un article dont le titre est: «Le péril jeune».

    J'imagine que vous l'avez remarqué, poussées par un vent froid qui vient des États-Unis, les forces de droite se dessinent de plus en plus, les alliances se font à ciel ouvert; au Canada, l'heure est à la loi et à l'ordre.

    On peut appeler cela une réorganisation politique. Disons, pour faire simple, que le paysage change et qu'à côté des Tom Long, Preston Manning, Stockwell Day, tous des braves gens, Jean Chrétien et les membres de son parti pourraient avoir l'air de gauchistes. Je dis bien «pourraient avoir l'air» parce que, dans les faits, avec tout ce chambardement et la naissance de l'Alliance canadienne, la droite finit par peser drôlement lourd. Si lourd qu'elle en est même arrivée à fausser l'équilibre et à déstabiliser la tradition sociale d'un parti comme le PLC. La preuve en est le projet de loi visant le renforcement de l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants proposé par la ministre fédérale, Anne McLellan.

• 2125

M. Daniel Turp: Tu devrais les appeler l'Alliance libérale.

M. Michel Bellehumeur: C'est très vrai, merci beaucoup.

M. Daniel Turp: L'Alliance libérale.

M. Michel Bellehumeur: C'est très, très important, monsieur le président. On dit, monsieur le président:

    La preuve en est le projet de loi visant le renforcement de l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants proposé par la ministre fédérale, Anne McLellan.

    Dans son esprit, en élaborant un système de justice pénale pour les adolescents, en rabaissant de 16 à 14 ans l'âge du jugement à un tribunal pour adulte, la nouvelle loi effectuerait un tournant pénal fort inquiétant. Du coup, l'ado qui dans nos sociétés démocratiques a toujours été considéré comme un être en formation...

Il n'invente pas le bouton à quatre trous, lui non plus. Il reprend intégralement ce que le législateur a utilisé comme jargon lorsqu'il a adopté la Loi sur les jeunes contrevenants. Le jeune est en formation continuelle. Il n'est pas un adulte. Il se forme continuellement jusqu'à ce qu'il soit un adulte.

    ...dont les besoins sont fort différents de ceux des grandes personnes serait soumis désormais aux lois et aux peines destinées aux adultes.

C'est quand même inquiétant.

    Ce qui est alarmant dans cette approche, outre le fait d'être gagné par le souffle d'une Amérique puritaine, moralisatrice et de plus en plus répressive, c'est qu'on retire à l'adolescent toute l'aide que son statut d'être en formation requiert, qu'on le prive du soutien nécessaire à une réinsertion sociale et des possibilités de réhabilitation. Bref, plutôt que de l'aider à retomber sur ses pieds dans un cadre juridique grâce à un appui clinique et pédagogique, on l'enferme dans une spirale de châtiment et d'expiation.

Si la ministre avait été présente ce soir, monsieur le président, je lui aurais demandé pourquoi elle effectue un tel virage. Pourquoi cette volonté soudaine de considérer les jeunes comme s'ils ne l'étaient déjà plus? J'aurais aimé entendre la réponse de la ministre, mais chaque fois qu'elle est venue ici, monsieur le président, elle était pressée par le temps, comme si elle était très occupée à longueur de journée. Si c'était le cas, elle connaîtrait mieux les dossiers.

M. Daniel Turp: Elle va pouvoir se reposer après les élections puisqu'elle va se faire battre.

M. Michel Bellehumeur: C'est exact. Mais elle n'est pas là. Elle n'est pas là pour que je lui pose les véritables questions.

M. Nuovo continue en disant:

    Dans La République pénalisée, les auteurs Antoine Garapon et Denis Salas, tous deux juges pour enfants, parlent de «criminologie actuarielle et d'un discours empreint d'économisme... Un nouveau langage criminologique qui prend le modèle de l'assurance pour référent. Le crime devient ainsi un risque comme un autre et le délinquant, lui, un aléa de la sécurité et des sociétés modernes».

    En d'autres mots,...

C'est ce que j'aurais voulu savoir de la ministre.

    ...avec la nouvelle loi, on traitera les infractions avant de traiter les ados eux-mêmes.

C'est ce que la ministre voulait dire lorsqu'elle a écrit dans une lettre, le 25 avril, que son projet de loi était respectueux de l'approche adoptée par le Québec au cours des 15 dernières années. Est-ce que c'est là ce qu'elle a compris de ce qui se fait au Québec? A-t-elle compris qu'on traite de l'infraction, de sa gravité, avant de penser au jeune? Elle n'a rien compris. Elle n'a surtout pas compris l'article 3 de la Loi sur les jeunes contrevenants, où on dit que ce sont les besoins spéciaux du jeune qui doivent prévaloir pour tenter de le réinsérer dans la société, afin qu'il devienne le plus rapidement possible un citoyen anonyme qui ne sera pas aux crochets de la société.

    Perdant de vue la réinsertion, on évacuera toutes les considérations personnelles, les besoins et les circonstances qui ont poussé les contrevenants à commettre leur délit. Seule comptera la sécurité sociale ou, pis encore, grâce à une médiatisation et à un système pénal à haute vitesse qui rassurera l'opinion publique, une impression de sécurité.

• 2130

Je vais même ajouter que c'est une vision de courte vue. À long terme, la société va sûrement y perdre. Ça ne prend pas la tête à Papineau pour savoir cela; il n'est pas nécessaire d'être un grand criminologue qui a obtenu un baccalauréat, des maîtrises et un doctorat pour savoir cela. Si on n'investit pas dans le jeune et qu'il se retrouve en prison, à sa sortie, après avoir purgé sa sentence, il ne sera pas plus un actif pour la société, bien au contraire.

M. Nuovo continue en disant:

    Plutôt que de tenter de comprendre et d'aider la jeunesse délinquante, on la punira comme on punit les adultes. Parce que, dans cette mentalité des assurances, face au risque tout le monde paie la prime.

    Un projet de loi qui découle, en somme, de la psychose du «péril jeune» développée par une société moderne qui ne comprend pas toujours les réactions de sa jeunesse et qui, plutôt que de se remettre elle-même en question, plutôt que de s'interroger sur le délabrement de ses institutions et sur la banalisation en son sein de la violence, opte pour un renforcement injustifiable de la loi. On confie ainsi au pénal la tâche de combler les vides et on gère les peurs collectives en augmentant la répression. Or, rien ne garantit qu'une augmentation de la répression débouche sur une diminution de la criminalité.

J'ajouterai au commentaire de M. Nuovo sur la criminalité. J'espère que les députés d'en face voient un peu ce qui se passe aux États-Unis. Est-ce que les États-Unis sont enviables au niveau du traitement des jeunes contrevenants? Pas du tout. Effectivement, madame Bennett, vous avez raison. Comparez ce que les États-Unis font avec leurs jeunes contrevenants et le projet de loi que la ministre a déposé et vous allez voir qu'il n'y a pas une grande différence.

Il y a peut-être plus de possibilités qu'aux États-Unis, mais quelle assurance a-t-on que les provinces vont profiter de ces possibilités alors qu'aujourd'hui, avec la Loi sur les jeunes contrevenants, elles y ont accès et n'en profitent pas? Quelle est notre garantie? On n'en a pas.

Je vais maintenant parler pour les Canadiens puisqu'on a déjà la réponse au Québec. À titre de députés du beau et grand Canada, le plus beau pays du monde, selon notre premier ministre, voulez-vous que ce pays devienne semblable aux États-Unis? Je pense que non. Mais si on ne fait rien, c'est ce qui va arriver.

Les États-Unis ne constituent pas un exemple à suivre. S'il y a un exemple à suivre, c'est peut-être ce qu'on fait ici, au Québec. De toute évidence, la ministre ne l'a pas compris. Je suis prêt encore aujourd'hui à donner de mon temps. Allez l'appeler. Dites-lui qu'il faut qu'elle prenne le temps d'aller voir ce qui se fait dans les autres provinces et au Québec. Cela n'a pas de bon sens. Il est encore temps.

Je vais vous féliciter si vous le faites. Il faut qu'il soit tard et que je commence à être fatigué pour dire cela, mais je vais vous féliciter. Je vous le promets. Si la ministre était ici aujourd'hui, je pourrais lui poser des questions semblables et lui offrir ma collaboration, mais elle n'a pas daigné répondre favorablement à l'invitation que je lui ai faite gentiment par le biais de ma motion. La ministre de la Justice et procureur général du Canada est invitée à venir témoigner devant le comité afin d'expliquer ses nombreux amendements et répondre à nos questions.

