Passer au contenu
Début du contenu

FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES*

[Enregistrement électronique]

Le vendredi 19 novembre 1999

• 0911

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Je déclare la séance ouverte. Bonjour tout le monde.

Comme vous le savez, le Comité permanent des finances tient des audiences aux quatre coins du pays, d'un océan à l'autre, pour consulter le public, pour demander aux Canadiens de donner leur avis. Nous avons aujourd'hui le plaisir d'accueillir un certain nombre d'organisations, nommément l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université, l'Association canadienne des commissions/conseils scolaires, la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, la Canadian Living Foundation, la National Coalition on Housing and Homelessness, et Getting Landed Project.

Comme beaucoup d'entre vous ont déjà comparu devant le comité, vous savez que vous avez environ de cinq à sept minutes pour faire vos exposés. Nous aurons ensuite un dialogue entre les membres du comité et les témoins.

Je crois savoir que M. Harvey Weiner, de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, voudrait prendre la parole en premier. Allez-y, monsieur Weiner.

[Français]

M. Harvey Weiner (sous-secrétaire général, Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants): Merci, monsieur le président.

Notre fédération est le porte-parole national de la profession enseignante. Nous faisons la promotion de la qualité de l'éducation, de la situation des membres de la profession et de l'égalité des chances au moyen de l'éducation publique.

Nous nous réjouissons d'avoir été invités à contribuer à la préparation du premier budget du nouveau millénaire. À notre point de vue, le budget de l'an 2000 est pour le Canada une occasion de se lancer dans une démarche audacieuse, novatrice et dynamique visant à créer une société dans laquelle tous les Canadiens et Canadiennes auront des chances égales de réaliser pleinement leur potentiel, à la fois comme individus et comme membres actifs de notre société.

[Traduction]

J'ai le plaisir de vous présenter, au nom de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, un mémoire qui est assez historique, de notre point de vue. Pour la première fois, la fédération a décidé de traiter d'une seule et unique question. Cette question unique est la qualité de vie des enfants et des jeunes au Canada. Nous avons mis de côté toutes les autres questions, toutes les autres considérations, dans l'optique du budget 2000.

Le discours du Trône nous a agréablement surpris, à la fois par le ton et le fond, en ce qui a trait aux questions touchant les enfants et les jeunes. Nous croyons que c'est un bon point de départ, pour ce qui est de la priorité que l'on aurait toujours dû accorder aux enfants et aux jeunes au Canada, et certains indices laissent maintenant croire que ces questions deviendront effectivement prioritaires.

Nous croyons toutefois que le prochain budget permettra de jauger le sérieux du gouvernement fédéral et aussi des gouvernements provinciaux quant à la façon dont ils vont aborder ces dossiers.

Nous, à la fédération, nous voulons transmettre clairement le message que les enfants du Canada sont la responsabilité de tous. Nous devons favoriser l'émergence d'une culture dans laquelle nous ne parlons plus de mes enfants ou de vos enfants, mais plutôt de nos enfants, peu importe que nous soyons les parents biologiques des enfants en question. Nous croyons que des arguments convaincants du point de vue civique, social et économique plaident en faveur d'un investissement dans nos enfants et nos jeunes d'une manière intégrée, globale et durable.

• 0915

Nous voudrions mettre l'accent aujourd'hui sur ce que nous appelons l'analyse de rentabilité. D'énormes pressions s'exercent en provenance de divers milieux, avec le National Post comme chef de file, en faveur d'un programme de baisse d'impôt. Nous voudrions présenter aujourd'hui des arguments qui démontrent à notre avis qu'un investissement complet et durable dans les enfants et les jeunes donnera à long terme un meilleur rendement aux Canadiens que toute combinaison de baisses d'impôt, peu importe que l'on mesure les économies réalisées sur le plan civique, social ou économique.

Il y a de nombreuses raisons d'appuyer un programme en faveur des enfants. C'est un fait que le Canada dépense des milliards de dollars par année pour gérer les problèmes sociaux, au lieu de s'attaquer à leurs causes profondes en faisant des interventions et des investissements prenant la forme de mesures préventives. C'est un fait qu'un certain nombre de programmes Bon départ, par exemple le Programme préscolaire Perry, le Programme Bon départ de Moncton et d'autres, ont donné aux contribuables un rendement moyen de 7t d'économies pour chaque dollar investi.

C'est un fait qu'il y a actuellement un trou béant dans les politiques fédérales et provinciales applicables aux enfants d'âge préscolaire. Les quelques rares programmes spécialisés et novateurs qui existent actuellement prennent le plus souvent fin à l'âge de cinq ans. Il y a très peu de soutien disponible à partir de là jusqu'à ce que ces enfants atteignent l'adolescence et soient confrontés à des problèmes comme l'échec scolaire, la délinquance ou les grossesses précoces.

C'est un fait, et les données le prouvent, que les pays qui font les bons choix dans leurs dépenses discrétionnaires ont fait baisser de façon spectaculaire leurs dépenses non discrétionnaires, par exemple dans les domaines du crime, de la santé, des grossesses précoces, etc.

C'est un fait que des enfants en santé et bien équilibrés sur les plans physique et affectif ont de meilleures chances d'apprendre avec succès et de devenir des citoyens socialement engagés et responsables qui contribueront au mieux-être civique, social et économique du Canada. J'invite les membres du comité et tous les Canadiens à réfléchir au fait que c'est la meilleure garantie que nous puissions nous donner quant à l'accessibilité future de services publics de qualité dans les domaines de la santé, de l'éducation et des programmes sociaux, ainsi que des régimes de pension pour tous les Canadiens.

Les enfants d'aujourd'hui sont les contribuables de demain. Ce sont leurs revenus qui nous permettront de financer ces programmes à l'avenir. Plus ils seront nombreux à parvenir à la vie adulte sans traîner un lourd bagage, mieux nous nous en trouverons tous.

L'un des documents auxquels je vais me reporter, et j'espère que l'on m'interrogera là-dessus, est une étude approfondie qui a été faite par deux économistes canadiens, Gordon Cleveland et Michael Krashinsky, intitulée The Benefits and Costs of Good Child Care. Ils démontrent de façon convaincante qu'en investissant 5,3 milliards de dollars sur une période relativement courte, le gouvernement canadien économiserait plus de 10 milliards de dollars en dépenses non discrétionnaires qu'il est actuellement obligé de faire pour assurer à coup de programmes dispendieux la réadaptation de gens dont la vie a été perturbée ou ruinée à cause de l'absence d'aide, de programmes et de services auxquels devraient avoir accès tous les Canadiens.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Weiner.

Nous entendrons maintenant les représentants de l'Association canadienne des commissions/conseils scolaires, nommément Kathy LeGrow, qui en est la présidente, et Marie Pierce, directrice générale. Bienvenue.

Mme Kathy LeGrow (présidente, Association canadienne des commissions/conseils scolaires): Bonjour, monsieur le président. Je vous remercie de nous donner l'occasion de prendre la parole devant vous au moment où vous vous apprêtez à formuler vos recommandations pour le budget de l'an 2000.

Je parle au nom de l'Association canadienne des commissions/ conseils scolaires, qui est la voix nationale des associations provinciales de commissions scolaires et de commissaires d'école. L'ACCS, comme nous nous appelons affectueusement nous-mêmes, est membre de Campagne 2000 et de la Children's Alliance et souscrit à la mise en oeuvre du programme d'action national pour les enfants.

Notre organisation met principalement l'accent sur les élèves que nous servons. Notre responsabilité, en tant que commissaires d'école, est de nous assurer qu'ils ont les outils voulus pour devenir des citoyens actifs, capables d'être compétitifs dans une économie mondiale. C'est pourquoi je suis ici aujourd'hui.

• 0920

Je vais traiter du besoin d'investissement supplémentaire dans l'infrastructure sociale au moyen du Programme d'action national pour les enfants, du surplus de l'assurance-emploi, et de la prestation fiscale pour enfants. Je parlerai aussi brièvement de l'importance croissante de la nouvelle économie, notamment de la nécessité de l'accès universel à Internet et aux techniques connexes et d'un investissement dans la formation professionnelle et technique dans l'ensemble du pays.

Le gouvernement fédéral a une occasion unique d'entrer de plain-pied dans le prochain siècle en réalisant le Programme d'action national pour les enfants et en établissant des partenariats solides avec tous les niveaux de gouvernement et les collectivités. En consacrant l'essentiel du budget 2000 au bien-être des enfants, le gouvernement démontrera son solide engagement en faveur du Programme d'action national pour les enfants et envers les enfants du Canada.

On connaît bien le lien entre la pauvreté chez les enfants et la capacité d'apprentissage des enfants et leur degré de réussite scolaire. Dans le contexte de l'entente cadre sur l'union sociale, neuf provinces et le gouvernement fédéral ont signé le Programme d'action national pour les enfants et se sont engagés à collaborer pour assurer le bien-être des enfants. Il faut maintenant que la vision commune élaborée par le conseil fédéral-provincial- territorial sur la réforme des politiques sociales débouche sur des gestes concrets, comme mesure essentielle pour renforcer l'infrastructure sociale du Canada.

Nous recommandons que le budget de 2000 comporte les mesures suivantes: création d'un organisme fédéral-provincial dont le seul mandat consisterait à veiller à la concrétisation des objectifs du Programme d'action national pour les enfants; augmentation immédiate de la prestation nationale pour enfants; augmentation concertée des fonds consacrés à l'élaboration de modèles intégrés de prestation de services pour répondre aux besoins des enfants à risque; et financement d'une stratégie nationale de garde d'enfants de qualité pour faire en sorte que tous les parents qui ont besoin de faire garder leurs enfants aient accès à des garderies accréditées bon marché employant un personnel qualifié et où les enfants pourront s'épanouir dans un milieu sûr, stimulant et enrichissant.

Des raisons impérieuses militent en faveur d'une action immédiate. Le nombre d'enfants vivant dans la pauvreté a augmenté de 463 000 depuis 1989, date à laquelle la Chambre des communes a adopté une résolution par laquelle elle s'engageait à éliminer la pauvreté chez les enfants d'ici l'an 2000. Si le taux de pauvreté des enfants diminue graduellement, il reste encore un enfant sur cinq qui vit dans la pauvreté.

Les commissions scolaires se sont montrées disposées à jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre la pauvreté chez les enfants. Je voudrais attirer votre attention sur un profil d'intervention en matière de pauvreté que nous avons élaboré à l'intention des commissions scolaires, pour établir quels activités et partenariats existent au niveau de la commission scolaire pour répondre aux besoins des enfants, et sur un document que nous avons publié et qui est intitulé «Students in Poverty: Toward Awareness, Action and Wider Knowledge».

Il est indispensable que les pouvoirs publics interviennent, tant au niveau fédéral qu'au niveau provincial. En l'absence de mesures concrètes et de leadership au niveau national, il sera impossible de faire aboutir une action concertée de tous les paliers de compétence concernés. Nous demandons instamment au gouvernement fédéral d'intervenir sans tarder.

On a fait beaucoup de suggestions quant à l'utilisation éventuelle du surplus de l'assurance-emploi. Les membres de l'association estiment que tout surplus doit être remis aux cotisants. L'argent remboursé aux commissions scolaires servirait à offrir des services aux étudiants ou à financer d'autres programmes nécessaires.

L'association est pour la poursuite des investissements visant à faire en sorte que les élèves canadiens aient accès à Internet et à d'autres technologies informatiques. Le changement technologique se produit à un rythme si rapide qu'il est difficile de fournir à tous les élèves du matériel et des logiciels à jour. L'actualisation des logiciels informatiques constitue un lourd fardeau financier pour les commissions scolaires de tout le pays. S'ils veulent soutenir la concurrence dans l'économie mondiale, les Canadiens doivent, à la fin de leurs études, posséder les connaissances et les compétences qui leur permettront de le faire. Il est aussi important de garantir à tous les Canadiens l'accès universel aux technologies.

Le gouvernement fédéral a fait preuve d'initiative, comme en témoigne l'établissement par Industrie Canada des programmes Rescol et Ordinateurs pour l'école. L'association prône de nouveaux investissements dans ces mesures et valorise sa collaboration au programme Rescol. Les projets comme la consultation entre l'association et le Rescol au sujet de l'intégration des technologies de l'information à la démarche d'apprentissage constituent un excellent outil de discussion et de rétroaction sur l'exploitation des technologies d'apprentissage en milieu scolaire.

• 0925

L'association recommande que le gouvernement fédéral collabore avec les provinces, les commissions scolaires et les entreprises pour instituer les programmes et le financement nécessaires pour aider les élèves de niveau secondaire qui ne poursuivent pas leurs études à l'université ou au collège, lesquels représentent près des deux tiers des effectifs de niveau secondaire.

Nous recommandons aussi d'inclure dans le budget de 2000 les investissements suivants dans la nouvelle économie fondée sur le savoir: premièrement, établir un programme fédéral, avec la participation des provinces, des commissions scolaires et des entreprises, afin d'offrir aux élèves de niveau secondaire des possibilités d'apprentissage et de travail propres à faciliter la transition de l'école au travail, parce que les deux tiers des élèves de niveau secondaire du Canada ne font pas d'études postsecondaires; deuxièmement, financer un programme technique et professionnel à l'échelle du Canada qui permettrait aux étudiants d'acquérir les compétences et les connaissances nécessaires pour soutenir la concurrence dans la nouvelle économie mondiale; et enfin, permettre un meilleur accès aux technologies modernes et à Internet pour tous les Canadiens, en particulier dans les salles de classe de tout le pays.

