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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 2 mars 2000

• 1112

[Traduction]

Le président (l'honorable Andy Scott (Fredericton, Lib.)): La séance est ouverte. Nous poursuivons l'audition de témoins sur le projet de loi C-23, Loi visant à moderniser le régime d'avantages et d'obligations dans les Lois du Canada.

D'ici à 13 heures, nous entendrons, de l'université Queen's, Mme Martha Bailey, professeure à la Faculté de droit; de la Coalition de l'action pour la famille au Canada, Peter Stock, directeur des Affaires nationales; et de EGALE, Égalité pour les gais et les lesbiennes, Kim Vance, présidente, et John Fisher.

Je crois que vous connaissez notre fonctionnement. Chaque témoin ou groupe de témoins dispose de 10 minutes pour faire sa déclaration d'ouverture. Je vous prierais de vous en tenir à ces 10 minutes. Il est plus facile pour vous de vous arrêter qu'il ne l'est pour moi de vous interrompre. Vous aurez ensuite l'occasion de dialoguer avec les membres du comité.

Sur ce, je cède la parole à Mme Bailey.

Mme Martha Bailey (professeure, Faculté de droit, université Queen's): Merci beaucoup.

Je ne suis ici pour plaider la cause de personne. J'ignorais ce qui serait le plus utile pour le comité, mais j'ai néanmoins rédigé quelques remarques qui pourraient vous aider. Je serai aussi heureuse de répondre à vos questions.

Comme l'a indiqué le président, je suis professeure à la Faculté de droit de l'université Queen's. J'ai des diplômes en droit de l'Université de Toronto, de l'université Queen's et de l'université Oxford. Ma spécialisation est le droit de la famille. Je connais bien les lois relatives au mariage et aux relations semblables qui existent au Canada et ailleurs dans le monde occidental. Je serai heureuse de répondre à vos questions à ce sujet.

Le projet de loi C-23 a pour but de rendre les unions homosexuelles égales aux unions de fait hétérosexuelles dans les domaines de compétence législative fédérale. Les avantages et obligations découlant du projet de loi C-23 sont fondés sur la cohabitation, et non pas sur un régime d'inscription. Le projet de loi C-23 constitue la réponse aux décisions judiciaires qui ont statué que l'octroi d'avantages et l'imposition d'obligations aux couples hétérosexuels non mariés, mais non aux couples homosexuels, violait la Charte canadienne des droits et libertés.

À mon sens, avec le dépôt du projet de loi C-23, le Parlement ne s'est pas précipité pour agir. Il a fait preuve de prudence et a attendu que les décisions des tribunaux indiquent clairement que les lois existantes ne sont pas conformes à la Charte. À mon avis—et, je le répète, je ne plaide la cause de personne—il est important pour le Parlement d'adopter le projet de loi C-23 afin que les lois fédérales deviennent conformes à la Charte.

• 1115

J'aimerais aborder la question de savoir si le projet de loi C-23 devrait prévoir les mêmes avantages et obligations pour les couples hétérosexuels non mariés et pour ceux qui ont des liens d'interdépendance sans avoir une relation conjugale, par exemple une femme adulte vivant avec sa mère et subvenant à ses besoins. Le Parlement voudra peut-être que ces autres liens d'interdépendance aient les mêmes avantages et obligations. D'autres pays l'ont fait. Ainsi, la Nouvelle-Galles du Sud protège ceux qui vivent dans le cadre de relations interpersonnelles étroites, c'est-à-dire qui vivent ensemble, qu'ils soient parents ou non, et qui s'entraident dans les travaux domestiques et les soins personnels.

Il faudrait étudier attentivement la possibilité de protéger les personnes à charge qui se retrouvent soudainement sans soutien familial par suite du décès de la personne dont elles dépendaient ou pour toute autre raison. Les questions relatives à la protection des personnes à charge recoupent celles touchant les avantages et les obligations des couples, mais en sont aussi distinctes. La protection des personnes qui ont des liens de dépendance est un important dossier qui mérite un examen plus détaillé, mais qui ne devrait pas, à mon avis, retarder la modification des lois qui ont été jugées discriminatoires.

La deuxième question que je voudrais aborder est celle de savoir si le projet de loi C-23 a une incidence sur la définition du mariage. Le projet de loi C-23 traite des avantages et des obligations qui sont traditionnellement associés au mariage. Mais l'état du mariage et les avantages et obligations traditionnellement associés au mariage sont des questions distinctes. J'estime que le projet de loi C-23 ne touche nullement la définition du mariage. J'ai lu dans les journaux que certains voudraient que le projet de loi C-23 indique explicitement qu'il ne touche pas la définition existante du mariage comme étant l'union d'un homme et d'une femme. Cela m'apparaît inutile. En droit, il est clair que le projet de loi C-23 porte seulement sur les divers avantages et obligations qui sont traditionnellement associés au mariage. Si une telle disposition était incluse dans le projet de loi C-23, à mon avis cela ne changerait pas la possibilité qu'il soit contesté aux termes de la Charte parce qu'il ne permet pas le mariage des homosexuels. Cette question est distincte de la question de savoir si le projet de loi C-23 devrait donner une définition traditionnelle du mariage. Qu'il le fasse ou non, une contestation judiciaire, aux termes de la Charte, de l'interdiction du mariage homosexuel reste possible. Je ne saurais prévoir le résultat d'une telle poursuite, mais l'inclusion d'une telle disposition dans le projet de loi C-23 n'y changerait rien.

J'aimerais insister sur un autre aspect, le fait que le projet de loi C-23, ce n'est pas le chapitre final de la réforme des lois sur la famille. Dans ce domaine, nos lois, tout comme celles d'autres pays, ont évolué au fur et à mesure que les circonstances ont changé. Mais, comme je l'ai dit plus tôt, il est important d'adopter le projet de loi C-23 maintenant pour supprimer dans les lois fédérales certaines discriminations évidentes. À cet égard, le Parlement n'a pas agi avec précipitation, et il est tout à fait évident que certaines lois ne respectent pas la Charte.

• 1120

J'aimerais terminer par deux observations sur l'énoncé du projet de loi C-23. D'après ce texte, une relation conjugale de fait est une relation entre deux personnes qui vivent ensemble dans une relation conjugale depuis au moins un an. Je pense qu'il serait peut-être bon d'ajouter «relation entre deux personnes du même sexe ou de sexe opposé» simplement pour éviter l'ambiguïté du terme «conjugale». D'après le dictionnaire, conjugale signifie «propre au mariage» ou «propre à un mari et à sa femme». Par conséquent, si l'intention est d'étendre ces avantages et ces obligations aux couples de même sexe, il serait peut-être bon de le préciser.

D'autre part, dans ce projet de loi rien n'empêche les relations conjugales de fait entre des personnes qui ont un degré de parenté interdit dans le cas du mariage. La plupart des pays qui ont des lois sur les droits et les obligations maritales des couples non mariés traitent de cette question dans leurs lois, et le Canada pourrait envisager de le faire également.

Voilà mes observations, et, comme je l'ai dit, je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup.

Je passe maintenant à M. Stock, de la Coalition de l'action pour la famille au Canada.

M. Peter Stock (directeur des Affaires nationales, Coalition de l'action pour la famille au Canada): Merci, monsieur Scott.

La Coalition pour l'action de la famille au Canada est un groupe de pression national et non partisan. Nous avons 10 000 membres dans tout le pays et environ 22 sections dans sept provinces. Évidemment, tout ce qui a trait à la famille nous intéresse au plus haut point, définition de la famille, responsabilités et droits parentaux, normes de décence pour la communauté, liberté de religion, et toutes sortes de questions connexes.

Aujourd'hui, j'aimerais discuter de trois aspects du projet de loi C-23. Pour commencer, est-ce que les relations non maritales sont la même chose que les relations maritales et, à ce titre, méritent-elles les mêmes avantages? Si c'est le cas, eh bien, ces relations méritent un traitement identique, et c'est l'un des arguments que nous avons entendus. Deuxièmement, est-ce que les relations non maritales méritent le sceau d'approbation de la société? Là encore, si c'est le cas, le Parlement a tout à fait raison d'envisager cette loi. Enfin, est-ce que le public exige que ces relations soient reconnues, comme on le fait dans le projet de loi C-23? Dans ce cas, là encore, le Parlement a tout à fait raison d'envisager ce type de législation.

Toutefois, si la réponse à ces trois questions est non, de toute évidence nous gaspillons l'argent du contribuable et le temps que nous consacrons à ce projet de loi, et il vaudrait beaucoup mieux le rejeter.

La première question que j'ai posée est la suivante: est-ce que les relations non maritales sont la même chose que les relations maritales, et à ce titre méritent-elles le même traitement? Il y a toutes sortes de types de relations dans ce monde, et les relations maritales, de par leur nature, sont conjugales, tout comme les relations hétérosexuelles de fait. Aucun autre type de relation ne répond à ce critère.

Je vais commencer par l'aspect conjugal. Ce matin, nous avons entendu des témoignages sur les différences qui existent dans la pratique entre les couples hétérosexuels mariés et non mariés. Évidemment, en droit, la différence est que les couples mariés concluent une entente légale volontaire, un contrat, une convention. Par contre, un régime légal est imposé d'office aux couples de fait. Ce n'est pas une chose qu'ils acceptent volontairement.

Évidemment, la différence dans le monde réel, comme nous l'avons entendu, c'est qu'au bout de 10 ans 14 p. 100 des couples mariés avec des enfants se sont séparés alors que 63 p. 100 des couples de fait dans la même situation se sont séparés. Autrement dit, les relations de fait sont un véritable désastre pour les enfants, et la politique publique ne devrait ni les approuver, ni les encourager.

Il y a ensuite toutes les relations non conjugales. Et là, c'est encore plus instable, et dans le cas des amis ou des parents, c'est tellement différent qu'on saurait difficilement prétendre que cela mérite le même traitement.

La deuxième question que j'ai posée est la suivante:est-ce que ces relations non maritales méritent d'être reconnues par la société? Certainement, toutes sortes de relations ont des significations différentes pour différentes personnes. Toutefois, le mariage apporte une contribution unique sur le plan de la procréation et de l'éducation de la génération suivante. Comme je l'ai déjà dit, les relations de fait échouent misérablement dans la deuxième moitié de cette équation. La contribution unique du mariage a été reconnue par le passé par des avantages spéciaux, un statut particulier, des droits, etc., et cela, depuis des siècles. Les relations homosexuelles, les relations d'amitié, les gens qui partagent un logement, etc., tous ces gens-là ont beau partager un toit, un compte en banque, et dans certains cas être extrêmement proches, leur relation n'apporte aucune contribution notable à l'ensemble de la population, à la société.

• 1125

Remarquez que je ne parle pas des personnes, mais bien des relations elles-mêmes. La relation qu'est le mariage apporte une contribution unique à la société, une contribution qui mérite d'être reconnue par la société et par la politique publique. Toutefois, les autres types de relations ne contribuent pas d'une façon notable au bien de la société. Il n'y a pas de procréation, et par définition—je pense ici aux relations homosexuelles en particulier—dans ce type de relations il n'est pas possible d'élever des enfants en leur offrant un modèle de comportement de chaque sexe. Autrement dit, les enfants élevés dans ce genre de situations sont défavorisés. En fait, rien n'indique qu'un enfant élevé dans un foyer homosexuel s'en tire mieux ou soit plus avantagé qu'un enfant élevé par un parent unique. Ces enfants-là sont même défavorisés comparativement aux enfants de couples de fait, puisque là, au moins, l'enfant bénéficie de la présence d'un modèle de chaque sexe.

Il incombe donc à ceux qui souhaitent changer la politique publique, c'est-à-dire le régime d'avantages, de prouver que ces relations apportent une contribution à la société, une contribution qui mérite d'être reconnue par celle-ci au moyen de financement, de protections, etc. Or, ils n'ont pas réussi à le faire. Vous n'avez rien entendu qui vous prouve que ces relations apportent à la société une contribution qui mérite ce type de politique publique.

Enfin, est-ce que la société souhaite voir ces types de relations reconnues? En fait, l'ensemble du public n'a pas du tout cette exigence. Le Parlement n'a pas reçu de pétitions, mais par contre une pétition a été déposée pour réclamer que le Parlement reconnaisse exclusivement les mariages entre un homme et un femme. Cette pétition a été présentée par 84 députés au cours des deux dernières années.

Les homosexuels canadiens n'ont pas non plus revendiqué quoi que ce soit. Considérez les parades des homosexuels. Chaque année, dans tout le pays, des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue à l'occasion de ces parades. Et pourtant, l'organisme EGALE, qui recueille des cartes postales depuis un an, n'a obtenu que 6 500 signatures en faveur de cette initiative. En fait, la plupart des homosexuels veulent qu'on les laisse tranquilles, et ils ne veulent pas du tout qu'on leur impose un statut équivalent au mariage. Ceux qui souhaitent avoir une relation légale quelconque peuvent toujours signer un contrat, mais rien ne justifie qu'on accorde à ces relations la reconnaissance du public, le statut, les droits ou les avantages que cela comporte. En fait, le Parlement a tellement d'autres questions tellement plus importantes à étudier qu'on a du mal à comprendre pourquoi nous perdons du temps à discuter du projet de loi C-23.

À notre avis, les réponses aux questions que j'ai soulevées sont:non, non et non. Nous pensons que le Parlement devrait voter non, lui aussi, et que ce comité devrait recommander le rejet du projet de loi C-23.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Nous donnons maintenant la parole au groupe EGALE.