• 2135

De plus et surtout, comme je suis un député du Québec défendant les intérêts du Québec, je lui aurais posé la question qui me vient immédiatement en tête, soit: en quoi respectez-vous, madame la ministre, les intérêts et la façon de faire du Québec? En quoi, madame la ministre, votre projet de loi est-il respectueux de l'approche adoptée par le Québec au cours des 15 dernières années, comme vous l'avez mentionné le 25 avril dernier?

Un autre article paru dans le très séparatiste journal La Presse—tout le monde sait que les propriétaires de ces journaux-là sont séparatistes—s'intitulait «L'albertisation du droit criminel». Voilà un autre journaliste qui a su lire entre les lignes.

    La lutte contre le crime est un sujet populaire un peu partout. Mais il faut débarquer à Calgary, en pleine campagne électorale pour voir à quel point ce sujet d'intérêt public atteint dans l'Ouest canadien les proportions d'une quasi-obsession.

    Dans chaque discours, les candidats réformistes, Preston Manning en tête, martèlent tous le message selon lequel les tribunaux sont trop cléments envers les criminels, que les Canadiens ne sont plus en sécurité nulle part, qu'il faut rétablir la peine de mort, encadrer la Cour suprême, responsabiliser les jeunes délinquants, etc.

La ministre de la Justice (et rarissime députée libérale albertaine) Anne McLellan, dans sa réforme de la Loi sur les jeunes contrevenants puise son inspiration directement dans ce puits profond.

Ce n'est pas dans un puits de pétrole; on se comprend.

    Au Québec, ce projet de loi a été analysé surtout—est-on surpris?—sous l'angle des relations fédérales-provinciales. Est-ce oui ou non un exemple de fédéralisme souple? Le Québec pourra-t-il préserver une sorte de «modèle», d'approche apparemment différente de celle du reste du pays?

    Réponse: ce n'est pas la fin de l'expérience originale et plutôt positive du traitement des jeunes délinquants au Québec. Mais ce n'est pas non plus un sorte d'exemplaire opting out nouveau genre, tel qu'on a commencé à le dire... avant de distribuer ce projet de loi long et complexe.

Vous vous souvenez qu'au tout début, les gens du ministère, les fonctionnaires—je suis sûr et certain que vous vous en souvenez—vendaient l'idée que le projet de loi C-3 était un projet très flexible et que les provinces pourraient en faire à peu près ce qu'elles voulaient. C'est drôle, mais ça n'a pas duré bien longtemps dans le discours tenu par la ministre, tout simplement parce que cette flexibilité n'existait que dans la tête de la ministre. Il n'y en a aucune dans la loi.

Plus tard, d'ici 3 heures du matin, je vous donnerai des exemples de flexibilité ou de soi-disant flexibilité. Je vais vous démontrer hors de tout doute raisonnable, parce qu'il semble que le fardeau de la preuve me revienne ce soir, qu'il n'y a pas de flexibilité.

C'est tellement vrai qu'après avoir discuté avec la ministre de cette absence de flexibilité, je ne l'ai plus jamais réentendue en parler. Je pense l'avoir convaincue. Cependant, comme c'est encore dans l'air, je vais tenter de vous en parler.

Le Barreau du Québec a d'abord applaudi publiquement à cette souplesse apparente. Je me souviens de ce soir où j'avais été très surpris de voir le bâtonnier du Québec, aux côtés de la ministre de la Justice, applaudir à ce projet de loi. Je me disais que quelque chose ne tournait pas rond et qu'il n'avait pas vu le même projet de loi que moi. Le problème n'était pas qu'il n'avait pas vu le même projet de loi que moi, mais bien qu'il ne l'avait pas vu du tout. Il se fondait sur l'assurance que la ministre de la Justice lui avait donnée, à savoir qu'il contenait de la flexibilité pour le Québec.

M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): On la connaît, la flexibilité libérale.

M. Michel Bellehumeur: Oui, la flexibilité libérale, on la connaît, mais c'est toujours du même côté que ça doit plier. Je ne sais pas si c'est à cette flexibilité que tu voulais faire allusion

Le Barreau du Québec, qui a d'abord applaudi publiquement à cette souplesse apparente, dit le contraire dans ses cours de formation sur le projet de loi. C'est absolument vrai.

• 2140

Si j'en ai le temps, je vais vous faire un résumé du cours de droit pénal «Procédure et preuves» que donne le Barreau du Québec.

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Vers 4 h 30, on va... [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Michel Bellehumeur: Vers 4 h 30? Il n'y a aucun problème.

À propos de la Loi sur les jeunes contrevenants, il y a tout un chapitre spécialement réservé aux futurs avocats qui traite de ce sujet. Toute la question des besoins spéciaux et d'autres questions sont très bien documentées. Si j'avais un conseil à vous donner, puisque que ce n'est pas cher et que c'est très bien expliqué, je vous inviterais à l'acheter et à le lire. Ça ne peut pas être plus clair. C'est ce qu'on enseigne aux avocats pour passer le....

Une voix: On va en envoyer un exemplaire à la ministre.

M. Michel Bellehumeur: Je ne suis pas sûr qu'il soit en anglais, cependant.

Le Barreau du Québec, après avoir pris connaissance du projet de loi C-3 et après s'être rendu compte qu'il était contraire à ce qui s'enseignait dans les cours de formation, donc qu'il y avait un problème, a peu à peu révisé sa position, si bien qu'il a déposé un mémoire relativement à C-3, mémoire que nous avons eu. On y donne des exemples importants des aberrations contenues dans le projet de loi. On y signale l'éclatement de certains principes. On y dit qu'il n'est plus question des besoins de l'enfant, qu'on parle de la gravité de l'infraction, ce qui est contraire à toute l'approche développée par le Québec au cours des années, qu'on y parle de la présomption d'une sentence pour adulte, ce contre quoi on s'élève. On y dit également qu'il est inacceptable de stigmatiser les jeunes par la publication de leurs noms. On y critique aussi, entre autres, l'harmonisation des peines. Donc, aujourd'hui, on peut dire clairement que le Barreau du Québec n'appuie pas le projet de loi C-3.

Cependant, au moment où l'article a été écrit, on ne pouvait pas encore l'affirmer à 100 p. 100. L'auteur, le journaliste, examine tout cela, voit ce qui s'était dit à l'époque et conclut que si on en arrive à proposer un tel projet de loi, c'est tout simplement parce qu'il souffle un fort vent de droite et qu'on veut «albertiser» le droit criminel, qu'on veut le rendre conforme à ce qui se fait en Alberta, aux positions de l'Alberta.

Si c'est le cas, moi je n'ai aucun problème à vivre demain matin avec un Code criminel à 100 p. 100 québécois. Si demain matin la juridiction du Code criminel était transférée au gouvernement du Québec, je serait le premier à applaudir. De la même façon, qu'on transfère le Code criminel à l'Alberta et que la province en fasse ce qu'elle veut. Qu'elle poste des agents de police dans les maternelles pour arrêter les enfants qui volent des bonbons dans les casiers ou dans les boîtes à lunch d'autres enfants. Elle fera ce qu'elle voudra des jeunes. Transférez la juridiction du Code criminel aux provinces et le problème sera réglé. Mais dans le moment, ce n'est pas le cas. Vous comprendrez qu'on ne peut pas être d'accord sur la position de la ministre, qui veut faire du Code criminel une loi faite sur mesure pour l'Alberta.

Le mercredi 17 mai 2000 s'est tenue une journée d'étude extrêmement importante sur la couverture donnée par les médias à la Loi sur les jeunes contrevenants. À cette occasion, le premier ministre du Québec a décidé de prendre la plume pour écrire à son vis-à-vis d'Ottawa, au premier ministre du Canada, pour lui dire qu'il faisait fausse route et qu'il mettait en danger toute l'approche envers les jeunes que le Québec élabore depuis au moins 30 ans.

• 2145

Il faut en effet remonter à 30 ans en arrière. Ce n'est pas une approche qu'on a développée en 15 ans, mais bien cours des 30 dernières années, d'abord avec la Loi sur l'aide sociale ou la Loi sur les jeunes délinquants. La loi sur les écoles d'industrie contenait également certaines choses, puis il y a eu la Loi sur la protection de la jeunesse. C'est en 1908 qu'on a pris conscience qu'il fallait agir et développer une expertise concernant les mineurs qui avaient des problèmes de criminalité. Ce n'est pas d'hier.

Mais bien avant même la première loi qui traitait des jeunes contrevenants, soit la Loi sur les jeunes délinquants, au Québec, on avait une approche par laquelle on tentait de réinsérer ces jeunes dans la société. On ne peut même pas dire que cela existe depuis seulement 15 ans. Toute l'infrastructure qui entoure un jeune en difficulté au Québec est là depuis au moins 30 ans.