Je vous remercie beaucoup d'avoir pris le temps d'entendre notre point de vue. J'espère que le processus de consultation prébudgétaire vous a paru instructif. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Merci, monsieur.

Le président: Merci beaucoup, madame LeGrow.

Nous entendrons maintenant Mme Pamela Heneault, qui est directrice des relations gouvernementales à la Canadian Living Foundation. Je vous souhaite la bienvenue, madame Heneault.

Mme Pamela Heneault (directrice des relations gouvernementales, Canadian Living Foundation): Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du comité.

En 1997 et de nouveau en 1998, le directeur général de la Canadian Living Foundation a été invité à présenter un exposé devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes dans le cadre des consultations prébudgétaires.

En raison de changements d'orientation survenus au cours des trois dernières années, on a assisté à une évolution du climat financier, des valeurs sociales dominantes et de l'opinion publique à l'égard de l'ordre de priorité accordé aux politiques publiques. Nos priorités en matière de dépenses ainsi que les grands éléments de discussion sur les politiques gouvernementales évoluent également. Dans le plan d'action du gouvernement, une priorité demeure toutefois inébranlable: l'importance à accorder aux enfants.

Je signale au comité que c'est aujourd'hui—vous le savez peut-être—le jour où l'UNICEF et notre directeur général des élections organisent des votes d'un bout à l'autre du Canada auprès de nos jeunes sur les droits des enfants; ainsi, les enfants du Canada ont l'occasion de voter sur leurs droits prioritaires définis dans la convention de l'ONU. Demain, c'est le jour national de l'enfant, et je vous invite à réfléchir à la façon dont vous allez passer cette journée à célébrer l'importance que nous attachons à nos enfants.

La Canadian Living Foundation est le seul organisme national sans but lucratif qui appuie les actions communautaires en faveur d'une bonne alimentation des enfants afin de contrer l'insécurité alimentaire. Au moyen du programme Déjeuner pour apprendre, la fondation a fourni, depuis 1992, 45 millions de repas à des enfants dans 2 500 localités canadiennes.

Dans le discours du Trône de 1997, le gouverneur général Roméo LeBlanc a annoncé la création d'un programme d'action national pour les enfants visant à intégrer les politiques et les programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux destinés à améliorer le bien- être des enfants du Canada. Avec le temps, tous les ordres de gouvernement, les citoyens et les défenseurs des droits des enfants se sont associés au programme.

À la fin de 1999, on a publié un document de réflexion qui reflète notre opinion sur l'avenir que nous promettons, en tant que citoyens canadiens, à nos enfants. Il s'agit maintenant de concrétiser ce projet de société. Les consultations budgétaires en cours en vue de 2000-2001 sont l'occasion pour le gouvernement de prendre des engagements financiers qui assureront l'atteinte de ces grands objectifs que nous nous fixons pour nos enfants.

Le gouvernement fédéral a dit avoir à coeur les intérêts des enfants. En 1996, au Sommet mondial pour les enfants dont il assurait le coprésidence, le Canada a fait la déclaration suivante: en périodes difficiles comme en périodes favorables, la priorité doit être accordée aux enfants dans l'utilisation des ressources nationales. Je rappelle au comité qu'en 1998 le caucus libéral national a voté en faveur d'une résolution exhortant le gouvernement du Canada à prendre des mesures pour établir un programme national d'alimentation des enfants.

Le gouvernement fédéral a pris des mesures, fiscales surtout (la prestation fiscale pour enfants par exemple), pour montrer son engagement à l'égard des enfants des familles à faible revenu. La pauvreté demeure toutefois une menace constante à notre identité nationale. D'après l'Association canadienne de santé publique, un Canadien sur trois connaîtra la pauvreté à une période de sa vie.

Ce qui est plus troublant pour tous les Canadiens, c'est la persistance de la pauvreté chez les enfants. D'après un bulletin publié dans le cadre de Campagne 2000, la pauvreté chez les enfants a progressé de 55 p. 100 de 1989 à 1997. Au Canada, un enfant sur cinq vit dans la pauvreté. Ces statistiques démentent les bonnes intentions des Canadiens et des artisans des politiques gouvernementales.

• 0930

La pauvreté apporte d'autres défis très exigeants, dont le plus important est de réduire les inégalités sur le plan de la santé causées par la pauvreté. Voici quelques éléments pour alimenter votre réflexion. Les taux de mortalité sont de 50 p. 100 plus élevés chez les enfants pauvres, d'après la Ligue pour la protection de l'enfance. Deux fois plus d'enfants pauvres commencent à prendre du retard à l'école à partir de la cinquième année. Parmi les enfants qui commencent l'école, un sur quatre aura dès l'âge de 11 ans des problèmes affectifs, comportementaux, sociaux ou d'apprentissage, d'après Voices for Children. Les enfants pauvres sont deux fois plus susceptibles de souffrir d'un handicap de longue durée ou d'autres problèmes chroniques de santé, d'après l'Association canadienne de santé publique. Chez les enfants qui vivent dans la pauvreté, le taux de décrochage est le double de la moyenne nationale. Les pertes de revenu associées à cette situation sont estimées à 23 milliards de dollars. Lorsque les écarts de revenu diminuent au sein d'une population, son état de santé s'améliore, d'après l'Institut Vanier. En 1998, plus de 250 000 enfants ont eu recours à des banques alimentaires, d'après l'Association canadienne des banques alimentaires.

Ces statistiques sont bien sûr des plus convaincantes, mais le Canada n'a pas les moyens de faire face à cette situation. L'État doit fournir à ces enfants des services plus nombreux dont les coûts sont astronomiques. Dans bien des cas, ces coûts sont directement attribuables au fait que l'enfant ne peut apprendre comme il le pourrait. Selon la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, «les enseignants ne peuvent feindre d'ignorer que les carences alimentaires dont souffre un enfant qui a faim entraînent des retards du développement qui, dès la septième année, peuvent être irréversibles».

Nous sommes convaincus que les Canadiens veulent une action collective. Aussi incroyable que cela puisse paraître, des décideurs ont déclaré que l'insuffisance des données sur les politiques et les programmes qui contribuent à améliorer la santé des enfants a freiné sérieusement la mise en oeuvre de mesures globales. Il est vrai que ce n'est que récemment que le nombre de publications consacrées aux problèmes des enfants dépasse celui des publications sur la préparation des repas. L'immobilisme dont a fait montre jusqu'à présent le gouvernement fédéral dans les programmes visant à améliorer le bien-être de nos enfants doit faire place à une volonté de prendre des mesures concrètes.

Les Canadiens souhaitent que des mesures collectives soient prises pour répondre aux besoins des enfants du pays. Il est vrai qu'il appartient d'abord aux parents de s'occuper de leurs enfants, mais le milieu, les familles et les gouvernements ont également un rôle à jouer auprès d'eux. D'ailleurs, les résultats des sondages d'opinion réalisés au cours des 18 derniers mois convergent. Autrement dit, les Canadiens veulent que le gouvernement accorde une importance prioritaire aux enfants dans les budgets futurs.

Quelles priorités en matière de dépense cadreront avec l'importance prioritaire accordée aux enfants? Tout d'abord, le gouvernement doit joindre le geste à la parole. Le député de Don Valley-Ouest, John Godfrey, a apporté une précieuse contribution à la promotion des intérêts des enfants. Dans ses fonctions de président du Sous-comité sur les enfants et les jeunes à risque et dans les actions qu'il a menées au cours des dernières années avec la sénatrice Landon Pearson pour attirer de façon soutenue l'attention sur les besoins des enfants, son apport a été inestimable. Bien que les gouvernements disent accorder une importance prioritaire aux enfants dans la répartition des ressources nationales, des restrictions financières ont été imposées ces dernières années. La proportion de personnes pauvres a donc augmenté et les conséquences négatives pour les enfants se sont accentuées.

Nous recommandons instamment au gouvernement fédéral de ne pas s'en tenir seulement à des mesures fiscales et de trouver des solutions globales pour répondre aux besoins des enfants du Canada. Le débat se déroule toujours à l'égard de ce qu'il faut choisir, le soutien du revenu ou la fourniture de services. Lors d'échanges de vues que nous avons eus avec des hauts fonctionnaires et des représentants du gouvernement fédéral, on nous a demandé si le gouvernement devrait fournir aux populations vulnérables un soutien au revenu ou des services. Nous militons en faveur de tous les enfants, et par notre programme Déjeuner pour apprendre nous appuyons les initiatives communautaires visant à assurer une bonne alimentation. C'est pourquoi nous tentons d'aider les collectivités à trouver des solutions au problème de l'insécurité alimentaire. Nous nous sommes donné comme mission de faire en sorte qu'aucun enfant d'âge scolaire au Canada ne souffre de la faim. Il est possible d'y parvenir soit par un soutien du revenu, soit par la fourniture de services. Il ne s'agit pas de choisir entre les deux options; il faut les retenir toutes les deux.

Le débat n'est pas axé sur le choix entre différents outils d'intervention, mais plutôt sur la nécessité d'adopter une approche globale visant à réduire au minimum les effets négatifs sur nos enfants; à améliorer les éléments qui contribuent à protéger la santé: hérédité, mode de vie, milieu physique, conditions économiques, éducation et situation sociale; et à soutenir les programmes qui contribuent à accroître le bien-être des enfants.

Pourquoi un programme alimentaire pancanadien? L'égalité des chances est liée au revenu. Voici ce qu'a dit à cet égard Alvin deGruyer dans un mémoire qu'il a rédigé pour le compte de l'Institut Vanier: «La mort est démocratique, mais son report est un privilège lié à la situation économique des personnes.»

• 0935

Autrement dit, la pauvreté constitue un facteur de risque pour tout ce qui touche la santé. L'État doit protéger dans toute la mesure du possible les enfants de ces facteurs de risque. La collectivité a pris la relève pour s'attaquer aux problèmes dans les domaines de politique sociale dont les divers ordres de gouvernement se sont retirés pendant les périodes de réorientation financière. Pour notre part, nous avons commencé à collaborer avec les collectivités en 1992. Cependant, celles-ci ne sont pas en mesure d'assumer le lourd fardeau que représentent des problèmes sociaux persistants comme la pauvreté et le chômage.

Déjeuner pour apprendre vise à mettre sur pied un programme alimentaire communautaire pour les enfants dans l'ensemble du Canada. Les programmes gouvernementaux peuvent être complétés grâce à une aide du milieu fournie par des organismes bénévoles comme le nôtre. Le programme alimentaire que nous avons mis sur pied vise à contrer la situation d'insécurité alimentaire que vivent des enfants canadiens.

Les résultats d'études approfondies sont clairs: un enfant affamé ne peut pas assimiler des connaissances. La faim et la malnutrition ont des effets défavorables sur le fonctionnement cognitif, l'humeur, la concentration et la capacité d'apprendre. Nous devons multiplier le plus possible les moyens d'accroître l'égalité des chances, liée au revenu. D'après le rapport du Sénat sur la pauvreté chez les enfants, nous devons réduire les inégalités qui influent sur l'état de santé.

Nous faisons un appel à l'action pour assurer une société juste. Dans le témoignage qu'il a présenté en 1999 au Sous-comité sur les enfants et les jeunes à risque, l'illustre Tom Kent a réclamé un investissement national dans notre ressource la plus précieuse—les enfants. M. Kent a ajouté qu'idéalement les gouvernement fédéral, provinciaux et territoriaux devraient participer à cet investissement, mais que si certaines provinces refusent, le gouvernement fédéral devrait être prêt à prendre des mesures dans l'intérêt national.

Il n'appartient pas à la fondation de juger les moyens que prend le gouvernement fédéral pour exercer un leadership efficace dans l'esprit de fédéralisme coopératif défini dans le pacte d'union sociale. Nous soutenons toutefois vigoureusement qu'il ne faut pas abandonner les politiques et les intérêts nationaux et compromettre l'avenir de nos enfants par des conflits de compétences. Les enfants passent en premier.

Les investissements stratégiques sont par définition ceux qui apportent des avantages à long terme. Au cours de la série de consultations sur le budget, ceux qui militent en faveur des enfants et les intervenants des autres secteurs de l'économie exprimeront des points de vue opposés au sujet notamment des dépenses de programmes et des dépenses fiscales. Il est certain que la mondialisation de l'économie met le Canada en concurrence avec des pays dont les dépenses gouvernementales, les facteurs de production, les régimes de protection de l'environnement et les politiques fiscales paraîtront, du moins pendant un certain temps, plus attrayants aux investisseurs. Nous devons cependant tenir compte de l'avenir.

Les Canadiens savent faire la distinction entre des avantages à court et à long terme et savent qu'il y aura toujours des pays et des économies émergentes où le climat d'investissement est plus favorable. Nous et le gouvernement fédéral devons prévoir dans les prochains budgets de faire des investissements stratégiques dans notre ressource la plus précieuse—les enfants.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, madame Heneault.

Nous entendrons maintenant des représentants de la National Coalition on Housing and Homelessness, M. Frank Palmater, vice- président, Congrès des peuples autochtones, et Debbie Saidman. Bienvenue.

Mme Debbie Saidman (membre du conseil national d'administration, Fédération de l'habitation coopérative du Canada; National Coalition on Housing and Homelessness): Merci.

Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs. Nous vous remercions de nous avoir offert cette occasion de nous adresser à votre comité. Je m'appelle Debbie Saidman et je suis membre du conseil national d'administration de la Fédération de l'habitation coopérative du Canada. Je suis accompagnée de Frank Palmater, vice-président du Congrès des peuples autochtones. Je désire remercier le comité, au nom de tous les membres de la National Coalition on Housing and Homelessness, de nous avoir invités à lui faire part de nos préoccupations à l'égard du logement et de la crise des sans-abri et du prochain budget fédéral.

La National Coalition on Housing and Homelessness est un nouveau partenariat d'organisations nationales et régionales. La coalition a été constituée en septembre 1999 afin d'être un important intervenant national dans le domaine du logement et des sans-abri. En fait, l'exposé que nous ferons aujourd'hui sera la première déclaration publique de notre nouvelle coalition.

Nous accueillons sans cesse de nouveaux associés. Parmi nos membres actifs on retrouve des groupes autochtones, l'Assemblée des premières nations, le Congrès des peuples autochtones, le Métis National Council, l'Association nationale du logement autochtone et la Native Women's Association of Canada.

Du secteur du logement, nous accueillons la B.C. Tenants' Rights Action Coalition, l'Association canadienne d'habitation et de rénovation urbaine, la Fédération de l'habitation coopérative du Canada, le National Housing and Homelessness Network, l'Ontario Non-Profit Housing Association, la Fédération régionale des coopératives d'habitation du Québec, la Raising the Roof Foundation, et le Toronto Disaster Relief Committee.

• 0940

Du secteur des Églises nous accueillons la Conférence des évêques catholiques du Canada et l'Église unie du Canada.

Enfin, du secteur des syndicats, des administrations municipales et des groupes sociaux nous accueillons le Conseil canadien de développement social, le Congrès du travail du Canada, Services à la famille Canada, la Fédération canadienne des municipalités, l'Organisation nationale anti-pauvreté et le groupe National Canadian Pensioners Concerned Inc.

M. Frank Palmater (vice-président, Congrès des peuples autochtones, National Coalition on Housing and Homelessness): Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés. Je m'appelle Frank Palmater et je suis vice-président du Congrès des peuples autochtones.

Le Congrès des peuples autochtones est un organisme autochtone national représentant quelque 850 000 Autochtones qui hors des réserves, qui vivent à l'extérieur des communautés des Premières nations: Indiens, Inuits, Métis, Indiens inscrits, Indiens non inscrits, Métis détenteurs de certificat, Métis non détenteurs de certificat, Indiens visés par des traités, et Indiens qui ne sont pas visés par des traités. Il s'agit là d'Autochtones qui sont beaucoup plus nombreux que tous les autres groupes d'Autochtones au Canada. Notre organisation, le congrès, parle en leur nom, et nous comptons 13 associations membres provinciales ou territoriales, et nombre d'entre elles sont responsables de l'élaboration de politiques en matière de logement autochtone et de la création d'infrastructures dans ce secteur au nom des gouvernements provinciaux.

Le congrès s'intéresse depuis très longtemps aux programmes de logement autochtone en milieu urbain et hors réserve. Au fil des ans, les leaders du congrès ont collaboré avec les responsables fédéraux du logement afin d'identifier les besoins en matière de logement des Autochtones et les objectifs dans ce domaine.

Le congrès est heureux de faire partie de la National Coalition on Housing and Homelessness, et d'appuyer la demande de la coalition qui exhorte le gouvernement fédéral à faire un réinvestissement important dans le domaine du logement social. Avant de vous donner de plus amples détails sur cette proposition, j'aimerais vous dire quelques mots sur les préoccupations en matière de logement des Autochtones.

Plusieurs rapports et études ont été publiés sur la crise actuelle dans le domaine du logement et des sans-abri au Canada. Nous en parlerons d'ailleurs un peu plus tard. Cependant, j'aimerais parler tout particulièrement du rapport de la ville de Toronto intitulé «Taking Responsibility for Homelessness: An Action Plan for Toronto». Les auteurs du rapport signalent que les Autochtones représentent un volet beaucoup trop important des sans- abri de Toronto, soit environ 15 p. 100 de la population des sans- abri, ou 4 000 personnes en 1996. Quelque 8 000 autres Autochtones risquent de devenir sans-abri.

La population autochtone urbaine représente le segment de la société canadienne qui croît le plus rapidement. Entre 1981 et 1991, ce segment a augmenté de 62 p. 100 alors que le reste de la population urbaine au Canada n'a augmenté que de 11 p. 100. De plus, entre 40 et 76 p. 100 des foyers autochtones dans les grandes régions urbaines vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Malgré la situation, il existe moins de 10 000 unités de logement social financées par le gouvernement fédéral en région urbaine à l'échelle nationale; cela veut dire que les logements à prix abordable disponibles ne représentent que 0,18 p. 100 du nombre de logements nécessaires.

De plus, les auteurs du rapport de Toronto ont dit que le problème s'expliquait largement par l'inaction du gouvernement. En 1993, le gouvernement fédéral a cessé d'assurer une aide financière pour l'acquisition de nouveaux logements autochtones en milieu urbain et en a confié la responsabilité aux provinces. Les auteurs du rapport de Toronto recommandent que le gouvernement fédéral assume la responsabilité du financement du logement et des programmes d'aide sociale réservés aux sans-abri autochtones.

Troisièmement, les auteurs du rapport de Toronto ont noté que, puisque les Autochtones préfèrent souvent utiliser les services qui ont été conçus précisément pour eux, les nouveaux programmes visant à lutter contre la clochardise devraient être administrés par les organisations autochtones. Les organismes administrés par les Autochtones sont les endroits où les gens peuvent être fiers d'être Autochtones et trouver l'aide qu'il leur faut et se sentir acceptés. Les services administrés par les Autochtones peuvent incorporer les valeurs de leur propre culture et être ainsi plus efficaces.

• 0945

En 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones a également fait ressortir l'avantage d'avoir des logements qui appartiennent aux Autochtones et qui sont administrés par ces derniers. Les locataires jugeaient qu'avoir accès à des logements abordables et aux commodités de base leur donnait un certain sentiment de permanence, leur assurait des racines dans la ville, tout en maintenant des liens avec la réserve et les communautés rurales.

Nous exhortons le gouvernement à s'engager à nouveau à financer les logements sociaux et nous l'exhortons à assurer que les Autochtones seront responsables du contrôle et de la prestation de ces services.

Les conditions de logement dans les réserves des Premières nations sont aussi déplorables, et on les a même décrites comme des conditions qu'on retrouverait dans les pays du tiers monde. Le gouvernement fédéral a continué à financer la construction de nouveaux logements dans les communautés des Premières nations, mais il a réduit de façon dramatique ce financement au cours des dernières années. En plus d'accroître la disponibilité de nouveaux logements, le gouvernement doit contribuer de façon marquée à l'entretien et à la réparation des biens d'équipement afin que les logements disponibles soient dans un état convenable.

J'aimerais maintenant dire quelques mots sur les logements autochtones en milieu urbain financés par le gouvernement fédéral. En 1996, le gouvernement fédéral a annoncé qu'il avait l'intention de transférer la responsabilité de ce dossier aux gouvernements provinciaux et territoriaux. Le Congrès des peuples autochtones a exhorté le gouvernement fédéral, sans succès, à mettre un frein à ce transfert et à songer plutôt à en transférer la responsabilité aux communautés autochtones.

À ce jour, le gouvernement a signé des ententes avec neuf gouvernements provinciaux et territoriaux. Non seulement cela va à notre avis à l'encontre de la Constitution, mais nous croyons de plus que les ententes financières qui entourent ce transfert mettent en péril le peu de logements déjà disponibles.

Le congrès continuera à exhorter le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux à assurer que le dossier des logements sociaux demeure la responsabilité de la communauté autochtone. Nous croyons sincèrement que la protection des logements autochtones actuels est un élément important d'une stratégie plus générale qui vise à régler les problèmes de logement et de clochardise chez les Autochtones.

Mme Debbie Saidman: Nous sommes ici aujourd'hui pour vous transmettre un message clair: notre pays et le gouvernement fédéral ne peuvent plus attendre avant de s'attaquer au problème du logement et des sans-abri.

L'ampleur de la crise est évidente. Au Canada, 834 000 ménages locataires consacrent 50 p. 100 ou plus de leur revenu avant impôt au logement. En tout, c'est plus de 2,25 millions de femmes, d'hommes et d'enfants qui risquent constamment de se retrouver à la rue. La moindre interruption dans leur revenu—attribuable à la maladie, à une mise à pied, ou même à un retard dans l'émission des chèques d'aide sociale—jettera de plus en plus de ces gens à la rue.

Le problème des sans-abri au Canada est énorme. Malheureusement, un nombre croissant de familles avec des enfants sont sans-abri. Et le phénomène ne touche pas que Toronto. Calgary, Edmonton, Hamilton, Kitchener, Montréal, Ottawa, Regina, la région de Peel, en Ontario, Vancouver et Winnipeg font tous état d'une augmentation considérable du nombre de sans-abri. Chaque soir au Canada les refuges refusent des sans-abri faute de place.

Annexé au présent mémoire se trouve un portrait de la situation du logement et des sans-abri dans 13 villes canadiennes. Les documents de recherche abondent. Where's Home? constitue le portrait le plus exhaustif de la crise du logement en Ontario. De nouvelles données ont récemment été ajoutées, portant à 21 le nombre de collectivités ontariennes aux prises avec ce problème. La Fédération canadienne des municipalités a publié une série de profils municipaux pour certaines villes. De nombreuses collectivités, de taille variée, ont effectué leurs propres études sur le logement et les sans-abri.

Pendant la décennie se terminant en 2010, le Canada aura besoin de 450 000 unités de logement abordables additionnelles pour répondre à la demande croissante de logements des Canadiens. D'après les prévisions les plus optimistes, le secteur privé ne pourra répondre qu'à une fraction de la demande. Et le nombre infime de logements privés que l'on construit sont à loyer élevé.

• 0950

Il est temps d'agir. Les causes profondes sont claires. Les travailleurs à temps plein qui logent dans des refuges pour sans-abri à Calgary et dans la région de Peel, en Ontario, ne cherchent pas une chambre à rabais. Ils y sont parce qu'il n'y a pas suffisamment de logements locatifs abordables, même pour ceux qui ont un emploi.

Des familles avec des enfants sont hébergées dans des refuges pour sans-abri ici même à Ottawa, à Toronto et dans de nombreuses autres collectivités. Dans la plupart des cas, elles ont dû quitter leur foyer parce qu'elles ne pouvaient plus se permettre de payer le loyer.

Le Centre for Equality Rights in Accommodation a publié dernièrement les résultats de l'analyse la plus exhaustive menée au Canada sur l'expulsion des locataires. Il a suivi en détail les quelque 500 demandes d'expulsion présentées chaque semaine à Toronto par des propriétaires. La raison invoquée dans 77 p. 100 de ces demandes était un retard dans le paiement du loyer.

Where's Home? a constaté que dans presque toutes les collectivités ontariennes—dans 19 des 21 centres visés par l'étude—le loyer avait augmenté plus rapidement que le taux d'inflation, tandis que le revenu des locataires avait stagné ou diminué. Dans les 21 centres visés, un nombre croissant de ménages locataires éprouvaient de graves difficultés à se trouver un logement locatif abordable en raison de la hausse des loyers et de la baisse de leur revenu.

Un nombre croissant de ménages locataires n'arrivent plus à joindre les deux bouts et se retrouvent à la rue. Les refuges pour sans-abri de Barrie, en Ontario, ont signalé une augmentation de 1 235 p. 100 des séjours d'une nuit pendant la période de cinq ans se terminant en 1998. Les refuges pour sans-abri de Calgary affichent complet. À Toronto, les refuges sont remplis à pleine capacité, et même plus. Des gens frappent en vain aux portes verrouillées des refuges.

Le manque de logements abordables est l'une des principales causes de la crise nationale du logement. Le nombre insuffisant de logements locatifs en est une autre.

Dans de nombreuses régions du pays, le taux de disponibilité locative est près de zéro, ou même inférieur à zéro. Le secteur privé ne construit pas de logements abordables. Il ne peut tout simplement pas toucher un revenu suffisant des locataires pour payer les coûts de construction et d'entretien des immeubles locatifs.

Pendant les cinq décennies qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral s'est comporté en véritable partenaire pour créer des logements à prix abordable. Pendant les 25 premières années, les paliers supérieurs de gouvernement au Canada ont financé, fait construire et géré un vaste réseau de logements publics. À partir des années 70, le gouvernement fédéral, puis quelques provinces, ont commencé à financer des projets coopératifs et communautaires de logement à but non lucratif pour répondre aux besoins des Canadiens.

Les décennies de soutien fédéral au logement à prix abordable ont produit des résultats tangibles. En 1998, à l'exclusion des unités de logement à loyer subventionné appartenant au secteur privé, le Canada avait 630 000 unités de logement social, dont 205 000 appartenant au gouvernement, 285 000 unités de logement communautaire à but non lucratif, 90 000 unités coopératives appartenant aux résidents et gérées par eux et 50 000 unités à but non lucratif destinées aux Autochtones en milieu rural, urbain et dans les réserves.