Mme Kim Vance (présidente, EGALE (Égalité pour les gais et les lesbiennes)): Merci.

Je m'appelle Kim Vance. Je suis présidente du conseil d'administration de l'organisation EGALE. Nous sommes un organisme national avec un conseil d'administration et des membres dans toutes les provinces, régions et territoires du Canada. Personnellement, je viens d'une petite communauté rurale sur la côte de la Nouvelle-Écosse.

EGALE est d'accord avec le projet de loi C-23 et encourage le comité à l'approuver sans apporter d'amendements à l'approche actuelle.

Je vais résumer rapidement ce que vous avez dans votre rapport écrit, car je crois comprendre que vous n'avez pas encore eu l'occasion de le lire.

Ce projet de loi traite d'un grand nombre de questions concrètes, en assurant l'égalité d'accès à l'impôt sur le revenu, aux prestations de retraite et à l'assurance-emploi et en clarifiant les exigences en matière de conflits d'intérêts. Ce qui importe tout autant, cependant, c'est qu'il affirme concrètement que les couples de même sexe ont droit au même traitement que les couples de sexe opposé et que la discrimination contre nos communautés n'est plus moralement ou légalement admissible.

Je pense qu'il est important de noter également, à cet égard, que ce projet de loi porte sur les familles de même sexe, et non pas seulement sur les couples de même sexe. Je pense que cette mesure reflète l'engagement de ce gouvernement envers la famille, qu'elle reconnaît la pluralité des familles canadiennes actuelles, et qu'elle donne les moyens de mettre fin à une discrimination systémique nuisible à la fois aux enfants et aux adultes.

• 1130

En ce qui concerne le contexte historique, les homosexuels et les bisexuels se sont heurtés à toutes sortes d'inégalités qui sont très contraires aux réalisations généralement très positives du Canada sur le plan des droits de la personne. Le projet de loi C-23 contribue à redresser ces inégalités et renforce l'engagement du Canada en ce qui concerne les droits de la personne.

Je tiens à préciser qu'une partie du public canadien continue à croire que nous ne devrions pas avoir les mêmes droits, et je pense qu'il y en aura toujours. Ce n'est pas difficile à comprendre quand on considère le contexte historique et ce qui s'est passé au Canada dans la deuxième moitié du XXe siècle. Nous avons eu des lois qui considéraient les homosexuels comme des malades mentaux. On leur a fait subir des thérapies de conversion. Certaines lois pénales ont criminalisé certaines formes d'expression sexuelle. De plus, jusqu'au début des années 90, les homosexuels et les bisexuels ne pouvaient pas servir ouvertement dans les forces armées. Il est certain qu'une personne élevée dans une telle atmosphère aura beaucoup de mal à se débarrasser de ces préjugés. Toutefois, selon toute évidence, l'opinion publique souhaite, en majorité, qu'on reconnaisse les familles de même sexe.

Nous félicitons tous ceux qui se sont élevés contre ces préjugés au cours des années. D'un autre côté, nous savons que la situation au Canada pendant la deuxième moitié du XXe siècle constitue une petite partie seulement de l'histoire du monde, une histoire extrêmement récente. En Europe, et dans d'autres pays et continents du monde, les homosexuels sont depuis longtemps acceptés et sont un élément de la pluralité de la société.

Actuellement au Canada les gouvernement régionaux, les tribunaux et l'opinion publique sont en train de se mettre d'accord sur ces questions. Pour ces raisons, il importe que le gouvernement fédéral montre l'exemple. En Colombie-Britannique, au Québec et en Ontario de nombreux changements législatifs ont été apportés pour permettre aux couples de même sexe d'avoir les mêmes droits et les mêmes responsabilités que les couples de sexe opposé.

Pendant que ces provinces prennent ces initiatives, comme le gouvernement fédéral n'a pas pris d'initiatives équivalentes, les familles homosexuelles se trouvent dans une situation très difficile. En effet, au niveau provincial on reconnaît qu'elles sont des familles, et elles ont des droits et des obligations à ce titre. Toutefois, lorsqu'il y a chevauchement des responsabilités entre les provinces et le fédéral, le fédéral n'offre pas le même statut. C'est vraiment un problème.

D'autre part, il y a aussi des provinces qui n'ont pris aucune mesure et qui n'ont pas pris beaucoup d'initiatives dans ce sens. Je mentionnerai en particulier une province de ma région, Terre- Neuve, qui a déclaré publiquement qu'elle a l'intention de changer sa législation provinciale pour s'aligner sur la décision M. c. H. au niveau de la cour de l'Ontario et de la Cour suprême, mais jusqu'à présent rien n'a été fait. À mon avis, une initiative de la part du gouvernement fédéral encouragerait les provinces qui sont décidées à agir à le faire plus rapidement.

Sur le plan du droit constitutionnel, nous entendons un double message:pour commencer, d'après la Charte, la discrimination contre les couples de même sexe est interdite. Deuxièmement, ce n'est pas parce qu'on accorde aux couples de même sexe des droits et des responsabilités qu'on empêche le moindrement la formation d'unions hétérosexuelles.

À notre avis, c'est une situation où il est impossible de perdre. Personne n'a rien à perdre dans cette affaire. En fait, depuis que l'organisme EGALE a été créé en 1986, nous sommes convaincus que nous n'avons jamais été directement responsables de la destruction du moindre mariage hétérosexuel.

Enfin, en ce qui concerne le soutien du public et les sondages, nous savons que les deux tiers des Canadiens considèrent que les couples de même sexe devraient être traités de la même façon. Dans notre mémoire, nous expliquons clairement les implications financières d'une telle mesure, mais les membres du comité doivent déjà savoir à quel point ce genre de réforme serait peu coûteuse.

Je passe maintenant la balle à notre directeur général, John.

• 1135

[Français]

M. John Fisher (directeur général, EGALE): Merci, Kim. Kim a énoncé plusieurs raisons pour lesquelles nous devons reconnaître les couples de même sexe de façon égale. Je traiterai brièvement de trois questions qui sont particulièrement pertinentes face à ce projet de loi, à savoir la terminologie, la reconnaissance d'autres relations d'interdépendance et les amendements que nous vous recommandons d'apporter à ce projet de loi.

[Traduction]

J'aimerais discuter pour commencer de la terminologie adoptée par le gouvernement dans le projet de loi C-23. En effet, on a choisi d'utiliser l'expression «conjoint de fait» à la fois dans le cas des relations de fait de même sexe et de sexe opposé. En réalité, un grand nombre de membres de notre groupe, EGALE, considèrent qu'en réservant le terme «époux» aux couples mariés hétérosexuels, on ne traite pas forcément de la même façon et avec la même importance les gens qui ont une relation de même sexe. Ce n'est probablement pas la terminologie qu'EGALE aurait choisie si on l'avait invité à participer à la rédaction de cette loi—et bien que certains députés aient parlé de conspiration dans le National Post, je précise que nous n'avons pas été invités à participer à la rédaction.

Donc, cette terminologie ne nous semble pas idéale, mais, en fin de compte, nous pouvons l'accepter. Contrairement à ce que l'Ontario a fait avec le Bill 5, qui est actuellement, encore une fois, contesté devant la Cour suprême du Canada, cette loi fait une distinction sur le plan du statut marital, et non pas sur le plan de l'orientation sexuelle. L'Ontario a voulu créer une catégorie particulière distincte pour les partenaires de même sexe, en classant tous les autres types de relations dans la catégorie «époux». Cela aurait constitué un traitement différent pour les couples de même sexe, divisant ainsi les Canadiens selon leur orientation sexuelle. Ce projet de loi maintient une distinction entre les couples mariés et les conjoints de fait, et même si cela ne donne pas forcément le même poids dans les deux cas, nous pouvons nous contenter d'une terminologie qui nous met sur un pied d'égalité avec les conjoints de fait de sexe opposé.

Le terme «conjugal» a également provoqué une certaine controverse. Certains ont dit qu'on accordait les avantages sur la base de l'activité sexuelle. Il est évident que ce n'est pas le cas.

Dans sa décision M. c. H., l'année dernière, et dans un certain nombre d'autres décisions, la Cour suprême du Canada donnait une liste de critères qui permettent d'identifier ce qui fait qu'une relation est conjugale. Ce sont des critères comme: le logement partagé, l'engagement émotif, l'organisation des finances, et la façon dont vos voisins, vos connaissances et votre famille vous considèrent. Il est certain que les tribunaux tiendront compte de tous ces facteurs avant d'identifier une relation, qu'elle soit conjugale ou pas. Comme la cour l'a reconnu à cette occasion, il est évident que les relations de même sexe peuvent se rapprocher tout autant de la définition de «conjugal», et pour cette raison nous considérons que cet aspect-là est clair.

EGALE ne voit pas d'objection à ce qu'on reconnaisse des catégories de relations autres que les couples de même sexe, mais estime que c'est un aspect de la politique sociale beaucoup plus complexe, et que le gouvernement est tout à fait justifié de vouloir l'examiner plus avant.

À la page 8 de notre mémoire, nous mentionnons deux ou trois différences entre les relations de même sexe et les autres types de relations d'interdépendance qui justifient un traitement égal des relations de même sexe. Pour commencer, comme nos relations peuvent être et sont de nature conjugale, il y a beaucoup de ressemblance entre nos types de relations et les relations de fait de sexe opposé. Ces mêmes facteurs ne s'appliqueraient pas forcément à d'autres types de relations, comme deux femmes âgées qui vivent ensemble, les oncles et les tantes, ou même les gens qui partagent un logement ou les locataires, comme certains l'ont dit.

Deuxièmement, il y a la question dont Kim a déjà parlé. Les gais et lesbiennes ont été victimes de discrimination partout dans la société canadienne, et le gouvernement doit prendre la responsabilité de s'assurer qu'il ne renforce pas la discrimination par le maintien de lois discriminatoires. Il n'est pas évident que des frères, par exemple, ont été victimes de discrimination parce qu'ils étaient frères, et cela ne soulève pas les mêmes préoccupations constitutionnelles au sujet du respect du droit à l'égalité conféré par la Charte des droits et libertés. Le gouvernement a choisi de remédier par voie législative à des atteintes précises à ses lois.

Enfin, depuis des années que nous plaidons en faveur de l'égalité, nous avons constaté l'émergence d'un consensus au sein des communautés lesbiennes, gaies et bisexuelles au sujet de la nécessité de l'égalité de traitement. À titre de directeur général d'EGALE, c'est un message que je reçois constamment. Je suis allé dans chacune des provinces et territoires du pays. Partout où je suis allé, j'ai constaté que les gais, les lesbiennes et les bisexuels veulent un traitement égal, et la fin des lois discriminatoires. D'autres prétendent connaître les souhaits des communautés lesbiennes, gaies et bisexuelles mieux que nous-mêmes; ce n'est pourtant pas ce que j'ai constaté.

• 1140

Il n'est pas évident, par exemple, que les tantes, les oncles et d'autres types de relations apparentées veulent être assujettis aux responsabilités qu'apporte la reconnaissance d'une relation qui pourrait être voulue par des colocataires—par exemple, des obligations de soutien si l'un quitte le logement partagé. Il faudra examiner davantage cette question.

Voilà nos commentaires globaux sur le projet de loi. Nous l'appuyons dans sa forme actuelle. Nous répondrons volontiers aux questions plus précises que vous nous poserez tantôt. Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Pour les sept premières minutes, monsieur Lowther.

M. Eric Lowther (Calgary-Centre, Réf.): Merci, monsieur Scott.

Ma question s'adresse à Mme Bailey. Vous avez affirmé que le projet de loi C-23 ne touchait pas le mariage, que c'est une question distincte. Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, les avantages sont distincts du mariage. J'aimerais pourtant que vous nous disiez si vous trouvez dans ce projet de loi quelque chose qui est distinct pour le mariage qui n'est pas aussi accordé à deux homosexuels qui vivent ensemble depuis un an.

Mme Martha Bailey: Je ne me suis probablement pas bien exprimée. Ce que je voulais dire, c'est que le statut du mariage est distinct de la question des avantages et obligations traditionnellement associés au mariage. Ce projet de loi se rapporte aux avantages et obligations traditionnellement associés au mariage, et il les confère aussi aux couples homosexuels non mariés.

M. Eric Lowther: Y a-t-il dans ce projet de loi des avantages et obligations particuliers au mariage qui sont exclus pour les couples de même sexe?

Mme Martha Bailey: Ce que je veux dire, c'est que ce projet de loi ne modifie pas la définition du mariage ni nos lois se rapportant au statut du mariage.

M. Eric Lowther: Ce que j'essaie de dire, c'est qu'en vous écoutant, il semblait que le mariage était distinct. C'est ce que vous avez dit. Pourtant, dans ce projet de loi, du point de vue des politiques, il n'y a rien de distinct pour le mariage.

Mme Martha Bailey: Désolée, je ne me suis pas exprimée clairement. Ce que je voulais dire, c'est que le statut du mariage est distinct des avantages et obligations qui y sont associés et que ce projet de loi porte sur les avantages et obligations, qui sont aussi conférés aux couples non mariés.

M. Eric Lowther: Pourrait-on dire que ce projet de loi fait une distinction pour les mariages de manière théorique uniquement?

Mme Martha Bailey: Monsieur, je ne prétends pas que ce projet de loi fait une distinction particulière pour le mariage. Ce que j'ai dit, c'est que ce projet de loi porte sur les avantages et obligations, et non sur le statut du mariage.