Le premier ministre du Québec a écrit au premier ministre du Canada pour lui dire: «Vous qui êtes un Québécois, vous savez ce qui se fait au Québec. N'allez pas de l'avant avec votre projet de loi C-3.» Est-ce qu'il vaut la peine de vous dire ce que le premier ministre du Canada a répondu au premier ministre du Québec? «Bouchard tente de fléchir Chrétien dans le dossier des jeunes contrevenants... qui refuse.» Naturellement. Naturellement, la réponse à la demande du Québec du Parti libéral, du gouvernement libéral d'Ottawa qui a fait un projet de loi qui s'appelle C-3 dans un but très électoraliste, était toute préparée.

La conclusion est assez facile à tirer: ce qui est bon pour l'Alberta, on va l'appliquer à tout le monde et ce qui est bon pour le Québec n'est pas bon. On va bannir tout cela et on va recommencer à zéro. Vous comprendrez qu'on ne peut pas se sentir à l'aise dans ce carcan. Vous comprendrez qu'on juge qu'il y a un problème.

Durant cette même période, péquistes et libéraux s'entendent sur le fond de la Loi sur les jeunes contrevenants, mais à Québec, naturellement. Je vais passer par-dessus cet article parce que j'ai parlé tout à l'heure de la résolution adoptée à l'unanimité à la Chambre des communes demandant au gouvernement de surseoir à l'application et à l'adoption de la Loi C-3, et d'aller voir ce qui se fait ailleurs pour établir des comparaisons avec ce qui se fait au Québec, afin de convaincre la ministre de la Justice qu'elle fait fausse route.

Toutes sortes d'articles ont été publiés cette journée-là. Dans La Presse, on a publié le portrait de deux jeunes qui ont été aux prises avec la criminalité, mais qui aujourd'hui s'en sont sortis. Je vais les nommer puisque leurs noms s'y trouvent: MM. Julien Robitaille et Jocelyn Prud'homme. C'est dans La Presse du 17 mai.

Souvent on dit que les journaux ne mentionnent que les côtés négatifs, mais je félicite La Presse parce que cette journée-là, le mercredi 17 mai, elle a publié le portrait de deux personnes qui étaient aux prises avec des problèmes de criminalité quand elles étaient jeunes et qui, quelques années plus tard, s'en sont sorties. Je vais vous dire qu'ils ont l'air de deux beaux jeunes, de deux jeunes intégrés à la société, prêts à aider le monde, etc.

Dans le cas de Julien, c'est à la suite d'un film qui avait été fait sur les jeunes contrevenants, pour les centres de jeunesse, je crois, qu'il a vu qu'il était possible de s'en sortir si on le voulait vraiment. Il avait naturellement un problème de drogue. Il s'est fait désintoxiquer. Il a vécu. Il a vu que lorsqu'il n'était pas sur un high dû à la drogue, la vie pouvait lui offrir d'autres genres de voyages quand il avait des objectifs à atteindre. Il a vu que la vie était belle même quand on est un gars ordinaire et straight.

Ce jeune a maintenant 21 ans et travaille dans un groupe communautaire qui aide justement des jeunes à s'en sortir. Il n'est plus aux crochets de la société. Il a un job. Il paye ses taxes et, mieux encore, il voudrait rendre à la société ce qu'il en a reçu, soit l'investissement qui a été fait pour sa réhabilitation et sa réinsertion sociale.

• 2150

L'autre exemple est celui de M. Jocelyn Prud'homme. Lui aussi a consommé de la drogue, d'abord quelques joints, puis des drogues dures, de la cocaïne surtout. On dit que gelé ou pas, il était devenu une nuisance. Il était somnolent et fumait son joint un peu partout. Il dérangeait quand il était à jeun, donc il reprenait de la drogue. Il a fait des mauvais coups. Il a fait toutes sortes de choses. Il a été placé en centre d'accueil et même dans plusieurs familles d'accueil parce que ça ne marchait pas.

À un moment donné, il s'est rendu compte de sa situation. Avec l'aide qu'on lui a accordée, l'engagement qu'il a pris et les échanges qu'il a eus avec les travailleurs sociaux et d'autres, il se retrouve aujourd'hui avec un emploi. Il travaille en informatique, je pense. C'était un décrocheur; il a raccroché. Tout cela s'est fait en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, qui permet des interventions au niveau du besoin du jeune. On a demandé ce que le jeune avait comme besoins et on a réussi à investir suffisamment pour le réinsérer correctement dans la société. C'est un bon coup et je félicite le journal La Presse d'avoir fait cela.

Bien souvent, on se dit qu'au Québec, c'est bien beau car on applique correctement la Loi sur les jeunes contrevenants, mais on se demande s'il n'y a que ça. Je vais vous dire que c'est une approche qui fait en sorte que ça fonctionne. La loi ne fait pas défaut. Là où ça ne marche pas, ce n'est pas la faute de la loi. C'est l'approche qui est défectueuse dans les autres provinces. On peut faire toutes sortes de choses.

Bien qu'on ait de bons résultats au Québec, on trouve que ce n'est pas suffisant. J'ai dit plus tôt que tant et aussi longtemps qu'on n'aura pas complètement éliminé la criminalité chez les jeunes, on ne sera pas satisfaits. L'objectif ultime, au Québec comme partout ailleurs, je l'espère, c'est qu'il n'y ait plus de criminalité juvénile. On peut en rêver, mais c'est difficile à atteindre, surtout quand on n'a aucune loi pour encadrer les gangs et les groupes de motards criminalisés qui montrent aux petits jeunes à faire des mauvais coups, etc. Ça n'aide pas.

Mais au Québec, malgré nos résultats, on a décidé, en juin 2000, qu'on s'attaquerait à la délinquance dès le berceau. On ne pense pas à les mettre en prison dès le berceau. On pense à investir dans la lutte contre la délinquance dès le berceau pour qu'à long terme, quand ces jeunes auront 10, 12, 14 et 16 ans, ils ne soient pas des délinquants et ne soient pas couverts par la Loi sur les jeunes contrevenants.

Ne vous surprenez pas de voir que les statistiques au Québec sont plus basses qu'ailleurs au niveau de la judiciarisation de ces jeunes. C'est tout simplement parce qu'il y a une infrastructure entourant l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants, ce qui fait en sorte qu'on est capables de prendre les jeunes en charge. Mais pour y arriver—et je vais être méchant parce que je n'aime pas ces choses-là—, il faut qu'il y ait une loi qui le permette. Aujourd'hui, la Loi sur les jeunes contrevenants le permet. Ceux qui appliquent ces programmes sont inquiets face au projet de loi C-3 présentement à l'étude.

Dans cet article, on apprend qu'au Québec, on va investir d'importantes sommes d'argent pour aider jusqu'à 3 000 jeunes familles ayant de grandes difficultés économiques et sociales, parce qu'on y a lu le même rapport que moi sur la criminalité et la pauvreté. On considère qu'il est important d'investir dans les jeunes dès le berceau afin qu'ils ne soient pas portés à la criminalité.

On dit qu'à long terme, il s'agit d'une économie bien que ça coûte pas mal d'argent. On va investir jusqu'à 20 000 $ par enfant sur une période de six ans. Donc, on calcule que les six premières années des jeunes sont primordiales et on est prêt à investir jusqu'à 2 000 $ par jeune, par année, pendant les six premières années de leur vie afin d'en faire des citoyens qui se sentiront intégrés à la société. On dit qu'à long terme, il s'agit toutefois d'une économie.

• 2155

Selon une sommité internationale en la matière, le docteur Tremblay, l'adolescent mésadapté coûte beaucoup plus cher à la société en plus d'être souvent irrécupérable. Le ministère de la Santé a constaté qu'il consacre 800 millions de dollars aux jeunes délinquants et qu'un adolescent en grandes difficultés coûte entre 50 000 $ et 100 000 $ par an à l'État, sans compter que plus le délinquant vieillit, plus il devient dangereux et plus il coûte cher à l'État.

Ils ont calculé qu'il était préférable d'investir jusqu'à 120 000 $ dans un jeune durant les six premières années de sa vie plutôt que d'investir jusqu'à 100 000 $ par année pour un jeune délinquant. Je pense que mathématiquement, ça se comprend très bien. Mais pour ces jeunes dans lesquels on a investi de l'argent, il faut qu'il y ait une loi au cas où plus tard il y aurait un problème de délinquance. À l'heure actuelle, la Loi sur les jeunes contrevenants nous permet de poursuivre notre action. Mais je ne suis pas sûr, et les spécialistes n'en sont pas sûrs eux non plus, que c'est le cas du projet de loi C-3.