Cependant, le gouvernement fédéral a progressivement retiré sa participation aux programmes de logement à partir de 1984. Dès 1993, Ottawa avait cessé tout financement de nouveaux logements à prix abordable. En 1996, Ottawa a commencé à négocier pour transférer le reste de son portefeuille du logement social aux provinces et aux territoires. Une fois ce transfert terminé, le Canada sera le seul grand pays développé au monde qui n'ait aucun programme national de logement.

• 0955

Du côté de l'offre, le secteur privé n'a eu ni la volonté ni la possibilité de construire. Pendant des années, ce sont des projets de logement social qui ont tenté de répondre aux besoins, mais ils ont été supprimés en 1993. Six ans plus tard, en 1999, on aurait tort de s'étonner qu'il faille faire face à une véritable crise du logement à l'échelle nationale.

Le Canada ne manque pas de solutions précises à la crise du logement et à la catastrophe de l'itinérance, des sans-abri. Nous avons déjà réussi à financer la construction de centaines de milliers d'unités de logement à prix abordable. Dans de nombreuses localités du pays, on trouve d'excellents modèles de projets visant des besoins particuliers en matière de logement. On dispose en outre d'un grand nombre d'études utiles sur tous les aspects de la problématique du logement, dont un certain nombre ont été réalisées à la demande de la Société canadienne d'hypothèques et de logement. Il existe également un grand nombre de plans d'action dans ce domaine.

Dans le plus récent discours du Trône, le gouvernement fédéral a reconnu la gravité du problème de l'itinérance en déclarant:

    En outre, le gouvernement continuera à travailler de concert avec ses partenaires dans tous les secteurs pour s'attaquer aux causes profondes à l'origine de la situation des sans-abri et pour aider les collectivités à répondre aux besoins de leurs membres, entre autres en matière de logement.

Nous accueillons favorablement cet engagement de partenariat, mais dans un véritable partenariat chaque partenaire apporte quelque chose de tangible dans la relation. Ce qui manque actuellement, c'est un engagement du gouvernement fédéral à réinvestir massivement dans le logement et dans des initiatives connexes susceptibles de répondre aux besoins tout aussi importants des Canadiens en matière de logement.

Avec un nombre croissant d'organismes nationaux, provinciaux et locaux, notre coalition approuve la formule du 1 p. 100. Les dépenses en logement de tous les paliers de gouvernement—fédéral, provincial, territorial et municipal—équivalent à environ 1 p. 100 de l'ensemble des budgets. La solution du 1 p. 100 préconise un montant supplémentaire de 1 p. 100 qui sera consacré au logement.

Pour le gouvernement fédéral, la solution de 1 p. 100 représente environ 2 milliards de dollars chaque année. Ces 2 milliards de dollars peuvent non seulement compenser les restrictions budgétaires massives subies par les programmes de logement de 1984 à 1993, mais permettront aussi à des dizaines de milliers de Canadiens d'accéder à des logements de bonne qualité à prix abordable.

La Fédération canadienne des municipalités a rédigé un document sur les options de la politique nationale du logement, qui préconise un soutien fédéral couvrant 70 000 unités de logement par année. Nous approuvons le plan de stratégie nationale de la fédération, qui comporte 20 000 nouvelles unités, 10 000 rénovations d'unités et 40 000 nouvelles unités à loyer subventionné par an sur une période de 10 ans.

Au plan administratif, il existe de nombreuses solutions qui peuvent concrétiser cette formule du 1 p. 100, ainsi que le document sur les options de la politique nationale du logement.

Le président: Je demande à chacun d'entre vous de s'en tenir à cinq minutes, mais je vais suivre l'avis de M. Weiner et étendre la période des questions et réponses pour donner la parole à tout le monde. Allez-y.

Mme Debbie Saidman: Bien. Est-ce que je peux terminer? J'en suis à ma dernière page.

Le président: D'accord.

Mme Debbie Saidman: Il existe de nombreuses solutions qui peuvent concrétiser cette formule du 1 p. 100, ainsi que le document sur les options de la politique nationale du logement. Certaines ont déjà été mises à l'épreuve, d'autres constituent de nouvelles propositions. Par exemple, l'Association canadienne d'habitation et de rénovation urbaine a un projet de fondation de logement qui pourrait contribuer à la création des nouvelles unités dont nous avons tant besoin. Aucune option n'apporte de solution complète à ce problème national.

La première étape devrait consister, pour le gouvernement fédéral, qui constitue un partenaire clé dans toute solution en matière de logement, à de venir à la table de concertation avec un engagement de financement précis et substantiel. Il faut créer une enveloppe de financement et adopter comme objectif global la formule du 1 p. 100. Les autres partenaires, à savoir les provinces, les territoires, les municipalités, les groupes communautaires et le secteur privé, peuvent également fournir les ressources matérielles et humaines nécessaires pour remédier à la crise nationale du logement et à la catastrophe de l'itinérance au Canada.

Merci. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup.

Nous passons maintenant au Getting Landed Project, avec son président, Francisco Rico-Martinez, du Conseil canadien pour les réfugiés; son coordonnateur, Ahmed Hashi; ainsi que Michael Kerr, des services communautaires. Soyez les bienvenus.

M. Ahmed Hashi (coordonnateur, Getting Landed Project): Merci.

• 1000

Monsieur le président, membres du comité, nous vous remercions de nous donner l'occasion de comparaître devant vous. Nous représentons un projet appelé Getting Landed Project, qui a été lancé par trois coalitions solidaires des réfugiés: la Coalition pour une politique juste à l'égard des requérants du statut de réfugié, l'Ontario Sanctuary Coalition et la Coalition Against the Head Tax. Ces coalitions se composent de plus de 60 organismes, dont des organisations non gouvernementales, des groupes religieux, des groupes de justice sociale et des organismes communautaires d'aide aux réfugiés.

Monsieur le président, comme vous le savez, les réfugiés et les immigrants qui arrivent au Canada ont à relever des défis considérables lorsqu'ils cherchent à s'établir et à s'intégrer, le principal de ces défis étant d'obtenir le statut d'immigrant reçu. L'obtention de ce statut, de même que la résidence permanente, est essentielle pour obtenir des avantages et des privilèges: la possibilité de retrouver le conjoint, les enfants et les membres de la famille, de meilleures perspectives d'emploi, l'accès aux prêts aux étudiants et au crédit bancaire, le droit de voyager en dehors du Canada et d'y revenir et le droit d'être citoyen canadien.

Cependant, l'obtention du statut d'immigration reçu n'est pas une tâche facile pour les réfugiés et les immigrants. Nous avons relevé trois problèmes qui y font obstacle. Le premier est le droit exigé pour l'établissement, qui est condamnable. Le deuxième est l'interminable enquête de sécurité, et le troisième est l'exigence de papiers d'identité.

Aujourd'hui, monsieur le président, nous ne parlerons que du premier problème, à savoir le droit exigé pour l'établissement, car nous croyons savoir qu'il exige une intervention spécifique de la Chambre des communes, du Comité permanent des finances et du processus budgétaire du gouvernement fédéral.

Monsieur le président, ce droit exigé pour l'établissement a été créé en 1995 par le gouvernement fédéral. Il oblige chaque réfugié ou immigrant adulte à verser 975 $. Au moment de la présentation de cette mesure, le gouvernement fédéral procédait à d'importantes coupures visant la réduction du déficit et l'augmentation des recettes pour équilibrer son budget. Aujourd'hui, même les réfugiés kosovars qui ont été amenés par avion au Canada doivent verser ces 975 $ pour rester au Canada. En plus du droit de 975 $, les réfugiés doivent acquitter un droit non remboursable de traitement de leur demande de 500 $ par adulte et de 100 $ par enfant. Une famille de quatre personnes qui demande le statut de résident permanent devra acquitter 3 150 $ pour le traitement de sa demande. Monsieur le président, c'est là un fardeau écrasant pour des réfugiés.

Permettez-moi de vous raconter l'histoire d'un réfugié de l'Afghanistan. Il s'appelle Gada, et voici son histoire—je cite:

    Ma famille et moi-même, c'est-à-dire ma femme et mes quatre enfants, sommes arrivés d'Afghanistan au Canada en tant que réfugiés le 25 novembre 1997. Par la suite, j'ai reçu une lettre du chef des services de perception datée du 25 mai 1998 m'indiquant que je devais commencer à rembourser ma dette de 8 932,75 $, qui a plus tard atteint un montant total de 9 857,63 $...

    Même si je remercie sincèrement le gouvernement du Canada de son aide humanitaire, je dois reconnaître qu'il m'est très difficile de rembourser ma dette. Mes deux enfants font de l'anémie. J'achète régulièrement des médicaments pour eux. Malheureusement, je suis assisté social. J'ai récemment obtenu un emploi à temps partiel qui doit se terminer en mars 2000. Je gagne environ 900t par mois, ce qui n'est pas suffisant pour joindre les deux bouts.

D'après nos calculs, Gada va devoir continuer à rembourser ce... Il rembourse 187 $ par mois, et il lui faudra plusieurs années pour tout rembourser.

• 1005

Monsieur le président, le droit exigé pour l'établissement, considéré en tant qu'élément du budget, génère des recettes qui devaient être de 156,8 millions de dollars chaque année. Or, les recettes réelles ont dépassé ce montant. En 1996-1997, alors que les recettes prévues restaient inchangées à 156,8 millions de dollars, les recettes réelles ont atteint 167,3 millions de dollars, ce qui est bien supérieur aux recettes prévues. De 1997 à 1998, ce droit a généré 119 millions de dollars de recettes, à cause de la diminution des effectifs de l'immigration.

Quel est le problème causé par ce droit d'établissement? Il exerce un effet discriminatoire contre les nouveaux venus, car il s'agit d'une taxe spéciale, alors que les nouveaux venus payent des impôts comme tous les autres Canadiens. Nous estimons que l'immigration est un investissement et qu'en définitive les immigrants et les réfugiés contribuent davantage à l'économie canadienne qu'ils n'en retirent. Le droit exigé pour l'établissement est discriminatoire à l'égard des pauvres et des gens de couleur, car il s'agit d'un impôt forfaitaire qui ne tient pas compte de la solvabilité du nouveau venu. Il est très injuste envers les réfugiés et les immigrants des pays du tiers monde, qui sont pour la plupart des gens de couleur relativement pauvres.

Monsieur le président, ce droit viole le principe de l'équité fiscale. En tant que montant forfaitaire, il viole le principe de l'équité fiscale parce qu'il est doublement régressif. Tout d'abord, il est imposé à des personnes et des familles qui ne sont pas en mesure de supporter le fardeau. Deuxièmement, pour ceux qui doivent emprunter afin d'acquitter ce droit—les 975 $ par adulte—et pour ceux qui ne sont pas en mesure de l'acquitter, son coût total est plus lourd que pour les plus fortunés.

Mais surtout, monsieur le président, la possibilité d'acquitter le droit exigé pour l'établissement retarde la réunification des familles, qui constitue la pierre angulaire de la politique d'immigration de notre pays. Les conjoints qui ne peuvent acquitter ce droit n'ont pas la possibilité de parrainer les membres de leur famille, leur conjoint et leurs enfants restés à l'extérieur du Canada, ce qui retarde considérablement la réunification des familles et porte atteinte aux principes consacrés par la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux mesures de protection accordées aux familles par la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Monsieur le président, ce droit d'établissement constitue un lourd fardeau financier pour les nouveaux venus. Ils doivent emprunter de l'argent pour être accueillis au Canada. Comme les prêts du secteur privé, les prêts gouvernementaux sont excessifs, et le nouveau venu qui veut refaire sa vie se voit ainsi grevé d'une lourde dette. Il est donc doublement pénalisé financièrement.

Enfin, monsieur le président, le droit exigé pour l'établissement fait obstacle à l'intégration. Les nouveaux venus doivent faire des heures supplémentaires pour gagner les 975 $ avant de pouvoir faire venir leur famille. Il leur reste donc peu de temps pour rencontrer les autres Canadiens, pour participer à la vie civile, pour apprendre la langue et pour parfaire leur formation.

Monsieur le président, ce droit exigé pour l'établissement contrevient, à notre avis, aux obligations nationales et internationales du Canada. Il viole en esprit, sinon en droit, la Convention de Genève sur les réfugiés, qui oblige les gouvernements à tout mettre en oeuvre pour accélérer les procédures de naturalisation et pour éviter dans la mesure du possible les frais et les coûts de ces procédures—c'est l'article 24 de la convention.

Monsieur le président, nous considérons que ce droit exigé pour l'établissement ne répond plus à ses objectifs. Il a été créé à une période où le gouvernement s'efforçait de réduire son déficit. Comme nous l'avons indiqué précédemment, il occasionne 119 millions de dollars de recettes chaque année, dont 55,5 millions de dollars sont payés par des réfugiés. C'est un montant dérisoire par rapport aux excédents budgétaires prévus, et pourtant le Canada est le seul pays du monde à exiger un tel droit pour l'établissement des réfugiés. C'est une bien triste distinction à l'échelle mondiale.

• 1010

Monsieur le président, nous trouvons réconfortant de voir que depuis sa création cette mesure a suscité de l'opposition au Parlement. En 1997, puis en 1999, des députés de divers partis ont exprimé leur opposition à ce droit d'établissement. Nos coalitions apprécient le fait que de nombreux députés, conscients de l'injustice de ce droit et convaincus que les Canadiens ne souhaitent pas que l'on se serve des réfugiés comme source de recettes, ont exprimé leur préoccupation et leur opposition à cette mesure.