M. Eric Lowther: Madame Bailey, diriez-vous que deux hommes qui vivent ensemble pendant un an et qui ont une relation homosexuelle constituent une famille?

Mme Martha Bailey: Je ne vois pas comment votre question se rapporte au projet de loi C-23.

M. Eric Lowther: C'est pourtant ce que dit le projet de loi.

Laissez-moi vous poser une autre question.

Mme Martha Bailey: Pardon, mais de quelle disposition parlez-vous?

M. Eric Lowther: On pourrait parler de la modification apportée à la Loi de l'impôt sur le revenu, dans laquelle la «famille» ne se définissait pas comme la relation entre deux personnes du même sexe qui cohabitent pendant un an et qui ont des relations sexuelles; la définition change maintenant avec le projet de loi C-23.

Si vous voulez savoir exactement de quelle disposition il s'agit, vous n'avez qu'à prendre l'article 134, par exemple.

La notion de «personnes liées» a également changé. Autrefois, on définissait la «personne liée» comme celui qui était adopté ou apparenté par le sang ou par alliance; or, le sens a maintenant changé et inclut désormais deux personnes qui cohabitent pendant un an et qui vivent en union conjugale, même si le débat continue à faire rage sur ce que l'on entend par là.

Vous comprenez que le projet de loi cherche à entériner des notions différentes. C'est ce qui explique ma question. Vous nous avez expliqué ce qui vous préoccupait dans le droit familial. Considérez-vous que deux hommes qui cohabitent pendant un an dans une relation homosexuelle forment une famille?

Mme Martha Bailey: Je vais vous parler d'un point de vue juridique.

• 1145

Généralement parlant, les termes et expressions «famille», «conjoint», «partenaire», «personne liée», «personne à charge», «enfant», «parent», etc., s'utilisent dans beaucoup de contextes différents, et tout dépend du contexte dans lequel vous voulez vous situer—toujours du point de vue juridique.

D'après ce que je comprends du projet de loi, il vise à appliquer certains avantages et certaines obligations à des unions entre des gens du même sexe. D'un point de vue extra-juridique, il est tout à fait possible qu'un couple de personnes du même sexe forme une famille. D'un point de vue juridique, et pour certaines fins, les avantages et les obligations qui ont traditionnellement été réservés au mariage s'appliquent à eux. C'est à vous de décider ce que cela peut avoir comme conséquences du point de vue juridique, mais à mon avis les choses sont distinctes.

M. Eric Lowther: Pensez-vous que ceux qui n'ont pas de lien d'ordre sexuel pourraient voir le projet de loi s'appliquer à eux?

Mme Martha Bailey: Vous voulez savoir si l'expression «union de fait» s'applique à eux?

M. Eric Lowther: Oui.

Mme Martha Bailey: Je pense que le projet de loi vise à appliquer aux couples qui vivent une relation conjugale les avantages et les obligations des lois du Canada; je crois qu'on a déjà signalé que pour décider si des gens vivent une situation assimilable à une union conjugale, on ne tient pas uniquement compte de la nature sexuelle du lien qui les unit.

À mon avis, le projet de loi n'est pas censé s'appliquer à l'autre catégorie de liens dont j'ai déjà parlé, comme les liens existant entre une mère et sa fille adulte, qui peuvent dépendre l'une de l'autre du point de vue économique, mais qui n'ont pas de liens conjugaux. Personne ne les considérerait comme un couple. Je ne crois pas que le projet de loi vise cette catégorie de personnes, dans la mesure où c'est ce que vous voulez savoir.

M. Eric Lowther: Monsieur le président, me permettez-vous de poser une question à M. Fisher?

Vous avez parlé de la théorie de la conspiration, ou de quelque chose comme cela. Comme je n'ai jamais dit cela, je ne sais pas de quels députés vous parlez qui auraient pu dire cela. Mais j'aimerais interroger les témoins au sujet d'une information particulière et confidentielle dont ils auraient eu vent et dont je n'aurais pas eu vent personnellement, comme député. C'est du moins ce qui me semble être le cas. On pourra peut-être me donner des explications.

J'ai déposé auprès du comité un message électronique qui a été envoyé une bonne heure avant que le projet de loi ne soit déposé au Parlement et qui donnait une analyse très détaillée du projet de loi et utilisait des termes qui n'auraient pu être connus que de quelqu'un ayant pris part à la réflexion menant au projet de loi. Comment est-il possible que quelqu'un connaisse aussi bien le texte d'un futur projet de loi avant même qu'il ne soit déposé au Parlement? Comment se peut-il que EGALE ait su tout cela?

M. Svend J. Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Avant que M. Fischer ne réponde, j'invoque le Règlement, mais sans vouloir priver M. Lowther de son temps de parole. M. Lowther a fait savoir qu'il déposerait trois documents dont il a parlé. Le greffier ne m'a fait parvenir copies que de deux de ces documents. M. Lowther est-il disposé à déposer le troisième document, dans la mesure où il l'a en main?

M. Eric Lowther: Mais certainement, je l'ai ici sous la main, et ce sera avec plaisir que je le remettrai au greffier.

M. Svend Robinson: Merci.

M. John Fisher: Je suis ravi de pouvoir répondre à cette question et que M. Lowther en ait parlé, parce que je sais qu'il a dit à la Chambre des communes ainsi qu'à la ministre de la Justice, en comité, des choses qui ne correspondent pas tout à fait à la réalité, et je suis donc ravi de pouvoir rétablir les faits.

J'ai effectivement envoyé un courrier électronique l'après- midi du jour où le projet de loi a été déposé, c'est-à-dire le vendredi 11 février vers midi. J'ai affiché une analyse—que je ne prétendrais pas détaillée—du projet de loi deux heures plus tard, vers 14 heures, heure normale de l'Est, sur le babillard électronique national d'EGALE. Nous avons une table ronde électronique publique à laquelle tout le monde peut avoir accès au Canada afin de permettre la discussion sur des sujets d'actualité pour les lesbiennes, les homosexuels et les bisexuels.

Lorsque j'envoie ainsi un courriel, il transite par notre serveur de liste, qui est situé en Colombie-Britannique, après quoi il est transmis à tous les membres qui figurent sur notre liste dans tout le Canada.

J'ai ici le texte de ce courrier électronique que j'ai donc envoyé ce jour-là. L'heure à laquelle il a été expédié, et qui est exactement celle qui était affichée par mon ordinateur, est 14 heures et trois minutes. J'ai vu le texte du document que M. Lowther a déposé au comité, et on peut y voir qu'il a été transmis vers 11 heures, heure normale du Pacifique, comme on peut le voir.

Il y a deux explications à cela. D'une part, lorsque le message est transmis par notre serveur en Colombie-Britannique, celui-ci affiche l'heure de transmission. D'autre part, lorsque le destinataire reçoit le message, l'heure à laquelle le message est imprimé par le destinataire apparaît en heure locale. Par conséquent, si quelqu'un a imprimé le message en Colombie- Britannique, c'est cette heure-là qui y sera mentionnée.

J'espère que cette explication aura dissipé tout malentendu. Il est évident qu'EGALE n'a pas eu copie du projet de loi avant son dépôt. Nous l'avons bien reçu, comme n'importe qui, aussitôt qu'il a été déposé.

• 1150

Environ une heure après l'avoir reçu, nous avons eu une conférence téléphonique avec plusieurs experts du bureau d'EGALE. J'ai apporté quelques modifications au modèle général que j'avais préparé, après quoi nous l'avons envoyé aux autres.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Ménard.

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Monsieur le président, il est possible que je n'utilise pas la totalité de mes sept minutes parce que je dois faire un discours à midi sur la motion du NPD. Pourrais-je reporter le temps qu'il me restera au deuxième tour? Sinon, je le cède à Svend, mais je préférerais l'utiliser au deuxième tour parce que je dois parler en faveur de la motion du NPD en Chambre, à midi.

Je vais commencer par M. Stock. Monsieur Stock, je ne sais pas si votre coalition compte certains membres du Québec. Vous nous avez parlé de chapitres et de sept provinces. Est-ce que vous avez des membres au Québec?

[Traduction]

M. Peter Stock: C'est ce que nous faisons, en effet.

[Français]

M. Réal Ménard: Il serait heureux de le déposer. D'abord, il y a quelque chose qui m'a un peu séduit dans votre témoignage. Vous parliez comme quelqu'un qui représentait un point de vue hétérosexuel, mais j'ai eu l'impression que vous aviez la délicatesse, à un moment donné, de vous placer à l'intérieur de la communauté, puisque vous disiez que la communauté était opposée à ce projet de loi. À mon point de vue, c'était vraiment très erroné. D'abord, il n'y a pas seulement EGALE; il y a aussi une coalition d'une trentaine d'organismes au Québec. J'ai moi-même déposé quatre projets de loi, et j'ai été élu en 1993 et réélu en 1997 en étant ouvertement gai. Je crois vraiment qu'il y a un courant de fond dans la société québécoise, ainsi que dans la société canadienne.

Pour votre consolation personnelle, je serais heureux d'en discuter en détail avec vous si jamais cela nous était permis. Un sondage a été fait non pas par le Bloc québécois, le NPD ou le Parti réformiste, mais par le ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration du Québec en janvier 1998. C'est donc un sondage assez récent. Les résultats de ce sondage indiquent que 70 p. 100 des Québécois sont favorables à la reconnaissance des conjoints de même sexe.

Nous, les partis politiques, quand on a 70 p. 100 des intentions de vote, c'est un orgasme politique étant donné que cela n'arrive pas souvent. Imaginez-vous ce que c'est que 70 p. 100 des Québécois et des Québécoises. Ça veut dire des gens de tous les milieux: du milieu rural et du milieu urbain, des jeunes et des moins jeunes.

Monsieur le président, je poserai mes deux questions avant d'aller faire mon discours. Bien que votre point de vue m'ait séduit, j'ai été un peu déçu quand vous avez affirmé que l'unique but du mariage était la procréation et que les couples homosexuels—vous avez fait la distinction non pas sur une base individuelle, mais sur la base du couple—n'apportaient rien à la société. Je crois que c'est une affirmation que vous auriez intérêt à revoir. Je ne crois pas que les couples homosexuels participent différemment des couples hétérosexuels à la société québécoise ou à la société canadienne. Comme on vit dans une société où le taux de reproduction est de 2,1 p. 100, il y a de bonnes chances que beaucoup de couples de la société canadienne ou de la société québécoise n'aient pas d'enfants. Je ne pense pas que la qualité de leur engagement ou de leur contribution à la société canadienne soit moins intéressante.

Êtes-vous prêt à vous laisser influencer dans ce sens-là?

[Traduction]

M. Peter Stock: Je vous remercie. Vous avez mentionné plusieurs choses, et j'aimerais, j'imagine, les aborder à mon tour dans un certain ordre.

Pour commencer, le fait que vous siégiez ici, comme vous l'avez dit, parce que vous avez été élu au Parlement, atteste assez clairement le fait que les Canadiens ne font pas de discrimination pour des raisons d'affinité sexuelle. Vous avez été légitimement élu—M. Robinson aussi, et d'autres encore—et je pense que cela montre fort bien que les Canadiens sont objectifs et équitables dans leur jugement. Ils doivent avoir la conviction que vous êtes le meilleur candidat pour représenter la circonscription, sans quoi ils ne vous auraient pas élu. Je pense que c'est clair, et à mon sens cela n'a rien à voir...

M. Réal Ménard: Je suis d'accord avec vous.

M. Peter Stock: N'est-ce pas?

Pour ce qui est des sondages, il y en a de toutes sortes, et les questions qui sont posées sont très variées. Je pense néanmoins pouvoir classer les sondages de deux façons. Il y a les sondages au sujet de l'égalité—tout le monde doit-il être traité de la même façon? Ici encore, je crois que la majorité des Canadiens ont le sentiment que tous leurs compatriotes doivent être traités de la même façon en tant que personnes. Dans tous les sondages que j'ai pu voir, je pense que cela est tout à fait manifeste, et je pense que vous en conviendrez.

Par contre, lorsqu'on pose au répondant des questions plus précises au sujet du mariage entre homosexuels et de l'adoption par des homosexuels, les chiffres que j'ai pu voir—et il y a de nombreux sondages qui l'attestent...

[Français]

M. Réal Ménard: Êtes-vous d'accord que, comme le disait la professeure Bailey, ce projet de loi ne touche pas du tout la question du mariage ou de l'adoption?

[Traduction]

M. Peter Stock: En effet, et je n'ai pas vu votre sondage, mais ce que je veux vous dire, c'est que lorsqu'on pose une question très précise au sujet du mariage entre homosexuels et de l'adoption par des homosexuels, une vaste majorité des Canadiens—entre 66 et 75 p. 100 chaque fois, encore aujourd'hui—répondent qu'ils sont contre le fait que cela soit sanctionné par une politique de l'État.

• 1155

À mon sens donc, ce dont vous parlez ici n'est pas le tableau complet. Nous partons du principe que ce projet de loi, le projet de loi C-23, parle bien du mariage entre homosexuels. Il ne dit pas que deux hommes peuvent se marier, du moins pas de façon précise, mais il confère tous les droits, avantages et obligations du mariage à ces autres types d'unions, et c'est cela qui nous pose problème.

[Français]

M. Réal Ménard: Je regrette d'être en désaccord avec vous. Je vous invite à garder en tête votre réponse. Je dois aller en Chambre faire un discours au sujet de la motion du NPD, mais je vais revenir.