Un autre article fort intéressant a été publié le mercredi 7 juin. Je vais passer rapidement. Il semble que les parents québécois soient moins violents que les Américains avec leurs enfants. C'est une étude qui a été faite. Si les parents sont moins violents, l'enfant vit moins dans la violence et il sera moins porté à la violence plus tard. Cela explique également un peu la raison d'être de l'approche préconisée au Québec.

Un autre article très intéressant a paru dans *La Presse du jeudi, 8 juin. Il a été écrit par Robin Philpot, qui est l'auteur d'un livre intitulé Oka—dernier alibi du Canada anglais, dans lequel on parle un petit peu de la violence chez les autochtones. Je ne comprends pas qu'il n'y ait pas plus de contestation de la part des autochtones, car ils seront touchés de façon assez importante par le projet de loi C-3. Robin Philpot le dit très bien ici:

    Dans le débat entourant le projet de loi sur les jeunes contrevenants (C-3), personne ne mentionne la dimension autochtone. Pourtant, elle en est au coeur, car se sont les autochtones, et surtout ceux habitant les provinces anglophones du Canada, qui risquent d'en faire les frais.

    S'il y a un indicateur qui, plus que tout autre, démontre que le Québec et le Canada sont comme deux pays en ce qui a trait aux relations avec les autochtones, c'est bien le taux d'incarcération.

Ça fait du bien à entendre. On nous accuse de toutes sortes de choses envers les autochtones au Québec, mais Robin Philpot, qui semble très proche des autochtones, dit qu'il y a vraiment une différence entre ce que fait le Québec pour les autochtones et ce que le Canada fait pour eux, entre autres au niveau du taux d'incarcération. C'est le jour et la nuit. Écoutez bien ce qui suit:

    Au Québec, les autochtones sont incarcérés légèrement moins que la population québécoise dans son ensemble, alors qu'au Canada anglais, les autochtones sont incarcérés quatre ou cinq fois plus souvent que le reste de la population—jusqu'à dix fois plus en Saskatchewan. Il s'agit d'une sorte de discrimination systémique. Or il va de soi qu'une loi plus sévère, plus punitive, ne fera qu'accentuer cette disproportion honteuse.

    Par ailleurs, la tendance lourde des autochtones au Canada—pas au Québec—à quitter leurs réserves, lesquelles manquent souvent de services de base, [...] et à gagner les grandes villes permet de présumer que la situation va s'aggraver.

    À cette évidence, Ottawa et sa ministre de la Justice, Anne McLellan—d'Edmonton, comme par hasard, d'où souffle le vent de droite—répond en s'acharnant à adopter une loi très sévère sur les jeunes contrevenants s'inspirant en cela de lois similaires aux États-Unis. Les autochtones savent très bien que ce projet de loi les vise et que ce sont leurs jeunes qui rempliront les cellules des prisons actuelles au Canada anglais, tout comme celles sur les planches à dessin.

• 2200

    Le Québec ne veut rien savoir de cette loi. Ses traditions, sa confiance en la réhabilitation, son expérience et la baisse de la criminalité qui en a résulté amènent le gouvernement du Québec, tout comme l'opposition officielle, à s'y opposer farouchement, demandant même d'en être exclu.

Est-ce que cela fait réfléchir? Effectivement, les statistiques démontrent qu'au Québec, on incarcère un petit peu moins les autochtones, toutes proportions gardées, que les autres Québécois, alors que dans les autres provinces, les autochtones vont en prison jusqu'à 10 fois plus souvent que les autres citoyens. C'est notamment le cas en Saskatchewan.

Si on fait une loi encore plus répressive, qui va en payer les frais, pensez-vous? Ce sont les autochtones. Est-ce eux qu'on voulait viser? Est-ce que Mme Anne McLellan voulait viser les autochtones lorsqu'elle a fait ce projet de loi? J'aurais aimé poser cette question à la ministre, monsieur le président, si elle avait été là. Il est 22 heures. Il reste encore quelques heures. La ministre pourrait encore venir témoigner. Je lui poserais cette question parce que ça m'intéresse. J'aimerais savoir si ce projet de loi visait, entre autres, les autochtones.

Le prochain article a paru dans Le Devoir le 12 juin 2000: «Projet de loi C-3 sur les jeunes contrevenants—Une loi matraque dans une société de compassion». L'auteur en est Jean Trépanier, que tout le monde ici connaît, je crois. Je vais vous faire grâce de la lecture des passages de son article puisqu'il est venu témoigner et que tout le monde connaît très bien son expertise et ce qu'il pense du projet de loi C-3.

Je vous invite à lire cet article si vous n'avez pas eu le temps de lire son mémoire, parce qu'il en reprend quelques éléments. Toutefois, il parle de deux points plus en détail: d'abord les automatismes que l'on retrouve dans la loi et ensuite l'obligation de tenir compte de la durée de la détention provisoire. Si on applique un système pour adultes aux jeunes contrevenants, on va également devoir calculer la durée de la détention et les libérations conditionnelles comme si, finalement, on avait affaire à des adultes.

Cependant, il y a un paragraphe que je veux vous lire parce que j'aurais aimé entendre la ministre se prononcer là-dessus. Il parle d'«une loi horriblement complexe». C'est un peu pour répondre à la ministre qui, lorsqu'elle a déposé son projet de loi, disait que la Loi sur les jeunes contrevenants n'était pas claire. Elle dit:

    «La loi manque de clarté, ne détermine pas le but principal du système, contient des principes inconsistants et contradictoires, et aucun principe précis ne l'accompagne aux divers stades des procédures judiciaires.»

Finalement, c'était une mauvaise loi et il fallait la changer, disait-elle.

Un spécialiste en la matière qui a consacré une bonne partie de sa vie à suivre la criminologie au niveau des jeunes et qui a étudié l'historique de la loi et les modifications qu'on y a apportées au fil des années, arrive à la conclusion que c'est une loi horriblement complexe.

• 2205

    Nous pourrions faire état d'un bon nombre d'autres problèmes que créerait l'adoption du projet de loi C-3: seules les limites d'espace nous empêchent de le faire. Nous aurions pu en rajouter au sujet de la publication des noms des jeunes contrevenants par exemple, au sujet du concept, confus s'il en est, «d'harmonisation régionale» des peines et de bien d'autres sujets de préoccupations.

Si la ministre était présente ce soir, je lui demanderais de me dire ce qu'est une région en vertu du Code criminel. Je connais des régions administratives, mais au niveau du Code criminel, l'harmonisation régionale est un nouveau concept que je ne connais pas. J'aurais aimé que la ministre vienne m'expliquer ce qu'est l'harmonisation régionale. Est-ce que Montréal est une région? Est-ce que le Québec est une région? Est-ce que l'Atlantique est une région? Est-ce que l'Ouest est une région? Lanaudière, est-ce que c'est une région? La ministre voulait apporter cette modification afin d'améliorer son projet de loi. Je pense qu'elle s'est tiré dans le pied de façon assez évidente.

L'auteur poursuit:

    Il est un point qui doit néanmoins être soulevé: le projet de loi est d'une complexité telle que seuls les experts pourront participer pleinement au déroulement des affaires dans la justice des mineurs. Par conséquent, c'est l'accès à la justice qui s'opacifie, ce sont des adolescents et leurs parents que l'on désapproprie encore un peu plus de leur cause, laissant plus de contrôle aux avocats. Une loi éducative doit pouvoir être comprise de ceux à qui elle s'applique. Déjà, la Loi sur les jeunes contrevenants est plus que complexe à souhait. Pourquoi empirer la situation? Sans compter que les frais additionnels qu'on entend faire assumer aux parents pour les services d'aide juridique risquent de réduire l'accès au service des avocats, au moment même où le projet de loi rendrait leur présence plus nécessaire que jamais.

Au tout début, j'ai parlé de la déclaration de principes. Je vous disais que c'était une pièce assez importante du casse-tête. On se rend compte dans la déclaration de principes que les pères et les mères ont des obligations, mais qu'ils ont aussi le droit de participer au sort leurs enfants en appliquant la Loi sur les jeunes contrevenants. Ce n'est pas évident qu'on va pouvoir le faire avec le projet de loi C-3. De plus, c'est tellement complexe qu'il faut des spécialistes pour comprendre ce projet de loi. Comment voulez-vous que M. et Mme Tout-le-Monde y comprennent quelque chose et se retrouvent dans un projet de loi semblable?

On veut même que les parents soient responsables des actions de leurs enfants, qu'ils puissent être poursuivis, qu'ils déboursent des sommes d'argent, etc. Par ailleurs, on fait une loi tellement complexe qu'ils n'y comprendront rien.

Quand la ministre est venue ici, je lui ai demandé si elle était capable de m'expliquer un article du projet de loi qui était carrément incompréhensible et elle n'a pas été capable de répondre à ma question. C'était l'article 42.