La remise en cause du droit d'établissement dépasse également les limites des groupes religieux. En 1995, les chefs des principales confessions religieuses au Canada se sont réunis dans une déclaration de solidarité avec les réfugiés. Les représentants nationaux de différentes confessions religieuses, notamment les catholiques, les protestants, les juifs, les musulmans, les sikhs, les hindous et les bouddhistes, ont conjointement demandé au gouvernement d'abolir ce droit d'entrée.

Monsieur le président, nous demandons instamment au gouvernement fédéral de supprimer le droit exigé pour l'établissement dans le budget de 2000-2001.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci.

Nous allons maintenant passer aux questions et réponses, en commençant par M. Epp, et chaque député dispose pendant ce tour de dix minutes.

M. Ken Epp (Elk Island, Réf.): Merci beaucoup, et merci à nos invités de ce matin.

J'ai écouté avec intérêt vos différents exposés et j'ai un certain nombre de questions pour vous. Je consulte ma montre, car sinon le président m'en fera le reproche.

Ma première question s'adresse à la fédération des professeurs et à l'association des commissions scolaires. Vous dénoncez la malnutrition et l'absence de repas scolaires; vous souhaiteriez qu'éventuellement les écoles fournissent des repas aux enfants. J'aimerais avoir quelques explications, car j'ai été élevé dans un foyer très modeste. Peut-être ne le savez-vous pas, mais c'est vrai. Mes parents étaient agriculteurs en Saskatchewan, et je suis né à la fin de la grande dépression; nous étions très, très pauvres. Notre situation était certainement différente, puisque nous habitions une ferme, mais nous n'avons jamais compté sur personne pour nous nourrir. Nos parents se sont toujours débrouillés pour nous nourrir.

À votre avis, quelle est la responsabilité des parents en ce qui concerne l'alimentation des enfants? À mon avis, c'est assez évident, mais j'ai l'impression qu'il manque quelque chose dans votre énoncé.

M. Harvey Weiner: Tout d'abord, j'estime que ce ne sont pas les écoles qui veulent fournir des repas aux élèves. Elles doivent leur en fournir à cause de ce qui se passe dans la société. Malheureusement, les écoles doivent intervenir dans bien d'autres domaines pour faire face aux problèmes que les enfants apportent à l'école aujourd'hui, et pour faire en sorte qu'ils aient la possibilité d'apprendre.

Les études et la recherche montrent que les élèves ne peuvent rien apprendre lorsqu'ils ont faim, lorsqu'ils sont sous-alimentés, etc. Pourquoi en est-il ainsi? Vous le devinez aussi bien que moi. Si vous voulez dire que les parents—et nous sommes d'accord sur ce point—sont les principaux responsables de cette situation, et qu'ils n'assument pas leur responsabilité, le reste de la société peut s'en laver les mains, on en revient à la loi de la jungle, où seul le plus fort a le droit de survivre.

• 1015

Vous avez vécu dans une communauté agricole. J'imagine qu'il existait alors un esprit de communauté. Peut-être que dans votre cas il y avait normalement toujours quelque chose à manger sur la table; je ne sais pas.

Mais le fait même que ces problèmes existent—et vous ne pouvez nier qu'ils existent—implique qu'on doit y faire face. Si les élèves ont faim en arrivant à l'école, il faut les nourrir. C'est un problème; personne ne peut nier qu'il s'agit là d'un problème. Faut-il mettre les parents en prison parce qu'ils n'assument pas leur responsabilité? Faut-il se contenter de diminuer leurs impôts de 100t en s'attendant à ce que les 100t en question servent à nourrir les enfants? Je ne pense pas que ce soit la solution.

M. Ken Epp: Je repose la question, est-ce quelque chose de fréquent?

M. Harvey Weiner: C'est un problème grave, qui se pose de plus en plus dans de nombreuses régions du pays. On a parlé tout à l'heure de jeunes enfants qui ont besoin des banques alimentaires. C'est donc de plus en plus un problème de cette société.

Le président: Madame LeGrow.

Mme Kathy LeGrow: Merci, monsieur le président.

Pour répondre à votre question, monsieur Epp, c'est un fait que nous accueillons ces enfants dans les écoles. Pourquoi est-ce que cela se passe ainsi? Eh bien je pense que cela est l'indication qu'il y a une défaillance sociale, et que les parents ne sont pas capables de nourrir leurs enfants, entre autres. Les écoles sont obligées de faire quelque chose, puisqu'un enfant qui n'est pas nourri ne peut pas apprendre. Voilà donc un des nombreux problèmes que connaissent ces enfants qui vivent dans la pauvreté, et qui s'adressent à nous.

Pour fournir ce service, pour ces enfants... Cela évidemment prend sur les ressources ensuite disponibles pour l'enseignement, et de façon générale sur les ressources du système scolaire. Si ces ressources étaient mises à la disposition des enfants de façon plus systématique et universelle, nous pourrions nous-mêmes mieux faire notre travail.

Je suis de Terre-Neuve, et je peux vous dire qu'il y a, là d'où je viens, un problème grave de pauvreté pour les enfants. Nous nous sommes associés aux écoles et aux organismes communautaires pour créer des programmes d'alimentation destinés à ces enfants. Cela permet d'être plus calme, et de mieux apprendre, et ils ont là une chance que sinon ils n'auraient pas.

Il faudrait reformuler votre question et demander: Devrions- nous refuser de nourrir ces enfants?

M. Ken Epp: Non, non...

Mme Kathy LeGrow: Les écoles estiment que cela fait partie de leur travail, et nous faisons tout ce que nous pouvons avec les ressources mises à notre disposition par la collectivité.

M. Ken Epp: Non, je ne suis pas en train de dire que ces pauvres enfants qui ont faim... Ils n'y peuvent rien, n'est-ce pas? Je ne veux pas dire qu'il ne faut rien faire pour eux, mais je suis surpris. Je ne sais pas si un sociologue pourrait répondre à la question, mais j'aimerais savoir ce qui a bien pu changer, car depuis 50 ans ou un peu plus... Je ne vous dirai pas mon âge, mais je pense pouvoir dire que de façon générale la situation s'est améliorée par rapport à ce que c'était à mon époque. Je trouve tout à fait déconcertant que ce problème ait pris une telle ampleur.

J'ai encore deux questions à vous poser. Ensuite nous passerons à autre chose, mais peut-être que la Canadian Living Foundation aura quelque chose à nous dire.

Tout d'abord, il est question ici du budget de l'État fédéral. Les écoles sont gérées par les municipalités, dans le cadre provincial, et les provinces font partie du Canada. Voudriez-vous réellement qu'Ottawa, et sa bureaucratie éloignée, soient associés à ce genre de programme? Proposeriez-vous que quelque chose soit prévu au budget qui permette aux provinces et aux municipalités de répondre à ce besoin dans de meilleures conditions? Je m'arrêterai ici.

Mme Pamela Heneault: [Note de la rédaction: Inaudible] La Canadian Living Foundation appuie tout effort communautaire pour une meilleure alimentation des enfants. Ce que nous avons proposé, c'est un partenariat avec le gouvernement fédéral. Nous ne voulons surtout pas que le gouvernement fédéral gère lui-même les programmes.

Cela ressemble tout à fait à la façon dont de nombreuses collectivités se sont adressées à l'honorable ministre du Travail, qui a des responsabilités bien particulières en matière de logement. Ce que les collectivités locales ont dit c'est: nous savons où est le problème, nous avons certaines des solutions, mais nous n'avons tout simplement pas les moyens de ces solutions.

Voilà ce que les collectivités nous ont dit. Quatre-vingts pour cent de nos programmes communautaires sont autofinancés. C'est-à-dire que les parents payent. Ensuite il y a des collectes locales de fonds. Là où la collectivité n'a pas la base économique suffisante pour cette collecte, nous nous tournons vers les autres paliers de gouvernement, la province et le fédéral, pour qu'une nouvelle répartition des ressources permette de parvenir à une solution juste.

• 1020

Nous ne demandons donc rien du tout. Nous ne croyons pas que le gouvernement fédéral soit compétent pour mettre en oeuvre des programmes alimentaires. Nous croyons que les collectivités le sont. Il s'agit de programmes lancés et mis en oeuvre par la collectivité.

Au fait, nous sommes en train d'élaborer un processus des pratiques exemplaires, grâce à un financement de Santé Canada, qui démontrera justement l'efficacité avec laquelle les collectivités se sont attaquées au problème.

À propos de la question que vous avez posée plus tôt—pourquoi le problème prend-il de l'ampleur?—, outre les statistiques sur la pauvreté qui sont à la hausse, monsieur, la simple évolution des structures familiales, du milieu de travail et de l'économie a donné lieu, comme vous le savez sans doute, à un certain nombre de familles à double revenu. Si vous aviez été élevé dans une famille comme la mienne, où six enfants partaient à l'école chaque matin...Il était rare qu'il n'y avait pas d'échauffourées, ou de batailles pour déterminer qui mangeraient quoi.

Nous aidons les enfants qui n'ont simplement pas le temps. Comme vous le savez, comme de nombreux conseils scolaires ferment des écoles, des enfants doivent faire un trajet de deux heures en autobus le matin; ils ne peuvent pas rater l'autobus. Doit-on s'attendre à ce qu'ils déjeunent à 6 heures, se tapent un trajet de deux heures et arrivent à l'école encore le ventre plein et prêts à apprendre?

Ainsi, des collectivités nous ont dit que les parents pouvaient fournir le petit déjeuner, et nous aimerions simplement le leur servir dans l'établissement.

Cela n'est pas possible, étant donné leur horaire du matin. Il y a différents facteurs qui entrent en jeu. Ce n'est pas simplement une question liée à la pauvreté.

M. Harvey Weiner: De plus, je crois que nous avons, pour la première fois, un mécanisme dont sont convenus les provinces et le gouvernement fédéral; il s'agit du cadre d'union sociale, et il permet d'intégrer cela en tant qu'un aspect d'un système global de développement de l'enfant dans le cadre duquel les provinces, les collectivités, le secteur bénévole, les ONG et le gouvernement fédéral collaborent pour s'assurer que ceux qui en ont besoin peuvent avoir accès à ce service ainsi qu'à d'autres services qui feront partie intégrante d'un programme complet.

Nous nous réjouissons certainement que le premier ministre ait déclaré dans le discours du Trône que les provinces et le gouvernement fédéral s'entendraient sur ce genre de programmes et de services d'ici le mois de décembre 2000.

Nous croyons que dans le prochain budget, le ministre des Finances peut prendre des mesures aussi efficaces que lorsqu'il a annoncé qu'il s'attaquerait au déficit, c'est-à-dire qu'il peut établir des objectifs clairs pour les cinq prochaines années en ce qui concerne les investissements additionnels qui seront consentis au nom des enfants et des jeunes. Nous recommandons d'investir au moins 2 milliards de dollars par année au cours des cinq prochaines années.

Le ministre peut certainement, en annonçant ces investissements, exprimer clairement aux provinces que le gouvernement fédéral est déterminé à prendre un engagement significatif, fondé sur des accords qu'il aura conclus dans un certain nombre de ces secteurs de responsabilité conjointe. Nous croyons que cela stimulerait la négociation.

Les ministres provinciaux et les fonctionnaires participent à des discussions depuis presque de deux ans déjà. Nous croyons que la demande et la volonté des Canadiens vont se traduire par des ententes qui, pour la première fois, vont nous permettre d'affirmer fièrement en tant que société canadienne que nous investissons réellement dans l'avenir, que nous répondons aux besoins des enfants et des jeunes appelés à devenir les contribuables de demain, ceux-là mêmes qui vont soutenir nos régimes de retraite et de soins de santé et qui vont s'assurer que nous jouissons des réductions fiscales souhaitées par tant de gens—en nous permettant de retrancher des milliards de dollars des dépenses non discrétionnaires que nous sommes obligés d'engager.

Par exemple, savez-vous que nous dépensons 51 000 $, en moyenne, pour incarcérer un détenu? Dans quelle mesure cela dépasse-t-il le salaire moyen? Qu'aurait permis de réaliser cette somme si elle avait été investie dans les premières années de vie de ces détenus?

Ce sont des faits dont à mon avis le comité doit tenir compte. Le développement des fonctions cérébrales liées à la vision, au contrôle des émotions et au langage se fait presque entièrement avant l'âge de trois ans. Les données le prouvent. Vingt-huit pour cent des garçons ayant un comportement antisocial à la garderie deviennent des délinquants avant l'âge de 13 ans. Notre capacité de remédier aux problèmes sociaux et aux problèmes de développement est considérablement réduite dès que l'enfant atteint l'âge de six ans. Comme je l'ai mentionné, l'incarcération des détenus coûte annuellement des sommes astronomiques.

Selon des recherches économiques, le taux de rendement des investissements dans les enfants de moins de six ans est de deux pour un. Les données le prouvent. Les difficultés éprouvées pendant la petite enfance entraînent des problèmes physiques et mentaux à long terme, ce qui coûte des millions de dollars à traiter. De tous les enfants nés pendant une année, 6 p. 100—une donnée statistique étonnante établie à la suite de recherches—sont responsables de 50 à 70 p. 100 de tous les crimes commis plus tard par ce groupe, et si nous avions les ressources et les installations voulues, la plupart de ces délinquants éventuels pourraient être identifiés avant l'âge de trois ans.