M. Svend Robinson: Il va appuyer notre motion.

M. Réal Ménard: Oui, j'y vais pour appuyer la motion du NPD. Excusez-moi, mais je vais revenir. Gardez-moi mon temps pour que je puisse reprendre la parole.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Ménard. La générosité dont M. Ménard fait preuve à l'endroit du NPD se limitera toutefois à l'enceinte de la Chambre et ne viendra pas pour autant bonifier votre temps de parole.

Monsieur Robinson, vous avez sept minutes.

M. Svend Robinson: Monsieur le président, je ne vais pas poursuivre dans le même sens que M. Ménard lorsqu'il parlait de séduction et d'orgasmes...

Une voix: Dieu merci!

M. Svend Robinson: ... mais je voudrais néanmoins approfondir une ou deux questions qui ont été posées à la fois par M. Lowther et par M. Ménard.

Je voudrais bien entendu remercier EGALE pour l'excellent travail que cet organisme a abattu depuis plusieurs années pour promouvoir la cause de l'égalité pour les homosexuels et les lesbiennes en tant que personnes, en tant que couples et en tant que familles. Je voudrais rappeler cela pour mémoire. Le fait que le Parlement soit actuellement saisi de cette mesure législative est le témoignage, et non des moindres, du dévouement et de l'engagement dont EGALE a fait preuve dans ce domaine.

J'imagine également qu'EGALE se sentirait un peu plus à l'aise avec la redéfinition du terme conjoint qui figure dans le projet de loi réformiste, le projet de loi C-223, lequel redéfinit effectivement la notion de conjoint en y incluant les unions entre homosexuels et entre lesbiennes, tout comme les unions de fait entre hétérosexuels. À cet égard, les Libéraux au pouvoir ne sont pas allés tout à fait aussi loin que le whip réformiste, M. Hill, mais peut-être cela viendra-t-il un jour.

S'agissant du témoignage de M. Stock, je voudrais simplement faire valoir une ou deux choses. Je pense qu'il est important d'être précis, monsieur Stock, lorsqu'on vient témoigner. Vous avez relevé qu'environ 86 députés ont déposé des pétitions au sujet de ce projet de loi.

M. Peter Stock: Non, j'ai dit qu'il s'agissait de pétitions concernant le mariage.

M. Svend Robinson: En réalité, les pétitions qui ont ainsi été déposées affirmaient qu'il ne fallait pas redéfinir le mariage. Je les ai lues. Elles disent ceci: «Ne redéfinissez pas le mariage. Le mariage est l'union de...» Le projet de loi ne redéfinit pas le mariage, de sorte que ces pétitions n'ont rien à voir. Il s'agit en l'occurrence d'une autre discussion que nous pourrions tenir à un autre moment, mais ces pétitions n'ont absolument rien à voir avec le projet de loi.

Je voudrais également répliquer à quelque chose d'autre que vous avez dit, et j'en ai d'ailleurs pris note. Vous dites que les unions de fait ne devraient pas être sanctionnées par une politique de l'État. J'imagine donc que vous invalideriez du même coup les avantages ou les obligations qui sont actuellement associés aux hétérosexuels en union de fait.

M. Peter Stock: Permettez-moi de bien préciser ce qu'il en est. Non, je n'annulerais pas les avantages et les obligations associés à la responsabilité de parents de ces gens-là, mais je le ferais assurément pour ce qui est de la relation de couple entre ces personnes.

M. Svend Robinson: Vous annuleriez tout cela?

M. Peter Stock: Certainement.

M. Svend Robinson: Vous refuseriez donc par exemple les prestations de pension.

M. Peter Stock: En effet. Une pension est un droit individuel, et cela ne pose pas problème.

M. Svend Robinson: Mais vous supprimeriez les prestations au conjoint survivant, par exemple, pour les hétérosexuels en union de fait.

M. Peter Stock: Oui, mais nous affirmons toutefois que ces gens ont toujours le loisir de se marier, et qu'ils n'ont qu'à le faire. Nous voulons que cette institution qu'est le mariage soit une institution stable.

M. Svend Robinson: Mais votre coalition a pour principe que les hétérosexuels en union de fait ne devraient pas bénéficier de la rente de conjoint survivant.

M. Peter Stock: En réalité, notre coalition a pour principe d'appuyer l'institution du mariage et de la placer au-dessus des unions de fait.

M. Svend Robinson: Mais vous refuseriez cette prestation. Je voulais simplement que cela soit clairement dit.

M. Peter Stock: En effet.

M. Svend Robinson: Admettons.

S'agissant maintenant des autres prestations et avantages, vous avez ménagé une petite exception dans les cas où il y a des enfants, n'est-ce pas?

M. Peter Stock: J'ai dit que s'il y a des enfants et s'il y a des obligations ou des avantages, par exemple la prestation fiscale pour enfants, cela devrait bien entendu continuer à s'appliquer dans le cas des parents légitimes de ces enfants, mais pas aux couples.

M. Svend Robinson: Cela devrait s'appliquer aux parents légitimes des enfants.

M. Peter Stock: Bien entendu.

M. Svend Robinson: Je vois. Mais que se passe-t-il dans le cas d'un enfant qui est élevé seulement par son père ou par sa mère? Ces derniers auraient-ils quand même droit selon vous à ces prestations?

M. Peter Stock: Oui, étant donné qu'ils ont des enfants, ils devraient y avoir droit, absolument.

M. Svend Robinson: Et s'il y a deux pères ou deux mères?

M. Peter Stock: Il y a toujours dans ces cas-là un parent légitime, et c'est ce parent-là qui devrait avoir droit aux avantages prévus pour celui qui élève un enfant.

M. Svend Robinson: Vous accorderiez donc ces avantages dans ces cas-là aussi.

M. Peter Stock: Oui.

M. Svend Robinson: Je voudrais maintenant interroger Mme Bailey sur deux points. Le premier est la question de la relation conjugale. Cette question s'inscrit d'ailleurs dans le droit fil de celle de M. Lowther. M. Lowther a demandé s'il était possible de reconnaître qu'il y a relation conjugale même s'il n'y a pas de relations sexuelles. Mme Bailey sait, je n'en doute pas, que cette question a déjà été tranchée par les tribunaux dans l'affaire M. c. H. D'ailleurs, le tribunal a dit ceci, et je cite:

    Il est certain qu'après plusieurs années de vie commune les membres de sexe opposé d'un couple peuvent être considérés comme ayant une relation conjugale même s'ils n'ont pas eu d'enfants ni n'ont de relations sexuelles.

• 1200

Le tribunal poursuit en disant qu'il doit en être de même pour les couples de même sexe, en ce sens que pour qu'il y ait relation conjugale il doit y avoir un certain nombre d'éléments distincts. J'en conclus donc, madame, que vous en conviendriez et qu'il s'agit là d'une représentation fidèle de la question?

Mme Martha Bailey: Effectivement.

M. Svend Robinson: Monsieur le président, j'aurais une autre question à poser à Mme Bailey. Elle nous a dit qu'il serait peut- être nécessaire, voire utile, de modifier le projet de loi en y ajoutant les dispositions relatives aux relations consanguines qu'on trouve dans la Loi sur le mariage, en ce sens qu'elles s'appliquent également aux unions de fait. Je pense que c'est cela qu'elle nous a dit. Cela m'interloque un peu parce que je ne suis pas certain que cela soit nécessaire, étant donné que certaines unions hétérosexuelles de fait ont été, dans certains cas, reconnues comme telles depuis déjà 40 ans. Plus récemment, c'est vrai, cela est devenu plus courant. Mais que je sache, il n'a jamais été question, lorsqu'on reconnaissait ces unions hétérosexuelles de fait, de reconnaître du même tenant les relations incestueuses ou la polygamie par exemple. Pourquoi donc avoir dit cela?

Mme Martha Bailey: Vous avez raison. Le problème ne s'est pas posé dans le cas des unions hétérosexuelles où il y avait cohabitation. Autant que je sache, le problème ne s'est jamais présenté. Ces deux questions de phraséologie que j'ai présentées sont donc assez mineures, et je ne pense pas qu'elles posent effectivement problème. J'en ai parlé simplement parce que la plupart des autres instances le signalent, de sorte que nous voudrions peut-être leur emboîter le pas.

M. Svend Robinson: Mais vous en convenez, cela n'a pas posé problème ici.

Mme Martha Bailey: Je suis d'accord avec vous à 100 p. 100, le problème ne s'est pas posé au Canada. C'est donc quelque chose de très mineur que je faisais valoir ici.

M. Svend Robinson: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Robinson.

Je cède maintenant la parole à M. DeVillers, qui va, je crois, partager son temps d'intervention avec M. McKay.

M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Parfait. J'aurais une ou deux petites questions à poser à M. Stock, avec qui j'aime toujours beaucoup dialoguer. Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de nous affronter à Simcoe-Nord pendant des assemblées publiques préélectorales alors qu'il était candidat réformiste. Nous avons donc toujours beaucoup aimé nous mesurer ainsi.

J'aurais une question au sujet de ces pétitions dont M. Stock a parlé, et sur lesquelles M. Robinson est également intervenu, lorsqu'on se demandait si ces pétitions portaient par exemple vraiment sur le mariage. Je voudrais également souligner autre chose, c'est-à-dire que les députés qui présentent des pétitions ne sont pas nécessairement d'accord avec les pétitionnaires. Je pense qu'il serait donc dangereux d'interpréter cela comme une indication de la demande. Vous savez que certains députés, moi-même par exemple, déposent toutes les pétitions qui leur sont remises par leurs électeurs?

M. Peter Stock: En effet, monsieur DeVillers. Je ne voulais par mes propos nullement porter à penser que les députés eux-mêmes souscrivaient à ces pétitions, mais simplement signaler que cette opinion est appuyée un peu partout au Canada. Il est clair qu'il y a, dans 84 circonscriptions différentes, au moins 25 personnes, parfois plus, qui soutiennent que le mariage doit être l'union d'un homme et d'une femme et qui expriment cette opinion sous l'angle du droit.

M. Paul DeVillers: Je vous remercie, monsieur Stock.

Vous avez également dit dans votre intervention que les unions de fait, entre conjoints de même sexe ou de sexe opposé, n'ont aucune valeur pour la société et qu'elles ne devraient donc pas être sanctionnées par une politique de l'État. Sur quoi vous basez- vous pour arriver à cette conclusion?

M. Peter Stock: Nous parlons ici de deux types d'unions différents. Tout d'abord, nous avons parlé de façon assez détaillée de l'union de fait, et je conçois que d'autres témoins ont également mentionné la chose. Mais ici encore, il s'agit du fait que les unions hétérosexuelles de fait sont foncièrement instables dès lors qu'il s'agit d'élever des enfants. Statistique Canada l'a montré à l'évidence, près des deux tiers de ces unions se terminent avant que l'enfant qui en est issu atteigne l'âge de 10 ans, ce qui est une véritable catastrophe pour les enfants. En d'autres termes, nous parlons ici de familles éclatées.

M. Paul DeVillers: Mais le critère est...

M. Peter Stock: La stabilité de la famille.

M. Paul DeVillers: ... la permanence de l'union.

M. Peter Stock: En effet.

M. Paul DeVillers: Parce que c'est cela, le critère que vous utilisez...

M. Peter Stock: C'est une valeur statistique identifiable et mesurable que nous pouvons utiliser.

M. Paul DeVillers: Mais c'est le seul repère que vous utilisez pour mesurer la valeur qu'une union a pour la société?

M. Peter Stock: Pour la société, oui.

M. Paul DeVillers: Sa permanence?

M. Peter Stock: Pour la société, oui. C'est un critère primordial, mais ce n'est pas le seul.

• 1205

M. Paul DeVillers: Le troisième élément que vous faites valoir est qu'il n'y a pas de demande de la part de la population. Mme Bailey a mentionné le jugement de la Cour suprême et les implications de ce jugement sous l'angle de la Charte des droits. Mais vous n'interprétez pas cela comme une demande, dans la mesure où il s'agirait de quelque chose dont le Parlement devrait se saisir afin d'aligner la loi sur les critères prescrits par la Charte? Faites-vous le parallèle en concluant que le Parlement doit se saisir de la question?

M. Peter Stock: Effectivement, il pourrait être parfaitement pertinent que le Parlement se saisisse de ces jugements et dise que les tribunaux ont tort et n'ont pas à s'occuper de politique sociale, ce qui est précisément ce qu'ils essaient de faire.

M. Paul DeVillers: Mais si je vous comprends bien, vous me dites que ce serait une perte de temps de le faire, parce que ce n'est pas ce que le public exige.

M. Peter Stock: C'est exact.

M. Paul DeVillers: Peu importe que les tribunaux, eux, l'aient exigé...

M. Peter Stock: Certains tribunaux.

M. Paul DeVillers: Quelle que soit votre position à ce sujet, je pense que c'est un dossier dont le Parlement a légitimement à s'occuper. Êtes-vous d'accord?

M. Peter Stock: Non, au contraire.

M. Paul DeVillers: Fort bien.

M. Peter Stock: L'affaire M. c. H. était de compétence provinciale. C'était une cause extrêmement précise et extrêmement circonscrite, et il se peut qu'elle ait des répercussions au niveau de la loi fédérale si ce jugement est respecté sous sa forme actuelle. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le Parlement doive s'en saisir. Pas du tout.

M. Svend Robinson: Nous ne pouvons tout de même pas ignorer la Cour suprême du Canada.

M. Paul DeVillers: Ma dernière intervention concerne votre affirmation que les homosexuels veulent qu'on les laisse tranquilles. Je me demande ce qui vous permet de dire cela et quelles sont les recherches que vous avez conduites qui vous permettent de l'affirmer.