Je vais vous montrer un peu à quel point ce projet de loi est bien rédigé. Tout le monde va comprendre. Il s'agit de la présomption en cas de peine supplémentaire à l'article 42 du projet de loi. Je vais vous le lire, monsieur le président. Vous allez voir que le législateur s'est efforcé de simplifier les choses. Je ne connais pas le rédacteur de l'article 42, mais vous le féliciterez de ma part. C'est très, très clair. Vous allez voir:

    Sous réserve du paragraphe 41(13), l'adolescent assujetti à une peine infligée en application des alinéas 41(2)n), p) ou q) et à qui une peine supplémentaire est infligée en application de l'un de ces alinéas est, pour l'application du Code criminel, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et la présente loi, réputé n'avoir été condamné qu'à une seule peine commençant le jour du début de l'exécution de la première et se terminant à l'expiration de la dernière.

• 2210

Je suis sûr que tout le monde ici a compris. Vous devrez m'excuser, car je n'ai rien compris. Je dois être plus innocent que les autres. Je n'ai rien compris à cet article et je pourrais vous en nommer d'autres. C'est très, très complexe.

Dans un de mes premiers cours de droit, monsieur le président, j'ai appris l'existence de la règle selon laquelle nul n'est censé ignorer la loi. Il va peut-être falloir commencer par la comprendre, cette loi-là. Comment voulez-vous que personne n'ignore cette loi qui criminalise les jeunes si elle est rédigée dans un français ou dans un jargon semblable, où l'on fait allusion à une multitude d'autres articles et à une multitude d'autres lois? C'est incompréhensible.

Même des spécialistes comme le criminologue Jean Trépanier, professeur de criminologie de l'Université de Montréal, disent que c'est complexe. Il dit que seuls les spécialistes et les avocats la comprendront et que, finalement, les gens que la justice doit servir se verront dépossédés du peu qu'il leur reste. Je peux vous dire que lorsqu'on représente des clients devant un juge, ils sont déjà très démunis devant l'appareil judiciaire.

Il m'est arrivé, avant un procès, d'expliquer encore et encore les tenants et les aboutissants d'une loi bien souvent facile à comprendre ou bien encore une disposition du Code civil du Québec, et l'individu qui était devant moi, à cause de l'énervement et pour d'autres raisons, avait de la difficulté à comprendre l'importance de ce que je lui disais. Or, un avocat qui défend un jeune dans une cause criminelle devra tenter d'expliquer, s'il y a lieu, la présomption en cas d'une peine supplémentaire. Il devra tenter d'expliquer cette disposition à son jeune client ou à sa jeune cliente et il sera incapable de la lui faire comprendre. Ce doit être ce qu'on appelle une amélioration à la Loi sur les jeunes contrevenants. Ce doit être ce qui permet à la ministre de dire que ce projet de loi a été élaboré de manière à respecter l'approche québécoise développée au cours des 15 dernières années. Je ne sais pas où elle a pris ça.

Une autre lettre d'opinion publique a été écrite par M. Claude Filion, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Il dit que c'est un projet de loi inutile et néfaste pour la réinsertion sociale des jeunes contrevenants, mais cela ne semble pas faire bouger beaucoup la ministre de la Justice.

J'aurais pu, monsieur le président, apporter plusieurs autres articles de journaux afin de tenter de vous démontrer le consensus solidement établi au Québec sur ce sujet. S'il y a une chose de sûre, s'il y a une chose que les gens d'en face ont comprise, c'est justement le consensus québécois et c'est en toute connaissance de cause qu'ils veulent mettre la matraque sur toute personne qui s'opposera à ce projet de loi. C'est la raison pour laquelle la ministre n'a pas trouvé autre chose d'intéressant à faire que de demander à son leader à la Chambre de déposer une motion pour mettre un bâillon à cet important débat. Elle n'a même pas voulu faire l'effort de venir en comité pour répondre à mes questions. Elle n'a même pas eu la décence de répondre positivement à des questions que les juges lui ont posées. Elle n'a pas voulu se déplacer pour constater d'elle-même ce qui se fait au Québec, sur le terrain, et là elle décide de remettre le projet de loi à l'ordre du jour et de l'adopter à toute vapeur, sans même consulter qui que ce soit.

• 2215

Elle tient deux discours, la petite ministre de la Justice. Elle tient deux discours parce qu'aujourd'hui, lors de la période des questions orales, elle nous a dit ne pas vouloir intervenir dans la préparation d'une loi antigang sans avoir préalablement consulté les provinces. Par ailleurs, pour la Loi sur les jeunes contrevenants, tout le monde lui demande de consulter les provinces avant de faire des modifications et elle ne le fait pas. Elle va de l'avant. Surtout, elle ne va pas voir quelles sont les politiques jeunesse des autres provinces canadiennes avant de faire des modifications.

Plus tôt, monsieur le président, j'ai mentionné que lorsque les libéraux d'en face adopteront ce projet de loi, ils devront avoir en tête ceux à qui il s'adresse. J'ai parlé, entre autres, des autochtones et de la pauvreté. Je n'ai pas pris cela dans mon imagination. J'ai pris cela du gouvernement du Canada, du Conseil national du bien-être social, qui a publié, le 15 mai 2000, un rapport dans lequel on parle de la justice et des pauvres. On y dit que le système judiciaire canadien est discriminatoire envers les pauvres.

J'espère que vous vous rendez compte que lorsque vous durcissez le moindrement une loi criminelle, et c'est plus vrai encore quand elle s'adresse à des jeunes, vous attaquez inévitablement et de plein fouet, entre autres, les familles qui ont des difficultés financières.

Chez nous, ma mère disait toujours que la misère attire la misère. Comme il semble y avoir des sceptiques dans la salle, je vais prendre du temps pour vous lire quelques passages de ce rapport du Conseil national du bien-être social du Canada.

On y dit:

    Dans un rapport publié aujourd'hui, le Conseil national du bien-être social affirme que le système judiciaire canadien est irrationnel, injuste, mal administré et souvent discriminatoire envers les pauvres.

Je peux le répéter s'il y a encore des sceptiques. Ce n'est pas un séparatiste qui a dit cela; c'est le Conseil national du bien-être social.

    Selon ce document intitulé La justice et les pauvres, les gens pauvres ont plus de chances que les autres d'être arrêtés et accusés par la police, de se faire refuser un cautionnement, de passer en cour sans représentation judiciaire adéquate et de se retrouver en prison.

    «Une fois que des gens à faible revenu ont été entraînés dans le système de justice criminelle, ils continuent de subir un désavantage après l'autre», dévoile le rapport. «Une fois rendus au stade de la détermination de la peine, presque tous ceux qui restent devant les tribunaux proviennent de milieux défavorisés.»

En somme, si on durcit les peines comme on veut le faire, il y aura inévitablement plus de gens à faible revenu qui seront entraînés dans le système de justice criminelle.

On dit:

    Le rapport souligne l'écart énorme qui existe entre la réalité et les perceptions publiques du crime et demande aux gouvernements et aux politiciens de cesser d'exploiter le crime à des «fins politiques».

Ce qui est dit là est assez important. Je le répète parce que c'est trop bon. Ça vient du gouvernement du Canada. Il y a des choses en ce bas monde que j'ai de la difficulté à comprendre. On dit ceci:

• 2220

    «Une fois rendus au stade de la détermination de la peine, presque tous ceux qui restent devant les tribunaux proviennent de milieux défavorisés.

    Le rapport souligne l'écart énorme qui existe entre la réalité et les perceptions publiques du crime et demande au gouvernement et aux politiciens de cesser d'exploiter le crime à des «fins politiques».

C'est justement ce que l'on fait avec la Loi sur les jeunes contrevenants. On modifie la loi à des fins politiques. Il est assez bizarre que, dans un rapport émanant du gouvernement du Canada, du Conseil national du bien-être social, on demande aux politiciens et au gouvernement de cesser d'utiliser le crime à des fins politiques. J'ai mon voyage. De toute évidence, ça ne s'est pas rendu jusqu'au bureau de la ministre de la Justice. Elle doit se contenter de lire uniquement ce qui touche la criminalité juvénile, seulement les mauvais coups. Il y a des bons coups, mais elle ne semble pas les connaître.

J'aurais aimé que la ministre soit ici ce soir, monsieur le président, non seulement pour lui poser des questions, mais aussi pour lui donner des exemples concrets de bonnes choses qui se sont produites au Québec, entre autres, grâce à une application correcte de la Loi sur les jeunes contrevenants.