• 1025

Pour faire une analogie avec le marché boursier, le projet de la maternelle Perry a enregistré un rendement de 11 p. 100 sur l'investissement fait de 1963 à 1993, et le rendement sur le marché boursier n'a été que de 6,8 p. 100 pour la même période de 30 ans.

Au Canada, on compte environ 1,4 million d'enfants de moins de six ans et 1,9 million d'enfants de six à douze ans ayant des parents qui travaillent et qui ont besoin de services de garderie, et ils ne reçoivent pas de bons services de garderie.

Je vous renvoie à nouveau à l'étude que j'ai mentionnée ce matin: à court et à moyen terme, un réseau de garderies universel aurait des retombées civiles et sociales incalculables et permettrait de réduire de 10,5 milliards de dollars par année les dépenses non discrétionnaires que nous devons effectuer pour réparer les pots cassés.

Le président: Merci, monsieur Epp, et monsieur Weiner.

Monsieur Nystrom.

L'honorable Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD): Je crois que nous avons entendu des témoignages très émouvants ce matin de la part de tous les participants. Je ne sais pas exactement par où commencer. Peut-être vais-je commencer par la question des enfants.

Je me souviens qu'en décembre 1989, lorsque j'étais à la Chambre et que Ed Broadbent a pris sa retraite, il a proposé une motion en vue d'éliminer ou d'éradiquer la pauvreté infantile. Tous les députés et les trois partis nationaux l'ont appuyé. Tout à coup, c'est disparu. C'était un beau sentiment, et il s'est dissipé. La pauvreté infantile a continué de croître.

Toujours à propos de notre pays, malgré l'accroissement de notre richesse sur le plan économique, l'écart entre les riches et les pauvres a continué de se creuser. Nous avons fait de grands progrès après la Seconde Guerre mondiale au chapitre des programmes sociaux pour corriger les disparités et améliorer les perspectives d'avenir, jusque dans les années 50, 60 et 70, et puis au cours des années 80, il y a eu un recul.

J'aime ce que vous dites au sujet des objectifs. Je crois qu'il faut y donner suite. Les résolutions ne mènent à rien s'il n'y a pas de suivi ou d'échéancier, d'objectifs et de calendrier. Je crois que c'est la voie à suivre. Il faut engager des fonds, investir des fonds.

J'ai deux questions. Premièrement, à quoi est attribuable cette augmentation de la pauvreté infantile? Je crois que nous en connaissons quelques raisons, comme les compressions dans les programmes sociaux, ainsi de suite, mais à mon avis cela va plus loin. Je vais donc commencer par vous demander à quoi est attribuable cette augmentation de la pauvreté chez les enfants?

Peut-être pourrais-je poser ma deuxième question, tant qu'à y être. Certains, et non seulement le Parti réformiste, mais des gens qui représentent notamment le milieu des affaires, tentent de nous imposer un programme conservateur, afin que l'excédent serve à réduire la dette et les impôts en général, ce qui favorise davantage les riches que les citoyens ordinaires. Des témoins nous ont dit qu'il fallait doubler le plafond des REER, pour le faire passer de 13 500 à 27 000$. En passant, ceux qui versent les cotisations maximales dans leur REER ont en moyenne un revenu de plus de 100 000 $, comme ils l'ont confirmé eux-mêmes. Il s'agit donc des 2 ou 3 p. 100 de la population les mieux nantis. Ils disent que c'est là que nous devrions affecter l'excédent; réduire la dette et les impôts pour les riches, y consacrer davantage; les dépenses sociales sont trop élevées au Canada. Mike Harris veut faire d'autres compressions en Ontario. Klein veut examiner la privatisation du réseau de santé, et on envisage un système parallèle en Ontario. Il y a donc un incroyable mouvement vers des politiques encore plus conservatrices et intransigeantes qui sont contraires à ce que vous avez dit ce matin, de plus en plus.

Vous avez mentionné une étude de Gordon Cleveland et un autre économiste dont j'aimerais que vous nous parliez davantage. Un investissement de 5 milliards de dollars rapporte 10 milliards de dollars. Tout comme c'est le cas de la grande entreprise ou de la droite, si l'on investissait dans cette économie, les dividendes pourraient être intéressants.

Il serait peut-être bon d'invoquer cet argument dans nos discussions. L'investissement d'un dollar dans la réserve indienne Kawacatoose en Saskatchewan, outre l'option d'achat d'actions, rapporte sur dix ans un certain dividende.

Je vous ai posé des questions d'ordre général mais je vous serais reconnaissant d'y répondre si vous le pouvez car on ne s'entend pas ici sur la façon d'utiliser l'excédent et le dividende budgétaires.

Je partage votre opinion, il s'agit avant tout de la qualité de vie, du gâchis et des vies brisées, etc., mais nous devons aussi faire valoir l'argument économique: c'est un investissement très judicieux permettant d'accroître la compétitivité et la productivité du pays, d'en rehausser le niveau de vie au XXIe siècle.

• 1030

M. Harvey Weiner: Merci de cette question. C'est justement pourquoi aujourd'hui—contrairement à notre habitude—nous contestons les arguments de ceux qui proposent une réduction d'impôt et de la dette car nous voulons faire la preuve, forts d'arguments strictement économiques, que ce qu'ils proposent aboutirait à long terme à un taux de rendement qui n'aurait rien de comparable à ce que l'on pourrait obtenir grâce à des investissements consacrés aux enfants et aux jeunes. C'est l'avis que nous partageons.

Les études le disent clairement et je pense que c'est à tort que nous n'en avons pas tenu compte pendant des années. Comment expliquer cela? Je l'explique de diverses façons. Premièrement, les enfants et les jeunes ne votent pas. Ils ne viennent pas témoigner non plus.

Deuxièmement, la vie publique de la moyenne des politiciens dure de trois à cinq ans, le temps d'un mandat. L'intérêt des politiciens—et nous en avons entendu quelques-uns autour de cette table—réside dans un résultat qu'ils peuvent quantifier sur deux ou trois ans.

Les dossiers ont été étudiés longitudinalement. Le gouvernement fédéral mène, depuis six ans, une enquête longitudinale sur les enfants et la jeunesse. Le résultat de la recherche commence à prouver ce qui a déjà été prouvé de façon assez concluante dans d'autres pays: les dividendes pourront être recueillis à moyen et à long terme, après 10 ou 15 ans.

En fait, pour utiliser un terme économique, les dividendes sont substantiels. Monsieur Nystrom, je n'ai pas besoin de vous convaincre de cela mais il y en a d'autres autour de cette table qu'il me faut convaincre. Les études prouvent qu'en procédant ainsi les réductions d'impôt seront plus considérables, dépassant le résultat de l'adoption de toute autre mesure que le gouvernement pourrait prendre, y compris l'investissement de la totalité de l'excédent dans une réduction d'impôt à court terme.

Même les plus conservateurs réunis autour de cette table en reconnaîtront facilement les raisons. L'insertion économique, sociale et civique de tous ceux-là qui ont le potentiel de jouer un rôle productif dans la société, rendrait inutile qu'une grande partie de la population subventionne des programmes correctifs ou des programmes de soutien à leur intention, assume des frais pour l'incarcération, qui représentent pour chaque détenu le double du salaire moyen au Canada. Les résultats de la recherche dans ce domaine prouvent que les bienfaits résultant de l'accès à ce genre de services réduisent considérablement le nombre de problèmes que ces personnes peuvent éprouver pendant leur vie.

La seule explication que j'y trouve, est que l'on envisage la question en calculant les avantages à court terme. Tôt ou tard cependant la pyramide va s'écrouler. Les Canadiens ont de moins en moins d'enfants. Le phénomène est universel du reste. Ce sont ces enfants qui vont devenir les adultes et les contribuables de demain. Pour conserver le nombre, voire l'augmenter, il faut garantir que chaque enfant puisse réaliser son plein potentiel et devenir un membre utile dans la société, qu'il verse des impôts et fasse sa part pour que soit réduit l'écart que vous avez si bien décrit, l'écart qui s'est creusé considérablement entre les nantis et les déshérités.

M. Francisco Rico-Martinez (président, Conseil canadien pour les réfugiés; projet d'établissement): En ce qui concerne les réfugiés et les immigrants pauvres, la taxe d'établissement, le versement de cette taxe, est une des causes de la pauvreté des enfants. Cela explique que les réfugiés et les immigrants pauvres sont de plus en plus nombreux à fréquenter les banques d'alimentation. Cela contribue également à l'itinérance. Cette taxe est nuisible à divers titres et elle pourrait être supprimée par décision politique du gouvernement fédéral.

Vous devez être conscients du fait que de plus en plus de réfugiés et d'immigrants pauvres fréquentent les banques alimentaires et semblent actuellement être sans abri, du moins au début de leur vie au Canada. Les enfants vont à l'école à jeun car il n'y a pas de nourriture sur la table. Tout cela parce qu'il leur faut investir en versant cette effroyable taxe, la taxe d'établissement.

C'est une taxe cruelle. Je sais que ce n'est pas de gaieté de coeur qu'on l'a imposée et nous le comprenons, mais l'histoire aurait une fin heureuse si vous abolissiez cette capitation en ce qui concerne les réfugiés et les immigrants.

Le président: Merci, monsieur Rico-Martinez.

Madame Pierce, suivie de Mme Heneault.

• 1035

Mme Marie Pierce (directrice générale, Association canadienne des commissions/conseils scolaires): L'Association constate depuis toujours qu'il est beaucoup plus facile de prévenir les difficultés que d'essayer de les résoudre plus tard. Si nous pouvons répondre à certains besoins de ces enfants avant qu'ils soient scolarisés, ou dans les premières années de leur scolarisation, cela coûte considérablement moins cher que de devoir y voir plus tard.

Les conseils scolaires, pour contrer la pauvreté des enfants, ont essayé de démontrer l'incidence de la pauvreté sur l'aptitude à l'apprentissage de même que sur les résultats scolaires à venir. Les conseils scolaires ne s'en sont toutefois pas tenus à cela. Nous estimons qu'il faut prendre des mesures concrètes pour garantir que ces enfants obtiennent les services dont ils ont besoin.

Vous savez sans doute que dans toutes les provinces, il y a depuis un certain nombre d'années, des réductions budgétaires en matière d'éducation, et cela touche également les programmes d'apprentissage de l'anglais, langue seconde, à l'intention des étudiants et des enfants réfugiés. Nous avons déterminé qu'une des solutions serait de coordonner et de coopérer avec d'autres organismes ou les responsables de l'exécution des programmes, pour garantir que les enfants obtiennent les services dont ils ont besoin. Le système d'éducation ne peut pas tout assumer. Nous constatons donc qu'il y a de nouvelles façons d'établir des partenariats et c'est dans ce sens que nous travaillons.

En outre—et Harvey en a parlé—, nous savons qu'il y a un rapport de cause à effet entre la pauvreté, le manque d'accès aux services et la criminalité des jeunes. Pour les conseils scolaires, la criminalité des jeunes est un problème gigantesque et nous essayons de nous y attaquer en offrant des programmes d'intervention précoce et des programmes d'identification, dans lesquels les écoles peuvent jouer un rôle et qui offrent des avantages énormes. Il est vrai que l'on peut invoquer un argument financier mais à mon avis—et c'est encore plus important—, nous pouvons souligner que ces programmes permettent à chaque enfant de réaliser son plein potentiel, de tirer parti de ce que le Canada offre tout en apportant sa contribution. On a tendance à présenter les choses du point de vue du bien-être de l'enfant mais l'on peut très bien ajouter à cela d'excellents arguments économiques.

Vous avez tout à fait raison: il faut présenter les deux types d'arguments. Il est indéniable qu'une intervention précoce permet d'économiser beaucoup d'argent à long terme.

M. Harvey Weiner: Très brièvement, en guise de conclusion, nous ne demandons pas que l'on injecte de l'argent dans des programmes et des services inefficaces. Notre proposition, celle des conseils scolaires et, j'en suis sûr, d'autres propositions faites sur le même sujet, insistent notamment sur une surveillance permanente, la reddition de comptes et des mécanismes de révision de ces programmes et services pour qu'ils soient évalués afin qu'on en constate les avantages.

Lorsque l'on prend de telles mesures—et il ne s'agit pas d'innovations, il n'y a rien de nouveau sous le soleil—, les résultats sont manifestes, les études les confirment. Nous parviendrons donc à le prouver, peut-être pas pendant le mandat de ceux qui sont assis autour de cette table, mais après deux ou trois mandats, et d'une façon progressive, on va voir des résultats. Ces résultats s'infiltreront d'ailleurs dans la société canadienne pour permettre au pays de se développer et, littéralement, de s'épanouir. Tout cela réduira l'ampleur et les conséquences des divers problèmes auxquels notre société se heurte actuellement, des problèmes qui, il faut l'avouer, sont véritablement honteux pour une société aussi riche, une société douée d'un tel potentiel.

Le président: Madame Heneault.

Mme Pamela Heneault: Monsieur Nystrom, si j'ai bien compris votre question, vous discutiez de la meilleure façon de présenter les arguments en faveur d'un investissement dans nos enfants, en démontrant que la société de consommation, et en particulier les grosses sociétés, en tireront des bénéfices et pourront compter sur un rendement du capital investi, ce genre d'indicateurs. Eh bien, il y a deux choses.