M. Peter Stock: Je disais que la vaste majorité des homosexuels veulent qu'on les laisse tranquilles, que la vaste majorité des homosexuels ont ou bien refusé de réclamer cette loi, ou bien n'ont pas été consultés à ce sujet, et, chose certaine, ne semblent pas l'avoir été. En fait, il n'y a que 6 500 personnes dans toute la population du Canada qui semblent tenir à cette loi, et, à mon avis, c'est très peu de monde. Le Parlement a reçu des pétitions qui comptaient 300 000 noms. Notre organisation en a fait circuler une sur la pédopornographie. Que fait le Parlement à ce sujet? Je ne veux pas savoir ce que la ministre de la Justice fait devant les tribunaux; je veux savoir ce que le Parlement fait à ce sujet.

M. Paul DeVillers: Ici, c'est nous qui posons des questions aux témoins.

M. Peter Stock: Ma question était strictement pour la forme, monsieur DeVillers.

M. Paul DeVillers: Votre affirmation est donc basée sur votre interprétation des sondages. Sur quoi vous fondez-vous pour dire que la majorité des homosexuels veulent qu'on les laisse tranquilles?

M. Peter Stock: Mon interprétation se fonde sur les instances qui ont été faites au Parlement. Comme je l'ai dit, il n'y a que 6 500 personnes qui ont exprimé le désir, sous une forme ou une autre, de voir cette loi votée; un point, c'est tout.

M. Paul DeVillers: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur McKay, vous avez deux minutes.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): J'allais dire qu'il ne m'avait laissé qu'environ 15 secondes.

M. Paul DeVillers: On n'a pas parlé de partage égal.

M. John McKay: J'attendrai le prochain tour, et si je peux alors obtenir deux minutes supplémentaires, j'aurai assez de temps pour poser une question.

Le président: Ce qui me donne deux minutes pour dire que si j'ai une journée de congé lors de la prochaine campagne fédérale, je pense que j'irai à Orillia pour y observer la campagne. C'est très intéressant.

Monsieur Lowther.

M. Eric Lowther: Merci.

Le gouvernement fédéral dit qu'il propose le projet de loi C-23 entre autres parce que les tribunaux lui ont ordonné de le faire. L'une des causes que le gouvernement cite ici est l'arrêt Rosenberg de la Cour d'appel de l'Ontario du 23 avril 1998. Comme vous le savez, l'arrêt contenait une définition de conjoint du même sexe. C'était la définition de conjoint du même sexe que l'on retrouve dans la Loi fédérale de l'impôt sur le revenu.

Une question s'est posée relativement à une note qui a été citée à la période des questions et qui avait été préparée pour la ministre de la Justice après que l'arrêt Rosenberg a été rendu. La note disait que des fonctionnaires recommanderaient que l'on demande l'autorisation d'interjeter appel dans cette affaire. Vous vous étiez déjà entendu avec EGALE pour en consulter les dirigeants avant de décider si vous demanderiez l'autorisation ou non. Le ministère de la Justice défendait cette loi devant les tribunaux, et selon le site Web d'EGALE, et je cite:

    EGALE a organisé une coalition de 13 groupes différents voués à l'égalité pour intervenir devant la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire SCFP & Rosenberg c. le Canada et appuyer l'octroi des prestations de retraite au conjoint du même sexe, et le mouvement a réussi à convaincre le gouvernement fédéral de ne pas en appeler du jugement;

    EGALE a rencontré la ministre de la Justice, Mme Anne McLellan, pour discuter de stratégies permettant de reconnaître les relations de même sexe.

Ma question, monsieur le président, et elle s'adresse au témoin d'EGALE, est la suivante: pouvez-vous nous expliquer comment EGALE peut dire qu'il a réussi à convaincre le gouvernement fédéral de ne pas en appeler de l'arrêt Rosenberg?

M. John Fisher: C'est très clair. L'accord, si je comprends bien la teneur de l'aide-mémoire, était un accord prévoyant une consultation, et rien de plus. Le ministère et la ministre étaient d'accord pour entendre les avis d'EGALE. EGALE a pour fonction d'exercer des pressions sur le gouvernement, et le gouvernement a pour fonction de tenir des consultations publiques. Un accord de consultation n'est rien de plus qu'un accord qui nous permet de nous faire entendre.

• 1210

Nous faisons part régulièrement de nos avis aux députés et aux responsables de tous les partis politiques, et nous espérons qu'une partie des choses que nous avons à dire paraisse raisonnable de temps en temps. Si des députés fédéraux en particulier sont amenés à épouser les arguments généraux que nous faisons valoir pour établir l'égalité, alors nous jouons notre rôle. À vous entendre, c'est exclusivement par suite des instances d'EGALE que la ministre a décidé de ne pas en appeler du jugement, ce à quoi je réponds que ce serait bien si c'était aussi facile.

M. Eric Lowther: Mais si je peux citer votre site Internet, il ne parle pas de consultation. Il dit:

    EGALE a rencontré la ministre de la Justice, Mme Anne McLellan, pour discuter de stratégies permettant de reconnaître les relations de même sexe.

M. John Fisher: Nous rencontrons des députés de tous les partis et un certain nombre de ministres fédéraux pour parler de stratégies et exposer nos positions et nos vues sur ce que nous aimerions voir le gouvernement faire.

M. Eric Lowther: La ministre n'est-elle pas en conflit d'intérêts lorsqu'elle consulte un lobby particulier sur une affaire qui pourrait faire l'objet d'un appel pour confirmer ou affirmer la loi fédérale?

M. John Fisher: Je ne pense pas que ce soit un conflit d'intérêts pour la ministre de vouloir entendre les vues d'EGALE ou de tout autre groupe de la société canadienne sur les différentes options qui s'offrent à elle. Je devrais préciser qu'EGALE n'était pas partie prenante dans la procédure, mais n'était qu'un intervenant devant la cour au sein d'une coalition de 12 autres groupes, comme je l'ai dit tout à l'heure.

En même temps, nous n'avons fait qu'exposer nos vues à la ministre, qu'elle était libre d'accepter ou de rejeter.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur McKay, vous avez trois minutes.

M. John McKay: Ma question s'adresse à Mme Bailey. Lors de sa comparution au début de la semaine, la ministre nous a dit qu'il n'était pas question de changer la définition de «mariage», et qu'il n'y avait aucun pays dans le monde qui reconnaissait les mariages entre personnes du même sexe, et ce genre de choses. Nous venons d'entendre votre échange avec M. Lowther. Vous estimez que ce projet de loi ne change rien au statut du mariage, alors que lui estime qu'il modifie bel et bien le contenu du mariage, faisant d'autres relations pratiquement l'équivalent d'un mariage.

Étant donné que la fondation juridique du mariage pour le gouvernement fédéral repose sur une décision qui remonte à 150 ans, que c'est une loi édictée par des juges—et ce que les juges font, ils peuvent le défaire—et qu'une contestation au nom de la Charte est pratiquement inéluctable, estimez-vous que le Parlement, en même temps que ce projet de loi ou comme suite à ce projet de loi, devrait adopter une loi définissant le mariage?

Mme Martha Bailey: Je crois que si le Parlement veut réexaminer la législation relative à la validité du mariage, c'est tout à fait autre chose, et cela n'a rien à voir avec le présent exercice. Le Parlement voudra peut-être le faire, voudra peut-être étudier la question du mariage entre personnes du même sexe, qui, comme vous le savez, est actuellement examinée par les Pays-Bas et pourrait être examinée par d'autres pays. Le Parlement voudra peut-être y réfléchir.

Mais, à mon avis, c'est quelque chose de totalement distinct du projet de loi C-23, et ce n'est pas le sujet de notre discussion d'aujourd'hui.

M. John McKay: Il ne serait pas difficile à certains de penser que c'est bel et bien le statut du mariage, directement ou indirectement, qui est mis en cause dans cette discussion.

Je crois que pour certains la frustration vient du fait que le Parlement ne débat pas des questions qui ont une importance considérable pour le public, et en conséquence ce sont les tribunaux qui prennent les décisions qui le touchent le plus. Pensez-vous qu'il serait utile—dans la mesure où l'on peut raisonnablement supposer que cette question sera contestée au nom de la Charte—que le Parlement émette une opinion sur cette question, quelque chose de plus fort qu'une simple résolution après un débat?

• 1215

Serait-ce utile pour l'interprétation juridique, si nous croyons au droit et à son interprétation, que le Parlement ne parle pas pour ne rien dire?

Mme Martha Bailey: Si le Parlement voulait adopter une loi adoptant la définition traditionnelle de «mariage» comme étant l'union à vie entre un homme et une femme, je ne pense pas que cela modifierait quoi que ce soit à l'éventualité de la réussite d'une contestation de cette définition au nom de la Charte. Je ne sais pas si une telle contestation serait automatiquement approuvée par les tribunaux, mais je ne pense pas que l'adoption par le Parlement d'une telle disposition aurait une incidence significative.

À moins que le Parlement n'invoque la disposition dérogatoire, il voudra peut-être examiner le mariage et la loi en établissant la validité pour envisager le mariage des conjoints du même sexe de façon proactive, plutôt que d'attendre que les tribunaux se saisissent de la question. Il voudra peut-être emboîter le pas à certains pays qui ont adopté une forme de reconnaissance officielle et inscrite des unions de même sexe qui accorde à ces dernières un statut semblable à celui du mariage. Cela dit, c'est une question tout à fait distincte de ce qui relève du projet de loi C-23.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Robinson.

M. Svend Robinson: Merci, monsieur le président.

Eh bien, il ne s'agit pas uniquement d'une question hypothétique. Ainsi que M. McKay ne l'ignore sans doute pas, la situation a fait l'objet d'une contestation en vertu de la Charte, et ce, dans la cause Layland et Beaulne, et le litige a donné lieu à un jugement dissident. Selon ce dernier, la définition qui figure dans Hyde, si je ne m'abuse, et qui remonte à 1866, contrevient à l'article 15 de la Charte des droits et libertés.

Il ne s'agit donc pas uniquement d'une question hypothétique, surtout qu'une autorisation de pourvoi a été accordée à la suite du jugement. L'appel n'a jamais eu lieu, mais il avait été autorisé. M. McKay a donc tout à fait raison. L'enjeu sera soumis devant les tribunaux, cela ne fait aucun doute.

Il y a aussi des projets de loi dont la Chambre des communes est saisie. Les tribunaux ne statuent donc pas dans le vide. Un député libéral, M. Wappel, a déposé un projet de loi qui limiterait le mariage à la définition traditionnelle, celle de 1866. Pour ma part, j'en ai déposé un autre qui amenderait la Loi sur le mariage de sorte à permettre aux partenaires homosexuels de se marier. Le sujet est donc tout à fait d'actualité puisque le Parlement en est saisi, et sera peut-être appelé à se prononcer là-dessus.

Quoi qu'il en soit, ainsi que l'affirmait Mme Bailey, le Parlement et les assemblées législatives provinciales ont collectivement demandé au pouvoir judiciaire d'interpréter la loi à la lumière de certains droits et libertés fondamentaux. Il ne s'est pas arrogé ce pouvoir; nous lui avons demandé de procéder ainsi.

Nous le lui avons demandé lorsque nous avons adopté la Charte des droits et libertés au début des années 80, ce qui était alors quelque chose...

M. John McKay: J'ai aimé les débats sur la primauté du Parlement.

M. Svend Robinson: Eh bien, nous lui avons confié cette obligation; en conséquence, l'affirmation selon laquelle c'est lui-même qui a décidé d'agir ainsi est inexacte.

Je n'ai qu'une question à poser, car je sais que le temps passe. Je viens de recevoir copie d'un communiqué de presse émis par un député réformiste, M. Garry Breitkreuz, de Yorkton—Melville, où l'on trouve l'affirmation suivante. Entre parenthèses, il a rebaptisé le projet de loi C-23 «Loi sur la mort du mariage», et il affirme ce qui suit:

    Dans les années 50, la relations sexuelle anale était une infraction criminelle; maintenant, c'est une condition pour recevoir des prestations du gouvernement fédéral.

Il s'agit d'une déclaration faite par un député réformiste, M. Breitkreuz—et cela vient de sortir aujourd'hui. Cela rappelle les propos de Bob Ringma.

Est-ce que les témoins voudraient faire une remarque sur cette affirmation d'après laquelle la relations sexuelle anale est maintenant une condition pour recevoir des prestations du gouvernement fédéral?

M. Peter Stock: Je crois que le terme juste est «sodomie». C'est probablement de cela qu'il est question. Bien entendu, la relations sexuelle anale est quelque chose de distinct dans le Code criminel.

M. Svend Robinson: Quelle est la différence entre la sodomie et la relations sexuelle anale, monsieur Stock?

• 1220

M. Peter Stock: Je crois que la relations anale implique un rapport de domination, particulièrement entre les enfants et les adultes. Bien entendu, il s'agit quand même de sodomie, mais sous forme de viol anal.

M. Svend Robinson: La sodomie? Eh bien, je pense que cela a figuré dans le Code criminel jusqu'en 1995.

M. Peter Stock: Bien sûr. Puis on a désigné l'acte sous un autre nom.

M. Svend Robinson: À l'époque, cela ne se rapportait pas à la même chose. Voilà une définition intéressante.

En ce cas, êtes-vous d'accord avec la déclaration, si l'on entend que la sodomie est un viol anal selon cette autre définition?