La beauté de ce rapport, monsieur le président, c'est qu'on y apprend que même le Conseil national du bien-être social applaudit ce qui se fait au Québec relativement à l'approche auprès des jeunes. La ministre aurait tout avantage à lire ce rapport. Je cite:

    Le Conseil national du bien-être social presse les gouvernements d'adopter des politiques plus sensées en ce qui concerne les délits mineurs commis par des jeunes. La commission de délits mineurs est chose courante chez les jeunes, particulièrement chez les garçons, et il est tout à fait insensé de leur établir des dossiers criminels pour des erreurs de jugement attribuables à un manque de maturité. Le Conseil approuve l'approche adoptée au Québec, où le taux d'incarcération des jeunes est beaucoup moins élevé que dans les autres provinces ou territoires. Le conseil préconise notamment le recours à la «déjudiciarisation» comme moyen de réduire le nombre de personnes incarcérées pour des délits mineurs. La déjudiciarisation fait souvent appel à des solutions de rechange comme les travaux communautaires.

Ça se fait au Québec. La ministre devrait en tenir compte avant de décider de changer ça. Au tout début, j'ai lu la déclaration de principes. Cela paraît peut-être anodin, car j'ai commencé ce soir par certaines choses qui ont fait en sorte qu'il y avait une députée qui ne savait pas trop bien où je voulais en venir, mais vous constaterez que la déclaration de principes nous a suivis toute la soirée et qu'elle va nous suivre tout le temps. Mais la ministre a cru bon de mettre la hache dans la déclaration de principes. Elle a cru bon de la charcuter complètement, puis de saupoudrer à gauche et à droite des choses qui ne veulent rien dire ou de mettre une grande partie de la déclaration de principes dans un préambule.

Je pourrai vous donner un cours de droit au niveau des préambules prochainement. Vous allez voir que le préambule ne vaut pas plus que le papier sur lequel il est écrit, qu'on ne peut aucunement comparer un préambule à une déclaration de principes qui se retrouve dans le corps de la loi, dans un article de la loi. Je suis sûr que les gens du ministère le savent très bien. C'est un paravent. C'est le petit côté bonne conscience de la ministre qui se manifeste dans le préambule, mais ça ne sert pas nécessairement à interpréter la loi.

• 2225

Je vais lire un dernier passage avant de passer à autre chose étant donné que le temps passe très vite ce soir:

    «Le gouvernement fédéral fait aussi partie du problème. Tout en condamnant l'incarcération excessive et en déplorant le record du Canada en tant que leader mondial dans le domaine de la détention des enfants, il a empiré le problème en adoptant des lois qui rendent les peines plus sévères et qui introduisent de nouvelles peines minimales d'emprisonnement. Les gouvernements et les partis politiques, qui ne cessent de promettre des mesures anti-crime futiles ou pire, font peur à la population en donnant l'impression que le crime est un problème majeur et croissant au Canada. Entre ces déclarations irresponsables et la couverture sensationnelle du crime par les médias, il n'est pas surprenant que tant de Canadiens et de Canadiennes, surtout parmi les personnes âgées et les femmes, vivent dans la crainte et ont une idée déformée du crime.

Même un organisme fédéral dit au gouvernement fédéral et à la ministre de cesser de faire des lois répressives, d'arrêter ça. De toute évidence, la ministre n'a pas pris connaissance de ce rapport, qui est aussi intéressant parce qu'il comporte plusieurs indications quant à ce qui l'amène à de telles conclusions.

Lorsqu'on dit que pauvreté rime peut-être avec criminalité, cela ne veut pas dire que ce lien est automatique. Comme je l'ai dit plus tôt, on voit aussi de la criminalité dans les familles aisées. Ce n'est pas un automatisme. C'est qu'une personne élevée dans une famille pauvre a moins de chance de s'en sortir. Et de cela, tout le monde convient. Je vois les gens du ministère dire oui. C'est un constat. Il y en a peut-être de l'autre côté qui sont un peu incrédules, mais c'est un constat. Il existe des indicateurs du développement des enfants et des jeunes établis en fonction du revenu familial. C'est encore le Conseil canadien de développement social qui les fournit.

À ceux qui ont l'air de ne pas me croire ou qui ont l'air d'être sceptiques, je dirai qu'ils ont mis une série de variables en rapport avec le revenu familial, celui des familles dont le revenu est inférieur à 20 000 $ et celui des familles dont le revenu est supérieur à 80 000 $. Ils se sont rendu compte que dans les familles dont le revenu était de moins de 20 000 $, il y avait plus de problèmes de criminalité. Pourquoi?

Des parents ayant vécu des traumatismes durant leur enfance, on en retrouve 15,3 p. 100 dans les familles à moindre revenu comparativement à 7,6 p. 100 dans les familles plus riches. Des parents qui vivent des stress de façon chronique, on en trouve quatre fois plus dans les familles au revenu de moins de 20 000 $. Les changements fréquents d'école touchent près de 29 p. 100 des enfants de ces familles. Du côté stabilité, c'est moins bon.

Ces familles, 26,2 p. 100 d'entre elles vivent dans des quartiers à problèmes et 23,9 p. 100 dans un voisinage hostile. Elles sont victimes d'agressivité indirecte à près de 40 p. 100 comparativement à 20 p. 100 des familles qui ont un revenu de 80 000 $ et plus. Le niveau des troubles affectifs est deux fois plus élevé dans ces familles; le comportement délinquant, trois fois plus élevé; les problèmes de santé, le double; les retards dans le comportement et dans le développement—regardez bien les chiffres—, 35,9 p. 100 en comparaison des familles aisées, où ils ne comptent que pour 7,9 p. 100. Tous ces chiffres proviennent du Conseil canadien de développement social.

Mais tous ces chiffrent ne font pas en sorte que ce soit mathématique; ce n'est pas parce qu'une famille se trouve dans la première colonne qu'elle aura nécessairement des problèmes de criminalité. Cependant, je veux que vous sachiez que si vous adoptez cette loi, elle sera appliquée entre autres à des gens qui ont des difficultés de ce genre parce qu'ils auront éventuellement plus de problèmes de criminalité. Si c'est ce que vous visez, c'est différent. Ce n'est pas l'objectif du Québec.

• 2230

Un autre texte émanant du gouvernement fédéral se trouve dans le rapport annuel de 1999-2000 du commissaire à la protection de la vie privée. Je m'adresse à la personne du ministère de la Justice, qui est encore ici à ce que je vois. Je suppose que ces fonctionnaires ont pris connaissance de ce rapport où il est question de nouveaux projets de loi et, naturellement, de la Loi sur le système de justice pénal pour adolescents, le fameux projet de loi C-3 qui est à l'étude.

Le commissaire à la protection de la vie privée dit:

    Ce projet de loi remplacerait l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants, et comporte deux éléments qui préoccupent particulièrement le Commissariat à la protection de la vie privée: certaines communications de renseignements sur les contrevenants à leurs victimes ou au public, ainsi que l'analyse médico-légale d'échantillons génétiques de ces derniers. Ces deux nouveaux éléments pourraient réduire de façon appréciable le droit à la vie privée dont jouissent les jeunes contrevenants en vertu de la Loi actuelle.

Cela n'a pas été critiqué ou argumenté plus qu'il ne le faut par le Bloc québécois ou par d'autres intervenants, mais je tenais à le souligner ce soir étant donné que cela émane du commissaire à la protection de la vie privée, afin de vous démontrer que cette loi renferme une série de modifications qui ont de quoi inquiéter. Même le commissaire à la protection de la vie privée s'inquiète de ces éléments.

Je vais poursuivre, monsieur le président. J'avais promis de vous donner un exemple de cas, mais pas un cas concret car tout sera fictif. Je pense que je vais le faire en vous racontant une sorte d'histoire, en vous décrivant les circonstances qui pourraient se produire avec la réforme fédérale en comparaison de ce qui se passerait dans le cadre actuel. Je suis persuadé, monsieur le président, que vous allez très certainement comprendre la grande différence qui existe entre les deux.

Nous appellerons le premier cas le cas Claudine. Ce sont des circonstances découlant de choses que j'ai apprises, mais qui ne sont pas applicables à un cas. Je vous dis tout de suite que tout est fictif. Ce sont des éléments que j'ai pris à gauche et à droite, à l'aide desquels j'ai constitué une espèce de cas-type qui illustre comment, dans la réalité, pourrait être appliquée la Loi sur les jeunes contrevenants et appliqué le projet de loi C-3 s'il était adopté tel quel.

Intervenant sur les lieux d'un incident, la police découvre dans un logement le cadavre d'une dame d'une trentaine d'années, assassinée de plusieurs coups de couteau. Tout indique qu'il y a eu une violente altercation. L'arme du crime n'est pas retrouvée et on a cherché à camoufler le crime en allumant délibérément un incendie. Le voisinage est apeuré et les premiers soupçons des enquêteurs se portent sur le concubin, qui a des antécédents de violence familiale. Celui-ci nie tout et fournit un bon alibi.