On ne devrait pas imposer ce système fondé sur l'argent à un autre système qui est plutôt fondé sur la responsabilité. Vous vous souviendrez du livre de Jane Jacobs, paru il y a quelques années et intitulé Systems of Survival: a Dialogue on the Moral Foundations of Commerce and Politics. Elle disait qu'il existe deux systèmes de valeurs; d'une part un système de valeurs qui prévaut dans le secteur commercial et qui sert avant tout à préserver le capital et les bénéfices. À côté de cela, il y a le système dont font partie nos politiciens, un système fondé sur la responsabilité. Les décisions que vous prenez ne sont donc pas régies par les bénéfices qu'on peut tirer d'un investissement. En fait, vos décisions d'investir sont des décisions stratégiques.

Votre comité nous a posé la question suivante: quels sont les investissements stratégiques à faire? Comme le long terme est implicite, il s'agit d'une série de critères pour examiner les investissements à long terme, et dans ce cas, les données sont très claires. En effet, nous pouvons être certains d'un bénéfice à long terme. Cela dit, de notre point de vue, il est véritablement pervers de traiter le consommateur et le citoyen de la même façon.

L'hon. Lorne Nystrom: Il existe un bon exemple de cela, celui de la communauté autochtone. Dans ma circonscription, il y a 12 réserves indiennes. Il y a également le centre de la ville de Regina, qui est habité en grande partie par des Autochtones, conventionnés, non conventionnés, Métis, etc. La pauvreté est incroyable. Malheureusement, nous avons à Regina le taux de criminalité le plus élevé au Canada, et la majeure partie se trouve dans ma circonscription. Nous avons le taux de criminalité violente, et très souvent le taux de meurtre le plus élevé, et encore une fois, presque entièrement dans ma circonscription, et le plus souvent dans la communauté autochtone. Dans cette circonscription, on manque de débouchés, de banques alimentaires, etc.

• 1040

Par conséquent, le moindre investissement pour former les Autochtones, leur donner des compétences, leur ouvrir des débouchés, des sources d'alimentation, etc., serait formidable. Beaucoup de ces gens-là sont issus de foyers désunis, et très souvent ce sont des enfants qui vivent pratiquement seuls, sous la surveillance d'un parent, d'amis, grands-mères, tantes, etc. Ce n'est pas de leur faute s'ils sont dans ce genre de situation. Et pourtant, les forces du conservatisme continuent à réclamer des coupures et toujours plus de coupures.

J'aimerais demander à Frank ou à Debbie de nous expliquer encore un peu quels arguments pourraient le mieux persuader le gouvernement en général, dans tout le pays, et pas seulement le Parlement fédéral, que cela n'est pas seulement un investissement extraordinaire en termes humains, mais que c'est également un excellent investissement à long terme pour le Canada même. Pensez au potentiel que pourraient être les Autochtones pour ce pays dans 30 ou 40 ans s'ils étaient bien éduqués, s'ils avaient une formation solide, si on pouvait leur donner de l'espoir et des débouchés. Pensez à la situation inverse, plus de criminalité, plus de violence, d'aide sociale, d'assurance-emploi, plus de pauvreté, de peur, de détresse, plus de suicides, etc. Pensez au coût de tout cela.

En fait, les conséquences de ces arguments conservateurs en faveur de nouvelles coupures, c'est que plus de gens seront à l'aide sociale, cela coûtera plus cher au gouvernement fédéral, la dette augmentera, les impôts augmenteront, et tous ces programmes qui sont des programmes sans issue coûteront de plus en plus cher. À l'inverse, si on augmente aujourd'hui les investissements, cela provoquera à long terme un soulagement considérable car l'économie sera plus forte, sans parler des arguments humains qui ont été si bien exprimés par Pamela.

M. Frank Palmater: Si vous le permettez, monsieur Nystrom, je dirai ceci: Vous le savez, comme la plupart d'entre nous, les Autochtones ne se sont pas retrouvés dans cette situation du jour au lendemain. Il a fallu des années et des années de bureaucratie. Si cette situation existe aujourd'hui, ce n'est pas à cause de quelque chose qui s'est produit l'année dernière. Si c'était le cas, il serait peut-être possible de rectifier immédiatement.

Cela dit, il est très intéressant de noter que notre communauté autochtone a toujours beaucoup insisté sur l'importance de la famille. Dans le reste de la société canadienne, dans les écoles, partout où vous allez, lorsqu'un problème se pose, on cherche à s'attaquer au problème: le problème d'un enfant en particulier, d'une personne qui se trouve en prison. C'est à ce problème qu'on s'attaque. On ne voit jamais la famille dans sa manifestation holistique, alors que c'est la source du problème. Dans certaines de nos communautés, nous avons commencé à investir dans les personnes, individuellement.

Par exemple, supposons qu'on donne au père les moyens de trouver un emploi. Au bout de trois, quatre, cinq ou six semaines, on s'informe et on s'aperçoit que papa ne travaille plus. Pourquoi? Parce que pendant que papa travaillait, le petit Johnny était à la maison et battait sa mère. On avait résolu le problème pour papa, mais papa a été forcé de quitter son travail pour s'occuper de sa femme. C'est sa femme. En attendant, personne n'avait pensé au problème posé par le petit Johnny.

La société ne voit pas la famille d'un point de vue holistique. La pauvreté chez les enfants, l'éducation des enfants, les enfants qui ont faim, qui sont maltraités, nous pensons que tout cela pourrait disparaître si on envisageait la famille d'une façon holistique. Il ne s'agit plus d'une personne en particulier mais de toute la famille. En effet, comme quelqu'un l'a dit, et j'espère ne pas me tromper en le répétant: il faut une famille pour élever un enfant; il faut une communauté pour élever une famille. Et c'est vrai, la communauté doit participer.

Monsieur Nystrom, vous l'avez dit avec beaucoup d'éloquence: si on donnait aux Autochtones la possibilité d'investir individuellement ou collectivement dans l'avenir des Autochtones, la preuve n'est plus à faire. Nous pourrions probablement remplir cette salle, et probablement les deux ou trois salles voisines, avec toutes les études qui ont été faites sur les Autochtones et qui, toutes, confirment que si on leur en donne la chance, ils peuvent améliorer leur situation, s'épanouir de la manière que tous les autres Canadiens considèrent comme normale.

C'est drôle—si on peut dire que ce genre de choses est drôle—quelqu'un a dit qu'il était surpris de la réaction des sans- abri. Eh bien, nous avons eu une réunion dans le centre-ville de Regina avec les représentants de certains gangs. Un type m'a regardé et m'a dit quelque chose que je n'oublierai jamais, jamais de ma vie.

Il avait 17 ans et 8 000 $ ou 9 000 $ dans sa poche. Il m'a dit: «Je suis venu à la réunion pour voir s'il n'y avait pas un meilleur moyen de s'en sortir.» Je lui ai dit: «Et maintenant, est- ce que tu penses qu'il y a un meilleur moyen?» Il m'a dit: «Non, on ne m'a pas parlé d'un meilleur moyen. Quel emploi va me donner 8 000t? Est-ce que ça existe vraiment?» Je lui ai répondu: «Mais est-ce que tu n'as pas peur d'aller en prison parce que ce que tu fais est illégal?»

• 1045

Il m'a dit en riant: «Illégal, qu'est-ce que c'est que ça, un oiseau mort? C'est illégal. Et qu'est-ce qui peut m'arriver, Frank? Je vais me faire prendre et aboutir en prison. On me donnera trois repas solides par jour; je serai vêtu, logé, j'aurai un lit, de l'aide. Quel mal y a-t-il à cela? En ce moment, je dois regarder derrière moi à chaque instant si je ne veux pas me faire poignarder dans le dos. Je ne sais pas où je pourrai manger demain matin, où je vais dormir ce soir, mais tout cela, je n'ai plus besoin de m'en préoccuper quand je suis en prison. Pourquoi aurais-je peur d'aller en prison?»

Il y a des sans-abri ici à Ottawa, qui pensent exactement la même chose. Pourquoi? En prison, ils auront chaud, on s'occupera d'eux.

Comme nous l'avons dit dans notre mémoire, s'il y a tellement de sans-abri au Canada, c'est parce que le gouvernement canadien a décidé de tourner le dos au secteur du logement, de se désintéresser des logements sociaux. C'était leur responsabilité, mais ils ont décidé de s'en décharger sur les provinces.

Lorsque nous avons des discussions officielles avec les provinces, ils nous disent: «Un instant, Frank. Nous n'avons pas suffisamment d'argent pour investir dans la vie d'une personne en particulier. Nous n'avons tout simplement pas d'argent.»

En décidant de réduire le déficit, le gouvernement aurait dû donner à tous les contribuables la possibilité de pousser un soupir de soulagement. Je dois dire que la plupart des contribuables n'ont pas eu cette possibilité, certains, oui, mais ils ne sont pas nombreux. Dans leur enthousiasme, les responsables ont coupé dans des programmes d'une façon imprudente. Le gouvernement doit parfois prendre des décisions difficiles, et chaque fois qu'il prend de telles décisions, mes amis, nous devons nous résigner.

Dans tous les secteurs, les écoles, le logement, partout, des études le prouvent, chaque investissement dans un citoyen représente des dividendes pour l'avenir. Quel est notre avenir, quel est l'avenir de nos enfants?

Ça me fait mal quand je pense que des enfants autochtones doivent esquiver les coups en sortant de la maison chaque matin. Votre système provoque des engueulades. Qu'arrive-t-il quand votre père vous attend avec un manche à balai ou un bâton de baseball?

Dans certaines communautés autochtones—cela n'existe plus, mais cela a existé—, il fallait se garder des frères et des religieuses, comme dans l'école où j'allais quand j'étais enfant. En trois ans, j'ai pu rentrer chez moi une seule journée. Quel jour? Le dimanche de Pâques. Je ne savais même pas ce qu'était Noël. En première année, deuxième année et troisième année, j'ai passé Noël à l'école, à nettoyer pour les religieuses.

Je remercie le Seigneur qu'on ne m'ait pas envoyé à l'école des frères. Je me suis retrouvé à l'école des religieuses, où c'était moins pire. Il suffisait de ne jamais, absolument jamais regarder un prêtre ou une religieuse en face. C'est pour ça qu'on les appelle des «nonnes». Non, non, vous ne devez jamais les regarder en face.

Étant Indien, vous n'êtes pas vraiment un être humain. Pourquoi? Qu'est-ce qui se passait là-bas? Pourquoi? À cause de la couleur de votre peau, à cause du dialecte que vous parlez, vous n'êtes pas vraiment un être humain. Tout cela se produit ici même, dans ce pays, tout cela se produit quotidiennement, absolument tous les jours.

Par conséquent, lorsque nous nous présentons devant le Comité des finances pour recommander au gouvernement d'investir dans les gens, nous voulons vraiment dire dans les gens, et non pas dans un programme voué à l'échec. Il y a déjà toutes sortes de programmes et pour chaque programme on dit à quelqu'un d'aller dans la communauté et de faire telle et telle chose. Ce qui se passe dans la communauté, ce n'est pas forcément ce que ce comité ou la Chambre décide. Voilà ce qui ne va pas dans le système.

Il faut que quelque chose soit fait. Et pour nous, le seul moyen, c'est la démarche holistique, le seul moyen c'est de considérer l'ensemble de la famille, et pas seulement les symptômes de la maladie. Et quand on considère l'ensemble de la famille, on voit qu'un des symptômes c'est le manque de logement sécuritaire, décent, abordable. C'est la raison pour laquelle nous sommes venus ici aujourd'hui, pour que votre comité et vous-mêmes convainquiez vos collègues du Cabinet d'augmenter le budget du logement.

Il est ironique de penser qu'en 1976 il y avait au Nouveau- Brunswick, ma province, un gouvernement conservateur qui avait accepté l'initiative du gouvernement fédéral en ce qui concerne le programme de l'article 40. C'était l'ancien programme de construction de logements dans les régions rurales et pour les Autochtones. C'était destiné aux Autochtones de l'Ouest car, à l'époque, les Autochtones se trouvaient tout en bas de l'échelle socio-économique. Aujourd'hui, cela n'est plus vrai, monsieur le président. Les Autochtones ne sont plus les seuls sur cet échelon- là. Aujourd'hui, il y a des gens de toutes les couleurs, de toutes les races. De notre côté, nous sommes toujours sur cet échelon-là, nous n'avons pas avancé, nous ne sommes pas parvenus au deuxième échelon, mais beaucoup de gens sont venus se joindre à nous. Pourquoi?

• 1050

Je n'aurais jamais pensé que le gouvernement fédéral, et en particulier un gouvernement libéral, réduirait ces programmes et ces services en sachant très bien qu'il renonçait à des dividendes certains. Je n'aurais jamais cru qu'il le ferait, mais dans sa fièvre de réduction du budget, c'est précisément ce qu'il a fait.

À l'époque, nous étions déjà venus expliquer ce qui allait se produire, et c'est précisément ce qui s'est produit, monsieur le président. Aujourd'hui, si nous sommes ici, c'est parce qu'il y a un excédent. Le Canada a aujourd'hui la possibilité de redresser ce tort. Nous pensons qu'un des moyens de réduire ce tort, c'est le logement.

Si, comme mon père, je pouvais trouver un emploi au lieu de m'inquiéter et de me demander où ses neuf enfants vont coucher ce soir... C'était très bien, il n'y avait aucun mal à cela. C'est précisément ce qu'a pu faire mon père. Il s'est trouvé un emploi, et il n'avait donc pas à s'inquiéter au sujet d'un logement sécuritaire et abordable. Aujourd'hui, en milieu urbain, on ne peut plus dire cela. Les gens se demandent où ils vont coucher, ils n'en sont même plus à se demander s'ils vont trouver quelque chose de sécuritaire et abordable.