M. Peter Stock: En fait, non, car il est bien clair, dans le projet de loi C-23, que d'après la définition de conjugalité qui figure dans M. c. H., et à laquelle on fait référence, de toute évidence, dans le projet de loi, les avantages, les obligations, et tout ce qui figure dans le projet de loi peuvent s'étendre à tout couple qui présente certaines des caractéristiques.

Permettez-moi de lire quelques-unes des caractéristiques aux fins du compte rendu.

    le partage d'un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociétales, le soutien financier, les enfants et aussi l'image sociétale du couple.

La présence de ces caractéristiques peut varier, et on n'a pas besoin de les retrouver toutes pour qu'une relation soit...

M. Svend Robinson: Vous êtes donc en désaccord avec la suggestion.

M. Peter Stock: Je ne crois pas qu'elle va assez loin. Elle ne traite pas uniquement de la sodomie, n'est-ce pas?

M. Svend Robinson: Non.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Je vais laisser nos témoins répondre, mais la période des questions est terminée.

Mme Kim Vance: De toute évidence, nous sommes en désaccord avec le fait qu'il s'agisse d'une exigence. Exiger qu'une activité sexuelle d'un genre quelconque forme la base selon laquelle on va attribuer des obligations ou des avantages est contraire à l'esprit du projet de loi C-23. Ce projet traite plutôt du statut des relations, de leur conjugalité.

Bien franchement, je ne crois pas que les fonctionnaires qui vont devoir administrer ce genre de programmes vont vouloir se mettre à poser des questions pour déterminer qui couche avec qui.

M. Svend Robinson: Ou pour déterminer la nature de leurs activités sexuelles.

Mme Kim Vance: Ou pour déterminer la nature de leurs activités sexuelles. Je ne crois pas qu'ils le fassent, à l'heure actuelle, pour les conjoints de fait.

Je connais bien des couples qui entretiennent une relation de conjoints de fait de nature hétérosexuelle, et on ne leur pose pas ce genre de questions lorsqu'ils veulent se prévaloir de certains avantages ou lorsque se présentent certaines obligations en vertu des lois fédérales.

M. Svend Robinson: Combien de lesbiennes s'adonnent à la sodomie?

Mme Kim Vance: Je ne connais aucune lesbienne qui s'adonne à la sodomie.

M. Svend Robinson: Je vous remercie.

Le président: Monsieur Maloney, je vous en prie.

M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): J'ai un commentaire à faire relativement à ce qu'on a dit au sujet des conflits d'intérêts et de la ministre de la Justice. Selon moi, en tant que procureure générale, elle a l'obligation de consulter. En fait, elle serait irresponsable de ne pas le faire. Elle ne devrait pas prendre de décisions seule dans sa tour d'ivoire. Ce serait irresponsable de sa part.

Cela dit, j'aimerais interroger M. Stock.

Si je ne me trompe, la Coalition de l'action pour la famille au Canada est d'avis que le projet de loi C-23 représente l'abolition de l'institution du mariage. Est-ce exact, oui ou non?

M. Peter Stock: Oui, c'est exact.

M. John Maloney: Madame Bailey, en tant qu'experte en droit de la famille, êtes-vous d'accord avec cette position? Croyez-vous que le projet de loi C-23 représente l'abolition de l'institution du mariage?

Mme Martha Bailey: Non, je suis en désaccord avec cette position.

M. John Maloney: Pourquoi?

Mme Martha Bailey: Je vais me répéter, mais tout ce que fait le projet de loi C-23, c'est d'étendre certains avantages et certaines obligations traditionnellement associés au mariage aux couples de même sexe. Il n'a aucune incidence sur le mariage.

M. John Maloney: Je vous remercie.

Monsieur Stock, je crois également savoir que la Coalition de l'action pour la famille au Canada est d'avis que le projet de loi C-23 signifierait que l'adoption d'enfants par des homosexuels serait sanctionnée par le gouvernement fédéral. Est-ce exact?

M. Peter Stock: C'est exact. Le gouvernement fédéral est responsable, de par certaines obligations issues de traités et responsabilités administratives, de l'adoption internationale. Bien entendu, si des homosexuels font une demande d'adoption internationale, certaines restrictions provinciales pourraient s'appliquer, mais c'est au gouvernement fédéral de faciliter les choses à cet égard. Ce projet de loi et les directives du gouvernement montrent clairement qu'il a l'intention de faciliter l'adoption internationale par des homosexuels.

M. John Maloney: Madame Bailey, avez-vous des commentaires à ce sujet?

Mme Martha Bailey: À mon avis, le projet de loi C-23 n'aura aucun effet sur l'adoption. Ce n'est pas l'objet du projet de loi. Il précise que certaines lois doivent être modifiées, et les modifications dont il est question permettent l'extension de certains avantages et de certaines obligations aux couples de même sexe, mais il ne traite pas de la question de l'adoption.

M. John Maloney: On y évoque nos obligations internationales. Dans quelle mesure cela entre-t-il en ligne de compte?

Mme Martha Bailey: En ce qui concerne nos obligations en vertu de traités internationaux en matière d'adoption, je ne peux imaginer, du moins j'essaie de comprendre, comment le projet de loi C-23 changerait quoi que ce soit.

• 1225

Je ne pense pas que nous aurions une obligation, en vertu du projet de loi C-23, de changer notre politique en matière d'adoption internationale. En effet, les adoptions internationales sont régies par les lois provinciales. Les assemblées législatives provinciales appliquent la Convention de La Haye sur l'adoption internationale, et c'est conformément à cette mesure législative que se font les adoptions internationales. Elles sont donc définies par les lois provinciales.

Alors si vous pouvez me dire comment le projet de loi C-23 aura des conséquences pour les adoptions, je me ferai un plaisir de répondre, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'aura pas d'incidence sur les adoptions internationales.

Le président: Voyons si nous pouvons organiser la période de questions de cette façon, dans la mesure du possible...

M. Svend Robinson: Quel échange intéressant, monsieur le président.

Le président: Dans l'intérêt de...

Je crois que vous soulevez une question importante, monsieur Stock, et j'aimerais que vous l'expliquiez davantage pour que nous puissions comprendre votre réflexion. C'est une observation intéressante.

M. Peter Stock: Je formulerais la question d'une autre façon et je dirais: Savez-vous pertinemment si cela ne se produira pas? Je pense qu'il ressort assez clairement de l'orientation que le gouvernement a donnée au projet de loi C-23, laquelle orientation a été arrêtée dans le Livre blanc sur l'immigration, et qui a été énoncée publiquement par la ministre de la Justice et par d'autres, y compris la ministre de l'Immigration, que c'est bel et bien l'objectif du gouvernement.

N'étant pas juriste, je ne pourrais pas vous dire si le projet de loi C-23 facilitera cela ou non, mais tout nous porte à croire que c'est bel et bien ce qui se passera.

Le président: Vous aurez l'occasion d'y revenir plus tard. Je donne maintenant la parole à M. Lowther.

Monsieur Lowther, vous avez trois minutes.

M. Eric Lowther: Dans cette même veine, je voudrais simplement signaler au comité que dans l'article 57 du projet de loi on utilise l'expression «conjoint de fait», qui désigne désormais, comme nous le savons, deux personnes de même sexe. On y retrouve notamment l'expression «adopté légalement». Je ne sais pas si la disposition s'appliquerait exactement à l'adoption pure et simple par des couples de même sexe, mais de toute évidence nous laissons le champ libre à une interprétation dans ce sens, puisque l'on y parle de conjoints de fait en même temps que d'adoption.

Ma question s'adresse à M. Fisher. Je serais curieux de savoir si vous avez rencontré la ministre entre le 23 avril et le 23 juin pour parler du cas Rosenberg, et cela rejoint brièvement mon intervention de tout à l'heure.

M. John Fisher: Je dois vous dire honnêtement que je ne me souviens pas d'une telle rencontre. Si je me souviens bien, et c'est ce que je dis dans mon mémoire, on nous a dit qu'on consulterait EGALE, mais je crois qu'au bout du compte il n'y a pas eu de consultation. Je me rappelle qu'on a été assez déçu d'apprendre qu'il n'y aurait pas de consultation comme prévu.

Cependant, je vous répète que de mémoire, et honnêtement, je ne me souviens pas que cela ait été un gros problème comme on veut bien nous le faire croire.

M. Eric Lowther: Très bien.

J'aurais maintenant une question à poser à Mme Bailey. Le concept de relation conjugale est un concept juridique qui relève manifestement des tribunaux. S'il y a un désaccord à ce sujet, on invoquera alors la décision de la Cour suprême et on entamera un recours judiciaire. Une personne dira qu'elle pensait vivre dans une relation conjugale, tandis que l'autre dira qu'elle pensait que la relation n'était pas conjugale. À la lumière de l'avis de la Cour suprême, il nous faudra aller devant les tribunaux pour déterminer s'il s'agit d'une relation conjugale ou non.

Pensez-vous que c'est le rôle de l'État ou du gouvernement d'essayer d'évaluer les relations entre deux personnes dans le but d'accorder à l'une d'entre elles certains avantages? Avant tout ce débat, quand il s'agissait d'une relation hétérosexuelle, tout le monde reconnaissait qu'il y avait une capacité naturelle d'avoir des enfants. Dans la plupart des cas, c'est ce qui se passe. Tandis que maintenant nous avons exclu cet élément et l'avons remplacé par un concept juridique qu'on appelle relation «conjugale». Pis encore, pour savoir si on vit dans une relation conjugale ou non, il faut aller devant les tribunaux.

Est-ce qu'on ne va pas se retrouver dans une situation où c'est l'État qui décidera en matière de relations personnelles, avec une foule de gens qui discuteront de tout cela au tribunal? En tout cas, c'est une possibilité. Chose certaine, le tribunal semble être le seul endroit où nous pouvons obtenir une solution, et l'État est l'arbitre ultime.

Mme Martha Bailey: L'État s'occupe effectivement des relations personnelles en ce sens qu'il légifère de manière à accorder des avantages et des obligations aux couples qui ont certaines relations personnelles. Les provinces légifèrent dans le domaine du droit de la famille. Le Parlement a adopté la Loi sur le divorce, etc. Par conséquent, l'État s'occupe effectivement des relations personnelles, de ce point de vue.

• 1230

Quant à savoir s'il y aura beaucoup de litiges sur le sens des relations conjugales, sur la question de savoir si certaines personnes sont effectivement des conjoints de fait, non, je ne m'attends pas à ce qu'il y ait beaucoup de litiges à ce sujet. Les tribunaux canadiens se sont prononcés sur le sens des mots «cohabiter», «conjugal», etc. Il peut y avoir certains cas limites où l'on peut se demander s'il y a relations conjugales ou si les partenaires sont effectivement des conjoints de fait, mais pour l'essentiel je ne m'attends pas à ce que ce point donne lieu à beaucoup de litiges.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Lowther et madame Bailey.

Monsieur Grose.

M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Merci, monsieur le président.

Mes questions s'adressent à EGALE. Vous êtes un groupe de pression, comme il se doit, et je me dois de vous écouter, comme je me dois aussi d'écouter M. Stock, pour ensuite me faire une opinion personnelle.

Êtes-vous raisonnablement satisfaits de ce projet de loi?

M. John Fisher: Oui, nous le sommes. Nous croyons qu'il établit un juste équilibre entre les responsabilités.

M. Ivan Grose: Bien. Envisagez-vous, dans un avenir prévisible, que vous continuerez d'exercer des pressions pour que l'on aille plus loin que ce projet de loi?

Mme Kim Vance: Pourriez-vous préciser ce que vous voulez dire par «aller plus loin»? Nous faisons du lobbying quotidiennement, et il y a encore des provinces où les gens sont victimes d'une foule de comportements haineux. Nous faisons du lobbying tous les jours alors que veut dire «aller plus loin»?

M. Ivan Grose: Je songeais à une forme de lobbying plus proactive. On a fait mention aujourd'hui d'éléments qui ne sont pas inclus dans le projet de loi, des choses que l'on passe sous silence dans le projet de loi. Envisagez-vous, dans un avenir prévisible, de faire du lobbying pour obtenir ces éléments?

M. John Fisher: Oui, il y a certains éléments qui ont été omis dans ce projet de loi et que nous aimerions obtenir.

L'immigration est un domaine qui est d'une importance cruciale pour les gais et les lesbiennes. Actuellement, nous n'avons pas le même droit que les hétérosexuels, en ce sens que nous ne pouvons pas parrainer un partenaire du même sexe pour le faire venir au Canada comme immigrant. C'est un processus séparé. Nous comprenons cela. Donc, oui, nous allons bien sûr poursuivre nos efforts auprès du ministère de l'Immigration pour obtenir que la législation dans ce domaine soit mise à niveau et se conforme aux normes que nous avons ici.

La question du mariage a bien sûr été soulevée, et je comprends que c'est une question qui préoccupe certains députés et membres du comité. EGALE a toujours dit clairement que, oui, nous croyons que les gais et lesbiennes doivent avoir accès au même éventail d'options que les hétérosexuels pour ce qui est des relations, y compris le droit de se marier. Quant à savoir si cela viendra un jour, je l'ignore.

Je pense qu'il est important d'insister sur un point: l'approche que le gouvernement a choisie en l'occurrence ne consiste pas à se lancer dans des définitions de «conjoint», de «famille», ou à tenter de dire quelles relations sont valides et lesquelles ne le sont pas. Le gouvernement a plutôt choisi de faire précéder ce projet de loi d'une introduction de deux lignes, après quoi on passe directement à la Loi sur les programmes de commercialisation agricole; et cela continue ensuite comme cela page après page. Ce n'est peut-être pas une déclaration éclatante en faveur des droits de l'homme qui passera à l'histoire, mais l'approche que le gouvernement a choisie consiste à assumer ses responsabilités et à voir à ce que ses lois répondent aux besoins des relations réelles qui existent en l'an 2000.