L'enquête s'avère difficile et requiert une analyse scientifique poussée. Plusieurs jours après le drame, les enquêteurs se présentent au bureau des substituts du procureur général. Ils viennent d'arrêter une adolescente âgée de 15 ans, fille unique de la personne décédée. Claudine porte encore aux bras et aux mains des blessures qu'elle se serait infligées lors de l'agression. L'échantillon de son ADN obtenu par mandat correspond à celui retrouvé sur la scène du crime et sur les vêtements de la victime.

Claudine a été arrêtée chez son père avec qui elle habite et où a été retrouvée ce qui semble être l'arme du crime. Lors de son interrogatoire au poste de police, elle s'est montrée agressive et elle a carrément menti aux enquêteurs sur ses allées et venues le jour du crime. On retrouve dans ses antécédents judiciaires deux dossiers de voies de fait avec lésions survenues à l'école.

Claudine a été placée sous probation avec interdiction de posséder une arme et de consommer de la drogue. Une accusation de meurtre au premier degré est portée et Claudine est détenue en attendant l'issue de son procès.

• 2235

Il est à noter qu'à ce stade-ci de la procédure, le substitut du procureur général n'a à sa disposition que les informations qui lui ont été communiquées par la police. En dehors des deux condamnations, il ne connaît pas l'histoire de cette adolescente ni les raisons qui l'auraient poussée à tuer sa mère.

Je vous énumère une longue série de faits. Ceux qui pensent que cette histoire est complexe doivent savoir que c'est bien peu comparativement aux vrais cas. Si on veut vraiment comprendre ce qui peut se produire avec la réforme fédérale, il faut que ce soit illustré par une situation semblable. Je vois d'ailleurs que les gens d'en face ont tous pris des notes pour être en mesure de répondre aux questions plus tard. Ce sera très facile et très productif, j'en suis persuadé.

Nous allons voir maintenant le cheminement de ce dossier dans le cadre de la réforme fédérale proposée par la ministre Anne McLellan avec le projet de loi C-3.

Dans les cas de meurtre, la réforme prévoit qu'une sentence pour adulte s'applique à partir de l'âge de 14 ans, à moins que l'adolescent, après avoir été reconnu coupable, ne parvienne à convaincre le tribunal qu'il devrait plutôt bénéficier d'une sentence applicable aux adolescents. Bien qu'elle n'ait que 15 ans, Claudine est ainsi passible d'emprisonnement à vie.

Selon la réforme, demander que la sentence appliquée soit une sentence pour adolescent est à la discrétion du procureur général. Cependant, il ne peut l'exercer car l'adolescente présente des risques sérieux pour la sécurité publique, compte tenu de la gravité de l'infraction, de l'attitude de l'adolescente devant les enquêteurs—on a vu qu'elle avait été agressive, qu'elle avait menti, etc.—, et surtout parce qu'elle a des antécédents judiciaires, ce qui est souvent le cas des jeunes.

Étant donné qu'elle est passible d'une sentence pour adulte, la procédure judiciaire sera la même que pour un adulte. Claudine a l'option d'obtenir une enquête préliminaire et un procès devant juge et jury, ce que va lui conseiller son avocat afin de lui réserver le maximum d'options possibles au cours de la procédure. Rien ne diffère du cas d'un adulte parce qu'on la traite comme une adulte.

Un an et demi plus tard, au procès devant juge et jury, ce qui est un délai normal et même plus court que la moyenne, les éléments de preuve sont accablants et l'adolescente ne témoigne pas. Après délibéré, le jury prononce un verdict de culpabilité et le tribunal demande alors des rapports d'évaluation sur l'adolescente. Les rapports psychologiques, criminologiques et prédécisionnels font état de l'histoire de cette jeune fille, ce qui en surprend plus d'un.

En fait, son histoire est fort simple. Quand elle a eu 12 ans, le nouveau concubin de sa mère a commencé à s'intéresser à elle. Il lui faisait des cadeaux, lui indiquait qu'il l'aimait et, progressivement, une situation équivoque et d'hostilité s'est installée entre la fille et la mère, toutes deux vivant une rivalité amoureuse sans le savoir. Afin de l'attirer à lui, le concubin lui a offert des bijoux puis de la drogue, et les premiers contacts sexuels ont débuté sous le signe, pour elle, de l'amour.

Claudine a par la suite eu des difficultés à l'école et sa violence à l'égard de ses compagnons avait pour cause la situation amoureuse trouble qu'elle vivait. Ses amis se moquaient d'elle. Lors de ses visites chez sa mère, les querelles étaient courantes, et c'est au moment où Claudine, par dépit, a révélé à sa mère que son concubin était également son amant qu'une violente altercation est survenue, qui a conduit au décès de la mère. Le mutisme et l'agressivité de Claudine tout au long de la procédure judiciaire n'avaient pour explication que son désir de conserver secrète sa relation amoureuse.

Devant ces révélations, son avocat a décidé qu'il allait en appeler du verdict de culpabilité. Un nouveau procès aura lieu sous une accusation réduite et le substitut du procureur général ne s'opposera pas à ce que l'adolescente se voit attribuer une sentence pour adolescent. Avec la réforme fédérale, on va ainsi appliquer une procédure judiciaire lourde qui va durer près de trois ans. Ce ne sera qu'à l'âge de 18 ans que Claudine recevra sa sentence, alors qu'avec la procédure actuelle, en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, cette jeune fille serait déjà en liberté, sur le marché du travail ou encore aux études.

• 2240

Faisons la comparaison avec le système actuel. Sous le régime actuel, il n'y aurait pas eu de délai de trois ans avant que l'adolescente reçoive sa sentence. Il n'y aurait pas eu non plus une procédure judiciaire complexe avec enquête préliminaire, citation à procès et procès avec jury devant la Cour supérieure, avec toute la publicité que cela entraîne.

En vertu de la loi actuelle, c'est au premier stade de la procédure que sont demandés les rapports d'évaluation sur l'adolescente, et il ne fait aucun doute que dès qu'il aurait été informé de l'histoire de cette jeune fille, le substitut du procureur de la Couronne, le procureur général, aurait indiqué son intention de ne pas requérir une sentence pour adulte.

De plus, il est plus que probable que l'adolescente aurait plaidé coupable, de sorte qu'il n'y aurait même pas eu de procès et que la majeure partie de la sentence de garde qui lui aurait été imposée serait probablement déjà terminée après un délai de trois ans. Enfin, des mesures d'aide et de soutien afin de faciliter sa réinsertion auraient pu lui être offertes bien avant sa majorité. Cela ferait longtemps également que le concubin aurait été accusé de contacts sexuels avec un enfant.

Je pense qu'on peut facilement conclure que cet exemple démontre très clairement que c'est seulement lorsque le procureur de la Couronne est informé de la situation réelle du jeune aux prises avec un problème de criminalité qu'il peut réellement exercer sa discrétion et demander qu'un adolescent ne soit pas traité comme un adulte. On voit immédiatement que le projet de loi que la ministre présente ne fonctionne pas. On va faire des procès pour le plaisir de faire des procès et ce ne sera qu'une fois qu'on aura réuni tous les éléments du dossier, après que le jeune aura été trouvé coupable et que toute l'étude qu'on aura faite du cas afin de connaître le pourquoi et le comment de son geste et ce qu'il a vécu, que le procureur de la Couronne, le procureur général, aura toute l'information. Ce n'est qu'à ce moment qu'il pourra réellement exercer son pouvoir de discrétion, mais le procès aura déjà eu lieu et, surtout, d'énormes délais se seront écoulés.

J'ai fait cet exemple pour vous démontrer l'importance de la question des délais. Elle est importante, effectivement, parce que la jeune fille de l'exemple fictif que j'ai donné, lorsqu'elle atteindrait sa majorité, trois ans et demi après avoir été traitée, pourrait devenir une citoyenne anonyme. Elle pourrait réintégrer la société. Elle pourrait se réadapter à la société. Mais à l'avenir, à cause de la complexité de la loi, de la multiplication des procédures et du traitement du jeune comme s'il était un adulte, on perdra du temps et de l'argent. Après avoir obtenu toute l'information, on pourra décider de porter la cause en appel, comme la loi nous permettra de le faire si elle est adoptée telle quelle. On ira en appel pour demander de faire rétroactivement ce qu'on aurait pu faire trois ans plus tôt. Or, pendant trois ans et demi, la jeune aura été incarcérée sans aucun traitement. Rien n'aura été fait pour elle.

J'aurais aimé que la ministre entende cet exemple et qu'elle me dise que ce n'est pas de cette façon que ça se passera. Cependant, je sais fort bien que c'est ainsi que ça se passera parce que j'ai fait valider mon exemple par des procureurs de la Couronne, par des gens qui ont travaillé sur le projet de loi. C'est exactement ce qui va arriver.