La semaine dernière encore, dans un comité du Sénat, la sénatrice Pearson nous a dit que pour trouver un endroit où coucher, nous devions aller quelque part où la monnaie d'échange, ce sont des faveurs, et non pas de l'argent. On dit à un enfant de 14, 15, 16 ans: Si tu me fais une faveur, je vais te donner un endroit où coucher. Est-ce que c'est normal? Non. Est-ce que c'est la faute de quelqu'un? Non. Mais si ce comité ne fait pas de recommandation à la Chambre, c'est là qu'il y aura une faute, un blâme.

Il faut commencer quelque part. Il faut commencer par des solutions dont on connaît l'efficacité, monsieur le président, et non pas par des programmes et des services qui ont échoué par le passé.

Merci.

Le président: Merci.

Madame Bennett.

Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Pour commencer, j'aimerais poser une question au représentant du projet Getting Landed.

Étant donné que nous sommes ici au Comité des finances, à votre avis, combien en coûterait-il si le Comité des finances faisait cette recommandation?

M. Ahmed Hashi: Pour les réfugiés, il en coûterait 55 millions de dollars. Pour les immigrants en général...

Mme Carolyn Bennett: Si on supprimait la taxe d'établissement, cela coûterait 55 millions de dollars?

M. Francisco Rico-Martinez: Cela coûterait 55 millions de dollars, dans le cas des réfugiés.

M. Ahmed Hashi: Pour l'ensemble, les immigrants et les réfugiés, cela coûterait 136,8 millions de dollars.

M. Michael Kerr (président, Comité des médias, Services communautaires Karuna, projet Getting Landed): Même pas. Cette somme représente les revenus projetés, mais l'ensemble des recettes au cours des deux dernières années s'élèvent à 119 millions de dollars.

J'aimerais insister sur ce point. C'est inévitable, étant donné les ordres de grandeur quand on considère le logement, la pauvreté chez les enfants. Cette taxe d'établissement représente une somme très modeste, il est donc inévitable que toutes les questions soient axées autrement. En effet, cette somme étant si modeste, cela nous donne une occasion formidable de changer quelque chose dans l'ensemble de la société.

Il y a tout juste 100 ans, cette Chambre se demandait s'il ne conviendrait pas de doubler une taxe d'entrée qui existait alors. Nous avons donc aujourd'hui la chance d'entrer dans une nouvelle ère, un nouveau millénaire, de tourner la page. Tous les partis qui siègent à cette Chambre, y compris la Parti libéral du Canada, ont adopté une résolution, ont pris cet engagement, et nous sommes impatients de le voir concrétisé.

Mme Carolyn Bennett: Excellent.

J'ai été impressionnée par la recommandation particulièrement exhaustive et holistique de la Fédération des enseignants, une recommandation qui va jusqu'au logement abordable.

Quand je pense aux programmes de déjeuners scolaires, à ce genre de choses, quand je pense aux banques alimentaires, je me dis que si l'alimentation pose de tels problèmes aujourd'hui, c'est en fait parce que les gens consacrent plus de 50 p. 100 de leur revenu disponible à leur loyer. Jadis, ils avaient les moyens de se payer un repas au macaroni Kraft, n'est-ce pas? Ils pouvaient nourrir leur famille d'une façon modeste, sans devoir sortir de chez eux et aller chercher à manger.

• 1055

Dès qu'on parle du problème du logement, les gens mentionnent immédiatement les cas difficiles à loger, les toxicomanes, les personnes qui ont été désinstitutionnalisées. Je ne veux pas minimiser l'importance de ce problème, mais ce n'est pas une excuse pour ne pas offrir aux gens des logements à un prix abordable.

Quelqu'un pourrait-il encore une fois nous donner ces chiffres et nous dire quelle proportion des gens à votre avis seraient difficiles à loger et auraient besoin de logements avec service de soutien ou d'un programme spécial? Quel pourcentage de votre problème pourrait être réglé s'il y avait tout simplement un plus grand nombre de logements?

M. Frank Palmater: Le groupe Centre For Equality of Rights in Accommodation a récemment publié un certain nombre d'études et de statistiques. Elles ne sont pas détaillées, car, comme vous le dites, souvent ceux qui prennent les décisions s'en tiennent aux gens qui posent des problèmes. Ils ne tiennent pas compte des gens faciles.

Prenons par exemple un type qui arrive comme ça et qui dit: «Écoutez, j'ai perdu mon emploi et j'ai besoin d'un endroit où me loger pendant quelques semaines». Il n'y a pas de problème, mais qu'en est-il de celui qui dit: «Eh bien, je vis dans la rue parce que la semaine dernière ou le mois dernier, j'ai été expulsé de l'établissement psychiatrique où je me trouvais parce qu'on l'a fermé».

Prenez par exemple la ville de Saint John où 182 personnes ont été évincées de l'hôpital provincial dans le cadre du «plan» provincial, comme on l'appelait. De ces 182 personnes, 18 sont mortes de froid au cours des trois premiers mois. C'est dans la ville de Saint John, qui a une population d'environ 65 000. Qu'en est-il dans une ville de 1 ou 1,5 million d'habitants, où on fait la même chose?

Pour ce qui est des gens difficiles à loger, les gens difficiles à aider, je n'ai pas sous la main les chiffres réels. Nous nous occupons des Autochtones.

Mme Carolyn Bennett: D'après ce que j'ai vu lorsque j'étais médecin de famille, c'est qu'avec la rationalisation, beaucoup de gens perdaient leur emploi, avaient épuisé leurs prestations d'assurance-emploi et se retrouvaient alors assistés sociaux jusqu'à ce qu'ils puissent trouver un autre emploi. Ils vivaient toujours dans le logement qu'ils occupaient lorsqu'ils travaillaient et qu'ils avaient un assez bon emploi, mais ils n'avaient pas d'autres choix pour trouver un logement abordable. Certains ont fini par ce faire évincer.

Donc, je ne pense pas que ce sont des gens difficiles à loger, mais ils sont nombreux et je pense que cela nous aiderait, sur le plan de la politique, si on pouvait...

Chaque fois que je soulève la question des logements abordables, les gens me disent que les programmes et les services de soutien relèvent du gouvernement provincial et ils me demandent ce que le gouvernement fédéral peut faire à ce sujet. Donc, je pense que cela serait utile.

Dans les études longitudinales sur les enfants, l'idée consiste à définir des mesures, et j'ai l'impression que nous avons sérieusement besoin de programmes universels car les gens des régions plus riches ne sont pas tellement dans une meilleure situation, particulièrement lorsqu'ils ont une gardienne privée qui s'occupe de leurs enfants.

Vous pourriez peut-être nous dire ce que vous pensez de l'enseignement préscolaire et si ces divers programmes doivent être universels.

Mme Pamela Heneault: J'aurais une observation à faire relativement à l'universalité en tant que stratégie. Typiquement, ces programmes ont été élaborés pour des populations ciblées, mais la recherche aux États-Unis révèle que les populations cibles augmentaient leur participation qui passait de 14 p. 100 à 75 p. 100 lorsque les programmes étaient universels.

Cela signifie que l'effet stigmatisant des programmes ciblés inhibe la participation. Nous préconisons l'universalité comme une façon de promouvoir l'équité, et tous nos programmes sont universellement accessibles pour cette raison. C'est le meilleur moyen.

M. Harvey Weiner: Nous sommes certainement d'accord. Je pense que vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que ce ne sont pas seulement les familles pauvres qui connaissent les problèmes dont on a parlé et qui pourraient profiter de tels services.

Lorsque le programme sera universellement accessible, je pense que cela aidera inévitablement un plus grand nombre de personnes qui vivent dans la pauvreté et que cela aidera également, je l'espère, un certain nombre de gens qui ne connaissent pas ce genre de difficultés financières mais dont les enfants sont néanmoins susceptibles d'avoir bon nombre de ces problèmes.

• 1100

Mme Carolyn Bennett: Pour ce qui est de la résolution de conflit et du partage, vous pourriez peut-être expliquer ce que l'on évalue en fait par cette mesure de la capacité d'apprentissage et de quelle façon cela pourra être utile pour l'éducation future d'un enfant.

Mme Kathy LeGrow: D'après les études de la capacité d'apprentissage qui ont été faites, nous savons que les enfants apprennent leurs stratégies d'adaptation avant l'âge de deux ou trois ans. S'ils sont exposés à des situations de violence, de négligence ou d'agression—et leur capacité de faire face à ces situations se développe par leurs synapses, comme l'ont démontré les études du cerveau—, alors avant qu'ils arrivent à l'école, leur manière de faire face ou de réagir à des situations qui les contrarient ou les provoquent d'une façon quelconque, constitue habituellement tout un défi pour le système scolaire.

J'aimerais revenir à la question de l'universalité. Ayant eu affaire à des familles où les deux parents travaillaient—et c'est le cas pour ma famille—, à cause de la nécessité d'avoir un emploi et de faire vivre sa famille et ses enfants, les deux personnes doivent quitter la maison et il faut trouver des services de garde d'enfants qui ne sont peut-être pas toujours adéquats. Il est certainement important d'avoir un choix, mais l'accessibilité varie énormément au pays, car elle varie d'une province à l'autre.

À cause de la société dans laquelle nous vivons et des attentes créées par cette société et par nous-mêmes, nous voulons offrir un niveau de vie adéquat à nos enfants, ce qui signifie que les deux parents doivent travailler à l'extérieur de la maison. Il en résulte que le temps dont on dispose pour s'occuper de ses enfants et que les tâches à accomplir sont critiques. Ils le sont même davantage lorsque la tâche consiste tout simplement à survivre dans une famille dysfonctionnelle qui essaie de s'en sortir tant bien que mal.

Le président: Y a-t-il d'autres observations?

Madame Bennett, avez-vous une autre question?

Mme Carolyn Bennett: Non.

Le président: Vous n'en avez pas? Vous avez encore la parole.

Mme Carolyn Bennett: Non.

Le président: Très bien.

Je voudrais vous remercier au nom du comité. Il s'agit d'un groupe très intéressant. Ce qui est bien, c'est que vous jetez de la lumière sur certains des défis auxquels sont confrontés des Canadiens qui n'ont peut-être pas leur mot à dire dans le processus. En leur donnant voix dans des tribunes comme celles-ci, vous rendez réellement un service au comité et en fait au pays.

Après tout, dans un pays aussi riche que le nôtre, même si naturellement nous faisons tous face à des défis économiques puisque nous vivons dans une économie mondiale, c'est vraiment à la maison qu'il faut régler les problèmes, et on ne peut laisser l'écart se creuser encore plus entre les riches et les pauvres. On ne peut permettre que des gens soient marginalisés. On ne peut simplement pas accepter cela comme faisant partie de la réalité d'un pays qui, en fait, devrait se présenter comme étant une société civile.

Soyez donc assurés que nous accorderons aux problèmes que vous avez décrits toute l'attention qu'ils méritent. Vous nous avez certainement présenté d'excellents arguments pour que nous ne nous tenions compte non seulement du niveau de vie mais également de la qualité de vie, afin de renforcer le tissu social de notre société.

Comme vous le dites avec raison, les arguments qu'on soulève souvent au sujet des questions fiscales, de la dette et de la mondialisation, même s'ils sont très valables, ne règlent pas certains de ces problèmes. Cela étant dit, les questions de la réduction d'impôt, des travailleurs à faible revenu et de l'indexation n'ont pas été soulevées aujourd'hui, mais je suis certain que vous êtes très conscients que ces questions doivent également être réglées.

Nous allons faire de notre mieux pour tenir compte de tous ces aspects et pour brosser à l'intention du ministre des Finances un tableau clair et complet des défis auxquels notre pays est confronté.

Monsieur Kerr, vous avez une dernière observation à faire.

M. Michael Kerr: Oui, une dernière réflexion, et merci, monsieur le président.

• 1105

Dans les principes auxquels vous avez fait allusion, je pense que vous avez oublié de parler de la dimension inclusive qui doit caractériser la société dont nous voulions parler.

Pour paraphraser ce qu'a déclaré le premier ministre Chrétien récemment, ce que nous voulons dire, c'est qu'il faut tenter de faire en sorte que le Canada soit—quelle est l'expression, l'endroit par excellence?—l'endroit où nous avons tous des chances égales de vivre au XXIe siècle. Voilà ce qui est vraiment crucial.

Le président: Merci, monsieur Kerr.

Si je peux me permettre de vous faire part de mon expérience personnelle, vous savez peut-être que j'ai moi-même immigré au Canada à dix ans. Notre famille a aussi dû relever des défis; il a fallu trouver du travail, s'adapter à un nouveau milieu, une nouvelle langue et une nouvelle collectivité. Lorsque vous abordez ces questions, vous pouvez être certains que je vous comprends, car j'en ai moi-même fait l'expérience et que je sais quels défis ça représente.

On dit souvent que pour ceux qui immigrent, l'arrivée dans un nouveau pays et le fait de relever de tels défis représentent une expérience humaine de grande envergure. En soi, c'est toute une expérience. Mais pour en revenir à ce que M. Palmater a dit, faire partie d'une société dans laquelle on se sent marginalisé, c'est encore pire. Nous devrions en tenir compte dans nos réflexions sur les priorités budgétaires.

Merci beaucoup.

La séance est levée.