Le gouvernement a choisi de ne pas tenter de définir le sens de «mariage», de «conjoint». Ce sont des questions qui... Nous pourrions transformer ce projet de loi en une mesure législative tout à fait différente. Nous pourrions en faire une «loi sur la défense du mariage». Je pense que cela ouvrirait une boîte de Pandore, une question complexe qui n'a pas encore été abordée et dont le groupe EGALE se fera un plaisir de discuter avec des députés pris individuellement ou devant des comités en une autre occasion.

Chose certaine, nous ne considérons pas que cette mesure porte sur la question du mariage, et en tant qu'organisation qui croit en l'égalité dans ce domaine nous ne relâcherons pas nos efforts à cet égard.

M. Ivan Grose: Je vous remercie pour cette réponse franche.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci.

Monsieur Robinson.

M. Svend Robinson: Je voudrais aborder deux ou trois autres points. Une autre question que EGALE a déjà soulevée dans le passé est le fait que les dispositions du Code criminel relatives à la littérature haineuse ne s'étendent pas à l'orientation sexuelle. Si je comprends bien, c'est là un autre combat que vous continuerez de livrer.

M. John Fisher: En effet.

M. Svend Robinson: M. Lowther a soulevé le spectre des effets de ce projet de loi sur l'adoption; il a fait allusion à l'article 57. Je pense qu'il faut dire très clairement de quoi il s'agit. C'est une modification à la Loi sur le Régime de pensions du Canada, qui stipule que dans le cas d'une personne handicapée qui a la charge d'un enfant, si cet enfant est par la suite adopté légalement, les prestations pour cet enfant prennent fin. C'est ce que dit le projet de loi. Cela n'a absolument rien à voir avec l'admissibilité à l'adoption, ou quoi que ce soit. Tout ce que cela dit, c'est que si une personne handicapée touche des prestations aux termes de la Loi sur le Régime de pensions du Canada pour un enfant et que cet enfant est adopté légalement par quelqu'un d'autre, alors la personne handicapée ne touche plus de prestations pour cet enfant. M. Lowther voudra peut-être étudier le projet de loi un peu plus attentivement avant de...

M. Eric Lowther: Ce n'est pas ce que l'on m'a dit, Svend.

M. Svend Robinson: Eh bien, c'est exactement ce que dit le projet de loi.

M. Eric Lowther: Eh bien, nous...

M. Svend Robinson: C'est exactement ce qu'il dit.

M. Eric Lowther: Nous avons changé cette disposition.

Le président: Monsieur Lowther...

M. Eric Lowther: Si vous voulez vous adresser directement à moi, de l'autre côté de la table, alors allons-y...

M. Svend Robinson: Monsieur le président...

M. Eric Lowther: ... mais je pensais que nous avions des témoins à entendre.

Le président: Monsieur Lowther, M. Robinson peut encore répondre.

Vous avez demandé une réponse, et je l'ai autorisée.

M. Svend Robinson: C'est exactement ce à quoi s'applique cette disposition.

• 1235

Je n'ai qu'une seule question à poser à M. Stock, qui a laissé entendre que le projet de loi s'appliquait à l'adoption. Ensuite, il a adouci quelque peu ses propos en disant qu'il faudrait peut-être être sur nos gardes pour éviter cela à l'avenir. Monsieur Stock, à votre connaissance, y a-t-il dans ce projet de loi une disposition qui traite de la question de l'adoption?

M. Peter Stock: Il faut établir le contexte, monsieur Robinson. Contrairement à M. Fisher et à EGALE, je n'ai pas eu accès à ce projet de loi avant qu'il soit déposé à la Chambre des communes.

M. Svend Robinson: Le projet de loi est du domaine public depuis le 11 février.

M. Peter Stock: Oui, et ce communiqué dont M. Maloney a lu un extrait date d'avant...

M. Svend Robinson: Non, il a été publié à 10 h 56, heure de la Colombie-Britannique.

M. Peter Stock: Non, non. Mon communiqué auquel il faisait allusion et dans lequel j'évoquais l'adoption internationale a été publié à midi ce jour-là, d'accord? Je n'avais pas...

M. Svend Robinson: Oh, alors vous l'avez publié sans avoir pris connaissance du projet de loi.

M. Peter Stock: ... eu l'occasion de lire les 200 pages du projet de loi, monsieur Robinson.

M. Svend Robinson: Vous avez donc simplement présumé qu'il traiterait de cela.

Le président: Monsieur...

M. Peter Stock: Eh bien, il ressortait très clairement de déclarations faites par des ministres—c'est ce que j'ai dit tout à l'heure—de déclarations faites par la ministre de l'Immigration, la ministre de la Justice et d'autres encore que la politique du gouvernement visait à éliminer toute distinction en droit entre les couples mariés et...

M. Svend Robinson: Mais le projet de loi lui-même... Vous avez dit que c'est ce que ferait le projet de loi lui-même.

M. Peter Stock: J'ai dit...

M. Svend Robinson: Je suppose qu'après avoir lu le projet de loi...

M. Peter Stock: C'est ce que j'ai dit dans ce communiqué de presse.

M. Svend Robinson: Je suppose qu'après avoir lu le projet de loi, vous vous êtes rendu compte que ce n'était pas le cas.

M. Peter Stock: Maintenant que j'ai lu le projet de loi, je me rends compte que ce n'est pas le cas, en effet.

M. Svend Robinson: Merci.

Le président: M. Lowther a une dernière question à poser.

M. Eric Lowther: Je vais laisser les députés lire l'article 57 et décider eux-mêmes si cela met en cause l'adoption. Je peux vous dire que le libellé de l'article 57 a été modifié par rapport à sa première version, mais je vais plutôt poser une question pour l'instant, monsieur le président.

Ma question porte sur... On a fait beaucoup mention de la Cour suprême et de la nécessité de suivre les instructions de la Cour suprême.

Je vais lire un passage d'une décision de la Cour suprême, et je demanderai aux témoins de me faire part de leur réaction. Je cite:

    L'union conjugale a des besoins particuliers auxquels s'intéressent depuis longtemps le Parlement, les législatures, et de fait, le droit coutumier et le droit prétorien. L'institution juridique qu'est le mariage existe à la fois pour protéger l'union et pour délimiter les obligations qui découlent du mariage. Du fait de son importance, le mariage peut à bon droit être considéré comme primordial pour la stabilité et le bien-être de la famille... Le législateur peut fort bien accorder un soutien particulier à cette institution.

    [...] Les couples hétérosexuels [...] (sont) l'unité sociale qui seule a la capacité de procréer et qui, en général, veille à l'éducation des enfants; à ce titre, elle mérite que le législateur lui offre son soutien de façon à ce qu'elle puisse satisfaire à ses besoins. C'est la seule unité dans la société qui consacre tous les jours et de façon constante des ressources aux soins des enfants.

Le passage que je viens de lire est tiré d'une décision de la Cour suprême. Maintenant, le projet de loi C-23 dont nous sommes saisis ne semble pas respecter cette décision, puisqu'il accorde maintenant tous les avantages et confère toutes les obligations que nous avions antérieurement accordés aux personnes mariés, à l'exception du divorce, à deux personnes du même sexe qui habitent ensemble et qui affirment avoir des relations conjugales quelconque, et nous allons nous en remettre aux tribunaux pour définir cela. Il me semble que c'est tout à fait contraire à ce passage, à cette directive de la Cour suprême.

Avez-vous des commentaires à faire là-dessus?

Mme Kim Vance: Je suppose que nous ne sommes pas censés vous interroger, mais il y a là une hypothèse fondamentale, à savoir que les couples de gais et de lesbiennes ne participent pas à ces activités fondamentales que vous venez de décrire. Par exemple,...

M. Eric Lowther: Je n'ai peut-être pas posé ma question clairement. Je m'en excuse. Pourquoi suivons-nous les directives des tribunaux pour faire progresser certains dossiers, tandis que dans d'autres cas on ne tient pas compte des déclarations et des instructions des tribunaux?

M. John Fisher: Pourrais-je vous demander quel arrêt vous avez cité?

M. Eric Lowther: Bien sûr. C'est la décision dans l'affaire Egan.

M. John Fisher: Et c'est la décision de quel juge?

M. Eric Lowther: La Forest.

M. John Fisher: Qui faisait partie de la minorité, je crois, sur ce point.

M. Eric Lowther: Non.

M. John Fisher: Oui M. le juge La Forest était au nombre des quatre juges dissidents sur ce point. Je suis content que vous admettiez qu'il est important de respecter les décisions de la Cour suprême, et je crois que c'est justement ce que fait ce projet de loi. Il est clair que dans la décision rendue dans l'affaire M. c. H., huit des neuf juges ont décidé qu'il fallait changer les lois pour respecter la Constitution.

M. Eric Lowther: Êtes-vous d'accord avec eux, monsieur Fisher?

M. John Fisher: Personnellement, oui, et EGALE est aussi convaincu qu'il faut respecter la loi et la Constitution. Il est clair que la majorité des juges ont exprimé le point de vue que vous venez de présenter au comité. La majorité des juges ont exprimé l'autre point de vue et le gouvernement a choisi évidemment de respecter la décision de la cour et non pas le point de vue dissident.

M. Peter Stock: Je pense qu'il est tout à fait clair à la lecture des décisions rendues dans les affaires Egan et M. c. H. que la cour examinait la loi fédérale. Elle étudiait le Régime de pensions du Canada et certaines dispositions précises qu'il renferme.

Une voix: La pension de vieillesse.

M. Peter Stock: Pardon, vous avez raison; c'était bien la pension de vieillesse.

Ensuite, bien sûr, dans M. c. H., les juges ont examiné la loi provinciale, qui est une disposition complètement différente. Ce que le gouvernement fédéral a fait n'était pas exigé par le tribunal. La cour n'a pas évoqué la loi fédérale dans M. c. H. La cour n'avait mentionné aucune des dispositions que nous modifions par ce projet de loi. En fait, si l'on se penche sur la seule disposition qui avait été abordée, à savoir celle dont il est question dans Egan c. le Canada, (1993), la cour avait dit quelque chose d'entièrement différent. Le gouvernement prend une mesure que la cour ne l'avait nullement obligé à prendre. Cela n'a rien à voir avec le respect de la décision du tribunal. Nous trouvons cela très troublant.

• 1240

Le président: Merci beaucoup.

Professeur Bailey.

Mme Martha Bailey: Dans l'affaire Egan, la cour était partagée à quatre contre quatre et c'est le juge Sopinka qui a fait pencher la balance et il n'a pas adopté la position que M. Lowther vient de nous lire. Au lieu de cela, il a dit que cette loi était discriminatoire, tout au moins pour l'instant. Dans l'affaire Egan, le juge Sopinka a exprimé l'avis qu'à l'avenir, l'affaire ne relèverait peut-être plus de l'article 1 de la Charte parce que les relations entre conjoints de même sexe ne seraient plus une nouveauté et que l'article 1 ne s'appliquerait donc peut-être plus.

Je pense donc que le texte de la décision du juge Sopinka, qui a fait pencher la balance, conjugué à la décision rendue dans l'affaire M. c. H., pourrait tout à fait corroborer l'approche qu'adopte actuellement le Parlement dans le projet de loi C-23. Tout au moins, c'est mon opinion.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur DeVillers.

M. Paul DeVillers: Je veux aborder une seule question, monsieur le président, à savoir l'article 57 et la discussion qu'il y a eue à ce sujet entre les membres du comité. Nous avons ici avec nous une juriste et je me demande si l'on pourrait poser la question au professeur Bailey. Mon interprétation est semblable à celle de M. Robinson, à savoir que cela traite de la protection d'un enfant d'une personne handicapée qui est adopté aux termes de la loi provinciale. Je me demande si nous pourrions demander des précisions là-dessus.

Mme Martha Bailey: Comme je l'ai déjà dit, l'adoption est une question qui est du ressort provincial. Dans certaines provinces, c'est possible pour les partenaires de même sexe d'adopter un enfant et il est possible pour une personne célibataire qui a des relations avec une personne du même sexe d'adopter un enfant. Cette disposition pourrait donc s'appliquer en pareil cas. J'en prends rapidement connaissance et je vais répondre à votre question sans pouvoir y réfléchir. Le projet de loi C-23, pour autant que je puisse voir, ne s'applique pas et ne peut pas s'appliquer à l'admissibilité à l'adoption. C'est une question qui relève des provinces.

M. Paul DeVillers: Bien. Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Je voudrais poser deux ou trois questions, à titre d'information et pour attirer l'attention des membres du comité et de nos témoins et de tous les intervenants très éloquents autour de la table—eh bien, je m'adresse peut-être dans une moindre mesure au professeur Bailey. Quoi qu'il en soit, étant donné que les gens expriment leurs opinions là-dessus, je voudrais avoir des précisions sur deux ou trois points.

Il y a deux questions. La première a trait aux arguments juridiques entourant le processus, met en cause la chronologie des événements et quel juge minoritaire a dit ceci à propos de cela. C'est la troisième fois que je me retrouve à un comité en train de discuter de questions de ce genre et on ne semble jamais pouvoir s'entendre là-dessus. Nous divergeons simplement d'opinions, et c'est légitime.