Je vous ai dit que j'avais deux cas. Voulez-vous entendre le deuxième cas tout de suite? On va passer au cas de Justin. Ce ne sont pas des gens que je connais. Je me suis amusé, tout simplement. Je pense cependant que vous vous rendez compte de ce qui arrivera dans des cas semblables.

• 2245

Justin a une enfance difficile. Il vient d'un milieu monoparental et il est le deuxième des quatre enfants que sa mère élève seule. Le vrai milieu de vie de Justin est la rue et sa vraie famille, son gang. Il démontre des talents précoces et prometteurs pour les vols et pour toutes sortes de combines ayant pour but d'amasser de l'argent.

Voyons ses chances de s'en sortir avec la réforme fédérale. À 12 ans, il est arrêté par la police à deux reprises: la première fois pour un vol à l'étalage dans un centre commercial et la seconde fois pour des méfaits dans un parc public d'une municipalité voisine. À chaque fois, il a droit à des avertissements de la part des deux services de police municipaux, conformément au projet de loi C-3. C'est ce que prévoit la réforme en privilégiant les avertissements pour les premières infractions mineures, sans possibilité de recourir à des mesures de rechange.

La réforme est ainsi faite qu'à moins d'une infraction grave, il faut que l'adolescent ait plusieurs antécédents à son actif avant de pouvoir passer d'un niveau de mesures à un autre. Avant de pouvoir être traduit devant le tribunal, l'adolescent a ainsi deux grades à passer, soit celui de l'avertissement ou de la mise en garde et celui des mesures de rechange. Il est à noter que les avertissements antérieurs donnés à l'adolescent ne sont pas admissibles devant le tribunal.

À 13 ans, il est arrêté de nouveau avec deux complices pour trois vols avec effraction dans des cabanons et pour des méfaits. Encore là, la réforme est claire: Il faut privilégier des mesures non judiciaires. Référé au substitut du procureur général, le dossier est transmis au directeur de la protection de la jeunesse et aucune évaluation en profondeur n'est faite, compte tenu de la faible gravité des délits. Justin s'en tire avec des lettres d'excuses aux victimes, conformément au projet de loi C-3.

À 14 ans, il est de nouveau arrêté pour trois vols dans des maisons habitées. Son dossier est de nouveau référé au directeur de la protection de la jeunesse, mais devant l'attitude de défi et l'agressivité démontrées par l'adolescent, le dossier est renvoyé au substitut du procureur général. Son dossier est judiciarisé et, comme c'est la première fois que Justin comparaît devant le tribunal, il écope d'une semaine de probation et d'un an sans suivi, ce qui est habituel dans les circonstances.

À 15 ans, il est une fois de plus arrêté dans le cadre du démantèlement d'un réseau de drogue. Il est accusé de trafic de stupéfiants dans la rue et dans les écoles primaires de la région. En vertu de la réforme, le tribunal ne peut pas imposer une sentence de garde, bien que le rapport prédécisionnel demandé révèle que Justin est fortement impliqué dans le délinquance juvénile, qu'il fréquente un gang bien connu des milieux policiers et qu'aucun contrôle parental ne peut être exercé. Il reçoit une probation avec un suivi de deux ans.

À peine sorti du tribunal, il continue son commerce qui lui permet de payer sa consommation quotidienne de stupéfiants. Bon manipulateur, il se présente au jour fixé par son agent de probation et rien ne transparaît de ses activités illicites.

À 16 ans, des accusations de voies de fait sont portées contre lui. Il n'hésite pas à recourir à la violence pour percevoir des dettes de drogue. Ce n'est qu'à ce moment que le tribunal peut recourir à une mesure de garde.

Ça, c'est un cheminement qu'on voit très fréquemment dans le domaine de la criminalité juvénile. Je suis sûr que si les gens du ministère ont examiné des dossiers, ils conviendront que c'est un cheminement typique.

Comparons cela à ce qui se fait aujourd'hui en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. C'est un autre exemple parmi tant d'autres que la ministre aurait pu entendre ce soir et qui contredit ce qu'elle a dit dans sa lettre.

On fait la comparaison avec le système actuel. J'espère que vous vous souvenez de Justin. Comme cet exemple le démontre, la réforme de la ministre fédérale ne fait que pelleter en avant les difficultés d'adaptation de l'adolescent. Ce ne sera que lorsqu'il aura 16 ans qu'on pourra entreprendre un programme de thérapie de réadaptation, alors qu'une telle mesure aurait dû être prise beaucoup plus tôt.

• 2250

Le défaut de la réforme fédérale est d'établir un système de mesures en cascade où il faut attendre plusieurs récidives et la perpétration d'un acte de violence avant de pouvoir recourir à la mesure qui conviendrait à l'adolescent. Seul un placement sous garde peut le sortir de la rue et du milieu criminalisé qu'il fréquente et lui donner le temps de réflexion dont il a besoin pour revoir son comportement. Plus on tarde à adopter cette mesure, plus on réduit les possibilités de réadaptation.

La réforme fédérale ne permet pas d'appliquer la bonne mesure au bon moment, avant que la situation ne devienne incontrôlable. Bien connu des parents, ce principe est la clé de base du processus de réadaptation d'un jeune. Lorsque le tribunal impose une sentence, il devrait détenir un pouvoir de discrétion lui permettant d'imposer la mesure qui convient. Il est préférable d'imposer au moins deux mois de garde à 14 ans plutôt qu'une période de garde d'un an à 16 ans.

La ministre fédérale refuse d'accorder cette discrétion aux tribunaux sous prétexte qu'au Canada, le taux de détention des adolescents est trop élevé. C'est vrai dans plusieurs provinces mais pas au Québec, où on enregistre le taux de placement sous garde le moins élevé, car nos tribunaux savent bien appliquer cette mesure au bon moment dans les cas où c'est requis.

Le projet de loi est rédigé de façon malsaine pour un cas comme celui de Justin, parce que maintenant, dès que Justin fait un premier coup, grâce à l'évaluation qu'on fait de son cas, on peut le mettre sous garde, alors qu'avec les infractions ou les avertissements en cascade, on ne pourra pas le faire. Ce n'est pas seulement le fait qu'on l'incarcère plus ou moins tôt qui fait qu'on ne veut pas de ce projet de loi, mais aussi le fait que le moment n'est pas le bon. Vous ne donnez pas aux gens qui appliquent la loi la liberté de le faire quand ils le veulent.

Dans le cas que je vous ai donné, Justin ne pourra être mis sous garde qu'à l'âge de 16 ans et il écopera probablement d'un an, peut-être plus, alors qu'on aurait pu le prendre dès le début, dès l'âge de 13 ans ou de 12 ans même. Tout dépend de ce qu'il a fait. On aurait pu le mettre sous garde, le sortir de son milieu, car c'était là son problème. Sa famille n'avait aucun contrôle sur lui, et il fallait le sortir de son gang de rue, qui faisait des mauvais coups à longueur de journée. En le sortant de là, en le sortant de sa famille et en le sortant de la rue, on aurait pu travailler à son cas. On aurait pu voir quels étaient ses besoins spéciaux afin de le réintégrer dans la société. Le projet de loi C-3 ne permettra pas de faire ça. C'est un autre exemple que la ministre aurait dû avoir. Elle aurait dû collaborer davantage afin de comprendre ce qu'elle fait avec un projet de loi semblable. Elle aurait dû voir dans les faits...

[Traduction]

Le président: Je ne voulais pas vous faire perdre le fil, mais j'ai entendu des rumeurs selon lesquelles quelqu'un serait prêt à demander l'ajournement pour ce soir. Vous avez dix heures pour votre éloquente dissertation, cinq se sont déjà écoulées; ce serait peut-être le bon moment de s'interrompre.

Si quelqu'un présentait une motion en ce sens, je serais prêt à la recevoir.

M. Paul DeVillers: J'en fais la proposition.

M. Jacques Saada: Ils sortent tous en même temps.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Monsieur le président, je ne vois aucune objection à ce que l'on ajourne, du moment que lorsqu'on reviendra, je pourrai reprendre là où j'en suis. Je comprends qu'il me restera cinq heures et je vais les utiliser au complet.

[Traduction]

Le président: Il est donc entendu que lorsque nous reprendrons nos travaux demain, à 15 h 30, dans une salle de l'édifice de l'Ouest qu'il faut encore déterminer, vous aurez la parole, monsieur Bellehumeur. Je suis certain que nous ne dormirons pas ce soir dans l'attente des nouvelles informations que vous nous transmettrez demain.

Merci beaucoup. La séance est levée.