En ce qui a trait au débat public, il est beaucoup question d'arithmétique—combien de Canadiens veulent ceci, et combien de Canadiens veulent cela. Or, il me semble que cette discussion est, dans une certaine mesure, fonction de l'opinion de chacun sur ces questions fondamentales. Par exemple, si les Canadiens croient que ce projet de loi a une incidence sur le mariage, ils pourraient réagir différemment que s'ils croient qu'il n'en a pas.

Monsieur Stock, je sais que votre organisme est d'avis que le projet de loi a une incidence importante sur le mariage. Je sais que le gouvernement et bien d'autres gens sont de l'avis contraire. Par conséquent, qu'advient-il de l'argument numérique étant donné que, pour ceux qui croient en la prépondérance du Parlement, un grand nombre de députés ont voté, l'an dernier, en faveur d'une définition du mariage? Un grand nombre de ces mêmes députés ont appuyé le présent projet de loi en deuxième lecture. Ne dois-je pas en conclure qu'ils sont d'avis que le projet de loi correspond à la définition du mariage qu'ils ont appuyée?

• 1245

M. Paul DeVillers: Monsieur le président, j'aimerais apporter une précision au sujet de votre déclaration selon laquelle un certain nombre de députés ont voté en faveur de la définition du mariage. Bon nombre d'autres députés étaient peut-être d'accord avec la définition, mais ont néanmoins voté contre la motion pour d'autres motifs, par exemple, ses implications relatives à la clause dérogatoire, etc. Je fais partie de cette catégorie. J'ai voté contre la motion, mais ce n'était pas parce que j'étais en désaccord avec la définition du mariage.

Le président: Bien entendu, et on en a discuté à l'époque. Mais je maintiens que la déclaration relative aux deux positions me semble évidente. Je suis curieux de savoir comment nous, les membres du comité, concilions notre position avec le débat autour de ce que les Canadiens désirent, en tant que députés du Parlement qui doivent débattre de cette question, et tenter d'en connaître les tenants et aboutissants.

J'ai déjà tenu ce genre de conversation, et je suis certain que bien de mes collègues l'ont fait également. J'aimerais savoir comment, d'après vous, nous devrions concilier ces deux positions, si nous ne sommes pas nécessairement d'accord avec ce que vous, des deux côtés, croyez à propos de la nature fondamentale de ce projet de loi.

M. Peter Stock: Je pourrais vous répondre de deux façons. Tout d'abord, il faut reconnaître à nouveau que très peu de Canadiens, 6 500 pour être plus précis, ont demandé ce genre de loi. C'est un nombre statistiquement insignifiant. Je ne dis pas qu'il s'agit de gens insignifiants, mais ils ne sont certainement pas assez nombreux pour mettre en branle la machine du gouvernement. C'est la seule preuve que nous ayons qu'une partie du public désire ce genre de disposition législative.

En ce qui a trait aux députés eux-mêmes, je peux vous lire un très court extrait d'une lettre qu'un des députés a écrite à un de ses électeurs en 1996, lors du débat autour du projet de loi C-33. Vous vous en souvenez probablement. Il disait:

    Je n'appuierais pas une loi qui, selon moi, accorderait une reconnaissance juridique aux mariages homosexuels ou aux droits homosexuels, ou qui ferait la promotion du style de vie homosexuel.

Monsieur le président, cette lettre venait de vous. Pourtant, à la Chambre des communes, vous appuyez cette loi.

Le président: Vous citez cette lettre hors de son contexte, ce qui a déjà été fait dans le passé. Ce que je disais était en rapport avec le fait qu'on présentait, à l'époque, l'argument que le débat qui avait lieu à l'époque mènerait nécessairement au présent débat.

Mme Kim Vance: Vous avez demandé à tous les témoins de donner leur opinion.

Je crois que la question fondamentale, ici, c'est qu'on n'a vu aucune preuve que le présent projet de loi diminue en quoi que ce soit la capacité des couples mariés de vivre en tant que tels. Il n'y a rien, dans le présent projet de loi, qui diminue cette capacité, qui a sur elle une incidence négative, ou qui retire quoi que ce soit de la valeur de cette relation.

Je pense réellement que le présent débat n'est pas pertinent dans le cadre de l'étude du projet de loi C-23. Ce projet de loi s'intéresse au fait qu'il y a toutes sortes de genres de familles qui font l'objet de discrimination systémique, et dont on ne reconnaît pas les enfants comme faisant partie de l'unité familiale.

M. John Fisher: Je reconnais qu'il y a là une question intéressante qui concerne la façon dont les tribunaux, le gouvernement et l'opinion publique concourent tous à apporter des changements juridiques. Je pense que ce que l'on remarque dans le cadre de ce projet de loi est une convergence des avis des tribunaux, de la volonté du Parlement, des mesures prises par les différents gouvernements au Canada ainsi que de l'opinion publique qui, d'après les sondages effectués pour le compte du gouvernement, appuie fortement ce genre de mesure législative.

Nous reconnaissons qu'il faut souvent donner aux Canadiens le temps d'être plus à l'aise pour parler des questions qui concernent l'homosexualité et de comprendre davantage les êtres humains que nous sommes. Je crois que ces trois facteurs concourent ensemble au même but et nous amènent au point où nous en sommes aujourd'hui.

Quand nous nous lançons dans un débat comme celui-ci, nous devons également comprendre qu'il ne s'agit pas uniquement de statistiques. Parfois, on peut avoir l'impression qu'on entend des points de vue égaux mais opposés, et que celui qui crie le plus fort peut gagner. Or, la différence fondamentale, c'est qu'au bout du compte, il y va de mes droits humains, alors que les droits humains des autres interlocuteurs ne sont pas forcément menacés. Les autres ne risquent pas de perdre grand-chose, tandis que ma relation à moi est rendue invisible sinon marginalisée car nous sommes exclus des lois.

L'autre jour, mon partenaire et moi sommes allés demander un prêt à une banque. La caissière à laquelle nous nous sommes adressés nous a regardés, puis elle a indiqué dans la rubrique Situation de famille sur le formulaire de demande de prêt «célibataire». Elle ne nous a même pas demandé quelle était notre situation de famille. Elle savait pourtant que nous formions un couple, mais elle a quand même indiqué «célibataire». Ce genre de situation nous fait sentir que nous sommes invisibles, exclus et marginalisés, et c'est inadmissible.

C'est, en partie, ce genre de torts que cette mesure législative essaye de corriger, conformément à la volonté des Canadiens, dans l'ensemble.

• 1250

Mme Kim Vance: Je voudrais, si vous le permettez, ajouter quelque chose à cela.

Nous avons déjà entendu la discussion concernant les valeurs auxquelles souscrivent manifestement les électeurs de M. Ménard et de M. Robinson, car ils n'auraient pas usé de discrimination à leur égard et ils n'auraient pas voté contre eux. Cela dit, je vous dirai qu'ils n'ont probablement pas choisi de se faire représenter à la Chambre des communes par des députés tout en sachant qu'on leur refusera l'accès aux mêmes droits et privilèges que tout autre député hétérosexuel à la Chambre.

Le président: Je vais donner la parole à M. Ménard, car il a dû se précipiter pour appuyer la motion du NPD, générosité et équité obligent.

[Français]

M. Réal Ménard: Cette motion du NPD est une bonne motion, monsieur le président. Vous avez toujours eu ce sens du fair-play qui vous rend tellement attachant.

Cette fois-ci, je ne poserai pas une question à M. Stock mais plutôt à Mme Bailey. Vous avez publié, dans le cadre d'un contrat de la Commission du droit ou d'un colloque qui a eu lieu à l'université où vous enseignez, un document qui porte sur l'ensemble de la réalité ou de la notion de conjugalité. J'ai lu ce document et je souhaiterais qu'il soit distribué à tous les membres du comité parce que c'est un bon document.

J'aimerais vous poser une question précise. Chez nous, au Bloc québécois, il y a des discussions viriles; ce n'est pas comme au NPD, où il y a consensus et unanimité sur le projet de loi. Dix de mes collègues s'opposent au projet de loi et je me suis donné comme défi personnel de les convaincre de voter en faveur du projet de loi.

Il y a un type d'argument qui revient de façon récurrente. On me dit que s'il y avait dans le projet de loi une allusion à différentes formes de relations d'interdépendance, on l'appuierait. Je réponds alors qu'on ne peut pas considérer qu'un frère qui prend soin de sa soeur ou un oncle qui prend soin de sa nièce entretient une relation conjugale. Je crois qu'il y a des distinctions à faire, ce qui ne veut toutefois pas dire que l'État ne devra pas ultérieurement soutenir ce type de relations d'interdépendance.

Au début de votre intervention, vous avez vous-même plaidé pour qu'on fasse la différence entre les deux. J'aimerais que vous puissiez étayer votre point de vue afin que j'aie des arguments supplémentaires pour convaincre mes collègues.

[Traduction]

Mme Martha Bailey: Les provinces qui ont adopté des mesures législatives pour protéger les personnes vivant dans une relation non conjugale et de dépendance tendent à insister sur l'aspect dépendance. Elles ont notamment cherché à protéger ces personnes contre une expulsion soudaine d'un logement dont elles dépendent, ou à éviter que la personne se retrouve sans soutien financier par suite du décès de la personne qui subvenait à ses besoins, et ainsi de suite.

Je ne connais pas d'endroit où les couples vivant en concubinage sont traités de la même façon que ceux qui vivent dans une relation de dépendance.

[Français]

M. Réal Ménard: Je poserai une dernière question, après quoi nous pourrons tous aller dîner. Je ne voudrais pas être trop audacieux, mais j'aimerais savoir si vous êtes capable de produire pour le comité un document d'une page dans lequel vous identifieriez d'un côté les avantages qu'il y a à ce type de formule et, de l'autre, les désavantages.

De mon point de vue, il existe un désavantage majeur. Dans le Code civil du Québec, on parle de l'égalité des conjoints. C'est le résultat de la bataille qu'on a menée au niveau du droit de la famille. On a amendé le Code civil au début des années 1980 et on y retrouve une disposition très claire où on énonce que les individus participent en toute égalité à la direction du couple.

Quand la ministre s'est présentée devant nous avant-hier, elle a parlé des relations d'interdépendance comme étant des relations qui surviennent dans la vie dans des situations de vulnérabilité, par exemple lorsqu'une personne prend soin d'une autre. Dans de tels cas, on ne retrouve pas la même notion d'égalité. C'est ce qui me fait peur.

Donc, en raison de votre érudition et de votre connaissance, je vous demande de nous préparer un document dans lequel seraient énoncés les avantages et les désavantages, ainsi que ce vous en connaissez.

Monsieur le président, pensez-vous que ce soit possible? Est-ce qu'une telle demande devrait être accompagnée d'une reconnaissance monétaire?

[Traduction]

Mme Martha Bailey: Avant que vous me donniez un emploi...

Des voix: Oh, oh!

Mme Martha Bailey: Je ne suis pas certaine de comprendre ce que vous voulez. Vous voulez les avantages et les inconvénients qui découleraient de l'adoption d'une mesure législative protectrice envers les personnes vivant dans une relation de dépendance. Est-ce bien cela?

• 1255

[Français]

M. Réal Ménard: Je ne sais pas si les députés du gouvernement tiennent les mêmes propos que mes collègues qui disent s'opposer au projet de loi parce qu'on n'y reconnaît pas les différentes formes d'interdépendance financière. Par exemple, un de mes collègues faisait allusion à son frère qui prend soin de leur père et me demandait pourquoi il devait voter en faveur d'un projet de loi où l'on ne reconnaissait pas à son frère le droit de bénéficier des mêmes avantages.

A priori, je m'oppose à ce que l'on inscrive dans ce projet de loi ce type de reconnaissance. Je sais que c'est la position du gouvernement, laquelle nous a été exprimée également par la ministre.

J'aimerais qu'on nous présente un document dans lequel on nous indiquerait ce qui a été fait ailleurs, bien que vous sembliez dire qu'on a très peu fait en ce sens ailleurs, ainsi que les avantages et les désavantages de ce type de reconnaissance. Comprenez-vous?

[Traduction]

Mme Martha Bailey: Le Parlement pourrait très bien adopter une mesure législative qui protégerait les personnes qui sont vulnérables et qui vivent dans une relation de dépendance, outre les personnes qui vivent dans une relation conjugale. C'est une entreprise qui est plus compliquée, étant donné que nous n'avons pas beaucoup de précédents, et qu'elle mérite d'être étudiée davantage. D'autres l'ont fait, et nous pourrions probablement examiner de plus près ce qui s'est fait ailleurs.

Il me semble—et je dirai la même chose à vos collègues—que toute étude ou décision concernant les mesures de protection à accorder aux personnes qui sont vulnérables et qui vivent dans une relation de dépendance ne devrait pas nous amener à retarder une mesure législative comme le projet de loi C-23, qui exige tout simplement du Parlement de rendre les lois fédérales existantes conformes à la Charte. Cette étape en particulier est assez claire, comme en témoigne le projet de loi C-23. En revanche, l'étape que nous devons franchir pour protéger les personnes vulnérables vivant dans des relations de dépendance n'est pas aussi claire et exige un peu plus de temps, mais cela ne devrait pas retarder l'adoption du projet de loi.

Le président: Merci beaucoup.

Je remercie les témoins et les députés. Nous reprendrons nos travaux à 15 h 30 et nous entendrons d'autres témoins cet après-midi.

Je vous remercie. La séance est levée.